Le nuage d’Inconnaissance

Extraits de la traduction par  A . Guerne, Cahiers du Sud, Documents spirituels 6, 1953.

(Soir environ la moitié du texte)

COMMENCE ICI LE CHAPITRE PREMIER

Car tu sais bien que lorsque tu vivais d'abord dans le degré commun de la vie chrétienne et dans la compagnie de tes frères du monde, c'est très évidemment Son éternel amour - par lequel tu fus fait et créé du néant où tu étais, et racheté au prix de son précieux sang du péché d'Adam où tu étais perdu - qui n'a voulu souffrir que tu fusses si loin de Lui dans ce stade et à ce degré de vie. Et c'est pourquoi Il a très gracieusement suscité ton désir, et par le lien de la ferveur l'a affermi, te conduisant par là et t'amenant à une forme de vie et dans l'état plus spécial de serviteur au nombre de ses serviteurs, en sorte qu'il te fût possible d'apprendre à vivre plus spirituellement et plus spécialement à son service… 19

COMMENCE ICI LE CHAPITRE DEUXIÈME

En action, donc, et sans délai, je t'en supplie. Regarde à présent devant toi et laisse ce qui est en arrière : vois ce qui te fait défaut, et non ce que tu as, c'est le plus prompt pour gagner et garder l'humilité. Toute ta vie maintenant consiste et se tient dans le désir, si tu dois avancer sur les degrés de la perfection : ce désir qui ne peut être absolument que créé et formé dans ta volonté par la main de Dieu tout-puissant, mais avec ton accord. Et je te dis une chose : c'est un amant jaloux et qui ne souffre point de partage. 21

COMMENCE ICI LE CHAPITRE TROISIÈME

Lève vers Dieu ton cœur dans un élan d'humilité et d'amour; pense à Lui seul, et non pas à ses biens. Ainsi considère avec répugnance toute pensée autre que de Lui. En sorte qu'en ton entendement et en ta volonté, il n'y ait d'oeuvre que la sienne. Et ce que tu as à faire, c'est d'oublier toutes les créatures que Dieu ait jamais faites, et même leurs oeuvres, afin que ni ta pensée ni ton désir ne se lèvent et se tendent vers aucune d'entr'elles, pas plus au général qu'au particulier; laisse-les exister et ne t'en soucie points. 22 (…)

C'est pourquoi ne te relâche point, mais sois en travail jusqu'à temps que tu t'y sentes porté. Car dans les commencements lorsque tu le fais, tu ne trouves rien qu'une obscurité ; et comme s'il y avait un nuage d'inconnaissance, tu ne sais pas quoi, excepté que tu sens dans ta volonté un élan nu vers Dieu. Cette obscurité et ce nuage sont, quoi que tu fasses, entre toi et ton Dieu, et ils font que tu ne peux ni clairement Le voir par la lumière de l'entendement dans ta raison, ni Le sentir dans ton affection par la douceur de l'amour.

Donc, apprête-toi à demeurer dans cette obscurité tant que tu le pourras, toujours plus soupirant après Celui que tu aimes. Car si jamais ton sentiment vient à Le connaître ou si tu dois Le voir, autant qu'il se peut ici-bas, toujours ce sera dans le nuage de cette obscurité. Et si tu as volonté de t'efforcer activement ainsi que je t'en prie, j'ai toute confiance en Sa miséricorde que tu y parviendras. 23

COMMENCE ICI LE CHAPITRE QUATRIÈME

Ce n'est pas un long temps que réclame cette oeuvre, ainsi que le croient quelques-uns, pour son réel achèvement ; c'est en effet l'opération la plus brève de toutes celles que puisse imaginer l'homme. Jamais elle ne dure plus, ni moins, qu'un atome 1, lequel atome, d'après la définition des vrais philosophes en la science d'astronomie, est la plus petite partie du temps : si petit qu'à cause de sa petitesse même il est indivisible et quasi incompréhensible […] il peut y avoir et il y a, dans une heure de ta volonté, juste autant de vouloirs et de désirs, ni plus ni moins, qu'il y a d'atomes dans une heure.

Note 1. Atome, ou athome : environ 1/6 de seconde. L'heure, au moyen âge, se divisait en 60 ostenta, dont chacun comptait 376 atomi.

 (…) Et, par la vertu réformatrice de la grâce, notre âme est faite pleinement suffisante et capable de Le comprendre en entier… 25

(…) Néanmoins, toutes les créatures qui ont intelligence, les angéliques comme les humaines, possèdent en elles-mêmes et chacune pour soi, une première puissance opérative principale, laquelle est nommée de connaissance, et une autre puissance opérative principale, laquelle est nommée de l'amour. Desquelles deux facultés, Dieu qui en est le créateur, reste toujours incompréhensible à la première, qui est celle de la connaissance ; et à la seconde, qui est celle de l'amour, Il est tout compréhensible, pleinement et entièrement, quoique diversement pour chacun. De sorte qu'une seule même âme peut, par la vertu de l'amour, comprendre en elle-même Celui qui est en Soi pleinement suffisant - et incomparablement plus encore - pour emplir et combler toutes les âmes et tous les anges jamais créés. Et c'est ici l'immense et merveilleux miracle de l'amour dont l'oeuvre jamais ne connaîtra de fin, puisqu'à jamais Dieu le fera et que jamais il n'interrompra de le faire. Que celui-là le voie, à qui la grâce a donné des yeux pour voir, car c'est une infinie bénédiction que d'en avoir le sentiment, et le contraire est une désolation infinie.

Et c'est pourquoi celui qui a été rétabli par la grâce à demeurer constant dans la garde des mouvements de sa volonté - puisqu'à ne peut être, de nature, sans ces mouvements - jamais ne sera dans cette vie sans quelque goût de l'infinie suavité, ni dans la béatitude du ciel sans sa pleine et complète nourriture. Aussi ne t'étonne donc pas si je te pousse et t'incite à cette œuvre. Car elle est l'oeuvre même, comme tu l'apprendras par la suite, que l'homme eût poursuivie s'il n'avait pas péché c'est l'oeuvre pour laquelle l'homme a été fait, et toutes choses pour l'homme, afin de lui prêter assistance et l'y pousser plus avant ; et aussi est-ce en y travaillant que l'homme sera rétabli à nouveau. Car par le manquement à ce travail, toujours plus profondément l'homme tombe dans le péché, toujours plus loin et plus loin de Dieu. Mais à mettre et garder dans cette oeuvre son continuel effort, sans plus, l'homme se relève de plus en plus du péché, toujours plus près et plus près de Dieu.

Et c'est pourquoi prends donc grandement garde au temps, et comment tu le dépenses : car rien n'est plus précieux que le temps. Un rien de temps, aussi petit soit-il, et le ciel peut être gagné et perdu. Un gage que le temps est précieux, c'est que Dieu, qui en est le dispensateur, ne nous donne jamais deux temps à la fois mais toujours l'un après l'autre. 27 (…)

L'amour a ce pouvoir, que toutes choses alors sont mises en commun. Aussi donc aime Jésus, et toute chose qu'il a sera tienne. Il est, par Sa Divinité, le créateur et dispensateur du temps. Il est, par Son humanité, le garde vrai du temps 28

(…) Aussi donc donne ton attention à cette oeuvre, et à sa merveilleuse manière, intérieurement, dans ton âme. Car pourvu qu'elle soit bien conçue, ce n'est qu'un brusque mouvement, et comme inattendu, qui s'élance vivement vers Dieu, de même qu'une étincelle du charbon. Et merveilleux est-il de compter les mouvements qui peuvent, en une heure, se faire dans une âme qui a été disposée à ce travail. Et pourtant il suffit d'un seul mouvement entre tous ceux-là, pour qu'elle ait, soudain et complètement, oublié toutes choses créées. Mais sitôt après chaque mouvement, par suite de la corruption de la chair, c'est la chute de nouveau dans quelque pensée ou quelque action, exécutée ou non. Mais qu'importe ? Puisque sitôt après, il s'élance de nouveau aussi soudainement qu'il l'avait fait avant.

Et ici peut-on se faire une brève idée de la manière de cette opération, et clairement discerner qu'elle est loin de toute vision, fausse imagination ou bizarrerie de pensée : car telle, elle serait produite, non par un aussi pieux et humble aveugle élan d'amour, mais par un esprit imaginatif, tout d'orgueil et de curiosité. 29-30 (…)

…montre de la prudence dans cette oeuvre et ne travaille en aucune façon par l'esprit ni par imagination ; car je te le dis véritablement : elle ne peut être faite par le travail de ceux-là. Aussi laisse-les, et ne travaille point avec eux. 31

COMMENCE ICI LE CHAPITRE CINQUIÈME

ET si jamais tu devais parvenir en ce nuage, et que tu y demeures et travailles dedans comme je t'en prie, ce que tu dois, de même que ce nuage d'inconnaissance est au-dessus de toi entre toi et ton Dieu, c'est exactement de même mettre au-dessous de toi un nuage d'oubli entre toi et toutes les créatures jamais créées. Tu vas penser, peut-être, que tu es tout à fait. loin de Dieu parce que ce nuage d'inconnaissance est entre toi et ton Dieu mais très certainement, si la conception en : est bonne, tu es bien plus loin de Lui quand tu n'as point un nuage d'oubli entre toi et les créatures qui puissent jamais avoir été ou être faites. Et si souvent que je dise : toutes les créatures qui jamais aient été ou soient faites, aussi souvent j'entends non seulement ces créatures elles-mêmes, mais aussi toutes les oeuvres et conditions de ces mêmes créatures. Je ne fais exception d'aucune créature, qu'elle soit corporelle ou spirituelle, ni non plus d'aucune condition ou oeuvre d'aucune créature, qu'elle soit bonne ou mauvaise : et pour le dire en bref, toutes doivent être cachées sous le nuage d'oubli en l'occurrence.

Car quoiqu'il soit pleinement profitable parfois de penser à certaines conditions et actions de telles créatures particulières, néanmoins ici, en cette oeuvre, le profit en est minuscule ou nul. Pourquoi donc ? C'est que le souvenir ou la pensée de quelque créature que Dieu ait jamais faite, ou d'une quelconque de ses actions, est une manière de lumière spirituelle : car l'oeil de ton âme est exactement fixé sur cela comme l'œil du tireur est fixé sur le but qu'il vise. Et je te dis une chose, c'est que tout ce à quoi tu penses, cela est au-dessus de toi pendant ce temps, et entre toi et ton Dieu : et d'autant plus es-tu loin et. plus loin de Dieu, que tu as en l'esprit la moindre chose autre que Dieu.

