JEANNE DE CHANTAL

 

 

SÉRIE

« JEANNE DE CHANTAL »

 

 

 

 

I

CHOIX D’ÉCRITS MYSTIQUES

RELEVÉS DANS L’ ÉDITION DE 1875

 

II

RECUEIL DES BONNES CHOSES & EXTRAITS DE LETTRES

(Les entretiens du manuscrit de Turin-Verceil suivis d’extraits de la Correspondance)

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

                 Copyright 2014 Dominique Tronc


 

 

 

JEANNE DE CHANTAL

 

 

 

RECUEIL DES BONNES CHOSES

& EXTRAITS DE LETTRES

 

 

 

  Introduction et extraits de la Correspondance par Dominique Tronc

Les Entretiens du manuscrit de Turin-Verceil transcrit par Béatrice Bernard
 


TABLE

RECUEIL DES BONNES CHOSES. 5

& EXTRAITS DE LETTRES. 5

Introduction et extraits de la Correspondance par Dominique Tronc  5

Les Entretiens du manuscrit de Turin-Verceil transcrit par Béatrice Bernard. 5

TABLE.. 7

INTRODUCTION... 13

Contenu de l’ouvrage. 13

Madame de Chantal 15

La Mère de Chantal 16

L’esprit de la Visitation. 25

RECUEIL DES BONNES CHOSES. 29

AVERTISSEMENT.. 32

Entretien 1 (noté 1) 35

Entretien 2 (noté 3) : Du zèle que nous devons avoir de nous perfectionner selon l'esprit de notre sainte vocation. 42

Entretien 3 (noté 25) : De la tranquillité intérieure. 49

Entretien 4 (noté 44) : Sur l'esprit de nos saintes règles, fait aux Novices et aux Professes. 55

Entretien 5 (noté 32) : De l'oraison. 59

Entretien 6 (noté 45) : Sur la perfection. Du dernier document de notre saint Père, de ne rien demander ni rien refuser. 61

Entretien 7 (noté 23) : De notre digne Mère de Chantal. 67

Entretien 8 (noté 39) : Sur la solide fidélité que nous devons avoir à la suite de la grâce, et à l'acquérir par la pratique de la vraie vertu. 74

Entretien 9 (Noté 17) : De notre digne Mère de Chantal, sur l'humilité du grand Saint Augustin, fait le jour de sa fête (1630). 79

Entretien 10 (noté 37) : Ce que notre digne Mère dit, répondant à une Sœur qui lui demandait ce qu'était de se perdre en Dieu. 86

Entretien 11 (noté 31) : Pour le jour du grand saint André, sur le recueillement. 89

Entretien 12 (noté 58) : Comme il faut donner ses suffrages ou voix aux filles, ou comme il faut les leur refuser. 94

Entretien (noté 6) : Autre entretien dans une récréation. 99

Entretien (noté 19) : Autre petit entretien fait à la récréation, sur la vertu de l'humilité. 102

Entretien (noté 29) : Petit entretien sur la vraie simplicité, fait à la récréation. 104

Entretien (noté 22) : Entretien fait à la récréation, sur la complaisance, et sur le bonheur d'être employée aux offices bas. 106

Suite entretien (noté 22) : Demandes s'il se trouve des offices bas en Religion, excellentes consolations pour les Sœurs domestiques. 107

Entretien (noté 41) :   Entretien de notre digne Mère, fait à la récréation, sur la Providence Divine. 109

Entretien (noté 11) : fait à la récréation. 112

Entretien (noté 15) : Entretien où elle raconte un acte d'obéissance qui l’a consolée. 115

Entretien (noté 14) : Entretien fait à la récréation. 118

Entretien (noté 35) : Petits avis sur l'oraison, donnés à la récréation. 122

Entretien : Défi général que notre unique Mère de Chantal donna aux chères Sœurs d'Annecy, l'Avent de l'année 1626. 124

Entretien : Pratiques de la présence de Dieu donné par notre Bienheureuse Mère pour défi. 124

Entretien : Diverses réponses que notre Bienheureuse Mère a fait sur des petits points d'observance. 126

Entretien (noté 55) : Avis pour le jeûne. 129

Entretien : Avis aux Supérieures. 132

Entretien : Avis à une Sœur particulière, touchant les prédications, donnés par cette digne Mère. 135

Entretien : Quelques petites particularités qui regardent cette vénérable Mère de Chantal, et qu'elle a raconté elle-même. 137

Entretien : Comme l'on doit procéder pour la confession des Prétendantes, et plusieurs avis touchant la Directrice et les Novices. 140

Entretien : Ce qu'elle dit une fois à une Directrice. 147

Entretien : Fidèle recueil de plusieurs choses que notre Bienheureuse Mère disait à une novice l'année 1630. Cette novice était notre Mère de Chaugy, et la maîtresse, notre Mère de Lussinge. 149

Une autre fois. 150

Une autre fois, cette Bienheureuse me dit : 150

Une autre fois elle me dit : 151

Une autre fois. 151

Une autre fois. 152

Le matin qu'on tira les voix, elle me dit : 153

Lorsque j'étais en solitude pour la profession, je la priais de ma parler sur les vœux. Elle me répondit ce qui suit. 155

Devant que je fis les vœux, elle me dit : 156

Après la profession, dans ma première rendition de compte : 157

Une autre fois. 157

Pour la première solitude. 157

La dernière fois que je lui parlais avant son départ. 158

Ce que notre unique Mère dit au Noviciat. 158

Entretien (noté 61) : Quelque avis touchant l'observance, donné par notre Bienheureuse à nos Sœurs de la deuxième maison d'Annecy, dans leur commencement. 159

EXTRAITS DE LETTRES. 167

Lettres de Jeanne à François. 169

Lettre 6 à François (1611) 169

Lettre 19 à François (1611-1614) 169

Lettre 75 à François (1616) 171

Lettre 75bis de François de Sales. 172

Lettre 196 à François (1610-1618) 174

Lettre 394 à François, à Annecy (1621) 176

Lettre 417 à François à Annecy. 178

Extraits de Lettres à d’autres correspondants. 181

Lettre 29 à sœur Anne-Marie Rosset, à Annecy. 181

Lettre 46 à Mère Marie-Jacqueline Favre, à Lyon. 181

Lettre 50 aux s. de Châtel et de Blonay. 181

Lettre 64 à Soeur Péronne-Marie de Châtel, à Lyon. 182

Lettre 71 aux sœurs de Châtel et de Blonay à Lyon. 183

Lettre 151 à Mère Marie-Jacqueline Favre à Lyon. 185

Lettre 169 à Mère Péronne-Marie de Châtel à Grenoble. 186

Lettre 229 à M. Anne-Marie Rosset à Bourges. 186

Lettre 344 à s. Marie-Aimée de Blonay à Lyon. 187

Lettre 345 à Mère Péronne-Marie de Châtel à Grenoble. 187

Lettre 400 à sœur Marie-Aimée de Blonay à Lyon. 188

Lettres postérieures à la mort de François. 189

Lettre 630 à dom Jean de Saint-François. 189

Mémoire que la Mère de Chantal adressa à dom Jean de Saint-François concernant sa vocation. 195

Lettre 740 à une supérieure. 197

Lettre 903 aux soeurs de la Visitation. 198

Lettre 911 à  Soeur Péronne-Marie de Châtel, à Annecy. 200

Lettre 931 à Soeur Françoise-Jacqueline de Musy, à Nevers. 203

Lettre 966 à Soeur Anne-Catherine de Sautereau, à Grenoble. 203

Lettre 1011 à Mère Françoise-Marguerite Favrot, à Marseille. 204

Lettre 1243 à Soeur Marie-Aimée de Blonay, à Lyon. 206

Lettre 1247 à une supérieure. 206

Lettre 1248 à M. de la Curne, à Autun. 213

Lettre 1251 à Mère Anne-Thérèse de Rajat , à Arles. 214

Lettre 1253 aux supérieures de la Visitation. 214

Lettre 1255 à Soeur Marie-Aimée de Blonay, à Lyon. 218

Lettre 1256 aux supérieures de la Visitation. 218

Lettre 1271 à  Soeur Anne-Catherine de Sautereau, à Grenoble. 220

Lettre 1307 à Mère Anne-Thérèse de Préchonnet, à Montferrand. 220

Lettre 1324 à Mère Jeanne-Charlotte de Bréchard, à Riom.. 221

Lettre 1357 à Mère Claude- Agnès Joly de la Roche, à Rennes. 222

Lettre 1421 à la princesse de Carignan. 222

Lettre 1599 à Marie-Thérèse de Labeau ( ?) 223

Lettre 1728 au commandeur de Sillery. 224

Lettre 1757 au commandeur de Sillery, à Paris. 225

Lettre 1759 à Mère Marie-Jacqueline Favre, à Paris. 225

Lettre 1760 à Soeur Hélène-Angélique Lhuillier, à Paris. 227

Lettre 1824 à Mère Madeleine-Elisabeth de Lucinge, à Annecy II 228

Lettre 1832 à une visitandine. 228

Lettre 1833 à Mère Madeleine-Elisabeth de Lucinge, à Annecy II 229

Lettre 1854 à Mère Marie-Henriette de Prunelay, à Renne. 229

Lettre 1858 à la même. 230

Lettre 1898 à Mère Marie-Marguerite Michel, à Fribourg. 231

Lettre 1923 à Monsieur Guy Lasnier, abbé de Vaux, à Angers. 231

Lettre 1957 à Mère Anne-Louise Marin de Saint-Michel, à Forcalquier 232

Lettre 1993 à Mère Angélique Arnauld. 233

Lettre 2028 à Mère Angélique Arnauld. 235

Lettre 2040 à Mère Angélique Arnauld. 237

Lettre 2166 à Mère Angélique Arnauld. 240

Lettre 2334 au commandeur de Sillery. 242

Lettre 2366 à Mère Marie-Aimée de Rabutin. 242

Lettre 2376 à Mère Marie-Aimée de Rabutin, à Thonon. 244

Lettre 2391 à Mère Marie-Aimée de Rabutin, à Thonon. 245

Lettre 2437 à  Mère Françoise-Angélique Garin, à Arles. 245

Lettre 2454 à Mère Anne-Marguerite Guérin, à Paris II 245

Lettre 2518 à Soeur Françoise-Madeleine de Chaugy, à Annecy. 245

Lettre 2545 à Mère Marie-Hélène de Chastellux. 246

Lettre 2560 (destinataire inconnu) 246

Lettre 2565 à la Mère de Blonay ( ?) 247

Lettre 2601. 247

Lettre 2602. 248

Lettre 2615. 248

Lettre 2654. 248

Lettre 2661. 248

Lettre 2692. 249

Lettre 2695. 249

Lettre 2705. 251

Lettre 2715. 252

Lettre 2733. 252

Lettre 2774. 253

Quelques archives et imprimés préservés à la Visitation d’Annecy  255

 


 



INTRODUCTION

 

Jeanne de Chantal (1572-1641) remplissait au jour le jour la tâche harassante de fonder des Visitations. Elle n’a laissé aucun écrit structuré pouvant justifier un intérêt littéraire.

Ses écrits recèlent pourtant des passages qui témoignent d’un accomplissement mené à terme par la mystique fondatrice. Il suffit d’extraire ces diamants de leur gangue.

Nous disposons d’une récente édition critique de sa correspondance, mais ce n’est pas le cas pour les autres écrits [1]. Un vaste fonds manuscrit reste disponible.

Contenu de l’ouvrage

Le manuscrit de Turin-Verceil signalé par l’éditeur de 1875 comme la plus excellente des sources des Entretiens a été transcrit sur l’original par Béatrice Bernard au Centre Jean-de-la-Croix.

À cet ensemble de conversations où la Mère de Chantal livre une direction mystique autant qu’ascétique, nous adjoignons des extraits choisis dans la Correspondance. Il s’agit d’attirer le lecteur confronté aux milliers de pages de « lettres d’affaires » qui répondaient aux besoins de multiples fondations.

On regrette souvent la disparition voulue par la fondatrice de ses lettres à François de Sales sans pour autant lire la masse de celles qui suivirent la disparition de cet ami.

Nous perdons alors les diamants enchâssés dans les réponses à des problèmes journaliers. Il s’agit de tel paragraphe destiné à une sœur éloignée pour une nouvelle fondation où en trois mots la Mère de Chantal tient son rôle de conseillère et de directrice mystique. Il s’agit aussi parfois d’un aperçu intime livré à une confidente aimée.

Le lecteur trouvera donc un condensé en deux parties qui souligne l’esprit mystique de la fondatrice des Visitations : près de cinquante Entretiens et pièces diverses qui leur sont associés dans une source excellente, suivis de quatre-vingts extraits sélectionnés en florilège de la Correspondance.

Le fonds préservé à Annecy fait l’objet d’un bref aperçu [2]. Citons enfin la mise à disposition en un volume de la correspondance qui lia Jeanne et François [3].

Présentons maintenant madame de Chantal qui va devenir la Mère veillant sur l’esprit nouveau des Visitations :

Madame de Chantal

Jeanne Frémyot, née à Dijon en 1572 dans une famille  de noblesse de robe, reçut une excellente éducation [4]. Elle fut mariée en 1592 à Christophe de Rabutin, baron de Chantal. La jeune femme fut heureuse en mariage et eut six enfants (mais deux mort-nés). En 1601, son mari, blessé au cours d’une partie de chasse, mourut neuf jours après en lui demandant de pardonner à son meurtrier involontaire. Un chagrin immense la submerge, elle songe au suicide, puis se sentant attirée vers l’intériorité, elle fait vœu de ne pas se remarier et de se consacrer à la charité.

Cherchant désespérément un bon guide, elle rencontre François de Sales à Dijon, le 5 mars 1604. Dans le récit qu’elle en fait, on notera la résistance de François qui attend un signe divin pour prendre la décision de la diriger, puis sa perplexité :

Dans mes perplexités et tourments, j'étais sans secours ni assistance spirituelle […] je suppliai son infinie Bonté avec abondan­ce de larmes qu'il lui plaise me donner un homme qui fut vraiment saint et vraiment son serviteur, qu'il m'enseignasse tout ce qu'il désirait de moi et je lui promettais en sa Face que je ferais tout ce qu'il me dirait de sa part […J

[Elle le rencontre :] Je le priais deux ou trois jours avant son départ de Dijon de m'ouïr en confession, ce qu'il me refusa d'abord croyant que ce fut par curiosité, et me l'accorda après. Or en cette petite confession, Dieu me logea dans son cœur d'une manière extraordinaire, ainsi qu'il me dit après, et de même, je me sentis portée à ses avis incroyablement, mais il me dit que je demeurasse sous la conduite de mon premier directeur et qu'il ne lairrait [continuerait] de m'assister. Je demeurais fort contente de cela.

Le jour qu'il partit, un peu auparavant, il me dit que, me parlant du mouvement intérieur qu'il ressentait pour mon bien, que dès lors qu'il avait le visage tourné du côté de l'autel qu'il n'avait plus de distractions, mais que, dès quelques jours, je lui revenais continuellement autour de l'imagination, non pas, dit-il, pour me distraire, car je n'en reçois point de divertissement […] et par d'autres paroles qu'il ajouta lui donnait à entendre qu'il regardait cela comme chose extraordinaire, par laquelle Dieu le mouvait et incitait à son bien, pour en prendre un soin spécial. Et lui dit pour conclusion, "Je ne sais ce que Dieu veut par là". Ensuite de cela au partir de Dijon il lui écrivit un billet où il n'y avait rien plus que ces paroles: « Dieu ce me semble m'a donné à vous, je m'en assure toutes les heures plus fort, c'est tout ce que je vous puis dire maintenant » [5]. 

      Il devint donc son directeur. Dans leur correspondance des années 1608-1610, on les voit concevoir le projet d’un nouvel ordre religieux, mais il lui demanda de remplir d’abord ses obligations familiales. Après avoir établi ses enfants, elle le rejoignit pour créer le 6 juin 1610, à Annecy, une nouvelle forme de vie religieuse sans vœux solennels ni clôture : les filles de la Visitation, dont le modèle était Marie qui, visitant Élisabeth, lui apporta la joie qui était en elle par son Fils.

La Mère de Chantal

Le développement des fondations obligea la Mère de Chantal à une activité permanente : l’extension des Visitations fut très rapide dans toute la France. Elle déploya une énergie comparable à celle de Thérèse d’Avila. On suivra les péripéties de cette vie épuisante dans la chronologie commentée par l’éditrice de sa Correspondance en fin de chacun de ses six volumes [6].

Des merveilles se découvrent au milieu de multiples affaires courantes que la fondatrice doit régler : on faisait appel à elle sur le comportement à avoir en temps de peste comme sur des points de direction spirituelle. On relève aussi, dans divers écrits non épistolaires, rassemblés dans ses Œuvres, des « dits » admirables dans leur concision et des aperçus profonds sur une vie mystique vécue dans la sobriété, au cœur même d’une intense activité.

Son influence fut très grande : certainement d’abord sur François de Sales, bien qu’il soit difficile de dire qui influença l’autre[7]. Elle marqua tout le siècle, en particulier grâce au récit de sa vie rédigé par la mère de Chaugy[8]. La très jeune Jeanne-Marie Guyon témoignera ainsi du mimétisme exagéré qu’elle inspira chez ses lectrices :

 Tout ce que je voyais écrit dans la vie de Madame de Chantal me charmait, et j’étais si enfant que je croyais devoir faire tout ce que j’y voyais. Tous les vœux qu’elle avait faits [9] je les faisais aussi, comme celui de tendre toujours au plus parfait et de faire la volonté de Dieu en toutes choses. Je n’avais pas encore douze ans, je prenais néanmoins la discipline selon ma force. Un jour que je lus qu’elle avait mis le nom de Jésus sur son cœur pour suivre le conseil de l’Époux : “Mets-moi comme un cachet sur ton cœur” [10], et qu’elle avait pris un fer rouge où était gravé ce saint Nom, je restai fort affligée de ne pouvoir faire de même. Je m’avisai d’écrire ce nom sacré et adorable en gros caractères sur un morceau de papier et avec des rubans et une grosse aiguille je l’attachai à ma peau en quatre endroits, il resta longtemps attaché en cette manière [11]

Par rapport au style prolixe et volontiers poétique de François de Sales, le dépouillement et la sobriété sont les caractéristiques de la Mère de Chantal.  Elle a dépassé les expériences extraordinaires du début de la vie mystique  et veut attirer ses correspondantes vers la nudité de l’union avec Dieu.

C’est l’aspect circonstanciel de ses écrits qui a empêché sa reconnaissance comme une des immenses figures intérieures du siècle. Il est aussi regrettable qu’elle ait détruit la plupart de ses lettres adressées à François de Sales. Nous ne pouvons donner que quelques extraits de son abondante correspondance par ailleurs et de ses opuscules.

Les papiers précieux retrouvés après sa mort livrent la transcription de paroles que François de Sales lui avait adressées après une retraite :

Notre Seigneur vous aime, ma chère Mère, il vous veut toute sienne […] Tenez votre volonté si simplement unie à la sienne en tout ce qui lui plaira faire, de vous, en vous, par vous, et pour vous, et en toutes choses qui seront hors de vous, que rien ne soit entre-deux. Ne pensez plus à chose quelconque de tout ce qui vous regarde, tant pour la vie que pour la mort, car vous vous êtes toute abandonnée et remise aux soins de l'amour éternel que la divine Providence a pour vous; demeurez là en repos, en esprit de très simple et amoureuse confiance, et ceci se doit pratiquer non seulement à l'oraison, où il faut aller avec une grande douceur d'esprit, sans dessein d'y faire chose quelconque, ains [mais] seulement pour être à la vue de Dieu, dans cette simples remise et repos en lui, et comme il lui plaira, se contenter d'être à sa présence, encore que vous ne le voyiez, ni sentiez, ni sauriez représenter, et ne vous enquérez de lui, de chose quelconque, sinon à mesure qu'il vous excitera. Ne retournez nullement sur vous-même, ains soyez là près de lui; non seulement, dis-je, il faut pratiquer cette simplicité et abandonnement en l'oraison, mais en la conduite de toute la vie, rejetant et délaissant toute votre âme, vos actions, vos succès, vos affaires au bon plaisir de Dieu et à la merci de son soin : il faut tenir l'âme ferme dans ce train. (II, p. 62-63) [12].

Elle suivra ces instructions à la lettre, parfois avec difficulté comme elle l’écrit en 1637 à la mère Angélique Arnauld, se tourmentant de n’avoir pas accès à un état stable :

[…] nonobstant ce peu de calme, la croix est toujours là, si je la voulais regarder elle ne me donnerait guère de trêve. Depuis ma dernière lettre, j'en ai eu de rudes atteintes et des pensées qui sont autant de dards qui me transpercent le coeur, et suis si fort liée quelquefois que je regarde cela, que je ne puis aller ni avant ni arrière.

Cependant j’ai grande expérience et souvent une claire lumière que Dieu ne veut de moi que ce seul unique et très simple regard en Lui, mais sans aucun mélange d’aucun acte ni discours quelconques, sinon qu’Il m’y excite […] [Et pourtant] je ne vois ni ne peux rien voir ni regarder des choses de Dieu ni en avoir goût, sinon quelquefois en certaines lectures.

Dans la même lettre, elle dit son admiration envers la sœur Anne-Marie Rosset et son regret d’être engloutie par les occupations :

Nous avons une sœur céans qu’il y a bien vingt-quatre ans qu’elle chemine dans une voie de si grand dénuement que jamais elle n’a ni lumières ni pensées sur aucun mystère ni sur choses quelconques, et, s’il lui en venait, elle dit qu’elle pense qu’elle s’en détournerait pour tenir, comme elle fait, son esprit très simplement arrêté en Dieu. Et est si fidèle en cet exercice qu'elle est toujours là, ou du moins, rarement et courtement est-elle distraite, que sitôt qu'elle s'en aperçoit elle se remet là. Jamais non plus, elle n'est portée à rien demander à Notre Seigneur, ni rien désirer ni s'unir ni faire aucun acte de quoi que ce soit, ni ne pense à en faire ni si elle en doit faire, seulement, elle se prosterne le matin comme pour faire un acte d'adoration que notre Bienheureux Père lui a dit de faire, avec quelque oraison jaculatoire, pendant les octaves des grands mystères. Elle le fait sans goût ni se divertir de sa simple attention et, de même, entend les sermons et ses lectures sans autre attention que de retenir quelque chose pour l'entretien d'après vêpres. Au bout, c'est une âme totalement fidèle à la suite du bien et exacte à la moindre plus petite observance.

Feu notre bonne Mère supérieure [Péronne-Marie de Châtel]  me disait que Notre Seigneur faisait cheminer cette fille devant moi pour me donner lumière à ce qu'il m'attirait et voulait de moi. Certes, il m'a toujours été impossible d'avoir cette continuelle attention parmi les occupations, j'en ai de tant de sortes et si continuelles, que je ne puis m'empêcher d'y mettre mon attention ; Notre Seigneur me laissant tout l'esprit fort libre pour m'y appliquer nonobstant toutes mes peines intérieures. Et vais toujours mon train pour l'extérieur, sans voir comment, pour ce qui est de mes exercices spirituels… (L. 2040)  

Elle avoue pourtant être dans l’oraison passive depuis fort longtemps :

Vous m'avez donné un bon sujet de confusion de m'avoir demandé mon oraison. Hélas ! ma fille, ce n'est que distraction et un peu de souffrance pour l'ordinaire; car que peut faire un pauvre chétif esprit rempli de mille sortes d'affaires, que cela ? Et je vous dis confidemment et simplement que, il y a environ vingt ans, Dieu m'ôta tout pouvoir de rien faire à l'oraison avec l'entendement et la considération ou méditation, et que tout mon faire est de souffrir et d'arrêter très simplement mon esprit en Dieu, adhérant à son opération par une entière remise, sans en faire les actes, sinon que j'y sois excitée par son mouvement, attendant là ce qu'il plaît à sa Bonté de me donner. Voilà comme je satisfais à votre désir, mais à vous seule ces trois dernières lignes; quand nous nous verrons, nous dirons le reste, si Dieu le veut. (L. 2602)

J’ai eu cette vue que Dieu veut que j’aille à Lui de toutes choses, très simplement et droitement sans entremise de chose quelconque, et que je me contente de ce très simple regard en Lui, sans aucun acte, mais par un absolu et entier abandonnement de tout ce que je suis et de toutes choses à sa sainte volonté, demeurant dans un repos d’amoureuse confiance en son soin paternel pour tout ce qui me concerne, sans réserve, lui laissant vouloir pour moi, et faire tout ce qu'il lui plaira et de toutes choses, sans que jamais je me veuille arrêter volontairement à regarder ce qui se passe en moi, ni à chose quelconque. Mais je me tiendrai en lui, le regardant et le laissant faire, acquiesçant simplement à tout ce qu’il lui plaira, avec l’aide de sa grâce… (II, p. 24).

Elle ne se lassera pas d’appeler ses filles au dépouillement total, à la simplicité du regard en Dieu et à la passivité absolue devant l’action de la grâce :

Ma très chère fille, ne vous détournez jamais de cette très solide et très utile voie de la sainte simplicité en laquelle Dieu vous a mise. Et je remercie sa Bonté d’avoir voulu, avec sa divine lumière, confirmer ce que je vous en avais écrit. Demeurez donc invariable en cette résolution, quoique vous entendiez dire des merveilles des autres voies. Laissez-les suivre à qui Dieu les donne, et suivez toujours la vôtre. Car cette unique simplicité et très simple unité de présence et abandonnement en Dieu les comprend toutes et d’une manière très excellente […]

Dieu vous a soustrait les vues et sentiments de ses richesses pour un temps, à ce que je vois. J’en suis consolée, car c’est chose très utile et même nécessaire, de passer par cette étamine[13]. Vous en avez expérimenté les fruits qui sont la connaissance de votre impuissance et misère, une plus grande pureté et nudité d’esprit.  Dieu, par un amour très grand, vous dépouillant des affections et sentiments plus désirables et spirituels, afin que Ses dons n’occupent pas nos cœurs, mais lui seul et son bon plaisir. […] Je crois donc que l’âme qui est réduite dans cette extrême impuissance, ténèbres et insensibilité, se doit contenter de se laisser très simplement à la merci de la miséricorde de Dieu par un très simple acquiescement à tout ce qu’il lui plaira faire d’elle,  sans le vouloir même sentir, ni en faire l’acte ; mais par un simple regard en Dieu, de la suprême pointe de l’esprit, qui ne veut résister en rien à Dieu, mais consent à tout ce qu’il lui plaît. Et faut se contenter du même simple regard à la rencontre du mal, ne lui résistant qu’en lui déniant le consentement de l’acte. Or sus, ma très chère fille, il faut absolument retrancher toutes sortes de réflexions sur ce qui se passe en vous… (L. 1599)

 Il ne s’agit pas d’ascétisme : ce serait tourner en soi-même. On ne livre pas bataille, ce serait rester dans l’horizontalité du moi. La solution est toujours d’appeler la grâce en préférant  l’amour à tout :

Le remède que je vous donne pour toutes sortes de tentations, peines, afflictions, sécheresses et contradictions, c’est les actes d’amour, retournant promptement et simplement votre cœur à Dieu […] Ne vous efforcez point de vaincre les tentations, car cet effort les fortifierait …  (L. 1421)

Loin d’une voie héroïque, c’est une voie de douceur, réaliste et modérée. Jeanne se sert d’une comparaison avec une tempête sur le lac d’Annecy pour expliquer comment on traverse les difficultés intérieures :

[…] il nous faut faire comme nos grangers ont fait au­jourd'hui sur leur bateau qui conduisait notre blé sur le lac. Ils se sont trouvés subitement en un très grand péril ; dans un instant ils ont vu s'élever une violente tempête qui allait sans doute les submerger avec le bateau et tout ce qui était dessus. Hélas ! qu'ont-ils fait ? Ils ne se sont pas opiniâtrés de vouloir prendre le droit fil de l'eau en traversant ces grosses ondes ; non, ils se seraient perdus faisant de la sorte ; mais ils ont très sagement conduit leur barque, tout doucement, au rivage, et ont suivi les petites ondes ; par ce moyen ils sont arrivés, en évitant l'orage et non en le combattant. (II, p. 237, Entretien VI)

Demeurez en une très simple unité et unique simplicité de la présence de Dieu, par un entier abandonnement de vous-même en sa très sainte volonté ; et toutes les fois que vous trouverez votre esprit hors de là, ramenez-l’y doucement, sans faire pour cela des actes sensibles de l’entendement ni de la volonté. (I, p. 63)

Nue et sans vertu je suis venue au monde, et sans vertu quelconque je me remets, mon Dieu, entre vos mains. Dites cela, ma fille, et quand vous verrez que votre esprit se voudra revêtir de ce qu’il s’est dépouillé, ne faites autre chose que de le retourner simplement à son Dieu, ne voulant que lui seul … (L. 2615)

      Il faut passer au-delà de tous les états et de la multiplicité des expériences, dans la simplicité sans « goût », s’oublier soi-même dans un abandon total à la « divine bonté » :

… il ne faut faire aucune réflexion sur ce qui se passe en vous, pour voir ou connaître ce que c’est. Soyez, mon cher enfant, comme un vaisseau vide devant Sa divine bonté, pour recevoir ce qu’il Lui plaira de vous donner, et ne permettez jamais à votre esprit aucun retour ni réflexion sur vous-même ni sur ce qui se passe en vous.

… cette véritable humilité […] ne veut aucune excellence que d’être sans excellence, que celle […] de dépendre totalement du bon plaisir de son Dieu, ne recherchant en toutes choses que sa seule gloire ; car c’est le caractère des filles de la Visitation.  (L. 903)

Oh !  Que nous serons heureuses, ma vraie fille, quand nous nous serons entièrement oubliées. (L. 1255)

Jetez-vous et toutes vos misères et vos intérêts et affections, dans le sein de la bonté de Dieu, vous laissant gouverner à sa Providence et à l’obéissance, et cela  à yeux clos, sans permettre à votre esprit de regarder où il va ; mais allez toujours, ne regardant que Dieu et la besogne qu’Il vous présente dans chaque occasion et moment, pour la faire fidèlement avec la pointe de l’esprit sans vous amuser à vos sentiments ou dissentiments et répugnances … (L.1271)

Ma très chère fille, vivez au-dessus de vous-même et toute en Dieu. (L. 2454)

En cela, elle suit le conseil donné par François de Sales :

Nous ne devons jamais vouloir autre chose, sinon ce qui nous advient de moment en moment, recevant tout de la pure ordonnance et disposition divine. (II, p. 47, Questions)

Tout converge sur l’amour, à bien distinguer d’un sentiment ou d’un « goût » humain :

Toujours en cette nudité et simplicité ; il n’y a rien au-delà... « Aime et fais tout ce que tu voudras », dit Saint Augustin. Aimons donc... toute la perfection est là. (L. 2565)

S’il était en mon pouvoir d’avoir des sentiments, je sais bien que je brûlerais toute de l’amour de Dieu et de l’amour du prochain ; or Notre Seigneur ne les a  pas mis en notre pouvoir. Les sentiments ne sont pas nécessaires à la perfection et à notre salut ; sa divine Majesté les donne à qui il lui plaît. C'est le Maître qui fait ce qu'il veut. (II, p. 233, Entretien V).

Jamais nous ne savourerons les douceurs de la familiarité de l'âme avec son Dieu, que lorsque nous serons déterminées à suivre et que nous suivrons au péril de toutes nos inclinations, affections, habitudes et propensions, tout ce qui nous est marqué, qui n'est autre que l'amortissement de la nature, le mépris du monde et la vraie fidélité à Dieu. Ce ne sera pas sans peine, mais là où il y a de l'amour, il n'y a point de travail ; et d'ailleurs un moment de la jouissance intérieure de Dieu vaut plus que tous les plaisirs que la propre volonté nous ferait jamais goûter ensuite de nos inclinations. (II, p. 197-8, Exhortation XIV).

Le renoncement est total entre les mains de Dieu et elle est très radicale quand elle affirme ce chemin court et direct :

[…] ma très chère fille, il faut passer à la totale résignation et remise de nous-mêmes entre les mains de notre bon Dieu, rendant votre chère âme et celles que vous conduisez, en tant qu'il vous sera possible, indépendantes de tout ce qui n'est point Dieu, afin que les esprits aient une prétention si pure et si droite qu'ils ne s'amusent point à tracasser autour des créatures, de leurs amitiés, de leurs contenances, de leurs paroles, mais sans s'arrêter à rien de tout cela ni à chose quelconque que l'on puisse rencontrer en chemin, l'on passe outre en la voie de cette perfection dans l'exacte observance de l'Institut, ne regardant en toutes choses que le sacré visage de Dieu, c'est-à-dire son divin bon plaisir. Ce chemin est fort droit, ma très chère fille, mais il est solide, court, simple et assuré, et fait bientôt arriver l'âme à sa fin qui est l'union très unique avec son Dieu. Suivons cette voie fidèlement […] (L. 966)

Ayant tout laissé derrière elle, elle ne désirait plus depuis longtemps que s’abandonner à la Présence silencieuse. Voici un extrait des papiers intimes que l’on a retrouvés sur elle à sa mort et qu’elle ordonna de mettre dans son cercueil :

Dieu m’a fait voir, ce matin, en l’oraison, que je ne me dois plus du tout voir ni regarder, mais lui seul, cheminant à yeux clos, appuyée sur mon Bien-Aimé Jésus, sans vouloir voir ni savoir le chemin par où il me conduira, ni non plus avoir aucun soin de chose quelconque, non pas même de lui rien demander, mais demeurer simplement toute perdue et reposée en lui, en ce très pur regard, sans mélange d’autre chose. (II, p. 65, 6e papier). 

Dans une enveloppe se trouvaient deux papiers, l’un écrit par François de Sales, l’autre par elle-même et dont nous tirons ce court passage :

N'exceptant ni réservant aucune chose, rien, rien, rien du tout, ains de toutes mes forces, de toutes mes affections, de toute mon âme et de tout mon cœur, je m'abandonne, je me consacre et sacrifie, absolument, entièrement, et irrévocablement à votre très sainte, très-adorable et très-aimable volonté, afin que tout ainsi qu'il lui plaira elle fasse de moi, pour moi, et en moi, son bon plaisir… (II, p. 51, Papiers intimes, 1er Papier de notre bienheureuse Mère).

L’esprit de la Visitation

La mère Françoise-Madeleine de Chaugy[14] fut l’historienne de l’Ordre naissant et nous est fort précieuse pour décrire l’esprit qui animait Jeanne de Chantal et François de Sales dans la fondation de la Visitation. Elle raconte combien la nouvelle forme de vie instituée le 6 juin 1610 « est marquée par la simplicité. La clôture est modérée. Les sœurs peuvent sortir pour visiter des malades… les femmes peuvent entrer en clôture pour faire quelques jours de retraite… » Malheureusement, contre l’esprit des fondateurs, à partir de 1618, l’ordre devint cloîtré par ordre du Pape. Jeanne se battit lors de la transformation de ce premier projet, car « il fâchait à notre Bienheureux Père [François] de changer la simplicité de sa petite congrégation ». Elle veilla donc à consolider l’œuvre par des Constitutions et un Coutumier. Le problème était important, car à sa mort en 1641, 87 monastères avaient été fondés.

Y régnait, avant toute influence du dernier jansénisme, une vie mystique où « l’amour est le commencement, le moyen et la fin de la vie spirituelle », où « les vertus ne sont que des modalités de l’Amour »[15], où les décisions ne sont prises qu’en écoutant les mouvements de la grâce   :

L’esprit de sagesse et de prudence humaine doit être tout à fait banni de la Congrégation de la Visitation, car il la détruirait, et particulièrement en ce qui est de l’élection des Supérieures, et des Sœurs aux principales charges du Monastère[16].

L’abbé Boudon (1624-1702), lui-même mystique, résume bien la voie simple et directe, sans ascèse corporelle, recommandée par la Mère de Chantal :

L’attrait quasi universel des filles de la Visitation est d’une très simple présence de Dieu, avec un don et transport en lui de tout ce qu’elles sont, sans aucune exception, et un entier abandonnement d’elles-mêmes à sa sainte providence, et je pourrais bien dire sans quasi, car vraiment j’ai reconnu que toutes celles qui dès le commencement s’appliquent à l’oraison comme il faut sont attirées d’abord. Enfin je tiens que cette manière d’oraison est essentielle à notre petite congrégation, ce qui est un très grand don de Dieu, et qui requiert de nous comme une reconnaissance infinie. ». […]  [elle] estimait que la contemplation […] était une chose fort ordinaire […] qu’on la devait conseiller presque généralement […] que l’attrait que Dieu en donne y est quasi universel [17].

La direction de Jeanne, à la fois ferme et encourageante, s’appuyait sur l’amour :

Dieu vous a logée dans mon cœur, ma fille : rien ne vous en saurait déplacer. (L. 931)

Mon cœur est invariable en l’amour qu’il a pour le vôtre, duquel je connais très distinctement la voie où Dieu l’a mis depuis le commencement. Elle est si solide, et tellement de Dieu, que jamais il ne faut recevoir aucun avis contraire ; et vous faites bien de n’en guère parler. (L.2715)

Ses filles devenues mères supérieures des nouvelles fondations devaient agir dans ce même esprit :

Ayez un soin tout maternel de vos filles. En toutes leurs nécessités, penchez du côté de la douceur et du support ; tenez leurs esprits joyeux, et, pour cela, conservez-leur une sainte liberté aux récréations, ne les y reprenant ni leur disant rien qui les mortifie, sinon qu'il fût bien nécessaire. (L. 2518)

      Les supérieures doivent veiller à ce que l’amour de charité lie les soeurs entre elles dans la communauté, et non une amitié d’origine humaine :

Vous devez par tous les moyens que vous pourrez tenir vos filles fort unies à vous, mais d’une union qui soit de pure charité […] Tenez-les fort unies par ensemble et avec estime l’une de l’autre, ce que vous ferez efficacement par l’amour et l’estime que vous témoignerez d’en avoir vous-même par vos paroles et actions ; mais amour général envers toutes, les aimant également, sans qu’il paraisse aucune particularité. (L.1247)   

Dans ses Réponses[18] à ses dirigées, le ton est fort pratique. Il s’agit

de remettre fréquemment notre esprit en Dieu ; et quand nous y manquerons, il s’en faut humilier, et de l’humilité aller à Dieu, et de Dieu à l’humilité ; et surtout nous devons toujours aller à Dieu et nous confier en lui, comme un enfant fait à sa mère. [37]

Il y en a qui ne peuvent souffrir qu’on dise que les tentations viennent d’elles-mêmes, et de leur amour-propre ; ains [mais] voudraient que l’on jetât la faute sur le diable, lequel bien souvent n’y pense pas. [128]

Oui, c’est contre cet article, de s’empresser à ce que l’on fait. Cela suffoque l’esprit d’oraison, empêche de retourner fréquemment son esprit à Dieu, et de nous tenir en sa présence… [177]

Non, je vous assure, ma très chère Fille, qu’il ne se faut point porter de soi-même à ces oraisons d’admiration, de complaisance et de bienveillance. Il faut attendre que Dieu nous excite à cela, et alors suivre son attrait avec humilité et fidélité. Nous pouvons bien faire fort simplement et doucement des actes de confiance, d’admiration, et d’union de notre âme avec Dieu ; mais d’en avoir l’oraison, c’est à Dieu seul de nous la donner. [480]

… plus je vais en avant, et plus clairement je reconnais que Notre Seigneur conduit quasi toutes les Filles de la Visitation à l’oraison d’une très simple unité, et unique simplicité de présence de Dieu, par un entier abandonnement d’elles-mêmes à sa sainte volonté, et au soin de sa divine providence. [517]

Marchez donc dorénavant, mes très chères sœurs, avec une très humble assurance, dans cette voie divine ; et n’y apportez aucune façon ni industrie, que de suivre très simplement et fidèlement l’attrait de Dieu […]  retranchant toute réflexion sur le passé, sur le présent, et sur l’avenir […] unissant leur esprit à sa bonté, en tout ce qui arrive de moment en moment, et cela fort simplement. Il faut que je dise encore ceci.

C’est qu’il arrive souvent que les âmes qui sont en cette voie, sont travaillées [521] de beaucoup de distractions, et qu’elles demeurent sans appui sensible […] de sorte qu’elles demeurent dans une totale impuissance et insensibilité, bien que quelquefois moins. Cela étonne un peu les âmes qui ne sont pas encore bien expérimentées : mais elles doivent demeurer fermes et se reposer en Dieu par dessus toute vue et sentiment […] sans voir ni vouloir voir ce qu’elles font ni doivent faire : mais par-dessus toute leur voie et propre connaissance, elles doivent avec la pointe suprême de leur esprit se joindre à Dieu, et se perdre toutes en lui, trouvant par ce moyen la paix au milieu de la guerre, et le repos dans le travail. Bref, il se faut tenir en l’état où Dieu nous met.

Dans une lettre, elle résume l’esprit de la Visitation :

L'es­prit de sa[19] petite Congrégation est un esprit de douceur, de petites­se, de simplicité et pauvreté, et ne s’en faut point départir, ains [mais] y assujettir tellement nos inclinations qu'elles nous portent même au mépris du monde et de nos propres intérêts, et que la douceur et l'humilité surnagent toujours en nos paroles et actions. (L.740 A une supérieure, Chambéry, 8 décembre 1624)   


 

 

 

RECUEIL DES BONNES CHOSES


 

 

 

 

 

 

  Premier feuillet recto du manuscrit « Recueil des bonnes choses… »

 

 


 

 

AVERTISSEMENT

 

 

Les entretiens sont au nombre de 74 dans l’édition de 1875 contre une trentaine (auxquels s’ajoutent des pièces diversement intitulées) dans le manuscrit de Turin-Verceil (aujourd’hui Vercelli à environ 70 kilomètres de Turin).

Les deux ordres diffèrent. Pour cette raison les numéros d’Entretiens propres à l’édition de 1875 sont indiqués entre parenthèses : «  (noté n°) » dans la Table des matières placée en tête du présent volume.

Rappelons ici l’information concernant notre source livrée par l’éditrice du tome II de 1875 :

« Nous avons dit plus haut comment ces Exhortations et ces Entretiens ont été recueillis; comment il a été permis de combler les lacunes que présentent les rédactions qui en furent faites; comment, au moyen de ces rédactions, di­verses pour l'étendue, mais à peu près identiques dans la reproduction des passages parallèles, on a pu reconstituer les instructions données par la zélée Fondatrice aux premières religieuses de la Visitation. [ il s’agit donc d’une édition ‘contaminée’ ].

Signalons, en passant, une pièce qui a été pour cela d'un grand secours : nous vou­lons parler d'un manuscrit provenant de l'ancien monastère de la Visitation de Verceil (Piémont). Ce manuscrit, beau­coup plus correct et complet que tous ceux qui circulent aujourd'hui dans les monastères, fut donné, paraît-il, aux Sœurs de cette ville par les fondatrices de la Visitation de Turin, qui l'avaient apporté d'Annecy, en 1638. »

L’édition de 1875 tire parti de plusieurs manuscrits, mais ne détaille pas les sources par pièce. Il restera à comparer le ms. 9 de Turin-Verceil au ms.12 d’Annecy, « ‘très précieux’ Recueil des principales choses »… Enfin les titres sont parfois modifiés.

§

Pour les deux premiers Entretiens nous indiquons les variantes relevées entre le manuscrit et l’édition de 1875.

Sur le premier on observe des écarts sensibles et diverses variantes traduisent l’esprit de la fin du XIXe siècle.  Le second Entretien est lui très fidèle à notre manuscrit.

Le premier Entretien n’a probablement pas eu le manuscrit Turin-Verceil pour première source (la variante « des oiseaux de proie s’abattirent sur les chairs des victimes » ne s’invente pas ; le dernier paragraphe est un ajout). Par contre le second Entretien lui est très fidèle.

Les transcriptions seraient faites par des mains différentes sur des sources distinctes. La première main s’adapte à une époque ascétisante, la seconde est respectueuse du manuscrit et n’introduit que des variantes mineures. Elles sont justifiées et ne défigurent pas l’esprit de la fondatrice . Des sondages confirment la bonne fidélité de l’édition 1875 même si les critères actuels d’édition ne sont pas respectés.


 


RECUEIL DES BONNES CHOSES

 

QUE NOTRE BIENHEUREUSE MÈRE NOUS A DIT À LA RECREATION SUR DES QUESTIONS QU'ON LUI A FAIT.

 

Entretien 1 (noté 1)

Comme[20] il faut faire pour réformer l'âme, dites-vous, ma très chère fille ? Il faut se bien connaître soi-même, son néant, sa bassesse, sa vileté et son rien. Si notre entendement est rempli de cette vérité, nous verrons clairement qu'il y a beaucoup de défauts, d'imperfection, et beaucoup de choses à réformer en nous, que véritablement nous sommes remplies de misères et pauvreté ; car, si nous avons quelque chose qui soit à nous, c'est la misère et les manquements que nous commettons. Or donc, si cela est, comme il est très certain, avons-nous de quoi nous estimer et faire état de nous ? Non, véritablement ma fille, qu'étions-nous, il y a[21] trente ans ? Vous n'étiez rien, Dieu vous a donné l'être, mais néanmoins, vous n'êtes et ne vous devez pourtant estimer rien, parce que si Dieu se retirait de vous, vous retourneriez dans le rien. Nous[22] sommes comme un oiseau qui n'a point d'ailes pour voler, et qui n'a point de pied[23] pour marcher. Nous ne pouvons pas seulement prononcer le nom de Jésus sans une assistance particulière de Notre Seigneur ; c'est l'Apôtre qui le dit, et non seulement pour les choses spirituelles, nous ne pouvons rien de nous-mêmes, mais encore pour les temporelles, car nous ne pouvons pas ni travailler, ni nous remuer, ni faire chose quelconque, sans le concours de Dieu. Si David[24] s'estimait un chien mort et une puce, lui qui était Oint de notre Seigneur, qui était selon le Cœur de Dieu, hélas, que devons-nous dire, nous estimer nous autres ! À plus forte raison, devons-nous penser que nous ne sommes qu'un chien mort, qu'une puce, voire, moins que [2] cela. Or, tenons-nous donc fermes en cette connaissance de ce que nous sommes, et passons encore plus avant, en aimant et nous réjouissant de ce que l'on nous tient et traite comme cela. C'est ici l'importance de le faire, où il y va du bon. C'est la souveraine pratique que celle-ci, d'aimer[25] notre abjection, de bien aimer qu'on ne tienne point de compte de nous, que l'on nous laisse là comme une personne inutile qui n'est propre à rien, et qui n'est digne d'aucune considération.

Mais voici encore d'autres pratiques qu'il nous faut tâcher de faire ; c'est que lorsqu'il se présente[26] quelque occasion de faire quelque bien et[27] pratiquer quelque vertu, il faut reconnaître notre impuissance et que nous ne pouvons rien de nous-mêmes, de sorte qu'il ne faut rien attendre de nous, mais oui bien de Dieu et de sa grâce, laquelle il nous donnera infailliblement, tellement, qu'il faut dire hardiment avec saint Paul : « Je puis tout en celui qui me conforte ». Et si nous faisons quelque chose de bien, il faut soigneusement tout rapporter à Dieu, car la gloire lui en appartient ; et quand nous serons tombés en fautes, et que nous aurons bronché en notre chemin, il ne faut en aucune façon nous en étonner, mais nous en humilier tout doucement devant Dieu, lui disant : « Hé ! Seigneur, voilà ce que je sais faire, voilà ma pauvreté et misère, voilà ce que je suis : qu'un néant, une faible et infirme créature. » Je ne dois pas attendre aucune chose de moi, qu'infirmité, imperfections et défauts. Enfin[28], l'humilité est la réparatrice de tous nos maux. Il faut donc bien prendre garde qu'elle ne nous manque jamais, car si nous ne l'avons pas, nos affaires iront bien mal, et notre perfection demeurera en arrière.

Pendant que notre Bienheureux Père vivait, il y avait une Sœur, laquelle s'affligeait grandement quand elle avait commis quelque manquement ; il lui semblait qu'elle ne pourrait jamais s'amender ni s'empêcher de faillir, de sorte que, quand elle lui parlait, elle pleurait fort sur ce sujet ; et un [3] jour, en me parlant d'elle, il me dit : « J'ai considéré les larmes de cette bonne Sœur ; je vis clairement qu'elles procédaient d'amour propre, et que toutes nos enfances et niaiseries, et tous les étonnements que nous avons de nous voir tomber en des imperfections, ne viennent que de ce que nous nous oublions des maximes[29] des saints : qu'il nous faut tous les jours commencer ». Il dit à une autre personne, ce bienheureux, qu'elle regardât que c'est bien d'avoir des imperfections, afin de ne se pas étonner de ce qu'elle en avait ; que si elle regardait aussi que les autres faisaient des fautes, elle ne s'étonnerait pas d'en faire elle-même. Or sus, nous devons penser et croire que les autres sont meilleurs que nous, et néanmoins ils tombent bien en des défauts ; pourquoi penserions-nous d'être exemptes d'en commettre et de tomber ?

À la vérité, mes chères filles, c'est par faute[30] de nous bien connaître, que nous nous étonnons de nous voir défaillantes, car nous présumons tant de nous, que nous en attendons quelque chose de bon, et nous nous trompons ; et Notre-Seigneur même permet que nous tombions quelquefois bien lourdement, afin que nous nous connaissions de nous-mêmes. Non, ma chère fille, cette connaissance de nous-mêmes ne consiste point au sentiment, ni à en faire des  grandes considérations, mais à le croire comme étant une vérité de foi ; je veux dire que nous devons croire, en la pointe de notre esprit, avec une grande certitude de foi, que nous ne sommes rien, que nous ne pouvons rien, que nous sommes faibles, infirmes, fragiles et imparfaites, remplissant notre entendement de cette croyance, et affectionnant notre volonté à aimer notre pauvreté et misère. Or sus, voilà comme il faut, à mon avis, commencer la réformation de l'âme, par la connaissance de soi-même et par la confiance en Dieu : la connaissance de nous-mêmes nous fera voir beaucoup de choses en nous, pour nous en corriger et réformer, et que, néanmoins, nous n'en pourrons venir à bout de [4] nous-mêmes ; et la confiance en Dieu nous fera espérer que nous pouvons tout en Dieu, et qu'avec sa grâce, toutes choses nous seront possibles et faciles.

Après cela il se faut exercer[31] en l'oraison et en la mortification, car ce sont les deux ailes pour voler à Dieu : l'une soutient l'autre ; j'en reviens toujours là, l'oraison et la mortification. Il faut donc que la directrice rende les novices fort affectionnées à ces deux maximes, qu'elle les rende amoureuses du recueillement, et que même elle leur lise quelquefois les chapitres du Chemin de perfection de sainte Thérèse, qui en parle ; et j'approuve[32] fort que l'on fasse lire ce livre aux novices, car il est bien utile, et les peut bien aider et exciter à l'amour de ces deux vertus, de mortification et oraison. Il n'y a que cela à faire : se bien mortifier et se bien tenir proche de Dieu.

Il y a des âmes que Dieu élève en l'oraison avant qu'elles aient pris un bon fondement en la mortification ; c'est peut-être parce qu'il les reconnaît si faibles, que, s'il ne leur donnait ces suavités, elles ne feraient rien qui vaille, et n'auraient pas le courage de persévérer et s'exercer en la vertu. Quand l'oraison est fondée sur la mortification, c'est un beau bien assuré[33] ; et certes, il lui faut toujours donner ce fondement, soit devant, ou après d'être élevé ; néanmoins, la voie ordinaire, c'est après que l'on s'est bien, à bon escient, exercé et adonné à la mortification, que Notre Seigneur nous donne ces grâces[34].

[Il] ne faudrait pas vous[35] mettre en peine et penser qu'il y a de votre[36] faute, et si votre oraison ne serait pas inutile et désagréable à Dieu ; non[37], ma chère fille, pourvu que vous ayez été fidèle ; et je vous vais donner un exemple qui vous le fera bien entendre, c'est du bon Abraham ; je l'aime grandement, ce grand patriarche, et par inclination. Donc Abraham présentait souvent à notre Seigneur des sacrifices et holocaustes. Un jour, comme il lui en sacrifiait un, il vint une grande quantité de mouches sur son sacrifice ; voyant[38]
cela, il prit une baguette et les chassa le mieux qu'il put, sans se lasser. Cela dura tout au long de son sacrifice, lequel étant achevé, il se plaignit à notre Seigneur, lui disant : « Hélas Seigneur quel sacrifice vous ai-je offert, lequel a été [5] tout plein de mouches ». Il pensait enfin que ces mouches eussent empêché que son sacrifice n'eût pas été agréable à Dieu. Mais notre Seigneur lui donna à entendre qu'il lui avait été agréable, car il lui demanda si ces mouches ne lui avaient pas déplu, si ce n'était pas contre son gré, et s'il n'avait pas tâché de les chasser et fait ce qui était en son pouvoir ; il lui répondit que oui. C'est pourquoi notre Seigneur l'assura que son sacrifice n'avait laissé de lui être agréé et qu'il avait été bon. De même, quand nous sommes en l'oraison[39], encore que nous y ayons quantité de distractions, qui sont comme des mouches, si[40] néanmoins elles nous déplaisent, et que nous fissions ce qui est en notre pouvoir pour nous en distraire fidèlement, notre oraison ne laisse d'être bonne et agréable à Dieu, nous n'en devons point douter. Parce que c'est[41] une chose certaine, lorsque vous êtes[42] dans le sentiment de votre misère dans l'oraison, il n'est pas besoin de faire des discours à Notre Seigneur pour la lui répéter[43] ; il est mieux de vous arrêter dans votre sentiment qui parle assez à Dieu pour vous ; il est toujours mieux, assurément, de nous arrêter paisiblement dans les sentiments et affections que Notre Seigneur nous donne, que d'agir de nous-mêmes. Enfin, mes chères filles, approchez-vous de Dieu avec le plus de simplicité qui vous sera possible, et soyez certaines que l'oraison la plus simple est la meilleure. Oui, mes chères filles, lorsque Dieu vous donne de grandes affections et désirs de vous exercer dans l'humilité, il est bon de le faire et de jeter un regard sur les occasions que vous aurez de la pratiquer ce jour présent, parce que les vraies servantes de Dieu ne doivent point avoir [de] lendemain, ni s'étendre plus avant que sur les occasions présentes, et elles doivent avoir un grand soin et une fidélité toute particulière de s'adonner à toutes les heures que nous passons, à la vertu sur laquelle Notre Seigneur nous a donné des affections particulières en l'oraison, d'autant qu'il requiert cela de nous et nous le donne pour cette seule fin de nous y voir fidèlement exercer.[6][44].

Entretien 2 (noté 3) : Du zèle que nous devons avoir de nous perfectionner selon l'esprit de notre sainte vocation.

Je suis bien aise que vous me fassiez cette demande, mes chères Sœurs. Comme[45] les Sœurs professes doivent être zélées à prendre l'esprit de leur vocation, et à servir de bon exemple ? J'y réponds en vous assurant que c'est une question bien importante, et que les Sœurs doivent très assurément nourrir dans leur cœur une grande jalousie et un zèle ardent de se bien édifier les unes les autres, et tous ceux qui les conversent[46], et qu'elles aient un grand soin de prendre l'esprit de leur institut, pour procurer que celles qui nous suivront, le prennent aussi. Mais ce zèle ne doit pas être pointilleux, picoteux, impatient ; il ne faut même que celles qui sont en charge pressent trop les esprits. Le zèle de notre Bienheureux Père n'était point tel. C'était un zèle qui le faisait prier, donner bon exemple, exciter, encourager, et supporter les âmes. Il ne les pressait point, mais les attendait longuement avec une patience et débonnaireté admirable, les aidait de tout son pouvoir sans plaindre sa peine, ni sans épargner sa charité, puis laissait le reste à la Providence de Dieu. Il ne faut point aller chercher d'autre doctrine que celle de ce Bienheureux Père de nos âmes pour bien exercer notre zèle. Voici donc ce qu'il faut faire : recourir à l'oraison, aider, supporter, et donner bon exemple à nos Sœurs, celles qui sont en charge par leur avis et enseignement, et les autres en se parlant et encourageant ensemble. Mon Dieu, mes sœurs, à quoi devons-nous prendre plaisir, sinon à parler de Dieu, de l'éternité, du bonheur de notre vocation, de l'amour et fidélité que nous devons avoir à bien prendre l'esprit de notre saint Institut, et pour le conserver soigneusement ; nos discours ne doivent être d'autre chose, lorsque nous avons [7] congé de nous entretenir en particulier. Surtout, soyons d'une grande observance. Tâchons de servir de bon exemple, parce qu'on ne saurait dire le bien que porte dans une maison religieuse, une fille de bonne édification ; mais que tout ce que nous faisons pour la donner, se fasse avec le seul désir de nous rendre toujours plus agréables à Dieu, et par le seul motif de son pur amour, et que ce soit cet amour seul qui anime notre zèle. Or sus, mes chères filles, il faut que je vous donne trois fondements pour établir, et votre zèle, et votre vertu, afin qu'elle soit solide : le premier est d'être entièrement dépendante du soin paternel de notre bon Dieu et de nos supérieurs, sans avoir aucun soin de nous-mêmes ; non, ne pensez point à ce que vous ferez et à ce qui vous arrivera ; abandonnez tout votre âme, votre esprit, et même votre corps dans le sein de la Divine Providence, et à celui de l'obéissance, et même le soin de votre perfection ; car Notre Seigneur en aura assez, ayant plus d'amour et de soin pour nous que la mère la plus passionnée n'a de nourrir et élever son enfant. Oui, certainement, mes chères Sœurs, Dieu pense plus par le menu à nos nécessités pour petites et minces qu'elles soient, en a plus de soin qu'une tendre mère et nourrice ne fait de son petit qu'elle aime tendrement. Sachez pourtant que la mesure de la Providence de Dieu sur nous, est la même que celle de[47] la confiance que nous avons pour lui, et que son soin est d'autant plus achevé que notre abandonnement entre ses mains sacrées est plus parfait et plus entier. Je ne veux pas que vous laissiez[48] de travailler fidèlement à votre perfection, mais je vous dis seulement que les voies et les moyens d'y parvenir vous doivent être indifférents ; laissez-vous donc tourner, manier, et façonner, tout au gré du bon plaisir éternel, par la voie de l'obéissance, sans permettre à votre esprit de discerner ce qui lui est propre ou non, comme de penser : « Pourais-je bien faire cette charge ? » ou bien : « Je ferais mieux l'autre ; je serais bien mieux avec cette Sœur, qui a plus de rapport à mon humeur qu'avec celle-là ». Laissez tous ces discernements [8] pour vous laisser incessamment à la conduite de notre Seigneur.

