Madame GUYON

Explications du Nouveau Testament

 

 

 

 

 

 

Un choix présenté et annoté par

Dominique TRONC


 

 

 

 


 

TABLE DES MATIERES

Madame GUYON... 1

Explications du Nouveau Testament 1

Un choix présenté et annoté par 1

Dominique TRONC.. 1

Présentation. 5

Explications de la vie intérieure. 23

Préface. 23

Évangile selon Matthieu. 27

Évangile de Marc 91

Évangile de Luc 107

Évangile de Jean. 127

Actes des Apôtres 213

Épître aux Romains 225

Épître I aux Corinthiens 261

Épître II aux Corinthiens 273

Épître aux Galates 289

Épître aux Éphésiens 295

Épître aux Philippiens 303

Épître aux Colossiens 313

Iere Epître aux Thessaloniciens 314

Iere Epître à Timothée 317

Épître aux Hébreux. 319

Épître à saint Jacques 333

I Pierre. 337

II Pierre. 339

I Jean. 345

Apocalypse 357

Madame Guyon, bibliographie (2000 - ) : 389

 

 


Présentation

 

Nous connaissons la vie de madame Guyon (1648-1717) grâce à sa Vie par elle-même. Elle nous intéresse parce qu’elle est proche d’expériences toujours actuelles : mariée, mère de trois enfants, veuve, elle connaîtra les honneurs de la Cour, mais aussi ses prisons. Elle est surtout à nos yeux l’amie qui ouvrit la voie mystique à des figures simples ou éminentes, telle que celle de Fénelon (1651-1715), une initiatrice dont les traces écrites méritent d’être lues.

La petite fille fut confiée aux bons soins de religieuses : parmi celles-ci, sa demi-sœur du côté de son père, « si habile qu’il n’y avait guère de prédicateurs qui composassent mieux des sermons qu’elle », l’éveilla à la vie de l’Esprit. Elle fut mariée à seize ans : « mon mari avait vingt et deux ans de plus que moi ». La Mère Geneviève Granger, belle figure remarquée par l’historien Bremond, fut son premier guide intérieur qui la conseilla puis la présenta à Monsieur Bertot (1620-1681), mystique disciple et confident de monsieur de Bernières (1602-1659). Puis madame Guyon traversa durant sept années une nuit intérieure dont elle sortit transformée.

Après « douze ans et quatre mois de mariage » son mari mourut avec courage : « Il me donna des avis sur ce que je devais faire après sa mort pour ne pas dépendre des gens ». À trente-deux ans, après avoir consulté des spirituels, dont le bénédictin Claude Martin fils de la mystique Marie de l’Incarnation (du Canada), elle part « pour Genève » : « Je donnai dès Paristout l'argent que j'avais … Je n'avais ni cassette fermante à clef ni bourse. » À Gex, petite ville proche de la capitale calviniste, on lui proposa d’être supérieure des Nouvelles Catholiques qui s’occupaient de petites filles d’origine protestante, mais, dit-elle, « certaines abjurations et certains détours ne me plaisaient pas ».

Elle refusa donc puis, « dépouillée de tout, sans assurance et sans aucun papier, sans peine et sans aucun souci de l'avenir », se rendit à Thonon (rive sud du lac Léman, Savoie). Elle fait alors une découverte, celle d’« une autre manière de converser » en  union spirituelle ; dont avec son confesseur le P. Lacombe : « j’apprenais son état tel que je le ressentais, puis incontinent je sentais qu’il était rentré dans l’état où Dieu le voulait. » De cette époque date la composition des Torrents.

Suivirent des séjours fructueux au Royaume de Savoie-Piémont. Ils durèrent pendant près d’une année à Verceuil (Vercelli, près de Milan) auprès de l’évêque Ripa proche du cardinal Petrucci. Ce dernier demeure un spirituel quiétiste éminent. De retour en France, elle reçut à Grenoble de nombreux visiteurs, des clercs et des religieuses chartreuses. À leur intention, elle composa un Moyen court et acheva ses abondantes Explications de versets bibliques.

Elle a trente-huit ans quand elle revient à Paris, peu de temps avant que Molinos ne soit condamné à Rome en 1687. Victime de querelles politiques et religieuses, elle connut une première épreuve de la prison puis les honneurs de la Cour avant d’être de nouveau mise en prisons et cette fois pour de longues années. Enfin lavée de tout soupçon concernant ses moeurs, elle vivra douze années paisibles, mais actives à Blois, visitée par des disciples français et étrangers.

§

Restée indépendante vis-à-vis des structures religieuses, elle affirme une autorité spirituelle auprès de disciples. Bien qu’elle soit devenue suspecte, son influence s’exerça au sein d’un groupe d’amis mystiques qui lui restèrent toute leur vie fidèles. Après sa mort, ses écrits se transmirent principalement hors de France. Très admirée par des protestants piétistes, elle fut réhabilitée au siècle dernier par des érudits catholiques.

Madame Guyon témoigne largement de son expérience personnelle dans sa Vie écrite par elle-même (1682 à 1709) et sa Correspondance. Elle décrit analogiquement le chemin mystique dans les Torrents (1682), l’indique simplement dans le Moyen court (1685), l’analyse plus profondément dans des opuscules écrits tout au long de sa vie, dont beaucoup furent rassemblés en Discours chrétiens et spirituels. Enfin son expérience et l’enseignement qu’elle justifie s’appuient fermement sur la tradition judéo-chrétienne par ses Explications et réflexions qui regardent la vie intérieure portant sur les deux Testaments (1684), ainsi que sur l’expérience des principaux auteurs mystiques connus de son temps, dont les extraits forment le corps de ses Justifications (1694).

L’ensemble de son œuvre [[1]] constitue un solide triptyque qui couvre un spectre très large : l’expérience, puis la synthèse et la théorie qui en sont issues, enfin une réflexion fondée sur les aspects mystiques autant que bibliques constituant la Tradition chrétienne. Sa réflexion à la lecture des deux testaments couvre plus de la moitié de l’œuvre imprimée au XVIIIe siècle. Le choix que nous présentons pallie très partiellement cette lacune en ce qui concerne les Explications du Nouveau Testament.

Les raisons pour lesquelles elle écrivit ces Explications ne sont pas explicitées, en dehors d’une injonction intérieure divine, qu’elle affirme [2]. Le récit de sa Vie, seul témoignage aujourd’hui disponible sur la période grenobloise, relate par contre les circonstances de leur composition en évoquant parallèlement le « grand nombre de personnes que Notre-Seigneur »  lui faisait aider à cette époque [3], dont « trois religieux fameux […] un grand nombre de religieuses… » [4]. Nous supposons donc qu’elle fut amenée à améliorer sa connaissance de l’Écriture à la suite de questions qui lui furent posées par des religieux et des religieuses qui se nourrissaient de la parole de Dieu et en cherchaient le sens intérieur :

Vous ne vous contentâtes pas de me faire parler, mon Dieu […] Il y avait du temps que je ne lisais plus […] Sitôt que je commençai de lire l’Écriture sainte, il me fut donné d’écrire le passage que je lisais et aussitôt tout de suite, il m’en était donné l’explication… [5]

La part la plus considérable du travail d’écriture eut lieu à Grenoble entre avril 1684 et mars 1685, après un séjour à Thonon et un premier voyage à Turin, mais avant le second voyage à Verceil, près de Turin, qui fut suivi du retour  définitif à Paris en juillet 1686. Elle avait toutefois rédigé certaines parties auparavant, dont le Commentaire au Cantique [6] et celui sur l’Apocalypse [7].

Les circonstances de la composition de ses Explications sont décrites dans sa Vie qui insiste sur leur flux spontané. Toutefois il ne s’agit pas d’un procédé à la recherche de l’inspiration, tel que l’écriture  automatique  des surréalistes : cette rédaction rapide et sans repentir est liée à un état contemplatif où la justesse d’un texte et ses multiples implications apparaissent d’autant mieux que l’auteur ne tente aucune capture volontaire :

…je voyais que j’écrivais des choses que je n’avais jamais sues […] je ne me souvenais de quoi que ce soit de ce que j’avais écrit, et il ne m’en restait ni espèces ni images [8].

De cette sorte, Notre Seigneur me fit expliquer toute la Sainte Écriture. Je n’avais aucun livre que la Bible, et ne me suis servi que de celui-là, sans jamais rien chercher [9]

Vous me faisiez écrire avec tant de pureté, qu’il me fallait cesser et reprendre comme vous le vouliez.  [...]  j’avais la tête si libre qu’elle était dans un vide entier. J’étais si dégagée de ce que j’écrivais, qu’il m’était comme étranger. Il me prit une réflexion : j’en fus punie, mon écriture tarit aussitôt, et je restai comme une bête jusqu’à ce que je fusse éclairée là-dessus. La moindre joie des grâces que vous me faisiez était punie très rigoureusement [10]

Madame Guyon témoigne aussi de l’abondance  de son inspiration. Car l’agilité intellectuelle et physique peut certes être ralentie par un état contemplatif, mais l’énergie vitale d’une femme de trente-six ans lui permettait de transcrire rapidement une dictée intérieure :

Je continuais toujours d’écrire, et avec une vitesse inconcevable, car la main ne pouvait presque suivre l’Esprit qui dictait et, durant un si long ouvrage, je ne changeai point de conduite, ni ne me servis d’aucun livre. L’écrivain ne pouvait, quelque diligence qu’il fît, copier en cinq jours ce que j’écrivais en une nuit.  [...] 

Au commencement, je commis bien des fautes, n’étant pas encore stylée à l’opération de l’Esprit de Dieu qui me faisait écrire. Car Il me faisait cesser d’écrire lorsque j’avais le temps d’écrire et que je le pouvais commodément; et lorsqu’il me semblait avoir un fort grand besoin de dormir, c’était alors qu’Il me faisait écrire. Lorsque j’écrivais le jour, c’était des interruptions continuelles, car je n’avais pas le temps de manger, à cause de la grande quantité de monde qui venait : il fallait tout quitter sitôt que l’on me demandait ; et j’avais pour surcroît la fille qui me servait dans l’état dont j’ai parlé, qui sans raison me venait interrompre à tout coup, selon que son humeur la prenait. Je laissais souvent le sens à moitié fini sans me mettre en peine si ce que j’écrivais était suivi ou non [11].

Les pages les plus belles, certaines interprétations originales et profondes restent enfouies dans cet ensemble, dont elle explique comme suit le caractère inégal :

Toutes les fautes qui sont dans mes écrits viennent de ce que, n’étant pas accoutumée à l’opération de Dieu, j’y étais souvent infidèle, croyant bien faire de continuer d’écrire lorsque j’en avais le temps sans en avoir le mouvement, parce qu’on m’avait ordonné d’achever l’ouvrage [12] : de sorte qu’il est aisé de voir des endroits qui sont beaux et soutenus, et d’autres qui n’ont ni goût ni onction [13].

La presque totalité des livres des deux Testaments est couverte sans omission à l’exception de certains versets. Ceux qui sont largement  expliqués  constituent des points de départ à l’interprétation de divers aspects pratiques touchant à la vie intérieure, conformément au titre. Tous les passages font correspondre les événements rapportés par la Bible au vécu mystique. Le texte sacré devient ainsi une source d’inspiration pour les « chrétiens intérieurs » qui le réalisent.

Cet ensemble est demeuré dans l’oubli par suite de son volume considérable et de son utilisation des textes qui reste dans la ligne traditionnelle des commentaires à visée spirituelle. En effet, compte tenu du but tout intérieur de Madame Guyon, qui recherche dans le texte sacré l’expression d’une vie intérieure mystique, les problématiques modernes d’analyse biblique ouvertes par B. Spinoza [14] puis R. Simon sont ignorées. Madame Guyon s’inscrit dans la longue tradition des Pères de l’Église aussi bien que des auteurs juifs, tout en privilégiant le vécu mystique :

Les Saintes Écritures ont […] beaucoup de sens différents. Les grands hommes qui ont de la science se sont attachés au sens littéral et à d’autres sens. Mais personne n’a entrepris, que je sache, d’expliquer le sens mystique ou intérieur, du moins entièrement [15].

On sait comment cette tradition a été remplacée durant ces trois derniers siècles par le travail critique d’historiens et interprètes modernes qui ont rétabli des textes exacts et ont éclairé leur genèse. Mais revenir à des interprétations visant au sens intérieur permet de ne pas négliger le sens profond voulu par des auteurs qui par ailleurs ne recherchaient guère une exactitude historique et ne peuvent donc faire l’objet d’une interprétation littérale.

L’interprétation mystique des textes sacrés chrétiens a disparu de fait très souvent de l’horizon de traducteurs modernes. Ainsi, pour ne citer qu’un exemple, madame Guyon commente ainsi l’évangile de Marc, au chapitre I :  

…La perfection consiste à connaître que nous avons Dieu en nous, à L’y chercher et à L’y trouver. Jésus-Christ nous apprend que le royaume de Dieu est en nous [16].

La traduction TOB de Luc 17, 21 diffère de cette traduction : “…en effet, le Règne de Dieu est parmi vous”. Elle est accompagnée de la note explicite suivante, qui traduit une orientation tout extérieure, mettant en valeur l’assemblée des croyants :

On traduit parfois : en vous, mais cette traduction a l’inconvénient de faire du Règne de Dieu une réalité seulement intérieure et privée. Pour Jésus, ce Règne qui concerne tout le peuple de Dieu est présent en fait dans son action de salut (cf. 11, 20). Il est à votre portée [17].

Face à cette tendance extravertie et communautaire, le commentaire de  madame Guyon prend le parti-pris obstiné de ne faire apparaître que la richesse intérieure du texte biblique. À ce titre, il clôt une précieuse tradition d’interprétations, mais peut encore alimenter la vie spirituelle de nos contemporains.

La primauté de l’expérience sur la croyance est affirmée catégoriquement par tous les spirituels, mais les versets de l’Ecriture demeurent ici des révélations sacrées, comme le pensait la très grande majorité des hommes au XVIIe siècle et comme l’imposait la religion. Chez madame Guyon, l’interprétation de l’expérience à l’intérieur de la foi chrétienne apparaît profonde et cohérente. Les versets sont compris comme des témoignages de contacts vécus par leurs rédacteurs avec le Plus grand que soi, l’Inconnaissable, l’Immense, désigné ici tout au long par le mot « Dieu » et associé pour elle-même au médiateur Jésus-Christ. Souvent elle interprète ces versets de façon à décrire la voie mystique, parfois au prix d’une grande liberté prise dans l’interprétation analogique. On retrouve rarement une approche similaire chez les spirituels chrétiens et juifs, pour lesquels le texte est parfois considéré comme un témoignage, mais presque jamais comme la description d’une échelle mystique.

Les récits ne se situent plus dans l’histoire, mais présentent les étapes du retournement, du cheminement difficile vers le « cœur », « l’intérieur », le centre où le Divin réside et Se manifeste à l’homme. Le texte sacré traduit ainsi une expérience intime qui se renouvelle d’âge en âge, et par là, le commentaire guyonnien garde une valeur intemporelle.

Madame Guyon, tout en dialoguant librement avec Dieu, écarte toute manifestation particulière excessive, « mystique » dans le sens que l’on prête trop souvent à ce terme, lorsqu’il est réifié en un substantif associé à des phénomènes (visions, sensations…) qu’elle considère comme dangereux ou négligeables. Elle n’attache de prix qu’à l’expérience du grand fond où les âmes mystiques :

...ne peuvent rien distinguer de Lui. C’est comme une personne qui vit dans l’air et le respire sans penser qu’elle en vit et qu’elle le respire, à cause qu’elle n’y réfléchit pas. Ces âmes, quoique toutes pénétrées de Dieu, n’y pensent pas, parce que Dieu leur cache ce qu’elles sont : c’est pourquoi on appelle cette voie « mystique », qui veut dire secrète et imperceptible [18]…   

 

Elle utilise cependant avec précision son expérience intime pour comprendre le sens profond du texte sacré. Elle le fait ainsi revivre, parce qu’il est éclairé par un vécu personnel similaire à celui que transcrivit le rédacteur dans des formulations et par des images adaptées à son temps. En ce sens, elle s’approche probablement de plus près de l’intention de l’écrivain sacré que ne le font des commentaires modernes, souvent anachroniques par leur orientation historicisante. On note enfin que madame Guyon ne décrit jamais son vécu directement, car elle est sobre quand il ne s’agit pas seulement d’elle-même, et qu’elle se méfie de tendances au prophétisme ou au millénarisme.

Expliquer les divers écrits sacrés comme des expressions d’une même vérité humaine d’expérience intérieure est peut-être devenu la seule approche acceptable par notre époque : une explication se soumet à ce qui apparaît comme raisonnable et l’autorité de l’expérience subordonne les croyances au vécu.

§

L’ensemble des Explications et réflexions qui regardent la vie intérieure couvre douze tomes pour l’Ancien Testament  et huit tomes pour le Nouveau Testament, représentant au total près de huit mille pages et constituant un ensemble textuel de deux millions de mots. On trouvera ici le second volet de notre choix. Il correspond au Nouveau Testament [19] jugé très proche de l’esprit qui animait madame Guyon.

Les deux éditions du XVIIIe siècle par les pasteurs Poiret [1714-1715] puis Dutoit [1790] sont devenues très rares [20] ; aucune édition fidèle n’est aisément accessible [21]. Les vingt tomes de l’ensemble des Explications correspondent à la moitié de l’œuvre de madame Guyon publiée par Pierre Poiret en trente-neuf tomes, puis rééditée très fidèlement par Dutoit en quarante tomes (par adjonction du tome de la correspondance « secrète »  avec Fénelon).

Nous nous limitons en général à des extraits, parfois elliptiques. Nous n’avons pas cru pouvoir supprimer les crochets entourant les points de suspension qui signalent toutes les omissions ; mais la gêne apportée à la lecture demeure limitée par une certaine lenteur requise pour apprécier un contenu qui doit être expérimenté. 

L’orthographe est modernisée. La ponctuation - trop abondante dans l’édition de Poiret, très certainement absente dans les manuscrits aujourd’hui disparus - est reprise. Nous utilisons des majuscules, parfois abondantes, pour éclairer le dialogue permanent entre Dieu et l’homme de foi. Nous indiquons entre crochets, au début de chaque nouvelle pagination, les tomes de l’édition Poiret, ses paginations (qui ne sont pas toujours réinitialisées d’un tome au suivant !), et bien sûr nos omissions qui rendent ce texte plus lisible pour notre temps [22]. Enfin nous reproduisons en italiques les versets cités ainsi que leurs reprises dans les commentaires [23].

 

 



 

Explications de la vie intérieure

Préface.

 

[Tome I, 6][...] 9 [24]. Il est beaucoup parlé dans tous ces écrits de l’entière désappropriation et de la perte de toute propriété. Quelques-uns ont pris la désappropriation pour un dépouillement des biens extérieurs. C’est bien le premier pas. D’autres l’ont mise dans certaines austérités, dans les habits pauvres, etc. C’est bien quelque chose, mais avec tout cela on peut conserver la propriété. La propriété est spirituelle et elle ne peut se perdre que par l’entière pauvreté d’esprit, si recommandée dans l’Évangile et si inconnue jusqu’à présent. Elle s’étend sur tout ce qui appartient à l’esprit [comme] science, opinion, [7] raisonnement, activité, propre jugement et tout le reste qui appartient à l’esprit ; pour la mémoire, tout souvenir, pensée inutile, occupation des choses de la terre, se mêler dans les nouvelles, curiosité, critique, etc. ; pour la volonté, elle doit être dépouillée de toute affection, même des choses spirituelles, de tous goûts, sentiments, penchants, choix, désirs propres, même des choses qui sont les plus divines, de tout intérêt propre du temps et de l’éternité. Que l’esprit soit en obscurité par le moyen de la foi ; la mémoire vide et surmontée par l’espérance inconnue ; la volonté entièrement dépouillée et absorbée dans la charité, elle y est même perdue. Et c’est cette perte dont il est parlé en tant d’endroits, toujours sous le même nom de perte.

10. Les puissances de l’âme ne peuvent parvenir à l’entière pauvreté qu’en perdant leurs premières manières de concevoir, d’entendre, et d’aimer. Une chose ne peut prendre une nouvelle forme qu’elle ne perde la première, de même notre âme ne peut être changée et transformée en Dieu, qui est son être original, qu’elle ne perde ce qu’elle avait de propre, d’acquis, ou d’infus. Il faut perdre toute attache, d’abord aux choses mauvaises et dangereuses, ensuite aux inutiles, quelque innocentes qu’elles soient, et puis aux bonnes qui sont les plus difficiles à perdre. Nous avons de telles attaches à notre bien-être qu’il faut des peines et des renversements étranges pour nous les faire perdre. Nos peines [8] sont proportionnées à nos attaches. Celles qu’on a aux bonnes choses sont incomparablement plus grandes que les autres.

11. Lorsque les fondateurs d’ordres ont conseillé les voeux de pauvreté, de chasteté et d’obéissance, c’était autant pour l’intérieur et plus que pour l’extérieur. Cependant on a tout tourné du côté de l’extérieur et l’on est par là même devenu plus propriétaire intérieurement. La démission d’esprit, de jugement, de science et d’opinions est la véritable pauvreté lorsqu’elle est jointe à celle des biens. La pauvreté de la volonté par l’écoulement des désirs en Dieu est la véritable obéissance quand elle est jointe à l’extérieure.  [...][9] Pour la volonté, il faut qu’elle se perde en Dieu. Elle ne s’y peut perdre qu’en perdant toute consistance propre, c’est pourquoi il faut que toute volonté propre soit détruite, même dans le bien. Dans le Ciel, l’esprit pur et simple est uni au pur et simple Esprit de Dieu. Les vues et connaissances sont claires par le moyen de la lumière de gloire, mais la volonté est perdue dans l’amour qui l’absorbe entièrement et qui fait qu’elle n’aime plus de son amour borné, limité et impur, mais par l’amour dont Dieu S’aime Soi-même, tout pur, tout simple, toujours égal à soi-même, parfaitement reposé et qui est si propre à l’âme qu’il ne lui est plus douloureux, mais béatifiant. S’il avait la moindre agitation et qu’il ne fut point dans un parfait repos, il ne serait pas béatifiant, car ce qui cause agitation cause altération. Il est aisé de voir par là qu’en cette vie l’amour impétueux n’est pas le parfait amour et qu’il n’est parfait que dans la nudité, tranquillité et simplicité.


Évangile selon Matthieu

Chapitre II

V.1. Jésus étant né dans Bethléem de Juda au temps du roi Hérode, des Mages vinrent d’Orient à Jérusalem.

V.2.  Et ils demandèrent : Où est le Roi des Juifs qui est né ? Car nous avons vu son étoile en Orient et nous sommes venus l’adorer.

Jésus naît dans Bethléem qui est le Centre, ou le fond d’une âme anéantie. C’est une ville de Juda et la plus petite de cette tribu, ce qui nous apprend deux choses : l’une que l’âme en laquelle Jésus-Christ vient naître doit être de Juda, c’est-à-dire : pleine de la force de Dieu ; [Tome I, 9] [25] et l’autre, que c’est dans les plus petites de toutes ces âmes qu’Il Se produit plus volontiers et qu’Il aime à naître. Mais quand vient-Il naître en elles ? Dans le temps de la plus forte persécution, sous le régime d’Hérode, lorsqu’elles sont plus tourmentées, plus décriées, plus anéanties et plus cruellement poursuivies. […]

V.3. Le Roi Hérode l’ayant su en fût troublé, et toute la ville de Jérusalem avec lui.

V.4. Et, ayant fait assembler tous les princes des Prêtres et les Scribes du peuple, il  s’enquit d’eux où devait naître le Christ.

V.5. Ils lui répondirent que c’était en Bethléem de Juda, selon ce qui a été écrit par le Prophète, etc.

 [12] Dès que l’on sait que Jésus est né dans une âme (ce qui s’apprend bientôt par le concours de ceux qu’Il attire à Lui par Son organe), l’on en est troublé à cause que les personnes de quelque puissance dans la vie de la nature craignent ce Règne de Jésus-Christ qui détruit l’empire d’Adam et la propriété que chacun tâche de conserver, et c’est une chose étrange que, quoique les Docteurs et les savants du peuple sussent où Jésus-Christ devait naître, cependant il n’y en eut aucun qui L’y alla chercher. C’est l’ordinaire : tout le monde sait que Jésus-Christ naît et Se produit dans les âmes anéanties et nul ne veut Le chercher par la voie de l’anéantissement ; mais surtout les Docteurs et les personnages d’autorité et de science savent bien où Jésus-Christ doit naître, ils l’enseignent même aux autres et cependant ils ne veulent point L’aller trouver. […]

V.7. Alors, Hérode, ayant appelé les Mages en particulier, leur demanda avec grand soin en quel temps l’Étoile leur était apparue.

V.8. Et les envoyant à Bethléem, il leur dit : Allez, informez-vous exactement de cet enfant, et lorsque vous L’aurez trouvé faites-le-moi savoir afin que j’aille aussi moi-même L’adorer.

[13] Tout ce soin qu’Hérode prend de s’informer des particularités de la naissance du Fils de Dieu est un artifice malicieux et non pas un désir sincère de se convertir ; la plupart des personnes d’autorité en usent de la sorte : elles veulent savoir ce qui se passe dans l’intérieur dont elles ont ouï dire quelque chose, surtout que Jésus y est né, faisant semblant de L’y vouloir adorer, mais ce n’est qu’une feinte par laquelle sous une piété apparente elles cachent un zèle amer et une jalousie secrète.

Il n’est que trop vrai que la plupart des Directeurs ont jalousie contre Dieu même, et ne pouvant souffrir que Dieu soit l’unique conducteur tant des Directeurs que des dirigés, à cause que cela leur semble diminuer leur autorité, ils sont jaloux de leur gloire contre la gloire de Dieu. Ils auront peine à l’avouer, cela paraissant horrible, mais les empressements, les inquiétudes, les bruits et les remuements qu’ils font paraître lorsque tout ne réussit pas selon leur dessein en sont des preuves assez visibles.

V.9. Ayant ouï ces paroles du Roi, ils partirent. Aussitôt l’étoile qu’ils avaient vue en Orient alla devant eux jusqu’à ce qu’étant arrivée  sur le lieu où était l’enfant, elle s’y arrêta.

Sitôt que ces saints Rois eurent appris le lieu [14] où Jésus-Christ devait naître, ils partirent pour L’aller trouver ; une âme qui a quelque connaissance de Jésus-Christ par la foi n’a point de repos jusqu’à ce qu’elle soit arrivée à Lui. Cette étoile, ou cette lumière de foi qui les avait conduits depuis leur conversion, se montre à eux de nouveau, et elle marche la première comme un flambeau qu’il faut suivre et non pas précéder. Mais lorsque la foi a conduit l’âme jusqu’à Jésus-Christ, l’ayant perdue en Dieu, elle s’arrête là, n’ayant plus de chemin à faire depuis qu’elle est arrivée à son terme. La foi lumineuse disparaît pour donner lieu à la foi nue, celle-là devenant inutile, et ses rayons aperçus n’étant plus nécessaires depuis que Jésus-Christ, lumière éternelle, commence à paraître, quoiqu’encore enfant : la foi s’arrête pour laisser Jésus-Christ être toutes choses à l’âme.

V.10. Lorsqu’ils virent l’étoile, ils eurent une très grande joie.

Comment se peut accorder ce passage avec celui qui le précède ? il est dit dans celui-là que l’étoile les accompagnait et allait devant eux ; et celui-ci, que lorsqu’ils la revirent, ils eurent une grande joie. C’est qu’elle disparut pendant qu’ils furent dans Jérusalem, mais sitôt qu’ils en partirent elle se remit devant eux. Cette conduite était la figure des vicissitudes de la foi : tant qu’elle n’est pas encore arrivée à sa parfaite nudité, ayant conduit l’âme à Jérusalem qui marque son centre, elle ne se laisse plus découvrir à elle pour un temps afin de l’accoutumer peu à peu à la nudité, mais elle reparaît encore pour conduire l’âme jusqu’à Dieu seul. Ce qui étant fait, la foi lumineuse, comme ayant fait son office, [15] disparaît pour toujours, et donne lieu à la foi nue qui unit l’âme à Dieu, et la conduit en Lui d’une manière très sûre, mais très imperceptible.

V.11. Et, entrant dans la maison, ils trouvèrent l’enfant avec Marie sa mère, et se prosternant en terre, ils L’adorèrent, puis, ouvrant leurs trésors, lui présentèrent de l’or, de l’encens et de la myrrhe.

Ces saints Rois, à la faveur de la foi, tantôt évidente, tantôt secrète, sont conduits jusque dans eux-mêmes, jusque dans le centre le plus profond de leur âme où se découvre leur origine ; et là ils trouvent le divin Enfant, perdu et abîmé dans le sein de Dieu, qui est représenté par celui de Sa Mère, sur lequel Il repose. C’est donc là qu’ils Lui font trois admirables offrandes, l’une de leur foi, l’autre de leur sacrifice même et l’autre de leur abandon parfait. O secret ineffable ! sitôt que Jésus-Christ est découvert dans le sein de Son Père et que l’âme a trouvé ce sein adorable pour s’y perdre et abîmer, elle y découvre en même temps ce divin Enfant qui l’a amenée jusque là pour vivre de Sa vie, qui est une vie toute simple et enfantine, mais également divine et innocente.

 

Chapitre IV

V.5. Alors le démon Le transporta dans la ville sainte et L’ayant mis au haut du Temple,

V.6. Lui dit : Si vous êtes le Fils de Dieu, jetez-Vous en bas, car il est écrit : Il a commandé à Ses Anges de prendre soin de Vous, et ils Vous porteront dans leurs mains de peur que Vous ne vous heurtiez le pied contre quelque pierre [26].

[45][...] Il y a bien de la différence entre le vrai abandon et la témérité de la créature qui tente Dieu. Les personnes en qui Dieu veut Se faire glorifier d’une manière extraordinaire le font par un ordre secret de Sa Providence auquel elles se laissent entraîner doucement, sans désir ni inclination propre ; mais la tentation est une ardeur précipitée dont l’âme se laisse transporter avec amour de son propre intérêt, soit de perfection ou d’éclat ou de quelque autre avantage. Celui qui entreprend quelque chose pour Dieu doit être sans intérêt même de salut, de perfection et d’éternité, sans penser à lui-même et il ne doit jamais rien faire de ce qui est contraire à la loi de Dieu ou à son état, à moins d’une impuissance ou d’une volonté de Dieu bien reconnue. On doit se jeter entre les bras de Dieu pour faire toutes Ses volontés sans réserve, mais on ne doit jamais se jeter en bas dans les choses de la terre. […]

V.23. Jésus allait par toute la Galilée, enseignant dans les synagogues et prêchant l’Évangile du Royaume, et Il guérissait les langueurs et toutes les maladies qui étaient parmi le peuple.

[63] Quel est cet Évangile du Royaume que prêchait mon Sauveur ? C’est qu’Il enseignait la manière de chercher Dieu en nous, où Il est comme dans Son royaume si nous voulons l’y laisser régner. C’est prêcher l’Évangile du Royaume que d’apprendre aux âmes à se laisser conduire et gouverner par l’Esprit de Dieu et leur faire comprendre que selon la parole de Jésus-Christ [27] : Le Royaume de Dieu est au-dedans de nous, car, au lieu qu’avant la prédication de l’Évangile Dieu était si peu connu et si mal servi qu’on Le cherchait en certains lieux seulement et l’on ne croyait pas Le pouvoir adorer sans des cérémonies grossières. Depuis ce jour de grâce, on a appris à Le trouver par une seule œillade de foi, dans l’intérieur, et à L’adorer parfaitement dans le sanctuaire de l’âme. Jésus-Christ n’a pas plutôt prêché ce Royaume intérieur et introduit les âmes dedans qu’Il guérit toutes leurs maladies spirituelles et les langueurs qui les accablaient, en sorte qu’elles se trouvent mises dans une nouvelle et céleste vigueur sitôt qu’elles respirent cet air de Paradis. […]

 

Chapitre V

V.3 Bienheureux les pauvres d’esprit ; car le Royaume du ciel est à eux

[65] Cette première béatitude renferme seule toute la perfection et la consommation de la perfection même. Une vive pénétration de cette sentence de Jésus-Christ  a donné lieu aux spirituels et aux mystiques de dire de si belles choses touchant la pauvreté d’esprit à laquelle ils ont donné divers noms, de dépouillement, d’appauvrissement, de nudité, de perte, de mort, d’anéantissement. Tout ce que l’on en dit est bien véritablement fondé sur cette déclaration du Fils de Dieu, et tout ce qui s’en peut dire ne s’approche pas de ce que c’en est dans la vérité ; mais nul ne peut pénétrer le sens de ces profondeurs s’il n’a le courage de se donner à Dieu sans réserve pour les pratiquer.

J’en dirai ici quelque chose selon qu’il plaira au Père des lumières de me l’inspirer. Jésus-Christ met cette béatitude au premier rang et à la tête des autres, comme celle à laquelle elles doivent toutes se rapporter. La pauvreté d’esprit ne s’entend pas seulement du détachement d’affection des richesses comme plusieurs l’expliquent : elle s’étend de plus à un [66] appauvrissement général de toute l’âme, et de tout l’esprit et jusqu’à une désappropriation entière et absolue et une perte de tout propre intérêt. Il faut que cette pauvreté se répande sur les trois puissances de l’âme et qu’elle pénètre même sa substance et son centre pour les dépouiller de tout ce qu’elles possèdent avec attache et les réduire dans une parfaite nudité.

Comme parmi les pauvres de biens extérieurs, il y en a de plus ou moins pauvres, les uns étant dans une extrême indigence et dans la dernière disette, les autres possédant encore quelque chose pour peu que ce soit, de même l’appauvrissement d’esprit est plus ou moins poussé, selon le dessein de Dieu sur les âmes : les uns ne passent que par les premiers dépouillements des sens, quelques-uns vont jusqu’au dépouillement des puissances, mais il en est peu qui vont jusqu’au dépouillement central et à la pauvreté du fond qui est qui est l’entier anéantissement.

   Il y a des biens qui sont hors de l’homme, tels que sont les temporels : il y en a d’autres qui sont en lui comme la santé et la beauté. La pauvreté est plus ou moins grande selon qu’elle lui arrache plus des uns ou des autres. L’esprit a de même des biens qui sont hors de lui, comme l’honneur, la réputation, l’estime et l’affection des créatures ; et il y en a qui sont en lui-même , à savoir toutes les richesses des sens intérieurs et des puissances de l’âme, la science, le discernement, la vertu et le reste. Dieu voit que ces biens possédés avec propriété, par une avidité naturelle et impure, au préjudice de la souveraineté de Son amour, empêchent que l’homme puisse posséder le Royaume des cieux, qui n’est autre que Dieu même, le dépouille de tout [67] cela afin qu’il apprenne à donner à Dieu seul la préférence de son estime et de son amour, sans laquelle il est impossible qu’il jouisse de Dieu. Car il est sûr que Dieu ne remplit un cœur de Soi-même qu’autant qu’il est vide et dénué de ce qui pourrait l’attacher,  l’amuser ou le partager : tout autre cœur ne serait pas digne de Lui. C’est pourquoi Jésus-Christ  déclare que notre béatitude consiste à être pauvres d’esprit,  c’est-à-dire que quiconque est parfaitement détaché de tout bien créé est heureux, puisque dès lors le bien souverain, Dieu et tout ce qu’Il est, est à lui.

   Dieu commence donc par dépouiller les sens intérieurs, l’imagination et la fantaisie de leurs formes,  figures et images et de leurs activités naturelles, et la partie inférieure de l’âme de ses passions. Puis il dépouille l’entendement de ses conceptions, raisonnements  et réflexions, de sa subtilité à pénétrer les choses et de la facilité qu’il avait autrefois à exercer ses fonctions ; Il le prive même des dons surnaturels dont Il l’avait gratifié pour un temps, comme des illustrations, extases, visions et révélations. Il dépouille la mémoire de ses idées naturelles ou surnaturelles, des sciences acquises ou infuses, du souvenir des choses passées et de celles  qui arrivent de jour en jour, en sorte que toute mémoire semble perdue. Il dépouille la volonté de tout désir, penchant, choix, inclination, affection ou attache à quoi que ce soit : elle croit même perdre toutes les grâces, vertus, dons et biens spirituels sensibles ou aperçus ; enfin toute l’âme est tellement appauvrie qu’elle ne trouve plus rien non seulement qui l’enrichisse, mais même qui la nourrisse  et qui la soutienne, [68] en sorte que, se trouvant dans l’impuissance d’agir et de tirer de ses puissances leurs actes ordinaires, elle tombe en défaillance et il lui semble qu’elle a perdu l’esprit et qu’elle n’a plus ni être ni vie. Aussi ce dépouillement s’appelle-t-il une mort : ou la mort des sens, si c’est une privation de leurs plaisirs et inclinations naturelles et de la vivacité avec laquelle ils se portent sur leurs objets ; ou la mort des puissances, l’âme perdant la facilité de s’en servir, en sorte qu’elles semblent être perdues et qu’elles ne se trouvent plus : ou enfin la mort de l’âme, en ce qu’elle se trouve  privée de ses fonctions sensibles et aperçues qui faisaient sa propre vie.

   Mais cet appauvrissement, quelque extrême qu’il paraisse, ne suffit pas encore. Dieu appauvrit ensuite cette âme de toute propriété centrale, de toute passion secrète et profonde, de toute attache aux choses les plus saintes, de tout amour naturel de ce qui n’est point Dieu, enfin de toute vie et de tout être propre, de sorte qu’elle ne se trouve plus en quoi que ce soit, ni pour quoi que ce puisse être ; c’est comme une cessation d’existence et de subsistance propre pour n’exister et ne subsister plus qu’en Dieu ou, plutôt, tout être propre est ici si fort anéanti quant à sa propriété, opposition et consistance en soi-même qu’il faut nécessairement que, par la perte de tout être propre, l’âme recoule dans le Souverain Etre où tous les êtres possibles sont renfermés lorsqu’ils n’ont point d’opposition à n’exister qu’en Dieu. Mais lorsqu’ils ont une opposition foncière, comme celle de la propriété, ils existent bien en Dieu nécessairement, à cause de Son immensité qui renferme toute chose ; mais ils n’y existent pas en unité, ni par l’union d’agrément, qui fait comme un mélange sans distinction de l’être créé avec l’incréé, rien ne l’empêchant plus de se rejoindre à son origine, quoique toujours avec la disproportion essentielle de la créature au créateur, au lieu que les autres créatures propriétaires, ou pécheresses, existent en Dieu par nécessité d’être et de dépendance, mais avec éloignement, ou opposition de cœur. Je ne sais si j’aurai expliqué ceci de manière qu’il puisse être entendu.                            

   Ces pauvres d’esprit par la perte de leur propriété reçoivent en propre le Royaume du ciel, qui est Dieu même. Dieu règne en eux, et ils règnent en Dieu. Dieu les possède, et ils possèdent Dieu. La possession et la récompense sont proportionnées à la pauvreté qui les a méritées, et la pauvreté d’esprit, étant arrivée jusqu’à la perfection que je viens de décrire, ne mérite rien moins que Dieu : non par un mérite de dignité ou de justice, car la pauvreté, le vide et le néant ne méritent rien, quoique l’âme qui aime à s’y voir réduite pour la gloire de Dieu mérite tout auprès de Lui ; mais par un mérite de disposition et de rapport, car le seul Tout peut remplir le vide du néant. […]

V.15. Et on n’allume point la lampe pour la mettre sous un boisseau : mais on la met sur un chandelier […]

 [78][...]  La vie apostolique est une vie commune, mais droite, juste et simple qui n’effraie personne et qui attire tout le monde, marchant dans la droiture et dans l’accommodement aux états différents et aux faiblesses des hommes, que Jésus et Ses Apôtres ont pratiqués. De plus Jésus-Christ ne parle pas ici d’une perfection ou d’un exemple actif, mais passif. La lampe ne s’allume pas elle-même ni elle ne s’expose pas non plus d’elle-même sur le chandelier : cela lui doit venir de quelque autre action que de la sienne ; son office est seulement d’éclairer où l’on la met, et de se laisser allumer ou éteindre, poser ou remuer, comme l’on veut. […]

V.48. Soyez donc, vous autres, parfaits comme votre Père céleste est parfait.

[93] Dieu fait du bien indifféremment à tous et c’est en quoi Il veut que nous L’imitions. Il ne tire pas le motif de ses bienfaits du mérite de Ses créatures, mais Il n’envisage que Sa pure charité. Il nous est enfin ordonné dans ce Sermon de si grande perfection d’être parfaits comme notre Père céleste, ce qui ne s’accomplit parfaitement que lorsque nous sommes parfaits de Sa perfection et non pas de la nôtre ; non que la perfection de chaque âme ne soit en elle comme un ornement réel de son être particulier, mais parce que, lorsqu’elle est parfaite par l’anéantissement (ne pouvant l’être autrement), elle ne peut voir sa perfection en elle-même, ni se l’attribuer comme propre ; elle ne se trouve parfaite qu’en Dieu et de la perfection de Dieu même, non plus qu’elle ne peut plus se trouver en distinction hors de Dieu. Elle est donc parfaite comme Dieu, mais non pas autant que Dieu, ce qui est impossible : elle l’est pourtant de la même perfection de Dieu, car le transport ou le passage de l’âme dans l’éternelle origine la fait passer en unité divine avec tous ses biens et tous ses avantages, en sorte que, ne pouvant se distinguer en rien ni chose quelconque qui lui appartienne, elle sent seulement par le centre que Dieu lui est tout en toutes choses. Quiconque met sa perfection en telle ou [94] en telle chose créée ou distincte n’est pas parfait comme Dieu, puisque la perfection de Dieu n’a besoin que de Lui-même et est indépendante de toutes choses ; mais ceux-là sont parfaits comme Dieu qui se laissent animer de Son Esprit qui les affranchit de tout le créé, les élève au-dessus de tous moyens pour les unir sans milieu à la seule volonté divine, leur imprime Ses propres caractères et les perfectionne de Sa perfection.

 

Chapitre VI

V.10. Que votre règne arrive : que votre volonté soit faite dans [sur] la terre comme au ciel.

[104][...] La consommation d’une âme ne se connaît point à l’amour le plus ardent, ni aux choses extraordinaires, ni aux plus extrêmes austérités, aux dons, grâces et faveurs spéciales, à ces enthousiasmes, extases et ravissements, ni à toutes les plus grandes choses : elle se connaît seulement à la perte totale de toute volonté dans celle de Dieu, lorsque l’âme n’a plus ni pente, ni inclination, ni penchant pour les choses mêmes les plus divines, et qu’elle ne se trouve de choix ni de préférence pour chose au monde ; c’est alors qu’elle est consommée : Dieu règne souverainement sur elle, et depuis que la volonté de Dieu est devenue toute sa volonté, la vie de Dieu est aussi devenue sa vie. Cela se connaît particulièrement à ce que tous les états lui sont égaux, quels qu’ils soient, fussent-ils même les plus malheureux, et qu’elle ne s’y trouve ni crainte d’y demeurer, ni désir d’en sortir, ni enfin pas le moindre mouvement, s’étant parfaitement délaissée à Dieu pour toutes choses.

[105] Faire la volonté de Dieu sur la terre comme elle est faite au ciel, c’est la faire comme la font les bienheureux, et faire la volonté de Dieu comme la font les bienheureux, c’est être uni, transformé et perdu dans la volonté de Dieu, en sorte que, comme il est impossible à un bienheureux de faire autre chose que la volonté de Dieu, de même une âme anéantie ne peut plus faire autre chose que la volonté de Dieu : sitôt que notre volonté est anéantie, celle de Dieu prend sa place et l’âme n’est plus que volonté de Dieu. Et l’on ne doit pas s’étonner que cette âme ne soit plus autre chose que volonté de Dieu puisque, par son anéantissement et par sa transformation, elle est devenue un même esprit avec Dieu [28]. C’est pourquoi, lorsqu’elle veut sonder son fond, elle n’y peut plus trouver que Dieu et Sa volonté, ni dans les autres créatures non plus, hors de celles qui sont opposées à Dieu par leur propriété, dont elle sent avec beaucoup de peine l’être particulier et infecté.

Elle fait alors nécessairement et infailliblement cette volonté, quoique toujours très librement, s’étant dépouillée de la sienne par un franc abandon lorsqu’elle en avait l’usage en propre, et ayant renoncé à sa volonté pour la donner à Dieu. Alors par un excès de liberté et par le plus fort usage de sa volonté, elle perd toute volonté. Cette âme fait sans peine et sans contrainte tout ce que Dieu veut et elle fait aussi tout ce qu’elle veut elle-même avec un plaisir très grand. Elle se trouve dans l’impuissance de vouloir autre chose que ce qu’elle a et ce qu’elle fait. Que nul n’entreprenne de juger de ses actions.

V.25. C’est pourquoi Je vous dis que vous ne devez point vous inquiéter pour le boire et pour le manger, dont vous avez besoin pour vivre, ni pour les vêtements nécessaires pour couvrir votre corps. La vie n’est-elle pas plus que la nourriture et le corps plus que le vêtement ?

V.26. Voyez les oiseaux du ciel, ils ne sèment, ni ne recueillent, ni ne serrent point de blé dans des greniers, mais votre Père céleste les nourrit. Et vous, n’êtes-vous pas beaucoup plus considérables qu’eux ?

Tout cet endroit est un sermon clair et spécifique que Jésus-Christ nous fait sur l’abandon. Il nous le prêche en bien d’autres lieux, mais celui-ci est si propre et si évident qu’il n’en reste aucun doute ; et, par l’abandon à Sa Providence pour nos besoins corporels, Il veut que nous apprenions aussi à nous abandonner à Sa bonté pour les biens spirituels. Rien n’est si contraire à la perfection que les inquiétudes que nous prenons pour notre perfection même. S’inquiéter de ce qui nous concerne, soit pour l’extérieur ou [117] l’intérieur, pour le spirituel ou le temporel, c’est sortir de l’abandon. Une âme bien abandonnée ne saurait penser à elle-même, elle ne peut se soigner ni prendre aucun souci d’elle-même, mais elle en laisse tout le soin à la Providence, non qu’elle ne veuille coopérer et travailler autant que Dieu le veut, mais, par la confiance qu’elle a qu’Il lui fera faire chaque chose en son temps en la manière qu’Il le désire. Si Dieu a soin des moindres choses, comment n’en aura-t-Il pas des grandes ? S’Il est si soigneux des créatures irraisonnables, comment ne le sera-t-Il pas d’une âme pour laquelle Son Fils est mort et qu’Il désire plus de sauver qu’elle ne désire elle-même d’être sauvée ? Il faut pour manquer d’abandon à Dieu manquer de raison, et quoiqu’il faille captiver la raison sous la foi et sous l’abandon, je dis néanmoins que c’est manquer de raison que de manquer de foi et d’abandon.

V.34. C’est pourquoi ne vous mettez point en peine pour le lendemain, car le lendemain se mettra en peine pour lui-même : à chaque jour suffit son mal.

Ce conseil nous porte à nous abandonner de moment en moment à toutes les volontés de Dieu, sans penser d’un moment à l’autre, mais nous délaissant à tous les moments à la divine Providence pour qu’elle fasse en nous et de nous tout ce qu’Elle a ordonné. Tout ce qui nous arrive de moment en moment, hors de nos propres fautes, est volonté de Dieu sur nous, le reste est recherche de nous-mêmes. Nous ne saurions penser d’un quart d’heure à l’autre pour savoir ce que nous ferons dans ce temps-là et nous en faire un dessein, que ce ne soit [125] amour-propre. Une âme en qui l’amour-propre est arraché ne peut non plus penser à elle ni être en souci d’elle-même que si elle n’était pas ; mais elle laisse tout écouler et tout perdre dans la volonté de Dieu, recevant également et indifféremment toutes choses de Sa main, et le bien, et le mal, et elle ne peut regarder comme mal une chose qui lui vient par cette divine Providence.

 


 

Chapitre VII

V.8. Car quiconque demande, reçois ; et qui cherche, trouve, et l’on ouvre à celui qui frappe à la porte.

[130][...] Mais l’on me demandera à quoi cette âme peut connaître qu’un si grand bonheur lui est arrivé. À cela même qu’elle perd toute envie et toute facilité de demander, de chercher et de frapper : car qui n’a plus rien à demander a tout reçu, et qui n’a plus rien à chercher a tout trouvé, et qui n’a plus à frapper est entré. Ce grand “je ne sais quoi” qu’on ne saurait nommer, qui satisfait, qui rassasie, qui arrête, qui occupe, qui ravit cette âme fortunée ne peut être autre chose que son Bien Souverain, qui, s’étant donné à elle très réellement, quoiqu’encore sous l’obscurité de la foi, lui ôte tout désir de quelque autre bien que ce soit, outre que l’union parfaite de sa volonté avec celle de Dieu fait qu’elle ne sait plus rien lui demander ; mais se fiant infiniment à Lui et laissant toutes choses à Sa disposition, elle reçoit un plaisir excessif de l’accomplissement de toutes Ses volontés, soit dans elle, soit dans les autres créatures. Et comment cette amante pourrait-elle demander encore bien des choses à son Époux puisque la grandeur de sa foi lui ferme la bouche du cœur, et que la véhémence de son amour, lui ôtant toute parole, même intérieure, la tient dans un silence et dans un excès de jouissance à ne Lui pouvoir pas parler ?

Il faut donc demander jusqu’à ce qu’on ait obtenu ce que l’on demande, mais, l’ayant obtenu, ce serait une sottise de le redemander encore. Or le signe qu’une âme pure l’a obtenu, c’est lorsqu’elle ne saurait plus le demander. [131] Jésus-Christ assure, Lui qui est la vérité infaillible, que celui qui demande reçoit. Si celui qui demande reçoit, il faut qu’il cesse de demander lorsqu’il a reçu. Et que doit-il demander ? Ce que le divin Maître lui a appris à demander : le Royaume de Dieu et sa justice ; après quoi tout le reste est donné par surcroît. Il faut chercher ce qu’Il nous commande de chercher et rien autre chose, et l’ayant trouvé, il faut nous reposer dans la jouissance de ces grands biens. Quiconque cherche en cette sorte trouve immanquablement : que si nous ne trouvons pas le Royaume de Dieu, c’est que nous ne le cherchons pas comme il faut. Mais, comme celui qui le cherche comme il faut le trouve infailliblement, aussi, sitôt qu’il l’a trouvé, toutes ses recherches doivent cesser, et il connaît assez qu’il l’a trouvé en ce que l’abondance et la grandeur de ce Royaume le satisfait pleinement. Celui qui, ayant trouvé ce qu’il cherchait, le chercherait encore ferait un acte de folie, de même que celui à qui son maître ayant dit de chercher quelque chose voudrait passer toute sa vie dans cette recherche, et ne pas la prendre où il la pourrait trouver.

L’on ouvrira à celui qui frappe à la porte. Frapper à la porte n’est autre chose que rentrer en soi-même, et là, frapper à la porte du cœur de Dieu par de saintes affections jusqu’à ce qu’elle nous soit ouverte, ce qui arrive bientôt pourvu que l’on frappe avec patience et persévérance, car c’est ainsi que les aspirations ouvrent la porte à la contemplation, comme les filles de Jérusalem qui, assurant le Bien-Aimé que son amante languit d’amour pour lui, l’obligent de venir. […]

 

Chapitre VIII

V.13. Et Jésus dit au centenier [29] : allez, et qu’il vous soit fait selon votre foi ; et son serviteur fut guéri à la même heure.

[150][...] L’on veut des assurances et des témoignages pour assurer la foi, et de fortes raisons pour la persuader, et cela même lui est contraire, en affaiblit la force et en diminue le prix. La foi veut que l’on s’abandonne à Dieu en captivant l’esprit sous Sa parole, et le cœur sous Sa conduite et en se fiant à Lui au-dessus de toute raison ; de même qu’il faut espérer en Lui contre toute espérance. Des personnes qui semblaient être les plus éloignées de Dieu, viennent en foule se donner à Lui et entrent dans Sa voie, pendant que ceux qui ont été appelés de bonne heure à Son Royaume s’en tiennent éloignés. Le Sauveur dit au centenier qu’il lui soit fait selon qu’il a cru. La mesure de notre foi est la mesure des grâces que nous recevons de Dieu, et plus la foi est grande, plus Dieu est dans une âme, car c’est le propre de la foi de L’y attirer, de L’y faire venir et de ne lui donner rien moins que Dieu.

V.27. De sorte que les hommes l’admirèrent, disant : quel est celui-ci, à qui les vents et la mer obéissent ?

[160][...]  Mais une âme abandonnée doit perdre tout soin d’elle-même et doit, comme Jésus-Christ, dormir par le repos en Dieu sans se mettre en peine de périr ou de ne périr pas, car le Sauveur ne dormait ainsi, au sein d’une si effroyable tempête que pour donner un exemple sensible à tous ses chers abandonnés de la manière dont ils doivent se reposer de tout soin d’eux-mêmes sur leur Père céleste, quoique parmi les plus extrêmes dangers. Leur foi ne consiste pas à demander leur délivrance, mais à s’abandonner à tout ce que Dieu pourrait vouloir ou permettre, sans perdre pour un moment leur repos en Dieu et sans se détourner de leur attention à Lui pour se recourber et s’appliquer à eux-mêmes, au contraire demeurant toujours plus fermes, quoiqu’abîmés dans la volonté de Dieu qui est le repos des âmes abandonnées : ce repos est bien tranquille et bien doux et nul ne le peut troubler, puisque c’est le repos de Dieu même.

[161][...] À cause de la faiblesse des âmes, Il commande souvent aux vents et à la mer irritée de s’apaiser, et aussitôt le calme devient si grand  que ceux qui l’éprouvent après avoir été battus de la tempête en sont dans l’étonnement et dans l’admiration. Sentant ce calme, ils croient avoir reçu une grande grâce, et il est vrai, d’autant plus même qu’elle est souvent accompagnée du miracle, mais c’est une grâce qui n’est accordée qu’à leur faiblesse ; et quiconque aurait été abandonné sans réserve à toutes les volontés de Dieu dans cette tempête n’en aurait jamais plus appréhendé aucune autre : au contraire, il aurait été revêtu de la force de [162] Jésus pour opérer le calme dans les autres au milieu de semblables dangers. Tout ce qu’une âme devenue Jésus-Christ dit aux autres s’opère dans elles et c’est la marque qu’elle est devenue Jésus-Christ... Les miracles que font ces personnes sont très fréquents, quoiqu’ils ne s’étendent pas tant au-dehors ou à quelque chose d’éclatant aux yeux des hommes qu’à ce qui se passe au-dedans : lorsque des personnes troublées ou agitées de peines et de tentations viennent à eux, sitôt qu’ils leur disent que le calme se fasse, il se fait, mais d’une manière si profonde qu’il ne se peut rien de plus ; aussi ne le commandent-ils que lorsqu’ils y sont mus et portés par l’Esprit de Jésus-Christ qui opère Lui-même ce qu’Il fait ordonner ; il n’y a que Jésus-Christ à qui les vents et la mer obéissent de cette sorte.

Il y a eu des saints qui ont fait plus de miracles sur les corps que sur les âmes et ces prodiges font plus d’éclat que les autres ; ces personnes ont le pouvoir de faire des miracles par un don gratuit, qui, quoique fort éminent, ne les rend pas pourtant plus saintes bien qu’ils soient donnés à des personnes saintes. Mais les miracles dont je parle ne sont pas de même nature. Ce n’est point un don gratuit qui soit accordé à l’âme, mais c’est que, comme leur propre esprit a été anéanti, il ne reste plus en eux que l’Esprit de Jésus-Christ qui opère Lui-même ces choses (qui tiennent du prodige) par le mouvement soudain et secret qu’Il en donne. Les choses sont plus intimes et cachées et les merveilles s’opèrent par le dedans bien plus qu’au-dehors ; mais c’est le même Esprit de Dieu, lequel convertit les cœurs, qui opère ces [163] miracles, et ce sont des miracles qui marquent l’entier anéantissement de l’âme et qui la rendent plus sainte, parce que ces œuvres miraculeuses donnent toujours plus de pouvoir à Jésus-Christ sur les personnes qui les font en suite de la fidélité qu’elles ont à suivre ses mouvements et à se laisser aller sans résistance et sans hésitation au moindre instinct qu’elles ont de faire ou de dire les choses. […]

 

Chapitre IX  

V.10. Et il arriva que Jésus étant allé manger avec lui dans sa maison, il vînt des publicains et des pécheurs manger avec Lui et Ses disciples.

V.11. De quoi les Pharisiens s’étant aperçus, ils dirent à Ses disciples : Pourquoi votre Maître mange-t-il avec des publicains et des pécheurs ?

V.12. Jésus les ayant entendus leur dit : Ce ne sont pas ceux qui se portent bien qui ont besoin du médecin, ce sont les malades.

V.13. C’est pourquoi, allez apprendre ce que veut dire : C’est la miséricorde que Je demande et non pas le sacrifice, car Je ne suis pas venu appeler les justes, mais les pécheurs.

[173] Jésus s’est plu avec les pécheurs qui avaient un désir sincère de se convertir et qui, à raison de leur bassesse et de l’humiliation de leur état, étaient plus disposés que nul autre à recevoir Sa grâce. Mais hélas ! il ne se trouve que trop de personnes qui, par un zèle pharisaïque, condamnent la bonté de Dieu et la facilité qu’Il a de Se communiquer à ces pécheurs humiliés ! Il semble que tout le soin de ces zélateurs amers et ulcérés soit d’empêcher les pécheurs d’aller à Dieu sous prétexte qu’ils n’en sont pas dignes. Faut-il donc les laisser périr sans remède ? Ou y a-t-il un autre médecin que Lui qui puisse ressusciter leurs âmes ? On veut leur persuader que Jésus-Christ n’est point pour eux, ni dans Son Eucharistie ni dans Son intérieur, qu’ils ne doivent ni manger ni converser avec Lui, c’est-à-dire ne pas prétendre ni à la communion ni à l’oraison. Cependant c’est tout le contraire, car Jésus s’est fait pain de vie pour Se donner à eux, et Il ne demande qu’à Se communiquer plus intimement à leurs âmes, pourvu qu’ils aient un vrai désir de se convertir à Lui et de se donner à l’Esprit de Sa grâce.

Pharisiens de nos jours, qui, par un faux zèle encore plus indiscret et plus cruel que n’était celui des Pharisiens juifs, écartez les gens de bonne volonté des sacrements et de la pratique de l’oraison que Jésus-Christ leur offre, qui dites que l’oraison mentale n’est pas pour tous, que les séculiers ne doivent pas l’entreprendre, et qu’il la faut laisser aux religieux, qui dites que le Saint-Siège condamnera l’oraison de repos et de foi et que [174] l’oraison d’union est défendue ; qui abusez du tribunal de la pénitence pour déconseiller les vies intérieures, jusqu’à refuser l’absolution à ceux de vos pénitents qui ne veulent pas vous promettre ou de quitter tout à fait l’oraison, ou de renoncer à l’oraison de simplicité et de résignation où ils sont déjà établis pour reprendre la multiplicité, les méthodes et les inventions de l’homme ; qui forcez ceux qui contemplent déjà et même depuis bien des années, avec tout le succès et le témoignage des plus grandes vertus, de reprendre la méditation, qui faites des missions à dessein de décrier l’oraison, l’abandon et la vie intérieure, alors qu’il en faudrait faire partout pour les établir dans tous les cœurs [...] vous tous, dis-je, qui vous déclarez en tant de manières les ennemis des âmes abandonnées et du Royaume intérieur de Jésus, vous imitez la cruelle indiscrétion de ces anciens Pharisiens, mais vous aurez aussi part aux justes reproches que leur fait le Sauveur et à cette menace que l’Esprit de Jésus-Christ fait par saint Paul [30] : Pour celui qui vous trouble, quel qu’il soit, il sera puni. […]

V.38. Priez donc le maître de la moisson qu’il y envoie des ouvriers.

Les petits enfants demandent du pain et il n’y a personne qui le leur rompe [31]. Ce qu’il y a de plus pur, de plus saint et de plus commun, de plus aisé, en un mot, de plus évangélique dans l’Évangile, est-ce que l’on prêche le moins, à savoir : l’intérieur et l’oraison ! ô, quand verra-t-on l’Église pleine d’ouvriers apostoliques qui vivent eux-mêmes fort intérieurement et qui s’appliquent principalement à porter tout le monde à la vie intérieure ! C’est une chose bien louable et qui fait de très grands biens à l’Eglise que d’avoir des séminaires pour l’éducation des jeunes clercs et la réformation de tout le clergé ; mais l’on devrait aussi établir des séminaires d’oraison où l’on apprît à connaître le vrai esprit intérieur, non d’un degré seulement ou d’une seule méthode, comme si la même [190] règle devait servir pour tous, ou qu’il ne fallût pas faire autre chose dans la suite que dans les commencements, mais de tous les états des voies intérieures et des différentes conduites que Dieu tient sur les âmes, afin que ceux qui en doivent être les pères et pasteurs les puissent toutes servir, chacune selon ses besoins. O si les prêtres étaient intérieurs, quel bien ne feraient-ils pas dans toute l’Eglise de Dieu ! Ils répandraient partout l’Esprit de Jésus-Christ. Mais l’on ne peut point donner ce que l’on n’a pas. Cet esprit intérieur, si nécessaire et si essentiel au caractère de la prêtrise est la chose à laquelle on pense le moins. […]

 

Chapitre X

V.7. Et où vous irez, prêchez en disant : Le Royaume du ciel est proche.

