Retour à la page d'accueil

Copyright 2020 Dominique Tronc








Poèmes de Chine, Corée, Japon



Collectes au sein de traductions françaises et anglaises


Dominique Tronc, 2020










Avertissement


Je propose à l’usage d’Amis un choix de poèmes et de commentaires en un « vol » opéré sur les travaux de divers traducteurs.


Les entrées de premier niveau regroupent les poèmes assemblés par auteur ou proposés en florilège (entrées ou chapitres séparés par « §§ ).

Les poèmes sont titrés en second niveau ( pièces séparées par « § »).


Chaque pièce occupe une ou parfois deux pages. Ce treizième volume est plus épais que les précédents  mais en plus aéré et en débordant le « domaine de la mystique ».


Trente-cinq sources, un demi-millier de poèmes. Consultez la table des matières.


Un même auteur ou un même poème peut se retrouver présenté sous des sources distinctes. Pour respecter les choix des traducteurs, leurs idiotismes et leurs commentaires - profonds, ils sont ici parfois repris partiellement - je n’ai pas cru bon d’opérer des regroupements. Parfois plusieurs traductions sont mises côte à côte dans une même source  - diverses adaptations à fin de mieux faire regretter de ne pouvoir remonter au chinois.


Les entrées de niveau 2, ‘titre de livres (traducteur)’, correspondent aux sources utilisées.

Les entrées de niveau 3, ‘nom d’auteur’ ou ‘titre donné par le traducteur’ ou ‘début (incipit) de traduction’, correspondent aux poèmes.

Un même corps assez petit gras lisible pour les poèmes ou normal pour les commentaires.


D’un chapitre, l’entreprise est devenue un volume. Une collecte prévue initialement comme chapitre du tome douzième dédié à une ‘Chine mystique’ limitée au taoïsme est maintenant rattaché aux Anthologies, seconde partie du présent volume. Entreprenant une collecte parallèle, destinée à laisser respirer le lecteur parvenu à mi-chemin de son parcours du tome onzième ‘Bouddhisme Sino-japonais’, j’ai réalisé, outre la fusion vécue par les chinois entre leurs (au moins) ‘deux religions’, qu’il fallait donner la plus grande place à des poètes ‘humanistes’. Confucius ne réglait-il pas la société, donc le vécu de chacun parmi tous, et celui de ceux, les poètes-érudits-fonctionnaires qui en rendaient compte ?


En clair : j’ai élargi une cible dont le blanc demeure à mon sens « mystique », le terme étant suffisemment ambigü pour englober toute vie profonde. Allant ainsi au-delà de toute ‘religion’.


Ce treizième tome poursuit la série de grands textes présentés sous l’appellation de mystiques. Il pallie à une ignorance partagée.


Bremond, dans son Histoire du sentiment religieux - le mot mystique lui fut déconseillé - ouvrait sur un tome “L’Humanisme dévot” avant de traiter tout à tour des membres de ‘religions’ au sein d’une ‘école française’ du dix-septième siècle. Ce mot ‘religion’ - pris au sens ancien comme l’intérieur d’une culture chrétienne commune du dix-septième siècle français, celui d’Ordre religieux - fut vécu de même en Chine en une grande diversité au sein d’une culture centralisée.

Première partie

PAR NOMS D’AUTEURS





Tao Yuan Ming (365-427)

Seng Ts'an (- ~606?)

Cent quatrains des T'ang

Wang Wei (701-761) (Wei-penn Chang & L. Drivod)

Wang Wei (Moundarren)

Wang Wei (G.W.Robinson)

Li Po ou Li Bai (701-762)

Tu Fu (712-770)

Lu Yu (733-804)

Po chu yi ou Po Kiu-yi ou Bai Juyi (772-846)

Han-shan (P. Carré) (~800)

Han-shan (Watson)

Li Shangyin (812-858)

Le Dit du Genji (~1000)

Su Dongpo (1037-1101)(Claude Roy)

Su Tung po = Su Dongpo (Moundarren)

Su Dongpo (Watson)

Yang Wan Li (1127-1206) (Moundarren)

Yang Wan-Li (J.D.Schmidt)

Chu Hsi ou Zhu Xi (1130-1200)

Ikkyû (1394-1481)

Bashô (1644-1694)(Sieffert)

Bashô (Blyth)

Tsu Yun (1840-1960)







Deuxième partie

ANTHOLOGIES





La littérature chinoise par Basile Alexéiev (1937)

Zen flesh, zen bones (P. Reps 1957)

Anthologie (Paul Demiéville 1962)

Anthologie japonaise (C. Renondeau 1971)

Poems From Korea (P.H.Lee 1974)

Le clodo du dharma (J.Pimpaneau 1975)

Poèmes chinois d'avant la mort (Paul Demiéville 1984)

« Tao poétique » (Cheng Wing fun & Hervé Collet 1986)

Trésor de la poésie universelle (R. Caillois & J.-C. Lambert 1987)

La Montagne vide (P Carré & Z.Bianu 1987)

Entre source et nuage, la poésie chinoise réinventée (F. Cheng 1990)

Anthologie bilingue de la poésie chinoise classique (M.Coyaud 1997)

Jeux de montagnes et d'eaux (J.-P. Diény 2001)

Antologie (Jacques Pimpaneau 2004)



Chronologie des poètes disposant d’une entrée au premier niveau

427 Tao Yuan Ming (365-427)	
606 Seng Ts'an (- ~606?)

761 Wang Wei (701-761) 
762 Li Po ou Li Bai (701-762)	
770 Tu Fu (712-770)	109
800 Han-shan (P. Carré) (~800)	
804 Lu Yu (733-804)	145
846 Po chu yi ou Po Kiu-yi ou Bai Juyi (772-846)	
858 Li Shangyin (812-858)

1000 Le Dit du Genji (~1000)

1101 Su Tung po ou Su Dongpo ou Su Shi (1036-1101)	
1200 Chu Hsi ou Zhu Xi (1130-1200)	
1206 Yang Wan Li (1127-1206) 	

1481 Ikkyû (1394-1481)	
1694 Bashô (1644-1694)(Sieffert)

§

Deux siècles favorables : sous les Tang (de 761 à 858) puis sous les Song (de 1101 à 1206)

 §§



Première partie



PAR NOMS D’AUTEURS





Tao Yuan Ming (365-427)



TAO YUAN MING
l'homme, la terre, le ciel
enfin je m'en retourne
poèmes présentés et traduits du chinois par
CHENG Wing fun & Hervé COLLET
calligraphie de CHENG Wing fun
deuxième édition revue et corrigée
Moundarren
chemin des bois Millemont 78940 France



« je me suis retiré dans mon humble demeure »



12ème mois de l'année kui mao, composé pour mon cousin Ching yuan

[8]

je me suis retiré dans mon humble demeure,

éloigné du monde extérieur avec lequel j'ai rompu

alentour personne ne me comprend

mon portall en branchages reste tout le temps fermé

c'est la fin de l'année, le vent est froid

le temps est maussade, toute la journée il neige

j'écoute attentivement, pas le moindre bruit

je contemple toute cette blancheur immaculée qui m'entoure

l'air vif assallle ma poitrine et mes manches

même un repas frugal je ne puis me procurer

dans la pièce vide, désolante,

que je considère du regard, rien pour me revigorer

j'ai parcouru les livres de mille années,

y rencontrant souvent des hommes exemplaires

pour la noblesse de leur caractère

la vertu je n'ose y prétendre,

je me contente d'accepter humblement la pauvreté

le chemin droit d'une carrière officielle

depuis longtemps je n'emprunte plus

qu'y aurait-il de condamnable à vivre retiré ?

je confie mon sentiment au-delà des mots,

à part toi qui peut comprendre ?

pluie incessante, buvant seul

c'est un processus naturel, la naissance conduit à la mort

depuis les temps anciens il en est ainsi

[…]



[16]

enfin je m'en retourne

les champs et le jardin doivent déjà être en friche,

pourquoi ne m'en suis-je pas retourné plus tôt ?

j'ai laissé mon coeur être l'esclave de mon corps

inutile pourtant de rester accablé, de m'attrister sur mon sort

je réalise que si au passé on ne peut remédier,

l'avenir par contre on peut l'infléchir

mon chemin finalement ne s'est peut-être pas trop égaré

aujourd'hui j'ai raison, hier j'avais tort

la jonque vogue allègrement,

le vent souffle, souffle dans mon vêtement

j'interroge des voyageurs pour trouver le bon chemin,

regrettant qu' à l'aube la lumière soit encore indécise

dès que j'aperçois mon humble hutte,

ravi aussitôt je me mets à courir

le jeune serviteur vient à ma rencontre,

mes jeunes enfants m'attendent sur le seuil de la porte

les trois sentiers sont déjà envahis par les herbes folles,

pins et chrysanthèmes sont toujours vivaces

tenant les enfants par la main j'entre dans la maison

il y a un pot rempli de vin

je prends le pot, me sers et bois seul

à contempler les arbres dans la cour mon visage se réjouit

appuyé à la fenêtre au sud je confie mon dédain

envers le monde de poussière

si l'on se contente d'avoir de quoi caser ses genoux,

on est facilement satisfait

au jardin tout le jour je me promène avec plaisir

même s'il y a un portall, la plupart du temps il reste fermé

une canne à la main je déambule pour me détendre

parfois je lève la tête et contemple au loin

les nuages, sans intention, surgissent des cimes des montagnes

les oiseaux, las de voler, spontanément s'en retournent

la lumière du soleil diminue, il va bientôt se coucher

je caresse un pin solitaire et continue à musarder


enfin je m'en suis retourné

j'ai souhaité rompre avec les obligations du monde,

le monde de poussière et moi nous opposons

pourquoi voyager en carrosse ? il n'y a rien à rechercher

me réjouit une conversation sincère avec mes proches,

je jouis de mon ch'in et de mes livres, ils chassent les soucis

quand le printemps arrive, les paysans me donnent des conseils

il faudra bientôt travalller les champs à l'ouest

parfois j'emprunte une charrette avec une capote,

parfois je rame sur ma barque solitaire

tantôt je longe une gorge profonde et sinueuse,

tantôt je franchis une colline accidentée

là où des arbres luxuriants s'épanouissent,

une petite source lentement sourd

m'émerveillent les dix mille choses,

chacune au moment propice

mais, n'est-ce pas navrant,

ma vie atteindra bientôt son terme

c'est ainsi

je confie mon corps au ciel et à la terre,

pour combien de temps encore ?

pourquoi ne pas suivre son coeur et se laisser aller à son gré ?

pourquoi donc ?

on s'affaire, on s'agite, à quoi cela mène-t-il ?

la richesse et le statut ne sont pas mon ambition,

le pays des immortels je ne puis non plus l'espérer


[…]

§


« quand la barque est vide... »


Eté 413, au Village du sud- Le Hua shan est la montagne sacrée de l'ouest, le Song shan la montagne sacrée du centre.


le 1er jour du 5ème mois, composé en réponse au secrétaire Tai


quand la barque est vide, les coups de rames

sont allègres et rapides

jours et nuits alternent, le temps file

l'année commence à peine,

que soudain elle en est déjà à la moitié

la fenêtre au sud regorge des choses de la saison,

la forêt au nord est vivace et luxuriante

de la mer des nuages célestes se déverse la pluie propice,

la couleur du matin annonce comment sera le vent

ce qui est venu doit repartir,

la vie d'homme observe le même principe

vivre humblement en attendant sa fin,

la tête reposée sur son bras replié, n'est pas contraire à la voie

que le cours des choses soit paisible ou périlleux,

je laisse mon coeur aller, sans souci des hauts et des bas

si la compréhension des choses qu'on a devant

les yeux est élevée,

nul besoin de grimper sur les montagnes sacrées Hua et Song

[53]

§

« la vertu a décliné... »


en buvant du vin


la vertu a décliné depuis presque mille années

tout le monde est devenu avare sur le sentiment

il y a du vin mais plus personne ne veut boire,

on se préoccupe seulement de laisser un nom

ce qu'il y a de plus précieux en nous,

n'est-ce pas de notre vivant ?

la vie, combien de temps dure-t-elle ?

rapide comme l'éclair elle passe

être affairé pendant cent années,

si l'on s'en tient à ça, comment s'accomplir ?

[77]

§



« Lors du règne de la dynastie Chin... »


[120] La Source des fleurs de pêchers


Lors du règne de la dynastie Chin, durant l’ère Tai yuan (376-396), un homme de Wu ling, pêcheur de son état, remontait une rivière, sans se soucier de la longueur du chemin parcouru. Soudain il arrive dans une forêt de pêchers qui borde les deux rives sur plusieurs centaines de pas. A l'intérieur nul autre arbre. Sur les herbes odorantes, fraîches et belles, les pétales de fleurs tombent profusément, confusément. Le pêcheur, fort intrigué, continue d'avancer et décide d'explorer cette forêt jusqu'au bout. Là où la forêt se termine, à la source de la rivière, il découvre une montagne. Au flanc de la montagne il y a une petite ouverture, on dirait qu'il en sort de la lumière. Il abandonne là sa barque et se glisse dans l'ouverture. Au début c'est très étroit, juste la place pour que passe un homme. Il fait ainsi quelques dizaines de pas quand brusquement ça s'élargit. Il débouche bientôt sur un vaste plateau. Il y a là des maisons bien disposées, de beaux champs, un bel étang, des mûriers, des bambous et d'autres arbres du même genre. Les sentiers se croisent, on entend des coqs et des chiens. Des gens vont et viennent, vaquant à leurs occupations. Hommes et femmes sont vêtus comme tout le monde. Les vieux et les enfants ont tous l'air content et joyeux. Les premiers à rencontrer le pêcheur sont très surpris. Ils lui demandent d'où il vient. A toutes leurs questions il répond. Puis ils l'invitent chez eux, préparent du vin et tuent un poulet pour le repas. Quand au village on entend parler de cet homme, tous viennent lui demander des nouvelles. Ils lui racontent que leurs ancêtres, fuyant le chaos de l'époque Ch'in, partirent avec leurs femmes et leurs enfants. Ils aboutirent ici dans ce territoire retiré. Ils ne sont plus jamais repartis, vivant ainsi définitivement coupés des gens à l'extérieur. Ils lui demandent quelle dynastie règne aujourd'hui, ils ne connaissent pas les Han, encore moins les Wei et les Chin. Le pêcheur raconte en détall tout ce qu'il sait, tous en sont bouleversés et soupirent. Les uns après les autres ils l'invitent dans leurs maisons, lui offrent du vin et de quoi manger. Il séjourne là plusieurs jours. Avant de repartir, les gens d'ici lui demandent de ne pas parler d'eux aux gens de l'extérieur. Une fois ressorti, il retrouve sa barque, suit le chemin par lequel il est venu, prenant soin de laisser des repères derrière lui. Quand il arrive à la ville, il se rend aussitôt chez le chef de district et lui raconte son aventure. Immédiatement le chef du district charge des hommes de retourner là-bas avec lui. Il recherche ses anciennes marques, mais s'égare et ne parvient pas à retrouver le chemin. Liu Tzu chi, de Nan yang, un homme au caractère noble, entendant parler de cette histoire, se réjouit au projet de rechercher cet endroit, mais ne put finalement le réaliser. Peu de temps après il tomba malade et mourut. Depuis, plus personne n'a demandé le chemin.


§


réponse au secrétaire Kuo



si luxuriants sont les arbres devant la salle de 						séjour,
en plein été leur ombrage conserve la fraîcheur
le vent du sud arrive au moment propice,
tournoyant il ouvre légèrement ma robe sur ma 							poitrine
retiré du monde, je m'abandonne à l'activité oisive
je m'allonge, me lève, jouis de mes livres et de 						mon ch'in
dans le potager les légumes sont abondants,
du grain de l'année dernière il reste encore 							aujourd'hui
de se nourrir le besoin a un seuil,
dépasser ce seuil n'est pas ce à quoi j'aspire
j'ai décortiqué du riz pour fabriquer du bon vin
le vin est mûr, je me sers
mon jeune fils joue à mes côtés
il apprend à parler, il babille encore
ces choses-là donnent vraiment à se réjouir,
et font oublier les insignes officiels
je contemple au loin les nuages blancs
ma nostalgie des temps anciens, comme elle est profonde [7
§

retournant vivre au jardin et aux champs



longtemps j'ai quitté les montagnes et les lacs 				pour une fonction officielle
désormais je me consacre aux joies des forêts et de 				la campagne
j'emmène mes fils et mes neveux
écartant les buissons nous nous promenons dans un 				village en ruine,
et musardons au milieu des tombeaux
on distingue vaguement les demeures des hommes 					d'autrefois,
il y a des traces de puits et de fourneaux
mûriers et bambous sont desséchés, les racines ont 				pourri
j'interroge un bûcheron
"que sont devenus tous ces gens ?"
le bûcheron répond
"ils sont tous morts, il n'y a plus personne"
en une génération la cour impériale et le marché 				sont renouvelés,
ce n'est pas là un vain dicton
la vie est comme une illusion
on finit toujours par retourner au vide.
[43]

§

Printemps 414, de retour à Nan chuan, le Village du sud, à cinquante li à l'ouest du Lu shan où il vient de séjourner. Liu Yi min, ancien préfet de Tsai sang (le village natal de Tao Yan ming), s'est retiré, cinq années auparavant, sur le Lu shan pour y vivre en ermite. Il invite Tao Yuan ming à venir rejoindre Hui yuan, le sage bouddhiste du temple Tung lin, et les autres moines et ermites du Lu shan.


réponse à Liu de Tsai sang

montagnes et lacs depuis longtemps m'appellent
pour quelle raison hésité-je encore ?
c'est simplement à cause de la famille et des vieux 						amis,
que je ne puis envisager de vivre en ermite
le temps splendide me bouleverse le coeur,
tenant ma canne je regagne ma chaumière à l'ouest
sur le chemin en broussailles nul passant
de temps à autre j'aperçois un hameau abandonné
le toit en chaume vient d'être réparé
un nouveau champ a été défriché, il faut maintenant 						le labourer
le vent d'est devient frais,
le vin printanier calme ma faim et ma fatigue
bien que le vin soit léger, qu'il manque de 							caractère,
pour me consoler pourtant c'est mieux que rien
agitées, si agitées sont les affaires du monde
de mois en années je m'en suis éloigné
je cultive et tisse juste pour mes besoins
dépasser cela vaut-il la peine ?
file, file le temps, dans cent années,
corps et renom auront ensemble disparu.
[63] §	
	


420. Série de six poèmes. Au pays Chan, personne n'offrit l'hospitalité à maître Kong (Confucius) qui resta dix jours sans manger.

éloge des hommes pauvres

la fin de l'année est froide et maussade
vêtu seulement d'une toile grossière, dans la 				véranda je me réchauffe au soleil
dans le potager au sud la verdure a disparu
le jardin au nord est peuplé de branches dénudées
du pichet je me sers à boire, plus la moindre 				goutte
je regarde le fourneau, aucune fumée
mes livres de poèmes sont entassés dans un coin
le soleil décline déjà, je ne suis pas d'humeur à 			étudier
je vis retiré, sans pour autant me retrouver dans 			l'embarras au pays Chan
quand insidieusement monte l'amertume,
comment me consoler le coeur ?
avec les sages des temps anciens
[101]

§

C'est sur la montagne Shou yang que Po yi et Shu ch'i, les deux fils du roi de Shang, se retirèrent lors du renversement de la dynastie par les Chou, en 1122 av., refusant de manger le grain de Chou. N'ayant que des fougères pour se nourrir, ils moururent de faim. Po Ya est le fameux joueur de ch'in qui s'arrêta de jouer quand mourut son ami Chong Chi, le seul à vraiment s'accorder à sa musique. Chuang Chou est un autre nom de Chuang tzu, le sage philosophe taoiste du 4ème siècle av. qui arrêta de philosopher le jour où mourut som ami Hui shi. Chang yi est dans l'ouest de la Chine, Yu chow et la rivière Yi dans le nord.


poème en style ancien

quand j'étais jeune, robuste et fougueux,
avec mon épée, seul je partis en pérégrination
qui dit que mon voyage ne fut pas long ?
de Chang yi jusqu'à Yu chow,
affamé j'ai mangé les fougères de la montagne 
						Shou yang,
assoiffé j'ai bu l'eau de la rivière Yi
je n'ai pas rencontré d'hommes avec qui m'entendre,
j'ai seulement vu leurs tombeaux anciens
sur le bord du chemin, deux hautes stèles,
celles de Po Ya et de Chuang Chou
des hommes de leur trempe, difficile d'en 						rencontrer encore
je voyageais pour chercher quoi au juste ?
[119]

§§





Seng Ts'an (- ~606?)

Troisième patriarche de l’école bouddiste Chan




Seng Ts'an, Hsin Hsin Ming Ecrit d'un cœur confiant

Traité de spiritualité Ch'an du Vie siècle

Traduction et présentation de Daniel Giraud

Arfuyen, Paris, 1992






§

Ne discernant pas le sens profond
Vous travaillez en vain à pacifier votre esprit

Union parfaite, grande vacuité1
Sans manque ni superflu

En réalité accepter ou renoncer 
Cause ce qui n'est pas Ainsi2
[9]

§

Ne demeurez pas dans les vues duelles 
Veillez à ne pas chercher à les suivre

Dès qu'il y a bien et mal
Le coeur égaré est ainsi embrouillé

A l'origine de deux il y a l'Un 
Ne vous attachez pas à l'Un
[19]

§



L'ultime, au fond
N'est pas gardé par des lois

Le coeur éclairé s'unit à l'égal 
Siégeant au lieu où tout cesse

Doute et méfiance s'épuisent complètement 
La confiance droite3 s'accorde et se redresse
[41]

§

L'esprit de la foi n'est pas duel 
Non-dualité au coeur de la foi4

Discours et paroles cessent 
Plus de passé, futur, présent
[53]

§§





Cent quatrains des T'ang



CENT QUATRAINS DES T'ANG
TRADUITS DU CHINOIS PAR LO TA-KANG
PRÉFACE DE STANISLAS FUMET [...]
A LA BACONNIÈRE — NEUCHATEL 1947

Préface du traducteur

[...] Peu à peu, imitant le style des yo-fou, les lettrés créèrent à leur guise des formes poétiques nouvelles. Cette tendance aboutit, sous les premiers empereurs des T'ang (VIIe et VIIIe siècles), à un genre de yo-fou tout nouveau, petits poèmes de quatre vers composés par des poètes célèbres du jour, des lettrés et de grands magistrats, que l'on chantait, en s'accompagnant de la flûte, dans tout l'Empire, depuis la cour jusqu'aux humbles cavernes : les quatrains.

Créé spécialement pour la musique, le quatrain n'était pas exclusivement destiné à la flûte, il s'adaptait aussi bien aux instruments à cordes. Néanmoins, que ce soit la flûte qui l'épouse avec le plus parfait bonheur, cela reste un fait acquis. Les innombrables anecdotes historiques en font foi.

Ces petites cantates de quatre vers ne furent vraiment vivantes que sous les T'ang. Plus tôt,

on n'en voit que le germe ; plus tard, que l'écho faussé, pastiches ou plagiats. Car, si la poésie

chinoise atteint son apogée sous la dynastie des T'ang, ce fut surtout le quatrain qui suscita l'engouement du jour. Sous les Song, Hong Maï a pu encore établir une Anthologie de Dix Mille Quatrains dee T'ang. Sans doute, dans cette floraison exubérante, un choix strict s'avère indispensable aux yeux de l'amateur de poésie pure. Nous n'avons osé en cueillir que cent, ayant à tenir compte des difficultés de traduction.

En quoi consiste enfin le charme du quatrain, ce sanglot long et monotone de la flûte ? Pour être parfait, un quatrain, avec la vingtaine de mots qui le compose, doit réunir ces trois vertus essentielles : la sonorité harmonieuse, l'évocation d'un état d'âme lointain et ineffable et la nouveauté des images poétiques. [...]

Lieou tsong-Yuan

Neige sur le fleuve
[27]
    
Au-dessus de mille montagnes, nul oiseau ne 						passe.
A dix mille lieues à la ronde, aucune trace 						humaine.
Une barque. Le vieillard en manteau et chapeau de 					jonc,
Solitaire, pêche la neige sur le fleuve gelé.


§

Li po

Réponse de la montagne
[29]

Vous me demandez pourquoi je perche sur la 			   			montagne bleue ; 
Sans répondre, je souris, le cœur en paix :
Fleurs qui tombent, eau qui coule, tout s'en va 					et s'efface...
C'est là mon Univers, différent du monde des humains.

§



Wang wei

« Clôture aux cerfs »
[35]

Dans la montagne déserte, l'on ne voit personne.
A peine parviennent quelques voix lointaines.
Le reflet du jour envahit le bois sombre,
Eclairant encore de la mousse dans l'ombre.

§

Lieou tch'ang-K'ing

Jouant du luth
[43]

Sur les sept cordes frissonnantes
J'entends, calme, le vent dans les sapins 						fraîchir. 
C'est un morceau antique, de moi seul préféré, 
La mode du jour ne le reprend plus guère.

§

Li chang-Yin

Promenade
LI CHANG-YIN
[67]

Vers le soir, ne sachant où fixer ma pensée, 
Je conduis mon char à travers la plaine antique. La splendeur du soleil couchant est ineffable ; L'ombre du crépuscule s'approche comme à regret.

§

Wang tch'ang-Ling

Ecrit sur la cellule
d'un bonze
[79]

Les fleurs de palmier couvrent la cour,
La mousse envahit la cellule solitaire.
L'hôte et le visiteur ayant échangé des paroles 				sublimes se taisent.
Dans l'air, on sent flotter un parfum inconnu.

§

Wei ying-ou

A un bonze
[81]

Sous les bois, dans la cour, montent les couleurs de la nuit. 
Sur la véranda de l'Ouest, on allume les lanternes de soie. 
Parfois, mon souvenir revient vers les ombres des grands pins, 
Où s'assoit, solitaire, un bonze de la montagne.


§



Li kieou-Ling

Lettre de la montagne
[85]

Au milieu des nuages brouillés, je construis ma chaumière. 
De la poussière du monde mes traces s'éloignent de plus en plus. 
Ne me demandez pas comment je passe mes jours !
Devant ma fenêtre, l'eau qui coule, à mon chevet, des livres.

§

maître Yang alchimiste

Au maître Yang
alchimiste
PAO YONG
[89]

Le taoïste récite, la nuit, les prières des 
« Perles Fleuries »,
Une cigogne blanche descend et voltige autour de l'encens en écoutant.
A la fin de la nuit, les prières finies, le taoïste monte sur la cigogne.
Poussés par les vents du ciel, ils se perdent dans le lointain Infini de l'automne.

§



Po kiu-yi

Fraîcheur d'automne
[99]

Calme et tranquille, je dors le long du jour, Malade et vieilli, je suis un homme qu'on oublie. Au crépuscule du soir, devant l'entrée de ma maison, 
Les fleurs d'acacias couvrent profondément le sol.

§

Chanson de Siang-Yang

TSE LAN
[115]

En pensant à celui qui voyage dans le Sud,
Je quitte ma maison, pour habiter sur la grande digue.
Mille voiles, dix mille voiles passent...
Nulle ne s'arrête devant ma porte !

§

Wei tch'eng-K’ing

Adieux à mon frère
[117]

Mouvantes sont les eaux du Grand Fleuve,
Interminables les pensées du voyageur lointain.
Les fleurs qui tombent ont-elles des regrets ?
En touchant le sol, elles ne font même pas de bruit.

§

Tou Fou

Poème indolent
[193]

Le saule de mon voisin traîne gracieusement ses rameaux frêles,
Telle la taille d'une fille de quinze ans.
Par quel accident malheureux, ce matin,
Le vent violent a-t-il brisé sa plus longue branche !

§

Li chang-Yin

La fée de la lune
[223]

Sur la cloison de nacre s'obscurcit l'ombre de la chandelle,
Peu à peu, la voie lactée décline, les étoiles du matin s'éteignent.
La Fée de la lune regrette-t-elle d'avoir dérobé le breuvage d'immortalité ?
Mer d'émeraude, ciel d'azur, nuit après nuit, tout témoigne de son coeur.

§



Yuan Tchen

Le palais de repos

[225]

Silencieux, désertique, c'est ici l'ancien palais de repos.
Les fleurs du palais flamboient dans la solitude.
Les dames de la cour aux cheveux blancs sont là,
Assises, désoeuvrées, elles évoquent le souvenir de l'empereur défunt.

§§

Wang Wei (701-761) (Wei-penn Chang & L. Drivod)



Paysages : Miroirs du coeur
par Wang Wei
CONNAISSANCE DE L'ORIENT
TRADUIT DU CHINOIS
SÉRIE CHINOISE	PAR WEI-PENN CHANG
ET LUCIEN DRIVOD
 collection « Connaissance de l'Orient »,
cette traduction a été relue par Etiemble.



Wang Wei Paysages : Miroirs du coeur [Quatrième de couverture:]

Wang Wei (701-761) est contemporain de Li Bai (701-762) et de Du Pu (712-770). Il vit durant la période où la poésie chinoise atteint ses plus hauts sommets : la splendeur des Tang. Lettré-fonctionnaire, il occupa des postes variés et connut des périodes de faveur et d'autres de disgrâce : ceux notamment de « fonctionnaire de droite chargé de reprendre les oublis de l'empereur», et de « fonctionnaire de gauche chargé de reprendre les omissions de l'empereur ».

Poète célèbre, Wang Wei fut aussi musicien, et peintre de grand renom. En peinture, il est considéré comme le père de l'École du Sud. Les historiens des lettres chinoises font de lui un représentant de l'École de la vie rustique. Wang Wei fut un fervent bouddhiste, marqué par l'enseignement du Uh'an, école centrée sur la pratique de la méditation. Le cosmos vit et traverse l'âme du poète, laquelle coïncide avec l'univers.

Quelques remarques sur les affinités entre la poésie moderne et la poésie des Tang

« Il est évident que toute la poésie moderne qui compte et qui se bande vers des puretés, hélas! souvent contradictoires, sinon incompatibles, résonne en harmonie avec les quatrains des Tang 1. » Pour un Occidental familier avec le développement de la poésie moderne, la lecture des poèmes chinois des Tang et en particulier de Wang Wei, donne à la fois une impression de proximité et de distance. Le sentiment de proximité peut s'expliquer de plusieurs façons. On peut en chercher la raison dans l'évolution du langage poétique occidental qui, depuis deux cents ans, s'est allégé des articulations syntaxiques pour aboutir à une sorte de juxtaposition de valeurs sémantiques bénéficiant d'une certaine liberté d'association. Cette liberté qui restitue aux mots leur polyvalence est inscrite dans la structure même de la langue chinoise. L'étude de François Cheng sur l'écriture poétique chinoise 2 comme la préface de Paul Demiéville à l'Anthologie de la poésie chinoise' le mettent clairement en évidence. Citons Paul Demiéville :


« Une autre conséquence du monosyllabisme est la fréquence du mot chinois, sa polyvalence grammaticale qui, en l'absence de toute morphologie, la forme du mot restant en principe invariable, fait qu'un mot comme ju qui vient d'être cité peut s'employer aussi bien comme nom que comme verbe : « phrase » et « phraser ». Il en résulte une imprécision qui nuit à l'expression analytique de la pensée (et il n'y a pratiquement jamais eu de logique


1. Stanislas Fumet, Préface à 100 quatrains des Tang, O. Zelück, éditeur, Paris, 1947, p. 18.

2. François Cheng, L'écriture poétique chinoise, Éditions du Seuil, 1977.

3. Paul Demiéville, Préface à l'Anthologie de la poésie classique chinoise, coll. Connaissance de l'Orient, Gallimard, 1962.

17

formelle en Chine), mais aussi une souplesse, une richesse de sens, une puissance de suggestion qui sont éminemment favorables à l'art poétique.

En corrélation avec l'évolution du langage poétique moderne, et peut-être en est-ce la véritable cause, la poésie moderne s'est dégagée de toute fonction extérieure à elle-même, de tout ce que Baudelaire appelle « l'hérésie de l'enseignement » (Art romantique) 2, hérésie qui commande l'éloquence et le discours : « Prends l'éloquence et tords-lui le cou » (Verlaine, Art poétique). La poésie classique n'a guère eu à surmonter cette tendance au discours, cette volonté d'être utile, de servir des causes. Son développement largement influencé par le taoïsme l'a presque constamment éloignée de cette tendance. En effet il n'existe pas de critique plus radicale de l'utilitaire que celle proposée par les taoïstes! « Produire sans s'approprier, agir sans rien attendre, guider sans contraindre, voilà la vertu suprême 3. » « L'homme parfait oublie qu'il a un foie et une vésicule biliaire, ne se soucie ni de ses yeux, ni de ses oreilles, il se promène sans but en dehors du monde poussiéreux et trouve sa liberté dans la pratique du non-agir (wu wei), cela veut dire qu'il agit sans rien attendre et guide les hommes sans les contraindre 4. » « Alors qu'il traversait une montagne, Zhuang Zi vit un grand arbre aux longues branches et au feuillage luxuriant. Un bûcheron qui coupait du bois, près de là, ne touchait pas à cet arbre. Zhuang Zi lui demanda pourquoi. " Parce que son bois n'est bon à rien, dit le bûcheron. — Grâce à son inutilité, cet arbre atteindra sa durée naturelle ", conclut Zhuang Zi 5. » Écoutons maintenant Rilke :


Le chant de ton enseignement n'est pas désir,

Ni la quête d'un bien qu'on peut saisir enfin.

Le chant est existence 6.


C'est bien l'existence qu'expriment les grands poètes chinois des Tang et particulièrement Wang Wei, c'est-à-dire ce lieu où


1. Paul Demiéville, op. cit., p. 10.

2. Baudelaire, Art romantique, Garnier-Flammarion.

3. Lao-tseu (Lao Zi), Tao-to-king, chap. 51, Gallimard, 1967.

4. Tchouang tseu (Zhuang Zi), OEuvre complète, trad. Liou Kia-hway. Connaissance de l'Orient, Gallimard, 1969, p. 157.

5. Tcouang-tseu (Zhuang Zi), op. cit., p. 159.

6. R.M. Rilke, Poésie (« Troisième sonnet à Orphée »), Éditions du Seuil, 1972, p. 380.

18

sujet et objet s'abolissent, où le cosmos vit et traverse l'âme du poète, où l'âme du poète se fait univers. Un intense sentiment de présence au monde se dégage des meilleurs poèmes des Tang et particulièrement de ceux de Wang Wei. Univers et homme entrent en résonance. Le paysage s'intériorise, les sentiments s'objectivent dans le paysage. Ce double mouvement est exprimé à travers plusieurs procédés qu'analyse remarquablement François Cheng dans son étude sur L'écriture poétique chinoise. Voilà réalisée la poésie objective rimbaldienne, la poésie du « Il y a » :


Au bois il y a un oiseau, son chant vous arrête et vous fait rougir,

Il y a une horloge qui ne sonne pas,

il y a une fondrière avec un nid de bêtes blanches


Mais à entendre Rilke ou Rimbaud, nous vient immédiatement à l'oreille un sentiment opposé de distance. L'expression de l'existence se fait d'emblée dans l'univers poétique des Tang. Pas de révolte contre l'ordre cosmique, pas de sentiment d'absence. La vraie vie n'est pas ailleurs. Les poètes chinois n'ont pas à conquérir l'accord au-delà de la séparation tragique. Le taoïsme et le bouddhisme Chan à travers lesquels les poètes chinois se comprennent sont des doctrines de l'immanence. Le secret de la vie est dans la plus humble et la plus grossière des choses : « C'est l'esprit ordinaire qui est la voie 2 » Le tout est de se tenir dans l'ordinaire : chier et pisser, se vêtir et manger 3 » : « Un poil absorbe la vaste mer, un grain de moutarde contient le sumeru 4 »; « Une particule de poussière s'élève et la terre entière réside en elle, une fleur s'épanouit et l'univers se lève avec elle 5. »


La présence au monde, l'accord avec l'univers sont donc des données immédiates de la poésie des Tang ; à l'inverse, le poète occidental moderne vit son rapport au monde sous le signe de la séparation. D'où l'impression que les poètes des Tang ne font que dire la nature de façon brute là où le poète occidental philosophe sur la nature, exprime ses sentiments sur la nature. Prenons exemple chez les meilleurs :


1. A. Rimbaud, OEuvres complètes, Illuminations (« Enfances III »), Gallimard, 1972, p. 123.

2. Lin Tsi, Entretiens, trad. Paul Demiéville, Fayard, 1977, p. 99.

3. Lin Tsi, op. cit., p. 71.

4. Lin Tsi, op. cit., p. 178.

5. Yuan Wu, cité dans Oswald Sirén, Chinese Painting. Leading Masters and Principles, vol. Il, p. 132.

19

Avec des poires jaunes

Et tout fleuri de roses sauvages

Se suspend

Le paysage dans le lac.

cygnes pleins de grâce!

Et tout ivres de baisers

Vous plongez votre tête

Dans les eaux sobres et sacrées

Malheur à moi, Malheur! Où vais-je prendre

Quand viendra l'hiver, les fleurs, où

L'Éclat du Soleil

Et les Ombres de la Terre ?

Les murs se dressent,

Silencieux, glacés, et dans le vent

Les girouettes crient'.

(Hôlderlin, « Moitié de la vie ».)


À la cime des arbres on dirait des fleurs de Lotus

Dans la montagne s'ouvrent de rouges corolles.

La hutte, près du ravin, silencieuse et déserte,

Pêle-mêle des fleurs éclosent et se flétrissent.

(Wang Wei, « Le Talus aux magnolias ».)


Si la nature est énoncée de façon directe et immédiate, l'esprit du paysage, le sentiment y est énoncé en creux, dans les rapports entre les choses. Il surgit indirectement dans le vide qui relie et sépare les éléments de la nature 2. On pourrait presque dire que dans la poésie occidentale, la présence de la nature est toujours médiatisée par le discours, par le sentiment ou la réflexion esthétique et métaphysique. La nature n'est jamais tout à fait nue. Dans la poésie des Tang, le rapport serait plutôt inverse. Le sentiment est médiatisé par la nature. La description de la nature n'exprime pas un sentiment, un état d'âme. Le sentiment surgit de la description de la nature.

C'est que l'Esprit n'est pas séparé du monde, il est immergé dans la vie de l'Univers. La vie du cosmos c'est l'interrelation de toutes choses. L'univers est harmonique. C'est pourquoi par exemple, Wang Wei peut exprimer le Temple Xiangji sans le


1. F. Hôlderlin, Œuvres (« Moitié de la vie »), trad. de G. Roud, Pléiade, Gallimard, 1967, p. 833.

2. Sur ce point, voir François Cheng, La peinture chinoise et le vide, Éditions du Seuil, 1980.

20

décrire mais en faisant surgir sa présence de la description du paysage qui l'entoure :


Je ne sais où se trouve le Temple Xiangji

En quelques li, je pénètre la cime perdue dans les nuages.

De vieux arbres, point de sentier.

Dans les montagnes profondes, où résonne cette cloche?

Le murmure de la source sanglote aux rochers escarpés.

Le soleil colore les pins froids et verts.