Oui ! et s'il est possible de le dire avec décence et convenance, pour cette oeuvre, cela ne sert que peu ou à rien de penser à la bonté ou à la perfection de Dieu… 32-33

COMMENCE ICI LE CHAPITRE SIXIÈME

Mais maintenant tu m'interroges et me dis « Comment vais-je penser à Lui, et qu'est-Il ? » et à cela je ne puis te répondre que ceci : « Je n'en sais rien. »

Car par ta question tu m'as jeté dans cette même obscurité et dans ce même nuage d'inconnaissance où je voudrais que tu fusses toi-même. Car de toutes les autres créatures et de leurs oeuvres, oui certes, et des oeuvres de Dieu Lui-même, il est possible qu'un homme ait son plein de connaissance par la grâce, - et sur elles, il peut très bien penser; mais sur Dieu Soi-même, personne ne peut penser. C'est pourquoi laisserai-je toutes choses que je puis penser, et choisirai-je pour mon amour la chose que je ne puis penser. Car voici : Il peut bien être aimé, mais pensé non pas. L'amour Le peut atteindre et retenir, mais jamais la pensée.  35-36 (…)

COMMENCE ICI LE CHAPITRE SEPTIÈME

ET si quelque pensée se lève et continuellement se veut pousser de force au-dessus de toi, entre toi et cette obscurité, te questionnant et disant « Que cherches-tu ? Et que voudrais-tu avoir ? » Tu diras, toi, que c'est Dieu que tu souhaites posséder : « C'est Lui que je convoite, Lui que je cherche, et rien autre que Lui. »

Et si elle te demande : « Qu'est-ce que Dieu ? » Dis-lui, toi, que c'est Dieu qui t'a fait, et racheté, et qui gracieusement t'a appelé à ce degré. « Et en Lui, tu diras, nulle et de rien est ton habileté. » Et c'est pourquoi tu ordonnes: « En-bas, toi, va-t'en en bas. » Et vite tu poses le pied dessus par un élan d'amour, toute sainte qu'elle te paraisse, et bien qu'elle te semblât vouloir t'aider à Le chercher. Car peut-être bien voulait-elle te mettre en l'esprit divers très admirables et merveilleux aspects de Sa bonté, et affirmer qu'Il est toute douceur et tout amour, toute grâce et toute miséricorde. Et si tu veux l'écouter, elle ne demande pas mieux ; car pour finir, et toujours plus te disputant ainsi, elle te distraira, toi, de l'amour, pour te mettre en l'esprit Sa Passion.

Et là, elle te fera voir la merveilleuse bonté de Dieu, et si tu l'écoutes, elle n'attend que cela. Car bientôt après, elle te montrera ta misérable vie ancienne, et peut-être, à y penser et à la voir, te ramènera-t-elle à l'esprit quelque lieu où tu as demeuré dans ce temps d'avant. De telle sorte que pour finir, et avant que tu t'en sois rendu compte, te voilà rejeté tu ne sais où dans la dissipation. 37-38 (…)

…un élan direct et nu vers Dieu est suffisant assez, sans aucune autre cause que Lui-même.

Et que si cet élan, il te convient l'avoir comme plié et empaqueté dans un mot, afin de plus fermement t'y tenir, alors ce soit un petit mot, et très bref de syllabes : car le plus court il est, mieux il est accordé à l'oeuvre de l'Esprit. Semblable mot est le mot : DIEU, ou encore le mot : AMOUR. Choisis celui que tu veux, ou tel autre qui te plaît, pourvu qu'il soit court de syllabes. Et celui-là, attache-le si ferme à ton cœur, que jamais il ne s'en écarte, quelque chose qu'il advienne.

Ce mot sera ton bouclier et ton glaive, que tu ailles en paix ou en guerre. Avec ce mot tu frapperas sur ce nuage et cette obscurité au-dessus de toi. Et avec lui tu rabattras toutes manières de pensée sous le nuage de l'oubli. A tel point que, si quelque pensée t'importune d'en-haut et te demande ce que tu voudrais posséder, tu ne lui répondras par aucunes paroles autres que ce mot seul. Et qu'elle argue de sa compétence en t'offrant d'expliquer ce mot très savamment et de t'en exposer les qualités ou propriétés, dis-lui : que tu veux le garder et posséder intact en son entier, et non point brisé ou défait. 39-40 (…)

COMMENCE ICI LE CHAPITRE HUITIÈME

(…) Mais, la plus haute part de la contemplation, autant qu'elle peut se faire ici, consiste tout entière en cette obscurité et ce nuage d'inconnaissance, et avec un élan d'amour et une aveugle considération de l'Être pur de Dieu, uniquement Lui-même.

L'homme, dans la vie active inférieure, est en dehors de soi et au-dessous de soi. Dans la vie active supérieure, et partie inférieure de la contemplative, l'homme est au dedans de soi et égal à soi-même. Mais dans la vie contemplative supérieure, c'est au-dessus de soi qu'il est, et sous son Dieu. Au-dessus de soi-même : car la victoire qu'il se promet, avec le secours de la grâce, est par delà le point qu'on ne peut plus prétendre atteindre par nature ; ce qui est d'être attaché et uni à Dieu en esprit, en unité d'amour et en conformité de volonté.

Et tout justement comme il est impossible à la raison humaine d'admettre, pour un homme, qu'il en vienne à la part supérieure de la vie active, s'il n'a, du moins, cessé et quitté pour un temps la part inférieure ; exactement de même aussi est-il qu'un homme ne pourra point passer à la part supérieure de la vie contemplative, s'il n'a, du moins, cessé et quitté pour un temps sa part inférieure. Et autant est-ce chose illégitime et qui va à l'échec, que de vouloir et prétendre s'asseoir dans ses méditations, tout en conservant néanmoins son attention fixée à l'extérieur sur les travaux du corps, faits ou à faire, aussi saints qu'ils puissent être par ailleurs en eux-mêmes ; autant assurément est-il inadmissible et un échec certain, de prétendre et vouloir oeuvrer dans cette obscurité et ce nuage d'inconnaissance en un affectueux élan d'amour pour Dieu Lui-même, tout en laissant s'élever au-dessus de soi et se pousser entre soi et son Dieu, quelque pensée ou quelque méditation sur les admirables dons de Dieu, Sa bonté et ses oeuvres dans chacune de Ses créatures corporelles et spirituelles, - autant saintes que puissent être, par ailleurs, ces pensées elles-mêmes, autant réconfortantes et profondes !

Et c'est la raison pourquoi je te dis et prie de rejeter une telle pensée affutée et subtile, et de la recouvrir d'un très épais nuage d'oubli, quelque sainte qu'elle soit et te faisant promesse plus que jamais de t'assister et aider dans ton propos. Et le pourquoi, c'est que l'amour peut, dans cette vie, atteindre Dieu ; mais la science non point. Et tout le temps que l'âme demeure en ce corps mortel, la pointe de notre intelligence à l'égard des choses spirituelles, et tout particulièrement de Dieu, est souillée toujours plus de toutes sortes d'imaginations, par la faute desquelles notre travail ne peut être qu'impur. Et la grande merveille, ce serait que par là nous ne fussions induits en mainte erreur. 44-46

COMMENCE ICI LE CHAPITRE NEUVIÈME

ET c'est pourquoi ce mouvement aigu de ton intelligence, qui toujours vient t'importuner quand tu te mets à cette oeuvre, il faut toujours qu'il soit foulé aux pieds ; car si toi, tu ne le foules, c'est lui qui te foulera. Et ainsi, lorsque tu crois au mieux et t'imagines demeurer en cette obscurité et n'avoir en ton esprit rien autre que Dieu seul, si tu y regardes véritablement, tu trouveras ton esprit, non point occupé de,cette obscurité, mais d'une claire considération de quelque objet au-dessous de Dieu. Et cela étant, assurément cette chose est au-dessus de toi dans le moment, et entre toi et ton Dieu. C'est pourquoi, aie donc à dessein de rejeter de semblables et claires considérations, seraient-elles saintes et favorables comme jamais. Car je te dis une chose : c'est que plus profitable pour la santé de ton âme, et plus valable en soi, et plus plaisant à Dieu et à tous les saints ou anges au ciel, - oui ! et plus secourable à tous tes amis de corps et d'esprit, vifs ou morts, - est cet aveugle élan d'amour vers Dieu en Lui-même, et un tel et secret empressement en ce nuage d'inconnaissance ; 47-48 (…)

COMMENCE ICI LE CHAPITRE DOUZItME

(…) - arrache-toi les yeux, coupe-toi la langue, bouche-toi les oreilles et les narines hermétiquement comme jamais, et encore tranche-toi les membres et inflige à ton corps toutes les peines et souffrances imaginables : rien de cela ne t'aidera en rien. Toujours en toi sera le mouvement et l'assaut du péché.

Hélas ! et quoi encore ? Verse des larmes autant comme jamais par regret et chagrin de tes péchés, ou avec la pensée de la Passion du Christ; ou bien, plus vives que jamais, te soient présentes à l'esprit toutes les joies du ciel. Quel en sera l'effet, en ce qui te concerne ? Assurément beaucoup de bien, grand secours, grand profit et beaucoup de grâce en retireras-tu. Mais en comparaison avec l'aveugle élan d'amour, c'est tout si peu que rien, ce que cela fait, ou peut faire, sans lui. 57 (…)

COMMENCE ICI LE CHAPITRE TREIZIÈME

(…) L'humilité n'est en elle-même rien d'autre que la vraie connaissance et le sentiment vrai, pour l'homme, de ce qu'il est en soi-même. Car bien assurément, qui peut se voir soi-même en vérité et sentir ce qu'il est, en vérité celui-là sera humble. Et à cette humilité sont deux causes, lesquelles voici : La première est la souillure, misère et fragilité de l'homme, auxquelles il est tombé par le péché, et dont il lui appartient de garder sentiment à tous les instants qu'il vit en cette vie, quelque saint qu'il puisse être. La seconde, c'est le surabondant Amour et la Perfection de Dieu en Soi-même, à la considération desquels toute nature est dans le tremblement ; et tous les grands clercs sont des fous ; et tous les saints et tous les anges sont aveugles. Tellement que, si ce n'était qu'Il mesurât, dans la sagesse de Sa Divinité, la contemplation de chacun après sa capacité selon la nature et selon la grâce, je défaille à dire ce qu'il leur arriverait.