[193] Ce que Jésus-Christ veut que l’on prêche à Ses brebis perdues est que le Royaume du ciel est proche. Il est véritablement bien proche puisqu’il est au-dedans de nous [32]. C’est donc ce qu’il faut enseigner à toutes les âmes, que le Royaume du ciel est proche, et qu’étant au-dedans d’elles, c’est là qu’il le faut chercher, leur donnant en même temps tous les moyens de le trouver. Mais on laisse ignorer à tout le monde que ce Royaume est si proche, et l’on leur prêche tout autre chose sans les instruire de ce qu’il y a de plus essentiel dans la religion. C’est cependant le seul sermon que Dieu ordonne ici à Ses Apôtres de faire aux fidèles parce que, lorsque l’on cherche ce Royaume au-dedans et qu’on le trouve, tout le reste est donné par surcroît. […]   

V.8. Rendez la santé aux malades, ressuscitez les morts, guérissez les lépreux, chassez les démons. Vous avez reçu gratuitement, donnez gratuitement.

[194][…] Il leur commande de donner gratuitement et sans désir de récompense ce qui leur a été donné sans mérite de leur part, afin qu’ils soient libéraux et charitables envers leurs frères, comme Dieu l’a été envers eux. On ne saurait croire la puissance que Dieu donne aux personnes qu’Il a admises à la mission apostolique. S’il leur fait dire à une âme troublée qu’elle demeure en paix, elle entre d’abord dans une paix profonde, mais il faut être bien fidèle pour n’y rien mêler du sien et pour dire et faire sans hésiter tout ce qui vient dans l’esprit, car, lorsque cela n’est pas, que l’on doute, que l’on hésite, et que l’on appréhende de ne pas réussir, la grâce ne s’accorde point.

Deux choses sont nécessaires pour que de tels commandements soient suivis de l’effet, comme quand l’on dit : soyez guéris, ou : soyez en paix. L’une, que la personne à qui on le dit y acquiesce et le croie, car si l’on doute, l’effet ne s’ensuit pas, et la personne par qui Dieu veut faire la grâce sent très bien qu’il y a eu de la résistance du côté du sujet qui devait la recevoir. Il en est de même pour l’écoulement de certaines grâces : si la personne à qui elles se doivent communiquer résiste par quelque propriété ou [195] rétrécissement, la grâce, par une espèce de réflexion, retourne à la personne qui la communique, comme l’on voit un miroir ardent renvoyer les rayons au soleil. Cela vient quelquefois avec tant d’abondances que c’est comme une inondation qui remonte à sa source, et qui fait souffrir jusqu’à n’en pouvoir plus.         

L’autre chose qui est nécessaire est que la personne qui commande le fasse sans recherche, sans réflexion et sans hésitation : sans recherche, pour ne pas se remuer par elle-même ; sans réflexion, pour ne pas perdre le mouvement divin  par le mélange qui se fait d’abord des actes naturels, ainsi qu’il arrive d’ordinaire à ceux qui ne sont pas encore accoutumés à suivre incessamment l’instinct ; et sans hésitation, pour ne pas mettre obstacle à la grâce qui se doit faire par son incrédulité. C’est dans ces dispositions de part et d’autre que se font les miracles. Si l’on était fidèle à suivre les impressions de la grâce, on éprouverait de grandes choses ! O, qu’il faut de fidélité pour tout faire et tout dire selon les impressions divines, sans aucun respect humain et sans aucun retour sur soi !

V.9. Ne possédez ni or ni argent et ne portez point de monnaie dans vos ceintures.

V.10. N’ayez point de sac en votre voyage ni deux robes, ni (de) souliers ni (de) bâton, car celui qui travaille mérite qu’on le nourrisse.

Ce conseil de Jésus-Christ condamne bien la fausse prudence de ces personnes qui veulent tout prévoir et qui craignent que tout leur manque, qui regardent l’abandon à la Providence comme une erreur et le détachement de toutes choses comme une folie, alléguant que [196] ce serait tenter Dieu que de ne pas se précautionner. J’avoue que ce serait tenter Dieu que de prétendre qu’Il nous pourvût de toutes choses par voies miraculeuses sans nous mettre en devoir de faire de notre côté ce que nous pouvons et ce qu’Il nous ordonne, mais loin que l’abandon détruise ce devoir il l’établit davantage, nous faisant agir de notre mieux avec un délaissement tranquille à la divine Providence pour toutes choses, car c’est à elle à nous appliquer aux moyens convenables aussi bien qu’à nous accorder la fin. En un mot, s’abandonner à Dieu n’est pas ne vouloir rien faire et attendre que Dieu pourvoie miraculeusement à tous nos besoins, comme plusieurs se l’imaginent faussement ; mais c’est se donner à Dieu et se tenir toujours dans une paisible résignation pour qu’Il nous fasse faire ce qu’Il veut que nous fassions avec une promptitude et fidélité entière à suivre Ses mouvements, et quand il faudrait en venir aux miracles pour nous assister dans l’extrémité, Il les ferait plutôt que de nous laisser manquer du nécessaire, car Il ne délaisse jamais ceux qui n’espèrent qu’en Lui, et Il ne peut abandonner ceux qui L’aiment [33].

 

Chapitre XI

V.27. Mon Père m’a mis toutes choses entre les mains, et nul ne connaît le Fils que le Père, et nul ne connaît le Père que le Fils et celui à qui le Fils l’aura voulu révéler.

[...] Tout l’intérieur ne consiste qu’à rendre Jésus-Christ maître des droits que Son Père Lui a donnés, se soumettant à Son doux empire jusqu’à cesser d’être afin qu’Il soit tout ; or, pour que cela soit, il faut que l’homme soit désapproprié de tous les droits qu’il a sur lui-même afin que Jésus-Christ en prenne une entière possession, et cela ne se peut faire que par la perte de notre être, même moral et vertueux, en tant qu’il nous est propre, et de notre appui ou subsistance en quelque chose que ce soit. Il est donc nécessaire pour arriver là que l’homme soit appetissé et anéanti ; autrement, Jésus ne régnerait pas pleinement sur lui. 

Or, les sages et prudents en eux-mêmes, se conduisant eux-mêmes et se possédant en toutes choses, sont directement opposés au règne de Jésus-Christ, puisqu’il ne peut s’établir que par la cessation de ce que nous sommes pour Le laisser être toutes choses. Il a ce droit sur nous comme Rédempteur, mais outre cela, Dieu le Père Lui a remis toutes choses entre les mains, Lui cédant Son droit de création. Le droit de Créateur était que, Dieu ayant fait l’homme, le rendît participant de Son être afin que Dieu seul fût en l’homme et que l’homme n’existât qu’en Dieu ; le corps était une figure inanimée que Dieu anima et vivifia de Son esprit, le faisant vivre de Sa vie [34]. L’homme donc, dans l’ordre de Sa création, ne doit vivre que de la vie de Dieu. Mais le démon, jaloux de ce que les hommes [229] étaient des dieux, ne vivant que de cette vie, et n’étant mus que de Son Esprit, se fit entrer dans leur cœur, et y fit glisser son poison pour y détruire cette vie de Dieu et inspirer en sa place sa vie corrompue. Qu’est venu faire Jésus-Christ ? Il est venu bannir cette vie du démon, vie de propriété et de péché, et ayant, comme Rédempteur, évacué cette vie opposée à la vie de Dieu pour rétablir la vie divine dans le cœur de l’homme, Il entre ensuite dans les droits du Créateur, que Son Père Lui a remis afin d’inspirer dans l’homme une nouvelle vie et le faire vivre de Sa propre vie. Voilà l’économie de la Création et de la Rédemption.

 

Chapitre XII

V.37. Car ce sera par vos paroles que vous serez justifiés ; et ce sera par vos paroles que vous serez condamnés.

[...] Dans les commencements, où l’on n’a encore Dieu que pour fin et non pour objet en toutes choses (car quoiqu’on veuille bien les rapporter toutes à Lui, on opère néanmoins sous diverses vues et par différents motifs ou de vertus ou de pratiques particulières), il est encore temps de s’observer et de veiller sur ses actions et sur ses paroles pour les mesurer à leurs objets et à leur fin ; mais dans l’état passif où tout se trouve réuni en unité et où Dieu est l’objet et la fin, le motif et la règle de tout ce qui se fait, en sorte qu’il est devenu comme naturel à l’âme de faire tout pour Dieu seul, alors il n’est plus temps de s’observer : au contraire il faut laisser tout couler insensiblement à Dieu, et cette manière d’agir avec oubli de soi-même pour s’abandonner pleinement à Lui, Lui plaît plus infiniment que toutes les observations possibles. C’était peut-être de cet état que parlait saint Paul lorsqu’il disait [35] : Pour moi, je ne comprends pas ce que je fais, mais il est clair que c’est celui que David a compris dans ce beau verset d’un de ses psaumes [36] : J’avais le [253] Seigneur toujours présent devant moi.

 

Chapitre XIII

V.15. Car le cœur de ce peuple est devenu charnel, et ils ont eu les oreilles sourdes ; et ils ont fermé les yeux…

[…] Il faut remarquer que Notre Seigneur ne dit pas que c’est leur esprit qui comprend, mais leur cœur, pour nous apprendre deux choses : l’une que tout l’intérieur se doit opérer principalement par le cœur, l’esprit n’y ayant que très peu de part ; l’autre qu’il n’est pas question d’une compréhension de science ou d’intelligence, mais d’une compréhension propre au cœur, qui est une compréhension de goût et d’expérience, d’infusion et de réception. Dieu remplit le cœur de Sa vérité et ce cœur La reçoit, non par lumière et connaissance intellectuelle, mais par voie d’amour et dans la volonté, le Saint-Esprit étant un esprit de pure charité qui se communique par le cœur et qui en échauffant le cœur, l’éclaire plus, mille fois, que ne feraient toutes les lumières purement intellectuelles. Or, sitôt que ce cœur a reçu les premiers écoulements des grâces prises dans la volonté, l’esprit est attiré par la volonté au-dedans et elle [267] l’oblige à donner toute son attention à écouter Dieu qu’elle goûte délicieusement. Dès lors, la conversion intérieure est faite et Dieu ne manque pas de guérir l’âme. […]

V.22. Celui qui a reçu la semence parmi les épines, c’est celui qui écoute la parole. Mais le soin d’être au monde et la tromperie des richesses étouffent la parole, et la rendent infructueuse.

[270] Notre Seigneur ne dit pas qu’il faille abandonner le soin de sa famille ni que ce soin nuise à l’intérieur, mais seulement que c’est l’inquiétude des choses du siècle et le souci trop empressé qui nuit et non pas ce qui regarde le devoir. Il faut laisser les soucis et les inquiétudes, se contentant de faire le devoir avec paix et tranquillité, étant toujours content de tout le succès qu’il plaît à Dieu de donner à nos soins, avec indifférence pour la perte ou pour le gain. Ce soin paisible et tranquille, loin d’être contraire à l’oraison, lui est même favorable et il ne l’interrompt point lorsqu’elle est bien avancée, mais l’inquiétude, la peine d’esprit et le chagrin sont tout à fait opposés à ce saint exercice parce que tout cela est contraire à l’abandon qui est essentiel à la prière. Il suffit donc pour l’oraison de conserver un soin réglé des choses temporelles et de bannir l’inquiétude. Le Sauveur ne dit pas non plus qu’il ne faille pas se servir de l’argent, mais Il défend de servir à l’argent [37]. […]

V.33. Il leur dit encore une autre parabole : Le Royaume du ciel est semblable au levain qu’une femme prend et met dans trois mesures de farine jusqu’à ce que la pâte soit toute levée.

[...] L’entendement [38] en qui le levain de la foi est mis, contracte si fort la qualité de la foi que, par le séjour qu’elle y fait, elle lui fait perdre [277] peu à peu sa facilité de raisonner sur les choses pour lui faire prendre une manière d’en juger plus noble et plus pure, qui est de les croire sur la parole de Dieu sans les examiner. Et la foi prend enfin si fort le dessus, que l’entendement vient à une telle pureté qu’il voit d’abord tout par un simple envisagement, sans entremise de l’idée de l’imagination ni des autres sens intérieurs, et commence dès cette vie à tenir de la nature des pures intelligences. L’on ne pourrait jamais comprendre, à moins de l’expérimenter, la netteté et la simplicité où cette puissance est mise par une excellente foi : l’esprit n’étant plus agité ni troublé par le tumulte de diverses pensées, et l’âme venant en tel état que, se trouvant vide de toutes formes et images, elle est toujours très disposée à recevoir les impressions divines.

L’espérance en fait autant à proportion dans la mémoire laquelle, à force d’espérer et par la demeure que l’espérance fait en elle, perd tout souvenir quel qu’il soit, tout soin et tout souci, mais cette perte de souvenir ne lui nuit point : au contraire, elle est mise par là même dans une pureté admirable où elle se trouve en Dieu qui ne lui représente que ce qu’Il veut et comme Il veut, de sorte qu’une telle âme, sans ressouvenir, sans recherche, sans étude, a de quoi répondre et fournir à tout sans qu’elle sache comment cela se fait ; et, sans avoir rien de présent ni d’aperçu, elle se trouve n’ignorer chose au monde de ce qui regarde le règne de Dieu dans les âmes, étant prête à rendre raison sur-le-champ de tout ce qu’on lui demande. Si elle se sonde elle-même, il lui semble de ne savoir chose quelconque, et même [278] si elle voulait rappeler quelque chose dans sa mémoire et s’en servir par elle-même, elle ne le pourrait. Il faut qu’elle demeure comme une glace pure, exposée devant Dieu, qui lui imprime ce qu’il Lui plaît sans qu’il en reste rien pour elle. Or cela s’opère par l’espérance, puisque c’est elle qui a dépouillé l’âme de tout soin et souci de ce qui la concerne, soit pour le dehors ou le dedans, et l’ayant tenue longtemps dans un oubli total d’elle-même, elle a réduit sa mémoire dans cette pureté. Tout ceci néanmoins ne s’opère point par l’action de la créature, mais par son inaction, quoiqu’elle concoure véritablement à tout ce qui demande sa coopération, mais par une fidélité passive, car l’action propre produirait des espèces, multiplierait les activités, renouvellerait le souvenir et ainsi entretiendrait la vie propre et impure de cette puissance et aussi des autres.         

La charité s’empare de la volonté et gagne si fort le dessus qu’elle la transforme toute en soi et, faisant par sa force divine que la volonté de l’homme devient toute volonté de Dieu, elle fait par là même que cette volonté devient toute charité, tout amour et toute Dieu. Par cette charité, l’âme devient impuissante à rien vouloir ni désirer. Elle se trouve sans choix, sans inclination, sans penchant : enfin il ne se trouve plus de volonté, la charité a tellement tout gagné que la volonté se trouve abîmée dans la volonté essentielle de Dieu, où l’âme ne peut plus rien vouloir quoiqu’elle y veuille tout ce que Dieu veut ; mais Dieu veut pour elle, et si elle voulait ou penchait vers quelque côté, étant arrivée à cet état, et n’étant point déchue par le péché, ce penchant [279] serait la volonté de Dieu aussi infailliblement qu’il est vrai que cette âme a perdu toute volonté en Dieu et n’est plus mue que par la volonté de Dieu. […]

 

Chapitre XV

V.21. Jésus étant parti de ce lieu-là, se retira du côté de Tyr et de Sidon,

V.22. Et une femme cananéenne, qui était sortie de ce pays-là, s’écria en Lui disant : Seigneur, Fils de David, ayez pitié de moi ! ma fille est cruellement tourmentée par le démon.

V.23. Mais Il ne lui répondit pas un mot. Et ses disciples s’approchant Le prièrent en lui disant : Renvoyez-la parce qu’elle crie après nous.

Tout ceci est bien admirable. Jésus-Christ, qui est si plein de miséricorde qu’Il prévient même les pécheurs pour leur faire grâce [39] lorsqu’ils ne lui en demandent point, qui fait venir à Lui ceux qui ne se mettaient point en peine de Le connaître et qui se fait trouver de ceux qui ne Le cherchaient point, paraît si [319] insensible à la prière de cette pauvre femme qu’Il fait semblant de ne la vouloir point écouter et ne veut pas même lui répondre ! O invention toute divine ! Lorsque Dieu veut faire d’abondantes miséricordes, Il paraît impitoyable et sans miséricorde ; et ceux qui ignorent cette conduite de l’amour, s’affligent de n’être pas aussitôt exaucés, et cessent de prier, mais ceux à qui la lumière est donnée augmentent leur foi par ces rebuts apparents, assurés qu’ils sont que Dieu ne fait jamais plus de grâce que lorsqu’Il refuse ou diffère de faire grâce.

La persévérance de cette femme est si admirable qu’elle a mérité l’éloge que Jésus-Christ en a fait. Ses disciples, importunés d’une fidélité que leur Maître admirait dans le secret (son silence même étant une profonde communication de foi qu’Il faisait à cette femme), se crurent obligés de lui demander qu’Il la renvoyât. Ils Lui firent une prière à deux sens, comme voulant dire : ou exaucez-la promptement, afin qu’elle s’en aille, ou, si Vous la refusez, renvoyez-la incessamment. Jésus en usa de la sorte pour obliger Ses disciples à Le prier en faveur d’une âme qu’Il avait plus d’inclination d’exaucer qu’elle n’avait de désir de l’être, et aussi afin de faire connaître à tous les chrétiens la foi de cette femme et la persévérance de sa prière. Il semble la rebuter, mais en la rebutant Il l’attire d’une force sans égale. O Amour, vous êtes comme la pierre d’aimant, qui repousse d’un côté et attire fortement de l’autre !

V.24. Il leur répondit : Je ne suis envoyé qu’aux brebis de la maison d’Israël qui se sont perdues.

V.25. Mais elle s’approcha de lui et l’adora lui disant : Seigneur, assistez-moi.

[320] Plus Jésus-Christ la rebute, plus elle s’approche de Lui par la confiance. Il ne se contente pas du silence, Il y ajoute un refus manifeste, car, s’Il n’est envoyé qu’aux brebis de la maison d’Israël qui se sont perdues, que fera-t-Il pour cette femme  qui est sortie du pays des Gentils, ne pouvant rien faire contre Sa mission ? O que cette parole a un grand sens, surtout étant prise dans le mystique ! Jésus-Christ est envoyé pour sauver tous les hommes comme Rédempteur, mais Il n’est venu comme Prédicateur de l’intérieur que pour les personnes intérieures ou destinées à l’être. Il est de deux sortes de ces brebis perdues : les unes qui se sont écartées de l’abandon, et celles-là ont besoin de Jésus Prédicateur pour les rappeler à Lui de l’éloignement où elles sont ; ces sortes de brebis sont plutôt égarées que perdues. Les autres se peuvent dire dans un bon sens être perdues en Dieu par la perte de leur être propre pour donner lieu à l’être de Dieu : c’est à ces brebis heureusement perdues que Jésus-Christ est envoyé pour être leur remplacement et les revivifier.

Jésus-Christ est venu sous trois sortes de qualités en faveur de trois sortes de personnes. Il est venu comme voie pour les pécheurs dévoyés afin de les mettre dans la voie de salut ; Il est venu comme vérité, pour les justes qui, n’étant pas dans le péché, se sont néanmoins détournés du chemin, afin de les éclairer par Sa lumière de vérité et leur faire voir qu’ils s’écartent de la voie de l’abandon et de la foi où ils étaient [321] : c’est comme si une personne marchant de nuit et égarée, étant prête à tomber dans un précipice, était redressée par la lumière d’un flambeau qui lui ferait voir son égarement et qui, la tirant du danger où elle était, lui donnerait lieu de rentrer dans le bon chemin. Mais Il n’est venu comme vie que pour les brebis perdues de la maison d’Israël, parce que ces âmes, mortes à toute propre vie, ces âmes heureusement perdues en Dieu trouvent cependant le salut que Dieu donne et sont par leur mort vivifiées de Sa vie.

C’est pourquoi Notre Seigneur dit : les brebis qui se sont perdues de la maison d’Israël. La maison d’Israël est la congrégation des âmes abandonnées, comme il a tant été vu et expliqué dans l’Ancien Testament. Ce sont donc les brebis perdues par un abandon total et par l’écoulement de leur être propre en celui de Dieu que Jésus-Christ est venu vivifier, et nulles autres que celles-là ne peuvent jouir de cette vie dont parlait saint Paul lorsqu’il disait [40] : Je vis, non plus moi-même, mais c’est Jésus-Christ qui vit en moi. Et dans un autre endroit [41] : vous êtes morts et votre vie est cachée en Dieu avec Jésus-Christ. C’est-à-dire : vous êtes morts par la séparation entière de vous-mêmes et de tout ce qu’il y a en vous d’Adam pécheur et corrompu [...].

 


 

Chapitre XVIII

V.11.  Car le Fils de l’homme est venu sauver ce qui était perdu.

V.12.  Dites-Moi : si un homme a cent brebis et qu’il y en ait une qui s’égare, ne laisse-t-il pas les quatre-vingt-dix-neuf autres sur les montagnes pour aller chercher celle qui s’était égarée ?

V.13.  Et s’il la trouve, Je vous dis en vérité qu’il en a plus de joie que des quatre-vingt-dix-neuf qui ne se sont point égarées.

Le Fils de Dieu est venu sauver les âmes qui étaient perdues et ramener celles qui étaient égarées. O vous tous qui, par une fausse humilité, ne voulez pas aller à Jésus-Christ, disant que vous voulez attendre que vous ne péchiez plus : sachez que vous vous êtes trompés ! C’est là l’erreur la plus grossière qui empêche les pécheurs de se convertir et les imparfaits d’entrer dans la voie de perfection. Qui pourra vous sauver, ô pécheurs, et vous tirer de vos péchés si vous ne vous donnez à votre Sauveur ? Et si vous n’allez au-devant de Lui lorsqu’Il vient à vous le premier, si vous Le fuyez lorsqu’Il vous cherche, le moyen qu’Il vous trouve ? Et si vous attendez d’être quittes de vos péchés pour vous approcher de Jésus, quand vous en approcherez-vous, puisque Lui seul peut vous en rendre quittes ? Un malade qui [Tome II, 381] voudrait attendre d’être guéri pour parler au médecin ne serait-il pas fol ?

V.20. Car en quelque lieu que se trouvent deux ou trois personnes assemblées en Mon nom, Je m’y trouve au milieu d’elles.

[386][...] Mais les personnes intérieures, en quelque lieu qu’elles se rencontrent, se trouvent unies d’une liaison de cœur si forte et si intime qu’elles éprouvent que les unions de la nature et des parents les plus proches n’égalent pas celle-là. C’est une union si pure, si simple et si nette qu’il en s’y mêle rien de l’humain et l’on est aussi unis étant loin que près. Or, les intérieurs éprouvent cette union parce qu’ils sont animés d’un même Esprit et qu’ils sont saintement liés dans le cœur et dans l’âme de l’Église. Ce qui fait que, dès la première fois qu’ils se rencontrent, ils se trouvent pris les uns pour les autres, et ont réciproquement une cordialité et une confiance aussi libres et aussi entières que s’ils s’étaient vus et fréquentés depuis cent ans. Cela les surprend agréablement, mais ils le sont encore davantage lorsque, conférant ensemble sur leurs expériences, à l’imitation des Apôtres [42], ils se trouvent n’avoir tous qu’un même langage, et avoir vu les mêmes pays, sans doute parce qu’ils ont tous le même Maître, et que, marchant par une même voie et dans une même vérité, ils tendent à une même vie. Dieu sait bien ménager ces consolations à Ses pauvres et petits serviteurs, tant pour leur donner quelque rafraîchissement dans un voyage si pénible et si long, que pour leur faire entrevoir quelque rayon de Sa lumière par le témoignage des autres au travers de tant d’obscurités dont la voie mystique est couverte. Cela causait même quelque joie aux Apôtres et à leurs disciples : J’ai grand désir de vous voir, écrivait saint Paul [388] aux Romains [43], afin de vous donner, pour vous affermir, quelque part à la grâce spirituelle que j’ai reçue : je veux dire, pour me consoler avec vous par la foi dont vous et moi faisons profession. Nul n’entend mieux ce que cela veut dire que les intérieurs.

Mais, entre tous, Dieu unit plus particulièrement ceux qui sont dans le même degré d’oraison. Leur union est si pure que c’est inconcevable. Ils se parlent plus du cœur que de la bouche, et l’éloignement des lieux n’empêche point cette conversation intérieure. Dieu unit ordinairement deux ou trois personnes de cette sorte dans une si grande unité qu’elles se trouvent perdues en Dieu jusqu’à ne pouvoir plus se distinguer, ce qu’Il fait pour Sa gloire et pour les faire travailler de concert au salut des âmes. C’est à ces cœurs si unis que tout ce qu’ils ont mouvement de demander est accordé. Et ils se trouvent si conformes que très souvent ils ont les mêmes sentiments et, quand l’un a la pensée de demander une chose, l’autre a aussi instinct de le faire. Jésus est toujours au milieu d’eux, parce qu’ils sont toujours unis en Lui et Il se trouve d’autant plus en eux que plus ils sont en Lui et un en Lui-même.

O Unions, que vous êtes différentes des unions humaines et des attaches dangereuses ! Ceux qui les regardent humainement les voient du côté de la chair et du sang et les prennent pour de mauvais attachements. [389] Ces unions ont encore une autre qualité, qui est qu’elles n’embarrassent ni n’occupent point, l’esprit demeurant aussi dégagé et aussi vide d’image que s’il n’y en avait point. D’ordinaire on ne la sent pas, quoiqu’elle soit très intime, mais s’il s’agit de divorce ou de séparation par infidélité, ah ! qu’elle devient sensible ! L’on ne sent pas l’union de l’ongle avec la chair tant que l’on n’y touche point, mais s’il s’agissait de l’arracher, la douleur la ferait bien sentir.

Dieu fait aussi des unions de filiation, liant certaines âmes à d’autres comme à leurs parents de grâce, avec tant de dépendance qu’il faut qu’ils leur obéissent exactement et leur communiquent toutes choses.

 

Chapitre XIX

V.16. Et un certain homme se présentant Lui dit : Bon Maître, quel bien dois-je faire pour avoir la vie éternelle ?

V.17. Jésus lui répondit : Pourquoi M’appelez-vous bon ? Il n’y a que Dieu seul de bon. Que si vous voulez entrer dans la vie, gardez les commandements.

[401] Jésus-Christ qui, comme Dieu, est la bonté essentielle, ne veut pas qu’on l’appelle bon. Il ne disait pas cela pour soi, comme s’Il ne méritait pas d’être appelé bon, mais pour nous apprendre qu’il n’y a que Dieu seul de bon, de même que Lui seul est, et que toute bonté qui n’est pas la Sienne n’est que malice et corruption. Sitôt que l’homme s’approprie quelque chose de ce qu’il a reçu de Dieu, il le salit et en fait un larcin. […]

 

Chapitre XX

V.16. Ainsi les derniers seront les premiers et les premiers seront les derniers parce qu’il y en a beaucoup d’appelés, mais peu d’élus.

[413] C’est la bonté de Dieu qui Le porte à nous faire du bien ; nous ne devons point envier les grâces des autres, mais nous contenter de celles qu’Il nous accorde. Il y a des gens si faibles qu’ils ont envie de tout le bien que Dieu fait aux autres. S’ils comprenaient bien que le bien des biens est de servir Dieu pour Lui-même et sans vue de récompense, ils seraient bien éloignés de ces sentiments intéressés. Une âme qui pourrait servir Dieu sans nul retour de sa part, ou être punie même en Le servant, et qui voudrait Le servir avec d’autant plus de fidélité que plus Ses châtiments seraient rigoureux, serait dans la pureté de l’amour le plus parfait. Lorsque Dieu veut beaucoup faire avancer une âme, Il la traite très longtemps de cette sorte : Il n’a que des rebuts apparents pour tous les services qu’elle Lui rend. […]

 

Chapitre XXI

V.16. Et ils Lui dirent : Entendez-Vous bien ce que ceux-ci disent ? Oui, leur dit Jésus : N’avez-vous jamais lu : vous avez accompli la louange par la bouche des enfants et de ceux qui sont à la mamelle.

[...] Il faut être enfant par la simplicité et l’innocence pour rendre à Dieu une louange parfaite et qui soit digne de Lui, car elle n’est parfaite que lorsque la créature n’y prend rien pour soi, ainsi que les enfants, n’étant capables de rien par eux-mêmes, suivent leurs instincts sans penser à autre chose, et, en usant de la sorte, ils rendent à Dieu la louange la plus parfaite, qui consiste à faire Ses volontés et à s’abandonner à Lui pour ne pas S’en écarter.

Cet état d’enfance spirituelle est le même que celui de l’abandon parfait, qui a tant été recommandé et dépeint en si différentes manières dans tout cet ouvrage sur le crayon des figures innombrables qu’en fournit l’Écriture sainte. Sa perfection consiste à être réduit dans un dénuement si entier de tout ce qui n’est point Dieu, qu’il ne reste plus à l’âme d’autre puissance et d’autre volonté que celle de Dieu, ni d’autre conduite que l’entraînement de Sa providence qui accomplit de moment en moment Son ordre éternel. L’homme a peine à se laisser réduire à un état si dénué, et il n’y peut arriver que par la mort à soi-même et par la perte de tout ce qui était en lui comme à lui, quelque grand et [433] relevé qu’il lui parût, car tout ce qui lui donne quelque soutien ou quelque appui, soit en lui-même ou en quelque créature que ce soit, l’empêche autant de tomber dans l’état de vraie enfance et de parfait abandon, qu’il lui fait encore chercher des assurances de son état et de sa conduite en quelque chose hors de Dieu.

Mais, étant enfin pénétré de la vérité divine, il comprend que ce qui lui paraissait une grande sagesse n’était que folie, à savoir de chercher quelque plus grande assurance que celle de se fier uniquement à Dieu ; et, se trouvant à la fin établi dans la grande liberté que Dieu donne à Ses enfants après avoir passé par tant de déserts d’abîmes, de précipices, de morts et de pertes pour y arriver, il s’écrie avec ravissement que vraiment le Seigneur conduit les justes qui se confient à Lui par des voies droites et sûres [44], quelque obliques et dangereuses qu’elles leur aient paru un long temps et qu’à la fin Il leur montre le Royaume de Dieu, qui est l’immense liberté où ils sont mis par la réelle jouissance de Dieu même, et Il leur apprend  la science des saints qui est cachée avec les mêmes saints en Dieu. […]

 

Chapitre XXII

V.10. Ses serviteurs étant allés dans les chemins, assemblèrent tous ceux qu’ils trouvèrent, bons et mauvais : et toutes les places du festin furent remplies.

[...] Loin que nos péchés, nos imperfections, nos misères, nous doivent empêcher d’aller à Jésus-Christ, c’est pour cela même que nous y devons courir, puisque le remède à tous nos maux ne se peut trouver qu’en Lui. Et quel bien nous feront tous les hommes, quelque habiles ou saints qu’ils soient, si nous ne recourons immédiatement au Sauveur des hommes ? Les [451] hommes nous peuvent donner de bonnes paroles et, tout au plus, nous faire connaître les volontés de Dieu, mais la grâce et la fidélité pour les accomplir, mais la vérité de la conversion et du salut ne se donnent que par Jésus-Christ, car la loi a bien été donnée par Moïse, mais la grâce et la vérité a (ont) été apportée (s) par Jésus-Christ [45]. Ceci doit faire comprendre le tort que l’on fait aux âmes qui veulent se convertir de les arrêter dans de vaines terreurs et de les embarrasser dans un amas d’inventions humaines au lieu de les envoyer droit à  Jésus-Christ.

Convertissez-vous, ô pécheurs ! Quittez ces grands chemins où vous êtes, rentrez en vous-mêmes et venez à ce festin. Vous y serez admis sans doute, car il est fait pour vous et vous ne cesserez point d’être mauvais que vous n’ayez mangé à cette table. Allez-y donc en toute assurance. Mais me direz-vous, où faut-il que nous allions ? Au-dedans de vous-mêmes [46] : car c’est là que vous entendrez l’inspiration divine qui vous convie à ce festin et où vous trouverez bientôt votre Père céleste qui, Se montrant à vous plein de bonté et toujours prêt à vous recevoir, vous fera fondre en larmes de componction, et, vous donnant le baiser de paix et de réconciliation, vous fera entrer dans la vraie et sûre pénitence et vous régalera d’abord des consolations de Sa grâce. C’est une grande méprise que de chercher la consolation hors de nous dans certaines personnes, dans certains lieux et certaines pratiques. Ce n’est qu’au-dedans de nous qu’elle se fait, et ce n’est qu’au-dedans de nous qu’elle se doit chercher pour l’y trouver en Dieu qui [452] veut S’y laisser trouver et nous y faire Ses miséricordes. Le moyen donc de jouir de ce festin salutaire et d’en recueillir les fruits, c’est de rentrer en nous pour écouter ce que le Seigneur nous dira, car Il annoncera la paix à Son peuple, et non seulement à Ses saints, mais aussi à ceux qui rentrent au fond de leur cœur.

L’amour seul guérit tous les maux, et sans l’amour il ne se guérit aucun mal. Dieu ne nous demande que le cœur, car dès qu’Il a le cœur Il a bientôt tout le reste. Cependant on fait autrement : on veut obliger les âmes à donner leur trésor sans donner leur cœur. Leur trésor est dans leur cœur et leur cœur est dans leur trésor : elles ne peuvent donc faire cette division. On veut commencer à les détacher par le dehors de leurs vanités et de leurs inclinations. Cela est impossible, puisque tout leur cœur y est ; tournez ce cœur vers un autre objet et vous verrez que tout le reste tombera en ruine. Le cœur ne sera pas plutôt gagné que tout le reste le sera aussi. Nous donnons aisément toutes choses à une personne à qui nous avons donné notre cœur.

 

Chapitre XXIV

V.13. Mais celui qui persévérera jusqu’à la fin, sera sauvé.

[492][...] Or, vouloir apprendre à aimer Dieu sans apprendre à vivre intérieurement avec Lui, c’est vouloir apprendre à aimer un objet que l’on n’a jamais connu ni possédé, à qui l’on ne parle point et avec qui l’on n’a aucune familiarité. L’amour cherche la présence du bien-aimé ; l’amour veut de la connaissance et du goût de ce qu’il aime ; l’amour veut de la conversation et de la familiarité. Tout cela ne s’éprouve à l’égard de Dieu que dans le plus intime du cœur. Il faut être intérieur pour aimer Dieu. […]

V.26. Si donc on vous dit : Le voici dans le désert : ne sortez point pour y aller. Et si l’on vous dit : Le voici dans le lieu le plus retiré de la maison, ne le croyez point.

[504][...] Ne croyez donc pas ceux qui vous disent que Jésus-Christ est pour vous dans un lieu où vous n’êtes pas. Il est pour vous dans le lieu même où vous êtes : Il est en vous. Songez donc à vous rendre saints dans votre état.

Saint Jean, qui vint le premier annoncer le Royaume du Ciel, le prêcha indifféremment à toutes sortes de gens, leur apprenant ce qu’ils devaient faire pour y entrer, aux Pharisiens, aux Publicains, aux soldats, et généralement à tout le peuple. Il ne leur dit point de sortir de leurs états [...]

V.27. Car, comme un éclair sort de l’Orient et paraît jusqu’à l’Occident, il en sera de même de l’avènement du Fils de l’homme.

Lorsque Dieu daigne venir visiter une âme, Il paraît dans son fond comme un éclair. Il se découvre à elle par un éclat divin qui Le fait [505] d’autant plus paraître seul que plus Il cache à l’âme toutes choses, ainsi que celui qui est frappé de la vive lueur d’un éclair ne peut en ce moment-là apercevoir autre chose que la lumière même qui l’éblouit. Cet éclair passe de l’Orient à l’Occident, pénétrant toute la capacité de l’âme et surpassant même son étendue. Mais ce n’est qu’un éclair qui passe en un instant, sans qu’il soit en notre pouvoir de le faire venir, ni de le retenir quand il paraît. Il en est ainsi des plus vives touches de Dieu en cette vie.

 

Chapitre XXV

V.10. Pendant qu’elles en allèrent acheter, l’Epoux vint : Et celles qui étaient prêtes entrèrent avec Lui aux noces ; et la porte fut fermée.

[530][...]  Le Verbe de Dieu ne vient dans l’âme que lorsque tout y est dans le silence, dans le repos, dans les ténèbres de la foi et dans le dénuement des dons aperçus, ce qui est si clairement exprimé par la similitude de la nuit et exagéré par le minuit et le repos dans lequel est à cette heure-là tout le monde. Le Verbe divin ne vient en l’âme que lorsqu’elle se tait pour L’écouter, et il faut qu’elle perde sa propre parole pour donner lieu à la parole de Dieu. O heureux échange ! Pourquoi a-t-on tant de peine à y consentir ? Ou pourquoi tant de spirituels font-ils craindre cette extinction de notre parole intérieure comme si c’était l’écueil de la vie spirituelle ?

Les âmes donc qui se trouvent prêtes, étant sorties d’elles-mêmes, sont prises et reçues : elles entrent aux noces avec l’Epoux, et sont reçues en Dieu avec Jésus-Christ qui les cache et enferme avec Lui dans le sein de Son Père. C’est là que la porte est fermée, car il ne faut point de témoin de cet admirable commerce et de cette union ineffable de l’âme avec son Dieu. C’est là l’union essentielle et le mariage spirituel dont il a été parlé dans le Cantique [47].

 

Chapitre XXVI

V.8. Ce que voyant Ses disciples, ils dirent avec indignation : À quoi bon cette perte ?

[564] Ce n’est pas d’aujourd’hui que l’on regarde comme une perte le temps que l’on emploie dans le repos divin et tant d’heures précieuses que l’on sacrifie à Dieu seul. Mais que fait une âme dans cette oisiveté ? diront ceux qui n’ont jamais éprouvé ce que l’on y fait. Elle ne fait autre chose que de recevoir et de rendre comme un petit conduit d’eau qui, sortant d’une source, aboutirait à la même eau : il ne ferait que recevoir, sans se mouvoir, les eaux qui lui seraient données, et les laisser recouler à leur source. Il en est de même des âmes occupées de Dieu seul : elles reçoivent et elles rendent, demeurant également et passives aux communications divines, et fidèles à les laisser retourner à Dieu, ce qui se doit toujours entendre avec la différence d’un canal vivant (qui coopère vitalement à tout ce qu’il reçoit) à un conduit inanimé (qui n’y contribue par aucune action). Or Dieu a un plaisir infini à voir une telle âme ainsi passive à toutes Ses opérations et si désintéressée que, quoique des trésors de grâces inestimables coulent par elle, elle n’en retient rien pour soi.

V.9. On eût pu vendre cela bien cher et en donner l’argent aux pauvres.

V.10. Mais Jésus le sachant leur dit : Pourquoi tourmentez-vous cette femme ? Elle a fait une bonne oeuvre en Ma personne,

V.11. car vous avez toujours des pauvres avec vous, mais vous ne M’aurez pas toujours.

[565] L’on tourmente les personnes intérieures de ce qu’elles n’emploient pas leur temps et leur grâce en faveur des pauvres, car il vient un temps où l’on ne peut plus s’appliquer aux œuvres de charité, hors ce qui est du devoir : tout ce que l’on peut faire alors est de demeurer seul avec Dieu seul, étant si pris de l’occupation du dedans que l’on ne peut plus penser à autre chose. […]

V.39. Et S’étant un peu écarté, Il Se prosterna le visage contre terre, priant et disant : Mon Père [587], s’il est possible, que ce calice s’éloigne de Moi ! Toutefois que Ma volonté ne soit pas faite, mais la Vôtre.

[600][...] Il n’y a que ce qui se reçoit en Dieu même (lorsque l’âme étant perdue trouve tout en Lui), qui puisse la contenter pleinement. Alors, ayant tout en Dieu sans distinction, et tout lui étant devenu Dieu, elle devient si grande, si noble et si élevée que tout ce qui n’est pas Dieu Lui-même est indigne d’elle. Aussi doit-elle tout outrepasser par un généreux mépris et une élévation aussi pleine d’humilité que de justice, et soutenue de la fidélité de l’amour, pour se perdre toute en Dieu.

C’est pour cette raison que tout ce qui est donné à l’homme, quelque sublime qu’il soit, ne peut lui donner d’orgueil dès qu’il a connu sa noblesse en Dieu et non en lui, et sa capacité de Le posséder, parce que tout cela lui paraît moindre que Lui, créé qu’il est pour quelque chose de plus grand, à savoir : pour être réuni à l’Être Souverain. Dans cet état, il ne peut plus y avoir ni orgueil ni humilité. Rien ne l’élève, car il est au-dessus de tout et rien ne l’abaisse à cause que la conviction de son néant le rend inaltérable. Ce qui fait l’orgueil des autres lui paraît une bassesse, et la bassesse lui paraît un orgueil. Que si une telle âme se voit dans la distinction d’avec son Dieu, elle se trouve dans son rien, n’ayant rien d’elle ni à elle qu’elle se puisse approprier ; et si Dieu lui ôtait ce qui est à Lui, elle tomberait à l’instant toute dans le néant : elle ne peut donc se glorifier en rien qui soit sien, mais elle se glorifie dans son rien et dans ses faiblesses qui sont propres au néant, et sa gloire vient de ce qu’étant demeurée dans son rien, telle qu’elle est par son origine et ayant appris à s’en contenter par préférence du [601] Tout de Dieu, sans toucher propriétairement à rien de ce qui est à Lui, cette participation de l’Être divin qui lui avait été donnée, par là réunie au Tout, mêlée et transformée en Lui, de sorte que cette âme est Dieu [48] et rien moindre que Dieu n’est digne d’elle. […]

 

Chapitre XXVIII

V.8. Elles sortirent promptement du sépulcre avec crainte et avec beaucoup de joie et elles coururent porter cette nouvelle aux disciples.

Ces saintes femmes n’ont pas plutôt reçu leur mission apostolique que sans délai elles sortent du sépulcre, c’est-à-dire de l’état caché et tout intérieur par lequel elles étaient enfermées en elles-mêmes, pour obéir à l’ordre du Ciel. Il faut avoir une grande fidélité pour faire sans délai et sans hésiter tout ce que Dieu veut de nous et sans regarder à notre propre intérêt, ni s’il y a plus de sûreté pour nous dans la retraite que dans la vie tout exposée au-dehors pour le service des âmes ou pour un emploi extérieur. Quiconque use encore de ces observations n’est pas dégagé de l’amour de soi-même, ni délaissé à Dieu au point qu’il le doit être, mais ceux qui ont perdu toute volonté dans celle de Dieu et noyé tout raisonnement dans la foi ne sauraient plus ni hésiter ni discerner ; au contraire, se laissant aller au gré de la Providence, ils sont persuadés qu’ils entreront d’autant plus infailliblement dans l’ordre de Dieu que moins ils l’examineront et qu’ils en useront plus simplement avec Lui.

Ce n’est plus notre affaire que de penser à nous après nous être abandonnés à l’entraînement divin. Après une donation irrévocable de nous-mêmes, c’est une infidélité que de vouloir encore chercher nos précautions. Lorsque la mission est donnée, il faut s’en acquitter dans la volonté de Dieu, mais on ne doit [696] jamais se porter par soi-même à aider aux autres. Cependant, dans le commencement qu’une âme est mise dans l’état apostolique, elle entre dans la crainte sur ce qu’elle se voit dans des pratiques toutes contraires à ce qu’elle faisait autrefois, et qu’elle avait même regardé comme un défaut pour elle. Il faut néanmoins le faire : le temps en est venu, Dieu veut d’elle toutes choses nouvelles, et, quoiqu’elle sente cette crainte, elle n’est que superficielle, car au reste, dans le fond, elle se trouve comblée de joie dans la vue et par l’expérience de sa nouvelle liberté, et c’est de cette manière qu’elle s’acquitte de sa mission.



 

Évangile de Marc

Chapitre I

V.15. Et disant : Le temps est accompli ; le Royaume de Dieu est proche. Faites pénitence, et croyez à l’Évangile.

[...] L’âme rentre au-dedans de soi par le recueillement, et y étant entrée, elle se trouve disposée à recevoir les divines influences et les impulsions de Dieu, qui est dans le fond comme un soleil qui ne demande qu’à pénétrer l’air de sa lumière ; mais Il ne le fait pas parce que nous ne sommes pas exposés à Ses divins rayons ou que nous y sommes, tout au plus, d’une manière oblique, ce qui ne donne pas [Tome III, 10] assez de lieu à leur pénétration ; cependant plus notre retour est achevé, plus nous sentons les impressions et les rayons brûlants de ce divin soleil, mais si nous ne sommes pas tournés vers Lui, mais qu’au contraire, nous sommes tout [49] au-dehors, il y a une interposition si forte entre ce beau soleil et notre âme qu’Il devient tout éclipsé pour nous et nous tombons dans le froid de la mort.

C’est ce qui fait qu’il y a si peu de conversions durables, parce qu’on ne s’y prend pas de la bonne manière : l’on se contente de réformer le dehors sans se tourner au-dedans, de sorte que l’on demeure toujours froid et languissant, et ce même froid cause souvent la mort. O âme, veux-tu recevoir la vie ? Demeure toujours exposée à la chaleur vivifiante de ce divin Soleil, ne t’en détourne jamais et tu trouveras en Lui un véritable repos.

V.16. Un jour, passant sur le rivage de la Galilée, il vit Simon et André qui jetaient leurs filets dans la mer, car ils étaient pêcheurs.

V.17. Il leur dit : Venez après Moi et Je vous rendrai pêcheurs d’hommes.

V.18. À l’heure même, ils quittèrent tout et Le suivirent.

Jésus-Christ n’oblige point à changer d’état, mais Il perfectionne l’état même. Tous les maux et les désordres de la plupart des hommes viennent d’une fausse persuasion qu’ils ont que l’on ne peut être à Dieu sans changer d’état. C’est un abus : il faut quitter ce qu’il y a de mauvais dans l’état sans quitter l’état, le rectifiant, le sanctifiant et le perfectionnant autant qu’il est possible. Un marchand peut [11] devenir saint en continuant son négoce, retranchant seulement l’injustice, l’avarice et le mensonge, devenant loyal et fidèle, et ainsi du reste. Rien ne nous empêche de faire notre devoir dans notre état. Dieu n’est point contraire à Lui-même : lorsqu’Il nous appelle à un état, Il nous donne nécessairement tout ce qui est conforme à cet état. C’est pourquoi Il a mis le royaume de Dieu au-dedans de nous afin que nous le trouvassions en toutes choses et qu’il n’y eût point d’état et d’emploi qui nous empêchassent de jouir de Sa présence. Car, enfin, qui empêche un marchand dans son négoce de penser à Dieu qui est dans son cœur, de Lui lancer de temps en temps des regards amoureux ? Il se délivrera par là de la corruption du siècle ; cela n’empêche pas son commerce : au contraire, il ne sera jamais plus libre pour vaquer à ses affaires que lorsque son cœur sera plus uni à Dieu.

 L’abus de la plupart des hommes vient de ce que, s’étant faussement persuadés qu’il faut changer d’état pour se sanctifier, ils ne songent pas à se sanctifier dans leurs états. [12][...] Jésus-Christ a mené une vie toute commune, afin que tous la puissent imiter et l’on rend la perfection si difficile que l’on empêche tout le monde de l’entreprendre : l’on écarte les enfants de leur Père parce que l’on ne leur prêche que Ses rigueurs et non Ses bontés ; l’on rend la perfection inaccessible, c’est ce qui fait que nul ne s’efforce d’y arriver ; nul ne peut ni ne veut y prétendre, et se remplissant de la prévention d’une chose impossible, tous s’excusent d’y tendre et l’on regarde une tentative là-dessus comme une chose fort extraordinaire : cependant rien de meilleur que Dieu, rien de plus aisé que la perfection. La perfection est de trouver Dieu. Dieu est en nous et Il s’y est mis afin que nous Le trouvions. Rien de plus aisé à trouver qu’une chose que nous possédons en nous-mêmes. La perfection consiste à connaître que nous avons Dieu en nous, à L’y chercher et à L’y trouver. Jésus-Christ nous apprend que le royaume de Dieu est en nous [50]: Il nous ordonne de le chercher [51] et Il nous assure que quiconque le cherche le trouve [52]. Rien n’est plus aisé que cela. Ceux qui cherchent trouvent infailliblement. Il ne tient qu’à nous de trouver puisqu’il ne tient qu’à nous de chercher. Il ne tient donc pour être parfait qu’à faire cette recherche. J’avoue que la perfection, prise du côté de la créature, et envisagée par ses propres efforts, est rendue impossible ; mais du côté de Dieu, rien n’est si facile : il n’y a qu’à chercher en nous le Royaume de Dieu et Sa justice, tout le reste est [13] donné par surcroît, et sans penser à la perfection, cherchant seulement ce règne de Dieu en nous, toute la perfection nous est donnée.

 

Chapitre II

V.3. Il vint à lui quatre hommes qui portaient un paralytique.

V.4. Mais parce que la presse [foule] ne leur permettait pas de le lui présenter, ils découvrirent le toit du lieu où il était et descendirent le lit dans lequel le paralytique était couché.

V.5. Jésus, voyant leur foi dit à ce paralytique : Vos péchés vous sont pardonnés.

La foi qui porta ces hommes à exposer ce malade auprès de Jésus-Christ est extrêmement instructive. Ce paralytique était si fort la figure du pécheur que l’on n’en peut pas douter, puisque Jésus-Christ même ne lui parle que de la guérison de ses péchés, de la guérison de son âme, non de celle du corps. Tout ce que l’homme peut faire est d’exposer à Dieu un malade de cette sorte ; cette manière de la présenter à Dieu marque si bien l’oraison de simple exposition qu’il ne se peut rien de plus naturel. Les sens et les puissances s’unissent ensemble et se tournent au-dedans, découvrant le lieu où Dieu habite, qui est le fond de l’âme ; alors cette âme s’expose seulement à son Dieu avec toutes ses misères, elle se voit incapable de Lui pouvoir rien dire ; son cœur parle et sa bouche se tait. L’état de ce malade fait assez voir ce qu’il demande, c’est pourquoi Jésus-Christ, sans attendre qu’il Lui [21] parle, prévient son mal et lui dit : “Vos péchés vous sont pardonnés.” Pourquoi Jésus-Christ lui parle-t-Il de la sorte ? C’est, selon l’Écriture, à cause de leur foi. L’oraison de simple exposition est une oraison de foi qui obtient plus que toutes les paroles. Un pauvre couvert de plaies qui se tait , et qui expose seulement ses blessures attire plus la compassion que tous ces grands parleurs : il obtient ce qu’il ne demande pas, au lieu que les autres n’obtiennent presque rien de ce qu’ils demandent. L’on peut voir de cet endroit de l’Écriture que l’oraison de simple exposition est même très utile aux pécheurs, car l’on ne s’expose pas plutôt de cette sorte que l’on cesse d’être pécheur quand on viendrait de commettre le crime, parce que l’âme ne peut point se tourner au-dedans que la première conversion ne soit faite du péché à la grâce, et, de la grâce, on se tourne vers Jésus-Christ. Cela se peut faire en un clin d’œil, de sorte que si l’on trouvait un pécheur assez docile pour pouvoir se présenter et s’exposer à Jésus-Christ, il cesserait par cette même exposition d’être pécheur et Jésus-Christ le guérirait infailliblement.

Il faut remarquer que l’Écriture dit qu’à cause de la foule et du tumulte ils ne pouvaient passer jusqu’auprès de Jésus-Christ, mais qu’ils découvrirent la maison où Jésus-Christ était. O que ces circonstances sont belles ! La foule des créatures, le tumulte des passions, est ce qui empêche les pécheurs d’arriver à Jésus-Christ. Et qui voudrait attendre que cette foule fût passée, ou croire le trouver au travers de ce tumulte, n’en viendrait jamais à bout.

V.6. Or il y avait là quelques-uns des scribes assis qui conçurent ces pensées dans leur cœur :

V.7. Que dit cet homme ? Il blasphème : qui peut remettre les péchés que Dieu seul ?

[22] Ce n’est pas d’aujourd’hui qu’on a condamné cette manière de remettre les péchés, puisqu’on le faisait même du temps de Jésus-Christ. L’on dit que c’est un blasphème que de s’exposer de la sorte devant Dieu et de croire que par là les péchés sont guéris, qu’il faut avoir quitté toutes les affections du péché avant que de s’exposer de la sorte ; enfin, l’on y veut prouver qu’il faut être parfait avant que d’en venir à Jésus-Christ. [23][...] Il suffit de s’approcher toujours plus de Jésus-Christ pour s’en éloigner infiniment [du péché], comme une personne qui, sans penser à quitter un lieu, ne ferait autre chose qu’avancer toujours plus vers un qui lui serait tout à fait opposé, et sans penser ni regarder si elle s’éloigne de ce lieu, marchant seulement et avançant vers celui qui lui est contraire, s’en trouverait enfin peu à peu très éloignée : si cette personne voulait regarder si elle s’éloigne, elle ne le pourrait faire sans se retarder, et son retardement durerait autant que son retour vers le lieu qu’elle abandonne, de sorte que si elle regardait toujours ce lieu ,elle resterait toujours arrêtée ; ou, si elle marchait, elle marcherait infailliblement vers ce qu’elle a quitté. Cela est clair. Cependant c’est ce que l’on fait faire aujourd’hui aux âmes : l’on veut, dit-on, qu’elles se quittent elles-mêmes et on les tient toujours courbées vers elles-mêmes et l’on veut qu’elles en soient toujours occupées. C’est une chose impossible ; il faut donc les porter à [24] demeurer toujours auprès de Dieu, n’envisageant que Lui, ne se regardant jamais elles-mêmes, ni aucune créature. Lorsque l’on en use de la sorte, l’on vient aisément à bout de tout et l’on se trouve insensiblement séparé de soi et de toutes les créatures.

V.11. Je vous dis : Levez-vous, prenez votre lit et vous en allez dans votre maison.

V.12. Il se leva aussitôt, emporta son lit et s’en alla devant tous [...].

[25][...]  Il faut que le cœur soit premièrement gagné, qu’il soit tourné vers son Dieu, qu’il soit animé de Son Esprit : alors toutes les actions du dehors seront vivantes. Je n’entends pas parler ici de la grâce commune, car je sais que toutes les actions qui ne sont pas faites en péché mortel sont des actions vivantes, mais je parle d’un certain principe vivifiant que toutes les personnes intérieures éprouvent, d’un germe de la présence de Dieu qui donne vigueur et vie à tout ce que l’on fait.

 

Chapitre IX

V.33. Mais ils se turent, parce que le sujet de la dispute qu’ils avaient eue pendant le chemin était, qui d’entre eux était le plus grand.

 [...] Rien ne nous possède si fort que le désir d’être quelque chose. Nous aspirons tous à cela. Ceux qui le font, ce semble, avec plus de justice sont les personnes spirituelles qui ne tendent qu’à s’élever dans l’ordre de la grâce. Les gens du monde ambitionnent d’être [65] quelque chose dans le monde, et de s’y faire distinguer. Les religieux de même dans leur ordre. Les gens savants veulent paraître, et les personnes spirituelles ne tendent qu’à s’établir dans l’être moral et vertueux. Mais où en trouve-t-on qui tendent à n’être rien ? [...] La profondeur de notre bassesse fait notre plus grande élévation parce qu’elle donne lieu à Dieu d’être tout en nous. […]

V.49. Ayez du sel en vous-mêmes, et gardez la paix entre vous.

[72] ...nul être ne peut être créé qu’il ne soit nécessairement un écoulement de ce Verbe ; tous ceux qui auront le bonheur de vivre de la vie divine se trouveront réunis agréablement avec cette seule vie du Verbe dans l’unité de Dieu seul, avec d’autant plus d’agrément et de profondeur qu’ils auront donné plus de lieu à cette vie immense du Verbe de s’étendre en eux, de sorte que l’étendue de cette vie du Verbe en l’âme sera l’étendue de la béatitude de cette créature.

Cette vie du Verbe, ayant par sa nature une immensité parfaite, lorsque l’âme la restreint par quelque propriété, la vie du Verbe est en elle comme dans un état violent, mais, lorsque la propriété est ôtée, cette vie s’étend plus ou moins selon que cette propriété est parfaitement arrachée et qu’il se trouve moins d’obstacles, dilatant l’âme par sa vertu à mesure qu’Il Se communique à elle, et plus cette âme s’étend, plus le Verbe s’écoule abondamment en elle, de manière que dans les bienheureux il n’y aura nulle résistance qui empêche cet écoulement de la vie du Verbe en eux ; ce qui fera que tous les saints n’ayant qu’une même vie, auront tous part au commerce ineffable de la Trinité par lequel cette vie du Verbe s’écoulera toujours plus en eux sans que l’éternité la puisse épuiser. Et, comme ils seront sans propriété, cette même vie du Verbe les fera toujours écouler en l’unité de Dieu seul, comme elle s’y écoule sans cesse elle-même, en naissant incessamment, et y recoulant incessamment, en sorte qu’il n’y a pas le moindre instant entre la réception de la vie du Père communiquée au Verbe et cette même [73] vie du Verbe recoulée dans le Père. Toute l’éternité a fait et fera ce flux et reflux égal et infini, qui n’ayant ni commencement, ni fin, ni interruption, fait une égalité parfaite entre la Personne qui communique et Celle à qui il est communiqué.

Le Verbe ne reçoit donc rien qu’Il ne communique. Et quoique, comme Personne, il soit vrai de dire qu’Il reçoit tout du Père et qu’Il n’a rien qui ne Lui soit communiqué du Père dans l’unité d’essence, toutefois, il est aussi principe dans les communications mêmes qu’Il reçoit sans qu’il y ait un instant de division entre la réception et la communication, parce que, recevant tout de Dieu le Père, qui Se communique au Verbe sans réserve, Il rend tout à ce Père sans réserve ; et, en Lui rendant et recevant, Il recoule en Lui en unité de principe pour produire un Dieu aussi grand et en tout égal à cet unique principe. Parce qu’Il rend tout ce qu’on Lui donne, tout se trouve consommé dans une seule et divine essence qui demeure toujours une, quoique les communications nécessaires en Dieu fassent incessamment et nécessairement la distinction très réelle, sans qu’il y ait aucun instant entre l’Unité de l’essence et la Trinité des Personnes. L’Unité n’a point été devant la Trinité, ni la Trinité n’est point autre que l’Unité, quoique les personnes de la Trinité dans l’Unité d’un même Dieu soient véritablement distinctes, de sorte que cette Unité et Trinité dans ses opérations internes a toujours été, est, et sera la même.

Il y a eu un temps où cette vie divine d’Unité et de Trinité a voulu s’écouler et répandre au-dehors. C’est pourquoi Dieu a créé des [74] sujets propres à communiquer cette vie [75] …tous les hommes justes participent excellemment à cette vie du Verbe qui est un écoulement continuel. Mais comme le Verbe rend incessamment ce qu’on Lui communique, il faut de même que l’homme rende incessamment ce qui lui est communiqué.

[...] Il faut donc que l’homme, et tous les êtres qui ont une vie, rendent ce qu’ils reçoivent, ou qu’ils cessent de recevoir, car, quoique le Verbe soit communicatif de Sa nature, Il ne peut communiquer que pour rendre, et Il ne peut communiquer aux hommes qu’à mesure qu’ils rendent ce qu’ils reçoivent, parce que, si l’homme pouvait retenir quelque chose de ce qui lui est communiqué, par là il détruirait une partie de Dieu autant qu’il en est capable ; de même que si le Verbe pouvait retenir et ne pas S’écouler dans Son Père, et avec Lui dans le Saint-Esprit, il faudrait que Dieu fût détruit, ce qui est impossible. De sorte qu’il faut nécessairement que tous les êtres possibles communiqués par le Verbe s’écoulent en Dieu. Cela est clair.

C’est pour cette raison que la propriété est entièrement et directement opposée à Dieu, parce qu’elle veut retenir cette vie du Verbe et se l’approprier, ce qui est impossible. Il faut qu’elle arrête les communications divines, plus ou moins, selon que la propriété est [76] forte ; de plus elle prive Dieu de la plus grande gloire qu’Il puisse avoir au-dehors, qui est de communiquer Sa vie. C’est pourquoi la propriété rend l’homme criminel et est la source de tous les désordres.