Le deuxième point, c'est qu'il ne faut chercher que Dieu, ne vouloir que Dieu, ne prétendre que Dieu. Ah! Si vous ne cherchez que Dieu, vous le trouverez partout. Par exemple, une fille va faire l'oraison, l'obéissance l'en retire tout incontinent, pour l'employer ailleurs : infailliblement, elle trouvera autant Dieu dans cette occupation qu'en l'oraison. Je vous avoue que ce sera possible avec moins de satisfaction et de doux repos, mais sachez que Dieu se trouve mieux aussi où il y a plus de l'abnégation que de plaisirs pour nous. Si vous ne cherchez encore que Dieu, mes Sœurs, vous serez indifférentes pour vos emplois, pour vos charges, pour votre séjour et pour tout ce qui vous concerne, d'autant que vous trouverez ce bon et grand Dieu de votre cœur, parce qu'il ne se trouve mieux[49] qu'en l'obéissance. C'est en cette divine indifférence qu'on trouve enclos le document de notre Bienheureux Père : ne demandez rien et ne refusez rien ; c'est le dernier qu'il nous a donné, parce qu'il contient tous les autres ensemble, puisque nous trouvons dans sa pratique, celle de l'humilité, douceur, simplicité et mortification parfaitement comprise. Mais, plus que toutes vertus, ce document contient encore la parfaite dépendance du bon plaisir de Dieu, et l'entière perfection comprise dans nos saintes Règles et Constitution. Mon Bienheureux nous désirait fidèles à cette pratique ; c'est aussi mon unique désir sur vous mes chères filles ; et comme je sais qu'il n'y a rien de plus parfait que cette pratique même, je l'honore et je la prise infiniment, me souvenant du zèle avec lequel ce Bienheureux Père nous la recommandait spécialement, trois ans avant sa mort, qu'il avait si fréquemment ces paroles en la bouche : « Ne demandez rien et ne refusez rien, mes filles ». Ô Dieu! Que celles qui pratiquent bien cet admirable document, possèdent une grande tranquillité, parce qu'il conduit promptement et fidèlement à la plus haute et sublime perfection. Vous me dîtes [9] qu'il ne faut donc pas demander ses nécessités ? Pardonnez-moi, mes Sœurs, il faut demander simplement et confidemment ce que vous avez besoin, la Constitution l'ordonne. Mais il faut prendre garde de ne demander que le nécessaire, et non ce qui plaît, que nous n'eussions pas même pu avoir dans le monde, et ne vouloir pas, si à point nommé, tout ce qui est de nos inclinations, ne voulant rien souffrir. Non, mes filles, il faut être plus mortifiées, une âme religieuse devant aimer souverainement les souffrances et la pratique de son vœu de pauvreté ; par exemple, nous commençons à avoir un peu froid ; nous voulons aussitôt des habits et couvertures. Le chaud vient, nous voulons soudain tout poser plus tôt que les autres. Cela marque une grande tendreté et trop d'attention sur nous-mêmes, qui me fait quelquefois un peu mal au cœur, ne voyant pas mes filles aussi parfaites que je les voudrais. Je vous dirais encore, que ce document de notre Bienheureux Père tendait surtout à ce dénuement du trop grand soin de nos corps, sachant que les femmes et les filles sont pour l'ordinaire fort tendres, trouvant que tout leur fait mal, que tout les incommode, que tout nuit à leur santé, que ceci leur est propre, et que cela ne le leur est pas ; je suis mieux ici que là ; cet air m'est bon, l'autre me nuit ; et mille autres petites faiblesses qu'une âme saintement généreuse et bien attentive à Dieu n'a pas. Mais, savez-vous à quoi tendait souverainement ce dernier avis de notre saint Père : ne demandez rien et ne refusez rien ? C'était pour délivrer et affranchir nos esprits de tant de pensées, de tant de réflexions et desseins que les âmes qui ne sont pas dénuées d'elles-mêmes, ont encore, ce qui leur cause des grands troubles et inquiétudes. Si l'on emploie telles personnes à des charges ou à des fondations, elles se tourmenteront dans le tracas et dans les petites contrariétés et difficultés, dans les défauts de leurs petites commodités qui les étonneront ; « Ô mon Dieu, diront-elles, je suis si distraite, si inquiète, je ne saurais me tenir [10] à la présence de Dieu ! Quand j'étais à Annecy, dans notre petite cellule, j'étais si contente, si recueillie, notre Mère m'était si douce, si gracieuse ! Nos Sœurs m'étaient toutes si cordiales, bonnes et condescendantes ! Je m'accommodais si bien à leurs humeurs, elles m'aimaient si tendrement ! ». Tout cela n'est pas vertu, et ce n'est pas être vertueuse de n'être cordiale et douce, lorsque rien ne vous contrarie, et que vous êtes dans votre cellule sans être exercées, et hors des occasions de rien souffrir, que vous êtes avec une supérieure et avec des Sœurs qui approuvent tout ce que vous faites ; l'égalité et sainte joie n'est pas merveilleuse en ces rencontres. Je crains bien, au contraire, que nos passions ne s'engraissent parmi ce repos et cette quiétude, et que vous ne soyez pleines de vous-mêmes, et immortifiées, et attachées à vos propres intérêts et satisfactions ; et, si vous vous regardez bien, vous trouverez que votre vertu prétendue n'est pas en vous, mais en votre supérieure, en votre Sœur, en votre cellule et aux lieux où vous êtes. Si nous ne cherchons que Dieu, nous le trouverons ici, nous le trouverons là ; et parce qu'il est partout, en tous lieux et en toutes personnes, et si nous ne voulons que lui, nous serons contentes de tout et par tout.

 Le troisième moyen de bien établir notre vertu, c'est de recevoir toute chose comme venant de la main de Dieu, qui nous envoie le tout pour notre bien, et pour nous faire mériter. Une Sœur nous dira une parole piquante, une autre nous répondra malgracieusement ; regardons en cela la volonté de notre Seigneur, parce que, bien qu'il ne soit pas auteur du mal ni de l'imperfection de la Sœur, il a néanmoins permis que cette parole vous fût dite, afin que vous en fissiez votre profit, en pratiquant la patience, la mortification, le doux support, et que votre Sœur, de son côté, s'humiliât, et aimât son abjection. Nous voyons qu'on fait passer l'eau des plus belles sources par des canaux de fer, de plomb et de bois ; cette même eau, passant par ces canaux, vient toujours de sa source pour s'introduire [11] aux lieux où l’on la désire ; de même, toutes nos adversités et contradictions viennent de l'agréable et première source de la Divinité, bien qu'elles passent par les créatures, qu'elles nous viennent d'elles comme par des canaux. Il ne faut jamais regarder les moyens par lesquels ces eaux amères nous viennent, mais adorer la source d'où elles dérivent, jetant toujours les yeux en Dieu, dans nos peines et nos adversités, pour les recevoir de sa main adorable. Nous devons être extrêmement aises d'avoir des occasions de souffrir et de pratiquer la vertu, qui ne s'acquiert jamais mieux que lorsqu'elle est combattue de son contraire, bien que Dieu nous la puisse donner dans un instant ; mais il ne fait pas souvent de ces miracles, et veut, pour l'ordinaire, que nous passions par la voie obscure, nous tenant dans les lieux bas, jusqu'à ce que sa même main nous élève dans son cabinet pour nous communiquer ses secrets.

Nous nous trouvons, possible, bien éloignées des sentiments de cette demoiselle dont parle Philothée, et qui alla trouver St Ambroise pour le prier de lui donner une maîtresse rude et difficile à servir, afin qu'elle pût avoir sujet en la servant, d'endurer et de s'exercer à la vertu ; et, voyant qu'elle en avait rencontré une bonne, douce et vertueuse, qui ne la faisait point souffrir, parce que le Saint n'avait pas bien compris son intention, elle le retrouva de nouveau et le pria de si bonne manière, que son dessein fut accompli, parce que ce grand Saint lui donna une maîtresse chagrine, coléreuse et opiniâtre, laquelle l'exerça merveilleusement et la satisfit fort pleinement, lui donnant matière de profiter comme elle le désirait pour parvenir à la perfection. Ô mes chères Sœurs ! Nous ne ferions pas de même, car nous voulons que les Sœurs avec lesquelles nous demeurons, soient si douces, si cordiales à notre endroit, qu'elles ne nous disent pas [12] la moindre parole qui nous puisse toucher ou mortifier. Toutes les officières voudraient des assistantes maniables et condescendantes. À la vérité, il faut bien que celles-ci obéissent simplement, parce que la supérieure les leur a assujetties, comme ayant l'autorité sur toutes, comme chef de la Congrégation. Mais il ne faut pas que les officières aient de pouvoir sur les mêmes assistantes de leurs charges, mais elles les doivent prier cordialement et gracieusement, parce qu'elles n'ont sur elles qu'une autorité empruntée.

L'assistante[50] de la Communauté ne doit pas aussi traiter avec un pouvoir absolu comme ferait la supérieure, car elle n'a que celui que la Mère lui commet, étant celle qui a été élue par dessus toutes les autres ; ainsi les Sœurs lui doivent pourtant rendre le même honneur et obéissance qu'à la supérieure[51], puisqu'elle lui a remis son pouvoir et son autorité.

Il ne faut donc point que les officières eussent de maîtrise sur leurs aides, mais qu'elles leur disent humblement et doucement ce qu'elles veulent qu'elles[52] fassent, leur parlant avec un cordial respect : « Ma Sœur, vous plaît-il de faire un peu telle chose », ou bien, « Faites un peu cela s'il vous plaît ». Les aides peuvent donner leur avis simplement, disant : « Il me semble que ceci serait bien ainsi », ou bien, « Nous faisions telle chose comme cela », et semblables petites paroles selon les occasions, puis, faire comme l'officière voudra, sans contrôler ni témoigner des sentiments et aversions, si on ne fait pas état de ce qu'elles ont dit. Celles qui ont les charges ne doivent pas aussi tant faire les entendues, qu'elles ne demandent cordialement l'avis et sentiment de leurs assistantes[53].

Enfin, mes chères filles, soyez douces, gracieuses, cordiales et unies ensemble, n'ayant qu'un cœur et qu'une âme ; supportez-vous, entre aimez-vous[54] les unes les autres, et, en cela, l'on connaîtra que vous êtes vraies [12] servantes de Dieu et vraies filles de notre Bienheureux Père, duquel, par tous les actes que nous ferons des vertus et des saints documents qu'il nous a donnés à pratiquer, nous accroîtrons et augmenterons la gloire accidentelle. Rendons-nous-y fidèles, afin de ne lui dérober ce que nous lui devons, je vous en prie, mes chères filles.

Entretien 3 (noté 25) : De la tranquillité intérieure.

Vous demandez mes chères sœurs ce que c'est que la tranquillité intérieure ? Je ne le sais pas bien moi-même ; toutefois mes chères filles, je pense que c'est la mortification intérieure de toutes nos passions et mouvements, pour ranger tout sous l'empire de la raison ; car il n'y a rien à mon avis, de si tranquille, qu'une âme qui a ses passions accoisées et soumises à la partie supérieure ; et lorsque les passions sont toutes vives et immortifiées, elles font un grand tintamarre et un terrible bruit, et partout où il y a du bruit et du tumulte, il ne saurait y avoir de la tranquillité. Il faut donc avoir un grand soin d'acquérir cette tranquillité tant profitable et désirable, par la mortification de nos passions. C'est une des vertus de notre Institut qui est tout fondé sur la vie intérieure.

L'on a bien des bons désirs, dites-vous, d'acquérir cette vie intérieure dans la partie supérieure, mais qu'ils sont quelquefois si minces en l'inférieure, qu'elle se rend plus forte pour surmonter la première par les mauvais efforts de notre nature dépravée, et qui entraîne tout après soi. Ma chère Sœur, nous n'avons aucune raison d'excuse, parce qu'avec la grâce de Dieu, qui ne nous manque jamais, nous pouvons éviter le mal et faire le bien. Si nous eussions voulu vivre selon nos inclinations et mauvais penchants qu'elle nous donne, il n'y avait qu'à demeurer au monde. Mais pourquoi sommes-nous venues en religion, sinon pour y vivre selon [13] l'esprit, pour nous vaincre et mortifier et pour suivre nos observances, et la manière de vie que nous avons embrassée ? Nous ne suivons pas assez, mes chères filles, à mon avis, nos premières intentions. Je veux être plus rigide que par le passé pour la première réception des filles, et je veux leur dire franchement que si elles pensent de vivre selon leurs humeurs, qu'elles demeurent dans le monde où elles les pourront suivre. Si vous voulez être traitées et vêtues, et encore employées à votre gré, demeurez chez vous et restez maîtresses de vous-mêmes ; mais si au contraire, vous êtes résolues de mourir à vous-mêmes, de vous faire violence et de vivre selon la raison, la règle et l'obéissance, venez et entrez, à la bonne heure, en la sainte maison de Dieu ! Que si celles qui ont encore le voile blanc ne sont pas bien résolues de vivre comme j'ai dit, il faut leur dire qu'on les renverra, parce que ce sera faire une grande charité de donner moyen à cette fille de mieux faire son salut ailleurs, et d'en débarrasser la maison. Il y a bien si peu d'entre nous qui ait la pureté de l'esprit de notre saint Institut, que c'est pitié ! Cet esprit, mes chères filles, est droit, pur et sincère, un esprit qui ne cherche que Dieu, qui tend perpétuellement à l'union divine, qui doit être indépendant de tout pour ne dépendre que de Dieu et de son bon plaisir, qui vit par dessus soi-même pour ne vivre qu'en Dieu, qui aime Dieu et le prochain, ne fait aucun état de ces petites niaiseries de vouloir qu'on nous aime, qu'on nous préfère, qu'on nous estime, qu'on nous contente, et qu'on devine nos désirs. Tout cela doit être méprisé, comme indigne d'un cœur que Dieu gratifie de ses grâces, et d'une âme qui est appelée à son service et à une vocation si noble, qui nous oblige de tendre et aspirer à une perfection si éminente. Mes Sœurs, il faut travailler ; vous êtes assurément des bonnes filles, mais il faut devenir meilleures. Vous voulez bien mes chères filles, que je vous parle franchement ? Nous sommes [15] encore un peu trop terrestre et trop tendre, surtout sur nous-mêmes. Nous voulons un peu trop ce que nous voulons, et ne levons pas assez nos yeux et nos cœurs vers les choses célestes. Ô Dieu mes Sœurs, qu'est-ce que cette vie, et de quoi faisons-nous tant d'état d'être aimées, estimées et considérées ! À quoi pensons-nous, si l'on nous emploie, si l'on nous méprise, ou si l'on nous traite comme les autres ou non, si l'on nous emploie à ceci ou à cela, et de quoi nous inquiétons-nous ? De quoi nous troublons-nous d'avoir fait une faute, surtout si elle a été remarquée ? Et si l'on nous contrarie, si l'on nous fâche, nous ferons mille réflexions là-dessus et autour de nous-mêmes, au lieu de nous relever généreusement, après nous être profondément et amoureusement humiliées, comme il nous est enseigné, devant Dieu, et, après, passer avant dans notre chemin. Tant que nous vivrons, nous ferons des fautes ; tout ce que nous pouvons faire, c'est d'en commettre tout le moins qu'il est possible. L'on voit plus clair que le jour, les manquements desquels l'on peut s'exempter, et ceux desquels l'on ne peut bonnement éviter : les premiers sont ceux qui se font avec vue, volontairement, et avec une totale négligence, que nous pouvons absolument éviter avec la grâce de notre Seigneur ; et tout l'enfer même ne peut nous les faire faire si nous ne voulons y consentir. Les autres, desquels nous ne pouvons nous exempter, ce sont les fautes de pure fragilité, parce que nous en ferons toujours, et Dieu le permet pour nous tenir en humilité, pour nous faire bien voir que nous ne sommes que des pauvres créatures, viles, fragiles et abjectes, et encore pour nous donner un exercice continuel.

 Oui, mes Sœurs, Dieu donne des plus grandes grâces aux uns qu'aux autres, comme il donne aussi des plus grandes occasions de son assistance aux uns qu'aux autres ; mais il donne à tous une grâce suffisante, très assurément, pour faire tout ce qu'il veut de nous ; mais tous ne correspondent pas également, et ne se servent pas de cette grâce qui leur est donnée comme il est requis. [16]

Dites-moi, mes chères filles, si vous étiez mère de famille, enverriez-vous bien vos valets et vos enfants travailler à la campagne ou tailler les vignes, sans leur pourvoir [sic] des outils nécessaires pour faire ce que vous voulez qu'ils fassent ? Mon fils Celse-Bénigne me dirait, si je ne lui fournissais pas ce qu'il lui faut, lorsque je lui ordonne de faire quelque chose : « Ma mère, donnez-moi ceci ou cela, et je ferai ce que vous commandez ». Mes Sœurs, penserions-nous que Dieu nous demande de faire quelque chose, et qu'il ne nous donne pas en même temps l'assistance nécessaire pour exécuter son commandement ? Nous nous tromperions grandement d'avoir cette méfiance. Non, mes Sœurs, Dieu ne nous manque jamais.

Vous dites que la présence de Dieu nous aide fort à pratiquer la vertu. Il est vrai, tous les saints Pères sont d'accord que cet exercice de la présence divine est le plus excellent qui soit en la vie spirituelle, et ils l'ont eux-mêmes pratiqué. Il y a des âmes qui se tiennent bien à cette continuelle présence de Dieu, bien unies à sa bonté, bien recueillies, mais pourtant qui, étant touchées seulement du bout du doigt par une petite contradiction ou humiliation, font soudain voir ce qu'elles sont : vives et immortifiées. Cela nous fait voir que nous n'étions pas à cette sainte et adorable présence de Dieu pour lui plaire, mais pour nous plaire à nous-mêmes. Il y a bien de la différence entre que Dieu nous plaise, ou que nous plaisions à ses yeux divins ; à qui Dieu ne plaît-il pas, il est bien aisé étant ce qu'il est, la beauté et bonté souveraine ? Mais pour plaire à sa Majesté, qu'est-ce qu'il faut plus regarder et désirer ? Il faut faire sa volonté, il faut le contenter en tout et partout ; il faut vivre mortifiées, renoncer à nous-mêmes ; c'est ce qu'il veut de nous, et ce qu'il nous faut faire pourtant, qu'à cette fin de lui plaire, et parce que tel est son bon plaisir. Vous voyez donc, mes chères filles, qu'il faut accompagner la présence de Dieu qui nous vivifie, de la mort de nous-mêmes ; ces deux exercices ne doivent point aller l'un sans l'autre : présence de Dieu [17] et mortification ; ils se soutiennent tous deux, et une âme mortifiée n'est pas sujette à se distraire et divertir ; elle goûte Dieu et se tient bien mieux unie et proche de lui ; elle est plus susceptible à être pénétrée de cette divine présence qui, d'ailleurs, rend la mort facile, et qui fait tout faire et tout supporter, nous donnant la force de nous vaincre et adoucit si fort les difficultés, qu'elle ne les laisse presque pas ressentir à l'âme qui jouit de cette divine approche de Dieu.

Mes Sœurs, enfin, la présence de Dieu sans la mortification est presque inutile. Dieu nous plaît, mais nous ne lui plaisons pas, et il nous tient mieux de plaire à Dieu qu'à nous-mêmes. Et la mortification aussi, sans la divine présence, n'est qu'une présomption, d'autant que nous avons besoin d'une aide particulière de Dieu pour nous mortifier, et nous ne pouvons mieux trouver cette aide toute puissante, qu'en nous tenant proche de ce grand Dieu, par l'exercice de cette sainte présence. Mes Sœurs, travaillons tout de bon pour son amour à nous rendre parfaites. Ne nous amusons plus à tant de petites impertinences et niaiseries indignes de notre vocation. Ayons souvent ce proverbe en l'esprit : nul bien sans peine, parce que l'appréhension de cette peine fait tout notre mal ; nous voudrions bien la perfection, mais il nous fâche de souffrir pour l'acquérir ; il faut faire une continuelle guerre à nous-mêmes, et nous appréhendons qu'il nous en coûte trop. Il en faut pourtant venir là. L'on ne saurait apprendre aucun art, pour mécanique qu'il soit, sans peines et sans fatigues. L'on ne saurait donc apprendre le nôtre, qui est celui de la vertu, sans souffrances et sans nous donner du soin. Non, je ne m'étonne pas des envies, des jalousies et des inclinations propres ; mais je dis qu'il faut assujettir tout cela à la raison et au bon plaisir de Dieu. Une fois, notre Bienheureux Père eut un petit mouvement d'envie contre un certain Prélat qui était extrêmement suivi et applaudi en ses prédications. Incontinent, ce Bienheureux s'en alla se jeter au pied de la croix de Notre Seigneur [18] pour écraser la tête de cet ennemi, et portant dans son sein ce bon évêque, le supplia de le porter pour jamais dans son sein comme fils de son Cœur qui lui augmentât journellement ses grâces, qui l'exaltât au ciel et en la terre, et que pour lui, il tînt toujours bas comme un ciron et un comme petit vermisseau. O Dieu mes Sœurs, si nous nous comportions de la sorte parmi les mouvements et pensées qui nous arrivent, que nous serions heureuses et que nous les rendrions faibles et impuissants à nous tourmenter ! Que nous connaîtrions bien à la mort que l'estime des créatures est vaine, et que vaines sont toutes choses que nous désirons présentement ! Nous savons bien que nous devrions mépriser tout ce que nous prisons le plus possible ; mais nous voulons pourtant toujours ce que nous voulons, qui sont nos commodités, qu'on fasse état de nous, et qu'on nous aime ; et, si l'on ne le fait pas, tout est perdu ; nous nous attendrissons, nous nous inquiétons et restons mélancoliques. C'est le grand défaut des femmes que la trop grande tendresse sur leur corps et sur leur esprit. La supérieure y doit prendre garde, et si elle en trouve qui soient ainsi trop tendres, elle les doit encourager à se relever de ce défaut, elle y est obligée. C'est aussi une grande charge que celle de la supérieure, parce qu'elle ne doit pas seulement rendre compte pour elle, à Dieu, mais encore de ses Sœurs, si, par son défaut, elles n'avancent pas à la perfection comme elles doivent.

Mais, mes chères Sœurs, prenons bon courage ; faisons bien tout ce que nous venons de dire. Aimons bien Dieu, aimons bien notre prochain, aimons-nous les unes les autres ; élevons nos cœurs aux choses hautes, et aspirons aux choses célestes ; méprisons les terrestres, et souvenez-vous que cette vie est un perpétuel combat, que nous n'aurons nul bien sans peine. N'ayons rien si à cœur que de nous exercer à la pratique de l'oraison, de la présence de Dieu, et de la mortification ; et je vous assure que nous trouverons tout là, en nous disposant à recevoir des grandes grâces de Notre Seigneur, par ces moyens, en cette vie, et que nous acquerrons un grand degré de gloire en l'autre. Amen.[19]

 

Entretien 4 (noté 44) : Sur l'esprit de nos saintes règles, fait aux Novices et aux Professes.

L'esprit de nos règles, mes chères Sœurs, est, comme vous avez souvent ouï-dire, un esprit de douceur et d'humilité et d'une totale dépendance de notre volonté dans la volonté de Dieu ; et voici en quoi en consiste la pratique. Il faut avoir une grande douceur dans la charité, et une humilité véritable dans sa simplicité, avec une totale dépendance de la Providence Divine. Nous pratiquons la douceur en nos conversations, en nous supportant en nos défauts et infirmités.

La charité s'exerce à ne point renvoyer les filles pour des infirmités corporelles, et à compatir aux maux et peines de nos Sœurs, et à les excuser en nous-mêmes, quand nous leur voyons faire quelque manquement. La vraie marque de l'humilité, c'est quand elle produit la soumission et l'amour à son abjection, soit qu'elle vienne de notre côté ou de celui de nos Sœurs, c'est-à-dire, soit qu'elle vienne de nos imperfections ou que l'on n'ait bonne opinion de nous. L'humilité nous rend simple à l'obéissance, et soumise à la volonté de Dieu en toutes sortes d'événements, et la simplicité entre nos Sœurs bannit les détours dans nos actions, et ne nous fait point, comme dit le Proverbe, tirer le ver du nez les unes des autres par finesse ; mais quand nous voulons savoir quelque chose, nous dirons simplement et franchement à une Sœur : j'ai envie de savoir telle chose de votre charité.

La simplicité envers Dieu consiste à ne chercher que lui en toutes nos actions, soit que nous allions à l'office, soit que l'on nous ordonne d'aller au réfectoire, et puis à la récréation ; allons partout pour chercher Dieu et pour obéir à Dieu. Dans toutes nos œuvres intérieures et extérieures, ne cherchons qu'à plaire à Dieu, et à nous avancer en son amour. Et dans cette simplicité d'esprit, tenez-vous à la présence de ce grand Dieu, soumise et attentive à son amour, et [20] cette attention est suffisante et efficace pour redresser toutes nos actions et intentions ; mais, aux œuvres de grande importance, il est bon de les redresser souvent. Il faut avoir une grande fidélité à bien pratiquer le Directoire des exercices spirituels, surtout celui qui regarde la droiture d'intention ; et pour ce que je dis, que la simplicité d'esprit à se tenir à la Divine présence est suffisante, c'est pour les âmes qui sont déjà fort avancées et que Dieu occupe et attire lui-même, par sa grâce, dans ce chemin de l'amoureuse simplicité.

La soumission à la volonté de Dieu gît en deux points, qui sont la volonté signifiée et la volonté du bon plaisir. La volonté signifiée sont les commandements de Dieu et de l'Église, nos Règles et Constitutions, avec les obéissances qui nous sont données par les Supérieurs. La volonté du bon plaisir se doit regarder en toutes sortes d'événements, soit que l'on nous mortifie, que l'on nous mésestime, qu'on nous afflige, ou que nous souffrons ; comme lorsqu'on nous aime, qu'on fait état de nous, qu'on nous console, et que tout seconde nos souhaits. Dans tous ces états, nous devons également aimer et adorer ce divin bon plaisir. Même en nos fautes, après avoir rejeté le péché commis, nous devons regarder la volonté de Dieu en l'abjection qui nous en revient.

Non, mes filles, vous ne ferez point de mal en commettant quelque manquement par ignorance, et avec bonne intention ; parce que, où il n'y a point de volonté et d'intention, il n'est point de péché, et Dieu même coopère à l'action, ce qu'il ne ferait pas en l'intention si elle était mauvaise. Tout de même qu'un exécuteur de justice ne fait point de mal de tuer un homme condamné à mort qu'il ne hait pas, mais qu'il ne fait mourir que parce que les juges le lui ordonnent ; aussi bien que les soldats qui combattent pour leur prince contre les infidèles, qui bien loin de commettre du péché en tuant, bien du moins méritent beaucoup, exposant leur vie pour la foi, et pour l'obéissance due à leur souverain.

Mes chères Sœurs Novices, vous me demandez quels sont les premiers fondements sur lesquels vous devez établir votre vertu ? Je veux bien volontiers vous le dire, et vous en donner trois seules.[21]

Le premier fondement qui doit être à la vertu des Novices, c'est la sainte et amoureuse crainte de Dieu, c'est-à-dire qu'elles doivent avoir une ferme résolution de ne jamais offenser la bonté divine, à escient, et volontairement.

Le deuxième, c'est l'amour à leur vocation qui doit procéder d'une grande reconnaissance de la grâce que Dieu nous a faite, de nous avoir retirées du monde et des occasions de l'offenser, y ayant laissé tant d'autres qui eussent mieux fait leur profit de ces grâces que nous.

Le troisième, en la reconnaissance de notre néant, et que si Dieu nous ôtait ses grâces, que ferions-nous ? Et s'il nous ôtait la vie qu'il nous a donnée, que deviendrions-nous ? Et cette humilité fera que nous ne nous troublerons point de voir que nous commettons souvent des fautes, mais que nous regagnerons par humilité ce que nous avons perdu par infidélité ; en sorte que, quand nous manquerions vingt-quatre fois le jour, pourvu que nous ne nous troublions point et fassions toujours résolution de nous amender, et nous en humilier devant Dieu, et de ne point fuir l'abjection qui nous en revient, et de ne point couvrir notre faute, c'est un moyen plus assuré pour arriver à la perfection que la fidélité constante. J'ai connu une âme qui a fait un avancement incroyable par cette voie-là.

Les deux ailes de la vie spirituelle, dites-vous encore, c'est un grand amour à l'oraison, et une grande affection à la mortification ; une fidélité grande à nous bien occuper à la première, et une constance inviolable à nous exercer en la seconde. L'oraison ne va point sans la mortification ; l'amour de l'oraison s'étend encore au recueillement, et à se rendre attentive aux prédications, aux lectures de table aux assemblées, et toutes les fois qu'on parle de Dieu. Pour la mortification, elle s'étend à ranger et dompter nos passions sous la domination de la raison, et à mortifier les affections de notre cœur et toutes nos inclinations, à retrancher toutes sortes de réflexions, et à penser qu'à l'imitation de Notre Seigneur, nous devons dire de n'être pas ici pour faire notre volonté, mais celle du Père céleste. Enfin c'est une bonne mortification que de bien pratiquer nos [22] Règles et Constitutions.

Entretien 5 (noté 32) : De l'oraison.

Mes chères filles, pour nous bien disposer à faire l'oraison, il nous faut faire souvent des retours de notre esprit à Dieu, considérant sa bonté, son amour, sa grandeur et majesté infinie, nous tenant dans un profond respect en sa Divine Présence. Il faut bien préparer ses points à méditer. Il y a trois façons de faire l'oraison :

La première se fait en nous servant de l'imagination, nous représentant le petit Jésus en la crèche, entre les bras de sa sainte mère et du grand saint Joseph, et que nous le voyons entre un bœuf et un âne ; puis voir comme sa divine mère l'expose dans la crèche, puis comme elle le reprend pour lui donner sa mamelle virginale, pour nourrir ce Fils qui est son Créateur et son Dieu. Mais il ne faut pas bander l'esprit à vouloir, sur tout ceci, faire des imaginations particulières, et nous voulant figurer comme ce sacré Poupon avait les yeux et comme sa bouche était faite, mais nous représenter tout simplement le mystère. Et cette façon de méditer est bonne pour celles qui ont encore l'esprit plein des pensées du monde, afin que l'imagination, étant remplie de ces objets, rechasse toute autre pensée.

La deuxième façon, c'est de nous servir de la considération, nous représentant les vertus que Notre Seigneur a pratiquées, son humilité, sa patience, sa douceur, sa charité à l'endroit de ses ennemis, et ainsi des autres. En ces considérations, notre volonté se sentira tout émue en Dieu et produira de fortes affections, desquelles nous devons tirer des résolutions pour la pratique de chaque jour, tâchant toujours de battre sur les passions et inclinations par lesquelles nous sommes le plus sujettes à faillir.

La troisième façon, c'est de nous entretenir simplement en la présence de Dieu, le regardant des yeux de la foi en quelque mystère, nous entretenant avec lui [23] par des paroles pleines de confiance, cœur à cœur, mais si secrètement, comme si nous ne voulions pas que notre bon ange le sût. Et lorsque vous vous trouverez sèche, qu'il vous semblera que vous ne pouvez pas dire une seule parole, ne laissez pas de lui parler, et dites : « Seigneur, je suis une pauvre terre sèche, sans eau ; donnez à ce pauvre cœur votre grâce ». Puis demeurez en respect en sa présence, sans jamais vous troubler ni inquiéter pour aucune sécheresse qui vous arrive. Cette manière d'oraison est plus sujette à distraction que celle de la considération, et si nous nous rendons bien fidèles, Notre Seigneur donnera celle de l'union de notre âme avec Lui. Que chacune suive son chemin auquel elle est attirée.

Ces trois sortes d'oraisons sont très bonnes ; que donc celles qui sont attirées à l'imagination la suivent, et de même celles qui le sont à la considération, et à la simplicité de la présence de Dieu ; mais, néanmoins, pour cette troisième sorte, il faut bien garder de s'y porter de soi-même, si Dieu ne nous y attire. Que si quelqu'une était attirée à quelque chose d'extraordinaire, elle le doit dire à la supérieure, et puis faire ce qu'elle lui dira.

Votre demande n'est pas hors de propos ; il peut bien arriver qu'une personne soit si contente, qu'elle ne pense pas à s'humilier, mais il arrivera que Dieu retirera la consolation, et alors il faudra que l'âme s'humilie. Mais de quoi faudra-t-il qu'elle s'humilie ? De ce qu'elle ne s'est pas humiliée, et Dieu permettra qu'elle commettra des grands manquements pour la faire rentrer en soi.

Il faut être grandement simple en toutes choses, et marcher à la bonne foi, sans jamais réfléchir en quoi on nous emploie, ni sur ce que l'on dira ou pensera si nous faisions telle chose ou en disions une telle ; mais, aller, dis-je simplement, et ne regarder que le bon plaisir de Dieu en tout et incessamment, soit qu'on nous emploie aux offices bas ou aux grands, à quelque chose qui nous mortifie, comme à quelque chose qui nous récrée, et penser que nous [24] devons être satisfaite de tout, en tout et partout, parce qu'en tout et partout nous pouvons avoir Dieu et trouver Dieu. J'ose vous promettre que si vous êtes bien fidèles à cette simplicité et à la pratiquer, en ne cherchant jamais que Dieu en quoi que vous fassiez ou que vous souffriez, vous acquerrez en six mois la paix du cœur, ce don si désirable, si aimable, et si fort profitable à nos âmes. Oui, mes filles, allez au réfectoire pour Dieu, comme vous allez à l'office pour son amour et pour le louer, dressant votre intention de vouloir le glorifier, autant dans une action comme dans l'autre, parce que vous allez à toutes deux par obéissance et pour accomplir son bon plaisir.

Voici ce qui m'est tombé en mains, tenant nos constitutions, les ouvrant et serrant : « Qu'elles soient humbles, douces, cordiales et franches entre elles ». Il faut donc être grandement cordiales et franches, se communiquant nos petits avantages spirituels en la manière que j'ai dit ailleurs, avouer que nous sommes dans l'état d'une douce et sainte consolation, lorsqu'on nous le demande, ou bien dire tout simplement qu'on est en sécheresse, mais que vous faites comme l'on vous a appris ; que si l'on ne peut faire l'oraison de jouissance, vous avez fait celle de patience ; ou bien, confesser librement qu'un point de la prédication vous a bien touché le cœur, ou de la lecture de table, et ainsi être comme des petits enfants les unes avec les autres. Voyez-vous, les petits enfants, lorsqu'ils ont à faire quelque chose, comme ils s'appellent l'un après l'autre ? Oui, mes chères novices, il faut être ainsi, ne le ferez-vous pas, et toutes nos professes aussi ? Agissons avec la même simplicité et confiance avec Notre Seigneur. Il y avait un saint religieux qui cachait le saint Enfant Jésus lorsqu'il ne lui accordait pas ce qu'il désirait, et ne le sortait qu'il n'eût obtenu la grâce qu'il en désirait. [25]

Entretien 6 (noté 45) : Sur la perfection. Du dernier document de notre saint Père, de ne rien demander ni rien refuser.

 Vous demandez en quoi consiste la perfection intérieure de laquelle nous devons faire profession. Mes très chères filles, elle consiste assurément dans l'exacte pratique du dernier document que notre Bienheureux Père m'a laissé, et qu'il nous a mille et mille fois inculquée par ses paroles et par ses écrits. Et comme un peu devant sa mort, ma Sœur Marie-Aimée de Blonay, Supérieure de notre monastère de Bellecourt de Lyon, lui dit : « Monseigneur, dîtes-nous qu'est-ce que vous souhaitez qui demeure plus engravé dans nos cœurs ? » Il lui répartit : « Je l'ai déjà tant dit : ne demandez rien, et ne refusez rien ». Ainsi, mes Sœurs, l'on peut dire que cette sainte ordonnance est son testament pour nous, il y a abrégé tous les avis qu'il nous a jamais donnés, et ses dernières intentions sur nous.

L'on peut dire, qu'à l'imitation de notre divin Sauveur Jésus, qui scella tous ses commandements par les doux préceptes de la charité : « Aimez-vous comme je vous ai aimés », qu'il donna à ses Apôtres dans sa dernière Cène, mon Bienheureux Père l'a fait, l'avant-veille de sa mort, scellant tout ce qu'il nous avait appris, par ce commandement : « Ne refusez rien et ne demandez rien ». Mais je ne vois pas, mes Sœurs, que nous portions assez de respect à ce saint document ; je n'en entends jamais parler, je ne le vois guère pratiquer. Ainsi, il y a bien trois mois que je fis dessein d'en faire le sujet du premier entretien, que je vous ferai, mes chères filles, pour vous en renouveler la mémoire. Dans les maisons où j'ai passé, de notre saint Institut, j'y vois une ardeur nonpareille dans cette sainte pratique ; l'on ne porte quasi d'autres choses, sinon ce que notre Bienheureux Père a dit : ne demandez rien et ne refusez rien ; et, céans, où son esprit doit régner tout particulièrement, l'on n'y pense presque pas ; et il n'y a pas une Sœur qui, en me rendant compte, m'ait parlé là-dessus, et dit qu'elle faisait attention à pratiquer ce dernier précepte de son Bienheureux Fondateur.

Vous dites, s'il en faut rendre compte ? Oui, mes filles, il le faut faire, parce que nous y devons être extrêmement attentives à le pratiquer, [26] comme le plus parfait moyen d'acquérir la perfection qui nous est propre et la souveraine indifférence, parce qu'il ne regarde pas seulement l'extérieur, mais l'intérieur, qu'il tient soumis à Dieu pour ne rien désirer ni rien refuser, touchant les consolations et onctions divines, et touchant les peines, dans l'un état et l'autre également, contente d'être ici comme là, d'être employée à ceci comme à cela, d'être aimée ou non, d'être estimée ou méprisée ; tout est indifférent à l'âme qui vit soumise au bon plaisir divin, par cette pratique qu'elle fait de ne rien demander ni rien refuser, se tenant indifférente à tout.

Ce Bienheureux Père, qui a tout le premier pratiqué par excellence ce document qu'il nous a donné, se tenait de la sorte, aussi me disait-il : « Je ne demande point des travaux et afflictions ; je me contente de m'y tenir disposé à les recevoir lorsqu'ils arriveront ». De sorte que, s'il lui venait des traverses et persécutions, il les souffrait toujours patiemment ; s'il n'en avait pas, il bénissait Dieu, et se tenait prêt à les souffrir lorsqu'elles reviendraient. Il avait coutume, se promenant seul, de se dire à lui-même : « Si l'on venait maintenant te dire des injures, faire tels affronts et mépris, te conduire au gibet pour être exécuté, comment te comporterais-tu ? » Ainsi, il s'armait pour se tenir prêt aux occasions, faisant ce que le combat spirituel enseigne ; parce que, bien que son oraison fut fort simple, il se servait parmi la journée des considérations, et le conseillait aux âmes qu'il dirigeait. En effet, nos esprits veulent toujours agir, et si nous ne les occupons en Dieu, ils s'occuperont en des inutilités.

Je serais bien aise, mes Sœurs, que nous fissions quelquefois comme ce Bienheureux, nous représentant les difficultés, humiliations et contradictions, qui nous peuvent arriver, et nous en recevrons du profit, parce qu'à l'occasion, nous serons plus fidèles et trouverons plus de force, nous souvenant de nos résolutions que nous avions faites et du dessein d'exterminer ; puis pour bien employer les rencontres, il ne suffit pas d'être vaillante dans l'imagination, mais il faut tâcher de l'être dans l'exécution, comme était ce Bienheureux Père, lequel a toujours paru si constant, si immobile, si égal à lui-même, et si invincible, que rien ne le pouvait [27] ébranler tant soit peu. Il ne négligeait aucune occasion de pratiquer la vertu, pour petite qu'elle fût, mais l'employait fidèlement. Faisons de la sorte, mes chères filles, soyons fidèles comme lui, et bonnes ménagères, je vous prie. Si Dieu nous donne une petite occasion de souffrir, souffrons ; si, de patience, patientons ; si, de nous humilier, humilions-nous ; si, de nous soumettre, soumettons-nous ; si, de pratiquer la douceur, soyons douces et débonnaires ; si, de nous mortifier, mortifions-nous ; si, de charité, soyons charitables ; si, de support, supportons-nous ; ainsi de toutes les vertus qui se rencontrent en notre chemin.

Vous me demandez si une supérieure disait ce que nous lui avons dit en rendant compte, nous le reprochant et l'apprenant aux autres, qu'est-ce qu'il faudrait faire ? O Dieu ! Si cela était, elle devrait être estimée indigne de cette charge et en pourrait être démise ; mais, premièrement, il faudrait la faire avertir par sa coadjutrice ou par le Père spirituel, parce qu'il est certain qu'elle est obligée de garder, comme un secret de conscience, tout ce qui lui est dit en cette action de la rendition de compte. L'on peut le lui dire soi-même avec respect, qu'il ne faut jamais rabattre pour aucune chose, et ne pas conserver contre elle de la froideur et sécheresse de cœur. Mais savez-vous, mes chères Sœurs, il ne faut pas prendre des soupçons légèrement et sans des bons fondements. La Supérieure peut quelquefois nous dire des choses pour nous mortifier et éprouver ; et, comme je vous ai dit autrefois, il ne faut pas obliger la Supérieure à nous garder la fidélité du secret qu'en choses qui le méritent, et non pas à tant de petites bagatelles que nous disons souvent à tant d'autres personnes nous-mêmes ; et, si l'on en parle, l'on se plaint de la Supérieure qui n'aura jamais pensé d'en parler, et ce ne sera que vous seule qui aurez publié votre secret prétendu. Il faut prendre bien garde à ceci pour ne pas former des plaintes injustes sur le procédé des pauvres Supérieures. Dieu merci, jusqu'à présent, je n'en ai trouvé que de très bonnes, et crois qu'il est impossible qu'elles soient autrement, puisqu'elles sont choisies et faites par élection qu'on ne fait pas [28] à la légère et sans mûre considération. Néanmoins, il s'en pourrait trouver qui commanderaient à baguette, qui seraient rudes, turbulentes et fâcheuses ; si cela était, il faudrait la supporter doucement, embrasser cette mortification et tâcher d'en profiter.

Le grand saint Pierre, mes chères filles, était rébarbatif, mal poli, rude et peu civilisé. Notre Seigneur ne laissa pas de le faire chef de son Église. Les Apôtres ne s'en plaignirent point, et ne laissèrent pas de l'honorer, et estimer, et de lui obéir. Enfin, si Dieu permet que nous ayons une telle Supérieure, c'est pour nous établir dans les vertus solides, pour que nous le servions plus purement et généreusement ; car, si bien nous sommes plus paisibles sous une qui sera bien douce et à notre gré, nous ne profiterons pas tant sous sa conduite que sous celle de l'autre, d'autant que sous la bonne, souvent tout s'en va en complaisances et vaines satisfactions. Il est bien facile d'être douce, bonne et soumise, lorsqu'on nous caresse, qu'on nous supporte, et qu'on s'accommode à nos humeurs, et condescendant à nos volontés ; mais il n'est pas si aisé d'être vertueuse lorsqu'on nous contredit, qu'on nous humilie et mortifie souvent. Mes chères filles, il faut aussi dire qu'il s'est trouvé parfois des inférieures si immortifiées, et si peu disposées à se laisser conduire, que la Supérieure en a plus de liberté sur elles, et est souvent contrainte de les employer à leur gré, à ce qu'elles veulent et désirent, et non à ce qu'elle jugerait et voudrait pour leur bien. 

Vous dites que bien qu'on ait des inclinations, et qu'on les dise en rendant compte, ce n'est pas qu'on désire que la Supérieure les suivent, et fasse ni plus ni moins que si elle ne les savait pas.

Il est vrai, il s'en peut trouver de cette humeur, mais la Supérieure sait bien discerner celles qui se sont mises en tête certaines choses qui ne réussissant pas à leur satisfaction, se laissent troubler et inquiéter, et celles qui n'ont que des simples désirs qu'elles soumettent aussitôt à l'obéissance et au bon plaisir de Dieu.

Non, il ne faudrait pas, pour aucune prudence humaine, laisser de dire à la Supérieure tout ce qui regarde l'état de notre âme, crainte qu'ont suivis nos inclinations et nos génies, parce qu'il faut que la candeur, naïveté et simplicité à se découvrir, surnagent [29] toujours ; et lorsqu'une fille agit de la sorte, c'est une des meilleures marques pour faire connaître qu'elle prendra bien l'esprit de notre saint Institut, et qu'elle se rendra digne de sa vocation.

Le premier fondement pour bien rendre compte, n'est autre qu'une bonne volonté de se bien faire connaître à la Supérieure, de lui bien découvrir nos sentiments, en lui disant nettement, franchement, et cordialement, tout ce que nous lui devons dire de ce qui se passe en nous, avec le plus de vérité, simplicité et humilité qu'il nous est possible. Mais la crainte vous empêche de vous déclarer, dites-vous ? Il n'y a remède ; il faut avoir patience, puisqu'il n'y a là aucune malice. J'ai vu des grandes âmes, de nos premières Sœurs, lesquelles avaient un désir insatiable de bien pratiquer ce point qu'elles reconnaissaient être des plus importants pour leur perfection. Elles venaient donc avec une ardeur et affection extrêmes, et, lorsqu'elles étaient devant moi, elles se mettaient à pleurer sans pouvoir me rien dire, parce qu'elles craignaient de n'avoir pas assez de temps, et me disaient qu'on m'appellerait pour d'autres choses, ou qu'on sonnerait aussitôt quelques exercices ; or, cela était une tentation qui leur donnait bien de la peine. Or sus, mes Sœurs, vous me dites encore que notre Bienheureux Père dit que c'est une grande grâce de Dieu d'avoir de bons Supérieurs. Il est vrai, mes chères filles, mais il ne faut pas les demander comme ceci ou comme cela, ni moins refuser les unes que les autres, ainsi, les recevoir telles que Dieu vous les donne, et regarder toujours ce grand Dieu en leur personne. Nous sommes certainement des bonnes filles, comme je vous dis souvent, mais il faut devenir meilleures, puisque nous en sommes capables, Dieu merci. Jusqu'à cette heure, vous vous êtes nourries de lait, et dans une vertu de coton, Dieu nous ayant traitées en faibles, ne permettant pas que nous ayons vécu sous des Supérieures qui nous aient beaucoup exercées ; mais, tenons-nous désormais bien disposées à tout ce que sa divine Bonté voudra faire de nous.

Vous voulez encore me dire que pour le document de notre Bienheureux Père de ne rien demander ni rien refuser, que l'on y pense bien, qu'on tâche [30] de le pratiquer aussi, mais qu'on ne pense pas d'en rendre compte lorsqu'on parle à la Supérieure. Il faut le faire, mes chères filles, car ce sont les principales affections, résolutions et dispositions que nous devons tâcher d'avoir, puisqu'enfin ce saint et dernier précepte de notre Saint Fondateur et Législateur doit faire toute notre attention, et que ce doit être notre pratique mignonne.

Entretien 7 (noté 23) : De notre digne Mère de Chantal.

Mes chères filles, je n'ai rien à vous dire, à moins que vous ne me fournissiez des sujets de vous entretenir par vos demandes.

« Ma Mère, notre Bienheureux Père me dit une fois, qu'il fallait continuellement s'abaisser en humilité et s'élever devant Dieu en amour. Comme s'entend cela ? »

Mes chères filles, l'humilité est le fondement, et la charité le sommet, de sorte qu'autant qu'on s'abaisse en humilité, on croît et on s'élève en amour. Oh ! Que ce Bienheureux Père pratiquait bien cet enseignement qu'il vous a donné, s'anéantissant perpétuellement, et ravalant en toute occasion, sinon que la gloire de Dieu ne lui obligea pas précisément, il se démettait toujours de son jugement et de son opinion, pour céder aux autres, et pour leur condescendre avec une débonnaireté incomparable. Enfin, il tenait son esprit si nu et si vide de toutes sortes de désirs, desseins, affections et prétentions, qu'il ne s'entremettait jamais que de ce qui regardait sa charge. Ah ! Que je désirerais que nous l'imitions de près en cette pratique ! Que celle qui est lingère n'eût point d'autre prétention que de bien faire sa charge humblement et soigneusement, sans se mêler de celle des autres ; que la sacristine fit de même, bien doucement et amoureusement la sienne ; ainsi de toutes les autres officières, sans regarder sur les autres, et que celles qui n'ont aucun emploi, fassent seulement ce que l'obéissance leur ordonne, sans penser ni se mêler d'autre chose. Il y a des esprits qui voudraient tout gouverner et mettre ordre à tout, en sorte qu'ils tracassent fort une maison et y apportent du désordre; ceci regarde [31] non seulement l'extérieur, mais aussi l'intérieur ; au nom de Dieu, mes Sœurs, ne nous chargeons point du souci des autres, mais tenons notre esprit vide et détaché de tout, pour le tenir toujours disposé à être rempli de Dieu, et à nous bien unir à ce bien souverain, faisant mourir tout ce qui est en nous, de nous-mêmes, pour ne vivre que conforme à son bon plaisir, et selon les ordres et dispositions de son adorable Providence. C'est dans son sein qu'il faut nous élever par amour, après nous être anéantie à tout, ne voulant plus une chose que l'autre. Mes Sœurs, ces inclinations sont bien difficiles à être anéanties : l'une nous porte à aimer plus d'aller avec cette Supérieure qu'avec celle-là ; quand l'obéissance se conforme à nos volontés, nous en sommes toutes en joie : « Je m'en vais de si bon cœur à cette fondation », dira une Sœur. « Et pourquoi », lui répondra-t-on. - « Parce que la Supérieure qu'on nous destine est si bonne, que je lui ai tant d'inclinations, que mon estime pour elle est tout entière ; je m'accommoderai si bien avec elle ». Vous ne faites rien qui vaille, ma pauvre Sœur, lui faut-il dire, parce que vous n'allez pas à votre œuvre purement pour Dieu, et bien que vous quittiez cette maison où vous êtes si bien, si généreusement, et que vous laissiez sans répugnance vos commodités, votre obéissance ne vaut rien. Pourquoi ? Parce que vous ne faites tout cela que pour aller avec cette Supérieure et pour aller en cette ville. Après cela, vous me direz que vous allez faire votre fondation pour Dieu. Pardonnez-moi, ma fille, c'est parce que la Supérieure, les Sœurs, vos compagnes et la ville, sont à votre gré ; ainsi, vous êtes bien éloignée de chercher Dieu nûment et simplement. Anéantissons tout cela, élevons nos esprits par amour, pour ne chercher que Dieu en notre obéissance, en notre pauvreté et en notre chasteté, en nos oraisons, en nos mortifications ; et, en tout généralement, ne cherchons que Dieu. Et si l'on nous envoie avec des Supérieures que nous aimons et en un lieu qui nous agrée, bénissons Dieu qui nous donne cette consolation, en nous humiliant, voyant que la divine Providence s'accommode à notre faiblesse, nous dépouillant devant Dieu de cette satisfaction, protestant qu'en ce qui nous plaît même, nous ne voulons chercher que Lui et l'accomplissement de ses saintes volontés ; et si, au contraire [32] on nous mande avec une Supérieure à laquelle nous avons de l'aversion, et en quelque lieu que nous n'aimions, bénissons Notre Seigneur et jetons-nous entre ses bras, nous assurant qu'il aura soin de nous, et que, moins nous aurons de contentement et appui extérieur, plus il nous fera abonder ses grâces ; et estimons-nous bienheureuses d'avoir de si précieuses occasions pour lui montrer notre amour et notre fidélité, agrandissant notre courage pour les bien employer, avec son assistance, en laquelle il faut jeter notre confiance. Mais, surtout, rendons-nous soumises et maniables à son bon plaisir.

 Si pourtant, par notre misère, nous faisons le contraire, nous laissant aller à l'imperfection, il ne nous abandonnera pas totalement ; il ne nous perdra pas et ne laissera pas de nous aimer et supporter, comme vous voyez que les pères et les mères qui ont beaucoup d'enfants ne laissent pas d'aimer et souffrir ceux qui sont chagrins, dépiteux et revêches. Ils en ont compassion, et ne laissent pas de leur donner ce qui leur est nécessaire et de leur faire leur part dans leur héritage. Souvent, pourtant, ce sont des enfants qu'on laisse là comme n'étant propres à rien, et dont on ne reçoit aucune satisfaction. S'il y en a qui soient doux, gracieux, obéissants, et dont l'esprit soit bien tourné, on jette incontinent les yeux sur eux pour les bien élever, pour les faire étudier, ou les exercer selon leur talent, les destinant les uns à une dignité, les autres à remplir un beau poste à la cour, aux armées, et à tels autres emplois.

Notre Seigneur, qui est notre vrai père, en fait de même ; il aime tous ses enfants. Néanmoins, ceux qui lui sont plus fidèles gagnent mieux son Cœur ; il leur communique plus de grâces ; il en reçoit plus de contentement, et ils méritent plus son amour. Travaillons, mes chères filles, pour acquérir ce bonheur incomparable de nous rendre plus agréables à Dieu, ce Père adorable de nos âmes, ne cherchant que lui en tout, nous rendant bien indifférentes et véritablement humbles. Je voudrais que l'on m'arrachât les yeux et rencontrer une vertu parfaite parmi nous. Mon Dieu, mes Sœurs, ne vaut-il pas mieux se mortifier pour un peu de temps, et passer après notre vie dans un trône [33] de paix, comme un vrai enfant de Dieu, que non pas d'être toujours en trouble, chagrin, et inquiétude !

Vous me demandez, maintenant, comme les âmes religieuses peuvent manquer aux Commandements de Dieu ?

Ma chère fille, nous pouvons manquer au plus grand de tous, qui est celui de la loi de grâce, et de l'amour de Dieu et du prochain : tu aimeras Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme, de toutes tes forces, et le prochain comme toi-même. O Dieu ! Que la pratique de ce sacré précepte est délicate, et qu'il est facile d'y manquer ! Nous le pouvons faire en préférant notre volonté à celle de Dieu et de nos supérieurs, en engageant nos affections aux créatures, en voulant servir ce grand Dieu avec toutes nos aises et commodités, sans nous employer fortement à son service. Pour notre prochain, nous pouvons manquer en l'amour qu'on lui doit, plus que nous ne croyons, c'est à dire, ne l'estimant et ne l'aimant pas en notre cœur, quand nous sommes un peu marries de son bien, de son avancement, de le voir plus estimé que nous, d'en dire quelques petits défauts lorsque les autres le louent, quand nous ne contribuons pas à en dire du bien, quand nous croyons qu'on exagère aux louanges qu'on lui donne, ce qui est fort contre la charité. Quand même nous eussions vu tout le contraire, il n'en faut rien dire ; par exemple, nous avons vu une personne qui, en cachette, boit un verre de vin pur, et qui, dans la compagnie, n'en boira qu'un d'eau toute pure aussi, et, que là-dessus, on loua fort sa sobriété. Il faudrait se taire, l'excuser en notre cœur, et penser qu'elle a bu cette eau pour pénitence de ce qu'elle a bu le vin. L'on peut encore penser que les jugements de Dieu sont bien différents de ceux des hommes, et que cette personne s'est amendée, et qu'elle a maintenant la vertu contraire au vice que vous lui avez vu naguère. Il se faut grandement plaire à ouïr louer notre prochain, tant à nos chères Sœurs que les autres, et contribuer au bien qu'on en dit, autant que nous pouvons, regardant le bien que nous savons être véritablement en lui, nous gardant bien de louer pourtant les unes pour ravaler les autres. [34]

Vous me demandez s'il y aurait du mal de n'être pas bien aise, que l'on donne quelque chose aux maisons qui sont sorties de céans pour les accommoder, et d'en murmurer ?

C'est une imperfection bien lourde et contre la charité. Je ne pense pas qu'elle se commette parmi nous, grâce à Dieu, et il s'en faudrait bien garder. Cette première maison <qui> doit avoir une grande charité pour secourir, non seulement les fondations qu'elle a faites, mais encore tous les monastères de l'Ordre, s'ils étaient nécessiteux. Si notre prochain même était réduit dans une telle disette qu'il ne pût être secouru que de nous, pour étranger qu'il fût, nous serions obligées de lui donner ce qu'il aurait besoin ; et, quand nous n'aurions que ce qui nous serait nécessaire, nous serions obligées de retrancher tout ce que nous pourrions bonnement, en sorte que nous puissions vivre seulement, pour aider notre prochain. Et après, pour nos pauvres Sœurs qui ont accommodé la maison, qui nous ont laissé leur dot, leurs petites commodités, en sortant, pour aller augmenter la gloire de l'Institut, nous leur refuserions de leur donner quelque chose ? À la vérité, cela serait bien cruel ! On décharge votre maison de cinq ou six filles qu'on envoie en un pauvre lieu, où elles ne trouveront presque rien, et l'on ne voudrait pas leur donner ce qu'on peut, soit pour les habits qui servent à leur personne, soit pour quelque meuble pour accommoder leur église ou leur maison ? Voire même, on leur doit donner de l'argent ou leur en prêter, selon le moyen qu'on a ; mais cela de bon cœur et de bonne grâce, sans dire qu'on donne plus ici que là, sinon qu'on le dise simplement par forme de discours, selon l'occasion qui se présente ; mais ne le dites jamais par plainte ou désapprouvement, parce qu'il faut laisser disposer de tout cela à la Supérieure. Au commencement de l'Église, les anciens chrétiens n'avaient qu'un cœur et qu'une âme, et mettaient tous leurs moyens en commun aux pieds des Apôtres, qui les distribuaient comme ils voulaient et à qui il leur plaisait ; voire même aux plus barbares et étrangers du monde s'ils en avaient besoin. Or, toutes les religieuses doivent représenter ces anciens chrétiens, et n'avoir, comme eux, qu'un cœur et qu'une âme, en mettant tout en commun pour en laisser l'entière [35] disposition à leurs supérieurs, afin qu'ils en fassent ce qu'ils jugeront, sans que nous y trouverions à redire.