La seconde de ces deux causes est parfaite ; et la raison, c'est qu'elle durera toujours et sans aucune fin. Mais la première ci-dessus, est par contre imparfaite; et pourquoi ? C'est que non seulement elle tombe quand prend fin cette vie, mais encore bien souvent peut-il arriver qu'une âme en ce corps mortel, par abondance de grâce en multiplication de son désir - aussi souvent et aussi longtemps que daigne Dieu y opérer ainsi - peut avoir tout soudain et parfaitement perdu et oublié toute idée et tout sentiment de son être, sans plus aucun souci ou de sa sainteté ou de sa misère antérieure. Mais que la chose arrive rarement ou fréquemment à une âme ainsi disposée, de toutes façons elle ne persiste qu'un très bref instant, à mon avis : mais durant cet instant elle est parfaitement humble, n'ayant idée ni sentiment d'une cause, autre que la principale. Tandis que chaque fois qu'elle connaît et ressent l'autre cause mêlée à celle-ci - et quand même celle-ci serait la principale - alors l'humilité est imparfaite. 59-61 (…)

COMMENCE ICI LE CHAPITRE QUATORZIÈME

Et c'est pourquoi saigne et sue tant que tu peux et pourras, afin d'avoir, de toi-même, la connaissance vraie et le sentiment de ce que tu es. Car alors, je pense que peu après tu auras une expérience de Dieu, la connaissance vraie et le sentiment de ce qu'Il est. Non pas tel qu'Il est en Soimême, puisque cela nul ne le peut, fors Lui-même; ni encore tel que tu Le connaîtras dans la béatitude, ensemble avec le corps et l'âme. Mais tel qu'il est possible de Le connaître d'expérience, avec Sa permission, pour une âme humble et vivant en ce corps mortel.

Et ne pense pas, parce que j'ai posé à cette humilité deux causes, l'une parfaite et imparfaite l'autre, que je veuille par là te voir quitter le travail à propos de l'imparfaite humilité pour te mettre entièrement à vouloir la parfaite. Non point, assurément : car m'est avis que jamais tu ne l'aurais ainsi. Mais ce que jusqu'ici j'ai fait, je l'ai fait parce que je voulais te dire et aussi que tu visses l'excellence de cet exercice spirituel et sa précellence sur tous autres, physiques et spirituels, tels que peut ou pourrait les faire l'homme avec l'aide de la grâce. Comment il est aussi que cet amour intime, secrètement pressant en pureté d'esprit l'obscur nuage d'inconnaissance qui est entre toi et ton Dieu, véritablement et parfaitement contient en lui la parfaite vertu d'humilité, sans nulle particulière ou claire considération de quoi que ce soit au-dessous de Dieu. Et encore parce que je voulais que tu connusses laquelle était l'humilité parfaite, et que tu la posasses comme un signe devant l'amour de ton coeur, et que tu fisses ainsi pour toi et pour moi. Enfin, parce que je voulais que, par cette connaissance, tu devinsses plus humble. Car c'est souventes fois que le défaut de connaissance est cause, à mon avis, de beaucoup d'orgueil. Et peut-être eût-il pu se faire que, ne connaissant laquelle était la parfaite humilité, et ayant cependant quelque petite connaissance et sentiment de celle que j'appelle l'humilité imparfaite, tu te fusses imaginé avoir déjà presque atteint l'humilité parfaite : de telle sorte, ainsi, que tu te fusses trompé toi-même, croyant en être à une totale humilité alors que tu eusses été tout prisonnier d'un horrible et puant orgueil. 62-64 (…)

COMMENCE ICI LE CHAPITRE SEIZIÈME

VOIS-LE bien : nul n'irait penser qu'il y ait de la présomption à oser (…) prendre sur soi et porter un humble élan d'amour vers son Dieu, pressant secrètement ce nuage d'inconnaissance, lequel est entre l'homme et son Dieu. Lorsque notre Seigneur s'adressant à Marie, et en sa personne à tous les pécheurs, lui dit : « Tes péchés sont remis », ce n'est point alors pour le seul souvenir de ses péchés ni pour le grand chagrin qu'elle en avait, ni non plus pour l'humilité qu'elle avait gagnée au regard seulement de sa misère. Mais pourquoi donc alors ? Assurément parce qu'elle avait beaucoup d'amour. (…)

Elle, qui pourtant ne pouvait pas ne pas sentir en son cœur le plus profond chagrin de ses péchés, - puisqu'elle les portait, en effet, avec elle où qu'elle allât sa vie durant, liés ensemble comme un fardeau déposé et pesant secrètement dans la caverne de son coeur, en sorte qu'ils ne fussent jamais oubliés - bien cependant on peut le dire et affirmer selon l'Écriture : elle avait néanmoins un plus profond chagrin au coeur, une plus douloureuse aspiration et plus profonde impatience, oui ! et elle languissait beaucoup plus - presque jusqu'à la mort - de son manque d'amour, encore qu'elle fût pleine d'amour. Et de cela tu n'as point à t'étonner, car c'est la condition de l'amant véritable, que toujours plus il aime, et plus il manque et aspire à l'amour. 68-70 (…)

LE CHAPITRE VINGT ET UNIEME

(…) Mais encore qu'il n'y, ait que deux vies, entre ces deux vies, néanmoins, il y a trois parts : desquelles trois, on va d'une bonne à une meilleure part, et de celle-là à la part la meilleure. Chacune de ces trois, en sa place particulière, a été mise déjà en cet écrit. Car ainsi qu'il a été dit auparavant, la première, ce sont les honnêtes bonnes œuvres corporelles de charité et de miséricorde ; et c'est là le premier degré de la vie active, comme susdit. La seconde part de ces deux vies, ce sont les efficaces méditations spirituelles de l'homme sur sa propre misère, la Passion du Christ, et sur les joies du ciel. La première part est bonne, et cette seconde meilleure : car c'est là le deuxième degré de la vie active, et premier de la contemplative ; en cette part, l'une et l'autre vie, la contemplative et l'active, sont ensemble couplées en parenté spirituelle, et faites soeurs à l'exemple de Marthe et Marie. Jusqu'à cette hauteur et non plus haut, sauf exception très rare et par grâce particulière, un actif peut parvenir à la contemplation; jusqu'à ce bas niveau, et non plus bas, sauf par une exception très rare et en grande nécessité, un contemplatif peut descendre à la vie active.

La troisième part de ces deux vies repose en-haut en cet obscur nuage d'inconnaissance, avec tous les élans et le secret empressement de l'amour vers Dieu en Soi-même. La première part est bonne, la seconde meilleure, mais la troisième est de toutes la meilleure. C'est elle « la part la meilleure » de Marie. Et aussi peut-on pleinement comprendre que notre Seigneur ne dise pas que Marie a choisi la vie la meilleure, puisqu'il n'y a en nombre que deux vies, et que de deux, on ne peut choisir qu'un seul meilleur et non point le meilleur de tout. Mais Il a dit que, de ces deux vies, Marie a choisi la part la meilleure, laquelle ne lui sera jamais ôtée.

La première part et la seconde, toutes bonnes et saintes qu'elles soient, n'en cessent pas moins avec cette vie. Car il n'y aura point besoin, dans l'autre vie, des oeuvres de miséricorde comme à présent, ni de pleurer sur notre misère ou la Passion du Christ. Car il n'y aura personne alors pour avoir faim et soif comme ici, nul ne mourra de froid, ni ne sera malade, ou sans logis, ou en prison ; aucun non plus n'aura besoin d'être enterré puisque nul ne pourra mourir. Mais cette troisième part que Marie a choisie, la choisisse celui qui par la grâce a vocation de la choisir, ou pour le dire plus vrai celui que Dieu, pour le faire, a choisi. Qu'il suive avec ardeur son penchant, puisque cela jamais ne lui sera ôté : car s'il commence ici, il durera sans fin et à jamais. 84-85 (…)

COMMENCE ICI LE CHAPITRE VINGT ET TROISIÈME

(…) Et de même qu'Il répondra de nous en esprit, de même aussi suscitera-t-il autrui, spirituellement, à nous donner les choses nécessaires à cette vie, telles que vêtements, nourriture, et toutes autres..., s' Il voit que nous ne voulons quitter l'oeuvre de Son amour pour nous occuper d'elles. Et cela, je le dis pour la confusion de ceux qui prétendent, dans leur erreur, qu'il n'est pas légitime pour des hommes de se mettre à servir Dieu en la vie contemplative, qu'ils ne se soient assurés préalablement de leur corporel nécessaire. Car, disent-ils, Dieu donne bien la vache mais ne l'amène point par les cornes. Mais c'est, en vérité, parler perversement de Dieu, et ils le savent bien. Car aie confiance fermement, qui que tu sois, toi qui te détournes sincèrement du monde vers Dieu, que l'une ou l'autre de ces deux choses te sera envoyée et donnée par Lui soit l'abondance des biens nécessaires ; soit la force en le corps et la patience en l'esprit pour supporter le besoin. Et qu'importe alors, laquelle on reçoit ? puisque c'est tout un pour le vrai contemplatif. 90 (…)

COMMENCE ICI LE CHAPITRE VINGT ET QUATRIÈME

(…) Car la charité n'est rien d'autre, et ne doit signifier à ton entendement que l'amour de Dieu pour Lui-même par-dessus toutes les créatures, et l'amour du prochain comme de toi-même, pour l'amour de Dieu. Or, que Dieu, dans cette couvre, soit aimé pour Soi-même et par-dessus toutes créatures, cela paraît évident assez : car ainsi qu'il a été dit plus tôt, la substance même de cette couvre n'est rien autre qu'un élan nu vers Dieu en Soi-même.

Un élan nu, l'ai-je nommé. Et pourquoi ? Parce que dans cette couvre, le parfait apprenti ne réclame ni relâchement de peine ni gain de récompense, et, pour le dire en bref, il ne veut que Dieu seul. A tel point qu'il ne se soucie et non plus ne regarde s'il est en peine ou en joie, autrement que pour que soit faite La volonté de Celui qu'il aime. Ainsi donc apparaît-il bien qu'en cette couvre, Dieu soit parfaitement aimé pour Soi-même et par-dessus toutes les créatures. Car, non plus, le parfait ouvrier de cette couvre ne saurait admettre et souffrir que le souvenir de la créature, même la plus sainte que Dieu eût jamais créée, vînt converser en lui.