[77][...] Lorsque la propriété n’est pas mortelle, l’âme n’est pas alors comme un canal bouché qui ne peut rien recevoir ni rien rendre, mais elle est comme un canal étroit, plus ou moins selon que la propriété est forte, en sorte qu’il y en a en qui le Verbe ne S’écoule qu’à peine et d’une manière si petite qu’il s’en faut peu que le canal ne soit entièrement bouché. Mais lorsque la propriété est arrachée, rien n’empêche plus ce canal de recevoir et de rendre ce qu’il reçoit, et ce qui est admirable, c’est qu’en perdant la propriété, il perd toute restriction et il contracte une qualité souple et pliable propre à être étendue. […]

 

Chapitre X

V.15. Je vous dis en vérité que qui ne recevra pas le Royaume de Dieu comme un enfant n’y entrera point.

 [82][...] L’état d’enfance est, pour le dedans, une simplicité parfaite, un oubli de tout ce qui nous concerne ; pour le dehors, un abandon total à tout ce qui arrive, sans rien prévoir ni penser, recevant les biens et les maux comme Dieu les envoie. Un enfant ne pense ni à être une chose ni une autre, il ne pense pas même s’il vit ou comme il vit ; il laisse faire de lui tout ce que l’on veut ; s’il est tombé par terre, il ne peut se relever si l’on ne le relève. L’enfant agit tout naturellement et dans la simplicité de la création, il est exempt de duplicité et de malice. Voilà comme on en doit user, ou plutôt c’est l’état où il faut être, car ce n’est point une chose pratiquée avec soin et gêne, mais c’est une chose qui est donnée tout naturellement et qui vient de l’état simple où l’âme est mise. […]

V.52. Allez, dit Jésus : Votre foi vous a sauvé. Il [l’aveugle] vit en même temps, et suivait Jésus dans le chemin.

[...][91] Jésus-Christ lui dit : Allez, votre foi vous a sauvé, parce qu’il n’y a que la foi seule qui puisse guérir l’aveuglement de l’esprit. La foi paraît ténèbres parce qu’elle aveugle par sa clarté les yeux de la raison ; et la raison paraît lumineuse parce que l’on distingue quelque lueur. Il faut pour guérir cet aveuglement (que l’on prend pour lumière) que la lumière de la foi vienne peu à peu, comme un beau soleil, absorber dans sa lumière ces petites étoiles de la raison et les éteindre par l’excès de sa lumière. Ce n’est pas que les étoiles n’aient toujours leur même lumière, mais c’est que la lumière du soleil est si forte, qu’elle surmonte si absolument la lumière des étoiles qu’elle paraît les obscurcir : elles ont pourtant les mêmes lumières par rapport à elles-mêmes, mais elles sont en obscurité par rapport au soleil. Il en est de même de la raison et de la foi : lorsque le soleil de la foi se lève par une grâce plus forte et plus abondante, il paraît obscurcir les lumières de la raison. Il faut nécessairement que la foi surmonte la raison, sans quoi, quelque éclairés que nous paraissions à l’égard de nous-mêmes, nous serons toujours très aveugles à l’égard de Dieu ; mais dès que la foi est parfaite et que par son moyen l’on a trouvé Jésus-Christ, l’on est d’abord éclairé de la vérité et l’on marche à sa suite. […]

 

Chapitre XII

V.34. Jésus, voyant qu’il avait sagement répondu, lui dit : vous n’êtes pas loin du Royaume de Dieu […].

[100][...] Avoir l’expérience de l’amour, c’est être dans le Royaume de Dieu. C’est pourquoi il est si nécessaire et si sûr de s’y prendre par le cœur, parce que tout consiste dans l’amour. L’amour est dans le cœur, il faut donc aller à Dieu par le cœur et non par l’esprit.

 


Évangile de Luc  

Chapitre I

V.41. Aussitôt qu’Élisabeth eût entendu la voix de Marie qui la saluait, son enfant tressaillit de joie dans son sein et elle fut remplie du Saint-Esprit.

[153][...] Sitôt qu’une personne en qui Jésus-Christ est formé s’approche d’une autre qui est bien disposée, elle lui communique un certain principe vivifiant qui remplit son âme de joie et de contentement. Il s’opère en elle une grâce qu’elle ne comprend pas, mais que les personnes d’expérience savent bien. […]

V.53. Il a rempli de biens ceux qui étaient affamés et a renvoyé vides ceux qui étaient riches.

 [...] C’est de cette sorte que s’explique [164] en très peu de mots toute l’économie de la vie spirituelle. Dieu s’applique à vider ce qui est plein et à remplir ce qui est vide. Ces deux mots comprennent seuls tout ce que l’on peut dire de la vie intérieure. Il faut donc laisser Dieu remplir les vides et vider la plénitude. L’on laissera plus aisément remplir le vide que l’on ne laissera vider la plénitude, et c’est là l’endroit où presque toutes les âmes manquent, se laisser vider à Dieu. Dieu, pour combler les affamés de biens, que fait-Il ? Il les remplit de Lui-même. Mais lorsqu’Il veut vider ces riches de la plénitude de leurs richesses, Il semble les renvoyer et les éloigner de Lui, et cet éloignement cause peu à peu leur vide. Lorsque l’on sait ce secret de se laisser remplir et vider, il n’y a plus de difficulté pour toute la vie intérieure.

V.76. Et vous, petit enfant, vous serez appelé le prophète du Très-Haut, car vous irez devant le Seigneur pour Lui préparer Ses voies.

[172] Il n’y a que l’état d’enfance et d’innocence qui puisse préparer les voies au Seigneur : il faut devenir enfant afin qu’Il vienne en nous. O, que les âmes qui entrent dans les voies de l’enfance spirituelle sont heureuses ! Elles avancent plus en un mois par cette voie qu’en toute autre en je ne sais combien d’années ; elles entrent dans une liberté parfaite, elles sont les prophètes du Très-Haut : ce sont ces enfants qui annoncent la vérité de Dieu et qui la proclament partout pour le Très-Haut  [53] et pour Celui qui doit seul dominer parce que ces enfants ne prennent rien et ne s’approprient rien.

V.77. En donnant à son peuple la connaissance du salut afin qu’il reçoive la rémission de ses péchés.

C’est cet état d’enfance qui peut seul donner la connaissance du salut, bien différente de tout ce que l’on s’imagine. O que la connaissance et l’expérience que ces enfants en ont, est bien autre que celle que tous ces docteurs s’imaginent ! Et c’est dans cet état d’enfance que l’on reçoit le pardon de tous ses péchés, en sorte qu’ils demeurent si oubliés et si effacés qu’ils [173] paraissent comme étrangers à l’âme, et elle se trouve dans une heureuse impuissance de les commettre.

V.78. Par les entrailles de la miséricorde de Dieu qui ont porté le Soleil levant à nous visiter d’en-haut.

Mon Dieu ! Que ceci est expressif ! Les seules entrailles de la miséricorde de Dieu, qui ne consultent que Sa bonté dans les grâces qu’Il nous veut faire, sans regarder en nous ni mérite, ni démérite, nous ont fait cette miséricorde signalée d’envoyer ce Soleil divin se lever, et dissiper peu à peu les ténèbres de notre ignorance et du péché, comme le soleil de la nature dissipe peu à peu les ténèbres de la nuit. Et c’est là l’état de l’âme en qui Jésus-Christ Se lève pour y communiquer Sa vie et Sa lumière par une grâce qui ne peut venir que des entrailles d’un Père tout plein de bonté.

V.79. Pour éclairer ceux qui sont assis dans les ténèbres et dans l’ombre de la mort, pour conduire nos pieds dans le chemin de la paix.

Mais ce divin Soleil ne se lève dans l’intérieur que pour éclairer ceux qui savent demeurer assis et se reposer par un abandon total dans l’état de mort, et dans les plus épaisses ténèbres ; l’âme n’est pas plutôt en paix dans son sépulcre, sans vouloir être autrement que ce qu’elle est dans la volonté de Dieu, que ce divin Soleil, Jésus-Christ, se lève dans cette âme pour l’éclairer et la faire marcher dans le chemin de la paix, exempte de tout trouble, de toute crainte, dans une entière liberté. […]

Chapitre II

V.35. Vous en aurez vous-même l’âme percée d’une épée de douleur afin que les pensées de plusieurs soient découvertes.

 [195][...] Il faut savoir que les mères spirituelles dont Dieu Se sert pour enfanter les âmes à Jésus-Christ les enfantent en Lui avec des douleurs inconcevables. Dieu leur fait porter toutes les infidélités de leurs enfants : sans qu’Il le leur déclare, elles ne peuvent l’ignorer par le contrecoup qu’elles en ressentent [54]. […]

 


 

Chapitre III

V.5. Toute vallée sera remplie ; toute montagne et toute colline seront abaissées ; les chemins tortus [55] deviendront droits, et les raboteux, unis.

[208][...]  Ensuite l’Écriture ajoute que toute vallée sera remplie, parce que la véritable disposition à la plénitude, c’est le vide absolu : plus il y a de profondeur de vide, plus il y aura de plénitude. Mais il faut remarquer que l’Écriture ne fait point dire à saint Jean : “Videz-vous et vous serez remplis”, comme elle lui fait dire de la pénitence : c’est que la pénitence est toujours une opération active de la créature aidée et secourue de la grâce ; mais le vide ne se peut jamais opérer par la créature, non plus que la plénitude : c’est une chose passive pour l’âme. C’est pourquoi saint Jean dit que toute vallée sera remplie, parce qu’il n’y a que Dieu qui puisse remplir le vide comme il n’y a eu que Lui qui l’ait pu opérer. Ainsi il est ajouté : Toute montagne et toute colline seront abaissées ; les chemins âpres, rudes et inégaux seront rendus aisés, unis et faciles. L’on ne trouvera plus de peine dans tout ce qui paraissait autrefois de plus difficile, parce que tout ce qu’il y avait de tortu et de gauchissant sera redressé par une entière droiture et simplicité. Dès que l’âme est dans cette parfaite droiture et simplicité, qu’il n’y a plus rien en elle qui gauchisse, ô, alors il n’y a plus rien pour elle d’âpre ni de difficile : c’est pourquoi le Prophète-Roi disait : Lorsque Vous aurez étendu mon cœur, je courrai dans la voie de Vos préceptes [56]. Lorsque ce qui était élevé est abaissé et que les vides sont remplis, que toutes les inégalités sont ôtées, il se fait un chemin uni très large et spacieux qui est une dilatation et étendue pour l’âme, qui la fait courir sans craindre aucune chute. […]

 

Chapitre V

V.6. Les ayant jetés [les filets], ils prirent une si grande quantité de poissons, que leurs filets se rompaient.

[224][...] Mais quand faut-il pêcher et entrer dans l’état apostolique ? Lorsqu’on a travaillé toute la nuit inutilement, c’est-à-dire qu’il faut avoir passé la nuit de la foi la plus obscure et la plus nue, en sorte qu’ayant vu par sa propre expérience l’inutilité de son travail, l’on désespère absolument de soi-même. Tel était saint Pierre lorsqu’il dit à son Maître qu’il avait travaillé inutilement toute la nuit. Ce travail de la nuit est que l’âme se voyant dans une si étrange obscurité et nudité cherche par son travail à se procurer quelque chose : se voyant si inutile, elle voudrait s’employer au-dehors à quelques œuvres de charité, elle voudrait faire quelque chose pour Dieu, mais son travail demeure infructueux, parce qu’il n’est pas de l’ordre de Dieu. L’âme voyant donc ses tentatives inutiles, elle entre dans une si grande défiance de son travail qu’elle ne pense plus à rien faire qu’à demeurer en repos dans la barque de l’abandon, lorsque, tout à coup, le Maître lui ordonne de sortir de ce repos et d’agir au-dehors. Elle s’en défend d’abord, alléguant son impuissance ; cependant par une démission totale de son propre esprit et par une perte entière de volonté, aussi bien que par une lumière qui est donnée, alors que le peu de succès de son travail n’est venu que parce qu’elle agissait par elle-même et qu’elle n’était pas assez soumise à son Dieu, elle s’abandonne à Lui de nouveau en Lui disant : Je m’en vais jeter le filet sur Votre parole, je n’agirai plus moi seule, ce sera Vous qui agirez, ce ne sera plus cette parole stérile et inféconde qui parlera, ce sera Votre parole toujours puissante et efficace, [225] par laquelle tout est fait et sans laquelle rien n’est fait. O ! de tout mon cœur, je veux bien jeter le filet sur Votre parole, je jetterai le filet et Vous ferez la capture, je serai l’organe de la parole, mais c’est Vous, qui êtes la parole, qui Vous insinuerez dans le cœur et qui produirez tous les effets que Vous prétendez. C’est de cette manière que doit agir l’homme apostolique : tant qu’il veut faire quelque chose par lui-même, il ne fait rien, mais sitôt qu’il cesse d’être et d’opérer et qu’il n’est qu’un faible instrument, ô, c’est alors que se font les merveilles ; aussi l’Écriture ajoute-t-elle qu’ils prirent une si grande quantité de poissons que leurs filets se rompaient. […]

V.8. Simon Pierre voyant ce miracle, se jeta à genoux en disant : Seigneur, retirez-vous de moi,  parce que je suis un homme pécheur.

[227][...] Les âmes encore commençantes se soutiennent et se flattent dans les grandes choses que Dieu opère par elles, elles en ont une certaine joie et vigueur secrète et, quoiqu’elles ne veuillent pas se les attribuer, elles en conservent un certain soutien foncier qui les met dans une assurance secrète de la bonté de leur voie. Il n’en est pas de même des âmes avancées et qui éprouvent leur propre corruption : les grandes choses que Dieu fait par elles les anéantissent étrangement, et il semble que ce soit une nouvelle lumière qui ne serve qu’à leur mieux faire discerner leur ordure et leur bassesse. Les faveurs leur sont plus insupportables que les plus extrêmes châtiments ; et cela dure jusqu’à ce que l’âme vienne à un état d’une parfaite insensibilité, qu’elle n’ait plus ni peine ni plaisir dans ces choses parce qu’elle ne se voit plus elle-même ni Dieu agissant par elle, mais elle est évanouie et disparue ; elle ne se distingue plus dans aucun  bien. Le premier état est celui d’une âme vivante dans les grâces de Dieu, qui prend tout en vie et en soutien ; le second état est celui d’une âme mourante qui prend tout en mort et en anéantissement ; mais le troisième est l’état d’une âme anéantie, qui n’est plus et ne subsiste plus en quoi que ce soit, et c’est l’état où il faut être lorsque l’on est établi dans l’apostolat, sans quoi l’on ne pourrait point remplir son ministère. Le premier état nous rendrait propriétaires de ce que Dieu ferait en nous et par nous ; le second nous empêcherait d’agir en pleine liberté par la vue de notre bassesse : mais le troisième fait que l’âme ne s’arrêtant ni à ce qu’elle est, ni à ce qu’elle n’est pas, exécute dans une pleine liberté d’esprit toutes les volontés de Dieu. [...].

 


 

Chapitre VII

V.37. Or il y avait dans la ville une femme pécheresse, qui, ayant su qu’il mangeait chez le Pharisien, y apporta un vase d’albâtre plein d’huile de parfum.

[249][...] La pureté de l’amour fut si prompte en Madeleine qu’il n’y eut point d’instant en elle entre la pécheresse et l’amante. Jésus-Christ la regarda et, comme l’héliotrope, elle fut fidèle à suivre le mouvement du Soleil et à se tourner à ses regards. O ! regards si pénétrants et si puissants ! ils fondent d’abord la glace la plus endurcie. O si nous voulions bien nous exposer à ces divins regards ! Nous serions en un instant changés de démons en anges. Si Madeleine n’avait pas suivi l’avis de sa soeur qui la porta à aller écouter Jésus, elle n’aurait pas été le modèle de toutes les âmes intérieures. Madeleine ne fit que deux choses pour entrer en un état si sublime : elle s’approcha de Jésus-Christ, s’exposant doucement à Ses regards divins qui lui dardèrent des rayons si vifs et si pénétrants que son cœur se fondit ; ensuite elle L’écouta. Elle s’exposa et écouta : voilà la préparation que Madeleine fit à un état si sublime, mais elle n’eut pas plutôt écouté qu’elle put dire avec l’épouse : Mon âme s’est fondue sitôt que mon bien-aimé a parlé [57] ; elle fut dès lors fondue et liquéfiée, parce que le feu fut si ardent qu’il fit en Madeleine la plus forte opération de l’amour, et il fit par son ardeur et sa véhémence en cette amante fortunée ce qu’il fait dans les autres par sa longueur [58].

 

Chapitre X

V.40. Marthe qui s’occupait avec empressement à divers services, se vint présenter devant Jésus et Lui dit : Seigneur, ne considérez-vous point que ma soeur me laisse servir toute seule ? Dites-lui donc qu’elle m’aide.

V.41. Mais Jésus lui répondit : Marthe, Marthe, vous vous empressez et vous vous troublez de beaucoup de choses.

V.42. Cependant une seule chose est nécessaire : Marie a choisi la meilleure part qui ne lui sera point ôtée.

Ah ! mes frères, qui combattez la voie intérieure ou qui ne voulez pas y entrer, ce seul passage ne devrait-il pas vous convaincre de sa nécessité et de son avantage ? Tout ce qui a été dit jusqu’à présent dans l’Ancien et le Nouveau Testament est presque tout renfermé dans ces paroles : quitter la multiplicité, le soin, le souci, l’empressement, pour entrer dans la simplicité, l’unité, l’abandon, le délaissement, la [285] paix, la tranquillité et le silence ; quitter la multiplicité et le trouble de l’action pour entrer dans le repos de la contemplation, après quoi on sera en état de pratiquer une vie mixte qui est d’être au-dehors dans l’action sans sortir du repos de la contemplation.

 Tout le mal est que l’on a voulu faire deux états différents et séparés de deux états qui doivent se trouver réunis dans un même, mais qui ne le peuvent être que dans leur temps. L’action n’est pas mauvaise : il n’y a que l’empressement de l’action. Or cette action n’est empressée que parce qu’elle ne part pas d’un fond simple et anéanti. Il faut, pour que l’action soit bonne, qu’elle imite celle de Dieu ; c’est pourquoi Jésus-Christ nous dit : Soyez parfaits comme votre Père céleste est parfait. Dieu est un et multiplié : il faut être de même, un par l’union du dedans et multiplié par le dehors dans la volonté de Dieu. Mais comme cette multiplicité pour le dehors ne doit être que lorsque Dieu nous y engage par Lui-même, nous devons toujours tendre de nous-mêmes à l’unité. Jésus-Christ, le parfait modèle que nous devons suivre, a été trente ans caché avant que de se donner au-dehors pour nous apprendre qu’il faut être entièrement établi dans l’intérieur avant que de se répandre dans l’extérieur. […]

 

Chapitre XXII

V.65. Et ils proféraient beaucoup d’autres blasphèmes contre Lui.

[412] Cette face n’est autre que la Divinité de Jésus-Christ qui se trouve imprimée en tous les hommes [...] Nous avons été prédestinés pour être conformes à cette image et Dieu n’a pu avoir d’autre dessein dans tout le bien qu’Il fait aux hommes que de les disposer par là à laisser retracer sur eux cette image qui ne se peut point retracer sur une planche mouvante ni sur un fond agité et troublé, mais sur une âme paisible et tranquille. Comme l’eau troublée ne peut point recevoir l’image du soleil telle qu’elle est : il n’y a que celle qui est claire et paisible. Or l’eau ne s’éclaircit point par quelque effort ; au contraire tout ce que l’on pourrait faire par là ne servirait qu’à la troubler : il faut la laisser [413] reposer, rasseoir et tranquilliser. Une petite pierre jetée dans une eau bien calme ne sert qu’à la troubler et y faire des rides ; de même une petite action propre brouille ce fond paisible et, plus l’action est forte, plus ce fond et cette belle eau (est) sont troublé(e)s. Mais lorsque rien n’empêche ce beau Soleil de s’imprimer en nous, c’est alors que nous ne pouvons plus rien craindre. […]

 

Chapitre XXIII 

V.47. [...] Je remets Mon esprit entre Vos mains. Et disant ces paroles, Il expira.

Toutes ces choses n’arrivèrent pas plutôt à la mort de Jésus-Christ que Jésus-Christ, faisant une remise de Son âme et de Son esprit entre les mains de Son Père, expire. L’âme n’est pas plus tôt dans cet état que, finissant son sacrifice par un délaissement total de tout elle-même, elle expire heureusement entre les bras de l’amour. Mais pourquoi Jésus-Christ dit-Il en mourant ces paroles si mystérieuses : Mon Père, je remets mon esprit entre Vos mains ? C’est pour apprendre à toutes les âmes abandonnées et sacrifiées que, sitôt qu’elles cessent de vivre en elles-mêmes, leur âme passe en Dieu et que Dieu reçoit en Lui cette âme de qui la partie inférieure demeure délaissée dans la pâleur et dans la faiblesse de la mort, comme l’âme de Jésus-Christ fut reçue dans le sein de Dieu dans le temps même que Son corps était froid et abandonné de vie et de soutien. Il en est de même de l’âme en cet état : la partie supérieure est unie à Dieu pendant que l’inférieure reste quelque temps dans le froid de la mort ; mais sitôt que la mort mystique est achevée, l’âme, sans délai, est reçue entre les mains de Dieu, quoiqu’elle ne soit pas pour cela transformée, ce qui ne se fait que par l’anéantissement total après la mort, et c’est la différence de l’union à la transformation. Il faut remarquer que, comme nonobstant que le corps de Jésus-Christ fût mort, la Divinité n’en fut point séparée et la division de l’âme et du corps de Jésus-Christ ne fit point de séparation de la Divinité, qui resta toujours unie au corps et à l’âme de [429] même aussi, quoique la partie inférieure reste dans la mort, elle ne laisse pas de participer à l’union de la partie supérieure ; mais c’est en mort totale en sorte qu’elle n’en connaît et n’en distingue rien. […]

 

Chapitre XXIV

V.36. Lorsqu’ils s’entretenaient de la sorte, Jésus Se présenta Lui-même au milieu d’eux, et leur dit : La paix soit avec vous ; c’est Moi ; n’ayez point de peur.

...Tout ce qui regarde un bien futur et un avantage auquel on peut prétendre, ou comme don, ou comme récompense, est l’objet de l’espérance et de la foi, et non pas de l’amour qui aime aveuglément et sans autre vue que celle d’aimer : il aime non une chose future et qui doit être, mais une chose qui est. L’amour fait sa résidence dans la volonté, qui est une puissance souveraine, mais aveugle, qui ne peut rien regarder dans l’amour que l’amour même qu’elle goûte et qu’elle voit en goûtant, le discernant par son goût et par son expérience et non par ses yeux ; c’est pourquoi l’amour, même le profane, est peint avec un bandeau sur les yeux pour marquer que le véritable amour n’a point [445] d’yeux : il aime et c’est assez. Ceux qui condamnent si fort les personnes qui aiment Dieu pour Lui-même et qui ne peuvent point penser au Paradis ni le désirer, non plus que craindre l’enfer, ne voient pas qu’elles se méprennent beaucoup en ce point, faute d’avoir fait attention que le désir du ciel est l’objet de l’espérance aussi bien que les promesses futures sont l’objet de notre foi, et que, la foi et l’espérance étant jointes ensemble, l’une croit ce qui est promis et l’autre l’espère. Mais la charité ne peut point envisager tout cela : elle ne peut qu’aimer et lorsque l’âme est fort avancée et réduite dans l’unité et qu’elle commence déjà à devenir une, peu à peu l’entendement et la mémoire perdent, ce semble, leurs fonctions et se trouvent tomber dans l’unité de la seule volonté ; alors ils perdent aussi tout objet distinct et il ne reste que le seul objet de la volonté sans autre objet distinct : tout se trouve réuni dans la seule volonté qui, étant la puissance souveraine, attire après elle les deux autres et se les unit, ce que les autres puissances ne peuvent point faire ; elles peuvent bien émouvoir la volonté, mais jamais se l’unir et la surpasser, comme la volonté absorbe les autres puissances. Or, comme la foi appartient à l’entendement et l’espérance à la mémoire, ces deux vertus, par la réunion des deux puissances, se trouvent absorbées et surmontées par la seule charité qui se les unit, mais comme une souveraine qui prend le dessus et les change en elle, de sorte que, lorsque tout est en unité, la foi et l’espérance disparaissent quant à l’usage, quoiqu’elles restent quant à l’habitude, et il ne reste que la seule charité qui, ayant tout [446] surmonté, agit en souveraine et est réunie en son seul objet présent et non futur. Or cet objet est Dieu, qui est toujours présent, et le Ciel et la gloire future ne peu[ven]t point être l’objet de la charité, qui ne peut aimer que ce qui se peut posséder et que ce qui est : elle aime et jouit, et, quand elle ne jouirait pas, elle aimerait.

C’est ce qui fait que, dans le ciel, il n’y a plus ni foi ni espérance : tout est perdu et absorbé dans la seule charité, non seulement parce que la jouissance fait perdre la foi et l’espérance, puisqu’un objet présent n’a pas d’espérance ni de foi, mais aussi parce que tout est dans l’unité qui est la pure charité. Or, plus on approche de l’unité, plus on sent perdre toute foi et espérance, et lorsque l’âme est réduite en unité, elle ne distingue plus ni foi ni espérance, tout étant réuni dans la seule volonté où la jouissance de son objet et son expérience semblent (et il est vrai) éteindre la foi et l’espérance ou, plutôt, les surmonter par la seule charité. Or comme celui qui demeure en charité demeure en Dieu, celui qui demeure en Dieu Le possède nécessairement et Le possédant, il ne peut ni Le désirer ni vouloir Le posséder davantage, parce que la possession ôte tout désir. Celui qui peut encore désirer ne possède pas. Or dans le ciel, la foi ne sera plus l’objet de l’entendement, mais la claire connaissance ; l’espérance ne sera plus l’objet de la mémoire, mais la jouissance absorbera tout : un regard ferme et toujours direct en Dieu éclairera tout sans qu’il soit besoin d’exercer la mémoire. Toutes les puissances subsisteront, quoique leur objet change quant à ce qui regarde la foi et l’espérance, qui seront perdues dans la vue et dans la [447] possession, mais la charité subsistera seule et sera perfectionnée en Dieu où tout se trouvera réuni dans le même Dieu, qui absorbe tout en lui, perdant l’âme incessamment en Lui-même, et la transformant de clarté en clarté et d’amour en amour.

C’est ce bonheur ineffable qui se commence dès cette vie sitôt que tout est réuni dans la seule charité et, l’âme y étant établie, elle demeure dans cette charité et demeurant dans la charité elle demeure en Dieu, car Dieu est charité [59]. Si cela est de la sorte, comme l’on n’en peut douter, celui qui demeure en Dieu possède Dieu et en est possédé ; le possédant, il ne L’espère et ne Le désire plus. On dira qu’il désire une plus grande possession : cela ne peut point être parce qu’il est dans un rassasiement parfait qui ôte toutes pensées et tous désirs ; ce rassasiement ne vient pas de ce qu’il ne peut croître en amour, car il peut toujours augmenter dans ce même amour, mais de ce que, l’âme étant pleine selon sa capacité, et ne pouvant contenir davantage que ce qu’elle a, elle ne peut rien désirer davantage. Elle augmente cependant toujours en charité, parce que Dieu étend et dilate toujours davantage cette capacité réceptible [sic] , mais cela ne cause ni vide ni désir, car, à mesure qu’Il l’élargit, Il l’emplit, et en l’emplissant, Il l’étend et l’accroît toujours davantage de sorte qu’elle augmente incessamment sans cesser d’être pleine, la même opération qui fait la plénitude faisant la dilatation. Mais cette dilatation ne se peut faire que par la perte de la propriété : alors tout est facile et rien ne fait plus de peine, il n’y a plus de chute, car l’âme est toujours, non seulement en charité, mais en plénitude de charité. C’était la connaissance qu’en avait David qui lui faisait dire : Lorsque Vous aurez étendu mon cœur, je courrai dans la voie de Vos préceptes sans que rien me fasse tomber.



 

Évangile de Jean

Chapitre I

V. 5. Et la lumière luit dans les ténèbres, et les ténèbres ne l’ont point comprise. [Tome IV, 7]

Cette lumière, Jésus-Christ lumière du Verbe, luit dans les sacrées ténèbres de la foi. L’âme est pénétrée de la lumière de la vérité, mais elle ne la distingue pas. Ces ténèbres sont pleines de cette lumière, quoiqu’elles restent toujours ténèbres à l’égard de la créature, à cause de sa faiblesse. Et elle ne comprend pas la lumière, parce qu’elle surpasse ses ténèbres, et qu’elle est plus grande qu’elles ; elle les absorbe comme on voit la lumière du soleil aveugler les yeux de ceux qui le regardent et les mettre en ténèbres, sa lumière étant si forte qu’elle met toutes les autres lumières en ténèbres. O sacrées ténèbres de la foi ! La lumière qui vous éclaire est si forte que, ne la comprenant pas, vous croyez toujours être dans les ténèbres. C’est une chose admirable que les âmes de foi, étant les plus éclairées de toutes, comme leur lumière surpasse toutes les lumières : elles croient n’avoir point de lumière, parce qu’elles n’en ont point de distinctes. Au lieu que les âmes qui ont des lumières et des connaissances distinctes paraissent très éclairées quoiqu’elles le soient très peu.

V. 10. Il était dans le monde et le monde a été fait par Lui, et le monde ne l’a point connu. [9]

C’est une chose étrange que cette divine lumière soit en tous les hommes et que presque tous les hommes l’ignorent : Elle est dans le monde, et le monde la fuit et la condamne. Le monde a été fait par Jésus-Christ, tout a été fait par Lui et sans Lui rien n’a été fait, et cependant l’on craint de se laisser conduire par Lui. Quoi ! craindre de laisser gouverner une chose par Celui qui l’a faite ! L’ignorance de l’Esprit du Verbe en nous, et de Sa lumière, cause tous les maux.

V. 11. Il est venu chez Lui et les Siens ne L’ont point reçu. [10]

Nous sommes tous  la demeure de Dieu [60]. Il est venu demeurer et habiter en nous, selon le témoignage qu’Il en rend Lui-même : Nous viendrons,  dit-Il, à lui et nous ferons notre demeure en lui [61]. Il est donc venu dans le cœur de l’homme comme dans une maison où Il désirait de demeurer, parce que Ses délices sont d’être avec les enfants des hommes [62].

V. 12. Mais Il a donné le pouvoir à tous ceux qui L’ont reçu de devenir enfants de Dieu, à ceux qui croient en Son nom. [11]

 [...]  Recevoir Jésus-Christ dans son cœur, et bannir tout ce qui peut Lui en empêcher l’entrée, se soumettre à Son empire souverain, se laisser conduire à Lui, demeurer en Sa compagnie, se laisser posséder par Lui, ô c’est un bonheur inconcevable. Ceux qui ont cet avantage ont celui de devenir enfants de Dieu,  parce qu’ils participent non seulement, comme dit saint Paul, à l’adoption des enfants, mais, étant devenus un même esprit avec Lui [63], ils sont transformés en Son image [64].

V. 13. Qui ne sont point nés du sang, ni de la volonté de la chair, ni de la volonté de l’homme, mais qui sont nés de Dieu. [12]

Il est parlé ici de la naissance spirituelle et des productions dans les âmes. Il faut que l’intérieur et l’état, pour être conformes à la filiation divine, soient de Dieu. Ce ne sont point les gens charnels qui comprendront les choses de l’esprit, et les opérations qui viennent de la nature, du sang et de la chair, ne sont point celles qui nous rendent les véritables enfants de Dieu ; ni même celles qui partent de la volonté de l’homme : quoiqu’elles soient bonnes, elles ne portent pas la qualité d’enfants de Dieu, mais de fidèles serviteurs, ainsi qu’il est dit : bon et fidèle serviteur. Il faut qu’ils partent de Dieu, [13] que l’intérieur soit opéré par Dieu même, et qu’Il soit le principe de toutes nos actions. Nos enfants sont nos productions, mais afin que ce que nous produisons appartienne à Dieu par le droit de filiation, il faut qu’il soit aussi de Lui : toutes les actions qui viennent d’un principe charnel sont toutes charnelles ; celles qui viennent d’un principe humain sont humaines ; celles qui sont d’un principe vertueux sont vertueuses, et partent de la bonne volonté de l’homme aidée de la grâce ; mais celles dont Dieu est le principe sont divines ; et ainsi, pour que nous soyons nés de Dieu, il faut que nous soyons de nouvelles créatures[65] en Jésus-Christ, et que tout ce qui est de l’ancienne, qui sont les productions de la chair, et du sang, et de la volonté de l’homme, soit passé, perdu et écoulé. Il faut pour que nos actions appartiennent à Dieu, qu’Il en soit le principe.

V. 15. Jean rend témoignage de lui et il crie en disant : Voici Celui dont je vous disais : Celui qui doit venir après moi a été préféré à moi, ou élevé au-dessus de moi, parce qu’Il était avant moi [66].[14] 

Saint Jean rend, comme il a été dit, témoignage de Jésus-Christ : la voie de la pénitence reconnaît que la voie intérieure, qui consiste à se laisser conduire à Jésus-Christ, est préférable à la sienne, qu’elle y a été préférée, parce que la conduite de Jésus-Christ est plus grande et plus élevée, et même plus ancienne, puisque c’était [15] celle qui était en Adam innocent, qui se laissait conduire à l’Esprit du Verbe avant la chute. La pénitence n’est que depuis le péché, et la motion divine est avant le péché. Dans la loi de grâce et dans la réparation, c’est cette motion divine qui a le premier rang, mais comme elle est empêchée par la péché, il faut que, sitôt que nous avons péché, la pénitence Lui vienne préparer la voie comme Il Se l’était préparée Lui-même dès le commencement des siècles : mais sitôt qu’elle a préparé la voie, elle doit laisser Jésus-Christ prendre la place, parce que cette voie de la conduite de Jésus-Christ est plus grande et plus ancienne que celle de la pénitence.

V. 18. Personne n’a jamais vu Dieu. C’est le Fils unique qui est dans le sein du Père qui L’a fait connaître. [16]

Et afin de nous porter à nous laisser conduire et animer par Jésus-Christ, l’évangéliste nous avertit d’une chose : que ce n’est point par l’effort du raisonnement ni par toutes les lumières naturelles que nous connaîtrons Dieu ; nul ne S’en peut rien figurer, et toutes les lumières les plus fortes des hommes n’ont servi qu’à faire paraître leur erreur, leur égarement et leur ignorance. Personne n’a jamais vu Dieu : il est donc inutile de croire que toutes nos connaissances nous en puissent donner une idée juste. [...] S’il n’y a que Jésus-Christ qui fasse connaître Dieu , laissons-Le donc agir en nous afin qu’Il nous Le fasse connaître en imprimant en nous Son image.

V. 25. C’est pourquoi ils lui demandèrent : D’où vient donc que vous baptisez, si vous n’êtes ni le Christ, ni Elie, ni le Prophète ?

V. 26. Jean leur répondit :  Pour moi je baptise dans l’eau, mais il y en a un au milieu de vous que vous ne connaissez pas.

V. 27. C’est Lui qui doit venir après moi, qui m’a été préféré, et je ne suis pas digne de délier les cordons de Ses souliers. [19]

Les Pharisiens, qui ne faisaient cas que de l’extérieur de la pénitence et que de ce qui était extraordinaire, firent encore de nouvelles interrogations à saint Jean, qui attirèrent une réponse admirable : Pour moi, dit ce grand saint, comme figure de la pénitence et comme précurseur du Messie, je baptise dans l’eau, je sers seulement à purifier les dehors, et c’est à moi que vous vous attachez seulement, mais il y en a un au milieu de vous, Il est bien au milieu, puisqu’Il est dans votre cœur, dans le plus profond de vous-mêmes, et vous ne Le connaissez pas. N’est-ce pas une chose étrange qu’ayant en nous-mêmes un si grand bien nous l’ignorions ? Vous ne Le connaissez pas, leur dit saint Jean, et votre ignorance vous porte à me faire les interrogations que vous me faites. O si vous Le pouviez connaître et vous attacher à Lui, que vous seriez heureux ! Il est avant moi, puisqu’Il habite dans les âmes dès le moment de leur création : c’est pourquoi saint Jean dit qu’Il était dès le commencement. Il mérite d’être préféré à moi, et, quoique je paraisse purifier l’extérieur, je suis si peu de chose par rapport à Lui, que je [20] ne mérite pas de délier Ses souliers, c’est-à-dire de Lui donner entrée dans l’âme, et, s’il ne faisait Lui-même toute ma valeur et mon mérite, je serais très peu de chose : je n’ai de valeur et de mérite que celui que j’emprunte de Lui.

V. 38. Jésus se retournant et voyant qu’ils Le suivaient, Il leur dit : Qui cherchez-vous ? Ils Lui répondirent : Rabbi, c’est-à-dire Maître, où demeurez-vous ?

V. 39. Il leur dit : Venez et voyez. Ils vinrent et virent où Il demeurait et ils demeurèrent chez lui ce jour-là ; et il était environ la dixième heure. [24]

Jésus voyant qu’ils le suivaient se retourne. O amour ! On ne vous suit pas plutôt au premier signal que vous faites que vous vous tournez : l’âme n’est pas plutôt convertie à vous et tournée vers vous que vous vous tournez vers elle, selon l’assurance que vous lui avez donnée par votre Prophète : Convertissez-vous à Moi et je Me retournerai vers vous [67]. L’âme n’est pas plutôt retournée à son Dieu que son Dieu Se tourne à elle, et lui demande ce qu’elle cherche ou désire afin de le lui donner. [...] Jésus-Christ montre le lieu où Il demeure, c’est-à-dire qu’Il donne quelque connaissance à cette âme de Sa vie divine. Il lui fait même part pour quelque temps de cette vie divine en union passagère, comme pour lui donner un gage de ce qu’Il fera un jour en sa faveur : tout se passe en connaissance et en lumière distincte.

V. 40. André, frère de Simon Pierre, était l’un des deux qui avaient entendu dire ceci à Jean et qui avaient suivi Jésus.

V. 41. Et ayant trouvé le premier son frère, il lui dit : Nous avons trouvé le Messie, c’est-à-dire le Christ.

V. 42. Et il l’amena à Jésus. Jésus, l’ayant regardé, lui dit : Vous êtes Simon, fils de Jonas. Vous serez appelé Céphas, c’est-à-dire : Pierre.

L’âme n’a pas plutôt connu Jésus-Christ par le moyen de la pénitence et goûté Sa douce présence qu’elle voudrait en faire part à tout le monde. Dans l’ardeur et la joie de cette nouvelle découverte, on voudrait l’annoncer à tout le monde, et convier tous ceux que l’on connaît à prendre part à un si grand bien. Dieu Se sert souvent des âmes commençantes, dans la ferveur de leur amour, pour en gagner d’autres.

Saint Pierre ne fut pas plutôt arrivé à Jésus-Christ, qu’Il lui change de nom, le choisissant pour la [26] pierre fondamentale de son édifice [68]. Selon tous les raisonnements humains, saint André, qui était l’aîné de saint Pierre, et le premier des Apôtres, qui avait gagné saint Pierre à Jésus-Christ, qui devait toujours persévérer, sans faillir, comme saint Pierre, ne devait-il pas être la pierre fondamentale ?  

V. 48. Nathanaël lui demanda : D’où me connaissez-vous ? Jésus lui répondit : Je vous ai vu avant que Philippe vous appelât, lorsque vous étiez sous le figuier.

V. 49. Alors Nathanaël lui dit : Maître, vous êtes le Fils de Dieu, le Roi d’Israël.

Jésus-Christ voit et connaît avant que d’appeler ou faire appeler. Le premier appel de Jésus-Christ se fait par un regard : Il regarde l’âme et, en la regardant, Il l’attire doucement et [29] fortement ; ensuite, après qu’Il a disposé l’âme par Son attrait, Il lui envoie quelqu’un par providence qui lui apprend à trouver Jésus-Christ et qui le lui montre. Jésus-Christ Se sert ordinairement des voies communes, et non de l’extraordinaire, autant que cela se peut : Il appelle les âmes au-dedans par Son regard, mais Il envoie quelques personnes apostoliques à qui Il communique Son Esprit, qui lui servent de guide pour les introduire à Jésus-Christ. Ces personnes apostoliques ne peuvent dire qu’une chose :  Venez et voyez, jugez-en par votre expérience, car tout ce que l’on vous en peut dire n’est rien au prix de ce qui en est.

 

Chapitre II  

V. 1. Trois jours après, il se fit des noces à Cana de Galilée et la Mère de Jésus y était.

V. 2. Jésus était aussi invité à ces noces avec Ses disciples.

Il serait bien à souhaiter que toutes les noces se fissent de cette sorte, que Jésus-Christ, Sa Mère et Ses disciples y assistassent : toutes les noces seraient saintes. C’est un abus étrange qui s’est introduit dans le monde, que les personnes qui sont à [31] Dieu ne doivent point se marier : cela fait que bien des gens ne se veulent point donner à la dévotion. [...]

V. 3. Or, le vin étant venu à manquer, la mère de Jésus Lui dit : Ils n’ont point de vin.

V. 4. Jésus lui répondit : Femme, qu’y a-t-il entre vous et Moi ? Mon heure n’est pas encore venue.

Mon Dieu, que ceci est divin ! Qu’arrive-t-il à ces noces ? C’est que, premièrement, le vin manque. Toute la force et la vigueur qui restaient à l’âme se perdent absolument, tout reste de soutien lui est ôté, il ne reste plus rien : l’anéantissement est absolu, et la perte parfaite. [...][32] Dans le sens mystique, Jésus disait à sa mère : Ô femme bénie entre toutes, j’ai fait une union avec vous si étroite que je ne la puis faire pareille avec nul autre : Qu’y a-t-il entre vous et moi ? Mon corps n’est-il pas formé de votre sang ? Et j’ai épousé en vous la nature humaine par une union hypostatique [69] qui ne s’opérera jamais dans nulle autre créature. Je sais que ce que vous demandez est que j’épouse cette âme mystiquement, et que je sois formé en elle. Mais mon heure n’est pas encore venue [33] pour cela. Il y a encore une chose à faire avant que je sois formé en elle : c’est que non seulement elle soit détruite et anéantie, mais qu’elle soit changée, que son être moral soit changé en Moi, et, comme votre sang s’est changé en Ma chair, et que le vin sera changé en Mon sang, il faut qu’elle soit transformée en Moi ; mais l’heure n’est pas encore venue. Cependant elle va venir puisque je vais commencer à l’opérer par un ordre admirable qu’il est aisé de remarquer.

V. 5. La mère dit aux serviteurs : Faites tout ce qu’Il vous dira.

 La première préparation aux noces est l’obéissance à l’aveugle à toutes les volontés de Dieu : il faut faire tout ce qu’Il ordonne, sans vue, sans retour et sans réflexion, sans hésiter ni douter. Si l’âme n’a point passé par cette dépendance absolue et cette obéissance aveugle aux desseins de Dieu, qu’elle ait encore quelque restriction, elle n’est pas propre pour le mariage spirituel, et, quelque faveur qu’elle ait déjà reçue, ce n’est point cette dernière. Cet avis de la sacrée Vierge est très important : Faites, dit-elle, tout ce qu’Il vous dira, car mon obéissance aveugle m’a rendu épouse du Saint-Esprit et mère de Jésus-Christ, de sorte que si vous voulez être épouse, il faut que votre obéissance égale en quelque chose la mienne, et vous serez mère de mon Fils, le produisant dans les âmes par l’état apostolique.

V. 6. Or il y avait là six urnes de pierre pour servir à la purification des Juifs dont chacune tenait deux ou trois mesures.

V. 7. Et Jésus leur dit :  Remplissez d’eau ces urnes . Et ils les remplirent jusqu’au haut.

[34] Les six urnes servaient à la purification des Juifs : c’est la figure de la purification des âmes intérieures, figurées par les Juifs. Cette purification est de six urnes, c’est-à-dire qu’elle se fait de six choses que nous avons déjà dites : l’abandon, la mort, l’anéantissement, la foi nue, le sacrifice pur et la perte totale ; tout cela sont des choses vides, car toutes ces six choses ou états par où passe l’âme, et qui ont un si grand rapport entre elles, la vident absolument. L’abandon vide de toute propre conduite, la foi nue dissipe les propres lumières, le sacrifice pur évacue toute opération et tout usage de nous-mêmes pour petit qu’il soit, la mort nous prive de notre propre vie, l’anéantissement nous détruit absolument et nous arrache toute subsistance ; la perte totale, nous ôtant tout soutien, nous fait entièrement défaillir et perdre totalement, en sorte qu’il ne reste ni vie ni être moral, ni subsistance, ni aucune chose qui se puisse nommer ; de sorte que, par ces six purifications propres aux Juifs, c’est-à-dire aux âmes abandonnées, on est disposé pour le mariage divin.

 Ensuite Jésus-Christ les fait emplir d’eau, c’est-à-dire qu’il est donné à l’âme une vie nouvelle lorsque le vide est parfait, mais vie très bien comparée à l’eau à cause de sa pureté, netteté et simplicité. L’eau a des qualités admirablement rapportantes à cette nouvelle vie, qui sont qu’elle est sans odeur, sans couleur, sans saveur, sans consistance : aussi cette nouvelle vie, par sa pureté et sa netteté, est sans rien qui la puisse faire distinguer : elle est sans [35] couleur et propre à prendre toutes celles que l’Époux voudra lui donner ; elle n’a ni odeur ni goût, et elle peut prendre toutes les odeurs et tous les goûts qu’il plaira à l’amour de lui donner ; elle n’a ni forme ni consistance, mais elle prend toutes les formes de tous les lieux où il plaît à Dieu de la mettre, prenant telle figure qu’on veut, et n’en prenant jamais aucune, elle peut toujours s’écouler et elle n’a rien de solide qui puisse l’arrêter. Voilà donc les qualités qui préparent l’âme au mariage et à la consommation des noces divines [70].

V. 8. Alors Jésus leur dit : Puisez maintenant, et portez-en au maître d’hôtel, et ils lui en portèrent.

V. 9. Le maître d’hôtel ayant goûté de cette eau qui avait été changée en vin, ne sachant d’où venait ce vin, quoique les serviteurs qui avaient puisé l’eau le sussent bien, il appela l’époux.

V. 10.  Et lui dit :  Il n’y a point d’homme qui ne serve d’abord le meilleur vin, puis, quand on a un peu bu, il sert le moindre, mais vous au contraire, vous avez gardé le bon vin jusqu’à cette heure. 

L’âme n’est pas plutôt en nouveauté de vie après la résurrection spirituelle, qu’elle est comme une eau très claire, pure et nette comme nous avons vu, ayant toutes les qualités de l’eau ; c’est alors que, n’ayant plus de qualités propres ni aucune consistance, elle peut s’écouler en Dieu sans peine, et elle s’y écoule aussi ; mais avant ce temps il faut encore qu’elle change d’eau en vin, qu’elle soit changée et transformée en Dieu ; c’est alors, et dans ce même instant, que se fait la consommation du mariage [36] spirituel où le Verbe prend l’âme pour Son épouse, Se l’unit non plus par un simple attouchement, mais l’absorbe, la dévore, la change en Lui. Ce n’est pas assez de la recevoir en Dieu, et qu’elle soit cachée avec Lui en Dieu : Il l’avale, pour ainsi dire, comme ce vin se boit, et c’est là que se fait la véritable transformation. Il S’unit essentiellement à elle, mais Il la change en Lui : comme un excellent vin qui est bu se change en la substance de celui qui le boit, cette âme se trouve changée en Jésus-Christ et transformée en Lui par une parfaite charité ; comme le feu change le fer en sa qualité de feu, le rendant ardent et brûlant comme lui, à la réserve qu’il reste toujours du fer ; ou pour mieux parler, comme il transforme le bois en lui donnant ses qualités sans que le bois en garde de particulières, de même cette âme se trouve toute transformée en charité et en amour, cet Époux la change en Lui après qu’elle est passée en Lui. C’est la doctrine de saint Paul que cette  transformation [71], et ce passage de l’âme en Dieu qui précède la transformation est prouvé par ces autres paroles : Passez en Moi, vous tous qui Me désirez avec ardeur [72]. Comment passer en Dieu, sinon par cet écoulement de nous-mêmes en Lui comme il a été dit ? Et c’est alors que se fait le mariage spirituel où il y a communication de substance, comme chose passée dans une autre, et il se consomme par la transformation totale de cette même chose où il ne reste plus de distinction ni de différence, [tant] ce mélange est parfait [73] [37].

Mais cette opération si admirable n’est jamais du commencement de l’état, comme l’on se persuade d’ordinaire lorsque l’on éprouve cet état d’union d’amour sensible, mais seulement pour cette heure qui est la fin et la parfaite transformation. Il y a des demi-transformations : notre esprit paraît tout transformé de clarté en clarté dans le temps des illustrations divines ; la mémoire paraît changée lorsqu’elle ne représente plus que de bons et saints objets, la volonté paraît changée en amour, lorsqu’elle en est toute brûlante, et c’est là le premier vin présenté à l’époux, mais qu’il est différent du dernier, où les puissances ne sont pas seulement changées en ces choses, mais où le fond de l’âme est changé en Dieu même, avec toutes les distinctions [cependant] qui ont été faites plusieurs fois et qu’il ne faut pas répéter ici !

V. 11. Jésus fit ce commencement de miracles dans Cana de Galilée, par lequel Il fit connaître Sa gloire et Ses disciples crurent en Lui.

Après avoir montré que ce miracle représente le mariage spirituel dans toutes ses circonstances, il faut voir comment il est aussi le premier état de l’âme que Jésus-Christ opère en elle. Il ôte premièrement à l’âme cette faiblesse qui lui est comme naturelle et qui fait que ses jours s’écoulent dans les plaisirs et dans les choses de la terre comme l’eau. Il change cette faiblesse de la créature, qui la porte au mal comme une eau malheureuse qui s’écoule incessamment sur la terre, dans la force divine, lui donnant des commencements de Sa charité, qui l’anime d’une certaine force et vigueur secrète et même très sensible qui lui fait [38] opérer le bien avec plus de facilité qu’elle n’en avait pour le mal. C’est pourquoi, sitôt que l’Épouse commença à se convertir et à goûter les douceurs des mamelles de l’Époux[74], Il la mena dans Ses celliers pour la changer en vin. C’est le premier miracle ou changement qu’Il opère en l’âme, du moins qui fasse éclat et qui relève la grandeur de Dieu et la manifeste devant les hommes.

V. 13. La Pâque des Juifs étant proche, Jésus s’en alla à Jérusalem,

V. 14. où, ayant trouvé dans le temple des gens qui y vendaient des boeufs et des moutons et des colombes, Il y trouva aussi des changeurs qui y étaient assis.

V. 15. Mais, ayant fait un fouet de cordes, Il les chassa tous hors du temple avec les brebis et les boeufs, jeta par terre l’argent des changeurs et renversa leurs tables.

V. 16. Il dit à ceux qui vendaient des colombes : Ôtez tout cela d’ici et ne faites pas de la maison de Mon Père une maison de trafic.

Jésus-Christ, qui pardonne et tolère toutes choses, ne peut souffrir qu’on profane le temple. Il ne fait rien à mille et mille pécheurs qui s’adressent à Lui, qui sont en apparence chargés de crimes, et Il ne peut souffrir que l’on commerce dans le temple ; Il veut que tous les temples Lui soient consacrés et Il est plus jaloux de ceux qui sont les plus nobles. Or de tous les temples, il n’y en a aucun qui égale la dignité de ce temple vivant qui est notre intérieur : c’est pourquoi Jésus-Christ ne saurait souffrir qu’on le profane, non seulement par des crimes, mais par des commerces. Cependant tous les hommes [39] font de leur intérieur un lieu de commerce et de trafic : ils s’y entretiennent avec les créatures de leurs affaires, de tout ce qui les concerne et ne s’occupent jamais de Dieu ; et toutefois ce fonds de l’âme est la maison de Dieu qui Lui doit être entièrement consacrée et où l’on ne doit s’occuper que de Lui seul. D’où vient que la plupart des personnes se plaignent de la distraction dans leurs prières ? C’est qu’elles font de leur esprit et de leur intérieur un commerce continuel et un lieu de marché où l’on est incessamment occupé de tout ce qui n’est point Dieu, et où l’on n’est point occupé de Dieu. Mais il n’y a que Jésus-Christ seul qui puisse empêcher ce commerce et chasser tous ces négociateurs. Il le fait immanquablement sitôt qu’on Lui donne entrée dans le temple : nous ne lui donnons pas plutôt entrée dans notre cœur qu’Il en bannit tout le reste.

 [40] Commercer sur l’argent, c’est s’entretenir des choses de la terre, s’en remplir et occuper, quoique l’on assure qu’on ne le fait que pour faire des charités. Il faut les faire, mais il ne faut pas s’occuper des choses de la terre, mais laisser à Dieu tout le soin : il faut travailler au-dehors, mais ne s’en point occuper par le dedans. [...][41] Ce commerce des colombes est que l’âme, au lieu de rester dans l’état de simplicité, veut raisonner sur la simplicité et croit que cela est le meilleur pour se rendre simple ; cependant elle sort, par là même, de la simplicité, se multipliant davantage. Être simple par état est infiniment plus parfait que de raisonner sur la simplicité. C’est pourquoi notre Seigneur leur dit :  Ôtez d’ici tout ce commerce et laissez le temple vide de toutes ces choses, et alors vous serez dans la véritable simplicité qui est le vide et la nudité. [...]

V. 20. Les Juifs répartirent :  On a employé quarante-six ans à bâtir ce temple, et vous le rebâtirez en trois jours ? 

V. 21.  Mais Il parlait du temple de son corps.

[43] Jésus-Christ parlait non seulement de Son corps naturel, mais de Son corps mystique ; il parlait de chaque âme en particulier qui en fait une partie. Après qu’on a employé une longue suite d’années à bâtir ce temple, à le bâtir et édifier, il est après cela entièrement détruit et renversé ; mais Dieu le rétablit en très peu de temps et le rend infiniment plus magnifique et plus grand qu’il n’avait jamais été : mais ce temple ne sera jamais rebâti que par sa destruction.

 

Chapitre III

V. 5. Jésus lui répondit :  En vérité, en vérité, Je vous dis que quiconque ne naît pas de l’eau et du Saint-Esprit ne peut entrer dans le Royaume de Dieu. 

[48] …il est impossible de voir ce Royaume si l’on n’entre dedans. Il faut donc être dans ce Royaume intérieur, selon les deux manières qu’il a été dit, pour en avoir une véritable connaissance. Pour y entrer de ces deux sortes, il faut donc passer par deux naissances, la première est celle de l’eau, qui est la pénitence et la véritable conversion, qui lave et essuie le dehors, le purifie par le moyen du dedans, où Jésus-Christ opère cette nouvelle naissance du péché à la grâce ; et l’âme, par le moyen de cette première purification, entre dans le Royaume intérieur. La seconde naissance se fait par le Saint-Esprit, qui réduit par sa chaleur vivifiante l’âme en cendres, et c’est l’anéantissement, et, de ces  mêmes cendres, il renaît comme un phénix, un homme nouveau qui entre par ce moyen dans le Royaume de Dieu, qui est Dieu même, dans lequel il s’abîme et se perd par cette nouvelle vie. Cette nouvelle vie n’est point seulement notre vie purifiée par l’eau de la grâce, comme la première, mais c’est une nouvelle vie opérée par l’Esprit qui souffle, vivifie et fait vivre l’âme, non plus de sa propre vie sanctifiée, mais de la vie de Dieu même. […]

V. 11. En vérité Je vous dis que nous parlons de ce que nous savons, et que nous rendons témoignage de ce que nous avons vu ; et cependant vous ne recevez point notre témoignage.

[51] Jésus-Christ parle à Nicodème comme à un Docteur et Il parle en lui à tous les Docteurs. Il leur dit : En vérité, Je vous dis que nous, parlant de Lui et des âmes en qui Il règne, nous parlons de ce que nous savons, mais ce que nous savons par notre expérience, qui est une chose bien plus certaine que la science. Rien n’est si certain que l’expérience d’une chose, et toute l’expression ou l’étude que nous pourrions faire pour connaître un plaisir ou une douleur ne peut nous en donner une connaissance aussi certaine que celle d’éprouver ce plaisir et cette douleur ; de plus, toute l’étude qu’on peut faire pour apprendre une chose qui tombe sous la [52] vue, la description qu’on peut faire d’une beauté, n’égale point la certitude d’une chose qu’on a vue. Cependant, dit Jésus-Christ dans les âmes intérieures et par elles : Nous rendons témoignage de ce que nous avons vu et éprouvé, et vous ne croyez pas notre témoignage, et, n’examinant les choses que sur la spéculation, vous ne donnez point de lieu à la croyance du témoignage que nous rendons par notre expérience.

V. 12. Si lorsque Je vous parle des choses de la terre, vous ne Me croyez pas, comment Me croirez-vous quand Je vous parlerai des choses du Ciel ?

Jésus-Christ assure, contre l’erreur de la plupart qui s’imaginent que des choses si relevées, comme sont ces états de nouvelle vie en Dieu, ne sont pas pour cette vie, mais pour l’autre, Il assure, dis-je, que ce sont des choses qui se passent sur la terre. Le Royaume de Dieu dont Jésus-Christ a parlé tant de fois, n’est point proprement le ciel, mais le Royaume intérieur qui s’éprouve sur la terre de la manière dont il est expliqué. […]

V. 22. Jésus vint ensuite avec ses disciples dans la Judée et il y demeurait avec eux et y baptisait.

V. 23. Jean baptisait aussi à Ennon, près de Salim, parce qu’il y avait là beaucoup d’eau, et il y venait plusieurs personnes qui recevaient le baptême.

Le baptême de Jésus-Christ étant infiniment plus relevé et plus efficace que celui de saint Jean, il semblerait, selon toutes les règles, que saint Jean aurait dû cesser de baptiser sitôt que Jésus-Christ baptisait, et que, comme il Lui envoya ses disciples, il devait Lui envoyer aussi ceux qui [59] venaient à lui pour être baptisés ; il paraît même, à la manière de parler de l’Écriture, que saint Jean baptisait plus de monde que Jésus-Christ. Tout cela devait être de la sorte et est extrêmement mystérieux.     

Premièrement il fallait que tous ceux qui allaient à Jésus-Christ, ou du moins la plus grande partie, allassent recevoir le baptême de saint Jean avant celui de Jésus-Christ, nul n’étant exempt de la pénitence que ceux qui n’ont point péché. Il faut donc passer par là, et ceux qui croient appartenir à Jésus-Christ sans avoir passé par la pénitence se méprennent beaucoup : c’est par où il faut commencer. La pénitence n’est en elle-même autre chose que quitter le mal et embrasser le bien, s’éloigner ou détourner des créatures pour se tourner vers Dieu et s’approcher de Lui. Toutes les autres choses que l’on attribue à la pénitence, comme les haires, cilices, disciplines, jeûnes, veilles, sont bien des moyens de pénitences très saints et salutaires, mais ce n’est pas la pénitence elle-même, qui ne consiste qu’à se séparer du créé pour s’attacher à Dieu ; toutes ces choses servent à le faire, mais tous n’ont pas la force de se servir de ces moyens ; mais tous ont la force de quitter la créature qui n’est point une force corporelle ou de tempérament, mais une force de volonté, soutenue de la grâce que Dieu donne à tous ceux qui la Lui demandent.

V. 24. Car Jean n’avait pas encore été mis en prison.

 [60] …comme la pénitence [dis-je] ne sert qu’à conduire à Jésus-Christ sitôt qu’on est arrivé à Lui, qu’on est tourné vers Lui, et que l’on commence d’être attaché à Lui, on n’a plus besoin de pénitence : elle est alors captive, n’ayant aucun moyen d’agir sur l’âme. […]

V. 36. Celui qui croit au Fils de Dieu a la vie éternelle, et celui qui ne croit point au Fils n’aura point la vie, mais la colère de Dieu demeure sur lui.

[73] Ce passage confirme admirablement tout ce qui a été dit : Celui qui croit au Fils, qui s’y confie de telle sorte qu’il donne lieu à Son Esprit d’agir au-dedans et qui embrasse pour le dehors Ses plus pures maximes, celui-là a la vie éternelle. Cette vie éternelle n’est autre que cette vie du Verbe qui est communiquée à celui qui croit, car il faut remarquer que l’Évangile ne dit pas qu’il aura la vie éternelle, ce qui s’entendrait de la gloire, mais il met la chose au présent : il a la vie éternelle, c’est-à-dire : dès le moment qu’il croit à ce Fils et qu’il Lui laisse le pouvoir d’exercer Sa mission, dès ce moment il a la vie et la vie éternelle, car c’est cette vie du Verbe qui lui est communiquée. [...]

 

Chapitre IV

V. 5. Il vint dans une ville de Samarie nommée Sichar, auprès du fonds de terre que Jacob donna à son fils Joseph.

V. 6. Où il y avait un puits appelé le puits de Jacob. Jésus, étant donc fatigué du chemin, s’était assis sur le bord du puits et c’était environ la sixième heure.