À la tombée de la nuit, près du gouffre vide,

La méditation paisible maîtrise les dragons venimeux.

(Wang Wei, « Le Temple Xiangji ».)


Là où l'Occidental, distinct et séparé du monde, s'approprie les choses, en prend possession directement, face à face, le poète des Tang, taoïste au fond de l'âme, immergé dans la vie de l'univers, laisse la vie s'exprimer d'elle-même.

§



Ballade sur la source de la Rivière aux fleurs de pêchers 1

Un pêcheur remontait en barque une rivière, il aimait les 	montagnes au printemps,
Sur les rives les pêchers en fleur enserraient un ancien 	embarcadère.
Assis à regarder les arbres roses, il oublia la distance.
Rendu aux limites de la rivière bleue, il ne vit plus personne.
Par une anfractuosité de la montagne, il se glissa là où commençaient 	des gorges tortueuses.
Les montagnes s'ouvrirent, aussitôt il aperçut une plaine immense.
Il regarda au loin un endroit où se mêlaient arbres et nuages.
Tout près il pénétra entre mille habitations disséminées parmi fleurs et bambous.
Le bûcheron pour la première fois parla des noms de la Dynastie 	Han 2.
Les habitants avaient conservé les costumes de l'époque Qin 2.
Ils habitaient tous à la source près de Wuling 3,
Loin du monde extérieur, ils cultivaient leurs jardins et leurs 	champs.
La lune brillait entre les pins, les maisons aux fenêtres treillissées 	respiraient le calme.
Quand le soleil surgit des nuages on entendit le tintamarre des 	chiens et des coqs.
Étonnés d'entendre un visiteur du monde extérieur, les habitants 	se bousculèrent pour l'approcher.
Ils voulaient tous l'inviter chez eux pour s'enquérir des villes et de 	la capitale.
Dès le point du jour, ils balayèrent les fleurs dans les allées et 	ruelles.
Au crépuscule, pêcheurs et bûcherons rentrèrent par voie d'eau.
Au début ils avaient quitté le monde pour trouver
	un refuge.
Une fois rendus dans ce paradis, ils n'avaient plus voulu s'en 	revenir.
Qui aurait pu savoir qu'à l'intérieur de ces montagnes vivaient des 	hommes?
Du monde extérieur, on ne voyait que nuages et montagnes.
Le pêcheur savait qu'il était difficile d'atteindre ce pays des 	merveilles.
Mais son coeur n'avait pas épuisé son attachement au monde des 	hommes, il pensait au pays natal.
Il quitta ce site enchanteur indifférent à la barrière des montagnes 	et des eaux.
Ayant fait ses adieux à sa famille, il comptait y retourner pour un 	plus long sé)our.
Il se disait qu'il reconnaîtrait le chemin.
Mais comment savoir que cimes et vallées sont maintenant 	changées?
De son premier voyage il n'a retenu que l’entrée dans la 	profondeur des montagnes.
Mais combien de rivières bleues mènent à des forêts qui touchent 	les nuages?
Quand le printemps revient, partout il y a des eaux entourées de 	pêchers en fleur.
On ne sait où chercher la source paradisiaque!


1. Wang Wei s'inspire d'un conte en prose du poète Tao Qian (Tao Yuan-ming, 365-427). Vivant à une époque troublée, Tao Qian se retire des affaires mondaines et se réfugie dans la contemplation de la nature. Il inaugure en poésie les thèmes du retour à la nature, du retour à la vraie vie. Wang Wei s'inscrit dans cette tradition.

2. D'après le conte de Tao Qian, les ancêtres de ces habitants ont trouvé refuge dans ce lieu durant les troubles qui marquèrent la fin de la dynastie Qin. Isolés du monde extérieur depuis cette époque, les habitants ignorent les changements et les dynasties postérieures aux Qin (221-209 avant J.-C.) et ont gardé coutumes et costumes de cette époque.

3. Dans le conte de Tao Qian, Wuling est le lieu d'origine du pêcheur.


§

Adieux

Vous descendez de cheval, je vous offre un verre;
Je vous demande où vous allez.
Vous dites votre désillusion,
Vous vous retirez sur les pentes du Mont Zhongnan.
Alors, allez, je ne vous en demande pas plus.
Là-bas, éternellement les nuages blancs.

139

§

En réponse à Zhang Yin

Ma chaumière au Mont Zhongnan,
Donne sur la montagne.
À l'année longue, pas de visiteurs, la porte reste close.
À chaque jour, j'y demeure sans désir et en paix.
Pourquoi ne pas venir prendre un verre et pêcher à la ligne.
Si seulement vous pouviez me rendre visite.

155

§

Dans les montagnes, lettre au bachelier Pei Di

En ce temps proche du sacrifice d'hiver, le paysage est si paisible, le temps si beau, nos montagnes familières sont vraiment splendides. Je n'oserai te déranger, en passant chez toi, au moment où tu révises tes classiques, aussi je vais dans les montagnes, je me repose au Temple Ganpei, mange avec les moines de la montagne ; sitôt fini, je m'en vais.

Vers le nord je traverse les eaux noires de la Rivière Ba, le clair de lune éclaire le rempart. Le soir je monte sur la Butte Huazi, l'ondulation des eaux de la Rivière Wang fait danser le reflet de la lune. Dans les montagnes froides, des feux éloignés scintillent au-delà des forêts. Aux ruelles profondes, le froid donne à l'aboiement des chiens l'apparence de rugissements de léopard. La nuit au village à nouveau le son du pilon alterne avec le tintement d'une cloche lointaine. En ce moment, je suis assis seul, mon jeune serviteur reste silencieux, je pense à autrefois, quand nous composions des poèmes main dans la main, marchant sur le sentier étroit, et approchant du courant limpide.

Il faudra attendre le milieu du printemps pour qu'herbe et arbres retrouvent pleine verdeur. On pourra alors contempler le printemps dans les montagnes : les petits poissons sautent hors de l'eau, le goéland blanc bat des ailes. L'herbe est humide de rosée, sur la berge verte, le matin les faisans criaillent sur le talus emblavé. Tout cela n'est plus très loin. Ah ! si tu pouvais venir te promener avec moi. Si tu n'étais pas homme à apprécier les secrets du ciel, comment pourrais-je t'inviter pour une affaire si peu urgente ? Cependant cette affaire présente un intérêt et un agrément profond. Ne la néglige pas.
Je confie cette lettre à l'herboriste qui s'en va et ne t'en dirai pas plus long.
			De Wang Wei, l'homme des montagne.

171

§

Surpris par la pluie

au débouché de la vallée de la Rivière Wang,
je me souviens du Mont Zhongnan. Pour cette raison,
je dédie ce poème à Wang Wei

La pluie continuelle obscurcit les gorges désertes.
Étales, sablonneuses, les eaux anéantissent les reflets de couleur.
La Rivière Wang coule paisiblement.
Le Mont Zhongnan 1 comment le retrouver ?

PEI DI

1. Le mont Zhongnan est le mont le plus élevé d'une chaîne de montagnes au sud de la sous-préfecture de Lantian. Il donne d'ailleurs son nom à la chaîne.

173

§

Composé en réponse à Pei Di qui,
surpris par la pluie au débouché de la vallée de la Rivière Wang, se souvient du Mont Zhongnan

La rivière en crue coule, froide et vaste.
La verdure est obscurcie par la pluie d'automne.
Tu demandes où est le Mont Zhongnan.
Mon coeur le sait au-delà des nuages blancs.

175

§



Le Parc aux cerfs

Personne dans ces montagnes désertes,
Seul, on entend l'écho de voix humaines,
Les reflets du soleil couchant pénètrent la forêt
profonde.
Et à nouveau éclairent la mousse verte.



WANG WEI

Du matin au soir, je vois la montagne froide, Alors je me sens promeneur solitaire.
J'ignore ce qui se passe dans la forêt de pins. Je sais seulement qu'il y a des traces de cerfs.

PEI DI

§

Le Sentier aux sophoras

L'étroit sentier à l'ombre des sophoras.
Au plus secret du couvert, les mousses vertes prospèrent.
Le portier s'applique à balayer
Par égard pour le moine de la montagne qui doit venir.


WANG WEI

Au Sud, la porte donne sur le sentier aux sophoras.
C'est le chemin qui conduit au lac Yi.
L'automne amène des pluies abondantes dans la montagne.
Personne n'a balayé les feuilles tombées.


PEI DI

195

La Résidence aux bambous

Seul, assis au plus secret des bambous,
Je joue du luth et siffle longuement.
Forêt profonde, personne ne sait ma présence.
Seule la lune vient m'éclairer.

WANG WEI

Je suis passé à la Résidence aux bambous.
Chaque jour je me familiarise avec le Tao.
Je ne fréquente que des oiseaux de montagne.
Retraite profonde, loin des gens de ce monde.


PEI DI

213

Le jardin aux laquiers

Zhuang Zi 1, lui n'est pas un fonctionnaire hautain. 
Il se considère peu doué pour les affaires publiques. 
À l'occasion on lui donne un poste modeste.
Il flâne insoucieux sous les arbres.


1. le philosophe.

WANG WEI

Le goût pour la vie oisive est tôt devenu ma seconde nature.
Ainsi s'accomplit mon ancienne promesse. Aujourd'hui, je me promène dans le jardin aux laquiers. 
Puissé-je avoir la joie du vieux Zhuang Zi.

PEI DI

217

§

Ma villa au Mont Zhongnan

Au milieu de mon âge, je me consacrai au Tao,
Au soir de ma vie, je me retirai sur les pentes du 	Mont Zhongnan.
Au gré de l'inspiration, j'y vais souvent seul.
Je ne connais plus que la beauté des choses.
Je marche jusqu'à la source des eaux.
Je m'assieds et regarde les nuages s'élever.
Par hasard, je croise un vieux bûcheron.
On parle, on rit, on oublie l'heure du retour.

235

§

La Rivière d'azur

On dit que pour accéder à la rivière Huanghua 1,
Il faut toujours suivre les eaux de la Rivière d'azur.
Au gré des montagnes, elle fait mille détours,
Pourtant la distance n'atteint pas cent li.
Elle se fait clameur dans le chaos des rochers,
Couleur paisible au profond des pins.
L'ondulation des eaux fait danser macres et lentilles d'eau.
L'eau est si limpide que les roseaux s'y mirent.
Depuis longtemps déjà mon coeur est paisible,
Clair comme cette rivière limpide,
Alors pourquoi ne pas rester sur les rochers
À pêcher jusqu'à la fin de mes jours.

1. rivière au Shaanxi

245

§

Composé en traversant le fleuve pour aller à Qinghe 1

En bateau, ballotté par les eaux, je suis sur le grand fleuve.
L'eau est si vaste qu'elle touche aux confins du 	ciel. 
Soudain le ciel et les vagues se séparent
Et apparaissent des villes et des milliers de maisons. 
En avançant encore on voit remparts et marchés Comme si c'était mûriers et chanvres.
Je me retourne et regarde la région d'où je viens. L'immensité des eaux rejoint les nuages roses.

1. district du Hebei


255

§

Chanson pour accompagner le printemps qui s'en va

Jour après jour les hommes ne peuvent s'empêcher de vieillir.
Année après année on ne peut retenir le printemps.
La joie est dans ce verre de vin.
Inutile de regretter que les fleurs s'envolent.



295

§





Les secrets de l'art pictural

Nous ajoutons en annexe la traduction de deux textes sur la peinture qui sont attribués à Wang Wei, dans l'édition de l'Œuvre complète faite par Zhao Diancheng (1737). Le Hualun Congkan (édité à Pékin, 1960) attribue à Wang Wei le premier texte le Huaxue Mijue, et à Jing Hao le deuxième texte le Hua Shanshui Fu 1. Osvald Sirén pense qu'aucun de ces textes ne peut être attribué à Wang Wei ; ils auraient été écrits par un représentant tardif de l'École du Sud 2.


1. Nous avons regroupé les deux textes : le Huaxue Mijue constitue la première partie du texte traduit et se termine par la phrase « Les personnes n'ont pas plus d'un pouce, pins et cyprès ont une longueur de 2 pieds » ; le Hua Shanshui Fu constitue la deuxième partie du texte traduit et commence par la phrase souvent citée « Pour peindre un paysage, l'Idée doit précéder le pinceau. »

2. 0. Sirén, op. cit., vol. I, p. 133.



Dans l'art pictural, la peinture à l'encre 1 est l'art par excellence. Elle commence par exprimer la Nature et parachève l'oeuvre de la Création 2.
Sur un tableau de quelques pieds, on peut reproduire des paysages d'une centaine ou d'un millier de li. L'est comme l'ouest, le nord comme le sud sont là comme s'ils étaient devant nos yeux. Le printemps comme l'été, l'automne comme l'hiver
naissent sous le Pinceau.

En premier lieu lorsqu'on répartit les eaux, il faut éviter que les montagnes paraissent flotter. Ensuite, si on dispose des chemins qui bifurquent, il ne faut pas que ces chemins soient représentés sans interruption. On doit surélever le pic principal, vers lequel se dirigent les montagnes moins élevées. Là où les montagnes s'entrelacent, on peut placer une demeure de moine.
Sur la berge, on peut disposer des habitations. Aux alentours des villages, il est bon de peindre plusieurs arbres qui fassent forêt. Leurs branches doivent envelopper le tronc. Les eaux des

1. Shuimo, mot à mot, signifie l'encre à l'eau. Il s'agit d'une peinture à l'encre de Chine, plus ou moins délayée, ce qui donne des qualités d'encre différentes. Sur ce point, voir Pierre Ryckmans : Les « Propos sur la peinture » de Shitao, 1970, p. 28.

2. Wang Wei énonce dans ce court aphorisme un principe fondamental de la théorie esthétique chinoise. L'artiste n'imite pas la nature mais prolonge son mouvement créateur et l'idéal du peintre serait de s'effacer pour que la nature produise elle-même son parachèvement dans le tableau. On peut en voir l'expression dans le poème « Inscrit sur le paravent en mica d'un ami » :

Le paravent en mica de votre maison est déployé devant la libre nature. Ainsi montagnes et sources y entrent. Elles n'ont pas surgi de la couleur.

Voir aussi sur ce point, P. Ryckmans, op. cit., p. 43.

ravins de montagne sont réunies en un torrent qui se précipite en cascade. Les eaux des sources coulent paisibles et claires. L'embarcadère est presque désert, les voyageurs sont rares. Le pont où accostent les bateaux doit être surélevé. Quant aux barques des pêcheurs, on peut les peindre basses, cela ne dérange pas la composition.

Entre les rochers escarpés et les précipices vertigineux, mettons des arbres aux formes tourmentées. Là où les montagnes sont abruptes et périlleuses, ne plaçons pas de chemin. Les cimes lointaines se perdent dans les nuages. La lumière du ciel lointain se confond avec la couleur des eaux. Là où les montagnes se resserrent, l'eau coule avec plus d'abondance. Dans le passage dangereux, on peut placer des palissades. Dans la plaine, à côté du pavillon, des saules élevés ombragent des habitations. Sur les montagnes célèbres, temples et sanctuaires sont entourés de pavillons élégants et de cèdres aux formes étranges. Les scènes lointaines se perdent dans la brume, les rochers escarpés sont enveloppés de nuages. L'enseigne d'étoffe du débit de boissons est arborée haut. Les voiles de bateaux de plaisance sont abaissées. Au loin, les montagnes sont basses. Au premier plan se dressent les arbres.

Après s'être exercé au pinceau et à l'encre souvent on parvient à la liberté d'expression 1. Avec les mois et les années, on arrive à percer les secrets de l'Art. Ceux qui saisissent intuitivement ces secrets n'ont pas besoin de beaucoup de paroles. Ceux qui sont doués pour l'étude, qu'ils suivent les principes énoncés plus haut.

Si le sommet de la pagode touche le ciel, il ne faut pas qu'on voie la base. Tantôt la pagode apparaît, tantôt elle disparaît. Soit on voit le haut, soit on voit le bas. La meule de paille, le monticule de terre ne seront montrés qu'à moitié, soit le haut soit le profil. De la hutte de chaume et du pavillon de roseau n'apparaissent que les contours 2. La montagne se répartit en huit faces et le rocher en trois parois. Quant au nuage vagabond, il faut à tout prix éviter qu'il ressemble à une plante à ombelle.

1. Sanmei, terme bouddhique, abréviation de Sanmeidi, sanskr. Samâdhi. Selon le dictionnaire français de la langue chinoise de l'Institut Ricci, Youxi Sanmei désigne L'état de parfaite liberté d'esprit et de coeur » ou « agir sans contrainte ».

2. Pour laisser place à l'imaginaire, il faut que les choses ne soient pas complètement données, il faut du masqué, du vide; il faut donner à penser, à rêver. Voir sur ce point, François Cheng, Vide et plein, le langage pictural chinois, Éditions du Seuil, 1979, p. 52.


325
Les personnes n'ont pas plus d'un pouce, pins et cyprès ont une longueur de deux pieds.

Pour peindre un paysage (Shanshui), l'Idée doit précéder le Pinceau 1. Si on peint des montagnes de dix pieds, l'arbre aura un pied, le cheval un pouce, l'homme un dixième de pouce. Si l'homme est éloigné, ses yeux sont invisibles. Si l'arbre est éloigné, on ne voit pas ses branches. Si la montagne est éloignée, on ne distingue pas les rochers, ses formes se fondent comme la ligne d'un sourcil. Si les eaux sont éloignées, on ne peut voir les vagues, alors les eaux s'élèvent et se fondent avec les nuages. Voilà les secrets de la peinture de paysage. Les flancs de la montagne sont masqués par les montagnes 2; les parois du rocher se dissimulent sous les sources; la vue des pavillons et terrasses est obstruée par les arbres; la vue du chemin est cachée par l'homme. Le rocher est perçu par ses trois faces; les chemins sont saisis par leurs deux bouts; les arbres sont appréhendés par leur cime; les eaux par leurs rides. Voilà les règles de la peinture de paysage.

Dans la peinture de Paysage, on appelle dian, c'est-à-dire pic, la montagne qui s'élève en pointe au-dessus de la plaine; on appelle ling, c'est-à-dire chaîne, les montagnes hautes et escarpées qui s'entrelacent; on nomme xiû les montagnes trouées de cavernes; les falaises escarpées s'appellent yai; les rochers suspendus s'appellent yan, c'est-à-dire surplomb; les montagnes aux formes arrondies se nomment luan. Les montagnes qui laissent passer un chemin on les désigne par le mot chuan. Le passage étroit entre deux montagnes s'appelle huo, c'est-à-dire défilé. Le cours d'eau entre deux montagnes s'appelle torrent, jian. Ce qui ressemble à une chaîne et s'élève s'appelle colline, ling. Ce qui porte la vue à l'extrême et s'aplanit s'appelle versant, ban. Celui qui suit ces points connaît sommairement les formes des paysages.

Celui qui observe doit d'abord saisir l'aspect, ensuite distinguer le clair du confus. Dans un ensemble montagneux, il doit savoir répartir les sommets principaux et les sommets secondaires, mettre en relief la majesté des cimes. Trop de montagnes entraîne la confusion, trop peu paralyse le mouvement. Ni trop, ni trop peu permet de distinguer le proche et le lointain. Les

1. Cette phrase célèbre peut ètre interprétée à juste titre de diverses façons. Dans le contexte, le sens qui nous paraît s'imposer est le suivant : le paysage doit être rêvé, médité, intériorisé avant le premier coup de pinceau.

2. Le terme sai utilisé dans ce texte exprime la nécessité pour le peintre d'introduire un rythme qui vienne briser la monotonie du paysage.

montagnes lointaines et les montagnes proches seront séparées; les eaux lointaines et les eaux proches seront séparées. Nichés au flanc de la montagne, on peut placer un temple et des habitations. Sur les rives escarpées et les talus élevés, on peut disposer un petit pont. Là où se trouve un chemin, il y aura des arbres. Aux limites de la berge il faut un vieil embarcadère. Aux limites des eaux, les arbres sont enveloppés de brume. Quand les eaux sont vastes, il faut des bateaux à voiles. Si la forêt est dense, il faut quelques habitations. S'il y a un vieil arbre au bord d'un précipice, ses racines sont cassées et les lianes l'enveloppent. Au bord du courant, les rochers de la rive ont des formes étranges et creusées par les eaux.

Si on peint les arbres de la forêt, ceux qui sont éloignés doivent être clairsemés et bas, ceux qui sont proches, hauts et denses. S'ils ont des feuilles, leurs branches seront délicates; s'ils n'ont pas de feuilles, leurs branches seront solides. L'écorce des pins est semblable aux écailles de poissons. Celle des cyprès s'enroule autour du tronc. Ceux qui poussent sur la terre, leurs racines sont profondes, leurs troncs droits. Ceux qui poussent sur le rocher ont des formes tourmentées et sont solitaires. Les vieux arbres sont noueux et presque morts. En hiver les arbres sont dépouillés et sévères.

S'il pleut on ne peut distinguer le ciel de la terre, ni l'est de l'ouest. S'il vente et qu'il ne pleut pas, on voit surtout les branches des arbres. S'il pleut et qu'il ne vente pas, la cime des arbres paraît écrasée. Les passants portent leur chapeau de pluie, les pêcheurs leur manteau de paille.

Après la pluie, les nuages se dissipent, le ciel devient bleu. Brumes et vapeurs légères rendent le vert des montagnes presque palpable. Le soleil jetant ses rayons obliques semble proche.

Si on peint un paysage au matin, les montagnes doivent donner l'impression de vouloir s'illuminer, il faut des brumes légères, la lumière voilée de la lune à son déclin, une atmosphère de clair-obscur.

Si on peint un paysage le soir, les montagnes saisissent le soleil rouge, près des îlots du fleuve on a plié les voiles, sur le chemin les passants se hâtent et les portes de broussailles sont entrouvertes.

Au printemps, le paysage est enveloppé de brumes et de fumées, les fumées s'étirent comme des bandes de soie, l'eau semble teintée de bleu, la couleur des montagnes se rapproche du vert. En été, de vieux arbres cachent le ciel, les eaux vertes sont sans ride, les cascades semblent traverser les nuages; près de l'eau, il y a un pavillon retiré.

En automne, le ciel a la couleur de l'eau, les massifs de bambous sont profonds comme la forêt, il y a des oies sauvages sur les eaux d'automne, et des oiseaux de marais sur les bancs de sable.

En hiver, la neige recouvre le sol, un bûcheron porte un fagot, la barque d'un pêcheur est échouée sur un banc de sable là où l'eau est peu profonde 1.

Pour peindre un paysage, il faut suivre les saisons; ainsi le paysage enveloppé de fumées et de brumes, les nuages qui rentrent aux montagnes du pays de Chu, le ciel d'automne qui s'éclaircit le matin, les stèles délabrées sur des tombeaux antiques, les couleurs printanières du lac Dongting, un homme égaré sur un chemin désert. Tout cela peut être sujets de peinture. Les sommets des montagnes ne doivent pas être semblables; les cimes des arbres ne doivent pas être pareilles. Les montagnes utilisent les arbres comme vêtements; les arbres se servent des montagnes comme support. Les arbres ne doivent pas être trop denses, il faut qu'ils laissent voir la splendeur des montagnes. Les montagnes ne doivent pas être trop confuses, il faut qu'elles laissent apparaître l'esprit des arbres. Celui qui peut maîtriser ces principes, on peut le considérer comme un maître paysagiste.

1. La composition du paysage obéit à une exigence poétique. Le paysage procède d'une poétique a priori. Wang Wei ne vise pas au réalisme au sens occidental du terme. Certains lui ont d'ailleurs reproché des incohérences comme peindre un bananier sous la neige. En fait il s'agit pour lui d'exprimer l'essence de la nature en composant à partir d'accords naturels, de scènes typiques : ainsi l'hiver, avec les bûcherons portant fagots, la barque échouée, ou encore l'automne avec les oies sauvages.

Le peintre construit à partir de résonances contrastées, d'unités poétiques toutes faites comme le jardinier chinois reconstitue en les concentrant, en les miniaturisant les accords naturels entre eaux et végétations, rochers et eaux…

328

§§






Wang Wei (Moundarren)

Les Saisons bleues

l'oeuvre de Wang Wei poète et peintre

texte français par Patrick Carré

© Éditions Phébus, Paris, 1989


Les hétaïres du seigneur Tchou ne sont pas de médiocres artistes. Musiciennes, elles laissent aux saules et aux sophoras les échappées du temps et rendent au rire et à la joie leur nécessaire identité avec la vie. « Comprendre la vie, écrit maître Tchouang, c'est ne pas prendre en charge ce qui est inutile à la vie; comprendre le destin, c'est ne pas rechercher ce qui le rend impossible. »




Wang wei



« Nuit d'automne à l'Établissement des Rites... »


Une nuit dans la Cité interdite avec Ts'ouei

Nuit d'automne à l'Établissement des Rites, Attente de l'aube au Legs de la Lumière.
Les froides clepsydres dorment aux neuf portes, Les cloches du matin volent aux mille fermages.

La lune se cache dans les perles du Boisseau,
Les nuages fondants quittent le fleuve Écarlate.
Tout honteux de ma décrépitude —
Nos agates tintent en choeur sur la route du Midi.

Son cousin Ts'ouei Sing-tsong, secrétaire aux affaires d'État, attire le poète au coeur même du palais du plus grand empereur du monde. Dûment impressionné, Wang se cantonne à la langue de Cour pour exprimer son « complexe d'infériorité » et sa résolution dans la fuite. Fuite toujours contenue.

§





« Les montagnes se taisent... »

Deux chansons pour un ami qui rentre à la montagne

I

Les montagnes se taisent,
inhabitées,
Vertes encore
de tant d'arbres.

La compagnie des dragons
comble la Cour,
Que partez-vous
pour une vallée vide?

Rare douceur de votre art
au penser profond —
La Voie est inconnaissable
et le voyage, solitaire,
Jusqu'aux cailloux
qu'arrose la source,
Jusqu'aux pins autour
de la cahute.

Vous entrez dans les nuages
en élevant des poules,
Vous grimpez sur la cime
un veau entre les bras.
Les génies vous offrent des jujubes
gros comme des courges,
Les tigres vous échangent des abricots
contre du grain.


Honteux d'être sans talent,
et de nuire aux sages,
Vous abhorrez la vieillesse
et l'amour des gages.
Jurez de détacher votre sceau
et de me suivre —
Que pourra vous prédire
Tchan Yin?

II

L'homme-dans-la-montagne
veut s'en retourner —
Les nuages sont noirs,
la pluie dure,
Les vagues folles de l'eau
couchent les eupatoires,
Le héron blanc soudain
s'envole en tourbillonnant.

Vous ne pouvez pas même 
vous retrousser…

Dix mille monts se répètent
sous un seul nuage,
Ciel et terre se fondent
indistinctement.
Les arbres sont si sombres —
on dirait les nuées
D'où jaillissent les cris
des singes invisibles.


Soudain à l'ouest des montagnes
s'enfonce le soleil,
Révélant aux terres d'Orient
un lointain village.
La lande verdoie
sur mille lieues —
Subtilement navré,
je songe à vous.



Ces deux chansons illustrent si bien le dilemme wangwéïen que l'on peut se demander si l'ami que raccompagne le poète n'est pas le poète lui-même « l'homme dans la montagne » de la Lettre à P'ei Ti.

La « compagnie des dragons » n'est autre que l'assemblée des sages ministres du souverain légendaire Yao de T'ang. « Cour comble » et « vallée vide » : première antinomie. [132-134]



§

« Le couchant parfait les monts et l'eau... »

Au monastère de la Porte en Pierre, sur le mont des Champs Bleus [180-181]

Le couchant parfait les monts et l'eau 
Tangue-barque se fie au vent du retour. Émerveillé, je ne sens la distance
Et parviens où la source s'épuise.
Vague désir — fleurs de nue aux arbres, 
Premier doute — la route a changé. 
J'ignorais que les détours du clair ruisseau Déboucheraient sur la montagne en face.

Je laisse la barque et me fais un bâton,
Heureux d'aller où je vais.
Quatre, cinq vieux moines
Flânent à l'ombre des pins et des cyprès :
Liturgie du matin avant l'aurore au bois,
Méditation du soir aux monts plus silencieux... L'esprit de la Voie : chez le petit bouvier;
Les nouvelles du monde viennent du bûcheron!

Nuit passée sous les grands arbres,
Vapeurs d'encens, couche jadine.
Les senteurs du torrent imprègnent mes habits,
La lune des sommets illumine le mur des rocs.
Plus avant, je me perdrais...
Je reprendrai mon ascension avec le jour.
Congé rieur — « gens des Pêchers Fleuris,
Je reviendrai vous voir quand ils auront rougi »!

§

« Jour d'été au monastère... »

Jour d'été au monastère du Dragon Vert :
visite au maître-d'éveil Tsao
Le vieillard chancelant
Rejoint à pas lents le palais d'éveil —

§

« J'ai connu tard le principe de pureté... »

Repas offert aux moines
du mont de la Marmite Renversée

J'ai connu tard le principe de pureté —
Chaque jour m'écarte de la foule.
En attendant les moines du mont lointain,
Je balaie mon humble chaumière.

Depuis leurs pics dans les nuages,
Ils voient les joncs de mon refuge.
Coussins d'herbe dînent de poudre de pin —
Vapeur d'encens déchiffrent les livres de la Voie…

Les lampes s'allument à la fin du jour.
La pierre qui chante annonce le début de la nuit.
Éveillé à la paix comme félicité,
La vie se fait liberté sans restes.

Le désir du retour doit-il être profond ? Le monde et moi : espace vide.

Pensée mahâyâniste avancée : le vide se transcende en félicité. « Liberté sans restes » du pur quotidien. Le « désir de retour » est l'envie de fuir le monde — état d'esprit proprement insondable, puisque le sujet, les objets et leur relation sont semblables à l'azur. [182]

§

« Le soir empoigne un bâton de bambou... »


Par la retraite montagnarde
du révérend T'an-sing, au monastère de la Sensible Conversion [182-183]

Le soir empoigne un bâton de bambou
Pour m'attendre en haut du torrent du Tigre.
Me presse l'écho de la montagne —
Nous rentrons le long de l'eau.

Sauvages fleurs en grappes de beauté —
L'oiseau de la vallée lance un cri de silence.
Assis la nuit au calme du bois vide, 
Le vent des pins vient de l'automne.

§§

Wang Wei (G.W.Robinson)

	

POEMS OF WANG WEI

TRANSLATED WITH AN INTRODUCTION

BY G. W. ROBINSON

PENGUIN BOOKS 1973





The wang river sequence

Meng Wall Hollow


New home near this Meng Wall 
Old Crees — some dying willows still —
And who will live here in the future 
To grieve vainly for him that was here before ?
[27]

§

A letter to Pei Ti from the hills

APPENDIX I

A letter to Pei Ti from the hills


THis twelfth month the weather has been bright and agreeable, and I could have come over the mountain, but I hesitated to disturb you, deep as you are in the Classics. So I went off for a walk in the hills. I rested at the Kanp'ei Temple, where I had something to eat with the hill monks, before I left and went north over the Black Water. The clear moon lit up all the country. In the night I went up Huatzu Hill, and the waters of the Wang River were rippling up and down with the moon. Distant lights in the cold hills were coming and going beyond the woods. The barking of the winter dogs in the deep lanes sounded like leopards. The pounding of grain in the village could be heard between the strokes of a distant bell. Now I am sitting by myself. The servants are asleep. I am thinking a lot about old days, our composing poems as we walked arm in arm along steep paths beside clear streams.

We must wait for the spring, when all the grasses and Crees will corne out again and we can look at the spring hills. The light dace coming out of the water. The gulls soaring. Dew wetting the green banks. The morning call of the pheasants in the corn. All this is not far off, and then you can surely corne and wander about with me ? If it weren't for your natural genius, I would of course not impose anything so inessential on you. But it holds deep interest. No urgency. This goes t o you by a hillman. No more now.

From Wang Wei, man of the hills. [141]

Li Po ou Li Bai (701-762)

LI PO
l'immortel banni
buvant seul sous la lune
poèmes traduits du chinois par
CHENG Wing fun & Hervé COLLET
calligraphie de CHENG Wing fun
Moundarren
chemin des bois Millemont 78940 France

1988



naviguant vers Ching men, adieu





naviguant vers Ching men au loin,
je voyage au royaume de Ch'u
aux montagnes qui se terminent succède une vaste plaine
le Fleuve coule désormais dans une étendue immense
la lune descend comme un miroir dans le ciel en plein vol
des nuages naissants tissent des pavillons sur la mer
toujours j'aimerai le fleuve de mon pays natal
à dix mille li il accompagne encore la jonque du voyageur


§

Extraits biographiques (Cheng & Collet)5

[…]

A Chiang ling, capitale de l'ancien royaume de Ch'u, Li Po rencontre le grand maître taoiste Ssu Ma Cheng chen, âgé de soixante-dix ans, douzième patriarche de l'école de

la Grande pureté, auteur d'un traité sur l'art de la contemplation.

"...A Chiang ling je rencontre Ssu Ma. Il me dit que j'ai l'allure d'un mortel, l'ossature d'un taoiste. Je l'accompagne dans les voyages de l'esprit au-delà des huit pôles. Pour exprimer cela, je compose mon ode le Grand rapace rencontre l'Oiseau rare..."

Li Po continue son voyage en aval du Long Fleuve, passant par le lac Tung ting, le lac Po yang, jusqu'aux grandes villes de l'est de la Chine, Chin ling (Nan king) et Yang chow, aussi appelée Kuan ling, élégantes villes d'eaux, de commerce et de plaisirs. Kuan ling, la ville du sel, point de départ du grand canal qui relie le Long Fleuve au Fleuve Jaune, est très réputée pour ses courtisanes. Là, en moins d'un an, il dépense trois cents mille écus d'or. Il visite les montagnes célèbres du pays de Shan, au bord de la mer de Chine: le Tien tai (la Terrasse du ciel), le Ssu ming, le Rempart rouge, le Tien mu (la Mère du ciel), où sont nichés de nombreux temples et monastères taoistes et bouddhistes. Li Po commence alors à se consacrer à l'étude et à la pratique du "ch'an" (transcription chinoise du sanskrit "dhyana", contemplation). Le ch'an est une subtile infusion de l'enseignement du buddha ("l'éveillé") indien Sakyamuni dans le taoisme chinois de Lao tzu et Chuang tzu. Il met l'accent sur l'expérience même de l'éveil, éveil à l'identité profonde de notre nature originelle et de l'univers dans la plénitude de l'instant présent. Le ch'an vient alors de trouver son expression propre sous l'impulsion de Hui neng (638-713), le sixième patriarche, dont les propos et les sermons ont été retranscrits dans le Soutra de l'Estrade.

...Un jour, un moine qui naguère avait été général lui demandant de façon pressante et menaçante quelle est l'essence du ch'an, il lui dit: " ne pense plus ni au bien ni au mal, à ce moment-là même, quel est ton véritable visage?"

Durant la vie de Li Po, le ch'an connaît son âge d'or. Sa philosophie radicale de libération de l'être attire de nombreux lettrés et moines dans les temples des montagnes où enseignent les grands maîtres. Ma tsu (709-788), " au regard de tigre, à la démarche de buffle ", et Nan yueh, " le paresseux ", les deux grands maîtres de l'Ecole du sud qui enseignent au Tien tai, au pays de Shan, […]

§

chant du marchand voyageur

le voyageur des mers chevauche les vents du ciel, il appareille sa jonque pour de longues expéditions comme un oiseau dans les nuages,
une fois parti pas la moindre trace

§


inscrit au Temple du sommet

la nuit je loge au Temple du sommet
je lève la main, touche les étoiles
je n'ose parler à voix haute,
de peur de déranger les habitants du ciel

§



composé lors d'une visite à un moine

composé lors d'une visite à un moine de la montagne sans le rencontrer

le sentier de pierres pénètre dans un val de cinabre
la porte en pin est bloquée par de la mousse verte
sur le perron désert, des traces d'oiseaux
la salle de méditation, personne pour ouvrir
je regarde par la fenêtre, une brosse blanche,
accrochée au mur, couverte de poussière
vaine visite, je soupire
sur le point de repartir, je musarde un moment
des nuages parfumés s'élèvent de la montagne
une pluie de fleurs tombe du ciel
joie de la musique du ciel
plus encore, les cris plaintifs des singes
allègre, dégagé des affaires du monde,
ici, enfin à l'aise

§



Chuang tzu (4ème siècle av.), le grand sage et philosophe taoiste, raconte qu'un jour, rêvant qu'il est un papillon, quand il se réveille il ne sait plus s'il est Chuang tzu qui vient de rêver qu'il était un papillon, ou s'il est ce papillon en train de rêver qu'il est Chuang tzu.

Chuang tzu

Chuang tzu rêve qu'il est un papillon
le papillon c'est Chuang tzu
le corps se métamorphose,
comme les dix mille choses innombrables
on sait ainsi que les flots de Peng lai,
redeviennent un ruisseau clair et peu profond
qu'à la Porte bleue, l'homme qui plantait des melons,
avait été autrefois duc de Tung ling
pour la richesse et l'honneur il en va de même
on s'affaire, pour chercher quoi au juste ?

§

buvons et chantons

ne voyez-vous pas les eaux du Fleuve Jaune descendre du ciel,
et se précipiter vers la mer sans jamais revenir ?
ne voyez-vous pas, dans de hautes salles,
devant les miroirs clairs on s'attriste face aux cheveux blancs ?
à l'aube comme de la soie noire, au crépuscule 	comme de la neige
durant cette vie suivons notre gré et épuisons la joie
ne laissons pas nos coupes en or en vain face à la lune
le ciel nous a comblé de talents, employons les
	mille pièces en or, 
dépensons les toutes, elles reviendront un jour
qu'on cuise un mouton, qu'on découpe un boeuf, réjouissons-nous,
et d'un trait buvons trois cents coupes
maître Tsen, Tan Chiu, buvez, ne vous arrêtez pas
pour vous je vais chanter, prêtez l'oreille et écoutez maintenant
cloches, tambours, mets précieux, n'y accordons pas d'importance
n'aspirons qu'à une ivresse éternelle, à ne plus se réveiller
depuis les temps anciens sages et saints tous ont sombré dans l'oubli
seuls les buveurs ont laissé un nom
quand autrefois le prince Ch'en festoyait au Palais de la Félicité,
un vin à dix mille écus faisait monter la joie à son comble
notre hôte dit qu'il manque d'argent ?
qu'on apporte du vin, ensemble buvons
mon cheval aux cinq fleurs, ma fourrure de mille pièces d'or,
j'appelle un garçon, qu'il aille les échanger contre du bon vin
ensemble noyons la tristesse de dix mille générations

§

Le mont Lang ling est au nord de la Huai. Du kiosque du Pavillon blanc, à Hui ti, le regard embrasse de multiples montagnes et lacs. Un moine, surnommé "Traversant sur une tasse", avait traversé une rivière sur une tasse en bois.


dédié à maître Tao ya

autrefois, à l'est du Lang ling,
j'ai appris la contemplation avec Kong, le sage aux sourcils blancs
j'ai vu distinctement la grande terre comme un 	miroir clair,
tournant appuyée à la roue du vent
quand on saisit les forces de la création,
on possède des pouvoirs merveilleux
plus tard j'ai rendu visite à l'esprit du Tai shan
mes yeux ont vu le soleil disparaître dans les nuages
au milieu de la nuit, allongé sur la montagne sous la lune,
ayant secoué mon vêtement et fui la foule des hommes,
je fus initié au tao du buddha en or
durant d'innombrables kalpas je n'en avais jamais entendu parler
des ténèbres a jailli une lumière céleste
seul, illuminé, débarrassé de la poussière et de la souillure,
comme une barque libre, ne m'attachant plus aux choses
contemplant le changement, j'ai voyagé vers la 	source du fleuve
à la source du fleuve j'ai rencontré un homme du même élan que moi
Tao ya, un moine extraordinaire
quand il parle de la voie, les mers et les 	montagnes tressaillent
il voyage dans le monde pour l'enseigner aux ducs et aux mandarins
[…]

§

promenade sur le Ruisseau clair

le Ruisseau clair me purifie le coeur
la couleur de son eau diffère de celle d'autres eaux
si l'on compare avec la rivière Hsin an,
pour ce qui est de voir le fond, elle est sans pareille
un homme vogue sur ce miroir clair
des oiseaux traversent ce paravent
la nuit tombe, les gibbons crient
pourquoi t'attrister lointain voyageur ?