Et pour la seconde et inférieure branche de la charité qui est envers ton prochain, qu'elle soit en cette couvre véritablement et parfaitement effectuée, on le voit à l'épreuve : puisque, en effet, le parfait ouvrier en cette couvre n'a de regard particulier pour aucun homme en lui-même, qu'il soit parent ou étranger, ami ou ennemi. Tous les hommes sont ses frères, aucun ne lui est étranger ; tous les hommes sont ses amis, aucun n'est son ennemi telle est sa pensée. Et c'est au point que ceux-là, même, qui lui causent en cette vie ou chagrin ou souffrance, il les tient pour ses amis tout particuliers et très chers, s'empressant à leur vouloir tout et autant de bien qu'à son ami le plus intime. 92-93

COMMENCE ICI LE CHAPITRE VINGT ET CINQUIÈME

JE ne dis pas que l'ouvrier en cette œuvre considérera à part quelque homme que ce soit, ami ou ennemi, parent ou étranger; car cela ne se peut si l'oeuvre doit être accomplie en perfection, ce qui est dans l'oubli complet de toutes choses au-dessous de Dieu, ainsi qu'il faut et convient à cette oeuvre. Mais je dis que l'ouvrier sera, par l'efficace de cette couvre, et deviendra si vigoureux en vertus et en la charité, que sa volonté, quand après il redescendra au commun, parlant et priant pour son prochain - non point qu'il quitte au tout cette oeuvre, ce qui ne saurait être sans grand péché ; mais en quittant son haut,-ce que parfois requiert et exige lai charité - je dis qu'alors sa volonté

ira tout autant en particulier à son ennemi, comme à son ami, à l'étranger comme à son frère. Et même, oui, d'aucunes fois plus à son ennemi qu'à son ami.

En l'oeuvre, toutefois, il n'a point loisir de regarder qui est son ami ou son ennemi, son parent ou un étranger. Pourtant je ne dis point qu'il ne sente parfois - et même souvent, oui - une plus intime affection pour un, deux, ou trois, plutôt qu'à tous autres : car il est légitime qu'ainsi soit, et pour maintes causes, lesquelles veut la charité. Et par ce qu'une plus tendre affection de ce genre, aussi le Christ la ressentit pour Jean et pour Marie, et pour Pierre devant nombre d'autres. Mais ce que je dis, c'est qu'en le temps de l'oeuvre, tous également lui seront intimes ; car alors il n'aura sentiment de cause, que Dieu seul. De sorte que tous seront aimés tout bonnement et simplement comme soi-même, pour Dieu.

Car tous les hommes ont été perdus en Adam et tous, qui par les couvres veulent témoigner de leur volonté de salut, sont ou seront sauvés par la force et vertu de la Passion du seul Christ. Or, non de la même manière, mais comme si c'était de la même manière, une âme à cette œuvre en perfection disposée, et en esprit unie à Dieu ainsi que l'oeuvre même en témoigne et le prouve, en elle agit de toutes ses forces pour faire tous les hommes aussi parfaits en cette œuvre qu'elle l'est elle-même. Parce que si un membre de notre corps se sent mal, les autres tous sont malades et souffrent; et si un membre se porte bien, les autres tous en sont heureux ; 94-95 (…)

COMMENCE ICI LE CHAPITRE VINGT ET SIXIÈME

(…) Mais alors en quoi ce travail, je te prie ? Assurément ce travail, c'est de fouler aux pieds le souvenir de toute créature jamais faite par Dieu, et de le rejeter sous le nuage d'oubli déjà nommé. C'est en cela qu'est tout le travail et tout l'effort : parce que là est l'humain travail, avec l'aide de la grâce. Et pour l'autre qui est au-dessus - c'est-à-dire cet élan de l'amour - celui-là est l'oeuvre de Dieu seul. Aussi fais donc ton travail, et je te fais promesse assurément qu'Il ne manquera pas au Sien.

En action, donc : montre comment tu te comportes. Ne vois-tu pas combien Il est là, qui t'attend ? Pour ta honte ! Aussi travaille ferme et sur l'heure, et bientôt tu seras relevé de la difficulté et de l'énormité de ton ouvrage. Car bien qu'il soit dans le commencement difficile et ardu, lorsque tu n'as de dévotion, néanmoins par la suite, lorsque tu as la dévotion, tout devient très facile et léger, de ce qui était si dur auparavant. Et tu n'as plus que peu ou pas du tout de travail, parce qu'alors c'est Dieu, tantôt, qui voudra seul œuvrer. Mais pas toujours, ni non plus et ensemble longtemps, mais seulement quand il Lui plaît et comme il Lui plaît; mais alors tu te trouveras joyeux de Le laisser seul faire.

Peut-être alors, parfois, Il enverra un rayon de lumière spirituelle, perçant ce nuage d'inconnaissance qui est entre toi et Lui; et Il te montrera en confidence l'un ou l'autre de Ses secrets, desquels l'homme n'a moyen ni permission de parler. Alors tu sentiras ton affection tout embrasée du feu de Son amour, et bien au delà de ce que je saurais ici, ou pouvoir ou vouloir te dire. 98-99 (…)

COMMENCE ICI LE CHAPITRE TRENTE ET QUATRIÈME

ET si tu me demandes par quelles voies tu parviendras en cette couvre, je prie le Tout-Puissant Dieu, dans sa grande grâce et courtoisie, qu'Il te l'enseigne Lui-même. Car en vérité je ne puis que te donner à penser combien incapable je suis de te le dire; et rien d'étonnant à cela. Puisqu'en effet c'est là l'ouvrage et l'oeuvre de Dieu seul, qu'Il accomplit Soi-même en quelle âme il Lui plaît, sans nul mérite de cette même âme. Et sans cela, il n'est ni saint ni ange pour pouvoir penser même à la désirer. Et j'ai confiance que notre Seigneur aussi souvent et aussi particulièrement consent, oui ! et plus particulièrement même et plus souvent, à accomplir cette couvre en ceux qui furent accoutumés pécheurs, qu'en tels autres qui ne L'ont jamais tant gravement offensé que ceux-là. Ce qu'Il fait pour ce, qu'Il veut être vu tout-miséricordieux et tout-puissant, et pour ce qu'Il veut être vu agissant comme il Lui plaît, où il Lui plaît et quand il Lui plaît.

Et pourtant, Il ne fait don de cette grâce, et non plus n'accomplit cette oeuvre, en quelque âme qui n'en soit capable. Mais sans cette grâce elle-même, il n'est aucune âme capable de posséder cette grâce ; (…)

Attention à l'orgueil, lequel blasphème Dieu dans Ses dons, en effet, et insolemment enhardit le pécheur. Pour toi, sois humble véracement, et tu auras de cette couvre le sentiment que j'ai dit que Dieu en fait don librement et non par réponse à quelque mérite. Car cette couvre est telle et ainsi, que sa présence rend une âme capable de l'avoir en sa possession et d'en avoir le sentiment. Et cette capacité, sans l'oeuvre, aucune âme ne l'a et non plus ne peut l'avoir. C'est l'oeuvre même qui fait l'âme capable de l'oeuvré, sans partage; en sorte que celui seul qui a et connaît le sentiment de cette œuvre en est par là-même capable, et nul autre que celui-là. Et autant en est-il que, sans l'oeuvre, une âme est comme si elle était morte et ne peut ni y aspire ni la désirer. Autant tu la veux et désires, autant tu l'as, et ni plus, ni moins ; pourtant elle n'est ni volonté ni non plus désir, mais une chose que tu ne sais pas quoi, laquelle t'attire à vouloir et désirer ce que tu ne sais pas quoi. Mais ne t'inquiète point, je t'en supplie, si ton entendement ne va pas au delà : au contraire, veuille et désire et va de l'avant toujours plus, en sorte que tu en sois toujours plus capable et encore toujours plus.

Et pour me résumer en bref, laisse cela agir en toi et te conduire où il lui plaît. Laisse cela être l'ouvrier et l'opérateur, pour n'être, toi, que le patient et celui qui subit : tu n'as qu'à regarder et laisser faire. Ne t'en mêle pas, comme si tu voulais y aider, par crainte de tout embrouiller. Pour toi, ne sois rien que le bois, et que cela soit l'ouvrier de ce bois ; ne sois que la maison, et que cela soit l'habitant de cette maison, le cultivateur qui demeure là. Sois et fais-toi aveugle durant ce temps, et rejette tout désir et toute ambition de connaissance, lesquels bien plus te feraient obstacle qu'ils ne peuvent t'aider. Qu'il te suffise assez, pour toi, de te sentir mû et poussé dans ton gré et assentiment par cette chose que tu ne sais pas quoi et dont tu ne sais rien, sinon que dans ce tien mouvement tu n'as aucune pensée particulière pour aucune chose au-dessous de Dieu, et que cet élan nu est directement dirigé vers Dieu.

Et s'il en est ainsi, tu peux avoir ferme confiance que c'est Dieu, et Lui seul, qui meut directement ta volonté et ton désir, pleinement par Soi-même, non par des voies intermédiaires de Son côté ou du tien. Et n'aie crainte ni effroi, car le diable ne peut venir aussi prochement intime. Il ne peut jamais qu'occasionnellement et par des voies lointaines en venir à mouvoir la volonté d'un homme, quelque subtil diable qu'il soit jamais. Et non plus un bon ange ne peut mouvoir ta volonté suffisamment et sans voies ; et, pour le dire en bref, rien ni personne autre que Dieu. Et Dieu seul.

En sorte que tu pourras concevoir un peu par ces mots ici (mais bien plus clairement à l'épreuve et par expérience) que dans cette pauvre, les hommes n'ont point à user de moyens et de voies, et que non plus ils n'y peuvent parvenir par des moyens et des voies. Il n'est de bonne voie qui ne dépende d'elle, mais elle ne dépend d'aucune; et il n'en est aucune qu'elle-même pour y mener. 112-115 (…)

COMMENCE ICI LE CHAPITRE TRENTE ET SIXIÈME

MAIS il n'en va pas ainsi de ceux qui sont au continuel travail de l'oeuvre que dit ce livre. Car leurs méditations sont telles que si c'étaient de brusques idées et sentiments aveugles de leur misère propre ou de la bonté de Dieu, sans nulle voie préalable de lecture ou audition de lecture, et sans aucune particulière considération de quoi que ce soit au-dessous de Dieu. Ces soudaines idées et ces aveugles sentiments plutôt étant appris de Dieu que de l'homme.