Or sus, mes chères filles, emportons cette affection de notre entretien, de nous adonner, à bon escient, à la pratique des solides vertus, de ne chercher que Dieu, de nous laisser absolument conduire à la divine Providence ; qu'elle nous mette ici ou là importe peu ; si elle nous envoie de ce côté ci ou de celui là, n'y regardons point ni par quelle porte nous passerons, ni en quel lieu nous irons, ni avec qui, pourvu que nous portions avec nous nos Règles, et que nous trouvions moyen de les pratiquer, et de bien faire observer, cela nous doit suffire. Oh! que nous sommes éloignées de faire nos actions pour Dieu ! Quand j'y pense, je ne sais quelle mine tenir, tant j'en suis honteuse. Mettons hardiment la main à notre conscience, et nous trouverons que nous mettons notre contentement à la Supérieure, au lieu de le mettre en Dieu, et qu'il semble que nous soyons venues à la religion pour être hors des misères du monde, pour avoir nos commodités, et non pas pour y servir Dieu, que nous allons en telle part, parce que nous sommes bien aises d'y aller, et non pour Dieu, que nous faisons promptement cette obéissance parce qu'elle nous agrée et non pas pour Dieu, que nous faisons de bon cœur la volonté de Dieu, pour autant qu'elle se trouve conforme à la nôtre, et non pas pour l'amour souverain que nous lui portons. Enfin, si nous feuilletons bien, nous trouverons que véritablement presque en tout et partout, nous nous cherchons nous-mêmes, notre propre intérêt et satisfaction.

Oui, oui, mes chères filles, parlons seulement de l'oraison de quiétude et des autres, et remettons voir, je vous prie, sur pied, notre bonne foi et innocence du temps passé ; car, au commencement, nous parlions bien tant et si souvent de toutes ces oraisons, que l'on y prenait tant de plaisir et de contentement que rien plus. Certes, c'était une belle gloire de voir les ferveurs et ardeurs de nos Sœurs ; il est vrai, cela anime et encourage grandement. Nous ne nous communiquons pas assez nos petits biens. Ce n'est pas qu'il se faille dire des grandes choses, comme des ravissements et grâces spéciales que l'on a à l'oraison de quiétude, mais quelque petite chose de ses bons désirs, sentiments et affections, selon les occasions et sujets. Mais cela tout cordialement et bonnement. [36]

Nous ne parlons pas assez ensemble des vertus solides. Surtout parlons de la résignation et indifférence, car c'est ici la vraie et excellente oraison. Entretenons-nous de l'éternité. Notre Bienheureux Père me dit une fois : « Nos filles ne parlent pas assez de l'éternité ». Certes, je voudrais que nous en parlions tout familièrement, comme nous parlons de notre maison de Paris et de Lyon, et des autres. À quoi, je vous prie, devons-nous prendre plus de plaisir et de récréation qu'à cela ? Certes, ces discours, mes Sœurs, sont utiles, aimables et capables de délecter et satisfaire les esprits des vraies religieuses comme nous devons être. Que si, par la vie de la mortification que nous menons, nous nous anéantissons, élevons-nous à Dieu, dans ce doux souvenir de son éternité glorieuse, qu'il destine à ceux qui quittent quelque chose pour son amour.

Entretien 8 (noté 39) : Sur la solide fidélité que nous devons avoir à la suite de la grâce, et à l'acquérir par la pratique de la vraie vertu.

La perfection de céans, mes chères Sœurs, n'est pas fondée sur les grâces extraordinaires en l'oraison, mais sur la solide vertu. Nos premières Mères et Sœurs n'auraient jamais voulu parler d'autre que de l'oraison ; elles en faisaient des perpétuelles demandes à notre Bienheureux Père, et elles n'étaient pas bien satisfaites, parce qu'il leur répondait courtement, s'étendant sur les pratiques de la vertu véritable, auxquelles il portait tout à fait les âmes qu'il conduisait, plus que par toutes autres voies, et bien qu'il eût vu les âmes gratifiées des plus sublimes ravissements, s'il n'y trouvait un fond de véritable humilité, il n'en faisait point d'état. Il aimait fort une âme courageuse, laquelle il voyait absolument déterminée au bien, quoi qu'il lui pût arriver, et ne voulait pas qu'on regardât aux goûts et aux plaisirs, ni aux dégoûts et aux privations, mais il voulait que dans les douceurs comme dans l'amertume, on allât droit à Dieu par une remise humble et soumise aux divines dispositions sur nous, par l'exercice d'une sincère douceur de cœur et égalité d'esprit. Lorsqu'il rencontrait de telles âmes, il les chérissait fort, et pour mériter ses tendresses, je voyais qu'il ne fallait qu'aimer le bon plaisir de Dieu et sa sainte volonté sans se regarder soi-même, mais il ne laissait d'aimer les moins parfaites, et il travaillait patiemment et doucement autour de ces âmes moins fortes.

Mes chères Sœurs, il y a des âmes qui, comme les lys qui sont plantés profondément [37] en la terre, ne portent que fort tard ; et d'autres, qui comme ceux qui sont moins enfoncés, portent de meilleure heure. Oui, mes chères filles, nous sommes fort enterrées en nous-mêmes, c'est pitié de nous ! Nous ne portons guère de fruits, ni de fleurs, que bien tard. Mais si nous sommes généreuses, peu enracinées en notre propre terre, que nous ne prenions que par nécessité tout ce qui est de la nature, nous porterons des fruits beaux, bons et de bonne heure. Dieu ne cesse jamais, tant il est bon, d'être après le cœur de l'homme pour l'aider à sortir de lui-même, des choses vaines et périssables, afin qu'il puisse recevoir sa grâce et se donner tout à lui. Il appelle l'un par une prédication, l'autre par un exemple ; celui-ci par une sainte lecture, ou par sa seule inspiration ; d'autres par quelques afflictions. Enfin, il présente sa grâce à chacun suffisamment et très abondamment pour son salut, et pour avancement et progrès en la perfection.

Notre Mère la Sainte Église, détermine très assurément que jamais la grâce ne nous manque, ni ne nous quitte, que nous ne la quittions. Ce bon Dieu nous attend en patience dans nos délais, il nous demande incessamment, bien que nous ne lui répondions pas ; il frappe à la porte du même cœur qui lui est fermé. À l'heure que je vous parle, combien pensez-vous qu'il y ait des âmes que sa grâce gagne, et qui sont destinées au salut éternel, étant encore embourbées dans des grands péchés ? Notre Seigneur les voit dans leurs crimes, il les regarde, il les patiente, il les inspire, enfin, il les retire parce qu'elles coopèrent à sa grâce, bien qu'elles se soient mises en grand danger, différant leur coopération ; parce que l'Esprit de Dieu s'en va, se retire, quand nous ne le recevons pas, et que nous le refusons. L'Écriture le témoigne en plusieurs endroits : lorsque l'Époux eut fort prié son épouse de lui ouvrir la porte, et qu'elle continua ses excuses, cet Amant sacré passa, et elle ne le trouva plus lorsqu'elle se ravisa de lui ouvrir. Mes chères Sœurs, lorsque nous nous sentons pressées de sortir d'un péché, de quitter une imperfection, de nous relever d'une négligence, d'acquérir une vertu, de nous avancer fortement à la perfection du divin amour, alors, l'heure est venue pour nous, levons-nous promptement, accourons au divin Époux, acceptons sa grâce, profitons de son inspiration, c'est le temps de notre délivrance, ne différons point, ouvrons, ouvrons sans délai, autrement il se dépitera et s'en ira. [38]

Il me vient une similitude sur ce sujet, qui est un peu de récréation et qui nous divertira, mes chères filles. Je me souviens que Monsieur de Chantal aimait fort à dormir la grasse matinée ; moi qui avais toute l'économie de la maison à mon soin, j'étais forcée de me lever matin pour donner tous mes ordres. Lorsqu'il commençait d'être tard, et que j'étais revenue dans la chambre, y faisant assez de bruit pour l'éveiller, afin qu'on dit la messe à la chapelle, pour faire après les affaires qui restaient, l'impatience me venait ; j'allais tirer les rideaux du lit en lui criant qu'il était tard, qu'il se levât, que le chapelain était habillé, et qu'il allait commencer la messe ; enfin, je prenais une bougie allumée, et la lui mettais sur les yeux, et le tourmentais tant, qu'enfin je le faisais quitter son sommeil et sortir du lit. Je veux vous dire par ce petit conte, que Notre Seigneur fait de même avec nous, nous ayant attendues, et patienté longtemps, et voyant que par des moyens généreux, nous ne sortons point de nos imperfections, il s'approche de plus près de nous, il tire le rideau lui-même de quelques difficultés, il nous apporte sa lumière jusque sur les yeux, nous sollicite et nous presse si fort, que souvent il nous contraint, comme par une douce violence, de nous lever ; et lorsque nous sentons ses traits, que nous avons sa lumière, mes Sœurs, il faut lui obéir, nous lever promptement et sortir de nous-mêmes, autrement il s'irritera, s'en ira et nous quittera. C'est le malheur des malheurs lorsque Dieu retire ses inspirations. Hélas ! Il le fait pourtant après avoir bien attendu, il le dit lui-même : J'ai été de longues années après ce peuple, mais il ne m'a point voulu ouïr, et je jure pour cela qu'il n'entrera point en mon repos.

O Dieu, mes filles, lorsque par notre négligence nous laissons de profiter de ces précieuses et divines inspirations, craignons très justement de ne trouver plus le temps propice de les ravoir. Le même Seigneur a dit : « Un temps viendra que vous me chercherez et ne me trouverez ; vous m'appellerez et je ne vous répondrai point ». Et pourquoi, Seigneur ? Parce que, lorsque je vous ai cherchés et recherchés, demandés et redemandés, vous ne vous êtes pas laissé trouver, et que vous ne m'avez pas [39] voulu répondre. Je me suis montré à vous, et vous ne m'avez point voulu voir ; maintenant je vous rendrai la pareille. Correspondez, mes chères filles, à ces divins attraits, quoi qu'il nous en coûte. Le ciel souffre violence, et les forts le ravissent. Il se faut vaincre et surmonter fortement, et lorsque Dieu nous appelle, le suivre fidèlement et humblement, opérant l'œuvre de notre salut avec crainte et tremblement, puisque le chemin qui conduit à la vie est si étroit, que peu de personnes y entrent bien comme il faut. Pour y bien marcher, il faut agir, souffrir et soutenir, puisque nous ne sommes en cette vallée de larmes que pour fatiguer et endurer, pour souffrir, non pour jouir ; pour combattre et non pour nous tenir en repos. L'Église de Dieu, Épouse de son Fils Jésus-Christ, est appelée militante, c'est à dire souffrante, combattante, guerrière. Tous les fidèles sont les membres de cette Église, il faut donc que ces membres fidèles soient tous soldats combattants, forts et vaillants, pour vaincre les trois ennemis communs de tous.

Or, pour les deux premiers, le démon et le monde, ils ne nous font pas grande peine, ni d'ennui ; ce n'est que ce nous-mêmes qui nous tourmente et qui est notre grand ennemi, sur lequel les deux autres se reposent, parce qu'ils savent que le plus fier ennemi de l'homme est en lui-même. J'aime fort, mes Sœurs, ce mot de saint Bernard qui dit : « ce corps que tu vois, tu crois que c'est toi-même, et il n'en est rien, parce que ce n'est qu'un sac de corruption, une pâture pour les vers, et néanmoins le trop d'amour pour une chose si vile nous retarde bien souvent du chemin de la vraie vertu ». Ce corps est ce faux nous-mêmes, et tout rempli de rébellions, de passions mauvaises, habitudes vicieuses, de propres recherches, et comme il tend toujours au bas, il tire, s'il peut, l'âme après soi ; et, si l'on n'a bien l'œil à le mortifier, pour saint que l'on soit, l'on fait des faux pas en cet endroit, parce qu'on sent toujours quelques rébellions et contrariétés en la partie inférieure. Ces ermites hypocrites qui ont voulu soutenir le contraire, ont été condamnés par l'Église ; et, à la vérité, je ne sais aucun saint qui n'ait eu besoin de faire attention à mortifier le corps. En quelle manière notre saint Père avait-il acquis ce grand empire sur lui-même, pour ne craindre ni froid, ni chaud, ni aucune incommodité, sinon en ne laissant passer aucune occasion de se mortifier, ce qui parut si éminemment dans la patience [40] merveilleuse qu'il exerça dans sa dernière maladie.

Enfin, tant que nous serons vivantes, nous aurons besoin de bien combattre ce nous-mêmes. Je trouve que c'est une grande bassesse d'être attachées à nos corps, nous qui goûtons les plus doux et purs plaisirs d'esprit, et qui sommes destinées à vivre d'une vie toute d'esprit. Le corps n'est rien, nous le voyons bien, dès que l'âme en est sortie, ce n'est plus pour nous qu'un objet d'horreur ; et, néanmoins, ce n'est que la mort qui le réduit dans l'état où il devrait être. Parce qu'il ne devrait avoir de mouvement que par le commandement de la raison, puisqu'un cadavre ne se meut, comme disait le bon saint François d'Assise, que par autrui, et non de lui-même. Tâchons donc de nous bien mortifier, mes Sœurs, d'assujettir le corps à la raison, et non la raison à lui-même. À quel prix que ce soit, acquérons la vraie vertu ; mais ne nous appuyons pas, en cette entreprise, sur nos propres forces, mais jetons notre confiance en la bonté divine, qui nous soutient en tout.

Entretien 9 (Noté 17) : De notre digne Mère de Chantal, sur l'humilité du grand Saint Augustin, fait le jour de sa fête (1630).

 Mes Sœurs, je vous ai déjà bien dit autrefois que je ne fais point profession ni de prêcher, ni de parler des choses spirituelles, étant aussi peu entendue que je me trouve ; choisissons donc seulement de nous entretenir de la sainte humilité de notre grand père saint Augustin, qui était sa vertu plus excellente et éminemment particulière. Si l'on me demande, dit ce grand Augustin, le chemin du ciel, je vous répondrai que c'est l'humilité ; et si l'on me dit de nouveau, par quel chemin peut-on aller au ciel, je répondrai toujours : par l'humilité, par l'humilité.

Quelle plus parfaite humilité que d'avoir écrit tous ses péchés pour les publier à toute la terre ; afin que chacun sût, au siècle à venir, qu'Augustin avait été un grand pécheur : c'était bien être mort à l'estime de lui-même pour ne priser que ce qui est éternel. Mes Sœurs, je vous dis souvent : tous nos maux ne viennent, sinon que nous ne regardions pas assez l'éternité, c'est ce qui nous entraîne à n'aimer que [41] les choses basses et caduques.

Il y a trois choses desquelles nous ne nous défaisons que difficilement : la première, de l'honneur et à l'amour de l'estime de nous-mêmes ; la deuxième, l'amour de nos corps et de ses commodités ; et la troisième, c'est la haine que nous avons pour la soumission intérieure et extérieure.

Or, si nous considérons bien ce que c'est que cette vie si courte et si pleine de misères, encore quel état ferions-nous de nous-mêmes ? La vraie humilité tend au mépris de cette estime propre et nous fait aimer d'être tenues pauvres, ignorantes, petites et imparfaites, dans l'oubli de toutes les créatures ; et, en un mot, nous ne serons jamais humbles que lorsque nous nous tiendrons nous-mêmes pour des petits néants, et lorsque vous serez parvenues à ce degré d'aimer d'être tenues et de vous estimer vous-mêmes comme la souillure de la maison, vous serez très heureuses et très grandes devant les yeux de Dieu. Hélas ! Voyez, que sont devenues tant de créatures qui ont été si grandes et si honorées en ce monde ? L'enfer en a reçu beaucoup ; le purgatoire en a moins eu, et le paradis en a peu.

Pour le second sujet de nos attachements, qui est l'amour de nos corps et de nos petites commodités, hé, mon Dieu! Mes chères Sœurs, considérons que tout ce que nous avons n'est pas à nous, que ce sont tous des biens empruntés. Nos vrais biens propres ne sont pas de si petits biens et si chétifs : ils sont là- haut, mais ce sont des biens incorruptibles ; nos habillements seront là, beaux à merveille, et celles qui porteront de bon cœur des plus chétifs haillons ici-bas en recevront des plus riches là ; ainsi, la plus pauvre ici-bas sera la plus heureuse là haut. Pour notre nourriture, jamais, à Dieu ne plaise, qu'aucune de ces épouses voulût avoir plaisir aux viandes corrompues ; nous les devons prendre par obéissance, comme un bien qui nous est commun avec les plus lourds animaux, parce que la vraie vie de l'âme, épousée à Dieu, est Dieu même qui se fera notre nourriture éternelle, nous rassasiant, dans la gloire et durant une éternité, de sa vision béatifique.

 Pour notre volonté, ne devrions-nous pas avoir honte, après que Jésus-Christ ait passé sa vie en obéissance, et qu'il n'a fait gloire que de faire et suivre la volonté de son Père ! C'est le grand avantage de l'âme que cette soumission au bon plaisir de Dieu, puisque c'est ce qui l'unit plus intimement à lui-même et à son amour. Soyons désormais plus solides à la vertu, pensant que [42] chaque pas que nous faisons dans icelle, ce sont autant d'échelons pour monter à l'heureuse et désirable éternité, à laquelle nous devons incessamment penser, pour mieux mépriser tout ce qui se passe. Je vous dis et redis mille et mille fois l'année, et je vous le redis encore : travaillons, mais solidement, à cette haute vertu que Dieu veut de nous. Nous avons des grands et bons sentiments de l'amour de ce bon Dieu ! Nous avons des excellents désirs et nous faisons des bonnes résolutions ; mais quand il s'agit de venir à l'action, nous faisons les enfants, n'étant pas constantes et courageuses. Oh ! que j'ai un fort désir de nous voir fidèles à sortir de nos petites tendretés, et de nous voir des filles magnanimes, qui fassent tout pour Dieu, soit le doux, soit l'amer, soit le facile ou difficile ! Ce n'est pas manquer pourtant à cette magnanimité que de sentir des répugnances, pourvu que l'on les désavoue et qu'on ne fasse rien en sa faveur, parce que la nature combattra toujours la raison, la part inférieure contre la supérieure, la prudence humaine contre la simplicité et sagesse divine, et pour l'ordinaire la tentation n'est donnée aux bonnes âmes que pour mettre un grand affermissement à la solidité de leur vertu. Une Sœur fera avec une grande répugnance une charge, toutes les actions qu'elle en fait lui sont autant de combat ; or, sachez qu'elle y gagne plus que celle qui en fait une avec un plaisir sensible, qu'elle sent de s'acquitter de son obéissance et de cette obligation.

Vous me demandez ce que c'est qu'une vertu solide, mes chères Sœurs ? C'est une vertu exercée parmi les difficultés et combattue par son contraire ; nous ne sommes religieuses que pour l'acquérir, mais Dieu nous fasse la grâce qu'à l'heure de la mort nous ayons la victoire de ce combat, et que nous trouvions d'avoir acquis une seule vertu véritable ; par exemple, vous voulez être comme notre père saint Augustin, une vraie humble ; il faut aimer le mépris ; il faut vous reconnaître vile et abjecte et vouloir être tenue pour telle, qu'en tout ce que vous faites vous cherchiez à vous anéantir et vous humilier. Notre doux Jésus dit : apprenez de moi à être doux et humble de cœur ; si nous apprenons à être humbles comme lui, nous ne le serons pas seulement en obéissant parfaitement, en nous soumettant à vivre sous l'obéissance, comme lui sous la direction de saint Joseph, en nous humiliant nous-mêmes comme il s'est humilié, mais nous le suivrons dans sa souveraine humiliation qui a été de s'être laissé humilier par ses créatures, d'avoir paru un homme simple, digne d'être méprisé, et d'avoir été fait le jouet et la risée de son peuple. [43] Agissez donc ainsi. Humiliez-vous fidèlement et fervemment, et lorsqu'on vous humiliera, souffrez-le courageusement, laissez-vous entre les mains de Dieu et de l'obéissance. Qu'il vous mette ici ou là, qu'on vous tourne d'un côté et d'autre, il faut laisser, en tout cela, faire de vous comme d'un peu de boue qu'on foule aux pieds, qu'on pétrit, qu'on défait et qu'on re-pétrit tout comme l'on veut : ceci est une vertu solide. Ma chère Sœur, commençons de marcher en ce chemin, sous la faveur du grand saint Augustin. Oui, mes Sœurs, les vraies vertus religieuses sont profonde humilité, humble soumission, entière remise de nous-mêmes entre les mains de Dieu, une abnégation forte de toutes les choses de ce monde, et une généreuse et magnanime résolution qui ne s'étonne point des difficultés, mais qui, connaissant sa faiblesse propre, s'appuie sur l'appui et sur la force de la grâce de son Bien-Aimé, persévérant toute sa vie au bien qu'elle a commencé.

Ma Sœur, la bonne oraison est celle qui produit la bonne mortification. J'aime mieux une fille qui n'a que l'attrait ordinaire de la considération et qui est fidèle à son obéissance, qu'une âme qui serait ravie vingt fois le jour qui ne s'adonnerait pas à la mortification par la voie de notre saint Institut. Mais il ne fait guère bon parler de cet exercice si saint de la sainte oraison en commun : comme chacun est conduit par sa voie, l'on ne peut pas donner des avis bien justes qui contentent toutes. Mais je vous dirais seulement qu'il ne faut pas beaucoup fier et amuser aux goûts et sentiments sensibles, si l'âme qui les reçoit n'en tire ces trois fruits : la mortification, la remise de soi-même entre les mains de Dieu, et la profonde humilité et obéissance. Avec cela, croyez votre chemin bon, mes chères filles, et que vous ne demeureriez pas dans ce premier des douceurs sensibles, mais que le Saint Époux vous fera passer jusqu'au plus haut degré de son union divine, si vous vous rendez fidèles à sa grâce.

Une telle fille voudrait toujours être en oraison, me dit-on, mais je demande, est-elle humble, patiente, indifférente, se laisse-t-elle employer comme l'on veut ; si cela est, bien ; si cela n'est pas, je la conseille de se désabuser et de croire que ses sentiments et consolations ne proviennent que de la nature, ou du malin esprit. Pour celles qu'on voit fort attirées à l'union avec Dieu et la simplicité divine, il faut au sortir de l'oraison, leur ordonner de faire quelque chose bien répugnante à leur inclination, les humilier fortement. Si elles se portent humblement et doucement sans rien [44]  dire, dites qu'elles sont bien conduites, et laissez-les suivre leurs attraits. J'ai coutume de dire que l'on connaît l'ouvrier à la besogne. Lorsque Dieu agit dans une âme, l'on le connaît bien, il faut recevoir les goûts et sentiments quand Dieu les donne, en nous humiliant beaucoup, nous anéantissant en notre misère, en jouir en simplicité et en tirer les fruits très fidèlement pour les rendre au Seigneur qui ne nous donne ses précieux talents à point d'autre fin qu'à celle que nous les fassions fructifier et multiplier.

Ô ma fille, il est certain que si vous vous êtes bien distraite durant la journée, vous ne serez pas recueillie à l'oraison ; l'on recueille d'ordinaire ce qu'on sème. Vous n'avez point été soumise à la Supérieure et à l'obéissance, vous avez bien manqué à la douceur, au support, et à la condescendance de nos Sœurs, et de votre prochain, et vous voulez chercher les douceurs à l'oraison, vous trouver unie à Dieu ? L'on trouve la porte fermée, puisque l'on ne se l'est pas ouverte ; ne vous troublez pourtant pas, mais humiliez-vous, et confessez que vous l'avez bien mérité.

Il n'est point de meilleure marque que l'on n'est pas digne d'une charge, que lorsqu'on la désire et qu'on s'en croit capable, parce que si cela était, vous vous en réputeriez indignes. C'est une pure folie que de désirer quelque chose hors de Dieu, parce que nous n'aurons ni la chose désirée, ni la possession de Dieu qui est la privation de tout bien. C'est aussi un orgueil secret que de ne point désirer d'emploi, et de nous voir déchargées de ceux que l'obéissance nous a donnés, puisque nous nous devons laisser absolument à la disposition de Dieu, croyant qu'on nous l'ôtera lorsque l'on verra que nous ne la faisons pas bien, mais c'est que nous ne sommes pas assez humbles, et que l'amour de notre abjection ne nous suit pas toujours, appréhendant qu'on ne dise : ma Sœur a été ôtée de cet emploi parce qu'elle n'y faisait rien qui vaille.

Mes filles, ne demandez rien, ne désirez rien, et ne refusez rien ; soyez indifférentes en toutes choses, soyez prêtes à recevoir la charge, comme en être ôtée, comme à la recevoir, et vous aurez de la vraie vertu.

Mes Sœurs, si nous savions le prix de l'obéissance, nous ne négligerions pas une occasion de la pratiquer. Oui, mes filles, un seul enclin de tête fait par le mouvement de l'obéissance, quoiqu'avec répugnance [45] de la partie inférieure, nous acquiert un plus grand bien que nous n'en posséderions si nous avions en nos mains l'empire du monde. Nous le connaissons bien dans le choix que la Sagesse incarnée a fait venant ici-bas, qui n'a pas été des richesses et grandeurs de ce monde, mais il a uniquement choisi l'obéissance, vivant soumis à saint Joseph et à Marie sa mère, et à son Père Éternel jusqu'à la mort de la croix.

Non, ma Sœur, nous n'avons jamais raison de nous excuser, mais nous l'avons bien de nous accuser. Il n'est rien qui répande une plus sainte et douce odeur dans une communauté, qu'une âme humble qui s'accuse franchement, et, au contraire, il n'est rien de si désagréable qu'une qui couvre ses défauts lorsqu'elle est avertie, disant seulement : « Je dis très humblement ma coulpe. » Hélas ! ma fille, je connais soudain l'orgueil caché sous cette petite parole ; dites tout simplement : ma Mère, j'en dis très humblement ma coulpe, afin que l'on connaisse que vous vous rendez coupable ; si vous ne l'avez – possible - pas fait cette fois, vous l'aurez fait une autre. Et l'on ne doit pas avertir, comme on ne le fait pas aussi, que de certaines fautes dont nous ne devons pas avoir honte de nous avouer coupables, et l'humilité se fait bien connaître en ces occasions, et nous trouverons toujours notre profit et notre avancement à la perfection, où nous trouverons des sujets de nous humilier. Enfin, l'âme humble s'accuse toujours, et l'orgueilleuse s'excuse incessamment. Prions notre grand père saint Augustin de nous obtenir ce véritable trésor de la vraie humilité, qui l'a rendu plus grand dans le ciel que son éminente doctrine, et que toutes ses autres vertus.

Loués soient Dieu et son grand serviteur Augustin.

Entretien 10 (noté 37) : Ce que notre digne Mère dit, répondant à une Sœur qui lui demandait ce qu'était de se perdre en Dieu.

 Ma chère Sœur, à ce que je vois, vous avez désir de vous perdre en Dieu. Être perdue en Dieu, n'est autre chose que d'être absolument et entièrement résignée et remise entre les mains de Dieu, et abandonnée au soin de son adorable Providence. Ce mot de se perdre en Dieu, porte une certaine [46] substance, que je ne crois pas pouvoir être bien entendue que de ceux qui se sont ainsi heureusement perdus. Le grand saint Paul l'entendait bien lorsqu'il disait avec tant d'assurance : « Je vis, mais je ne vis plus en moi, mais c'est Jésus-Christ qui vit en moi ». Ô Dieu, mes Sœurs, que nous serions heureuses si nous pouvions véritablement dire : « Ce n'est plus moi qui vis en moi, parce que toute ma vie est toute perdue en Dieu, et c'est lui qui vit par moi, et en moi. » Ne vivre plus en nous-mêmes, mais perdue en Dieu, c'est la plus sublime perfection à laquelle une âme puisse arriver. Nous y devons pourtant toutes aspirer, nous perdant et reperdant mille fois dans l'océan de cette grandeur infinie. Mais une âme ainsi perdue est toujours anéantie devant Dieu ; elle est toujours contente de ce que Dieu fait dans elle, et hors d'elle. Tout ce qui lui arrive la satisfait ; l'affliction lui plaît, elle la regarde sans se troubler, parce qu'elle dira : « J'ai perdu toute consolation dans celle d'être perdue en Dieu ». Si l'on lui annonce la mort de ses proches ou de ses amis, elle n'en paraît point troublée, car elle les avait déjà perdus en Dieu. Si on l'humilie fortement, qu'on touche son point d'honneur, hélas, elle ne tient point de compte de cela, parce qu'elle s'est toute donnée et perdue dans celui qui doit faire son honneur et sa gloire, et on ne lui saurait rien ôter qu'elle n'ait perdu et voulu perdre elle-même. J'admire ce grand Job, il est sur son fumier rongé des vers : « Le Seigneur a fait cela, dit-il, son saint Nom soit béni ».

Il y a quelque temps qu'une personne m'écrivait sur des grandes peines qu'elle souffrait. Je lui mandais de perdre tout cela en Dieu. Cette parole lui fit un tel effet dans son âme, qu'il m'écrivit d'en être tout étonné, et tout ravi de contentement de ce que cette seule parole, « perdre tout cela en Dieu », avait produit en lui. Pour nous, mes chères Sœurs, nous voudrions bien nous perdre, mais nous voudrions aussi qu'il ne nous en coûtât guère. Nous disons bien à Notre Seigneur que nous nous abandonnons entre ses bras divins, mais nous ne le faisons pas de la bonne sorte. Nous voulons toujours avoir quelques petits soins de nous-mêmes, non pourtant pour le temporel comme pour le spirituel, l'amour propre par sa subtile finesse nous persuadant toujours que si nous nous en mêlons un peu, que tout n'ira pas bien.

Non, ma Sœur, une âme totalement perdue en Dieu ne veut avoir ni de vertu, ni de perfection que ce que Dieu veut qu'elle en ait. Elle travaille [47] fidèlement, parce que Dieu le veut, mais elle lui laisse tout le soin de son travail, et ne se met pas en peine de chercher des moyens nouveaux de perfection, mais ne s'applique qu'à bien employer ceux que la Providence lui fournit et qu'elle lui présente à chaque occasion.

Il est vrai, ma chère Sœur, que bien que l'on se soit parfaitement donné à Dieu, qu'on peut se reprendre facilement. Mais que faire à cela, ma chère fille, sinon de s'en bien humilier, et reconnaître que notre perte en Dieu n'était pas entière, puisque nous avons été si promptes à nous retrouver, et après cet acte d'humilité profonde se reperdre de nouveau, se jeter en Dieu comme une petite goutte d'eau dans la mer, et se bien perdre dans cet océan de la divine bonté pour ne se plus trouver. Et toutes les fois qu'il vous arrivera de vous reprendre, ma fille, refaites la même chose constamment, et si vous persévérez fidèlement à vous redonner toujours, j'ose vous assurer que vous vous perdrez enfin d'une si heureuse perte que vous ne vous trouverez plus. Il est facile de perdre ce qu'on veut bien perdre, et qu'on perd souvent sans apporter du soin à le retrouver, l'on ne pense plus à une chose perdue. Si nous voulons tout de bon nous perdre, ne pensons plus ni à nos cœurs, ni à nos corps, ni à nous-mêmes, ni à nos esprits, ni à rien de tout ce qui n'est pas Dieu ou pour Dieu. Ah! que je voudrais bien voir mes chères filles ainsi perdues ! Ne voulez-vous pas bien entreprendre cette perte si désirable pour votre défi ? Je le désire bien, mes chères Sœurs. Ô Dieu ! Que ces paroles sont fidèles : « Mourons avec Jésus-Christ si nous voulons ressusciter avec Lui »! C'est notre grand saint Paul qui nous les dit, prêtons-lui foi, et vous verrez qu'il dit vrai, parce qu'il est impossible de trouver la vraie et solide vertu qu'en cette mort de nous-mêmes, de nos inclinations et de nos humeurs, pour ranger tout sous l'étendard de la croix de Notre Seigneur. Et avec cela nous souffrons avec tant de répugnances. Ô mes Sœurs ! Mes chères Sœurs ! si le grain du plus beau froment ne meurt, il ne fructifiera point. C'est la vérité éternelle qui nous en avertit, elle est bien digne d'être crue. Si le vieil Adam n'est ruiné, le nouveau ne vivra pas en nous. [48]

Ce bon père qui nous disait dernièrement que les trois compagnes de Jésus avaient été pauvretés, mépris et douleurs, avait bien raison. Choisissons-les pour les nôtres, et nous ferons un bon choix, ou du moins, aimons-les lorsqu'elles nous suivent. Vous dîtes que l'honneur est ce qui touche le plus ? Mes filles, quel honneur doit chercher une âme religieuse que celui qui se trouve dans la vraie humilité et même dans l'humiliation ? Il m'est insupportable de voir une fille de la Visitation attachée

[sur bandeau collé couvrant trois lignes, d’une main récente : « ce passage a été supprimé, parce qu'il s'en trouve un semblable ailleurs »[55]]

Dans le mépris et la calomnie, voudrions-nous faire comme les gens du monde qui font consister le leur à tant de folies. Il est vrai, une Supérieure a un grand honneur de servir les âmes des épouses de Dieu, mais hors de là, elle n'en trouve qu'à être la plus chargée ; vous n'avez que deux surveillantes et elle en a autant qu'elle a d'inférieures, cela est certain mes Sœurs.

Entretien 11 (noté 31) : Pour le jour du grand saint André, sur le recueillement.

Vous voulez toujours que je vous prêche, mes Sœurs, et je ne sais point prêcher ; je viens parmi vous chercher l'aumône d'un peu de ferveur en répondant à vos demandes.

Vous voulez donc savoir si vous ne devez pas être bien fidèles au saint recueillement ?

Qui en doute, mes chères Sœurs ; vous savez bien que c'est l'ancienne et vieille leçon de la Visitation. Mais vous me voulez dire par votre demande que je vous explique la beauté et la nécessité de cette sainte et belle vertu du recueillement qui nous est sans doute la plus nécessaire. C'est la bonne odeur et la beauté d'une maison religieuse, et une âme bien recueillie répand une édification incomparable. C'est le grand moyen de nous beaucoup avancer en la perfection ; parce qu'on ne doit pas craindre qu'une âme bien recueillie tombe en des lourdes fautes, ni fréquentes ; je dis en des grandes fautes, d'autant qu'il n'est pas possible de nous [49] affranchir du tout des légères tandis que nous serons en cette vie ; et même il ne faudra pas s'étonner si une Sœur déjà bien avancée dans la vertu, en fit quelqu'une un peu notable. C'est Notre Seigneur qui le permet pour nous tenir en humilité, mais comme une suffit pour l'humilier longtemps, elle n'en fera pas fréquemment.

Une fille bien recueillie fait bien et à propos toutes choses. Elle est prompte à l'obéissance, fidèle à tous ses exercices, soigneuse de ce qu'elle a en charge, modeste, et toujours grandement désireuse de la perfection. Mais, mes chères filles, le recueillement est un don de Dieu que sa divine libéralité départit à qui il lui plaît. Toutefois, j'ose vous promettre que l'acquisition en est en nos mains, et en celle d'une soigneuse fidélité. Il se faut parfois se donner de la peine pour mériter cette grâce que ce grand Dieu donnera à des autres en pur don, sans qu'elles aient encore travaillé pour l'acquérir. Il ne faut pas que toutes la prétende de la recevoir à si bon prix, mais employer  toutes nos forces pour nous donner à cette admirable vertu ; et après l'avoir obtenue, confesser encore que Dieu nous l'a donnée par sa libéralité et miséricorde, et que notre peine a été bien petite pour la poursuite d'un si grand bien qui est pour nous le plus rare, le plus précieux et le plus utile, et qui doit être incessamment notre exercice plus ordinaire. Voilà, ma fille, votre question satisfaite, mais je vois bien que vous avez une extrême envie que je vous parle ensuite de l'attention que nous devons avoir à cette sacrée présence de Dieu, à laquelle nous sommes bien toujours. C'est un article de foi que Dieu est présent à tout, et que nous marchons incessamment devant lui, mais nous ne sommes pas bien souvent attentives à cette divine vérité qui est la cause bien des fois que nous tombons en nos défauts ordinaires. Notre Bienheureux Père disait : « Si un aveugle se trouve dans une salle où le roi se trouve aussi, ne le voyant pas, il fera ses gestes et ses grimaces ordinaires ; mais quelqu'un l'avertit que le roi est là, alors il entre en attention et en respect, parce que bien qu'il ne le voit pas, il sait qu'il est là, et cette présence le compose dans sa modestie ». Mes Sœurs, nous sommes tout de même que ce pauvre [50] aveugle. Dieu nous est toujours présent, mais nous n'y sommes pas attentives ; c'est pourquoi nous commettons des péchés en cette sainte présence. C'était une chose qui touchait le plus la Mère Thérèse, de voir que le pécheur commit ses abominations devant l'œil adorable de son Dieu. Nous ne voyons pas Notre Seigneur, mais la foi nous avertit qu'il est en toutes choses, et présent à toutes choses, même dans les plus cachées. Elle nous avertit aussi qu'il réside encore plus spécialement dans notre cœur, et d'une façon bien plus particulière et intime, mais à cause de notre aveuglement, nous en perdons facilement le souvenir et pour cette cause, nous avons besoin de vivifier souvent notre foi. Or comme c'est un article de foi que cette toute présence de Dieu, s'en est un encore que rien n'arrive que par l'ordonnance et le décret de sa divine Providence qui gouverne à son gré tout cet univers, et fait rouler toutes choses à son bon plaisir.

Une âme bien attentive à cette vérité, qui est à la présence de son Dieu, ne se laisse troubler d'aucun événement. Eh bien, dira-t-elle dans les plus fâcheux comme dans les plus heureux, je sais que Dieu m'est ici présent, qu'il est plus dans moi que moi-même, et qu'il ne m'arrive rien qu'il ne l'aie ainsi ordonné et qu'il ne le permette ; que les eaux donc s'enflent et soulèvent pour submerger le monastère, si cette âme est fidèle à ces deux attentions, que Dieu lui est présent et qu'il permet tout ce qui arrive, elle dira doucement, même sans beaucoup de peines : « Ah ! Seigneur ! Puisque c'est vous qui gouvernez et mouvez les ondes, comme vous faites rouler le ciel, voulez-vous m'abîmer et me noyer, j'en suis contente ; je me conforme de bon cœur à vos volontés toujours adorables également pour moi ; je vous laisse faire, et je m'abandonne à vous sans m'enquérir pourquoi vous faites ceci ou cela de moi, pour moi, en moi, et par moi ; mais j'adore avec une profonde soumission vos secrets jugements, je les révère avec toute l'humilité possible ». La peste viendra dans notre ville, dans notre maison même, et la mort ravage tout, cette âme attentive à Dieu dira lors : « Hé ! Seigneur ! [51] Je suis avec vous, vous êtes avec moi, je marcherais dans les ombres de la mort sans rien craindre, vous me  saurez bien conduire ; si vous me destinez à mourir de ce mal, votre saint Nom soit béni, j'accepte en ceci comme en tout le reste, votre souveraine ordonnance ; je l'aime, je la suis, et je l'adore de toutes mes forces ». Une Sœur meurt, que cette religieuse ainsi attentive à Dieu et qui est l'adoratrice de sa providence aimait fort, et qui était fort utile au monastère, elle en pleure un peu, cela ne veut rien dire, c'est la nature qui répand ses larmes, car pour l'âme, l'esprit et la partie supérieure, elle demeure paisible, contente, et parfaitement tranquille auprès de Dieu.

Qui donnait, je vous prie mes chères Sœurs, cette grande douceur et égalité d'esprit à notre Bienheureux Père, sinon cette continuelle adoration à la divine présence qui lui faisait recevoir tout ce qui lui succédait et arrivait comme s'il eut vu réellement que Notre Seigneur le lui eût donné de sa puissante et paternelle main. Si on lui donnait quelques mauvaises nouvelles, il n'en était point ému ; pourquoi ? C'est parce que, étant bien attentif à Dieu, il ne pouvait lui rien refuser de ce que cette divine main lui offrait. S'il  lui venait à apprendre la mort de ses amis, voyant soudain en cet événement la volonté de Dieu, il s'y conformait. Lui imposait-on des blâmes, lui faisait-on des torts, des injures, voyant parmi ces épines les roses du divin bon plaisir, il supportait le tout avec une patience aussi douce qu'admirable, et l'on le voyait aussi calme que si rien n'eut été. À la mort de madame sa Mère, qu'il aimait uniquement, il n'ouvrit jamais sa bouche pour se plaindre. Il m'écrivit ces mots : « Parce que le Seigneur l'a fait, je me suis tu et n'ai pas ouvert la bouche pour dire une seule parole, et que c'est la main de mon bon Dieu qui m'a donné ce coup ! ». Voilà, mes Sœurs, les fruits de cette divine présence de Dieu, et voilà encore par quel moyen s'acquiert la solide vertu.

Je pensais l'autre jour, que si je pouvais encore avoir un désir propre, j'aurais celui de voir nos chères Sœurs travailler un peu fortement pour l'acquisition de la solide vertu, et à celle de ce saint recueillement. Puisque c'est le plus solide et le plus grand moyen d'acquérir la même vertu et [52] la plus haute perfection. Je ne dis seulement que c'est le plus grand moyen que le saint recueillement, mais je dis que c'est le seul et qu'il n'y en a point d'autre ; au moins, qui voudra avoir un peu de vraie vertu, car pour certaines vertus apparentes, nous n'en voulons point céans, et ce n'est pas de celles que je parle, mais de celles que notre saint fondateur nous a enseignées.

Or sus, je parle toujours, et nos Sœurs ne disent mot. Dites-moi quelque chose, mes chères filles, que j'apprenne aussi un peu de vos bons sentiments que Dieu veuillent bénir.


Entretien 12 (noté 58) : Comme il faut donner ses suffrages ou voix aux filles, ou comme il faut les leur refuser.

 Vous me demandez, mes chères filles, comme quoi il faut dire son sentiment et se comporter pour donner sa voix aux filles qu'on propose pour l'habit ou pour la profession, et aussi comme on doit les refuser.

Je lisais l'autre jour dans le Coutumier, que l'on dira en cette occasion son sentiment en la présence de Dieu, courtement et humblement.

Vous voyez donc, mes filles, comme vous vous devez conduire en cette rencontre, et qu'il ne faut pas faire de grandes harangues, ni à la louange, ni au désavantage des filles proposées, ne pas dire leurs défauts, ni leurs vertus, par le menu. Non, mes Sœurs, tant de paroles ne sont que perte de temps ; quand les défauts remarqués ne sont pas suffisants pour vous obliger à les refuser, à quoi bon de les publier ? De même il suffit de dire en peu de mots, ce que vous trouvez en elle, qui vous oblige de la recevoir, regardez donc bien devant Dieu, le bien et le mal de cette fille, dont il s'agit pour voir si elle a les dispositions pour être reçue, ou bien si elle ne les a pas, s'il faut possible lui donner du temps pour son amendement ; puis dire succinctement et doucement ce que nous connaissons devoir dire en cette sorte ou à peu près : « Ma Mère, il me semble que cette bonne Sœur est bien propre pour nous, qu'elle a les dispositions nécessaires ; je ne reconnais rien qui la puisse empêcher d'être reçue » ; ou bien : « Il me semble qu'elle n'est pas propre, d'autant [53] qu'elle est fort tendre sur elle-même, sujette à se plaindre, qu'elle est opiniâtre, ferme en son  jugement, et qu'elle n'a point enfin les dispositions que la règle marque. D'autres fois elle est bien bonne fille, néanmoins, j'y ai reconnu tels ou tels défauts ; il me semble qu'il serait bon de les lui faire savoir, et de retarder un peu sa profession pour voir si elle s'amendera ». Et si vous ne pouvez former aucun jugement, il faut dire tout simplement qu'on ne sait qu'en dire, qu'on est entre-deux. Parce qu'il y a quatre choses : l'une si l'on trouve la fille propre, ou si l'on ne la juge pas propre pour être admise, ou si l'on croit qu'il faudrait lui donner du temps pour son amendement, ou d'autres se peuvent trouver en doute en sorte qu'on ne sait de quel côté la pousser.

Pour la première, il n'y a pas grande affaire : on voit clairement que la fille est bien disposée, on lui donne sa voix sans difficulté. La seconde, on voit aussi clairement qu'elle n'a pas l'esprit propre pour l'Institut : là dessus on lui refuse sa voix très justement. La troisième, on n'y voit pas des obstacles de conséquence, mais, néanmoins, elle n'est pas encore disposée, on le dit tout de même. De la quatrième, l'on est en doute ; or, celle-ci, qui fait bien de la peine, et où se trouve la grande difficulté, il se faut pourtant résoudre, et bien recommander l'affaire à Notre Seigneur, la considérer devant lui, bien consulter la règle et l'intention de notre Bienheureux Père, marquées dans son entretien sur ce sujet. Il faut peser la charité de la maison, qu'il faut toujours préférer  à la charité particulière. Mais aussi pour ne point blesser cette charité particulière, il faut bien prendre garde de la refuser si ce n'est point une fille tracassière et un esprit pour apporter du trouble ; il faut considérer qu'elle ne fera pas grand bien, mais qu'aussi elle ne fera pas grand mal ; et si elle retourne au monde, elle sera en danger de se perdre et damner, tout cela est fort considérable ; il faut entendre l'avis de la Supérieure, de l'Assistante, de la Directrice, et celui des Sœurs les plus judicieuses. Qu'il semble que Dieu vous en donne, pourvu qu'ils soient fondés sur la raison ; parce qu'il faut toujours avoir quelques fondements bien solides, pour recevoir ou rejeter une fille, car Notre Seigneur nous fera rendre compte de celles que nous aurons reçues, et de celles que nous aurons refusées. [54]

Oui, mes chères filles, la Supérieure et la Directrice peuvent dire nettement que les filles sont propres à être reçues, ou qu'elles ne le sont pas, et cela peut servir de fondement aux Sœurs et les doit consoler d'entendre parler franchement leur Supérieure, elles ne laissent pas d'être dans une entière liberté de faire ce qu'elles croiront que Dieu leur inspire. La Supérieure ne doit faire aucune chose pour attirer les Sœurs à suivre son sentiment propre en ces matières, ne point tracasser le Chapitre, mais elle doit vous dire simplement son sentiment sans aucune prétention que d'accomplir son devoir qui veut qu'elle aille droitement. Si vous connaissiez ce que Dieu ne veuille pas permettre d'arriver que quelqu'une agit par intérêt, ce qui se connaîtra aisément, il faut bien se garder de suivre son avis s'il n'était pas bon. Il ne faut pas aussi se laisser renverser l'esprit par les belles harangues que quelques Sœurs pourraient faire au chapitre, pour porter les autres à la réception ou au renvoi, faisant de grands récits des vertus, ou des défauts des proposées. Surtout vous, mes jeunes Sœurs professes, gardez-vous bien de vous laisser aller à ces persuasions, mais suivez les lumières que Dieu vous donne, pourvu qu'elles soient bien fondées et appuyées sur la raison. Comme j'ai déjà dit, Dieu ne vous demandera pas compte, si votre Supérieure ou telle ou telle Sœur, ont bien ou mal donné leurs voix, mais seulement si vous avez justement donné la vôtre.

Vous demandez encore ce qu'il faudrait faire si vous voyez une fille qu'on aurait refusée se désespérer et faire des grandes plaintes, en sorte qu'on peut juger qu'elle fit des grands maux au monde, je réponds qu'il faudrait prier pour elle, tâcher de la consoler, et puis la laisser faire parce que l'ayant justement rejetée, comme n'étant pas propre pour notre manière de vie, vous ne répondrez pas du mal qu'elle fera au monde, mais vous auriez bien été punies de celui qu'elle aurait fait en religion.

Vous dites s'il ne serait pas bon que les jeunes professes qui sont encore douteuses et qui ne savent pas former un juste discernement comme il serait requis, ne donnassent point leurs voix. Je dis qu'après le temps destiné par le Coutumier, elles doivent la donner, mais que la Supérieure et la Directrice tâchent toutes deux de les instruire sur ce point, [55] parce qu'elles seraient responsables des fautes qu'elles y feraient, et si on les a bien fidèlement enseignées, les manquements seront pour elles.

Pour retirer les voix, lorsqu'il n'en manque qu'une, de crainte que l'on se soit mépris, il faut laisser cela à la discrétion de la Supérieure, qui en doit faire ce qu'elle jugera.

Enfin il faut toujours s'en tenir là, d'approuver ce que le chapitre fait, et il ne faut nullement se mettre en peine ni avoir du scrupule de n'avoir pas donné sa voix à une fille qui serait reçue, ou de l'avoir donnée à une qui serait refusée. Quand l'on a procédé droitement, il faut vous bien dire, mes chères Sœurs, de faire une grande attention à discerner comme il faut les esprits, parce qu'il y en a qui sont simples, ignorants, et qui n'ont pas grande capacité pour rendre des grands services à la religion, néanmoins, ils ne sont pas pour être rejetés ; ils feront bien pour eux et n'apporteront pas du préjudice à la maison. Il faut bien y regarder et surtout les beaucoup recommander à Notre Seigneur ; l'on a assez du temps entre celui qu'on les propose et qu'on les reçoit pour y bien penser. Elles nous doivent être d'ailleurs déjà fort connues, parce que les Sœurs professes peuvent et y sont même obligées de les observer tout le temps de leur noviciat, mais sérieusement ; il est bon pour cela de bien exercer les novices, et de les mettre aides à divers offices de la maison, comme de l'infirmière, lingère, robière, et semblables, afin que l'on connaisse si elles sont souples, maniables, et mortifiées. La maîtresse les doit encore les exercer dans les mortifications usitées et marquées, comme de porter les lunettes, baillons, détester leurs fautes, faire dire leurs coulpes par la lectrice. Mais les meilleures sont de les bien humilier, avilir, ne tenir aucun compte de ce qu'elles diront, désapprouver tout ce qu'elles font, et telles autres épreuves qui anéantissent les passions et les naturels.

Les Sœurs doivent être assurément fort secrètes, surtout en ce qui se passe en leur Chapitre, et s'il s'en trouve qui ne savent pas retenir leur langue, il faut le leur apprendre par l'imposition des [56] pénitences usitées et ordonnées. Il ne faut nullement souffrir un défaut si dangereux. Mais pour revenir aux novices, je vous dis que oui, qu'il faut les soigneusement avertir au chapitre et au réfectoire, c'est en cela qu'on reconnaît la vertu des filles, pour voir si elles reçoivent comme il faut les avertissements et si elles en font profit. L'on peut parler des défauts des novices à la Supérieure, hormis les professes qui sont encore au noviciat, qui en doivent avertir la Directrice ; mais pour les autres Sœurs, il ne faut pas qu'elles aient la liberté de lui parler sur ce sujet, parce que, sous ce prétexte, l'on peut dire autre chose, et manquer à la perfection de laquelle nous devons être si zélées les unes pour les autres. Pour les voix bien que vous fussiez seule à avoir donné ou refusé votre voix, il ne faut point en avoir de la peine pourvu que vous ayez agi droitement, et comme devant Dieu. Je vous dirais encore un mot sur ce sujet, c'est que je vois que nonobstant les manquements que j'ai connu en cette fille, qui me tiennent en doute si elle est propre ou non, la Supérieure, l'Assistante, et la Maîtresse ont des bons sentiments pour elle, elles disent qu'elles connaissent la bonté de son intérieur, cela est considérable mes Sœurs. C'est pourquoi aux choses douteuses, il ne serait pas mal de pencher du côté des anciennes. Pour moi, si j'étais inférieure, je me tiendrais dans ces occasions, aux avis de la Supérieure. Je trouve que ce fondement est bon parce que Dieu leur donne toujours plus de lumières. Nos Sœurs de Paris sont extrêmement délicates ; à la réception des filles, elles en voulaient mettre dehors une, au dernier voyage que j'y fis ; or, comme je la leur proposais au chapitre, je vis que c'en était fait, qu'il ne restait qu'à ouvrir la porte à cette pauvre Sœur, moi qui connaissais son cœur, et qui avait des bons sentiments pour elle, je leur dis, mes Sœurs, vous vous arrêtez à quelques défauts extérieurs de cette fille, elle a l'intérieur bon, et j'espère qu'elle fera bien et qu'elle sera propre pour nous. Dieu permit qu'elle eût les voix et c'est une très bonne religieuse. La Directrice doit avoir un grand soin d'animer ses novices à l'oraison et à la mortification, parce que ce sont les deux principaux exercices [57] par lesquels elles se doivent perfectionner. Si une Sœur novice pleurait, de crainte de n'être pas reçue, il faudrait la consoler, lui disant que Dieu ne manque point en sa grâce à ceux qui se confient en lui, et qui tâchent de lui être fidèles.

Entretien (noté 6) : Autre entretien dans une récréation.

 Non, mes chères [filles biffé] Sœurs, il est impossible de faire entièrement mourir toutes nos passions ; nous les pouvons bien amortir, mais nous les sentirons toujours. Il est vrai qu'elles peuvent être si endormies, que pour un peu de temps elles ne nous travailleront pas, et qu'à force de les mortifier elles cesseront de nous faire la guerre ; mais parce qu'elles ne sont pas mortes, lorsque nous y penserons le moins, elles se réveilleront si bien, qu'elles nous feront tomber en des bonnes grosses fautes. Vous direz alors : d'où vient ceci, je ne croyais plus avoir des passions, ou, pour le moins, je pensais de m'en être rendue la maîtresse ? Je vous répondrai que parce que vos passions n'étaient pas mortes, elles se font sentir, et qu'elles vous font connaître qu'elles n'étaient qu'un peu endormies, puisqu'un petit bruit les a réveillées. Il y a bien des personnes qui, par une longue habitude à la mortification, les ont endormies d'un sommeil si profond, qu'elles ne se réveillent pas ni si aisément ni si fréquemment. Ces sortes d'âmes ont acquis une certaine domination sur ces petites rebelles, que, dès qu'elles commencent à se révolter, elles ont le pouvoir de les retenir ; et, bien qu'elles fassent quelques échappées, elles sont soudainement en leur devoir et à l'obéissance de la raison.

Mais celles qui ne sont que légèrement ensommeillées et qui ne sont pas encore bien sujettes, elles se réveillent souvent et donnent bien de la besogne et de la peine, et requièrent de l'âme une grande attention sur elle-même, et beaucoup de fidélité à la mortification pour les mieux [58] ranger et dompter. Mes chères Sœurs, il y a une sorte d'âmes qui ont leurs passions accoisées parce que rien ne les contrarie ; car enfin la vertu solide ne s'acquiert qu'au milieu des contradictions. Une personne ne se peut pas dire patiente lorsqu'elle ne souffre rien. Il ne faut que mettre ces âmes ici dans l'occasion pour les connaître, et elles connaîtront elles-mêmes, par leurs faux pas, que leur vertu n'était qu'une vertu apparente et qui ne subsistait que dans leur imagination. Elles ressemblent à ces rivières qui coulent si doucement lorsque le temps est calme et que rien ne s'oppose à leur course ; mais, à la moindre bouffée de vent qui survient, ses ondes s'élèvent et font grand bruit ; leur calme ne procédait pas d'elles-mêmes, mais faute de vent qui ne battait pas sur elles. Je conseille à ces sortes de personnes de se bien humilier, parce que je les assure que leur vertu n'est qu'un fantôme ou un simulacre qui n'est rien moins que vertu. Et Notre Seigneur permet que leurs passions s'élèvent et qu'elles donnent du nez en terre, pour les tenir plus humbles et petites à leurs yeux, leur faisant connaître leur impuissance et ce qu'elles sont sans le secours de Dieu, qui permet pour nous tenir dans cette connaissance si utile à nos âmes, que nous fassions des plus grands manquements lorsque nous avons fait des meilleures résolutions et que nous nous persuadons de vouloir faire des merveilles. Ô Dieu, mes Sœurs, que la créature est peu de chose d'elle-même ! Elle ne doit rien attendre que de la grâce de son Dieu, car, je l'assure, qu'elle n'est rien du tout. Que serait-ce si nous ne faisions point de ces fautes qui nous font aimer notre abjection ? Nous croirions d'être saintes. Ô mes filles ! Bienheureuses seront celles qui font bien de ces grosses imperfections qui leur donnent bien de la confusion aux yeux des créatures ; je les assure que si elles savent bien en faire profit, et tel que Dieu désire, elles se rendront fort agréables aux yeux de Dieu.

Vous demandez si le démon nous peut donner des passions ? Non, ma Sœur, nos passions sont en nous-mêmes ; qui les a plus, qui les a moins fortes ; le diable les peut émouvoir, selon le pouvoir que Dieu lui donne, parce qu'il ne peut rien sans cette divine permission ; mais il ne peut [59] pas en donner, parce que les passions nous sont naturelles et nous les avons dans nous.

Ce qu'il faut faire, dites-vous encore, quand tout à coup l'on sent toutes ses passions émues ? Il ne faut pas se violenter à faire quantité d'actes pour les connaître et pour les ramener au devoir, parce que – possible - elles nous pourraient surmonter ; mais, dans la partie suprême de notre âme, il faut nous joindre seulement au bon plaisir de Dieu, nous humilier ; et, au partir de là, nous tenir en paix et le plus tranquillement que nous pourrons auprès de Dieu. Enfin, il nous faut faire comme nos grangers ont fait aujourd'hui sur leur bateau qui conduisait notre blé sur le lac, qui se sont trouvé subitement en un très grand péril, d'autant que en un instant ils ont vu une très grande tempête s'élever, qui allait sans doute les submerger avec le bateau et tout ce qui était dessus. Hélas ! qu'ont-ils fait ? Ils ne se sont pas opiniâtrés de vouloir prendre le droit fil de l'eau en traversant ces grosses ondes ; non, ils se seraient perdus faisant de la sorte ; mais ils ont très sagement conduit leur barque tout doucement au rivage, et ont suivi le petit jour [sic] des petites ondes, et par ce moyen sont arrivés au port, en évitant l'orage et non en le combattant.

Mes Sœurs, voilà un petit modèle de ce que nous devons faire, lorsque, voguant en grande paix dans notre petite navigation, nous sentons, sans y penser, toutes nos passions s'élever et causer en nous un grand orage, comme si elles nous devaient abîmer ou nous entraîner après elles ; il ne faut pas vouloir calmer nous-mêmes cette tempête, mais nous approcher doucement du rivage, tenant notre volonté ferme en Dieu, côtoyer les petites ondes, pour arriver, par l'humble connaissance de nous-mêmes, à Dieu qui est notre port assuré. Cheminons bellement sans effort, et sans rien accorder à nos passions de ce qu'elles désirent, et faisant ainsi, nous arriverons un peu plus tard à ce divin port, mais avec plus de gloire que si nous avions joui d'un calme parfait et que nous eussions vogué sans peine.

Mes chères filles, êtes-vous satisfaites sur vos demandes ? Je le souhaite bien fort, [60] et que nous fassions toujours notre profit de tout. Dieu nous en fasse la grâce.

Entretien (noté 19) : Autre petit entretien fait à la récréation, sur la vertu de l'humilité.