§


le feu du fourneau illumine ciel et terre 
des étincelles rouges jaillissent des fumées pourpres 
s'embrase le visage des forgerons la nuit sous la lune claire 
leur chant fait frémir le fleuve froid

§

« je suis le fou de Ch'u »

L'ermite Chie Yu (sème siècle av.), "le fou de Ch'u", simula la folie pour ne pas avoir à servir le souverain. Il refusa même de parler à maître Kong (Confucius). L'Archer est une constellation.


chant du Lu shan, envoyé à Lu Hsu chou, le censeur impérial

je suis le fou de Ch'u,
dont le chant de phénix se moque de maître Kong
une canne ornée de jade vert à la main,
à l'aube je quitte le Pavillon de la Grue jaune
sur les cinq montagnes sacrées je recherche l'immortalité, sans souci 	de la distance
toute ma vie j'ai aimé me promener dans les montagnes célèbres
le Lu shan, splendide, surgit près de l'Archer,
comme un paravent à neuf battants sous un brocart de nuages
son reflet, lueur mauve, plonge dans le lac limpide
la Porte en or s'ouvre entre deux pics allongés
le Fleuve céleste est accroché au-dessus du Pont des Trois rochers
le pic du Brûle-encens et la cascade au loin se 	font face
les falaises serpentent, les pics abrupts 	rassemblés percent le ciel 	immense
dans les lueurs émeraude et les brumes rouges 	scintille le soleil 	levant
les oiseaux ne volent pas jusqu'ici, le ciel de Wu est trop long
je grimpe haut, la vue sur le ciel et la terre est grandiose
le Long Fleuve, vaste, coule au-delà de tout retour
les nuages jaunes sur dix mille li animent la couleur du vent
les vagues blanches des Neuf Affluents déferlent des montagnes 	enneigées


§

parmi les herbes sauvages

parmi les herbes sauvages j'aperçois une boule de pissenlit
ivre je me rends à la ferme
je marche en chantant dans la campagne sauvage
est-ce possible ? dans les herbes vertes,
un autre vieillard à la tête blanche
je le cueille, face à face comme devant un miroir clair
les mêmes tempes blanches
humble plante, tu sembles rire de moi
mais déjà le vent d'est emporte ma tristesse





Tu Fu (712-770)

TU FU
une mouette entre ciel et terre
poèmes traduits du chinois par
CHENG Wing fun & Hervé COLLET
calligraphie de CHENG Wing fun
Moundarren
chemin des bois Millemont 78940 France

« cinq cents mots pour exprimer mon sentiment »

De la capitale me rendant à Feng hsien, cinq cents mots pour exprimer mon sentiment6

[...]
-17-
Chi yao, le dieu du brouillard, bouche le ciel froid
prudent j'avance pas à pas, précipices et ravins 	sont glissants
au bord d'un étang de jade aux vapeurs 	bouillonnantes,
des gardes impériaux sont alignés, leurs armes se touchent
l'empereur et sa suite ici séjournent et festoient
la musique s'élève comme le tonnerre dans le vaste ciel
le bain n'est accordé qu'aux bonnets à longs cordons
participer aux banquets n'est pas pour les vestes courtes en toile 	grossière
la Cour vermillon distribue la soie,
tissée par des filles de familles humbles,
dont on a fouetté les maris,
afin de l'extorquer pour contribuer au tribut de la Cour
quand le saint empereur en fait don,
c'est pour que le pays et la nation soient prospères
mais les mandarins négligent cette raison suprême,
et poussent l'empereur à gaspiller ces présents
nombreux sont ceux qui emplissent la Cour,
celui qui est vertueux doit être vigilant
on entend dire que la vaisselle en or du palais intérieur,
se trouve maintenant chez les belles-familles de l'empereur, Wei et 	Huo
dans le grand hall dansent de jeunes déesses,
la fumée et la brume enveloppent leur peau de jade
pour réchauffer les convives on apporte des manteaux de martre
les flûtes plaintives accompagnent les claires cithares
-18-
on honore les invités d'un potage de bosse de chameau
des oranges étincelantes sont entassées avec des mandarines 	odorantes
devant la porte vermillon vin et viande pourrissent
sur le chemin, les os de ceux qui sont morts de froid 
l'abondance et la misère distantes d'à peine un pied 
affligé, j'ai du mal à continuer ce récit
les roues de ma charrette se dirigent vers le nord, 	
j'approche de la Ching et de la Wei
les embarcadères publics ont été déplacés
les flots abondants descendent de l'ouest,
à perte de vue des vagues hautes et abruptes
on dirait que le mont Kong tong se rue avec elles,
à craindre qu'elles ne heurtent et brisent les piliers du ciel
les ponts heureusement n'ont pas encore rompu,
on entend leurs piliers grincer " si su "
les voyageurs se donnent la main
le fleuve est large, impossible de traverser
ma vieille épouse séjourne dans un pays étranger,
de mes dix bouches je suis séparé par le vent et la neige
qui supporterait aussi longtemps de ne pas les voir?
j'ai décidé d'aller les retrouver et de partager 				avec eux la faim et la soif
quand je passe la porte, j'entends des lamentations
mon jeune fils, affamé, est déjà mort
vais-je pouvoir contenir mon chagrin?
les voisins aussi sanglotent
-19-
j'ai honte d'être son père
il n'y a plus rien à manger, il en est mort précocement
comment imaginer qu'après l'automne, alors qu'on 			vient de récolter les céréales,
une famille même pauvre soudain soit ainsi frappée?
par mon origine sociale j'ai été exempté de l'impôt,
et mon nom ne figure pas sur les listes de mobilisation
pourtant, à retracer ma destinée, je n'ai que de l'amertume
le peuple humble est inquiet et apeuré
en silence je pense à ceux qui ont perdu tous leurs biens
je pense aussi aux soldats, au loin, qui gardent les frontières
ma peine et mon souci sont aussi hauts que la montagne Chung nan,
leur flot immense, sans borne, impossible à endiguer

§



µµBallade de Peng ya



je me souviens autrefois, quand nous fuyions les rebelles
-23-
fuyant vers le nord, affrontant dangers et difficultés
la nuit est profonde sur la route de Peng ya,
la lune éclaire la montagne d'Eau Blanche
toute la famille depuis longtemps marche
quand nous croisons quelqu'un, je me sens honteux
dans les ravins on entend les cris confus des oiseaux
on ne voit personne ayant déjà fui revenir
ma sotte fille, affamée, me mord
ses pleurs, je crains que tigres et loups ne les entendent
j'enfouis sa tête dans ma poitrine pour fermer sa bouche,
mais elle se débat et pleure de plus belle
mon petit garçon se force à être raisonnable
souvent il réclame des prunes âpres pour manger
sur dix jours, la moitié sous le tonnerre et la pluie
dans la boue mutuellement nous nous tirons
nous ne sommes pas équipés contre la pluie,
le chemin est glissant, nos vêtements froids
parfois nous sommes si épuisés,
que dans toute une journée nous ne parcourons que quelques li
les fruits sauvages nous servent de nourriture,
les branches basses de maison et de poutres
à l'aube nous marchons sur des pierres ruisselantes,
au crépuscule campons dans les nuées au bout du ciel
après un bref repos aux marais de Tong chia,
nous franchissons la passe de Lu tzu
[…]				
				  §

« ...les dessins de mer et de vagues y sont brisés »



[...]
les dessins de mer et de vagues y sont brisés
les vieilles broderies sont rapiécées de façon dissymétrique,
le dieu de la mer et le phénix pourpre
sont à l'envers sur leurs vestes courtes
le vieillard en a le sentiment mauvais
plusieurs jours j'en resterai alité, souffrant de nausée et de diarrhée
mais j'y pense, il y a dans mon sac du tissu,
pour vous sauver tous du froid coupant
d'une enveloppe je sors de la poudre et du khôl
j'étale aussi une couverture
le visage de ma femme amaigrie retrouve sa lumière
mes filles candides vont aussitôt coiffer leurs cheveux
imitant leur mère, rien ne leur échappe
avec le maquillage elles se barbouillent les mains,
et un instant après appliquent le fard sur leur visage
maladroites elles peignent leurs sourcils trop larges
d'être revenu vivant auprès de mes jeunes enfants,
j'en oublie presque la faim et la soif
en se bousculant ils m'interrogent et tirent sur ma barbe
qui les gronderait?
me rappelant le malheur d'avoir été capturé par les rebelles,
ce brouhaha qui me casse les oreilles je l'accepte avec joie…
[...]

Le 9ème mois 757 Ch'ang an est repris par les troupes impériales. L'empereur est bientôt de retour dans la capitale […]

§

« je viens de me promener dans le monastère »



742, dans la région de Lo yang.
visite au temple Feng hsian à Long men
-53-


je viens de me promener dans le monastère,
je compte y passer la nuit
dans l'ombre des ravins naît la brise
de la lune la forêt disperse les rayons clairs
sous la voûte céleste les astres sont proches
allongé dans les nuages, mon vêtement est froid
au moment où je me réveille j'entends la cloche du matin
elle m'inspire une profonde compréhension

§

« les chariots grondent "lin lin" »

-62-

751, à Ch'ang an. Hsien yang est un ancien nom de Ch'ang an. L'Océan bleu est un lac dans le nord-ouest de l'empire.


ballade des chariots de guerre


les chariots grondent "lin lin"
les chevaux hennissent "hsiao hsiao"
les soldats partent en expédition, arcs et flèches à la taille
pères, mères, femmes et enfants courent après eux pour leur dire 	adieu
dans la poussière on ne voit plus le pont de Hsien yang
ils s'accrochent à leur vêtement, trépignent et barrent le chemin en 	pleurant
leurs pleurs montent tout droit troubler le haut ciel
au bord du chemin le voyageur interroge un homme de l'expédition
l'homme de l'expédition dit seulement qu'on ne cesse de recruter
certains à quinze ans sont partis défendre le nord du Fleuve
à quarante ans ils sont encore à entretenir les terres de l'armée à 	l'ouest
le jour du départ le chef du village leur a bandé la tête
quand ils reviennent, la tête blanche, il faut 	
encore partir défendre les frontières
aux frontières le sang coule comme une mer
l'empereur Wu des Han voulut repousser les  frontières, 
son ambition n'est pas encore apaisée
n'avez-vous jamais entendu dire que dans les deux cents districts de la maison des Han à l'est du mont Hua, 
dans mille villages, dans dix mille hameaux ne 	poussent plus que des ronces et des buissons?


-63-
même si c'est une femme robuste qui tient l'araire,
le riz pousse dans des sillons sans est ni ouest
comme les soldats du pays de Ch'in sont résistants et courageux,
ils sont maltraités, on ne les considère guère 	
différents de chiens ou de poulets
malgré mes questions,
le soldat n'ose se plaindre
en plus, cette année pour l'hiver,
on ne démobilise pas les troupes à l'Ouest de la Passe
malgré cela les chefs de district sont pressés de réclamer l'impôt
l'impôt, d'où le sortir?
faire naître un garçon est vraiment un malheur
mieux vaut avoir une fille
un fille peut épouser un voisin proche
un garçon finit enterré sous les cent herbes
ne voyez-vous pas, sur les rives de l'Océan bleu,
depuis les temps antiques ces os blancs que personne ne ramasse?
les nouvelles âmes sont exaspérées, les vieilles âmes pleurent
sous le ciel couvert, la pluie mouille leurs gémissements plaintifs

§

« hauts et majestueux, les nuages... »



Automne 757, au village Chiang, à Fu chow.
trois poèmes sur le village Chiang

hauts et majestueux, les nuages s'embrasent à l'ouest
les rayons du soleil rasent la terre
au portail en branchages les oiseaux jacassent
le voyageur de retour arrive de mille li
ma femme est ébahie de me voir
l'émotion passée, nous essuyons nos larmes
dans ce monde en tourbillon je vis dans l'errance
de revenir vivant j'ai sans doute de la chance
les voisins sont là aussi, leurs têtes dépassent du mur
émus ils soupirent et sanglotent eux aussi
au profond de la nuit je renouvelle la bougie
l'un en face de l'autre, comme dans le rêve


§

« étriqué! comme c'est étriqué! »



-92-
Printemps 758, à Chang an.
ballade étriquée, dédiée à Pi Yao


étriqué! comme c'est étriqué!
j'habite au sud de l'allée, toi au nord de l'allée
comme c'est regrettable, entre voisins,
en dix jours pas une seule fois je n'ai vu ton visage
depuis que j'ai rendu mon cheval de fonction aux autorités,
je dois emprunter des sentiers difficiles où l'on marche péniblement à 	travers les ronces
je suis pauvre et n'ai point de monture, mais ne suis pas sans pied
avant je te rendais visite, aujourd'hui je ne puis le faire
ce n'est pas que je prenne soin de mon humble corps, 
ni que mes pieds manquent de force,
mais s'ils me voient marcher à pied, je crains la colère de mes 	supérieurs
mon coeur est sincère, tu le sais
à l'aube la pluie cingle, le vent printanier est comme fou
je dors profondément et n'entends pas la cloche et les tambours 	sonner
le voisin à l'ouest a un âne boiteux, il est d'accord pour me le prêter
la boue est glissante, je n'ose le chevaucher pour me rendre à 	l'audience impériale
d'ailleurs j'ai déjà envoyé ma demande de congé
la vie d'homme est vraiment pitoyable,
comment pouvoir garder toute la journée le coeur serré?

§

« ma longue houe!... »



-101-

ma longue houe! ma longue houe au manche en bois blanc! 

je dépend de toi pour survivre

les taros sauvages n'ont plus de fane, dans la montagne la neige est 	abondante

mon manteau est court, j'ai beau tirer dessus il ne peut couvrir mes 	mollets

quand il arrive qu'avec toi je revienne les mains vides,

mes garçons soupirent, mes filles gémissent, entre les quatre murs le 	silence

"wu tu" ma deuxième chanson je la chante à haute voix

les voisins pour moi en ont le visage qui se rembrunit


§

« sur les les montagnes alentour le vent souffle... »

	
-102-

sur les les montagnes alentour le vent souffle, les torrents sont 	fougueux

la pluie froide "sa sa" détrempe les arbres morts

au-dessus de la ville ancienne envahie par les herbes sauvages, les 	nuages ne s'écartent pas

des renards blancs sautillent, des renards jaunes se dressent

pourquoi ma destinée débouche-t-elle dans cette vallée perdue?

au milieu de la nuit je me lève et vais m'asseoir, dix mille pensées 	m'assaillent

"wu tu" je chante, longuement chante

j'appelle mon âme mais elle n'arrive pas, comment retourner au pays 	natal?


§

« tard dans la vie j'ai construit ma maison »

Automne 760, à Ch'eng tu.
vivant retiré


tard dans la vie j'ai construit ma maison

n'ayant rien de spécial à entreprendre, j'ai choisi un endroit tranquille

la lumière des bambous concentre la couleur du paysage

le reflet de ma hutte se balance dans le courant de la rivière

ils manquent d'instruction, je laisse mes enfants paresser

tout le temps dans la pauvreté, je laisse ma femme se tracasser

cent années d'insouciance tant qu'il y a l'ivresse!

un mois durant sans me peigner les cheveux


§

	

« sur les berges de la rivière déjà le milieu du printemps »

-110-
Printemps 761, à Ch'eng tu.
Improvisation


sur les berges de la rivière déjà le milieu du printemps 

sous les arbres en fleurs de nouveau les matinées claires 

je lève le visage, curieux de regarder les oiseaux

je tourne la tête, j'ai cru reconnaître quelqu'un

quand je lis un livre, je saute les caractères difficiles 

face au vin je remplis souvent ma coupe

je viens de faire la connaissance d'un vieillard du mont O mei

il a tout de suite compris que l'oisiveté est ma véritable nature


§

l'eau printanière


Printemps 761, à Ch'eng tu.
l'eau printanière


au troisième mois, les vagues sont couvertes de pétales de fleurs de pêchers

la rivière retrouve son ancien cours

à l'aube elle couvre déjà le sable au bord

sa couleur émeraude scintille devant le portail en
branchages

je répare mes lignes et jette un appât parfumé

je raccorde les tuyaux en bambou pour arroser le petit jardin

ajouté à cela, des oiseaux, innombrables,

en se bousculant se baignent et ensemble jasent


§

« ce soir un vent violent traverse le village »

		
-121-
Printemps 761, à Ch'eng tu.
éclaircie du soir



ce soir un vent violent traverse le village 
la cour tranquille est mouillée par une pluie passagère 
le soleil du crépuscule réchauffe les petites herbes 
sur le store ajouré se reflète la couleur de la rivière
mes livres sont en désordre, qui voudra bien les remettre dans leur étui?
je vide ma coupe et la remplis moi-même
à entendre parfois des propos si vains, 
comment s'étonner que le vieillard ici se cache?

§



« je me souviens, à quinze ans... »

-127-
Automne 761, à Ch'eng tu.
ballade des cent soucis accumulés



je me souviens, à quinze ans, le coeur encore celui d'un enfant,

robuste comme un veau j'allais et venais

devant la cour, au huitième mois poires et jujubes étaient mûres,

je montais dans les arbres, mille fois dans la même journée

depuis, cinquante ans ont déjà passé

souvent assis ou allongé, rarement debout je marche peu

je me force à sourire quand je vais m'entretenir avec mes bienfaiteurs,

consterné de constater que dans ma vie cent soucis se sont sans cesse 	accumulés

en rentrant, quand je franchis la porte, les quatre murs sont toujours 	aussi vides

ma vieille femme me regarde de la même mine triste

mon fils sot ne sait ce qu'est l'égard envers son père,

il hurle furieusement et réclame à manger en pleurant devant la 	cuisine
	
§

« pauvre, vieux, vraiment sans affaire, »

-146-
Eté 767, au Village à l'ouest de la Nang.
des visiteurs me rendent successivement visite


pauvre, vieux, vraiment sans affaire,

dans la montagne au bord du fleuve je suis bien installé

l'endroit est reculé, j'oublie de me laver et de me coiffer

un visiteur arrive, je pose ma cithare et mes livres,

et du mur décroche le panier de fruits

j'appelle le garçon et lui demande de cuire un poisson

c'est alors que j'entends qu'on attache une barque

quelqu'un d'autre vient me rendre visite dans ma chaumière


§

« pêches et poires... »

	
-147-
Eté 767, au Village à l'ouest de la Nang.
le garçon rentre


pêches et poires sont à peine ornées d'émeraude,
prunes et abricots à moitié colorés d'or
le jeune garçon revient du verger
du panier léger monte le parfum des pommes sauvages mûres
dans une pleine poignée il y a encore du vent de la montagne
la rosée rend leur goût plus frais
envers l'hôte des fleuves et des lacs, appuyé à l'oreiller, 
le soleil et la lune éternels sont en vérité bienveillants


§

« le haut ciel d'automne... »

	
-148-
Automne 767, au Village à l'ouest de la Nang.

automne limpide


le haut ciel d'automne soulage mes poumons
 
je puis moi-même coiffer mes cheveux blancs

les médicaments j'en ai assez d'en augmenter ou d'en diminuer la dose

la cour devant la porte je suis las de la balayer

avec ma canne en chénopode je raccompagne les visiteurs 

j'aime les bambous, je charge mon fils d'aller écrire dessus 

au dixième mois, quand la rivière sera calme, 

sur ma barque légère j'irai où bon me semble

§

« me voilà de retour aux champs »



-158-
Eté 767, au Hameau de l'est.

après m'être rendu momentanément à Pai ti, de retour au Hameau de l'est


me voilà de retour aux champs

les travaux de récolte du riz ne sont pas encore finis

pour construire l'aire de séchage je fais attention aux trous de fourmis

pour glaner les épis je laisse faire les garçons du village

le martèlement du pilon répand une lumière blanche

la balle du riz décortiqué est rouge

des repas plus copieux aideront à soutenir ma vieillesse

le grenier plein console la graine ailée errante que je suis


§

« entre ciel et terre, partout la même vie pénible »

-163-
Hiver 767, au Hameau de l'est.

décrivant mon sentiment


entre ciel et terre, partout la même vie pénible

si selon les provinces les coutumes diffèrent,

partout on s'affaire, on rivalise

de toutes parts surgissent des entraves

s'il n'y avait pas de noblesse, humble on ne s'attristerait pas

s'il n'y avait pas de richesse, pauvre on se contenterait de ce qu'on a

une fois mort ne reste qu'un cadavre

dans les maisons voisines tantôt on chante, tantôt on pleure

depuis que, homme modeste, je suis arrivé dans la gorge de Wu,

trois années ont passé comme la lumière vacillante d'une bougie

étant parvenu à entretenir ma vie, même de façon précaire,

je me suis résigné à vivre en pays étranger

laissant aller mon sentiment je ne me soucie guère de la gloire ou de 	l'humiliation

quand j'ai assité à l'audience impériale du matin,
j'avais déjà les dents du crépuscule de la vie

pour mes besoins journaliers je n'ai que du riz grossier

j'ai tressé une chaumière à l'est de la ville en pierre,

et cueille des plantes médicinales dans les ravins au nord de la 	montagne

je m'y consacre de tout mon coeur, qu'il neige ou qu'il gèle

nul besoin de tige touffue et verdoyante
	-164-
cela ne correspond pas à un arrangement particulier de ma part,

je me conforme seulement à ma nature solitaire

l'homme noble est droit comme une corde tendue
 
l'homme petit ressemble à un crochet tordu tordu ou droit, je m'en 	moque

me réchauffant au soleil j'attends les bûcherons et les garçons de 	vache


§

« au profond de la nuit... »

-165-
Hiver 767, au Hameau de l'est.
décrivant mon sentiment


au profond de la nuit, assis dans la véranda du sud,

la lune brillante éclaire mes genoux

une brusque rafale de vent renverse le Fleuve céleste,

sur les poutres de la maison déjà le soleil se lève

au sein de la multitude des êtres, chacun, après avoir passé la nuit,

vole ou rampe en compagnie de ses congénères

je dépêche moi aussi mes fils,

afin qu'ils s'affairent pour notre profit personnel

sous le ciel froid les voyageurs sont rares,

à la fin de l'année le soleil et la lune sont pressés

la gloire et le renom égarent les hommes,

dans ce monde chaotique ils s'agitent comme des poux

les anciens, bien avant les trois souverains saints,

une fois leur ventre rempli, n'avaient d'autre désir

pourquoi avoir inventé l'écriture en noeuds de corde?

c'est elle qui nous a piégé, qui nous a englué

en tête des criminels celui qui frotta du bois pour produire le feu

le malheur empira avec le pinceau de l'historien Tong Hu

regardez autour de la flamme de la lampe,

tournoyer le papillon de nuit
-166-
pourtant, si on laisse aller son esprit au-delà des huit extrémités,

qu'on regarde en haut ou en bas c'est partout la même quiétude

quand on comprend enfin sa véritable nature,

n'obtient-on pas l'or magique de l'immortalité?


§

« d'avoir à solliciter autrui cause cent soucis »

-171-
Printemps 769, naviguant vers Heng chow.

départ à l'aube

d'avoir à solliciter autrui cause cent soucis

d'être lettré est en outre ma maladie

c'est pourtant grâce à cela que j'ai beaucoup d'amis

vieux et pauvre, je suis toujours sur les chemins

nous partons tôt, le batelier est indolent

il hisse la voile, le vent n'est pas bon

les hommes de jadis s'abstenaient de se rendre dans les endroits 	dangereux

aujourd'hui au contraire je cours après les risques

dans les vagues qui roulent des dragons noirs
 
sautent le soleil se lève, illuminant le brouillard

jaune en plus d'être oppressé, les miasmes

m'assaillent épuisé je m'endors, je ne suis pas encore réveillé, 

quand le garçon déjà prépare ma toilette

mon visage crépusculaire est confus devant le miroir en bronze

au hasard j'épingle mon bonnet en coton

levant le regard, ému j'aperçois la profusion de fleurs dans la forêt

j'entends dire que la nuit dernière des brigands 
	ont sévi, je me réjouis que ma bourse soit vide

la peine et le danger sont le lot du voyageur du lointain,

avoir à quémander blesse ma nature intransigeante
-172-
être affamé à ne manger que des fougères retiré sur le mont Shou 	yang,

ou être reçu sur un cheval bai en tant que lettré itinérant,

j'ai voulu suivre ces deux voies

incapable de trancher entre les deux je me suis égaré


§

« de la montagne sacrée du sud maintenant on approche »

Printemps 770, naviguant vers Heng chow.

passant devant l'embarcadère

de la montagne sacrée du sud maintenant on approche

la Siang coule vers l'est et disparaît dans le lointain 

le vent est faible, on tire sur les rames en cannelier 

le soleil du printemps imprègne les nuages et les montagnes 

je tourne la tête, on passe devant l'embarcadère

au-delà il y a une forêt d'érables innombrables
 
des poissons blancs, piégés, sont prisonniers dans les filets
 
les loriots chantent de belles mélodies

parmi les êtres humbles, les uns sont libres, les autres captifs

l'homme de vertu en éprouve de la compassion


la jarre n'est pas terminée, il y reste un peu de vin

sur mes genoux, ma cithare est silencieuse

le saint et le sage sont tous deux dans la solitude

regarder au loin suffit à m'ouvrir le coeur

§

voyage nocturne, décrivant mon sentiment 

-177-
voyage nocturne, décrivant mon sentiment



des herbes drues des berges arrive une brise légère

dans la nuit solitaire s'élance le mât de la jonque

les étoiles sont suspendues au-dessus de la plaine immense

la lune s'agite dans le grand fleuve qui s'écoule

mes poèmes auraient-ils donc fini par me forger un renom?

à un poste officiel, parce que vieux et malade, j'ai désormais renoncé

errant, errant, à quoi ressemblé-je?

entre ciel et terre, sur le sable, une mouette


§§





Lu Yu (733-804)

le vieil homme qui n'en fait qu'à sa guise
poèmes traduits du chinois par
CHENG Wing fun & Hervé COLLET
calligraphie de CHENG Wing fun
Moundarren
chemin des bois
Millemont
78940 France


« je regarde le givre dans ma barbe... »

[13-14]

me rendant au bureau


[...]
toujours volontaire pour aller à la frontière je suis aussi fou 	qu’autrefois
je regarde le givre dans ma barbe, la vieillesse me harcèle 
la matinée est fraîche, peu de papiers et de dossiers
appuyé à la table basse devant la fenêtre au sud j'écoute le fracas du 	tonnerre


L'hiver de la même année il est censuré et limogé sur la charge que ses poèmes ne sont que "chanson de vent et de lune", c'est-à-dire désinvoltes. Il retourne à Shan yin, où dès lors il va mener la vie d'un poète paysan. Il cultive la terre avec ses fils, se promène dans les montagnes avoisinnantes, continue à étudier les Classiques, s'enivre toujours autant et compose d'innombrables poèmes.


§

« un chapeau de bambou, un manteau de paille... »


[14-15]



journée d'automne, je sors me promener, 
composé en m'amusant



un chapeau de bambou, un manteau de paille, je me trouve parfait 	ainsi
sans me soucier de la pluie ou du beau temps je les porte 
mi-sobre mi-ivre, les gens se bousculent pour me voir passer 
sage ou péquenaud, qui peut savoir?

§

« à dos d'âne souvent j'emporte... »

[15-16]


en visite dans les hameaux de montagne pour distribuer des médicaments



à dos d'âne souvent j'emporte une sacoche de médicaments
dans les ruelles des hameaux, joyeux les gens viennent m'accueillir
tous disent qu'autrefois je les ai sauvés
les garçons qui naissent pour la plupart sont prénommés Lu
				§




« l'air de l'automne souffle dans une flûte claire »

-18-

le nouvel automne


l'air de l'automne souffle dans une flûte claire
à la taverne la bannière est hissée, on peut y acheter à crédit
je chante joyeusement en traversant le petit marché
à mon chapeau bas est épinglée une fleur sauvage une fille de la rivière me garde des crabes frais un vieux jardinier m'offre des 	courges tardives 
qui devinerait que le vieillard oisif 
fait de sa vie une longue ivresse?

§

« une haie de ronces tressées... »



[19-20]


pensée d'automne


une haie de ronces tressées, toute la journée le portail reste fermé
mûriers et chanvre cachent le chemin, on ne distingue plus le village
toute ma vie mes poèmes se sont répandus sous le ciel
la tête blanche je suis retourné au pays pour arroser le jardin

	
décrivant mon sentiment	


le toit fuit, je déplace mon lit
la fenêtre est déchirée, je répare le trou
j'enfile ma veste, plus fier que si c'était du renard ou de la marmotte
ma nourriture est frugale, j'en oublie les fines tranches de poisson ou 	de viande rôtie
dans la vie lorsqu'on est vieux on devient vraiment pitoyable
les cent choses tournent au déclin et à la décrépitude
je me réjouis d'avoir pu retourner dans mon village natal
je goûte sa douceur comme lorsqu'on croque de la canne à sucre
ma chaumière a beau être rudimentaire,
cela n'empêche pas la sagesse de se répandre dans la maison
mes fils savent élever les poules et les porcs
moi-même je sais planter les mûriers et le chanvre
à la taverne du village on peut facilement acheter du vin à crédit
dans l'écurie du voisin je peux emprunter un âne
quand je dors je laisse mes disciples me railler
quand je suis ivre je n'ai aucun supérieur pour me blâmer
dès que je vois un livre mes yeux aussitôt se ferment
d'être aussi paresseux pourtant je me pardonne
dans cinq cents ans peut-être,
dans les forêts je serai un bon sujet de conversation

§

« le vieillard de la montagne... »

-25-

Année 1181. Quand le poète Chang An (258-319) démissionna de son poste à la capitale pour se retirer, il dit que c'est parce qu'il avait hâte de manger à nouveau les perches de son pays natal.



le jardin potager

le vieillard de la montagne dans sa vieillesse a appris à jardiner en 	riant de sa maladresse

à peine trois arpents de terre pierreuse et stérile
	pour le labeur pénible j'ai engagé deux hommes

le carré de terre divisé en plates-bandes ressemble à un échiquier
	à peine humecté le sol devient comme du beurre fondu

on a coupé et dégagé le terrain jusqu'à ce que ronces et buissons 	soient exterminés

on a Noué et hersé jusqu'à ce qu'il n'y ait plus ni pierre ni motte
au-dessus du fossé on a placé un tronc en travers pour faire un pont
avec des tuiles glanées on a construit une petite pagode
sur la terre encore libre on a dressé des tuteurs pour les courges
avec l'énergie en reste on a planté un carré de taros
les jeunes pousses de laitue forment déjà un fil mince

les courgettes cuites à la vapeur sont fondantes 	comme du canard
l'affaire est aujourd'hui bien engagée
ce n'est pas pour les perches que je suis retourné à l'est
§

« de mon rêve mélancolique soudain... »

-39-
Année 1184

me levant de bon matin


de mon rêve mélancolique soudain je me réveille en sursaut
à la petite fenêtre percent les premiers rayons
un oiseau précieux siffle dans un arbre de la cour,
adorable, j'ignore son nom
jadis occupant des fonctions j'ai voyagé,
au milieu de la poussière passant la moitié de ma vie
sur un ordre j'attachais ma ceinture et sortais,
" dong dong " on frappait la dernière veille
maintenant que j'habite dans la montagne, bien que libre,
je me lève de bon matin avec un programme devant moi
je rince la pierre à encre et essuie la table
je me mets à sourire, satisfait, le sentiment tranquille

§

« à l'écart je me suis réfugié... »

-42-
étudiant les livres


à l'écart je me suis réfugié, au bord des fleuves et des lacs, 
séjournant sagement au milieu du vent et de la pluie 
le papier neuf à la fenêtre est extrêmement blanc 
dans le poêle chaud le feu vif rougeoie
marque-pages et étuis de livres je viens à l'instant d'arranger 
la prononciation et la forme des caractères j'étudie en détail 
si je ne meurs pas tout de suite et surmonte la décrépitude, 
pendant dix années encore je me consacrerai à l'étude

§

« la pluie traverse le village assombri »



-47-
Année 1186

juste après mon retour, par hasard je me rends dans un village proche, composé en m'amusant


la pluie traverse le village assombri
le vent soulève les senteurs de cent herbes
ramant dans ma barque je longe le quai ancien
appuyé à ma canne, debout je contemple le nouvel étang
ivre je réalise l'immensité du Ciel et de la Terre
oisif je comprends l'éternité du Soleil et de la Lune
de retour au crépuscule je remplis un rouleau de poèmes
bien que vieux, ma vigueur se manifeste toujours autant

§

« des quatre côtés l'eau sans limite... »



-48-
la nuit vogant dans la Crique aux libellules


des quatre côtés l'eau sans limite
à la troisième veille la lune n'est pas encore levée
au hasard je navigue à la rame,
comme si j'avançais en chevauchant le vent
dans la crique embrumée le chant des pêcheurs a cessé
sur l'île aux roseaux scintille une lumière mystérieuse
de retour à la maison tout le monde est déjà couché
un bon moment je reste là à frapper au portail en branchages

§

« mon âge approche des soixante-dix ans »

	
-55-
une soirée soirée d'automne du paysan


mon âge approche des soixante-dix ans 
avec le monde depuis longtemps nous nous ignorons
la force de mes muscles heureusement je puis encore solliciter
elle soutient mon corps décrépit quand je m'occupe du labour et des mûriers pour les vers à soie
me voilà paysan parmi les vieux paysans,
soucieux de m'abriter du vent et du givre
au milieu de la nuit je me lève pour aller donner à manger au boeuf
la Grande Ourse est suspendue au-dessus de la 	campagne immense


§

« le vent soulève le fleuve et le lac... »

		
-58-
4ème jour du llème mois, le vent et la pluie
se déchaînent



le vent soulève le fleuve et le lac, la pluie assombrit le village
les montagnes alentour rugissent comme les vagues
déferlantes de la mer
un feu doux de fagots du torrent, une chaude couverture barbare laine,
le chat et moi ne franchissons pas la porte


§

« dans l'ombrage formé par les mûriers... »

		
-70-
à l'intention des visiteurs	


		
dans l'ombrage formé par les mûriers l'odeur de cent herbes

à midi dans le vent frais le bruit des rouets sur lesquels sont dévidés les cocons à soie

visiteurs qui arrivez, ne parlez pas des affaires du monde

mieux vaut avec la montagne et la forêt partager cette longue journée d'été


§

« dans la chambre au nord... »

-83-
dans la Salle de la Tortue, à la fenêtre à l'est jouant avec un pinceau et de l'encre j'improvise un poème




dans la chambre au nord, de la sieste je me réveille et vais m'asseoir dans l'aile à l'est

sans affaire sur le coeur je réalise que journées et mois sont bien plus longs

le ciel envoie au poète matière à poème

deux papillons jaunes en train de jouir de la lumière de l'automne

§

« rester devant la fenêtre bonnet enlevé... »

-84-
Année 1198

assis dehors



rester devant la fenêtre bonnet enlevé laisse le sentiment insatisfait

aussi, traînant ma canne en bambou, je sors dans la cour

l'automne clair est proche, la rosée trempe les herbes

la lune brillante n'est pas encore montée, le ciel est plein d'étoiles

pour franchir l'écluse les bateaux se bousculent, demain à l'aube il y a le marché

des hommes pédalent pour actionner la roue à aubes, de toute la nuit ils ne dorment pas

les gens simples, pour manger à satiété, doivent besogner ainsi

assis à manger le riz des greniers gouvernementaux j'éprouve souvent de la honte

§

« dix mille replis de montagnes enneigées... »

-85-
Année 1200

journée de printemps



dix mille replis de montagnes enneigées je contemplais sans me lasser

la neige a fondu, les montagnes bleues sont tout aussi merveilleuses

aujourd'hui au Sud du Fleuve nul bon peintre

sur une courte feuille de papier le Vieil homme qui n'en fait qu'à sa guise les déplace dans son poème


§

« à gauche et à droite ma lyre et une coupe... »

-88-
dans le studio jouant avec mon pinceau, improvisation, montré à mon fils Yu




à gauche et à droite ma lyre et une coupe de vin,
	quiétude, nulle clameur

le Vieil homme qui n'en fait qu'à sa guise a 			récemment réorganisé sa vieille vie

l'encens brûle tandis que je lis le Recueil de la Vallée oblique

surveillant le feu je prépare moi-même du thé de Ku chu

à moitié ivre ma calligraphie rivalise presque avec celle des anciens

malgré la peine endurée pour composer mes poèmes je 	ne suis pas devenu un grand maître

à la fenêtre le soleil couchant réveille la 	mélancolie

dans le village de la rivière, au crépuscule le sanglot mélodieux d'un 	pipeau


§

« jeune j'ai séjourné au milieu de la Cour... »

	
-93-
dans la Salle de la tortue, divers plaisirs


jeune j'ai séjourné au milieu de la Cour et du marché
les propos vulgaires s'entremêlaient à m'en casser les oreilles
comment deviner alors qu'aujourd'hui je connaîtrais 				la quiétude et le repos?
dormant tranquillement, toute la nuit j'écoute le vent dans les pins



« du tao merveilleux depuis toujours... »

dans la Salle de la tortue, divers plaisirs


du tao merveilleux depuis toujours je n'avais 					entendu parler que grossièrement
j'ai fermé ma porte et m'y suis consacré, dix années de travail
du petit art au bout de mon pinceau aujourd'hui je me repens
mes vieux manuscrits, hauts comme une montagne, 
		je vais les brûler tous


§

« dans ce pays de fleuves et de lacs... »

-97-
Année 1201

me réjouissant de l'éclaircie

dans ce pays de fleuves et de lacs le printemps se termine dans le vent 	et la pluie

le bruit des gouttes sur le perron désert, je suis 	vraiment las de 	l'entendre

ce matin me réjouit un évènement extraordinaire

dans l'encadrement de la fenêtre un beau soleil, je me mets à 	calligraphier les Classiques de la Cour jaune7


§

« un éclair jaillit... »



-100-
la nuit du 18ème jour du 7ème mois, composé sur l'oreiller


un éclair jaillit, il fait clair comme en plein jour
pas encore apaisé le tonnerre gronde
les nuages défilent confusément puis disparaissent
lentement monte la lune solitaire
dans les herbes couvertes de rosée des criquets conversent
le vent dans les branches effraie les pies
dès que la fraîcheur naît je me sens enfin à l'aise
je dors profondément jusqu'à ce qu'à la fenêtre il fasse jour


§

	

« du pont rouge du Hameau des pruniers... »

	
-105-
décrivant ma joie d'habiter au village


du pont rouge du Hameau des pruniers les montagnes à l'aube s'étendent

à la pagode blanche au bord de la rivière Fan l'eau printanière gonfle

les odeurs des fleurs m'assaillent, j'en discerne toute la douceur

les cris des pies traversent les arbres, je me réjouis de la nouvelle éclaircie

sur la place du village le vin est bon marché, bien que pauvre je puis m'enivrer

dans les champs la boue est profonde, le vieillard peut encore labourer

le plus réjouissant est qu'avant la fin du délai j'ai déjà réglé taxes et impôts

toute l'année sans qu'un huissier ne vienne frapper à mon portail en branchages


§

« toute ma vie le temps qui passe... »



-109-
au début de l'hiver


toute ma vie le temps qui passe m'a inspiré des 	poèmes

j'aime tout particulièrement, au début de l'hiver, le givre sur dix mille 	tuiles

les feuilles des érables presque flétries sont encore plus belles

des fleurs des pruniers pas encore écloses on devine déjà le parfum

au crépuscule de l'âge je suis à l'aise, nullement gêné de vivre à l'écart

bien que le jour soit court, n'ayant rien à faire la journée semble 	longue

en plus j'ai un fils pour partager ce plaisir

devant la fenêtre ensemble nous nous divertissons avec le rouge et le 	jaune de la palette


§

« dans la poussière jaune... »

-115-
la Véranda de l'allégresse suprême


dans la poussière jaune et le soleil rouge la sueur a trempé mon vêtement

au milieu des bambous on prépare le thé, ma joie est à son comble

il convient d'en rire, le Vieil homme qui n'en fait qu'à sa guise a eu une idée de génie

emprunter ton pavillon sur l'étang pour y consulter tes livres
		
  §
	
				

« il y a quarante années... »

				
-123-
les nuages solitaires



il y a quarante années je suis venu m'installer sur cette montagne

je me suis rendu à la cour, mais ne servant pas à grand chose suis revenu de nouveau à l'est

ne vous étonnez pas si je reste longtemps debout appuyé à la balustrade

j'aime les nuages solitaires toute la journée oisifs


§

« le papier est neuf... »



-132-
décrivant ce qui se passe



le papier est neuf, à la fenêtre ensoleillée il fait bon

le riz nouveau du repas de midi est parfumé

j'aime dormir, c'est une joie sublime

se simplifier les choses est une merveilleuse recette

un papillon solitaire jouit des couleurs de l'automne

une confusion de choucas croassent dans le soleil couchant

de toutes parts abonde le sentiment poétique

je laisse aller mon pinceau, tout seul il compose un poème

§

« la Lyre décline... »



-135-
Année 1207
me levant à l'aube pour casser un rameau de prunier



la Lyre décline, la clepsydre s'écoule

l'étoile du Berger rejoint la lune, la nuit va bientôt se terminer

un petit pont, un sentier secret, personne

je casse un rameau de prunier en fleurs pour me tenir compagnie dans l'aube froide

§

« au moment où je commence à être las d'entendre les tourterelles... »

-143-
me réjouissant du beau temps



au moment où je commence à être las d'entendre les
	tourterelles appeler la pluie,

soudain j'entends les pies jacasser du beau temps

le chemin est dégagé, l'eau est descendue

j'ouvre un livre et me réjouis devant la fenêtre lumineuse

le soleil filtre à travers les ombres éparses sur le store

le vent apporte le son de la corne du crépuscule

les enfants se bousculent pour me dire

qu'au portail il y a le marchand de cerises rouges


§

« mes vieilles habitudes... »

-150-
à la Mi-automne décrivant ce qui se passe



mes vieilles habitudes de lettré je les ai toutes éliminées

le plaisir du vin et la passion des poèmes aussi se sont atténués

ce matin, chose étonnante, je me suis à nouveau approché du pinceau 	et de la pierre à encre,

des villageois sont venus me demander d'écrire un charme pour 	chasser les criquets migrateurs




on vient vient me rendre visite, je suis profondément ému par l'amitié 	des voisins

depuis peu, à cause d'un affaiblissement et de défaillance, je ne vais 	plus accueillir ni raccompagner les visiteurs 

aussi ai-je fait installer à côté de moi un petit réchaud pour préparer 	du thé de Ku chu

une conversation animée peut encore me réchauffer le coeur


§§



Po chu yi ou Po Kiu-yi ou Bai Juyi (772-846)



l'ermite du mont Parfumé
un homme sans maire
portrait & poèmes
poèmes choisis et traduits du chinois par
CHENG Wing fun & Hervé COLLET
deuxième édition augmentée
Moundarren
chemin des bois
Millemont
2011



[8]

Le chant des pins

par une belle lune j'aime m'asseoir seul
juste devant l'auvent, il y a deux pins
du sud-ouest arrive une légère brise,
elle se glisse dans les aiguilles de pin,
produisant un chant mélancolique
au milieu de la nuit, sous la lune brillante,
on dirait le bruissement de la pluie dans les montagnes froides,
ou le son pur des cordes d'un ch'in en automne
d'emblée est rincée la chaleur caniculaire
à écouter plus encore sont chassés tous les tracas et les soucis
de toute la nuit je ne dors pas,
le coeur et le corps libres
dans l'avenue au sud circulent carrosses et chevaux
de chez mon voisin à l'ouest retentissent les chansons et la musique
qui devinerait que, sous cet auvent,
ces sons qui remplissent mes oreilles n'ont rien de bruyant?