(…) et par FAUTE, entends un bloc massif de tu ne sais pas quoi, ni rien autre chose que toi-même. Je pense, pour moi, que dans cette considération et aveugle contemplation de la faute ou péché ainsi condensés et fixés en un bloc, et en rien autre chose que toimême, il ne saurait y avoir rien ni personne de plus fou à lier. Encore que, si quelqu'un d'aventure te voyait alors, il te penserait dans les plus sobres dispositions physiques ; sans nul changement de contenance et d'apparence, quel que tu sois alors, arrêté ou en marche, couché ou debout, assis ou à genoux : il te verrait dans le calme le plus contenu et la plus sobre tranquillité. (119-120). (…)

COMMENCE ICI LE CHAPITRE TRENTE ET SEPTIÈME

(…) Un homme ou femme, effrayé soudain par quelque accident tel que feu ou mort d'homme ou quelqu'autre que ce soit, brusquement mis à l'extrémité de soi-même, est amené par la hâte et la nécessité à crier ou supplier pour de l'aide. Comment le fait-il ? Assurément non point en beaucoup de mots et paroles, ni même en nombreuses syllabes. Quoi donc alors ? Il lui paraît impossible de s'arrêter en quelque long discours pour proclamer en telle urgence son besoin et l'élan de son esprit : aussi éclate-t-il affreusement dans son agitation extrême et hurle-t-il un petit mot de guère plus d'une syllabe, tel que : Oh! ou Feu! ou Malheur!

Et tel ce petit mot de « Feu ! » atteint plus rapidement et pénètre les oreilles des auditeurs, tel aussi fait un petit mot d'une ou deux syllabes quand il est non seulement prononcé ou pensé, mais encore uniquement formulé en secret dans les profondeurs de l'esprit, lesquelles sont la hauteur, puisqu'en esprit tout est un, la hauteur et la profondeur, la longueur et la largeur. Et bien mieux ce petit mot pénètre-t-il l'oreille du Dieu tout-puissant, et plus tôt que telle interminable psalmodie négligemment marmonnée entre les dents. Aussi est-ce pourquoi il est écrit que la courte prière perce le ciel. (122-123).

COMMENCE ICI LE CHAPITRE TRENTE ET HUITIÈME

(…) Vois à l'exemple : si celui qui est ton ennemi mortel, soudain tu l'entendais au comble de l'effroi crier ce petit mot de « feu » ou « hélas ! » ou « malheur! » alors sans considérer s'il est ou non ton ennemi, mais dans la pure pitié de ton cœur tu serais ému et saisi de compassion par l'angoisse de ce cri et tu te lèverais - oui, oui, serait-ce au beau milieu de la nuit d'hiver! - et tu irais à son secours pour l'aider à éteindre le feu ou pour le conforter et l'apaiser dans sa détresse. Oh, Seigneur! Quand un homme peut en grâce devenir si pitoyable et miséricordieux qu'il prenne en compassion son ennemi, nonobstant son inimitié, quelle pitié et quelle miséricorde alors aura Dieu pour un tel cri spirituel de l'âme, fait et conçu dans la hauteur et dans la profondeur, dans la longueur et la largeur de l'esprit, Lui qui a par nature ce que l'homme a par grâce ? Oh! bien plus, bien plus assurément aura-t-Il de miséricorde, et sans nulle comparaison, puisque tant est plus proche la chose ainsi possédée par nature que la chose éternelle qui vous est donnée par la grâce ! (125-126).

COMMENCE ICI LE CHAPITRE TRENTE ET NEUVIÈME

(…) Ne va donc point te mettre en étude et recherche de mots, laquelle étude ne te mènerait nullement en ton propos ni en cette oeuvre, puisque jamais on n'y parvient par l'étude, mais seulement par la grâce. Et c'est pourquoi ne prends toi-même pour ta prière point d'autres mots, malgré ceux que j'ai mis ici, si ce n'est ceux que, par Dieu, tu te sens incité à prendre. Néanmoins, si Dieu te portait à prendre les dits, alors mon conseil est que tu ne les quittes point : j'entends et veux dire pour le cas où tu prierais en paroles, car autrement point. Pourquoi ? C'est que ce sont des mots tout à fait courts. Mais pour tant que soit si grandement recommandée ici la brièveté de prière, jamais cependant sa fréquence n'a du tout à être ralentie. Car c'est prier, comme il a été dit, dans la longueur de l'esprit; et jamais ne devrait cesser ni s'interrompre une telle prière, jusques à temps qu'elle ait pleinement obtenu ce après quoi elle soupirait. Et l'exemple, nous le voyons à cet homme ou cette femme dans l'épouvante comme décrits ci-dessus, lesquels en effet ne cessent non plus de crier ce petit mot de « feu », ou cet autre de « malheur », tant et aussi longtemps qu'ils n'ont point obtenu le plus grand soulagement et le plus grand secours dans leur détresse. (128-129).

COMMENCE ICI LE CHAPITRE QUARANTIÈME

(…) Et que tu aies sentiment de cette « faute » ou péché comme d'un bloc massif et tu ne sais jamais quoi, mais rien autre que toi-même. Et crie alors sans cesse en esprit cet unique « Faute ! Faute ! Faute ! Las ! Las ! Las ! » Lequel cri spirituel, tu apprendras bien mieux de Dieu par l'expérience, que par la parole d'aucun homme quel il soit. Car le meilleur est ce cri en toute pureté d'esprit, sans nulle pensée particulière ni énoncé d'aucune parole (…) Et de même façon feras-tu de ce petit mot de « Dieu » : que ton esprit soit tout empli de sa signification spirituelle, et sans aucune considération plus particulière à aucune de Ses oeuvres, corporelle ou spirituelle, si bonne, ou meilleure, ou excellente soit-elle - ni non plus à aucune vertu, que puisse susciter en l'âme humaine quelque grâce que ce soit; et nullement tu ne chercheras à voir si c'est Humilité ou Charité, Patience ou Abstinence Espérance, Foi ou Tempérance, Chasteté ou volontaire Pauvreté. Que fait cela au contemplatif ? Puisqu'en toute vertu il trouve et voit, reconnaît et a sentiment de Dieu ; car en Lui sont toutes choses, tout ensemble par cause et par état. C'est pourquoi les contemplatifs pensent que s'ils ont Dieu, ils ont et possèdent tout bien, et par suite ils ne convoitent rien par considération plus particulière, rien que le seul bien : Dieu. Et toi, fais de même aussi loin que tu le pourras par la grâce : et entends Dieu en tout, et en tout Dieu, afin qu'il n'y ait oeuvre en ton esprit et en ta volonté autre que Dieu seul. Mais parce que tant, et tout aussi longtemps que tu vis en cette misérable vie, c'est ton lot de toujours avoir en quelque part le sentiment de cette horrible et puante masse du péché, telle que si elle était unie et fondue avec la substance de ton être, alors et c'est pourquoi tu penseras alternativement et prendras les deux mots : « Faute » et « Dieu », ayant cette connaissance générale que si tu as Dieu, alors tu seras défait du péché ; et si tu peux te défaire du péché, alors tu posséderas Dieu.

 

COMMENCE ICI LE CHAPITRE QUARANTE ET UNIÈME

Et plus loin, si tu me demandes quelle discrétion tu dois avoir et mettre en cette oeuvre, je te réponds et te dis : exactement aucune ! Car en toutes tes autres actions tu mettras de la discrétion, comme à manger, boire, dormir ou protéger ton corps du froid et du chaud trop violents, ou longuement prier ou lire, ou échanger des paroles avec ton prochain. En tout cela tu auras à garder la discrétion, de telle sorte que ce ne soit ni trop, ni trop peu. Mais en cette oeuvre, tu ne tiendras et n'auras à tenir aucune mesure : car je souhaiterais que tu pusses ne jamais cesser au long de toute la longueur et le temps de ta vie.

Je ne dis pas que tu y persévéreras et persisteras toujours avec une égale vigueur et fraîcheur, puisque cela ne peut pas être. Car il y aura la maladie parfois, et d'autres désordres et fâcheuses dispositions du corps et de l'âme, et maintes autres nécessités de nature, lesquelles te retiendront bien assez, et souvent te feront descendre du haut de ce travail. Mais je dis que tu devrais toujours et sans cesse y être, soit tout sérieusement et directement, soit avec plus de jeu ; c'est-à-dire que tu l'aies toujours : soit de fait et en oeuvre, soit d'intention et en volonté. Et c'est pourquoi, pour l'amour de Dieu, garde-toi tant et du mieux que tu pourras de la maladie, afin de n'être pas toi-même, autant qu'il est possible, la cause de ta faiblesse. Car c'est en vérité que je te dis que cette oeuvre réclame une très grande et complète tranquillité et une entière et pure disposition, tant de corps que d'âme.

Donc, pour l'amour de Dieu, mets de la discrétion dans le gouvernement de ton corps comme de ton âme, et tiens-toi en santé autant que tu le peux. Et si la maladie survient malgré ton effort, prends-la en patience et remets-t'en humblement à la miséricorde, de Dieu : et alors c'est tout, ce qu'il faut.  (…) (133-134).

COMMENCE ICI LE CHAPITRE QUARANTE ET DEUXIÈME

MAIS peut-être vas-tu me demander comment tu te conduiras et gouverneras avec discrétion en la nourriture, le sommeil, et toutes ces autres choses. A quoi je pense te répondre très brièvement « Prends ce qui vient. »(…) (135)

COMMENCE ICI LE CHAPITRE QUARANTE ET TROISIÈME

REGARDE qu'en ton intelligence et en ta volonté rien n'oeuvre que Dieu seul. Et tâche à abattre toute connaissance et tout sentiment de quoi que ce soit au-dessous de Dieu; et rejette bien loin toutes choses sous le nuage d'oubli. Et tu dois comprendre que tu n'as pas seulement à oublier en cette oeuvre toutes les autres créatures que toi-même et aussi leurs actions ou les tiennes, mais encore que tu as, en cette oeuvre, à oublier ensemble et toi-même et tes propres actions pour Dieu, non moins que les autres créatures et leurs actions. Car c’est le propre et la condition de qui aime parfaitement, non seulement d’aimer ce qu’il aime plus que soi-même, mais aussi et encore en quelque sorte de se haïr soi-même pour l'amour de ce qu'il aime.