Toutes ces circonstances sont ravissantes : dans cette terre de Jacob, héritage des âmes abandonnées, il y avait un puits qui était une eau de source qui était appelée le puits de Jacob, c’est-à-dire la source des eaux découvertes par Jacob. Or Jacob avait connu la vérité de la voie de l’abandon puisqu’il y avait marché, qu’il avait laissé cet héritage à ses enfants et même qu’il en avait découvert la source. Mais pourquoi Jésus-Christ s’assit-il dessus ? C’est pour marquer qu’Il était dès lors la source qui fournissait les eaux de ce puits, et que toutes les grâces qui avaient été faites aux âmes abandonnées n’avaient été faites qu’en Sa faveur. Il s’assit sur le puits afin de purifier ses eaux, ou plutôt afin qu’on vînt à Lui-même qui était la véritable source d’eau vive, dont celle-là n’était que la figure…

V. 7. Une femme de Samarie étant venue puiser de l’eau, Il lui dit :  Femme, donnez-moi à boire. 

[80] Ô Amour ! vous saviez bien que cette pécheresse viendrait pour puiser de ces eaux et c’est pourquoi vous vous étiez assis afin d’avoir le plaisir de lui en donner. Cette  femme vint donc pour puiser de l’eau. Voilà le premier pas de la conversion, et absolument nécessaire. Elle était altérée des eaux de la grâce, elle quitte la ville de son péché, et vient dans la volonté de puiser de l’eau : l’Écriture ne dit pas qu’elle en puisa parce que ce n’était pas à elle à le faire, mais qu’elle vint pour en puiser se mettant en état de cela. Jésus était sur le bord du puits, car Il était Lui-même la source vive qui voulait étancher sa soif. […][81]  O femme, je suis altéré du désir de la conversion de pécheurs : Je désire de trouver des âmes à qui Je puisse découvrir les mystères cachés de l’intérieur ; donne-Moi à boire, que J’étanche Ma soif avec toi, Je suis fatigué de chercher des âmes avec qui Je le puisse faire.  […]

V.9. Cette femme samaritaine dit à Jésus : Comment vous, qui êtes Juif, me demandez-vous à boire, à moi qui suis une femme samaritaine ? Car les Juifs n’ont point de commerce avec les Samaritains.

Cette pauvre femme samaritaine entre dans l’étonnement d’une faveur si extraordinaire, si peu espérée et si peu méritée. Elle ne sait ce qu’elle doit plus admirer, ou la bonté de Celui qui lui parle, ou la douceur de Ses paroles, ou l’impression d’amour qu’Il faisait en son cœur. Elle se sent enlevée et elle ne sait ce que cela veut dire, car elle sent et connaît bien que ce sont des paroles qui sont des flèches pénétrantes qui percent et pénètrent le plus profond de l’âme ; elle éprouve entre ces paroles et celles des hommes une différence que celles des hommes ne font point, ne pouvant pas faire cette impression sur le cœur. Elle ne sait que [83] dire dans l’étonnement où elle est, et commençant à découvrir un petit rayon d’un mystère qu’elle ne peut comprendre, elle lui dit :  Comment vous, qui étant juif devez avoir l’eau pure et nette de la saine doctrine, me demandez-vous à boire, à moi qui suis une Samaritaine, en qui cette eau est toute corrompue ? Je n’ai pas seulement la corruption de la doctrine, j’ai encore celle du péché, et si ceux d’entre les Juifs qui sont les moins purs n’ont point de commerce avec nous autres Samaritains à cause de la différence de leurs cérémonies, comment vous, en qui je découvre un caractère tout particulier que n’ont pas les autres Juifs, voulez-vous bien parler avec moi, qui ne vous suis pas seulement dissemblable dans ma foi, mais dans l’impureté de ma vie ?  Ô femme, vous serez bientôt prise, vous changerez bientôt d’état. Sitôt qu’un pécheur, quelque criminel qu’il soit, veut bien parler à Jésus-Christ et L’écouter, il est entièrement gagné. On ne peut pas entendre ce divin Sauveur au-dedans de soi, qui nous assure qu’Il a soif de notre salut, qui nous demande de Le laisser se désaltérer, qu’on ne soit entièrement gagné : c’est une parole si pure, si pénétrante, si intime, si douce, si insinuante que tous ceux qui veulent bien se mettre en état de l’écouter sont gagnés immanquablement. […]

V.13. Jésus lui répondit : Quiconque boit de cette eau aura encore soif, mais celui qui boira de l’eau que Je lui donnerai n’aura jamais soif.

V.14. Parce que l’eau que Je lui donnerai deviendra en lui une fontaine qui rejaillira jusque dans la vie éternelle.

[…][92] C’est ce qui fait la peine de quantité de personnes, qu’ayant eu en plénitude les eaux de grâce [et non celles de source], plus elles se sentent pleines, plus elles se trouvent altérées de quelque chose qu’elles ne comprennent pas, de sorte que quantité de saints, étant dans cette abondance, désiraient encore et se pâmaient, d’autres défaillaient de délices, cette plénitude leur causant une sainte ivresse ; cependant ils reconnaissaient au travers de tout cela qu’il y avait en eux une tendance pour une possession plus pleine et parfaite qui marquait qu’ils étaient bien en plénitude de grâce, ou pour mieux dire en abondance de grâce, mais non pas en plénitude de Dieu même : car il n’y a que Dieu qui donne la plénitude parfaite.

Il vient ensuite un autre temps où l’on ne sent plus cette plénitude et cependant l’on sent que cette grande altération se perd peu à peu : tous les désirs, tous les penchants se perdent ; et cependant il semble à l’âme que sa plénitude diminue : elle se sent devenir tous les jours plus vide, [93] et à mesure qu’elle devient plus vide elle est toujours moins altérée, ce qui fait la plus grande peine de l’âme et qui la persuade que sa peine est véritablement causée par sa perte, qu’elle devient dans l’impénitence finale ; c’est qu’elle ignore ce secret.

Pour le comprendre, il faut premièrement savoir que cette perte de tout désir ne vient que parce que l’âme est en source, et que plus elle approche de la source, plus elle perd ses désirs et son altération. Ceci n’est pas difficile à concevoir, mais ce qui fait de la peine, c’est de savoir pourquoi les désirs manquent dans un temps où l’âme se trouve plus vide, puisque son vide doit causer son altération. [...]  Cette source divine, lorsqu’elle vient dans l’âme, elle vient en si grande abondance qu’elle fait peu à peu défaillir l’âme à sa propre vie, à sa vie d’Adam, à tout ce qui subsistait en elle, en sorte qu’elle ne s’aperçoit point de sa plénitude, mais seulement elle se sent vider de sa vie propre : elle n’aperçoit qu’un vide et une défaillance avec une impuissance de désirer et un dégoût général ; elle ne sait à quoi attribuer cela, elle ne sent point la plénitude qui lui cause [94] ces choses [...]

Il y a donc une abondance d’eau de grâce qui altère : l’âme sent alors et son abondance et sa soif, et il y a une plénitude de Dieu et de grâce que l’âme ne sent point et qui lui paraît un vide, qui cependant éteint tout désir, donne véritablement la mort et devient ensuite une plénitude de vie ; car il faut savoir qu’Il ne donne la mort qu’à ce qui occupe la place de la véritable vie, et, à mesure que cette vie propre ou cet empêchement à la vie divine s’évacue, l’abondance de la vie prend la place et l’abondance de cette même vie chasse dehors cette vie propre et lui cause enfin la mort. L’âme ne s’aperçoit point de cette divine vie qui la fait mourir et qui chasse sa propre vie : elle ne s’aperçoit que de la perte de sa propre vie et c’est ce qui cause toutes les méprises.

[95] ...cette âme ne vivant plus, mais Jésus-Christ vivant en elle après avoir donné la mort à sa propre vie pour substituer la Sienne en la place, Il devient Lui-même à cette âme ainsi morte, une source de vie. Cette âme n’est plus que comme un canal en qui ces eaux vives se déchargent en telle abondance qu’elles sont une source qui rejaillit jusque dans la vie éternelle, parce que sans s’arrêter elles retournent à Celui dont elles partent, et l’âme ayant cette plénitude de vie divine a une vie d’immortalité qui ne se peut jamais perdre sans une terrible infidélité, ce qui n’arrive guère. Elle entre dès ce moment dans le jour éternel, quoique ce soit seulement un jour commençant et encore mélangé de ténèbres, car elle ne sera dans la plénitude de ce jour que dans l’éternité même, où le jour sera toujours son midi. […]

 V.20. Nos pères ont adoré Dieu sur la montagne ; vous autres vous dites qu’il y a en Jérusalem un lieu où l’on est obligé de L’adorer.  

[…] La prière pour être parfaite est une adoration : c’est la prière qui fut faite dès le commencement du monde, c’est la prière que les saints Rois firent dans l’étable, c’est cette prière que cette femme désire d’apprendre aussi bien que les moyens de la faire. L’adoration n’est autre chose qu’un acte, ou simple, ou formel, ou substantiel, par lequel nous [100] reconnaissons Dieu digne de tout hommage et au-dessus de tout hommage, c’est un honneur souverain, un culte qui n’est nullement relatif, qui ne regarde que Dieu même pour Lui-même, un anéantissement profond devant la majesté de Dieu. […]

V. 23. Mais l’heure viendra, et elle est même déjà venue, que les vrais adorateurs adoreront Mon Père en esprit et en vérité, car ce sont là les adorateurs que Mon Père désire.

[109] Adorer Dieu en vérité n’est autre chose que Lui rendre la véritable adoration qu’Il veut de nous et en la manière qu’Il la veut : c’est entrer dans Sa vérité. La vérité de Dieu est qu’Il est et qu’Il est tout : on ne peut adorer en vérité son Souverain Être qu’en cessant d’être afin qu’Il soit toutes choses en nous. Cela ne s’opère que par l’anéantissement qui, ôtant à la créature pour donner  tout à Dieu, la met dans la vérité de son rien et confesse par là la vérité du tout de Dieu, Lui rendant l’hommage qui Lui est dû, ne Lui dérobant ni usurpant rien.

Il faut donc, pour adorer Dieu en vérité, Lui laisser être tout et n’être rien nous-mêmes, Lui laisser tout opérer et n’opérer rien que par Son mouvement et selon Sa volonté. Il faut Lui laisser être tout en nous, comme faisait David qui disait qu’il était comme un néant devant Dieu ; [110] il disait que sa substance ou plutôt sa subsistance s’était anéantie devant Dieu. O Dieu, si nous étions dans cet état de vérité, que nous serions heureux ! Nous verrions que rien ne nous est dû que le rien ; nous serions contents de tout et nous ne prétendrions que ce que nous avons. Mais il semble que nous ne tendions qu’à être quelque chose, qu’à dépouiller Dieu de Son tout pour nous en revêtir : nous voulons être quelque chose et usurper ce qui est Sien, et c’est en quoi l’on fait consister la perfection, au lieu qu’elle ne doit consister qu’à nous rendre ce que nous sommes, c’est-à-dire rien [...]

V. 50. Jésus lui dit : Allez, votre fils est guéri. Il crut ce que Jésus avait dit et s’en alla.                  

[122][...] Comme la bonté de Dieu est encore plus infinie que notre faiblesse n’est grande, nous ne devons point mettre de bornes à notre confiance, et pourvu que nous ayons un désir sincère de nous convertir à Dieu, quelques péchés que nous ayons commis, il ne faut pas pour cela entrer en défiance de Sa bonté. Nous devons tenir la même conduite à l’égard de la perfection et tendre toujours à ce qui est le plus parfait, espérant que Dieu nous donnera les grâces nécessaires pour cela. Il ne faut point nous regarder nous-mêmes en cela, ni notre faiblesse, parce que nous ne nous appuyons point sur nous-mêmes, ce qui serait nous tromper, mais sur la bonté de Dieu et sur son pouvoir souverain ; je ne dis pas qu’on doive tendre à ce qu’il y a de plus grand, mais à ce qu’il y a de plus parfait. Quelques personnes, lisant qu’il faut tendre à ce qu’il y a de plus parfait, croient qu’on parle de tendre à des [123] choses extraordinaires : c’est pourquoi elles disent qu’il ne faut point faire cela et que c’est un orgueil. Il y a bien de la différence entre le grand et le parfait. Le grand et élevé, ce sont les grâces extraordinaires, comme sont les visions, révélations, extases, ravissements, dons extraordinaires, grâces éminentes : c’est là le grand, mais ce n’est pas le parfait. Le parfait est de tendre à la mort, à l’anéantissement, n’être rien afin que Dieu soit tout, se laisser détruire, dépouiller de tout, vider même de toutes ces choses au cas qu’on les ait, entrer dans la petitesse, l’abjection, le délaissement de nous-mêmes entre les mains de Dieu ; s’abandonner à Lui sans réserve, se dépouiller de nos lumières, de nos inclinations, de notre volonté pour laisser substituer la Sienne en la place.

 


 

Chapitre V

V. 4.  Parce qu’un Ange du Seigneur descendait de temps en temps dans la piscine et en agitait l’eau, le premier qui entrait dans la piscine après le mouvement de l’eau, était guéri de sa maladie, quelle qu’elle fût.

[125] Le mouvement de cette piscine se fait en deux temps : l’un, lorsqu’il plaît à Dieu de remuer et mouvoir le fond de l’âme de ce pécheur pour le porter à la pénitence ; alors, s’il suit les premiers mouvements de son cœur, il est infailliblement guéri et il se convertit immanquablement ; mais si, au contraire, il laisse passer ce mouvement et qu’il diffère de se convertir, il y a bien de l’apparence qu’il ne se convertira pas. Le propre sens qu’on doit donner à cette explication est que ce sont des âmes qui désirent de se convertir, mais elles sont malades et elles ne peuvent presque faire d’efforts : elles attendent le mouvement de l’eau ou quelque secours favorable ; elles ont cependant un avantage sur les autres pécheurs, qui est que, bien qu’elles soient malades, elles se mettent en état de pouvoir être guéries.

L’autre mouvement de l’eau se fait dans une âme intérieure qui ne pense qu’à vivre dans le repos de la contemplation, dans sa douce tranquillité, qui ne voit rien à faire pour elle et qui croit tout consommé en elle à cause de ce grand calme qu’elle expérimente. Tout à coup l’Ange du Seigneur vient à troubler ce fond calme et paisible, on sent alors que tout ce que l’on croyait éteint se réveille : c’est un trouble et une agitation d’autant plus forte que la tranquillité était plus profonde ; c’est alors une très dure peine à l’âme, et presque insupportable. Les personnes qui n’ont point goûté de cette profonde paix ne sentent pas la peine effroyable de ce trouble ; elles vivent troublées sans s’en faire de la peine, et enfin le trouble se passe par l’endurcissement de leur cœur. Mais ceux qui, après une si longue et si profonde paix, éprouvent cette [126] étrange agitation, ô cela leur est plus insupportable que la mort ; s’ils sont fidèles à se jeter d’abord dans la piscine, qui n’est autre que l’abandon total, ils sont guéris de toute maladie, quelle qu’elle soit, mais s’ils ne le font pas, ils ne guérissent point.

Il y en a qui, loin de s’abandonner à cet état, se reprennent et veulent par leur activité rentrer dans leur première paix ; cela est entièrement impossible : il n’y a qu’à se jeter dans la piscine pour être guéri et radicalement purifié. On dira : mais puisque cette âme était si paisible et si tranquille, qu’elle était si bien, à quoi bon ce trouble de l’eau ? O c’est qu’elle était paisible parce qu’elle ne sentait pas son mal et sa propriété : elle était purifiée extérieurement, mais il y avait une maladie identifiée avec sa nature qu’elle ne connaissait pas ; le calme était sur la surface et le mal était au fond : c’est pourquoi il faut que l’Ange trouble cette piscine et que l’âme s’y jette à corps perdu par un abandon total ; alors elle s’en trouve entièrement délivrée. Et si le trouble revient et que les maux ne sont pas guéris, c’est que l’abandon n’a pas été entier et total : on a bien approché de l’abandon, qui est comme se tenir dans les salles, mais l’on n’est pas entré dans l’abandon ; c’est pourquoi la guérison n’est pas parfaite, car ceux qui sont jetés dans cette piscine troublée sont guéris, quelque maladie qu’ils puissent avoir.

Mais il faut remarquer qu’il n’y avait de guéris que ceux qui entraient les premiers après le trouble de l’eau : ainsi, afin que la guérison soit parfaite, il faut d’abord, sans douter, sans hésiter, sans craindre de se noyer, se jeter au premier mouvement de l’eau, au premier instinct : car, si l’on attend qu’on ait raisonné si l’on s’abandonnera ou non, si l’on ne prend point une autre voie, cela ne fait pas le même effet. […]

V.38. Et néanmoins Sa parole ne demeure point en vous, parce que vous ne croyez pas Celui qu’Il a envoyé.

[152][...] Comme l’action de Dieu est infiniment plus forte et plus noble que celle de la créature, la créature agit bien plus fortement, quoique paisiblement, lorsqu’elle suit l’action de Dieu, que lorsqu’elle agissait par elle-même. Enfin elle devient dans un état si fort passif qu’elle ne fait plus que souffrir l’opération de Dieu : elle reçoit Ses communications sans aucun mouvement de sa part, mais non pas sans correspondance ; alors, la correspondance étant plus relevée, l’âme reçoit librement et volontairement cette opération, elle y correspond dans la réception qu’elle en fait qui est toute libre et toute volontaire, elle y correspond en ne s’y opposant pas. Et voilà pour le dedans.

Car il faut remarquer que lorsqu’on dit que Dieu fait tout en l’âme, on ne prétend pas exclure l’action de l’âme pour le dehors, pour s’appliquer à tout le bien que Dieu demande d’elle ; au contraire elle ne le fit jamais avec plus de fidélité et de perfection. L’état passif est pour le dedans, qui reçoit tout ce que Dieu lui communique, et l’âme agit par dehors selon la communication qui lui est faite pour toutes les volontés de Dieu quelles qu’elles soient. […]

 


 

Chapitre VI

 V.27. Travaillez pour avoir non la viande qui périt, mais celle qui demeure pour la vie éternelle, et que le Fils de l’homme vous donnera,  car Dieu le Père l’a scellée de Son sceau.

[174][...] L’autre manière d’entendre ce passage selon le sens mystique est qu’il faut travailler à acquérir cette nourriture substantielle, et qui nous doit durer éternellement, cette nourriture nous communique la vie. Elle n’est autre qu’une communication de la vie du Verbe qui se glisse en nous lorsque nous voulons bien donner lieu à cette vie par la perte de la nôtre : ce qui commence par substituer l’action de Dieu en la place de la nôtre, cessant d’agir afin que Dieu agisse, cessant d’être afin qu’Il soit. Jésus-Christ nous promet de nous donner cette viande substantielle, de Se donner à nous mystiquement. Lui seul Se peut donner à celui qui travaille à L’acquérir, mais nul ne peut travailler à L’acquérir qu’en mourant à soi pour laisser Jésus-Christ vivre en nous. Le Père l’a scellé de Son sceau qui est Sa volonté que Son Fils soit la vie de tous les hommes, car Sa vie doit être la vie et la lumière des hommes [75].

V.28. Que devons-nous donc faire pour faire l’oeuvre de Dieu ? Lui demandèrent-ils.

Ces pauvres gens firent comme font la plupart des personnes qui croient que, lorsqu’on leur dit ce qu’il faut faire pour être à Dieu, ou plutôt ce que Dieu doit faire en eux, ils croient qu’il faut tout faire activement et ils se trompent beaucoup, car il n’y a qu’à ne mettre point d’obstacles à cette oeuvre de Dieu : si c’est l’oeuvre de Dieu, ce ne doit pas être la nôtre.

V.29. Jésus leur répondit : L’oeuvre de Dieu est que vous croyiez en Celui qu’Il a envoyé.

C’est pourquoi Jésus-Christ leur fit cette admirable réponse, et si utile, que l’oeuvre de Dieu n’est pas que nous travaillions nous-mêmes, mais que nous croyions  en Celui qu’Il a envoyé pour faire cette oeuvre : plus nous Le laisserons faire et plus tout se fera, croyons qu’Il peut et doit tout faire. Confions-nous en Lui et nous abandonnons à Son action et tout sera parfaitement bien. Dieu ne demande que cela de nous.

V.47. En vérité, en vérité Je vous dis que celui qui croit en Moi, a la vie éternelle.

[186][...]  Le propre de la foi à l’égard de son objet est d’être certaine de sa vérité. Il n’en est pas de même de l’usage de la foi à l’égard de celui qui la possède. Je suis assurée par la certitude de la foi que Dieu est tout-puissant et qu’Il peut tout ce qu’Il veut, que, m’abandonnant à Lui, Il me peut conduire selon Ses volontés : cette foi est très certaine à l’égard de Dieu ; cependant, dans l’application de ma foi à mon égard, je suis dans le doute, dans l’incertitude si c’est Dieu qui me conduit, si ce chemin est de Lui, si je fais Sa volonté. Et mon doute et mon ignorance de ce qui me concerne est [sont] d’autant plus grands que je suis plus dénuée d’appuis et de soutiens, de sorte que l’incertitude de la foi à mon égard augmente la vérité de ma foi à l’égard de Dieu : car je me confie et m’abandonne sans savoir à quoi je m’abandonne ; j’espère contre toute espérance, et plus ma foi paraît détruite à mon égard, parce qu’elle est destituée de soutiens et de témoignages, plus elle est pure et assurée du côté de Dieu. […]

 

Chapitre VIII

V.12. Jésus leur parla encore et leur dit : Je suis la lumière du monde, celui qui Me suit ne marche point dans les ténèbres, mais il aura la lumière de la vie.

[233][...] l’âme, par cette lumière de vérité, entre dans la mort et l’anéantissement, et c’est alors que paraît la lumière de vie, ou vivifiante, qui la tire du tombeau et fait que Jésus-Christ la vient animer comme vie, et c’est alors que cette volonté, qui avait été rendu uniforme, se transforme en celle de Dieu. Et l’âme n’a plus d’union de volonté à celle de Dieu parce que sa volonté se trouve perdue en celle de Dieu, en sorte qu’elle ne peut plus distinguer de volonté. Et c’est alors qu’ayant perdu toute volonté et toute vie, Jésus-Christ devient Lui-même sa vie, en sorte que, comme saint Paul l’avait éprouvé, cette personne ne vit plus, mais Jésus-Christ vit en elle : Il est devenu sa vie, mais vie de lumière. […]

V.29. Celui qui M’a envoyé est avec Moi et Il ne M’a point laissé seul parce que Je fais toujours les choses qui Lui plaisent.

[245][...] Jésus-Christ comme homme, à ne regarder que l’humanité, a été choisi et élu entre tous les autres hommes par un choix de la bonté de Dieu pour l’union hypostatique, de sorte qu’en ce sens Jésus-Christ dit que Son Père ne l’a pas laissé un moment seul, ayant choisi Son humanité pour l’unir à Sa Divinité dans une union d’hypostase par laquelle cet homme-Dieu fait nécessairement tout ce qui plaît à Son Père, n’ayant qu’une même volonté avec Son Père. Et comme la volonté du Père et du Fils n’est qu’une, la volonté de l’homme en Jésus-Christ est entièrement dépendante de la divine, et n’a pas la moindre résistance en sorte qu’Il fait toujours ce qui plaît à Son Père. Sitôt que nous faisons toutes les volontés de Dieu et que notre volonté est unie à la Sienne, Il ne nous abandonne pas d’un moment et la plus grande marque qu’on a Dieu présent est lorsqu’on veut tout ce qu’Il fait et qu’on ne veut rien autre chose. […]

V.31. Jésus disait aux Juifs qui avaient cru en Lui : Si vous demeurez fermes dans Ma parole, vous serez véritablement Mes disciples,

V.32. et vous connaîtrez la vérité et la vérité vous rendra libres.  

[…] Jésus-Christ, dont ils sont disciples et qui les conduit comme voie, les éclaire de la vérité et les met dans Sa vérité. C’est là que l’âme, entrant en Dieu, entre dans la liberté et que, plus elle est éclairée du tout de Dieu et de son rien, plus elle entre dans la liberté, parce qu’étant portée par là à tout perdre et à tout laisser afin que Dieu soit toute [247] chose, laissant le tout à Dieu et demeurant dans le rien, l’âme est mise dans une liberté tout entière, n’ayant rien qui la gêne et la rétrécisse dans ce vaste néant : c’est une liberté que l’âme a pour tout ce qui est bon et pour tout ce que Dieu veut d’elle et non pas un libertinage, comme quelques-uns se l’imaginent.

V.36. Si le Fils vous met en liberté, vous serez véritablement libres.

Il faut donc que ce soit le Fils qui nous mette dans cet état, et nous ne pouvons y arriver par tous nos efforts ; la liberté que nous nous donnerions par nous-mêmes serait une fausse liberté : il faut donc s’abandonner à la conduite de Jésus-Christ afin qu’Il nous mette dans cette heureuse liberté. Lui seul le peut faire, mais Il ne le fera jamais que nous ne donnions lieu à Son Esprit d’agir en nous, selon ce que dit saint Paul : Celui qui est poussé par l’Esprit de Dieu, est enfant de Dieu. Pour devenir enfant, il faut donc se laisser pousser, conduire et mouvoir par cet Esprit comme un vaisseau se laisse pousser par le vent. […]

V.52. Les Juifs lui dirent : C’est maintenant que nous connaissons que vous êtes possédé du démon. Abraham est mort, et les prophètes aussi, et vous dites : Si quelqu’un garde Ma parole, il ne mourra jamais.

 [257] L’aveuglement des hommes est étrange, de prendre tout d’une manière si grossière. On ne peut entendre et encore moins croire qu’il y ait des états permanents où Dieu affermit et confirme les âmes par un pur effet de Sa bonté, on regarde tout cela comme des rêveries et des folies ; et, se servant de l’exemple des saints, on croit par là appuyer une condamnation qui ne peut avoir de fondement que dans le mauvais tour  qu’on donne aux choses ; ensuite, on regarde cela comme un orgueil effroyable, comme si l’on s’attribuait quelque chose d’extraordinaire, ou qu’on enseignât une nouveauté, car il ne s’est rien passé en Jésus-Christ qui ne se passe aujourd’hui dans ceux qui annoncent Sa vérité. […]

V.55. Toutefois vous ne Le connaissez point, mais Moi je Le connais, et si Je disais que Je ne Le connais point, Je serais menteur comme vous. Mais Je Le connais et Je garde Sa parole.

 […][260] La connaissance de Dieu ne peut point être un raisonnement sur la Divinité, puisque plus nous pensons connaître Dieu par les lumières de notre raison, moins nous en venons à bout et plus nous pensons nous élever à Dieu, plus Il S’éloigne de nous. Il Se communique aux âmes petites, humbles et anéanties, vides d’elles-mêmes parce qu’Il ne Se fait connaître que par Ses communications et écoulements de Lui-même, qu’Il n’opère que dans une âme vide, de sorte que Jésus-Christ dit que s’Il pouvait dire qu’Il ne connaît pas son Père, Lui à qui Il S’est communiqué sans réserve, Il serait menteur comme nous. Mais Je Le connais, puisqu’Il est tout en Moi et que Je suis tout en Lui ; et Je garde Sa parole, puisque Je suis Moi-même cette parole que Je garde en Moi par l’union hypostatique de Ma divinité avec Mon humanité.

 

Chapitre IX

V.6. Ayant dit ces paroles, Il cracha à terre, fit de la boue avec Sa salive et l’étendant sur les yeux de l’aveugle,

V.7. Il lui dit : Allez vous laver dans le lavoir de Siloé qui signifie “envoyé”. Il y alla, se lava, et en revint voyant clair.

[264] L’aveuglement des personnes spirituelles et qui ont un amour secret d’elles-mêmes et un appui dans leur propre justice, est guéri par ce que fait Jésus-Christ. Il prend de la terre, c’est-à-dire ce dont l’homme est pétri et composé, et avec Sa salive, qui est un écoulement de Sa sagesse qu’Il envoie sur cette terre et qu’Il unit à elle, Il en compose une boue : cette boue paraît salir et aveugler, loin d’éclairer, cependant elle éclaire véritablement, et si Dieu n’éclairait l’âme par sa propre boue, elle serait toujours aveugle. C’est alors qu’Il lui donne une entière connaissance de ce qu’elle est : boue et fange ; elle ne voit rien que cela, elle sent véritablement cette boue. Mais elle n’est pas plutôt lavée et purifiée au lavoir de Siloé, c’est-à-dire par cette eau vive, Jésus-Christ, qui est envoyé pour la purifier, elle ne s’abandonne pas plutôt à Lui qu’Il la purifie de la boue qu’Il avait composée Lui-même et qu’elle est entièrement éclairée.

Cette boue est faite , comme il a été dit, de la terre dont l’homme est pétri : c’est une expérience de sa propre bassesse, misère, infirmité et faiblesse. Elle sent ce qu’elle est, et Dieu unit à cela l’écoulement de Sa sagesse qui lui fait encore mieux découvrir et sentir ce qu’elle est : mais cela n’est pas plutôt purifié qu’elle est éclairée pour toujours. […]

 

Chapitre X

V.33. Les Juifs lui dirent : Ce n’est pas pour aucune bonne oeuvre que nous vous lapidons, mais pour un blasphème, parce que, étant homme, vous vous faites Dieu.

V.34. Jésus leur répondit : N’est-il pas dit dans votre loi :“J’ai dit que vous êtes des dieux.”

V.35. Si elle appelle dieux ceux à qui la parole de Dieu a été adressée, et si l’Ecriture ne peut perdre sa force,

V.36. comment dites-vous que Celui que le Père a sanctifié et qu’Il a envoyé dans le monde, blasphème parce qu’Il a dit “Je suis le Fils de Dieu” ?

[303] Ils ne voulurent point s’arrêter sur les bonnes œuvres , afin d’avoir lieu de Le condamner, c’est pourquoi ils Lui dirent : Ce n’est pas pour les bonnes œuvres, mais pour un blasphème. Lorsqu’on voit qu’on ne peut trouver à redire aux actions des serviteurs de Dieu ni les condamner, on tâche de les surprendre en paroles, et surtout les âmes intérieures et d’oraison, parce qu’elles se servent de termes peu usités parmi les gens qui ne connaissent guère Dieu ; on prend pour des blasphèmes et des impiétés les expressions les plus véritables des choses divines. Jésus-Christ Se sert de l’Ecriture même pour appuyer ce qu’Il dit, montrant que l’Ecriture a dit : vous êtes des dieux, parlant de ceux qui reçoivent la parole. Ô que ces paroles ont de force ! Recevoir la parole, c’est recevoir le Verbe qui est la parole ; recevoir ce Verbe, c’est recevoir Dieu ; recevoir Dieu en soi, c’est vivre de Dieu, c’est être Dieu. On ne peut douter de la force et de la vérité de ces paroles qui sont si bien adaptées aux âmes intérieures, qui vivent vraiment de Dieu et qui sont transformées en Lui. […]

 

Chapitre XI 

V.1. Il y avait un homme malade dans le bourg de Béthanie, appelé Lazare, d’où lui et ses soeurs Marie et Marthe étaient.

V.2. Marie fut celle qui répandit un baume précieux sur le Seigneur et qui Lui essuya les pieds avec ses cheveux, et Lazare, son frère, était cet homme malade.

 [...] Dans cette voie illuminative qui a été jusqu’alors, il y avait un mélange de l’activité et de la passivité, et quoique les lumières et les choses extraordinaires soient reçues passivement dans l’âme, cet état ne se peut pas proprement appeler passif, parce que l’âme est toute en vigueur et en force amoureuse pour le dedans et toute en action pour le dehors, pour ce qui [309] regarde la gloire de Dieu. Au-dedans, c’est Madeleine toute brûlante d’amour ; elle ne voudrait faire autre chose que brûler d’un feu si doux et si fort qui la charme [76] par sa douceur et la consume par son ardeur. Cet état consumerait la vie de cette âme d’une manière aussi délicieuse que sainte si Dieu, par une bonté infinie et qui ne veut pas que son amante en demeure là, ne rendait le Lazare malade, mais malade d’une maladie qui ne fait que commencer à la vérité, mais qui sera suivie de la mort. Ce frère Lazare est le fond et centre de l’âme, ou plutôt, c’est, en cet endroit, toute la force et vigueur de l’âme, qui la soutenait dans son amour du dedans par une chaleur vivifiante, une facilité à demeurer en amour et à ne faire autre chose qu’aimer, et pour le dehors une agilité admirable pour tout ce qui est de la gloire de Dieu et de Ses volontés. Mais hélas ! ce frère tombe malade, une certaine langueur s’empare de tout lui-même, on sent peu à peu ce feu intérieur se ralentir et l’on perd en même temps la facilité pour tout ce qui est de bonnes œuvres extérieures qu’on faisait avec plaisir : quoique le plus grand et le plus continuel plaisir fût de demeurer en oraison, on ne laissait pas de s’adonner aux bonnes œuvres extérieures en certains temps ; on n’en faisait plus le capital, mais l’accessoire, et lorsqu’on faisait ces œuvres, c’était avec une satisfaction admirable parce que la vigueur intérieure se répandait sur toutes choses. Mais sitôt que ce bon frère de ces deux soeurs, qui faisait leur plus grand plaisir et qui les soutenait toutes deux, vient à tomber malade, la défaillance prend ces deux soeurs, elles ne savent plus que devenir : que feront-elles [310] en cet état ?

V.5. Or Jésus aimait Marthe et Marie sa soeur, et Lazare.

V.6. Ayant donc appris qu’il était malade, Il demeura deux jours au même lieu où Il était.

[…] L’expression de l’évangéliste est admirable : il dit que Jésus aimait Marthe et Marie et Lazare, et que cependant, lorsqu’Il eut appris qu’il était malade, loin de l’aller secourir comme Il le pouvait, Il demeura au lieu où Il était. Est-ce marquer son amour que d’en user de la sorte ? [312] Ne devait-Il pas plutôt aller le secourir ? O non, c’est la plus grande marque d’amour qu’on puisse donner en cet état que d’être impitoyable, et de ne pas empêcher la mort : c’est pourquoi l’évangéliste remarque très bien que Jésus aimait cette sainte famille parce qu’Il demeura sans y aller et sans S’y montrer. […]

V.11. Il parla ainsi d’abord, et peu de temps après Il ajouta : Notre ami Lazare dort, mais Je m’en vais pour le réveiller de son sommeil.

[314] Être ami de Jésus-Christ et être mort, comment cela peut-il se faire ? Jésus-Christ ne dit pas : Lazare notre ami est mort, mais il dort, pour marquer que ce n’était point une mort du péché, mais un sommeil et une mort mystique, qui privait bien de la vie apparente, mais non pas de la grâce : c’est pourquoi cet homme, mort de la sorte, est toujours ami de Jésus-Christ, quoiqu’il ne semble pas que cela soit ; c’est un sommeil et non une mort, duquel il doit sortir un homme nouveau. Adam dans son sommeil donna, sans le connaître, la vie à Ève, qui fut mère des vivants, et elle fut nommée Ève pour marquer que de semblables sommeils ne pouvaient  produire que [315] la vie. Lazare dort dans le tombeau et il en sort vivant : il mourut parce qu’il fut la figure de Jésus-Christ qui voulut sommeiller de la sorte dans le tombeau, afin de détruire la mort et d’enfanter la vie, mais une vie qui ne pouvait plus se perdre. […]

V.28. Ayant dit ces paroles, elle s’en alla appeler secrètement Marie sa soeur, à qui elle dit : Le Maître est ici et Il vous demande.

V.29. Aussitôt qu’elle l’eût entendue, elle se leva promptement et vint trouver Jésus.

Marie, qui paraît sans empressement lorsque Jésus ne lui ordonne pas d’approcher, est d’une extrême ardeur et promptitude lorsqu’il s’agit de faire Sa volonté. C’est en quoi l’on voit que cet amour passif n’est point oisif : il demeure tranquille tant qu’il croit que Dieu le veut de la [323] sorte, parce qu’il ne peut rien désirer que ce qu’il possède ; c’est pourquoi il n’est empressé pour rien : mais sitôt qu’il s’agit de faire la volonté de Dieu, et qu’Il l’appelle, ô rien au monde ne peut l’arrêter, et avec quel empressement ne court-elle pas pour faire ce qu’il plaît à Jésus ? Marthe dit : Le Maître vous appelle, le Maître est là : c’était bien le Maître véritablement, car Il était si fort maître du cœur de Marie qu’il ne se peut rien de plus. Ô qu’il y a peu de cœurs en qui vous soyez le Maître, ô divin Jésus !

V.30. Car Il n’était pas entré dans le bourg, mais Il était au même lieu où Marthe l’avait laissé.

V.31. Alors les Juifs qui étaient avec elle dans sa maison, et qui la consolaient, voyant qu’elle se levait de sa place et qu’elle sortait si vite de la maison, la suivirent en disant : C’est qu’elle va pleurer au sépulcre.

Il n’était pas entré dans le bourg, et Il était resté au même lieu. Pourquoi ne vient-Il pas dans la maison de Marie ? O que cela est mystérieux ! C’est qu’il fallait que la résurrection fût faite premièrement et que Lazare, qui signifie le fond et centre de l’âme, fût le premier revivifié, et c’est la différence qu’il y a de la résurrection à la première vie : que la première vie entre par les puissances et les sens et de là passe dans le fond ; mais cette seconde vie de résurrection commence par le centre et de là se glisse et s’insinue sur les puissances et sur les sens. Si Jésus avait été voir premièrement les soeurs, qui signifiaient encore les sens et les puissances, ce n’aurait pas été une véritable résurrection. […]

V.34.  Et Il demanda : Où l’avez-vous mis ? - Seigneur, dirent-ils, venez et voyez.

V.35.  Alors Jésus pleura.

V.36.  Ce qui fit dire aux Juifs : Voyez combien il l’aimait.

V.37. Mais quelques-uns disaient : Cet homme qui a donné la vue aux aveugles ne pouvait-il pas empêcher que celui-ci ne mourût ?

Jésus n’ignorait point le lieu où était Lazare, mais il voulut que sa résurrection fut faite dans toutes les formes, et que ceux mêmes qui l’avaient mis dans la terre, couvert et caché aux yeux des hommes, contribuassent à sa résurrection. Dieu Se sert d’ordinaire des mêmes choses qui ont donné la mort pour procurer la vie et, pour l’extérieur, ces mêmes personnes qui ont terni la réputation sont souvent, sans qu’ils y pensent, celles qui la rétablissent.

Alors Jésus pleura, comme il a déjà été remarqué : Il pleura notre lâcheté et le peu d’âmes qui veulent bien se livrer à la mort encore après qu’Il S’y est livré Lui-même. Alors les Juifs dirent : Voyez combien Il l’aimait. Ô âme, si tu savais l’amour que ton Dieu a pour toi, tu [327] en serais dans le ravissement et dans l’étonnement tout ensemble ! Tu voudrais mourir mille fois d’amour pour reconnaître un amour si excessif. Mais l’amour de Jésus-Christ ne consiste pas, comme bien des gens s’imaginent, à empêcher cette mort. O Dieu, Vous qui rendez la vue aux aveugles, ne pouviez-Vous pas empêcher que cet homme ne mourût ? Sans doute Vous le pouviez, mais il vous était infiniment plus glorieux et plus avantageux pour lui de le ressusciter après sa mort que de l’empêcher de mourir. Vous rendez la vue aux aveugles, mais Vous ne la leur rendez qu’après qu’ils ont été aveugles, et vous leur rendez une vue mille fois plus parfaite que celle que la nature donne, et ils ne comprendraient pas le bonheur de la vue s’ils n’avaient éprouvé ce que c’est que l’aveuglement ; de même l’on ne connaîtrait pas l’avantage de posséder la vie si on n’avait éprouvé la mort. O mort fortunée qui produit une si heureuse vie ! C’est la plus grande marque d’amour que Jésus puisse donner à l’âme que de lui procurer cette mort, mais elle ne le connaît pas tant que cette opération dure parce qu’elle ne peut penser au bien qui doit suivre cette mort : elle ne pense qu’à la douleur présente qu’elle cause. Et si elle pouvait envisager un bien futur et une résurrection, elle ne mourrait jamais parce que tout cela lui donnerait vie, appui, soutien, espérance et empêcherait sa mort. Ainsi, ceux qui croient que de laisser mourir une amante est en Dieu un défaut d’amour se trompent bien, car Il n’en use de la sorte que par un excès d’amour : cette mort est une extase douloureuse qui fait sortir l’âme d’elle-même pour la faire passer en Dieu. […]

V.45. Plusieurs donc d’entre les Juifs, qui étaient venus voir Marie et Marthe et qui avaient vu ce que Jésus avait fait, crurent en Lui.

[…][334] La foi nue ne croit qu’en Dieu, sans distinction, motif, ni raison de sa foi : or, comme cette foi n’est fondée et appuyée sur rien, elle ne dépend de rien, et n’ayant que Dieu seul pour objet, sans rien envisager en Lui que Lui-même, comme Dieu est toujours Dieu, aussi cette foi subsiste toujours quoique tous les appuis manquent. Et plus les appuis sont ôtés, plus cette foi est forte, mais sa force n’est pas connue de celui qui la possède, parce que sa nudité est si entière qu’elle ne laisse nul témoignage, ni pour l’homme même ni en quelque chose que ce puisse être.

 Mais, pour la foi qui n’est pas en Dieu même, mais en Ses œuvres, elle est sujette au changement, quoiqu’elle soit bien plus sensible et connue que la foi nue, parce que n’étant appuyée que sur des ouvrages de Dieu, sur des dons, sur des miracles, sur quelque chose de Dieu qui subsiste hors de Lui : tout cela, quoique venant de Dieu, étant créature, est sujet à périr ; quand cela arrive, la foi périt avec ces choses. Ceux qui croyaient en Jésus-Christ à cause de Ses miracles avaient une foi qui vacillait incessamment : après avoir cru en un temps, ils ne croyaient plus en un autre temps, et d’admirateurs qu’ils étaient de Jésus-Christ, ils en devenaient [335] persécuteurs, parce que l’objet de leur foi manquant, leur foi manquait aussi. Mais les autres qui croyaient en Jésus-Christ pour Lui-même, furent plus affermis par la perte de tous les témoignages.

La foi nue n’a jamais de certitude, aussi n’a-t-elle jamais d’incertitude [77] : cette foi est en Dieu et pour Dieu, non pour elle ou par rapport elle ; il n’y a rien en aucune créature qui la puisse soutenir et appuyer. Il y a deux sortes de foi nue, ou plutôt, il y a deux degrés dans la foi nue, bien différents l’un de l’autre. Il y a une foi nue qui, ayant perdu tous les témoignages dans les dons, miracles et choses extraordinaires, ne peut être [dans ces choses-là], parce qu’elle est nue et que la nudité est éloignée de tout ce qui est de Dieu hors de Dieu. De telles personnes [cependant] ont une foi appuyée sur Dieu, laquelle est encore distincte et exprimable : ils se confient en la bonté, en la puissance de Dieu et le reste des attributs divins qui, étant tous en Dieu, sont pourtant une distinction. Cette personne qui se voit abandonnée de tout soutien et appui dans les créatures et même dans les choses de Dieu hors de Dieu, dit : “Je me confie et Dieu est tout-puissant”. Cette puissance de Dieu, quoiqu’on l’envisage directement, suppose cependant une chose qu’on attend ou espère ; il y a là une relation pour la personne qui croit, quoiqu’elle ne le voie pas.

Mais il y a une foi dont la nudité est si totale qu’elle ne distingue nulle subsistance : Dieu est, on croit en Lui pour Lui-même, sans penser ni savoir pourquoi l’on croit et ce qu’on croit. Tout est perdu dans l’unité, comme l’âme depuis [336] longtemps ne distingue en Dieu aucun objet de sa foi. Et comme elle perd de même la connaissance de son propre amour, elle perd aussi toute foi. On ne parle pas ici de la foi, vertu théologale, ou de la foi ordinaire, qui regarde seulement Dieu et qui croit tout ce qu’Il veut qu’on croie et tout ce que l’Église ordonne de croire ; mais on parle d’une oraison de foi, ou plutôt d’un état de foi, car ce n’est plus oraison, mais état. […]

 


 

Chapitre XII

V.35. Jésus leur répondit : vous n’aurez plus la lumière parmi vous que pour peu de temps ; marchez pendant que vous avez la lumière, de peur que les ténèbres ne vous surprennent parce que celui qui marche dans les ténèbres ne sait où il va.

 [...] Cette lumière leur est donnée pour les faire avancer à sa faveur, comme un flambeau qu’on donne à un voyageur pour le faire avancer. [...][361] Il faut remarquer que, quand je parle de poursuivre la lumière et de marcher à sa faveur, je ne parle pas des lumières extraordinaires qui se doivent outrepasser incessamment, sans s’y arrêter pour peu que ce soit : autrement elles arrêtent l’âme en elle-même, loin de l’en tirer. Je parle de la lumière qui fait découvrir les défauts afin de les poursuivre et de les combattre incessamment en méprisant tout le sensible et aimant tout ce qui crucifie.

Il faut savoir que toutes les lumières, soit ordinaires et simples, soit extraordinaires et de choses distinctes, sont données pour deux effets : pour faire connaître Dieu et pour se faire connaître soi-même. Et l’âme, pour être fidèle à la lumière, ne doit recevoir que ces deux effets, et outrepasser tous les autres, ne s’arrêtant ni aux accidents de la lumière ni à la manière dont elle est donnée : c’est ce qui doit demeurer dans un oubli éternel. Pour ce qui regarde de connaître Dieu, il ne s’agit pas de rien distinguer en Dieu de Lui-même, mais de connaître qu’Il mérite tout notre amour et qu’il faut tout laisser pour Le suivre. La connaissance de nous-mêmes ne consiste pas à savoir si nous avons une disposition ou une autre, une faveur ou une grâce, si nous avançons et de quelle manière Dieu Se communique à nous, mais elle consiste à nous faire comprendre que nous sommes le mal essentiel et souverain et que nous n’avons aucun bien en nous, que notre propre est le péché et que tout le bien est en Dieu. Cette connaissance qui est souvent très simple et sans ce raisonnement, nous porte à nous fuir et à nous [362] haïr nous-mêmes pour nous approcher de Dieu qui est le souverain bien, jusqu’à ce qu’à force de nous éloigner de nous-mêmes et de suivre Dieu, nous sortions enfin de nous pour passer en Lui. […]

 

Chapitre XIII

V.3. Jésus, sachant que Son Père lui avait mis toutes choses entre les mains et qu’Il était sorti de Dieu et qu’Il s’en allait à Dieu…

 [374][...]  Cette sortie de Dieu est une extase d’amour qui fit sortir ce Dieu d’amour hors de Lui-même pour porter l’homme à sortir de soi-même à Son imitation. Dieu sort de Dieu pour Se faire homme par un transport d’amour, afin que l’homme sorte de l’homme par le même amour pour devenir Dieu. […]

V.4. Il se leva de table, quitta ses habits et, ayant pris un linge, Il S’en ceignit.

V.5. Après Il mit de l’eau dans un bassin et commença à laver les pieds de Ses disciples et à les essuyer avec le linge dont Il était ceint.

[376] Cette cérémonie de Jésus-Christ, ces circonstances et les paroles qui l’ont précédée ont un sens et une figure admirables. Premièrement, après que l’évangéliste a remarqué que Jésus-Christ savait qu’Il était sorti de Dieu et qu’Il retournait à Dieu, avant que de retourner pour nous en ouvrir l’entrée, Il montre à Ses Apôtres les voies qu’il faut tenir et la purification qu’Il doit faire aux âmes, laquelle est si nécessaire que nul n’entrera avec Lui dans Son Père qu’il n’y ait passé, comme Il le dit à saint Pierre qu’Il n’aurait point de part avec Lui s’il ne se laissait purifier de la sorte. Jésus-Christ quitte ses habits pour nous apprendre qu’Il ne nous ferait participants de Sa gloire qu’en Se dépouillant de Son humanité et qu’il fallait qu’Il en usât de la sorte pour consommer notre purification ; Il nous apprit aussi qu’il fallait que nous fussions dépouillés de nous-mêmes et que la véritable purification se fait par le dépouillement. Après cela Il prit un linge et [377] S’en ceignit, tant pour marquer qu’à mesure que l’âme est dépouillée d’elle-même, elle est revêtue de la robe de l’innocence, que pour faire connaître que s’il a fallu qu’Il Se soit dépouillé de Son vêtement de gloire pour notre purification, il a fallu en même temps qu’Il se soit vêtu de notre faible nature, signifiée par ce linge qui est blanc pour montrer la pureté de cette nature. […]

V.6. Il vint donc à Simon Pierre, qui lui dit : Quoi, Seigneur, vous me lavez les pieds !

V.7. Jésus lui répondit : Vous ne savez pas maintenant ce que Je fais, mais vous le saurez à l’avenir.

V.8. Pierre répondit : Vous ne me laverez jamais les pieds. Jésus lui répondit : Si je ne vous lave, vous n’aurez point de part avec Moi.

Si l’homme ne se laisse point purifier à Jésus-Christ, il ne sera jamais pur. La parfaite purgation passive ne s’achève que pour l’union essentielle, et cette union essentielle ne se peut jamais faire que l‘âme n’ait été purifiée de toute tache [378] : or elle ne peut pas se purifier elle-même, il faut donc que le Verbe la purifie. Mais ce qu’il y a d’étrange, c’est qu’il ne se trouve presque personne qui veuille souffrir cette purification : les uns, par malice, s’en rendent indignes ; les autres, par fausse humilité, la refusent et croient pouvoir tout : ils attendent tout d’eux-mêmes et de leurs propres efforts. Saint Pierre fit alors ce même refus par une humilité d’ignorance ; c’est pourquoi Jésus lui dit :“Tu ignores à présent le mystère de ce lavement des pieds et la nécessité de cette purgation passive, mais tu le connaîtras un jour” ; cependant comme Pierre persistait à ne le vouloir pas souffrir, parce qu’il n’était pas encore éclairé de ce grand mystère, Il lui parle plus ouvertement et lui fait connaître qu’il est entièrement impossible qu’il ait aucune part avec Lui s’il ne souffre cette purification. Quelle part Jésus-Christ voulait-Il dire ? Il ne parlait pas là seulement de Sa gloire, mais de Son union intime et de Ses souffrances. Il est impossible de participer à l’unité de Dieu seul par une autre voie : c’est pourquoi, comme il sera vu dans la suite, après cette purification, Jésus-Christ fit cette admirable prière : “Mon Père, qu’ils soient un comme Nous sommes un, et qu’ils soient tous consommés en un.”

 


 

V.23. Alors Simon Pierre fit signe à un d’entre eux que Jésus aimait et qui était couché sur son sein,

V.24. afin qu’il sût de lui duquel c’était [sic] qu’il voulait parler.

      [388][...]  Il ne dit pas : le disciple qui aimait Jésus, mais : le disciple que Jésus aimait, parce qu’il n’aimait plus Jésus que par l’amour même de Jésus. Il n’avait plus d’amour qui lui fût propre, mais Jésus aimait en Jean de Son propre amour, Dieu Se pouvant aimer de Son amour même, ce que Jean ne pouvait pas, qui, n’ayant plus d’amour, ne pouvait aimer Jésus par son amour, mais par l’amour même de Jésus. […]

V.25. Ce disciple donc, étant couché sur le sein de Jésus, lui dit : Seigneur, qui est-ce ?

[390] Il y a une communication de silence entre Dieu et l’âme, et il y en a aussi entre les créatures qui sont à peu près en pareil degré intérieur d’oraison ; mais pour cela il faut être très avancé : restant en oraison ensemble, il se fait un langage intérieur où l’on se communique l’intérieur sans se parler, pourvu que les intérieurs soient bien conformes : ce sont comme deux luths bien d’accord : lorsque le maître en touche l’un, l’autre résonne au même ton. Il se fit alors de Jean à Jésus une double conversation de silence. […]

V.35. C’est en cela que tous connaîtront que vous êtes Mes disciples, si vous avez de l’amour les uns pour les autres.

[398] C’est la charité pour le prochain, à cacher leurs défauts et les aimer et servir malgré leurs ingratitudes et les méchants offices qu’ils nous rendent, qui est le véritable caractère qui distingue les vrais disciples de Jésus-Christ, les âmes intérieures d’avec les autres qui ne le sont pas : quelque outrage qu’on leur puisse faire, elles n’ont jamais ni fiel ni aigreur contre celles qui les offensent. […]

V.38. Jésus lui répondit : Vous donnerez votre vie pour Moi ! En vérité, en vérité Je vous le dis, le coq ne chantera point que vous ne M’ayez renoncé trois fois.

[399] C’est la différence qu’il y a entre l’amour sensible et l’amour nu que l’amour sensible, jugeant sur son ardeur, croit tout possible parce qu’il mesure ses forces à son sentiment. Cependant dans l’occasion, comme cette chaleur amoureuse vient à se ralentir, on n’éprouve que de la faiblesse et l’on ne fait rien moins que ce qu’on s’était proposé de faire. L’amour nu est tout au contraire, il ne présume de rien, il ne s’avance pour rien, et même, lorsqu’il se sonde, il se croit si faible qu’il craint la moindre occasion de peur de manquer de courage, parce qu’il n’éprouve en lui qu’une froide mort ; cependant, comme c’est un feu tout concentré au-dedans, dans une occasion forte et violente il fait un effort généreux et montre ce qui était caché. […]

 

Chapitre XIV

V.16. Je prierai Mon Père et Il vous donnera un autre Consolateur pour demeurer avec vous à jamais.

V.17. C’est l’Esprit de vérité que le monde ne peut recevoir parce qu’il ne le voit point ni ne le connaît point. Mais pour vous autres, vous Le connaîtrez parce qu’Il demeurera avec vous et qu’Il sera en vous-mêmes.

[411] On ne perd pas plutôt la présence distincte et perceptible de Jésus-Christ, (lorsque c’est par grâce et non par le péché), que le Consolateur est donné. Le Consolateur est un Esprit infus, général, saisissant toute l’âme et l’absorbant et perdant si fort à tout distinct quel qu’il soit, qu’il ne reste plus qu’un amour tranquille et général qui ne se distingue que par la paix qu’il opère dans l’âme. Cet Esprit est l’Esprit de vérité qui met l’âme dans la vérité, la réduisant dans l’unité de Dieu seul par l’anéantissement total et la perte de tout ce qui n’est point Dieu. Et ce Consolateur, s’étant une fois emparé de toute l’âme, ne la quitte plus. […][412] Il viendra un jour que vous le connaîtrez : ce ne sera point par lumières ni illustrations, mais par votre propre expérience, car Il demeurera avec vous d’une manière permanente et afin que vous Le possédiez plus aisément, Il habitera en vous.[…]

V.21. Celui qui a reçu Mes commandements et qui les garde est celui qui M’aime, et celui qui M’aime sera aimé de Mon Père et Je l’aimerai aussi et Je Me découvrirai à lui.

[414][…] Si les commandements de Dieu sont les degrés qui font monter l’âme dans la plus pure charité, ils sont aussi les fruits et les effets de cette même charité ; ils sont comme l’échelle de Jacob : Dieu, qui est la charité même, Deus caritas est, est appuyé sur cette échelle et c’est par elle qu’on trouve Dieu Lui-même pour se perdre et abîmer en Lui ; et alors toute la loi est outrepassée par un excès d’amour et de charité pure qui n’est autre que Dieu Lui-même, mais la loi, pour être outrepassée, n’est pas pour cela violée. […]

V.27. Je vous laisse Ma paix, Je vous donne Ma paix ; Je ne vous la donne point comme le monde la donne. Que votre cœur ne se trouble point et qu’il ne craigne point.

[418] Jésus-Christ, après avoir parlé de Sa parole, dit qu’Il laisse et donne Sa paix parce que Sa parole est une parole de paix, elle ne vient jamais dans l’âme sans y apporter la paix et elle ne se laisse distinguer que par la paix. […]

 

Chapitre XV

V.1. Je suis la vraie vigne et Mon Père est le vigneron.

V.2. Il retranchera toutes les branches qui ne porteront point de fruit en Moi, et Il taillera toutes celles qui portent du fruit afin qu’elles en portent davantage.

[422][…] Tout ce qui est donné par notre propre effort est étranger : c’est comme une pluie qui mouille et semble verdir, mais qui pourrit si la sève n’est communiquée par dedans. Il faut remarquer que la sève se communique aux branches si imperceptiblement qu’il ne s’en voit rien, sinon qu’on connaît que la sève se communique parce que la branche est verte ; si elle cesse de se communiquer, la branche se sèche. La pluie qui mouille au-dehors paraît davantage : il en est de même de l’opération vivifiante du Verbe dans l’âme : elle est si simple et si naturelle qu’elle ne se distingue que par une certaine vigueur secrète qu’elle communique à l’âme. Les opérations propres et du dehors sont comme une eau de pluie qui mouille la superficie et se fait connaître davantage.

Toutes les branches, donc, qui ne porteront point de fruit seront absolument retranchées et ôtées, mais celles qui portent du fruit en Jésus-Christ, qu’est-ce que leur fait cet admirable vigneron ? Il les taille, les émonde, les coupe incessamment par les croix, les afflictions, les contrariétés, les calomnies épouvantables ; ce sont les façons que ce Père de famille donne à Sa vigne. Que fait cette branche ainsi coupée ? Elle pleure, elle semble même qu’elle perde sa sève. O non pourtant, tout au contraire : elle perd ce qu’elle a d’étranger, sa faiblesse, afin de recevoir une plus abondante sève de son cep. O aimable comparaison ! C’est bien le moyen de faire [423] rapporter un fruit plus abondant. Mais quel est le fruit de la vigne ? C’est un fruit qui n’est reçu que pour être broyé et écrasé sous le pressoir et qui ne vit que dans sa perte ; c’est là le véritable fruit qui est porté en Jésus-Christ, qui est d’autant plus utile qu’il est plus promptement broyé, brisé, détruit, et la différence du raisin aux autres fruits, c’est que sa bonté est dans sa destruction, son salut dans sa perte  [...]

V.10. Si vous gardez mes commandements, vous demeurerez dans Mon amour, comme J’ai gardé les commandements de Mon Père et Je demeure dans Son amour.

[427] Jésus-Christ parle ici de l’exemple qu’Il nous donne et que nous devons suivre, l’exemple de l’extérieur et de l’intérieur. Pour l’extérieur, Il a observé tous les commandements et toutes les volontés de Son Père ; en faisant comme Il a fait, nous ne saurions nous méprendre. Et pour le dedans, nous n’avons rien autre chose à faire qu’à demeurer dans Son amour. Qu’est-ce que demeurer dans Son amour ? C’est demeurer dans Sa grâce et dans la charité et recevoir les opérations de Son amour au-dedans, aimer, aimer, aimer, et rien autre. L’amour ne consiste point à dire que l’on aime, mais à aimer, et pour le dehors à imiter Jésus-Christ et faire ce qui est de notre devoir. Au-dedans aimer, au-dehors agir selon la volonté de Dieu.

V.11. Je vous dis ces choses afin que Ma joie demeure en vous et que votre joie soit accomplie.

Jésus-Christ assure qu’Il dit cela à Ses disciples afin que Sa joie demeure en eux, non pas une joie [428] étrangère, mais Sa propre joie. Celui qui demeure dans l’amour de Dieu, amour pur, est dans une joie ineffable.  […]

V.16. Ce n’est pas vous qui M’avez choisi, mais c’est Moi qui vous ai choisis et qui vous ai établis afin que vous allassiez faire du fruit et que le fruit que vous rapporterez demeure, et que mon Père vous donne tout ce que vous Lui demanderez en Mon nom.

Mais afin que nous ne crussions pas qu’un bonheur aussi signalé que celui d’être des amis de Jésus-Christ nous ait été mérité par aucun bien qui fût en nous, ou que nous nous [431] devions à nous-mêmes l’inclination où nous sommes d’être tout à Lui, Il ajoute : Ce n’est pas vous qui M’avez choisi par la vue et la considération de Mes amabilités, de Mes bontés, de ce que Je suis. […]

 

Chapitre XVI

V.7. Cependant Je vous dis la vérité : il vous est avantageux que Je m’en aille, car si Je ne m’en vais, le Consolateur ne viendra point vers vous, et si Je m’en vais, je vous L’enverrai.

 [...] Il faut que cette privation de Jésus-Christ donne la mort afin que l’Esprit Saint vienne ensuite vivifier cette âme et la remplir d’une grâce d’autant plus abondante qu’elle sera plus durable. Cependant, [441] la plupart ne reçoivent point ce divin Consolateur, parce qu’ils ne veulent point être privés de cette présence sensible de Jésus-Christ. On veut toujours s’en tenir au premier moyen et c’est ce qu’il ne faut jamais faire : il faut en demeurer content tant que l’on nous y laisse, mais il faut nous en laisser priver lorsqu’on nous l’ôte, parce qu’il est nécessaire que cela soit de la sorte, sans quoi l’Esprit Consolateur ne viendra point. Si l’on ne quitte la méditation, on ne passera point à la contemplation. La plupart des âmes voudraient bien avancer et arriver aux derniers degrés, mais elles ne voudraient point quitter les premiers. On veut bien acquérir, et ne rien perdre : c’est ce qui fait que l’on n’acquiert rien. […]

 

Chapitre XVII

V.3. La vie éternelle consiste à vous connaître, Vous qui êtes le seul vrai Dieu, et Jésus-Christ que Vous avez envoyé.