§


[11]

Fourrures légères et chevaux gras



leur allure arrogante envahit la grande avenue
les selles de leurs chevaux étincellent au milieu 	de la poussière
je demande qui sont ces gens
on me dit que ce sont des eunuques
ceux à la ceinture vermillon sont de hauts mandarins,
ceux au ruban pourpre sont des généraux
ils se vantent de se rendre au banquet de la Garde impériale
leurs chevaux au galop filent comme les nuages
les jarres en terre débordent du vin aux neuf fermentations
les huit mets précieux de l'eau et de la terre sont disposés
les fruits épluchés sont des mandarines de Tung ting,
les fines tranches de poisson, des écailles de la 	mer
ils mangent à satiété, en ont le coeur comblé
exaltés par le vin, leur air est encore plus hautain
cette année, au Sud du Fleuve sévit la sécheresse
à Chu chow des hommes mangent des hommes


§


17

« ...des maîtres zen, des amis poètes »

	
[...]
des maîtres zen, des amis poètes,
tour à tour me rendent visite
toute la nuit nous échangeons des propos pénétrants
si j'ai envie de dormir, je dors toute la journée
à part assister à l'audience matinale,
je n'ai aucune autre obligation
l'âge avançant ma santé est encore bonne
d'un poste humble mon coeur se contente...

À cette époque Po Chu yi s'intéresse vivement à l'expérience du bouddhisme ch'an (zen en japonais). Le mot ch'an est la transcription chinoise du sanscrit dhyana, contemplation, et le bouddhisme ch'an résulte de la subtile infusion du bouddhisme indien dans la pensée taoïste chinoise de Lao tzu (5e siècle avant), l'auteur du Tao te king, le Classique du tao et de ses vertus, et de Chuang tzu (4e siècle av.), auteur du livre éponyme, et dont le premier chapitre est intitulé "Libre et à l'aise". Le mot tao signifie le cours naturel des choses et, par extension, appliqué à l'homme, l'accord au cours naturel des choses. Po Chu yi se tourne vers l'enseignement de l'Ecole ch'an du Sud, fondée par Hui neng (638-713), le sixième patriarche. LEcole ch'an du Sud, aussi appelée Ecole de l'éveil immédiat, de l'illumination silencieuse, insiste sur l'expérience même de l'éveil à notre nature profonde et originelle, foncièrement libre. Quand on s'aperçoit que fondamentalement il n'y a rien, comme disait le maître Feng kan, un contemporain de Po Chu yi, il n'y a plus alors qu'à lâcher philosophiquement prise et à s'accorder au cours des choses.



§
[37]

Me promenant sur le coteau à l'est



le matin je monte me promener sur le coteau à l'est
le soir je monte me promener sur le coteau à l'est
qu'y a-t-il donc à aimer sur le coteau à l'est ?
j'aime les jeunes arbres
je les ai plantés au début de l'année
ils s'épanouissent promptement à la fin du 	printemps
je les ai plantés à ma guise, au hasard,
sans ordre, sans compter
le soleil en déclinant déplace leur ombrage 	verdoyant
la légère brise soulève leur parfum suave
les oiseaux descendent dans le nouveau feuillage
les papillons s'envolent des fleurs fanées
oisifs,  tenant ma canne en bambou moucheté,
j'y traîne mes sandales en chanvre jaune
vous voulez savoir la fréquence de mes allées et 	venues ?
les mauvaises herbes sont devenues un chemin net


§

43


Il fréquente les officiels en retraite, notamment Hsia Yueh, le fameux peintre de bambous. Dès qu'il en a le loisir, il va se promener dans les montagnes environnantes où se trouvent de nombreux temples et monastères taoïstes et bouddhistes. Au sud-ouest du temple Ling yin, il découvre un endroit enchanteur, le kiosque de la Fontaine froide, où il aime aller se délasser.


«... Par une journée de printemps... »



«... Par une journée de printemps, j'y aime l'odeur des herbes et des arbres luxuriants. Elle conduit à l'harmonie, concentre l'énergie, fait circuler le sang et le souffle. Par une nuit d'été, j'y aime le calme de la fontaine et la fraîcheur du vent. Ils chassent les soucis, soignent le mal aux cheveux et réjouissent le coeur. Les arbres de la montagne servent de toit, la falaise rocheuse de paravent. Les nuages naissent au bout des poutres, l'eau arrive à ras du perron. Celui qui s'assoit pour en jouir, de son siège peut se rincer les pieds. Celui qui s'allonge pour être à son aise, de son chevet peut pêcher à la ligne. L'eau coule lentement, propre, claire, recueillant la fraîcheur et la douceur. Gens vulgaires ou hommes du tao, dès qu'on la voit, la poussière des yeux et des oreilles et la souillure du coeur et de la langue, sans les laver ni les rincer, sont aussitôt éliminées... »


§


67

À soixante-sept ans Po Chu yi compose, à la manière d'une biographie littéraire, sa propre biographie.

Biographie du Maître qui s'enivre et compose des poèmes

Celui qui s'appelle le Maître qui s'enivre et compose des poèmes
a oublié son nom, son village natal, sa fonction et son titre. Dans le flou il ne sait plus qui il est. Il a été officiel pendant trente ans, puis à la vieillesse s'est retiré à Lo yang. Où il vit il y a un étang de cinq à six arpents, plusieurs milliers de bambous, plusieurs dizaines de grands arbres, une terrasse avec un kiosque, une barque et un pont. Il y a tout, mais de façon humble. Le maître s'en contente. Bien que la maison soit pauvre, le froid et la faim ne l'assaillent pas. Bien qu'il soit déjà vieux, il n'est pas encore sénile. Sa nature est amoureuse du vin, vénère le ch'in avec ferveur et est éperdument éprise des poèmes. Il fréquente tous les buveurs de vin, les joueurs de ch'in et les amateurs de poèmes. En dehors de ces fréquentations, son coeur s'est refugié dans le bouddhisme. Il a compris la loi du petit, du moyen et du grand véhicule. Yu meng, un moine de la montagne sacrée Song, est son ami de la Porte vide'.

Wei Chu, l'hôte de Ping chuan, est son ami des montagnes et des eaux. Liu Yu hsi, de Peng cheng, est son ami de poésie. Huang fit Lang chi, d'An ting, est son ami de vin. Chaque fois qu'il les rencontre, il est joyeux à en oublier de rentrer. À l'intérieur et à l'extérieur de la ville de Lo, sur soixante à soixante-dix li, tous les temples et toutes les villas sur la colline où il y a des sources, des rochers, des fleurs et des bambous, il s'y est promené. [...]8

1. La Porte vide désigne le bouddhisme chan (zen).


§

73

« la tête étourdie, je ne pêche plus »

la tête étourdie, je ne pêche plus
la main engourdie, je ne joue plus de ch'in
toute la journée silencieux, sans affaire
là où je demeure c'est vaste et profond
extérieurement je repose mon corps invalide,
intérieurement je cultive un coeur vide et tranquille
la fenêtre et la porte accueillent le paysage d'automne
dans le crépuscule limpide, l'ombre des bambous et des arbres
assis oisivement au bord du petit étang,
la brise légère de temps à autre soulève le pan de mon vêtement

Po Chu yi vend son cheval et se résout à se séparer de Fan su, surnommée "Rameau de saule", une jeune courtisane musicienne qui l'accompagnait depuis une dizaine d'années.


la maladie reste en compagnie de Lo tien 
le printemps suit Fan su, ensemble ils s'en retournent

« Accablé par la vieillesse et la maladie... »

Accablé par la vieillesse et la maladie, ce poème pour me consoler
prospérité et décrépitude, joie et souci, longévité et mort précoce,
tout cela dans le monde des hommes n'est qu'un jeu
mes bras comme des vers et mon foie de rat ne 	m'étonnent déjà plus
ma peau de poule et mes cheveux en duvet de grue, rien de grave hier, atteint par la paralysie je m'étais résigné à partir pour toujours 
aujourd'hui, retrouvant le printemps rayonnant, une légère  	amélioration
au fond, ça ressemble à un long voyage, les bagages sont déjà prêts indécis je m'attarde, il n'y a pas de mal à cela

Po Chu yi se réfère souvent à Vimalakirti, "Nom sans souillure", un disciple du Bouddha, le saint laïc par excellence, libre et d'une intelligence pénétrante. Par son exemple, Vimalakirti nous montre que l'éveil à notre nature profonde, originelle, est compatible avec une vie "dans la famille" (par opposition au moine "hors de la famille"), au coeur même du monde des hommes. Le tout est de ne pas être le jouet des passions ni emporté par l'agitation générale.


« Dans la famille, hors de la famille »

Dans la famille, hors de la famille
le vêtement et la nourriture sont suffisants, les 	enfants tous mariés
les affaires de la maison, désormais je ne m'en 	occupe plus
la nuit, quand je dors, mon corps est comme un oiseau qui retourne 	dans la forêt
le jour, quand je mange, mon cœur est comme celui d'un moine qui 	mendie sa nourriture

§

86

« … le coeur en paix ...»

l'homme en vieillissant est souvent malade et souffrant
aujourd'hui je n'ai par bonheur aucun trouble
l'homme en vieillissant a beaucoup de soucis et de tracas
aujourd'hui j'ai fini de marier mes enfants
le coeur en paix, plus rien ne vient me déranger
le corps tranquille, sans attache
c'est ainsi que, depuis dix ans,
mon corps et mon esprit sont oisifs et paisibles
en plus, au crépuscule de l'âge,
je n'ai pas besoin de grand-chose
une fourrure pour rester au chaud quand passe 	l'hiver
un seul repas me rassasie pour toute la journée
pourquoi dire que la maison est petite?
une seule chambre suffit pour dormir
inutile d'avoir plusieurs chevaux sellés,
on ne peut en chevaucher deux en même temps
des gens privilégiés et chanceux comme moi,
parmi les humains il y en a sept sur dix
mais des gens au coeur content comme moi,
parmi les humains il est rare d'en trouver un sur cent
pour observer à l'extérieur, même les imbéciles 	sont clairvoyants
mais quand il s'agit de soi-même, même la plupart des sages se 	trompent
comme je n'ose parler de tout cela aux autres,
ces paroles insensées je vous les adresse, mes chers neveux			
§

90

« une longue vie, jusqu’à soixante-quinze ans »

Composé à propos de mon vieux corps et montré aux membres de ma famille



une longue vie, jusqu’à soixante-quinze ans
un salaire confortable, cinquante mille sapèques
mari et femme vieillissent ensemble
nos neveux habitent avec nous
la soupe est délicieuse, je déguste le nouveau riz
mon manteau est chaud on a changé la vieille 	doublure en coton
la maison est humble,
toute la famille heureusement unie
au pied du lit est installé un paravent simple
on a déplacé le poêle devant la tenture bleue
j'écoute mes petits-enfants réciter leurs leçons
je supervise la jeune servante qui prépare une 	décoction
j'écris promptement quelques lignes pour honorer mes dettes de 	poèmes
je trie mes vêtements pour les échanger contre l'argent des 	médicaments
après m'être acquitté de ces tâches insignifiantes,
je m'endors, le dos au soleil

§

90

Sommeil printanier



enfoncé dans l'oreiller, le corps confortablement installé sous une 	couverture chaude

le soleil filtre sous la porte de la chambre, le rideau n'est pas encore 	ouvert

l'odeur du printemps de ma jeunesse, encore,

de temps à autre entre fugitivement dans mon rêve

§






109

Nuit de neige


d'abord je m'étonne, la couverture et l'oreiller sont glacials
puis je m'aperçois que la fenêtre est lumineuse
dans la nuit profonde, la neige doit être abondante
de temps à autre, le bruit d'un bambou qui casse

§

Le chant du pip’a

113 sq.

[...]
à ce moment-là le silence est plus fort que la musique
d'un vase en argent qui explose soudain un liquide jaillit
des cavaliers en armure chargent à l'improviste, leurs épées et leurs 	lances résonnent
la mélodie est terminée, d'un trait elle tire le plectre vers son coeur
les quatre cordes sonnent comme de la soie qui se déchire
dans les barques à l'est et les jonques à l'ouest, 	un même silence
au milieu du fleuve, seule la lune blanche d'automne
songeuse, elle raccroche le plectre entre les cordes
elle arrange son vêtement et se lève, le visage grave
« à l'origine je suis une fille de la capitale
ma famille habitait au pied du Tombeau du crapaud
à treize ans j'ai appris le pip'a
mon nom figurait dans le groupe des meilleures musiciennes
quand ma mélodie se terminait, mes maîtres en restaient admiratifs
avec mon maquillage, j'étais souvent enviée par la belle dame Chiu
aux Cinq tombeaux les hommes jeunes pour moi rivalisaient de 	générosité,
pour un air ils ne comptaient plus la soie rouge
ils frappaient le rythme avec leurs épingles à cheveux incrustées de 	pierres précieuses qui se cassaient
ma jupe en soie de couleur sang était tachée par le vin renversé


Les Cinq tombeaux, près de Chang an, sont le site des mausolées des empereurs Han de l'ouest (202 av.-9).

§




133

Mangeant des pousses de bambou



cette province est le pays des bambous
au printemps les pousses remplissent les montagnes
	et les vallées
les montagnards les cueillent et, à pleines brassées,
les emportent tôt au marché pour les vendre
quand une chose est abondante, elle est bon marché
en échange de deux sapèques, une botte
on la place dans la marmite,
on la cuit en même temps que le riz
l'écorce pourpre éclate comme un brocart usé,
s'ouvrant sur une chair blanche comme du jade nouveau
j'en mange tous les jours
depuis un long moment je n'ai même plus envie de viande
j'ai longtemps séjourné dans la capitale et à Lo yang,
mais de ce goût j'ai rarement été rassasié
j'en mange à profusion, sans scrupule
quand le vent du sud souffle, il les transforme en bambous

§

« la route est longue... »

134
De Ching men me rendant au relais des Cinq pins, à cheval je m'assoupis et au réveil compose ce poème


la route est longue, je suis parti il y a longtemps déjà
je me rapproche de l'auberge au loin, mais
	ne suis pas encore arrivé
mon corps est fatigué, mes yeux déjà obscurs 
j'ai sommeil, finalement je m'endors
à ma manche droite pend encore mon fouet
ma main gauche lâche momentanément le licol
brusquement je me réveille et interroge l'homme de service
nous avons avancé d'à peine cent pas
mon corps et mon esprit avaient changé de lieu
bref et long sont tous deux relatifs
sur le cheval c'était peu de temps,
mais dans le rêve d'innombrables évènements se sont déroulés
la parole du sage est vraie,
cent années ne durent que le temps d'un somme


§

165

Soirée paisible



le cri d'une cigale précoce s'arrête
plusieurs points lumineux, les nouvelles lucioles volettent
la lampe à résine d'orchidée est claire, sans fumée
la natte en bambou est fraîche, une légère rosée
je ne regagne pas encore ma chambre pour me coucher
je descends musarder dans la véranda du devant
la lune déclinante entre dans la galerie basse
le vent frais remplit les grands arbres
je laisse aller mon sentiment, toujours à l'aise
à contempler le paysage je trouve mon plaisir
comment suis-je parvenu à cela ?
je n'ai dans le coeur aucune affaire futile

§

191
Rêvant que je grimpe sur la montagne, alors que mon mal aux pieds n'est pas encore guéri



cette nuit j'ai rêvé que je grimpais sur la montagne Song
seul, saisissant ma canne en chénopode, je suis 	sorti
mille falaises, dix mille ravins,
partout j'ai déambulé
dans le rêve mes pieds n'étaient pas malades
j'étais robuste comme lors des jours de ma jeunesse
doit-on en conclure que si l'esprit peut revivre sa jeunesse,
ce vieux corps, lui, reste le même
comment distinguer, entre corps et esprit,
qui est malade et qui est bien portant ?
corps et esprit, les deux ne sont qu'illusion
rêve et éveil, les deux sont sans réalité
le jour je marche avec difficulté, en boitant
la nuit mon pas est allègre
puisque jour et nuit sont à part égale,
entre les deux je ne perds ni ne gagne


§§

Han-shan (~800) (P. Carré)

Le Mangeur de brumes

l'oeuvre de Han-shan poète et vagabond

texte français par Patrick Carré

Phébus, Paris, 1985.


« Eh bien moi, mon plaisir, c'est la vie solitaire! »

- 4 -
Eh bien moi, mon plaisir, c'est la vie solitaire!
Là où j'habite, il n'y a ni bruit ni poussière.
J'ai tracé trois sentiers en piétinant les herbes
Et d'un coup d'oeil aux nues je vois tous mes voisins.
Il y a les oiseaux pour chanter avec moi,
Mais pas un être humain pour parler religion.
Voici un Arbre d'Endurance :
Combien d'années encore durera son printemps?

Quelques pas vers les brumes amies... Tout comme T'ao Yüan-ming, notre bonhomme se révèle d'emblée sourd aux bruits inutiles, aveugle à la poussiéreuse agitation du siècle. La pollution inhérente à l'être — et à l'être humain en particulier — n'atteint pas son domaine. On y respire enfin à la même altitude que les oiseaux.

On comprend son plaisir — c'est même le premier mot qui vient sous son pinceau. Et le quiétisme béat qui s'ensuit en bonne logique n'a dès lors plus trop l'air d'une leçon. Le petit taoïste vante sa retraite et le petit bouddhiste s'apitoie. Soit. Le « champ de Bouddha » de Shâkyamuni s'appelle « Endurance » et la douleur même y est un tel accomplissement spirituel qu'éternel en paraît le printemps. [89]

§

« Il est un mangeur de brumes »

- 22 -
Il est un mangeur de brumes
Dont le seuil est tabou, que nul ne franchit.
A dire vrai, quelle désinvolture
Automne comme été!
Des torrents ténébreux les eaux chantent toujours
Et le vent murmure dans les sapins altiers.
C'est juste là qu'assis quasiment tout le jour
Il oublie les chagrins de son siècle de vie.


Le vieil Immortel s'assied et avale les brumes bleues qui enrubannent les monts et, dans l'oubli des illusions profanes et sacrées, il s'illumine. Que souhaiter de plus? [111]

§

« Vous, les sages,... »

- 25 -
Vous, les sages, point ne voulez de moi,
Et moi, des fous, ne veux guère plus!
Or, n'étant ni fou ni sage,
De vous tous ne veux plus rien savoir!
Quand il fait nuit, je chante au clair de lune,
Et le matin, je danse avec les nues :
Comment pourrais-je rester calme et coi,
Le dos bien droit, avec ma trogne hirsute!

Suprême défi : je suis un clown, et voilà tout! Suis-je libre? — Qu'en sais-je, et qu'en ferais-je? Sage ou idiot, voilà bien des histoires! L'ultime et ses contraires valent pour les gens bornés, les rêveurs insatisfaits, les idéalistes de tout poil. Un peu de folie, que germe le grain! Plus de méditation assise, de quête éberluée, plus de componction! Montfroid, en tant que « distance subtile », s'est détaché de la dualité des sages et des fous. Le sage est celui qui rejette tout sous prétexte de vacuité, et l'ignorant est le réaliste primitif. Être et vide sont deux extrêmes dont la réalité n'a que faire.

Peut-être cet extrait du Sens des deux vérités de Chi Tsang des Sui éclairera-t-il notre lanterne : « Il en est de même pour toutes choses : pour le vulgaire, elles sont, et pour le saint, elles sont vides. Le vide des saints et l'être du vulgaire ne sont en fait ni vide ni être. La dualité vulgaire-saint n'est en fait aucune dualité. Leur dualité relève de la vérité mondaine, tandis que leur non-dualité appartient à la vérité absolue. » [114]







§

« Mon coeur est comme la lune d'automne, »

- 51 -
Mon coeur est comme la lune d'automne,
Blancheur immaculée de l'abîme bleu-vert.
Il n'est rien à quoi je le puisse comparer
Si vous ne me soufflez ce qu'il faut que je dise…


En automne, l'atmosphère, nettoyée par plusieurs mois de pluie, est transparente et immatérielle. Quand la pleine lune y brille, l'espace entier rejaillit de lumière.

L'état originel de toute expérience peut, dans son fonctionnement, être appelé « esprit » (mon coeur). C'est une énergie pure qui a pour « substance » la lumière (la lune d'automne). Cette énergie enveloppe et pénètre toutes choses, événements de la matière ou du mental, et joue au jeu des formes-couleurs jamais distinctes de leur essentielle vacuité, absence d'être en soi, indifférence vécue entre néant et éternité.

Mais jamais le langage, et surtout pour un poète du coeur, ne saura dire exhaustivement la Réalité. Tant de pure lumière n'a pas de nom. Montfroid cependant est libre et sa liberté ne souffre pas du désespoir habituel des écrivains à qui manquent les mots susceptibles de communiquer l'ineffable frisson du simple « tel quel ». C'est pourquoi il laisse aux « autres » les comparaisons et les dénominations.

A nous de trouver! [143]

§

« Houleuse immensité, les eaux du Fleuve Jaune »

- 64 -
Houleuse immensité, les eaux du Fleuve Jaune 
Coulent vers l'orient et jamais ne s'arrêtent. 
Elles n'en finissent pas, jamais immaculées... 
Mais les vies les plus longues, elles, ont une fin. 
Vous voudriez vraiment enfourcher un nuage? 
Pourquoi ne vous faites-vous pas pousser des ailes! 
Tant que votre cheveu est encore bien noir, 
Faites plutôt l'effort de vivre comme il faut.

« Combien passent de vies humaines », disent les Printemps et Automnes (Ch'un-ch'iu tso-chuan), « avant que ne soient pures les eaux du Fleuve Jaune? »

A cheval sur un nuage, physiquement immortel... Toujours la même vieille chimère chez le mortel angoissé : vraiment, fabriquons-nous une « âme » avant qu'il ne soit trop tard! Montfroid se moque d'ailleurs aussi bien de lui-même — et de tous ceux qui s'imaginent pouvoir jouer à l'Immortel en enfourchant simplement leurs pauvres fantasmes. C'est à ras de terre, plus modestement, que doivent oeuvrer ceux dont le coeur appartient aux nuages. [158]

§

« Splendides s'étagent les monts et les torrents, »

- 106 -
Splendides s'étagent les monts et les torrents,
Mystère des bleus-verts sous le verrou des brumes.
Le brouillard caresse mon serre-tête en gaze,
Ma pèlerine en paille, humectée de rosée.
J'ai les pieds chaussés de sandales vagabondes,
Et une tige en rotin me sert de canne.
Je considère encor le siècle poussiéreux :
Ce pays n'est qu'un rêve où je n'ai plus de rôle!

Tout est flou. Les communs remue-ménage soulèvent leur vieille poussière en nuages qui atténuent les lignes tranchantes de la bêtise et de l'agressivité. Et ces nues montent en brumes bleues sur les monts occultes et grandioses. Le rêve de fer et le rêve aérien se séparent. Le premier enfonce et le second enlève. Pourquoi ces deux extrêmes seraient-ils à jamais incompatibles?

Et quel bonheur que le nôtre : Han-shan II, une fois n'est pas coutume, a réussi à se hisser à la même altitude que son modèle! [204]

§

« Cette nuit, j'ai rêvé que je rentrais chez moi. »

- 134 -
Cette nuit, j'ai rêvé que je rentrais chez moi.
Ma femme était assise au métier à tisser.
Elle avait l'air songeur, et stoppa sa navette.
Ses forces l'avaient fuie, elle ne bougeait plus.
Je l'appelai. Se retournant, elle me vit,
Mais elle ne me reconnut pas.
Nous nous étions quittés depuis bien des années :
Mes cheveux n'avaient plus leur couleur d'autrefois.

Son mariage, si ce poème nous parle de sa vraie vie, dut mettre Montfroid dans l'embarras. Il avait quitté cette femme dont il avait dû « essuyer le mépris », en quête qu'il était d'une chimère absolue. Il s'avère pourtant qu'il ne peut pas vraiment se détacher d'elle... comme il paraît, d'ailleurs, ne vouloir se détacher de personne... Mais les années ont passé, et ses cheveux blancs sont là pour lui rappeler l'inéluctable : une fois sur la Voie, point de retour… [233]

§

« Bien que la vie ne couvre pas un siècle, »



- 135 -
« Bien que la vie ne couvre pas un siècle,
Des soucis de mille ans sans cesse nous occupent. »
A peine guérissons-nous de nos propres maux
Que ceux de nos enfants déjà nous font souci.
Voyez en bas le sol où le riz s'enracine
Et en haut, la cime des mûriers.
Les poids de la balance qui tombent à la mer
Ne connaissent le repos qu'en arrivant au fond.

J'ai repris pour le premier distique de cette élégie la traduction de J.-P. Diény... puisque Montfroid lui-même me donne l'exemple en choisissant d'y reproduire verbatim deux vers du quinzième des Dix-neuf poèmes anciens. Il n'est décidément pas facile de s'arracher à la pesanteur, qui paralyse notre esprit comme elle brime notre corps... A moins précisément de sauter à pieds joints dans l'abîme, jusqu'à en toucher le fond. Parvenu là, plus de chute à craindre! [234]

§

« J'ai une grotte, / Une grotte où il n'y a rien »

- 161 -
J'ai une grotte,
Une grotte où il n'y a rien :
Grandiose et pure vacuité,
Soleil des soleils, radieuse lumière!
Mon vieux corps se nourrit d'une bien maigre chère,
Toiles et peaux voilent ma chair illusoire.
A vous les mille visions saintes,
J'ai en moi un Bouddha inné!


Rien... de ce qu'on a l'habitude de croire; rien... de ce qu'on souhaiterait; rien, somme toute, mais pas un vide creux et vain, un vide nihiliste, un vide triste et négatif : pas de miroir, mais des reflets; pas de poussières, mais de merveilleuses émotions... Et pratiquement? Considérons, à titre d'exemple, l'ouverture du Chant-témoin de l'absolu (Cheng-tao-ko) que Hsfian Chiao composa vers la fin de la dynastie des T'ang :




« Sans étudier, sans agir... »


Sans étudier, sans agir, oisif, le mystique
Ne chasse pas les représentations mentales
illusoires et ne cherche pas la vérité.
L'ignorance, en sa vraie nature, est bouddhéité.
Le corps, fantasmagorique et vide,
est le corps absolu,
Le corps absolu qui réalise qu'il n'y a rien
Et que sa propre nature originelle,
c'est le Bouddha inné...[261]

§

- 176 -







« Or donc, cet endroit où je vis en paix »

Or donc, cet endroit où je vis en paix
N'est qu'un indicible et profond mystère.
Les lierres frémissent sans qu'il y ait de vent,
Les bambous sont obscurs en l'absence de brumes...
— Mais pour qui sanglotent les torrents
Tandis que sur les monts les nuées se rassemblent?
Assis dans ma cabane, il est déjà midi;
Le vieux soleil s'est levé sans que je le sache.

Faire le vide en soi conduit dans un premier temps à voir le monde tout autrement : « indicible et profond mystère » des choses qui révèlent soudain leur angoissant pourquoi. Que l'âme cependant ne se trouble pas pour si peu. Laissons les sables mouvants de la cérébration s'assécher doucement, et la conscience simple pourra bientôt s'éveiller... et contempler le réel tel qu'il est : à la clarté tranquille du soleil de midi. [278]

§

« D'une eau pure et lumineuse... »

- 210 -
D'une eau pure et lumineuse
On peut naturellement voir le fond.
Quand il ne se passe rien dans l'esprit,
Rien ne peut le détourner.
L'esprit qui ne se livre plus à l'illusion
Reste inchangé pour d'éternels éons.
Capable de cette récognition,
On sait qu'aux choses, il n'est ni face ni dos.

Voilà la méthode suprême du ch'an et du tantrisme : la fin des pensées discursives (vide et pureté) est concomitante aux pensées discursives (apparences et luminosité). Les émotions du samsâra et la paix du nirvâna sont la paume et le dos d'une seule main : entre les deux, nous nous accrochons à une limite illusoire. [315]

§

« Allez dire aux gens de bien... »



- 238 -
Allez dire aux gens de bien
Ce que j'ai au fond du coeur :
Atteindre l'absolu, voir sa propre nature...
Et sa propre nature, c'est le Tathâgata!
La vérité innée, depuis toujours parfaite,
Que toute pratique ne peut que compliquer.
Qui rejette le fond pour s'attacher aux formes
Ne fait que se targuer d'un médiocre triomphe.

Voilà les thèses du moine Shen-hui, c'est-à-dire celles que le ch'an développera au xe siècle. Le Tathâgata désigne le Bouddha, ce ou celui qui connaît la réalité véritable et qui la montre et la démontre aux « ignorants ». [347]


§

« Les choses de ce monde... »



- 271 -
Les choses de ce monde ont beau être incertaines, 
Jamais ne s'éteindra notre passion de vivre. 
Écrasez les cailloux qui recouvrent la terre, 
Vous ne verrez jamais la fin de votre ouvrage! 
Avec leurs changements, les saisons virevoltent, 
Inexorablement, les douze mois déferlent.
Avis, donc, au maître de la maison en flammes : 
« Enfourchez à l'air libre le buffle blanc! »


Élargissons notre horizon, lit-on déjà aux poèmes 189 et 254. Et, pour être précis, adoptons le point de vue spirituel le moins limité : celui du Véhicule Unique du Bouddha, tel que le présente le Soûtra du Lotus de la Bonne Loi à travers le symbole du Buffle Blanc tirant un char qui a tout l'air d'un jouet. La quête du réel, pour celui qui a reconnu l'inutilité de toute « croyance », est essentiellement ludique, Seul l'attachement à une quelconque conviction la rend — inutilement — tragique. [383]

§

« Devant un haut rocher, »



- 277 -
Devant un haut rocher, tranquillement assis,
Avec la lune ronde, au ciel, qui resplendit,
— Au coeur du jeu d'ombres où se jouent les apparences,
Jamais ce disque seul n'a rien illuminé! —
Immense est mon esprit, vide et pur par nature,
Et toute-vacuité de l'occulte merveille...
Du doigt, donc, je montre cette lune :
La lune, ou mon coeur en raccourci!

L'esprit est lumineux comme la pleine lune et, comme elle, parfaitement « rond », c'est-à-dire complet. Comme la lune illumine la nuit, l'esprit ne renie pas les ténèbres de l'ignorance, il dessine les contours et laisse à la liberté le soin des couleurs...

« L'examen attentif, dit le Bouddha dans le Lankâvatâra-sûtra, révèle que les particularités n'ont rien de particulier. Quand du doigt on montre à un idiot la lune, celui-ci s'occupe du doigt et ne voit pas la lune. Ceux qui s'attachent aux mots ne voient pas mon esprit tel qu'il est. »

Lettre et métaphore ne valent qu'à titre d'expédients. Il n'est aucune caractéristique à l'expérience vivante de notre absolu. Être la lune, sa lumière, et être le ciel, ne sont malgré tout que des façons de parler, ou, tout au plus, que des façons d'être… [390]

§

« Les monts sont ma demeure, »



306
Les monts sont ma demeure, 
Et nul ne me connaît. 
Dans les nuages blancs,
Éternelle est ma paix! 

Il s'est échappé des sentiers battus et plane par-delà les cimes, par-delà tout horizon. Qui pourrait s'en rendre compte? Vide du vide : tel est le domaine secret où il se meut, délivré des contraintes. Paisible sagesse qu'il partage avec les seuls nuages! [421]



Han-shan (Watson)




Cold Mountain

100 POEMS BY THE T'ANG POET Han-shan

Translated and with an Introduction by Burton Watson

JONATHAN CAPE THIRTY BEDFORD SQUARE LONDON

First published in Great Britain 1970 Reprinted 1972



« A thatched hut is a home for a country man; »

		2.		
A thatched hut is a home for a country man;
Horse or carriage seldom pass my gate :
Forests so still all the birds come to roost,
Broad valley streams always full of fish.
I pick wild fruit in hand with my child,
Till the hillside fields with my wife.
And in my house what do I have?
Only a bed piled high with books.


§

« Here we languish, a bunch of poor scholars, »

10.
Here we languish, a bunch of poor scholars,
Battered by extremes of hunger and cold.
Out of work, our only joy is poetry :
Scribble, scribble, we wear out our brains.
Who will read the works of such men ?
On that point you can save your sighs.
We could inscribe our poems on biscuits
And the homeless dogs wouldn't deign to nibble.


§

« If you have wine, call me in to drink; »

12.
If you have wine, call me in to drink;
When I have meat, come feast with me.
All bound for the Yellow Springs sooner or later,
We must work while we're young and strong.
Jewelled belts glitter but a little while;
Golden hairpins won't be needed long.
Did you know about Father Chang and old lady Cheng?
They went away and no one's heard from them since.


§

« Wonderful, this road to Cold Mountain — »

48.
Wonderful, this road to Cold Mountain —
Yet there's no sign of horse or carriage.
In winding valleys too tortuous to trace,
On crags piled who knows how high,
A thousand different grasses weep with dew
And pines hum together in the wind.
Now it is that, straying from the path,
You ask your shadow, 'What way from here?'


§

« Cold cliffs, more beautiful the deeper you enter »

55.
Cold cliffs, more beautiful the deeper you enter —
Yet no one travels this road.
White clouds idle about the tall crags;
On the green peak a single monkey wails.
What other companions do I need 
I grow old doing as I please.
Though face and form alter with the years,
I hold fast to the pearl* of the mind.

*« Why should you look

for treasure abroad ?