Ainsi faut-il que tu fasses toi-même de toi-même : tu dois prendre en dégoût et t'ennuyer de tout ce qui se fait en ton intelligence et en ta volonté, à moins qu'il n'y soit que Dieu seul. Parce que tout ce qui est autre, assurément, quoi que ce soit, cela est entre toi et ton Dieu. Et rien d'étonnant que tu le détestes et haïsses, de penser à toi-même, quand il te faut toujours avoir sentiment du péché, cet horrible et puant bloc massif de tu ne sais pas quoi, lequel est entre toi et ton Dieu : cette masse pesante qui n'est point autre chose que toi-même. Car il te faut penser qu'il est uni et fondu avec la substance de ton être, ah ! Comme s'il n'y avait pas de différence et de partage.

Et c'est pourquoi renverse et abats toute connaissance et sentiment des créatures de toutes espèces, mais tout particulièrement de toi-même. Car c'est de cette connaissance, et de ce sentiment de toi-même que dépend ta connaissance et ton sentiment des autres toutes créatures, lesquelles toutes, au regard de cela, seront facilement oubliées. Car tu verras, en te mettant activement toi-même au fait et à l'épreuve, que lorsque tu auras oublié toutes les autres créatures et toutes leurs oeuvres, oui, et les tiennes propres au surplus, il y aura encore de vivant entre toi et ton Dieu, une connaissance nue et un sentiment de ton être propre, lesquels devront toujours être détruits jusque le temps que tu sentiras sûre et vraie la perfection de cette oeuvre.(137-138).

COMMENCE ICI LE CHAPITRE QUARANTE ET QUATRIÈME

MAis à présent tu me demandes comment tu pourras détruire cette nue connaissance et sentiment de ton être propre. Car peut-être bien vas-tu penser que si cela était détruit, tous autres empêchements seraient détruits ; et si tu penses ainsi, tu penses exactement vrai. Mais à cela, je te réponds et dis que sans une toute particulière grâce, tout librement donnée de Dieu, et en outre, de ta part, sans une aptitude et capacité pleinement accordées à recevoir cette grâce, cette nue connaissance et sentiment de ton être ne peuvent d'aucune façon être détruits. Et cette aptitude ou capacité n'est rien autre chose qu'une extrême et profonde affliction spirituelle.

Mais en cette affliction, il importe et il est nécessaire que tu aies et mettes de la discrétion, à cette manière : tu seras attentif, au temps de cette affliction, à ne point par trop rudement efforcer ou ton corps ou ton esprit, mais au contraire à être tout tranquille assis comme dans le dessein de dormir, tout pénétré et plongé dans l’affliction. (…) (p. 139-140).

CHAPITRE QUARANTE ET HUITIEME.

(…) Dieu veut être servi par le corps et par l'âme à la fois tout ensemble, comme il sied, et il retournera en récompense sa béatitude à la fois dans le corps et dans l'âme. Et en gage et prémices de cette récompense, parfois, ici en cette vie, Il embrasera le corps de Ses dévots serviteurs : non pas une fois ou deux, mais peut-être bien très souvent selon qu'il Lui plaît, l'emplissant de merveilleuses douceurs et consolations. Certaines desquelles douceurs et consolations ne viendront pas de dehors dans le corps par les fenêtres de notre entendement, mais de dedans : surgissant et jaillissant de l'excès et abondance de félicité spirituelle et d'une vraie dévotion en l'esprit. Celles-là n'ont point à être tenues pour suspectes et, pour le dire en bref, celui qui les ressent, je suis certain qu'il ne saurait les avoir en suspicion. (152). (…)

COMMENCE ICI LE CHAPITRE CINQUANTIÈME

Et par ceci, tu peux voir et comprendre que nous ayons à commander notre entière conduite d'après cet humble élan d'amour en notre volonté. Et à toutes ces autres délices et consolations, pour si agréables et saintes qu'elles soient, nous ne devons montrer, s'il est séant de le dire, qu'une sorte d'indifférence. Qu'elles viennent, et bienvenues sont-elles. Mais ne te penche point trop vers elles, en crainte de faiblesse : car demeurer par trop longtemps en de telles émotions et larmes si suaves, cela t'enlèverait tes forces beaucoup trop. Peut-être même en viendrais-tu à aimer Dieu pour elles… (157)

CHAPITRE SOIXANTIEME.

(…) Car le ciel spirituel est aussi proche en-bas qu'en-haut, et aussi proche en-haut qu'en-bas, et autant derrière que devant, et devant que derrière, et d'un côté comme de l'autre. En sorte que quiconque a vrai désir d'être au ciel, il y est alors à l'instant même spirituellement. Car c'est par les désirs et non point par les pas de la marche, que la grand'route et la plus prompte du ciel est courue. Et c'est pourquoi saint Paul a dit, parlant de lui-même et de maints autres ainsi : quoique nos corps soient présentement ici sur la terre, néanmoins pourtant notre vie est au ciel. Il entendait par là leur amour et désir, lequel est spirituellement leur vie. Et très-assurément l'âme est aussi réellement en vérité là où elle aime, qu'elle est en le corps où elle vit et auquel elle donne la vie. Et c'est pourquoi, si nous voulons spirituellement aller au ciel, il ne sert de rien de tirer et tendre notre esprit en-haut pas plus qu'en-bas, ni d'un côté plus que de l'autre. (188) (…)

COMMENCE ICI LE CHAPITRE SOIXANTE ET HUITIEME

ET de la même manière, si quelque autre homme te disait de recueillir tout en toi-même tes facultés et tes sens, et ainsi d'adorer Dieu - bien que ce qu'il dise soit parfaitement bien et tout vrai, ah! et personne ne dirait plus vrai, pour peu que cela soit bien conçu - néanmoins, par crainte des illusions et erreurs, et que ces mots soient entendus corporellement, je ne t'ai point prié de le faire. Regarde à n'être en aucune façon au dedans de toi-même. Très vite je te dirai, et en bref : ce n'est pas que je veuille que tu sois hors de toi-même, ni au-dessous, ni derrière, ni d'un côté, ni de l'autre.

« Mais où donc, demandes-tu, faut-il que je sois ? Nulle part, à ce qu'il parait! a Et oui, réellement tu l'as bien dit : car c'est là que je te veux avoir. Parce que nulle part, corporellement : c'est partout, spirituellement. Regarde et veille bien à ce que ton oeuvre spirituelle ne soit nulle part corporellement; et alors, où que soit la chose sur laquelle en substance tu travailles en ton esprit, sûrement toi, tu seras là en esprit, aussi véritablement et réellement que ton corps est en la place où tu es corporellement. Et bien que tes sens corporels ne puissent trouver là rien qui les alimente, et qu'il leur paraisse que c'est rien et néant ce que tu fais, soit ! fais donc ce rien, et fais-le pour l'amour de Dieu. Et ne t'en va de là, mais travaille activement dans ce rien avec le vigilant désir de vouloir et posséder Dieu que nul homme ne peut connaître. Car je te le dis véritablement, qu'il me vaut mieux d'être en ce nulle part corporellement, luttant et combattant avec cet aveugle rien, plutôt que d'être un seigneur si grand, que je puisse être partout où je le désire, jouant joyeusement et me distrayant de tout ce quelque chose qui est au Seigneur son bien et sa possession.

Laisse ce partout et ce quelque chose, et abandonne-le pour ce nulle part et ce rien. Que t'importe que jamais tes sens ne trouvent raison de ce rien? Car bien assurément je ne l'en aime que mieux, puisqu'il est en lui-même d'une si parfaite excellence qu'ils ne peuvent s'en saisir et en tirer parti. Ce rien, peut mieux être senti par expérience, plutôt que vu car il est tout aveugle et tout obscurité à ceux qui n'ont que brièvement jeté les yeux sur lui. Et pourtant, pour parler plus près de la vérité encore, une âme est plus aveugle en lui par l'abondance et l'excès de lumière divine, qu'elle n'est aveugle par la ténèbre ou le manque de lumière corporelle. - Or, quel est-il, celui qui l'appelle un rien ? Assurément, c'est l'homme extérieur, et non pas l'homme intérieur. Notre homme intérieur l'appelle un Tout, car par lui, il apprend à connaître la raison de toutes choses corporelles et spirituelles, sans aucune considération plus particulière à aucune chose que ce soit. (205-207).

COMMENCE ICI LE CHAPITRE SOIXANTE ET NEUVIÈME

PRODIGIEUSEMENT est métamorphosée l'affection humaine en sentiment spirituel par ce rien quand il est conçu nulle part. Car au premier instant qu'une âme y regarde, elle y trouvera et verra tous les actes peccamineux particuliers qu'elle a commis depuis la naissance, de corps et d'esprit, représentés obscurément ou secrètement. Et où qu'elle se tourne alentour, toujours elle les verra devant ses yeux : jusqu'à ce que le temps vienne, où, avec beaucoup de dur et pénible travail, et maint, cruel soupir, et maintes larmes amères, elle s'en soit en grande part lavée. Parfois il lui semblera, pendant ce travail, regarder là comme en enfer, tellement il lui semblera qu'elle désespère de triompher jamais de cette peine, en la perfection du parfait repos spirituel. Jusqu'à ces profondes entrailles, il y en a beaucoup qui parviennent; mais par l'énormité de la peine qu'ils sentent et par l'absence de réconfort, alors ils reviennent en arrière à la considération de choses corporelles, cherchant de charnels réconforts extérieurs au lieu des spirituels, qu'ils n'eussent pas manqué d'avoir s'ils avaient tenu bon.

Car celui qui tient bon ressent parfois quelque réconfort, et a quelque espérance de perfection car il sent et voit que nombre de ses péchés anciens sont en grande partie, avec l'aide de la grâce, effacés. Néanmoins encore il se sent toujours au milieu de la peine, mais il pense qu'elle aura une fin, car elle va toujours diminuant peu à peu. Et c'est pourquoi il appelle ceci non autrement que purgatoire. Parfois, il n'y trouve marqué aucun péché particulier, mais alors il lui paraît que le péché soit tout un bloc massif d'il ne sait jamais quoi, mais cependant rien autre que lui-même; et alors il peut être appelé ce qu'il est : la base et la peine du péché originel. Parfois, il lui paraîtra être au paradis ou au ciel, pour diverses merveilleuses délices et nombreux réconforts et consolations, joies et vertus bénies qu'il y trouve. Et parfois, il lui paraîtra que ce soit Dieu, pour la paix et repos qu'il y trouve.

Ah! qu'il pense ce qu'il veut; car toujours et toujours il le trouvera un nuage d'inconnaissance, lequel est entre lui et son Dieu. (208-209).