Vous avez raison certainement de me dire que, lorsque vous lisez ces deux Constitutions de la modestie et de l'humilité, l'on y trouve quelque chose de si parfait, qu'on appréhende de n'y pouvoir arriver. Non, ma fille, l'on ne saurait y ajouter une plus grande perfection que celle qu'elles nous enseignent. Que voudriez-vous de plus modeste et de mieux réglée, qu'une âme qui serait parfaitement moulée sur la première, et où trouver une plus intime et divine humilité, que celle qui est décrite dans la seconde de ces Constitutions ? Je trouve ces deux points les meilleurs : humilité profonde, et humilité qui ne consiste pas seulement en nos gestes et paroles, mais en vérité et en nos faits. Oui, mes Sœurs, ne parlons plus tant de l'humilité ; ne nous amusons pas la tant désirer, mais venons à la pratique. Cette vertu veut des œuvres, et non des paroles. Voulez-vous être humble, ma fille ? Tâchez de vous bien connaître ; aimez que l'on vous connaisse imparfaite, aimez le mépris en toutes les manières, dans toutes les actions et de quelle part qu'il vienne. Ne cachez point vos défauts ; laissez-les connaître, en chérissant l'abjection qu'il vous en revient. Ne laissez jamais abattre votre cœur pour quelque faute que vous puissiez commettre. Défiez-vous de vous-même, et confiez-vous uniquement et incessamment en Dieu, vous persuadant fortement que, si ne pouvant rien de vous-même, vous pouvez tout avec sa grâce et son puissant secours.

Ma fille, lorsqu'on vous traite rudement, que l'on vous rabat, qu'on vous néglige et qu'on vous humilie, qu'on vous emploie aux offices bas et pénibles, ne pensez pas que ce soit pour éprouver votre vertu ; mais faites confesser à votre cœur que vous méritez bien plus que cela. Ce sont là, à mon avis, les marques d'un esprit humble ; et, lorsque vous serez dans ces pratiques, dites, ma fille, que vous commencez d'aimer l'humilité. Voulez-vous encore connaître si un esprit est humble ? Voyez s'il est sincère à découvrir ses imperfections sans fard et détours, mais de bonne foi ; quand on voit encore une fille qui aime avec joie son abjection et d'être avertie et corrigée, jugez que c'est une âme véritablement humble.

Lorsque je dis qu'il faut aimer le mépris, la correction, le rebut, l'abjection, j'entends qu'il faut l'aimer dans notre partie supérieure et dans la suprême [61] pointe de l'esprit, malgré nos répugnances et nos difficultés ; parce que pour aimer des choses si contraires à notre partie inférieure, d'un sentiment sensible, il ne serait presque pas possible. C'est une grâce que Dieu ne départit qu'à quelques âmes qu'il veut souverainement gratifier, ou pour récompense de notre fidélité, mais cette faveur n'est pas nécessaire.

Vous me demandez si le cœur humble n'est point tenté d'orgueil, et s'il n'a point quelquefois des pensées de vanité ? Oui, ma chère Sœur, il peut avoir des tentations d'orgueil, mais il ne fait pas les œuvres d'orgueil, et elles ne servent qu'à le faire mieux anéantir devant Dieu, et à le jeter plus profondément en sa bassesse et en Dieu. Mes Sœurs, que cette humilité est une grande vertu ! C'est la bien-aimée de Jésus-Christ et de notre divine maîtresse, sa glorieuse Mère. Son sacré Cantique n'est qu'une louange de cette admirable vertu. « Il a regardé, dit-elle, l'humilité de sa servante, et pour ce, toutes les générations me diront Bienheureuse. Il détruira les superbes et exaltera les humbles ». Toute l'Écriture Sainte est remplie des panégyriques des humbles : David, ce grand roi fait selon le cœur de Dieu, dit que le Seigneur est leur protecteur et du simple d'esprit. Enfin, l'humilité attire sur nous les yeux et le cœur du même Seigneur. Mais il faut que ce soit une humilité plus intérieure qu'extérieure. Il ne nous dit pas d'apprendre de lui celle-ci ; mais, oui, bien la première : apprenez de moi, nous dit-il à tous, que je suis humble et doux de cœur. Ô Dieu, mes Sœurs, que c'est une rare pièce qu'un cœur véritablement humble ; l'on ne saurait humilier une âme vraiment humble, parce qu'on la trouve toujours plus bas qu'on ne la saurait mettre. Croyez- moi, mes chères filles, c'est posséder un trésor et une monnaie propre à acheter le ciel et le Cœur de Dieu, que d'avoir la possession d'un grain de vraie humilité.

Entretien (noté 29) : Petit entretien sur la vraie simplicité, fait à la récréation.

La parfaite simplicité, mes filles, consiste à n'avoir qu'une très unique prétention en toutes nos actions, qui est de plaire à Dieu en toutes choses. La souveraine pratique de cette vertu qui suit celle-là, c'est de ne voir que la volonté de ce grand Dieu en toutes les choses qui nous arrivent de bien et de mal ; parce que par ce moyen, aimant cette volonté [62] adorable, notre âme sera toujours tranquille en tout événement, même dans le retardement de notre perfection, ne laissant pas d'y travailler fidèlement. La troisième pratique de simplicité consiste à découvrir ses défauts sincèrement, sans les ombrager. La quatrième, c'est d'être véritable dans ses paroles, ne les multipliant guère, surtout lorsqu'il s'agit de vous justifier. La cinquième, c'est de vivre de jour à la journée, sans prévoyance ni soin de nous-mêmes, mais faire bien à tout moment, ce qui nous est prescrit, selon notre vocation, nous confiant et remettant uniquement à la divine Providence. Si nous employons fidèlement les occasions présentes, soyons certaines qu'il nous en pourvoira de plus grandes de travailler à son divin service, à notre perfection et à sa gloire. Nous ne saurions assez être vraiment simples et avoir tant de soins de l'avenir. La bonne simplicité rend la personne sans fard et sans réflexion sur ses actions : si elles sont bonnes, vous n'avez que faire de les considérer ; si elles sont imparfaites, votre cœur vous les fera bien voir ; et, si vous vous découvrez bien à ceux qui vous dirigent, ils sauront bien faire ce discernement.

Je trouve que c'est un acte de grande Perfection, de se conformer en toutes choses à la Communauté, et de ne s'en départir jamais par notre choix, d'autant que c'est un très bon moyen de nous unir à notre prochain, et comme c'en est un bien excellent pour cacher en nous notre perfection. Il se trouve même dans cette pratique, une certaine simplicité de cœur si parfaite, qu'elle contient toute perfection. Cette sacrée simplicité fait que l'âme ne regarde que Dieu en tout ce qu'elle fait, et se tient toute resserrée dans elle-même pour s'appliquer à la seule fidélité de l'amour de son souverain Bien, par l'observance de sa règle, sans s'épancher ses désirs à chercher des moyens de faire plus que cela. Elle ne veut point faire des choses extraordinaires, qui lui pourraient acquérir l'estime des créatures, mais elle se tient anéantie dans elle-même. Elle n'a pas des grandes satisfactions, parce qu'elle ne fait rien qui contente sa volonté, ni rien de plus que la communauté. Il lui semble qu'elle ne fait rien ; et, de cette manière, sa sainteté est cachée à ses yeux et à sa connaissance. Dieu la voit seule, qui se plaît dans cette divine simplicité par laquelle elle ravit son Cœur, en s'unissant à lui par un amour tout pur, tout simple, et tout fidèle. Elle n'a plus d'attention pour suivre les lumières de son [63] amour propre ; elle n'écoute plus ses persuasions et ne veut plus voir ses inventions, qui voudraient chercher la propre estime par des grandes entreprises, et par des actions sur éminentes qui nous fassent distinguer du commun.

Une telle âme jouit d'une paix toujours tranquille et peut dire qu'elle est aisée pour s'élever au-dessus de soi, par la possession de l'union divine. Ainsi, mes filles, ne croyez jamais de faire peu de choses lorsque vous ne faites que suivre le train commun.

Entretien (noté 22) : Entretien fait à la récréation, sur la complaisance, et sur le bonheur d'être employée aux offices bas.

Oui, ma fille, il n'y a point de mal d'avoir un naturel complaisant ; c'est un don de Dieu fort précieux, mais il faut le diviniser. Une personne se plaît de complaire à chacun, parce qu'elle s'en fait un plaisir, cela est bon ; mais il faut rendre cette inclination complaisante encore meilleure, et, de naturelle, la rendre divine, et obliger chacun, non parce que c'est votre penchant de complaire à tout le monde, mais parce que Dieu veut que par cette douceur, qui vous est propre, vous serviez à sa gloire, vous faisant toute à tous, pour les lui gagner tous. Il veut que vous soyez condescendante et douce à votre prochain, pour suivre ce conseil de Notre Seigneur : « Donne encore ton manteau à qui te voudra enlever ta tunique » ; mais ce serait pervertir cet aimable et bon naturel, de complaire par prudence humaine, pour avoir de l'honneur, pour acquérir du bien, pour s'attirer l'estime des créatures et des vaines louanges. Ô Dieu ! Mes filles, qu'on connaît bien par les suites, les personnes qui se servent mal de ce bon et excellent naturel ! Une personne remplie de cette fausse prudence humaine dira : je veux condescendre à cette autre, afin qu'elle m'estime une fille bien démise de mon opinion ; je ferai cette action humiliante pour paraître bien humble ; je ferai ces détours d'amour propre, afin que l'on me croie capable d'une telle charge ; je me rendrai bien soumise à ma Supérieure, bien douce, bien complaisante pour l'obtenir ; et, cependant, je veux qu'elle croie que ma pensée en est fort éloignée et que je me crois bien incapable. Tout ce procédé ne vaut rien, et des actions faites de la sorte, marquent que vous [64] pervertissez toutes les inclinations si bonnes que votre naturel complaisant vous fournit. Il faut opposer à ce défaut un peu de vraie humilité, qui bannit les complaisances et ces prudences purement humaines, et nous fait tout simplement complaire à la créature, pour l'amour de Dieu et des motifs d'une douce charité, qui est bénigne et bienfaisante à tous, en les supportant tous. Je vous dirai à ce propos, ce que notre Bienheureux Père me dit une fois : « Toutes amitiés et complaisances qui trempent dans les amitiés et complaisances des sens, n'ont ni beauté ni bonté, mais sitôt qu'elles sont tirées en Dieu, en l'esprit, en la charité, elles acquièrent un grand éclat. Il faut caresser et complaire au prochain, parce que la douce charité a le bonheur de répandre une sainte édification ; il faut tenir le cœur complaisant au large, et quand il tombera, il lui faut pardonner et prendre le courage et la patience de le redresser amiablement, parce qu'en persévérant ainsi, l'on formera un cœur bien humble, gracieux, maniable, qui par après, rendra des grands services à notre Seigneur ». Dieu nous en fasse la grâce, mes très chères Sœurs ; je suis courte, parce que je veux encore vous dire un mot sur l'autre demande.

Suite entretien (noté 22) : Demandes s'il se trouve des offices bas en Religion, excellentes consolations pour les Sœurs domestiques.

 Mes chères Sœurs, je ne saurais me soumettre à croire que rien de ce qui est ordonné par la sainte obéissance dans la religion, puisse être abject ni humiliant, puisque tout est d'un si grand prix qu'il peut mériter de plaire à Dieu et acquérir le ciel. Et si notre Bienheureux Père ne m'eût dit que le rang de Sœur domestique est un office d'humiliation, je ne l'eus jamais pu me le persuader. Mais bien qu'il y ait des charges abjectes, nous serions trop heureuses qu'elles nous fussent données pour notre partage. Que les domestiques sont heureuses ; mais je dis qu'elles sont heureuses ! Elles sont destinées à servir les épouses de Notre Seigneur Jésus-Christ, sans avoir jamais d'autres prétentions. Tout les porte à Dieu, si elles sont fidèles, et Dieu répand de douces bénédictions en leurs cœurs lorsqu'elles font gaiement et pour son amour leurs offices.

L'on tient, dans les religions les mieux réformées, qu'il n'y a point d'emploi aussi qui fasse plus de saints que celui-là, parce qu'enfin elles n'ont aucune autre pensée que de plaire à Dieu, en travaillant soigneusement pour lui, étant [65] dans les occasions de servir incessamment le prochain, de faire des pratiques de patience, de soumission et de ces deux saintes vertus d'obéissance et d'humilité. Je ne puis m'empêcher de penser que le Bienheureux m'a fait un peu de tort, de ne pas m'accorder la demande que je lui ai si souvent faite, qu'il lui plût que je passasse, après que les premières fondations furent faites, le reste de mes jours en cet office, sans avoir d'autres soins que d'obéir, pour penser à réformer ma vie ; mais j'ai bien sujet d'aimer mon abjection, de n'avoir pas été trouvée digne de servir les épouses de mon Maître. J'aurais été plus qu'heureuse en cette désirable condition ; mais il me faut aimer celle où je suis, puisque c'est le divin bon plaisir de mon Sauveur, et vivre en crainte, afin que, conduisant les autres, je ne me perde pas moi-même. Mes Sœurs, ne mettez pas la tête en terre[56], car je ne dis que la pure et vraie vérité, toutes celles qui ont charge d'âmes devraient vivre en crainte et en grande humilité, sous le pesant faix qu'elles soutiennent. Elles distribuent le pain spirituel aux autres ; mais elles le doivent manger elles-mêmes et prendre en Dieu la force qui leur est nécessaire. Elles ont besoin de constance, de charité et de diligence. Je vous ai donné un beau et bon défi, et je ne l'observe pas moi-même. Je fis hier une faute, et j'ai manqué aujourd'hui d'en faire une pratique ; dire et ne faire pas, c'est nourrir les autres et nous ôter à nous-mêmes le pain. Tous doivent vivre en crainte ; l'Écriture le dit : faites votre salut avec tremblement ; mais ceux qui gouvernent les âmes doivent craindre plus que les autres, car, si saint Paul dit : « Si je châtie mon corps, c'est de peur qu'en prêchant aux autres, je ne sois moi-même réprouvé ». Que devons-nous faire, nous autres, faibles femmelettes ? Nous devons faire le mieux que nous pouvons, et puis espérer en la miséricorde de Dieu. Oui, mes Sœurs, il fait bon espérer en Dieu, David le dit, en faisant le bien.

Entretien (noté 41) :   Entretien de notre digne Mère, fait à la récréation, sur la Providence Divine.

Oui, ma Sœur, c'est un vrai point de la plus haute et sublime perfection, que d'être entièrement remise, dépendante et soumise [66] aux événements de la divine Providence. Si nous nous y sommes bien remises, nous aimerons autant d'être à cent lieues d'ici, qu'ici même ; et possible mieux, pour y trouver plus du bon plaisir de Dieu et moins de notre propre satisfaction. Il nous serait indifférent d'être humiliée ou exaltée, que cette main ou cette autre nous conduise, d'être en sécheresse, aridité, tristesse et privation, ou d'être consolée par la divine onction et dans la jouissance de Dieu. Enfin, nous nous tiendrions entre les bonnes mains de ce grand Dieu comme l'étoffe en celles du tailleur, qui la coupe en cent façons pour l'usage qui lui plaît et auquel il l'a destinée, sans qu'elle y apporte de l'obstacle ; ainsi nous endurerions que cette puissante main de Dieu nous coupe, martèle et cisèle, tout comme elle veut que nous soyons faites une pierre propre pour son édifice, et les afflictions comme les délices ne seraient qu'une même chose, nous écriant, avec notre grand Père : « Coupez, tranchez, brûlez, mon Seigneur Jésus-Christ, pourvu que je sois avec vous et que je vous possède, je suis contente ! ». Mes Sœurs, ne parviendrons-nous jamais à la totale destruction de nos sentiments humains et à la ruine de la prudence humaine, pour voir d'un œil pur, d'une vraie foi, la beauté et bonté des afflictions, des souffrances, des pressures de cœur, des dérélictions et maladies ? Le monde ne s'attache qu'à l'écorce, et ne passe point à voir la moelle cachée sous la douceur de la croix ; il ne voit que l'écorce, qui paraît rude et fâcheuse ; mais il ne pénètre point jusqu'au-dedans, où l'on goûte plus de plaisir, si l'on aime bien Dieu, que l'on n'en trouvera jamais dans la jouissance des faux et vains contentements, que le même monde peut donner. L'esprit humain voit une personne délaissée, persécutée et mortifiée ; il la croit misérable et pleurerait volontiers de compassion sur elle, mais si il discernait et pénétrait la douceur que Dieu fait trouver à cette âme dans cette même humiliation, il aurait de l'envie pour le bonheur qu'elle possède d'être admise à l'honneur de la divine familiarité, en même temps que la créature l'a comme rejetée.

C'est un grand trait de la divine Providence, qui permet l'infidélité de la créature, qui fait que les affaires nous succèdent mal et contraires quelquefois à nos désirs, afin que notre cœur, que Dieu a créé libre et désengagé, se vienne reposer en lui ; parce que ce pauvre cœur est si faible, que, s'il rencontrait toujours dans les créatures du contentement, il irait avec peine au Créateur. Les yeux de la chair ne voient pas bien cela, mais Dieu le voit pour [67] nous, qui sait que la souffrance et l'humiliation nous rendent conformes à son Fils, Notre Seigneur Jésus-Christ.

Mais pour nous, mes chères Sœurs, que la divine miséricorde a séparées du monde, qu'elle a retiré dans ce cloître pour nous distinguer par tant de grâces et de bienfaits du reste des créatures, soyons toujours prêtes à faire et souffrir tout ce que Dieu veut de nous, ne disant jamais : c'est assez de peines, de mépris et d'abnégation ; mais, me voici toute soumise et prête à faire votre bon plaisir. C'est vivre selon l'esprit, de parler de la sorte, et non selon les mouvements de la partie inférieure, qui n'entre point en partie dans cette façon d'agir si parfaite. C'est par cette voie que les vraies filles de la Visitation doivent vivre. Le bon Job s'écriait sur son fumier, que celui qui a commencé de m'affliger parachève seulement son œuvre en moi ; j'y trouve mon plaisir, parce que je vois le sien dans mon extrême souffrance, et je bénis son saint Nom au milieu de cette rude épreuve. La vraie résignation consiste toute dans le sentiment de cette miraculeuse patience, et à bénir Dieu de ce qu'il nous a ôté, comme de ce qu'il nous a donné. Il faut vous avouer la vérité, mes chères Sœurs, que j'aurais bien de la sainte joie de vous voir toutes bien abandonnée au bon plaisir de ce grand Dieu, et soumises à sa divine Providence. Notre Bienheureux Père me disait un jour, que c'était là le rendez-vous unique de notre cœur, que nous n'en devions point avoir d'autre.

La grande besogne que nous trouvons en nos règles et la perfection angélique à laquelle cet Institut doit aspirer, ne consiste pas à une grande multiplicité d'actes et d'œuvres pénales, beaucoup estimés du vulgaire ; mais elle nous conduit à la perfection de l'esprit, toute cachée en Dieu. C'est là notre excellence, de voir la volonté de Dieu en toutes choses et la suivre. Cette vie cachée nous conduit à l'union divine, et à la séparation de toutes les choses créées et à une parfaite pureté de cœur, qui plaît infiniment à Dieu, qui nous a ainsi cachées pour ne vivre qu'en Lui. Faisons de notre douce clôture un paradis en terre, faisons de nos cellules le séjour de l'Époux ; et rendons tout notre monastère le lieu de ses délices, et le midi de son amour pour s'y venir reposer. Nous le pouvons par sa grâce ; ayons seulement un grand courage et nous obtiendrons cette grâce, en observant nos règles exactement, en faisant toutes nos actions dans une profonde, sincère et franche humilité, vivant dans la parfaite abnégation de nous-mêmes, dans une pauvreté dépouillée de tout, ne vivant, respirant ni aspirant que pour [68] ce céleste Époux de nos âmes, en aimant tendrement et également nos chères Sœurs, et en louant et servant Notre Seigneur d'un esprit joyeux et content dans l'état de notre vocation, vivant enfin paisibles et tranquilles sous les ailes de sa divine Providence, qui prend tous soins de nous. Sa grâce ne nous manquera jamais, soyons-lui fidèles ; suivons ses attraits, et Dieu bénira de sa grande bénédiction, nous et nos desseins.

Entretien (noté 11) : fait à la récréation.

Je trouve votre raison bonne et véritable, ma chère fille, que si l'on n'est pas bien charitablement attentif lorsque nous parlons, qu'il est très facile d'y offenser Dieu et notre prochain par nos paroles ; aussi l'Écriture nous avertit que celui qui garde sa langue, garde son âme, et que celui qui ne pèche point par la même langue est homme parfait. Il est tout vrai, vrai aussi que comme nous pouvons offenser en parlant, nous pouvons offenser aussi en nous taisant. L'on me dit du bien d'une personne que je n'aime pas beaucoup, qui ne me revient pas, qui m'a fait du déplaisir, ou pour quelque autre motif ; je me tais, ou je réponds froidement ; je ne suis pas pour lors exempte de coulpe, parce que je fais connaître que je n'estime pas celle de qui l'on me parle si avantageusement, et par ma froideur ou pour mon silence, je diminue possible la bonne opinion que l'on avait de cette personne ; ainsi l'on peut offenser Dieu et le prochain en nous taisant, comme l'on le peut faire en répondant aux louanges données à ces personnes que nous n'aimons par sympathie ou contre qui nous avons quelques petites froideurs, par certaines paroles cachées et qui tomberont comme une huile bouillante sur le cœur de celle qui nous parle, qui fera une tache ineffaçable à l'estime de celle de laquelle elle nous disait la vertu ou la bonne qualité. Et cette mauvaise impression que nous aurons donnée retombera sur notre conscience et nous serons coupables devant Dieu. Dieu dit qu'il hait six choses, mais qu'une septième lui est en abomination ; à savoir ceux qui désunissent les cœurs et qui sèment la discorde entre les frères. Tâchez donc d'éviter, mes chères Sœurs, toutes les paroles de rapports et de désunion, mais je vous en conjure de tout mon cœur.

Vous me demandez ce qu'il faut faire, ma chère fille, quand l'on n'a pas des sentiments d'estime d'une Sœur, et qu'on nous en vient parler. Il ne faut pas vivre, ma chère Sœur, selon notre sentiment, en la maison de Dieu ; si l'on voulait vivre selon iceux, l'on devrait demeurer au monde. Certainement, ma fille, je vous dis [69] qu'il ne faut pas agir selon nos aversions. Et soit que nous estimions une Sœur ou non, nous en devons toujours parler en bonne part, et contribuer cordialement à ce que l'on nous en dit.

Ô Dieu, mes Sœurs ! Que l'amour propre a de la finesse. Nous aurions milles vertus à dire d'une personne, pour laquelle nous aurons un peu d'inclination, de sympathie, ou quelques obligations, bien qu'elle ne soit pas si vertueuse qu'une autre de laquelle nous n'aurons rien à dire ; agir de la sorte ce n'est pas agir en fille de Dieu, mais en fille du monde, non pas selon la grâce, mais selon la nature, parce que Dieu désire que le bien qu'il a mis en ses créatures soit publié, et lorsque nous le cachons, le couvrons, ou que nous le taisons, nous ne lui faisons pas une petite offense. Si l'on nous dit qu'une personne ou Sœur, est bien simple, et qu'elle agit avec grande droiture, et que nous l'ayons reconnue fort fine et extrêmement double, vous ne devez pas vous taire, mais répondre doucement et cordialement : oui cette bonne Sœur a un bon cœur, c'est une âme toute de Dieu qui le veut bien aimer, ou telle autre chose qui se trouve dans les plus imparfaites créatures du monde. Si vous craignez de mentir répondant sur la vertu qu'on vous raconte d'elle, bien que vous deviez croire comme dit notre Bienheureux Père que cette Sœur est possible bien changée depuis les manquements que vous lui avez vu commettre, opposés à la vertu dont on la loue devant vous, puisqu'il ne faut qu'un moment pour rendre un grand pécheur, un grand saint. Enfin c'est une chose extrêmement délicate que le prochain ; on n'y faut guère toucher pour ne pas offenser Dieu. Je dis très souvent, et je trouve que j'ai raison de le dire, si nous avions la vue bien éclairée de ce côté-là, nous ne serions pas en peine de trouver matière d'absolution dans nos confessions. Mais, parce que nous ne regardons pas de bien près ce qui concerne cette douce charité du prochain, nous croyons avoir raison en tout ce que nous disons. Et je vous assure que nous sommes bien souvent déçues et trompées par l'inclination propre, qui est bien dangereuse dans un monastère et dans une communauté religieuse, ou par la subtilité de notre amour propre, et même par la bonne estime que nous avons de nous-mêmes, qui nous fait croire qu'il est impossible que nous puissions nous tromper. Demandez voir à ma Sœur Telle si je ne dis pas la vérité. Vous désirez ne point mentir. Ô Dieu ! Ma fille, c'est un grand secret pour attirer l'esprit de Dieu dans vos entrailles : « Seigneur, qui habitera dans vos tabernacles ? » dit David. Celui, répond-il, qui parle en vérité de tout son cœur. [70] J'approuve le parler peu, pourvu que lorsque vous parlerez vous le fassiez gracieusement et charitablement, non point avec mélancolie et avec artifice ; oui, parlez peu, mais parlez doucement ; peu et bon, peu et simple, peu et rond, peu, mais amiablement. Les actions qui de soi sont bonnes, si elles ne sont bien faites, elles ne nous rendront pas bonnes ; les œuvres justes ne nous rendent pas justes, si nous ne les faisons saintement. Plusieurs font beaucoup de bonnes actions, et des justes et des saintes, qui ne sont pas pourtant ni bonnes, ni justes, ni saintes. Or, mes filles, pour faire des vraies œuvres bonnes, justes et saintes, il faut les faire purement pour la gloire de Dieu, et parce qu'il est bon et juste de le servir saintement, faisant tout ce que nous faisons humblement, simplement et tranquillement, et surtout amoureusement pour Dieu, sans se rechercher soi-même, ni aucune satisfaction propre, mais arrêter nos yeux à l'éternité qui nous attend et que nous espérons. Rien n'est stable que Dieu ; tout passe, les travaux comme les consolations ; et tout le bien consiste, comme dit saint Paul, à faire des bonnes œuvres.

Entretien (noté 15) : Entretien où elle raconte un acte d'obéissance qui l’a consolée.

 Mes Sœurs, il faut que je vous fasse part de quelques nouvelles que je viens de recevoir qui m'ont fort consolée. C'est que ma Sœur la supérieure de Lyon, en Bellecour, m'écrit que, comme elle pensait le moins à la fondation de notre monastère du Puy, croyant que le traité en était ou rompu ou fort retardé, elle vit arriver l'équipage, que la ville avait député, pour conduire les Sœurs et les venir quérir, avec ordre exprès de partir le lendemain de leur arrivée, de manière qu'elle fut contrainte de préparer toutes choses pour le départ de ses chères filles, le soir même. Elle ne les put toutes choisir, et elle fut contrainte d'attendre le matin à les nommer, ce qu'elle fit, trouvant tant de véritable soumission dans ces chères âmes, que, de toutes celles qui furent nommées, il n'y en eut pas une qui dit une parole ou qui fit une réplique, ni qui demandât à voir personne avant que de partir ; mais s'en allèrent toutes, soumises à la volonté de Dieu, joyeusement à travailler à sa gloire. Un acte d'obéissance si parfait, mes chères Sœurs, est d'un grand exemple, et j'en ai été plus consolée que si l'on m'avait avertie que l'Institut avait acquis un grand trésor d'un million d'or. Mes filles, seriez-vous bien prêtes de [71] faire la même pratique ? Si vous ne vous trouvez pas dans cette disposition, je vous prie de croire que vous n'êtes pas aussi des filles bien obéissantes, et que vous ne méritez pas le nom de filles de la Visitation, qui devriez être prêtes d'aller au bout du monde avec indifférence, pourvu que vous y trouviez une maison de la Visitation pour observer vos vœux et vos règles. Être attachée à ce monastère qu'à un autre, c'est marquer que notre cœur ne cherche pas Dieu en simplicité. Comme je vous ai dit plusieurs fois, qui ne cherche que Dieu est content partout où elle le trouve, et en tous les lieux où elle peut accomplir sa volonté et travailler à sa gloire. Hé ! Mon Dieu ! Si nos âmes ne cherchent, ne prétendent et ne veulent que votre amour, de quoi se fâcheront-elles lorsqu'on les change de maison, puisqu'elles vous emportent toujours avec elles, et qu'elles vous trouveront aux mêmes lieux qu'elles sont envoyées ? Je ne ferais nul état, je dis nulle estime d'une fille, pour sainte qu'elle fut, si je ne la voyais disposée à être envoyée au bout du monde, parce que s'aimer au lieu où elle sert Dieu, c'est signe qu'elle aime plus le lieu et la consolation qu'elle y trouve, que le Dieu qu'elle sert. Il y a trois ou quatre de nos maisons qui me demandent des filles de céans, mais avec une instance très grande. À la vérité, vous me tromperiez fort et je serais extrêmement fâchée de ne vous pas trouver prêtes à faire tout ce que je voudrais, et soumises aux ordres de l'obéissance. Mais il faut vous préparer, vous disposer à ces grands actes. Je ne vous avertirai que huit jours devant, et c'est bien trop pour des filles parfaites, qui veulent servir Dieu au gré de sa Majesté, et non au gré de leur amour propre. Lorsqu'il s'agit de partir pour une mission où l'on va sept ou huit ensemble, cela passe, me direz-vous, mais cela n'est pas si parfait que ce que je veux de vous présentement c'est qu'il s'agit d'obéir pour aller, une en un lieu, l'autre en un autre, deux ici et deux là, se séparant de la sorte pour s'unir mieux au bon plaisir de Celui pour la gloire duquel nous faisons tous nos petits sacrifices. Il faut une vertu solide, dans de pareilles occasions ; mais nous témoignerions de n'en point avoir du tout, d'avoir des égards sur nous-mêmes, lorsqu'elles ne sont présentes, et de refuser d'acquérir de si grands mérites que tels actes acquièrent sur nos âmes.

Mes chères filles, les bons Pères jésuites nous doivent beaucoup encourager par leurs exemples dans de pareilles rencontres, car, pour l'ordinaire, on ne les envoie pas plusieurs ensembles, mais un billet seul de leurs supérieurs en fait [72] partir un pour les Indes et deux pour le Japon. Hélas ! Où vont-ils ? Parmi des infidèles, où leur vie sera en des dangers perpétuels. Ils ne vont pas en des lieux où ils espèrent de trouver une maison de leur sainte Compagnie, mais ils partent pour vivre comme des personnes apostoliques, dispersées ici et là pour ramener des brebis errantes au bercail de l'Église. Ils n'attendent aucune satisfaction, aucune commodité, mais ils n'espèrent que l'unique et souveraine consolation de gagner des âmes à Dieu, en exposant tous les jours leurs corps à la mort et au martyre.

Ô Dieu ! Mes Sœurs, qu'ils sont heureux ! Mais pour quel Dieu font-ils de si grandes choses ? C'est pour le même que nous servons, mes filles ; le désir d'augmenter la gloire d'un si grand Roi les fait aller d'aussi bon cœur au Japon, en Éthiopie, qu'ils iraient dans un des plus grands, des plus fameux, et des meilleurs de leurs collèges d'Europe ; nous ne sommes, possible, pas si heureuses, pour être destinées à porter si loin la croix de Notre Seigneur et à faire de si grandes œuvres ; mais, au moins, soyons toujours prêtes pour aller, pour venir, pour demeurer et pour retourner où Dieu et nos supérieurs le voudront ; autrement, je vous déclare que vous n'êtes pas des vraies épouses de Dieu, et que votre vertu n'est que dans votre idée et non réelle et subsistante en Dieu.

Vous me dites, mes filles, que l'on est bien prête d'aller volontiers où l'obéissance vous destine, mais qu'il vous fâche de quitter le précieux dépôt du corps de notre Bienheureux Père et de vous éloigner de votre vieille Mère, son indigne fille ? Hélas ! Ce Bienheureux veut qu'on s'attache à son esprit et non pas à son corps ; nous trouverons son esprit et son assistance partout. Cette excuse n'est qu'une défaite d'amour propre, aussi bien que celle de se plus attacher à une Supérieure qu'à l'autre ; nous ne serons pas des vraies servantes de Dieu, qui est l'unique qualité que je vous souhaite le plus.

Entretien (noté 14) : Entretien fait à la récréation.

Mes filles, j'ai eu ce soir une distraction dans le chœur, je ne sais si c'est à Complies ou à l'oraison, de chercher une Supérieure pour cette maison, et de vous demander à toutes, si vous ne seriez pas bien prêtes d'obéir à une Supérieure bien fantasque et pour laquelle vous n'auriez guère d'estime, si Dieu vous la destinait ? Mes Sœurs, ne voudriez-vous pas avoir une obéissance si aveugle et aussi fidèle qu'à celle que vous aimez et que vous [73] estimez ? Je m'attends bien que vous me répondrez que oui, et j'espère fort de trouver cette sainte indifférence dans vos chères âmes, tant j'ai de la bonne opinion de votre vertu. En effet, mes chères Sœurs, si nous obéissons pour Dieu, que devons-nous regarder à la personne qui nous commande, pour voir si elle est à notre gré ou non ? Hélas ! si nous venions jamais à regarder à notre propre intérêt, dans notre obéissance, nous serions bien malheureuses d'en perdre de la sorte le mérite, qui est d'autant plus grand, que nous obéissons avec plus de répugnance et à des personnes moins parfaites, parce que nous avons lors plus d'égard d'obéir purement pour Dieu, où gît la perfection de la pratique de cette vertu ; et le vrai obéissant obéit avec autant de joie, de soumission et d'indifférence, au moindre, comme au plus relevé. Dieu, par sa sagesse souveraine, a disposé en cette manière l'ordre de l'univers ; il a rendu toutes les créatures soumises et dépendantes les unes des autres ; l'Église entière et universelle obéit au Souverain Pontife comme au vicaire de Notre Seigneur Jésus-Christ ; chaque partie de cette divine Épouse a un chef, un évêque, auquel elle obéit ; toutes les religions ont de plus un Supérieur duquel chaque particulier dépend ; toutes les familles particulières ont un père de famille pour la diriger et gouverner. Je ne parle pas des obéissances et sujétions politiques, des rois, des princes, des gouverneurs, des soldats à leur capitaine, de tout le corps de l'armée au général ; obéissance pourtant si exacte, qu'elle nous confondra possible devant Dieu ; mais je ne vous parle que pour vous faire connaître qu'étant toutes destinées à obéir, nous le devons justement faire pour suivre l'ordre de Dieu, qui doit être notre fin unique dans notre soumission ; aussi tient-il fait à lui-même ce que nous faisons à l'égard de la personne de nos supérieurs.

Venons à la conclusion, mes Sœurs : ne seriez-vous pas prêtes d'obéir à ma Sœur N., si Dieu vous la donnait pour Supérieure, et à ma Sœur Françoise-Madeleine, qui est la dernière de toutes, ou à quelque autre de nos jeunes professes, si elle vous commandait des choses rudes ; et après, n'exécuteriez-vous pas exactement et à l'aveugle leurs ordres ainsi difficiles, puisque je sais qu'il n'est céans ni jeune, ni ancienne qui, pour rude qu'elle fût, ne voulut rien ordonner contraire à nos observances ? Mes filles, si vous vous trouvez en cette sainte et désirable détermination d'obéir à toutes les Supérieures [74] généralement, et que votre cœur l'assure, qu'en vérité il se trouve prêt d'agir dans cette perfection tout le temps de sa vie, dans une vraie humilité, sincérité et soumission, qu'elle dise hardiment : le Seigneur me gouverne, je n'ai besoin de rien, et qu'elle s'anéantisse devant Dieu dans une humble reconnaissance que c'est un don qui lui est départi de la bonne main de son divin Maître, de laquelle tout bien dérive, qu'elle lui rende des humbles Actions de grâces, parce que je la peux assurer qu'elle a de la vertu. Mais que celles qui ne se trouvent pas dans cette disposition s'humilient profondément devant sa divine Majesté, confessant que leur vertu est bien faible et délicatement enracinée dans leurs cœurs.

Remarquez encore ce que je vais vous dire ; pensez que je ne vous le dis pas sans cause, et sans y avoir bien pensé avant que de vous en parler : c'est la vraie marque d'un esprit qui ne va pas droit à Dieu et qui n'a des égards que pour ses intérêts propres, sans savoir ce que c'est obéissance, d'aimer plus à obéir à une Supérieure pour laquelle nous sommes prévenues d'estime et d'amitié, qu'à une autre qui nous contredirait incessamment. Mes Sœurs, qui désire de plaire à Dieu et d'obéir à ses volontés, si son désir est sincère, son cœur se trouve dans une totale dépendance à la divine Providence, pour obéir à quelle personne que ce soit, parce qu'il sait que tous ceux qui lui commandent lui représentent Jésus-Christ. La Communauté de céans a souvent changé de Supérieure ou de celles qui tiennent sa place, par mes fréquentes sorties et longues absences, à cause de la multitude des fondations que nous faisons, mais aussi, elle n'en vaut pas moins. Non, mes Sœurs, il n'en est aucune qui marche d'un meilleur pied que celle-ci, et elle ne saurait être mieux qu'elle n'est. C'est une grande bénédiction de vous voir si bonnes, mes très chères filles, c'est ce qui me fait souhaiter que Dieu vous donne une meilleure Supérieure que je ne suis. L'on me trouve trop indulgente, et je vois moi-même que je n'ai pas assez l'esprit de mortification pour vous bien exercer, pour vous contrarier, afin de vous mieux faire avancer dans la plus haute perfection, et pour vous rendre, de bonnes que vous êtes, excellentes et parfaites, parce qu'il faut monter toujours plus haut dans la voie de Dieu, et il n'est point de meilleur moyen, pour faire cet avancement, que d'avoir [75] des Supérieures bien opiniâtres, qui nous bouleversent toutes, qui aient une façon de commander rude et forte. Ce serait lors le temps de faire une copieuse et abondante moisson des bonnes vertus, parce que notre obéissance serait solide. Le vénérable père, Frère Jérôme de la Mère de Dieu, étant novice, se trouva sous un Supérieur qui était d'une humeur si étrange et si remplie de sévérité, qu'il fut prêt d'en perdre sa vocation ; mais Dieu, ayant béni sa fidélité, lui départit le don de persévérance, et il confessa lui-même qu'ayant été fidèle à se surmonter, il fit plus de profit, en cette année-là, qu'en plusieurs autres ensemble, sous des Supérieurs discrets, doux et raisonnables.

Pour moi, je ne puis comprendre que nous puissions appréhender d'avoir de ces sortes de Supérieures qui auraient la tête un peu verte. Si j'étais toujours comme je me trouve présentement, il m'est avis que je serais ravie d'en avoir une telle qui ne m'épargnerait point, moi toute la première, et assurément, je suis prête, par la grâce de Dieu, d'obéir, depuis la première ancienne de l'Institut jusqu'à la dernière novice, parce que je sais que, lorsqu'il y a moins de la créature, il y a plus de Dieu, et que je le glorifierai d'autant mieux, que je serai moins satisfaite dans ma partie inférieure, de celle qui me commande. Mes Sœurs, il faut vous tenir prêtes ; possible que ce temps viendra et que Notre Seigneur vous enverra une Supérieure faite de la sorte, sous la conduite de laquelle vos âmes feront beaucoup de profit, et vous connaîtrez pour lors que tout le bien d'une religion vient d'avoir des supérieures qui exercent bien leurs inférieures, puisque leur obéissance est alors assurée, n'étant accomplie et pratiquée que simplement et purement pour Dieu, pour sa gloire et son plaisir, puisqu'il ne s'en trouve ni de notre part, ni de celle des supérieures. C'est dans ces sortes de pratiques que la solide vertu se nourrit. Ô Dieu ! mes très chères Sœurs, tâchons d'en acquérir un peu, de ces grandes vertus solides, en nous appuyant tout à fait sur le secours de Dieu. Je voudrais pouvoir écrire tout ce que je vous ai dit ce soir, afin qu'il fût mieux gravé dans vos bons cœurs. C'est Dieu qui me l'a fait dire, puisque c'est lui seul d'où la moindre bonne pensée nous vient. Je me suis sentie extrêmement affectionnée à vous entretenir sur ce sujet, Dieu m'en a pressée ; [76] et soyez donc toutes pénétrées, mes filles, de ce désir unique de dépendre entièrement de l'ordre de la Providence. Laissons-nous entre les bras de la divine Bonté, et laissons-lui la liberté de nous porter à droite et à gauche ; qu'il nous suffise, je vous prie, d'être aux soins de ce grand Dieu, et laissons-nous conduire en quel lieu il nous voudra, puisque, partout où sa main nous posera, nous accomplirons son adorable volonté par le moyen de la sainte obéissance.

Entretien (noté 35) : Petits avis sur l'oraison, donnés à la récréation.

 Il faut souvent user de cette pratique d'abnégation intérieure, de demander à Dieu, dans tous nos exercices, la parfaite nudité ; mais quand il nous arrivera quelque autre trait d'amour, d'union avec Dieu, de confiance en sa bonté, il faut s'y bien exercer, en user fidèlement, sans les troubler ou interrompre pour vouloir pratiquer l'abnégation. Tout ce que doivent prétendre celles qui commencent de s'adonner à l'oraison, doit être de travailler à se résoudre et disposer, par tous les efforts d'esprit et de cœur imaginables, de conformer leur volonté à celle de Dieu, parce qu'en ce point seul consiste la plus haute perfection que l'on puisse obtenir dans la vie spirituelle. Il faut vivre au jour de la journée présente, sans user de prévoyance ni de soin de nous, pour l'avenir ni pour le présent ; faire les choses ainsi qu'elles se présentent, profiter de tout de bonne foi et sans autre égard que de plaire uniquement à Dieu, par les seuls moyens que notre vocation nous en fournit, sans user de recherches étrangères.

Il faut que l'âme soit fidèle à donner lieu à la parole de Dieu, si nous voulons qu'elle opère en nous, et que Dieu puisse disposer de nos cœurs selon sa volonté, et afin d'obtenir la grâce que nous-mêmes puissions adhérer à cette volonté adorable. L'âme qui se trouve encore atteinte et remplie de mille imperfections est ridicule de prétendre déjà aux goûts divins, aux sacrées consolations ; elle n'a encore acquis les vertus qu'en désir, et voudrait déjà en avoir les plus douces récompenses, que Dieu a coutume de donner à celles qui les possèdent en effet, et par [77] une longue et constante pratique. Devant que de prétendre aux couronnes et à la gloire, mes filles, il faut embrasser la croix de Notre Seigneur dans les sécheresses qui nous arrivent dans l'oraison. Ce doit être notre premier exercice, et celle qui souffre le plus est la plus heureuse. Vous devez avoir l'âme constamment pénétrée de cette vérité, que le cœur qui a offensé la bonté de Dieu ne doit jamais demander ces plaisirs divins et ces jouissances adorables de douceurs ineffables dont les âmes innocentes ou purifiées par le saint amour, jouissent.

Nous ne les devons point prétendre ni croire les mériter, quels que soient les services que nous puissions rendre à la divine Majesté. Il y a faute d'humilité, de faire tant de cas de servir Dieu par les sécheresses, de s'en tant plaindre ; Dieu nous les donne pour nous rendre humbles et non pour nous inquiéter. C'est le démon qui voudrait nous faire faire ce mauvais usage. Il faut pourtant bien compatir et consoler celles qui souffrent de grands et longs travaux intérieurs.

Une âme qui est humble vit aussi paisible, et aussi soumise à Dieu, parmi les désolations et stérilités intérieures que si elle nageait dans les goûts, consolations, et plaisirs intérieurs ; Dieu les départit souvent aux faibles. Mes filles, il faut avoir bon courage, vivre dans une profonde humilité. Il ne faut pas même craindre les tentations, car Dieu les permet pour purifier notre cœur; et, bien qu'il arrive que nous y fassions quelques fautes, il faut s'en confesser, s'en humilier, puis demeurer en paix. Une âme qui est toute à Dieu agit ainsi ; faisons-le aussi et soyons bien tout à Dieu.

Entretien : Défi général que notre unique Mère de Chantal donna aux chères Sœurs d'Annecy, l'Avent de l'année 1626.

Il faut avoir le cœur doux et gracieux envers le prochain, l'esprit doux et soumis à Dieu, retournant à lui avec humilité et abaissement intérieur en toutes occasions, les acceptant comme venant de sa main.

Ce défi, mes chères filles, est fondé sur la doctrine de notre Bienheureux Père, qui nous a dit d'aller de Dieu à l'humilité, et de l'humilité à Dieu.

Vous voulez savoir comme cet avis se pratique, d'aller à Dieu avec abaissement en toutes les occasions ? Ma chère fille, lorsque vous êtes tombée en quelque faute considérable, au lieu de vous amuser à réfléchir sur votre [78] manquement, allez à Dieu en vous humiliant doucement ; si l'on vous voit, jetez votre cœur en Dieu, vous abaissant devant lui profondément ; si l'on vous blâme et méprise, allez à Dieu et anéantissez-vous, vous abaissant plus bas qu'on ne vous met en reconnaissant votre misère, et qu'on a bien sujet de vous traiter de la sorte. Si l'on vous contrarie, allez à Dieu, si l'on vous satisfait, allez à Dieu, et acceptez tout de sa main. Pour la douceur, je n'entre pas de vous en parler à cette heure, tout ce que je vous en dis, c'est que lorsque je vous prie d'avoir le cœur doux envers votre prochain, je n'entends pas parler du cœur de chair de la partie inférieure, mais de notre cœur d'esprit de la partie supérieure.

Entretien : Pratiques de la présence de Dieu donné par notre Bienheureuse Mère pour défi.

La première pratique est de faire toutes ses actions pour l'amour de Dieu, tant pour laisser le mal que pour faire le bien. La deuxième que toutes pensent à Dieu simplement selon leur attrait sans s'empresser ni se charger de multitudes de pensées et d'attentions. La troisième, c'est de penser par la vérité de la foi que Dieu est présent, par essence et puissance, et que nous devons être honteuses de faillir devant lui qui est la pureté même, et pratiquer les vertus parce qu'elles lui sont agréables, et qu'il aime les âmes vertueuses.

La quatrième est de regarder Dieu dans notre cœur comme dans son temple qu'il ne faut pas oser salir, ni rien faire qui déplaise à sa divine Majesté, ni laisser rien à faire de ce que nous savons qui lui plaît.

La cinquième, c'est de penser que Dieu nous voit de son trône céleste pour observer si nous sommes fidèle à sa grâce, à faire sa volonté, et ce que nous lui avons promis, et à nos observances.

La 6ème sera d'imiter notre Seigneur par la patience, les travaux tant intérieurs qu'extérieurs, et dans la douceur et l'humilité, les deux vertus de son cœur qu'il veut que nous apprenions de lui.

La septième est d'être attentif à ne pas être plus d'un quart d'heure sans faire quelque acte d'amour vers la divine Majesté toujours présente, ou quelque autre acte conforme à l'attrait de chacune, et selon l'attention particulière pour nous unir à sa bonté.

La huitième, pour être plus fidèle à ce défit, l'on rendra compte des vertus que l'on aura pratiquées en suite de l'attention qu'on aura fait à cette adorable présence, et des fautes qu'elle nous aura fait éviter. [79]

Entretien : Diverses réponses que notre Bienheureuse Mère a fait sur des petits points d'observance.

Vous me demandez si l'on doit dire aux Sœurs Tourières ce qui se fait en la maison, en leur parlant ?

Je réponds que non, il vaut bien mieux les entretenir de bonnes choses et utilement sans parler ni du tiers, ni du quart. Mes filles, ne parlez point si librement. Tout le mal des religieuses ne vient que de trop parler. Notre Bienheureux Père qui était si tardif, si posé, si discret, et si sagement retenu en ses paroles, néanmoins sur la fin de ses jours, il disait qu'il aurait désiré d'avoir une boutonnière à ses lèvres, pour avoir le temps de mieux considérer ce qu'il devait dire. [tirets de séparation].

[Vous me demandez] Si en des nécessités publiques, la Supérieure peut faire faire des pénitences ?

Oui, mes filles, vous savez qu'aux temps des grandes guerres, l'on jeûna céans plusieurs jours durant. Tous les trois jours elle dînait à la deux[ième] table[57], faisait une demi-heure d'oraison après prime et une après la lecture, prenant le soir la discipline ; nous sommes assemblées pour cela pour aider tout le monde par prières. [tirets de séparation].

Les Sœurs qui se sont confessées le matin peuvent sans congé se confesser l'après dîner, les jours que les confessions extraordinaires viennent, mais si l'on n'avait rien à dire l'on s'en peut dispenser de soi-même. [tirets].

Les Sœurs ne peuvent pas dire à la réfectorière de leurs donner pour toujours de la mie, ou de la croûte, sans congé, et la réfectorière ne le peut pas faire sans permission de la maîtresse pour les novices, et de la supérieure pour les professes. [tirets].

Notre digne Mère dit qu'une Sœur ne satisfait pas à sa règle quand elle ne lit pas en son livre, pour contribuer par sa retenue à l'assemblée, et ne doit pas se fier à ce qu'elle a lu autrefois, ou à ce qu'elle retiendra de la prédication, si elle sait qu'on prêche ce jour là. [tirets].

Encore que l'Assistante soit la plus ancienne, elle ne doit pas aller faire l'office pour les Sœurs absentes du chœur, mais c'est à celle qui est la plus ancienne, après sa charité. [tirets].

Vous me demandez mes Sœurs, dit une fois cette digne Mère, comment l'on manque à la présence de Dieu ? [80]

C'est mes filles lorsque vous êtes plus d'un quart d'heure sans retourner votre esprit en Dieu. C'est sur quoi je vous interroge lorsque vous me rendez compte. Croyez mes filles, soyez attentives à cette divine et continuelle présence de Dieu ; c'est une parole de l'Écriture, que c'est à sa faveur que nous avançons sur le chemin, lorsqu'elle nous dit, approchez-vous de Dieu et vous serez mumine [sic]. Ah ! que je me plais à dire cette belle parole ; il faut que nous la pratiquions. [tirets].

Lorsque les Sœurs ne font pas profit des avertissements, dites-vous mes filles ?

C'est mon sentiment qu'il ne faut pas se presser de leur en faire et de les rejeter, mais il faut doucement attendre qu'elles soient un peu plus fortes pour les supporter. [tirets].

Non, mes filles, ne dîtes jamais parmi vous autres, « celle-ci est bonne pour cette charge, celle-là n'est propre pour exercer cet autre », surtout pour celle de Supérieure, n'en parlez point au temps de l'élection et des dépositions. Particulièrement, ne prenez l'avis de personne pour celle que vous devez élire, non pas même à la Mère déposé. Si l'on me demandait mon avis là-dessus, je ne le donnerais pas. Il ne faut dans ces occasions, prendre le conseil que de Dieu parce que j'assure que celles qui agiront selon la lumière et l'instinct du Saint-Esprit, que notre Seigneur les bénira et qu'il ne permettra pas que leur bonne intention soit trompée par une mauvaise élection, et je dis même, que s'il n'y eut que moi toute seule qui donna la voix à une Sœur, je ne voudrais pas m'inquiéter. Et pourvu que vous ayez suivit la lumière de Dieu et les avis de nos Règles, Constitution et Coutumier, dans votre choix, soyez certaines qu'il est bon.

Les Sœurs qui ne sont ni conseillères ni assistante ne doivent user d'aucune prévoyance, pour voir s'il se trouve dans la maison des sujets propres pour être élu. Il suffit des cinq jours députés, la Déposition jusqu'à l'élection pour y penser. Les esprits des femmes sont pour l'ordinaire si brouillons, qu'elles font mieux les choses lorsqu'elles y pensent le moins, bien qu'elles soient fort inclinées à penser longtemps à ce qu'elles doivent faire. Mais la Supérieure qui se dépose et les Sœurs conseillères doivent prévoir soigneusement pour leur catalogue, parce qu'elles en ont le soin, et voir s'il faudra demander des sujets à d'autres maisons de l'Institut. [tirets].

Notre Mère nous dit souvent que la Supérieure doit montrer une confiance toute particulière à la Sœur Assistante, et qu'il faut que les Sœurs s'en rendent capable, et que la Communauté lui doit porter un honneur particulier comme à la seconde personne du Monastère, et que lorsqu'on la rencontre par la maison, on doit la saluer par [81] un petit enclin de la moitié du corps, et la discerner en tout par un cordial respect, et que même la Supérieure en doit avoir pour elle. [tirets].

L'infirmière ne peut pas faire communier une de ses malades sans le congé de la Supérieure. Les malades doivent demander congé aussi à la Supérieure pour ne point lire les Règles et Constitutions, et ne s'en pas dispenser d’elles-mêmes. [tirets].

Si une fille dites-vous était bien adonnée aux austérités, que faudrait-il faire ?

Il faudrait bien mortifier son inclination, en lui refusant le congé de les faire, lui faisant comprendre qu'il y a plus de mérite à suivre la Communauté que vouloir rien faire de plus. [tirets].

Lorsque que les Sœurs malades ont des maux abjects, il faut que les infirmières les apprennent au médecin, pour épargner aux Sœurs, la honte de les dire elles-mêmes. [tirets].

Il faut prendre tout simplement ses soulagements, et il est mieux de déclarer ses besoins à la Supérieure que de vouloir attendre qu'elle les devine, sous prétexte de vous laisser à la Providence. Une pauvre Supérieure ne peut pas toujours prendre garde à vos visages, et à vos mines, pour deviner si vous êtes bien ou mal.

Entretien (noté 55) : Avis pour le jeûne.

 J'approuve fort, pour le jeûne, que personne ne s'en dispense de soi-même, et qu'on ne cherche point de ne le pas observer, par propre élection ; mais qu'on se laisse, pour cela, avec toute sorte de soumission, à la discrétion de la Supérieure et de ceux qui vous conduisent. Si l'on s'en remet à votre choix, choisissez le jeûne, parce qu'il est toujours bon de pencher du côté de la rigueur pour nous. Mais si vous vous sentez un véritable besoin de ne point observer le saint jeûne, et qu'on vous dise « ne jeûnez point », ou qu'on s'en remette à votre jugement, usez tout simplement de cette obéissance ou de cette liberté, surtout pour les nécessités suivantes.

Si vous sentez que le jeûne vous rende extrêmement chagrine.

Si vous êtes sujette à de fréquents étourdissements de tête, ou si vous souffrez souvent de douleurs de ventre et d'entrailles, parce que le jeûne est extrêmement contraire à ces infirmités là, et la sainte Église n'ordonne le jeûne que pour mortifier la sensualité et non pour ruiner la santé des infirmes et des faibles, et donner de grandes incommodités à l'esprit.

Si, en prenant quelque petite chose le matin, vous supportez mieux le jeûne le reste du jour, il faut le faire sans scrupule, mais toujours avec l'avis de ceux qui vous conduisent. [82] [tirets].

Mes filles, dit cette Bienheureuse Mère, hormis que Dieu ne vous attire par des voies secrètes et intimes au recueillement et à une profonde occupation en lui, il est toujours mieux de se rendre attentives aux exercices du Directoire qu'à toute autre pensée, soit pour l'Office, où l'on doit surtout faire une grande attention de bien prononcer et de bien faire toutes les cérémonies, soit aux récréations et aux assemblées, écoutant avec attention le rapport des lectures. Mais si Dieu vous occupe, laissez-le faire, et ne faites rien autre que d'être bien attentive à nos observances. [tirets].

S'il se trouvait des Évêques qui donnassent la permission à quelque Père des Sœurs de les venir voir étant malades sans des grandes occasions, il faudrait prier sa grandeur de ne plus donner de pareilles licences, parce que sous ce prétexte, on pourrait faire bien d'entrées inutiles, mais il faut représenter cela avec une profonde humilité. [tirets].

Mes filles, pour la visite annuelle lorsque le Prélat ne la fait pas, et que le Père spirituel, bien que bon ecclésiastique, ne se trouvât pas entendu aux choses spirituelles et aux affaires de religion, comme il peut souvent arriver, il faut tout simplement et humblement demander quelque autres en des pareilles occasions. J'ai fais demander des Pères Jésuites et je m'en suis bien trouvée, et les Communautés aussi, et le Père spirituel ne s'en doit pas offenser. [tirets].

Non ma Sœur, l'on ne manque pas à l'obéissance prompte, lorsqu'on achève le matin de faire son lit ou de se laver les mains, bien que l'on commence de piquer l'oraison, parce que tout ce qu'on fait est aussi une obéissance, c'est pour cette cause qu'on la sonne durant trois Pater. [tirets].

Ô Dieu ma chère fille, je vous conjure, et vous mes Sœurs, ne cherchons point tant de moyens nouveaux de nous mortifier. Soyons fidèles seulement à bien employer ceux que nous avons. Ce n'est point agir selon l'esprit de l'Institut que de faire toutes ces façons ; notre esprit est un esprit d'une parfaite rondeur, et d'une franche et sincère simplicité, et je n'aime du tout point ces pratiques qui lui sont si fort opposé. [tirets].

Non ma Sœur, l'on n'affecte pas de mettre dans la charge d'Assistante les Soeurs les plus vertueuses ; aussi, celles qui le sont ne doivent pas se glorifier. Hélas, il n'est qu'une âme bien humble qui mérite d'être exaltée et qui puisse se glorifier. Pour le reste, nous ne sommes que poudre et cendre ; il n'est point, comme j'ai dis d'autres fois, d'offices bas en la maison de Dieu, où servir est régner, où [83] l'abjection est glorieuse au dire de ce grand Roi, fait selon le cœur de Dieu. Ne vous fâchez donc jamais si après avoir exercé les grandes charges, on vous met dans l'exercice de celles qui sont par forme nommée petites et plus basses, puisque tout est honorable dans le service de Dieu, et que l'on reçoit plus d'honneur, s'il faut user de ce mot si suspect et si horrible parmi les enfants de Dieu de ce qu'on pense qui nous honore et nous humilie, puisque jamais une âme religieuse ne mérite et ne reçoit plus de louange que lorsqu'elle se met plus bas devant les yeux des créatures qui l'élèvent à mesure qu'elle se relève aussi devant l'œil de son Dieu. [tirets].

Notre digne Mère dit une fois à la récréation, qu'elle avait été consolée et édifiée de ce qu'on lui écrivait au sujet de l'indifférence d'une Supérieure de ce qu'elle ne faisait rien pour être aimée, et qu'elle ne cherchait point les occasions de gagner l'amour des créatures, et qui ne témoignait aucune peine aussi d'ailleurs, d'être fort aimée, disant toujours : pourtant mes Sœurs, il faut bien aimer Dieu. On lui écrivit qu'une autre Supérieure avait refusé de prêter de nos voiles et barbettes à d'autres Religieuses, de crainte qu'elles ne s'habillassent comme nous, elle dit : « Ô Dieu, que ce procédé est contraire à notre manière d'agir », et elle écrivit pour leur en faire prêter. [tirets].