Within yourself you

have a bright pearl ! »

Priest Pao-chih (518-514)

	
§

« I look far off at T'ien-t'ai's summit, »

60.
I look far off at T'ien-t'ai's summit,
Alone and high above the crowding peaks.
Pines and bamboos sing in the wind that sways them;
Sea tides wash beneath the shining moon.
I gaze at the mountain's green borders below
And discuss philosophy with the white clouds.
In the wilderness, mountains and seas are all right,
But I wish I had a companion in my search for the Way.

§

« Would you know a metaphor for life and death? »

68.
Would you know a metaphor for life and death?
Compare them, then, to water and ice.
Water binds together and becomes ice;
Ice melts and reverts to water.
What has died must live again,
What has been born shall return to death.
Water and ice do not harm each other;
Life and death are both of them good.

§

« The clear water sparkles like crystal, »

86.
The clear water sparkles like crystal,
You can see through it easily, right to the bottom.
My mind is free from every thought,
Nothing in the myriad realms can move it.
Since it cannot be wantonly roused,
For ever and for ever it will stay unchanged.
When you have learned to know in this way,
You will know there is no inside or out!*

*That is, no duality.

§

« By chance I happened to visit an eminent priest »

88.
By chance I happened to visit an eminent priest
Among the mist-wrapped mountains piled peak on peak.
As he pointed out for me the road home,
The moon hung out its single round lamp.

§

« In my house there is a cave, »

89.
In my house there is a cave*,
And in the cave is nothing at all —
Pure and wonderfully empty,
Resplendent, with a light like the sun.
A meal of greens will do for this old body,
A ragged coat will cover this phantom form.
Let a thousand saints appear before me —
I have the Buddha of Heavenly Truth !

*The cave of the mind.


§

« Here is a tree older than the forest itself; »

93.
Here is a tree older than the forest itself;
The years of its life defy reckoning.
Its roots have seen the upheavals of hill and valley,
Its leaves have known the changes of wind and front.
The world laughs at its shoddy exterior
And cares nothing for the fine grain of the wood inside.
Stripped free of flesh and hide,
All that remains is the core of truth.*

*When a monk asked the Zen master Ma-tsu what enlightment he had achieved, he replied,

« stripping away all flesh and hide,

I have only a single truth. »

(Ma-tsu yü-lu, in Ssu-chia yü-lu)


Li Shangyin (812-858)



Yves HERVOUET

Amour et politique dans la Chine ancienne

Cent poèmes de LI Shangyin (812-858)

Introduction (Yves Hervouet)

[...]

Je ne veux pas aborder vraiment le problème général de la traduction, ni même celui de la traduction de la poésie chinoise en particulier, mais ne puis éviter d'en dire quelques mots. Il est impossible de bien traduire, sous tous ses aspects, la poésie chinoise ancienne. Parfois la traduction est élégante, poétique même, et produit dans l'esprit d'un lecteur français de notre époque une impression qui correspond en partie à ce qu'est la poésie chinoise, par exemple par des procédés tels que la concision qui est en effet une caractéristique importante. L'exactitude est fonction de la culture chinoise du traducteur et surtout de sa volonté d'être fidèle au texte. De ce double point de vue, nul doute que les traductions de M. François Cheng, dans ses deux volumes (L'écriture poétique chinoise, déjà mentionné, et Entre source et nuage : la poésie chinoise

XXXVII

réinventée, Paris, Albin Michel, 1990), sont probablement ce qu'on peut faire de mieux en joignant recherche poétique et exactitude. J'aurais pu

demander à l'auteur et aux éditeurs de reproduire les sept poèmes de Li Shangyin que mon ami François Cheng a traduits. Deux raisons m'en ont dissuadé. La première est que ces traductions sont d'un style qui ne correspond pas aux autres traductions et auraient nui (? !) à l'unité du volume. L'autre raison, outre mon incapacité à faire aussi bien pour un grand nombre de poèmes, est que j'ai préféré l'exactitude littérale à l'emploi de procédés, tels que la transposition du sens premier d'un mot en un mot plus poétique, l'emploi de phrases nominales qui permettent une concision proche de celle du chinois, alors que la phrase chinoise est généralement une phrase verbale normale, même si le sujet peut en être sous-entendu, ou encore les ellipses grammaticales. Cela ne veut pas dire que je n'aie pas essayé de garder un certain rythme dans mes traductions. Il n'est pas possible de traduire comme on le faisait autrefois en phrases qui s'étirent. Il me paraît impossible également de suivre les règles de la prosodie française avec des décasyllabes pour les pentamètres et, encore pire, des alexandrins pour les heptamètres, surtout si l'on y ajoute le carcan de la rime régulière et des règles d'euphonie et de césure. J'ai choisi, sans en faire une règle absolue, des décasyllabes ou des dodécasyllabes pour les pentamètres, et des phrases de quatorze, seize, dix-huit ou même parfois vingt pieds pour les heptamètres, avec une coupure graphique de la phrase dans les derniers cas. Si j'emploie de temps en temps, lorsque le sens le permet, des rimes ou des assonances à la fin du vers, parfois des allitérations ou des rimes intérieures, je n'ai suivi aucune autre règle ; j'ai voulu donner la priorité à l'exactitude d'une traduction aussi littérale que possible. […]


§



Le paravent

Le paravent de mica fait resplendir ma beauté.

Dans la cité du phénix où s'achève l'hiver, je crains les nuits du printemps.

Pourquoi ai-je donc épousé un homme à la « tortue d'or » ?

Ingrat pour le lit parfumé, il se rend à l'audience de l'aurore.


Ce poème peut être considéré comme un « Sans titre », car ce sont simplement les deux premiers caractères du texte qui ont été pris comme titre. Or, ces deux caractères sont difficilement utilisables comme tels en français car ce sont deux mots grammaticaux qui signifient « en raison de », « parce que... », « la présence de... », expressions qui ont été utilisées par divers traducteurs. J'ai préféré prendre pour titre les premiers mots de la phrase française où ces termes grammaticaux sont implicites.


Comme pour beaucoup de poèmes sans titre, les commentateurs ont vu plus ici que ne disent les mots. Le texte lui-même parle d'une jeune femme délaissée par son mari qu'elle regrette d'avoir épousé. Les paroles peuvent être mises dans la bouche de la jeune femme, à moins que le poète ne parle pour elle : peut-être exprime-t-il, à la place d'une courtisane qu'il a aimée et qui est mariée maintenant, les regrets qu'elle doit ressentir des nuits d'amour d'autrefois. Ou essaie-t-il de détourner une courtisane de devenir la concubine d'un haut fonctionnaire. Selon un autre interprétation symbolique, la femme délaissée serait le poète lui-même dont les talents sont aussi grands que peut être belle une jolie femme, et qui n'en vieillit pas moins dans des travaux obscurs de secrétariat auxquels il passe ses journées de l'aurore au crépuscule. Cependant, il est probable qu'il s'agit d'un poème d'amour, quel que soit le sujet pré-24cis, poème écrit au printemps, la saison de l'amour, et je crois plus significatif de le traduire à la première personne, même si le poète écrit pour quelqu'un d'autre.


Le texte parle de « paravent de nuages », mais il faut comprendre « paravent de mica » (« mère des nuages »), comme dans le poème précédent. Les commentateurs citent ici un texte ancien qui raconte qu'un paravent de mica fut offert à Zhao Feiyan (« Hirondelle en vol »), la célèbre danseuse puis concubine, avant de devenir impératrice, d'un empereur des Han. La fin du vers est comprise de diverses façons par les traducteurs. Pour les uns, il s'agit du paravent de mica dont la beauté est sans limites. Pour d'autres, qui donnent leur plein sens aux deux premiers mots grammaticaux, c'est « grâce au » paravent de mica qui l'éclaire de sa lumière ou qui la cache à moitié, et par suite fait ressortir sa beauté, que celle-ci apparaît d'autant plus éclatante.


La « cité du phénix » est la capitale des Tang, Chang'an. Le nom viendrait d'une légende ancienne qui raconte que tandis que la fille du duc de Qin au vile siècle avant J.-C. jouait de la flûte, un phénix vint à l'intérieur de la cité, située dans la région de Chang'an. La jeune femme craint la brièveté des nuits de printemps, car les hauts fonctionnaires doivent se lever avant la fin de la nuit pour se rendre à l'audience impériale dès l'aurore.


La « tortue d'or » est un insigne en deux parties dont les fonctionnaires de haut rang portaient une moitié sur eux ; l'autre, gardée à l'inté-

rieur du palais, permettait de contrôler leur identité, car les deux parties

devaient s'adapter parfaitement l'une à l'autre. Ces insignes étaient, sous la dynastie des Tang, en forme de poisson, sauf pendant le règne de Wu

Zetian (690-705) qui leur fit donner la forme d'une tortue. Pour un poète du IXe siècle, il y avait un charme poétique à évoquer des objets disparus depuis un siècle et demi.


24-25

§



Le lierre du Nord

Le soleil couchant a gagné les monts de l'Ouest. 
Je cherche la chaumine où vit un moine ermite. 
Feuilles qui tournoient… Mais où donc est l'homme ? 
Nuages glacés, sentiers qui serpentent…

On a frappé soudain le gong du soir.
Je m'appuie, immobile, au tronc du lierre.
Dans cet infime univers de poussière,
Mieux vaut l'amour, mieux vaut la haine.


Rien ne nous indique à quelle date il faut situer ce poème dans la vie de Li Shangyin. Inutile aussi de chercher à identifier la montagne où vit l'ermite bouddhiste que le poète va visiter, ou d'essayer de mettre un nom sur cet ermite. Le titre enfin fait problème : le mot chinois qui signifie « plante grimpante » (glycine, vigne vierge, liane..., dont le nom générique est « vine » en anglais), est précédé d'un adjectif qui désigne la couleur vert-bleu sombre, d'où l'idée de « lierre ». L'expression chinoise n'est pas expliquée clairement dans les dictionnaires mais existe dans l'histoire de la littérature : on la trouve à plusieurs reprises dans la poésie des Tang et c'était le nom du cabinet de travail d'un poète, Cen Shen (ca. 715-770), antérieur d'un siècle à Li Shangyin. Peut-être Li Shangyin se souvient-il de cet écrivain dont plusieurs poésies font une description proche de celle-ci, mais le thème de la recherche infructueuse d'un ermite dans la montagne est tellement fréquent dans la poésie des Tang que c'est le nom seul du cabinet de travail, d'un emploi relativement rare, qui autorise ce rapprochement.


Le poème a été plusieurs fois traduit, en anglais du moins, car il avait été choisi par l'éditeur anonyme de la collection des trois cents (trois cent onze en fait) plus beaux poèmes de la dynastie des Tang. En revanche, il a été peu commenté, sans doute parce qu'il est un peu à part dans l'oeuvre de Li Shangyin et même dans la poésie du temps. La pièce est originale [...]


Tous les commentateurs et traducteurs, sauf un, ont compris la dernière phrase comme l'expression de l'indifférence au monde qui découle de la doctrine bouddhique de la vacuité : peut-il y avoir encore place pour l'amour ou la haine dans ce monde de l'illusion ? Seul un jeune savant chinois estime que Li Shangyin a voulu dire qu'il refuse absolument de renoncer à l'amour et à la haine. Cette idée rappelle un vers du poème « Le soir à l'automne je me promène seul au Qujiang » (poème 19) :


Tant que j'aurai vie, je le sais, ma tendresse toujours vivra...

Cette interprétation découle naturellement du texte. Mais la tendance à chercher ce qu'on attend normalement dans un contexte bouddhique s'est largement imposée.


§§

Le Dit du Genji (~1000)



Murasaki-shikibu, Le Dit du Genji illustré par la peinture traditionnelle japonaise, Traduction de René Sieffert, Diane de Selliers Editeur, 2008. (livre V cité en Avant-Propos, 17).





Au fond des montagnes
Pour une fois j’ai ouvert
Ma porte de pin 
Et j’ai aperçu la fleur 
Que jamais je n’avais vue.


Su Dongpo (1037-1101)(Claude Roy)





Claude Roy

L'AMI QUI VENAIT DE L'AN MIL

SU DONGPO

1037-1101

Gallimard

1994

[…] Les penseurs chinois ont manifesté une extrême prudence avec la vérité. Plus ancienne sans doute que le mythe de la caverne transmis par Platon, les Chinois racontent une fable qui a d'ailleurs inspiré Su Dongpo. L'apologue évoque les expériences d'un aveugle de naissance qui voudrait, dans sa ténèbre, se faire une idée du soleil. À quoi ressemble l'astre ? Quelqu'un répond : à ce plateau de cuivre rond. L'aveugle tourne et retourne le plateau dans ses mains, le fait résonner et dit : « J'ai compris. » Quand il entend le son du gong frappé au maillet par les moines du monastère voisin : « C'est le soleil », dit-il. Quelqu'un ajoute : « Le soleil ressemble à cette chandelle. » L'aveugle prend dans ses mains la chandelle, la tourne et retourne et conclut : « Voici donc la forme du soleil. » Alors quelqu'un allume la chandelle. L'aveugle se brûle un peu les doigts. « Mais, dit-il, je sais maintenant ce qu'est la vérité du soleil ; c'est celle d'un plateau de cuivre, d'un gong frappé au maillet, d'une chandelle ronde, d'une petite flamme. » Ceux qui près de l'aveugle ont des yeux pour voir, savent que le soleil n'est pas un plateau de cuivre, n'est pas un [21] gong, n'est pas une chandelle, n'est pas la flamme de la chandelle. Mais pour ne pas chagriner en vain le pauvre homme, ils lui laissent croire que le soleil est tout ce qu'il n'est pas, cuivre, gong, chandelle, flamme. Ce qui prouve qu'on peut ne pas dire la vérité par ignorance, par entêtement, par paresse, par ruse, par malice. Mais aussi par compassion.

20

« Un vent léger froisse les aiguilles de pin »

Shiao Shiao - Un vent léger froisse les aiguilles de pin
Est-ce la pluie	J'ouvre l'huis
C'est la pleine lune sur le lac
Les pêcheurs - les oiseaux de rivage - un même rêve
Un grand poisson bondit comme un renard s'enfuit 
Au noir de la nuit hommes et bêtes s'ignorent 
Mon ombre joue avec mon corps
et moi je joue avec mon ombre

Pas à pas la marée obscure monte sur la rive 
comme rampent les vers de vase dans le froid et l'humide
Suspendue aux tiges - grande araignée qui danse 
la lune est accrochée aux branches d'un saule pleureur
La vie passe si vite - Son charroi de tristesse et de deuil
Nuit - Lune	Lac -	instant si beau
qui n'êtes qu'un instant
Un coq chante - Une cloche sonne
Un vol d'oiseaux s'enfuit
On entend les tambours à l'avant des bateaux
et résonner sur l'eau les voix des bateliers


Su écrit ce poème en 1079, en route vers son nouveau poste de gouverneur à Huchou, dans le Szekiang, au nord de Hangchou. Sa vie de fonctionnaire est une interminable série de hauts et de bas, de grâces et de disgrâces, d'exils puis de faveur revenue. Il demeure égal dans la misère et la prospérité, toujours digne, et la tête vraiment ailleurs —plutôt à la poésie qu'à la réussite, à l'amitié qu'à sa fortune.

30-31

§

[…] Pendant des années, après cette nuit de pleine lune sur le lac et la rencontre de Su Dongpo, j'ai collectionné au passage les métaphores qui, d'Archiloque le Grec à Emily Dickinson de la Nouvelle-Angleterre, ont décrit la lune « accrochée », « suspendue », « amarrée en haut ». Trente ans plus tard, j'ai écrit un poème qui s'appelle La transmigration des métaphores, où l'image de la lune tenant à un fil passe de siècle en siècle et d'esprit en esprit, ce qui expliquerait la croyance de ceux qui ont supposé que les âmes vont de corps en corps ainsi qu'un voyageur va d'auberge en auberge. À moins que chaque homme - nouveau venu au monde défini par sa différence - garde en lui ce qu'un philosophe nomma le miroir essentiel de l'être et avec des yeux absolument neufs et sans pareils voie de la même façon que ceux qui le précèdent l'astre comme suspendu

35-36



« Entrouvrir le rideau... »

un petit poème de Su, dans un de ses jours d'inspiration bouddhique



Entrouvrir le rideau 
pour les petites hirondelles

Laisser un trou dans la fenêtre 
pour que les mouches puissent partir

Abandonner dix grains de riz	
pour laisser leur part aux souris

Éteindre la lampe à huile
pour sauver la vie des phalènes[…] 

La vie de Su, c'est un peu celle d'une boule de billard. Il aura parcouru des milliers de li, de poste en charge, d'honneurs en disgrâce, du rang de gouverneur à l'épreuve de la prison, de l'extrême Nord-Est au Sud profond, des climats frais à la chaleur tropicale de l'île de Hainan.

39

Chaque fois qu'il espère jeter l'ancre, se construire une maison, défricher des champs pour devenir gentleman-farmer et tirer un peu moins le diable par la queue, chaque fois qu'il se réjouit d'amitiés nouvelles, il est convoqué à la capitale, parce qu'il est rentré en grâce — ou expédié au diable, parce que ses adversaires dans la bureaucratie ont gagné une manche.


Nous avons un peu oublié que la terre est très grande et que bouger demande longue patience. Dans l'immense Chine, voyager prend encore du temps. Le jeune Su devra de surcroît combiner l'utile travail de voir du pays, le sien, avec le travail du deuil, sa forme rituelle et familiale.[…]

 47

§


« Le riz cette année met longtemps à mûrir »



Le riz cette année met longtemps à mûrir 
On voit déjà venir le gel et le vent
Givre	Gel	Vent	Grêle	Pluie
Le manche des outils est moisi
la laine de la faucille est rouillée
La paysanne n'a plus de larmes
ses yeux sont secs	Il pleut toujours 
Les rafales couchent les épis jaunes 
Elle dort au bord de son champ
guettant les éclaircies pour rentrer le riz
Elle peine et sue pour le porter au marché
Elle supplie qu'on le lui achète
mais le prix est trop bas
Comment va-t-on payer les impôts ?
Elle vend son boeuf	démantèle sa maison
Les magistrats veulent des espèces
et n'autorisent pas à s'acquitter en riz
Tout cela pour acheter la paix aux Barbares
Est-ce qu'il ne valait pas mieux
être les femmes d'autrefois
qu'on sacrifiait aux dieux du fleuve ?

74-75

§

« Qui dit qu'une peinture doit être ressemblante ? »



Qui dit qu'une peinture doit être ressemblante ?
Celui qui dit cela a l'esprit d'un enfant
Qui dit qu'un poème doit traiter un sujet ?
Celui qui dit cela ne sent pas la poésie.
Poésie et peinture ont un seul et même but
la fraîcheur très exacte	l'habileté sans effort. 
Les hirondelles de Bian Luan volent sur le papier Les fleurs de Chuo Chang embaument sur la toile. Mais que sont-elles en dehors du rouleau ?
La hardiesse du trait	l'esprit dans chaque touche
Qui donc aurait pu croire qu'une légère tache rouge suffise à faire surgir le printemps sauvage? 

86

§



« Les cent rivières coulent jour et nuit »




Mais quand Su, une fois de plus, se retrouve en disgrâce, en exil, solitaire, séparé de Tseyu, c'est [95] vers celui-ci que va sa pensée, vers les souvenirs des belles années disparues.


Les cent rivières coulent jour et nuit
et nous aussi comme toutes choses
Seul le coeur ne bouge pas
qui s'accroche au passé
Je me souviens des jours près de la Huai
Nous fermions les portes
pour nous protéger de la chaleur d'automne
Nous faisions griller des pois
Nous étudiions les classiques
Nous essuyions la sueur sur nos fronts
Soudain le vent d'Ouest soufflait glacé
Tu te levais pour prendre un vêtement plus chaud
et tu m'en apportais un
La jeunesse s'en est allée de nous
Est-ce que le bonheur reviendra ?
Je sens un frisson de tristesse
et maintenant nous sommes vieux
Il est trop tard pour retrouver la route
trop tard j'en ai peur  pour étudier la Voie
Je m'occupe seulement d'acheter une terre
de construire une petite maison
Elle sera prête au printemps
Si nous pouvions y passer les nuits
avec le vent et la pluie dehors
J'entends déjà ta voix qui me parle

Dès que le passé resurgit, il a la voix de Tseyu. Quand Dongpo revoit et revit les fêtes de printemps à la campagne, au moment où les citadins vont pique-niquer aux champs, on sent une présence rieuse à ses côtés, dans la foule des badauds : « le petit frère ».


Le vent d'Est couvre la route de fine poussière
C'est l'occasion pour les flaneurs
de savourer le printemps
le temps de vivre à la douce
de boire un petit verre à l'échoppe
Les céréales sont trop courtes encore
pour avoir peur des roues
Les citadins en ont assez des murs
Ils sortent dès l'aube et la ville se vide
Chansons et tambours et rires dans les collines
L'herbe et les arbres battent la mesure
Partout dans les champs des paniers de pique-nique
C'est la fête des corbeaux voleurs
Les gens sont attroupés là-bas
Qu'est-ce que c'est ?
Le bonimenteur prétend être un saint homme
Il embouteille la rue
Il vend des charmes en aboyant
« Garanti extra pour les vers à soie !
Vous aurez des cocons gros comme des jarres
Garanti extra pour le bétail et pour les gens
Vous aurez des moutons aussi gros que des daims »
Les badauds ne sont pas sûrs de croire ce qu'il dit
mais ils achètent ses charmes
pour saluer le printemps
Le saint homme empoche leur argent
et va faire un détour chez le marchand de vin
Ivre mort il marmonne
« Mes charmes sont garantis »

96-98

§
 

« Les parents veulent tous des enfants brillants »

Sa femme a acheté quelque temps après leur arrivée à Hang-chou une jeune servante de douze ans, Chaoyun. Elle en fera plus tard la concubine de son mari. Celui-ci a appris à lire à Chaoyun. Elle s'est initiée aux écritures bouddhiques. Intelligente, fine, elle est pour Su la fraîcheur des années d'exil. Que demander de plus ? En 1083, Chaoyun donne un fils à Su. À l'occasion du Bain-du-Troisième-Jour du bébé, Su écrit un petit quatrain ironique :

Les parents veulent tous des enfants brillants

 Brillant je l'ai été bien trop toute ma vie
	
Je te souhaite,	mon fils, d'être bête et stupide
	
d'éviter les calamités et de finir premier ministre

102-103

§

Pour une famille de paysans pauvres, trop d'enfants est une punition et trop de filles une malédiction. Une bassine d'eau froide dans la chambre de l'accouchée peut servir de régulateur démographique. L'usage constant de l'infanticide des nouveau-nés inspire à Su une lettre adressée au magistrat du chef-lieu, à Wuchang.


« Au moment de la noyade, les parents ferment les yeux, détournent la tête et attendent que l'enfant devienne silencieux. Un de nos voisins a tué ainsi deux jumeaux. L'été dernier sa femme a accouché de quadruplés. La mère et les petits sont morts. Il ne suffit pas de rappeler aux gens que la loi punit des travaux forcés le meurtre des enfants, ni de frapper les coupables connus. Il faut obtenir des familles riches qu'elles aident les pauvres, collecter de l'argent et des dons, organiser l'action, récompenser et subventionner [104] les familles qui adoptent des enfants que les parents n'ont pas la possibilité d'élever. » 

Jusqu'à la fin de sa vie, Su Dongpo reste un « militant » fidèle de l'association qu'il avait fondée à Huangchou, Sauvons les nouveau-nés!

« Une terre abandonnée... »

C'est pendant la troisième année de son exil champêtre que Su écrit, pour se consoler de la fatigue du travail de la terre, un long poème sur sa vie de fermier, une bucolique devenue un classique célèbre.


Une terre abandonnée qui n'intéresse personne
des murs écroulés parmi les broussailles
qui voudrait gaspiller là ses forces
pendant un an sans rien récolter ?
Que fait ici cet étranger tout seul ?
Le Ciel est contre lui	
Nulle part où aller
  Se courber	
Ramasser des débris
Sécheresse Sécheresse	
La terre est sèche
Essayer de mettre au jour un peu de terre meuble
Soupirer Soupirer Laisser là la charrue
La grange quand la verra-t-on pleine ?

Même dans la friche et les broussailles 
le haut et le bas peuvent toujours servir
Là où la terre est humide planter du riz
Au levant jujubiers et châtaigniers
Un ami du pays de Shu
m'a promis des grains de mûrier
Les bons bambous poussent facilement
Si on empêche les pousses d'aller partout
Il n'y a plus qu'à choisir l'endroit
où installer notre maison
Le garçon qui fait brûler des herbes
dit qu'il a trouvé un bon puits
Il faudra attendre pour manger son saoul
mais je sais maintenant où remplir ma gourde
Si je plante à temps des jujubiers
et plante des pins   un jour je pourrai les couper
Il suffit d'attendre dix ans ou un peu plus
mais j'ai bien fait de prévoir de loin
Qu'est-ce que c'est   dix petites années
quand mille ans passent comme grêle ?
Li Heng disait	Planter des orangers
c'est mettre à son service des esclaves fidèles
Je vais l'imiter en cela
Un vieil ami en poste dans le Sud
m'a offert de grosses oranges douces
Leur feu illumine la chambre
S'il peut me procurer des grains
je les plante à la fonte du printemps
et au milieu de la haie de bambou
je vois déjà briller leur or et vert

103-105
§

Et c'est le même Su Dongpo qui peut parler du ciel étoilé en passant avec naturel du ton de Lucrèce ou de Blake au ton familier de l'Art d'être grand-père :


« Avant que la lune soit haute les montagnes étaient plus élevées »


Avant que la lune soit haute les montagnes étaient plus élevées
Une nappe de lumière inonde le ciel de blancheur
Avant que j'aie vidé ma coupe la porte d'argent s'est ouverte
Les amas de nuages battent en retraite
comme reculent les vagues
Qui pourra laver les yeux étincelants du ciel
sinon le flot lustral de la Voie lactée ?
La lune contemple la terre avec sérénité
Elle me trouve apaisé	résigné	calme puits
Au sud-ouest du ciel des météores jaillissent par salves
D'habitude l'étoile blanche brille très fort à l'est
mais en scrutant le ciel cette nuit je ne la vois pas
Des particules de feu rougeoient dans l'espace Quelle est cette flottille de clarté qui sillonne l'océan-nuit ?
Des milliers de lanternes font peur aux dragons cachés
Les barques de lumières tissent les rides des eaux noires
et se balancent sur la nuit au rythme des chants Les lucioles glissent et flottent jusqu'à l'horizon et le vent d'automne éclabousse d'étincelles le courant
La lune décline lentement et les promeneurs se dispersent
De retour à la maison je demande qu'on m'apporte du vin
pour encore un moment contempler le ciel
Dans la cour le clair de lune est de plus en plus calme
Dans l'herbe les grillons jouent de leur petit violon Je soulève le rideau de perles et j'écoute le silence 


Mon petit-fils couine réveillé par la lumière 
Loin de la capitale nous sommes des gens pauvres mais combien de gens peuvent chanter par cette nuit d'automne ?
Demain matin il faudra reprendre la roue des travaux
et cette nuit apparaîtra comme un rêve de la lune

109-110

§

en ce temps-là, Su Dongpo n'était pas à l’aise dans la peau du juge :


« C'est la veille du Nouvel An / Je devrais rentrer tôt »


C'est la veille du Nouvel An
Je devrais rentrer tôt à la maison 
Mais je garde en main mon pinceau 
J'ai devant moi de pauvres bougres
chaînes aux mains	    chaînes aux pieds
Petites gens qui avaient faim
tombés dans le piège des lois
sans comprendre ce qui leur arrive
Et moi ? J'ai besoin de mon traitement
et je garde mon poste au lieu de vivre libre
Est-ce bêtise ? Est-ce sagesse ?
Chacun se débrouille pour manger
le juge comme les prisonniers
Dans l'ancien temps on les aurait
libérés pour le Nouvel An
Est-ce que moi j'oserais le faire ?
Je garde le silence	et j'ai honte

112

§

« Nous fraternisons avec les langoustes... »

Su dit qu'il lui suffit de deux coupes pour flotter délicieusement. La barque descend vers les rapides, dans la lumière de perle pâle. Les amis ne savent plus s'ils glissent sur l'eau ou volent dans l'air. Su rythme de la main sur le flanc de l'embarcation la Chanson des rimes rieuses. Il dit :


Nous fraternisons avec les langoustes, nous sommes les amis des daims, nous levons nos coupes en l'honneur de la Grande Rivière reflétant la Grande Lune. Je prends celle-ci dans mes bras et je la berce au son de la flûte. L'eau coule, mais ne disparaît jamais. La lune ne décroît que pour croître à nouveau. Le temps n'est rien, qu'un instant de l'éternité qui nous emporte avec l'eau, avec les étoiles et la lune, avec le vent, avec le vol des grues qui naviguent vers l'Ouest. Elles font route vers la Contrée de Nulle Part, où il n'y a ni Nord, ni Sud, ni Est, ni Ouest, ni ciel, ni terre, ni soleil, ni lune, mais simplement la joie de vagabonder au gré de l'imagination. Les notes de la flûte de Wang glissent comme un fil de soie, elles charment les perches et les crevettes, les papillons et les phalènes, les élans et les cerfs. Nous nous couchons sur le fond [114] de la barque, Wang guide les rames de magnolia et la perche de cannelier pour maintenir la barque au fil du courant, et nous rêvons du rêve de Maître Tchouang-tseu, qui ne savait plus s'il était Tchouang-tseu qui rêvait d'être un papillon ou un papillon qui rêvait d'être Tchouang-tseu. »

113-114
§


« Est-il ivre Dongpo ? »



À son retour à la maison, Su écrit un poème avant d'aller dormir :




Est-il ivre Dongpo ? Est-il dégrisé ?
Il fait déjà jour et soleil
Le petit serviteur ronfle comme une toupie 
et n'entend pas que je frappe à la porte 
Appuyé sur ma canne j'écoute la rivière
	Il est tôt	 
 Tout est calme
L'eau n'est qu'un reflet lisse
Je voudrais remonter en bateau
et passer au-delà des mers
le reste de mes jours

113-114

§

« Le vent clair qu'est-ce donc ? »

Le vent clair  qu'est-ce donc ?
Quelque chose à aimer	sans lui donner de nom
qui bouge comme un prince partout où il va 
L'herbe et les arbres chuchotent sa louange
Il se promène sans aller nulle part
Il laisse la barque glisser comme elle veut
libre légère et vive
la confiant au courant
Bienvenue au vent qui va de l'avant
Je lève ma coupe de vin à sa caresse
Je bois à la santé du vent qui va
sans se soucier de nous	beau vent qui vole
de la vallée aux nuages
Le long de l'eau qui brille dans la nuit

(Il m'est arrivé en Chine de chercher à retrouver dans le vin de riz de l'année, qui n'a pas dû changer beaucoup de saveur et de degré depuis les Song, ce presque bonheur insouciant et cette souplesse d'humeur que décrit très bien Su. Mais ce qu'il m'arrive d'obtenir aisément avec quelques coupes de champagne ou — avec les différences de « couleur » mentales — grâce à un peu d'herbe, le vin de riz chinois ne m'en fait pas don. Ce qu'il m'accorde, c'est la petite chaleur cordiale de certaines eaux-de-vie, cette cerise de feu doux que la jeune prune ou un très vieux cognac dispensent sans effort.)


115-116

§

« J'ai rêvé que j'étais à l'école primaire »


J'ai rêvé que j'étais à l'école primaire 
mes cheveux en deux petits chignons comme les gosses 
(J'oubliais qu'aujourd'hui ce sont des cheveux gris) 
Je récitai au maître ma leçon d'Analectes 
Qu'est-ce que le monde ? Un jeu d'enfant
comme dans mon rêve	sens dessus dessous
Il n'y a que dans le vin qu'on n'est soi-même
et que l'esprit est libre d'angoisses et de doutes
L'homme ivre tombe de cheval sans se faire de mal
Tchouang-tseu le sait Tchouang-tseu le dit
J'appelle mon fils	
Apporte-moi pinceaux encre papier
et avec les pensées du vin capturons un poème

118

§

« Mon traitement a été supprimé, écrit-il au souverain. J'ai du mal à joindre les deux bouts. Mes ressources s'épuisent. Ma famille est malade. J'ai perdu un fils. La faim est à notre porte. Que Votre Majesté m'autorise à m'établir dans cette petite ferme, qui pourra nous donner au moins une bonne soupe de riz. » Il n'obtient pas cette permission, attend en vain qu'on lui assigne une charge. L'hiver est rude. Les perspectives peu encourageantes. Un ami attentif envoie au poète de la crème et du vin :


« La neige au crépuscule... »



La neige au crépuscule fait tournoyer ses grains de riz
Le torrent chuchote sur son lit de sable jaune
Plus de visiteurs ce soir	 Rêvons nos rêves
Un exilé est comme un moine	   
Où réside-t-il ?
Au fur et à mesure que j'écris la pierre d'encre gèle
Une fleur de givre	
Cela porte bonheur 
Au milieu de la nuit votre serviteur arrive 
nous apportant de la crème et du vin
Je saute de surprise	 
 Ma femme et les enfants rient crient battent des mains


En 1085 Su est cependant nommé dans la capitale […]


122

§


Su se trouve aux prises avec l'envasement des canaux, la pollution toujours menaçante des eaux potables, le mouvement des marées, l'interaction complète et souvent dangereuse des eaux de mer avec les eaux douces. Pendant la première année de son second terme à Hangchou, Su va mener à bien le curetage du réseau des canaux. Il va ensuite poser et résoudre en théorie et en pratique les problèmes de l'eau salée, de la vase, du trafic et des communications entre le lac, les canaux, le fleuve et la mer, celui des réservoirs d'eau potable, celui des algues et des plantes aquatiques qui risquent toujours de ralentir le flux et de troubler les eaux, et, lait but not least, les nécessités de l'irrigation des terres. Avec la clarté d'analyse d'un professionnel de l'hydraulique et la décision d'un chef de guerre, Su obtient de l'armée le concours de 200 000 journées de travail. Il persuade l'Impératrice douairière de financer l'essentiel des travaux et résout avec une ingéniosité que le visiteur d'aujourd'hui admire encore le problème des montagnes d'herbes aquatiques, de boue, de vase et de terre provenant du nettoyage des canaux. Su décide qu'on en fera une levée de terre, une longue digue, qui sera coupée par six ponts en

[125]

arches et neuf pavillons, étendant ainsi une aire de promenade sur la surface du lac. Quand en 1092 il est de nouveau déplacé, envoyé dans une petite ville du Yangtze, il peut en s'éloignant regarder le lac de l'Ouest avec fierté. Il laisse la ville qu'il aime plus belle qu'avant lui. Elle l'est toujours. Mais sur le bateau qui l'emmène il écrit un poème mélancolique

La lune pâle plonge dans les nuages

La corne de l'aube gémit
Un faible vent fait frissonner les écailles sur l'eau 
Vais-je passer toute ma vie sur les fleuves et les lacs ?
Je compte sur mes doigts	
J'ai fait dix fois l'aller-retour sur le 
fleuve Huai…

125-126     §


« Quand la marche du temps... »


Il dédie à sa jeune concubine des poèmes où s'allient la mélancolie d'un amour de fin du jour et la sérénité bouddhique :


Quand la marche du temps blanchit nos cheveux
et que même Vinalakirti en subit la loi
ne redoute pas d'être blessée par les pétales de fleurs
que les vierges célestes éparpillent sur toi
Les fleurs ne blessent pas une fleur
    Elles caressent tes lèvres	
Elles effleurent tes cheveux
Ainsi va le cycle éternel de la vie
des battements du coeur aux mouvements des astres
Je te vois tu brosses tes cheveux	tu les
dénoues
Je vois flotter sur tes lèvres un sourire pensif
Demain c'est jour de fête	
Reçois cette orchidée
et tu découvriras sur la soie de ta robe
le poème pour toi que j'inscris dans ses plis

Su commence à s'acclimater un peu quand le dernier coup du destin le frappe : Chaoyun meurt en juillet 1095, probablement de malaria. Elle est allée rejoindre l'enfant de Su qu'elle perdit autrefois. Le poète la fait enterrer près d'un temple, dans une forêt de pins, et consacre à sa mémoire des poèmes-prières :


Os de jade  chair de neige
que ton esprit n'ait pas peur
À travers la brume noire
et dans le vent qui vient des marais
que les esprits de la mer t'accompagnent
que les perroquets et les aras soient tes amis
que ton visage clair n'ait pas besoin de poudre
que les fruits rouges imitent tes lèvres
Chair de neige	os de jade
rêve ton rêve	perle des perles
née pour un monde encore plus beau

Chaoyun dans son tombeau, la maisonnette achevée, la haine du clan au pouvoir va rejoindre Su. Il est condamné à s'exiler encore. Une fois de plus, vagabond du destin politique, il reprend la route de plus en plus amère de l'exil


Chaque année je suis triste que le printemps s'en aille
mais ça n'empêche rien	   personne n'en tient compte
Pour tout arranger la pluie n'arrête pas
Il y a deux mois déjà qu'on se croirait en automne
Étendu	j'écoute les fleurs de cerisier
laisser tomber leurs pétales roses dans la boue Les forces mauvaises viennent au noir de la nuit 
et nous volent les choses auxquelles nous tenions comme celui qui se couchant un soir encore jeune s'éveille le lendemain avec les cheveux gris

129-131

§

« Eau sans borne, ciel sans limite... »


À Hainan, Su se sent assiégé par l'eau :


« Eau sans borne, ciel sans limite [...] Découragé, j'ai soupiré : " Quand pourrai-je fuir cette île ?" Mais je me suis dit aussitôt que tout est île. La terre est une île encerclée par l'océan du cosmos. Qui, parmi les vivants, n'habite pas une île ? Les Neuf Continents sont entourés par le Grand Océan. Si on renverse une bassine par terre, sur un brin d'herbe sauvage auquel s'accroche une fourmi, elle se demande comment elle va se tirer de cette situation. Mais l'eau sèche. La fourmi aussi. Elle reprend la route. Elle retrouve sa fourmilière et dit : " J'ai bien failli ne jamais vous revoir." Comment aurait-elle pu deviner qu'en un instant elle serait sauvée, libre d'aller dans les huit directions ? »


La surveillance à distance ne cesse pas. On assigne à Su une nouvelle masure. Les nuits, pendant la saison des pluies, il est obligé de déplacer constamment son lit parce que les gouttières le trempent. [136] Mais les lettrés de l'île viennent visiter Su où qu'il soit. Il se construit une sorte de « case » en palmes et bambou. Les chasseurs lui font don de tranches de gigot de daim. Les lettrés lui prêtent des livres. Les voisins lui apportent des fruits, du riz, des cornichons. Il écrit dans son journal qu'il a observé que certains animaux et quelques humains privilégiés parviennent à se nourrir avec les rayons du soleil. Dans les moments de pénurie, il semble prêt à essayer cette méthode. Mais on sent qu'il reste sceptique, comme pour le projet taoïste de conquête de l'immortalité. L'argument qui lui semble décisif c'est qu'il n'a jamais rencontré d'immortel.