COMMENCE ICI LE CHAPITRE SOIXANTE ET DIXIÈME

ET c'est pourquoi travaille ferme en ce rien et nulle part, et laisse tes sens corporels du dehors et tout ce qu'ils font car je te le dis véritablement, cette oeuvre ne peut et ne saurait être conçue par eux.

Car par tes yeux, tu ne te fais idée d'une chose, si ce n'est qu'elle est large ou longue, grande ou petite, ronde ou carrée, loin ou près, et qu'elle a telle couleur. Et par tes oreilles, rien que le bruit ou quelque manière de son. Par ton nez, rien que la puanteur ou le parfum. Et par le goût, rien que l'aigreur ou douceur, amertume ou fadeur, l'agrément ou dégoût. Et par le toucher, rien que le chaud ou froid, le tendre ou dur, le lisse ou rugueux. Et véritablement, ces qualités et quantités, Dieu ne les a, ni aucune chose spirituelle. C'est pourquoi donc, laisse tes sens externes et ne travaille point avec eux, pas plus intérieurement qu'extérieurement; car tous ceux qui se mettent à être ouvriers spirituels intérieurement, et qui s'imaginent pouvoir cependant entendre ou voir, sentir ou goûter, soit intérieurement soit extérieurement, les choses spirituelles, ceux-là sont assurément dans l'illusion et font oeuvre contre nature.

Car par nature, les sens sont ordonnés en sorte qu'avec eux, les hommes puissent avoir connaissance de toutes choses corporelles extérieures ; mais en aucune façon ils ne peuvent parvenir, avec eux, à la connaissance des choses spirituelles par leurs opérations, veux-je dire. Parce que par leur cessation et impuissance, nous le pouvons, de la manière que suit : lorsque nous lisons ou entendons parler de certaines choses, et par suite comprenons que nos sens extérieurs ne peuvent nous renseigner ni apprendre aucunement quelle est la qualité de ces choses, alors nous pouvons véritablement être assurés que ces choses sont spirituelles et non corporelles.

De semblable manière en va-t-il de nos sens spirituels, lorsque nous travaillons à la connaissance de Dieu Lui-même. Car un homme aurait-il comme jamais la compréhension et connaissance de toutes choses spirituellement créées, néanmoins il ne peut jamais, par l'oeuvre de cette intelligence, venir à la connaissance d'une chose spirituelle non créée, laquelle n'est autre que Dieu. Mais par l'impuissance et cessation de cette intelligence, il le peut car la chose devant laquelle elle est impuissante n'est pas autre chose que Dieu seul. Et c'est pourquoi saint Denis a dit : « la plus parfaite connaissance de Dieu est celle où Il est connu par inconnaissance. » Et en vérité, quiconque voudra regarder aux livres de saint Denis, il trouvera que ses paroles affirment, et clairement confirment, tout ce que j'ai dit et pourrai dire, du commencement à la fin de ce présent traité. Mais autrement je ne le citerai, ni lui ni aucun autre Docteur, quant à moi cette fois-ci. Car si autrefois, les hommes ont pu penser faire acte d'humilité en ne tirant rien de leurs propres têtes, qui ne fût affamé sur l'Écriture et les paroles des Docteurs, c'est aujourd'hui devenu une recherche et une ostentation d'habileté érudite. A toi, cela ne servirait de rien, et c'est pourquoi je ne le fais point. Car celui qui a des oreilles, qu'il entende ; et celui qui se sent porté à croire, qu'il croie : car autrement ils ne le feront. (…)

COMMENCE ICI LE CHAPITRE SOIXANTE ET QUINZIEME

(…) Or, quand est retiré le sentiment de la grâce, toujours est-ce l'orgueil qui en est cause : non pas toujours l'orgueil qui` serait là, mais l'orgueil qui pourrait être, si n'était retiré ce sentiment de la grâce. Et c'est ainsi qu'il est que souvent, tels jeunes fous s'imaginent que Dieu est leur ennemi, quand justement Il est leur ami tout entièrement.

D'aucunes fois, il se retire du fait de leur incurie et négligence ; et lorsque c'est ainsi, ils sentent par après une peine très amère qui les frappe tout grièvement et douloureusement. Certaines fois notre Seigneur en veut prolonger le délai, par un dessein fort habile, car Il veut, en ce délai, son accroissement, afin que le retour de ce sentiment soit en eux plus délicieux quand il leur sera rendu, et qu'ils sentent combien longtemps il a été perdu. Et c'est là un des plus prompts et des plus souverains signes qu'une âme puisse avoir, pour reconnaître par là si elle est appelée ou non à oeuvrer en cette œuvre : si elle connaît après un pareil délai et long manquement de cette couvre, qu'elle lui revient tout soudain comme il faut, et par aucune voie ni moyen recherchée, et qu'elle possède alors elle-même une grande ferveur et un impatient désir de travailler et oeuvrer en cette oeuvre, beaucoup plus grands que jamais avant. A tel point que bien souvent, je crois, elle a une joie plus grande à retrouver peu après cet élan, qu'elle n'avait eu de chagrin à le perdre.

Et s'il en est ainsi, assurément c'est un authentique signe, et véritable et sans erreur qu'elle est appelée de Dieu à oeuvrer en cette oeuvre, quoi que ce soit qu'elle ait été auparavant ou qu'elle soit présentement.

Car ce n'est point ce que tu es, ni ce que tu as été, que Dieu regarde avec les yeux de Sa miséricorde ; mais ce que tu as désir d'être. (22’-225).

Table complète des chapitres du Nuage.

[Intéressante parce qu’elle indique le « plan », pour une étude qui reste à faire].

COURTE INTRODUCTION de qui a traduit ce livre

COMMENCE LE PROLOGUE

LE CHAPITRE PREMIER Des quatre degrés dans la vie du chrétien ; et comment les parcourt la vocation que dit ce livre

LE CHAPITRE DEUXIÈME Courte exhortation à l'humilité et à l'accomplissement de l'oeuvre que ce livre dit

LE CHAPITRE TROISIÈME Comment doit être entreprise l'oeuvre que dit ce livre, et de sa précellence sur toutes autres.

LE CHAPITRE QUATRIÈME De la brièveté de cette oeuvre, et comment on n'y peut parvenir par curiosité d'esprit ni imagination

LE CHAPITRE CINQUIÈME Que dans le temps de cette couvre, toutes les créatures qui jamais ont été, sont maintenant ou seront, et toutes les couvres de ces mêmes créatures, doivent être cachées sous le nuage d'oubli

LE CHAPITRE SIXIÈME Courte considération de l'oeuvre dont s'agit, tirée d'une question

LE CHAPITRE SEPTIÈME Comment l'homme se gardera, dans cette couvre, contre toute pensée, et particulièrement contre celles issues de la curiosité, et astuce de l'esprit naturel

LE CHAPITRE HUITIÈME Un bon éclaircissement de certains doutes qui peuvent survenir en cette couvre, tiré d'une question, par la réfutation de la propre curiosité et astuce de l'esprit humain naturel, et par la distinction des degrés et parties entre la vie active et la contemplative

LE CHAPITRE NEUVIÈME Qu'en le temps de cette couvre, le souvenir de la créature la plus sainte qu'ait jamais faite Dieu est plus nuisible que profitable

LE CHAPITRE DIXIÈME Comment un homme connaîtra que sa pensée n'est point péché ; ou, si elle l'est, quand c'est péché mortel et quand, véniel.

LE CHAPITRE ONZIÈME Qu'un homme devrait peser toute pensée ét mouvement intérieur, quels qu'ils soient, et toujours se garder de l'indifférence quant au péché véniel

LE CHAPITRE DOUZIÈME Que par l'efficace et vertu de cette couvre, non seulement le péché est détruit, mais aussi les vertus suscitées

LE CHAPITRE TREIZIÈME Ce qu'en elle-même est l'humilité; et quand parfaite elle est, et quand imparfaite elle est

LE CHAPITRE QUATORZIÈME Que sans venir d'abord à l'humilité imparfaite, il est impossible à un pécheur de parvenir en cette vie à la vertu parfaite d'humilité

LE CHAPITRE QUINZIÈME Une courte démonstration contre leur erreur ceux qui disent qu'il n'est plus parfaite cause à l'humilité, que la connaissance par un homme de sa propre misère.

LE CHAPITRE SEIZIÈME Que par la vertu de cette couvre, un pécheur sincèrement tourné et appelé à la contemplation parvient plus vite à perfection que par aucune autre couvre ; et que par elle, il peut plus tôt avoir de Dieu le pardon de ses péchés.

LE CHAPITRE DIX-SEPTIÈME Que le vrai contemplatif n'a point envie de se mêler de vie active, ni d'aucune chose faite ou dite de lui, ni non plus de répondre à ses accusateurs pour s'excuser

LE CHAPITRE DIX-HUITIÈME Comment et jusqu'à ce jour tous les actifs se plaignent des contemplatifs, ainsi que Marthe, de Marie. De laquelle plainte, l'ignorance est cause

LE CHAPITRE DIX-NEUVIÈME

Courte excuse de qui a fait ce livre, enseignant combien par tout contemplatif seront excusés pleinement tous les actifs de leurs actions et paroles de reproche

LE CHAPITRE VINGTIÈME Comment Dieu le tout-puissant veut et a grâce de répondre pour ceux-là tous qui n'ont aucun désir, afin de s'excuser eux-mêmes, de quitter leur affaire qui est l'amour de Dieu

LE CHAPITRE VINGT ET UNIÈME L'exacte interprétation de cette parole de l'Évangile : « Marie a choisi la part la meilleure »

LE CHAPITRE VINGT ET DEUXIÈME Du merveilleux amour que le Christ eut pour Marie, et en sa personne, de tous les pécheurs sincèrement tournés et appelés à la grâce de la contemplation

LE CHAPITRE VINGT ET TROISIÈME Que Dieu répondra de tous et tous pourvoira, en esprit, ceux qui tout occupés de Son amour ne répondent ni se pourvoient pour eux-mêmes

LE CHAPITRE VINGT ET QUATRIÈME Ce qu'en elle-même est la charité ; et comment elle est véritablement et parfaitement contenue dans l'œuvre que dit ce livre

LE CHAPITRE VINGT ET CINQUIÈME Qu'en le temps de cette oeuvre, une âme parfaite ne donne aucune considération plus particulière à quiconque en cette vie

LE CHAPITRE VINGT ET SIXIÈME Que sans une grâce toute spéciale, ou un long emploi de la grâce commune, l'œuvre que dit ce livre est tout à fait laborieuse ; et dans cette couvre, quelle est l'œuvre de l'âme assistée de la grâce, et quelle est l'œuvre de Dieu seul

LE CHAPITRE VINGT ET SEPTIÈME Qui oeuvrera en l'œuvre de grâce que dit ce livre.