Sa charité nous disait souvent qu'elle avait un singulier plaisir qu'on fit la charité de blanchir et de repasser les linges de l'église des pauvres Religion et des pauvres paroisses, et en introduisit la pratique dans ce premier Monastère d'Annecy. [tirets].

Notre digne Mère dit qu'aux jours de Fêtes, l'on peut si l'on veut, se reposer plus que la demi-heure, et qu'on peut aussi prendre du repos le soir au quart d'heure. [tirets].

Sa charité faisait aller à l'assemblée les jours de Fêtes lorsqu'il se trouvait après la prédication plus de demi-heure, mais s'il y avait que la demi-heure juste, elle donnait congé d'aller où l'on voulait à la liberté de chacune. [tirets].

Elle nous dit une fois que si une Supérieure venait à mourir après la première année expirée de sa supériorité, que la déposée pouvait être réélue. [tirets].

Elle dit qu'une Supérieure ne devrait en aucune manière, être démise de sa charge, bien qu'elle le demandât instamment, pour des seules répugnances à l'employer. Parce qu'il faudrait être bien impatiente pour ne pouvoir souffrir trois ans un exercice qui nous [84] déplaît et qui nous contrarie.

Entretien : Avis aux Supérieures.

Il faut que la Supérieure traite avec les anciennes avec respect, parce que celle qui est aujourd'hui mon inférieure peut être demain ma Supérieure. Pour moi, dit cette unique et vraie Mère, je les honore, je les respecte et je ne veux pas que les Supérieures fassent tant d'état de la supériorité, comme de la charité. Parlant d'une Mère qui avait été un peu rude, je lui dis fort bien qu'elle avait traité comme des novices, celles que je lui avais données pour compagnes ; elle me l'avoua et je lui répartis : vous n'avez pas mieux fait pour cela ma fille, qui fait la volonté de Dieu fait tout pour sa gloire, et pour suivre son bon plaisir et pour son amour. Pour moi, je me trouve fort bien d'user avec les Sœurs dans un esprit de douceur, et leur ordonner toujours les choses, comme en les priant. Au commencement, c'était bien verte, bien sèche, bien impérieuse, l'on me supportait fort, ma Sœur Telle le sait bien ; mais il m'a bien fallu changer. Mes filles qui gouvernez les autres, je ne vous recommande rien tant que le support, mais je le recommande aussi aux inférieures. Enfin, mes Sœurs les Supérieures, faites comme vous m'avez vu faire, et je serais contente et nos filles aussi. Ainsi vous vous rendrez la conduite de nos filles, aisée, et remplirez leurs cœurs d'amour. Mais mes Sœurs, aimez aussi vos Supérieures qui ne font rien de contraire à l'Institut et qui n'apporte dans la maison aucun esprit étranger. [tirets].

Cette digne Mère avait coutume de renvoyer les défaillantes devant Dieu pour les ramener à leur devoir, sans leur faire une correction, ni leur dire seulement une parole sèche ou rude. [tirets].

Elle nous disait qu'il fallait tenir son esprit en tranquillité pour bien faire toute chose à propos. La douceur, l'humilité et la tranquillité d'esprit, sont les sièges et le repos du St Esprit, disait cette sainte Mère. [tirets].

Une Sœur se plaignant à cette Bienheureuse qu'elle était fort travaillée des pensées inutiles : nous autres qu'on croit si parfaites, sommes souvent atteintes de tant de distractions, que c'est pitié. Mais Dieu le permet pour nous tenir humbles. Il ne faut point tant penser à la perfection, mais de faire de moment en moment, tout le mieux que nous pouvons. [tirets].

Elle disait que la vraie charité consiste à ne point renvoyer des filles pour des infirmités corporelles, à compatir au mal de nos Sœurs, et à les excuser lorsqu'elles commettent quelques manquements. [tirets]. [85]

 Mes filles, disait cette Bienheureuse, il ne se faut pas anéantir de ce que nous sommes misérables, mais parce que Dieu est d'une grandeur infinie ; et lorsque l'on a fait quelques fautes, il ne faut pas s'inquiéter de ce qu'on ne ressent pas assez de peine, mais s'humilier doucement, paisiblement devant Dieu, par un simple acte d'un amoureux repentir. L'amour propre se veut toujours couvrir de multiplicités, pour troubler nos cœurs dans leur simple occupation en Dieu.

Il faut, disait-elle encore, parlant des choses saintes et sérieuses, le faire avec modestie et sans rire.

Celui, disait cette sainte âme, qui est grandement orgueilleux, tombe pour l'ordinaire en des lourdes fautes, et Dieu le permet ainsi, pour le ramener en le faisant humilier. Lorsqu'on lui disait de n'être point humbles, ni soumises et encore moins fidèles, elle répondait : cela se peut faire que vous ne travailliez pas assez à ces saintes vertus, mais il ne faut pas vouloir être plus parfaite que Dieu ne veut, et plus tôt qu'il ne le veut. [tirets].

C'est avoir un grand cœur que de souffrir beaucoup et de supporter son prochain, embrasser tout le monde par désir, et pour le porter à aimer Dieu.

Suivez Dieu, disait cette digne Mère, en simplicité de cœur, vous soumettant à la direction qu'on vous donne. Il ne vous appartient pas de faire aucun dessein dans votre esprit, cela appartient à ceux à qui Dieu a commis le soin de votre âme.

Tâchez petit à petit de vous quitter vous-mêmes pour abîmer ce vous-mêmes en Dieu. Il n'y a que la recherche de votre amour propre et de vos satisfactions qui puisse inquiéter une âme qui veut bien être à Dieu.

Ne vous mettez point en peine quelle aversion que vous sentiez pour le prochain dans votre partie inférieure, mais après un grand soin seulement de vous tenir en la présence de Dieu, et laissez remuer les sentiments de la chair tant qu'ils voudront. Je connais clairement que c'est les seuls qui font du bruit, ne disputez point pour vous persuader que cette personne avait raison d'agir et de parler ainsi contre vous. Contentez-vous de faire ce simple acte au plus fort de votre cœur en disant : oui Seigneur Jésus, je l'aime cette très chère Sœur ; s'il ne fallait que ma vie pour la rendre une grande sainte, je la donnerais de grand cœur. Ô mon cher Époux, puis-je haïr ce que votre cœur divin aime d'une charité éternelle. Je la veux aimer avec l'aide de votre grâce, tant que j'aurai de vie. Adorez souvent en la voyant Dieu dans son cœur, rendez-lui gaiement vos petits services, parlez [86] quelquefois de ses vertus, et croyez fermement que tant que la fine pointe de votre esprit dira, « non mon Dieu, je ne la veux point haïr, je l'aime et je lui pardonne », que vous ne sauriez offenser ce grand Dieu en ce particulier, bien que votre esprit vous fournisse dans la basse partie de votre âme, les moyens de la plus maligne vengeance que vous puissiez imaginer.

Entretien : Avis à une Sœur particulière, touchant les prédications, donnés par cette digne Mère.

Ma fille, comme vous ne vous soumettez pas à aucun avis qu'on vous dis, cela cause le trouble dans votre âme lorsque les prédicateurs disent la moindre chose touchant les péchés et la confession. Vous ne trouverez jamais la paix de cœur que dans la soumission de votre jugement, et dans l'anéantissement de toutes ces vaines satisfactions que vous prenez de tant réfléchir sur vous-mêmes, ce qui empêche l'opération de Dieu en vous, et vous détourne du chemin auquel il veut vous conduire. Je vous l'ai dis cent fois, ces propres recherches gâchent tout. Ma fille, Dieu veut que le cœur qu'il attire à son amour et à l'aimer particulièrement soit nu et en dehors de lui-même, pour se laisser absolument à sa conduite, et qu'il n'ait d'autre recherche que de plaire parfaitement à sa divine Majesté.

Je vous donne et recommande cette pratique, qu'en tout et par tout, vous tâchiez de simplifier votre esprit. Spécialement à l'oraison, retranchez toute curiosité d'entendement et la multiplicité d'acte et de représentation de votre misère.

Ne vous chargez point de tant de pratiques, et de vouloir faire tout ce que les prédicateurs disent. Cela vous serait nuisible, ils vous exhortent à beaucoup de choses, mais c'est pour embraser votre volonté, et pour l'animer à beaucoup entreprendre, afin qu'elle ait le courage de faire le peu qui nous est ordonné qui est pourtant assez de besogne pour nous, et la seule que nous devons embrasser. Quand les prédicateurs traitent des péchés, abîmez le souvenir de ceux de votre vie passée dans l'infinie miséricorde, ne les discernez point tant, ne les examinez plus pour en voir le nombre et les circonstances ; tenez-vous pour trop heureuse de quoi Dieu vous donne le désir d'être en charité et de l'aimer souverainement, et ne cherchez point curieusement si vous êtes dans le sentiment de la même charité, mais appliquez vous tout simplement d'en faire les actes et à aimer Dieu parfaitement ; et ne vous figurez pas que leurs conseils soient des [87] commandements. Il faut toujours suivre l'attrait de Dieu sur nous, non pas à la négligente et avec tiédeur ; non, cela n'est pas bien. La grâce se retire de nous, lorsque nous lui manquons souvent de fidélité d'une volonté délibérée. Mais je vous dis qu'il faut faire le bien sans inquiétude, et celui que Dieu veut de nous, et non d'autres.

Je voudrais que vous eussiez bien dis à ce bon Père votre peu de soumission ; vous le croirez mieux que moi et avec raison, parce que je ne suis rien auprès de lui ; mais il me semble que ce que je vous dis pour votre confession, je le dis selon ma conscience, qui ne me permet pas de vous mal conseiller, et selon la lumière de Dieu que je lui demande en tous les avis que je donne.

N'est-ce pas perdre son temps après trois confessions générales faites à des Pères très capables, le plus sincèrement et clairement que vous avez eu de vouloir encore tant examiner si vous avez dis bien tous les petits péchés de votre enfance, si vous n'avez point oublié quelques petites circonstances, quand vous me venez dire cela ? Il est vrai, je vous mortifie fort, mais c'est que je trouve ces scrupules impertinents avec raison.

Vous croyez, dîtes-vous, que si vous étiez bien avec Dieu, vous correspondriez mieux à sa grâce que vous ne faites. Ma fille, il faut vous mettre à la besogne, et correspondre fidèlement aux attraits de cette grâce, et vous verrez que Dieu sera glorifié en votre chère âme. Mais je sais bien ce que c'est qui vous fâche, c'est que vous voudriez être aussitôt quitte d'imperfections ; mais il ne faut pas attendre cela de votre naturel, vous ne le réduirez pas sitôt à la raison. Travaillez, travaillez fidèlement et demeurez paisiblement auprès de Dieu.

Entretien : Quelques petites particularités qui regardent cette vénérable Mère de Chantal, et qu'elle a raconté elle-même.

Une personne de confiance, parlant à notre Bienheureuse Mère de l'humilité, elle lui dit : Mon Dieu, je l'aime et je la désire de tout mon cœur cette sainte humilité, ce grand Dieu veuille me la donner ; mais j'ai une grande répugnance à certaines humiliations, qu'il y a que j'en suis quelques fois étonnée ; j'avoue pourtant que ce n'est pas la répugnance qui me fâche, c'est la répugnance que j'ai à y répugner. Mais je fais comme mon Bienheureux m'a appris, je ne m'anéantis pas, et m'humilie de ne m'être point humilié.

Une fois je dis à mon Bienheureux Père dans notre dernier entretien à Lyon, que je [88] serais bien satisfaite à mon retour à Annecy, de revoir un peu bien mon âme devant vous ; il me répondit : « Je vous croyais toute céleste, et je vous vois encore à vous-même ».

Une autre fois, je voulus qu'il me parlât le premier ; il me dit : « Hé, quoi, avez-vous encore des affections et des désirs propres ? »

Une Sœur se plaignant une fois à cette Bienheureuse Mère d'un petit ennui qu'elle ressentait de ne trouver pas de la correspondance dans une personne qu'elle affectionnait saintement : « Hélas ma fille, lui dit-elle, que le Bienheureux et moi avons souffert l'un pour l'autre, pour des pareils doutes. Un jour, comme il me parlait d'une personne de sainte vie qu'il aimait, il me la loua fort, de sorte que je lui dis : Monseigneur j'irai donc après cette personne-là dans votre amitié ? Il se tourna un peu et puis me dit : ô ma Mère, ne dîtes pas cela, vous êtes l'unique colombe, vous êtes l'unique colombe. »

Cette bonne Sœur lui répartit : « Que vous êtes heureuse ma Mère d'avoir eu une si grande union avec ce saint homme ». Elle dit : « Je n'oserais faire mettre par écrit tout ce qu'il m'a dit sur l'admirable union d'esprit que Dieu nous avait donné ; il n'en fut jamais de semblable, c'était une vraie amitié de charité. Vous avez vu dans ses lettres combien il avait de saintes amitiés pour diverses sortes de personnes, mais tout cela n'était rien en comparaison de la dilection que Dieu lui avait donnée pour moi. »

Il me dit une fois : « Dieu m'a donné en votre personne une aide semblable à moi, oui semblable à moi ; je le vois dans le cœur de ce grand Dieu, non seulement semblable à moi, mais qui est  un autre moi-même.

« Hélas, que j'ai du regret de ne lui avoir pas porté l'honneur et le respect qu'il méritait, je me voudrais milles et milles fois poursuivre ses intentions.

« Je ne sais pourquoi je vous dis tout ceci ma fille, dont je n'ai jamais parlé, mais Dieu le permet afin que votre âme soit consolée dans sa tristesse, et afin que je vous apprenne qu'il faut être simple, candide et exempte de prudence humaine, mais abandonnée toute à Dieu. »

La Sœur lui dit : « Ma Mère, avez-vous toujours bien fait ce que vous me recommandez de pratiquer ? » Elle s'humilia en rentrant dans elle-même, et dit : « Non, ma fille, mais je désire bien de le faire, j'ai toujours souhaité [89] d'être Sœur domestique pour vivre dans une parfaite soumission. »

Au dernier chapitre de l'année 1626, cette Bienheureuse Mère fit mettre les Professes devant elle, et leur commanda de lui dire simplement les imperfections qu'elles reconnaissaient être en elle devant Dieu, ce qu'elles firent. Puis, elle se leva et fit dire aux Sœurs les principales fautes qu'elles avaient commis durant l'année, et ordonna que chacune dise un défaut extérieur l'une de l'autre, leur enjoignant ensuite d'être bien fidèles à la pratique de la vertu propre au Saint qu'elles avaient tirées, et que chacune en particulier et toutes en général, fut bien attentives de s'exercer dans la parfaite charité à l'endroit de tous également.

Elle fit de même le vendredi saint, nous conjurant d'anéantir dans l'abîme du sacré Sang de Jésus-Christ les imperfections de la passion la plus dominante en nous. [tirets].

Le désir de se tenir en la présence de Dieu, disait cette Bienheureuse Mère, tient lieu de la présence même. La fidélité à Dieu ne consiste pas à posséder toujours le sentiment sensible de la présence divine, parce que cela n'est pas en notre pouvoir, mais elle consiste à faire de fréquents actes d'amour et de retours à Dieu. Quand la grâce nous l'incite et quand nous y manquons, il faut s'humilier doucement. Celui qui fait ce qu'il sait et qu'il peut, mérite que le Saint Esprit lui enseigne ce qu'il ne sait pas. [tirets].

Lorsque la Supérieure est en solitude, l'Assistante peut donner congé aux Sœurs, de lever le voile au parloir, d'écrire des lettres, de boire, de manger, de dormir, et les mêmes congés qu'elle donne, elle peut se les prendre pour elle. [tirets].

Une Sœur robière fit une fois des ceintures d'une nouvelle façon. Notre Bienheureuse Mère en fut si touchée, qu'elle les fit porter au chapitre, les fit brûler devant toutes, et dis : « Que la désobéissance périsse, et que le feu consume ce qui est édifié contre les saintes Coutumes », mortifiant fortement la Sœur, et avertissant toutes les officières de se tenir fidèlement à ce qui est de leur Directoire, par le respect qu'elle portait à notre Bienheureux Fondateur qui les a toujours écrit de sa sainte main. [90]

Entretien : Comme l'on doit procéder pour la confession des Prétendantes, et plusieurs avis touchant la Directrice et les Novices.

Il faut donner un livre aux Prétendantes, qui enseigne comme l'on se doit examiner et leur donner les avis sur les points auxquels on juge qu'elles se doivent le plus examiner. Mais il ne faut jamais les interroger, cela appartient aux confesseurs. Il faut laisser faire chacun son office. Si les filles ne savent pas écrire, et qu'elles vous prient de leur écrire le mémoire de leur confession, ne mettez simplement que ce qu'elles disent, leur montrant pourtant à s'en bien expliquer ; celles qui auraient beaucoup de peines, il leur faut faire avec courage, et en avertir le Confesseur, afin qu'il les console, qu'il les aide et examine. Il faut faire de même pour les Dames séculières qui viennent faire leur retraite chez nous, et en passant, je vous avertis mes Soeurs, de ne point laisser aller ces Dames au chapitre, ni au noviciat, ni de souffrir qu'on dise devant elles ni coulpes, ni avertissements, que des choses fort légères.

Mais pour revenir à nos Prétendantes, je vous dis qu'il faut laisser armer les filles de dévotion avant que de les exercer à la mortification. Celles qui ne s'humilient pas dans les humiliations, c'est signe qu'elles ont de la vanité, il faut les laisser pour quelque temps ; lorsque les médecins bien expérimentés voient que les médecines ne profitent pas, ils cessent pour un peu les remèdes, il faut faire de même autour des âmes.

Il faut beaucoup humilier et exercer les âmes que Dieu attire par des grandes consolations, autrement leur vertu n'est pas solide.

Les âmes qui font souvent des fautes, il faut leur donner une humble et douce confusion, mais il faut les encourager, et ne leur pas donner du désespoir. Il faut conduire les filles par la vraie observance, leur bien inspirer d'obéir à qui que ce soit qui leur commande ; donnez-leur surtout l'amour du mépris et exercez-les lorsqu'il est temps dans la mortification. S'il se trouvait une Supérieure qui ne laissât pas la liberté d'exercer les Novices, la Directrice leur dira humblement ce que son Directoire marque.

La Directrice ne dois jamais redire à la Supérieure ni à qui que ce soit les péchés que les Novices lui disent de leur bon gré, pour se consoler ou humilier. La marque d'une bonne Directrice est lorsqu'elle mortifie bien et qu'elle connaît bien les défauts des Novices et qu'elle ne leur en passe pas un.

La Directrice doit être un peu aigre, comme la Supérieure doit être toute douce. La Directrice ne peut pas donner congé aux Sœurs Novices d'entrer aux cellules [100[58]] des Sœurs qui ne sont pas du Noviciat. Il est nécessaire de faire passer les Novices par où les autres sont passées, mais doucement et discrètement, comme dit la Règle.

La Directrice doit toujours ouvrir le cœur de ses Novices amiablement, afin qu'elles ne lui manquent pas de simplicité. L'Assistante du Noviciat n'avertit point les Novices au réfectoire. Si une Novice, dites-vous, avait de l'aversion à sa maîtresse, si elle le lui doit dire ? Oui ma fille, il ne faut pas qu'elle se dispense de faire cette pratique, de se bien découvrir sous quel prétexte que ce soit. Surtout, les Novices doivent bien prendre cet esprit de simplicité, si elles veulent prospérer, et faire des progrès en la vertu. La Supérieure les doit aider et porter à cette parfaite confiance, et leur demander quelques fois, si elles ont dit à leur maîtresse ce dont elles se découvrent à elle ; et si elles disent que non, elle les lui doit renvoyer, les conseillant de se tenir à ce qu'elle leur dira, et de la venir après retrouver.

Si la Supérieure connaît que la Directrice n'a pas bien enseigné une fille, elle ne lui en doit rien témoigner, ni lui rien dire de contraire ; mais elle doit prendre la maîtresse en particulier pour l'instruire, afin qu'elle-même fasse puis entendre à la Novice comme elle se doit comporter en telle et telle occasion.

Il faut que la Supérieure fasse que les Novices estiment leur maîtresse, et qu'elle les portent à elle, comme aussi la maîtresse doit faire que les Novices estiment fort la Supérieure et les doit porter aussi à lui avoir de la confiance. Cet avis est de si grande importance, ajoute cette Bienheureuse, que je voudrais qu'on le retint bien et qu'on le mit en pratique.

Le premier fondement qui doit être aux Novices, c'est la crainte de Dieu qui leur donne une forte résolution de ne jamais l'offenser volontairement.

Le deuxième, c'est l'amour de leur vocation par une parfaite reconnaissance de la grâce que Notre Seigneur leur a fait de les discerner parmi tant d'autres personnes, qui en auraient possible fait plus de profit d'un bien si singulier tel que d'être appelées de Dieu, pour être attirées à son service, estimant surtout le bonheur d'être en dehors des grandes occasions d'offenser son infinie Bonté.

Le troisième fondement qu'il faut donner à la vertu des Novices, c'est une connaissance entière de leur néant, et leur bien imprimer cette vérité au cœur qu'elles ne pourrait rien d'elles, mais qu'elles pourront tout avec le secours de notre grand Dieu. [101]

Les Prétendantes se doivent instruire de la Directrice pour faire le petit abrégé de leur vie à la Supérieure qu'elles doivent spécifier ainsi : « Ma Mère, j'ai été jusqu'ici d'une humeur fort gaie, ou fort retenue, mélancolique ; j'aime la compagnie, ou bien, je me plaisais dans la retraite ; j'avais du penchant pour la vanité dans mes habits, dans mes parures, à m'ouïr louer ; j'aimais le jeu, la danse, ou, je ne me plaisais à rien du divertissement du monde ; j'avais de l'inclination à la raillerie et je me plaisais à médire ou à l'ouïr faire », ainsi des autres inclinations, penchants et attachements qu'on pourrait avoir pour les choses indifférentes, ou mauvaises et dangereuses, comme aussi les bonnes : si vous aimiez à fréquenter les Sacrements et ouïr la Parole de Dieu, la lecture des bons livres, si vous faisiez volontiers l'aumône, aimant les pauvres.

Il faut avoir un grand soin d'élever les filles aux petites attentions, des moindres pratiques aussi bien que des grandes, comme de lever leurs habits, fermer les portes doucement et telles autres.

Si une Novice murmure de sa maîtresse, il ne faut pas qu'elle fasse semblant de rien, mais il faudrait la faire avertir en particulier, sans qu'elle sache que son murmure soit parvenu à la connaissance de la Directrice.

Il faut élever les Novices tant spirituelles, qu'elles puissent être à la simplicité de la Communauté tant pour l'intérieur que pour l'extérieur. Il faut surtout les rendre simples à demander leurs nécessités. Pour celles qui sont tendres, il faut un peu mépriser leur mal, les encourager à se surmonter, mais pourvoir soigneusement et cordialement aux nécessités de toutes.

Il faut que la Directrice écoute paisiblement les peines des Novices, et qu'elle leur donne rondement du soulagement s'il est possible.

La Directrice ne doit pas se mettre des défis de ses Novices, mais elle les peut pratiquer en son particulier selon son besoin spirituel.

Oui, les Novices peuvent sans contrevenir à leur directoire, dire leurs petits biens, les bonnes choses que leur maîtresse leur dit, leur défis et entreprise.

Je n'aime pas, dit cette Bienheureuse, qu'on soit si réservé à dire ses petits avantages spirituels, possible que cette Sœur qui les demande en fera un grand profit ;  mais d'ailleurs les Sœurs feraient très mal d'interroger les Novices par curiosité, [102] et elles doivent se taire sur tout ce qui n'est pas de profit qu'on peut dire, comme l'on peut parler des choses bonnes qu'on aurait appris au parloir et au Chapitre. Oui ma fille, votre maîtresse est obligée de vous tenir fidélité, dit une fois notre Bienheureuse Mère aux Novices, comme la Supérieure à ses Sœurs, quand ce sont choses qui méritent le secret ; mais elle peut prendre les conseils de la Supérieure et d'autres personnes sans vous nommer, pour les choses qui concernent votre conduite dont elle aurait besoin d'avis et d'instruction surtout pour les peines d'esprit, trouble de conscience et tentation.

Mais si la Novice disait quelque chose qui fut de conséquence, et que l'utilité du Monastère ou la sienne propre requit que la Supérieure le sût, il faut que la prudente maîtresse le lui apprenne avec tant de discrétion et de secret, que la fille ne sache jamais qu'elle l'ait dit, et que la Supérieure surtout ne fasse nul semblant de le savoir. D'autres fois, il est bon de dire  comme de soi-même les choses, et ne pas faire connaître à la Supérieure que les filles ont peine de le lui dire. Mais enfin les choses qui ne regardent que les filles, la Directrice ne les doit nullement dire, et à quels propos je vous prie, perdrait-elle la confiance d'une pauvre fille pour une chose qui ne tire aucune conséquence. La maîtresse ne saurait être trop soigneuse de se conserver cette entière confiance des cœurs de ses Novices, et c'est le grand bien d'une Novice d'avoir une maîtresse dans le cœur de laquelle elle puisse à toute heure verser le sien pour prendre force et haleine au service de Dieu.

Il faut que les Novices soient grandement naïves à dire leur faute, donnant ce contentement à notre cœur sans se soucier de ce que ceux qui les entendent diront ou penseront, et ne pas refuser l'abjection qui nous en revient, parce qu'on ne les dit que pour s'humilier. Elles doivent tâcher de raffermir leur cœur du côté de l'humilité et de la simplicité, et faire toute chose dans cet esprit, humblement et simplement. Qu'elles jettent tout leur cœur, leur âme et leur esprit dans le sein de la Vierge, afin que cette Mère de bonté prenne tout soin d'elles ; et qu'Elle nous apprenne mes filles, à nous humilier et à prendre un nouvel esprit.

L'esprit de nos Règles est un esprit tout doux, et notre manière de vie est principalement pour les infirmes et imbéciles. C'est pourquoi il faut procéder, en ce [103] qui regarde la réception des filles, avec un grand support et charité, ne faisant nulle considération sur les infirmités corporelles, sinon sur celles que la Constitution marque. Autrement l'on verrait bientôt l'esprit de notre Visitation se détruire et l'esprit humain gouverner, au lieu de l'esprit de Dieu, dans toutes nos maisons. Je vois, ce me semble, déjà quelques manquements sur ce point se glisser malheureusement en notre conduite. C'est ce qui me fâche et me fait mal au cœur. Je ne permettrais jamais qu'une fille sorte pour une incommodité corporelle qui n'est point contagieuse, lorsqu'elle aura un bon cœur, bien résolu de suivre dans une parfaite observance. Qui fera autrement fera contre la Règle et la fin que notre Bienheureux Père a eue, fondant cet Institut. Je trouve que nos Sœurs sont fort rigoureuses avec les Novices, et que l'on requiert une perfection trop grande. C'est l'esprit humain qui fait cela sans doute, et je connais bien d'où vient, et où va tout cela. Ce sont pures enfances et niaiseries de vouloir prendre garde à tant de petites choses, pour y faire de si grandes considérations. Tant de vaine prudence qui veut aller prévoir dans l'avenir ce qui arrivera dans la suite des années ; cela se peut faire pour des choses d'une conséquence notable, mais qu'est-ce qu'une fille qui aie une incommodité et qu'elle la sente plus en un temps qu'en un autre, ou même toujours, et qu'elle fut si pressante qu'elle l'obligea à tenir tous les ans, un mois, deux mois et plus, le lit ? Quel inconvénient y a-t-il en cela ? Point du tout. Sur cela il faut lire les Règles et s'y tenir.

Il faut avoir un grand soin des Novices, et les fournir de tout ce dont elles ont besoin, tant pour leur linge, que pour leurs habits et nourritures. Les Sœurs ne le doivent point trouver mauvais, c'est un article de la Règle et l'on ne  doit faire aucun fondement là-dessus pour leur trouver des difficultés en leur réception.

Le grand saint Augustin enseigne tout ceci dans la Sainte Règle qui est toute remplie d'un esprit de douceur. Il ne faut point l'altérer, c'était son propre esprit, jamais saint ne fut plus doux ; n'en prenons donc point un de sévérité.

Il faut souvent faire des conférences et discours familiers sur ces bénites Règles pour nous instruire, pour nous affectionner à leur observance, et pour ne les jamais changer.

Il faut que la Directrice sonde bien le cœur de ses Novices pour bien connaître par quel mouvement elles font leurs actions. Il ne faut jamais traiter les esprits selon les nôtres, mais en la façon qui sera convenable à la perfection et à [104] l'attrait de chacun. Cet avis est de grande conséquence, mes filles, disait cette Bienheureuse.

Entretien : Ce qu'elle dit une fois à une Directrice.

Ma fille, apprenez à rendre votre partie supérieure du tout soumise à Dieu, et à tenir votre esprit dans une douce autorité sur vos passions pour les égaler à la raison, et à vous tenir toujours généralement égale en tout événement. Soyez toute et toujours douce. Attirez avec grand soin les cœurs des filles, afin que vous le leur ouvriez ; ouvrez-leur le vôtre ; ne vous étonnez jamais de voir qu'il y en ait qui fasse des grosses fautes, même ne les en faites pas étonner elles-mêmes, encore que leurs manquements fussent d'importance. Mais remettez-les tout doucement à la connaissance de leurs misères. Nous devons prétendre à cette vertu parfaite que requiert notre vocation, mais il ne s'ensuit pas qu'on ne fasse plus de faute ; non, puisque la vertu la plus fine ne s'acquiert que parmi les contrariétés, si ce n'est qu'on ne la possède déjà avec travail, parce qu'alors les choses les plus difficiles ne nous causent plus de peines. Ce n'est pas que le mérite soit moindre, puisque le travail précédent rend tout ce qu'on fait dans la suite, très méritoire, avec un avantage toujours plus grand. Les vertus naturelles ne sont méritoires que par le soin que nous avons de dresser nos intentions. Enfin le plus grand combat nous donne la plus grande couronne, et le triomphe plus éminent. Et pour cela il ne faut point l'éviter sous quel prétexte que ce soit, ni s'étonner des soulèvements de nos passions, ni des répugnances des autres. Il faut aborder les personnes qui en témoigneraient pour nous avec un visage plein de douceur, nous souvenant que chacun a comme nous, deux parties en soi, qu'une veut le bien et l'autre tend au mal. Ma fille, recourez en tout et par tout à Dieu, surtout aux choses difficiles. Que votre cœur soit toujours en attention, pour se tenir avec un extérieur doux et suave, vous représentant incessamment la douceur et charité que Dieu exerce à l'égard des créatures, surtout de celles qu'il a pour la Magdeleine et pour tous les pécheurs, et de ses douces paroles qu'il dit à ses apôtres : ne savez-vous pas que je ne suis pas venu dans l'esprit d'Élie.

Lorsque vous verrez quelqu'un en peine, allez-lui au-devant avec des paroles de tendresse et d'amour, regardant incessamment ce que nous sommes pour mériter cette grande grâce que Dieu nous départit d'avoir le pouvoir sur des anges et pour être destinées à leur conduite, répugnée à la répugnance que vous avez à cet emploi, et dites souvent : « Ô mon Dieu, mon cher Sauveur, plutôt [105] mourir mille fois, que de vivre selon mon inclination. Non, mon Dieu, je ne veux qu'une tranquille humilité et un doux amour à mon abjection. Me donnant un parfait acquiescement à vos volontés, je me tiendrai en cette humilité tranquille devant vous, dans une parfaite confiance en votre divine bonté ». Il faut ma fille, avoir un grand courage de servir Dieu en toutes les façons qui lui plairont, tantôt par des consolations, d'autres fois par des peines et afflictions qui arrivent dans nos charges, surtout dans la vôtre, puisque toute votre prétention doit être de plaire à Dieu, d'employer votre cœur, votre esprit, votre personne à son service, pour vous rendre une grande sainte par l'humilité, douceur et charité. Vous ne devez jamais vous mettre en peine puisque vous ne devez pas vous appuyer sur vos forces, mais sur celle de Dieu.

Entretien : Fidèle recueil de plusieurs choses que notre Bienheureuse Mère disait à une novice l'année 1630. Cette novice était notre Mère de Chaugy, et la maîtresse, notre Mère de Lussinge.

Après avoir une fois bien pleuré mes fautes devant cette Bienheureuse Mère, elle me dit : c'est assez de faire l'enfant. Tarissez vos larmes et retenez ces quatre points que je veux que vous pratiquiez fidèlement.

Le premier de ne jamais faire faute pour petite qu'elle soit, volontairement, d'une volonté absolue, déterminée et choisie, ne laissant aucun bien à faire de celui que vous connaîtrez que Dieu veut que vous fassiez. Là dessus, tenez votre cœur en grande liberté.

Le deuxième, c'est que vous ne vous troubliez jamais de vos manquements passés, présents et avenirs, ni que vous n'en tiriez aucune inquiétude.

Le troisième, que vous vous humiliiez profondément devant Dieu de vos moindres péchés reconnaissant que le mal est le fruit du jardin de votre âme, comme le moindre bien que vous fassiez est celui de la grâce de notre Seigneur ; proposez avec l'aide de cette même grâce de faire quelque bonne pratique de vertu pour réparer le manquement commis.

Le quatrième point qu'il faut que vous pratiquiez, c'est la fidélité à la personne de Dieu, et à donner pour fin de vos actions l'unique intention de plaire à sa divine Majesté. Enfin ma fille, humiliez-vous, je vous dis, humiliez-vous, faites tout le bien que vous pourrez, évitez tout le mal que vous connaissez, afin que vos fautes ne soient jamais que de pure fragilité et surprise, et [106] faites qu'elles vous humilient sans vous troubler. L'orgueil nous fait pleurer de nous voir imparfait, mais la vraie et humble contrition nous fait humilier, pour nous faire profiter même de nos chutes.

Une autre fois.

Ma fille, mortifiez fortement votre orgueil. Je suis fort aisée que votre maîtresse y travaille, mais secondez-la fidèlement. Je vous prie de penser souvent à ces paroles de notre Seigneur, « Sur qui reposera mon esprit, si ce n'est sur l'humble de cœur », et à ces autres, « L'esprit de Dieu et celui de superbe ne s'accorde point » ; il faut que l'un ou l'autre sorte de notre âme ; hâtez-vous donc de faire sortir promptement de votre cœur la propre estime, l'amour de votre volonté, de votre jugement et tout ce qui est contraire à l'esprit d'humilité, qui est l'esprit légitime de cette sainte vocation que vous sortez d'entreprendre.

Une autre fois, cette Bienheureuse me dit :

Je suis fort aise que votre maîtresse vous défende ces grandes et belles imaginations et spéculations dans vos oraisons, parce que votre esprit aime les choses qui lui donnent plus de science, de connaissance et de lumière que celles qui le portent à la pratique, à l'affection du cœur et à l'anéantissement, plus à la vanité qu'au désir de devenir humble.

Voici donc comme vous devez faire. Par exemple, vous prenez pour votre sujet de méditation la flagellation de notre Seigneur Jésus-Christ. Ne vous représentez point un beau jeune homme tout nu, avec plusieurs bourreaux autour de lui pour le flageller, mais mettez-vous en la présence de Dieu et après la première préparation, sans vous rien imaginer, pensez tout simplement que notre Seigneur tout innocent a voulu souffrir l'ignominie de la flagellation, souffrant pour votre amour cet horrible tourment. Et là-dessus, entretenez-vous avec sa bonté, en lui disant : « Mon Seigneur et mon Dieu, c'est à cette heure que j'apprends que vous êtes humble et doux de cœur ». Goûtez après en silence ces paroles, et après prononcez celle-ci tout doucement : « Ô que vous avez souffert pour moi mon Sauveur, je le sais ; et comme la foi me l'apprend, je ne veux autre connaissance que celle qu'elle me donne ; vous vous êtes toujours humilié et je me veux toujours élever. Ô innocent et humble Jésus, confondez ma superbe, vous souffrez pour moi, je me laisserai châtier pour vous de mes fautes, sans m'excuser ».

Voilà ma fille, comme il faut que vous fassiez, et vous ferez une oraison de cœur et de volonté, et non pas une d'entendement et de vanité. [107]

Une autre fois elle me dit :

Ma fille, ne vous tenez jamais quitte de cette grande activité d'esprit. Je sais bien que comme c'est une inclination naturelle, que vous avez de la peine de vous en défaire ; mais je sais aussi que si vous étiez fidèle, vous ne seriez plus si bouillante. Vous avez cent choses contre la modestie religieuse, vous tenez la tête penchée comme pour en paraître plus dévote, vous marquez tout ce que vous dîtes par des gestes, vous allez d'un pas tout à fait mondain, vous faites un certain petit tour de l'épaule lorsque vous faîtes vos enclins qui sent la fille du monde. Enfin, vous avez bien des choses à réformer en vous pour prendre la gravité et bienséance religieuse. Lisez souvent la constitution de la modestie, faites souvent des demandes à votre maîtresse sur cette vertu, et ayez incessamment au cœur ces paroles de l'apôtre, « Que votre modestie soit connue de tout le monde », et cela parce que le Seigneur est présent, dont l'œil divin voit l'extérieur et pénètre l'intérieur.

Une autre fois.

Soyez plus soigneuse  de vous surmonter ce mois, que le mois passé, et surtout soyez fidèle à votre défi de l'humilité que votre maîtresse vous a donné. Il vous est fort nécessaire, mais pour acquérir l'humilité, il vous faut travailler et ne pas croiser les bras. Il faut ne laisser pas perdre une occasion de vous humilier, il faut vous connaître et vouloir être connue des autres pour inutile, ignorante et indigne d'être employée à rien de bon, aimer que chacun se mêle de connaître et corriger vos défauts, que tout le monde ait confiance de vous dire ses pensées sur votre conduite et sur vos manquements. Il faut ne vous préférer à qui que ce soit, recevoir tout le pire de la maison avec joie, étant bien aise que les autres soient mieux que vous. Et faites-vous toujours accroire que vous êtes mieux, encore que vous ne méritiez ; soyez satisfaite de ne vous voir ni aimée ni caressée de vos supérieures. Supportez doucement d'être incessamment rebutée, méprisée et humiliée, employée aux choses basses, mortifiée. Et lorsque l'on vous traitera de la sorte, gardez-vous de penser que c'est pour éprouver votre vertu, mais persuadez-vous bien que c'est un châtiment autant juste que doux, à cause qu'on a égard à votre faiblesse. Ne parlez plus de ce que vous avez lu, vu [108] et su au monde, ni de vos parents. Enfin ma fille, si vous voulez être humble, il vous faut humilier, vous tenir en la maison comme une personne indigne d'y être. Respectez fort vos sœurs, et reconnaissez-vous leur petite servante. Estimez leur société et leur vertu. Allez en paix, ma fille.

Une autre fois.

La fin de l'année de votre probation, ma fille, s'approche. L'on ne vous a rien caché de tout ce qui est de l'Institut, et l'on vous a souvent dit qu'entreprenant cette vocation, l'on entreprend aussi de ne plus vivre à soi, pour soi, ni par soi, qu'il faut que vous pensiez que votre vocation vous oblige d'aspirer et tendre à la fin de la perfection de cet Institut, et que cette perfection est toute contraire aux lois et aux sentiments de la chair. Sondez votre cœur pour voir s'il est bien résolu d'entreprendre de ruiner ainsi tout ce que vous êtes, et d'anéantir tout ce qui est contraire à cette haute perfection dont la Congrégation fait profession. Demandez la sainte lumière du divin Esprit pour bien connaître les volontés de Dieu sur votre âme. Je ne doute point que votre appel à la religion ne soit très bon et très singulier. Je ne laisse pas de me sentir obligée de vous faire bien connaître ce que c'est que vous entreprenez, et l'importance qu'il y a de ne point vivre négligemment au service de Dieu, et que notre manière de vie requiert un courage fort et généreux qui prenne fortement l'avantage sur tout ce qui est de la nature pour faire régner en nous la grâce. Je suis fort résolue de ne point permettre la réception d'aucune fille qui n'ait cette disposition. Ma fille, éprouvez-vous donc bien vous-même. Accoutumez-vous à rompre vos volontés aux choses, même indifférentes, à obéir à toutes indifféremment et simplement à l'aveugle, à souffrir toutes les peines qui se présenteront dans votre poursuite. Et enfin, examinez bien tout ce que vous devez [109] désormais pratiquer, si une fois, vous pouvez vous oublier vous-même et vous jeter toute à faire le bien. J'espère, que Dieu par sa grâce, vous rendra une bonne religieuse, puisque je suis sûre que Dieu ne vous manquera jamais de sa lumière et de sa bénédiction, pourvu que vous ne manquiez pas de coopérer à sa grâce. Mais ma fille, je vous assure que les desseins de Dieu sur vous sont tels que si vous ne travaillez pour arriver au plus haut de la perfection, vous serez la plus chétive religieuse qui soit au monde.

Le matin qu'on tira les voix, elle me dit :  

Ma fille, je vous viens trouver parce que je n'assistais pas samedi à l'examen que le chapitre fit pour votre profession, pour voir en quelle disposition est votre cœur pour vous donner ma voix comme les autres. Ma fille, vous m'êtes fort chère pour ce que vous êtes à mon fils de Tolonion, que j'aime et estime si fort, et pour plusieurs autres raisons, et surtout parce que j'aime votre âme, voyant le soin particulier que notre Seigneur en a pris. Mais malgré tout cela, je ne voudrais pas dire un mot en votre faveur, contraire à ma conscience. Lorsque je reçois une fille, je me mets particulièrement en la présence de Dieu, j'invoque son secours, et je fais simplement dans une entière droiture, ce qu'il m'inspire à la vue de sa divine Majesté. Voyant votre cœur qui aime sa vocation, qui désire de se perfectionner, et qui grâce à Dieu a été bien appelée à son service, je ne saurais vous refuser ma voix et de parler pour vous. Toutefois les sœurs agissent selon les vues que notre Seigneur leur donne. Priez-le qu'il les inspire bien, affermissez vos bonnes résolutions, et j'espère que le ciel vous bénira. [espace].

Au sortir du chapitre, elle me fut trouver, et me dit si j'étais bien disposée à tout ce que la divine Providence ordonnerait de moi, et ensuite, me dit que les Sœurs ne me trouvaient du tout point propre pour notre manière de vie, m'ordonna de me laisser aux soins de Dieu, et me fit faire [110] un acte d'abandon à sa volonté en ces termes :

« Mon Dieu je suis prête à quitter non seulement cette religion, pour retourner au monde, mais je quitterais le ciel si tel était votre plaisir, et serais prête de descendre aux enfers, si votre même plaisir s'y trouvait plus grand », et me fit dire plusieurs autres choses fort belles, m'assurant qu'il faut commencer, ce que nous croyons être de la volonté de Dieu, avec ardeur, et le laisser avec tranquillité lorsque cette volonté adorable le veut. Elle pleura avec moi tendrement et m'envoya ensuite devant le Saint Sacrement pour me consoler, me disant qu'elle ne savait point de meilleur remède que celui-là, pour apaiser une âme affligée qui aime Dieu dans la posture d'une petite servante humble et soumise, et que je lui dise : « Mon Unique Consolation, ne me délaissez point ; vous m'aviez donné le désir de vous servir, vous m'en ôtez le moyen, soyez béni à jamais de votre pauvre créature ».

Lorsque j'étais en solitude pour la profession, je la priais de ma parler sur les vœux. Elle me répondit ce qui suit.

« Je le veux bien ma fille, vous expliquer courtement vos vœux. Faisant celui de l'obéissance, vous vous obligez de la garder selon que la constitution 3ème le commande, obéissant de volonté et de jugement à toutes sortes de Supérieures, qui que ce soit, et quoi qu'elles vous commande qui ne sera pas péchés. Faisant vœux de pauvreté, vous quittez toutes choses pour le mettre en commun et même votre propre corps, qui ne sera plus vôtre désormais, mais à la congrégation qui le pourra employer à tout ce qu'elle jugera sans qu'il vous soit loisible d'y résister. Ce vœux s'étend encore plus loin, et sa perfection ne requiert pas seulement que vous n'ayez rien en propre, mais que vous ne vouliez rien que ce qui vous sera donné, et que vous sentiez de la joie lorsque quelque chose nécessaire vous manquera, que vous ne choisissiez jamais le meilleur, mais désiriez le moindre, et que vous le preniez lorsqu'il vous sera permis. Il passe plus avant encore ce sacré vœux, [111] et requiert que nos biens spirituels mêmes soient en commun, et que notre amour soit égal et universel pour tout, tant que faire se peut. Enfin ma fille, pour être une vraie pauvre de cœur et d'esprit, il vous faut tenir comme une pauvre au Monastère qui serait comme dans la maison d'un grand Seigneur, ou comme une vraie mendiante à la porte d'un prince, recevant avec action de grâce tout ce qui vous sera donné, vous tenant humble et petite à vos yeux, confessant toujours de n'avoir aucun mérite pour être associée à une si sainte Communauté.

« Pour le vœu de chasteté, vous savez que la Constitution en dit si expressément, que je n'y peux rien ajouter. Comment sentez-vous que Dieu épouse votre âme, ma fille ? Ce grand Dieu l'épousera par le saint Baptême, cette chère âme ; mais lorsque nous nous privons volontairement des noces séculières pour prendre Jésus-Christ pour notre époux, il se fait une union si intime de grâce entre Dieu et notre âme, qui ne se peut pas expliquer en terre, où ce mariage sacré se fait ; mais ce sera au Ciel, où la jouissance entière nous sera donnée de ce souverain amour, que ces noces sacrées seront perfectionnées par les ineffables embrassements de ce divin Époux.

« Vous devez désormais avoir du respect pour vous-même, pour la dignité que vous possédez d'épouse d'un si grand et adorable Monarque. Pour n'en dégénérer jamais, renoncez fortement à toute sorte d'affection et d'inclination. Votre cœur est le lit et le cabinet où cet époux repose, tâchez de le tenir bien orné, et bien pur ; que tout votre amour soit employé à l'aimer ; mettez tout votre soin à lui plaire, et que toutes vos forces soient occupées à son service. Suivez fidèlement ses attraits, vous le trouverez toujours en vous-même ; tenez-vous vers lui sans désirer autre chose, et sans le chercher ailleurs ; préparez-vous de faire votre oblation avec le plus d'amour que vous pourrez, consacrez-vous souvent à Dieu, vous immolant toute sur l'autel sacré de son bon plaisir ; donnez-lui cent fois le jour toutes vos inclinations, et invoquez souvent son aide. Je le prierais fort que ce sacrifice lui soit agréable et pour sa gloire. »

Devant que je fis les vœux, elle me dit :

« Allez courageusement ma fille, vous donner toute à Dieu, pour jamais. [112] Faites votre sacrifice si absolu que vous ne soyez plus vous-même. Quand vous serez sur le point d'offrir à Dieu, priez pour les nécessités de l'Église, pour nos bons princes, pour les misères du peuple, pour notre petite Congrégation, et trouvez-moi quelque coin parmi les autres comme la plus indigne. Je le prierai pour vous afin que vous soyez du nombre des épouses fidèles qui gardent à ce divin Époux, les vœux fidèlement. »

Après la profession, dans ma première rendition de compte :

« Ma fille, vous avez promis des grandes choses à Dieu, mais il vous en a aussi promis de bien plus grandes assurément. Rendez-lui fidèlement vos vœux et sa bonté ne vous délaissera jamais. Pour votre oraison, et vos exercices, suivez l'attrait de Dieu, sans vous mettre en peine de suivre la direction ordinaire du Directoire. Tenez-vous ferme dans vos bons propos, et ne vous émancipez que le moins que vous pourrez, suivant en tout l'avis de votre maîtresse, que vous prendrez fidèlement sur toute votre conduite. »

Une autre fois.

« Je trouve bon que vous vous laissiez occuper à la présence de Dieu, et que vous suiviez l'attrait de la divine grâce. Mais je trouve aussi très bon que pour occupée que l'on soit de cette sacrée présence, l'on fasse toujours ces trois actes à la sainte Messe. Le premier de s'abaisser devant Dieu reconnaissant ses péchés, au confiteor. Le deuxième, d'adorer Dieu lorsqu'on voit la sainte Hostie et le saint Calice, pour offrir Jésus-Christ au Père Éternel. Le troisième, que sur le point de la communion, l'on se réunisse par quelque pensée ou parole intérieure, à ce Dieu caché au St Sacrement, soit qu'on communie réellement ou spirituellement. »

Pour la première solitude.

« Je suis passé à louer Dieu de voir le soin qu'il a pris de votre âme, et j'admire sa providence de vous avoir donnée cette vocation par des moyens si particuliers. Il vous reste de correspondre fidèlement à ce bon Dieu, et de faire que nul jour de votre vie ne se passe sans que [113] vous lui rendiez mille grâces de celles qu'il vous a faites. Suivez son attrait dans votre oraison, et faites ce que votre maîtresse vous dit pour votre avancement. Prenez à cœur cette pratique de porter votre âme entre vos mains, c'est à dire, toujours devant vos yeux, afin qu'elle ne fasse rien qui ne soit bien. Gardez-vous que rien ne vous la ravisse. Pour votre extérieur, prenez et lisez le chapitre de la modestie ; soyez condescendante à vos sœurs, et demandez-leur pardon des moindres fautes que vous commettez envers elles, de respect et d'humilité. »

La dernière fois que je lui parlais avant son départ.

« Ce serait avoir fait une grande sottise, d'avoir quitté tous vos parents, tout ce que vous aimiez au monde, pour vous attacher à une créature. Méprisez toutes ces petites tendresses, pour ne vouloir que le divin bon plaisir. Tenez-vous dans vos oraisons toujours plus simplement à la vue de Dieu, dans une profonde révérence. L'âme qui a trouvé Dieu, ne doit rien chercher davantage. Vous avez l'esprit fécond, et Dieu ne veut de vous que simplicité sans multiplicité. »

Ce que notre unique Mère dit au Noviciat.

« Hé bien mes chères filles, je vous amène une maîtresse. Vous lui obéirez de bon cœur, je le sais bien, et vous lui rendrez autant d'honneurs qu'aux autres, dans la même simplicité.

« Et vous, notre maîtresse, vous servirez mes filles joyeusement, fidèlement et de bon cœur. Notre nombre croîtra fort, et ce que je désire que vous inculquiez le plus à ces chères âmes, ce sont ces trois choses. La première, la pureté de cœur, qui bannit toutes sortes de péché et d'imperfection volontaire, qui se plaît de plaire à Dieu, et qui fait tout purement pour son amour.

« La deuxième est l'exacte observance de tout ce qui est de l'institut. Par ce moyen, vous les rendrez souples comme des gants, et les accoutumerez à l'humble déférence les unes aux autres, et à rendre un grand honneur cordial qui, comme dit notre Bienheureux Père, ne consiste pas aux gestes extérieurs, mais [114] au véritable sentiment intérieur.

Le troisième, c'est l'affection à l'oraison et au recueillement. C'est là où elles recevront la lumière et la force pour vivre dans une vraie perfection de l'observance. Voyez mes filles, tant plus l'âme s'approche de Dieu, elle est mieux éclairée ; plus elle se rend familière avec sa bonté, par l'oraison et le recueillement, plus il lui donne de forces pour embrasser ce qu'elle voit lui être agréable. Je ne vous recommande pas de mortifier nos filles, ma chère sœur la Directrice, parce que je n'aime pas ces mortifications qui surchargent et accablent l'esprit et le corps. Mais oui bien celles qui se rencontrent dans l'observance à chaque moment selon l'ordre de Dieu et de sa providence. Adieu, mes chères filles, dans dix-neuf jours nous nous reverrons. Dieu aidant, demeurez avec Notre Seigneur et soyez toutes à lui ;  ne craint point, petit troupeau, car c'est Dieu qui te gouverne, et ce Père Céleste a soin de toi. »

Entretien (noté 61) : Quelque avis touchant l'observance, donné par notre Bienheureuse à nos Sœurs de la deuxième maison d'Annecy, dans leur commencement.

L'on me dit que les officières s'exemptent facilement des Communautés, mais avec congé. Je vous dis qu'il ne faut pas le faire, bien qu'avec permission, sans la vraie nécessité ; autrement, la faute est de celle qui la demande, et non de celle qui la donne. Il faut dans ces occasions prendre toujours l'avis de la discrétion et de la charité ; surtout les pauvres infirmières ne doivent rien laisser à faire autour des malades, à quelle heure que ce soit, de ce qui est de la nécessité et de la charité, parce que c'est là sa première obéissance. Mais tout ce qu'il faut prendre garde, c'est de ne point perdre de temps, en sorte qu'il ne soit besoin de prendre, après celui des exercices, pour faire ce que nous aurions pu faire au lieu de nous amuser à parler ou à faire des petites choses qui se peuvent différer.

L'économe doit assurément assister aux Communautés, et lorsque l'on a besoin d'elle, on la sonne. Il ne faut pas qu'on craigne de mal édifier de la sonner souvent parce qu'on sait bien qu'elle a des affaires qui ne se peuvent pas bien souvent remettre.[115]

Pour la grande jardinière, je voudrais qu'elle fût des sœurs domestiques, d'autant que c'est un exercice de fatigue, et qui requiert de l'assiduité à y travailler le matin après prime et pendant l'assemblée, pour y planter des herbes, ou pour aider à le nettoyer ; cela sert même de récréation.

Prenez garde mes filles, n'attendez pas de venir demander vos congés à la Supérieure lorsque vous la voyez plus préoccupée des affaires, pour les obtenir plus facilement. Il est vrai, la Supérieure se doit toujours rendre attentive, mais il faut aussi que vous usiez de la discrétion et de la simplicité dans les occasions. [espace]

Il ne faut pas sous prétexte qu'on ne fait rien à l'office, s'exempter souvent, parce que si bien vous ne chantez pas, vous faites toujours votre devoir en y assistant avec modestie et attention à Dieu. La Supérieure peut pourtant en cela comme du reste, dispenser selon la nécessité. Il n'y a rien mes filles, qui maintienne tant le bon ordre d'une maison religieuse que de voir les Communautés bien suivies et nombreuses. [espace]

La Supérieure peut commander, si elle commande bien à la bonne heure ; si elle commande mal, la faute sera sur elle, et vous ne rendrez pas compte de ce que vous faites par obéissance.

C'est à nous d'obéir ; si nous obéissons bien, Dieu nous bénira ; si nous obéissons mal, et que nous demandions des congés non nécessaires, la faute sera sur nous. Si la Supérieure accorde les congés par complaisance à d'aucune qu'elle affectionnera dîtes-vous, qui ne soit pas de nécessité, lors la faute sera de toutes deux. L'on dit que nos sœurs se récréent fort bien durant toute la récréation, mais qu'elles ne pensent point aux congés qu'elles ont à demander, et qu'elles vont à toute heure trouver la Supérieure pour les avoir. Pour cela je ne fais point d'autre remède, pour les faire amender, que de leur dire doucement : ma sœur, venez à l'obéissance de ce soir, ou de ce matin, et je vous donnerai la permission que vous demandez ; cela les rend attentives à leur devoir. Mais si ce que l'on demande est nécessaire, il faut leur permettre, et leur dire qu'on le refusera si elle ne s'amende. [116]

La Supérieure se doit tenir un quart d'heure après l'obéissance pour écouter les sœurs, un demi-quart pour la Communauté ; mais la sœur économe, si elle voit qu'il y a quelque sœur un peu longue, doit s'avancer et dire, « Ma Mère, nos sœurs officières ont besoin de parler à votre charité » ; ainsi, ces sœurs si longues à parler se retireront et si quelque sœur veut parler en particulier un peu plus au long, qu'elle prenne l'heure avec la Supérieure, autrement les pauvres Mères seraient bien importunées. [espace].

Il y a des sœurs qui arrêtent la Supérieure, dites-vous, lorsqu'elle vient à table, que le dernier est sonné ; c'est ce qu'il ne faut pas faire, que par nécessité, parce que cela fait retarder la bénédiction, et il faut toujours que la Communauté aille son train ordinaire. Mais si la Supérieure ne peut pas venir pour quelque affaire, après que la Communauté soit assemblée, autant au chœur qu'au réfectoire, il faut que l'Assistante attende l'espace d'un Pater et Ave, et puis que sans sortir de sa place pour aller voir si la Supérieure vient, qu'elle dise le Benedicite. [espace].

Lorsque ce sont les jours que la Supérieure fait l'office, il faut l'avertir ; et même si l'Assistante peut prévoir qu'elle se trouve dans quelques occupations, il faut qu'elle aille l'avertir, avant que les offices sonnent, afin que la Communauté n'attende pas longtemps, et que les exercices soient retardés. [espace].

La Supérieure ne doit pas pour condescendre à certaines filles causeuses et complaisantes, s'entretenir auprès du feu un partie de la récréation, parce qu'il faut qu'elle tâche de consoler de sa présence, celles qui n'y sont pas et qui travaillent. [espace].

Oui mes sœurs, l'on peut élire une Supérieure qui ne serait pas sur le catalogue ; nos sœurs de Melun m'écrivent qu'elles viennent d'élire la leur qui n'y était pas, mais si unanimement qu'il n'y a pas manqué une seule voix ; et Monseigneur de Sens, qui est à mon avis un des prélats de France les plus éclairé et des plus entendus en fait [117] de religion, les loua beaucoup, et dit après l'élection que Dieu y avait véritablement présidé et que Dieu les bénirait, parce qu'elles avaient agi selon son Esprit ; parce que ce grand Dieu fait toujours des grandes grâces à ceux qui agissent pour lui seul. Mais il est toujours bon ordinairement de se tenir au Catalogue, surtout lorsque nous savons qu'il y a une Mère déposée qui agit droitement, des bonnes conseillères qui cherchent le bien seul du Monastère, et qui cherchent à mettre sur ledit Catalogue, les plus capables filles de la maison pour cette charge si importante. Il ne faut jamais parler avant le temps de l'élection, je vous l'ai dit plusieurs fois, et je vous le redis, à chaque jour suffit sa malice. Nous appréhendons que la telle soit supérieure, qui mourra avant le temps qu'il faille l'élire. Bienheureuse est l'âme qui vit en paix dans la parfaite confiance de son Dieu. Retenez bien ceci, mes chères filles, et soyez certaines que Dieu me le fait dire. Qu'en cette petite qui voilà serait élue, Dieu permettrait qu'elle ferais bien pourvu qu'elle fut élue simplement et sans regard humain ; et elle ne vous devrait pas être en moindre considération que la première de l'Institut qui aurait tous les talents requis, et il faudrait tourner vers elle tous vos respects et tout votre cœur, c'est de la sorte qu'agissent les bonnes religieuses. [espace].