[457] Il est certain que la véritable vie éternelle et le souverain bonheur de l’âme, le fruit et le fondement en même temps du plus pur amour, c’est de connaître que Dieu est seul Dieu, seul saint, seul grand, seul tout, et qu’Il doit être seul de cette sorte en nous. […][458] Toutes les créatures prétendent et désirent être quelque chose : on veut être quelque chose en Dieu, ou que Dieu fasse de grandes choses en nous, mais on n’aspire point à ce que Dieu soit Lui seul et Le connaître seul. O que l’âme est heureuse et véritablement en vie éternelle lorsqu’elle ne connaît plus que Dieu seul et Jésus-Christ qu’Il a envoyé, et que tout le reste est ôté et arraché. O Vie, plus de l’éternité que du temps, que tu es préférable à toute autre vie ! Et à quel prix ne dois-tu pas être achetée ! On ne peut t’acquérir que par la perte de tout le reste. […]

V.12. Lorsque j’étais avec eux, je les gardais en Votre nom. J’ai conservé ceux que vous m’avez donnés et nul d’entre eux ne s’est perdu, excepté le fils de perdition par qui l’Écriture a dû être accomplie.

[466][...] Tant que Jésus-Christ a été sur la terre, Il a gardé Ses Apôtres,  mais comment les a-t-Il gardés ? Au nom de Dieu, c’est-à-dire d’une manière si pure qu’Il n’avait que Dieu seul en vue dans la garde qu’Il en faisait : c’était pour la seule gloire de Dieu qu’Il les gardait de la sorte. Il garde de même encore toutes les âmes qui s’abandonnent à Lui. O qu’il fait bon s’y abandonner sans réserve et que l’on est bien gardé ! Il les garde jusqu’à ce qu’Il les perde avec Lui dans l’unité divine. O alors il n’y a point d’autre garde que cette même unité, abîme impénétrable et sans fond où l’âme est gardée dans sa perte, car alors elle est si perdue dans cet abîme qu’elle ne s’y découvre plus. […]

V.23. Je suis en eux et Vous êtes en moi afin qu’ils soient consommés dans l’unité et que le monde connaisse que Vous m’avez envoyé et que Vous les aimez comme Vous m’avez aimé.

 [475][...] Le Verbe s’écoule et se produit incessamment dans l’âme vide de tout le reste et c’est cet écoulement continuel du Père dans le Verbe et du Verbe dans l’âme qui fait l’unité parfaite de l’âme avec Dieu ; et le Verbe s’écoule de manière qu’à mesure qu’il s’écoule, Il vide cette âme, l’anéantit, la détruit et la consomme, et lorsqu’elle est consommée et qu’il n’y a plus rien en elle d’elle qui ne soit consommé, elle est alors réduite dans l’unité. […]

V.26. Je leur ai fait connaître Votre nom et Le leur ferai encore connaître afin que Vous les aimiez de l’amour dont Vous m’avez aimé, étant moi-même en eux.

[478][...] Jésus-Christ fait connaître Son Père, mais d’une manière si pure que l’âme ne distingue cette connaissance que dans le besoin, lorsqu’il s’agit de parler ou d’écrire. Tout ce qu’elle en comprend est que tout ce qu’elle lit, entend, et tout ce que les créatures en disent, n’est qu’un bégaiement qui la tue parce qu’elle a, comme dit l’Ecriture [78], des sentiments du Seigneur qui sont dignes de Lui parce qu’ils sont infus par Lui-même.

Jésus-Christ fait toujours plus connaître Dieu dans cette âme où Il habite, mais il ne faut pas croire que ce soient des connaissances, lumières, illustrations promptes et soudaines qui viennent passagèrement faire voir à l’âme, par une lumière médiate, des grandeurs en Dieu qu’elle puisse distinguer. Ce n’est rien moins que cela : c’est une chose qui est mise dans l’âme, ou plutôt dans laquelle l’âme est mise, laquelle elle ne distingue ni ne voit parce qu’elle est infiniment plus grande que l’âme…

 

Chapitre XIX

V.5. Jésus donc sortit, portant une couronne d’épines et une robe de pourpre. Pilate leur dit : Voilà l’homme !

[494][...] Pilate dit : Voilà l’homme ! Mais quel homme ? L’homme de douleurs et d’amour, l’homme qui vient rétablir l’homme et le rendre ce qu’il était lorsqu’il fut créé, l’homme-Dieu, le Dieu fait homme pour faire l’homme-Dieu, l’homme en qui la nature humaine est dans toute sa perfection ; les autres hommes ne sont plus des hommes, ils n’en ont que la figure, ils ont perdu la qualité d’homme pour prendre celle de la bête. Voilà l’homme, ô hommes, que vous devez imiter si vous voulez redevenir hommes.

 


 

Chapitre XX

V.1. Le premier jour de la semaine dès le matin, avant qu’il fît clair, Marie-Madeleine vint au sépulcre et, voyant que la pierre était ôtée,

V.2. elle courut vers Simon Pierre et vers l’autre disciple que Jésus aimait et leur dit : Le Seigneur a été enlevé du sépulcre et nous ne savons où on L’a mis.

 [513][...]  Son amour impatient voyant que la volonté de Dieu s’accordait à son devoir, elle court, elle vole, mais ne trouvant point Celui qu’elle cherche, son amour défiant et jaloux soupçonne qu’on lui a dérobé son bien-aimé ; c’est le propre de l’amour lorsqu’il est fort d’avoir de semblables défiances. Que fait-elle dans son double transport ? Elle va trouver le prince des Apôtres, comme celui qui pouvait plus que nul autre remédier à son mal ; mais comme son amour et sa défiance ne sont pas satisfaits pour cela, elle va au disciple que Jésus aimait, elle le cherche, cet autre amant, croyant qu’il n’y a rien de secret pour lui et qu’il pourra lui dire des nouvelles de son Dieu, ou du moins que, s’il n’en sait rien, il aura autant d’impatience qu’elle de Le trouver parce qu’étant le disciple de l’amour dont elle était la conquête, ils devaient s’accorder très bien ensemble. […]

V.18. Marie-Madeleine vint donc annoncer aux disciples qu’elle avait vu le Seigneur et qu’Il lui avait dit telle chose.

V.19. Le soir de ce même jour qui était le premier de la semaine, étant venu, et les portes du lieu où les disciples étaient assemblés étant fermées, parce qu’ils craignaient les Juifs, Jésus vint et se mit au milieu d ‘eux et leur dit : La paix soit avec vous !

[522] Marie-Madeleine fut l’Apôtre de la Résurrection, mais sa mission fut bientôt confirmée par une apparition de Jésus-Christ. Il entre dans la chambre, les portes étant bien closes : c’est de cette manière qu’Il vient dans les âmes ; on ne travaille pas plutôt à se recueillir de toutes ses forces, à fermer les portes de ses sens à tous les objets du dehors, que Jésus apparaît tout à coup dans le fond de cette âme, ce qui la charme et la ravit de joie. Mais quel signe donne-t-Il de Sa venue dans l’âme ? Point d’autre que celui-là : La paix soit avec vous !  Il apporte avec Lui la paix [79]. L’âme goûte alors une paix inconcevable et inaltérable tout ensemble, et c’est là la marque de Sa présence, comme le trouble est la preuve de Son éloignement.

V.20. Après avoir dit ces paroles, Il leur montra Ses mains et Son côté, et les disciples ayant vu le Sauveur furent remplis de joie.

Après que Jésus a rempli l’âme de paix, comme Il fit à Ses Apôtres, Il se manifeste à elle ; Il le fait intérieurement par une connaissance plus claire qu’Il lui donne de ce qu’Il est, et, extérieurement, par quelque participation qu’Il lui envoie de Ses souffrances : cette faveur remplit cette pauvre âme de joie et de contentement de ce qu’elle découvre de Son amour.

 

Chapitre XXI

V.4. Le matin suivant, Jésus vint sur le rivage sans néanmoins que Ses disciples sussent que c’était Lui.

V.5.  Jésus leur demanda : Enfants, n’avez-vous rien à manger ?  Ils Lui répondirent qu’ils n’avaient rien.

V.6. Jetez, dit-il, votre filet du côté droit de la barque et vous trouverez quelque chose. Ils jetèrent leur filet et ne le pouvaient plus tirer tant il était rempli de poissons.

[528] Jésus-Christ ne paraît pas plutôt dans le point du jour de la lumière, qui est l’état apostolique, Il ne donne pas plutôt la mission, Il ne commande pas plutôt de jeter le filet que la pêche est si abondante que rien plus. O Dieu, c’est Vous seul qui faites ces captures ! La créature n’est que Votre vil instrument et Vous voulez qu’elle le sache, Vous voulez qu’elle connaisse par son expérience qu’elle ne peut rien faire sans Vous et que si elle fait quelque chose lorsque Vous le lui ordonnez, elle Vous en doit rendre toute gloire et se regarder comme un sujet inutile dont il Vous plaît de Se [vous] servir, qui n’a nulle vertu de lui-même que celle qu’il emprunte de la main qui le fait agir.

V.7. Alors le disciple que Jésus aimait dit à Pierre : C’est le Seigneur. Simon Pierre ayant entendu que c’était le Seigneur, se vêtit de sa tunique parce qu’il était nu et se jeta dans la mer.

Le disciple de l’amour reconnut son Maître, non pas tant à la vue qu’au goût du cœur, ce cœur sentit que c’était Celui dont il était aimé [529] et qu’il aimait si tendrement : c’est pourquoi il le donna à connaître à Pierre. Jésus-Christ ne Se faisait pas connaître et la vue ne pouvait Le découvrir : il n’y eut que le cœur de saint Jean qui sentit le cœur de son Maître comme un aimant qui l’attirait. O saint Jean, que vous aviez bien fait d’autres fois qu’à la Cène ce métier de vous coucher sur la poitrine de votre Maître ! Cette amoureuse privauté vous était sans doute familière : vous aviez été attiré par ce cœur d’aimant qui avait touché le vôtre non seulement pour l’attirer lui-même, mais pour en attirer bien d’autres, comme l’on voit une pierre frottée d’aimant avoir la même vertu que l’aimant. Pierre n’eut pas plutôt entendu que c’était son Maître que, tout brûlant du désir de Le voir, impatient qu’il était, il se jette dans la mer ne pouvant pas attendre que la barque fût arrivée au bord. O, Dieu ! dans quel abîme et dans quel précipice ne se jetterait-on pas si l’on était assuré de Vous trouver !

V.8. Les autres disciples qui n’étaient loin de terre que d’environ deux cents coudées vinrent avec la barque, traînant le filet plein de poissons.

Pierre était si pressé de voir son cher Maître et de Lui donner des preuves de son amour, qu’il abandonne la pêche qu’il avait faite quoiqu’il eût tant travaillé pour l’avoir. Il montra en cela et la force de son amour et le détachement de son cœur qui n’estimait rien au monde que son Dieu. Il fit voir son extrême indifférence, et qu’il était aussi prêt à ne servir jamais aux âmes qu’à y servir. C’est la disposition [530] où doivent être tous les hommes apostoliques, servir les âmes sans attache, être aussi prêt à les servir qu’à ne les servir pas, ne se pas mettre en peine du succès. Cependant les autres disciples apportèrent ou conduisirent la pêche que Pierre avait faite.

V.15. Après qu’ils eurent dîné, Il demanda à Simon Pierre : Simon, fils de Jean, M’aimez-vous plus que ne font ceux-ci ?  Oui, dit-il, Seigneur, vous savez que je Vous aime. Il lui dit : Paissez Mes agneaux.

[532][...] C’est une chose admirable qu’un homme qui a éprouvé véritablement sa misère et sa faiblesse, ne se puisse plus rien promettre de lui, ni fidélité, ni persévérance, ni rien de tout cela. Si Jésus avait demandé à Pierre : “Me seras-tu fidèle ?” Il eut répondu : “Hélas, Seigneur, je ne trouve aucun fonds en moi de quoi appuyer une fidélité ; je le serai si vous me donnez de l’être”. Mais lorsque Dieu demande :  M’aimez-vous ?   O le cœur ne peut point se démentir et au milieu de la plus extrême misère il ne peut s’empêcher de dire qu’il aime. O Dieu ! c’est le seul témoignage sans témoignage qui reste à une âme qui est dans la mort et dans l’état de sa propre abjection que de trouver, lorsque l’on sonde son fonds, qu’il lui semble qu’elle aime Dieu, et son cœur lui rend bien ce témoignage qu’il n’aime que Lui. Mais hélas ! quoi qu’il en soit de la sorte, il ignore s’il en est aimé : Je sens, dit cette âme à son Dieu, que si je ne Vous aime pas, je n’aime rien au monde, car alors l’âme se trouve dépouillée de tout amour créé quel qu’il soit. Saint Pierre répondit donc à Jésus ce que répondent les autres cœurs comme lui : Oui, Seigneur, Vous savez que je Vous aime. Jésus lui dit : Paissez mes agneaux. Vous ne demandez donc que l’amour et l’amour pur, pour toute disposition, à un pasteur afin qu’il soit en état de paître Votre troupeau. Non, il ne faut point d’autre disposition : [533] un amour épuré, une charité parfaite renferment toutes les véritables dispositions du pasteur, parce que n’aimant que son Dieu, et ne s’aimant point soi-même, il ne pense qu’à Le satisfaire et il donne sa vie pour la garde du troupeau qui lui a été confiée.

V.18. En vérité, je vous dis, que lorsque vous étiez jeune, vous vous ceigniez vous-même, et vous alliez où vous vouliez. Mais quand vous serez vieux, vous étendrez vos bras, et un autre vous ceindra, et vous mènera où vous ne voudriez pas aller.

V.19. Il lui fit connaître par là de quelle mort il devait glorifier Dieu. Et après ces paroles il lui dit : Suivez-moi.

Ce passage nous dépeint encore le véritable caractère de deux sortes de saints qui sont dans l’Église de Dieu ;  les premiers sont des saints vivants et les derniers sont des saints morts et anéantis. Les premiers se sanctifient dans une force admirable,faisant jusqu’à la mort toutes les pénitences et les pratiques qu’ils se sont proposées, ils sont riches en dons, grâces et faveurs, ils sont dans l’éclat d’une vie illustre ; ils vont où ils veulent, parce que Dieu leur accorde tout ce qu’ils désirent ; Dieu fait toutes leurs volontés, et ces grands saints sont de la sorte parce qu’ils sont les lumières des siècles où ils se trouvent ; lumières qui doivent toujours éclairer et ne s’éteindre jamais. Les seconds sont tout autrement : Dieu Se plaît à Se glorifier dans leurs anéantissements, vous ne voyez que [537] déroute, que misères, que décri, que confusion ; rien ne réussit : que si Dieu donne quelque succès, Il le détruit d’abord par quelques bonnes confusions, et par de plus grands renversements. Ces gens ne font jamais ce qu’ils veulent, mais Dieu prend plaisir à leur faire faire tout ce qu’ils ne veulent pas, et tout ce qu’ils craignent et appréhendent : ce son là les Saints de Dieu.

V.20. Pierre, s’étant retourné, vit venir aussi après lui le disciple que Jésus aimait, qui pendant la Cène, avait reposé sur le sein de Jésus et Lui avait demandé : Seigneur, qui est celui qui vous trahira ?

V.21. Pierre, donc, l’ayant vu, dit à Jésus : Et celui-ci, Seigneur, que deviendra-t-il ?

V.22. Jésus lui dit : Je veux qu’il demeure ainsi jusqu’à ce que Je vienne. Que vous importe ? Mais vous, suivez-Moi.

[537] Saint Jean qui avait souffert la mort mystique, et qui était dans un état de vie ressuscitée en Dieu, ne pouvait plus souffrir l’état que saint Pierre devait porter [80]. Cependant saint Pierre n’ignorant pas combien il était aimé de Jésus voulut savoir s’il aurait quelque part à ce qui lui était dit pour lui-même : c’est pourquoi il demanda à Jésus ce qu’il devait devenir. Jésus lui dit : Pour lui en qui Je suis mort et ressuscité, Je veux qu’il demeure de la sorte jusqu’à ce que Je vienne, parce que l’âme qui est ressuscitée n’a plus rien à faire qu’à vivre de cette vie qui lui est communiquée avec toujours plus d’abondance jusqu’à ce que Jésus-Christ la vienne chercher en la retirant du monde.

V.23. De là vient qu’un bruit courut parmi les frères, que ce disciple ne mourrait point, quoique Jésus n’ait point dit à Pierre : “Il ne mourra point”, mais : “Je veux qu’il demeure ainsi jusqu’à ce que Je vienne, que vous importe ?”

V.24. C’est ce disciple même qui rend témoignage de ces choses et qui les a écrites, et nous savons que son témoignage est véritable.

 [538] Les Apôtres furent si grossiers qu’ils prirent les paroles de Jésus-Christ à la lettre comme l’on fait d’ordinaire, ne pénétrant pas le sens mystique qu’elles avaient. Le disciple en faveur de qui elles étaient dites les comprit très bien ; mais son humilité l’ayant empêché de le déclarer, il se contente de dire que Jésus-Christ ne parlait point de la mort corporelle, ce qui nous doit assez persuader qu’Il parlait d’un état permanent dans lequel le disciple devait être pour lors et qui devait durer jusqu’à sa mort. […]

 

 

 

 



 

Actes des Apôtres   

Chapitre I

V.5. Car Jean a baptisé d’eau ; mais, dans peu de jours, vous serez baptisés du Saint-Esprit.

Le premier baptême, ainsi qu’il a été expliqué en saint Matthieu, est le baptême de la pénitence, qui est très bien signifié par le baptême d’eau que conférait saint Jean. C’est un baptême qui sert à laver les plus grosses ordures et les impuretés superficielles. Mais quoique ce baptême soit très bon est très utile, il n’est pas cependant le seul nécessaire pour un homme apostolique. Il faut qu’il soit baptisé par le Saint-Esprit et que le Saint-Esprit le remplissant de Lui-même, le purifie radicalement afin qu’évacuant les impuretés qui sont même identifiées avec la nature, il ne lui reste que la pure charité. [...]

V.44. Mais ceux qui croyaient, étaient tous unis ensemble ; et ils n’avaient rien qui ne fût en commun.

V.45. Ils vendaient même leurs possessions, et les distribuaient à tous les fidèles selon le besoin d’un chacun.

[Tome V, 13] Cette union du cœur et de l’esprit, qui était dans la primitive Église, faisait une charité si parfaite qu’il n’y avait rien caché et qui ne fût à tous. Qui a le cœur et l’esprit, a bientôt le bien : tout est commun entre les amis ; or, de tous les amis, il n’y en a pas de qui l’union soit si forte que celle des personnes véritablement intérieures. On ne demande pas que l’on vende tous ses biens pour les distribuer aux pauvres ; mais, au moins, qu’on leur fasse part de ceux dont on abonde. O si l’on avait le vrai esprit intérieur, esprit de Jésus-Christ, on ne serait pas autant attaché au bien qu’on l’est ! La plus sûre marque de la candeur et simplicité intérieures, c’est ce détachement général des choses de la terre, ce mépris des biens : et j’ai de la peine à croire qu’une personne attachée aux biens, puisse être bien intérieure. [...]

Chapitre X

V.1. Il y avait un homme à Césarée, nommé Corneille, qui était centenier de la légion appelée l’Italienne.

V.2. Il était religieux et craignant Dieu avec toute sa famille : il faisait beaucoup d’aumône au peuple, et il priait Dieu incessamment.

Véritablement la main de Dieu n’est pas raccourcie [81] : Il prend plaisir à nous faire voir dans un gentil le véritable portrait d’un parfait chrétien. O Dieu, Vous avez partout des serviteurs, et il n’y a pas de lieu où il ne s’en trouve, et Votre bonté est si grande qu’en quelque lieu que se trouve un homme qui Vous serve fidèlement selon sa lumière naturelle, vous lui donnez tôt ou tard le moyen de Vous connaître d’une manière plus particulière. On verra dans l’éternité les infinies miséricordes que Vous avez faites parmi les peuples inconnus. Ce gentil [44] était, selon le témoignage de l’Écriture, religieux, c’est-à-dire qu’il avait toutes les qualités d’un religieux : car le religieux n’est pas tel pour avoir un habit différent des autres, s’il n’a les qualités d’un religieux : sans cela, c’est un monstre. Hélas, qu’il y a de monstres de cette sorte ! Corneille était donc religieux et craignant Dieu ; il faisait beaucoup d’aumônes ; et l’aumône est le devoir et la vie du chrétien. On voit pour l’ordinaire que les personnes qui font des aumônes extraordinaires, selon leur moyen, se sanctifient tôt ou tard, Dieu récompensant cette charité d’une manière très particulière. Mais une qualité qui est véritablement le caractère du religieux chrétien, c’est qu’il priait incessamment : il avait la perfection du chrétien avant que d’être chrétien ; cet homme était donc parfait selon la lumière qu’il avait alors.

Mais il y aurait une belle réflexion à faire là-dessus : si un gentil, qui n’était pas chrétien, priait Dieu incessamment, et s’il pratiquait par avance le conseil de saint Paul, “priez sans cesse”, comment les chrétiens d’aujourd’hui trouvent-ils cela impossible, et comment s’excusent-ils si fort de s’adonner à la prière, disant qu’ils la trouvent tout à fait difficile, pour ne pas dire impossible ? O c’est qu’ils ne savent pas faire la différence de l’état de prière d’avec l’action extérieure de la prière. Nous pouvons, si nous voulons, être dans un état continuel de prière, quoique nous ne soyons pas dans une posture continuelle de prière. L’Écriture, qui dit que Corneille priait incessamment, ne ment pas. Cependant, c’était un centenier qui avait à veiller sur ses soldats [45] et sur sa famille : il ne pouvait donc pas être dans une posture continuelle de prière, mais il était dans un état de prière. La prière n’est autre chose que l’élévation du cœur à Dieu. Ce cœur qui s’élève incessamment vers son Dieu, et qui est au-dessus de toute attache aux choses de la terre, qui fait sa plus douce occupation de penser à Lui et de L’aimer, qui ne s’occupe volontairement que de Lui, et de tout ce qui est de l’état où il est pour l’amour de Lui, celui-là est dans une prière continuelle : il porte son Dieu partout ; et faisant avec Lui dans son cœur une conversation d’amour continuelle, il a un état de prière que l’extérieur n’interrompt pas, quoiqu’il ne soit pas toujours en posture de prière, et qu’il ne parle pas incessamment.

Il y a deux abus sur le fait de la prière. Les uns ne veulent pas prier, parce que, disent-ils, la prière est trop difficile, qu’elle est impossible : et ceux-là se trompent, faute de connaître ce que c’est que la prière. Les autres au contraire, ayant connu le mérite et la valeur de la prière, voudraient toujours prier, et d’autant plus qu’ayant goûté le plaisir qu’il y a à prier, la facilité de trouver Dieu dans son fonds, la douceur d’être en Sa compagnie, ils veulent toujours prier ; et ils font bien. Mais ne comprenant pas qu’il y a un état de prière qui n’exige ni la posture de la prière ni la parole de la prière, ils négligent tout ce qui est de leur devoir pour satisfaire, disent-ils, à cette occupation si absolument nécessaire ; et croyant beaucoup prier, ils perdent la prière.

La prière réglée s’accorde avec tous les emplois, et avec tous les devoirs de chaque emploi. Il faut donc s’accoutumer à se tenir dans [46] dans l’état de prière, qui ne doit être interrompu par quoi que ce soit. L’action extérieure qui est dans l’ordre de Dieu, loin de nuire à la prière, la soutient ; et l’oraison perfectionne l’action. Il y a cependant des personnes qui n’ont nul emploi qui les oblige à se produire au-dehors : ceux-là font très bien de joindre la posture à la prière, et la retraite leur est nécessaire. Pour les autres, il faut qu’ils portent leur prière partout. Mais comme l’on abuse de tout, il y a des gens qui se chargent par eux-mêmes d’emplois qui ne sont pas de leur vocation ni de l’ordre de Dieu. Ceux-là ruinent leur oraison par leur action. Tout ce qui est de l’ordre de Dieu et de l’emploi d’un chacun, ne détruit pas l’oraison, pourvu que l’âme soit fidèle à demeurer dans l’état d’oraison, comme il a été dit. [...]

 

Chapitre XII

V.5-6. Pendant que Pierre était gardé dans la prison, et qu’il dormait entre deux soldats chargé de chaînes,

V.7. L’Ange du Seigneur parut tout d’un coup, le lieu fut rempli de lumière, et l’Ange le poussant par le côté, l’éveilla et lui dit : levez-vous promptement. Au même moment ses chaînes tombèrent.

V.8. Et l’Ange lui dit : mettez votre ceinture, attachez vos souliers, prenez votre vêtement, et suivez-moi.

Cette histoire est la véritable figure d’une âme que Dieu tient dans la mort intérieure : elle est comme dans une prison obscure, chargée des chaînes de ses misères, dont elle ne peut se délivrer ; elle est gardée de tous côtés ; elle ne voit pas d’issues ni de moyens de sortir de là ; elle attend tous les jours la mort et il lui semble que tous les moyens la lui doivent procurer. Cependant elle dort et se repose dans sa misérable prison comme dans un lieu qui lui est propre, lorsque tout à coup une lumière prompte et soudaine la saisit dans le plus profond de la nuit, dans le temps qui est le plus éloigné du jour : c’est-à-dire lorsqu’il n’y a plus d’espérance. Cette âme se trouve réveillée comme d’un profond sommeil ; elle entend une voix profonde et efficace qui lui dit : “Levez-vous” ; elle se lève de son sépulcre, les chaînes qui la tenaient captive et dont elle n’aurait jamais pu se délivrer, tombent d’elle. Ensuite on lui dit de se revêtir des mêmes choses dont elle avait [54] été dépouillée dans cette affreuse prison ; on la vêt de la ceinture de la justice, non pas de la propre justice, mais bien d’une nouvelle justice pure, car elle est dépouillée de ce qu’il y avait de propre. On veut que ses souliers, qui sont les affections dont on avait été dépouillé, soient attachés : car les affections servent, non plus comme autrefois, mais elles sont comme des oracles infaillibles des volontés de Dieu. Ensuite il faut remettre le vêtement de l’innocence, dont on avait été dépouillé, non seulement par le péché originel et actuel, mais par la propriété. C’est alors que l’âme en est vêtue, et qu’il lui est dit : “Vêtez-vous de la robe d’innocence que je vous ai donnée après l’avoir lavée et blanchie dans Mon sang.”

 

Chapitre XIII

V.46. Paul et Barnabé dirent hardiment aux Juifs : vous étiez les premiers à qui il fallait annoncer la parole de Dieu, mais puisque vous la rejetez, et que vous vous jugez vous-mêmes indignes de la vie éternelle, nous nous en allons présentement vers les gentils.

Il est certain que, de même que la grâce de Jésus-Christ était premièrement pour les Juifs, qu’ils ne la voulurent pas recevoir ; de même, la grâce de l’intérieur était principalement pour l’état religieux et ecclésiastique, mais s’opposant à leur propre bien, ils ne veulent pas embrasser cet état, ils s’y opposent même avec zèle ; et croyant rendre un grand service à Dieu, ils s’opposent à Son Esprit. C’est pourquoi l’Esprit intérieur ne leur est pas communiqué avec tant [55] d’abondance ; et il est donné aux personnes du monde. Ce n’est pas que ceux des religieux et des prêtres qui veulent bien recevoir cet Esprit, n’y soient du moins aussi propres, et même plus propres, comme les Juifs qui voulurent bien recevoir la grâce de Jésus en furent comblés, et choisis entre tous pour exercer Son ministère. [...]

 

Chapitre XVII

V.24. Dieu qui a fait le monde et tout ce qui est dans le monde, étant le Seigneur du ciel et de la terre, n’habite point dans les temples bâtis par les hommes.

[58] Cette vérité essentielle de l’immensité de Dieu, nous fait voir qu’Il est plus grand que tout le monde, et qu’Il ne peut être renfermé dans aucun lieu. Mais quoiqu’Il ne soit pas enfermé et qu’Il ne demeure en aucun lieu bâti par la main des hommes, il est certain qu’Il S’est fait et bâti Lui-même autant de temples qu’il y a d’hommes vivants. C’est là où Il veut demeurer sans cesse. C’est où Il veut être adoré est connu ; et c’est où Il est le moins cherché. [...]

V.27. Afin de voir si, en cherchant Dieu comme à tâtons, ils Le pourront trouver,  quoiqu’Il ne soit pas loin de nous,

V.28. Car c’est en Lui que nous vivons, et que nous nous mouvons, et que nous sommes, ainsi que quelques-uns mêmes de vos poètes ont dit. Car même nous sommes de Sa race.

[60] C’est une chose déplorable, que nous cherchions tous Dieu comme à tâtons. Il semble qu’Il soit étranger, qu’Il soit inaccessible. Lorsque nous parlons de Dieu, nous L’envisageons comme une chose si hors de nous, qu’il semble qu’il faille une providence très singulière pour Le trouver. Cependant Il est si proche de nous qu’Il est en nous et que nous sommes en Lui. C’est en Lui que nous vivons, et nous n’avons d’autre vie que la Sienne, puisqu’étant la vie essentielle et la source de la vie, toutes les autres vies dérivent de celle-là. C’est en Lui que nous nous mouvons, comme nous voyons le poisson se mouvoir dans la mer. Si l’homme pouvait vivre dans cet élément comme le poisson, et que se mouvant dans l’eau, Il demandât où est l’eau, et qu’il dît qu’il a peine à la trouver, qu’elle lui est inaccessible, ne dirait-on pas qu’il serait un fou ? L’homme ne doit-il donc pas connaître son extravagance, d’ignorer Dieu, dans lequel il se meut, qui est en lui, qui l’anime, et de qui il tient l’être ? Nous sommes de Sa race, puisque nous sommes émané de Lui-même. O homme, tu ignores ta dignité et ta noblesse ! Tu t’ignores toi-même comme tu ignores ton Dieu. Cependant ton être est une partie émanée du sien. [...]

 


 

Chapitre XXIV

V.24. Quelques jours après, Félix étant revenu à Césarée, fit venir Paul, et écouta ce qu’il lui dit de la foi de Jésus-Christ.

V.25. Mais comme Paul lui parlait de la justice, de la chasteté, et du jugement à venir, Félix en fut effrayé, et lui dit : c’est assez pour cette heure.

J’ai admiré deux choses dans ce que j’ai vu des Actes des Apôtres : la fermeté de saint Paul, et sa simplicité. Sa fermeté l’a porté à tout soutenir et à tout dire, sans rien ménager ; et sa simplicité à ce qu’il a parlé même contre toute prudence. [...] Saint Paul fit deux traits, qui, dans la conjoncture des choses auraient passé pour de grandes indiscrétions dans l’esprit des gens qui ne veulent que la politique. [...]

 



 

Épître aux Romains

 

Chapitre I

V.17 Parce que la justice de Dieu nous y est découverte de foi en foi, selon qu’il est écrit : le juste vit de la foi.

 [...] Il faut savoir que l’âme intérieure est mise d’abord dans une foi lumineuse, soutenue, appuyée des lumières et de la pratique de toute vertu ; alors l’âme fait consister la véritable justice en ce qu’elle goûte et opère ; et cela est tel selon son degré. Mais, de cette foi lumineuse et soutenue, elle passe dans une foi obscure et nue : elle va de cette sorte de foi en foi, de la foi lumineuse dans la foi obscure, qui [77] est celle que saint Denys appelle les sacrées ténèbres de la foi : alors il est donné une bien plus haute connaissance de la justice de Dieu.

Il est donné à l’homme une double connaissance de cette justice : l’une prise en Dieu même, et l’autre prise par relation à la créature. De celle qui est prise en Dieu même, l’âme conçoit un si grand amour de cette divine justice, et elle lui paraît un attribut tellement en Dieu pour Lui-même, qu’elle est ravie d’être dépouillée de toute propre justice, afin de rendre à Dieu la justice qui Lui est due. Elle voit très clairement que Dieu n’a que faire de notre justice, qu’Il est juste et saint en Lui et pour Lui. Pour ce qui regarde cette même justice par relation à la créature, elle connaît que cette justice de Dieu ne peut pas entièrement se répandre dans l’homme et y régner en souveraine, que l’homme ne perde toute justice propre ; que cette justice ne s’exerce que dans la destruction de la créature, de sorte que l’âme entre dans une si forte haine d’elle-même que sa perte et son dépouillement font sa joie. O c’est bien de tout son cœur qu’elle se livre à toutes les rigueurs de la divine justice pour n’en être pas épargnée ! Et dans ce dénuement total, où la réduit la connaissance de la divine justice en cette foi obscure, elle est réduite à ne vivre que de foi.

Et quand est-ce qu’elle ne vit que de la foi ? C’est lorsqu’elle n’a plus d’autre justice que celle de Dieu, car toute justice qui n’est pas celle de Dieu ne peut pas porter le nom de justice : pour être juste, il faut l’être de la sorte. C’est pourquoi il est écrit aux Galates [82] : “Le juste vit de la foi”, [78] le juste que J’ai sanctifié, vit de la foi. Pour pouvoir vivre de la seule et pure foi, il faut être de cette sorte. Vivre de la foi, c’est un état très pur, et tout séparé de la matière. L’âme qui ne vit plus que de cette sorte, a perdu tout le sensible, tout le distinct, tout l’aperçu, tout ce qui se peut dire ou exprimer ; et elle vit de la seule foi dans une nudité totale, et cette foi lui est si propre que l’air qu’elle respire ne le lui est pas davantage : elle vit de foi comme le poisson vit d’eau. Cette foi pure et nue, dont le juste vit, est le seul et unique moyen de l’union qui se fait en pure charité, et comme Dieu dans la gloire Se communique aux bienheureux par la lumière de gloire, Il Se communique aux âmes par cette lumière de foi obscure. Ce n’est pas une lumière qui forme quelque espèce, mais c’est une lumière si pure qu’elle n’est mélangée d’aucun objet qui se puisse discerner. Elle est appelée obscure, parce qu’elle ne laisse rien que l’esprit de l’homme puisse pénétrer, à cause de sa trop grande pureté. Ce n’est pas pour cela qu’elle ne soit infiniment plus claire que la première, qui découvrait à l’esprit quelques objets, même fort spirituels ; mais c’est que sa clarté est si pure que, surpassant infiniment la compréhension de la créature, elle la met en obscurité, à ce qu’elle croit, l’absorbant dans sa très pure clarté. Or, comme les bienheureux vivent de Dieu même et de la lumière de gloire, sans avoir besoin d’autre soutien ni aliment, ainsi l’âme du juste, justifié par Dieu même, vit de la foi.

V.18. On y découvre aussi que la colère de Dieu éclatera du ciel contre toute l’impiété et contre toute l’injustice des hommes, qui retiennent injustement la vérité de Dieu captive.

[79] On découvre aussi dans cette vie de pure foi une autre grande vérité, dont il a déjà été beaucoup écrit : c’est que la colère de Dieu et Son irritation se préparent pour ceux qui retiennent Sa vérité captive. [...] On tient la vérité captive en bien des manières, par le défaut de droiture, de simplicité, de candeur, par mille et mille détours. On la tient encore plus captive attribuant à la créature ce qui n’est dû qu’à Dieu. Or cette lumière de foi fait découvrir le tout de Dieu et le rien de la créature ; et elle fait connaître l’injustice des hommes qui la tiennent captive, s’attribuant le Tout de Dieu, et vivant comme s’ils étaient des dieux. [...]

 


 

Chapitre III

V.12. Ils sont tous devenus inutiles : il n’y en a pas un qui fasse le bien ; il n’y en a pas un seul.

V.19. Or nous savons que toutes les paroles de la loi s’adressent à ceux qui sont sous la loi, afin que toute bouche soit fermée, et que tout le monde se reconnaisse coupable devant Dieu,

V.20. Parce que nulle chair ne sera justifiée devant Dieu par les œuvres de la loi : car la loi nous a donné la connaissance du péché.

V.21. Au lieu que maintenant la justice de Dieu nous a été découverte sans la loi.

Tous les hommes sont inutiles; et le plus grand de tous les biens pour eux est qu’ils soient tous convaincus de leur inutilité, et qu’ils ne sont propres à rien, qu’ils ne sauraient faire le moindre bien. Ces paroles s’adressent à tout le monde, aussi bien à ceux qui sont soumis à la loi qu’aux autres ; aussi toutes les opérations de Dieu dans l’âme ne tendent qu’à lui faire connaître son inutilité à tout bien, afin que par là toute bouche soit fermée et que tout le monde se reconnaisse coupable devant Dieu. L’homme a une peine incroyable à se reconnaître coupable : il fait ce qu’il peut pour se justifier lui-même, principalement ceux dont la vie est un peu réglée : ils ont une peine incroyable à être reconnus pour imparfaits, témoin le pharisien, qui ne pensait qu’à se justifier lui-même en condamnant le publicain ; même ceux qui s’accusent eux-mêmes, en s’accusant, ils se justifient encore, je dis ceux [93] qui semblent le faire avec le plus d’humilité.

Saint Paul ajoute encore que nulle chair ne se justifie devant Dieu par les œuvres de la loi. Ces paroles renferment un grand sens. Pour les pénétrer un peu, il faut savoir qu’il y a deux sortes de purifications, et qu’il est bien différent d’être justifié devant Dieu, ou de paraître juste devant les hommes. La première purification est une purgation extérieure, qui se fait des péchés commis, des œuvres ou actions du péché. Cette purification seule paraît devant les hommes une entière purgation ; elle se fait par l’exacte observation de la loi ; et l’homme qui observe la loi, et qui ne fait pas les péchés défendus par la loi, se croit juste, et paraît tel devant les hommes, mais sa chair n’est pas pour cela justifiée devant Dieu. Il y a une seconde purgation, qui ne se peut jamais faire par la seule observation de la loi : cette seconde purgation s’opère par Dieu même, et c’est la purification de la nature dans sa source, qui a été tant de fois expliquée sous le nom de la propriété. Ce n’est plus purification de la coulpe du péché, mais du corps, de la masse, et de la malignité du péché, de ce corps d’Adam pécheur qui ne peut être réparé que par Jésus-Christ. Or, à moins que cette dernière purgation ne soit faite, l’âme ne peut jamais être justifiée devant Dieu ; mais lorsqu’elle est faite par l’opération de Dieu, alors l’homme est justifié devant Dieu : ce n’est plus l’homme qui est justifié, mais Dieu est justifié en cet homme. Et alors Dieu y fait le bien, Dieu y est sage de Sa sagesse, et cet homme trouve en Dieu ce qu’il ne pouvait trouver en lui-même, et Dieu fait en cet homme ce que cet homme ne peut jamais que [94] faire. Mais toutes ces choses ne s’acquièrent pas par les propres œuvres de cet homme, mais par sa mort et son anéantissement, en sorte qu’il ne doit rien s’en attribuer. C’est pourquoi saint Paul dit que c’est la justice de Dieu qui a été découverte sans la loi, et non pas la justice de l’homme, prise en lui-même, qui ne se peut faire sans la loi. [...]

 


 

Chapitre IV

V.4. Or à celui qui travaille, la récompense n’est pas imputée selon la grâce, mais selon la dette.

V.5. Il n’en n’est pas ainsi de celui qui, sans faire d’œuvres, croit seulement en Celui qui justifie le pécheur : sa foi lui est imputée à justice, selon la grâce que Dieu a résolu de lui faire.

[100] Y a-t-il rien au monde de plus clair et de plus positif ? Il y a de deux sortes de personnes qui sont à Dieu : les uns travaillent de toutes leurs forces à assurer leur salut par leurs œuvres, et font dépendre le salut des œuvres ; alors ils envisagent le ciel comme la récompense de leurs bonnes actions, et le reçoivent de même. Mais comme le ciel est la récompense leurs travaux, il faut aussi que leurs œuvres soient examinées et éprouvées pour en connaître la valeur, selon cet autre passage de saint Paul [83], que celui de qui les œuvres seront admises sera sauvé, mais comme par le feu, le feu purifiant et séparant dans ces œuvres ce qui est combustible d’avec ce qui ne l’est pas ; et c’est pour la purification de ces œuvres qu’est fait le Purgatoire.

Mais il y a d’autres âmes qui marchent en foi : à celles-là le ciel ne leur est pas donné comme une récompense de leurs œuvres, et elles ne pensent pas même qu’aucunes œuvres le leur puissent mériter : elles ne laissent pas de faire tout le bien que Dieu veut qu’elles fassent, mais elles n’y pensent pas, et ne s’en attribuent aucune chose. Elles n’espèrent pas le salut pour tout le bien qu’elles pourraient faire, mais elles croient seulement en Celui qui justifie : elles savent qu’Il peut justifier, et cela leur suffit, et elles ne veulent pas d’autre justice que celle qu’il plaira à Dieu de leur donner ; elles trouvent en Jésus-Christ tout ce qui leur faut, et leur foi en Lui leur tient lieu de toutes choses. C’était la disposition où était David lorsqu’il disait [84] : “Le Dieu de [101] la justice m’a exaucé” ; et ailleurs : “O Dieu, Vous êtes ma force, Vous êtes mon salut”, etc. Et bien d’autres endroits que l’on pourra voir expliqués dans les Psaumes, selon que Dieu l’a fait écrire. Celui donc qui vit de foi, sa foi et sa confiance lui tiennent lieu de justice, selon la grâce que Dieu a résolu de lui faire : et ce que Dieu lui donne, Il le donne gratuitement et ce sont ceux-là qui sont les propres saints du Seigneur, c’est Lui qui les justifie et qui les sanctifie.

V.6. C’est ainsi que David dit qu’un homme est heureux à qui Dieu impute la justice sans les œuvres.

V.7. Heureux ceux dont les iniquités sont pardonnées, et dont les péchés sont couverts !

V.8. Heureux l’homme à qui Dieu n’impute pas de péché !

Il est bien vrai que l’homme est bienheureux parce que Dieu est Lui-même sa justice, et que sans avoir égard aux œuvres de cet homme, Il lui impute Sa propre justice, qu’Il possède en Lui-même, comme si c’était une justice que cette âme eût acquise. C’est Lui-même qui en faveur de la foi purifie par le feu de Son amour tout ce qu’il y a à purifier en cet homme. Ah ! que celui-là, ô Seigneur, à qui vous donnez une justice gratuite, est bien plus heureux, que celui qui croit avoir acquis la justice par ses œuvres ! Mais comment ce passage s’accorde-t-il avec celui de l’Apôtre saint Jacques, que la foi sans les œuvres est morte ? O qu’ils s’accordent bien ! Les œuvres de cet homme sont un témoignage que sa foi est vivante, et non pas ce qui le justifie ; et cette foi opère son plus pur amour, car il fait tellement ses œuvres pour Dieu qu’il n’en prétend [102] pas de récompense ; et si Dieu lui fait grâce, il la regarde comme pure grâce, et cette grâce n’est pas la récompense de ses œuvres, mais un bienfait gratuit en faveur de sa foi. Lorsque Dieu veut mettre l’âme dans une grande foi, et bien pure et nue, qui est celle qui est ordinairement imputée à justice, Il la dépouille des œuvres aperçues et pratiquées, qui lui servaient de soutien et d’appui, et qui empêchaient que sa foi ne lui tint lieu de justice : alors on ne peut faire les œuvres que l’on faisait autrefois ; non que la foi soit éteinte par la langueur ou le défaut de charité, qui est la vie de la foi, mais par une charité plus pure, plus forte, et plus étendue, qui consomme les œuvres opérées par le propre effort de la créature, surmontant ses efforts par une force plus vigoureuse et plus étendue, qui la fait opérer non plus dans les créatures, mais en Dieu. Alors l’âme ne voit plus, ne connaît plus, ne distingue plus aucune de ses œuvres opérées en Dieu par la charité ; et la foi lui est imputée à justice, qui est la seule chose qui lui reste. [...]

[103] David ajoute encore, selon le rapport de saint Paul en cet endroit, que celui-là est aussi heureux de qui les péchés sont couverts. Dieu couvre les péchés passés et les défauts présents de ces âmes, et l’un et l’autre pour des raisons différentes. Il couvre les péchés passés, parce qu’Il les a pardonnés et qu’Il les a comme effacés. Comme il a été vu en Job ce que c’est qu’effacer, je ne le répète pas ici : l’âme ne peut plus s’en souvenir, et quand elle s’en souvient, c’est sans douleur et comme une chose qui n’est plus. Il couvre les défauts présents, afin que l’âme ne s’occupe que de Lui seul, et que l’occupation [104] qu’elle aurait autour d’elle-même, à regarder et envisager ses défauts, ne la retire de son état et ne la porte à vouloir avoir une justice acquise, et non imputée : ces défauts ne sont ni de conséquence, ni volontaires. Et si Dieu faisait voir à cette âme ses défauts avec la pénétration qu’Il fait aux autres, elle ne pourrait les supporter. Que fait donc Dieu ? Il lui cache sa laideur, comme Il fait sa beauté, afin qu’elle ne s’occupe jamais d’elle-même. Elle ne se croit pas pour cela sans défaut : au contraire, mais ce sont des défauts cachés, qui ne font plus de peine [...]

V.17. Selon qu’il est écrit : Je vous ai établi père de plusieurs nations devant Dieu, auquel il a cru, qui ressuscite les morts, et rappelle les choses qui ne sont pas comme celles qui sont [85].

L’Écriture assure qu’Abraham a été établi le père de plusieurs nations devant Dieu : qu’est-ce que cela veut dire ? C’est qu’il ne fut pas seulement père de de plusieurs nations connues des hommes d’une manière charnelle, mais il fut le père d’un grand nombre d’âmes de foi à cause de sa foi ; et cette génération spirituelle, qui surpassait de beaucoup la génération temporelle, n’est connue que de Dieu. Mais qu’est-ce qui lui a acquis un si grand avantage ? Ce sont les deux objets de sa foi, décrits dans ce passage, qui sont les propres caractères des âmes de foi très pure et très nue. Le premier est qu’il [108] a cru en ce Dieu qui ressuscite les morts, non seulement ceux qui sont morts de la mort naturelle, mais de la mort mystique, car cette foi fait mourir à l’homme pécheur Adam, pour faire revivre en Jésus-Christ ; et c’est cette promesse qui fut faite à Abraham, de qui Jésus-Christ, notre véritable vie, devait naître. Il encore cru que Dieu appelle les choses qui ne sont pas comme celles qui sont. C’est cette puissance de Dieu à faire du néant tout ce qui Lui plaît, et de plus grands ouvrages même que ceux qu’Il a faits jusqu’à présent, qui fait le plaisir, le repos et tout le soutien des âmes de foi : plus elles sont pauvres, destituées de tout bien, anéanties, plus elles sont contentes, parce qu’elles savent que Dieu peut tout faire avec leur rien, comme Il peut ne rien faire. Et comme Il fera toujours de ce rien tout ce qui Le glorifiera davantage, et que ces âmes ne veulent que la gloire de Dieu, elles sont les plus contentes du monde, parce que Dieu sera toujours pour Lui-même tout ce qui sera nécessaire, et c’est la seule chose qu’elles prétendent.

V.18. Aussi contre toute espérance il crut devoir espérer, afin qu’il devînt le père de plusieurs nations, selon cette parole qui lui fut dite : “Ainsi sera votre postérité”.

C’est le principal caractère de la foi, et celui qui marque davantage sa consommation, que de faire espérer contre toute espérance. Espérer contre l’espérance, c’est espérer dans le désespoir même, car Dieu prend plaisir de conduire ces âmes de foi comme Il fit pour Abraham : Il leur ôte tout appui et tout soutien dans leur foi ; Il leur enlève tout ce qui peut fonder une juste espérance ; après leur avoir arraché toute espérance, Il [109] les laisse dans un entier désespoir que les choses soient jamais : il n’y a plus rien du tout ; et après en avoir ôté tous les sujets d’espérance, Il en ôte le désir, et c’est alors que l’âme voyant toute espérance perdue, et que tout est détruit, elle espère d’autant plus en Dieu même qu’il n’y a rien en elle ni en aucune créature sur quoi elle doive fonder aucune espérance, pas même dans les dons créés. Mais que veut dire ce mot : ainsi sera votre postérité ? C’est-à-dire, toutes les âmes qui seront enfants d’Abraham par la foi plus que par la chair, celles-là seront comme lui, et elles seront obligées d’espérer contre toute espérance, parce que toute espérance leur sera ôtée ; et il naîtra de la perte de leur espérance un germe de nouvelle espérance plus forte que la première.

V.19. Or il ne fut pas faible dans la foi, ni ne considéra pas que son corps était déjà mourant, ayant près de cent ans, et qu’il y avait déjà longtemps que Sara était dans l’impuissance de concevoir.

Mon Dieu, les beaux endroits que ceux-ci ! Après que saint Paul a décrit la force de l’espérance d’une âme de foi, qui tire la force de sa faiblesse, et qui prend vie de ce qui semble la tuer, il nous dépeint les qualités de la foi que doit avoir une âme en qui l’espérance est de cette sorte : c’est une foi exempte de réflexion et de retour sur la possibilité des choses. Une âme ne peut rien voir qui puisse affaiblir sa foi, parce que sa foi n’est fondée qu’en Dieu même, et n’est appuyée sur aucun moyen, quel qu’il soit : ainsi Abraham, ce Patriarche de la foi, est entièrement privé de tous les soutiens de la foi par rapport aux promesses qui sont faites, car afin que [110] la foi soit purement Dieu, il faut que tout appui se rapportant à ce que l’on croit soit ôté [...]

V.20. Il n’hésita pas et il n’eut pas la moindre défiance de la promesse que Dieu lui avait faite ; mais il se fortifia dans la foi, rendant gloire à Dieu.

V.21. Étant pleinement persuadé qu’Il est tout-puissant pour faire tout ce qu’Il a promis.

V.22. C’est pour cette raison que sa foi lui fut imputée à justice.

La seconde qualité de la foi nue est d’être ferme et sans hésitation. La raison de cela est qu’étant fondée sur un principe infaillible, qui est Dieu, et qu’étant appuyée sur Lui seul par la perte de tous les appuis créés, elle est exempte d’hésitations et de faiblesses, parce qu’elle se fortifie d’autant plus en Dieu, qu’elle se voit appuyée sur Lui seul, et privée de tout autre soutien. La perte de tout appui créé la met nécessairement [111] dans l’incréé, de sorte que, par là, elle ne voit plus sur la terre de quoi fonder sa foi ni son espérance : c’est alors qu’elle la trouve d’autant plus assurée en Dieu qu’elle semble plus perdue par rapport à la créature. [...]

 


 

Chapitre V

 V.16. Et il n’en est pas du don de Dieu comme du péché. Car par le jugement de Dieu nous avons été condamnés pour un seul péché, au lieu que nous sommes justifiés par la grâce après plusieurs péchés.

V.17. Que si par un seul homme un péché a fait régner la mort, à plus forte raison ceux pour qui le don et la justice sont répandus avec profusion, régneront dans la vie par un seul, qui est Jésus-Christ.

Il ne se peut rien de plus clair que cet argument de saint Paul : cependant il semble que l’on ne prétende autre chose que de prouver aux hommes que l’empire du péché a plus de force et plus d’étendue que l’empire de la grâce. On ne s’étonne pas de voir le péché régner ; mais il semble que l’on craigne et que l’on appréhende de donner lieu à l’empire de la grâce. Quand on parle des merveilles que la grâce opère dans les âmes, tout cela est tenu pour suspect. [120][...] Véritablement, ceux qui reçoivent ce don de justice et cette grâce surabondante, règnent bien dans la vie, parce qu’ils ne sont plus assujettis à la mort du péché, Dieu par le don de la justice les ayant fait passer par la mort mystique, c’est-à-dire Il a détruit et surmonté en eux ce qui était d’Adam pécheur, pour y faire rentrer Sa grâce et Sa vie. À bien prendre les paroles de saint Paul, qui s’explique si clairement, il est aisé de voir que cet empire de la vie sur la mort, qui est l’état de vie en Dieu mérité par Jésus-Christ, n’est pas une chose extraordinaire, comme tout le monde se le persuade faussement : mais c’est la véritable grâce de la Rédemption de Jésus-Christ, à laquelle nous participerions tous si nous donnions lieu à la grâce de faire son effet en nous, et si nous laissions à la Rédemption toute son étendue. [...]

V.4. Parce que nous avons été ensevelis avec Lui par le baptême pour mourir avec Lui, afin que, comme Jésus-Christ est ressuscité d’entre les morts par la gloire de Son Père, nous marchions aussi dans une nouvelle vie.

Saint Paul est si clair en cet endroit, qu’il ne se peut rien de plus pour prouver ce qui a été avancé du second baptême : car saint Paul ne parle pas seulement de mourir au péché, mais de mourir comme Jésus-Christ pour la gloire de Son Père. La mort au péché est essentielle au salut, mais la mort mystique est essentielle à la gloire de Son Père : il faut mourir de cette seconde mort pour être en état de rendre à Dieu une gloire digne de [127] Dieu. [...] Mais pourquoi faut-il mourir de la sorte, être détruit et anéanti ? Est-ce pour rester dans la mort ? Non, assurément, selon saint Paul : c’est afin que comme Jésus-Christ est ressuscité d’entre les morts, nous ressuscitions comme Lui de ce tombeau pour la gloire de Son Père, et pour marcher dans une nouvelle vie. [...]

V.18. Car je sais que le bien n’habite pas en moi, c’est-à-dire dans ma chair, parce qu’encore que je trouve en moi la volonté de faire le bien, je ne trouve pas le moyen de l’accomplir.

Saint Paul continue à faire voir que c’est un péché matériel dont il parle, qui est seulement dans la chair ou dans le sentiment de l’homme, et non pas dans la volonté. L’âme est mise alors dans la réelle expérience de son impuissance et de son insuffisance à tout bien ; elle comprend qu’il y a rien en elle d’elle que le mal : c’est pourquoi saint Paul, afin de ne pas faire de confusion [139] entre ce qui est de Dieu en nous et ce qui est de nous, dit qu’il y a rien de bon en lui. Mais il s’explique : je veux dire, dans ma chair, parce que dans le même temps que je sens les rébellions et les révoltes de ma chair, j’éprouve dans le plus profond de mon âme une charité très forte, un amour très droit et très épuré, qui ne peut venir que de Dieu, de sorte que ma volonté est toute dans le bien alors que ma chair est toute pétrie de mal. L’âme est mise alors dans une impuissance absolue, qui opère son anéantissement : elle découvre en elle une volonté de faire le bien, mais hélas ! en même temps elle ne trouve aucun moyen de l’accomplir : tout lui est arraché. Il faut alors qu’elle entre dans la mort de toute action propre, voyant que ce qu’elle peut faire, n’est que défaut et qu’elle ne peut faire aucun bien : elle s’abandonne alors l’action de Dieu, afin qu’Il opère le bien qu’elle ne peut faire, et qu’Il détruise ce mal qu’elle ne peut empêcher.

V.19. Car je ne fais pas le bien que je veux ; mais je fais le mal que je ne veux pas.

V.20. Que si je fais ce que je ne veux pas, ce n’est pas moi qui le fai,; mais le péché qui habite en moi.

Il y a rien de plus clair, que la volonté n’est pas en tout cela : ainsi, pauvres âmes, qui vous tourmentez d’ennuis superflus, qui vous affligez jusqu’à l’excès pour des peines que vous ne pouvez empêcher, qui vous trouvez autant impuissantes pour le bien et ardentes, ce vous semble, pour le mal, que vous avez eu autrefois de facilité pour le premier et d’horreur pour le dernier, consolez-vous, et faites ce que Dieu prétend de vous par la peine qu’Il permet vous [140] arriver : Il ne prétend autre chose, sinon que, convaincues de votre extrême impuissance et de votre faiblesse, vous vous abandonniez totalement à Lui, afin qu’Il fasse en vous le bien que vous ne pouvez faire, et qu’Il détruise ce mal qui se rend maître de vous malgré vous.

V.21. Je trouve donc une loi lorsque je veux faire le bien, parce que le mal habite en moi.

V.22. Car je me plais dans la loi de Dieu selon l’homme intérieur.

V.23. Mais je vois dans mes membres une autre loi qui résiste à la loi de mon esprit, et qui me tient dans la servitude sous la loi du péché, qui est dans mes membres.

Mon Dieu que cela est clair, et qu’une âme intérieure éprouve bien comme tout ceci se passe en elle dans un certain temps ! Elle trouve la loi en elle-même, qui la tire à faire le bien ; [...] ...Elle voit aussi d’un autre côté dans ses membres, dans sa chair, une autre loi qui résiste à la loi de l’esprit, et qui tient le corps dans la servitude sous la loi du péché dans le temps même que l’esprit prend son vol pour se reposer en Dieu, de sorte qu’une telle personne se trouve Ange et  Démon tout en même temps : l’esprit demeure plein de Dieu, uni à Lui, pendant [141] que le corps éprouve les plus extrêmes misères.

V.24. Malheureux que je suis ! Qui me délivrera du corps de cette mort ?

V.25. Ce sera la grâce de Dieu par Jésus-Christ Notre Seigneur. Et ainsi je suis moi-même soumis et à la loi de Dieu selon l’esprit, et à la loi du péché selon la chair.

[...] Hélas ! Qui pourra me délivrer d’un état si étrange, qui m’est mille fois plus dur que l’enfer ? Ceux qui l’ont éprouvé, savent assez par leur expérience combien il est étrange, sans qu’il soit besoin d’autre réflexion. Mais ceux qui ne l’ont pas éprouvé, n’ont qu’à considérer ce que c’est qu’une âme divisée en elle-même, et toute vivante en sa division : la partie supérieure est toute vivante en Dieu ; et plus elle est vivante de la sorte, plus elle sent le poids effroyable de la corruption de la nature ; la nature elle-même, se trouvant sans nulle correspondance du côté de l’esprit, trouve sa plus amère douleur dans ce qui semble faire son plaisir. Car enfin, les pécheurs, ou les âmes qui ne sont pas dans ce partage, n’éprouvent pas une semblable tyrannie : si elles sont dans le péché, leur cœur est dans le péché qu’elles commettent ; ainsi elles consentent au dérèglement de la chair, elle s’en font même un plaisir ; l’âme y est morte, [142] et le péché la tue, et elle reste ainsi dans la mort du péché sans douleur et sans peine. [...]

 


 

Chapitre VIII

V.15. Car l’Esprit que vous avez reçu n’est pas un esprit de servitude, qui vous fasse vivre dans la crainte ; mais c’est l’Esprit de l’adoption des enfants de Dieu, dans lequel nous crions : Abba, Père !

Le caractère de l’Esprit de Dieu lorsqu’Il meut et gouverne une âme, c’est de la rendre libre. Quelques personnes entendant parler de cette dépendance à l’Esprit de Dieu, croient que l’âme [155] qui est de la sorte, est dans une gêne continuelle. Non, elle ne fut jamais plus libre [...]

V.18. Or je tiens qu’il n’y a pas de proportion entre les maux de cette vie, et cette gloire qui doit un jour paraître en nous.

[158] [...] Cela se peut entendre non seulement de la gloire éternelle, mais du bonheur que l’âme anéantie goûte même dès cette vie dans la souffrance. O si l’on savait à quel bonheur inconcevable l’on peut arriver dès cette vie ! Lorsque l’on est regardé de tout le monde comme des personnes malheureuses, on goûte un bonheur inconcevable. O Dieu ! vous seul le savez, et l’âme qui l’éprouve. Cette paix inaltérable, ce rassasiement parfait, cette égalité admirable que rien ne peut changer, en sont les fruits. [...]

V.21. D’être délivrés de cet asservissement à la corruption pour participer à la liberté de la gloire de son fond.

V.22. Car nous savons que jusqu’à cette heure, toutes les créatures soupirent et sont dans le travail de l’enfantement.

Cette espérance reste au milieu des plus grandes misères et c’est ce qui soutient l’âme. Au commencement elle est plus aperçue ; ensuite elle devient plus profonde et plus cachée ; cette espérance enfin ne devient plus que comme un instinct caché dans le plus profond de l’âme, qui penche à cette délivrance du poids de sa corruption : et plus ce poids vient sur sa fin, plus elle souhaite d’en être délivrée, jusqu’à ce qu’enfin elle ne puisse plus le souhaiter, parce que véritablement sa délivrance est faite, quoiqu’elle ne le connaisse pas toujours.