Une lettre à son ami Cheng décrit la triste réalité, où il n'est plus question de se nourrir des rayons du soleil ou de trouver le secret de l'Élixir d'immortalité :




Ici on mange, mais sans viande, on est malade, mais sans médicament, on habite, mais sans maison, on se promène, mais sans ami, on passe l'hiver, mais sans charbon, on subit l'été, mais sans eau fraîche. Ai-je tout dit ? En un mot : il n'y a rien. Mais pas non plus de malaria, c'est l'unique bonne chose. Avec mon fils Kuo, j'ai construit une maisonnette de plusieurs pièces pour y vivre. Elle nous protège du vent et de la pluie. Nous avons taillé des bambous et installé du chaume pour nous abriter. Nous mangeons des patates douces et des taros. Mais le travail, la dépense, c'est dur. »

Autant que de nourriture et de confort, Su manque de pinceaux, d'encre et de papier. Il se lance avec Kuo dans des exercices de fabrication d'encre qui ont failli mal tourner : il provoque un incendie qu'on aura du mal à maîtriser. Avec les débris du désastre et une petite pierre à encre survivant à l'incendie, Su peut néanmoins se remettre à écrire et à peindre.


Chanson triste du voyageur	
Le vent pleure dans la campagne
Un feu lointain	
Les étoiles déjà vont se coucher
Les yeux me brûlent	
À quoi bon ne pas dormir ?
Personne de mon pays n'est ici	
Que la maison est loin !
Mon corps habite ce monde ou rêve qu'il y habite
Ma natte de jonc est rapiécée usée tournée retournée
Ma robe est pleine de trous jamais raccommodés
Ma pensée remue les cendres du passé
Les yeux fermés j'écoute la pluie qui tape sur le toit

Aux amis du voisinage, aux visites des lettrés, à l'arrivée venant de si loin du vieux compagnon taoïste, une autre présence s'est ajoutée à Hainan.


Museau Noir chien de la mer du Sud

que j'ai de chance d'être ton maître !
Mangeant les restes gros comme une citrouille ne réclamant jamais des mets plus fins
gentil le jour connaissant les amis
féroce la nuit gardien de la maison
quand je t'ai annoncé ma grâce
et que nous retournions au Nord
tu as remué la queue et dansé de joie
et fait la ronde autour des enfants
Langue pendante salive coulant
tu ne veux pas prendre le pont
Tu nages en raccourci à travers la baie
gigotant dans l'eau plus agile qu'un tigre et léger et rapide comme un oiseau de mer
Je sais	parfois tu voles un peu de viande
mais je ne te fouetterai pas
Tu dis merci du museau
puisque le Ciel te refuse la parole
J'ai envie de te confier une lettre à porter
comme fit le grand Lu Chi avec Chien Jaune
qui porta le courrier de son maître de Loyang à Wu

136-139

§

Un poème d'hiver pour avoir frais l'été



Pelotonné sur ma natte dans la nuit
j'ai dormi profond comme une tortue gelée
Au matin il y a une grande étendue blanche
et le vent froid secoue la cime des arbres
Les collines vertes sont un jeune homme
dont la nuit a blanchi soudain moustaches et
cheveux
Le froid a dévalé jusque sur la rivière
et le glouglou de l'eau s'est tu complètement
Les flocons volettent sans savoir où aller
Ils tombents'effacent	disparaissent
fondent avant la rivière
se perdent dans l'espace
Quand ils entrent dans le bateau
ils vont à pas légers de duvet
et se posent sur nous comme des fleurs découpées
Est-ce que le Ciel les a dessinés un par un ?
Qui les a ainsi semés à pleines mains ?
Je vois les montagnards qui transportent des bûches
Ils n'ont pas le temps de boire un peu de vin
ni de chanter des poèmes
Le pinceau du poète est durci de gel
et risque de se casser net
Les rideaux ne sont pas tirés
et je vois dans la nuit une jeune fille
penchée sur son métier à tisser
Il y a un ermite traînant ses sandales
dans le froid glacial qui gèle ses orteils
Le vent qui souffle dans son capuchon
le fait ressembler à un dieu du froid
Un autre moine balaie la neige sur son seuil



Il a la goutte au nez et elle a gelé
Que veut le voyageur à bord du bateau ?
Il voudrait un pur-sang plus vite que le vent
Un lapin gelé se cache dans l'herbe
et un faucon descend en piqué sur la bête
Ah faire bouillir le gibier dans la glace fondue
lever très haut sa coupe de vin jaune
Les gens de mon pays sont de grands chasseurs
Je suivrai volontiers celui qui mène le train
Je laisserai les flocons tournoyer et caresser mes joues
puis je prendrai mon pinceau
et de tout cela je ferai un poème

149-150

§

« Je suis un vieux singe qui a peur »


Je suis un vieux singe qui a peur
et s'est réfugié dans la forêt
un cheval fatigué dont on a désanglé la selle
Mon esprit est un vide qui cherche ses pensées
Les environs je les connais par coeur
et c'est encore eux que je vois dans mes rêves
Les bandes de mouettes sont de plus en plus 	amicales
Les vieux paysans viennent me visiter
Le lotus de l'étang fait éclore
de belles pièces de monnaie verte
Les bambous font pleuvoir des graines rouges
Qu'on nous apporte une jarre pleine de vin
et qu'elle m'inspire de belles idées

152

§

Pendant la Révolution culturelle, Lo [compagnon de Claude Roy en Chine] avait écrit un recueil de poèmes français, que nous pûmes faire publier lors de son séjour à Paris :


On m'a foulé au pied J'ai refusé de haïr

On m'a traîné dans la boue J'ai refusé de haïr

On m'a accroché une pancarte au cou 
J'ai refusé de haïr
Je lutte pour pouvoir écrire mon dernier mot sur la porte d'un horizon lointain

« Écrire en français, disait-il, dans un village misérable où personne ne connaissait cette langue, c'était entrer un petit instant dans un monde de liberté... »


Dans un livre publié en Suisse en 1948, Homme d'abord, poète ensuite, Lo écrit, à propos de Tu Fu : « Il supporta tête basse, sans plaintes ni colère, le calvaire de sa propre misère. Ce n'était à ses yeux que la part infime qui lui revenait de la détresse générale. » L'étudiant chinois de Genève qui écrivait cela au lendemain de la guerre mondiale ne savait pas que, près de cinquante ans plus tard, il allait [158] gravir lui aussi « le calvaire de sa propre misère » dans la détresse générale de la Révolution culturelle.


Dans sa dernière lettre Lo Dakang m'a envoyé un texte de Su Dongpo, « un fragment de poème de votre ami de l'An Mil traduit par votre ami de la fin du siècle XX ».


Quand on ne voit plus ses amis 
peu importe qu'ils soient loin ou près 
Si la vie ne nous séparait pas 
comment saurait-on qui on aime ? 
Le vent d'automne vient puis s'en va 
Les souvenirs ne s'effacent pas

§§

Su Tung po = Su Dongpo (Moundarren)



SU TUNG PO
l'hôte de la pente de l'est
fumée du Lu shan, marée du Che Liang
poèmes traduits du chinois par
CHENG Wing fun & Hervé COLLET
calligraphie de CHENG Wing fun
Moundarren
chemin des bois Millemont 78940 France

1061, au 11ème mois, se rendant à Feng hsiang. Tzu yu est resté à la capitale avec leur père. Lors de leur premier voyage à Kai feng cinq années auparavant, les trois Su ont logé au temple de Mian chi.


à Mian chi, réponse à Tzu yu, songeant au passé9

l'errance d'une vie, à quoi ressemble t'elle?
elle ressemble au vol d'une oie sauvage qui se pose 
	dans la neige et la boue
sur la boue au hasard elle laisse son empreinte,
déjà s'envole, comment savoir si c'est vers l'ouest ou vers l'est? 
le vieux moine est mort, on a construit une nouvelle pagode 
le mur est délabré, on ne voit plus nos anciennes inscriptions 
naguère le voyage fut pénible, tu te souviens?
le chemin long, les hommes fatigués, l'âne boiteux ne cessait de 	braire

§

	

1063, à Feng hsiang. Marcher sur le vert est un jour de fête du début du printemps.

sur le rythme de "marchant sur le vert" de Tzu yu

sur les sentiers le vent d'est soulève une fine poussière
pour la première fois de l'année, les promeneurs jouissent de la 	floraison nouvelle
des hommes oisifs au bord des chemins, en train de boire
le blé est court, il ne craint pas encore les roues 	des carrosses 
les citadins sont las de la ville, de ses murs
clameurs dès l'aube, les quatre voisins sortent, la ville se vide 
chansons et tambours ébranlent la montagne, agitent herbes et arbres 
bols et coupes parsèment les prés, les corbeaux 	sont apprivoisés 
qui est cet homme qui attire la foule, se proclamant taoiste?
il barre le chemin pour vendre ses charmes, l'allure furieuse, 	menaçante
"bon pour les vers à soie, rendra vos cocons comme des jarres
bon pour les bêtes, rendra vos moutons comme des cerfs" 
les passants ne croient pas vraiment à ses paroles,
pourtant achètent le charme, le portent pour bénir le nouveau 	printemps
le taoiste ramasse l'argent, file acheter du vin
ivre il s'écroule, se disant "mes charmes marchent à merveille"
§



1072, à Hang chow, sur le Mont du phénix.

au Pavillon d'où l'on contemple la mer, scène du soir

cinglant le vent souffle, oblique la pluie entre dans le pavillon 
scène prodigieuse, un beau poème pour l'honorer
la pluie est passée, la marée s'est calmée sur le fleuve et la mer 	émeraude
de temps à autre un éclair fulgurant, serpent or et pourpre


§

1072, à la fin de l'automne, dans le district de Hang chow.


passant la nuit au Temple

passant la nuit au Temple eau et terre, adressé au moine Ching sun du Mont du nord

la rive du fleuve est enfouie dans les herbes, la pluie obscurcit le 	village

le temple est caché sous de hauts bambous, je ne sais où est le portail

on ramasse du bois, prépare une décoction de plantes, un moine est 	malade

on balaie par terre, brûle de l'encens, purifier l'âme du visiteur

les travaux des champs ne sont pas encore terminés, la Petite neige 	est proche

la lampe du Buddha vient d'être allumée, c'est la tombée de la nuit

ces derniers temps je commence à apprécier le goût de la vie 	tranquille,

rêve de discuter avec le moine éminent, nos lits se faisant face
 147 

§


	

1073, au 2ème mois, visitant le district. Hsin cheng est à 150 li au sud ouest de Hang chow.

sur la route de Hsin cheng

le vent d'ouest sait que j'ai l'intention de me promener dans les 	montagnes
sous son souffle cesse le son de la pluie, abondante sur l'avant toit
sur la crête, des nuages d'éclaircie, la coiffent d'un bonnet de coton
au sommet des arbres le soleil naissant, suspendu comme un gong en 	bronze
les pêchers sauvages sourient, les haies de bambous sont basses
seuls les saules de la rivière se balancent, on distingue le sable au fond 	de l'eau
les familles de la Montagne de l'ouest sont les plus heureuses
on cuit le cresson, on rôtit les pousses de bambou pour se nourrir lors 	des labeurs du printemps

§

passant la nuit au Temple de la terre pure, à Lin an



les coqs chantent, je quitte Hang chow
j'arrive au temple, il est déjà midi
pour la méditation, je n'ai pas assez de temps
manger pour me rassasier avant toute autre chose
de toute ma vie je n'ai pas assez dormi
soudain un vent frais balaie la demeure
je ferme la porte, les multiples causes d'agitation se dissipent
d'un encens en spirale monte la fumée, comme un fil
je me réveille, fais bouillir de l'eau de la source 	sur le rocher
le thé infuse, léger, laiteux
fraîcheur du soir après le bain
mes cheveux ont vieilli, clairsemés on peut les 	compter
je chante à voix haute en franchissant le portail
la couleur du crépuscule descend sur le village
la lune pâle est à moitié cachée par la montagne
des feuilles de lotus rondes laquelle renversera la rosée la première?
je le rencontre sur le pont en pierre, ensemble,
toute la nuit à parler avec un vieil ami
le lendemain matin je me rends à l'ermitage dans la 	montagne
le Miroir de pierre brille, barre le chemin
autrefois il reflétait la silhouette des ours et 	des tigres,
aujourd'hui singes et oiseaux s'y mirent
décadence, prospérité, inutile de se lamenter
dix mille générations, un bref instant

§

visite à la Pagode du haut pic, au temple Ling yin



en visite à la Pagode du haut pic
un bon repas matinal, je mets mes vêtements de campagne
automne, les nuages de feu ne sont pas encore éteints,
je profite de la fraîcheur de l'aurore
le brouillard est épais, rochers et vallées sombres
le soleil surgit, parfum des herbes, des arbres
j'encourage les compagnons venus avec moi
depuis longtemps j'ai pris nuages et eaux pour 	pays,
je leur conseille de ne pas trop lever les pieds,
le chemin est long, escarpé
pins antiques, comme des dragons et des serpents qui grimpent
rochers étranges, commes des boeufs et des moutons assis
on entend maintenant le son de la cloche et du gong en pierre
des oiseaux planent, descendent en tournoyant
je franchis la porte, vide de l'avoir et du non avoir
la mer des nuages est immense, profonde
je rencontre un seul moine, il est sourd,
vieux, malade, souvent à court de graines
je lui demande son âge, il rit, ne répond pas
il montre son lit en chénopode, percé
je sais que je ne reviendrai sans doute jamais ici
sur le point de partir, j'hésite
en cadeau d'adieu je lui laisse un rouleau de tissu,
disant "cette année le givre viendra bientôt"

§

1073, à Hang chow. Dans les temps anciens, lors de la crue d'un fleuve, on offrait une jeune femme en sacrifice au dieu du fleuve.

plainte de la paysanne de Wu



cette année le riz rustique péniblement tarde à 	mûrir
on a prévu que le givre et le vent allaient arriver 	bientôt
givre et vent viennent au moment où la pluie se 	déverse
le manche du rateau est couvert de moisissure, la faucille tachée de 	rouille
les yeux sont secs, les larmes épuisées, la pluie 	ne cesse
insupportable de voir les épis jaunes couchés dans la boue 
sous un abri en paille, tout le mois elle dort au bord du champ
une éclaircie dans le ciel, elle récolte le riz et rentre en suivant la 	charrette
la sueur coule sur ses épaules rouges, elle le porte au marché
elle mendie pour se voir accorder un prix bas, comme pour de la balle 	de riz ou du riz en poussière
elle vend son boeuf pour payer les taxes, démonte la maison
une solution à court terme ne préviendra pas la 	famine l'année 	prochaine
aujourd'hui les officiels veulent de l'argent, ils 	ne veulent pas de riz
c'est pour recruter des barbares au nord ouest, à dix mille li
quand la cour est pleine de gouverneurs tels Kong et Huang,
pour les gens c'est encore plus pénible
mieux vaut sans doute devenir la femme du dieu du fleuve

				§

1077, se rendant à la capitale.

« veille du nouvel an, la neige me retient »

la veille du nouvel an, une tempête de neige me retient à Wei chow. Le matin du 1er jour de l'année, une éclaircie, je reprends mon voyage. A mi chemin il neige à nouveau


veille du nouvel an, la neige me retient
premier jour de l'année, le beau temps m'accompagne
le vent d'est souffle mon vin de la veille
mon cheval maigre bouscule mon rêve finissant
le vert sombre s'éclaircit, perce la lumière de l'aube
en tournoyant tombent les derniers flocons
je descends de cheval, en plein champ me mets à boire
félicité, avec qui la partager?
le soir, soudain les nuages se referment
une rafale de neige implacable
des plumes d'oie s'accrochent aux crins de mon cheval
j'ai l'impression de chevaucher un phénix blanc
depuis trois ans, dans l'est la sécheresse
les familles ont fui, les maisons sont en ruine
un vieux paysan arrête sa charrue, soupire
il ravale ses larmes, elles brûlent ses intestins affamés
"neige de printemps, même si on la dit tardive,
le blé de printemps on peut encore le planter"
comment oserais je me plaindre de mon voyage pénible?
pour l'encourager je chante, priant que la récolte soit bonne
§

1078, à Hsu chow. Adressé à Wu Yen lu, chargé de sélectionner les candidats au Bureau des rites. Extrait.

la métaphore du soleil

Celui qui est né aveugle ne connaît pas le soleil. Il interroge celui qui a la vue, qui peut être lui répond "le soleil a la forme de cette bassine en cuivre". Il frappe la bassine, en retient le son. Plus tard il entend une cloche et la prend pour le soleil. Ou peut être on lui explique "le soleil éclaire comme cette bougie". Il touche la bougie, en retient la forme. Plus tard il touche une flûte et la prend pour le soleil. Du soleil cloche et flûte sont très éloignées, pourtant l'aveugle ne fait pas la différence. Parce que n'ayant jamais vu, il a demandé aux autres. 

Le tao est difficile à voir, bien plus que le soleil. L'homme qui ne l'a pas encore atteint n'est pas différent de celui qui est aveugle. Si celui qui l'a atteint essaie de lui expliquer, même une juste métaphore habilement tournée hélas ne dépasse guère la bassine ou la bougie. De bassine en cloche, de bougie en flûte, on se perd en comparaisons insinuantes. Comment pouvoir tout englober? Ainsi dans ce monde ceux qui parlent du tao, soit à partir ce qu'ils ont entrevu et alors expliquent, soit à partir de ce qu'ils n'ont pas vu et alors conjecturent, tous recherchent en vain le tao. N'est ce pas dire ainsi qu'on ne peut rechercher le tao? Je dis, le tao on peut l'atteindre, mais pas le rechercher. Que signifie atteindre? Le stratège Hsun Wu a dit "celui qui est doué pour la bataille mène l'ennemi, il ne se laisse jamais entraîner par lui". Chi Hsia a dit "si comme les cent artisans qui restent dans leur atelier pour accomplir leur tâche l'homme vertueux se cultive, alors il atteint le tao". Quand on ne le recherche pas, ainsi naturellement on l'atteint. Voilà comment on l'atteint.

§

1078, à Hsu chow.

Wang Ting kuo, amoureux des jolies femmes et du bon vin, et maitre Tsan liao, moine et poète de Nang chow, sont deux de ses plus proches amis. Silla est un ancien royaume de la péninsule coréenne. Les chameaux de bronze qui gardent la porte du palais impérial de Lo yang datent de la dynastie Han. Dans la terminologie bouddhiste, un kalpa est une méga unité de temps, 4320 millions d'années.

le Rapide de cent pas, avec préface

Wang Ting kuo un jour m'a rendu visite à Hsu chow. Avec Yen Chang tao et trois courtisanes, Pan, Ying et Ching, à bord d'un sampan il est parti se promener sur la rivière Ssu. Au nord ils sont montés sur le Mont de la jeune sainte, au sud ils ont descendu le Rapide de cent pas, soufflant dans les flûtes et buvant du vin, de retour sous la lune. J'étais alors très occupé et n'avais pu les accompagner. Le soir j'ai mis ma robe taoiste et suis monté en haut de la Tour jaune, restant longuement debout. Nous nous sommes aperçus et avons ri. J'ai alors pensé que depuis la mort de Li Po, il y a trois cents ans, le monde n'avait connu une telle joie. Puis Ting kuo est reparti. Un mois plus tard, avec maitre Tsan liao j'ai descendu le Rapide en barque. Réalisant que la balade de Ting kuo appartenait déjà au passé, ému j'ai poussé un long soupir. J'ai composé deux poèmes, j'en ai offert un à Tsan liao, et envoyé l'autre à Ting kuo. Je les ai montrés à Yen Chang tao et Shu Yao wen, les invitant à composer sur le même thème :


le long rapide soudain descend, abrupt, les vagues jaillissent 
la barque légère file vers le sud, comme une navette qui plonge 
le batelier crie de toute sa voix, les canards sauvages s'envolent 
dans une confusion de rochers l'eau comme un fil perce son passage, 
comme un lièvre s'enfuyant sous le vol descendant de l'aigle féroce, 
un cheval superbe galopant sur une pente raide de dix mille pieds,

/...
une corde qui casse et déserte le manche, une flèche qui s'échappe de 	la main,
un éclair dans une embrasure, une perle qui roule sur un lotus
les quatre montagnes à pic tournoient, le vent coupe les oreilles
je ne vois que de l'eau qui bouillonne, mille remous
au milieu du danger ma joie est intense,
je suis comme le dieu du fleuve se vantant, ivre 	des crues d'automne
je confie ma vie au cours du changement, où jour et nuit alternent
assis, illuminé, ma pensée dépasse Silla
dans la confusion on passe son temps à se quereller, comme dans un rêve d'homme saoul,
refusant de croire que les ronces peuvent recouvrir les chameaux de 	bronze
quand on s'éveille, en un clin d'oeil s'évanouissent mille kalpa
je me retourne, regarde le courant libre, sinueux
voyez sur les rives, sur les rochers verts,
les trous creusés depuis jadis par les perches forment une ruche
veiller seulement à ce que le coeur soit sans attache,
la création se poursuit, mais ainsi ne nous affecte pas
nous ramenons la barque, montons à cheval et 	rentrons
je suis trop bavard, le maître m'en blâme

§

1080, à Kai feng, à sa sortie de prison.


le 28ème jour du 12ème mois je suis gracié, et reçois une affectation spéciale comme surnuméraire au bureau des eaux et adjoint du garde local de Huang chow

cent jours, on me libère

cent jours, on me libère, opportunément au printemps
pour le reste de ma vie la joie sera ma première 	préoccupation
je franchis la porte, allègre, le vent souffle sur mon visage
mon cheval léger galope, les pies chantent
face à une coupe de vin, tout n'est que rêve
nonchalant je prends mon pinceau, déjà inspiré
pourquoi essayer de remonter les causes du malheur?
ces années durant j'ai usurpé des fonctions que j'aurais dû refuser


§

1080, en arrivant à Huang chow.


Quand j'étais jeune, passant dans le temple d'un village, j'ai vu sur le mur un poème où était écrit

nuit fraiche, on dirait qu'il pleut 
le temple silencieux semble sans moine

Je ne sais qui a composé cela. Aujourd'hui je passe la nuit au Temple ch'an de la sagesse, à Huang chow. Les moines sont tous absents. Au milieu de la nuit il se met à pleuvoir, je me souviens du poème, et en compose un :

« la lampe de buddha peu à peu s'assombrit... »



la lampe de buddha peu à peu s'assombrit, affamés les rats sortent

la pluie soudain arrive de la montagne, les bambous élancés bruissent

qui a écrit cet ancien poème?

il devait alors savoir mon sentiment de maintenant


§

Extrait d'une lettre écrite le 11ème mois de 1080, en réponse à son ami et disciple Chin Kuan, de douze ans son cadet. Les pièces de monnaie sont trouées au milieu.


Quand je suis arrivé à Huang chow, la part de mon salaire en grain a été supprimée. Le nombre des membres de ma famille n'étant pas négligeable, j'étais secrètement très tracassé. J'ai alors décidé de devenir économe. Nos dépenses journalières ne dépassant pas 150 tsien, au début de chaque mois je sors 4500 tsien et les divise en trente colliers que j'accroche aux poutres. Le matin je prends un bâton à suspendre les peintures, décroche un collier, et range ensuite le bâton. Nous avons aussi un large tube en bambou où l'on garde les pièces qui n'ont pas été dépensées, c'est pour recevoir des invités. C'est la méthode de mon ami Chia Yun lao. J'ai calculé que nous avions de quoi vivre un an largement. 

A ce moment là, je trouverai une autre solution. C'est quand l'eau arrive qu'on creuse un fossé. Inutile donc de prévoir, ainsi il n'y aura dans ma poitrine aucune préoccupation. Sur la rive en face de celle où j'habite est située Wu chang. Montagnes et eaux y sont prodigieuses.

Il y a dans la ville un homme du pays de Shu, Wang. Souvent, quand vent et vagues m'empêchent de rentrer, Wang pour moi va tuer un poulet et cuire du millet. Je peux rester plusieurs jours, cela ne le dérange pas. Il y a aussi Pan, qui tient une taverne de vin à l'embarcadère de Fan kou. Sur une petite barque je rame directement jusqu'à son échoppe. Le vin du village a du corps, mandarines et kakis abondent. Les taros ont plus d'un pied de long, ils n'ont rien à envier à ceux du pays de Shu. Le riz, qui vient d'autres régions par voie d'eau, ne coûte que 20 tsien le boisseau. La viande de mouton vaut celle du nord, porc, boeuf et chevreuil sont bon marché, poissons et crabes ne coûtent presque rien. 

Hu Ting chih, l'inspecteur du bureau du vin de Chi ting, a apporté avec lui dix mille livres qu'il prend plaisir à prêter aux autres. Il y a à Huang chow plusieurs officiels en fonction, tous sont doués pour la cuisine et aiment offrir des banquets. Tu peux sentir d'après tout cela que ma vie se passe de façon plutôt agréable. J'aurais aimé parler plus avec toi de ces innombrables choses, mais la feuille de papier se termine. Tu viens de lire ma lettre, je t'imagine maintenant lissant ta barbe, riant d'acquiescement.

§

La pente de l’est

« ...même d'une terre en friche... »

[…]
même d'une terre en friche, d'un désordre de broussailles,
le haut et le bas ont chacun leur usage
la terre est humide en contrebas, j'y ai planté du riz
dans le champ à l'est j'ai transplanté des jujubiers et des châtaigniers
au sud du fleuve, il y a un homme du pays de Shu,
il m'a déjà promis des graines de mûrier 
les bons bambous ne sont pas difficiles à cultiver
il faut seulement veiller à ce que les branches ne s'élancent pas 	partout
il me reste à choisir un bon endroit,
pour y installer une masure
le garçon est en train de brûler des herbes mortes,
en courant il vient m'annoncer qu'il a découvert un  puits caché
manger à satiété je n'ose encore l'espérer,
mais boire de l'eau à la gourde est maintenant assuré

§

« ...la pluie a lavé la Pente de l'est... »



la pluie a lavé la Pente de l'est, couleur fraiche de la lune 

les gens de la ville sont passés, maintenant les paysans passent

pourquoi serais je gêné par les cailloux qui jonchent le chemin de la 	Pente?

j'aime le tintement de ma canne qui les heurte


§


1082, se rendant à Sha hu, à 30 li au sud est de Huang chow.


Le 7ème jour du Sème mois, sur le chemin de Sha hu, nous rencontrons la pluie. Comme les parapluies ne sont pas avec nous, mes compagnons sont très embarrassés, moi seul n'en éprouve aucune gêne. Peu de temps après il fait à nouveau beau, je compose ce poème :

« n'écoutez pas le bruit de la pluie... »

n'écoutez pas le bruit de la pluie qui pénètre dans la forêt,tape les 	feuilles

pourquoi ne pas fredonner en continuant à marcher tranquillement?

une canne en bambou, des sandales de paille, légères, mieux qu'un 	cheval

qu'y a t'il donc à craindre?

en manteau de jonc sous la brume et la pluie, ma vie est ainsi

le vent frais du printemps souffle, dissipe mon ivresse, j'ai légèrement 	froid

le soleil se couche derrière la montagne, face à nous

je tourne la tête vers l'endroit d'où venaient le vent et la pluie

sur le chemin du retour,

plus de vent, ni de pluie, ni de rayon du couchant

§

1084, à Huang chow. Il vient d'apprendre qu'il est nommé à Ju chow, sur la rivière Lo.


sur l'air de "la cour pleine de fleurs". Le 1er jour du 4ème mois de la 7ème année yuan feng. Comme je vais prochainement quitter Huang chow, transféré à Ju chow, je fête l'adieu avec quelques voisins au Studio de la neige. Il y a aussi Li Chung nan, venu de l'est du Fleuve pour me dire au revoir. Je calligraphie ce poème et lui offre.

« je m'en retourne / vers où mon retour? »

je m'en retourne
vers où mon retour?
dix mille li, mon pays natal, fleuve Min et mont O mei
cent ans, j'en ai fait plus de la moitié
les jours à venir, je crains qu'il n'y en ait guère
j'aurai donc vu à Huang chow deux années à double mois
mes enfants tous parlent la langue de Ch'u, chantent les chansons de 	Wu
amis de la montagne,
du poulet, du porc, ensemble buvons
vous me conseillez de rester vieillir sur la Pente de l'est pourquoi?

je dois partir
les choses de la vie,
vont, viennent, comme la navette
oisif, je regarderai dans le vent d'automne,
l'onde limpide de la rivière Lo
devant le studio, les beaux petits saules
pensez à moi,
ne coupez pas les jeunes branches
je vous laisse aussi un message,
que les villageois du Sud du fleuve,
de temps en temps exposent au soleil mon manteau de jonc

§

au Lu shan, au Pont des trois gorges où perchent les sages

« j'ai entendu dire que dans les rochers du Tai shan, »



j'ai entendu dire que dans les rochers du Tai shan,
avec le temps l'eau a creusé son cours comme un fil
ici, rien à voir, violente comme cent tonnerres,
dix mille générations de lutte avec les rochers
son cours profond, sous la neuvième terre,
surgit brusquement à droite des trois gorges
courant intrépide jusqu'à la rivière interminable,
il va remplir la mare sans fond
les vagues sautent, retournent les poissons cachés
l'écho vibre, fait tomber les gibbons qui volent
la fraîcheur, le froid pénètrent l'os de la  montagne,
herbes et arbres sont maigres et robustes
dans la pluie fine, indistincte, la fumée et la brume,
l'eau jaillit sans limite, jouant d'une cloche en 	or et d'un gong en 	pierre
courbé, le pont volant se dresse,
dans l'eau comme un arc en demie lune
sur la mare de jade, près du dragon divin,
la pluie et la grêle s'abattent, dérangent le beau 	temps de ce jour
je penche ma gourde et puise à l'onde douce, claire
pour la boire, pas pour me rincer la bouche


§

« mes poèmes sont dit-on rudes »



sortant de la capitale pour aller au pays Chan, sur la jonque sont inscrits huit petits poèmes dont on ne sait qui est l'auteur. Ils me plaisent beaucoup, je m'amuse à composer sur le même rythme.

mes poèmes sont dit-on rudes

quand le coeur est en paix, mélodie et rythme s'accordent

avec l'âge de tout souci on se débarrasse

dans un vieux puits, pas moyen de soulever une vague

§

Six mois après la mort de Wen Yu ko, quand Su Tung po était à Hu chow, un jour ou il exposait au soleil ses peintures et ses livres, il revit une peinture de bambous de Wen Yu ko.

note à propos d'une peinture

de bambous de la vallée de Yun tang, de Wen Yu ko


Quand le bambou vient de naltre, jeune pousse d'à peine un pouce, déjà les sections et les feuilles y sont inscrites. De la cigale au serpent jusqu'au bambou qui s'élance à dix toises, la nature ainsi procède. Aujourd'hui, ceux qui peignent ajoutent section après section, feuille après feuille. Que reste t'il du bambou? Quand on peint un bambou, il faut d'abord avoir tout le bambou dans la poitrine, tenir le pinceau en se concentrant. Au moment où l'on voit ce qu'on veut peindre, immédiatement on se met à exécuter, manipulant le pinceau d'un seul trait à la poursuite de ce qu'on voit. Comme lorsqu'un aigle fonce sur un lièvre qui détale, à la moindre relâche il a déjà disparu.

§

1087, à la capitale. Pien Luan est un peintre du Sème siècle, Chao Chang du début du 11ème siècle.


inscrit sur une branche peinte par Wang, secrétaire de Yen ling

« qui dit que la peinture doit être ressemblante? »

qui dit que la peinture doit être ressemblante?
sa vue voisine avec celle d'un enfant
que lorsqu'on compose un poème, il faut s'en tenir au thème?
assurément pas un connaisseur de poèmes
poème et peinture reposent sur la même règle,
force divine et fralcheur nouvelle
Pien Luan peignait des oiseaux vivants,
Chao Chang des fleurs vivaces
ici, rien à voir avec ce genre de peinture
dépouillé, simple, dégageant l'essence, le rythme
comment imaginer qu'une tache de rouge,
puisse porter un printemps illimité?

§

1094, sur le chemin d'exil à Hui chow. La Tzu hu chia est un ffluent du Long fleuve, près de Tang tu.

sur la Tzu hu chia, contrarié par le vent

le mât et ses cordages se dressent, sifflent dans le ciel 
le batelier dort profondément parmi les vagues qui moutonnent 
les filins des amarres doivent deviner ma vraie pensée
fragiles cordes résistant à un vent de dix mille li


dans cette vie de rentrer chez moi l'espoir se perd
les montagnes sont interminables, les eaux vertes frappent le ciel
même ici, une petit barque qui vient vendre des galettes
heureux j'entends qu'il y a un village de ce côté de la montagne


allongé je regarde la lune se coucher, parcourir 	dix mille pieds
je me lève, hèle le vent frais dans la demie voile
on frôle un village au bord de l'eau, il passe en 	tanguant
dans ce monde, partout un haut et un bas


§

récit d'une promenade au Pavillon du vent dans les pins

Quand je séjournais à Hui chow au temple Chia yu, je me suis promené vers le Pavillon du vent dans les pins. Fatigué, la force m'a manqué dans les jambes. J'ai alors pensé aller jusqu'au sous bois, m'y reposer. J'apercevais le kiosque et le pavillon au dessus des arbres, me demandant si je pourrai y arriver. Comme ça un long moment. Soudain je me suis dit "rien ne m'empêche de rester me reposer ici où je suis". Ce fut comme si on poisson pris à l'hameçon subitement se libérait. Si l'on comprend cela, même en pleine bataille, quand les tambours résonnent comme le tonnerre, quand avancer c'est pour mourir par l'adversaire, et reculer pour mourir par la discipline, à ce moment là même, rien n'empêche de bien se reposer.

§

Enménageant

[...]

sur les pics verdoyants, conbien de chignons de nuages? 

j'ai honte face à maitre Pao pu, l'alchimiste,
 
je néglige le tripode en or et la métamorphose de la cigale 

mais je tire meilleur parti que Liu Tsung yuan

dans sa chapelle aujourd'hui, dans le bol de sacrifice, des litchis 	rouges

la vie originellement n'attend rien,

un bref instant déjà elle se termine

chaque bref instant, d'innombrables kalpas

dans le monde de poussière, chacun vit dans son monde

d'en haut je regarde les êtres vivants respirer,

ils se soufflent mutuellement dessus, conne des moustiques et des 	moucherons

§

1097, à Hai nan. Le palais Pong lai est le lieu de séjour mythique des immortels.

« Sur le chemin de Chiang chow à Tan chow... »


Sur le chemin de Chiang chow à Tan chow, assis dans le palanquin je m'endors. Dans le rêve me viennent les vers

mille montagnes, bougent leurs écailles
dix mille ravins, résonnent cloches et orgues à bouche

Je me réveille, le vent est frais, la pluie cinglante. Pour m'amuser je compose ces quelques vers.

quatre districts englobent l’île
cent grottes partout essaiment
mon trajet a commencé dans le coin nord ouest,
traçant comme une lune en demi arc
je monte sur une hauteur, voir le continent
je ne vois que de l'eau, elle se mélange au ciel
dans cette vie, quand pourrai je y retourner?
je regarde autour de moi, nul chemin
au loin j'aperçois la grande mer d'au delà,
songe au vieillard qui parle du ciel
dans les immenses greniers impériaux,
qui se soucie de savoir si un grain de riz est grand ou petit?
mon songe soudain éclate, se dissipe
le long souffle du vent arrive du ciel
mille montagnes, bougent leurs écailles
dix mille ravins, résonnent cloches et orgues à 	bouche
n'est ce pas une bande d'immortels?
§


1098, à Tan chow. Les Li sont des familles aborigènes de Hai nan.

« mi sobre mi ivre... »




ayant un peu bu, seul je me promène, et rends visite à quatre Li, Tzu yun, Wei, Hui et 
Hsien chueh



mi sobre mi ivre j'ai rendu visite à des Li

bambous, ronces, lianes et branches à chaque pas s'embrouillent

je n'ai qu'à suivre les bouses de vaches pour trouver mon chemin de retour

ma maison est à l'ouest de l'étable à vaches, toujours plus à l'ouest


§

propos sur la littérature

Mon écriture est comme une source exubérante, elle ne choisit pas l'endroit où elle jaillit. Dans la plaine son cours s'élance, mille li en un jour sans difficulté. Parmi les rochers de la montagne elle ondule, suivre les choses lui donne sa forme, ceci on ne peut le prévoir. Tout ce que je peux prévoir, c'est de toujours avancer là où je dois avancer, et de toujours arrêter là où je dois arrêter. C'est simplement cela.

C'est comme les nuages qui défilent, l'eau qui coule. Au début je ne fixe aucune forme, mais toujours j'avance là où je dois avancer, toujours j'arrête là où je dois arrêter. Si expression et sens sont spontanés, l'allure est jaillissante.

§

écrit à Tan chow



Quand je suis arrivé à Hai nan, j'ai vu alentour l'eau et le ciel sans limite. Emu et navré, me demandant quand je pourrai partir de cette ile. C'est alors que j'ai pensé: ciel et terre sont au milieu de l'eau, les neuf continents dans l'immense océan d'au delà, la Chine au milieu des quatre mers. Qui, durant cette vie, n'habite pas sur une île? On renverse une bassine d'eau par terre, un brin d'herbe flotte sur l'eau, une fourmi y est accrochée, perdue, ne sachant comment s'en sortir. Peu de temps après, l'eau sèche, la fourmi tout de suite s'en va, revoit ses congénères, fond en larmes et leur dit "j'ai bien failli ne plus vous revoir”. Comment aurait elle pu savoir qu'en un clin d'oeil des chemins menant dans les huit directions allaient se découvrir? Pensant cela, je me suis mis à rire. Le 12ème jour du 9ème mois de l'année wu yin, buvant avec des invités un vin léger, quelque peu ivre je prends un pinceau, et écris ceci sur une feuille.


§§





Su Dongpo (par Watson)



SELECTIONS FROM A SUNG DYNASTY POET

Translated and with an Introduction by BURTON WATSON

COLUMBIA UNIVERSITY PRESS New York and London


Introduction

[...10]

When later Chinese critics sometimes complained that his poetry lacks suggestiveness, it was probably this very fullness and precision they were objecting to.


He was also, like most major Sung poets, a philosopher. Although he has left no systematic exposition of his ideas, repeatedly he breaks into the descriptive passages of his poems with philosophical meditation. By Sung times, the sea of faith that had been Chinese Buddhism at its height was receding, and native Confucian ways of thought, oriented about the family and the state and strongly rational and humanistic, were beginning to reassert themselves. Su's own philosophy represents a combination of Confucian and Buddhist ideas, with a large mixture of philosophical Taoism.


The Confucian side of his thinking is less apparent in his poetry than in his political papers and his life as a whole—his strong family devotion, the fact that he chose a career in pol-itics, the fearlessness with which he spoke out against abuses in government, the numerous public works for the benefit of the local inhabitants that he undertook at his various provincial posts. In his poetry it is rather the Buddhist and Taoist aspects of his thinking that find expression. His mother, it will be recalled, was a devout Buddhist. He himself took considerable interest in Buddhist literature and doctrine, and spent much time visiting temples in the areas where he was assigned. After his dismissal from office and banishment to Huang-chou in io8o this interest deepened; and the influence of Buddhist thought, particularly that of the Zen sect, the most active and intellectual of the Buddhist schools at this time, is apparent in his writings of this period. h was also at this time that he began to call himself Tung-p'o chü-shih or "The Layman of Eastern Slope," after the plot of land he farmed. From this title his literary name Tung-p'o derives.