Hors, mes chères filles sont bonnes, mais elles veulent bien que je leur dise un petit mot en confiance. C'est que je ne vois pas, ce me semble, chez vous autant d'esprit intérieur que j'en trouvais autrefois. C'est possible que vous êtes toutes dans l'occupation et dans les charges présentement. Mais, mes chères filles, c'est en ce temps qu'il faut prendre garde à vous, afin que ces choses inférieures ne vous ôtent point les célestes. Il n'est rien qui relâche plus le cœur que la dissipation, et le peu de soin à conserver en tout temps la pureté du même cœur. Mais on ne le fait pas lorsqu'on veut suivre ses inclinations et qu'on ne va aux exercices d'obéissance que de corps, et que l'affection de ce cœur reste à une quenouille et à un ouvrage. Travaillez bien lorsque c'en est l'heure, mais soit par complaisance de la Supérieure ou des autres, ou de vous-mêmes, ne vous amusez point aux ouvrages, ne vous y empressez [118] point au détriment de la dévotion, qui apportera plus d'avantage à votre Monastère avec la suite des exercices que tout  travail. Cherchons toujours premièrement le royaume de Dieu, et tout le reste nous sera donné. Notre Bienheureux Père disait une fois qu'il fallait préférer l'obéissance à tout ses petits désirs. Tâchez donc de garder cette pureté de cœur que Dieu demande de nous, et ne désirez point tant d'être aimées et estimées des créatures. Contentez-vous de posséder cette pureté, pureté d'intention, pureté d'action, pureté d'affection, et que votre âme ne respire en tout que pureté. Et de la sorte, vous attirerez sur vous toutes sortes de bénédictions et grâces célestes, je vous les souhaite. Amen.

Fragment d'une lettre d'Annecy de 1834.

C'est que dans la constitution 47 de l'élection de la Supérieure, notre saint Fondateur s'exprime en ces termes « et enfin l'on verra laquelle aura le plus de voix, et celle-là sera la Supérieure ...etc », tandis que le Coutumier sur le même sujet, se sert des termes suivants « l'élection se fait seulement quand une sœur a plus de la moitié de voix de tout le Chapitre, quand ce ne serait que d'une de plus. La constitution l'entend ainsi et non autrement ».

D'après cette différence, les uns pensent se devoir arrêter aux termes de la Constitution, et rejettent l'explication donnée sur cet article par le Coutumier, auquel cependant on se tient généralement. Il nous semble que la chose ne doit donner lieu à aucun doute, puisque notre sainte Fondatrice et nos premières Mères ont expliqué les choses au Coutumier comme elles se pratiquaient du temps de notre Bienheureux Père, et selon qu'il les avait lui-même établies. Cependant il paraît que dès avant l'année 1668, quelques Monastères éprouvaient de l'embarras sur ce point : nous le voyons par ce qu'en dit T. H. Mère Philiberte Emmanuelle de Montoux, Supérieure de ce Monastère en sa circulaire du 25 septembre de la susdite année. Après ces réflexions, elle ajoute « nous trouvons bien dans les archives de cette maison de vieux manuscrits de nos constitutions fait de la main de Monsieur Favre, Confesseur de notre saint Fondateur (dans l'un desquels notre Bienheureuse Mère a fait plusieurs annotations de sa propre main) où il est dit comme au Coutumier, que l'élection se fait de celle qui a plus de la moitié de voix de tout le chapitre, et que lorsqu'il faut recommencer, on écrit des nouveaux billets ; ce qui confirme la vérité que notre Bienheureux Père dit dans une de ses épîtres, que les copistes et imprimeurs de nos constitutions y ont fait une infinité de fautes. »




 

 

 

EXTRAITS DE LETTRES

 



 

Lettres de Jeanne à François  

Extraites de Jeanne de Chantal, Correspondance, Tome I 1605-1621, Cerf, 1985.

Lettre 6 à François (1611)

[Annecy, fin mai-début juin 1611]

Quand viendra ce jour heureux[59] où je ferai et referai l'irrévo­cable offrande de moi-même à mon Dieu? Sa bonté m'a remplie d'un sentiment si extraordinaire et puissant de la grâce qu'il y a d'être toute sienne, que, si le sentiment dure dans sa vigueur, il me consumera. Jamais je n'eus des désirs ni des affections si ardentes de la perfection évangélique; il m'est impossible d'exprimer ce que je sens ni la grandeur de la perfection où Dieu nous appelle. Hélas! à mesure que je me résous d'être bien fidèle à l'amour de ce divin Sauveur, il me semble que c'est chose impossible de pouvoir correspondre à toute la grandeur de ce même amour. Oh! que c'est chose pénible en l'amour, que cette barrière de notre impuissance! Mais qu'est-ce que je dis? J'abaisse, ce me semble, le don de Dieu par mes paroles, et ne saurais exprimer ce sentiment d'amour qui me sollicite à vivre en pauvreté parfaite, en humble obéissance et en très pure pureté.

Lettre 19 à François (1611-1614)

 [Annecy, 1611-1614][60]

Monseigneur,

Priez fort pour moi, afin qu'il me retire de ces fâcheuses affaires. Ce qui me console parmi tant de travail, c'est que cela est pour la gloire de Dieu et, qu'enfin, après avoir bien travaillé, nous irons jouir du repos éternel, moyennant la grâce du divin Sauveur, lequel je prie soigneusement pour la perfection de notre Coeur.

Je vous ressouviens, mon Père, qu'il y a aujourd'hui sept ans que Notre-Seigneur remplit votre esprit de mille saintes affections pour le bonheur et perfection de ma pauvre âme. Je vous dirai que, dès hier, elle est demeurée remplie d'un sentiment si extraordinaire de la perfection que, si cela dure, il me consumera. Mon Dieu! mon unique Père, rendez-moi, par vos prières et conduites, toute à ce Seigneur que nous adorons, révérons et aimons parfaitement. Oh! que je veux lui être fidèle! Il m'est impossible d'exprimer ce que je sens, aussi ne ferais-je que l'amoindrir par mes paroles. C'est un ouvrage fait de la main de Dieu. Nous voyons tous les jours clairement abonder ses miséricordes sur nous, c'est pourquoi nous devons tous les jours nous rendre plus fidèles. Pour cela, je consacre de nouveau mon âme à votre volonté et obéissance[61].

En ce désir, je vais recevoir mon Dieu, auquel je demeure, Monseigneur, vôtre,

Lettre 75 à François (1616)

[Annecy, 21 mai 1616]

Mon cher Père,

M. Grandis m'a dit aujourd'hui que nous eussions encore bien soin de vous, que vous ne deviez plus faire une si grande diète, qu'il fallait vous bien tenir et contre garder, à cause de la fluxion qu'il faut craindre. Je suis bien aise de toutes ces ordonnances, et que vous gardiez votre solitude, puisqu'elle sera encore employée au service de votre cher esprit. Je n'ai pu dire nôtre, car il me semble n'y avoir plus de part, tant je me trouve nue et dépouillée de tout ce qui m'était le plus précieux.

Mon Dieu! mon vrai Père, que le rasoir a pénétré avant! pourrai je demeurer longuement dans ce sentiment? Au moins notre bon Dieu me tiendra dans les résolutions, s'il lui plaît, comme je le désire. Hé! que vos paroles ont donné une grande force à mon âme! que celles-ci m'ont touchée et consolée quand vous me dites: "Que de bénédiction et consolation" votre âme a reçues, de me "savoir toute dénuée devant Dieu!" Oh! Jésus vous veuille continuer cette consolation, et à moi ce bonheur!

Je suis pleine de bonne espérance et de courage, bien paisible et bien tranquille. Dieu grâce, je ne suis pas pressée de regarder ce que j'ai dévêtu; je demeure assez simple, je le vois comme une chose éloignée, mais il ne laisse pas de me venir toucher, soudain je me détourne. Que béni soit Celui qui m'a dépouillée! Que sa bonté me confirme et fortifie à l'exécution quand il la voudra. Quand Notre-Seigneur me donna cette douce pensée que je vous mandai mardi, de me laisser à Lui, hélas! je ne pensais point qu'il com­mencerait à me dépouiller par moi-même, me faisant ainsi mettre la main à l'oeuvre. Qu'il soit béni de tout et me veuille fortifier!

Je ne vous disais pas que je suis avec peu de lumière 'et de consolation intérieure; je suis seulement paisible partout, et semble même que Notre-Seigneur, tous ces jours passés, avait un peu retiré cette petite douceur et suavité que donne le sentiment de sa chère présence. Aujourd'hui encore, plus ou moins, il me reste fort peu pour appuyer et reposer mon esprit; peut-être que ce bon Seigneur veut mettre sa sainte main par tous les endroits de mon coeur pour y prendre et le dépouiller de tout: sa très sainte volonté soit faite!

Hélas! mon unique Père, il m'est venu aujourd'hui en la mémoire qu'un jour vous me commandiez de me dépouiller; je dis: "Je ne sais plus de quoi". Et vous me dites: "Ne vous l'avais-je pas bien dit, ma fille, que je vous dépouillerais de tout?" O Dieu! qu'il est aisé de quitter ce qui est autour de nous! mais quitter sa peau, sa chair, ses os, et pénétrer dans l'intime de la moelle, qui est, ce me semble, ce que nous avons fait, c'est une chose grande, difficile et impossible, sinon à la grâce de Dieu. La seule gloire donc lui est due et lui soit rendue à jamais.

Mon vrai Père, ne me revêts je point sans votre congé de cette consolation que je prends à vous entretenir? Il me semble que je ne dois plus rien faire, ni avoir pensée, ni affection, ni volonté qu'ainsi qu'elles me seront commandées. Je finis donc en vous donnant mille bonsoirs, et vous disant ce qui me vient en vue: il me semble que je vois les deux portions de notre esprit n'être qu'une, unique­ment abandonnée et remise à Dieu. Ainsi soit-il, mon très cher Père, et que Jésus vive et règne à jamais! Amen.

Ne vous avancez point de vous lever trop tôt; je crains que cette sainte fête[62] ne vous fasse faire un excès. Dieu vous conduise en tout.

Lettre 75bis de François de Sales

21 mai 1616

Tout cela va fort bien, ma très chère Mère. C'est la vérité, il faut demeurer en cette sainte nudité jusqu'à ce que Dieu vous revête. Demeurez là, dit Notre-Seigneur à ses Apôtres, jusqu'à ce que d'en-haut vous soyez revêtus de vertu[63]. Votre solitude ne doit point être interrompue jusqu'à demain après la Messe.

Ma très chère Mère, il est vrai, votre imagination a tort de vous représenter que vous n'avez pas ôté et quitté le soin de vous-même et l'affection aux choses spirituelles; car n'avez-vous pas tout quitté et tout oublié? Dites ce soir que vous renoncez à toutes les vertus, n'en voulant qu'à mesure que Dieu vous les donnera, ni ne voulant avoir aucun soin de les acquérir qu'à mesure que sa Bonté vous emploiera à cela pour son bon plaisir.

Notre-Seigneur vous aime, ma Mère, il vous veut toute sienne. N'ayez plus d'autres bras pour vous porter que les siens, ni d'autre sein pour vous reposer que le sien et sa providence; n'étendez votre vue ailleurs et n'arrêtez votre esprit qu'en lui seul; tenez votre volonté si simplement unie à la sienne en tout ce qu'il lui plaira faire de vous, en vous, par vous et pour vous, et en toutes choses qui sont hors de vous, que rien ne soit entre-deux. Ne pensez plus ni à l'amitié ni à l'unité que Dieu a faite entre nous, ni à vos en­fants, ni à votre corps, ni à votre âme, enfin à chose quelconque; car vous avez tout remis à Dieu. Revêtez-vous de Notre-Seigneur crucifié[64], aimez-le en ses souffrances, faites des oraisons jacula­toires là-dessus. Ce qu'il faut que vous fassiez, ne le faites plus parce que c'est votre inclination, mais purement parce que c'est la volonté de Dieu.

Je me porte fort bien, grâce à Dieu. Ce matin j'ai fait com­mencement à ma revue (de conscience), que j'achèverai demain. Je sens insensiblement au fond de mon coeur une nouvelle confiance de mieux servir Dieu en sainteté et justice tous les jours[65] de ma vie; et si, je me trouve aussi nu, grâce à Celui qui est mort nu pour nous faire entreprendre de vivre nus. Ô ma Mère, qu'Adam et Ève étaient heureux tandis qu'ils n'eurent point d'habits!

Vivez toute heureusement paisible, ma très chère Mère, et soyez revêtue de Jésus-Christ Notre-Seigneur. Amen.

Lettre 196 à François (1610-1618)

 [1610-1618][66]

Je vous écris, et ne m'en puis empêcher, car je me trouve ce matin plus ennuyé de moi qu'à l'ordinaire. Je vois que je chancelle à tout propos dans l'angoisse de mon esprit, qui m'est causée si extraordinairement par mon intérieure difformité, laquelle est bien si grande que je vous assure, mon bon seigneur et très cher Père, que je me perds quasi dans ce cuisant abîme de misère.

La présence de mon Dieu qui autrefois me donnait des con­tentements si indicibles, me fait maintenant tout trembler et frissonner de crainte. Je vous jette ceci dans le coeur. Là où je ne vois qu'une faute, l'oeil de mon Dieu y en voit un nombre innom­brable et quasi infini. Il m'est avis aussi que cet oeil divin, lequel j'adore du profond de mon âme et de toute la soumission de mon coeur, outreperce mon âme et regarde avec indignation toutes mes pensées, mes oeuvres et mes paroles, ce qui me tient dans une telle détresse d'esprit que la mort même ne me semble point si dure ni si pénible à supporter. Il me semble que toutes choses ont pouvoir de me nuire. Je crains tout, j'appréhende tout, non que je craigne que l'on me nuise à moi, mais j'ai peur de déplaire à la divine miséri­corde de mon Dieu.

Oh! qu'il me semble que la divine assistance est éloignée de moi! Ce qui m'a fait passer cette nuit en des grandes amertumes, pendant laquelle je n'ai fait autre chose que dire: "Mon Dieu, mon Dieu, hélas! pourquoi me délaissez-vous? Je suis vôtre, faites de moi comme de chose vôtre".

Au point du jour, Dieu m'a fait goûter, mais presque imper­ceptiblement, une petite lumière en la très haute et suprême pointe de mon esprit, tout le reste de mon âme et de mes facultés n'en ont point joui. Mais elle n'a pas duré demi Ave Maria que mon trouble s'est rejeté à corps perdu sur moi, et m'a tout offusquée et obscur­cie.

Mais nonobstant la longueur de cette pénible déréliction, j'ai dit, quoique sans- sentiment quelconque: "Oui, Seigneur, mon Dieu, faites tout ce qui vous agréera, faites, faites, je le veux; anéantissez-moi, j'en suis contente; accablez-moi, je m'y soumets; arrachez, brûlez, coupez, tout ce qu'il vous plaira, car je suis à vous et je le veux bien, oui, Seigneur, je suis à vous".

Dieu m'a appris qu'il ne fait pas grand cas de la foi quand on en a la connaissance par les sens et sentiments; c'est pourquoi, contre tous mes combats, je ne veux point de sentiment. Non, Monseigneur, je n'en veux point: puisque Dieu est mon Dieu, il me suffit. J'espère en lui, nonobstant mon infinie misère. Oui, j'espère qu'il me supportera encore et que son infinie miséricorde me sera favorable, mais enfin mon très cher seigneur sa volonté soit faite et éternellement accomplie en moi.

Voilà mon faible et infirme coeur entre vos mains mon très cher seigneur, vous lui ordonnerez la médecine qu'il doit prendre.

Lettre 394 à François, à Annecy (1621)

A François de Sales, à Annecy

[Paris, 29 juin 1621][67]

J'ai plusieurs choses à vous dire, mon très cher Père, mais je ne sais où elles sont, tant mon chétif esprit est accablé et distrait! Ce saint jour toutefois il me récrée: je me représente que mon très cher père recevra mille caresses de ces très grands saints Apôtres qu'il aime et qu'il sert avec tant d'affection.

Certes, je suis gaie, et rien ne me fâche, grâce à Dieu, car je veux bien tout ce qui lui plaît, ne sentant aucun désir en la pointe de l'esprit que celui de l'accomplissement de la très sainte volonté divine en toutes choses. À ce propos, mon très cher Père, je ne sens plus cet abandonnement et douce confiance ni n'en saurais faire aucun acte. Il me semble bien toutefois que ces vertus sont plus solides et fermes que jamais. Mon esprit, en sa fine pointe, est en une très simple unité: il ne sent pas, car quand il veut faire des actes d'union, ce qu'il ne veut que trop souvent essayer de faire en certaines occasions, il sent de l'effort et voit clairement qu'il ne se peut pas unir, mais demeurer uni. L'âme ne voudrait bouger de là; elle n'y pense ni fait chose quelconque, sinon un certain renoncement de désir, qui se fait quasi imperceptiblement, que Dieu fasse d'elle et de toutes créatures, en toutes choses, ce qu'il lui plaira. Elle ne voudrait faire que cela pour l'exercice du matin, pour celui de la sainte messe, pour la préparation de la sainte communion, pour Action de grâces de tous les bénéfices: enfin, pour toutes choses, elle voudrait seulement demeurer en cette très simple unité d'esprit avec Dieu, sans étendre sa vue ailleurs, et en icelle dire quelquefois vocalement le Pater, pour tout le monde, et pour les particuliers et pour soi-même, sans divertir toutefois sa vue, ni regarder pourquoi ni pour qui elle prie. Souventes fois, selon les occasions, la nécessité ou l'affection qui vient sans être recherchée, l'âme s'écoule en cette unité. Pour ce sujet, j'ai bien la vue que cela suffit pour tout, néanmoins, mon très cher Père, fort souvent il me vient des craintes que non, et pour me satisfaire sur cette crainte je me force, ce qui me fait grande peine, de faire des actes d'union, d'admiration, l'exercice du matin, de la sainte messe, l'Action de grâces. Ce que je fais mal en cela, dites-le-moi, s'il vous plaît, mon très cher Père, et si cette simple unité d'esprit suffit et peut satisfaire à Dieu pour tous les actes que je viens de dire, auxquels nous sommes obligés, voire, si durant les sécheresses, elle suffira quand l'âme n'a ni la vue, ni le sentiment d'icelle, sinon en l'extrémité de sa fine pointe.

Je ne désire pas que vous me fassiez une longue réponse sur ce sujet, car en douze paroles vous me pouvez dire tout, n'étant ma demande que pour savoir si approuvez cette simple unité pour toutes choses, afin que je ne souffre ni ne reçoive de craintes, ni divertissements en cela. Enfin, dites-moi ce qu'il vous plai­ra, et, cependant je me rendrai plus fidèle, Dieu aidant, à ne point faire d'acte, croyant que l'autre est meilleur et qu'il suffit, atten­dant ce que vous me direz, mon très cher Père.

Mais certes, je ne sais comme je vous ai dit tout ceci, car je n'en avais nulle pensée quand j'ai pris le papier; j'en suis toute­fois bien aise. Il faut dire encore ceci: que cette unité n'empêche pas que tout le reste de l'âme ne ressente quelquefois une incli­nation et penchement du côté du retour vers vous, et n'ai incli­nation ni affection qu'à cela; je ne m'y amuse nullement, je n'en ai nulle inquiétude, grâce à Dieu, à cause de cette unité en la pointe de l'esprit. Mais quand, par manière d'éloyse, l'incomparable bonheur de me voir à vos pieds et recevoir votre sainte bénédiction se passe dans mon esprit, incontinent j'attendrais et les larmes sont émues, me semblant que je fondrai en larmes quand Dieu me fera cette miséricorde. Mais je me divertis tout promptement, et si, il m'est impossible de rien souhaiter pour cela, laissant purement à Dieu et à vous, mon très cher Père, la disposition de tout ce qui me regarde. Je sens aussi de l'inclination, de la tendreté et de la compassion pour nos pauvres soeurs qui attendent si longtemps leur chétive mère, qu'elles aiment toutefois tant. Que je vous dis de choses que je ne pensais pas, mon très cher Père, si n'ai-je aucun loisir que ce peu de matinée devant la sainte messe.

Lettre 417 à François à Annecy

[Paris,] 28 septembre [1621]

…retenu par cette dangereuse et chaude émotion qui est parmi le menu peuple de cette ville, qui tuait hier à tort et à travers ce qui lui résistait. La mort de Monsieur de Mayenne[68] les a tellement animés contre les huguenots que messieurs de la ville ont grand peine d'en empêcher le massacre. Vous savez qu'en telles occasions le bon pâtit souvent pour le mauvais. Hier,  ils brûlèrent le temple de Charenton et plusieurs maisons; les écoliers s'en mêlent. Enfin, tous les gens de bien sont en grande peine. […]

 

 




 

 

Extraits de Lettres à d’autres correspondants

Lettre 29 à sœur Anne-Marie Rosset, à Annecy

[Lyon, carême 1615]

[…]

Bonjour, ma très aimée fille. Vivez toute en Dieu, pour Dieu et de Dieu, qui seul règne à jamais dans nos âmes. Amen.

Lettre 46 à Mère Marie-Jacqueline Favre, à Lyon

[Annecy, 24-30 octobre 1615]

[…]

Ma chère sœur, je ne vous souhaite rien que la persévérance, et que surtout vous teniez votre esprit en douceur, force et joie. […]

Lettre 50 aux s. de Châtel et de Blonay

Aux sœurs Péronne-Marie de Châtel et Marie-Aimée de Blonay à Lyon

[Annecy, novembre-décembre 1615]

[…]

Mais aimons-le et le servons comme il veut, sans goût ni connaissance, s’il lui plaît, nous contentant de vouloir à jamais être toutes siennes. Je ne peux vous dire que ces trois mots. Agréez-les, mes chères amies, car ils partent du fond du coeur…

Lettre 64 à Soeur Péronne-Marie de Châtel, à Lyon

[Annecy, vers le 9 février 1616]

Enfin, ma très chère fille, je prends vos lettres pour y répondre tant que je pourrai. Le bon Dieu me donne son Saint-Esprit pour dire chose qui soit à sa gloire et à votre consolation.

Toutes vos répugnances à me parler, tous vos sentiments et aversions et toutes vos difficultés aboutissent, selon mon jugement, à votre plus grand bien. Et, si bien vous êtes obligée à ne pas faire ce que tels mouvements désirent et que tous les jours vous devez faire des résolutions de vous en défendre et de les combattre, néanmoins quand vous tomberez, je dis cinquante fois par jour, jamais, au grand jamais, vous ne devez vous en étonner ni inquiéter, mais tout doucement reprendre votre coeur et le remettre au train de la vertu contraire, et ne doutez non plus, ma très chère Péronne, de dire à Notre-Seigneur des paroles d'amour et de confiance, après avoir fait mille fautes que si vous n'en aviez fait qu'une. Souvenez- vous de ce que nous vous avons tant dit sur ce sujet, pratiquez-le pour l'amour de Dieu, et soyez assurée que Dieu tirera sa gloire et votre perfection de cette infirmité. Mais n'en doutez point et vous supportez avec douceur quoi qu'il arrive; et si quelquefois vous vous trouvez sans force, sans courage, sans sentiment de confiance, forcez-vous à dire des paroles toutes contraires à votre sentiment et dites fermement: "Mon Sauveur, mon tout, malgré mes misères et ma méfiance, je me fierai tout en vous. Vous êtes la force des faibles, le refuge des misérables, la richesse des pauvres et, enfin, vous êtes mon Sauveur qui avez toujours aimé les pécheurs". Mais ces paroles et autres semblables, ma très chère fille, dites-les sans vous attendrir ni pleurer, mais fermement, et puis passez outre à quelque divertissement, car le Tout-Puissant ne vous lairra échapper de sa main : il vous a trop bien prise, et ne voyez-vous pas comme cette douce bonté vient à votre secours et d’une façon remarquable et utile ? […]

Lettre 71 aux sœurs de Châtel et de Blonay à Lyon

Aux Soeurs Péronne-Marie de Châtel et Marie-Aimée de Blonay

[Annecy, début mai 1616]

Ma très chère fille, 

Je commence à vous répondre par la vôtre dernière , puis je remonterai, autant qu'il me sera possible, à la précédente. Dieu, s'il lui plaît, me donnera ce qu'il lui plaira que je vous die.

Et premièrement, ma chère fille, je vous dis que ce que Notre Seigneur désire de vous et de nous toutes, c'est l'humble et tran­quille soumission à sa très sainte volonté en toutes les choses qui nous arrivent sans exception et lesquelles infailliblement sa divine Providence nous envoie pour sa plus grande gloire et notre utilité. Donc qu'il nous soit dorénavant indifférent d'être en santé ou maladie, en consolation ou désolation, en jouissance ou privation de ce qui nous est de plus cher, et que notre coeur n'ait plus qu'un seul désir qui est que la très sainte volonté de Dieu se fasse en nous, de nous et sur nous. Et partant, ne philosophons point sur tout ce qui nous peut arriver ou aux autres, mais, comme j'ai déjà dit, demeurons douces, humbles et tranquilles en l'état que Dieu nous mettra: en la peine, patienter; en la souffrance, souffrir; en l'action, agir, sans penser que nous faisons faute à ceci ni à cela, car ce n'est que l'amour-propre qui fait telles réflexions. Au lieu de tout cela, regardez à Dieu, employant fidèlement les occasions de prati­quer les diverses vertus selon qu'elles se présenteront. Quand vous aurez manqué par lâcheté ou infidélité, point de trouble, point de réflexion, mais demeurez doucement confuse et abaissée devant Dieu, vous relevant soudain par un acte de courage et de sainte confiance.

Or sus, ma fille [Péronne-Marie de Châtel] , faites bien ainsi, et ma petite fille [Marie-Aimée de Blonay] aussi, car je sais que vos coeurs ne se cachent rien: c'est pourquoi cette lettre vous sera commune. Et dorénavant, à cause de mon peu de loisir, je vous écrirai toujours ensemble, sinon que vous témoigniez désirer que pour quelque chose particulière et extraordinaire je vous réponde à part. En ce cas-là, je le ferai de tout mon coeur, car je suis toute vôtre, et me croyez que je vous aime parfaitement et que j'ai ma bonne part de la mortification de notre absence, encore certes que vous m'êtes présentes, selon l'esprit, plus que jamais. Ce grand Dieu fait cela, et en sa sainte volonté tout nous est doux.

Vous, ma Péronne, et la petite aussi, si l'occasion en vient, rendez-vous extrêmement souples à recevoir les soulagements quand vous aurez des incommodités corporelles, mais voyez-vous, soit pour le lever, coucher ou manger, quoi que ce soit, soyez simples à obéir sans discourir.

Ma chère Péronne, marchez fermement votre ancien chemin pour l'intérieur et l'extérieur, et quand l'on vous fera ces petites questions: "Quel point d'oraison?" et semblables, dites hardiment les choses que vous avez faites ou pensées autrefois en cette façon: "J'ai pensé ou fait telle chose en l'oraison, en me promenant, étant dans le lit, etc.,", mais ne dites pas: "Aujourd'hui ou à telle heure j'ai fait telle chose", car il n'est pas nécessaire de dire le jour que l'on a fait telle action, mais simplement: "J'ai fait cela, j'ai vu telle chose". Et pouvez sans scrupule nommer oraisons toutes vos bonnesensées et élévations d'esprit, car, en effet, c'est oraison, et même toutes nos actions sont oraisons quand nous les faisons pour Dieu. Et suffit de saluer notre bon ange soir et matin. La sainte attention à Dieu et à Notre-Darne comprend tout, car les bien­heureux esprits sont enclos en cet abîme de divinité, et il est de plus grande perfection d'aller ainsi simplement.

Quand une novice vous demande: "Que pensez-vous?" répon­dez en vérité: "Je pense en Dieu", sans dire (s'il n'est pas): "Je pensais à la Passion" et semblables; car sans doute, marquant particulièrement un sujet, nous mentirions, s'il n'était pas ainsi. Vous édifierez toujours assez de répondre simplement: "Je pense en N.S.", et leur ajoutez par exemple: "Mon Dieu, qu'il serait heureux qui aurait toujours cette sainte Passion ou Nativité devant les yeux!"

Je ne vois plus rien à vous dire, mais oui bien encore un mot à ma petite. Je vous prie, ma très chère sœur, ne vous mettez en souci de rien de ce que vous sentez ou ne sentez pas, et ceci soit dit pour une fois. Servez Notre-Seigneur comme il lui plaît, et tandis qu'il vous tiendra au désert, servez-l'y de bon coeur: il y tint bien ses chers Israélites quarante ans pour faire un voyage qu'ils pou­vaient accomplir en quarante jours. Soyez là de bon coeur et vous contentez de dire et pouvoir dire, quoique sans goût: "Je veux être toute à Dieu et jamais point ne l'offenser". Et quand il vous arrivera de chopper, comme il fera sans doute (fût-ce cent fois le jour), relevez-vous par un acte de confiance. De même pour le prochain, contentez-vous de le vouloir aimer et d'avoir le désir de lui désirer et procurer tout le bien qui vous serait possible, et faites doucement ce que vous pourrez autour de lui. Enfin cheminez hardiment au chemin que Dieu vous conduit: il est très assuré, […]

Lettre 151 à Mère Marie-Jacqueline Favre à Lyon

[Annecy] 14 mars [1618]

[…]

De vrai, ma fille, ce sont des bonnes épreuves que les grosses maladies, et des occasions grandes pour s'enrichir et affermir aux vertus, quand l'on y est fidèle. Or nous ne disons point ceci, en vérité, pour avoir été assez longuement mal, car N.S. nous traite en faible, et puis, certes, nous n'avons rien profité, sinon à reconnaître notre grande misère, et à avoir un peu plus de soin et de compassion des malades. Voilà que ce bon Dieu nous a encore garantie de notre fièvre quarte: il soit béni et nous fasse la grâce de le mieux servir avec le peu de santé qu'il me laisse! […]

Lettre 169 à Mère Péronne-Marie de Châtel à Grenoble

 [Annecy, début juin 1618]

[…]

[Dieu] prend plaisir de gouverner entièrement les âmes qui se reposent en Lui et qui ne désirent ni force, ni science, ni expérience et capacité, sinon celle que sa Bonté leur distribue à mesure qu'elles en ont besoin. […]

Lettre 229 à M. Anne-Marie Rosset à Bourges

[Paris, mai-juin 1619]

[…]

Ce ne pouvait être de nous que ce bon religieux parlait, car jamais cela ne nous advint de contraindre les filles à dire leurs péchés. Il y a longtemps que l'on le dit des carmélites, mais elles le font aussi peu que nous, et en ce point il me semble que nous gouvernons les unes comme les autres. Vous ne devez point douter que notre méthode ne soit bonne, puisque Monseigneur l'a approuvée, mais il est impossible que tous les esprits se rencontrent ; l'expérience nous fait voir l'utilité de cette manière, et combien de profit font celles qui se découvrent simplement. Il faut pourtant aller avec grande retenue, avec les prétendantes, jusqu'à ce qu'elle: soient bien amorcées par l'amour qui leur donne après la confiance. La bonne mère carmélite n'avait garde de dire leurs méthodes auxquelles je sais pourtant qu'elles sont exactes. Enfin, ma très chère soeur, il faut toujours laisser les soeurs en pleine liberté de dire ou de ne pas dire leurs péchés et ce que le directoire dit qu'elles parleront pour se confesser, ce n'est sinon pour leur apprendre la méthode et les éclairer, aider et instruire en la façon qu'elles doivent s'accuser des choses qu'elles demandent, afin de le rendre claires et courtes tant qu'il se pourra. Ce qu'elles ne voudront pas dire, il ne leur faut pas demander. Or, si vous ave; recours à la Constitution 23, vous verrez que les soeurs ne sont point exhortées de dire leurs péchés secrets. Le directoire est ou doit être conforme; il ne faut jamais s'enquérir de ce point, mais seulement les aider en ce qu'elles déclareront, et j'espère en la bonté de Notre-Seigneur qu'elles auront des âmes si pures qu'elles persévéreront en la simplicité et confiance qu'elles ont toujours eues, par laquelle elles ont saintement avancé. Mais il les faut laisser, en cela qui regarde le péché, dire ce qu'elles voudront, sans faire semblant que l'on en connaît davantage, tâchant néanmoins de les aider discrètement. […]

Lettre 344 à s. Marie-Aimée de Blonay à Lyon

[Paris] 27 octobre [ 1620]

À jamais, ma fille, à jamais que ce doux Sauveur vive et règne dans nos coeurs parmi les désolations et les ténèbres. Il est notre lumière, Il nous conduit; ne craignons rien, Il ne nous manquera jamais. Encore que nous ne le voyions point, ni que nous ne le sentions point par les suavités de sa sainte foi, il n'importe, Il est avec nous. Et dessus ce fond sec et aride, il faut bâtir la solide foi, la ferme confiance et l'amour efficace d'une parfaite soumission. Tout sèchement, il lui faut dire: "Je crois, j'espère, plus fermement que si j'abondais en lumière et suavité. Je me plais à n'en point avoir et à vous dire sans goût ni sentiment quelconque: Vous êtes mon Dieu, je suis toute vôtre". Et demeurez en paix. Je vous écris ce mot avec impétuosité, sans loisir, mais de bon coeur. […]

Lettre 345 à Mère Péronne-Marie de Châtel à Grenoble

[Paris, fin octobre 1620]

Seigneur Jésus! ma pauvre très chère fille ma mie, il s'en faut bien garder d'arrêter votre pensée, et encore moins votre désir, à vouloir sortir de la supériorité; par la divine miséricorde, vous faites trop bien et utilement votre charge[69]. Oh! non, ma fille, vous ne gâtez pas tout, comme vous me dites, aies, assistée de la grâce de Dieu, vous ne gâtez rien. Que plût à Dieu eussions-nous prou de semblables gâteuses! Je vous assure que ma conscience me permet­trait bien de les mettre en charge. Arrêtez votre esprit à l'avis[70] de notre tant unique Père, et soumettez votre coeur au mal et à la charge. Ne soyez pas si âpre à vous-même, et vous verrez que tout ira bien. Vivez très joyeuse et allègre, je vous en conjure, ma fille très chère, que j'aime comme ma propre âme.

Lettre 400 à sœur Marie-Aimée de Blonay à Lyon

[Paris,] 13 juillet [1621]

Ha ma très chère fille,

Ne vous étonnez point, je vous supplie, de ces refroidisse­ments de votre coeur. Je vous l'ai toujours dit: marchez avec la pointe de l'esprit, et faites plus d'état de ne vouloir aucune perfec­tion que celle que Dieu voudra que de toutes les excellentes per­fections que l'on peut avoir en cette vie. Ne vous attachez à rien qu'à Dieu seul et conduisez vos filles en ce chemin. Quand donc elles auront trouvé Notre-Seigneur au premier point de l'exercice de la messe ou en un autre, qu'elles ne passent point outre: une seule chose est nécessaire qui est d'avoir Dieu; quand nous l'avons donc, n'est-ce pas le quitter que d'aller chercher un chemin pour le trouver? Oh! véritablement, je désire grandement que nos soeurs aiment la solitude et l'oraison: c'est où l'âme prend sa force. Que serait-ce de notre vie, si nous ne trouvons cette manne qui est cachée en la sainte oraison? O ma fille, donnez-leur un grand courage pour cela, mais que la mortification surnage à tout, car c'est la vraie préparation de la sainte oraison. II me semble que par­tout nos soeurs aiment la retraite, au moins ici elles en sont amies. […]

Lettres postérieures à la mort de François


Lettre 630 à dom Jean de Saint-François

Annecy, 26 décembre 1623[71]

Hélas! mon Révérend Père, que vous me commandez une chose qui est bien au-dessus de ma capacité! non, certes, que Dieu ne m'ait donné une plus grande connaissance de l'intérieur de mon Bienheureux Père que mon indignité ne méritait, et surtout depuis son décès, Dieu m'en a favorisée: car l'objet m'étant présent, l'admiration et le contentement que je recevais m'offusquaient un peu (au moins il me semble); mais je confesse tout simplement à votre coeur paternel que je n'ai point de suffisance pour m'en exprimer.

Néanmoins, pour obéir à Votre Révérence et pour l'amour et respect que je dois à l'autorité par laquelle vous me commandez, je vais écrire simplement en la présence de Dieu ce qui me viendra en vue.

Premièrement, mon très cher Père, je vous dirai que j'ai re­connu en mon Bienheureux Père et seigneur un don de très parfaite foi, laquelle était accompagnée de grande clarté, de certitude, de goût et de suavité extrême. Il m'en a fait des discours admirables et me dit une fois que Dieu l'avait gratifié de beaucoup de lumières et connaissances pour l'intelligence des mystères de notre sainte foi, et qu'il pensait bien posséder le sens et l'intention de l'Égli­se en ce qu'elle enseigne à ses enfants; mais de ceci sa vie et ses oeuvres rendent témoignage.

Dieu avait répandu au centre de cette très sainte âme, ou, comme il dit, en la cime de son esprit, une lumière, mais si claire, qu'il voyait d'une simple vue les vérités de la foi et leur excellence: ce qui lui causait de glandes ardeurs, des extases et des ravissements de volonté; et il se soumettait à ces vérités qui lui étaient montrées par un simple acquiescement et sentiment de sa volonté. Il appelait le lieu où se faisaient ces clartés "le sanctuaire de Dieu", où rien n'entre que la seule âme avec son Dieu. C'était le lieu de ses retrai­tes et son plus ordinaire séjour: car, nonobstant ses continuelles occupations extérieures, il tenait son esprit en cette solitude intérieure tant qu'il pouvait.

J'ai toujours vu ce Bienheureux aspirer et ne respirer que le seul désir de vivre selon les vérités de la foi et des maximes de l'Évangile; cela se verra ès mémoires.

Il disait que la vraie manière de servir Dieu était de le suivre et marcher après lui sur la fine pointe de l'âme, sans aucun appui de consolation, de sentiments ou de lumière que celle de la foi nue et simple; c'est pourquoi il aimait les délaissements, les abandonne­ments et désolations intérieures. Il me dit une fois qu'il ne prenait point garde s'il était en consolation ou désolation et que, quand Notre-Seigneur lui donnait de bons sentiments, il les recevait en simplicité: s'il ne lui en donnait point, il n'y pensait pas; mais c'est la vérité, que pour l'ordinaire il avait de grandes suavités intérieu­res, et l'on, voyait cela en son visage pour peu qu'il se retirât en lui-même, ce qu'il faisait fréquemment.

Aussi tirait-il de bonnes pensées de toutes choses, convertis­sant tout au profit de l'âme; mais surtout il recevait ces gran­des lumières en se préparant pour ses sermons, ce qu'il faisait ordinairement en se promenant; et m'a dit qu'il tirait l'oraison de l'étude, et en sortait fort éclairé et affectionné.

Il y a plusieurs années qu'il me dit qu'il n'avait pas des goûts sensibles en l'oraison et que Dieu opérait en lui par des clartés et sentiments insensibles qu'il répandait en la partie intellectuelle de son âme, que la partie inférieure n'y avait aucune part. À l'ordinai­re c'étaient des vues et sentiments de l'unité, très simples, et des émanations divines auxquelles il ne s'enfonçait pas, mais les rece­vait simplement avec une très profonde révérence et humilité; car 'Sa méthode était de se tenir très humble, très petit, et très abaissé devant son Dieu, avec une singulière révérence et confiance, comme un enfant d'amour.

Souvent il m'a écrit que, quand je le verrais, je le fisse ressou­venir de me dire ce que Dieu lui avait donné en la sainte oraison et comme je le lui demandais, il me répondit: "Ce sont des choses si minces, simples et délicates que l'on ne les peut dire quand elles sont passées; les effets en demeurent seulement dans l'âme".

Plusieurs années avant son décès, il ne prenait quasi plus de temps pour faire l'oraison, car les affaires l'accablaient; et, un jour, je lui demandais s'il l'avait faite. "Non, me dit-il, mais je fais bien ce qui la vaut". C'est qu'il se tenait toujours en cette union avec Dieu; et disait qu'en cette vie il faut faire l'oraison d'oeuvre et d'action. Mais c'est la vérité que sa vie était une continuelle oraison.

Par ce qui est dit, il est aisé à croire que ce Bienheureux ne se contentait pas seulement de jouir de la délicieuse union de son âme avec son Dieu en l'oraison. Non, certes, car il aimait également la volonté de Dieu en tout, mais cela assurément. Et je crois qu'en ses dernières années il était parvenu à telle pureté que même il ne voulait, il n'aimait, il ne voyait plus que Dieu en toutes choses: aussi le voyait-on absorbé en Dieu, et disait qu'il n'y avait plus rien au monde qui lui pût donner du contentement que Dieu, et ainsi il vivait, non plus lui, certes, mais Jésus-Christ vivait en lui. Cet amour général de la volonté de Dieu était d'autant plus excel­lent et pur que cette âme n'était pas sujette à changer ni à se tromper, à cause de la très claire lumière que Dieu y avait répan­due, par laquelle il voyait naître les mouvements de l'amour-propre, qu'il retranchait fidèlement, afin de s'unir toujours plus purement à Dieu. Aussi m'a-t-il dit que quelquefois, au fort de ses plus grandes afflictions, il sentait une douceur cent fois plus douce qu'à l'ordinaire; car, par le moyen de cette union intime, les choses plus amères lui étaient rendues savoureuses.

Mais si Votre Révérence veut voir clairement l'état de cette très sainte âme sur ce sujet, qu'elle lise, s'il lui plaît, les trois ou quatre derniers chapitres du neuvième livre de l'Amour divin. Il animait toutes ses actions du seul motif du divin bon plaisir. Et véritablement (comme il est dit en ce livre sacré), il ne demandait ni au ciel, ni en la terre, que de voir la volonté de Dieu accomplie. Combien de fois a-t-il prononcé d'un sentiment tout extatique ces paroles de David: "O Seigneur qu'y-a-t-il au ciel pour moi, et que veux-je en terre, sinon vous? Vous êtes ma part et mon héritage éternellement". Aussi, ce qui n'était pas Dieu ne lui était rien, et c'était sa maxime.

De cette union si parfaite procédaient ses éminentes vertus que chacun a pu remarquer; cette générale et universelle indiffé­rence que l'on voyait ordinairement en lui. Et, certes, je ne lis point les chapitres qui en traitent au neuvième livre de l'Amour divin, que je ne voie clairement qu'il pratiquait ce qu'il enseignait, selon les occasions.

Ce document si peu connu, et toutefois si excellent: "ne demandez rien, ne désirez rien, ne refusez rien", lequel il a pra­tiqué si fidèlement jusqu'à l'extrémité de sa vie, ne pouvait partir que d'une âme entièrement indifférente et morte à soi-même. Son égalité d'esprit était incomparable: car qui l'a jamais vu changer de posture en nulle sorte d'action, quoique je lui aie vu recevoir de rudes attaques; mais cela se prouve par les mémoires.

Ce n'était pas qu'il n'eût de vifs retentissements, surtout quand Dieu en était offensé et le prochain opprimé; on le voyait en ces occasions se taire et se retirer en lui-même avec Dieu, et demeurait là en silence, ne laissant toutefois de travailler, et prom­ptement, pour remédier au mal arrivé, car il était le refuge, le secours et l'appui de tous.

La paix de son coeur n'était-elle pas divine et tout à fait imperturbable? Aussi était-elle établie en la parfaite mortification de ses passions et en la totale soumission de son âme à Dieu. "Qu'est-ce, me dit-il à Lyon, qui saurait ébranler notre paix? Certes, quand tout se bouleverserait sens dessus dessous, je ne m'en troublerais pas: car que vaut tout le monde ensemble, en comparai­son de la paix du coeur?".

Cette fermeté procédait, ce me semble, de son attentive et vive foi, car il regardait partir tous les événements, grands et petits, de l'ordre de cette divine Providence, en laquelle il se repo­sait avec plus de tranquillité que jamais ne fit enfant unique dans le sein de sa mère. Il nous disait aussi que Notre-Seigneur lui avait enseigné cette leçon dès sa jeunesse et que, s'il fût venu à renaître, il eût plus méprisé la prudence humaine que jamais et se fût tout à fait laissé gouverner à la divine Providence. Il avait des lumiè­res très grandes sur ce sujet, et y portait fort les âmes qu'il conseil­lait et gouvernait.

Pour les affaires qu'il entreprenait et que Dieu lui avait com­mises, il les a toujours toutes ménagées et conduites à l'abri de ce souverain gouvernement; et jamais il n'était plus assuré d'une affaire, ni plus content parmi les hasards que lorsqu'il n'avait point d'autre appui. Quand, selon la prudence humaine, il prévoyait de l'impossibilité pour l'exécution du dessein que Dieu lui avait commis, il était si ferme en sa confiance que rien ne l'ébranlait ; et là-dessus il vivait sans souci. Je le remarquai quand il eut résolu d'établir notre Congrégation; il disait: "Je ne vois point de jour pour cela, mais je m'assure que Dieu le fera". Ce qui arriva en beaucoup moins de temps qu'il ne pensait.

À ce propos, il me vient en l'esprit qu'une fois (il y a longues années), il fut attaqué d'une vive passion qui le travaillait fort; il m'écrivit: "Je suis fort pressé, et me semble que je n'ai nulle force pour résister et que je succomberais si l'occasion m'était présente; mais plus je me sens faible, plus ma confiance est en Dieu, et m'assure qu'en présence des objets je serais revêtu de force et de la vertu de Dieu et que je dévorerais mes ennemis comme des agne­lets".

Notre saint n'était pas exempt des sentiments et émotions des passions et ne voulait pas que l'on désirât d'en être affranchi; il n'en faisait point d'état que pour les gourmander, "à quoi, disait-il, il se plaisait". Il disait aussi qu'elles nous servaient à pratiquer les vertus les plus excellentes et à les établir plus solidement en l'âme. Mais il est vrai qu'il avait une si absolue autorité sur ses passions qu'elles lui obéissaient comme des esclaves; et sur la fin il n'en paraissait quasi plus.

Mon très cher Père, c'était l'âme la plus hardie; la plus généreu­se et puissante à supporter les charges et travaux et à poursuivre les entreprises que Dieu lui inspirait que l'on ait su voir. Jamais il n'en démordait et il disait que, quand Notre-Seigneur nous commet une affaire, il ne la fallait point abandonner, mais avoir le courage de vaincre toutes les difficultés. Certes, mon très cher Père, c'était une grande force d'esprit que de persévérer au bien comme notre saint a fait. Qui l'a jamais vu s'oublier, ni perdre un seul brin de la mo­destie? Qui a vu sa patience ébranlée, ni son âme altérée contre qui que ce soit? aussi avait-il un coeur tout à fait innocent. Jamais il ne fit aucun acte de malice ou amertume de cœur : non, certes, jamais a-t-on vu un coeur si doux, si humble, si débonnaire, gracieux et affable, qu'était le sien?

[…]

Notre-Seigneur avait ordonné la charité en cette sainte âme, car, autant d'âmes qu'il aimait particulièrement (qui étaient en nombre infini), autant de divers degrés d'amour il avait elles; il les aimait toutes parfaitement et purement, selon leur rang, mais pas une également. Il remarquait en chacune ce qu'il pouvait connaître de plus estimable, pour leur donner le rang en sa dilec­tion, selon son devoir et selon la mesure de la grâce en elles. Il portait un respect nonpareil à ses prochains, parce qu'il regardait Dieu en eux, et eux en Dieu. Quant à sa dignité, quel honneur et respect lui portait-il! Certes, son humilité n'empêchait point l'exercice de la gravité, majesté et révérence due à sa qualité d'évê­que.

Mon Dieu! oserais-je dire! Je le dis, s'il se peut: il me semble naïvement que mon Bienheureux Père était une image vivante en laquelle le Fils de Dieu Notre-Seigneur était peint, car, véritable­ment l'ordre et l'économie de cette sainte âme étaient tout à fait surnaturels et divins. Je ne suis pas seule en cette pensée : quantité de gens m'ont dit que quand ils voyaient ce Bienheureux, il leur semblait voir Notre-Seigneur en terre.

Je suis, mon Révérend Père,

Votre très humble, très obéissante indigne fille et servante en Notre-Seigneur,

Soeur Jeanne Frémyot, de la Visitation Sainte Marie.

Mémoire que la Mère de Chantal adressa à dom Jean de Saint-François concernant sa vocation.

[Annecy, 26 décembre 1623]

Sitôt qu'il plut à Dieu de retirer feu mon mari à soi, la divine bonté me donna de très ardents désirs de la servir […]

Incontinent après, je fus attaquée de diverses tentations en l'esprit, lesquelles me tourmentaient violemment et m'étaient d'autant plus grièves qu'il me semblait qu'elles m'empêchaient l'union avec ce souverain bien qui d'ailleurs m'attirait à lui. Dans mes perplexités et tourments, j'étais sans secours ni assistance spirituelle, car en ce temps, il y a vingt-trois ans, on ne pensait guère à tel remède. Dieu seul, donc, était mon refuge et mon conseil. Il m'inspira de lui demander un homme et, sans que j'eusse jamais ouï parler de père spirituel, je suppliai son infinie Bonté avec abondan­ce de larmes qu'il lui plaise me donner un homme qui fut vraiment saint et vraiment son serviteur, qu'il m'enseignasse tout ce qu'il désirait de moi et je lui promettais en sa Face que je ferais tout ce qu'il me dirait de sa part. Cette prière fut persévérante, fervente et accompagnée d'abondance de larmes et des plus pressantes conjura­tions qu'il m'était possible de faire à Notre-Seigneur, car je lui représentais la vérité de ses promesses et comme il nous avait assuré de ne point donner une pierre à celui qui lui demanderait du pain. Bref, tout ce qu'un coeur outré de douleur et pressé des désirs de Dieu peut suggérer, je le disais à Notre-Seigneur lui répétant tou­jours le voeu de bien obéir à ce saint homme que je lui demandais, car j'avais une telle ardeur que j'eusse voulu tout quitter pour aller dans les déserts servir Dieu.

Quelques jours après cette prière il me fut soudainement repré­senté en l'esprit l'homme, et me fut dit que c'était celui que je demandais, mais je le voyais assez loin et cela passa soudainement. Or n'ai-je jamais vu personne qui en tout ressembla celui que je vis que feu mon bon seigneur et Bienheureux Père, car je vois encore cela maintenant, et selon que je le vis la première fois à Dijon environ trois ans après. […]

Les [paroles] qu'il me dit en ce temps-là, je les reçus avec un respect nonpareil, comme si un ange me les eût dites, car véritablement, je le regardais comme un homme angélique et n'esti­mais aucun bonheur comparable à celui d'être toujours auprès de lui pour voir ses actions saintes et ouïr les paroles de sapience qui sortaient de cette bouche sacrée, mais la grande distance qu'il y avait du lieu de sa demeure et la mienne, et aussi que j'avais pris un bon religieux pour être mon père spirituel (nonobstant qu'il me vint souvent que ce n'était pas celui que Dieu m'avait montré), ces raisons m'empêchaient d'oser désirer sa conduite. Et toutefois pressée intérieurement, je le priais deux ou trois jours avant son départ de Dijon de m'ouïr en confession, ce qu'il me refusa d'abord croyant que ce fut par curiosité, et me l'accorda après. Or en cette petite confession, Dieu me logea dans son coeur d'une manière extraordinaire, ainsi qu'il me dit après, et de même, je me sentis portée à ses avis incroyablement, mais il me dit que je demeurasse sous la conduite de mon premier directeur et qu'il ne lairrait de m'assister. Je demeurais fort contente de cela.

Le jour qu'il partit, un peu auparavant, il me dit que, me parlant du mouvement intérieur qu'il ressentait pour mon bien, que dès lors qu'il avait le visage tourné du côté de l'autel qu'il n'avait plus de distractions, mais que, dès quelques jours, je lui revenais continuellement autour de l'imagination, non pas dit-il pour me distraire, car je n'en reçois point de divertissement, et me dit d'autres paroles… […]

Lettre 740 à une supérieure

Chambéry, 8 décembre 1624

[…]

Non, ma très chère fille, avec la divine grâce, nous ne nous perdrons point, comme ces messieurs disent, faute d'un général. Dieu est l'auteur de notre Institut, Il le saura bien conserver. Si, dans un grand nombre d'années, il a besoin de plus d'appui et de refuge extérieur, la providence de Dieu, à laquelle notre saint Père nous a laissées, nous en pourvoira; c'est elle qui gouverne son Égli­se, lui envoyant de temps en temps le secours nécessaire, et inspi­rant la manière des gouvernements à celui à qui il appartient. Demeurons en paix, ma fille, et laissons chacun abonder en son sens, tandis que l'on nous laisse vivre dans nos observances. Oh Dieu! si nous nous savons parfaitement aimer les unes les autres, nous n'avons que faire d'autres liens pour nous maintenir en notre devoir. Et si tous les monastères se maintiennent avec respect, déférence et communication envers celui d'Annecy, c'est le plus grand moyen d'uniformité que nous puissions avoir; et certes, s'il arrivait du détraquement, ce dont Dieu nous garde, ce ne seront pas ceux de dehors qui nous relèveront, mais notre bonne intelligence et notre fidélité au-dedans. N'avons-nous pas nos prélats et nos Pères spirituels? C'est à eux à qui je me plais extrêmement de recourir.

[…]

Il est bon, ma fille, que les yeux de ceux qui nous regardent voient notre avancement et que les nôtres n'en voient rien; cela nous tient plus humbles devant Dieu. O ma fille! quand il plaît à cette immense Bonté de nous aider et animer intérieurement, hélas! quelle grâce à notre faiblesse! Mais quand il lui plaît de retirer ces sentiments, c'est aussi une grande grâce, car, par ce moyen, nous voyons ce que nous sommes, et la seule fidélité nous fait marcher, nous agréons davantage à Dieu, quoique nous soyons désagréables à nous-mêmes. Mon Dieu! que cet amour de la volonté divine et cette paix intérieure parmi les travaux spirituels est une grâce précieuse!

Lettre 903 aux soeurs de la Visitation

[Annecy, janvier-mars 1626]

Mes très chères soeurs,

[…]

Vous savez aussi que ce Bienheureux craignait infiniment que l'esprit de prudence et de sagesse humaine ne se glissât parmi nous surtout en ce qui regarde la réception des infirmes et défectueuses de corps. Vous me direz que cela nous est recommandé en tant d'endroits qu'il n'est pas besoin que j'en parle ici; certes, il est vrai, mais je ne m'en puis tenir, parce que je vois que cet article est fort combattu de plusieurs sages, et fort contraire à la prudence naturelle qui fournit quelquefois tant de raisons que la pauvre charité a prou peine à tenir le dessus; c'est pourquoi nous avons besoin d'un grand courage pour observer ce point inviolablement. À quoi nous servira de considérer souvent que c'est la fin de notre Institution et les désirs infinis de notre saint Instituteur, comme il l'a témoigné par la menace qu'il a faite à celles qui contreviendraient; et en cette loi de si grande charité il nous donne beaucoup d'occasions d'abjection extérieure, un grand moyen pour nous aider à conserver cet esprit d'une très humble, très basse et très profonde humilité lequel il nous a continuellement inculqué. Cette humilité, dis-je, mes chères soeurs, qui nous fasse aimer et accepter cordialement ce qui peut nous rendre abjectes aux yeux du monde et aux nôtres; cette sainte humilité qui nous fasse tenir très petites et basses en l'estime de nous-mêmes en comparaison des autres. Et enfin cette véritable humilité qui ne veut aucune excellence que d'être sans excellence, que celle de l'amour de sa propre abjection et de dépendre totalement du bon plaisir de son Dieu, ne recherchant en toutes choses que sa seule gloire; car c'est le caractère des filles de la Visitation. Oh! mes très chères, le grand trésor que celui-ci! Il nous doit être uniquement précieux et sans prétention d'aucun autre. Pour Dieu! gardons-nous bien que les désirs d'excellence et [de] propre estime ne nous le dérobent; ayons continuelle mémoire de ce que notre Bienheureux Père nous a dit et laissé par écrit sur ce sujet, afin que toutes les actions de notre vie soient ornées de cette sainte vertu.

Certes, en écrivant ceci, le coeur me frémit, et ne puis contenir mes larmes pour l'appréhension que j'ai qu'un jour cet esprit ne vienne à périr ou à se diminuer en nos monastères; ô mon Dieu! ne le permettez pas; mais que plutôt nous périssions nous-mêmes! [72][…]

Lettre 911 à  Soeur Péronne-Marie de Châtel, à Annecy

20 avril [1626]

Ma très chère fille,

Je désirais de vous écrire un peu longuement, mais il n'y a moyen: Dieu suppléera à ce défaut. Ne témoignez point à nos soeurs que vous ayez eu une ombre de crainte de nous ennuyer par votre retardement, car aucune n'en a rien connu, sinon au commencement notre soeur C.-Catherine [Claude-Catherine de Vallon] qui en faisait l'étonnée; mais oui bien, dites le grand désir que vous aviez de venir, et combien vous étaient sensibles les traverses et empêchements que les guerres des huguenots vous faisaient pour cela.

Entreprenez la conduite[73] de cette chère maison avec un grand courage et liberté d'esprit: vous trouverez, à mon avis, des filles grandement sincères et sans résistance, au moins je les trouve fort à mon gré. Vous connaissez notre Sr. M. Madeleine [de Mouxy] elle est toute bonne. Notre Sr. A.-Marie [Rosset] est toujours elle-même. Notre Sr. M.- Gabrielle [Clément] est sans tare que de ses scrupules, par lesquels notre bon Dieu l'épure; mais elle est avec cela toute tranquille en son trouble. Notre Sr. C.-Agnès [Claude-Agnès Daloz] est une vraie Israélite, de laquelle notre Bienheureux Père avait très bonne opinion; nous l'avons laissée au noviciat, avec l'espérance que vous l'aideriez fort à bien faire sa charge, car les novices sont bonnes, et n'y vois rien à redire qu'à la veuve [Marie-Elisabeth Fenouillet]. Notre soeur B.-Marguerite [Bernarde-Marguerite Valeray] a le coeur bon, de bonne observance, mais une petite mine qui semble affectée. Notre Sr. J.-Madeleine[74] a été huguenote; elle est bonne, mais non encore tant claire en son intérieur; traitez-la amiablement, et l'écoutez afin qu'elle ait loisir de se bien découvrir, car il lui faut du temps.