Car l’âme est un long temps délivrée de son poids sans connaître sa délivrance, à cause qu’elle en a été si fatiguée que la lassitude qui [160] lui en reste, est comme un poids et un lourd fardeau. Elle aperçoit cependant au travers de tout cela une certaine liberté, une largeur et une étendue, qu’elle n’avait pas auparavant, comme une personne qui était presque suffoquée dans la terre dont elle était accablée et couverte, se trouvant peu à peu plus dégagée, respire aussi peu à peu avec d’autant plus plaisir, qu’elle avait été privée de ce soulagement ; cependant ses douleurs et ses fatigues sont si grandes, qu’elle est comme une personne à demi endormie. Lorsqu’elle est de cette sorte, il lui semble toujours être chargée de son poids ; mais dans les moments qu’elle s’éveille, elle voit bien que cela n’est plus ; et après un peu de temps, elle est entièrement affranchie et du poids et de la lassitude. [...]

Pour concevoir la pensée de saint Paul, il faut prendre les choses du côté du centre. Toutes les créatures tendent à leur centre, et ont une pente inconcevable d’y arriver, mais hélas ! elles sont toutes arrêtées ; et elles sont à cause de cela dans un état le plus violent du monde, jusqu’à ce qu’ayant franchi tous les obstacles, elles n’en trouvent plus, et qu’elles puissent, suivant leur cours naturel, s’écouler dans leur fin. Cela [161] est autant pour les créatures inanimées que pour les raisonnables.

Mais si elles ont toutes un centre et une fin, on peut dire que l’homme, ayant une fin infiniment plus noble et plus relevée, a aussi une ardeur et une activité de retourner à sa fin tout autre que toutes les autres créatures, Dieu ayant donné l’activité conforme à la noblesse du sujet et à la grandeur de la fin. Cela étant de cette sorte, l’homme a une pente si forte de retourner à son origine qu’elle passe tout ce qui s’en peut dire ; et s’il n’était pas diverti de cette vigoureuse pente par les emplois de la vie et par les nécessités du corps, il serait emporté en un instant avec une vitesse qui passe tout ce qui s’en peut imaginer.

[...] [162] on peut voir par là et la force de l’instinct que Dieu a mis dans l’homme pour être uni à Lui, et si l’homme ne peut avoir de véritable paix dans cette vie que par l’union à Dieu.

Ceci supposé, je dis que, sur le témoignage de saint Paul, toutes les créatures gémissent sous le poids qui les empêche de courir à leur centre, et de s’y unir ; et c’est pour elles une douleur d’accouchement. Jamais rien ne fut mieux expliqué. [...]

V.32. S’Il n’a pas épargné Son propre Fils [...]  que ne nous donnera-t-Il point après nous L’avoir donné?

[173][...]  ces choses ne sont pas si extraordinaires que nous n’y puissions prétendre  [...] c’est un défaut de courage de dire que l’on n’ose pas prétendre à ces grandes choses  [...] pourquoi ne tendez-vous pas de toutes vos forces à l’union divine? Après que Dieu vous a donné Son Fils, vous pourra-t-Il refuser un si grand bien ? [...]

V.35. Qui nous séparera donc de la charité de Jésus-Christ ? Sera-ce l’affliction, ou les déplaisirs, ou la faim, ou la nudité, ou les périls, ou la persécution, ou l’épée ?

V.36. Ainsi qu’il est écrit : On nous fait sans cesse mourir pour l’amour de Vous ; l’on nous traite comme des brebis destinées à être égorgées.

V.37. Mais parmi tous ces maux nous demeurons victorieux par Celui qui nous a aimés.

Saint Paul, après avoir fait remarquer comme les élus et les âmes intérieures n’ont rien à craindre de la part des créatures, et que les accusations des hommes et des démons ne leur peuvent nuire, parce que c’est Dieu Lui-même qui les justifie, prouve ensuite l’établissement parfait de la charité, et la confirmation de la grâce où l’âme peut arriver dès cette vie par la perte de toute propriété, et par la consommation de l’âme en Dieu, qui est la parfaite charité. Il le fait par un argument qu’il se fait à lui-même. Puisque, dit-il, toutes les créatures ne peuvent nuire à une telle âme, qui est-ce donc qui la séparera de la charité de Jésus-Christ ? Seront-ce les états par où Dieu la fait passer pour Lui être agréable ? O, dit-il, c’est, au contraire, ce qui unit plutôt l’âme à son Dieu.

Dans ce seul verset, il fait la description des états intérieurs où l’âme passe pour arriver à cette intime union. L’affliction intérieure et extérieure est le premier degré, tantôt l’une, tantôt l’autre ; les déplaisirs qui viennent de la part de toutes les créatures et de nos propres misères et faiblesses ; la faim, ou le désir de la possession de Dieu ; la nudité, ou les dépouillements extérieurs et intérieurs par où il faut passer [...]

V.6. Ce n’est pas néanmoins que la parole de Dieu soit demeurée sans effet, parce que tout ceux qui descendent d’Israël ne sont pas Israélites.

V.7. Ni tous ceux qui sont nés d’Abraham n’en sont pas les enfants ; mais Dieu lui dit : c’est par Isaac que l’on comptera votre race.

V.8. C’est-à-dire que ce ne sont pas les enfants de la chair qui sont enfants de Dieu ; mais ce sont les enfants de la promesse, qui sont réputés être enfants d’Abraham.

Ce passage confirme bien l’interprétation qui a été donnée à l’autre, car ce n’est pas les Israélites selon la chair qui sont les vrais Israélites ; mais ce sont les âmes intérieures, vraiment abandonnées à la conduite de Dieu. [...] L’appel à l’intérieur est l’appel à la filiation divine.  [...][L’âme] ne jouit du fruit de l’adoption que lorsque Dieu S’est donné tout à elle par l’union intime [...]  Alors l’âme est mise dans une parfaite liberté [...] C’est là qu’elle jouit d’une manière admirable [183] de tous les droits de l’enfance, étant venue à une si grande simplicité, pureté et candeur, qu’il ne reste plus en cette âme quoi que ce soit de la malignité et de la corruption d’Adam. Mais c’est une chose qui se peut mieux expérimenter qu’écrire et qui ne sera jamais comprise de ceux qui, bien que très saints d’ailleurs, mais saints en eux-mêmes, gémissent encore et soupirent après la délivrance d’eux-mêmes [...]

 

 Chapitre IX

V.6-8  [...] ce ne sont pas les enfants de la chair qui sont enfants de Dieu; mais ce sont les enfants de la promesse…

V.11  [...] non pour les œuvres  [...], mais pour la volonté de celui qui nous appelle…

[185][...] Tout notre salut vient de la bonté de Dieu, qui dispose l’âme par Son amour pour ce qu’Il en veut faire; de sorte que nous devons à Dieu, non seulement notre salut, mais toutes nos œuvres et nos mérites. [...] L’amour-propre est celui qui veut que ses œuvres soient comptées [...], mais l’amour pur veut faire de toutes ses forces toutes les œuvres que Dieu veut de lui, et il ne prétend d’autre récompense que la grâce que Dieu lui a faite, de S’être servi de lui pour les faire. [...]

 

Chapitre XI

V.35. Qui lui a donné quelque chose le premier, afin qu’il en soit récompensé ?

V.36. N’est-ce pas de Lui, et par Lui, et en Lui que sont toutes choses ? Que la gloire Lui en soit rendue dans tous les siècles ! Amen.

[...] N’est-ce pas de Lui, et par Lui, et en Lui que sont toutes choses ? Ces trois différences que fait saint Paul sont bien admirables. Il regarde Dieu comme principe, comme agent, et comme récompense et fin de [210] tout ce qui est fait. Le premier degré est que Dieu [étant considéré] comme principe, c’est de Lui que viennent toutes choses : aussi dès qu’une âme commence d’entrer dans la voie intérieure, elle reçoit tout de Dieu. Voilà l’écoulement de grâces de Dieu : aussi cet état intérieur d’infusion est très doux, car Dieu étant le principe de tout, Il fait écouler incessamment des grâces très sensibles et très douces. Ensuite l’âme entre dans un autre état bien plus parfait, qui est qu’elle n’opère plus rien que par Dieu même : non seulement elle reçoit de Lui pour opérer avec douceur et suavité, mais même elle perd toute action propre, quoique faite avec douceur et suavité, pour laisser tout faire à Dieu en elle, et c’est alors que tout est fait par Lui. Puis elle entre dans le dernier état, qui est de sa fin, où elle se perd en Dieu et avec elle toutes choses. Alors il n’y a plus de distinction de Dieu et de ce qui est fait par lui ou sorti de Lui, mais tout se trouve en unité de principe de retourner dans cette même fin. C’est donc à Dieu seul que la gloire de toutes choses est due, et il faut la Lui rendre dans tous les siècles des siècles. Amen !

 

Chapitre XII 

La première marque de l’intérieur, c’est une grande et forte charité, mais une charité sincère et sans déguisement, c’est-à-dire qu’elle a toutes les qualités de la charité, qui est de remplir premièrement le cœur, puis se répandre au-dehors. Les personnes véritablement intérieures ont une charité profonde dans le cœur pour leurs frères, qui les porte à pardonner de très bon cœur toutes les injures qu’ils leur font ; mais ce pardon n’est pas une grimace extérieure : c’est une affection réelle du cœur. Cette charité porte à haïr le mal de coulpe, parce qu’il est opposé à Dieu et contraire à Sa volonté, et à faire le bien, qui n’est autre chose qu’obéir à Dieu et faire ce qu’Il souhaite de nous : c’est là l’unique bien auquel nous devons nous attacher inviolablement. La charité envers Dieu est l’amour pur, qui n’a d’autre objet que Dieu seul : il est sincère, sans déguisement ; déguiser la charité, c’est avoir et trouver en Dieu d’autre objet de l’amour que nous Lui portons que Lui-même. Celui donc qui a cette charité parfaite et sincère aime infailliblement son prochain pour l’amour de Dieu, car la charité du prochain est la fille aînée du pur amour. Cette charité pour le prochain fait que l’on n’a pas de peine à le prévenir d’honnêteté et de déférence ; la déférence et la soumission nourrissent la charité fraternelle, comme l’envie de l’emporter sur tout le monde, de ne prévenir personne et de ne céder à personne, la détruit : [214] la première naît de l’humilité, et la seconde est produite par l’orgueil.

V.11. Ne soyez pas lâches dans votre devoir. Ayez l’esprit fervent. Servez le Seigneur.

[...] Saint Paul ne demande pas que nous ne sentions pas de répugnance à faire notre devoir, puisque la répugnance ne dépend pas de nous, mais que nous ne négligions pas notre devoir pour la répugnance. D’autres prennent la ferveur de l’esprit pour une certaine ardeur naturelle que l’on a dans ses actions, qui vient plus du tempérament que de l’amour ; ce n’est pas cette ferveur que saint Paul demande, mais un certain état intérieur d’abandon, qui tient toujours la personne en haleine pour faire toutes les volontés de Dieu, quoiqu’il en coûte, et souffrir tout ce qu’il Lui plaît d’envoyer de peines, de chagrins, de maladies, etc. Et c’est de cette sorte que l’on sert le Seigneur, et que l’on ne sert pas à son amour-propre. [...]

 

Chapitre XIV

V.14. Je sais et je suis persuadé par le Seigneur Jésus  qu’il n’y a rien d’impur de soi ; et que si quelque chose est impure, ce n’est qu’à l’égard de celui qui la croit impure.

Il est certain que les âmes pures et innocentes, qui vivent dans une sainte liberté, ne font pas, à beaucoup près, tant de fautes que ces gens scrupuleux, qui, marchant avec une conscience erronée, font à tout moment des fautes et croient que tout est faute et péché ; au lieu que ceux qui marchent dans la simplicité de leur cœur, dans le désir sincère de plaire à Dieu, quoiqu’il semble aux autres qu’ils fassent bien des fautes, n’en font pas, à cause de la droiture avec laquelle ils marchent, les choses n’étant pures ou souillées qu’autant que l’intention de celui qui les fait est pure, droite, simple, ou impure et gâtée. C’est ce qui a fait dire à Jésus-Christ [86] : si votre œil est simple, tout votre corps sera lumineux : cet œil est la pureté de l’intention, qui rend toutes les actions claires et brillantes, à cause de la droiture avec laquelle elles sont faites. Cependant, quelque bonne, simple, et innocente que soit une chose, si elle scandalise mon frère, je dois m’en abstenir, non à cause de moi, mais à cause de mon frère, suivant cet autre endroit de saint Paul qui suit celui-ci.

V.15. Si en mangeant de quelque chose, vous attristez votre frère, dès lors vous ne vous conduisez plus selon la charité. Ne faites pas périr par votre manger celui pour qui Jésus-Christ est mort.

V.17. Car le royaume de Dieu ne consiste pas dans le boire et dans le manger, mais dans la justice, dans la paix et dans la joie que donne le Saint-Esprit.

[228] Toutes les pénitences et austérités, quelles qu’elles soient, ne peuvent pas donner cette paix, cette joie du Saint-Esprit : il n’y a que l’abandon total entre les mains de Dieu, et le vrai esprit intérieur, qui puissent donner cette justice, cette paix, cette joie si grande qu’elle est incompréhensible à tous ceux qui ne l’ont pas éprouvée : et c’est en cela que consiste le royaume de Dieu, qui est le véritable royaume intérieur, comme il a été vu quantité de fois. [...]

V.22. Avez-vous la foi ? Contentez-vous de l’avoir dans le cœur aux yeux de Dieu. Heureux celui que sa conscience ne condamne pas en ce qu’il ose faire !

[229] Ce conseil est admirable. Il ne faut pas découvrir cet état de liberté à ceux qui n’en sont pas capables, il le faut cacher en son cœur ; il suffit que Dieu seul en soit témoin : c’est Lui nous juge et une chose qui Lui plaira infiniment, paraîtrait un scandale à ceux à qui l’on découvrirait le fond de son cœur s’ils n’en sont pas capables. Véritablement, celui dont la conscience est en paix, et qui n’en est jamais condamné quoi qu’il fasse, est heureux, car il possède une liberté divine, une largeur et une immensité inconcevables, et ne fait rien qui puisse déplaire à Dieu, ne faisant rien contre sa conscience [...]



 

Épître I aux Corinthiens

 

Chapitre II

 V.4-5 Je n’ai point employé [...]  les discours persuasifs…

[248][...] C’est l’esprit intérieur qui fait parler, et cet esprit est si fort et a tant d’efficace qu’il pénètre les cœurs de ceux qui l’entendent : les personnes qui écoutent sont étonnées de sentir une certaine vertu secrète qui les enlève, les entraîne ; un certain écoulement de grâces s’empare de leur cœur, et l’on est surpris qu’un simple paysan grossier, une petite femmelette, par les paroles de cette sagesse divine, fera plus d’effet sur un cœur en une heure, qu’un grand nombre  [...] en je ne sais combien d’années.  [...] Et Dieu en use de la sorte ayant égard aux personnes qui entrent dans les sentiers intérieurs, qui sont des voies de foi, afin que leur foi et leur confiance ne soient pas appuyées sur la sagesse des hommes, sur leurs lumières, leurs études, mais sur la Toute-puissance de Dieu [...]

 

Chapitre III

V.8. Car nous sommes les coopérateurs de Dieu ; et vous, vous êtes le champ que Dieu cultive et l’édifice qu’Il bâtit.

[...] Nous sommes le champ qu’Il cultive Lui-même, mais comment le cultive-t-Il ? En renversant la terre, en l’ouvrant avec le fer : ce champ doit se laisser cultiver, il ne contribue en rien à sa culture. Tout ce qu’il fait, c’est que, comme il est libre et qu’il peut vouloir ou ne pas vouloir ce que Dieu fait, il peut empêcher Dieu d’agir sur lui ; et comme il n’est pas un champ mort et sans vie, il correspond de sa volonté, consentant, voulant, acceptant de tout son cœur ce que Dieu fait en lui. Il est aussi l’édifice que Dieu bâtit : il faut qu’il se laisse bâtir à la mode de Dieu et non pas à la sienne. L’homme a voulu s’édifier lui-même, il a travaillé quelque temps à son propre édifice : que fait Dieu ? Il détruit, [257] Il abat ce qui est de l’invention de l’homme, puis Il bâtit sur ses ruines. [...]

 

Chapitre IV

V.15. Quand vous auriez dix mille maîtres en Jésus-Christ, vous n’avez pas néanmoins plusieurs pères, puisque c’est moi qui vous ai engendrés en Jésus-Christ par l’Évangile.

V.16. Soyez donc mes imitateurs, je vous en conjure, comme je le suis moi-même de Jésus-Christ.

Il est certain qu’il y a des paternités spirituelles, et qu’il y a des âmes que l’on engendre véritablement à Jésus-Christ. C’est une chose très [266] réelle. On peut trouver quantité de maîtres qui instruisent ; mais nul ne peut faire l’office de père que ces personnes, qui ont véritablement engendré en Jésus-Christ ; et l’on trouve une si grande différence de l’union, de la facilité que l’on a d’obéir à ces personnes, à tout le reste, que cela est surprenant. On peut bien dire que ce sont des pères, puisqu’il est vrai qu’ils n’instruisent pas seulement, mais qu’ils souffrent les douleurs de l’enfantement pour les produire en Jésus-Christ, et que Dieu leur fait souffrir de très grandes peines pour cela. Ils sentent et éprouvent leur résistance d’une manière si forte, que les douleurs de l’enfantement naturel ne sont pas plus fortes. Jésus-Christ enfanta de la sorte les chrétiens sur la croix. [...]

 

Chapitre XII

 V.3-4 [...] nul ne peut dire Seigneur Jésus que par le Saint-Esprit…

[288][...] Comme un enfant qui apprend à écrire, fait de faux traits parce qu’il force la main de son maître, ne pouvant laisser conduire la sienne, [...] il faut qu’il apprenne à laisser manier sa main. D’abord nous opérons, quoiqu’avec Dieu, si fortement, que Dieu ne peut opérer à Son gré. [...] Cependant, on se persuade que, lorsque l’on parle d’oraison passive, on ôte la correspondance de la créature : c’est un abus ; elle ne correspondit jamais mieux, mais elle correspond selon la volonté de son Maître et non en Le gênant et Lui faisant violence. Il n’y a donc et ne doit y [289] avoir qu’un seul Esprit en nous, comme tous ne composent qu’un seul corps [...]

 

Chapitre XIII

V.1. Quand je parlerais le langage des Anges, si je n’avais point la charité, je ressemblerais à de l’airain qui sonne ou à une timbale qui retentit,

V.2. Et quand j’aurais le don de prophétie, que j’entendrais tous les mystères, que j’aurais toute la foi et toute la science, en sorte que je transportasse les montagnes, si je n’ai point la charité, je ne suis rien.

V.3. Quand je distribuerais tout mon bien pour nourrir les pauvres, que j’exposerais mon corps aux flammes, si je n’avais pas la charité, tout cela ne me servirait de rien.

[...] Nous devons de là inférer la grandeur de la [294] charité, et combien elle est préférable tout le reste, quelque grand et éclatant qu’il soit. Mais, charité, tu n’es pas connue, parce que tu es cachée sous une grande simplicité : on ne t’estime pas dans une âme que tu possèdes ; et l’on estime désordonnément ces autres choses. De là l’on peut voir qu’il y a une voie bien plus pure, et plus parfaite que toutes ces choses si grandes, si extraordinaires, qui est la voie du pur Amour, voie qui n’est autre qu’une âme cachée et perdue en Dieu, qui demeure en charité. Celui qui demeure en charité, demeure en Dieu : l’âme qui vit en Dieu, est dans l’amour épuré et dans la charité parfaite.

Mais cet état n’est connu presque de personne, parce que ces âmes ainsi brûlées et consommées par la charité, ont au-dehors une vie toute commune. [...]

V.4. La charité est patiente, elle est douce ; la charité n’est point envieuse, ni dissimulée, ni superbe [...]

Ce n’est donc pas à toutes les choses extraordinaires, extases, ravissements, visions, révélations, prophéties, pénitences, aumônes, que l’on connaît la charité ; aussi ne sont-ce pas ces choses qui sont la consommation de l’âme, puisqu’il faut les perdre toutes pour entrer dans la pure charité, qui met l’âme dans une vie toute simple, et qui ne sera jamais connue par ces choses. [...][296] De tout ce que saint Paul attribue à la charité, ce sont ou des choses passives ou négatives, parce que la personne qui est consommée en charité n’a pas d’acte qui lui soit propre, mais elle a des qualités qui sont annexées à cet état de pur amour ; son acte sans acte, ou son habitude, est d’aimer, et d’être transformée en amour.

Une telle âme est donc patiente : comment s’impatienterait-elle, vu qu’elle est dans une immobilité parfaite, et qu’elle participe à la patience de Dieu ? Elle est patiente envers Dieu, souffrant tout ce qu’Il ordonne et lui fait souffrir ; patiente envers le prochain, le supportant dans ses défauts et dans tout ce qu’il lui fait ; patiente avec elle-même, ne désirant jamais être autre que ce qu’elle est, ni avoir autre chose que ce qu’elle a. [...] Une de ses grandes qualités est de n’être pas dissimulée, toujours droite et simple [...][297] une telle âme n’a pas d’ambition, ni pour l’extérieur, ni pour l’intérieur : mais elle se contente de son petit état, vivant abandonnée à son Dieu sans se soucier de ce qui la concerne. La raison de cela est qu’elle ne cherche pas ni elle-même ni son propre intérêt, étant morte à tout intérêt quel qu’il soit, la propriété étant bannie de chez elle. Voir une âme sans intérêt, ni temporel ni spirituel, ni du temps ni de l’éternité, mais qui demeure délaissée à Dieu, afin qu’Il fasse d’elle et en elle toute Sa volonté, ne voulant que Sa seule gloire, c’est voir une âme consommée en charité. [...]

V. 12 Nous ne voyons maintenant que comme dans un miroir et en des énigmes; mais alors nous verrons face à face [...]

En quelque élévation que l’on soit, quelque sublime que soit l’état de l’âme, jusqu’à ce qu’elle soit consommée dans la pure charité, elle ne connaît les choses qu’imparfaitement et comme dans un miroir, les voyant hors de Dieu. Toutes les créatures regardées en elles-mêmes et hors de Dieu, ce sont comme des miroirs qui nous représentent quelques signes de la beauté de Dieu, mais d’une manière si superficielle et si passagère qu’elle est très bien comparée au miroir. Mais lorsque nous sommes perdus en Dieu par la consommation de la charité parfaite, nous attirons toutes choses en Dieu avec nous. Alors nous voyons face à face, c’est-à-dire les choses comme elles sont en vérité, et nous voyons tout en Dieu sans distinction de Dieu : [301] alors cette créature ne nous est plus une image de Dieu, mais elle est Dieu même pour nous, qui ne pouvons plus distinguer l’être incréé des autres êtres créés.

Lorsque nous possédons Dieu en nous, et que nous L’attirons en nous par les faveurs qu’Il nous fait, proportionnées seulement à la capacité de la créature, nous attirons Dieu dans toutes les créatures, et nous avons alors une manière de contemplation qui est de contempler Dieu dans tous Ses ouvrages. Mais lorsque nous sommes passés en Dieu par la sortie de nous-mêmes, il semble que toutes les créatures passent aussi avec nous et pour nous en Dieu : alors nous ne voyons plus Dieu en elles, mais nous les voyons en Dieu, réunies en unité de principe où tout le créé se trouve réduit en unité dans l’être incréé : alors on voit tout face à face, puisque l’on voit toutes les choses comme elles sont dans l’unité de leur principe. Et cette différence est admirable à qui l’éprouve, en sorte que cette âme consommée en Dieu, ne peut rien voir distinct de Dieu. Et c’est en ce sens que tout lui est devenu Dieu : tout ce qui est hors de Dieu, retourné à Dieu, est Dieu. [...]

 

Chapitre XV

V.53. Car il faut que ce corps corruptible soit revêtu de l’incorruptibilité, et que ce corps mortel soit revêtu de l’immortalité.

V.54. […] alors cette parole de l’Écriture sera accomplie : La mort a été absorbée en victoire.   

[...] Il y a deux sortes de victoires, celle que la mort mystique remporte sur la vie d’Adam, et celle que la vie de Jésus-Christ remporte sur la mort, parce que, de même que la mort absorbe et détruit cette vie d’Adam, séparant et divisant l’âme d’elle-même et de sa propre vie, comme il a tant été expliqué dans l’Ancien Testament, et que, [321] par cette destruction, la mort est devenue victorieuse de la vie, cette même victoire de la mort sur la vie donne lieu à la victoire de la vie sur la mort. La vie de Jésus-Christ absorbe cet état de mort et devient victorieuse de la mort. Mais, dira-t-on, le même moment qui fait mourir l’homme à lui le fait vivre en Dieu. Il faut expliquer ceci.

L’âme passe par quantité de morts : tout ce qui la sépare est mort ; elle meurt au péché, aux créatures terrestres, célestes, à tout ce qui n’est point Dieu, en quoi elle peut vivre hors d’elle-même. Puis elle meurt à elle-même : étant séparée et divisée en elle, la partie supérieure se divise de l’inférieure et alors cette partie inférieure entre dans la mort et souffre par cette privation les effets de la mort. Jusqu’alors, elle était divisée de toutes les créatures, mais elle n’était pas divisée d’elle-même : alors cette partie inférieure meurt en ce qu’elle a d’Adam, car elle ne peut plus prendre de vie en quoi que ce soit ; elle sent seulement une corruption qui vient d’elle-même, qui ne lui envoie que des vapeurs de mort, qui la déchirent et la font mourir mille fois ; elle n’a plus alors de soutien, ni de Dieu, ni d’elle-même, ni de nulle créature. La raison de cela est que Dieu qui habite dans la partie suprême de l’âme n’envoie plus de Ses douces communications sur la partie inférieure, la partie supérieure en est entièrement séparée et ne lui communique plus aucune vie ; de la part des créatures, elle ne reçoit nul soulagement, parce que rien de ce qui est sur la terre ne lui peut causer aucun plaisir, étant morte à toutes ces choses. Car il faut remarquer une chose de très grande conséquence et qui fait presque ordinairement l’écueil de la vie spirituelle, qui est que la mort [322] et division de soi-même ne vient que la dernière et après que l’âme a été séparée de toutes les créatures, parce que si elle venait avant que la partie inférieure fût entièrement morte à tout le créé, l’âme, ne trouvant plus de soutien ni en elle-même ni en Dieu, en irait infailliblement chercher dans les créatures : étant trop faible pour porter un état si nu, elle se perdrait infailliblement dans le péché et dans la nature au lieu de se perdre en Dieu. Et c’est l’écueil qui arrive aux âmes qui, ayant ouï parler d’un état de dénuement, s’y veulent mettre d’elles-mêmes, avant que d’être entièrement mortes à toutes les créatures et à soi-même ; car, alors, ne le pouvant porter, leur état n’étant pas assez avancé pour se tirer d’une si grande souffrance, elles retournent aux plaisirs qu’elles ont quittés de corps, mais dont l’affection n’était pas parfaitement éteinte.

J’ai fait une digression un peu longue, mais elle était si nécessaire que je n’ai pu m’en défendre. Je dis donc que l’état de mort est un état où l’âme est privée de toute vie et de tout soutien quel qu’il soit, mais l’état de résurrection est un état où l’âme est remise dans la vie, mais vie de Jésus-Christ, vie divine, car dans le temps de la division, ce qui était corruptible a souffert la corruption, étant corrompu, et ensuite réduit en cendres par l’anéantissement durant lequel l’âme supérieure, unie à Dieu, se change et se transforme en Lui. Puis, peu à peu, cette partie supérieure se réunit à l’inférieure, changée et purifiée et, comme cette partie supérieure est toute transformée en Dieu, en revivifiant la partie inférieure, on la rend participante de la vie divine, et cette âme devient capable de porter l’état de Jésus-Christ dans sa partie inférieure, comme la partie supérieure [323] porte celui de Jésus-Christ, de sorte que cette âme devient un autre Jésus-Christ selon ses deux parties, la supérieure jouissant incessamment et sans interruption, et l’inférieure souffrant et agissant, mais d’une manière vivante et vivifiante, et non pas d’une manière morte.

 


 


 

 

Épître II aux Corinthiens

 

V.8. Car, mes frères, je ne veux pas que vous ignoriez l’affliction que nous avons soufferte en Asie : l’excès en a surpassé de beaucoup nos forces, jusqu’à nous rendre même la vie ennuyeuse.

[330] Il y a des temps où Dieu accable l’âme d’afflictions ; mais en même temps Il lui donne tant de consolation, que les croix ne lui sont pas pesantes ; et d’autres fois Il en fait porter à l’âme toute la pesanteur en sorte qu’elle n’éprouve que sa faiblesse et un surcroît de croix qui l’accable. C’est alors que la croix est bien dure : elle surpasse la force de la créature qui s’en trouve accablée, et qui est réduite à cet état de faiblesse de trouver la vie ennuyeuse, ce qui lui est une humiliation d’autant plus grande, qu’elle avait porté ses croix avec plus de force. Tout cela est nécessaire et avance beaucoup l’âme. Jésus-Christ a voulu porter cet état extérieurement, pour consoler ceux qui le porteraient intérieurement, étant tombés sous le poids de la croix. Cet état est une faiblesse de la nature, et non un défaut de volonté, car dans le temps que l’âme plie de la sorte sous le poids, sa volonté est toute disposée à en souffrir davantage : ce qu’elle ne connaît pas cependant, car la faiblesse est si grande qu’elle prend cette répugnance naturelle et cet ennui de la partie inférieure, pour une involonté de souffrir ; ce qui n’est pas, très assurément, car dans le temps que la nature se plaint et s’afflige, si l’on presse une personne de cet état de dire si elle ne veut pas bien souffrir, elle dira au milieu de ses désolations et de ses faiblesses, que si Dieu en veut envoyer davantage, Il le fasse.

V.9. Nous avions en nous-mêmes une réponse de mort [87], afin que nous ne missions pas notre confiance en nous, mais en Dieu qui ressuscite les morts.

L’âme en cet état, lorsqu’elle s’adresse à Dieu, [331] n’a que des réponses de mort, car cet état ne lui est donné que pour la faire mourir : Dieu ne la console plus ; elle ne trouve de tout côté que mort ; elle ne peut se consoler du côté des créatures, qui lui deviennent tous les jours plus contraires et plus cruelles. Que fera-t-elle donc ? Il faut mourir, et entrer véritablement en état de mort, car si l’on s’adresse à Dieu, il n’est mis autre chose dans le cœur que mort. Et pourquoi Dieu permet-Il ces choses ? C’est afin que l’on ne se confie pas en ses propres forces, ni en sa vertu, qui est pour lors arrachée, mais en Dieu qui ressuscite les morts, qui peut seul retirer l’âme de cet état de mort. Tous les efforts que l’on fait pour en sortir par soi-même ne servent qu’à augmenter la peine, et allonger cet état : il faut se délaisser à Dieu entièrement, et attendre que Sa bonté nous retire de ce sépulcre. [...]

 

Chapitre II

V.8. Combien le ministère de l’Esprit doit-il être glorieux ?          

[348] ... [l’âme] est mise dans un état continuel de foi, d’espérance et d’amour, et c’est là la parfaite contemplation où les actes, devenant directs et sans réflexion, mettent l’âme dans cette parfaite contemplation, la foi devenant si forte et si étendue qu’elle absorbe toute la capacité de raisonner, l’espérance est si ferme qu’elle engloutit tout désir et toute prétention, et l’esprit se trouve élevé par sa foi au-dessus de tout le sensible et matériel ; l’espérance est toute en Dieu et pour Dieu et devient épurée de tout propre intérêt, et l’amour devient si pur, si fort et si continuel qu’il demeure toujours droit vers son Dieu, sans réflexion sur la créature et sans être interrompu un moment. […]

 

   


 

 Chapitre III

V.18. Pour nous, en qui le visage découvert du Seigneur imprime Sa gloire comme dans un miroir, nous sommes transformés en Son image, nous avançons de clarté en clarté comme par l’Esprit du Seigneur.

[356] ...De toutes les actions de l’esprit, il n’y en a point de plus noble que la contemplation parce que la contemplation l’élève au-dessus de lui-même au lieu que le raisonnement le retient dans ses propres limites et l’empêche de s’étendre et de s’accroître. Mais la contemplation, en suspendant son action propre, bornée et resserrée, le dilate et l’étend, le faisant passer dans ce qu’il contemple pour en pénétrer toutes les profondeurs. C’est là l’avantage de la contemplation la plus épurée, de nous faire découvrir en Dieu même les secrets de Dieu, et cette connaissance s’accroît à mesure que la contemplation devient pure et dégagée de toutes formes et images. […]

 


 

Chapitre IV

V.8. Nous sommes pressés par toutes sortes d’afflictions ; mais nous n’en sommes pas accablés : nous sommes dans des perplexités ; mais nous n’y succombons pas.

V.9. Nous sommes persécutés, et non pas abandonnés : nous sommes abattus, et non pas entièrement perdus.

Saint Paul parle de deux états bien différents dans la vie spirituelle : l’un est celui des afflictions extérieures, par lequel on est pressé de toutes parts d’angoisses ; on ne sait presque que devenir, mais on n’en n’est pas pour cela accablé, parce que l’âme est dans une grande force en Dieu, en sorte que, pour ainsi dire, Il porte Lui-même le poids ; on se trouve dans des perplexités étranges ; il semble que toute lumière soit éteinte, et tout sentier détruit. Mais l’âme est soutenue dans ces choses d’une main invisible, et elle n’y succombe pas : on est dans la persécution ; mais on n’est pas abandonné de tout le monde, ni abandonné à la douleur ; on est dans l’abattement sous le poids des douleurs, mais on n’est pas perdu pour cela.

Il y a un autre état tout différent, où l’âme est accablée d’une bagatelle : la moindre chose la met dans la dernière désolation ; et c’est alors qu’elle est toute laissée, pour ainsi dire, à elle-même, et privée de tout soutien perceptible : elle succombe, ce semble, tout à fait aux perplexités de son esprit ; elle est abandonnée de Dieu et des créatures dans les persécutions ; enfin, son état lui devient un abîme et une perte totale.

Le premier état est moins rude que celui-ci, quoique les afflictions y paraissent plus grandes. Cet état-ci opère la mort, et l’autre est une marque de vie. Le premier s’éprouve en deux temps [361] bien différents : dans l’état de force et de vigueur passive, et dans la consommation de l’âme, après la résurrection. Dans le premier, c’est un soutien fort et vigoureux, qui n’empêche pas le sentiment entier de la chose, mais qui la fait porter avec force et joie. Le second est lorsque l’âme est ressuscitée et perdue en Dieu : alors elle est rendue si immobile, si ferme, et si insensible, que rien ne la touche...

 

Chapitre V

V.1. Car nous savons que si cette maison terrestre, où nous demeurons, se ruine, Dieu nous en édifiera une autre qui ne sera pas faite de la main des hommes et qui durera éternellement dans le ciel.

Cette maison terrestre, où nous habitons, est nous-mêmes : c’est la maison qu’Adam s’est bâtie après son péché : il vivait en lui-même, dans sa misère et dans la corruption de sa chair ; mais à mesure que cette maison terrestre se détruit, que nous perdons ce qui est en nous d’Adam, [369] Dieu Lui-même édifie en nous une maison céleste : pour la perte que nous faisons de cette maison bâtie par Adam, de ce qui est en nous de nous, Il Se donne Lui-même pour être notre demeure, car Il ne tire l’âme d’elle-même que pour la perdre en Lui. Or, cette maison n’est pas bâtie par la main des hommes : elle est éternelle. Cela se doit encore entendre que, par la perte de nos propres opérations, par lesquelles nous prétendions établir notre édifice spirituel, Dieu l’établit Lui-même d’une manière que les hommes n’y peuvent mettre la main sans empêcher ou arrêter cette divine opération. [...]

V.15. Et que Jésus-Christ est mort pour tous, afin que tous ceux qui vivent ne vivent plus pour eux-mêmes, mais pour Celui qui est mort et ressuscité pour eux.

V.16. C’est pourquoi nous ne connaissons plus personne selon la chair. Et si nous avons connu Jésus-Christ selon la chair, maintenant nous ne Le connaissons plus de la sorte.

Saint Paul confirme et explique admirablement ce qui a été avancé dans l’exposition des versets précédents, comment il entend parler de la mort mystique, et comment Jésus-Christ est mort pour tous afin que tous meurent à eux-mêmes, et entrent dans les maximes fondamentales de la religion, qui sont le renoncement à eux-mêmes, qui fait que ceux qui vivent encore ne vivent plus pour eux-mêmes, mais pour Celui qui leur a mérité par Sa mort une véritable vie, qui n’est autre que la Sienne, qu’Il communique par la mort : car Jésus-Christ est mort et ressuscité pour nous imprimer une nouvelle vie, qu’Il ne peut nous communiquer [380] que par la mort.

[...][382] ensuite, à mesure que Dieu la tire du sensible pour la porter au spirituel, ce goût et cette pensée distincte de l’humanité de Jésus-Christ se perdent, et l’âme est mise dans la simple foi, où elle n’a plus de distinction d’images et d’espèces, même de Jésus-Christ. Non que ces espèces lui puissent nuire, non, assurément, mais Dieu en use de la sorte à cause de la faiblesse de la créature, qui s’arrêterait là et ne se laisserait pas réduire dans l’unité. Il est donc nécessaire que cette présence de Jésus-Christ comme homme se perde, comme Jésus-Christ le disait Lui-même à Ses disciples : il vous est expédient que Je m’en aille [88]. Il faut par cette perte entrer peu à peu dans la simplicité et unité de Dieu seul, qui réunit toutes choses en Lui dans l’unité de principe. Alors notre vie et notre goût demeurent comme éteints et amortis, et nous restons cachés avec Jésus-Christ en Dieu dans un absorbement continuel : là, Jésus-Christ S’y trouve dans le sein de Son père d’une manière admirable, qui n’est pas cependant manifestée à la créature : alors elle peut dire avec vérité qu’elle ne connaît plus personne selon la chair, pas même Jésus-Christ.

Ensuite de cela, Jésus-Christ est manifesté homme-Dieu en Dieu même, non distinct de Dieu, quoiqu’Il soit manifesté en distinction. Je ne sais si je me pourrai faire entendre. Pour me mieux faire comprendre, il faut savoir que, lorsque l’âme est toute recoulée dans son Être original, elle attire avec elle en Dieu tout ce qui lui paraissait hors de Dieu. Alors elle [383] est longtemps abîmée dans cet océan sans rien distinguer ni connaître : tout ce qu’elle sait est que toutes choses sont réunies pour elle, dans leur principe, aussi bien qu’elle y est elle-même réunie, en sorte qu’elle perd peu à peu toute capacité de se distinguer de Dieu, ni de rien distinguer de Dieu. Tout lui est Dieu ; et pour elle, tout se trouve en Dieu sans distinction de Dieu. Elle ne voit que Dieu en Dieu, sans rien distinguer de Dieu même, non plus qu’elle ne s’en peut distinguer à cause de son union essentielle, qui, ayant fait la transformation et le mélange sacrés de l’époux et de l’épouse, la rend indistinguible, quoique son être subsiste toujours distinct ; mais la volonté, et tout ce qui est de l’âme, est tellement mélangé dans son être originel que, sans pouvoir distinguer cet être, la créature se trouve sans existence qu’elle aperçoive, à parler mystiquement, autre que celle de Dieu.

Mais lorsque l’âme est beaucoup avancée en Dieu dans cette transformation, et qu’elle a perdu tout distinct hors de Dieu, et tout distinct en Dieu, il lui est donné en Dieu même de voir toutes les créatures distinctes dans leur être original. Alors Jésus-Christ paraît d’une manière tout admirable et toute nouvelle. Je me sers pour me faire entendre d’une comparaison. Si la mer était immense et qu’elle renfermât tous les animaux et tous les hommes, soit dans sa superficie, soit dans son fond, celui qui serait seulement sur la mer verrait distinctement tous les animaux séparés et distincts de la mer, quoique sur la mer : mais si cette personne venait à s’enfoncer dans la mer, elle perdrait peu à peu la vue de tout ce qui [384] était sur la mer, et insensiblement en s’enfonçant, elle verrait que la mer, sans pouvoir distinguer autre chose [89]. Mais si elle est elle-même changée en mer, alors elle ne peut se distinguer de la mer, ni en distinguer les autres créatures ; cependant, peu à peu, à force d’être purifiée, identifiée, mêlée, changée en la même mer, elle apercevrait toutes les créatures distinctes dans cette même mer, comme elle les avait vues sur la mer ; mais elle les verrait dans la mer sans être séparée de la mer, enfermées en elle, et distinctes d’elle ; mais pourtant dans leur être original, d’une vue claire, en la mer même. Les comparaisons ne sont jamais tout à fait propres. Je dis donc que cette âme, après avoir perdu le distinct créé, et hors de l’être incréé et dans l’être incréé, voit dans une lumière plus étendue tout ce qui est en Dieu sans sortir de Dieu et c’est de cette manière que les bienheureux voient toutes choses. Alors l’âme voit en Dieu Jésus-Christ homme-Dieu d’une manière très sublime, mais cela n’arrive que tard, comme nous verrions une personne tombée dans l’eau être quelque temps comme aveugle et sans rien distinguer que l’eau ; ensuite, reprenant ses esprits, elle voit dans l’eau même qui est claire et cristalline, jusqu’aux moindres choses qui sont dans cette eau. L’âme arrivée en Dieu même conserve quelque temps cette obscurité et indistinction, qu’elle avait eue tout le long de la foi nue ; ensuite de cela, peu à peu, la lumière lui est donnée ; mais la lumière immense et non distincte, cette lumière étant Dieu même à la faveur de laquelle elle voit dans cette lumière tout ce qu’elle contient.

[385] C’était l’espérance de parvenir à cet état si sublime qui faisait dire à David : Je verrai la lumière dans Votre lumière [90]. Toutes les lumières créées de dons, grâces, faveurs, illustrations, tout cela est voir ou recevoir la lumière, mais voir les choses en Dieu comme je le viens d’expliquer, c’est voir la lumière dans Votre lumière, ô Dieu ; c’est les voir en Vous-même où toutes Vos qualités sont Vous-même. […]

 

Chapitre VI 

V.16. Quel rapport y a-t-il entre le temple de Dieu et les idoles ? Car vous êtes le temple de Dieu vivant, ainsi qu’Il le dit Lui-même : Je demeurerai en eux […].

[400][...] Ces personnes qui ne veulent point admettre d’union intime et permanente en cette vie me permettront de leur dire que c’est faute d’expérience, et qu’elles prennent l’union essentielle, la possession réelle, durable et permanente en Dieu, pour une application continuelle de pensée en Dieu, pour un bandement de tête et de cervelle pour se souvenir incessamment de Dieu. Ce n’est pas de la sorte, mais c’est une possession qui n’exige pas le souvenir continuel. On ne pense pas incessamment à ce que l’on possède : on en jouit et c’est assez. Notre âme nous anime et nous possède : pensons-nous continuellement que nous en sommes possédés et animés ? C’est une chose cependant réelle et que nous n’ignorons pas ; mais de penser comment notre âme nous anime, de quelle manière, c’est à quoi nous ne faisons pas seulement attention : il y a même des enfants ou des personnes simples qui vivent sans savoir s’ils ont une âme : ils vivent et c’est tout, ils savent qu’ils sont vivants, mais ils ignorent ce qui les fait vivre. Il en est de même de la possession de Dieu.

Dieu demeure donc dans cette âme et, non seulement Il y demeure, mais Il marche en elle, c’est-à-dire : Il agit, Il opère, Il parle en elle, mais d’une manière qui Lui est si agréable qu’il ne se peut rien de plus. Cette conversation que Dieu fait dans cette âme est un parler mystique par lequel Il l’instruit d’une manière imperceptible, mais très profonde. Enfin Il est leur Dieu et ils sont Son peuple choisi et chéri. Nous ne pouvons point véritablement dire que Dieu est notre Dieu tant que nous estimons quelque chose hors [401] de Lui : Il est toujours Dieu, mais il n’est notre Dieu que lorsque nous savons L’honorer et L’aimer en Dieu.

 

Chapitre X

V.2. Et je vous demande qu’étant présent, je ne sois pas obligé d’user envers quelques-uns de l’autorité dont ils croient que j’use librement, s’imaginant que nous marchons selon  la chair.

[406] Saint Paul eut la même fortune que toutes les âmes apostoliques qui marchent avec simplicité et liberté, de passer pour entreprenant et présomptueux. La fermeté qu’ils ont à entreprendre tout ce qui est de la gloire de Dieu et à détruire ce qui lui est opposé fait qu’on les regarde comme des personnes intrigantes et entreprenantes ; et la simplicité à parler indifféremment de tout ce qui les concerne (parce qu’ils ne se regardent plus eux-mêmes, n’étant plus, mais la seule gloire de Dieu et le bien des âmes), les fait accuser de présomption, quoiqu’ils soient extrêmement éloignés de l’un et de l’autre de ces défauts. Ce qui oblige les hommes à porter de semblables jugements, c’est qu’ils regardent tout du côté de l’humain et en manière humaine : ils croient, comme dit saint Paul, que l’on marche selon la chair. Mais on est bien éloigné de marcher de cette sorte, puisque, comme il été vu, tout l’humain a été détruit par la mort mystique avant que d’entrer dans ce pays de liberté. […]

 

Chapitre XIII

V.11. Au reste, mes frères, réjouissez-vous, soyez parfaits, exhortez-vous les uns les autres, n’ayez qu’un même sentiment ; vivez dans la paix et le Dieu de paix et de dilection sera avec vous.

V.13. Que la grâce de Notre Seigneur Jésus-Christ, la charité de Dieu, la communication du Saint-Esprit soient en chacun de vous.

[436] La véritable perfection est toujours accompagnée de joie, car la perfection opère dans l’âme la plénitude et le rassasiement parfait qui est la seule chose qui peut contenter pleinement l’âme. Une personne de cette sorte ne peut pas qu’elle ne soit pleinement satisfaite et pleine de joie. C’est cette perfection pleine de joie qui opère tout le reste de ce que saint Paul demande aux Corinthiens : qu’ils s’exhortent et s’encouragent, qu’ils soient tous dans un même sentiment. S’ils sont tous dans un même état, ils seront tous dans un même sentiment, ils auront une parfaite paix entre eux en ayant une très grande avec Dieu en l’âme, qui est toute paix et tout amour et qui produit les mêmes effets dans l’âme où Il habite. Le reste est un état [91] particulier après le général, qui est nécessairement uni à l’état dont il vient de parler.

 



 

Épître aux Galates

 

Chapitre III

V.6. Et n’est-il pas écrit qu’Abraham crut en Dieu, et sa foi lui fut imputée à justice ?

V.7. Reconnaissez donc que ceux qui croient sont enfants d’Abraham.

[453] Le principal caractère d’Abraham fut sa foi et son abandon à la conduite de Dieu : il crut et se confia aux promesses, ce qui ne l’empêcha pas de se laisser conduire de telle sorte qu’il suivit le commandement qui semblait détruire les promesses. Les véritables caractères des âmes intérieures sont la foi et l’abandon : leur oraison et leur intérieur est la foi, et la foi en est le fondement ; et toute leur conduite extérieure est de s’abandonner et de suivre pas à pas la divine Providence, recevant également de moment en moment tout ce que Dieu envoie, les maux comme les biens. C’est là ce qui a fait le parfait état d’Abraham, et qui l’a distingué du reste des autres hommes. Ceux en qui ces caractères sont imprimés, sont incontestablement les enfants d’Abraham. Or la foi et l’abandon à la conduite de Dieu sont ce qui compose la véritable contemplation ; c’est le propre caractère de l’âme intérieure, par lequel elle se distingue de celles qui ne le sont pas : donc les âmes intérieures sont les vrais enfants d’Abraham. [...]

V.10. Car tous ceux qui mettent leur confiance en les œuvres de la loi sont sous la malédiction, selon qu’il est écrit : malédiction sur tous ceux qui n’observent pas tout ce qui est prescrit dans le livre de la loi.

V.11. Or il est évident que personne n’est justifié devant Dieu par la loi ; puisqu’il est dit, que le juste vit de la foi.

Tous ceux qui mettent leur confiance dans les œuvres de la loi, et qui viennent à manquer à ce dans quoi ils se confient, il est certain qu’ils encourent la malédiction et sont plus coupables, parce qu’ils croient que tout dépend de cette loi, et cependant ils la violent. Car la loi seule ne peut communiquer la grâce et la force d’accomplir la loi : il n’y a que la foi en Jésus-Christ qui donne la grâce et la force d’accomplir la loi, et qui fait que le chrétien, sans se confier dans les œuvres de la loi, mettant toute sa confiance en [455] la grâce de Dieu méritée par Jésus-Christ, accomplit parfaitement la loi. Il accomplit la loi avec facilité par la grâce qui lui est donnée de faire toutes les volontés de son Dieu ; mais il ne met pas pour cela sa confiance dans la pratique des œuvres de la loi, mais il prend la miséricorde de Dieu pour l’unique appui de sa confiance. [...]

 

Chapitre IV

V.6. Et parce que vous êtes enfants, Dieu a envoyé dans vos cœurs l’Esprit de Son Fils, qui crie : Abba, mon Père.

V.7. C’est pourquoi nul de vous n’est plus serviteur, mais fils. S’il est fils, il est donc héritier par Dieu même.

Si nous sommes appelés à la filiation divine, comme l’on n’en doit pas douter, nous sommes aussi appelés à la liberté les enfants, qui est nécessairement attachée à cette adoption. Mais à quoi reconnaîtra-t-on que l’on est enfant de Dieu ? C’est, dit saint Paul, que si vous êtes des enfants de Dieu, il faut nécessairement que Dieu ait envoyé dans vos cœurs l’Esprit de Son Fils. Ce n’est donc à rien d’extérieur que l’on connaît cette filiation, mais à l’intérieure possession de l’Esprit de Jésus-Christ. Pour sortir donc de la qualité de serviteur pour entrer dans celle d’enfant, il faut cesser de se posséder soi-même pour se laisser posséder à l’Esprit de Jésus-Christ : il faut cesser de [473] se conduire et de se gouverner soi-même pour se laisser conduire et gouverner par l’Esprit de Jésus-Christ ; et cet Esprit prie Lui-même dans ces âmes. [...]

 

 Chapitre V

V.13. Car, pour vous, mes frères, vous avez été appelés à la liberté ; faites en sorte seulement que votre liberté ne vous soit pas un sujet de vivre selon la chair, mais soumettez-vous les uns aux autres par la charité de l’esprit.

[479][…] La liberté consiste dans la largeur et l’étendue d’une âme abandonnée à toutes les volontés de son Dieu et qui n’est retenue par aucune volonté propre quelque petite et bonne qu’elle paraisse. Ce n’est donc point à nous à nous introduire dans la liberté, mais il faut nous y laisser mettre [...]

 

Chapitre VI

V.2. Portez les fardeaux les uns des autres : vous accomplirez ainsi la loi de Jésus-Christ.

V.3. Car si quelqu’un s’estime quelque chose, il se trompe lui-même, parce qu’il n’est rien.

La véritable charité est celle qui nous fait porter les défauts, les imperfections les uns des autres, les faiblesses naturelles et spirituelles. Mon Dieu ! Je crois que la véritable perfection ne se peut bien connaître qu’à cette parfaite charité, qui nous fait porter avec égalité, douceur et patience les défauts des autres, persuadés que nous devons être qu’ils ont plus à souffrir de nous que nous d’eux.

Une autre manière de connaître l’avancement d’une âme est de voir si véritablement elle comprend réellement qu’elle n’est rien, et qu’elle ne fasse cas d’aucune chose qui soit d’elle ou [485] en elle. O tromperie, tromperie des âmes qui, n’étant rien, s’estiment quelque chose ou devant Dieu, ou devant les hommes, ou en elles-mêmes, soit dans la nature, soit dans la grâce ! Nous ne sommes rien. O vérité qui n’est bien conçue que dans l’état même du rien, et non dans la considération de la chose ! Il faut être parfaitement anéanti pour connaître et comprendre véritablement que l’on n’est rien. [...]

 


 


 

Épître aux Éphésiens

Chapitre I

V.1. Paul, apôtre de Jésus-Christ par la volonté de Dieu, à tous les saints et fidèles en Jésus-Christ qui sont à Éphèse.

V.2. Que Dieu notre Père et le Seigneur Jésus-Christ vous donnent la grâce et la paix.

V.3. Béni soit Dieu, Père de Notre Seigneur Jésus-Christ, qui nous a comblés en Jésus-Christ de toutes sortes de bénédictions spirituelles et célestes.

[489] Saint Paul commence presque toutes ses épîtres de la même sorte afin de faire voir le choix et l’élection que Dieu a faits de lui pour l’apostolat, comment il ne s’y est pas mis de lui-même, mais par une volonté de Dieu spéciale, et par un décret de Sa Providence. Il nous fait comprendre par là qu’il ne se faut pas mettre par soi-même dans l’état apostolique, qu’il faut y être appelé, y être par ordre et volonté de Dieu. Ce qui fait que l’on réussit si peu, c’est que l’on s’y met par caprice, et que n’ayant pas la grâce de l’apostolat, l’on ne fait nul fruit dans l’apostolat. [...]

V.9. Pour nous faire connaître le mystère de la volonté selon qu’il Lui a plu et qu’Il s’est proposé en Lui-même,

V.10. Savoir, de réunir dans la plénitude des temps toutes choses en Jésus-Christ et par Jésus-Christ, soit ce qui est dans le ciel, soit ce qui est sur la terre.

...Une autre chose cachée dans le sacrement de la volonté de Dieu, c’est cette réunion de tous les saints et de tous les hommes dans l’unité du Verbe, qui a demandé et désiré [92] en cette consommation d’unité, parce qu’il faut que tous les êtres participants de Lui soit enfin réunis en Lui, et Il ne fera qu’un composé des anges et des hommes qu’Il réduira dans Son unité, en sorte que tout sera réuni en Lui comme dans le chef : ce qui n’arrivera pas seulement dans l’autre vie, mais dès celle-ci, où tout sera réduit en unité du [499] Pasteur et des brebis. C’est une unité d’esprit et de cœur. [...]

V.19. Et qu’elle est la suréminente grandeur de la puissance qu’Il a exercée sur nous qui croyons par l’efficace de la vertu de Sa force,

V.20. Qu’Il a employée sur Jésus-Christ en Le ressuscitant et en L’établissant à Sa droite au-dessus des cieux.

...Celui qui croit lorsqu’il n’y a plus aucun sujet de croire, celui qui espère contre l’espérance, celui qui se voyant dans le fond de l’abîme croit que Dieu pourra [506] l’en tirer et, et n’hésite pas, ne s’étonne pas, ne doute pas, celui-là croit et sentira bientôt l’efficacité de cette vertu et de cette force divine en qui il a cru, et sur laquelle seule il s’est appuyé.

Mais, dira-t-on, je ne doute pas du pouvoir divin : je doute seulement qu’Il veuille employer Son pouvoir à me tirer de l’abîme, à cause de mon indignité. Dieu ne consulte ni notre dignité ni notre indignité : mais Il consulte seulement Sa volonté. Or Son pouvoir sera toujours suivant Sa volonté. Cela étant, il n’y a plus de doute à avoir : car Il exercera infailliblement Son pouvoir sur nous, Sa volonté étant de nous sauver. Et je dois même porter mon abandon plus loin, m’en remettant au seul pouvoir et à la seule volonté de Dieu, ne voulant pour moi ni pour aucune créature que ce qui est conforme à cette divine volonté.

 

Chapitre II

V.8. Car c’est par la grâce que vous êtes sauvés par la foi ; et cela ne vient pas de vous : c’est un don de Dieu.

V.9. Ce n’est pas par vos œuvres, afin que nul ne se glorifie.

V.10. Car nous sommes Son ouvrage, étant créés en Jésus-Christ dans les bonnes œuvres que Dieu a préparées afin que nous y marchassions.

Après que saint Paul a fait voir l’éminence du salut en Jésus-Christ, il va par degrés ; il fait voir ensuite la manière dont ce salut est accordé, afin que l’on ne s’en glorifie pas : car si Dieu nous a fait de si excessives miséricordes, c’est par une surabondance de miséricorde, et non par aucun mérite de notre part. C’est par la foi que nous sommes sauvés, et cette foi est un don de Dieu : ce n’est donc pas par ce que nous faisons ; mais nous devons tout à la grâce, lui devant aussi les [514] œuvres dans lesquelles Il nous fait marcher : car qui est-ce qui peut faire aucune bonne œuvre sans la grâce ? Parce que les œuvres qui d’elles-mêmes sont bonnes sont rendues inutiles lorsqu’elles sont destituées de grâce. De quoi nous pourrions-nous donc glorifier ? Du néant ? [...]

V.19. Vous n’êtes donc plus des étrangers hors de leur pays et de leur maison ; mais vous êtes citoyens de la même cité que les saints, et domestiques de Dieu :

V.20. Étant édifiés sur le fondement des apôtres et des prophètes dont Jésus-Christ lui-même est la principale pierre de l’angle

V.21. Sur lequel tout l’édifice étant posé, s’élève dans ses proportions, pour être un saint temple consacré au Seigneur.

V.22. Et vous-mêmes aussi vous entrez dans la structure de cet édifice pour devenir la maison de Dieu par le Saint-Esprit.

[...] Ils font tous et chacun un temple dans leur intérieur, où Dieu habite, et cependant ce n’est qu’un seul temple. Tous n’en composent qu’un seul quoique chacun soit un temple distinct : ils n’en composent qu’un seul parce qu’il n’y a en tous qu’un seul esprit, qu’un seul cœur et qu’un seul corps, dans lequel Dieu habite par Son saint et indivisible Esprit, de sorte que ce corps est composé, comme un temple, [519] d’autant de chrétiens qui sont remplis de Jésus-Christ ; et ces chrétiens sont des pierres polies par les ciseaux de la souffrance, qui composent cet édifice admirable. Cet édifice s’accroît et s’augmente jusqu’à son entière consommation par tous les chrétiens qui reviennent de nouveau ; comme l’édifice intérieur va toujours croissant en chaque particulier jusqu’à sa consommation, aussi cet édifice général va toujours s’accroissant depuis qu’il fut fondé par les prophètes et apôtres sur le même fondement de Jésus-Christ ; et le même Esprit est tout en tous, tant dans le général que dans le particulier de ceux qui sont réduits dans leur unité.

V.20. Que celui qui par la puissance qui agit en nous avec efficace, peut faire infiniment plus que tout ce que nous demandons et pensons,

V.21. Soit glorifié dans l’Église et en Jésus-Christ pendant la suite de tous les siècles des siècles. Amen !

[538] Mon Dieu ! Que nous sommes fous de borner nos prières, et demander certaines choses particulières, telle et telle grâce ! Quoique cela soit bon et louable, il me semble que c’est traiter Dieu en homme, et Lui demander infiniment moins que ce qu’Il veut donner et que ce qu’Il donne. C’est comme qui demanderait un denier à un roi. Il ne faut pas conformer nos demandes à ce que nous sommes, mais à la grandeur et magnificence de Celui qui donne : ainsi, celui qui s’en remet à la volonté du roi et qui lui expose simplement ses nécessités, demande plus sans rien demander que celui qui demande des grâces spécifiées. La véritable demande, c’est de ne jamais rien demander à Dieu que l’accomplissement de Sa sainte volonté, que ce qu’Il a fait demander dans le Pater, et s’abandonner à Lui pour tout le reste. O qu’Il nous donne bien plus que tout ce que nous saurions demander et désirer, ni même penser ! [...]

 

Chapitre V

V.14. C’est pourquoi il est dit : Réveillez-vous, vous qui dormez ; levez-vous d’entre les morts, et Jésus-Christ vous éclairera.

[563][...] vous n’avez plus le soleil pour vous éclairer, ni la lune [93]. Mais l’Agneau sera lui-même votre lumière. C’est donc ici que l’Agneau est Dieu même et la lumière de l’âme : aussi n’est-il pas dit ici que c’est la lumière qui reprend [des péchés] et fait voir, [564] n’étant plus question de cette sorte de lumière ; mais il dit que tout ce qui est découvert est lumière. On n’y découvre plus les péchés ou les accusations, qui sont des ténèbres, quoiqu’on les voie par la lumière ; mais on y découvre Jésus-Christ Lui-même, et quoique l’on se voie plus néant et misère que jamais, tout cela est la lumière même, et non les ténèbres : ce n’est plus une chose qui reprenne, mais qui fait voir la vérité, sans que l’âme voie autre chose à faire de son côté que se laisser purifier de la même vérité qui l’éclaire. [...]

 


 


 

Épître aux Philippiens

Chapitre II

V.8. Il S’est humilié Lui-même, Se rendant obéissant jusqu’à la mort, et à la mort de la croix.

La plus forte marque de l’humilité et de l’anéantissement est l’obéissance. Comme il y a une humilité extérieure et une intérieure, il y a aussi une obéissance extérieure et une intérieure. Jésus-Christ a eu ces deux humilités et ces deux obéissances : l’extérieure dépend de l’intérieure, du moins il faut qu’elle en dépende pour qu’elle puisse être de durée, sans quoi c’est une obéissance qui passe aussi vite que l’humilité, ou qui [598] est dissimulée et non sincère, ou bien qui se fait par force et contrainte.