LE CHAPITRE VINGT ET HUITIÈME Qu'un homme ne saurait prétendre travailler à cette couvre, devant que d'être légitimement en sa conscience purifié de toutes ses actions particulières de péché

LE CHAPITRE VINGT ET NEUVIÈME Qu'un homme doit habiter fidèlement en le travail de cette couvre, en supporter la peine et la souffrance, et ne juger personne

LE CHAPITRE TRENTIÈME A qui reviendrait de blâmer et condamner les défauts d'autrui.

LE CHAPITRE TRENTE ET UNIÈME Comment un homme aura, au commencement de cette couvre, à se garder contre toute pensée et appel du péché

LE CHAPITRE TRENTE ET DEUXIÈME De deux expédients spirituels, lesquels seront utiles au nouveau et commençant spirituel en l'œuvre que dit ce livre

LE CHAPITRE TRENTE ET TROISIÈME Que par cette couvre une âme est purifiée tout ensemble de ses péchés particuliers et de la peine de ceux-ci; et que pourtant il n'y a pas de parfait repos en cette vie

LE CHAPITRE TRENTE ET QUATRIÈME Que Dieu donne cette grâce non par des voies mais librement, et qu'on n'y saurait parvenir par aucune voie

LE CHAPITRE TRENTE ET CINQUIÈME Des trois voies auxquelles doit s'employer un apprenti contemplatif : lecture, pensée et prière

LE CHAPITRE TRENTE ET SIXIÈME De la méditation de ceux qui sont au continuel travail de l'oeuvre que dit ce livre

LE CHAPITRE TRENTE ET SEPTIÈME Des prières particulières de ceux qui sont au continuel travail de l'œuvre que dit ce livre.

LE CHAPITRE TRENTE ET HUITIÈME Comment et pourquoi cette courte prière perce le ciel

LE CHAPITRE TRENTE ET NEUVIÈME Comment priera un parfait ouvrier de l'couvre,et ce qu'est en elle-même la prière; et si quelqu'un prie avec des mots, quels mots s'accordent le mieux au propre de la prière

LE CHAPITRE QUARANTIÈME Qu'en le temps de cette couvre, l'âme ne donne aucune attention ni considération particulière à aucun vice en soi-même et aucune vertu en soi-même

LE CHAPITRE QUARANTE ET UNIÈME Qu'en toutes couvres dessous celle-ci, il faut que les hommes gardent discrétion ; mais en celle-ci, aucune.

LE CHAPITRE QUARANTE ET DEUXIÈME Qu'à ne mettre aucune discrétion en celle-ci, lés hommes auront la discrétion en toutes les autres choses ; et autrement jamais

LE CHAPITRE. QUARANTE ET TROISIÈME Qu'il faut absolument que l'homme perde toute idée et tout sentiment de son être propre, si la perfection de cette couvre doit réellement être touchée par l'âme en cette vie

LE CHAPITRE QUARANTE ET QUATRIÈME Comment une âme se disposera pour sa part, afin de détruire toute connaissance et sentiment de son être propre

LE CHAPITRE QUARANTE ET CINQUIÈME Un bon éclaircissement de quelques et certaines illusions et erreurs qui peuvent survenir en cette couvre

LE CHAPITRE QUARANTE ET SIXIÈME Un bon enseignement comment l'homme doit fuir ces illusions, et comment il doit oeuvrer plus par une inclination de l'esprit que par les violences et la rudesse faites au corps

LE CHAPITRE QUARANTE ET SEPTIÈME Un léger enseignement de cette couvre en la pureté du coeur, déclarant comment il est qu'une âme montrera son désir à Dieu d'une manière, et vous, au contraire, d'une autre manière aux hommes

LE CHAPITRE QUARANTE ET HUITIÈME Comment Dieu veut être servi à la fois par le corps et par l'âme, et comment il récompense les hommes en l'un et l'autre; et comment il faut, pour les hommes, connaître quand sont bonnes, et quand mauvaises, toutes ces harmonies et autres suavités qui tombent en le corps au moment de la prière

LE CHAPITRE QUARANTE ET NEUVIÈME L'essence et substance de toute perfection n'est rien autre qu'une bonne volonté; et comment toutes ces délices et harmonies et autres consolations que l'on peut avoir en cette vie, ne sont rien que guère des accidents

LE CHAPITRE CINQUANTIÈME Quel est le chaste amour; et comment en de certaines créatures, telles consolations sensibles ne sont que rarement, et en d'autres, très fréquentes

LE CHAPITRE CINQUANTE ET UNIÈME Que les hommes doivent avoir grande attention et prudence, afin de ne comprendre corporellement une chose dite spirituellement ; et qu'il est particulièrement bon d'être attentif à ces deux mots : « dedans » et « en-haut ».

LE CHAPITRE CINQUANTE ET DEUXIÈME Que ces jeunes présomptueux disciples entendent mal et se méprennent à ce mot « dedans », et des illusions et erreurs qui s'ensuivent.

LE CHAPITRE CINQUANTE ET TROISIÈME De diverses pratiques incongrues que suivent ceux qui quittent l'œuvre que dit ce livre

LE CHAPITRE CINQUANTE ET QUATRIÈME Comment est-il que, par la vertu de cette couvre, un homme est gouverné en la pleine sagesse, et devient parfaitement décent tant de corps que d'âme

LE CHAPITRE CINQUANTE ET CINQUIÈME Comment sont dans l'illusion ceux-là qui, suivant l'ardeur de leur esprit, jugent et condamnent sans discrétion quelqu'un d'autre

LE CHAPITRE CINQUANTE ET SIXIÈME De la déception de ceux qui suivent plus la curiosité de l'intelligence naturelle, et plus l'enseignement pris à l'école des hommes que la doctrine commune et le conseil de la sainte Église

LE CHAPITRE CINQUANTE ET SEPTIÈME Comment tels jeunes disciples entendent mal et se méprennent à ce mot « en-haut », et des illusions et erreurs qui s'ensuivent

LE CHAPITRE CINQUANTE ET HUITIÈME Qu'un homme ne doit prendre son exemple à saint Martin ou saint Étienne, pour tendre en-haut son imagination corporelle pendant le temps de la prière

LE CHAPITRE CINQUANTE ET NEUVIÈME Qu'un homme ne doit pas prendre exemple à l'ascension corporelle du Christ, pour tendre en-haut son imagination corporelle pendant le temps de la prière: et que temps, lieu et corps, tous trois sont à oublier en toute couvre spirituelle

LE CHAPITRE SOIXANTIÈME Que la grand'route et la plus immédiate du ciel est parcourue par les désirs, et non par les pas de la marche

LE CHAPITRE SOIXANTE ET UNIÈME Que toute chose corporelle est sujette, et obéit à la spirituelle, par laquelle elle est commandée en le cours naturel, et non point le contraire.

LE CHAPITRE SOIXANTE ET DEUXIÈME Comment un homme doit connaître quand son couvre spirituelle est au-dessous de lui ou sans lui, et quand elle est avec lui ou en lui, et quand elle est au-dessus de lui et sous son Dieu

LE CHAPITRE SOIXANTE ET TROISIÈME Des pouvoirs et facultés de l'âme en général, et comment la mémoire en particulier est une principale puissance, laquelle contient en elle toutes les autres facultés et toutes les choses en lesquelles elles couvrent

LE CHAPITRE SOIXANTE ET QUATRIÈME Des deux autres facultés principales : la Raison et la Volonté; et de l'oeuvre de celles-ci avant le péché, et après

LE CHAPITRE SOIXANTE ET CINQUIÈME Du premier des pouvoirs secondaires, de son nom l'Imagination ; et des couvres et de l'obéissance de celle-ci à la Raison, avant le péché et après

LE CHAPITRE SOIXANTE ET SIXIÈME De l'autre pouvoir secondaire, de son nom la Sensibilité ; et des couvres et de l'obéissance de celle-ci à la Volonté, avant le péché et après

LE CHAPITRE SOIXANTE ET SEPTIÈME Que qui ne connaît point les facultés d'une âme et la manière de leurs opérations, facilement peut être trompé en la compréhension des paroles spirituelles et des opérations spirituelles.; et comment une âme est faite un Dieu en grâce

LE CHAPITRE SOIXANTE ET HUITIÈME Que corporellement nulle part, est partout spirituellement; et comment l'homme du dehors appelle néant l'oeuvre que dit ce livre

LE CHAPITRE SOIXANTE ET NEUVIÈME Comment il est que l'affection d'un homme est merveilleusement changée en sentiment spirituel en ce rien, quand il est conçu nulle part.

LE CHAPITRE SOIXANTE ET DIXIÈME Que par le dépassement et la cessation de nos sens corporels, nous commençons à venir plus promptement à la connaissance des choses spirituelles; comme par le dépassement et la cessation de nos sens spirituels, nous commençons à venir plus promptement à la connaissance de Dieu, autant qu'il est possible, par grâce, ici-bas

LE CHAPITRE SOIXANTE ET ONZIÈME Que certains ne sauraient parvenir à avoir expérience de la perfection de cette couvre autrement qu'en un temps d'extase, et que d'autres la peuvent avoir quand ils veulent en le commun état de l'âme humaine

LE CHAPITRE SOIXANTE ET DOUZIÈME Qu'un ouvrier en cette couvre ne doit ni juger ni penser du travail d'un autre en cette couvre, selon son propre sentiment intérieur

LE CHAPITRE SOIXANTE ET TREIZIÈME Comment, à l'image de Moise, de Béséléel et d'Aaron qui s'occupèrent de l'Arche du Testament, nous avons trois manières de perfection en cette grâce de la contemplation, laquelle grâce est figurée par cette Arche

LE CHAPITRE SOIXANTE ET QUATORZIÈME Comment il est que le contenu de ce livre, jamais plus ne le lira ou entendra lire, n'en parlera ou entendra parler une âme disposée à cette couvre, sans éprouver un véritable sentiment de sa convenance et de son efficacité; et la réitération de l'admonition écrite en le prologue

LE CHAPITRE SOIXANTE ET QUINZIÈME De quelques signes assurés auxquels un homme peut éprouver s'il est appelé de Dieu à œuvrer en cette œuvre