Notre soeur F.-Angélique [Françoise-Angélique de la Croix de Fésigny] est une âme fort humble, toute bonne et un peu craintive; il la faut attirer doucement: sa compagne de la sacristie, L.-Dorothée [Louise-Dorothée de Marigny], est un vrai bon coeur, bon esprit, plein du désir de faire, fort sincère, mais encore un peu jeune. La soeur C.-Simplicienne [Claude-Simplicienne Fardel] est toute bonne et toute à ses supérieures, mais un peu sèche, quoique malgré elle. Nos soeur C.-Jacqueline [Claude-Jacqueline Joris] est infirme de corps, un peu tendre, bonne de coeur, mais qu'il faut soutenir cordialement. Soeur L.-Bonaventure [Louise-Bonaventure Ribitel] est aussi fort bonne fille, qui a exercé une vertu incroyable en ses infirmités; il en faut avoir un soin particulier, afin qu'elle ne se dissipe à la porte. Nos soeurs C.-Charlotte [Claude-Charlotte Violon de Nouvelles] et C.-Christine [Claude-Christine de Paulmes] sont toutes de Dieu; surtout la dernière est une âme fort pure (et certes, je trouve que toutes le sont). Notre sœur M.-Innocente [de Sainte-André], il la faut soutenir et aider en ses bons désirs; je trouve qu'elle fait prou, grâce à Dieu, et a le coeur fort bon et touché de Dieu. Notre soeur J.-Louise [Jeanne-Louise de Champagne] a le coeur bon, sincère; il la faut encourager à travailler, car elle a grand désir du bien.

Mais les deux petites jeunes professes sont des agneaux tout purs; la grande M.-Aimée [Marie-Aimée de Rabutin-Champigny], il la faut encourager; l'autre[75] fait prou. Sr. M.-Catherine [de Launay] est toute bonne, quoique quelquefois elle manque à la promptitude de l'obéissance. Notre Sr. J.-Marie est toute malade, un peu difficile d'esprit, qu'elle ne peut manier comme elle voudrait, un peu chagrine, mais, las! tant bonne, tant sincère, tant fidèle à ses exercices; il la faut traiter fort cordialement. De notre soeur J.-Françoise [Jeanne-Françoise Coppier] [elle] promet de bien faire toujours; mais, hélas! elle n'a pas la force de l'esprit pour tenir ferme. Je ne vous dis rien de notre Sr. C.-Catherine [Claude-Catherine de Vallon], car vous la connaissez; aidez-la bien, je vous prie. Notre bon Dieu répande sur vous, et sur toute cette bénite troupe, l'abondance de ses bénédictions; je la vous recommande comme la chose du monde qui m'est la plus chère, et que j'aime tendrement.

Nous emmenons de très bonnes filles à mon gré; priez pour cette fondation.

Je ne vous dis rien des affaires; notre Sr. M.-Madeleine vous en parlera prou; je vous recommande notre soeur de Chambéry et les autres. Mgr est tout bon, un peu court à cause de ses affaires; traitez fort franchement avec lui et selon votre prudence. Bonjour, ma très chère fille; j'espère, Dieu aidant, de vous revoir sur la fin de l'été. Croyez que mon coeur vous chérit certes comme lui-même, et est tout vôtre.

À ma  très chère soeur en N.S., notre soeur P.M. de Châtel, assistante du monastère de la Visitation Ste Marie, A Neci.

Lettre 931 à Soeur Françoise-Jacqueline de Musy, à Nevers

[Pont-à-Mousson, mai-août 1626]1

C'est une pensée de fille tendre, que celle que vous avez eue que je ne vous aimais plus, ma très chère fille, et la cause pourquoi il est aussi peu de nouvelles de l'un que de l'autre. O ma fille, cherchons bien fidèlement le sacré amour de notre doux sauveur, et celui des créatures qui sont siennes ne nous manquera pas. Dieu vous a logée dans mon coeur, ma fille: rien ne vous en saurait déplacer. Je réponds à votre tentation dans la lettre de ma soeur votre bonne Mère. […]

Lettre 966 à Soeur Anne-Catherine de Sautereau, à Grenoble

[Annecy, vers le 12 décembre 1626]

Ma très chère fille,

Pour obéir à votre désir, je vous dirai devant Dieu ce qu'il plaira à sa Bonté me donner pour vous, car je l'en prie. Premièrement, il me semble, ma très chère fille, que vous devez rendre votre dévotion généreuse, noble, franche et sincère, et celle de vos novices, tâchant de donner cet esprit à toutes les âmes que Dieu commettra à jamais à votre soin, avec ces fondements d'une profonde humilité qui engendre la sincère obéissance et la douce charité qui supporte et excuse tout, et de l'innocente et naïve simplicité qui nous rend égale et amiable envers tous.

De là, ma très chère fille, il faut passer à la totale résignation et remise de nous-mêmes entre les mains de notre bon Dieu, rendant votre chère âme et celles que vous conduisez, en tant qu'il vous sera possible, indépendantes de tout ce qui n'est point Dieu, afin que les esprits aient une prétention si pure et si droite qu'ils ne s'amusent point à tracasser autour des créatures, de leurs amitiés, de leurs contenances, de leurs paroles, mais sans s'arrêter à rien de tout cela ni à chose quelconque que l'on puisse rencontrer en chemin, l'on passe outre en la voie de cette perfection dans l'exacte observance de l'Institut, ne regardant en toutes choses que le sacré visage de Dieu, c'est-à-dire son divin bon plaisir. Ce chemin est fort droit, ma très chère fille, mais il est solide, court, simple et assuré, et fait bientôt arriver l'âme à sa fin qui est l'union très unique avec son Dieu. Suivons cette voie fidèlement; certes, elle forclos la multiplicité et nous conduit à l'unité qui est la seule chose nécessaire. Je sais que vous êtes attirée à ce bonheur, suivez-le, et vous tenez coite et en repos dans le sein de la divine Providence; car les âmes qui ont rejeté toute prétention, hors celle de plaire à Dieu seul, doivent demeurer en paix dans ce saint tabernacle. […]

Lettre 1011 à Mère Françoise-Marguerite Favrot, à Marseille

[Grenoble, début mai 1627]

Ma très bonne et très chère fille,

[…]

L'expérience m'a appris et m'apprend tous les jours, mais surtout je l'ai appris de mon très heureux Père, notre saint Fondateur, que la douceur et la patience vainquent toutes choses et qu'un coeur maternellement cordial et pitoyable sur les misères de ses enfants est le souverain remède pour guérir, ou au moins rendre supportables, les maladies de l'esprit. Je sais bien que, grâce à Dieu, vous avez une grande charité, ma très chère fille; mais j'ai reconnu, ce me semble, que la grande pureté de votre esprit et sa force à tendre droitement à la perfection, lui fait trouver pénible et fort étrange les misères et imperfections des âmes qui sont obligées d'aspirer à la perfection, et votre zèle vous porte à les y pousser par la voie ordinaire, ce qu'elles n'ont pas la force de supporter. C'est pourquoi votre douceur maternelle les devrait prendre entre ses bras et les porter amiablement dans le sein de sa charité jusqu'à ce que, par la grâce divine, la force leur soit donnée de cheminer en leur devoir.

Voilà, ma très chère soeur, ce que ma conscience me dicte de vous dire en toute confiance, quoiqu’avec un peu de répugnance, avouant devant Dieu ce véritable sentiment que j'ai que vous êtes incomparablement plus capable de me donner des avis que moi à vous; mais Dieu voulut bien enseigner un prophète par rentremise d'une ânesse.

Ne pensez nullement, ma très chère soeur, que je veuille excuser cette malade, non certes, car je connais qu'elle est fort coupable. Mais, considérant son naturel, sa conduite dans notre maison de Nissi et son état présent, je suis incitée de vous écrire ainsi et de conjurer votre bonté, ma très chère soeur, de prendre dorénavant pour elle et pour toutes les faibles un coeur, non seulement de mère, mais de nourrice. Car je sais qu'il est impossible qu'à l'avenir, non plus que par le passé, il ne se puisse trouver des esprits difficiles dans les maisons de religion lesquelles demeureraient sous la pesanteur de leurs misères et sous la force des remèdes comme ces deux ont fait, si elles ne sont supportées d'une extraordinaire charité. Mais surtout au commencement des maladies, il faut aller autour de ces pauvres esprits bien délicatement, usant plus de divertissement et de remède cordial que de rabrouement. Partout il y a quelque sujet d'exercice semblable, mais l'on voit par expérience que la douceur et amour cordial entretient en paix, et comme disait notre Bx:Père, après tout, c'est la vérité qu'il en faut revenir là. […]

Lettre 1243 à Soeur Marie-Aimée de Blonay, à Lyon

[Annecy, vers le 19 octobre 1629]1

Mon Dieu! ma vraie fille, qu'il nous est bon de nous revoir et de trouver des misères en nous! Cela nous enfonce dans ce saint mépris de nous-mêmes, et nous élève à une plus parfaite et absolue confiance en Celui qui tient en soi tout notre bien; je l'aime mieux là qu'en moi-même. […]

Lettre 1247 à une supérieure[76]

[Annecy, vers le 24 novembre 1629]

[…]

Bref, vous devez par tous les meilleurs moyens que vous pourrez tenir vos filles fort unies à vous, mais d'une union qui soit de pure charité et non d'un amour humain qui s'attache. Que s'il arrive à quelqu'une de le faire, vous la devez insensiblement porter au dénuement et à l'estime du bonheur de l'âme qui ne dépend que de Dieu. Car de penser guérir tels maux par des froideurs et rabrouements, cela les pourrait porter à des aversions et inquiétudes qui seraient suivies de quelque détraquement, surtout les esprits faibles. Tenez-les fort unies par ensemble et avec estime l'une de l'autre, ce que vous ferez efficacement par l'amour et l'estime que vous témoignerez d'en avoir vous-même par vos paroles et actions; mais amour général envers toutes, les aimant également, sans qu'il paraisse aucune particularité. Car je vous dis, que si une fille n'a la très haute perfection, pour bonne qu'elle soit au-dessous de cela, elle ne vivra point contente, si elle ne croit que sa supérieure l'aime et l'a en bonne estime. Cela est une imperfection dont il faut tâcher de les affranchir s'il se peut. Mais patience cependant. Je sais que je dis vrai en ceci et que cette croyance leur profite et leur donne une certaine allégresse, qui fait porter gaiement toutes sortes de difficultés. Et c'est chose assurée que notre nature ne peut longtemps subsister sans quelque contentement et satisfaction, jusques à ce qu'elle soit tout à fait mortifiée. Or comme les filles ont quitté ce qui leur en donnait au monde, il faut nécessairement qu'elles en prennent de l'amitié et confiance de leur Mère et de la douce société de leurs soeurs. Que si elles n'en trouvent là, elles en chercheront ailleurs, avec leur propre intérêt et celui de la maison.

Prenez garde qu'en corrigeant, vos paroles et votre maintien portent et animent les soeurs au bien, évitant les paroles aigres et dures, qui ne font qu'offenser le coeur, le dépiter et alentir aux exercices des vertus et le refroidir à la confiance et estime qu'elles doivent avoir de leur supérieure.

Notre Bienheureux Père disait qu'une supérieure ne se doit jamais étonner ni troubler d'aucun défaut qui se puisse commettre en sa maison par le général des soeurs, ni par les particulières. Qu'elle les doit regarder et souffrir doucement, et en esprit de repos y apporter les remèdes qui lui sont possibles. Qu'elle ne doit non plus étonner celles qui les font, mais qu'avec une suave charité il les faut amener à la connaissance de leur chute, pour leur en faire tirer profit. Croyez-moi, ne nous rendons point tendres ni sensibles aux manquements de nos soeurs et à ne vouloir voir ni souffrir parmi nous les esprits fâcheux et de mauvaise humeur. Quand ils sont liés à la religion, le plus court est de les supporter doucement. Car nous avons beau faire, il se trouvera toujours dans les communautés, pour petites qu'elles soient, quelques esprits qui donneront de la peine aux autres. Dieu permet cela pour exercer la vertu de la supérieure et des soeurs.

[…]

Bon Dieu, que les supérieures doivent être bonnes, simples et charitables! mais aussi qu'elles ont besoin d'être prudentes et accortes pour découvrir les ruses, artifices et tromperies de l'amour propre dans les âmes faibles, molles et inutiles! Car telles filles ne s'appliquant aux vertus, elles ne peuvent prendre leur contentement en Dieu, ni aux exercices spirituels, de sorte que leur esprit oiseux et vide de Dieu ne fait qu'inventer mille chimères extravagantes. L'on a vu en quelques monastères des choses en ce sujet dignes d'extrême compassion: les unes qui se tordaient le corps, comme si elles eussent été possédées; une qui demeura plusieurs mois ne voulant ni manger ni se soutenir; d'autres qui faisaient les paralytiques, les malades du mal caduc, de dévoiement d'estomac, de courte haleine et semblables imaginations ou maladies supposées, propres pour mettre en peine toute une communauté. Quelques-unes font cela par une hypocrisie innocente et quelquefois d'enfance, de paresse et sensualité ou grande mélancolie. En ce dernier cas, la purgation et saignée est nécessaire.

[…]

Quand les filles se forgent des imaginations pour les choses spirituelles, c'est une misère que de voir les artifices et tromperies, les fausses visions, les imaginaires ravissements, les opiniâtretés à vouloir faire des austérités et semblables fantaisies qu'elles disent que Dieu leur suggère ou commande. Et avec cela point de soumission, peu d'observance, fortes en leur propre jugement. Elles prennent une souveraine délice de voir que l'on est en peine d'elles et prétendent de se mettre en estime; mais à la fin elles feront des éclats qui feront bien voir l'amusement de telles niaises imaginations. Le remède c'est de recourir à Dieu, et, ce me semble, de ne leur point laisser parler de tout cela sans rire, les mépriser et les très bien faire travailler et faire marcher exactement dans le train de l'observance.

Il s'en trouve qui naturellement sont sujettes à ces imaginations par la faiblesse de leur esprit et croient fort innocemment de voir, de sentir et d'entendre plusieurs choses. Il faut divertir doucement celles-ci et leur donner un peu de crainte que le diable ne se mette par là; et pour les empêcher qu'elles n'y perdent trop de temps, il les faut aussi occuper extérieurement. Car de se rire et mépriser ce qu'elles viennent dire, il ne le faut pas. Cela les affligerait et ferait tomber en quelque mélancolie, dont bien souvent telles choses procèdent.

[…]

Au surplus, croyez-moi, je vous prie, ne nous pressons point, et modérons l'ardeur de remplir promptement nos maisons, car avec un peu de patience il viendra si grand nombre de filles que l'on aura moyen de bien choisir. Accoutumons-nous de dépendre davantage de la conduite de Dieu sur nous et sur nos monastères. Sa bonté ne manquera pas de nous fournir de bonnes filles par le moyen desquelles la vraie observance sera gardée et l'esprit de l'Institut conservé en sa perfection. Mais travaillons à les bien dresser et à cultiver leur esprit sans nous lasser.

[…]

Enfin, c'est aux supérieures à cultiver les âmes, à y semer et planter l'affection des vertus, tant par leur bon exemple que par leur continuel encouragement, mais c'est de Dieu qu'il faut attendre en toute humilité et patience l'accroissement et le fruit. Le principal moyen de l'avancement d'une âme c'est l'oraison. C'est pourquoi il les faut bien encourager et surtout tâcher de remarquer l'attrait et la conduite de Dieu en chaque esprit pour les aider et faire marcher fidèlement, sans les en divertir ni contrarier. Car bien souvent nous détruisons par notre conduite industrieuse celle de Dieu et cependant tout le profit et repos des âmes consiste à la suivre très simplement. Je dis dans les Réponses comme j'ai reconnu que l'attrait quasi universel des filles de la Visitation est d'une très simple présence de Dieu par un entier abandonnement d'elles-mêmes en sa sainte Providence8 Je pourrais dire sans quasi, car vraiment j'ai reconnu que toutes celles qui s'appliquent à l'oraison dès le commencement comme il faut et qui font leur devoir pour se mortifier et exercer aux vertus aboutissent là, et plusieurs y sont attirées d'abord et semble que Dieu se sert de cette seule conduite pour nous faire arriver à notre fin et parfaite union de nos âmes avec lui. Enfin je tiens que cette manière d'oraison est essentielle à notre petite Congrégation. Ce qui est un grand don de Dieu qui requiert une reconnaissance infinie. Or je sais bien qu'en toutes choses il n'y a règle si générale qui ne puisse avoir exception. La grande science en ce sujet c'est de reconnaître l'attrait de Dieu et le suivre fidèlement, comme j'ai déjà dit, et les supérieures se doivent bien garder d'en détourner leurs soeurs. Ce que pourraient faire celles qui communiquent beaucoup dehors, étant impossible qu'elles ne prennent des maximes de ceux de qui elles estiment beaucoup l'esprit et qu'elles ne les veuillent faire pratiquer à leurs soeurs, ce qui enfin ruinerait la conduite intérieure de Dieu et l'esprit de la vocation. Prenons garde que ce mal ne nous arrive, je vous en prie.

Il y a des âmes entre celles que Dieu conduit par cette voie de simplicité, lesquelles sa divine Bonté dénue si extraordinairement de toute satisfaction, désir de vertu et sentiment qu'elles ont peine de se supporter et de s'exprimer, parce que ce qui se passe en leur intérieur est si mince, si délicat et imperceptible, pour être tout à l'extrême pointe de l'esprit, qu'elles ne savent comme en parler. Et quelquefois telles âmes souffrent beaucoup, si les supérieures ne connaissent leur chemin, parce que craignant d'être inutiles et perdre le temps, elles veulent faire quelque chose et se travaillent la tête à force de réflexion pour remarquer ce qui se passe en elles. Ce qui leur est très préjudiciable et les fait tomber en de grands entortillements d'esprit, que l'on a peine à démêler, si elles ne se soumettent à les quitter tout à fait et à souffrir avec patience la peine qu'elles sentent, laquelle bien souvent ne procède, sinon de ce qu'elles veulent toujours faire quelque chose, ne se contentant de ce qu'elles ont. Ce qui trouble leur paix et leur fait perdre cette très simple occupation intérieure de leur volonté. Et quand elles n'en sentent point du tout, qu'elles se contentent de dire de fois à autre quelque parole d'abandonnement et de confiance fort doucement et de demeurer en révérence devant Dieu. Les supérieures les doivent grandement conforter et encourager à porter également les voies de Dieu en elles. Car vraiment il n'y a rien à craindre en ces âmes-là esquelles, pour l'ordinaire, on voit reluire une grande pureté et exactitude à l'observance. Il leur faut procurer de la consolation et de la lumière, soit par communication avec ceux qui entendent ces chemins ou par la lecture des livres qui en traitent, comme l'Amour de Dieu [Traité de l'amour de Dieu] au six, sept et neuvième livres et les Entretiens et ceux de la Mère Thérèse[77]. Il y a plusieurs chapitres dans la vie du Père Balthasard Alvarez[78] , jésuite, qui donnent grande lumière pour ces manières d'oraison et certes plusieurs pour la pratique des vertus. C'est un bon livre, bien qu'il y ait plusieurs chapitres qui ne sont pas pour nous.

Si la supérieure n'a la connaissance de ces manières d'oraison et que quelques soeurs l'aient, comme, grâce à Dieu, nos maisons n'en sont pas dégarnies, elle leur doit faire parler charitablement; et cela leur serait plus profitable que de les faire parler dehors, si ce n'était à quelqu'un bien intelligent. Enfin, il les faut aider à mettre leur esprit en repos, dans la voie où Dieu les veut, qui est un grand dénuement et perte d'elles-mêmes en lui d'où procède la vraie et sainte liberté d'esprit, qui fait marcher les âmes au-dessus d'elles-mêmes et de toutes les choses créées. Ce qui me fait si particulièrement parler de ceci, c'est l'extrême compassion que j'ai eu en la rencontre de quelques bonnes âmes qui étaient conduites par cette voie et qui étaient dans les embarrassements et troubles d'esprit très grands, faute d'être entendues et aidées. Enfin, quand on voit des âmes pures et qui s'adonnent à la vertu et observance, il ne faut pas douter de leur oraison, car Dieu en prend le soin pendant qu'elles ont celui de lui plaire en se perfectionnant par la vraie observance et dénuement de toutes choses.

Ma chère soeur, la charité et votre Règle vous obligent étroitement d'avoir soin de la santé de vos soeurs et de les servir de vos propres mains, dont les malades se doivent rendre capables. Et assurément les supérieures qui manqueront en cette occasion en auront reproche en leur conscience, et des visiteurs. Je vois que presque toutes les filles qui meurent parmi nous, meurent d'étisie, et souvent les jeunes qui ont été nourries délicatement et les plus exactes en viennent là. J'ai souvent pensé d'où cela pouvait procéder et il m'a semblé que c'est que l'on met les jeunes trop promptement dans l'exacte observance et sujétion. Car à ces petites âmes il faudrait laisser une modérée liberté par laquelle elles puissent prendre quelques récréations et petit à petit les conduire à l'observance et aux exercices spirituels, à mesure qu'elles se fortifieraient de corps et d'esprit. Je dis dans nos Réponses que demi-heure d'oraison leur doit suffire et qu'il les faut faire dormir et manger plus souvent que les autres soeurs. Certes cela est nécessaire, et de leur donner de petits divertissements et récréations jusques à ce que leurs corps aient pris leur croissance. Les supérieures doivent prendre garde à celles qui ont des dispositions à ce mal, car les filles exactes le couvrent et souffrent sans en rien dire jusqu'à l'extrémité et quand il n'y a plus de remède. Ce qu'il ne leur faut pas permettre, et de quelque âge que soient celles qui en seront atteintes, il leur faut faire prendre de bons bouillons, manger du veau et mouton, même de volailles quand elles seront dégoûtées, et fort peu de boeuf, et point de salures, les faire bien dormir et récréer à quelques petites occupations extérieures. Nous savons par expérience que ceux-ci sont les meilleurs remèdes pour telles maladies. Et généralement, il faut faire nourrir les soeurs honnêtement, selon que le Coutumier marque, leur donner de bon pain qui soit léger, du vin naturel et non jamais du tourné, et leur laisser une sainte liberté d'esprit, afin qu'elles se récréent et débandent bien leur esprit au temps des récréations et une fois le mois, comme le Coutumier dit. […]

Lettre 1248 à M. de la Curne, à Autun

[Annecy, novembre 162911

Mon très cher frère,

Je supplie le divin Sauveur d'être à jamais votre lumière, force et consolation et à ma très chère sceur2, désirant que cette lettre vous soit commune. Vous voilà donc retirés de notre maison' pour l'appréhension de l'affliction générale dont il plaît à notre bon Dieu de visiter son peuple.

Il a plu à la divine miséricorde d'en préserver cette maison bien que deux soeurs4 nous soient mortes, l'une au tour, l'autre religieuse, elles ont jeté le tac après leur décès; mais il n'y a point eu d'autre apparence. Nous avons toutefois nettoyé comme si ç'eut été le mal même. Nos bonnes soeurs en sont demeurées dans leur ordinaire tranquillité, c'est un effet de la grâce qui leur a donné une entière résignation à sa sainte volonté, et ont quasi toutes été exemptes du mal de l'appréhension et crainte, que j'estime plus grand et affligeant que le mal même. Voilà comme notre bon Dieu supporte notre faiblesse, il soit béni de tout.

Je le supplie de vous conserver et ma très chère soeur et vous faire porter tout ce qu'il lui plaira vous envoyer au corps, aux biens ou à l'esprit, avec paix et douceur. Oui, même la privation de paix s'il lui plaît de nous en priver, car il faut vivre paisible au milieu de la guerre et dans le dépouillement de toutes choses.

Ce que l'on vous a dit de Monseigneur de Genève est bien véritable, mon très cher frère, il a administré près de 4 mois durant les divins sacrements aux pestiférés. On l'a vu leur dire la messe, prêcher en place publique, consoler, encourager et animer les sains et les malades à tirer profit de cette tribulation, y regarder la main de Dieu et lui baiser amoureusement. […]

Lettre 1251 à Mère Anne-Thérèse de Rajat , à Arles

[Annecy, début décembre 1629]

Ma très chère fille,

Ma soeur la supérieure de Chambéry m'a communiqué, selon votre désir, votre lettre et vos écrits dans lesquels j'ai vu que votre entendement est fort éclairé et voit plusieurs portes ouvertes par lesquelles le détraquement pourrait arriver parmi nous. Elles sont de grande considération, mais de peu de remède, ceci en toute religion de filles, que celui qu'il faut attendre de la conduite de l'Esprit de Dieu sur les supérieures. […]

Donc, notre singulier et solide remède, c'est de nous confier totalement et pleinement au soin que la divine Providence a de nous, dépendant d'elle et nous y reposant comme les enfants dans le sein de leur douce mère. […]

Lettre 1253 aux supérieures de la Visitation

Annecy, 6 décembre 1629

Maintenant que nous voici sur la fin de l'année, ma très chère fille, il vous faut bien dire un peu de nos nouvelles, qui grâce à Dieu, sont très bonnes, sa divine Bonté ayant, comme nous pensons, préservé cette maison du mal qui l'a si fort environnée. La ville n'en est pas encore entièrement purgée, quoiqu'il y arrive peu de mal; mais cela nous tient toujours dans notre prison, et fait que le pauvre peuple souffre des nécessités et misères très grandes. […]

Diverses autres fois, la divine Providence nous a préservées du péril éminent de ce mal, où de bons ecclésiastiques, qui venaient dire messe céans, nous ont mises, en étant déjà quelque peu atteints. Or, comme l'on appréhende et s'en étonne-t-on extrêmement en ce pays: dès qu'il fut découvert à la ville, toutes les personnes de qualité, magistrats et bourgeois se retirèrent aux champs, de sorte qu'elle demeura entièrement destituée de tout secours, hormis de celui que Dieu y pourvut par l'entremise de Mgr de Genève et des syndics.

Mais je crois que notre chère soeur la supérieure de Chambéry vous a déjà écrit comme ce bon et digne prélat a assisté son peuple, non seulement de ses moyens qu'il leur a départis avec abondance et charité incroyables, mais encore de sa personne, administrant les sacrements, visitant et consolant les pestiférés, et y employant aussi les ecclésiastiques de sa maison, dont M. de Boisy, son neveu, et l'un de ses aumôniers en sont morts. Et dès lors, voyant que le mal était si enflammé, l'on fit sortir presque tous ceux qui étaient restés dans la ville et les envoya-t-on en cabane par les montagnes afin de la pouvoir plus tôt nettoyer, et par ce conseil que Dieu donna, il y resta peu de personnes et l'on sauva la vie à plusieurs.

Mais il faut que nous vous disions un peu par le menu comme nous nous sommes conduites en cette occasion de la maladie, afin que vous nous disiez ce en quoi nous avons manqué. Premièrement, quand nous vîmes que le mal s'échauffait, nous fîmes prier les ecclésiastiques qui venaient dire la sainte messe céans de s'en abstenir; et par l'avis de Mgr de Genève, l'on fit mettre un autel proche de la grande porte de l'église, où les seuls ecclésiastiques de sa maison disaient messe et le peuple l'entendait depuis la rue, de sorte qu'il n'y avait plus que ce digne prélat qui la dit au grand autel. Nous fermâmes aussi notre parloir à toutes sortes de personnes, excepté à lui et à ceux de sa maison, qui était bien la plus exposée de la ville, et celle dont la communication nous mettait en plus grand péril; car non seulement il administrait les sacrements aux malades avec ses prêtres, mais aussi tout le reste de sa famille était employé à distribuer les aumônes que sa maison et la nôtre faisaient aux pestiférés et enfermés. Mais quel moyen, ma très chère fille, de voir ce bon et digne prélat se priver, comme il voulait faire, de la seule consolation qui lui restait de se venir un peu soulager céans de l'extrême douleur que son âme souffrait, pour la grande compassion qu'il portait à son pauvre peuple qu'il voyait si affligé?

Outre que ce fut été nous priver d'une très rare, grande édification que nous recevions, voyant la grandeur de son courage et de son zèle au bien des âmes, ce qui nous fortifiait et aidait merveilleusement à faire le total abandonnement de nous-mêmes entre les bras de la divine Providence, à laquelle, comme vous voyez, par ce petit récit, nous avons l'entière obligation de la conservation de ce monastère et aux prières de notre saint Père, auquel, après Dieu et la Sainte Vierge, nous avions toute notre confiance.

Pour le reste de l'extérieur, nous avons usé de toutes les précautions possibles: car nous fîmes provision de quantité de farine et de bois pour chauffer le four, et retirâmes dedans une de nos soeurs tourières pour faire le pain et les lessives; les autres deux furent laissées à Novelles, qui est un grangeage que nous avons à un petit quart de lieue de la ville, d'où elles nous apportaient ce qu'elles pouvaient par-dessus le lac, de sorte que nous ne faisions prendre chose quelconque dans la ville; et de crainte que nos chats qui y allaient ne nous apportassent le mal, nous les fîmes tuer. […]

L'on avait donné obéissance aux soeurs, que dès que quelqu'une se trouverait mal, tant peu que ce fût, elle en avertît et se retirât en une chambre destinée à cela, hors du commerce des soeurs; plusieurs desquelles ont eu des grandes enflures de col, des grosses gales au visage qu'on ne savait si c'étaient des charbons; des accès de fièvre, des grands maux de coeur, dévoiements d'estomac et semblables, qui donnaient doute que ce ne fût le mal contagieux. Quand cela était, l'on destinait tout promptement deux soeurs pour leur service, lesquelles, après avoir pris la bénédiction de la supérieure, allaient gaiement prendre le lit de la malade, qu'elles enveloppaient entièrement dans la couverture, puis nettoyaient et parfumaient bien la cellule, y laissant un gros parfum, ouvrant la fenêtre et fermant la porte. Et quand elles emportaient ce qu'elles y avaient pris, deux soeurs allaient, éloignées, l'une devancière, l'autre dernière, avec de grand parfum, les portes des cellules et lieux où elles passaient étant toutes fermées. Incontinent aussi, on faisait bien parfumer tout le monastère et les soeurs, auxquelles on faisait prendre quelque préservatif plus spécial.

Et bien que deux ou trois fois l'on eût beaucoup plus de probabilité que le mal y était, néanmoins je n'en ai jamais vu de l'étonnement parmi nos soeurs, qui prenaient leurs petits remèdes fort joyeusement, chacune se tenant dans la disposition du départ, comme elles en étaient averties; car nous étions résolues de ne pas exposer notre bon et très vertueux confesseur. Et que si quelqu'une de se confesser, il l'eût ouïe, mais de loin; et, pour les il eût mis le très saint Sacrement entre deux petites lèches de pain, puis l'eût posé sur le lieu préparé à cela, où celle qui servait les mlades le fût venu prendre le plus révéremment qu'elle eût pu

[…]

Je ne veux pas oublier de vous dire ici le grand courage avec lequel nos soeurs s'étaient résolues de s'assister l'une l'autre, et comme elles s'y sont toujours offertes avec tant de franchise et de cordiale charité, qu'elles en ont [donné] beaucoup de consolation et une entière satisfaction, non seulement à la maison, mais aussi à Mgr de Genève, et à tous ceux qui l'ont su. Nous avons été en grand péril pour ce qui était de l'eau, n'en ayant que celle d'un beau canal courant qui sort du lac, au long duquel est posé l'hôpital des pestiférés; et l'on avait mis les cabanes de ceux qui faisaient quarantaine -entre lesquels plusieurs mouraient - tout proche du monastère en sorte que tout se purifiait et nettoyait dans cette même eau. C'est pourquoi nous en faisions prendre dès la fine aube du matin ce qu'il nous en fallait pour tout le jour.

[…]

Aux récréations et assemblées, il y avait ordonnance de se tenir un peu séparées l'une de l'autre et en se parlant faire de même. Nous ne prenions point d'eau bénite que dans nos cellules, où celles qui font la visite le soir et le matin n'entraient point. L'on ne changeait point aussi les serviettes au réfectoire, et chacune laissait le reste de son pain plié dedans. […]

Lettre 1255 à Soeur Marie-Aimée de Blonay, à Lyon

[Annecy,] 9 décembre [1629]

Ma très chère fille,

[…]

Oh! que nous serons heureuses, ma vraie fille, quand nous nous serons entièrement oubliées. Mon Dieu! quand sera-ce que rien ne vivra plus en nous que votre pur amour? Ma fille, que je le désire; mais Dieu, qui voit ma lâcheté, ne me donne pas le loisir d'y penser comme il serait requis. Laissez-vous bien et sans réserve à son bon plaisir. Le moins que nous pourrons nous mêler de nous serait le meilleur. […]

Lettre 1256 aux supérieures de la Visitation

Annecy, 10 décembre 1629

Mes très chères et bien-aimées soeurs,

[…]

Or, il me semble, mes très chères soeurs, que je vois dans vos esprits une seule difficulté en ceci: qui est de continuer votre spéciale communication après moi, à celles qui seront supérieures de ce monastère, vous semblant que vous n'y pourrez pas avoir l'amour ni la confiance que Dieu et la bonté de vos coeurs vous ont fait avoir en moi. Mais, hélas! mes très chères soeurs et mes filles bien-aimées, ne craignez point cela, car la main de Dieu n'est point accourcie sur nous. Soyez assurées que si, avec humilité et simplicité, vous suivez le train dans lequel Il vous a mises, Il pourvoira toujours ce monastère de si bonnes supérieures, si solides en la vertu de notre vocation et si affectionnées et zélées à sa conservation, que vous en recevrez toute satisfaction et contentement, et incomparablement plus grand que vous ne l'avez reçu de moi, qui, par ma misère et infidélité, me suis rendue indigne de recevoir les grâces que Dieu m'avait destinée à votre considération et pour votre utilité. Que, donc, rien ne vous arrête ni empêche de suivre votre train ordinaire, je vous en supplie, mes très chères soeurs, et soyez assurées — je vous le dis encore — que si vous conservez par amour ce que Dieu a établi par notre saint Fondateur, pour le bien commun de notre Ordre, vous en recevrez autant et plus de bénédictions ci-après, que vous en avez reçu ci-devant.

Voilà ce que j'avais à vous dire, mes très chères soeurs, avant mon départ de cette vie: je le mets devant Dieu et devant vous. Conservez-le et vous y affermissez le plus solidement qu'il vous sera possible…[79]

Lettre 1271 à  Soeur Anne-Catherine de Sautereau, à Grenoble

[Annecy, 1629]

Ma très chère fille,

[…] Jetez-vous et toutes vos misères et vos intérêts et affections, dans le sein de la bonté de Dieu, vous laissant gouverner à sa Providence et à l'obéissance, et cela à yeux clos, sans permettre à votre esprit de regarder où il va; mais allez toujours, ne regardant que Dieu et la besogne qu'Il vous présente dans chaque occasion et moment, pour la faire fidèlement avec la pointe de l'esprit sans vous amuser à vos sentiments ou dissentiments et répugnances; car il les faut absolument fouler aux pieds et les ranger sous l'obéissance, qui est la sainte volonté de Dieu. Voici peu de paroles, mais si vous les observez, elles vous conduiront à la perfection que Dieu veut de vous; j'en supplie sa Bonté. Je suis vôtre.

À ma très chère soeur en N.S., notre soeur Anne-Catherine de Sautereau, religieuse de la V. Ste M. à Grenoble.

Lettre 1307 à Mère Anne-Thérèse de Préchonnet, à Montferrand

[Annecy,] 11 juin [1630]

Or, sus, ma très chère fille, n'affligez plus votre [coeur] bon et tout aimable, qui aime cette chétive mère si uniquement, sur l'appréhension du voyage de Piémont; car il faut que je confesse que je crois que la divine Providence ne nous veut pas en ce pays-là; au moins j'ai ce sentiment maintenant, parce que toutes les fois que nous avons été prêtes de partir, Dieu a toujours envoyé des empêchements si puissants que nous avons été contraintes d'arrêter, au moins ces deux années dernières; car la peste nous arrêta l'année passée que tout était prêt. Les princes et les princesses avaient écrit pour nous faire partir, mais nous fûmes retenues, parce qu'il fallait faire quarantaine; et cette année, comme l'on y pensait aller et en sorte que le mardi de Pâques était pris pour cela, la guerre est venue, qui y a aussi empêché. Et maintenant nous revoyez dans la peste que l'armée nous a laissée après beaucoup de pertes, de ravages et d'afflictions. Les soldats ont laissé ce gage en cette pauvre ville, qui en est dans une affliction qui ne se peut dire; cela est arrivé par les meubles infectés qu'ils ont pris dans les villages empestés et les ont apportés ici, où ils les ont vendus. Dieu par son infinie bonté veuille avoir pitié des calamités et misères de ce pauvre peuple. […]

Lettre 1324 à Mère Jeanne-Charlotte de Bréchard, à Riom

[Annecy, vers le 13-14 juillet 1630]1

Ma très chère fille,

Vous me pardonnez bien si je ne vous écris pas de ma main; il m'est survenu quelque embarras qui m'en empêche; aussi n'y a-t-il pas longtemps que je l'ai fait.

Nous nous portons bien, grâce à N.S., céans, excepté quelques- unes malades de fièvres et autres incommodités. Mais, hélas! il est vrai que ce pauvre pays est grandement affligé, ayant été réduit par l'armée française à l'extrémité de la misère et calamité; et, de surcroît, la peste est quasi par tous les environs de cette ville et même dedans. Il y a environ un mois qu'elle s'y prit en six ou sept maisons, sans qu'elle y ait fait aucun progrès; mais, depuis deux ou trois jours, elle s'y est reprise en plus grand nombre, mais bien plus dangereusement, parce que c'est en divers lieux et rues. Nous espérons, toutefois, de la douce bonté de N.S., qu'elle ne fera pas un tel progrès et ravage qu'elle fit l'année passée. Toutefois, sa très sainte et aimable volonté soit faite!

Quant à nous, ma très chère fille, nous ne sommes pas été exemptes de l'affliction commune; car nos prés ont été tous fauchés au bien que nous avons de Nouvelles, et les seigles moissonné en herbe; nos moulins désertés et fort ruinés; nos vignes aussi demeureront sans la culture nécessaire, à cause que le village où elles sont est quasi tout ruiné par la peste qui y est étrangement; de sorte que nos pauvres vignerons sont réduits à l'extrémité de la pauvreté et misère, la plupart morts. […]

Lettre 1357 à Mère Claude- Agnès Joly de la Roche, à Rennes

[Annecy, octobre 1630][80]

…Il demande que, pour l'amour de lui, vous vous détachiez absolument de toutes choses; cela veut dire: non seulement des soulagements corporels, ce qui est peu à votre courage, mais encore de toute consolation, lumière et sentiment intérieur, afin que lui seul vous soit toutes choses. Que de trésors en cet abîme d'afflictions! Nous pensons que tout est perdu, et c'est là où nous goûtons la plus suave, la plus simple et la plus délicate union de notre esprit avec le bon plaisir de Dieu, sans mélange de nulle science, intelligence ni satisfaction. Et c'est correspondre fidèlement aux plus hauts desseins qu'il ait sur nous que de s'abandonner entièrement à sa volonté dans cette souffrance.

Lettre 1421 à la princesse de Carignan

[Annecy,] 1er mai [1631],

[…]

Le remède que je vous donne pour toute sorte de tentations, peines, afflictions, sécheresses et contradictions et (bref pour toute sorte de peines généralement)[81], c'est les actes d'amour, retournant promptement et simplement votre coeur à Dieu avec des paroles pleines d'amour, de confiance, d'abandonnement (et d'amour)4, sans regarder ni disputer contre la tentation ou la chose qui fâche. Bien et nonobstant, que vous la sentiez et qu'elle vous pique vivement ne vous empêche point de la guérir, car cette peine vous rendrait plus malade. Ne vous efforcez point de vaincre les tentations, car cet effort les fortifierait, souffrez doucement la peine et feignez de ne la point voir ni ce qui se passe en vous, rejetant toute réflexion sur vous-même comme des cruelles tentations.

Aut. Visit. Waldron (Angleterre). Inédite.

Lettre 1599 à Marie-Thérèse de Labeau ( ?)

[Annecy, 1632]

[…]

Vous me demandez encore si l'âme conduite par la voie de cette simple présence de Dieu, ayant la liberté quelquefois d'agir, si elle le doit faire? Je dis que non, sinon lorsqu'elle se sent mue de Dieu, ou obligée par quelque devoir de sa vocation. Mais il n'y a nul mal de s'abstenir de faire ce que nous connaissons appertement qui nous peut incommoder, quand légitimement nous le pouvons faire; au contraire nous le devons. Les âmes qui se sont totalement abandonnées à Dieu et à sa divine Providence se doivent, tant qu'il leur est possible, oublier d'elles-mêmes et de toutes choses pour ce continuel regard de Dieu; mais, quand elles sentent quelque peine intérieure ou extérieure, elles doivent simplement l'exposer à leur supérieure, puis faire ce que l'on nous dira, leur laissant le soin du surplus, surtout en ce qui regarde nos corps. Toutes les actions d'une âme remise en Dieu et de celles qui veulent faire une excellente vie se doivent faire purement pour son bon plaisir divin, soit qu'elles soient incitées intérieurement ou non. O Jésus! ma fille, il ne faut pas laisser les pratiques des vertus dont nous avons la vue à dessein d'en tirer notre confusion, ce serait une tromperie. Mais quand, par faiblesse et surprise, nous les omettons ou faisons quelques défauts, alors il faut employer la sainte et tranquille confusion de nous-mêmes, nous anéantissant humblement et doucement devant Dieu, selon notre manière simple. Jamais vous ne devez disputer avec vous-même pour la pratique des vertus, mais sitôt que vous en apercevrez l'occasion, vous la devez embrasser, et suivre toujours la lumière du bien que Dieu vous présente. De les rechercher et inventer, je ne vous le conseille pas; mais seulement d'être fidèle à celles qui se présenteront dans l'exacte observance de notre Institut et dans les événements, de quelque part qu'ils viennent, vous joignant et unissant toujours à Dieu en toutes choses, selon votre manière simple. […]

Lettre 1728 au commandeur de Sillery

[Annecy, mai juin 1634]1

Oh! quel bonheur, mon vrai Père, d'être ainsi tout dédié et immolé à la souveraine Majesté! Quant aux désirs que vous avez d'être fort reconnaissant envers notre bon Dieu, pour l'excellence des grâces qu'Il vous a conférées, il m'est avis, mon très cher Père, que sa divine lumière qui les pénètre et voit dans votre âme, se contentera que vous les conserviez, sans vous peiner ni occuper beaucoup à entreprendre de grandes choses, ni à en rechercher les occasions; mais vous tenir préparé à les accomplir quand son adorable volonté vous les présentera. C'est le plus parfait et le plus utile pour que, ce me semble, dans une vraie simplicité et révérence, vous joigniez et vous serriez amoureusement votre coeur à ce divin Sauveur, vous unissant à l'unité de Dieu, par un amour simple et épuré. Le calme que cela donnera à votre âme fera qu'elle connaîtra avec une clarté bien plus grande les inspirations, les motions et les lumières que le Saint-Esprit lui communiquera. Tâchez de faire vos actions avec le plus de pureté et de perfection que vous pourrez, mais sans contrainte ni gêne. S'il vous vient en vue d'y avoir commis quelque défaut, humiliez-vous tranquillement, par un simple abaissement d'esprit devant Dieu et n'y pensez plus. Notre saint Fondateur, que vous voulez imiter, disait qu'il fallait souffrir que nous fussions de la nature des hommes, puisque Dieu ne nous avait fait des anges, et partant de nous contenter de la pureté qui se peut humainement acquérir.

Lettre 1757 au commandeur de Sillery, à Paris

[Annecy,] 14 août [1634]

[…]

Dieu ne veut que notre coeur; et notre inutilité et impuissance lui agréent davantage quand nous les chérissons pour la révérence et amour que nous portons à sa sainte volonté, que si nous nous brisions et fissions des grandes oeuvres pénales. Enfin, vous le savez, que le haut point de la perfection gît à nous vouloir comme Dieu veut que nous soyons […]

Lettre 1759 à Mère Marie-Jacqueline Favre, à Paris

[Annecy,] 24 août 1634

 […]

Hélas, ma très chère fille, il n'est que trop vrai ce que l'on dit de la Mère de Moulins, sa conduite en ces bains a été tout à fait scandaleuse, jusques à y porter des souliers blancs. Ce qui s'est passé là serait trop long à dire et puis il n'est que trop divulgué. Ce qui me touche entre tout, c'est la cruauté dont elle a usé envers six de ses soeurs anciennes, qui trouvèrent à redire à tout cela; car elle les a fait fouetter et fouettées elle-même, jusques à soixante coups, puis les a emprisonnées. Il y en a quelques-unes qui excèdent l'âge de cinquante ans. Jugez l'état de cet esprit, elle consomme tout à fait le bien spirituel et temporel de cette maison. Monseigneur d'Autun y a fait la visite à sa sollicitation, parce qu'il la soutient, étant son parent, ce dit-on, du moins fort ami de ses frères, qui est tout ce qui l'empêche de la déposer, car il a très bien reconnu qu'elle le méritait et l'a avoué. Il m'écrit qu'elle a l'esprit gâté, qu'il est fort marri d'avoir donné la licence pour ses bains, qu'il ne pensait pas que cela fut défendu en notre Institut, qu'il eut mieux aimé pour elle qu'elle fut morte, puisque ce voyage lui coûte la mort et perte de son honneur et réputation, que tous ceux de Moulins la haïssent comme un loup-garou et que pour le temporel elle réduit le beaucoup en rien. Et avec toute cette confession et le récit que l'on lui a fait de ses désordres des bains, et qu'il voit que cette maison périt et que tout le monde crie, il ne l'ose déposer! Il témoigne qu'il voudrait qu'elle le fût, mais que ce ne fut pas lui qui le fit. L'on en a écrit à Monseigneur de Lyon, peut-être le fera-t-il et qui serait une très grande charité et pour cette maison et pour l'Institut. Si vous êtes encore à Paris, vous verrez ce que vous y pourrez faire.

L'on dit qu'elle se procure une fondation à Angers, c'est en ce point qu'il se faut roidir pour l'empêcher, et vous conjure, ma très chère fille, d'essayer de découvrir cela et de rompre ce trafic à Angers; vous allez de ce côté-là. Certes, si elle n'est empêchée de faire ce coup, elle portera grand préjudice à notre Institut et y servira de scandale. Car elle n'a nullement l'esprit capable de conduire et, certes, elle fait des traits d'une superbe folle. Je vous recommande cette affaire, ma très chère fille; vous êtes prudente et zélée, ne vous y endormez pas. […]

Lettre 1760 à Soeur Hélène-Angélique Lhuillier, à Paris

[Annecy] 24 août 1634

N'êtes-vous pas de retour, ma très chère Angélique ? Je crois qu'oui et que vous ne savez que trop les monstrueux déportements de notre pauvre soeur la supérieure de Moulins; elle est allée aux bains, se mit dans un carrosse avec une de ses religieuses et trois ou quatre hommes, un religieux, un de ses frères et un médecin; fit mettre deux ou trois religieuses et une soeur tourière dans un autre carrosse avec, aussi, quelques hommes. Et en cet équipage, fit son voyage, buvant, mangeant avec sa bonne compagnie; se fit traiter en l'hôtellerie en telle sorte que l'hôtesse dit qu'elle aimerait mieux loger Monsieur de Ventadour que Madame de Ste Marie de Moulins. Elle fut fort visitée, elle s'allait promener autour de la ville; et un jour son carrosse s'y rompit et fallut revenir à pied, si que les souliers blancs qu'elle portait n'en valèrent pas mieux. Elle fut environ six semaines hors de son monastère à se promener ça et là, voir ses parents à dix ou douze lieues de là — car elle fut fort peu aux bains — fit une dépense convenable à son équipage.

Quand elle fut de retour, elle trouva ses filles révoltées contre elle — s'il faut ainsi dire — cette mauvaise conduite les avait entièrement offensées. Elle tâcha de les regagner; les jeunes se laissèrent aller, car je sais qu'elles la craignent comme le feu. Je crois de six des anciennes professes demeurèrent fermes, elles les traita indignement à coup de fouet et emprisonnement de sa seule tête; et si, il y en a qui ont de plus cinquante ans. Elle m'écrivit des grandes plaintes contre ces filles, sans me parler aucunement de son voyage. […]


Lettre 1824 à Mère Madeleine-Elisabeth de Lucinge, à Annecy II

[Annecy, janvier-avril 1635]

Mon Dieu, ma fille, vos incommodités ne vous semblent rien et ce que vous m'en dites je le trouve important à une jeune fille: les douleurs de reins, de jambes, la faiblesse d'estomac, le dégoût, la peine à dormir; tout cela ne me dit rien de bon. Néanmoins, je prie nos soeurs de s'abstenir de vous presser après que par deux fois vous les aurez assurées de n'avoir besoin. Mais aussi, ma fille, je veux que vous soyez véritable et que vous acceptiez avec simplicité toutes les sortes de soulagements que l'on vous présentera, même que vous les demandiez ou preniez lorsque la charité vous dictera […]

Lettre 1832 à une visitandine

[Annecy, avant juin 1635]'

Que fait votre très bon coeur, ma plus chère et bien aimée fille? Certes, le mien en désire un peu des nouvelles avant mon départ de ce pays. Hé je vous conjure, .ma fille, de le tenir au-dessus de vous-même et de toutes les choses créées, et, avec une sainte générosité, le faire contenter de son Dieu seul et prendre en Lui ses contentements et son unique repos. Cette bonté immense veut cela de vous, ma chère fille, et que vous retiriez votre esprit avec douceur de tout autre objet. Qui ne cherche que Dieu, qui ne veut que Dieu, le trouve en toutes choses, oui même dans les plus fâcheuses et répugnantes à notre goût. Comme donc se cacherait-il, et ne le trouverions-nous pas en la sainteté de notre vocation et en la douceur de ses exercices? Ma fille, voilà l'état où mon âme désire la vôtre très chère; car je l'aime d'un amour parfait, votre très chère âme, et ne sais que je ne voudrais pas faire pour sa consolation. Adieu, ma fille; priez pour celle qui est toute vôtre.

Lettre 1833 à Mère Madeleine-Elisabeth de Lucinge, à Annecy II

[Annecy, avant juin 1635]

[…] Vivez joyeuse ou du moins contente, ma très chère fille, de ce solide contentement d'être toute à Dieu. Car vous l'êtes et rien ne doit ennuyer votre chère âme qui doit prendre toutes ses délices et consolations en la très sainte volonté de Dieu, qui soit éternellement béni.

Lettre 1854 à Mère Marie-Henriette de Prunelay, à Renne

6 octobre [1635]

[…] Marchez à la bonne foi devant Dieu, regardez-le souvent et fort peu sur vous-même, laissant à sa Bonté le soin de ce qui vous concerne. Ayez un grand courage et faites toutes choses tranquillement, et gaiement. Et bien que vous ne voyiez pas en vos soeurs l'avancement que vous désireriez, ne vous en fâchez point; recommandez-les à Dieu, et attendez en patience le temps que sa Providence a destiné à leur bonheur. Je crains que ces pressures de coeur ne vous arrivent de l'ardeur que vous avez à l'avancement de vos soeurs et au vôtre. Travaillez pour l'un et pour l'autre, mais doucement, paisiblement, alentissant continuellement les sentiments qui vous peuvent arriver pour cela, mais je vous en prie, ma fille.

Or, puisque vous trouvez du profit à manifester si entièrement votre intérieur à M. Moreau, il faut continuer, mais avec une si sainte liberté que vous n'en receviez aucune contrainte, ni en votre personne ni en votre conduite et gouvernement ni pour les choses spirituelles ni pour les temporelles: ce point est important, afin de laisser agir en vous l'Esprit de Dieu, qui veut Lui-même conduire et vous et votre maison. Et pour fin, ma très chère fille, croyez-moi, demandez plus souvent à Dieu les avis dont vous aurez besoin, qu'aux hommes; car c'est l'ami fidèle qui se plaît en la familiarité que les âmes prennent en sa Bonté. Je vous parle avec cette entière confiance, en toute sincérité, comme je ferais à ma propre âme, vous chérissant en cette qualité; car je suis de coeur tout à fait à vous. Dieu nous fasse la grâce d'être tout à Lui: c'est notre vrai désir. Il soit béni. […]

Lettre 1858 à la même

[Paris, 10-14 novembre 1635]

[…] Quant à l'oraison de cette bonne soeur qui écrit à ma soeur Angélique, et de celles dont vous m'écrivez dans votre lettre, ma très chère fille, je n'y vois rien qui ne soit bon, et c'est la manière d'oraison plus ordinaire que Dieu donne aux filles de la Visitation, ainsi que je le dis dans les Réponses.[82] Car d'ordinaire, une âme qui commence comme il faut les pratiques de son noviciat y est assez promptement conduite; et persévérant en la fidélité d'agir — cela veut dire d'ajuster ses inclinations à l'obéissance et à la pratique des vertus — Dieu les avance et affermit grandement en cette manière d'oraison. Et quelquefois nous avons vu que Notre Seigneur la donne aux âmes encore imparfaites, pour leur donner courage de se perfectionner. Que si elles ne correspondent aux desseins de Dieu et ne suivent les lumières qu'elles reçoivent, très assurément elles en seront retirées — ou bien, elles se trompent en la pensée qu'elles ont de ne pouvoir faire des considérations — et peut-être se veulent-elle mettre d'elles-mêmes en cette manière de prier, ce qu'il ne faut jamais faire, non plus que de les en tirer et de les empêcher d'y cheminer lorsque Dieu les y attire; et cela serait un grand mal. […]

Lettre 1898 à Mère Marie-Marguerite Michel, à Fribourg

[Chambéry,] 9 septembre [1636]

[…] Nous voici, grâce à Notre Seigneur, de retour de notre voyage de Paris et de la Provence. Nous avons vu environ trente-sept monastères, et quinze supérieures des monastères que nous n'avons pas su aller voir. Nous avons reçu de très grandes consolations et sujets de bénir Dieu, de voir qu'en toutes ces maisons l'on y vit avec grande paix, union et amour à leur vocation, et Notre Seigneur y répand beaucoup de grâces et bénédictions; je vous supplie de l'en bénir avec nous. […]

Lettre 1923 à Monsieur Guy Lasnier, abbé de Vaux, à Angers

[Annecy, 1636]

[…] Pour peu que Dieu nous attire à cette oraison simple, nous soustrayant le discours de l'entendement, nous devons suivre son attrait; car aussi bien nous nous romprions la tête de vouloir faire autre chose. Enfin, le grand secret de l'oraison, c'est d'y aller à la bonne foi, fort simplement, suivant l'attrait intérieur. Or, les âmes qui vont le chemin de la simple présence de Dieu, qu'elles y correspondent par une grande pureté de coeur, abandonnement d'elles-mêmes en la divine volonté et fidélité à la pratique des vertus. Quand elles se voient portées à cela, qu'elles ne craignent rien: mais si elles y avaient de grands goûts et facilités sans cela, certes elles doivent craindre. Car il est vrai, mon très cher frère, que cette manière d'oraison a, en sa simplicité, une grande force pour porter les âmes au total dénuement d'elles-mêmes, bien que pour l'ordinaire elle soit destituée de goûts et satisfactions sensibles. Votre, etc.

Lettre 1957 à Mère Anne-Louise Marin de Saint-Michel, à Forcalquier

[Annecy,] 5 avril [1637]

Ma très chère fille,

Notre très débonnaire Sauveur veuille par sa bonté combler nos âmes des mérites sacrés de sa très sainte Passion!

Hélas! ma fille, que si vous me connaissiez telle que je suis, vous ne me désireriez pas des années de vie en cette vallée de misères, ains vous souhaiteriez que la divine miséricorde m'en retirât bientôt dans le sein de sa Bonté; et beaucoup moins penseriez-vous que la sainteté fût accomplie en moi, où il n'y a véritablement qu'une très grande misère et pauvreté intérieure. Car, pour parler confîdemment à votre coeur — et non à autre — il plaît à la divine Bonté me priver de toutes lumières et consolations intérieures, ou permettre que moi-même me sois ténèbres et afflictions. Et pour dire tout, je suis celle pour laquelle notre bonne Mère2 vous écrivit de prier la divine Bonté, et je vous conjure de le faire, mais avec toute l'affection compassive de votre coeur et l'amour très charitable que Dieu vous a donné pour moi; car croyez, ma très chère fille, que j'en ai un extrême besoin. Je ne désire sinon que mon Dieu me tienne de sa sainte main, afin que je ne l'offense point; mais que je fasse et que je souffre tout son bon plaisir et selon ce même bon plaisir; car il ne me semble pas que je puisse désirer autre chose.

Voilà, ma très chère fille, comme je vous parle avec une entière confiance, mais à vous seule, pour en parler au seul coeur de notre divin Sauveur, que je bénis et remercie des grâces qu'Il continue à votre chère âme, et avec accroissement celle de cette intime impression de la divine présence. Oh! qu'elle est grande et précieuse! mais elle n'est pas, comme dans le divin sacrement, où réellement et d'entière vérité le sacré Corps avec toute l'âme et la divinité est enclos, et demeure ainsi dans nos chétifs tabernacles jusqu'à ce que les espèces soient consommées; mais cette éternelle bonté demeure en nous par présence, par puissance et par grâce, et c'est par une grâce extraordinaire qu'elle nous donne le sacré sentiment de sa divine présence. Vous verrez mieux ces vérités dans les livres qui en traitent, et je pense que dans celui de l'Amour divin, il en est parlé fort excellemment: ce que je vous en dis, je l'ai appris là, ou de quelques prédications. Oh! quelle bénédiction a une âme de posséder son Dieu en paix et être possédée de Lui entièrement! J'admire ce que vous m'écrivez, que ce que je vous dis vous donne paix; mais c'est que notre bon Dieu convertit tout à l'utilité de ceux qui l'aiment.