The influence of Taoism is most clearly seen in his sensitivity to the natural world. He was fascinated by stories of immortal spirits, elixirs of long life, and other popular Tore, and good-naturedly took part in prayers for rain and similar ceremonies of the folk religion, though the rational Confucian side of his nature told him there was no basis for such acts or beliefs. And yet he repeatedly refers to a supernatural force which he calls "The Creator," a word taken from the works of Chuang Tzu, and which he of ten describes in terms of a child. It is a force which moves throughout the natural world, childlike in its lack of thought or plan, yet capable of influencing the des-tinies of all beings in the universe. And when man learns to be equally free of willfulness and to join in the Creator's game, then everything in the natural world will become his toy. It is no accident that Su in his descriptions of nature makes far freer use of personification and pathetic fallacy than any of his predecessors.


Su experimented with nearly every form in traditional Chi-nese literature. In my selection, three poetic forms are repre-sented (plus an excerpt from one of his letters). Most of the poems I have translated are in the shih form, the standard form of classical Chinese poetry, characterized generally by lines of equal length and, with rare exceptions, an even number of lines. Enjambment is rare; there is almost always a pause at the end of each line. Poems in this form fall into two groups: those in the so-called old style, which allows occasional lines of irregular length and does not require any set tonal pattern within the lines; and those in the "modern style," […]




Rhyming with Tzulu's "Treading the Green" (1063)



East wind stirs fine dust on the roads:
First chance for strollers to enjoy the new spring.
Slack season—just right for roadside drinking,
Grain still too short to be crushed by carriage wheels.
City people sick of walls around them
Clatter out at dawn and leave the whole town empty.
Songs and drums jar the hills, grass and trees shake;
Picnic baskets strew the fields where crows pick them over.
Who draws a crowd there? A priest, he says,
Blocking the way, selling charms and scowling:
"Good for silkworms—give you cocoons like water jugs!
Good for livestock—make your sheep big as deer!"
Passers-by aren't sure they believe his words—
Buy charms anyway to consecrate the spring.
The priest grabs their money, heads for a wine shop;
Dead drunk, he mutters: "My charms really work!"



Written while the poet was an official in Feng-hsiang in Shensi. "Treading the Green" refers to a day of picnics and outings tra-ditionaily held in early spring. Tzu-yu had written a poem dc-scribing the festival, and Su Tung-p'o here adopts the same theme and rhyme for his own poem. 7-character.

Line 9. "A priest." Tao-jen, a term used for both Buddhist and Taoist pricsts.

[25]

§

Winter Solstice (1071)

[34]

I took an outing to Lone Hill and visited two Buddhist priests, Hui-ch'in and Hui-ssu.


The sky threatens snow,
Clouds cover the lake;
Towers appear and disappear, hills loom and fade.
Clear water cut by rocks—you can count the fish;
Deep woods deserted—birds call back and forth.
Winter solstice: I refuse to go home to my family;
I say I'm visiting priests, though really out for fun.
These priests I visit—where do they live ?
The road by Jewel Cloud Mountain twists and turns.
Lone Hill's alone indeed—who'd live here?
These priests—the hill's not lonely after all.
Paper windows, bamboo roof—rooms sheltered and warm;
In coarse robes they doze on round rush mats.
Cold day, a long road—my servant grumbles,
Brings the coulage, hurries me home before dark.
Down the hill, looking back, clouds and trees blend;
I can just make out a mountain eagle circling the pagoda.
Such trips—simple but with a joy that lasts;
Back home, I'm lost in a dreamer's daze.
Write a poem quick before it gets away!
Once gone, a lovely sight is hard to catch again.


Written shortly after the poet took office in Hangchow. Lone Hill is a small island in West Lake at Hangchow. 7-character.

[34]

§

New Year's Eve (1071)



New Year's Eve—you'd think I could go home early
But official business keeps me.
I hold the brush and face them with tears:
Pitiful convicts in chains,
Little men who tried to fill their bellies,
Fell into the law's net, don't understand disgrace.
And I? In love with a meager stipend
I hold on to my job and miss the chance to retire.
Don't ask who is foolish or wise;
All of us alike scheme for a meal.
The ancients would have freed them a while at New Year's—
Would I dare do likewise? I am silent with shame.

No title. Written in Hangchow. In 1090, when Su wrote another poem on the same rhyme, he described the circumstances under which he wrote this poem. "New Year's Eve I was on duty in the city office, which was full of prisoners in chains. Evening came and still I could not get away and return to my quarters, and so I wrote a poem on the wall." By custom, cases involving the death penalty had to be settled before the New Year, and it was such cases that kept the poet at his office. 5-character. [35]

§

Written on the Wall at West Forest Temple (1084)

From the side, a whole range; from the end, a single peak :
Far, near, high, low, no two parts alike.
Why can't I tell the true shape of Lu-shan ?
Because I myself am in the mountain.


In the third month of this year, the poet was ordered to move to Ju-chou in Honan, an indication that his sentence had been lightened and he was free to move beyond the confines of Huang-chou. Before proceeding ta Ju-chou, he crossed the Yangtze and traveled south to visit his brother in Yfin-chou. West Forest Temple was in Chekiang at Lu-shan or Mount Lu, famous for its scenery and as a center of Buddhist activity from early times. The poet stayed at the mountain for a few days on his way to Yün-chou. 7-character. [101]

§




New Year's Eve (1084)



New Year's Eve at Ssu-chou; snow. Huang Shih-shih sent us a present of cream and wine.



Twilight snow whirls down handfuls of powdered rice;

Spring river whispers over yellow sand.

Past visits—dreams to be recounted only.

An exile is like a monk : where is home ?

Before I can write, ink on the cold slab freezes;

Lone lamp—I wonder why ?—forms a flower.

In the middle of the night you send us cream and wine.

I jump up in surprise, my wife and children laugh and shout.



The poet arrived in Ssu-chou, which he had visited a number of times in the past, in the twelfth month, on his way to Ju-chou. Huang Shih-shih was an official of the region; he was related to the poet, two of his daughters having married Tzu-yu's sons. 7-character.


Line 6. "Flower." The formation of a so-called snuff flower—a peculiar twisting of the wick—was believed to be a lucky omen.

[103]






Mirage at Sea (1085)



For a long time I have heard of the mirage to be seen off the coast of Teng-chou. The eiders of the place told me that it usually appeared in spring or summer, and since I arrived so late in the year, there was little hope I could see it now. Five days after I reached my new post, I was ordered to leave, and I was very annoyed at having had no chance to see the mirage, so I went to pray at the shrine of the Sea God, the King of Broad Virtue. The next day I saw the mirage and wrote this poem.



To the east, clouds and sea: emptiness on emptiness;

And do immortals come and go in that bright void?

From undulations of the floating world all forms are born,

But no gates of cowrie locked on palaces of pearl—

It is all illusion! My mind knows,

But my eyes dare plead to see the god's invention:

Cold days, icy sea—though heaven and earth are sealed, Consent for my sake to rouse your sleeping dragons!

Banked towers, blue-green hills rise in the frosty dawn—

The mirage! a wonder to astound the elders.

In this world, all is won by human strength alone;

Beyond the world is nothing. Who works these wonders?

I blurted out a plea and it was not denied;

Troubles too must be man-made and not a blight from Heaven.

[…]


[104]




Who Says a Painting Must Look Like Life? (1087)

Written on paintings of flowering branches by Secretary Wang of Yen-ling: two poems.



Who says a painting must look like life ?

He sees only with children's eyes.

Who says a poem must stick to the theme?

Poetry is certainly lost on him.

Poetry and painting share a single goal—

Clean freshness and effortless skill.

Pien Luan's sparrows live on paper;

Chao Ch'ang's flowers breathe with soul.

But what are they beside these scrolls,

Bold sketches, with spirit in every stroke?

Who'd think one dot of red

Could call up a whole unbounded spring!



The full name and identity of Secretary Wang are unknown. This is the first of the two poems, probably written to accompany a picture of a branch of flowering plum, the symbol of early spring. 5-character.


Lines 7-8. Pien Luan lived in the late eighth century; Chao Ch'ang's dates are 998-1022.

[109]






Above the River, Heavy on Me Heart (1088)

Written on a painting entitled "Misty Yangtze and Folded Hills" in the collection of Wang Ting-kuo.



Above the river, heavy on the heart, thousand-fold hills:

Layers of green floating in the sky like mist.

Mountains ? clouds? too far away to tell

Till clouds part, mist scatters, on mountains that remain.

Then I see, in gorge cliffs, black-green clefts

Where a hundred waterfalls leap from the sky,

Threading woods, tangling rocks, lost and seen again,

Falling to valley mouths to feed swift streams.

Where the river broadens, mountains part, foothill forests end,

A small bridge, a country store set against the slope:

Now and then travelers pass beyond tall trees;

A fishing boat—one speck where the river swallows the sky.

Tell me, where did you get this painting

Sketched with these clean and certain strokes?

I didn't know the world had such places-

I’ll go at once and buy some land!

Perhaps you've never seen those hidden spots

Near Wu-ch'ang and Fan-k'ou, where I lived five years—

Spring wind shook the river and sky was everywhere;

Evening clouds rolled back the rain on gentle mountains;

From scarlet maples, crows flapped down to keep the boatman company;

From tall pines, snow tumbled, startling his drunken sleep.

The peach flowers, the stream are in the world of men!

Wu-ling is not for immortals only—

Rivers, hills, clean and empty: I live in city dust,

And though roads go there, they're not for me.

I give back your picture and sigh three sighs;

My hill friends will soon be sending poems to call me home.


A note by the poet states that the painting was by Wang Chin-ch'ing, who was married to a sister of Emperor Shen-tsung (r. 1067-84). 7-character old style, with occasional fines of irregular length.


Line 18. "Wu-ch'ang and Fan-k'ou." Places south of the Yangtze opposite Huang-chou; see Su's letter, No. 46 above. In the four fines that follow, he recalls these places during the four seasons of the year.


Line 23. "The stream." This is Su's answer to a poem by Li Po (701-62) entitled "Dialogue in the Mountains":


You ask why I live in these jade-green mountains—

I smile and do not answer—my mind is still.

Peach flowers on the stream flow far away;

This is another world, not that of men.


The peach flowers refer to the paradise which the poet T'ao Yüan-ming (365-427) described in his "Record of the Peach Flower Spring," an isolated valley inhabited by happy peasants and approached through a peach forest in Wu-ling, which a fisherman stumbled upon once but could never find again.

[111]


Drinking Wine (1092)

Following the rhymes of T'ao's "Drinking Wine." As far as quantity goes, I drink very little, but I always enjoy having a wine cup in my hand, and very often I drop off to sleep right where I'm sitting. People think I'm drunk, though in fact my head is perfectly clear—nactually you couldn't say I’m either drunk or sober. Here in Yang-chou I drink as usual, though I always stop after noon. When my visitors for the day have left, I loosen my clothes, stretch out my feet, and sit where I am the rest of the day. I haven't had enough to drink to be really happy, and yet I feel an almost excessive exhilaration. So I decided to write some poems using the same rhymes as those used by T'ao Yüan-ming in his twenty poems entitled "Drinking Wine," in hopes that I could give some sort of expression to these name-less feelings. I am showing them to my brother Tzu-yu and to the scholar Ch'ao Pu-chih.



Master T'ao, I can't compete with you!

Forever snarled up in official business,

What can I do to break away,

Live just once a life like yours ?

Thorns grow in the field of the mind;

Clear them and there's no finer place.

Free the mind—let it move with the world

And doubt nothing it finds there!

In wine I stumbled on unexpected joy.

Now I always have an empty cup in hand.

[114]



§







I dreamed I was back in primary school,

My hair tied in two knots like a boy

(I'd forgotten that now it's gray),

And I was reciting the Analects.

The world at best is a children's game;

Like my dream—upside-down.

Only in wine is man himself,

His mind a cave empty of doubt.

He can fall from a carriage and never get hurt—

Chuang Tzu told us no lies.

I call my son to fetch paper and brush

And take down drunken thoughts as they come.



Ch'ao Pu-chih was at this time serving as vice governor of Yang-chou. T'ao Yüan-ming's famous set of poems, written after he had quit official life in 405 and was living in retirement as a farmer, are philosophical meditations on the ills of the time and the pleasures of rural life. The following are the first and twelfth of Su's series. 5-character.


72, line 9. "Fall from a carriage"—a reference to Chuang Tzu, Sec. 19, Ta-sheng chapter: "When a drunken man falis from a carriage, though the carriage may be going very fast, he won't be killed . . . because his spirit is whole. He didn't know he was riding, and he doesn't know he has fallen out."

[115]




Held Up by Head Winds on the Tz'u-hu-chia: Five Poems (1094)


Stays and mast whine in the sky;

The boatman sleeps soundly by white-blossomed waves.

Mooring lines must know how I feel—

Their weak strands hold fast against measureless wind.


Slimmer and slimmer—my chances of going home;

Endless green hills ahead, water touching sky.

Even here a small boat cornes selling cakes.

I'm glad to hear there's a village this side the mountain.



In the previous year the poet had been assigned to the post of governor of Ting-chou in the far northeast, near Peking. This year an order came for his exile to the region of Canton; once more his enemies were in power at court. He left Ting-chou, visited his brother on the way, and had passed Nanking on the Yangtze when his boat was detained by adverse winds in the Tz'u-hu-chia, a tributary of the Yangtze. The first and second poems of the series. 7-character.

[121]




I'm a Frightened Monkey Who's Reached the Forest (1095)



To the same rhymes as T'ao's "Going Back to the Country," six poems. On the 4th day of the 3rd month, I took a trip to the Grotto of Buddha's Footprint at White Water Mountain. I bathed at the hot spring there, dried my hair in the sun at the foot of the waterfall, and came home singing at the top of my voice. Returning by palanquin, I became absorbed in conversation with my companions and did not realize we had reached Lichee Nut Cove. The evening sun was pale and washed-out, the shadows of the bamboo deserted and lonely, and the lichee nuts hung in great clusters like water chestnuts. An old man of eighty-five who lived nearby pointed to the nuts and said, "When these are ready to eat, why don't you bring some wine and corne visit me?" I was delighted at the idea and promised I would do so. I took a nap as soon as I got home, and woke up to hear my son Kuo chanting T'ao Yiian-ming's six poems on "Going Back to the Country." I decided to compose poems of my own using the same rhymes. When I was living in Yang-chou, I wrote twenty poems on the rhymes of T'ao's "Drinking Wine" series, and now I have written these. I intend to keep on until eventually I have composed poems to the rhymes of T'ao's complete works.



I'm a frightened monkey who's reached the forest,

A tired horse unharnessed at last,

My mind a void to fil with new thoughts;

Surroundings are old to me—I see them in dreams.

River gulls flock around, growing tamer;

Old Tanka men drop in to visit.

South pond lotus spreads green coins;

North hill bamboo sends up purple shoots.

Bring-the-jug (what does he know about wine?)

Inspires me with a fine idea.

The spring river had a beautiful poem

But, drunk, I dropped it somewhere far away.


Written at Hui-chou. Kuo was Su's third son. He and the poet's concubine, Chao-yün, were the only members of his household who accompanied him in exile. (His first wife had died in 1065, his second wife in 1093; Chao-yün, who had been living with the poet since 1074, died in 1096.) Actually there are only five poems in T'ao Yüan-ming's "Going Back to the Country" series; Su's sixth poem follows the rhyme of a poem about T'ao Yüan-ming by Chiang Yen (444-505). This is the second poem in the series. 5-character.


Line 9. "Bring-the-jug." The name of a bird, so called because its cry is said to resemble the words t'i-hu or "Bring the jug!"

[127]


§§

Yang Wan Li (1127-1206) (Moundarren)


le son de la pluie

poèmes traduits du chinois par CHENG Wing fun & Hervé COLLET

calligraphie de CHENG Wing fun

Moundarren

chemin des bois Millemont 78940



Toute sa vie Yang Wan li a considéré la vie de mandarin comme une chaussure trouée, toujours prêt à l'abandonner. A Nang chow il avait mis de côté dans une boite fermée à clé l'argent nécessaire pour rentrer avec sa famille à Chi shui. Il avait aussi recommandé aux autres membres de la famille d'acheter le moins possible pour ne pas être encombré par les bagages s'il décidait de partir.

Sa sincérité et son impartialité dans son comportement politique ne sont qu'une des facettes de son attitude poétique envers le monde: être accorda au cours naturel des choses, Ua musique naturelle du monde. Ce qu'en chinois on appelle" tao ". A l'état pur.


La poésie de Yang Wan li est toute imprégnée du parfum du « ch'an » (transcription chinoise du sanscrit " dhyana"), la contemplation, la contemplation de la réalité immédiate et évidente dans la plénitude de l'instant présent. La contemplation sincère et impartiale du monde donne à vivre l'identité de notre nature profonde et de l'univers, ainsi que le recul poétique et philosophique permettant d'en apprécier toute la saveur et l'humour. De cette saveur et de cet humour poétiques du monde les poèmes de Yang Wan li sont la traduction. Il y a de quoi s'émerveiller.


Moundarren, Décembre 1987




Illumination

Dans la préface du recueil La Rivière des Ronces, il décrit son illumination poétique:


" Le jour du Nouvel an de l'année 1178, en vacances et ayant peu d'affaires officielles à régler, je me mets à composer des poèmes. Soudain j'ai comme une illumination. Je prends congé des poètes Tang, de Wang An shih, de Chen Shih tao et de ces messieurs de l'Ecole du Chiang hsi. Je décide de ne plus imiter personne et me sens tout à coup libéré. Je demande à mon fils de prendre un pinceau et lui dicte plusieurs poèmes. Ils coulent de façon aisée, sans la laborieuse élaboration d'auparavant. Depuis, tous les après-midi, aussitôt que mes subordonnés se sont dispersés et que la cour est redevenue déserte, emportant un éventail rond je flâne dans le jardin de derrière, grimpe sur les murailles de la ville antique, cueille des lyciets et des chrysanthèmes, musarde à travers les fleurs et les bambous. Dix mille choses se présentent comme matière à un poème. Si j'essaie de les écarter, elles refusent de partir. A peine ai-je le temps de traduire la première que déjà les autres suivent. Mon écriture coule librement, je n'éprouve plus de difficultés à composer des poèmes. Non seulement je n'éprouve plus de difficultés à composer des poèmes, je n'éprouve plus de difficultés non plus à gouverner une province. "10

§


passant la nuit au Relais de l'Etang des pierres



la troisième veille, sans lune, le ciel est vraiment noir

un éclair jaillit suivi d'un coup de tonnerre

la pluie perce le coeur du ciel, s'abat sur le dos de l'auvent

fougueux le vent cinglant la souffle oblique puis droite

espacé et troué l'auvent fuit, ma couche est mouillée

le bruit des vagues frappe l'oreiller, il en est seulement séparé par une feuille de papier

du rêve je me réveille en sursaut, impossible de me rendormir

enveloppé dans ma veste solennellement je m'asseois, plusieurs fois soupire

lors de mes voyages, des difficultés j'en ai souvent rencontrées

mais de toute ma vie jamais je n'ai connu pareille nuit

le ciel effraie le voyageur, bien mauvaise plaisanterie

il ne m'a pas prévenu, cela était imprévu

pour calmer le vent, arrêter la pluie, je suis désarmé

il est encore trop tôt pour guetter si à l'est le jour se lève

je rentre ma tête, ramasse mes pieds, dans une position étriquée

soudain, sur mon crâne une nouvelle goutte tombe


§


une nouvelle édition d'un recueil de Su Tung po

pour remercier Wu Te hua, commissaire du thé de Chian chow


L'or jaune, le jade blanc, des perles claires comme la lune, des chansons limpides, des danses merveilleuses, une jeune beauté à renverser une ville, les autres ont tout cela, moi seul n'ai rien. Comme Hsiang yu je n'ai que quatre murs pour m'entourer. A part cela j'ai aussi une étagère de livres. Si elle ne suffit à me rassasier, au moins elle rassasie les termites argentés.


Un vieil ami au loin vient de m'envoyer un recueil de Tung po. Les vieux livres quittent tous la natte pour lui céder la place. Quand j'étais enfant, espiègle, pour les cent choses je n'étais pas paresseux, mais quand il s'agissait d'étudier, exprès je me levais tard. Mon père se fâchait, blâmait son fils sot et m'ordonnait, l'estomac affamé, de dévorer de vieux livres abîmés.


Avec la vieillesse pour les dix mille choses je suis à la traîne derrière les autres. Quand avec nonchalance je prends un vieux livre pour occuper mes yeux malades, dès qu'ils rencontrent le livre mes yeux malades se brouillent. Les caractères gros comme des mouches deviennent de vieux corbeaux. Mes yeux malades, que peuvent-ils donc faire avec de vieux livres? Quand je feuillette un vieux livre, tout le long je soupire. Ce recueil de Tung po je l'ai déjà, mais avant d'arriver au dernier chapitre ma main s'arrête. L'encre est imprimée de façon floue, le papier n'est pas bon. Ni bon papier, ni bonne calligraphie.


Mais le texte vient d'être gravé sur du bois de jujubier de Fu sha. La gravure fidèle, vigoureuse et svelte ne trahit pas l'original. Le papier est comme un cocon de couleur de neige qu'on sort d'une bassine de jade, les caractères comme le dessin des oies sauvages du givre sur les nuages d'automne.


Avec la vieillesse mes deux yeux voient comme à travers le brouillard, quand ils croisent des saules, quand ils croisent des fleurs ils ne les remarquent même pas. Mais chaque fois qu'ils croisent un beau livre neuf, toute la journée ils l'apprécient, ne veulent plus le quitter.


Tung po est encore plus fou que moi, il a refusé d'échanger sa veste de toile grossière pour devenir l'un des trois ministres. De son pinceau surgit un langage étonnant, à balayer les chevaux ordinaires de dix mille générations.


Vieil ami, tu t'apitoies, colline en vieillissant je deviens plus obtus, au lieu de m'envoyer un élixir pour soigner mes os malades, tu m'envoies ce livre pour me bousculer un peu. Je gratte ma tête blanche jusqu'à ce que la lampe bleue s'éteigne.



§



le potager d'enfant



Dans la cour de ma résidence au Pont des roseaux, dans unE pierre creuse remplie de terre, mon petit-fils cultive des fleurs et plante des légumes. Pour m'amuser je l'ai appelée le potager d'enfant.



la cour de ma résidence mesure à peine la moitié de cinq pieds

un potager en terre d'hirondelles, des cailloux pour murette

des daphnés, des lis, un ou deux bulbes

de la ciboule, de la moutarde, trois ou quatre bottes

le jeune enfant inaugure son petit Jardin de la Vallée en or,

où des escargots ont choisi d'installer leur palais de perles

j'ai l'intention, chaque jour où je serai ici, de l'accompagner

pour me distraire,

d'aller regarder le chemin où seules des fourmis passent



§

aurore de neige dans la jonque, on allume du feu



aurore de neige dans la jonque, on allume du feu



quand le charbon rencontre la flamme, une fumée verte monte

on dirait une épaisse colonne d'encens à l'aloès

parfois elle s'interrompt puis reprend encore plus épaisse

quand elle commence à s'atténuer, veste et pantalon se réchauffent

peu de temps après la fumée devient claire, jaillit alors une lueur rouge,

lumineuse, comme si au-delà des nuages le soleil se levait rayonnante, comme un doux soleil printanier réchauffant la cabine

mon vieux visage est tout rouge, comme si j'étais ivre

tout à coup le feu refroidit, la fumée cesse

on ne voit plus qu'un poêle rouge où s'est entassée de la neige

blanche

de l'autre côté de la fenêtre, plus de trois pieds de neige

de ce côté-ci de la fenêtre, un pouce de neige blanche parfumée



§


« en plus d'être malade... »



en plus d'être malade, j'ai mal aux pieds et suis las de rester assis toute la journée, écrit pour tromper l'ennui



ma vue est brouillée, la neige couvre mon crâne

dans le flou sont passées les trois ou quatre dernières années

qui sait que c'est le mal aux pieds qui m'empêche de marcher ?

à me voir rester sagement à la maison, on pense que je suis assis en méditation

si mon éventail tombe de la table, je suis trop paresseux pour le ramasser

aller consulter un livre prés de la fenêtre, comment me déplacer ?

les gens de ce monde tous envient les immortels parce qu'ils volent

moi j'envie ceux qui marchent, c'est ça pour moi être immortel



§

« la surface du lac est collée au ciel,... »

Paysage du lac et du ciel au crépuscule



la surface du lac est collée au ciel, on ne voit pas le quai
au milieu du lac, les racines des joncs sont toutes entremêlées dans 	l'eau
crépuscule, les oies sauvages volent en 	formation, les corbeaux en 	ligne
à peine se perchent-ils qu'à nouveau ils 	s'envolent, 
un long moment avant de se poser
assis je regarde à l'ouest le soleil tomber au bord du lac
il n'est caché ni par les montagnes ni par les nuages
à de pouce en pouce il descend, soudain il a entièrement disparu
je l'ai bien vu entrer dans l'eau, plus la 	moindre trace

§

« Lire un livre... »

lire un livre, je ne suis pas las de m'y consacrer
mais si je m'y consacre trop, ça me fatigue, ça m'étourdit
je range alors le livre et m'asseois
l'homme et le livre tous deux oublient les mots
quand le goût revient, sans tarder j'ouvre à nouveau le livre
j'arrive directement à la Source des Cent sages
appeler cela illumination, fondamentalement il 	n'y a pas 	d'illumination
parler de mystère, originellement il n'y a pas de mystère
quand je rencontre un passage en accord avec mon coeur,
un long moment je me réjouis
cette joie, qui la crée ?
ce n'est pas moi, ni le ciel non plus
je ris, au fond ça n'a aucune importance
je pose le livre à côté de l'oreiller

Yang Wan-Li (J.D.Schmidt)



CH'AN, ILLUSION, AND SUDDEN ENLIGHTENMENT

IN THE POETRY OF YANG WAN-LI, BY J. D. SCHMIDT,

T’oung Pao, Vol. LX, 4-5, 230 sq.

 

According to the Wu Men Kuan, "to realize Ch'an one must pass beyond the barriers of the patriarchs." Thus, Yang uses the process of Ch'an illumination obtained by the study of the Ch'an masters as a metaphor for the similar process whereby the poet attains his own illumination by mastering the teaching of one poetic master after another. The study of masters is not the final goal, for as the Wu Men Kuan further teaches us :


« The great Way has no gates »

The great Way has no gates,
Yet thousands of roads enter it.
Once one has penetrated this barrier,
He walks alone between heaven and earth.
[243]

§
	
	

« Playing with the Moon on a Summer Night »

Playing with the Moon on a Summer Night
When I raise my head, the moon's in the sky,
But when it shines on me, my shadow's on the ground.
As I walk, my shadow walks, too;
When I stop, my shadow also stops.
I wonder if my shadow and I
Are one thing or maybe two.
The moon can trace out my shadow,
But if it traced its own, I wonder what it'd be like,
By chance, I pace by the bank of a stream,
And now the moon is in the stream I
Above and below, altogether two moons;
Which of them is the real one ?
Or is the water the sky ?
Or the sky the water ?
[257]

	§
		


« Two Days After Double Nine I Climb with Hsü K'e-chang to Myriad Flower River Valley and Pass the Wine Cup Beneath the Moon : »

« This old fellow's really thirsty... »

This old fellow's really thirsty, but the moon's thirstier still;
As soon as the wine falls into my cup, the moon's already inside.
She brings in the blue sky along with her,
So both moon and sky are soaking wet.
"The sky loves wine" has been handed down from antiquity,
But "the moon doesn't know how to drink" is really reckless talk.
I raise my cup and swallow the moon down with one gulp, 
Yet when I raise my head I see the moon still in the sky. 
This old fellow laughs and asks his guest,
"Is there just one moon or are there two ?"
The wine enters my poet intestines—wind and fire burst out; 
The moon enters my poet intestines—ice and snow pour forth. 
Before I can down one cup, my poem is already finished;
I recite the poem to heaven and even heaven is startled.
How do I know that the myriad ages are just some dried-up bones ?
I pour out some wine and gulp down another moon! 



Yang obviously regarded this poem as one of his most important

creations. […] The style of the poem is certainly influenced by Li Po, but there is a deeper philosophical message in the wine drinking than can be found in any similar work of Li's. The moon in the wine corresponds to the same moon in the creek water in, our first poem, with the difference that the illusion and reality are so mixed that in the end, the reader is not even sure which moon is the real one. Through the elixir of Chinese poetry, namely vine, an Indian philosophical concept is expressed in a uniquely Chinese way.

[260]

§§



Chu Hsi ou Zhu Xi (1130-1200)



CHU HSI THE POET

BY LI CHI

Article11


[…] In expressing this captured spirit, the poet's concern is never literal faithfulness: "He may depart from the square and deviate from the compasses; for he is bent on exploring the shape and exhausting the reality". Beauty is not a direct objective, but the pursuit of beauty becomes an end for the poet when his concern is spiritually faithful expression: the search for this perfection is a longing for beauty. The poet, in this double aspiration, has to depend upon his senses; they are the instruments through \vhich his poetic intuition is a wakened. Permeated with color, smell, and sound, they lead his intuition to engender the form he seeks to grasp, which in turn transforms both his subject and his language. The energy which fills the recesses of the poet's mind and makes him create is inspiration:

« As for the interaction of stimulus and response... »

As for the interaction of stimulus and response, and the principle of the flowing and ebbing of inspiration,

You cannot hinder its coming or stop its going.

It vanishes like a shadow, and it comes like echoes.

When the Heavenly Arrow is at its fleetest and sharpest, what confusion is there that cannot be brought to order ?


But when it goes, you have no power to retain it. This notion of inspiration is essentially similar to that of Western poets in ancient times: the creative self of the poet is different from his normal self. 28). Chu himself wrote of this in connection with shamanistic

possession in the Ch'u Tz'u [63]


28) Compare the Homeric Hymns to Apollo, Aeschylus' description of Cassandra in the Agamemnon and of the prophet of Apollo in the Pindar's story of Bellerophon's dream in the thirteenth Olympian, the description of the Cumaean Sybil in book six of the Aeneid, and, more generally, Plato's Phaedrus and Ion.


[63]

« The spirit of the sharnan while possessed is the deity, which has « descend-ed into the shaman's body . . . . In Ancient times, shamans « were used to bring down deities. When the deity descended, it was « embodied in the sharnan and took on her beautiful form and dress, « because the body was the shaman's but the spirit was the deity's. »


Whatever their differences, all descriptions of inspiration agree that it extends beyond man's ordinary faculties, with its roots deep in the soul. It should be clear that poetry writing is basically antithetical to a Neo-Confucian program of spiritual cultivation. Although they did not say so explicitly, the Neo-Confucians must have sensed, perhaps dimly, that growing \vith the conscious faculties of the mind which they sought to grasp, indeed, from the same root, was another shoot of vigorous potential, insusceptible of direct knowledge and analysis. With its own laves of growth, it pursues a private development and frees the poet to follow that development. Can there be any doubt as to the reasons why Neo-Confucians regarded poetry writing as an anomalous and useless activity ? […] [62-63]


[…] If Chu had not occupied the preeminent position of sage-teacher down to the first decade of the present century, and if his poetry were examined in its own right, it would not offer a great deal. That he had a genuine poetic impulse, however, is beyond doubt; directly after he had vowed to stop wasting his time on poems, he would hasten to write one. This is a short preface he wrote for a poem:

Recently I have absolutely renounced writing poetry

because a lot of verbiage is damaging to [the cultivation of] the Way. During the last two days I have been reading the chapter on "Sincerity" in The Great Learning and some thoughts came to me. On the morning of the winter solstice, I wrote this to serve as a warning for myself.[...]
[65]

Chu's best verse has a grace and spiritual nobility that is enjoyable ; these typical lyrics exemplify those qualities :


Spring Day

I go out on this fine day for the fragrance by the Ssu's edge 38).
This scene, full of light, has no edges and is suddenly new:
In the face of an east wind, I begin to see without effort
Ten thousand purples, a thousand reds. Everything is spring. 

38) Chu was far from the Ssu in, the river mentioned here, when he wrote the poem; he alluded to it instead of the river in his area because the Ssu is in Shantung passes Ch'ü-fu, the home of Confucius, where he taught his disciples. There is also an indirect allusion to the famous story of Tseng Shen's spring outing.

All three poems arise from the joy of having found the true principle. The boundless beauty of spring, the wandering of clouds mirrored in a pond and the easy sailing of a junk all speak of a mind liberated from the narrowscope—according to Chu—of Taoism and Buddhism. The waters are now fresh and clear because they have been united with their fountainhead, a reference to the Mencius, IV B, 18.

[Two Poems]

1. 
This half-measure pool: an open mirror,
Sky light and shadows both stop and go.
You ask, how can it be so clear ?
This fountainhead water is alive.

2.
Last night, spring water rose at river's edge.
The towering junk is light as a feather.
Yesterday, I wasted my strength trying to push it 								off.
Today, in mid-stream, the glide is easy.


These poems do not embody striking philosophical ideas, but they were not meant to. They were rather the poet's spontaneous expression of joy in attaining the truth he was seeking. At the moment of composition, he had emerged, exhausted, from a long period of doubt and intense self-searching and he burst into effortless singing.[…]

[66]


[Four poems]

1.
The mist, with its shadows, has already dispersed, But deep in the mountain, the night is still cold. Lying alone, my cell empty,
Unable to sleep, I think over and over: 
At leisure, my mind grows in the Way. 
It is vanity to reach for the true place 60). 
I bow my head and then I look up to the spirit,
Swearing I’ll sever my connections with dust.

2.
This clear morning I knocked at the high hall,
And with leisurely steps circled empty corridors.
The purified rnind opens to the mystery of truth.
The burning incense blows ten ways 61).
Going out of the gate of the immortals' home,
I raise my head to the cloudy blue peaks.
Lingering at the edge of a rural stream,
I suddenly forget my dusty worries.


60) Chen-ching (true place), a Taoist term, signifying the realm of the

imrnortals.

61) Shih-fang (ten ways), north, south, east, west, northeast, north-

west, southeast, southwest, up and down.


Almost directly after writing these poems about Taoist truths, he was studying Buddhist scripture, as he describes in his poem entitled "During a Long Rain, I Stayed in My Study Reading Canons :

[74]
	
Living alone, no business at hand,
I open Buddhist books,
And briefly abandon my connections with dust.
Rising above them, I am one with, the Way.
Doors open onto a quiet grove of bamboo;
Birds sing after the mountain rain.
Understand: this way of doing nothing 63) 
Is, body and mind, entire delight.

63) Wu-wei, a Taoist term, was adopted by interpreters of Buddhism for the term nirvana. See Erik Zürcher, The Buddhist Conquest of China, fie spread and adaptation of Buddhism in Early Medieval China (Leiden, E. Brill, 1959), 13 and 174.


Although He read both Buddhist and Taoist books, the latter had a stronger appeal. His imagination was fired by Taoist descriptions of ethereal heavens where immortal men, forever young, dressed in

diaphanous clouds, fly freely about. He looks longingly at the blue sky wishing that one of them would give him a prescription for immortality, as he says in the third of a series called "After reading Taoist Books, I wrote Six Poems :

		
In the white dew of autumn
Green shadows rise in the evening cool.
I stand and pace the vide yard; 
Looking up, I see the sky, a deep blue. 
Tung-hua, a blue-haired old man,65)
Gives me the recipe for no death. 
Willing to work hard, train and study,
I join, in a vision, the three mysterious homes.

65) Tung-hua is one of the dwellings of immortals.

 

Autumn quickened his fear of growing old and ugly if he remained ignorant of the way of the "flying immortals". A short poem written after "Staying Overnight at Yün-tang P'u" expresses his hopes for Taoist practices 67) :

In the courtyard, shadows of two trees merge.
At the window, in the evening, one cicada shrills.
Throwing off my gear, things are not so close.
My heart shakes as it grows in this Way 68).


68) Ch'ao-yao, a term Chu used more than once in describing the heights he reached by his training, seems to have been derived from Chuang

Tzu, where the upward movement of the huge bird p'eng is described

as "t'uan fu-yao erh shang" (Mounts upwards on a whirlwind as on the twirls of a goat's horn). Fu-yao describes the spiralling, upward motion of the whirlwind.[…] [76]


3.
The mysteries of man's mind cannot be measured; They go out and return, riding the air's power: Both condensed ice and burning fire,
Now sunk in a pool, now heavenward flying. 
The man of extrem.est truth holds fast to change: Still or in motion, lais body is not opposed. Pearls hidden in a stream male it charming, 
The jade embraced in a mountain vein shines. 
Divine light reflecting the vine terraces 112), Thought, in mystery, grasps ten thousand nuances. The dusty volumes are now few and fallen:
I stop and sigh: where can I return?
4.
Quietly, I watch wonders on my mind's terrace 113).
Ten thousand transformations from here go out.
Tell me: whv would a man befoul this,
Enslave it to a multitude of forms ?
Too many extravagant tastes lead to a fleshy face,
And brillant looks to the fall of a nation.
A landslide runs away; without self-awareness,
You race yourself, chasing without end.
Look at Mu, the Son of Heaven,
And the traces of his ten thousand mile trek:
If he hadn't had the Ch'i-chao poem,
Hsü-fang would rule his empires' extremes.



112) "The nine terraces of heaven" are the highest reach of heaven.

113) Ling-t’ai (mind's terrace) has been used in several classical literature.

Transmission of knowledge from master to disciple was called ch'uan-hsin ,felt, by the Confucians. Chu, in the last two lines, expresses regret for the low esteem ancient works are held in, and for the quandary of the men searching for their illumination. The fourth poem contrasts the state of the pure mind with the mind destroyed by "selfish desire", the latter a Neo-Confucian concept influential in later generations.

The fourth poem's conclusion, which refers to the travels of King Mu, leads Chu to consider the lessons of history from the Chou dynasty […]

[89-90]


§


Contemplation of nature was a way to transcendental wisdom and poems


Contemplation of nature was a way to transcendental wisdom; a wild mountain was best suited for the recognition of universal emptiness because the mind realized emptiness more easily and clearly in an empty environnent. Buddhists always emphasized the great peace of nature as a mirror of prajñâ and a teacher of nyatâ.

The distinction can be seen more clearly in the work of the two T'ang poets, Wang Wei and Li Po. Although both generally conformed to Confucian ethics, Wang Wei was clearly a Buddhist and Li Po a Taoist in philosophical orientation; it is this difference which determines the difference in their nature poetry. Intoxicated by the radiance of the sun and moon, and the magnificence of natural beauty, Li Po's imagination aspired to the celestial home of the immortals, hoping to enjoy its wonderful sights. This is a selection from his poem "In a Dream, I visit T'ien-mu Mountain : A Song before Leaving" (see next page).