L’anéantissement intérieur nous fait demeurer anéantis dans notre place pour toute action et tout vouloir. L’esprit demeure sans action et sans volonté : il reste comme une chose qui n’est plus, qui n’a et ne veut avoir aucune subsistance propre, mais qui se laisse informer et mouvoir à Celui qui a tout droit et tout pouvoir sur lui. L’esprit demeurant anéanti de la sorte à toutes actions et à tout vouloir, l’action de Dieu vient emplir cette âme, la mouvoir et la faire agir. Alors cet esprit anéanti, sans action et sans volonté, se trouve rempli d’une action et d’une volonté divines, qui le meuvent et le gouvernent à Son gré ; de sorte que cette personne, par son anéantissement intérieur est mise dans l’obéissance intérieure, n’étant plus conduite que par la volonté de Dieu, qui a pris la place de la sienne, et la conduit en toutes choses. Pour sortir de cette dépendance et de cette obéissance, il faudrait sortir de l’anéantissement. C’était l’état intérieur de Jésus-Christ d’une manière infiniment sublime : Son obéissance était égale à Son anéantissement. Or comme Il était si anéanti qu’il n’avait ni soutien que de Sa Divinité, ni action que celle dont Dieu était le principe, aussi était-Il dans l’obéissance la plus parfaite qui fût jamais, comme Il dit Lui-même que Sa nourriture était de faire la volonté de son Père [94].

De cet anéantissement et de cette obéissance intérieure en naît une extérieure, par laquelle l’âme n’ayant pas de volonté se laisse [599] conduire de moment en moment selon les volontés de Dieu, les providences, et la volonté des supérieurs [...]

V.6. Ne vous inquiétez de rien, mais dans toutes vos oraisons, vos prières, vos Actions de grâces, exposez à Dieu ce que vous désirez.

V.7. Et que la paix de Dieu, qui surpasse tout entendement, garde vos cœurs et vos pensées en Jésus-Christ.

L’inquiétude étant absolument opposée à la joie, elle l’est aussi à l’intérieur. L’inquiétude ne vient que du défaut d’abandon et de soumission à toutes les volontés de Dieu : une âme bien abandonnée ne s’inquiète de rien, parce qu’elle est fortement persuadée qu’il n’arrive rien que ce que Dieu fait et permet ; et ne voulant que cette volonté de Dieu sans nul distinction, elle est [624] contente de tout ; et quoi qu’il lui arrive, rien ne la trouble ni ne l’inquiète. Le trouble est un effet de l’orgueil comme la paix vient de l’humilité et de l’anéantissement. Une âme véritablement humble ne s’inquiète de rien, quoiqu’il lui puisse arriver, soit du dehors, soit du dedans, de Dieu, des créatures ou d’elle-même, mais elle supporte tout avec paix, abandon et résignation, croyant que tout mépris, toute croix, toutes misères, lui sont dus et qu’elle ne mérite aucune grâce ni de Dieu ni des hommes. Que faut-il donc faire dans les chagrins et les sujets d’inquiétude ? Ce que dit saint Paul, qui est que dans toutes les prières, oraisons et Actions de grâces : sans demander à Dieu d’être délivré de ce que l’on souffre, il faut exposer simplement devant Lui ce que l’on peut désirer, et Lui laisser le soin de faire tout réussir selon Ses volontés. Mon Dieu, que cette prière de simple exposition a de force et d’efficace ! C’est la prière de l’Evangile qui est toujours exaucée [95] : Seigneur, si Vous voulez, Vous pouvez me guérir. D’autres se contentaient sans rien dire de se présenter à Jésus-Christ avec tous leurs maux et de s’exposer devant Ses yeux.

O, que cette profonde résignation donne de paix à l’âme ! Saint Paul l’appelle paix de Dieu qui surpasse tout entendement, parce qu’il est impossible de comprendre ce que c’est que cette paix par tout le raisonnement humain : il n’y a que l’expérience qui le puisse faire comprendre. C’est cette paix qui garde le cœur et l’esprit en Jésus-Christ, empêchant le cœur de se corrompre par le tumulte des affections déréglées et l’esprit [625] par les réflexions et les pensées inutiles. Cette paix est également dans l’esprit et dans le cœur, l’un et l’autre étant dans une netteté admirable.

Cette paix surpasse aussi tout entendement : elle immerge et submerge toutes les puissances dans une abondance de paix qui se peut bien appeler sans exagération un fleuve de paix. C’est dans cette paix que les puissances se noient et meurent pour ainsi dire à toute opération active, pour se laisser remplir de l’influence des grâces et de la paix qui opère et met l’âme dans le commencement du passif, [les puissances] se laissant absorber et noyer dans cette paix qui, leur faisant perdre toute action propre, comme le vouloir, le raisonnement et le souvenir, les fait passer admirablement dans l’usage des trois vertus théologales, foi, espérance et charité. La mémoire perd tout souvenir, tout soin et souci de ce qui concerne l’âme, n’ayant plus que la seule espérance et confiance en Dieu ; l’entendement perd tout raisonnement, toute vue, toute lumière propre, particulière et distincte, et reçoit en échange la lumière générale et solide de la foi : on croit, on espère, on ne raisonne sur rien et on ne pense à rien. La volonté se perd de telle sorte dans le pur amour qu’il ne reste plus à cette âme de volonté pour quoi que ce soit ni en quoi que ce soit, mais elle est toute volonté de Dieu, la charité lui faisant perdre ce qu’elle a de propre pour la pénétrer de tout ce qui est de Dieu, de sorte que cette volonté, perdant ce qu’elle a de propre et de la volonté de l’homme, devient la volonté de Dieu qui la meut et gouverne à son gré, si bien que cette âme [626] distingue peu à peu qu’elle ne peut plus rien vouloir ni désirer, qu’elle ne peut plus choisir ni pencher, jusqu’à ce qu’enfin elle s’aperçoive (sans s’apercevoir cependant que par l’usage) que la perte de sa volonté, loin de la gêner ou rendre captive, la met en plus grande liberté parce qu’il lui est donné un usage si libre,  si propre et si naturel de la volonté de Dieu qu’elle ne peut plus distinguer si la volonté de Dieu est devenue la sienne, ou si elle est elle-même volonté de Dieu. […]

 

Chapitre IV

V.10. J’ai reçu une grande joie en notre Seigneur de ce qu’enfin l’affection que vous avez eue pour moi s’est renouvelée : car jusqu’à cette heure vous n’aviez pas eu d’occasion favorable de me la faire paraître.

V.11. Je ne le dis pas pour la disette que j’ai soufferte, car j’ai appris à me contenter de ce que j’ai.

V.12. Je sais être humilié, je sais vivre dans l’abondance, ayant éprouvé de tout, je suis fait à tout, à la faim ou à être rassasié, à l’abondance ou à l’indigence.

V.13. Je puis tout en Celui qui me fortifie.

[629] Voici le véritable état d’un apôtre ; et à moins que d’être venu à ce parfait dégagement et à cette expérience profonde, on n’est pas propre à aider aux âmes selon leur besoin. Une âme bien désappropriée éprouve cet état : elle sait se contenter de tout ce qu’elle a, quel qu’il soit, et ne vouloir que ce qu’elle a. [...][630] On n’en vient ici que par une forte et longue expérience, après avoir porté longtemps les maux et les biens. Saint Paul dit qu’ayant éprouvé de tout, il est fait à tout. Pour pouvoir aider efficacement aux âmes, il faut avoir fait épreuve de tout. Toutes les lumières qui ne sont pas d’expérience, sont des lumières bien faibles. [...][631], Mais quoique la créature ne puisse rien d’elle-même et qu’elle n’arrive jamais ici par ses propres efforts, elle peut tout en Celui qui la conforte ; car étant abandonnée toute à Dieu, et s’étant dépouillée de sa propre force et vertu, elle a en échange la force et la vertu de Dieu. [...]

V.21. Vous-mêmes qui autrefois étiez éloignés de Dieu et qui, par un esprit attaché aux mauvaises actions, vous étiez rendus ses ennemis,

V.22. Il vous a maintenant rétablis dans Sa grâce, ayant fait souffrir à Son Fils la mort dans Sa chair, afin de vous rendre saints, sans tache et sans reproche devant Lui.

V.23. Si toutefois vous demeurez fondés et affermis dans la foi, inébranlables dans l’espérance que vous donne l’Évangile que l’on vous a prêché et à toutes les créatures qui sont sous le ciel, et dont j’ai été établi ministre.

[641][...] Il y a un autre état, qui est un état de faiblesse et de propre abjection, où l’âme éprouve qu’elle fait le mal qu’elle hait et déteste, et qu’elle ne fait pas le bien qu’elle aime. Alors ce n’est plus l’âme en cet état qui se rend ennemi de Dieu, car elle voudrait L’aimer et être à Lui, mais c’est Dieu qui Se rend son ennemi. Et de quelle manière ? Se rendant contraire à lui afin de détruire en lui l’amour-propre, ce tyran cruel, cet ennemi irréconciliable. Afin donc de le détruire, et d’arracher à l’homme la propriété, Dieu Se déclare son ennemi dans le temps où il semble qu’il aime le plus Dieu, et que son cœur lui en rend un plus profond témoignage. C’est alors qu’il dit à Dieu, avec Job [96] : Pourquoi me traitez-Vous [642] comme Votre ennemi ? Et pourquoi me rendez-Vous contraire à Vous ? L’âme en cet état croit être plus contraire à Dieu qu’elle ne l’était dans le temps de ses désordres avant sa conversion ; car alors il lui restait quelque puissance pour se tourner à Dieu, se convertir, éviter le mal avec sa grâce ; ici, elle se trouve sans force et sans puissance, toute sa force est épuisée dans les premiers combats qu’elle a rendus contre elle-même et contre son amour-propre. C’est comme une personne qui se noie et qui, en combattant contre cet élément, perd si fort toute force qu’elle se trouve impuissante de combattre et se laisse emporter au gré des ondes sans avoir envie même de faire de nouveaux efforts, parce que toutes ses forces sont épuisées. Il ne lui reste plus ni pouvoir ni volonté de combattre ni de se défendre : les ondes l’emportent, et elle se voit périr sans espoir d’en pouvoir sortir, sans force, et sans volonté de combattre. En cet état, il n’y a plus de salut en cette personne, ni dans sa force, ni dans la pitié des ondes, qui deviennent toujours plus impitoyables et plus cruelles. Elle regarde de tous côtés s’il lui pourra venir du secours : il n’y a aucune créature qui lui puisse tendre la main, elle n’espère plus de se sauver par nul secours humain. Elle prie le ciel : il est fermé. La voix lui est ôtée, les ondes la suffoquent, et il ne lui reste que de mourir et d’expirer en cet état.

Et c’est alors que se fait le second coup de la grâce opérée par la mort de Jésus-Christ : c’est là que se fait la nouvelle réconciliation, c’est là que l’âme trouve son salut dans sa perte et que cette onde impitoyable, infidèle, contre laquelle on avait combattu si longtemps, devient une [643] mer officieuse par le moyen de la grâce communiquée par Jésus-Christ, qui donne à l’âme une nouvelle vie, [et qui,] lorsqu’elle n’espérait plus que la mort, la porte et la conduit dans le port. C’est alors que cet homme ne sait s’il vit, ou s’il est mort, ou s’il rêve [...]

Mais qu’ajoute saint Paul ? Cela arrivera, dit-il, de la sorte pourvu que vous demeuriez fermes et inébranlables dans la foi et dans l’espérance. Il faut espérer dans le désespoir et croire lorsque la foi est perdue, ce semble, et lorsqu’il y a plus d’espoir dans la force et dans le secours de tout ce qui est créé, et que l’incréé paraît même être contraire : c’est alors qu’il faut croire et espérer dans la toute-puissance divine, non pas espérer pour nous, mais pour Dieu. Je m’explique : espérer pour nous, c’est espérer notre salut dans notre perte ; mais espérer pour Dieu, c’est espérer qu’Il conservera Ses droits et Ses intérêts lorsque tout sera perdu pour nous. Tout est, pour [644] Lui, salut, gloire, et honneur dans notre perte. [...]

 


 

Épître aux Colossiens

Chapitre I

V.15. Étant l’image de Dieu invisible, né avant toute créature.

V.16. Car c’est par Lui que toutes les choses visibles et invisibles ont été faites […].

[636][...] Et c’est ce qui fait que ces créatures, dans lesquelles ce Verbe est exprimé, sont immortelles ; elles ont été de toute éternité dans la volonté de Dieu qui avait de toute éternité la volonté de les créer, et cette volonté que Dieu avait de toute éternité de les créer, les faisait exister en Dieu avant qu’elles fussent créées, étant abîmées dans leur être original où elles étaient enfermées dans Sa volonté. Mais, le moment de leur création étant venu, Dieu prend plaisir à imprimer en elles l’image de Son Verbe, en qui elles étaient renfermées par la volonté de Dieu : Il les tire du néant par Sa volonté pour les faire être et subsister, non plus seulement dans la seule existence que leur donne la volonté divine en Dieu, mais les faire être réellement comme créatures distinctes de Dieu dans lesquelles Il imprime l’image de Son Fils ; et ces créatures demeurent éternellement créatures existantes et subsistantes, non seulement comme autrefois dans la volonté de Dieu et dans Son décret éternel, mais réellement comme écoulement de Lui-même dans des créatures subsistantes, dans un être séparé et distinct de Dieu, quoique cependant dans l’existence elles soient une même chose avec Dieu qui absorbe en Lui tout ce qui est, [637] sort de Lui, et n’est et ne peut être que par Lui. […]

 

Iere Epître aux Thessaloniciens

Chapitre V

V.4. Mais pour vous, mes frères, vous n’êtes pas dans les ténèbres, pour être surpris par ce jour comme un voleur.

V.5. Car vous êtes tous des enfants de lumière et des enfants du jour. Nous ne sommes pas des enfants de la nuit ni des ténèbres.

[...] Il faut savoir qu’il y a le jour du Seigneur et le jour de l’âme. Le jour du Seigneur est celui par lequel Il arrache tout à l’âme, afin de Se rendre justice Lui-même des injustes usurpations que l’âme a faites. C’est pourquoi ce jour paraît, à ceux qui ne sont pas instruits de la conduite de Dieu sur les âmes, comme un voleur, parce qu’ils sont tout à coup surpris de se voir enlever avec autorité et avec force ce qu’ils croient posséder légitimement et comme leur étant acquis. Il semble que ce soit un larcin qu’on leur fasse, de leur enlever ainsi toutes choses. Mais ils ne sont pas [671] plutôt instruits par leur expérience qu’ils ne prennent plus cela pour un enlèvement, mais ils voient que c’est une restitution que Dieu Se fait à Lui-même, arrachant à la créature ce qu’elle Lui avait usurpé. Et ce jour s’appelle le jour du Seigneur.

Il y a un autre jour, qui est un jour de trêve et de paix, jour de repos pour nous, où Dieu nous laisse prendre un peu de forces : nous sommes alors dans le repos, et nous ne souffrons plus de ces enlèvements, Dieu nous laissant reposer et prendre des forces afin de nous préparer à un nouveau jour ; et cela tant et tant de fois, que le jour du Seigneur devient seul et se change pour l’âme en jour éternel : alors l’âme ayant perdu son propre jour, entre dans le jour du Seigneur, où perdant tout intérêt, elle perd aussi toutes peines, toute distinction de jours, toute alternative. [...]

 

V.16. Conservez-vous toujours dans la joie.

V.17. Priez continuellement.

[672] La joie est bien nécessaire dans tout le chemin de la vie spirituelle, la tristesse étant fort nuisible à l’âme : elle abat et décourage, rétrécit le cœur au lieu que la joie l’élargit et le dilate.

Prier sans cesse est une union continuelle de notre volonté à celle de Dieu. La prière continuelle ne se peut faire ni par la bouche du corps, ni par la parole ou le raisonnement de l’esprit. Il y a une autre prière qui devient continuelle : c’est la prière du cœur, c’est une tendance et une adhérence de l’âme à son Dieu qui fait qu’à force de tendre à Dieu, elle se trouve enfin unie avec Lui ; elle éprouve qu’il se fait dans son cœur une prière continuelle, un amour non interrompu. […]

 


 

Iere Epître à Timothée

Chapitre VI

V.13. Je vous conjure devant Dieu, qui donne la vie à toutes choses, et devant Jésus-Christ, qui rendit un si beau témoignage à la vérité sous Ponce Pilate,

V.14. De garder sans défaut et sans reproche le commandement que je vous fais, jusqu’à l’avènement de notre Seigneur Jésus-Christ,

V.15. Que le bienheureux, le seul puissant, le Roi des rois, le Seigneur des seigneurs fera paraître en son temps ;

V.16. Le seul immortel, qui habite une lumière inaccessible, que nul homme n’a vu ni ne peut voir, à qui appartient à l’honneur et l’empire éternel. Amen.

Jusqu’à ce que l’avènement de Jésus-Christ soit venu dans l’âme, l’on peut et l’on doit garder des règles de perfection, qui consistent à se laisser dépouiller, à fuir et éviter les biens, à pratiquer les vertus essentielles. Voilà ce que nous devons faire, jusqu’à ce que Jésus-Christ venant Lui-même, Il nous ôte toute vue de nous-mêmes, toute conduite, même la plus subtile et délicate, pour nous conduire Lui-même dans une entière [693] abstraction et un oubli de tout ce qui nous concerne, sans que l’âme puisse plus apercevoir ni perte, ni gain, ni dépouillement ; mais Dieu est seul tout en tout, sans que l’âme pense à cela ni à elle. Dieu est vivant et subsistant en Lui et pour Lui dans cette créature, laquelle ayant perdu tout être, toute vie, et toute substance, perd aussi toute vue, comme elle a perdu toute distinction.

Mais cet avènement ne dépend pas de l’industrie de la créature, mais de la seule force et puissance de Dieu, qui étant le seul heureux, vient rendre cette créature participant de son bonheur. [...] Tout ce que l’on croit voir, connaître, découvrir de Dieu, n’est pas Dieu : ce sont des lumières de quelque chose de Lui, mais ce n’est pas Lui. On ne peut ni connaître ni posséder Dieu que dans un fond ténébreux, qui ne fait rien connaître, goûter, ni sentir à l’âme qu’elle puisse nommer, connaître ni distinguer : c’est un abîme [...]


Épître aux Hébreux

 

Chapitre IV

V.1. Craignons donc que peut-être quelqu’un de vous, méprisant la promesse que Dieu nous a faite de nous donner l’entrée dans Son repos, ne s’en trouve exclus.

[734][...] Le repos a toujours été la récompense promise à la foi : peut-on estimer la foi et mépriser la récompense qui lui est attachée, puisque la foi exercée par une créature est bien moins que la magnifique récompense d’un Dieu, où Il prétend récompenser en Dieu, donnant ce qu’Il a de plus grand, qui est Son repos et Son unité ? Cependant c’est ce repos promis dès quasi le commencement des siècles, cette paix apportée par Jésus-Christ, c’est cela qui fait le mépris et la raillerie des fiers mondains et savants, c’est ce que l’on estime un amusement, c’est ce que l’on croit indigne de soi.

Abraham donna à Dieu tout ce qu’il Lui [735] pouvait donner, s’étant donné à Lui par un abandon total, qui l’obligea à quitter sa patrie et tout ce qu’il avait. Dieu, pour récompenser de si grandes choses, lui fit une promesse qui semblait être attachée à un seul moyen, qui était un fils. Cependant Dieu ne donne point ce fils à Abraham, et Il ne laisse pas d’exiger sa foi sur une chose qu’il paraît refuser et ne vouloir pas donner. Enfin on accorde ce dernier moyen, et ce moyen n’est pas plus tôt donné que l’on oblige Abraham de le sacrifier, et on le laisse de cette sorte plus désespéré qu’il n’était auparavant ; on veut cependant qu’il croie lorsque tous les appuis de la foi sont sapés dans leur fondement, on veut qu’il espère contre toute espérance. Et c’est à cette foi au-dessus de toute foi, à cette espérance contraire à l’espérance même, que l’on promet ce repos. […]

 

Chapitre VII

V.22. Tant il est vrai que l’alliance dont Jésus-Christ a été le médiateur est plus parfaite que la première.

V.23. Aussi le nombre des autres prêtres a été multiplié, parce que la mort ne leur permettait pas de servir toujours ;

V.24. Mais parce que Celui-ci est demeuré éternellement, Son sacerdoce est éternel.

[781][...] C’est Jésus-Christ qui vit : cette âme ne se trouve plus ni être ni subsistance, ni rien qui puisse donner ou recevoir ; il semble que tout soit elle et qu’elle soit Dieu, car elle ne sait plus ce que c’est que distinguer Dieu par nulles grâces, même les plus relevées, mais, vivant comme si elle n’était pas, elle sait tout en ignorant toutes choses. O état duquel il n’est pas permis de parler parce que l’on n’en peut rien dire ! État qui n’est plus un état, mais une perte si achevée qu’il ne reste plus rien de tout ce qui se peut nommer. Lorsque l’on y entend parler des autres ou de quelque chose qui est en eux, on demeure comme tout étonné, se voyant comme incapable de tout cela. Il me semble que c’est le véritable esprit d’enfance et de la plus petite enfance.  [...]  

 

Chapitre IX

V.15. C’est pourquoi il est le Médiateur du Testament nouveau, afin que, par la mort qu’Il a soufferte pour expier les iniquités qui se commettaient sous le premier Testament, ceux qui sont appelés de Dieu reçoivent l’héritage qu’Il leur a promis.

V.16. Car où il y a un testament, il est nécessaire que la mort du testateur intervienne,

V.17. Parce que le testament n’a lieu que par la mort, n’ayant pas de force tant que le testateur est encore en vie.

V.18. C’est pourquoi le premier même ne fut confirmé que par le sang,

V.20. En disant : c’est le sang du testament que Dieu a fait en votre faveur.

[...] Cette alliance ne peut donc être confirmée que [816] par le sang de Jésus-Christ ; mais elle ne peut valider pleinement que par la mort mystique de l’âme, comme elle n’a validé que par la mort naturelle de Jésus-Christ : car il est impossible que l’âme n’entre jamais dans le repos de Dieu même, ni dans la paix, que par la mort réelle de tout ce qu’il y a en elle du vieil homme et d’Adam pécheur, ce qui est la perte de toute propriété. Le testament de Jésus-Christ en faveur de l’âme fut de quitter toutes les grandeurs, tous les plaisirs, tout ce que le monde estime, de se renoncer et quitter lui-même par l’anéantissement le plus profond qui a jamais été, et enfin de mourir pour nous. Le testament de l’âme à son Dieu doit être : premièrement de tout ce qui est hors d’elle, biens, honneurs, etc., puis de ce qui est en nous de corporel, santé, commodité, etc. et, dans l’esprit, dons, lumières, talents, opérations propres, usage de tout ce qui est en nous ; ensuite, tout ce qui appartient à l’âme, salut, vertu, justice, sainteté ; puis enfin notre être propre et notre vie propre. Ce sont là tous les degrés d’abandon, et tout ce que l’âme donne à son Dieu en échange ce qu’Il donne à l’âme dans cette nouvelle alliance ; et ceci sont les clauses du contrat, sans lesquelles on ne peut jouir du privilège de l’alliance. [...]

 

Chapitre X

V.9. Il ajoute ensuite : Me voici ; je viens pour faire, mon Dieu, Votre volonté. […]

[828][...] Le grand sacrifice de notre religion, le sacrifice de Jésus-Christ dans l’âme, n’est point le sacrifice de la pénitence pour le péché quoique ce sacrifice de la pénitence soit pourtant une préparation à celui-ci, comme il a été expliqué en saint Matthieu [97] en parlant de la pénitence de saint Jean. Le sacrifice propre à la nouvelle loi, qui est une loi de grâce et d’amour, est de faire la volonté de Dieu. Pour entrer dans ce second sacrifice d’immolation à toutes les volontés de Dieu, il faut nécessairement quitter ce premier sacrifice de la pénitence, qui n’est plus agréable à Dieu parce qu’Il veut faire perdre à l’âme toutes ses pratiques pour la faire entrer dans l’exercice de la volonté de Dieu, puis ensuite dans l’état de la même volonté où l’âme n’entre qu’après avoir perdu toute volonté dans celle de Dieu par cet exercice et ce continuel sacrifice à la volonté de Dieu, qui l’introduit insensiblement dans l’état même de la volonté de Dieu où l’âme ne peut plus faire autre chose que la volonté de Dieu et où, enfin, elle devient toute volonté de Dieu, étant elle même changée et transformée dans la (829) volonté de Dieu. Il est aisé de voir qu’il faut que le sacrifice de la pénitence cède au sacrifice de la volonté de Dieu, comme le sacrifice de l’ancienne loi a cédé au sacrifice de la loi nouvelle.

V.10. Et c’est cette volonté de Dieu qui nous a sanctifiés par l’oblation du corps de Jésus-Christ qui a été faite une fois.

C’est donc cette volonté de Dieu qui nous sanctifie, et tous ceux qui mettent la sainteté en autre chose, quelque relevée qu’elle soit, se trompent beaucoup ; il est impossible d’arriver à la véritable sainteté que par ce sacrifice de la volonté de Dieu. Cet état de la volonté de Dieu fait jouir l’âme des privilèges de la nouvelle alliance et l’introduit dans ce repos dont il a été parlé [...]

V.38. Or le juste qui M’appartient, vivra de la foi, dit le Seigneur, que s’il s’en retire, il ne Me sera pas agréable.

L’âme justifiée de la sorte par l’état de la volonté de Dieu, appartient à Dieu d’une manière qui est surprenante. Elle est si fort à Lui qu’elle n’est plus qu’une avec Lui : car à force de faire la volonté de Dieu, ayant perdu toute volonté, elle est faite volonté de Dieu. Or comme la volonté de Dieu est Dieu, aussi cette âme est faite une avec Dieu. C’est donc le juste de Dieu, car ce n’est pas un juste de sa propre justice, ayant perdu tout ce qu’il avait de propre : c’est un juste que Dieu a rendu juste de Sa justice, juste qui appartient tout à Dieu, étant perdu lui-même afin de ne subsister qu’en Dieu. Et ce juste, qui appartient à Dieu d’une manière si particulière qu’Il l’appelle “Son juste”, ce juste donc de cette sorte, ou “Mon juste”, dit Dieu, vivra de la foi.

Or cette vie de foi est une vie cachée, inconnue, qui cache d’autant plus qu’elle sait moins paraître. Tous les états qui ont quelque évidence ne sont pas cet état de foi. La vie du juste qui appartient à Dieu, est une vie de foi. Tout ce qui, manifesté au-dehors par quelque chose d’extraordinaire, se distingue, se fait admirer, tout cela est une vie de manifestation ; mais ce n’est pas la vie de la foi. O vie de foi, vous êtes un [852] mystère de foi ! [...] Celles qu’Il manifeste par l’extraordinaire, ce sont celles qui vivent de dons, de grâce, [853] d’amour, de caresses ; mais ce ne sont pas celles qui vivent de la foi. Celles qui vivent de la foi sont très cachées sous un extérieur très pauvre…

J’ai dit que l’âme est dans la foi, qu’elle vit dans la foi, qu’elle meurt dans la foi avant que de vivre de la foi. Cela mérite d’être expliqué.

Elle est dans la foi sitôt que Dieu, par une bonté particulière, l’attire des actes multipliés et grossiers pour la faire entrer dans un état plus simple, où elle n’agit plus par des efforts grossiers, mais elle entre dans l’état de contemplation, où elle se contente de croire Dieu sans raisonner, et de L’aimer : alors elle vit peu à peu dans la foi, mais dans une foi autant savoureuse que lumineuse, qui la fait vivre en elle-même pleine de grâces, de douceurs et de contentements, quoique mêlés de souffrances, car la souffrance accompagne toujours la foi. L’âme en cet état croit qu’il y a rien à faire pour elle que de croire son Dieu et L’aimer, jouissant de Ses caresses et de Ses faveurs : car elle ignore que cette même foi puisse et lui donner une possession plus réelle, quoique moins aperçue, et la rendre divine, la faisant Dieu par participation. Ignorant donc ces choses, et jouissant par le moyen de la foi d’un bonheur inconcevable, elle se repose dans ce bien, et elle ne pense plus qu’à vivre en cet état jusqu’à la mort, croyant avoir atteint le terme, parce qu’elle jouit du repos que causent [854] la simplicité et le commencement de l’union.

L’âme donc vivant de cette sorte dans une foi savoureuse et lumineuse tout ensemble, à la faveur de laquelle elle est dans une contemplation et oraison continuelle, croit avoir atteint le faîte de la perfection, à cause qu’elle y reçoit les plus grands dons et les plus grandes faveurs des grâces de Dieu : elle le croit surtout à la fin de ce degré. Cette âme, dis-je, arrivée à la fin de ce degré, n’a pas de peine à croire qu’elle a atteint le sommet de perfection, parce qu’elle a souffert beaucoup de travaux, de peines et de tentations, comme saint Paul en parle plus haut en traitant de l’état d’illumination. Et il est vrai : ces âmes ont atteint le faîte de la perfection acquise, et même de celle qui est infuse dans la capacité de la créature, en sorte qu’il n’y a plus rien à faire en elles pour elles, ni même à Dieu en elles pour elles, dans cet état de vie consommée dans la foi, sinon de les tirer du monde, ou bien de les faire changer d’état. Et c’est ce qui arrive aussi.

Car, ou bien ces personnes meurent promptement et expirent dans de sacrées délices, pour cependant payer dans le purgatoire l’impureté foncière et radicale qui n’a pas été purifiée ; mais celles à qui Dieu destine une plus grande gloire, passent outre, et sont étonnées que la foi les fait passer de l’état de vie dans celui de mort. [855]

Cet état est du moins aussi long que le premier, et souvent bien davantage. Peu le passent : quantité meurent dans cet état, qui bien que fort différent de l’autre, ne laisse pas de donner une gloire bien plus abondante. Cet état est une privation, que la foi communique, de toutes les vies qu’elle avait procurées auparavant, de sorte que l’âme meurt à tout ce qui la faisait vivre. On comprend aisément qu’elle perd toutes ses lumières, ses connaissances, ses ardeurs, ses douceurs, tout ce qui la tenait en vie et en assurance, et toutes les vertus acquises et infuses, mais quant à l’usage, et non quant à la propriété, ou plutôt non, quant à l’essence, qui s’enracine plus fortement à mesure qu’elle paraît plus morte au-dehors. Car c’est alors un temps, non de printemps, mais d’hiver, où ces mêmes plantes, qui avaient paru au-dehors florissantes avec tant d’agrément, ne paraissant que comme mortes, prennent cependant de plus fortes racines, poussant en bas et s’enfonçant dans la terre, au lieu de pousser au-dehors, comme elles faisaient dans le temps du printemps : c’est ainsi que cette foi, qui n’est plus pleine de délices, mais pleine de douleurs et d’amertumes, avec le glaive à la main, donne la mort à tout ce qui est dans l’âme. Mais à la faveur de cette foi mourante, le même Jésus-Christ Se donne cependant par le fond d’une manière admirable, comme je l’ai dit bien des fois, et le dirai encore si Dieu le veut.

Ainsi donc, cette foi, le couteau à la main, poursuit l’âme de telle sorte, qu’après lui avoir [tome 6, 856] tout arraché, et l’avoir poursuivie dans tous les endroits de sa maison, où elle se cachait avec d’autant plus de soin qu’elle se voyait poursuivie avec plus de rigueur, cette foi cruelle et impitoyable attaque cette âme dans son fort avec tant de violence qu’elle est enfin contrainte de quitter la place et de sortir d’elle par un trépas qui lui est d’autant plus avantageux qu’il est plus douloureux.

Voilà ce qui s’appelle vivre dans la foi, et mourir dans la foi ; ou pour mieux dire, vivre dans la foi, et mourir par la foi, afin de vivre de foi.

Celui qui vit de foi, ne vit de la sorte que parce qu’il ne vit plus de sa propre vie, et que sa mort a donné lieu à la vie du Verbe de s’emparer de lui [...]

 

 


 

Chapitre XII

V.27. Or en disant, encore une fois, il déclare que les choses muables, comme ayant été faites, seront changées, afin que celles qui sont immuables demeurent toujours.

[904][...] Tous les états muables par où l’âme passe ne sont point les propres états de l’âme : il n’y a que l’état du centre, état de l’union intime à Dieu, qui, étant un état immuable quant au fond, quoiqu’il paraisse quelques changements extérieurs, soit le propre état de l’âme. Parce que l’âme doit demeurer éternellement, il lui faut un état éternel, constant et durable, ce qu’elle peut avoir aisément dès cette vie, entendant cette parole. Tout autre état est un état violent pour elle, et ce sera cet état qui sera son plus grand tourment dans l’Enfer, parce qu’étant née pour une vie éternelle et immuable qui ne peut être qu’en Dieu, elle sera dans une mort éternelle et immuable, quoique dans des changements à l’égard des supplices ; et elle sera là sans espoir d’avoir jamais la vie, parce que son état, étant immuable, ne peut changer ; et, n’ayant point voulu de la vie immuable et éternelle, il faut qu’elle ait la mort immuable et éternelle.

Une âme dans cette vie, arrivée à son centre, qui n’est autre que Dieu même, dans lequel elle est entrée par son anéantissement, éprouve une vie immuable, qui est toujours égale et permanente, qui n’est plus sujette aux vicissitudes. L’âme vivant de cette sorte ne pense pas même si elle vit : elle se contente de vivre dans une largeur et une immensité qui ne sont rétrécis par quoi que ce soit. Quelquefois, mais rarement, sa vie lui est montrée ; mais pour l’ordinaire, sa vie lui suffit sans faire d’attention ni de réflexion. C’est une vie qui est aussi propre à l’âme que la vie naturelle est propre à notre corps. Nous vivons et agissons en hommes vivants sans penser à notre vie : nous n’y pensons que lorsqu’elle est altérée par la maladie ; il en est de même de cette [905] vie du Centre, et le sentiment vif de la vie est plus une imperfection de la vie que non pas une marque de sa plénitude, quoiqu’elle en soit cependant une évidence. Un malade sent qu’il vit parce qu’il souffre ou parce que le mal le fait penser à sa vie, car s’il était mort il ne serait pas malade. Mais un homme très sain qui ne pense point à sa vie parce que rien n’y est sensible, vit bien plus parfaitement que ce malade ou ce languissant. Il en est de même de cette vie de l’âme lorsqu’elle est parfaite. […]

 


 


 

Épître à saint Jacques

 

V.2. Mes frères, considérez comme le sujet d’une extrême joie les diverses afflictions qui vous arrivent,

V.3. Sachant que l’épreuve de votre foi produit la patience […].

[Tome VII, 10] Il faut que le règne de Dieu vienne en nous, c’est-à-dire qu’Il nous conduise et gouverne comme il Lui plaît, afin que Sa volonté soit faite ; sans quoi Sa volonté ne sera jamais faite, mais bien notre propre volonté. Or la première passiveté, qui doit être de notre part, et qui est dans le commencement très imparfaite, est de cesser peu à peu toutes nos opérations pour laisser prendre à Dieu le dessus. Longtemps durant, l’âme n’a que l’ombre de la passiveté, agissant souvent plus que Dieu ; ensuite, autant que Dieu ; puis, lorsque peu à peu cette patience devient plus forte et plus étendue, Dieu opère avec plus d’étendue, jusqu’à ce qu’enfin Il gagne le dessus.

[...] L’âme dans ce premier degré de passiveté, à force de patienter, étant venue jusques au point de s’être renoncée en ses opérations, demeure morte, sans action. Et c’est ici le second degré: elle ne fait plus que porter les opérations de Dieu, sans autre concours de sa part que la soumission libre et volontaire. La résignation parfaite est de laisser Dieu faire, en cette âme ainsi morte et renoncée, ce qu’il Lui plaira.

[11] Mais avant que cela soit de la sorte, l’âme reste longtemps dans un état mourant, où elle se prend et se laisse. Cet état lui paraît contre la raison : car ne sentant plus le reste de vie qui la faisait se renoncer, elle regarde cela non comme un avancement, mais comme un état d’insensibilité, jusqu’à ce qu’elle soit venue à tel point de mort que de ne plus sentir, goûter, connaître, distinguer ni sa soumission et résignation, ni l’avancement du domaine de Jésus-Christ ; en sorte qu’elle reste là comme un mort, de qui l’on fait tout ce que l’on veut sans qu’il ait aucun sentiment de ce que l’on fait sur lui, sans le voir ni y penser, dans un oubli total, sans penser à céder à l’opération de Dieu et à s’en laisser surmonter, car [ici] l’âme ne connaît et ne distingue plus cette opération : elle est morte, noyée et submergée en elle. Et c’est alors qu’enfin Dieu la met haut et bas, de long ou de travers : elle n’a plus ni vue, ni sentiment de ces choses : elle n’en connaît rien. Qu’on la jette dans la boue, qu’on l’élève sur le trône, sa patience est égale en toutes ces postures. On [en] fait alors ce que l’on veut ; mais on ne lui fait pas encore faire ce que l’on veut, parce que c’est comme un mort, qui, n’ayant plus de sentiments, n’a plus aucun mouvement, jusqu’à ce que la même vie, qui, par un mémorable duel, a absorbé la vie par la mort, vienne encore par un admirable effet absorber cette mort dans la vie. [Et c’est là la troisième sorte, ou le troisième degré de l’opération de Dieu.]

Comment cela se fait-il ? C’est que cette première vie, qui a surmonté peu à peu la vie et l’opération de l’âme, et qui l’a étouffée dans sa plénitude, [12] ayant laissé cette âme dans sa mort, commence à lui donner une vie nouvelle, en lui communiquant sa propre vie. C’est alors que cette âme non seulement cède à Dieu par sa résignation et qu’elle laisse surmonter sa vie ; que non seulement, par son abandon, elle demeure morte et renoncée, laissant faire d’elle et en elle tout ce que Dieu veut sans résistance, sans le voir, sans y penser ; mais que de plus, redevenant vivante de la vie que Dieu lui a communiquée, qui est la vie de Son Verbe, elle agit, vit, et opère des actions qui paraissent toutes divines, dont Dieu est le seul principe, faisant alors la volonté de Dieu incessamment et infailliblement, et cependant si librement et si aisément, qu’il semble que les actions qu’elle fait, lui soient toutes naturelles [...] [13] Mais quelle vie mène cette personne ? N’est-elle pas bien extraordinaire ? Non extraordinaire : qui paraît tel, n’est pas de ce séjour. Une vie toute d’amour, toute naturelle, toute simple, innocente, une vie réelle et véritable, qui n’est plus sujette à la mort, rend cette âme immense, libre, et toute divine. [...]

[16] Il y a trois sortes de peines intérieures : celles qui sont causées par la résistance et la propriété, et celles-là cessent sitôt que nous cédons à Dieu, et que nous faisons ce qu’Il veut de nous : par là nous connaissons que ces peines venaient de notre résistance. Les secondes peines sont des peines purifiantes, que Dieu envoie comme des purgatoires pour purifier l’âme de ses taches ; et elles finissent lorsque ce que Dieu voulait purifier, est purifié. La troisième [espèce de] peines est infligée de Dieu afin de nous rendre conformes à l’image de Son Fils. Les âmes bien anéanties n’ont que cette dernière, parce qu’elles ne résistent plus [...]

 


I Pierre.

 

Chapitre I 

V.5. À vous, que la vertu de Dieu garde par la foi pour vous faire jouir du salut, qui doit être découvert à la fin de temps.

V.6. Car alors vous serez pleins de joie, quoiqu’il vous faille à présent souffrir diverses afflictions de peu de durée.

Sitôt que l’âme remplie d’un excès de foi se donne à son Dieu sans réserve, et qu’elle a mis en Lui tout son trésor et tout son cœur, elle commence alors à s’oublier elle-même ; comme une personne qui, ayant mis son trésor dans un lieu où il est impossible qu’il soit pris, ni même découvert, en perd peu à peu le soin et la quiétude, et commence à goûter la paix que la crainte de perdre ce trésor lui avait ravie jusqu’alors. C’est alors que cette âme, ayant mis tout son cœur en Dieu, oublie peu à peu le soin d’elle-même, non par tiédeur ou par négligence, mais parce que son Dieu lui étant infiniment plus qu’elle-même, et lui étant devenu toutes choses, elle ne peut penser qu’à Lui. C’est alors qu’un amour si pur, si fort, et si entier produit une confiance parfaite. Et à mesure que l’âme croît dans cet charité, qui la fait s’oublier de tout elle-même, à mesure sa foi s’augmente de telle sorte qu’elle ne peut entrer dans la moindre défiance que Celui à qui elle se donne sans réserve n’en prenne un soin si particulier qu’elle est infiniment mieux entre Ses bras, dans l’oubli général d’elle-même, qu’elle ne serait avec la plus forte vigilance. Car enfin, un homme faible a beau veiller son trésor, il ne laisse pas de lui être ravi par ceux qui sont plus forts que lui ; mais celui qui a mis son trésor dans un lieu imprenable et entre les mains du plus fort, quoiqu’il ne [98] le veille pas, il est en assurance. [...]


 

II Pierre.

 

Chapitre I

V.3. Comme Sa divine puissance nous enrichit de toutes les grâces qui regardent la vie et la piété, en nous faisant connaître Celui qui nous appelés par Sa propre gloire et par Sa propre vertu.

Il n’y a que la foi seule qui nous puisse donner la connaissance de Dieu et de Jésus-Christ : toutes les autres connaissances sont trompeuses. Tout ce que nous croyons connaître de Dieu et de Jésus-Christ par la profondeur de nos raisonnements, ne sert qu’à nous Le cacher davantage : [181] la vue de notre oraison s’éblouit de telle sorte que l’on prend le vrai pour le faux ; comme si l’on voyait une personne s’attacher fortement à regarder le soleil, afin de pénétrer et découvrir davantage ce qu’il est en lui-même, loin d’en découvrir quelque chose par regard opiniâtre, ses yeux s’éblouissent et s’aveuglent enfin de telle sorte qu’il n’en peut rien découvrir, et que s’il veut ensuite de cela envisager d’autres objets, il ne le peut ; ou s’il le peut encore, il les voit d’une couleur particulière de laquelle ses yeux ont été affectés : car n’ayant pu voir le corps du soleil, ils en ont été empreints d’une couleur accidentelle au soleil, qui fait que s’ils en jugent par l’espèce qui leur en est restée, ils donnent au soleil une couleur rouge, verte, jaune, qu’il n’a pas. Nous en usons de même lorsque nous voulons connaître Dieu par les yeux de notre raison. Mais la foi n’est pas ainsi : elle croit Dieu tout ce qu’Il est et tout ce qu’Il peut être, et connaît en Lui tout ce qu’Il fait. Alors sans donner de couleur ni de forme à cet Être suprême et à ce pouvoir infini, elle se contente de s’abîmer en Lui et d’en ressentir les effets, sans vouloir les examiner : elle sent que Sa chaleur vivifiante et purifiante va peu à peu consumant en elle toutes ses impuretés ; elle sait que c’est Lui qui fait tout cela : ce qui lui suffit, sans penser à la manière dont Il le fait.

Poursuivons cette comparaison du soleil. Dieu nous a donné ce bel astre comme pour figurer Ses opérations divines dans l’âme par les opérations que le soleil fait dans la terre. Il combat premièrement les obstacles qui l’empêchent de travailler dans la terre : ces obstacles sont le froid et l’humide ; il échauffe ce qui est froid, et [182] dissipe ce qui est humide, ou le condense et le purifie. Mais pour en venir à bout, comment fait-il ? Il attire à soi les vapeurs de la terre ; et il semble qu’en les attirant, il s’en veuille obscurcir lui-même. Dieu fait ainsi : Il attire à Lui notre âme, pour ainsi parler, comme une vapeur [98] : il semble alors qu’Il S’obscurcit Lui-même par cet attrait, l’âme Le découvrant moins imperceptiblement. Mais que fait-Il ? C’est qu’Il sépare peu à peu, ainsi que le soleil, ce qu’il y a de grossier, d’impur, de matériel, de terrestre ; et séparant cela, ou le consommant dans Sa chaleur purifiante, Il purifie, rafraîchit et clarifie le reste, en sorte que ce reste prend l’impression et la chaleur qu’il Lui plaît de lui donner. La terre, d’un autre côté [étant ainsi] séparée des qualités opposées au soleil, Il travaille alors en elle et fait dans ses entrailles les plus grandes richesses : Il prend plaisir à s’exprimer Lui-même en l’or. C’est alors que la connaissance est donnée de la vertu et puissance du soleil, plus que par tous les regards et les raisonnements.

Dieu par le moyen de la foi en use de même. Cette foi obscurcit l’âme d’abord, et la couvre de nuages ; mais comme le soleil n’a jamais plus de force dans la région supérieure que lorsque quelque nuage semble le couvrir à nos yeux, aussi Dieu n’opère jamais plus fortement dans la suprême portion de notre esprit que lorsqu’Il nous paraît plus caché à nous-mêmes. Dieu dans ce temps, par le moyen et à la faveur de la foi, purifie l’âme peu à peu de ses impuretés, fait la séparation de ce qui est bon et qui est de Lui, d’avec ce qui est mélangé de terrestre ; et cette purification se ferait tout à coup, ou du moins bien promptement, si le sujet était assez fort pour le porter, ou s’il [183] n’envoyait pas de nouvelles vapeurs, et ne mettait pas de nouveaux obstacles, qu’il faut nécessairement vaincre avant que de travailler sur l’oeuvre. Si nous sommes assez malheureux pour mettre toute notre vie des obstacles, toute notre vie se passera à les combattre sans que nous ne soyons jamais purifiés : mais si nous nous abandonnons à Dieu sans réserve, Le laissant faire en nous et de nous ce qu’il Lui plaît, Dieu non seulement ôte alors et promptement ces obstacles par Sa chaleur vivifiante et par Sa vertu puissante et efficace ; mais de plus, Il purifie ce qu’il y a d’impur et de mélangé, Il enrichit cette âme, et lui imprime Ses propres caractères. Voilà en peu l’économie de la grâce. [...]

V.4. Par lequel Il nous a donné les choses très grandes et très précieuses qu’Il avait promises, pour vous rendre participants de la nature divine, pourvu que vous fuyiez la corruption et la concupiscence du monde.

Si nous sommes appelés à de si grandes choses, comme il est très clair, il ne faut pas croire que Celui qui nous donne la fin, manque de nous donner les moyens convenables de jouir et de posséder cette même fin. C’est pourquoi saint Pierre nous assure que non seulement Jésus-Christ nous a mérité une union si étroite, mais de plus qu’Il nous a donné ces chose très grandes et précieuses, qu’Il nous avait promises. Il nous donne tous les moyens nécessaires pour arriver à notre fin. Cette fin n’est autre que de participer à la nature divine. Cette participation est rendue parfaite par l’union immédiate, où Dieu, non content de nous unir à Lui d’une manière très étroite, nous change et transforme en Lui : ce qui est notre dernière fin, et l’entière participation de la nature divine. [...] [187] Or Dieu nous donne tous les moyens nécessaires pour parvenir à notre fin, en nous faisant croître et fructifier ainsi que le blé. Ensuite de cela, Il nous moissonne pour Lui ; puis Il nous broie sous la meule des afflictions, et d’un grain grossier nous rend une très pure farine ; après cela, il semble salir cette farine si pure pour en faire une pâte grossière. Toutes ces opérations s’éprouvent dans l’âme. Dieu ne fait cette pâte de la sorte que pour la purifier en Son fourneau et la cuire au feu de Sa charité : elle n’est pas plutôt cuite de la sorte qu’Il la mange, pour ainsi dire ; puis Il la digère et la fait passer en Lui. [...]



 

I Jean.

Chapitre II

V.28. Oui, mes petits-enfants, demeurez maintenant en Lui afin qu,e lorsqu’Il paraîtra, nous ayons de la confiance et qu’Il ne nous confonde pas dans Son avènement.

L’âme arrivée en Dieu n’a plus qu’une chose à faire, comme il a été dit, qui est de demeurer en Lui : toute autre action qu’elle ferait alors serait un défaut ; même c’en serait un que d’y tendre, car celui qui tend à sa fin, n’est pas encore arrivé à cette fin ; mais celui qui à force d’y tendre y est arrivé, se repose en elle. Il lui reste cependant toujours un mouvement imperceptible, qui est un enfoncement en Dieu, parce que Dieu est immense ; mais cette action ne paraît pas à la créature, parce que cette action même est un plus grand repos. Plus l’âme avance en Dieu, plus elle se repose en Lui.

Celui qui demeure en Dieu de cette sorte, est rempli d’une ferme confiance ; et sa confiance est d’autant plus grande, que sa perte est plus profonde, et l’oubli de soi-même plus entier. C’est une telle âme, qui n’est pas confuse au jour de l’avènement, car elle ne met ni n’attend son salut de ses propres œuvres, mais de Dieu même, devant Lequel elle demeure dans un repos entier de son sort éternel, et ne regarde plus même son salut comme sa propre affaire, mais comme l’affaire de Celui à qui elle se délaisse, et en qui elle demeure.

 

Chapitre III 

V.3. Quiconque a cette espérance en Lui, se rend saint comme Lui-même est saint.

[272] Celui qui aspire à la filiation divine, sachant qu’il ne peut être un avec Dieu qu’il ne soit rendu semblable à Dieu, tâche de devenir saint comme Dieu est saint. Mais en quoi, mes chers frères, croyez-vous que consiste cette sainteté ? Elle n’est pas en telles et telles choses, en une pratique ou une autre : elle consiste en la conformité avec Dieu, et à perdre toutes les dissemblances, qui sont premièrement les péchés, puis la propre volonté, et la propriété, qui est-ce qui empêche que Son image ne soit parfaitement renouvelée en nous.

V.12. Et ne faites pas comme Caïn, qui était enfant du malin esprit, et qui tua son frère. Et pourquoi le tua-t-il ? Parce que ses œuvres étaient mauvaises, et que celles de son frère étaient justes.

[277][...] L’amour pur est l’amour juste, amour anéantissant et détruisant le sujet dans lequel il subsiste pour le faire passer dans l’objet de son affection. [...] Le pur amour est celui qui ne s’envisage plus soi-même, ni dans les biens ni dans les maux ; [278] qui ne se recourbe pas un moment sur soi pour se regarder, soit dans les épreuves, soit dans les caresses de l’amour ; mais qui Le laisse faire, qui Le laisse agir, jouir de Sa créature comme il Lui plaît. Il ne regarde en rien son propre intérêt. [...]

V.19. Nous connaissons par là que nous sommes enfants de la vérité : c’est par là que nous aurons le cœur en repos devant Dieu.

V.20. Mais si notre cœur nous condamne, Dieu est encore plus grand que notre cœur ; Il connaît toutes choses.

V.21. Mes bien-aimés, si notre cœur ne nous condamne pas, nous avons de l’assurance devant Dieu.

L’âme qui est mise dans la vérité du tout de Dieu et de son propre rien, a véritablement le cœur en repos, parce qu’il est dans son centre. Le centre de l’homme est le néant. Comme il a été tiré du néant, qui est son origine, il ne peut avoir de repos qu’il ne soit véritablement anéanti [282] d’un anéantissement moral, lequel consiste dans la désappropriation générale de toutes choses, laissant Dieu être toutes choses en toutes choses ; et lui, demeurant rien, et toujours rien dans tout ce qui est et subsiste, il ne peut subsister que dans le tout, où toutes choses sont renfermées, et duquel elles sont animées.

Cet état d’anéantissement n’est pas, comme quelques-uns se l’imaginent, un état vide et infructueux : c’est un état qui, en faisant rester l’homme dans son néant, le rend en même temps le plus propre instrument dans les mains de Dieu pour en faire les plus grands et sublimes ouvrages. Employa-t-Il autre chose que le néant pour la construction de ce grand univers ? Et toutes les créatures, qui en font toute la beauté et l’ornement, furent-elles tirées d’autre part que du sein du néant ? L’homme même, pour lequel tout a été fait, est-il autre chose que poussière ? Il doit même retourner dans la poussière dont il est sorti ; ce sera de cette poussière que les corps incorruptibles sortiront pour être glorifiés et sanctifiés. Je dis donc, que l’état du néant, quoique dépouillant l’homme de toutes choses, soit bonnes, soit spirituelles, etc., ne le laisse pas vide ni infécond pour cela ; mais il le tient seulement en impuissance de faire aucune action qui lui soit propre, et par conséquent, en impuissance de faire le mal. Mais en même temps qu’il ne peut plus agir, comme n’étant plus, selon le mystique, c’est alors qu’il est mû et agi par l’Esprit Saint, qui n’y trouvant plus de résistance, souffle en lui comme il Lui plaît. Et c’est alors que ce passage se trouve vérifié [99] : “Il [283] enverra Son Esprit ; et ils seront créés de nouveau.” [...][284] Que ceux à qui la conscience reproche des crimes secrets soient persuadés que Dieu est plus grand que leur cœur, et que leurs crimes paraissent devant Lui bien d’autre manière qu’ils ne leur paraissent à eux-mêmes. Ceux à qui leur conscience ne reproche rien, doivent se tenir en repos dans la confiance en Dieu.

V.22. Et Il nous accordera tout ce que nous Lui demanderons, parce que nous gardons Ses commandements, faisant ce qui Lui est agréable.

V.23. Or Son commandement est que nous croyions au nom de Jésus-Christ, et que nous nous aimions les uns des autres comme Il nous l’a commandé.

[...][285] Il reçoit avec amour le pécheur qui se convertit. Il faut conduire les âmes à Jésus-Christ par la foi et ne pas les amuser toute leur vie autour des créatures. Si l’on en usait ainsi, quelles conversions ne ferait-on pas ? Si l’on veut examiner les exemples des Écritures, on verra que les conversions rapportées par les évangélistes sont faites ainsi. Celle du centenier, du publicain, de la Cananée, de la Madeleine ; toutes les guérisons que Jésus-Christ a faites sont opérées par la foi [100]. “Pouvez-vous croire ?”, dit-Il aux uns : tout est possible à celui qui croit. C’est cette foi qui a le pouvoir de guérir nos langueurs ; et lorsque nous sentons affaiblir notre foi, disons : “Je crois, Seigneur ; aidez la faiblesse de ma foi.” Dans la suite de la vie spirituelle, tout s’opère par la foi. La foi forme l’abandon, et l’abandon vient de la foi. Où il y a beaucoup de foi, il y a beaucoup d’abandon, car la foi n’est autre chose qu’une confiance entière que nous avons en une personne qui fait que nous nous abandonnons à elle, soit pour notre conduite particulière, soit pour notre salut, notre éternité, notre vie, notre mort, tous les accidents qui arrivent. La foi nous fait nous abandonner à Dieu, nous porte à nous quitter nous-mêmes, à laisser tout soin de notre conduite, elle nous ôte le souci et le chagrin pour l’avenir, nous ôte même toute vue [286] et retour pour le présent ; et nous ayant, par cette perte de vue et de soin de nous-mêmes, tirés enfin entièrement hors de nous, elle nous fait passer en Dieu, où nous entrons par état dans la volonté de Dieu. C’est là la disposition que Dieu désire de nous, et dans laquelle nous devons entrer, et c’est cet état de la volonté de Dieu, qui n’est autre que l’amour pur. Si la foi dénote et l’abandon et la parfaite confiance, elle fait voir aussi le parfait amour. On ne se confie jamais à ce qu’on hait, mais bien à ce qu’on aime. De cet amour pur et confiance sans intérêt, naît l’amour pur et parfait pour le prochain, amour conforme à celui de Jésus-Christ, qui donna Sa vie pour le salut des hommes : car une telle âme serait prête à donner mille vies pour le salut de ses frères. [...]

 

Chapitre IV

V.7. Mes chers frères, aimons-nous les uns les autres, parce que la charité vient de Dieu ; et tous ceux qui ont la charité sont enfants de Dieu, et ils connaissent Dieu.

V.8. Celui qui n’aime pas, ne connaît pas Dieu, parce que Dieu est amour.

[...][293] Voulez-vous faire une bonne oraison ? Aimez beaucoup, et vous y réussirez bien. Commencez votre oraison par des actes et des élans d’amour vers ce Dieu tout amour, et non par des raisonnements, qui, amusant votre esprit, laissent votre volonté sans nourriture, ce qui s’appelle proprement, mâcher à vide. Continuez votre oraison par l’amour, donnant lieu au Bien-aimé de Se communiquer à vous à mesure que vous tâchez par votre affection de vous approcher de Lui ; et enfin, finissez votre oraison par un amour véritable, et par un désir d’aimer toujours plus ce divin objet, qui mérite notre amour. Mais que dis-je ? Finissez votre oraison ? Non, mes frères, ne la finissez jamais, ne cessez un moment d’aimer, et vous ne cesserez jamais de prier. Les Séraphins, qui ne sont que flammes du plus pur amour [101], couvrent leurs faces de leurs ailes, pendant qu’ils laissent leurs cœurs ouverts aux traits brûlants de l’amour, afin de s’en laisser pénétrer et embraser, pour nous apprendre qu’avec Dieu, la connaissance doit revenir par l’amour, et non par la vue ; que le soleil qui échauffe, éblouit la vue : nul œil ne le peut voir ni pénétrer. [...]

V.12. Personne n’a jamais vu Dieu. Mais si nous nous aimons les uns les autres, Dieu demeure en nous, et Sa charité est parfaite en nous.

V.13. Nous connaissons que nous demeurons en Lui et qu’Il demeure en nous, en ce qu’Il nous a donné Son Esprit.

Saint Jean, afin de nous faire mieux connaître que nous ne devons pas tendre à Dieu par la lumière de la raison, mais par amour, nous assure que personne n’a jamais vu Dieu, et qu’il est inutile de vouloir Le connaître par les yeux de l’esprit. Il y a une autre manière de connaître, qui est Sa jouissance et Sa possession ; et cette possession est donnée par la charité, car la charité nous donne Dieu et Le fait habiter en nous.

Nous ne voyons pas ce qui est en nous, ni ce qui est très étroitement uni à nous ; mais nous le possédons sans le voir. Et si nous voulons le voir, il faut pour cela qu’il s’éloigne un peu de nous ; alors nous le connaissons selon notre capacité de concevoir, mais non selon la vérité de son essence. Deux choses nous dérobent la vue d’un objet : ou son trop grand éloignement, ou sa trop grande proximité. Il y a pourtant cette différence que celui qui est éloigné, ne le voit ni ne le possède ; mais celui qui est uni à lui, le possède sans le voir ; et il y a plus de certitude que c’est lui par la possession, que par la vue. De tous les sens, le plus infidèle c’est la vue, le plus assuré est le goût : tel qui voit de l’arsenic, le prendra à la vue pour du sucre ; mais le goût en sait faire le juste discernement. Il est très vrai qu’il faut goûter pour connaître. Goûtez donc, et puis vous verrez sans méprise ce que vous avez goûté. Celui qui est uni intimement à Dieu, [300] Le perd de vue, et perd en même temps toute distinction ; mais il ne Le posséda jamais davantage, et son amour, par cet aveuglement, est rendu plus fort. [...]

Celui donc qui est uni à Dieu intimement et dans une charité parfaite, devient tellement une chose avec Lui que non seulement il perd Dieu de vue à cause de la proximité et intimité de l’union, mais il se perd aussi lui-même de vue, demeurant absorbé dans son objet [...]

V.16. Et nous avons connu, et nous avons cru l’amour que Dieu a pour nous. Dieu est amour. Celui qui demeure dans l’amour, demeure en Dieu, et Dieu demeure en lui.

Ce verset est comme l’argument et la conclusion de tout ce que saint Jean a dit : nous avons connu, dit-il, par notre expérience, et nous avons cru : car c’est la lumière de la foi qui, unie à l’expérience, découvre tout en Dieu, c’est-à-dire ce qu’il Lui plaît de manifester de Lui-même, et non pas les lumières de la raison, qui ne sont que de faux brillants. Nous avons connu, dit-il donc, par l’expérience des bontés que Dieu nous a fait paraître dans l’amour qu’Il nous a communiqué, ce que c’est que l’amour qu’Il nous porte ; et cette expérience qui nous L’a fait connaître nous en a fait croire encore infiniment davantage que nous n’en éprouvons : car nous savons qu’à cause de notre faiblesse, Dieu ne peut nous témoigner tout l’amour qu’Il nous porte. Nous avons donc connu, mais nous avons en même temps cru l’amour que Dieu a pour nous ; et cette foi de l’amour qu’Il nous porte, nous a portés aussi nous-mêmes à L’aimer, sinon autant qu’Il nous aime, du moins de toutes nos forces, et à demeurer dans l’amour ; enfin à L’aimer par son amour même, la faiblesse de notre amour et la [304] force de l’amour d’un Dieu nous faisant défaillir à notre propre amour, comme un cœur qui se trouve resserré dans un amour qui le surpasse, crève, et se fend, pour s’étendre et donner lieu à son amour, mais qui, donnant passage à l’amour, le donne aussi à sa vie, expirant pour l’amour qu’il n’a pu contenir.