Derechef, je vous conjure de me recommander à la divine miséricorde. Je la supplie de parfaire en vous l'ouvrage de sa grâce très spéciale. Vous n'avez à faire qu'à laisser faire ce céleste Ouvrier, et vous tenir ferme dans la pratique de ne faire nul regard ni attention sur ce qui se passe en vous; mais toujours regarder Dieu. J'ai bon besoin d'être fidèle en ce point, je le désire, mais mon esprit actif me donne exercice. Voyez comme je vous dis tout à la bonne foi. Dites-moi de même vos pensées et vos vues… […]

Lettre 1993 à Mère Angélique Arnauld

Chambéry, 3 août 1637'

Ma très chère Mère,

Dieu m'a donné quelque consolation sensible lisant votre lettre, et je ne sais quoi de si profonde et intime dilection pour vous, qu'il me semble qu'il n'y a qu'un seul coeur entre nous, et que vos prières et celles de ce digne serviteur[83] de Dieu, que vous m'avez acquises par la miséricorde de Dieu, m'obtiendront force et grâce pour ne point offenser Dieu, et correspondre avec fidélité à sa très sainte volonté et au dessein qu'il a pour ma petitesse. Croyez que vous m'êtes si chère et si intime que je ne puis, selon mon sentiment, me présenter à Dieu sans vous, et j'ai confiance que dans mon besoin vous persévérerez avec un soin extraordinaire de prier et faire prier; j'attends de bon coeur les avis de ce grand homme de Dieu. Il m'impétrera, s'il lui plaît, la grâce de les suivre fidèlement, dites-lui ce que je fais, et s'il l'approuve.

Je ne veux jamais l'oublier devant Dieu. Mais hélas! comme sont mes prières! J'en laisse le soin à Celui qui sait mes désirs, et ma douleur de me sentir privée du seul bien que j'estime et souhaite. Mais il faut vivre au-dessus. Dieu m'en fasse la grâce. Je trouve ce me semble, dans une épître que notre Bienheureux' m'a autrefois écrite, quelque chose de ma peine. Il me dit que "c'est vraie insensibilité qui me prive des lumières et sentiments de la foi, de l'espérance et de la charité, que vous avez pourtant et en très bon état, dit-il; mais Dieu ne veut pas que vous en ayez le maniement ni que vous en jouissiez, sinon justement pour vivre et vous en servir ès occasions de pure nécessité".

Je n'ai pas toutefois souvenance d'avoir jamais eu rien de semblable à ce que je sens maintenant. Mais Dieu faisait abonder ses lumières en ce grand saint, qu'il m'avait donné pour Père et pour guide d'une manière si extraordinaire, dont il soit béni éternellement. Je crois bien qu'il n'a pas quitté sa direction sur moi: je me souviens tous les jours de ce qu'il m'en a promis. Tout ce que je pratique que je vous ai dit ci-devant, est de ses avis, que l'on trouve toujours plus utiles. Je m'oubliais, ma très bonne et chère Mère, de vous dire, que parce que je ne puis faire des actes, j'ai écrit ma protestation de foi, de confiance, et mon entier abandonnement de moi-même entre les mains de Dieu, et tout ce que je pense; j'en porte le papier sur moi, que je touche pour signe de confirmation en ce regard simple de Dieu[84]. Notre bonne Mère d'Annecy[85] approuve tout cela, etc.

Lettre 2028 à Mère Angélique Arnauld

Annecy, 30 novembre 1637

[…]

Voilà, ma très chère et unique Mère, puisqu'il plaît ainsi à Dieu, ce que je vois sans le chercher. Je parle de Dieu, j'encourage aux occasions, j'en écris comme si je sentais et goûtais ce que je dis, et cependant c'est toujours avec dégoût et violence. Cela ne se peut dire comme l'on le sent. Ne dois-je pas laisser de continuer? Je vous prie, lisez l'épître 65e du livre IVe, elle me donne quelque petit soulagement, lumière que le Bienheureux m'entendait, car une peine si grande, me semblant que je ne me fais pas bien connaître, que si vous me dites que ce grand serviteur de Dieu, et vous, voyez et connaissez bien que c'est de ma souffrance et les horribles pensées d'infidélités et les insensibilités que je sens qui me causent, que cela me donnerait, ce me semble, grande force. Or, j'admire cette lettre du Bienheureux, car je n'ai nul souvenir d'avoir jamais eu semblable peine. Car, autrefois, c'étaient des tentations que j'avais contre quelque chose de la foi comme il se voit dans ses épîtres. Mais ce que je sens est tout différent aussi, et la lettre aux N. qui me fait croire que Dieu permit que j'eusse quelque courte atteinte de ce que je sens maintenant, pour faire écrire cela au Bienheureux, me souvenant bien du temps et que fut une grande angoisse,

 mais je ne me souviens de sa qualité.

Il a fallu que, pour cette fois, j'aie donné licence à mon coeur de vous dire tout ceci, qui est peut-être assez inutile: mais comme je sais et sens votre bonté de coeur pour moi, et que je n'ai plus aucune créature au monde à qui je puisse avoir cette pleine confiance, qu'à vous[86], je me soulage en vous disant tout ce qui me vient, et encore par le grand désir que j'ai de me faire connaître à vous et à ce digne serviteur de Dieu[87], afin que vous me secouriez de vos prières dans cet extrême besoin, et de vos conseils de tous deux, selon que vous jugerez expédient. Votre dernière lettre m'a beaucoup consolée.

Nos soeurs m'ont remis le fardeau de cette maison, j'ai acquiescé, après avoir fait mes remontrances. Dieu, par sa Bonté, me soit en aide! Notre pauvre Mère défunte nous a laissé de grandes affaires. C'était une âme généreuse, qui entreprenait beaucoup pour la gloire de Dieu. Je ne vois et ne trouve que croix. Mon unique Mère, secourez-moi et me faites secourir, en sorte que Dieu me tienne de sa sainte main et me conduise entièrement selon son bon plaisir, sans que j'y fasse aucune résistance. Je supplie sa bonté de parachever en vous l'oeuvre de sa grâce. Il sait combien véritablement je suis vôtre.

Voyez-vous, ma chère Mère, je n'ose relire cette lettre, non plus que les autres que je vous ai écrites sur ce sujet, crainte d'ouvrir la porte aux réflexions et regards sur ce qui se passe en mon intérieur, à cause que la vue me pénètre de douleur et me met au non plus; de sorte que je m'en abstiens tant que je puis, et non tant que je voudrais, à cause de l'activité de mon esprit. Quand je vous écris, c'est avec toute la sincérité que je puis, selon la vue présente, et comme j'eusse fait à notre Bienheureux Père; mais si après je voulais regarder, il me fournirait mille doutes. Je continue mes communions journalières, avec de grandes peines et tentations quelquefois, et tous les autres exercices; ne le dois-je pas faire? Notre Mère disait qu'oui.

Lettre 2040 à Mère Angélique Arnauld

[Annecy, décembre I637]

Ma très chère Mère, Cet divin Sauveur naissant soit les éternelles délices de nos coeurs, amen. J'ai reçu il y a quelque temps la vôtre du mois de novembre. Je crois que vous aurez aussi reçu celle que je vous écrivis environ ce temps-là où mon coeur vous témoignait la continuation des angoisses qui m'étaient pressantes alors. Mais il a plu à la divine Bonté me soulager un peu incontinent après par un plus sensible sentiment de la divine présence en la sainte oraison qui donnait de l'accoisement à l'esprit. Et depuis ce remède m'a été assez continuel, aussi il est l'unique qui me puisse soulager. Je ne suis pas si fidèle à me tenir là paisiblement que je devrais et désirerais, car même je souffre dans cet accoisement certaines peines et craintes que cela ne soit inutile, ce qui attire mon esprit très actif à réfléchir. Je le tiens ferme tant que je puis, mais non tant que je voudrais et qu'il me semble que Dieu le veut, étant attirée là il y a bien 30 ans où notre Bienheureux Pères m'a toujours confirmée. Ce qu'il a fallu qu'il ait fait souvent, car mon esprit actif voudrait toujours faire quelque chose.

Cependant, j'ai grande expérience et souvent une claire lumière que Dieu ne veut de moi que ce seul unique et très simple regard en Lui, mais sans aucun mélange d'aucun acte ni discours quelconques, sinon qu'il m'y excite, et la fidèle coopération aux occasions de faire le bien qui se présente en chaque moment et fuir le mal. Nonobstant cela, Dieu permet que je sois encore peinée en cela, mais, certes, cette peine m'est bien douce en comparaison de l'autre et l'âme s'en contenterait bien, si c'était le bon plaisir de Dieu. Car elle ne l'effraie pas ni ne donne les angoisses, parce qu’enfin elle trouve son Dieu. Pour l'ordinaire elle succède à ces grandes véhémences d'affliction après un peu de repos qui est fort court. Or, nonobstant ce peu de calme, la croix est toujours là, si je la voulais regarder elle ne me donnerait guère de trêve. Depuis ma dernière lettre, j'en ai eu de rudes atteintes et des pensées qui sont autant de dards qui me transpercent le coeur, et suis si fort liée quelquefois que je regarde cela, que je ne puis aller ni avant ni arrière. Je dis que je regarde courtement, car autrement j'accablerais sous le faix, car le sentiment même ne me fait pas tant de peine que la vue, d'autant que l'âme ne sait ce qu'elle fait, sinon tâcher d'avoir patience et se tenir paisible, tant qu'elle peut, en Dieu et en ce simple regard, sans rien voir ni sentir, bien souvent, que désolation et ténèbres.

Enfin, ma très chère Mère, il faut bien que la main de Dieu soutienne dans ces extrémités-là, quoiqu'on ne la sente pas et quelque soulagement que j'ai, je ne vois ni ne peux rien voir ni regarder des choses de Dieu ni en avoir goût, sinon quelquefois en certaines lectures, qu'il faut vite porter dans ce simple regard en Dieu, autrement les mauvaises pensées contre la très sainte foi viennent incontinent. Et semble que notre bon Dieu me veut faire voir par là qu'il me veut tout à fait anéantir en toutes autres choses et réduire mon esprit à cette très simple et unique attention, sans qu'il veuille qu'aucune chose se remue en mon esprit. Je vous prie, considérez ce que je vous dis, je pense que ce digne serviteur de Dieu6 et vous, m'entendez mieux que je ne puis expliquer. Je dis simplement les choses comme je les ai en vue, sans examen, et à tire-d'aile.

Nous avons une sœur céans qu'il y a bien 24 ans qui chemine dans une voie de si grand dénuement que jamais elle n'a ni lumières ni pensées sur aucun mystère ni sur choses quelconques, et, s'il lui en venait, elle dit qu'elle pense qu'elle s'en détournerait pour tenir, comme elle fait, son esprit très simplement arrêté en Dieu. Et est si fidèle en cet exercice qu'elle est toujours là, ou du moins, rarement et courtement est-elle distraite, que sitôt qu'elle s'en aperçoit elle se remet là. Jamais non plus, elle n'est portée à rien demander à Notre Seigneur, ni rien désirer ni s'unir ni faire aucun acte de quoi que ce soit, ni ne pense à en faire ni si elle en doit faire, seulement, elle se prosterne le matin comme pour faire un acte d'adoration que notre Bienheureux Père lui a dit de faire, avec quelque oraison jaculatoire, pendant les octaves des grands mystères. Elle le fait sans goût ni se divertir de sa simple attention et, de même, entend les sermons et ses lectures sans autre attention que de retenir quelque chose pour l'entretien d'après vêpres. Au bout, c'est une âme totalement fidèle à la suite du bien et exacte à la moindre plus petite observance. Feu notre bonne Mère supérieure me disait que Notre Seigneur faisait cheminer cette fille devant moi pour me donner lumière à ce qu'il m'attirait et voulait de moi. Certes, il m'a toujours été impossible d'avoir cette continuelle attention parmi les occupations, j'en ai de tant de sorte et si continuelles, que je ne puis m'empêcher d'y mettre mon attention; Notre Seigneur me laissant tout l'esprit fort libre pour m'y appliquer nonobstant toutes mes peines intérieures. Et vais toujours mon train pour l'extérieur, sans voir comment, pour ce qui est de mes exercices spirituels, mais je vous ai dit autrefois cela.

Je vous écris sans réflexion ce qui me vient et m'est avis que mon âme y désirerait quelque réponse. Si Dieu le suggère, j'en serais bien aise, sinon je n'y penserai pas.

Je vois, ma très chère Mère, que vous n'êtes pas sans croix. Il me semble que toutes sortes de peines n'égalent point la mienne. Dieu nous fasse la grâce de porter chacune les effets de son bon plaisir et selon sa sainte volonté. C'est tout mon désir et que vous priiez et fassiez toujours bien prier Dieu pour mes besoins, ressouvenez-en ce bon serviteur de Dieu.

Lettre 2166 à Mère Angélique Arnauld

Turin, 15 février 1639 Ma très chère Mère,

[…] Faites, je vous supplie, que ce vrai serviteur de Dieu[88] ne s'oublie point de moi en ses saints sacrifices et oraisons; j'en ai plus besoin que jamais, ma peine intérieure se rendant plus pressante et continuelle depuis quelques semaines et comme sans intervalle, plus serrée et impuissante, et les pensées plus fréquentes qui transpercent mon coeur: car, elles sont comme des dards poignants. J'en aime la douleur, puisqu'elle me sert de témoignage que je ne les veux pas, ne pouvant rien désirer, sinon cette incomparable grâce de ne point offenser mon Dieu, et de faire et souffrir ce qui lui plaira.

Je fais ce qui m'échet, et en la manière ordinaire, suivant l'observance, tant que je puis, avec l'aide de Dieu. J'ai pour l'ordinaire, quand je me puis retirer, ce soulagement d'accoiser mon esprit auprès de Dieu en cette simple vue, quand le sentiment m'en est donné, ou comme je puis, je me tiens là patiente et souffrante, sans rien faire ni dire, ne le pouvant, sinon rarement quelque parole d'union ou d'acquiescement, comme je puis, et quelquefois j'ai de la peine à cela par la crainte que ce n'est rien faire. Mais je la souffre et continue tant que je puis à me tenir ferme là. Il est impossible d'exprimer la qualité de ma souffrance. Mon esprit actif et toujours réfléchissant fait toujours quelque regard, et cela l'effraye. Quelquefois, la tête et le coeur sont si saisis que c'est chose étrange. Je tâche de souffrir tout comme je dis et de ne faire aucune réflexion volontaire. Il m'est avis que j'aurais quelquefois besoin que l'on m'entendit, pour m'encourager et soulager. Dieu ne le veut pas, ni moi aussi. Son saint nom soit béni! Ma chère Mère, je me soulage un peu en vous disant quelque chose de ma peine, et à ce vrai bon serviteur de Dieu que j'honore tant, me confiant que vous prierez bien tous deux pour moi, et me direz toujours quelque bonne parole.

Je recommande cette affaire au bon serviteur de Dieu afin que, si c'est un dessein de Dieu, qu'il réussisse à sa gloire. Je ne désire en toutes choses que la très sainte volonté de Dieu soit faite. Pourvu que je lui sois fidèle, toutes autres choses me sont moins que rien.  Dieu, qu'une âme est heureuse qui a la liberté de traiter avec Dieu et de se fortifier par lumières et sentiments contre les travaux et événements de cette misérable vie! Tout cela m'est ôté, et ne me reste que cette simple soumission auprès de Dieu, sans en pouvoir faire d'autre, ni la sentir, ni oser regarder si je suis aussi, sans m'exposer à être repoussée par une mauvaise pensée, ou serrure de coeur; ains faut simplement demeurer là, comme il plaît à Dieu. Son saint nom soit béni!

Lettre 2311 à Mère Marie-Aimée de Rabutin, à Thonon

[Annecy, mai 1640]

[…]

Pour Dieu, gardez-vous bien de vous exposer, si Dieu permettait qu'il arrivât du mal chez vous, sous quelque prétexte que ce soit, et au moindre soupçon séparez les filles et vous gardez de les soigner. M. Quétant et moi avons pensé que votre grange serait bien propre à cela. Faites bien tout ce que ce bon Père vous dira; et gardez surtout que vos gens qui sont autour ne fréquentent.

Jetez dans l'eau ce qu'ils vous donneront. Enfin, souvenez-vous bien comme nous faisions ici durant la peste, et faites le même si elle vous environne. Ayez force genièvre, et en faites brûler tous les matins chez vous; et vos soeurs feront bien d'en prendre quatre ou cinq grains tous les matins, et vous aussi, ma très-chère fille, que je conjure de toujours avoir son soin et affection filiale devant Dieu pour moi, à ce que sa Bonté me fasse la grâce que j'accomplisse parfaitement sa divine volonté. Je le supplie vous combler de son saint amour. Je suis vôtre sans réserve.

Lettre 2334 au commandeur de Sillery

[Annecy, août 1640]

[…] Enfin, il faut être aussi content d'être impuissant, oisif et immobile devant Dieu, sec et aride, quand Il le permet, qu'agissant et jouissant de Lui avec grande facilité et dévotion. Le tout consiste, pour notre union avec Dieu, d'aimer autant l'un que l'autre. […]

Lettre 2366 à Mère Marie-Aimée de Rabutin

Ma très chère fille,  [Annecy, 1640]

Selon que je connais l'ardeur de votre esprit, il me semble que vous souffrirez toujours beaucoup quand vous n'aurez pas facilité d'aller à Dieu; sa divine Bonté vous a voulu laisser à vous-même pour vous faire voir qu'est-ce que peut la chétive créature de soi; rien du tout certes. Et c'était dans cette impuissance que vous deviez demeurer patiente, paisible et souffrante, sans vous essayer de faire chose quelconque, sinon de dire de temps en temps de ces paroles que vous me marquez, mais sans effort, tout simplement, et vous contenter de demeurer en la vue de Dieu avec une grande révérence, sans vous essayer de le regarder ni d'aller à Lui, ni de faire chose quelconque. Vous ne fîtes pas bien de faire ces billets, mais il fallait demeurer soumise dans votre pauvreté au bien. Vous serez une autre fois plus sage. Mais j'ai peine à supporter ces réflexions que sont vos lâchetés, infidélités et négligences, car, par la divine grâce, selon que je vous connais, vous n'êtes nullement entachée de ces défauts. Cette solitude vous sera plus utile que si vous y fussiez fondue en douceur; Dieu le vous fera voir un jour, s'il lui plaît! Je le bénis et remercie des grâces qu'Il fait à vos soeurs; faites qu'elles prient bien pour mes besoins, surtout notre soeur F. M.

Je commence à répondre à votre mémoire en l'état de votre solitude. Je vous l'ai déjà dit, il ne fallait point s'essayer à faire ce regard, vous n'en étiez en pouvoir; mais demeurer sans vous mouvoir à quoi que ce soit avec résignation, sans acte actuel. Tous ces actes que vous marquez de se laisser soumettre, quand [l'âme] a liberté de les faire, dans cette très simple simplicité, il la faut laisser faire; mais vous n'aviez pas ce pouvoir et partant il ne s'en fallait pas efforcer. Quand l'on a le simple regard libre, il comprend tout et en un degré d'unité qui surpasse tout, bien que l'on y puisse dire des paroles lorsqu'elles sont excitées par l'attrait divin; mais non pas nous, car ce ne serait que pure recherche de satisfactions humaines. Il faut recevoir tout ce que Dieu donne, soit les bonnes pensées, lumières, mouvements, paroles et semblables traits qui passent dans un coeur que Dieu bénit et possède, mais s'ils arrivent en cette vue et simple regard en Dieu, il ne faut pas quitter cette attention pour courir, ou se complaire et amuser à cela, car ce serait quitter le principal pour l'accessoire. Ces choses demeurent comme il plaît à Celui qui les donne et se passent de même. Enfin il faut suivre les attraits et excitations que Dieu fait à l'âme. Demeurez tout en Dieu qui soit béni. Ma fille, je suis toute vôtre de coeur.

Lettre 2376 à Mère Marie-Aimée de Rabutin, à Thonon

[Annecy, 10 janvier 1641], Ma chère fille,

Je vois que votre chère âme est toujours dans ses vicissitudes de consolations et bonnes lumières et aussi de délaissements, ténèbres et sécheresses; toutes les bonnes âmes passent par là. Je vois que la vôtre a toujours un peu de peine quand elle est réduite aux impuissances, par la crainte que vous avez que cela ne vous arrive par votre faute et d'offenser Dieu par vos lâchetés et infidélités. Hélas! où en serions-nous si les ténèbres et impuissances nous rendaient coupables devant Dieu! Au contraire, sa divine Bonté nous les donne pour nous purifier, et faire mériter par cette souffrance portée doucement et humblement; car qui ne sait que les goûts, les lumières et agilités spirituelles ne sont pas en notre pouvoir, et que nous n'y avons rien que le seul acte de la volonté? De quoi donc nous tourmenter quand nous ne pouvons ceci et cela? Mais je vois que N. S. ne vous laisse pas de fort loin, et que dedans vos sécheresses Il vous donne toujours de quoi passer chemin: que cela vous suffise et ne vous regardez point tant. Vous voyez trop ce qui se passe en vous: vous devriez recevoir le bien et le mal, la consolation et la désolation également, sans y vouloir prendre garde, mais tenir votre esprit simplement attentif à Dieu, sans vous amuser à ce qui se passe, en sorte que vous ne voyiez ni sachiez dire ce que c'est. Tâchez, autant qu'il vous sera possible, de faire cela, et de ne point laisser entrer ces craintes du péché si avant dans votre coeur. Il le faut éviter fidèlement quand on le voit; hors de là n'y point penser.

Je vois bien que vous ne faites pas tout ce que vous voulez de votre esprit; mais c'est aussi une peine qu'il faut souffrir sans s'y amuser, tâchant toutefois de l'accoiser doucement et lui retrancher toute réflexion volontaire. Priez Dieu que je fasse bien ce que je vous dis. Sa Bonté vous bénisse et soit bénie!

Lettre 2391 à Mère Marie-Aimée de Rabutin, à Thonon

[Annecy], 28 février [1641] `

[…] Votre cher coeur va bien: plus il anéantira toutes ses vues et inclinations en ce simple regard d'unité, mieux il fera ce que Dieu requiert de vous. Alentissez, tant qu'il vous sera possible, ces ardeurs de faire et souffrir, réduisez tout à la douceur et à bien employer les occasions que Dieu vous présente en chaque moment, ne permettant à votre esprit de regarder plus loin, tant qu'il se pourra. […]

Lettre 2437 à  Mère Françoise-Angélique Garin, à Arles

[Annecy, mai-juin 1641]

…la sainte oraison où nous devons être comme des vaisseaux vides de nous-mêmes pour recevoir fort simplement ce qu'il plaît à la sacrée dilection du Sauveur d'y verser; et demeurer de même lorsqu'il lui plaît de n'y rien mettre, également contentes des effets de son bon plaisir qui doit être notre unique prétention et souverain contentement. […]

Lettre 2454 à Mère Anne-Marguerite Guérin, à Paris II

[Annecy], 24 juin [1641]

Ma très chère fille, vivez au-dessus de vous-même et tout en Dieu, que je supplie être votre force, votre joyeuse consolation. […]

Lettre 2518 à Soeur Françoise-Madeleine de Chaugy, à Annecy

[Moulins, début décembre 1641]

[…] Cela veut dire qu'il ne faut faire aucune réflexion sur ce qui se passe en vous, pour voir ou connaître ce que c'est. Soyez, mon cher enfant, comme un vaisseau vide devant sa divine Bonté, pour recevoir ce qu'il lui plaira de vous donner, et ne permettez jamais à votre esprit aucun retour ni réflexion sur vous-même, ni sur ce qui se passe en vous. […]

Lettre 2545 à Mère Marie-Hélène de Chastellux

Ma très chère fille, Demeurez inviolablement fidèle en cette pratique de n'arrêter jamais votre esprit volontairement hors de Dieu sous quelque prétexte que ce soit, surtout pour vous regarder vous-même. Bref, ne bougez de là, tenant votre esprit humblement abaissé devant sa divine bonté, gardez-vous de résister en aucune manière au dénuement qu'il lui plaira faire en vous de quoi que ce soit, bien qu'il vous semble qu'être destituée des choses plus nécessaires à notre avancement importe. Dieu nous doit suffire pour toutes choses, pour toute...[89] et n'ayez à faire que de lui et non de ses dons, au dépouillement desquels vous devez acquiescer très simplement. Vous devez tenir votre esprit au-dessus de tout ce qui n'est point Dieu, de tout don et grâce et de la privation de toute grâce, ... et ne sauriez passer outre. Mais Dieu vous veut, courez-y donc avec fidélité et gaiement, et priez pour celle qu'il vous a donnée. Il soit béni éternellement. Amen.

Lettre 2560 (destinataire inconnu)

[…] Or premièrement, il se faut bien garder de permettre à votre esprit de se regarder en ses actions, ni de s'arrêter en façon quelconque autour de soi-même ni pour examiner son bien ni son mal, mais le lever promptement de ce dernier quand vous l'apercevrez avec grande douceur et le laisser jouir avec simplicité du bien et des consolations et lumières que Dieu lui donnera sans philosopher d'où elles procèdent, mais en rendre les Actions de grâces et les fruits qu'en prétend Celui qui les donne. […]

Lettre 2565 à la Mère de Blonay ( ?)

Ma très chère et vraie fille, Vos lettres me consolent toujours grandement quand vous me parlez de votre chère âme, laquelle, pour dire la vérité, j'aime au-dessus de toute comparaison. Tenez-la bien toujours en cette nudité et simplicité; il n'y a rien au delà qui soit agréable à notre divin Sauveur. "Aime et fais tout ce que tu voudras", dit saint Augustin. Aimons donc bien Notre-Seigneur et notre prochain pour l'amour de Lui. Faisons-lui ce que nous voudrions qu'il nous fît: toute la perfection est là. […]

Lettre 2601

[…] Il vous laisse un peu à sec et sans lumière ni consolation; ce n'est que pour vous faire cheminer dans la foi nue et simple, et vous apprendre que la vraie paix de l'âme se doit conserver en cet état, comme dans les consolations. Pour Dieu, ne regardez point ce qui se passe en vous, mais Dieu très simplement, comme vous pourrez, tenant votre coeur tranquille et paisible dans son travail, sans le surcharger de la recherche de vos infidélités et aveuglements. Je vois que Dieu vous comble de grâces, de lumières, de bons désirs et sentiments, et que vos abandonnements et aveuglements sont accompagnés de grâces et lumières précieuses; et de tout cela vous n'en tirez qu'un tourment pour vous. Certes, vous vous consumez et n'y a moyen que vous ne brûliez tout votre sang, et que bientôt vous ne tombiez en quelque grand accident. Hé! pour Dieu, laissez le soin de votre perfection à Notre Seigneur; faites gaiement et de bon coeur ce que vous pourrez. Humiliez-vous de vos manquements, mais joyeusement et courtement, et allez grosso modo à la bonne foi, sans tant pontiller autour de vous-même. […]   

Lettre 2602

Vous m'avez donné un bon sujet de confusion de m'avoir demandé mon oraison. Hélas! ma fille, ce n'est que distraction et un peu de souffrance pour l'ordinaire; car que peut faire un pauvre chétif esprit rempli de mille sortes d'affaires, que cela? Et je vous dis confidemment et simplement que, il y a environ vingt ans, Dieu m'ôta tout pouvoir de rien faire à l'oraison avec l'entendement et la considération ou méditation, et que tout mon faire est de souffrir et d'arrêter très simplement mon esprit en Dieu, adhérant à son opération par une entière remise, sans en faire les actes, sinon que j'y sois excitée par son mouvement, attendant là ce qu'il plaît à sa Bonté de me donner. Voilà comme je satisfais à votre désir, mais à vous seule ces trois dernières lignes; quand nous nous verrons, nous dirons le reste, si Dieu le veut. […]

Lettre 2615

[…] Nue et sans vertu je suis venue au monde, et sans vertu quelconque je me remets, mon Dieu, en vos mains. Dites cela, ma fille…

…et soyez joyeuse de n’être pas joyeuse. […]

Lettre 2654

Ma très chère fille,

Quand Dieu parle à nos coeurs, il nous doit suffire, les créatures se doivent taire. Je n'ai donc rien à vous dire…

Lettre 2661

Vraiment, il faut que je vous dise la vérité, ma très chère fille. Je suis grandement touchée de vous voir toujours marcher avec cet ennui et abattement d'esprit. Mon Dieu, ma fille, sauriez-vous point faire cet entier et irrévocable délaissement de vous-même entre les mains de Dieu? vous dépouillant de tout soin de vous et du désir des vertus, n'en voulant en façon quelconque qu'à mesure qu'Il les vous donnera, et ne voulant avoir aucun souci de les acquérir, sinon mesure que sa Bonté vous emploiera à les pratiquer, à laquelle il faut être fidèle quand l'occasion s'en présente. Nue e sans vertu je suis venue au monde, nue, et sans vertu quelconque je me remets, ô mon Dieu, entre vos mains. Dites cela ma fille, et quand vous verrez que votre esprit se voudra re vêtir de ce qu'il s'est dépouillé, ne faites autre chose que de le retourner simplement à son Dieu, ne voulant que lui seul e l'accomplissement de son bon plaisir. Et demeurez ainsi, entre les bras de sa divine Providence et volonté comme un petit enfant, lui laissant sans réserve le soin de tout ce qui vous regarde, ne réservant que celui de l'entière et ferme résolution de ne l'offenser jamais à votre escient, et de vouloir être toute sienne. Et vivez joyeuse avec cela, car cet ennui d'esprit ne procède que de ce que vous n'avez pas la perfection que vous désireriez. Or, il vous faut contenter de celle que Notre Seigneur veut que vous ayez, étant la vraie perfection que cette entière résignation et ce repos de l'esprit. […]

Lettre 2692

[…] Demeurez ferme dans ce très saint abandonnement et confiance en Dieu, allez droitement et purement en sa sainte présence dans l'exacte observance de nos saintes institutions. Si vous faites cela, Dieu fera par vous toute la besogne qu'Il vous commet. Tenez votre esprit ferme dans la sainte bassesse. […]

Lettre 2695

Ma très chère fille,

[…] Je pense donc que vous êtes attirée de traiter avec une grande simplicité avec N. S., parlez-moi des lumières qu'il répand dans la pointe de votre esprit tendantes à l'union — ou plutôt unité — de votre esprit avec Lui par un entier délaissement de vous-même à la conduite de sa sainte Providence. Et bien que ces lumières soient minces, si laissent-elles une grande assurance et confiance à l'âme. Voilà ma pensée, ma très chère fille, si elle est conforme à ce que vous sentez, je vous dis qu'une âme qui est conduite de cette sorte ne doit jamais s'essayer de rien faire sinon à mesure qu'elle s'y sent excitée intérieurement par Notre Seigneur, mais doit demeurer dans cet abandonnement total de soi-même entre les mains de Dieu pour laisser faire d'elle tout ce qu'il lui plaira, et en cela même il ne faut point faire d'actes si l'on n'y est excité. Mais cette union intérieure du coeur avec Dieu doit produire une générale et fidèle obéissance à toutes ses volontés signifiées. Et, partant, ma chère fille, puisque cette même volonté vous a chargée du soin des novices, vous les devez conduire si allégrement, soigneusement et avec tant de suavité, que vous les animiez non seulement par l'odeur de votre bon exemple, mais aussi par les affections que vous sentez à la poursuite du vrai bien dans une exacte observance, n'épargnant en façon quelconque les paroles requises pour cela, ce que je dis parce que je sais que les âmes attirées à cette sainte union ont peine à parler. Mais elles doivent préférer la volonté de Dieu à la consolation et inclination qu'elles ont à jouir de sa douce présence.

Peut-être que ce qui vous empêche de connaître vos défauts c'est l'attention que vous avez à Dieu. Ma chère fille, l'on a coutume de voir plus clairement les atomes à la lueur du soleil que quand le temps est obscur, c'est pourquoi je m'étonne que vous n'ayez pas la lumière pour les connaître. Mais si cela est, votre bonne Mère vous peut beaucoup aider à vous les faire remarquer. Que si ni l'une ni l'autre n'en avez pas la connaissance, humiliez-vous grandement devant Dieu pour cette ignorance et confessez que vous ne laissez pas d'en faire plusieurs, ayant un grand soin de vous tenir sur vos gardes afin de ne rien faire qui déplaise à Dieu.

Quant à votre oraison, ma très chère fille, pour Dieu, cheminez-y avec très grande simplicité, vous mettant devant Dieu doucement par un acte de foi si vous n'avez le sentiment de sa présence, puis suivez son attrait comme je vous ai tant de fois dit. Que si vous n'avez aucune occupation intérieure, demeurez en révérence devant Dieu et de fois à autre dites-lui des paroles selon votre besoin. Le grand secret pour l'oraison est la pureté de coeur, et suivre simplement l'attrait. J'ai repensé à ce que vous me dites de votre oraison. Je pense que vous y voulez faire trop de choses et c'est ce que Dieu ne veut pas, il suffit de faire demeurer l'âme en paix, en repos et simplicité auprès de Dieu, lui disant de temps en temps quelque courte parole fort doucement lorsqu'elle n'est pas attirée, mais quand elle le sera qu'elle suive le mouvement de la grâce sans effort ni empressement, et je crois que Dieu ne veut que cela de vous.

Lettre 2705

Ma très chère fille, J'ai lu votre lettre avec grande consolation. Quand Dieu daigne parler à une âme, il faut que toute créature cesse: je vois cette grâce en vous par la divine miséricorde. Ce que vous avez à faire, c'est que tout cesse en vous par cette unique pratique de regarder Dieu et le laisser agir en vous selon son bon plaisir. Qu'Il vous donne du doux ou de l'amer, de la satisfaction ou de l'insatisfaction, il vous soit tout un: amusez-vous aussi peu à l'un qu'à l'autre. Mais arrêtez-vous à Lui seul, suivant fidèlement et simplement les lumières du bien qu'Il vous montrera dans chaque occasion; laissez-le faire, et vous verrez comme Il vous dépouillera, sans vous en laisser autre soin que celui de la correspondance. Sa divine Bonté vous maintienne en ce train jusqu'à l'extrême perfection de son saint amour. Je vous prie, tenez votre esprit en joie et en courage, et vous verrez combien Dieu est doux. […]

Lettre 2715

Ma très chère fille, Je me ressouviens toujours avec quelle entière sincérité vous vous rendîtes nia vraie fille d'entière confiance: Dieu le voulant ainsi pour notre commune consolation et utilité. Je ne puis jamais douter de votre persévérance en cela, non plus que vous ne devez douter de la mienne; car mon coeur est invariable en l'amour qu'il a pour le vôtre, duquel je connais très distinctement la voie où Dieu l'a mis dès le commencement. Elle est si solide, et tellement de Dieu, que jamais il ne faut recevoir aucun avis contraire; et vous faites bien de n'en guère parler. Fort peu de personnes sont capables de bien conseiller une âme que Dieu conduit par cette voie extraordinaire. Quelquefois même des bons serviteurs de Dieu en détournent, n'ayant pas reçu l'intelligence du ciel pour telle conduite; et aussi parce qu'on craint que les âmes se trompent dans ce chemin si peu connu aux hommes. Or, dans l'expérience intime que vous avez de la bonté de cette voie, et sur ce que l'on vous en dit, tenez-vous ferme. Enfin, les fruits qu'elle vous rend sont bons: la paix, la confiance en Dieu, l'entière soumission, le détachement de toutes choses, l'exacte observance, la fuite du péché, l'amour à la mortification et à l'humiliation; tout cela s'est trouvé dans votre chère âme, pour preuve assurée de la bonté de votre chemin. […]

Lettre 2733

Ma fille très chère, Il faut abaisser, voire couper et trancher les ailes de ce petit papillon qui veut se fourrer trop en avant dans la lumière, autrement il s'y perdrait. Donc, ma fille, sitôt que vous apercevrez votre esprit qui s'élèvera, renversez-le au pied de la croix, par un profond, mais doux abaissement de vous-même, vous tenant toute confuse et honteuse. Si vous faites cela, vous en viendrez à bout. […]

Lettre 2774

Oui, ma très chère fille, j'espère que sa Bonté nous fera la grâce de nous voir dans la bienheureuse éternité et que là nous le louerons ensemble à jamais. […]

Non. ma très chère fille, ne désirez rien, car les désirs sont les bourreaux de notre âme, et ne refusez rien de tout ce que l'on voudra de vous…

 

[2855 lettres au total]

 



 

Quelques archives et imprimés préservés à la Visitation d’Annecy

La documentation décrite infra provient des archives préservées à la Visitation d’Annecy. Elle a été constituée grâce à l’accueil du vendredi 2 octobre 2009 - confiance à laquelle nous avons été très sensible. Ses photographies sont réparties en une arborescence dont nous indiquons ci-dessous les titres de sous-répertoires, complétés par des ‘signatures’ permettant d’identifier les sources. Certaines entrées resteraient à compléter dans le cadre de travaux à venir.

 

/MANUSCRITS Annecy

//J de Ch 4 autographes (chx) : ‘Autographes de Ste J.F. de Chantal’, série D : ‘papiers intimes, documents historiques, ébauches du Coutumier : aperçu par quelques photos : 1 à 16.

//J de Ch 5 chapitres tenus en divers temps (complet) : Œuvres D n°2, « …de Nice »  : « Table des chapitres… » suivie de « Les chapitres tenus en divers temps … premièrement pour les solitudes… », 1 à 191 suivi de « Mes Cheres Sœurs je vous demande très humblement pardon de la mauvaise edifications que je vous donne, par mon peut de fidelité a remplir mon devoir… » : photos doubles pages1 à 102, ms. très lisible.

//J de Ch 6 chapitres tenus par notre digne mère (complet) : Œuvres D n°2, relié peau, 15 : « Chapitres tenus par notre digne Mère sur l’explication de la règle et plusieur entretiens qu’elle a fait. Premièrement avant toutes choses… » : photos d.p. 1 à 141, ms. très lisible.

//J de Ch 7 déposition procès François (Meaux, complet) : cartonné bleu, « Teneur de la déposition de la ven Mere Jeanne Farnçoise Fremiot de Chantal, première religieuse, première supérieure et fondatreice… », photos 1-84, ms. très lisible.

//J de Ch 8 original des réponses (complet) : cartonné blanc, titré en tranche, «  cet original des responses … corrigée de sa propre main a esté produict dans les procès juridiques… » « Recoeil de ce que notre très (unique et add.) chère Mère nous a dit aux récréations en ce monastère d’annessy… » : photos 1 à 126, assez lisible malgré des ratures.

//J de Ch 9 recueil des bonnes choses (ms de Verceil complet) : cartonné blanc D n°6, photos d.p. 1 à 61, 1 à 111 simple p. éclairci redressé : source de notre transcription. « Comme il faut faire … je vous les souhaite ; Amen. » Suivi d’une autre main : lettre de 1834 reprise en petits caractères dans notre édition.

//J  de Ch 10 recueil des chapitres (complet) : « cartonné gris, titre collé en couverture « Receüil des chapitres que notre B mère a tenus à nos chères sœurs d’annecy et qui nous a esté cordialement communiqué par notre très h. sœur la sup. de Dijon cette années 1734 », Œuvres D n°1, page 1 : « Chapitre… Vous voyez mes sœurs… » annotation crayon avec renvoi au tome II de l’édition 1876 ; table en fin : « Ch. sur le premier de la reigle … Ch. du dernier samedy de l’année. »: photos d.p. 1 à 43.

//J de Ch 11 recueil des chapitres de notre digne mère (complet) : relié peau blanc, Œuvres D 101  Visitation de Meaux « Recueil … pour le premier dimanche de l’avent … » avec table des chapitres suivis de conférences écriture pas très ancienne, photos d.p.1 à 85

//J de Ch 12 recueil des principales choses (1-264 incomplet) : cartonné rose tranche « 5 », collé : « n°13 /(c) /Recueil des principales choses que N. Ste Mère a dites dans des Entretiens, Chapitres, etc. / très précieux », D n°5 « Recueil… Un jour revenant de la seconde table… avec étiquette collée « 7 » correspondante aux numéros de l’édition (et de même « 38 » pages 7 etc. : photos d.p. 1-à 133 (malheureusement reste donc à compléter la saisie de ce ‘très précieux’ ms.) + table (complète elle couvre 46 pièces dont la dernière indiquée page 451).

//J de Ch 13 répertoire mss Visitation Annecy : ordex : Autographes A puis D : photos 1 à 11 (incomplet)

 

/RESPONSES… éd.1631 1-709 table

Livre complet : photos doubles pages 1 à 365 « Responses …sur les Regles, Constitutions, & Coustumier… à Paris 1682 (imprimé 1-709 + table ms.)

/EPISTRES (1644)(début, demandes 686 , 904)

Livre dont la saisie est très incomplète (il existe un ex. à Solesmes réf. MTc 24 : 2 / 2) : photos d.p. 1 à18.

/d’autres entrées dans notre base incluent divers ouvrages :

Histoire de la Galerie par Burns, photos du musée du couvent, de la session 2009 avec le P. de Longchamp ; Ravier Sainte Jeanne de Chantal 1984 ; Bremond Jeanne de Chantal, 1912 ; Chaugy, Vie de J de Ch et 7 religieuses […]

On trouvera de nombreuses sources imprimées disponibles sur le web (édition de 1875, œuvres de François de Sales dont sa correspondance, etc.)

 



 

 


 

Collection « Chemins mystiques »

 

 

Séries d’auteurs

 

Commande en impression chez lulu.com

Livraison à tarif postal à partir d’un exemplaire.

 

Série « Constantin de Barbanson » :

Constantin de Barbanson, I, Les Secrets sentiers de l’Esprit divin, manuscrit précédant les Secrets sentier de l’Amour divin, Introduction et annotations par Dominique Tronc, 2014, 364 pages.

Constantin de Barbanson, II, Les Secrets sentiers de l’Amour divin, Ouvrage publié à Douai en 1629, Œuvres mystiques annotée par Dominique Tronc, 2015, 350 pages.

Constantin de Barbanson, [III & IV] Anatomie de l’âme, Première partie comportant vingt-deux chapitres, Depuis le commencement de la vie spirituelle, jusqu'à l'état expérimental de la grâce supernaturelle. Deuxième partie, Il y a encore une seconde Anatomie à passer selon l'être de la déiformité, après la mort de la propriété. Oeuvres mystique annotée par Dominique Tronc, 2015, 407 pages.

Constantin de Barbanson, V, Anatomie de l’âme, Troisième partie comportant quatre Traités, Comment l’âme qui est parvenue à l’état de la perfection se doit comporter pour faire progrès, Présentation et notes par Dominique Tronc, 2014, 346 pages.

 

Série « Madame Guyon » :

Madame Guyon, Explications de l’Écriture sainte, un choix présenté et annoté par Dominique Tronc, 2014, 300 pages.

La Direction de Fénelon par Madame Guyon, Correspondance présentée et éditée par Murielle et Dominique Tronc, 2015, 504 pages.

Madame Guyon, De la vie intérieure, Discours chrétiens et spirituels sur divers sujets qui regardent la vie intérieure, présentés par Dominique et Murielle Tronc, 2014, 642 pages.

Madame Guyon, Explications du Nouveau Testament, choix présenté par Dominique Tronc, 2014, 392 pages.

Madame Guyon, [95] Lettres de direction publiées au Siècle des Lumières, un choix présenté et annoté par Dominique Tronc, 2015, 266 pages.

 

 

 

 

 

Série « Madame de Chantal » :

Jeanne de Chantal, Écrits mystiques relevés dans l’édition de 1875 par Dominique Tronc, 2015, 694 pages.

Jeanne de Chantal, Recueil des bonnes choses & Lettres, Les Entretiens du manuscrit de Turin-Verceil suivis d’extraits de correspondances, Recueil transcrit par Béatrice Bernard et extraits de la Correspondance choisis par Dominique Tronc, 2015, 236 pages.

 

 

www.cheminsmystiques.com

présente cette collection ainsi que des ouvrages publiés chez Honoré Champion, au Centre Jean-de-la-Croix, chez  Arfuyen, chez Parole et Silence.


 


 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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[1] Œuvres complètes, Migne, 3 tomes, 1862 ; Sainte Jeanne-Françoise Frémyot de Chantal, sa vie et ses œuvres Œuvres diverses , Paris, Plon, huit tomes [ le tome I contient le Mémoire  de la mère de Chaugy sur la vie de la fondatrice ; les tomes II de 1875 et III livrent papiers et ‘dits’ de la Mère de Chantal ; les tomes suivants IV à VIII sont rendus caducs par : Jeanne–Françoise Frémyot de Chantal, Correspondance, édition critique établie et annotée par sœur Marie-Patricia Burns, Cerf, six tomes (t. I, 1986)].

 Nous venons de  rééditer pour ouvrir la série « Jeanne de Chantal » une moitié du contenu des tomes II de 1875 & III, car ils conservent un grand intérêt malgré leur caractère d’édition ‘contaminée’ sans renvois vers les sources : Jeanne de Chantal, Écrits mystiques relevés dans l’édition de 1875 par Dominique Tronc, 2014.

 

[2] Voir en fin du présent volume : « Quelques archives et imprimés préservés à la Visitation d’Annecy ».

[3] Saint François de Sales et sainte Jeanne de Chantal, Une extraordinaire amitié, Correspondance, recueillie et mise en orthographe actuelle par les soins des religieuses de la Visitation d’Annecy, Annecy, 2010. Introduction par Max Huot de Longchamp, IX-XXXVII. L’ouvrage comporte 467 lettres de François (dont 13 pièces) pour 51 lettres de Jeanne, 1-646. 

[4] Nous reprenons la présentation de Jeanne de Chantal comme figure des Expériences mystiques en Occident  II. L’invasion mystique en France des Ordres anciens, Éditions Les Deux Océans, 2012.

[5] Mémoire qu’elle adressa à dom Jean de Saint-François concernant sa vocation (Annecy, 26 décembre 1623) : reproduit dans Jeanne de Chantal, Choix d’écrits… , op.cit.., « Lettre … au Révérend Père dom Jean de Saint-François ». [II, 248 sq. de l’édition 1875-1876]

[6] Jeanne–Françoise Frémyot de Chantal, Correspondance, édition critique établie et annotée par sœur Marie-Patricia Burns, op.cit.

[7] Bremond l’estimait plus avancée que François, ce qui valut à sa Sainte Chantal (Paris, 1912) d’être mise à l’Index.

[8] La source essentielle de toutes les biographies est le Memoire très fidelle pour la vie… de Françoise-Madeleine de Chaugy qui avait été communiqué aux premiers biographes, Fichet (1643, …) et Henri de Maupas (1644, …) (DS 8.868) ; Sainte Jeanne-Françoise Frémyot de Chantal…, op. cit., I.

[9] Elle demanda en effet que l’on mette sur elle dans son cercueil, les papiers de ses vœux de chasteté, d’obéissance et de pauvreté, propres à la vie religieuse, écrits par François de Sales et par elle, ce dernier signé de son sang. (Sainte Jeanne-Françoise Frémyot de Chantal…, op. cit.,  II, 49).

[10] Cantique, 3, 6.

[11] Madame Guyon, Vie par elle-même, 1. 4. 8.

[12] Nous donnons les numéros de lettres [L.] de la Correspondance, op. cit., 1996, ou bien des extraits de ses Oeuvres, op. cit., 1875 : [numéro du tome, page].

[13] Passer par l’étamine, être soumis à des épreuves (Littré).

[14] E. Lecouturier, Françoise-Madeleine de Chaugy et la tradition salésienne au XVIIe siècle, Paris, 1933.

[15] DS 16.1002/10, (art. « Visitandines » par sœur Burns, l’éditrice de la Correspondance que nous citons).

[16] Coutumier, Annecy, 1850, 120 [l’édition s’avère très exacte comparée à ses sources, à la différence des Œuvres éditées en 1875 et destinées à un public élargi].

[17] Boudon, Œuvres, Migne, I, « Le Règne de Dieu en l’oraison mentale », 607 ; ce beau passage est reproduit également dans la note 4 attachée par soeur Burns à la lettre n°1858.

[18] Réponses de notre sainte mère Jeanne-Françoise Frémiot, baronne de Chantal… sur les Règles, Constitutions et Courtumier de l’Institut,  Annecy, 1849 [comme précédemment,  l’édition s’avère très exacte].

[19] La fondation de la Congrégation est associée à François de Sales par la Mère de Chantal.

[20] Comment (dans cette note et dans celles qui suivent nous donnons les variantes de l’édition 1875, tome II, pp. 215 sq.)

[21] Nous glorifier et estimer <omisssion> ? Non, véritablement !... Ma fille, qu’étiez-vous il y a (nous encadrons les variantes par le mot qui précède et celui qui suit : Nous variantes il y a).  

[22] le rien. Dans l’exercice des vertus chrétiennes, nous (addition).

[23] pieds

[24] l’Apôtre qui le dit. David (omission longue et significative de l’esprit ascétique dominant de la fin du XIXe siècle).

[25] celle d’aimer

[26] présentera

[27] Bien surnaturel et (omission)

[28] Faire ! voilà ma pauvreté et misère ! voilà ce que je suis : un néant ! une faible et infirme créature ! Je ne dois pas attendre aucune chose de moi, qu’infirmités, imperfections et défauts…. Enfin (ajouts de points d’exclamation et de suspension, infirmité au pluriel).

[29] la maxime

[30] c’est faute

[31] faciles. / Le second moyen de réformation est de s’exercer

[32] Thèrèse. J’approuve (omission)

[33] Une base bien assurée

[34] Ces grâces d’oraison. (ajout).

[35] nous

[36] notre

[37] Dieu parce que nous y avons de la difficulté ; non (ajout).

[38] Comme il en offrait un, des oiseaux de proie s’abattirent sur les chairs des victimes ; voyant  -  Cette variante laisse ouverte la possibilité d’un recours à une source parallèle au manuscrit de Turin-Verceil : car rien ne prouve l’emploi de ce dernier pour ce premier Entretien, même si l’éditeur nous a informés dans sa Préface que ce manuscrit est « beau­coup plus correct et complet que tous ceux qui circulent aujourd'hui dans les monastères ». Quoi qu’il en soit, ce début de  mise en évidence de variantes sensibles - il ne serait pas très utile de le poursuivre longtemps - souligne l’influence propre à l’esprit « ascétisant » au XIXe siècle et prouve l’utilité d’établir une édition critique qui porterait sur l’ensemble des Entretiens (soit un peu plus du double de l’édition présente de Turin-Verceil).

[39] Cela dura tout au long du sacrifice. Si, à la fin, Abraham se fût plaint à Dieu en lui disant : « O Seigneur! quel pauvre sacrifice vous ai-je offert, lequel a été au milieu des distractions [219] causées par les oiseaux de proie », assurément, le Seigneur lui aurait répondu que son oblation n'avait pas cessé de lui être agréable, parce que tout cela était arrivé contre son gré, et qu'il avait fait tout ce qui était en son pouvoir pour les chasser; ce qui était vrai. Ainsi, mes chères filles, quand nous sommes en l’oraison

[40] Mouches importunes, si

[41] douter. / C’est

[42] lorsque nous sommes (et dans la suite : vous en nous, votre en notre).

[43] lui représenter 

[44] Ici l’édition 1875 ajoute : « Vous demandez maintenant, qu'est-ce que le dénuement intérieur? Ma chère fille, on n'en saurait bonnement parler, au [220] moins on ne l'entend guère, si Dieu n'illumine l'âme; car il faut qu'il mette une certaine petite chandelle au fond du cœur, pour lui faire voir ce de quoi il faut qu'elle se dépouille. Or, il y a mille et mille choses dont on se doit dénuer : de son propre intérêt, satisfaction, des consolations et sentiments de Dieu, de sa propre estime et de son choix ; certes, celles qui sont conduites dans ces voies vont perpétuellement retranchant leur choix en toutes choses généralement, et Notre-Seigneur les tient en ce continuel exercice; et lui-même les va dénuant, et prend plaisir de les voir dans cette nudité et impuissance, trop délicates pour en pouvoir discourir. » Puis 1875 intercale un Entretien omis dans notre manuscrit, avant de retrouver notre Entretien 2 (noté 3).

[45] Comment

[46] ceux avec qui elles conversent – (dorénavant nous omettons des variantes qui n’affectent que la forme).

[47] est celle de

[48] vous vous lassiez

[49] trouve jamais mieux

[50] La sœur assistante

[51] rendre [en l’absence de la supérieure] les mêmes honneurs et obéissances qu’à la supérieure même

[52] ce qu’il faut qu’elles

[53] aides. 

[54] entr’aimez-vous – On constante une grande fidélité sur la transcription 1875 de cet Entretien qui a donc bien pris pour source notre manuscrit.

 

[55] L’édition de 1875 omet toute la page 48, « Ce bon père… cela est certain mes Sœurs. »

[56] Coutume pour les religieux des anciens ordres de mettre la tête en terre lorsque les supérieurs s'humilient.

[57] Texte corrompu : « …plusieurs jours durant, 3. tous les jours elle dînait, à la 2 table fesait… »

[58] Erreur dans la pagination (note sur paperolle).

[59] Le 6 juin 1611, jour où Jeanne de Chantal fit son oblation avec ses deux premières compagnes, Marie-Jacqueline Favre et Jeanne-Charlotte de Bréchard.

[60] Quoique Migne et Plon aient daté cette lettre de 1611, nous préfé­rons élargir la fourchette jusqu'en 1614. La lettre pourrait être centonnée; il semblerait que les "fâcheuses affaires" soient les difficultés rencontrées lors de la construction de l'église, en 1614. Pourtant la précision "il y a aujour­d'hui sept ans" semble indiquer 1611. (cf. note suivante).

[61] Le 25 août 1604, lors du pèlerinage de Saint-Claude, François de Sales avait accepté la direction spirituelle de la baronne de Chantal; celle-ci lui avait fait voeu d'obéissance.

 

[62] La fête de la Pentecôte, 22 mai.

[63] Lc 24, 49.

[64] Ro 13, 14.

[65] Lc 1, 74, 75.

[66]  Bien que la Mère de Chantal fût fortement tentée la première nuit à la Galerie il est difficile de proposer une date exacte pour cette lettre, ou ces fragments. Elle était souvent victime de ces dérélictions spirituelles

[67] Jeanne de Chantal parle de son désir de rentrer à Annecy, il en avait été question en 1621; en 1622 elle avait déjà quitté Paris pour le retour.

 

[68] Tué par un coup de mousquet le 17 septembre à Montauban.

[69] La Mère de Châtel croyait que son infirmité l'empêchait d'exercer correctement sa charge.

[70] Cf. lettre de François de Sales à la Mère de Châtel, 16 octobre 1620.

[71] Ce mémoire sur la vie et les vertus de François de Sales est sans doute celui annoncé dans la lettre du 26 décembre 1623.

[72] Finalement, cette lettre destinée à préfacer le coutumier qui sera imprimé pour la première fois en 1628 ne sera pas utilisée. Vers le 10 avril 1628, (L. 1085), la Mère de Chantal écrit de Paris à la Mère de Blonay: "Faites ôter de tous les coutumiers la lettre que j'ai faite à nos soeurs et les brûlez, il gloserait bien dessus; faites mettre en la place celle que vous trouverez en ce paquet". Que s'est-il passé pendant le séjour de la fondatrice dans la capitale? Nous l'ignorons. Toujours est-il que la lettre qui parut dans le coutumier de 1628 (prédatée du 24 juin 1624) diffère considérablement de celle qui se trouve en réalité dans le coutumier ms de 1624 (L. 698) et de celle dont nous donnons ici les trois brouillons. Nous n'y trouvons plus l'âme ardente de la fondatrice, passionnée pour le maintien et la conservation de l'union dans l'ordre. Celle de 1628 (L. 1086) a perdu toute sa spontanéité et est quasi impersonnelle dans sa brièveté.

 

[73] Péronne-Marie de Châtel devait gouverner la maison d'Annecy en qualité d'assistante pendant l'absence de la Mère de Chantal, d'où ce long profil de la communauté que la soeur ne connaissait plus après une absence de huit ans (sauf un court séjour en mai juin 1624).

[74] La seule Jeanne-Madeleine que nous trouvons est Jeanne-Madeleine Liffort qui prit l'habit le 26 mars 1623. Si c'est elle "la huguenote", son noviciat aurait-il été prolongé ?

[75] "L'autre" pourrait être Marie-Séraphine de Parpillon de la Chapelle qui fit profession le 2 juillet 1625, à 17 ans.

[76] La Mère de Châtel, dans une lettre du 24 novembre 1629, dit à la Mère de Bréchard qu'elle lui envoie les Réponses de la Mère de Chantal ainsi que les avis pour les supérieures. Cette lettre, ou compilation des avis pour les supérieures dut être travaillée par Jeanne au cours de 1629 en même temps qu'elle revoyait les Réponses. Le manuscrit porte le titre: "Une supérieure demandant quelques avis à notre très chère et unique Mère, elle lui répondit par écrit les suivants".

[77] Il s'agit peut-être du Chemin de la perfection

[78] Louis de la Puente, Vida del Padre Baltasar Alvarez, Madrid 1615. La traduction française de René Gaultier parut en 1618.

[79] Cette circulaire, donnée pour la première fois dans les E.S. renferme bien des points trouvés dans la L. 1252. Nous la donnons cependant, puisqu'elle a figuré dans toutes les éditions depuis 1644. Elle pourrait être centonisée comme tant d'autres lettres données dans les Epftres, ou encore être un brouillon de la L. 1252.

[80] La Mère de Chaugy dit que cette lettre fut écrite deux mois avant la mort de la destinataire

[81] Ce membre de phrase est barré comme le suivant entre parenthèses

[82] ",Car il faut que je die simplement ce que pour de bonnes considerations j'avoy retenu, mais que la necessité des ames me contraint de dire maintenant avecque franchise; c'est que plus avant je vais, & plus clairement je reconnois que nostre Seigneur conduit quasi toutes les filles de la Visitation à l'oraison d'une très simple unité & unique simplicité de presence de Dieu, par un entier abandonnement d'elles-mesmes à sa sainte volonté, & au soin de sa divine providence. Nostre Bienheureux Père la nommoit oraison de simple remise en Dieu, laquelle il disoit estre très sainte & salutaire, & qu'elle comprenoit tout ce qui se pouvoit desirer pour servir à Dieu". (Réponse sur l'article vingt-quatrième, Des retraites, Responses, Paris, 1632, p. 760-761).

[83] Saint-Cyran

[84] Ces papiers intimes furent mis dans le cercueil de la Mère de Chantal, selon son désir. Un siècle plus tard, ils furent retirés et ils sont encore conservés dans les archives d'Annecy.

[85] Péronne-Marie de Châtel.

[86] De prime abord, il pourrait paraître étrange que la fondatrice de la Visitation ait témoigné une telle confiance à la jeune cistercienne qui avait quelque vingt ans de moins qu'elle. Cependant, nous connaissons l'intime amitié qui les liait depuis bien des années. En 1637, la Mère de Chantal avait perdu ses trois premières compagnes, les Mères Favre, de Bréchard et de Châtel. Restait Marie-Aimée de Blonay, mais elle était trop intimidée par "le pauvre état" intérieur de la Mère de Chantal pour lui donner les conseils dont elle avait besoin (cf. L. 1870).

[87] Saint-Cyran.

 

[88] Saint-Cyran.

[89] Un ou deux mots manquent sur la copie.