Il en arrive autant à l’amant de Dieu : et, quoique cela ne se passe pas sensiblement dans notre cœur de chair, cela se passe réellement dans le plus pur de notre esprit, dans le centre de notre âme, qui est le siège la volonté et le trône de l’amour. [...]



 

Apocalypse

 

Chapitre I

V.17 Je ne l’eus pas plutôt vu que je tombai comme mort à Ses pieds ; mais Il mit Sa main droite sur moi, et me dit : Ne craignez point : Je suis le premier et le dernier.

Sitôt que Vous paraissez Vous-même, ô mon divin Sauveur, il faut que l’homme tombe comme mort, c’est-à-dire qu’il faut que tout ce qui est d’Adam tombe comme dans la défaillance ; il faut qu’il meure, qu’il périsse, pour donner lieu au nouvel Adam de faire son ouvrage.

Mais il ne faut rien craindre, car, en touchant de Sa main droite, Il soutient toute l’âme ; et lorsqu’il semble qu’elle aille périr, mourir et défaillir tout à fait, c’est alors que dans sa perte, sa mort et sa défaillance, elle trouve un plus grand salut, une plus forte vie et un plus assuré soutien. Ne crains point, dit-Il à cette âme, parce que Je suis le premier et le dernier. C’est Moi que tu trouves comme premier sitôt que tu entres dans la voie ; et tu Me trouves aussi le dernier dans la consommation. Lorsque J’ai dit qu’il était expédient que Je m’en allasse, c’est comme premier : il faut que l’âme perde Mon premier avènement, qu’elle Me perde longtemps de vue, de lumière, de sentiment, pour Me trouver dans mon second avènement. Alors cette nouvelle découverte lui paraît tout extraordinaire et l’effraie d’autant plus qu’il y avait plus longtemps qu’elle M’avait perdue de vue, et aussi parce que Mon second avènement est très différent du premier, quoiqu’il paraisse y avoir beaucoup de rapport. Je suis donc le commencement et la fin de toutes [Tome VIII, 20] choses, le premier et le dernier, celui qui est le premier entre les saints et le dernier, parce que toute leur sainteté se trouve renfermée en Moi, tout s’y réunit. […]

 

Chapitre II

V.8. Écrivez à l’Ange de l’Église de Smyrne : Voici ce que dit Celui qui est le premier et le dernier, qui a été mort, et qui est vivant.

V.9. Je sais quelle est votre affliction et votre pauvreté ; mais vous êtes riches, et vous êtes calomniés par ceux qui se disent Juifs et ne le sont pas, mais qui sont de la synagogue de Satan.

V.10. Ne craignez rien de ce que vous devez souffrir : sachez que Satan mettra en prison quelques-uns de vous, afin que vous soyez éprouvés ; et vous serez affligés pendant dix jours. Soyez fidèles jusqu’à la mort ; et Je vous donnerai la couronne de vie.

Dieu prend plaisir dans toutes les occasions de dire qu’Il est le premier et le dernier, pour nous faire concevoir que s’Il est notre principe, Il [26] est aussi notre fin ; et que la même foi qui nous fait croire que nous sommes sortis de Lui, nous doit porter à désirer de retourner en Lui, à tendre à Lui de toutes nos forces comme à notre dernière fin, au terme de tous nos désirs et à la consommation de toute perfection par la consommation de toute unité. Cependant ceux qui tendent de cette sorte à leur dernière fin, qui mettent en Dieu même toutes leurs prétentions et tous leurs désirs, passent pour hérétiques, pour trompés. O Dieu, que Vos jugements sont différents de ceux des hommes, comme Vos voies sont différentes des leurs ! […]

Je connais votre pauvreté ; mais vous êtes riches. Qu’est-ce que cela veut dire ? C’est que les plus grandes richesses se trouvent dans la plus grande pauvreté. Un homme qui, étant privé de tout bien, n’en désire aucun, et trouve dans sa privation un contentement extrême, qui, étant abandonné [27] de tout appui et de tout soutien, se confie d’autant plus en son Dieu qu’il a moins de sujets de s’y confier par le délaissement qu’il éprouve, celui-là possède un trésor et des richesses immenses, parce que le riche peut désirer quelque chose et n’être pas content ni rassasié dans sa richesse ; mais le pauvre qui est de cette sorte, étant parfaitement content et rempli, n’a plus besoin d’aucune chose : n’ayant plus besoin de rien, il est parfaitement riche. Mais ces personnes si paisibles et si contentes ne sont pas connues, car Dieu les cache dans Son Sanctuaire : Il les cache à leurs propres yeux et aux yeux des autres […]

 

V.26. Quiconque aura vaincu et aura gardé Mes œuvres jusqu’à la fin, Je lui donnerai puissance sur les nations. […]

[36][...] Ils ont puissance sur les nations en plusieurs manières: premièrement, en ce qu’ils ont une autorité très grande sur les âmes et même sur les corps ; secondement sur eux-mêmes, où ils ne trouvent plus de résistance ; troisièmement, lorsqu’il sont bien anéantis, Dieu s’en sert souvent pour le gouvernement de son Église. Dieu prend de ces personnes pour en faire des Pasteurs lorsque les Églises semblent être au comble de la destruction.  [...] Leur autorité est tellement forte que rien ne lui peut résister : ce n’est pas pourtant une autorité pleine de rigueur, mais c’est que comme ces âmes sont bien anéanties, elles ont le pouvoir divin, en sorte qu’elles disposent des choses comme il leur plaît, même des choses les plus intérieures et les plus cachées. Car la suite fait bien voir que c’est une puissance divine qui leur est communiquée. [37][...] Ces personnes ont un droit et un avantage que Dieu leur donne, qui est que lorsqu’ils instruisent des âmes dociles des voies intérieures du vrai esprit de Jésus-Christ, comme une belle aurore, Il ne manque point de faire luire en elles le beau jour de Sa grâce. Il envoie en même temps dans les cœurs une très abondante consolation. On sent une onction divine toute particulière : c’est là cette étoile du matin, qui annonce le jour aux voyageurs qui veulent bien marcher dans le chemin de la perfection.

 

Chapitre VI

V.1. Je vis ensuite que l’Agneau avait ouvert un des sept sceaux; et j’entendis un des quatre animaux qui dit d’une voix comme d’un tonnerre : “Venez, et voyez”.

V.2. Aussitôt je vis un cheval blanc ; et celui qui était monté dessus avait un arc : on lui donna une couronne et il partit victorieux pour vaincre.

[…] L’agneau ouvre donc un des sept sceaux ; et il [84] fut montré un cheval blanc ; et celui qui était dessus avait un arc. C’est le premier état de l’âme, conduite par Jésus-Christ, en qui Il veut manifester Sa vérité ; et ç’a été le premier âge de l’Église. C’est un état de combat et de victoire ; et l’on vainc d’autant plus que l’on combat davantage. La couronne alors est donnée à la victoire [...] Le premier cheval est blanc parce que l’âme reçoit ici la blancheur de pénitence.

 

V.3. Lorsqu’Il eut ouvert le second sceau, j’entendis le second animal qui dit : “Venez, et voyez”,

V.4. Et il sortit un autre cheval qui était roux ; et celui qui était monté dessus reçut le pouvoir d’ôter la paix de dessus la terre, et de faire que les hommes se tuassent les uns les autres ; et on lui donna une grande épée.

Le premier état de combat est très plein de douceur : c’est plutôt une victoire qu’un combat, parce que l’âme éprouve une si grande facilité pour tout qu’il semble que les ennemis tombent à sa seule approche : aussi lui est-il donné un arc, parce qu’il semble qu’elle ne combat que de loin : elle tire aisément, elle blesse sans recevoir aucune blessure. C’est un temps plein de douceur ; on combat les ennemis les plus éloignés, et des ennemis que Dieu arrête, [85] afin qu’ils n’attaquent pas. Tels furent les premiers combats des Israélites, où les ennemis tombaient à leurs pieds sans qu’ils les touchassent. Il n’en est pas de même de ce second combat du second sceau qui empêche la vérité d’être manifestée. C’est un cheval roux, qui n’a pas la blancheur du premier, parce que dans les premiers [combats] les défauts paraissent entièrement essuyés, d’autant qu’ils sont couverts sous la paix ; mais dans celui-ci l’âme commence à devenir brune, quoiqu’elle soit plus belle.

Celui qui est dessus, reçoit le pouvoir d’ôter la paix. C’est là la première épreuve de l’âme, qui la fait beaucoup souffrir : elle perd cette douce paix, cette tranquillité que lui causait une présence savoureuse [de Dieu :] elle est mise dans les troubles, craintes et agitations. Il n’y a pas de couronne pour celui-là, ni de victoire, car il ne paraît pas alors [à l’âme] qu’elle triomphe, ni qu’elle combat ; mais elle sent seulement qu’on la blesse. Il lui est donné une grande épée, de laquelle elle veut encore se servir ; mais une épée pour se défendre seulement : elle n’en peut rien tuer ni détruire, à ce qu’elle s’imagine. Elle ne laisse pas [néanmoins] de tuer, mais elle n’en connaît rien : tout lui est caché ; elle sent seulement les plaies qu’on lui fait. C’est une guerre mutuelle, bien différente de la première : on attaque, et l’on est attaqué ; mais les blessures que l’on reçoit sont bien plus sensibles que le mal que l’on fait à l’ennemi. À cela est joint le commencement de la persécution des créatures : lorsque l’on perd la paix au-dedans, on la perd aussi au-dehors. Et d’où vient que Dieu fait cela ? C’est qu’Il veut ôter la paix de dessus la terre : Il veut que l’âme perde la paix qu’elle [86] avait en elle-même, afin qu’elle se quitte elle-même. Et c’est ici le taureau qui appelle, parce que le combat est plus violent.

V.5. Lorsqu’Il eut ouvert le troisième sceau, j’entendis le troisième animal qui dit : “Venez, et voyez”. Et je vis paraître tout d’un coup un cheval noir ; et celui qui était dessus avait en sa main une balance.

V.6. Et j’entendis une voix du milieu des quatre animaux qui dit :” Le litre de blé vaudra une drachme, et trois litres d’orge, une drachme. Ne gâtez pas le vin et l’huile.”

Le troisième cheval était noir : c’est alors que l’état devient toujours plus terrible. Cette âme n’est pas seulement brune, mais elle est noire [102] : Nigra sum, sed formosa. Il n’y a plus de combat. O Hommes, venez et voyez : ce n’est plus l’âme qui combat, ni elle n’est plus combattue par des ennemis étrangers ; c’est son propre poids qui l’emporte. Elle n’a en la main que des balances. Cela signifie qu’elle n’est plus attaquée d’ennemis : elle n’a plus de combat, elle ne remporte plus de victoire, elle n’est plus blessée, elle n’attaque ni ne se défend ; mais son propre poids l’emporte à tout : elle ne sent que le penchant de la nature qui l’entraîne. Alors elle est elle-même pesée : toutes les actions qui lui semblaient bonnes lui paraissent mauvaises ; tout est examiné au poids de Dieu, et tout paraît sans poids, sans prix et sans valeur : ce qu’elle estimait autrefois lui fait horreur. Mais elle ne s’aperçoit pas que (comme la balance,) à mesure qu’elle est abaissée d’un côté, elle est plus relevée de l’autre, de sorte que ce poids qui [87] enfonce une partie d’elle-même dans la dernière bassesse, élève l’autre en Dieu. Cette âme est mise dans une privation de Dieu, qui est une espèce de famine. Elle n’eut jamais plus de désir de Le posséder, et elle n’en fut jamais plus éloignée, à ce qu’il lui semble : elle sent un vide et une privation profonde. S’il lui est donné une petite consolation passagère, elle lui est vendue si chèrement qu’il ne se peut rien de plus. Cependant il est encore défendu de toucher au vin et l’huile : c’est-à-dire que l’âme est encore soutenue et fortifiée d’une onction secrète, et d’un vin fort, quoiqu’elle ne le connaisse pas.

V.7. Lorsqu’Il eut ouvert le quatrième sceau, j’entendis la voix du quatrième animal qui dit : “Venez et voyez.”

V.8. En même temps je vis paraître un cheval pâle, et celui qui était monté dessus s’appelait la mort, et l’enfer le suivait. Et le pouvoir lui fut donné sur la quatrième partie de la terre pour y faire mourir les hommes par l’épée, par la famine, par les maladies contagieuses, et par les bêtes sauvages.

Le quatrième animal, qui est l’aigle, appelle pour la mort. Il me semble qu’il y a en cela quelque chose d’opposé, qui est que cet oiseau, avoisinant le soleil, et découvrant plus que nul autre la vérité en elle-même, il appelle [cependant] pour voir la mort, parce que c’est la mort qui peut seule donner l’avantage de recevoir la vérité et la vie. La mort était montée sur un cheval pâle pour marquer que ce n’est alors que terreurs et frayeurs mortelles. L’enfer suit la mort parce que la mort ne serait rien en elle-même si elle n’avait une si [88] funeste suite. Il semble à l’âme qui est en cet état, que sa perte soit infaillible, et que le moment de sa mort la va précipiter dans l’enfer ; et elle ne se trompe pas, parce qu’elle expérimente souvent un purgatoire si terrible que celui-ci est un enfer tout vivant. Mais cependant cette mort n’a pouvoir que d’attaquer la quatrième partie de la terre, c’est-à-dire la principale et dernière partie, parce que les autres l’ont été ; ou, si l’on veut, elle commence par la quatrième partie, qui sont les sens, ou la partie inférieure : c’est elle qui éprouve [la première] toutes ces choses. [...][89] Tous ces maux unis ensemble causent la mort. O Dieu, que Vous avez d’étranges inventions pour détruire les créatures qui sont à Vous sans réserve !

Ceux qui croient que ces états sont des imaginations se trompent bien. Il faut les passer réellement. Je crois bien qu’il y a des esprits faibles qui s’en figurent beaucoup : c’est pourquoi il ne faudrait pas laisser lire de ces choses aux âmes, [90] à moins qu’elles ne fussent fort avancées, et d’une force d’esprit éprouvée.

V.9. Lorsqu’Il eut ouvert le cinquième sceau, je vis sous l’autel les âmes de ceux qui avaient été tués pour la parole de Dieu, et pour le témoignage qu’ils avaient en eux-mêmes.

[90][...] Cela s’entend, non seulement des martyrs corporels, mais bien plus véritablement des martyrs qui souffrent pour l’intérieur. Ceux-là sont tués dans leur honneur par les décris et les calomnies, et souvent dans leur vie par des persécutions étranges que l’on croit faire justement à ces personnes. [...]

 

Chapitre VIII

V.2. Et je vis les sept Anges qui assistent devant Dieu, auxquels on donna sept trompettes.

V.3. Alors il vint un autre Ange qui se tint devant l’autel, ayant un encensoir d’or ; et on lui donna une grande quantité de parfums, afin qu’il en accompagnât les prières de tous les saints, en les offrant sur l’autel d’or qui est devant le trône.

V.4. Et la fumée des parfums jointe aux prières des saints s’élevant de la main de l’Ange, monta devant Dieu.

[112] Qui croirait qu’après que l’âme est arrivée dans l’état d’anéantissement, qu’elle est mise en vérité, comme il a été dit, il y ait encore un sceau à ouvrir ? Il semble que tout est fait. Il est vrai que tout est fait du côté de l’âme, puisqu’elle est anéantie ; elle est même déjà mise en vérité, mais la vérité n’a pas toute son étendue en elle : il reste encore un sceau, qui est la mission pour manifester cette vérité aux autres. Avant que cela se fasse, toute l’âme est mise dans un nouvel état de silence. Il se fait un silence profond et une augmentation de paix dans toute l’âme.

Les sept trompettes qui sont données aux sept Anges qui assistent devant Dieu, désignent la facilité qui est donnée à l’âme d’annoncer à la terre la vérité. Ensuite, il est encore donné la médiation, pour prier et intercéder pour les autres. Ce sont ces âmes-là qui offrent à Dieu les prières des âmes qui leur sont inférieures. [...] ces prières sont renfermées dans la volonté pure comme dans un encensoir d’or. Là, aidées du feu de la charité, il se fait une fonte et une effusion de ces prières devant Dieu [...]  Cette prière est une prière pure et simple. C’est plutôt une chose que l’on souffre qu’une que l’on opère : on se contente de tout réunir dans la volonté par le recueillement, ou plutôt par l’abandon de soi-même entre les mains de Dieu; et là le feu de Son amour fond et dissout presque tout ce  [...] qui pouvait l’empêcher de s’écouler en son Dieu.  [...] Elle monte à Lui comme la fumée et se perd en Lui.

 


 

Chapitre IX

V.7. La figure de ces sauterelles était semblable à des chevaux préparés pour le combat…

V.9. Elles avaient des cuirasses comme de fer…

V.11. elles avaient pour Roi l’Ange de l’abîme…

[132][...] ces gens-là font paraître au-dehors qu’ils ont pitié de ces personnes  [...] que c’est un malheur qu’elles se sont attiré elles-mêmes par leur imprudence, dont ils ont du déplaisir ; que les poursuites qu’ils leur font, ils les font par principes de conscience. [...] Ces personnes ont une douceur artificieuse, qui prend les âmes au lacet. [...] Ils ont des cuirasses de fer, puisqu’ils se couvrent de prétextes qui les rendent invulnérables, [...] Il semble à tout le monde que ces personnes soient armées de zèle pour défendre la cause de Dieu. Ils font savoir avec éclat et bruit leurs succès, la déroute des autres, combien il fait bon être dans leur intérêt, qui n’est autre que celui de Dieu, ce qui est bien aisé à voir, disent-ils, par le succès que Dieu donne à ce qu’ils entreprennent.  [...]

V.14. …Déliez les quatre Anges qui sont liés sur le grand fleuve d’Euphrate…

…[138] Quand il n’y a plus de bornes à l’abandon, l’âme est délivrée de ses peines. Mais ici, c’est tout le contraire. Cet abandon qui avait servi à détruire la propriété, se perd ici comme un reste d’appui et de soutien. [...] C’est comme un vaisseau qui sert à faire perdre terre, mais qui cependant empêche que l’on ne se noie. Il le faut perdre immanquablement pour se noyer et mourir. Sans cet abandon, on ne se quitte jamais soi-même, on demeure toujours propriétaire. [...] On vogue et on se promène sur cet océan de l’immensité avec l’abandon, mais on n’est jamais pleinement perdu en Dieu que l’on ne perde le même abandon d’une manière connue. La perte de cet abandon ne cause plus les chagrins et les rages d’autrefois : au contraire, plus il se perd, plus il perd et abîme l’âme, plus elle y devient insensible: sa peine n’est peine que parce qu’elle le veut conserver.  [...] Une âme qui se laisse conduire [139] sans réserve par son Dieu, trouve qu’une providence, la plus admirable qui ne fût jamais, lui fait faire toutes choses à point nommé, selon que Dieu le veut, et le désir de l’âme. [...] Pour qu’un état soit véritable, il faut qu’il soit opéré par Dieu même dans le temps que Lui-même a marqué à l’insu de la créature, qui le plus souvent ne connaît pas l’état où elle est, quoiqu’il lui en soit donné quelque connaissance dans la suite et lorsqu’il est passé. Il faut donc attendre en patience l’heure, le temps et les moments. L’âme qui perd son abandon de cette sorte, ne le distinguant et ne le connaissant plus, entre enfin dans la véritable mort.

 

Chapitre XI

V.18. …le temps de Votre colère est arrivé…  

[169][...] Il est temps [...] d’exterminer ceux qui ont corrompu la terre. Deux choses ont corrompu la terre : le propre esprit et la propre volonté. Il faut exterminer ces deux choses qui s’opposent incessamment au règne de Jésus-Christ. Le propre esprit a fait l’idolâtrie…  

 

Chapitre XIII

V.2. Cette bête que je vis était semblable à un léopard…

[190][...] Ses pattes sont d’ours, pour monter et s’élever au-dessus de tout ce qui s’oppose à son règne [...] Sa gueule est comme celle du lion, car il dévore tout, il faut que tout lui serve de nourriture : le pauvre, la veuve, la pupille [...][191] L’amour propre est enfant et père de l’orgueil, et le pur amour est la source de toutes les vertus. Celui qui a le pur amour ne peut avoir de péché, quoiqu’il lui semble ne posséder aucune vertu. 

V.3. Et je vis une de ses têtes qui était comme blessée à mort, mais cette blessure mortelle fut guérie ; et toute la terre, étant dans une grande admiration, suivit la bête.

[191][...] Jusqu’à ce que le propre intérêt soit entièrement détruit, tous les autres vices se renouvellent et revivent lorsqu’ils semblent le plus éteints. Toute la terre est dans l’admiration, car il n’y a rien, ce semble, dont on fasse plus de cas dans le siècle où nous sommes que de la fausse prudence, qui est un des fruits de l’orgueil ; l’amour de soi-même et l’ambition est une règle que tous les hommes suivent inviolablement, et il n’y en a pas un qui ne la suive, même des plus spirituels. Car où trouvera-t-on un homme qui ne cherche pas son propre intérêt ? [...] Celui qui n’a plus d’autre intérêt que celui de Dieu seul, est celui-là seulement qui fait le bien. Mais où trouvera-t-on [192] quelqu’un qui n’ait plus d’intérêt que celui de Dieu seul ? Hélas, c’est une chose déplorable que l’on n’en trouve point ! Dans la cour des Grands, le désir de plaire au Souverain, de s’avancer : propre intérêt ! Dans la guerre, désir d’acquérir de la gloire : propre intérêt ! Chez les marchands, désir d’acquérir et d’amasser : propre intérêt ! [...] Pour la gloire de Dieu, on ne sait ce que c’est. C’est pourtant souvent la peau du léopard, dont on couvre tout ce que l’on fait. [...] Ceux qui n’ont pas un propre intérêt si grossier cherchent à acquérir la vertu, à devenir parfaits, ils cherchent leur salut, ils se regardent en eux-mêmes en toutes choses. […]

 

Chapitre XV

V.2. Et je vis une mer transparente comme du verre, mêlée de feu...

Cette mer n’est autre que la Divinité, dans laquelle toutes les âmes anéanties sont submergées [232] et abîmées. Mais pour en venir là, il faut être comme cette mer, purs et transparents, ce qui ne se peut opérer que par la perte de la propriété. La clarté et netteté de cette mer est mêlée de feu, c’est-à-dire du pur amour. Tous les saints réduits à leur origine, et redevenus un en Dieu, sont comme des gouttelettes pures dans cette mer [...]

 

Chapitre XVI

V.12. Le sixième ange répandit sa coupe sur le grand fleuve d’Euphrate ; son eau fut séchée pour préparer le chemin aux rois qui devaient venir de l’Orient.

V.13. Je vis alors sortir de la gueule du dragon, de la gueule de la bête, et de la bouche du faux prophète, trois esprits impurs, semblables à des grenouilles.

V.14. Ce sont des esprits de démons qui font des prodiges, et qui vont vers les rois de toute la terre pour les assembler au combat du grand jour du Dieu tout-puissant.

[245] Cette plaie, qui paraît bien inférieure à celles qui ont précédé, les surpasse cependant toutes : quoique les eaux fussent changées et tournées en sang, elles n’étaient pas cependant tout à fait taries, car il faut savoir que la nature est si insatiable de nourriture, qu’elle aime mieux se nourrir et se désaltérer de sang et de carnage que de n’avoir rien du tout. Les âmes bien propriétaires, malgré les états les plus terribles, trouvent en ces mêmes états de quoi se nourrir.

Il m’est, à présent que j’écris, montré une vérité que je n’avais jamais comprise sur la désappropriation et qui cependant est exprimée ici bien clairement, qui est que telles âmes auront passé tous les états qui servent à désapproprier et à faire mourir la nature, sans être désappropriées et sans que la nature soit morte en elle. Elles prennent tout cela en vie, et comme des états dont elles se font un soutien et une nourriture. C’est ce que saint Jean appelle ne pas faire pénitence rendant gloire à Dieu. La pénitence en cet état est de rendre gloire à Dieu par la désappropriation. On verra au grand jour de l’éternité des âmes avoir passé quantité d’états et être devenues beaucoup propriétaires de ces mêmes états, ce qui ne se connaîtra jamais, ni par ce que disent ces personnes d’elles-mêmes, ni par le jugement et la raison ordinaires, mais par le goût du cœur et par les lumières surnaturelles, lorsque Dieu donne un parfait discernement des esprits. Cela ne se fait plus par le raisonnement dans les âmes bien avancées, ainsi qu’il a plu à Sa bonté de [246] nous le faire connaître il y a quelque temps ; mais par le discernement du cœur, qui embrasse ou rejette les choses. Ce discernement est plus juste que tout autre : on ne discerne pas ces personnes par ce qu’elles disent, car à cent lieues l’on discernera des âmes que l’on n’a jamais vues ; mais il faut que la nature soit bien morte pour avoir ce discernement, sans quoi elle s’y pourrait toujours mêler selon son inclination ou sa répugnance.

Les âmes qui ont été bien des années dans une si grande indifférence, qu’il leur était impossible de plus pencher ou par haine ou par aucune inclination vers aucune créature ; après avoir été tourmentées longtemps par l’une et par l’autre de ces passions pour en être purifiées, après, dis-je, qu’elles ont été longtemps tourmentées de ces inclinations et de ces impressions, sont mises peu à peu ou tout à coup, selon qu’il plaît à Dieu, dans un état d’égalité si parfaite, qu’elles ne peuvent avoir ni inclination ni opposition quelconque, comme si elles étaient de pierre ou de bronze. Ensuite elles sont étonnées qu’il leur est donné un goût du cœur par lequel elles inclinent et penchent pour les uns, et rebutent les autres, desquels la seule pensée ou l’approche leur fait souffrir des brûlements étranges. Cela fait au commencement beaucoup de peine à une telle âme, parce que le secret ne lui étant pas [encore] découvert, elle prend tout cela pour des effets de la nature, qu’elle baptise elle-même de jalousie, d’oppositions, d’humeur naturelle. Tous ceux à qui elle le déclare en jugent de la même sorte. Cela afflige l’âme, qui craint de manquer de charité au prochain. [247] Elle se fait effort, et ces efforts redoublent son mal, car elle regarde ce défaut comme plus dangereux, ce lui semble, que tous les autres, parce qu’il lui paraît qu’il est impossible qu’elle vive avec le prochain si elle a de ces choix d’amour qu’elle n’a pas eus [auparavant ; il lui semble] qu’elle manque de charité et qu’elle juge du prochain. Elle a, dis-je, une peine étrange à s’accommoder à cette conduite de Dieu sur elle, ne la pouvant jamais regarder comme telle ; et après avoir fait les plus grands sacrifices à Dieu, elle ne peut faire celui-là, ne comprenant pas qu’il se doive faire : elle fait bien le sacrifice de rester toute sa vie en cet état (qu’elle regarde comme un grand défaut) si telle est la volonté de Dieu, mais elle ne le peut jamais regarder comme un discernement jusqu’à ce que la lumière lui en soit donnée, [lumière] qui lui fait comprendre que Dieu ne lui donne cet état que parce qu’Il la destine au service des âmes, et que c’est le véritable discernement par laquelle elle connaîtra leur état sans se tromper. La résistance à cet état avant la lumière mettait l’âme dans la peine sans qu’elle connût que ce fût cela, jusqu’à ce qu’il plût à Dieu de l’en éclairer. Mais elle voit maintenant que ce qu’elle regardait alors comme un mal, est une très grande grâce, et le vrai discernement ; et parce qu’elle ne juge plus les âmes par la raison, mais par le goût de Dieu.

Lorsque Dieu veut ou ne veut pas quelque chose des âmes qui lui sont unies par un lien indissoluble, Il les met aussi dans la souffrance sur ces choses, que l’on regarde par les yeux de la nature comme des envies, jalousie, etc. Mais c’est un état tout divin dans ces âmes si mortes et [248] anéanties : cela n’est connu que tard, et c’est une des plus consolantes lumières que Dieu donne que cette connaissance et ce discernement des choses. Aussi une telle âme, lorsqu’elle se laisse aller pleinement à la conduite de Dieu sur elle, a jusqu’au moindre discernement de ce que Dieu veut d’elle, ou de ce qu’Il veut des autres. Mais on manque souvent de fidélité à le déclarer aux autres, et les autres manquent de démission de leur esprit pour s’y laisser. Il faut remarquer que ceci ne peut jamais être que pour une âme parfaitement anéantie, et dont Dieu a dessein de Se servir pour les autres. [...]

 


 

Chapitre XVII

V.5. Et elle avait ce nom écrit sur le front : Mystère, la grande Babylone des abominations et des fornications de la terre.

V.6. Et je vis cette femme enivrée du sang des saints…

[261] Cette propre volonté est bien un mystère, que l’on ne saurait découvrir qu’à peine dans la plupart des âmes. Elle leur laissera faire toutes les austérités qu’elles voudront, pourvu qu’on la laisse vivre en repos. Elle se nourrit et se repaît indifféremment de tout, elle ne s’opposera point à la pratique extérieure de certaines vertus…

V.7. …Je vous dirai le mystère de la femme, et de la bête sur laquelle elle est assise…

V.8. …elle doit monter de l’abîme, et périr ensuite…

[263] L’union à la volonté de Dieu est comme l’arche qui sauve du déluge : c’est le centre de la paix et du repos. [...]

On s’étonne souvent de ce que la nature fait plus de résistance dans le milieu de la voie qu’au commencement. Au commencement, l’obéissance est très aisée : il semble que l’on soit dans une soumission parfaite à toutes les volontés de Dieu et à toute épreuve ; cependant, à quelque temps de là, on éprouve tout le contraire. Il sera bon d’en dire ici la raison pour la consolation des âmes. C’est que la propre volonté, dans le commencement de la conversion, est encore [264] toute dans le cœur, elle occupe toute l’âme et ce qu’il y a de plus profond, quoique par la conversion la rébellion de la volonté soit ôtée [...] Ensuite de cette conversion, Dieu fait entrer l’âme dans une connaissance et un amour sensible de Sa volonté, et cela avec tant de douceur et de suavité que les sens et l’extérieur se sentent entraînés doucement à faire la volonté de Dieu. Alors l’âme est comme toute épanchée dans ce sensible, et il lui est donné des désirs de faire la volonté de Dieu. Que fait alors la volonté propre ? Elle s’enfonce toujours plus dans l’âme et ne paraît point au-dehors, parce qu’elle trouve du goût et du plaisir dans les désirs sensibles de la volonté de Dieu, qui ne lui font pas encore grand mal, les choses n’étant encore qu’en de certaines évaporations de désirs et non dans les effets : la volonté propre [...] se nourrissant du délectable, elle ne se voit point attaquée, elle demeure en paix.

[265][...] Dieu, qui n’a pas fait tant de grâces à une âme pour laisser vivre en elle ce monstre horrible sans le détruire, que fait-Il ? Il ôte du sens toute la douceur et la facilité et Il vient dans le fond de cette âme comme un fort armé, pour poursuivre cette volonté qui y est retranchée  [...] elle se voit poursuivie dans son fort, elle fait des désordres horribles, jusqu’à ce qu’enfin Dieu la fait descendre dans le plus bas de l’âme où [266] il semble alors qu’elle commande et gouverne.

Ici l’âme n’aperçoit plus en elle rien de Dieu, mais seulement cette volonté maligne. [...] C’est qu’elle se découvre davantage, jusqu’à ce qu’enfin abandonnant tout l’intérieur, elle paraît toute extérieure. C’est alors qu’elle joue de son reste ; et qu’étant entièrement bannie du fond, elle ne se contente pas de paraître comme elle est, mais elle redevient rebelle et met tous les sens en rébellion. […]

Enfin cette volonté est si fort poursuivie, qu’elle est obligée de quitter la place, et alors l’âme n’en trouve plus aucune, ni extérieure ni intérieure, mais la volonté de Dieu est substituée en la place de la sienne, en sorte que l’âme n’a plus de volonté; elle ne sent plus d’opposition [267] pour rien : elle a la volonté de Dieu, qu’elle ne sent que lorsqu’on lui fait résister à Dieu ou à quelqu’une de Ses volontés, croyant par ignorance ou par défaut d’expérience que c’est encore une volonté propre […]

 

Chapitre XIX

V.5. Et cette voix sortit du trône : “Louez notre Dieu, vous tous qui êtes Ses serviteurs, et qui Le craignez, petits et grands.”

[…][Les premiers] font la volonté de Dieu et craignent de ne la pas faire, se rendent fidèles de toute leur force à suivre Ses mouvements, qu’ils distinguent et connaissent. Les seconds, comme les enfants, font la volonté de Dieu, sans penser à la faire, mais se tenant dans l’oubli général de tout ce qui les concerne, sans penser à cette volonté de Dieu, ils font infailliblement cette même volonté de Dieu, se laissant tels qu’ils sont dans leur simplicité, faisant de moment en moment ce qu’il leur est donné de faire, mais le tout en enfants et, comme des enfants, sans soin, pensée ni souci, [308] sans vue de ce qu’ils font. Les troisièmes sont des âmes que Dieu tire de ces deux premiers états et à qui Il a fait passer les faiblesses de l’enfance : et comme Il les destine pour aider aux autres, non seulement Il les conduit de moment en moment comme des enfants qui se laissent conduire, mais même Il leur rend raison de Sa conduite, Il leur découvre Ses secrets ineffables, Il leur donne la force pour porter Jésus-Christ dans ses autres états, et surtout Jésus-Christ crucifié, qui est le partage des âmes apostoliques. Ces âmes sont un paradoxe, car elles portent en même temps la simplicité, le délaissement, la candeur de l’enfant, l’oubli de tout ce qui les concerne, et cependant elles sont dans la connaissance de la vérité qui leur est manifestée pour les autres [...]

 

Chapitre XXI

V.1. Après cela, je vis un ciel nouveau et une terre nouvelle…

L’âme ayant entièrement passé tous les états qui ont été décrits, le ciel et la terre sont évanouis, c’est-à-dire que tant ce qui est dans l’âme de terrestre, de naturel, d’humain, de sensible et de charnel, que ce qui est de spirituel et appartenant à l’esprit et à l’âme supérieure, y est détruit. Toutes ces choses subsistent bien et se perfectionnent avec les dons de Dieu ; mais sitôt qu’Il vient Lui-même avec Sa Majesté, il faut que tout disparaisse et Lui cède la place. David et les autres prophètes l’ont répété tant de fois que la terre et les montagnes s’écoulent et disparaissent devant Dieu. C’est là le propre effet de la présence réelle de Dieu dans l’âme et à quoi seulement l’on peut connaître qu’Il y est venu : c’est là la marque de Sa grandeur et de Sa force. Comme l’on voit [347] des montagnes de neige se fondre et s’écouler devant la face du soleil, aussi, lorsque la majesté de Dieu paraît, il faut que toute l’âme s’évanouisse et disparaisse, qu’elle ne trouve plus en elle de subsistance qu’elle puisse concevoir et distinguer, soit dans le bien soit dans le mal : l’un et l’autre lui sont étrangers. Tout ce qui ne fait pas cet effet d’entière destruction de tout ce qui est subsistant, est bien quelque grâce, même de dépouillement ; mais ce n’est pas Dieu même dans Sa Majesté. David qui avait éprouvé cet état, le décrit: Mon être, dit-il, est devant vous comme un néant [103] ; c’est-à-dire sitôt, ô Dieu, que Vous avez paru Vous-même, tout ce qui pouvait avoir en moi quelque être ou quelque subsistance, s’est évanoui ; et il n’est resté que le simple néant, sur quoi Vous pouvez à présent travailler de nouveau, et former une nouvelle créature, à qui il ne reste rien au monde de tout ce qui était de l’ancienne. [...]

 [349] La mort prépare le lieu à la Majesté de Dieu, et fait que l’âme étant morte à tout amour propre, à toute propriété, à tout sensible et aperçu, à toute volonté, quelle qu’elle soit, est mise par cette mort dans un certain état d’innocence, qui n’ayant rien d’opposé à Dieu, fait que Dieu vienne Lui-même Se reposer sur cette âme comme sur un trône d’ivoire très pur. Mais l’âme n’est pas encore anéantie pour cela, quoiqu’elle soit morte. Il faut que Dieu Lui-même, pour cet effet paraissant avec toute Sa Majesté, fasse écouler et évanouir tout ce qui reste de subsistance propre dans cette âme, en sorte que tout s’évanouisse et disparaisse devant Lui. C’est par là que l’âme est mise à la disposition du rien, afin que Dieu forme en elle une nouvelle créature ; [...] il faut prendre [350] une pierre dure, ou, si vous voulez, un métal, auquel à force de feu et d’art vous donniez la qualité de la cire : alors ce métal a perdu toutes ses résistances pour contracter comme la cire une qualité souple et pliable, qui peut prendre comme elle toutes sortes d’impressions ; et c’est là l’effet que cause la mort, qui fait que l’âme perd toute sa résistance.  [...]

[352] Dieu vient alors Lui-même S’imprimer en cette âme comme un cachet ; et c’est l’union intime. Il s’assied sur cette âme ainsi purifiée de toute propriété, de rébellion et de résistance, et Il y vient avec sa Majesté. […]

V.19. Et les fondements de la muraille de la ville étaient ornés de toutes sortes de pierres précieuses...

V.21. Or les douze portes étaient douze perles...

[...][382] Pour les perles qui sont les douze portes, elles marquent la pureté de la voie intérieure, son uniformité dans toutes [les âmes], la pureté de son esprit, qui étant toujours le même et quant à sa qualité et en ce qu’il contient, sait pourtant donner entrée [à tous] et recevoir tant de différentes personnes. Ceci représente admirablement bien la bonté de tout ce qu’il y a d’extérieur dans l’Église, l’uniformité de sa foi et de ses sentiments ; et qu’étant toujours la même, et sans changer ce qu’elle est en elle-même, sans changer de toutes ces choses, elle sera dans son uniformité une muraille, dans laquelle il y aura douze portes, qui sont une même chose dans leur forme et dans leur matière ; et cependant par ces mêmes portes les Juifs, les Turcs, les barbares, les infidèles, les hérétiques, les schismatiques, les mauvais chrétiens, les faux catholiques, les impies, les athées, tout cela viendra de pays et de loi [ou religions] si différents, sans que [néanmoins] les portes changent pour leur réception. Ils seront reçus, non seulement dans l’enceinte des murailles, qui est proprement ce qu’il y a d’extérieur à l’Église [383] et dont les dévots mêmes se contentent aujourd’hui : mais ils entreront dans la ville même, c’est-à-dire ils participeront à son esprit, ils deviendront tous intérieurs, tous se laisseront conduire au Saint-Esprit, tous seront mis dans la vérité. […]

V.23. Et cette ville n’a point besoin d’être éclairée par le soleil ou la lune, parce que la gloire de Dieu l’éclaire et que l’Agneau en est la lampe.

[387][...] L’âme n’est pas plutôt passée en Dieu qu’elle n’a plus qu’une lumière générale et sans aucune distinction. Cette lumière est Dieu même. La distinction n’est plus alors dans la lumière, mais elle est dans les objets que Dieu fait distinguer à la faveur de Sa lumière.

 


 

Chapitre XXII

V.1. Il me montra encore un fleuve d’une eau vive, claire comme du cristal, qui coulait du trône de Dieu et de l’Agneau.

Ce fleuve est la grâce de Dieu [...] l’abîme où toutes les âmes se trouvent perdues et abîmées dans Son unité. […]

V.14. Heureux ceux qui lavent leurs vêtements dans le sang de l’Agneau, afin qu’ils aient droit à l’arbre de vie, et qu’ils entrent dans la ville par les portes.

[402] Ceux qui lavent leurs vêtements dans le sang de l’Agneau, ce sont les pauvres âmes qui, par un abandon et une confiance entiers se jettent entre les bras de Dieu, se donnent à Lui, afin qu’Il les purifie [...] Qu’ils sont heureux et qu’ils s’épargnent de peines et d’ennuis ! Au lieu que ceux qui présument tout d’eux-mêmes, qui croient pouvoir se sauver par leurs efforts propres, se salissent, loin de se purifier. O si l’on comprenait un peu le bonheur de l’ABANDON et de la confiance en Dieu ! [...] Et ils en ont d’autant plus d’amour, qu’ils ont éprouvé l’inutilité de leurs efforts, et qu’ils ont plus connu que c’est à cet Agneau sans tache qu’ils doivent toute leur pureté, comme Jésus-Christ le dit en faveur de la Madeleine [104]. [403] Il y a de deux sortes d’âmes : les unes dont la pureté ne s’est point perdue, et les autres qui  se purifient en un instant dans le sang de l’Agneau par l’amour et la confiance. Ceux-là ont le même droit que les premiers à l’arbre de vie, car c’est le sang de l’Agneau qui leur a donné ce droit. Ils entrent dans la ville par les portes, c’est-à-dire que notre Seigneur leur donne entrée dans l’Intérieur. 



 

 

Madame Guyon, bibliographie (2000 - ) :

[2000] Madame Guyon, De la Vie intérieure, Discours Chrétiens et Spirituels sur divers sujets qui regardent la vie intérieure, présentés et annotés par  Dominique Tronc, Paris, Phénix Éditions - La Procure Librairie, Collection « La Procure », 2000, réédition 2004, 482 pages [Tirages limités épuisés ; sur ce choix de 80 Discours (156 pièces furent éditées au XVIIIe siècle) 15 ont été repris en 2005 : Madame Guyon, Écrits sur la vie intérieure, pp. 23-193 ;  puis 50 en 2008 : Madame Guyon, Oeuvres mystiques, « Discours spirituels », pp. 531-762.]

[2001] Madame Guyon, La Vie par elle-même et autres écrits biographiques, Édition critique avec introduction et notes par Dominique Tronc, Étude littéraire par Andrée Villard, Paris, Honoré Champion, coll. « Sources Classiques », 2001, 1163 pages. [Les 3 volumes de la Vie connus depuis leur publication au XVIIIe siècle et repris sous les titres « 1. Jeunesse, 2. Voyages, 3. Paris », sont suivis de : « 4. Prisons, 5. Compléments biographiques » ; l’édition rétablit l’ordre du ms. d’Oxford et inclut des additions provenant du ms. ‘de jeunesse’ de St-Brieuc.]

 [2003] Madame Guyon, Correspondance, Tome I Directions spirituelles, Édition critique établie par  Dominique Tronc, Paris, Honoré Champion, coll. « Correspondances », 2003, 928 p. [Directions reçues de Maur de l’Enfant-Jésus et de monsieur Bertot, 1671-1681 ; lettres et témoignages, 1681-1688 ; direction de Fénelon, 1688-1689, complément édité pour la première fois de l’année 1690 ; directions du marquis de Fénelon et de disciples étrangers, après 1710]

 [2004] Madame Guyon, Correspondance, Tome II Combats, Édition critique établie par Dominique Tronc, Paris, Honoré Champion, coll. « Correspondances », 2004, 952 p. [Les lettres de l’animatrice du cercle quiétiste couvrent surtout les années 1693-1698 ; elles sont augmentées de Témoignages ; l’ensemble constitue le « dossier »  utile pour étudier les aspects de la « querelle » relatifs au vécu intérieur].

[2005] Jeanne-Marie Guyon, Explications de la Bible, L’Ancien Testament et le Nouveau Testament avec des explications et réflexions qui regardent la vie intérieure, introduites et annotées par Dominique Tronc, Paris, Phénix Éditions & hors commerce 2005, 441 p.  [tirages limités épuisés ; aperçu in Madame Guyon, Oeuvres mystiques, 355-382]

[2005] Madame Guyon, Correspondance, Tome III Chemins mystiques, Édition critique établie par Dominique Tronc, Paris, Honoré Champion, coll. « Correspondances », 2005, 934 p. [Ce volume qui achève l’édition de la Correspondance reprend l’ensemble de lettres de direction publié en 5 volumes au XVIIIe siècle].

[2005] Madame Guyon, Écrits sur la vie intérieure, présentation par Dominique et Murielle Tronc, Paris, Arfuyen, « Les carnets spirituels », 2005, 195 p. [15 Discours]

[2008] Madame Guyon, Oeuvres mystiques, éd. critique avec introductions par Dominique Tronc, Étude par le P. Max Huot de Longchamp, Paris, Honoré Champion, coll. « Sources Classiques », 2008, 796 p. [Un « compagnon » sous forme d’un volume maniable. Il reprend des œuvres brèves connues – Moyen Court, Torrents, Petit Abrégé, une partie du Cantique... Sa seconde moitié ouvre à la partie encore méconnue datant de la pleine maturité mystique : notes apportées aux Justifications, choix de Lettres et de Discours…]

 [2009] Les années d’épreuve de Madame Guyon, Emprisonnements et interrogatoires sous le Roi Très Chrétien, Documents biographiques rassemblés et présentés chronologiquement par Dominique Tronc. Étude par Arlette Lebigre. Paris, Honoré Champion, coll. « Pièces d’Archives », 2009, 488 p. [mise en ordre chronologique de pièces de procès incluant les interrogatoires et des témoignages issus de la Vie et de la Correspondance ; ce dossier est précédé d’une synthèse et s’achève sur des témoignages concernant la ‘décennie silencieuse’ vécue à Blois après les prisons.]


 

Le lecteur désireux d’approfondir se reportera à

 

www.madameguyon.fr  ou à

www.cheminsmystiques.fr  ou à

www.cheminsmystiques.com

 

Les trois entrées ouvrent sur un même contenu débordant largement l’oeuvre de madame Guyon.

 

La page « Lire Madame GUYON ! » du menu d’accueil livre un choix de ses textes et renvoie à la page « Téléchargements » (cette dernière est aussi accessible directement du menu d’accueil).

 

On y chargera les sources des Explications (Ancien & Nouveau Testaments), soit les 12 & 8 livres édités au début du XVIIIe siècle par Pierre Poiret rassemblés sous deux fichiers zip : « Le Nouveau Testament avec des explications… » & « L’Ancien Testament avec des explications… »

 

Nous avons distribué leurs contenus (photos double pages.jpeg) par titres de textes sacrés ce qui facilite beaucoup l’exploration thématique.

 

On trouvera par ailleurs sous Google books certains de ces volumes sous fichiers livre.pdf  (parfois première édition Poiret, souvent seconde édition Dutoit).


 

 

 

 

« Quatrième de couverture »

 

Nous découvrirons dans des extraits des Explications de madame Guyon (1648-1717), une façon originale de lire le Nouveau Testament comme témoignages sur les contacts vécus par ses rédacteurs avec l’Inconnaissable, l’Immense, « Dieu » (et ici son médiateur Jésus-Christ). Ils traduisent en effet une expérience intime mystique qui se renouvelle d’âge en âge.

Madame Guyon, restée indépendante vis-à-vis des structures religieuses, affirma une autorité spirituelle auprès de disciples dont le plus célèbre est Fénelon. Devenue suspecte après les condamnations du « Quiétisme », son rayonnement s’exerça après sa mort, principalement hors de France. Sa mémoire fut réhabilitée au siècle dernier.

Elle rend sobrement la primauté de l’expérience sur la croyance, affirmée catégoriquement par tous les spirituels accomplis. Tout en dialoguant librement avec Dieu, elle est prudente vis-à-vis des manifestations particulières ou visibles. Mais elle utilise avec précision son expérience intime pour comprendre le sens profond du texte sacré qui nous montre comment suivre concrètement une voie intérieure. Elle le fait ainsi revivre, en s’appuyant sur son vécu personnel, similaire à celui que transcrivit le rédacteur biblique en images adaptées à son temps. En ce sens, elle s’approche probablement de plus près de l’intention de l’écrivain sacré que ne le font des commentaires modernes souvent anachroniques par leur historicisme.

 

 

 

 

 

 

 

 


 

COLLECTION « CHEMINS MYSTIQUES »

 

1

Madame GUYON  

EXPLICATIONS DU NOUVEAU TESTAMENT

Un choix présenté et annoté par Dominique Tronc

 

2

Madame GUYON  

EXPLICATIONS DE L’ÉCRITURE

(« l’Ancien Testament »)

Un choix présenté et annoté par Dominique Tronc

 

3

CONSTANTIN DE BARBANSON

SECRETS SENTIERS DE L’ESPRIT DIVIN

(Le manuscrit de Paris)

 

En préparation :

CONSTANTIN DE BARBANSON

SECRETS SENTIERS DE L’AMOUR DIVIN

(L’édition de Douai)

L’ANATOMIE DE L'ÂME

 

Madame GUYON  

LETTRES DE DIRECTIONS publiées au Siècle des Lumières

 

Madame GUYON

CORRESPONDANCES AVEC FENELON

Tome I  ÉVEIL MYSTIQUE Octobre 1688 - Août 1689

Tome II  DIALOGUE MYSTIQUE Septembre 1689 – Année 1711


 

 

 



[1] Les rééditions que nous avons assurées sont explicitées en fin du présent volume, voir : « Madame Guyon, Bibliographie 2000-2009 ». Elles ont été précédées par certaines rééditions accompagnées d’études, œuvres  de Jean Bruno, Jean Orcibal, Marie-Louise Gondal, Claude Morali.

[2] « …Notre-Seigneur me fit expliquer toute la Sainte Ecriture. » (Vie par elle-même, Seconde partie, chapitre 21, paragraphe 2 = Vie 2.21.2).

[3] « …je n’avais pas le temps de manger, à cause de la grande quantité de monde qui venait… » (Vie, 2.20.8). 

[4] Vie, 2.20.8 - Ces visiteurs religieux provoquèrent en retour des visites, dont elle se défend, face à dom Le Masson, Général des chartreux. Ce dernier se sentit obligé de porter le contre-feu chez les chartreuses qu’elle attirait trop à son goût (premier autodafé d’exemplaires du Moyen court, le second aura lieu à Saint-Cyr). Madame Guyon précise : «…je n’allais point aux monastères que l’on ne m’envoyât quérir. » (Vie, 2.20.10).

[5] Vie, 2.21.1.

[6] Publié dès 1683.

[7] L’Apocalypse de S. Jean Apôtre... Tome VIII... 1713 : La Conclusion [générale] pp. 409-412  contient : « achevé le 23 de Septembre 1683” [1682 corrigé à la main sur l’exemplaire imprimé des A.S.S.].

[8] Vie 2.21.1.

[9] Vie 2.21.2.

[10] Vie 2.21.3.

[11] Vie 2.21.8

[12] Par ordre du P. Lacombe, son confesseur.

[13] Vie 2.21.3. -  On remarque que les commentaires bibliques qui constituent ou sont inclus dans certains des Discours chrétiens et spirituels ne font pas double emploi. En effet ces derniers commentaires ne sont pas repris des Explications, mais furent élaborés à un âge avancé où l’on devine une maturité achevée (madame Guyon vécut encore trente-trois années après l’achèvement des Explications).

[14] Tractatus theologico-politicus (1670).

[15] Avertissement en tête de l’Ancien Testament, p.49.

[16] Ce qui renvoie à de nombreux passages dont la TOB donne les traductions suivantes : « …le règne de Dieu s’est approché. » (TOB, Matthieu, 10, 7) ; « …le règne de Dieu est arrivé jusqu’à vous » (TOB, Luc 10, 9, accompagné toutefois de la note : « Litt. s’est approché jusqu’à vous. ») ; « …le Règne de Dieu est arrivé. » (TOB, Luc 17, 11) ; enfin Luc 17, 21, « …Le Règne de Dieu est parmi vous ».

[17] TOB, p. 2508, note j).

[18] Explication à la Genèse, ch. XXVI, v. 13, [Tome I, p. 162].

[19] Nous sommes conscients de l’injustice faite au Judaïsme par reprise des termes traditionnels catholiques de « Nouveau » et d’« Ancien » Testaments (au lieu de « Premier » et « Second » Testaments).

[20] M. Chevallier, Pierre Poiret, Bibliotheca Dissidentium, vol. V, 1985 ; éditée par André Séguenny, Baden-Baden, Koerner [bibliographie commentée des nombreuses œuvres éditées par Pierre Poiret, dont celles de Madame Guyon, relevé des ouvrages présents dans diverses bibliothèques européennes]. – Nous utilisons : Le Nouveau Testament de Notre-Seigneur Jésus-Christ avec des explications et réflexions qui regardent la vie intérieure. Divisé en Huit Tomes. On expose dans la préface les conjectures que l’on a touchant l’auteur de cet ouvrage. Vincenti. A Cologne [Amsterdam], chez Jean de la Pierre, 1713.

[21] Des adaptations très partielles existent en anglo-américain, v. « Madame Guyon in America : an annotated bibliography” by P. A. Ward in Bull. of Bibliography, vol. 52, No. 2, June 1995, 107-111.

[22] Nous omettons les paginations quand il s’agit de versets qui peuvent précéder assez largement la partie reproduite de son commentaire. - Nous avons omis certaines précisions entre parenthèses jugées inutiles et très probablement ajoutées par Poiret.

[23] Exceptionnellement apparaissent en italique dans le commentaire des mots ou expressions absents des versets : il s’agit alors de mots soulignés en petites capitales par Poiret, propres au commentaire : « amour », « volonté », etc. (rappels en notes).

[24] La Courte préface de l’Auteur (madame Guyon), qui est précédée d’une Préface générale, possède sa pagination propre, ici [6], et comporte de plus une numérotation des paragraphes, ici 9. Elle précède l’Evangile selon saint Matthieu, dans le tome I relatif au Nouveau Testament.

[25] Nouvelle numérotation pour l’Evangile de saint Matthieu. Elle suite celles propres aux préfaces.

[26] Psaume 90.

[27] Luc, 17, 21.

[28] I Corinthiens, 6, 17.

[29] Centurion romain.

[30] Galates, 5, 10.

[31] Lamentations, 4, 4.

[32] Luc, 17, 21.

[33] Daniel, 14, 38.

[34] Genèse, 2, 7 et Sagesse, 15, 11.

[35] Romains, 7, 15.

[36] Psaume 15, 8.

[37] Matthieu, 6, 24.

[38] Souligné : en capitales dans l’original. Il en est de même par la suite pour l’espérance, la charité

[39] Isaïe, 65,1 : « Ceux qui ne se mettaient point en peine de Me connaître sont venus vers Moi, et ceux qui ne Me cherchaient point M’ont trouvé… »

[40] Galates, 2, 20.

[41] Colossiens, 3, 3.

[42] Galates, 2, 2.

[43] Romains, 1, 11-12.

[44] Sagesse, 10, 10.

[45] Jean, 1, 17.

[46] Luc 17, 21 : « On ne dira point : Il est ici, ou Il est là ; car sachez que le Royaume de Dieu est au-dedans de vous. » (traduction Amelote, 1688).

[47] Cantique, 1, 1.

 

[48] Jean 17, 21-22-23.

[49] « tous » corrigé.

[50] Matthieu, 10, 7 et Luc 10, 9 et 11 - Surtout : Luc 17, 21 (« en vous » est traduit par « parmi vous » dans la TOB avec une note justificative).

[51] Luc, 12, 31.

[52] Matthieu, 6, 31 ; 7, 7 ; 11, 9.

[53] Psaume 8, 3.

[54] Vie, 2.11.6 : «Comme la voie par laquelle Dieu conduisait le Père La Combe était bien différente de celle par laquelle il avait marché jusqu'alors, qui était toute lumière, ardeur, connaissance, certitude, assurance, sentiments, et qu’il le conduisait par le petit sentier de la foi et de la nudité, il avait une extrême peine à s'y ajuster, ce qui ne me causait pas une petite souffrance, car Dieu me faisait sentir et payer avec une extrême rigueur toutes ses résistances. » 

[55] De travers.

[56] Psaume 118, 32.

[57] Cantique, 5, 6.

[58] « langueur » corrigé par Poiret.

[59] Italiques de l’original.

[60] He 3, 6.

[61] Jn 14, 23.

[62] Pr 8, 31.

[63] I Co 6, 17.

[64] II Co 3, 18.

[65] II Co 5, 17.

[66] Jn 1, 15 [Sacy]. « L'autre version met : plus grand que moi. » (Poiret).

[67] Zacharie, 1, 3.

[68] « Les apôtres étant des pierres fondamentales de l'Eglise et de la nouvelle Jérusalem (Ap 21, 14) et saint Pierre étant le premier des Apôtres, il ne faut pas trouver étrange qu'il soit appelé par préférence la pierre fondamentale de l'édifice de l'Eglise et celui sur qui elle est fondée. Voyez saint Cyprien : Lettres 59, 70, 71, 73 et Traité de l'unité de l'Eglise. (Note du pasteur Poiret).

[69] Union de la divinité et de l’humanité en un seul et même sujet.

[70] Lettre à Bossuet, vers le 10 février 1694 : « …L’esprit, en cet état, et la volonté sont si purs et simples que Dieu leur donne telle couleur et tel goût qu’il Lui plaît, comme à cette eau, qui est tantôt rouge, tantôt bleue, enfin imprimée de telle couleur et de tel goût que l’on veut lui donner. Il est certain que, quoique l’on donne à cette eau les diverses couleurs que l’on veut, à cause de sa simplicité et pureté, il n’est pourtant pas vrai de dire que l’eau en elle-même ait du goût et de la couleur, puisqu’elle est de sa nature sans goût et sans couleur, et c’est ce défaut de goût et de couleur qui la rend susceptible de tout goût et de toute couleur. C’est ce que j’éprouve dans mon âme : elle n’a rien qu’elle puisse distinguer ni connaître en elle ou comme à elle, et c’est ce qui fait sa pureté ; mais elle a tout ce qu’on lui donne et comme l’on lui donne, sans en rien retenir pour elle. Si vous demandiez à cette eau quelle est sa qualité, elle vous répondrait que c’est de n’en avoir aucune… »

[71] Romains, 12, 2 ; II Colossiens, 3, 18 ; I Colossiens, 6, 17.

[72] Siracide, 24, 19.

[73] St Macaire, Homélies I, X; XVIII, XLIV [...]  etc. (note Poiret).

[74] Cantique 1, 3

[75] Jean, 1, 4.

[76] Au sens fort : effet d’un art magique qui change l’ordre naturel (1er sens selon Littré).

[77] « A savoir, extérieure ou étrangère. » (note Poiret).

[78] I Corinthiens, 2, 16.

[79] En capitales dans l’original.

[80] Souffrir avec le sens de pouvoir recevoir (Rey). Les apôtres Pierre et Jean illustrent pour madame Guyon les deux sortes de saints définis précédemment.

[81] Isaïe 59, 1 : La main du Seigneur n’est point raccourcie pour ne pouvoir plus sauver, et son oreille n’est point devenue plus dure pour ne pouvoir plus écouter. (Poiret Explic. & Sacy).

[82] Galates, 3,11.

[83] I Corinthiens, 3,13.

[84] Psaume 4,2.

[85] V. 17. (Ainsi qu’il est écrit : Je vous ai fait le père de plusieurs nations ;) à l’exemple de Dieu, à qui il crût, lequel ressuscite les morts, et appelle les choses qui ne sont point comme celles qui sont. (Amelote). - …et appelle à l’existence ce qui n’existe pas. (TOB).

[86] Matthieu, 6,20.

[87] Mort mystique.

[88] Jean, 16, 17.

[89] Discours 1.38, « De la prière parfaite, ou de la contemplation pure » : « …comme une personne tombée dans la mer ne voit plus que la même mer, sans rien discerner de cette mer, ni couleur, ni odeur etc. Il en est ainsi de l’âme perdue en Dieu : elle ne peut plus rien dire de ses dispositions présentes… ».

[90] Psaume 35, 10.

[91] Ou : « un effet ». (note Poiret).

[92] Jean, 17, 23.

[93] Apocalypse, 21, 23.

[94] Jean, 4,34.

[95] Matthieu, 8, 2.

[96] Job,7, 20.

[97] « Sur le chapitre 3, verset 4 ». (Note de Poiret). - « Or Jean avait un habit en poil de chameau, et une ceinture de cuir sur les reins ; et vivait de sauterelles et de miel sauvage. » (Amelote).

[98] Discours 1.17, « Effets de la Foi et de l’Humiliation » : « …Car il est impossible … que l’homme s’élève au-dessus de lui-même autrement que par ce regard de Dieu qui l’attire hors de lui pour Se l’unir et le changer en Soi, c’est-à-dire le transformer en Sa pure et nue lumière … comme lorsque le soleil attire les vapeurs de la terre : plus il les tire hors de la moyenne région de l’air où sa chaleur les avait fait remonter, plus elles deviennent pures, claires et lumineuses jusqu’à ce qu’il les ait assez purifiées pour les faire passer en lui… »

[99] Psaume 103, 30.

[100] Marc, 9, 22-23.

[101] Isaïe, 6, 3.

[102] Cantique 1, 4.

[103] Psaume 38, 6.

[104] Luc, 7, 47 : « C’est pourquoi je vous déclare que beaucoup de péchés lui sont pardonnés, parce qu’elle a beaucoup aimé. Or celui-là aime le moins, à qui il est le moins remis. » (Amelote).