Beneath these lines of grandeur and magnificence pulsate the year-nings of the poet for the infinite in both life and beauty, yearnings finally for the fullest possible enjoyment. The poet wants desperately to know how a man can prolong his life, become an immortal, forever enjoying heavenly as well as earthly pleasures. Li Po's poems of soaring inspiration prompted Ho Chih-chang (659-744) to call him "the banished immortal": Li was a man above and beyond this world and the reader sometimes forgets that these poems grew out of landscapes seen, lived in and loved. The mixture of joy and melancholy in Li Po's poems always refers back to his overreaching feeling for the world.

Wang Wei, a painter and musician as well as poet, lived entirely in his keen artistic sensitivity. As a Buddhist, he enjoyed nature in… 12




Feet shod in Lord Hsieh's clogs,
My body mounted the blue clouds' ladder  123).
Midway on the wall, I saw the ocean and the sun.
Through the empty air, I heard the heavenly cock 124).
A thousand cliffs, ten thousand turns—the path was uncertain.
Confused amid flowers, I leant on some rocks—suddenly, it was 	already dark.
Bears' roar and dragons' song rumbled through crags and streams.
The forest depths trembled, the layered summits were startled.
The blue clouds were dark, ready to rain.
The pale water faded, giving birth to smoke.
A thunderbolt crashed.
Shattered hills and knolls collapsed.


123) A reference to the poet Hsieh Ling-yün, who designed special clogs for mountain climbing.

124) According to the Shu-i chi (Strange tales) by Jen Fang (460-508), the heavenly cock perches on t'ao-tu, a magic tree of immense height and circumference; it leads all the cocks in crowing as the sun shines on the tree at dawn.

							
					
The stone gate to heaven's cave				
Clattered half-way open;				
The blue deep was so vast, no limits could be seen
Sun and moon shone brilliantly on the gold and silver terraces.				
Clothed in rainbows, on winged horses,			
The cloud rulers crowded and descended in disorder
Tigers played the lute as the phoenix turned before their chariots.	
The immortal men were ranged like fields of hemp.
Suddenly, my senses frightened and my soul shaken,
I sat up with a wild start and gave a long sigh.
When I awoke on my pillow and mat				
I lost all this, smoke and glowing clouds.

* ...tranquil observation; untroubled by ulterior interests, his spirit found its freedom within the strictures of nature. In his lines :



Walking, I reach the place where the waters end.
I sit down and watch the clouds rise in time,

He writes of enjoying nature simply as it is. The single image of lis

poem on his "Deer Park Hermitage" embodies a Buddhist

concept vividly :


An empty mountain: no men to be seen,
But listen: the sound of voices.
Reflected light enters the forest deep.
To shine again on the green moss.


§§



Ikkyû (1394-1481)


Ikkyû

NUAGES FOUS

Traduit par Maryse et Masumi Shibata

Albin Michel 1991

« Ikkyû naquit à Kyôto en 1394 et, à l’âge de six ans, il devint bonze […] Les « Nuages Fous » sont constitués de 880 ou 1056 stances selon l’édition. Ikkyû y traite … de tous les sujets en général :vie, histoire, époque, nature, amour, même des conflits dans son temple. » (Préface)



Livre I. Nuages fous

11. J'ai noté par écrit cette stance à la fin du cahier d'inventaire de l'ermitage 
« Comme désirs »


J'ai laissé à l'ermitage
Les objets bouddhiques et officiels quotidiens.
La cuiller de bois et le panier,
Je les ai accrochés au mur Est.
Je n'ai même pas besoin
De ces bricoles.
Je passe les années sur le fleuve et sur la mer,
Le vent sur mon manteau de paille et sur mon cimier.

Le temple n'est pas une chose privée, il faut donc laisser au successeur les objets de la communauté.

§





Ikkyû-Sôjun de la Mer-Est.

[Le 21 novembre 1481, Ikkyû écrivit cette stance avant de mourir. Hiu-t'ang (en japonais Kidô) (1185-1269) était le Maître de Daiô. Donc, Daitô, successeur de Daiô, et Ikkyû appartenaient à cette ligne du Zen.]

42. Dernière stance


En ce monde,
Qui comprend mon Zen ?
Même si Hiu-t'ang m'apparaissait,
Cela ne vaudrait pas un demi-sou.§

Livre II Squelette

[…] En entendant cette leçon, je fus encore plus chagriné et je quittai ma ville natale. J'ai marché sans destination fixée et je suis arrivé à un temple en ruine, au milieu d'un champ inconnu. C'était déjà le soir et il faisait sombre. Je m'allongeai par terre, la tête sur mes manches mouillées par la rosée, mais je ne pouvais pas m'endormir. Mon regard circulait çà et là et je découvris un cimetière au-delà du chemin, près de la montagne. Il y avait plusieurs tombeaux. Un squelette très misérable apparut derrière la chapelle et me dit :

Le vent d'automne commence
A souffler dans la nature.
Si les graminées
Nous invitent,
Allons en campagne et en montagne.

Comment faire ?
La robe noire du bonze est le symbole
Des vicissitudes de la vie.
On a tendance à passer sa vie en vain.
Comment modifier l'esprit humain ?

[140]


Bashô (1644-1694)(Sieffert)

Bashô

Friches Arano

Traduction du japonais et commentaires par RENÉ SIEFFERT

Verdier / poche, 2006



Un « collectif » de 1078 versets par 181 auteurs, « la part du lion revenant, Bashô mis à part, à Kakei (101) , à Etsuijin (114) et à Okada Yasui (97), soit aux pilier d’un groupe dont ils étaient les principaux animateurs et probablement les fondateurs », Préface, [9].

1. A Yoshino

Ça alors ça alors
pour les fleurs de Yoshino
il n'est d'autre mot

Teishitsu

Depuis les temps du Man.yôshû (VIIIe siècle), et de nos jours encore, les montagnes de Yoshino, au sud de Nara, sont considérées comme le haut lieu des fleurs de cerisier. Aux VIIe et VIIIe siècles, la plupart des souverains séjournèrent, plusieurs fois par an pour certains, au « palais de Yoshino » dont eux-mêmes et leurs courtisans ont chanté les beautés. Au XIIe siècle, le moine poète Saïgyô (1118-1190) y vécut en ermite et composa là quelques-uns de ses poèmes les plus célèbres. Teishitsu, dans son hokku ici rapporté, constate, en somme, avec une modestie qui ne lui est pas coutumière, que tout a été dit sur le sujet. Bashô, quant à lui, restera sans voix devant tant de splendeurs :

« Sous les fleurs de Yoshino, je demeure trois jours, je contemple le paysage à l'aurore, au crépuscule, le poignant spectacle de la lune de l'aube me serre le coeur, emplit ma poitrine; ou encore, transporté par le poème du seigneur Régent, troublé par les "rameaux brisés" de Saïgyô, quand le fameux Teishitsu avait jeté son "ça alors ça alors': moi je ne trouve rien à dire et reste penaud, bouche cousue, à mon grand dépit » (Le Carnet de la hotte, JV, p. 57 ; voir aussi La Calebasse, p. 14, n° 5). [17]

§

11.

Sur le mont fleuri
pour faire du menu bois
pas un seul rameau

Issei

Le moindre rameau étant couvert de fleurs, il serait malséant de s'en servir pour allumer un feu que la fraîcheur de la nuit rendrait pourtant bien agréable.

§

45.

Les noires ténèbres
donneraient-elles des forces
au chant du coucou

Sanka

Dans l'obscurité et le silence de la nuit profonde encore, tous les sons paraissent amplifiés. Ainsi en va-t-il du chant du coucou.

§

57.

Encore sans fleur
les ramilles du prunier
m'emplissent d'espoir

Tôshô

Les fleurs se forment sur les rameaux de l'an passé, mais déjà les nouvelles pousses portent la promesse de la floraison de l'année prochaine.


§

90.

À la direction
d'où souffle le vent
le saule tourne le dos

Yasui

L’image purement descriptive évoquée dans ce verset se passe, je crois, de commentaire.


§§



Bashô (Blyth)


ZEN IN ENGLISH LITERATURE AND ORIENTAL CLASSICS

By R. H. BLYTH

A Dutton Paperback Everyman NEW YORK

1960 by E. P. Dutton & Co., Inc.

Reprinted by special arrangement with The Hokuseido Press



« The old pond. »

[Voici son plus célèbre haiku précédé par Wordsworth, annoté par Montaigne: ]


[214]	

The nature mystics, on the other hand, are forgetful of God, either leave him out altogether or put him in perfunctorily, or use the word God as a synonym for Nature or Reality. As pointed out above, passion distinguishes their attitude from pantheism, though there is often an insensible flowing from one to the other. The finest example of nature mysticism is found in Wordsworth, The Excursion, (I, 199.)

He beheld the sun
Rise up, and bathe the world in light ! He looked—Ocean and earth, the solid frame of earth [215]
And ocean's liquid mass, in gladness lay
Beneath him :—Far and wide the clouds were touched,
And in their silent faces could he read
Unutterable love. Sound needed none
Nor any voice of joy ; his spirit drank
The spectacle: sensation, soul and form
All melted in him ; they swallowed up
His animal being; in them did he live,
And by them did he live; they were his life.
[...]

One more extract, from Tintern Abbey :

A sense sublime
Of something far more deeply interfused, 
Whose dwelling is the light of setting suns, 
And the round ocean and the living air 
And the blue sky, and in the mind of man -
A motion and a spirit, that impels
All thinking things, all objects of all thought, 
And rolls through all things.

These two passages represent the high water mark of nature mysticism in English Literature. They are full of Zen.

[ … ]

[217] The most famous of all haiku, of which I give an unconventional translation, has this same quality, that is, of ex-pressing an unsymbolical, unallegorical fact, which is nevertheless a Fact, and The Fact.


The old pond.
A frog jumps in—
Plop !

Against this translation it may be urged that " plop " is an unpoetical, rather humorous word. To this I would answer, " Read it over slowly, about a dozen times, and this association will disappear largely." Further, it may be said, the expression " plop " is utterly different in sound from " mizu no oto." This is not quite correct. The English "sound of the water " is too gentle, suggesting a running stream or brook. The Japanese word " oto " has an onomatopoeic value much nearer to "plop." Other translations are wide of the mark. "Splash" sounds as if Bashô himself had fallen in. Yone Noguchi's " List the water sound," shows Bashô in a graceful pose with finger in air. " Plash," by Henderson, is also a misuse of words. Anyway, it is lucky for Bashô that he was born a Japa-nese, because probably not even he could have said it in Eng-lish. Now we corne to the meaning. An English author writes as follows:

[...]

[223] (i) « No more » means there is no symbolism, no mysticism, no diving into infinity, no listening to the voice of Universal Nature. " No less " means that the mind is spread out in a smooth glassy surface ; the mind is green (" a green thought in a green shade ") with goggle eyes and webbed feet. It is " Plop ! " The real pond, the real frog, the real jumping were seen, were heard, were seen-heard, when Bashô's eyes were flicked open by the plop ' of the water. This is the state of being undivided from a thing, from all things, a state in which we are as Divine as God Himself, described by Eckehart [...]

(ii) At the moment of the ‘plop,' the sound and the silence, the movement and the stillness, were perceived un-separated, uncontrasted, unantagonised, as they were before the Spirit of God brooded over the Chaos. And if you have seen one piece of reality, you have seen all, for the parts are not less than the whole.


Montaigne says :


« Et si vous avez vécu un jour, vous avez tout vu. Un jour est égal à tous jours. Il n'y a point d'autre lumière, ny d'autre nuit. Ce Soleil, cette Lune, ces Etoiles, cette disposition, c'est celle même que vos aïeux ont jouyé, et qui entretiendra vos arrière-neveux »
Non alium videre patres : aliumve nepotes
Aspicent.

Suzuki says :


 " This leap is just as weighty a matter as the fall of Adam from Eden." 



Tsu Yun (1840-1960)

	Le moine aux semelles de vent						
Vie et paroles du dernier maître bouddhiste chinois		
Dervy 2004	
	

Tsu Yun fut le dernier des grands maîtres du Tchan13.  				
Lorsqu'il disparut, à l'âge de cent vingt ans, il était très célèbre. Des centaines de jeunes disciples venaient écouter ses discours.

Sa vie nous montre ce qu'était le quotidien d'un moine bouddhiste pendant cette période troublée de l'histoire chinoise : ses relations avec ses maîtres, sa vie d'ermite dans les montagnes, ses voyages, non seulement en Chine, mais aussi en Inde et au Tibet. Son enseignement, clair, lumineux, est celui de tous les grands maîtres du Tchan, de Hui Neng à Han Chan, auquel on l'a souvent comparé.

Une porcelaine se brisant lui fit instantanément réaliser l'essence de son esprit et lui enleva ses derniers doutes. Sa vie entière avec ses multiples épreuves, ses rencontres, ses errances, lui apparut alors comme une préparation à cette expérience et il composa le poème suivant :			


	

« Une tasse tombe sur le sol »


Une tasse tombe sur le sol,
avec un bruit clair,
comme si l'espace était effacé,
le mouvement de l'esprit s'arrête.

§
			



Paroles

L'objet de cette semaine Tchan est la méditation Tchan. Pour cette raison, cette salle est appelée « salle Tchan ».Tchan est la traduction du mot sanscrit Dhyana et signifie « méditation ». Il y a de nombreuses formes de Tchan, comme les Tchan Mahayana et Hinayana, les Tchan matériels et immatériels, les Tchan Shravaka et hérétiques. Celui que nous pratiquons est le Tchan insurpassable. Si l'un de vous réussit à traverser l'état de doute et à briser la racine de l'illusion, il sera semblable au Tathagata.

Pour cette raison, la salle du tchan est aussi appelée la demeure du Bouddha. Elle est la salle de la Sagesse (Praha). Le dharma enseigné dans cette salle est le Wu Wei dharma. Wu Wei signifie « non agir ». En d'autres termes, en réalité, aucune chose ne peut être acquise et [64] aucune ne peut être faîte. Si quelque chose est produit cela amènera naissances et morts. Si une chose est acquise, elle pourrait être perdue. Pour cette raison, le Soutra dit: « Les mots et les phrases n'ont pas réellement de sens ». En fait, la récitation des soutras est seulement un artifice utilisé par les maîtres d'école.

Dans notre école, l'enseignement consiste en la vision directe de notre essence propre, que les mots et les phrases ne peuvent exprimer.

Autrefois, un étudiant demanda au vieux maître Nan Quan : « Qu'est-ce que le Tao?» Nan Quan répondit: « L'esprit ordinaire est le Tao ». Chaque jour, nous portons des vêtements et nous mangeons du riz, nous allons travailler et nous allons nous reposer. Toutes nos actions sont l'expression de la vérité. C'est simplement parce que nous nous aveuglons nous-mêmes que nous ne pouvons réaliser que notre nature propre est le Bouddha.





ANTHOLOGIES



La littérature chinoise par Basile Alexéiev (1937)



LA LITTÉRATURE CHINOISE
SIX CONFÉRENCES AU COLLÈGE DE FRANCE
ET AU MUSÉE GUIMET
(Novembre 1926)
PAR BASILE ALEXÉIEV
LIBRAIRIE ORIENTALISTE PAUL GEUTHNER — 1937

CONFÉRENCE V

Une synthèse poétique de la poésie chinoise


« Dans ma précédente leçon... »


Dans ma précédente leçon, j'ai expliqué la marche et le développement de la poésie chinoise, comme la lutté permanente du phantasme confucianiste et du classicisme contre la fantaisie taoïste ou autre, avec son libre humanisme et ses tendances universalistes. Je veux maintenant présenter, d'après mes principes des grandes lignes, un aperçu des sujets mêmes de cette poésie. Je n'énumérerai pas tous les sujets chinois poétiques, mais je me propose de m'arrêter sur une synthèse poétique du IXe siècle de notre ère, où sont passés en revue les types de visions qui hantaient le poète chinois depuis la plus haute antiquité, jusqu'aux jours où florissait l'auteur de la synthèse. Il est très regrettable que ce poète ne nous donne qu'une synthèse partielle, bornée au domaine de la fantaisie pure. Mais cette phase représente, dans ses limites, l'intimité d'un poète chinois fantai-160siste, quoique de formation confucéenne, dont le phantasme est à peine dompté par la fantaisie taoïste.



Il s'agit d'un poème sur le poète, dont l'auteur est lui-même un poète. Les anthologies des traductions européennes le connaissent peu ; mais son oeuvre est estimée des chinois cultivés. Il est vrai pourtant qu'il doit surtout sa renommée historique à son intransigeance politique et à sa haute morale, qui puisent directement leur inspiration aux sources confucéennes. Mais c'est la valeur poétique et synthétique de son oeuvre qui nous intéresse ici. Pour les détails sur la personnalité de ce poète, je prendrai la liberté de renvoyer à mon livre russe, paru il y a dix ans. Son nom, Sseu-k'ong T'ou, et ses dates (837-908), permettront au lecteur de s'orienter d'une manière générale. Mais il faut que je m'arrête un peu sur la source de son poème et de sa synthèse.


Sseu-k'ong est une de ces individualités éclectiques qui luttent toute leur vie contre des éléments hétérogènes, dont un l'emporte à tel moment donné. En poésie il repoussait l'élément confucéen et admettait tacitement l'élément bouddhiste; mais celui qui dans sa conception poétique dominait tous les autres était l'élément taoïste. Ce sont les mystères de Tchouang-tseu,


grand écrivain, philosophe et poète du IVe siècle avant notre ère, qui lui fournirent son idée principale. Ainsi, l'inspiration poétique a trouvé sa synthèse et sa forme confessionnelle chez un homme d'Etat qui avait reçu un apprentissage laïque et confucéen.


Le poème de Sseu-k'ong est intitulé Che-p'in : « Catégories des poésies ». Ce terme n'est pas une invention de l'auteur, mais au lieu d'avoir placé, d'après leurs qualités et leur importance, les poètes connus dans tel ou tel groupe, comme l'avaient fait ses prédécesseurs, il songea à qualifier, à nommer et caractériser leurs inspirations et leurs facteurs poétiques. Les deux caractères qui constituent le titre d'une stance ne sont qu'une expression abstraite de forme adjective, pour dire le mot, ils représentent une idée, un état de choses ou un état d'âme, ou enfin l'inspiration du poète. Ce titre est suivi de douze vers rimés dont le sens est strictement gouverné par le titre même. J'essayerai de vous traduire quelques stances qui vous donneront une idée du poème. Je le ferai le plus littéralement possible, car je ne saurais songer à donner une traduction élégante en français. Les vers chinois sont de quatre mots. Voici deux stances sur l'exaltation taoïste. [162]



STANCE I

Le Puissant, l'Universel
1. La grande vue enfle le dehors,
La vraie essence emplit le dedans
2. Partant aux vides, j'entre au chaos, 
Entassant forces, rendues puissances.
3. Pleinement emparé par les myriades d'êtres, 
Je perce à travers des déserts colossaux.
4. Masses et masses des grosses nues, 
Gros et gros, le long vent.
5. Passant vers les sans-formes
J'atteins le centre de l'anneau.
6. Je le tiens sans effort,
L'attirant toujours et sans fin.

§

STANCE XXIV

Le Fluent, le Mobile
1. Comme l'axe prenant l'eau, 
Comme la perle roulant en boule,
2. Pourrait-on l'exprimer ?
Les formes figurées je laisse aux sots.
3. Grand, grand, l'axe terrestre,
Loin, loin, le pivot céleste.
4. Soit atteindre son terme,
Soit joindre ses parties.
5. Là-haut, là-haut ! Vers les dieux-lueurs ! 
En bas, en bas ! Vers le néant-nuit !
6. Çà et là — par les millénaires —
C'est cela que cela signifie.

Les transes et extases du surhomme taoïste apparaissent ici avec une netteté parfaite. Voici maintenant de la poésie à la fois pessimiste, hédoniste et calme.


§

STANCE XXIII

Largeur, Pénétration
1. La vie. — disons, cent ans :
Ses termes, de combien sont-ils distants ?
2. Gaîté — joie, hélas ! sont brèves, 
Douleurs — tristesses vraiment, abondent.
3. Quoi d'égal à une tasse de vin
A la promenade chaque jour, aux lierres sombres ?
4. Les fleurs couvrent ma pauvre hutte, 
La claire pluie passe devant.
5. Une fois fini de verser mon vin, 
Avec mon bâton je marche, et chante.
6. Qui de nous ne devient pas un ancien ? 
Les Monts du Sud sont hauts et hauts !

On voit ici un thème commun à beaucoup de poètes en ce monde, les images chinoises étant la seule particularité du poème.


§


Voici enfin, une stance qui peint le raffinement et le luxe :

STANCE IX

Beauté, Luxe
1. Mon génie possédant et richesse et noblesse, Me voilà négligeant l'or jaune.
2. L'épais s'épuise et se doit dessécher,
L'insipide est souvent profond.
3. Débris de brouillard au bord d'un fleuve, Abricots, rouges aux bois.
4. Lune luit sur ma demeure luxueuse.
Pont décoré sous ombres bleues,
5. Coupes d'or remplies de vin,
L'hôte-ami touche son luth.
6. J'accepte cela et je me suffis,
Exauçant mes idées du beau.

§

« ...une espèce de synthèse thématique... »



[164] On voit maintenant la nature du poème et le caractère de sa langue. Il diffère de nos Arts poétiques en ce qu'il ne prescrit rien, et surtout, rien d'extérieur.


Je voudrais maintenant vous donner de cet ouvrage une espèce de synthèse thématique qui vous le représente d'une manière fidèle, textuelle et systématique. Je laisserai, autant que possible, parler le poète lui-même, en traduisant fidèlement l'essentiel et paraphrasant le reste, de manière à conserver les proportions du tout. J'ajoute, pour vous assurer de la qualité du matériel dont je me sers, l'appréciation du fameux catalogue de l'empereur K'ien-long, qui dit que l'auteur de ce poème a parfaitement compris les traits fondamentaux de la poésie (chinoise), dont il a, sans longueur, épuisé toutes les formes et toutes les images.

On peut distinguer vingt-quatre espèces ou catégories d'inspiration ou intuition poétique.


Toutes sont gouvernées par le Tao.suprême, dont on s'instruit en lisant les oeuvres parfaites de Lao-tseu et Tchouang-tseu.


L'âme du poète-ermite est ainsi inondée par l'effusion céleste, qui la transforme en âme-tao et elle redevient la réalité même du tao, semblable au fruit d'un arbre qui contiendrait l'essence de la vie future. Alors le son, trop clair pour être entendu par une oreille ordinaire, chante au poète la céleste mélodie de la nature.


L'inspiration peut être spontanée, en tant que nature, et au niveau même du tao. Le poète pénètre alors la grande création cosmique, la création de la Roue du Potier Céleste, dont la révolution transcendante donne forme à tout être. Mais bien avant cette pénétration cosmique, le poète peut se concentrer, aux fonds mêmes de son essence psychique, pour se détacher de la terre et fuir vers le Vrai et le Grand Tao. Ce n'est qu'après cet élan suprême qu'il manifeste le tao invisiblement vivant dans les faces et les apparences du monde visible. Et ces images, ces formes de la nature qui demeure muette pour tout le reste du monde, prennent vie dans la vision du poète, devenant des faces et des formes transcendantes, des faces tao et des formes tao.


L'inspiration se cristallise jusqu'à l'état d'un noyau inépuisable d'esprit poétique, et cette phase -de l'inspiration est témoin de la création du tao spontané, au fond des mystères magiques qui font ressortir l'esprit vivant des cendres mortes de notre vie quotidienne. L'inspiration se condense alors dans l'âme poétique, tout comme le vin qui dépose, et elle y vit en parfaite harmonie avec son Vrai Seigneur, le Grand Tao, maître de toute matière aussi bien que de toute âme. Avec ce Grand Maître, elle s'immerge ou surnage et ses apparitions suivent le rythme dicté par le Seigneur. Elle est une vacuité idéale, semblable au tao qui ne se laisse jamais remplir par rien et garde son vide comme le gardent un vase ou un soufflet de forge. Elle est simple, de cette simplicité insipide et idéale qui distingue le tao, car le tao garde aussi jalousement son absence de tous les goûts humains. Ainsi l'eau pure n'a pas besoin d'assaisonnements, qui détruisent immédiatement son essence. C'est seulement alors que, nette de tout vain ornement humain, l'inspiration se laisse envahir par l’Harmonie Suprême, expression du tao dans les sphères célestes. Il n'est que très naturel, d'ailleurs, qu'elle disparaisse aussitôt que la conscience humaine tend à s'en approcher. L'inspiration vit dans l'âme du poète ravie [167] loin de la surface ordinaire de la vie courante. IL fuit cette vie pour la vie d'ermite taoïste. Il aime la nature, et ses vers les plus beaux et les plus profondément inspirés ne sont qu'une chose froide auprès de l'extase de son amour. Son âme, lavée, refondue, comme un métal pur délivré de la mine grossière, vit de la vie du tao, qui la détache du monde. Rien ne l'entrave maintenant dans les profondeurs où elle plane, et la lune claire emporte son enfant vers la vraie demeure du vrai tao.


Le vol de l'âme s'élève très haut, haut comme les empyrées où monte l'ascète taoïste qui est resté, de son vivant, incommensurable aux autres, tel un morceau de terre qui n'entre pas dans les carrés d'un laboureur pédant.


L'inspiration devient antique comme le tao des âges oubliés, et l'on peut appeler l'Ancêtre Primordial. Cet Ancêtre vit maintenant dans l'âme du poète, triomphal dans sa grande séparation d'avec le monde. Elle franchit toute limite, elle plane par delà la terre, comme les nuages dans le vent pur. Elle s'associe à l'intuition profonde qui ne se transforme cependant pas en mystère secret de la nature. A cette phase de l'inspiration, le poète participe au tao même; il est avec lui comme un des fragments du contrat gardé par les contractants; il s'y gare du monde vivant. Cette inspiration ne se laisse plus [168] exprimer par les rimes du poète, car le son en serait aussi clair que le son suprême du Grand Tao raréfié à l'extrême et devenu inaudible.


L'âme du poète peut vivre en planant dans les espaces infinis, comme la grue divine qui vole dans le vent et qui assure à l'ascète taoïste libéré de la terre l'ascension au ciel. La force du tao pénètre son inspiration et elle n'est plus qu'une intuition au-delà des formes. On ne peut pas l'attendre, elle ne reste ouverte qu'à celui qui l'a connue dans une communion indicible.


A ce moment se place une phase de l'inspiration que l'on peut caractériser comme une énergie puissante, perçant les vacuités célestes, comme les traverse la tempête. Elle garde, en même temps, sa plénitude universelle, comme le chaos primordial, état idéal de toute matière, comme des nuages saturés d'humidité. Elle emporte l'âme au delà des limites et des formes, au centre de cet anneau d'éternité qui ne connaît plus les arbitraires distinctions humaines, centre de toute vérité, zénith du Tao Absolu.


Cette énergie de l'âme peut être remplacée par la vigueur et la puissance qui s'emparent d'elle pour l'agiter et la mouvoir dans l'espace des cieux. Ces sources la nourrissent et l'abreuvent[169] [...=?] surhumaines, s'ajoutant au dualisme Ciel-Terre, la triade est formée. En cet état passif, succombant aux forces du Tao Suprême, le poète plonge dans la simplicité sauvage, négligeant les activités et les convenances de ce monde factice. Mais son activité n'en est pas moins réelle, bien qu'invisible aux autres, qui le traitent d'insensé et de fou. Et, en effet, une folie sublime l'enlève et le fait participer aux mouvements cosmiques, qu'elle livre même à sa volonté, géniale et indomptable.


Et voici le poète dans les transes des rotations cosmiques, accomplissant la révolution des millénaires, dans un mouvement incessant, semblable à celui d'une perle sur la paume de la main. Roulant à volonté du grand néant, noir, profond, couleur de l'éternité, aux empyrées resplendissants, le poète est envahi par son inspiration gigantesque, bien au-dessus du pouvoir chétif de la parole poétique.


Sortant alors de ses transes taoïstes, sans jamais cesser d'être uni au tao, le poète peut vivre à travers une série d'autres inspirations que l'extase permanente et surhumaine. Il peut s'associer à la pénétration perçante et à l'étendue vide, prenant pour image, le vide d'une vallée percée par les rayons du soleil. Dans cette [illumination de son âme, la vie humaine lui apparaît comme une suite de moments insupportables où il faut saisir à tout prix quelques instants de gaieté et de joie.. Sa volonté suit les courbes et les sinuosités du monde, où l'on trouve toujours des traces de la vie permanente du tao. Parfois le poète se donne le plaisir d’utiliser sa finesse et son érudition à la manière du lettré confucéen dans la contemplation de la beauté de la nature. Mais l’insapide idéal du tao est toujours présent à sa conscience. Il ne se permet donc pas de s’en éloigner et de faire des vers rnanquant de cette simplicité souveraine.

La beauté de la nature peut aussi inspirer le poète de son luxe prodigieux et de son charme fin, car elle lui est connue dans la lumière éternelle du vrai tao. Le poète peut être aussi entouré, parmi cette beauté spontanée de la nature, d'un luxe humain et artificiel, tel qu'une maison de luxe, par exemple, mais ce luxe, dans sa fine perception, n'a nullement la grossièreté et le sort éphémère des autres. Sa richesse et sa splendeur n'ont rien de commun avec les qualités extérieures vantées par les mondains. Le génie du poète seul est riche, hautain, tout pénétré par la lueur du tao. Il vit donc dans ce luxe, en jouissant d'une manière complète et [171] spontanée, incommensurable aux manières familières du monde.

L'inspiration devient sublimement subtile et intégralement serrée, comme les veines et les lignes du jade, compact, imperceptiblement solide, bien que différencié et nuancé en son intérieur charmant. Tel est le tao, Créateur des Métamorphoses Cosmiques et des formes terrestres, qui vit dans tout ce qu'il crée d'une façon imperceptible, bien que multiple et varié. Le tao est intégralement Un, comme son image, le jade, et leur compacte unité habite l'âme du poète. La transparente pureté, associée aux charmes indicibles des mystères éternels, l'envahit partout des beautés transparentes de la nature et surtout du même tao, antique, mystérieux, caché, secret, extraordinaire. Le tao le plonge dans le sans goût spirituel et inépuisable.

Mais, tout en s'associant au tao indicible et mystérieusement amorphe, le poète s'associe aussi au tao confucéen, à la grande vérité enseignée et active. Il voit que ce tao, unique Voie vers le Bien Souverain, ne vit plus chez ses contemporains et que personne ne 'proteste contre le mal triomphant. Il est plein de tristesse, une émotion chevaleresque le saisit. Il agite son sabre, décidé à libérer ce monde de la catastrophe im[172]minente. L'automne est profond. La pluie ennuyeuse augmente et enforce son âme émue.


C'est ainsi que l'inspiration du poète est réglée par le Grand Tao qui y fait une révolution de vingt-quatre phases différentes, coexistant à la fois séparément et intégralement. Comment donc exprimer ce Grand Tao qui vit dans l'intuition féconde et multiple du poète ? Il est indicible. Laissons aux stupides d'en préciser les formes et apparences; disons seulement quelles sont ses images mystérieuses et défiant la parole rigide.


Il est la substance absolue et statique, centre du cercle, point éternel, par delà la connaissance et la mesure, le seul vrai et le seul juste. Il est le Grand, qui vit dans la verve poétique, tout en restant inexprimable, car il n'est pas. une chose qu'on puisse manier à volonté en lui donnant la forme désirable. Il est spontané, et la spontanéité elle-même, la volonté impersonnelle et amorphe. Mais il est aussi l'auteur de l'univers et de notre monde, avec sa matière, ses choses, ses hommes et ses poètes. Pour eux, aussi bien que pour l'inspiration du poète, il est le Vrai Seigneur, l'Ancêtre Primordial, le-Créateur des Métamorphoses, le Réformateur Spirituel, la Roue du Potier Céleste qui façonne toutes les formes. Plein de mystère, incom-173préhensible, il est le Grand Mécanisme aux charmes insaisissables, la Suprême Harmonie. Il est l'Aimant qui attire à lui, sans résistance, l'âme du poète. Il est le Principe Antique proclamé par les grands patriarches, Houang Ti et T'ang Yao, et dès lors oublié. Il est Quelque Chose, se nivelant aux cendres et à la poussière du monde. Il est le Néant, le Surnoir, le Primordial.


Parlons maintenant de l'homme idéal, dépositaire du tao. Le poète est plein de cette inspiration taoïque et englouti en elle, il est le surhomme, le poète tao. Il s'assimile toutes les qualités mystérieuses du tao; il se tient au juste centre des choses; il absorbe et incarne la foncière simplicité, qui s'extrait de la vie du monde, par les rayons du tao. Il se plonge dans le Sans-goût et le Sans-saveur, noble chrysanthème. Il s'enfonce pour ne plus remonter à la surface des choses que l'on dit normales. Ce qu'il cherche, c'est la vraie profondeur. Il se distingue de ces esprits faussement profonds, dont la profondeur n'est qu'un simulacre, une parure d'efforts, un entassement de détails. Il vide son âme du compliqué et de l'inutile pour en faire un réceptacle digne du tao qui va y habiter. Il se fait le dépositaire du pur et du puissant. Il part de la terre pour les vides abstraits et la pléni-174tude idéale du cosmos intact. Pénétrant ainsi vers l'aimant puissant du tao, il se débarrasse de toutes les entraves, devient l'innocent-fou, et dans sa sainte folie il participe à la liberté céleste. Sa substance illuminée ne mange et ne boit plus que de l'énergie cosmique, harmonie suprême de l'Univers, et finalement du vrai tao. Il chevauche la lune, se laissant inonder par les forces surhumaines du tao, et dès maintenant il n'a plus de mesure commune avec rien ni personne. Il atteint le centre idéal du cercle mondial, accompagne le tao, se fond en son mystère, reçoit de lui une âme vive. Il agite son génie comme une tempête, ignorant les bornes terrestres, il appelle à lui les astres, attire le phénix, fouette les six tortues géantes du cosmos en se rendant au Fou-sang où le soleil se baigne et où il lave ses pieds. ll dépasse les formes du monde qui se trouvent maintenant quelque part à son côté; il flotte dans les espaces infinis, comme vole à l'air la feuille desséchée; il nage des millénaires dans l'éternité et le vide absolu, ou se balance entre le Pivot du Ciel et l'Axe terrestre. Il se subjugue l'esence du Vrai et, y montant, s'en va vers le tao. Là, il tend vers les dieux-lumières, les quittant ausitôt pour le néant noir. Il forme la triade avec le Ciel-Terre, participe à l'hégémonie, universelle et est [175] à même de traiter le monde en domestique, l'acceptant ou, écoeuré de lui, le chassant.


Tel est l'homme-tao et le poète-tao dans ses perspectives cosmiques et dans ses perfections illimitées et abstraites. Voyons maintenant comment il vit parmi les hommes. Sa vie terrestre est pleine d'efforts pour se séparer d'eux et partout s'opposer à eux. C'est un homme à l'âme haute, pénétré d'une grande idée et d'une intuition perçante. Riche de soi-même, il se suffit. Silencieux, seul et solitaire parmi les hommes, le principe antique l'anime et son âme a rompu les liens de la terre. Il ne veut plus se trouver dans le troupeau humain et se sépare décidément du quotidien fâcheux. Il méprise l'or qui achète le bonheur des autres; leurs richesses, considération et noblesse ne sont pour lui que cendres mortes. Méprisant le monde, l'homme-tao peut vivre dans sa folie de liberté parfaite, sans tenir compte du jugement du troupeau. Cependant, il se laisse toucher par les douleurs de ceux qui veulent, contrairement à ses idées, gouverner le monde par l'enseignement aux bons; et quand ceux-ci désespèrent, il sympathise avec eux et s'élance violemment à la défense du tao humain.

Sentir en soi la vie du tao, se détachant du [176] monde et planant dans les empyrées ; unir son rêve aux rêves anciens du surhomme, image du tao, et voir incessamment resplendir sur son oeuvre la grande face du tao, tel est le sort de « cet homme-là. », dont les vers peuvent trouver place dans .les « Catégories » de la poésie.


Quelle est la nature d'une telle inspiration ? Elle part du tao, à qui elle est identique. Elle vient habiter l'âme du poète où elle vit de manières variées. Elle fait son nid dans l'essence divine de son âme, dans son génie spirituel, tendu vers le tao par la séparation du normal et de l'ordinaire. La nature intime du poète, son sentiment, pénètrent le tao par la force même de leur non résistance à son émanation. L'inspiration vit dans l'esprit du poète revenu des cendres mortes du monde à la lumière du tao. L'inspiration pénètre la substance foncière du poète, lui emplit le coeur, comme de la vraie essence de l'univers. Elle exauce le rêve du beau qu'il couve et le guide. C'est elle qui est l'idéal et le désir du poète, coïncidant avec tous les mouvements spontanés de son individualité poétique. Illuminée, éternelle, inépuisable, elle est l'Antique, le Non-ordinaire, le Neuf et le Jeune, surtout quand le poète chante le printemps. Attendue, désirée, elle est entendue comme un son, elle se rencontre, plutôt qu'elle n'est [177] atteinte, elle descend du ciel, se laissant reconnaître par celui qui est profondément pénétré. Elle va du tao à l'âme du poète, dans sa plénitude inépuisable. Elle semble venir chez celui dont l'appelle la voix, lancée aux espaces lointains. Elle arrive réellement pour celui qui l'attend. Ainsi le poète l'atteint, la prend, dans sa liberté Sans freins. Il se suffit à lui-même, et la garde sans effort dans son intimité. Elle le sert, et il l'exprime dans ses chants printaniers.


L'inspiration poétique peut passer par une série de limitations négatives. Ainsi, elle ne doit pas être quelque miracle divin, ou même un mystère de la nature. Elle n'est pas nécessairement profonde. Elle n'exige pas d'efforts pour rester dans l'âme : au contraire, si on l'y force, elle s'appauvrit. Elle ne se combat pas, ne se restreint pas, ne se retient pas; elle ne se prête nulle part, ne doit pas être recherchée, ne relève pas de la conscience; elle n'a ni limites, ni fond, ni fin. Elle n'est pas cendres mortes, mais esprit vivant, chaîne mystérieuse que l'on n'ose rompre, surtout par la parole, son principal ennemi.


Il y a toute une série de cas où cette inspiration taoïque fuit le poète. Elle le quitte s'il l'attend. Elle se raréfie à zéro, si le poète l'atteint et devient, en tous cas, toute autre chose. [178]

Elle part quand on veut l'utiliser. Elle s'envole vers son intégrité mystérieuse, quand le poète crée pour elle idée et image, et surtout quand il veut l'incarner en formes tangibles. C'est alors comme si on couvrait de la main une abstraction : elle échappera bientôt de sa prison. On ne peut l'exprimer, exemples et comparaisons n'étant destinés qu'aux sots. Il ne faut pas non plus y réfléchir, ni la chanter en des phrases trop sonores, car, devenue audible, l'inspiration originale est anéantie.


Peut-on imaginer d'exprimer par nos paroles ordinaires la verve taoïque du poète ? Non. Elle exige une langue à part, pittoresque, mais sans précision, ni imagerie bornée de paroles. Analogue au tao inconnu et inconnaissable, elle le reflète. Et si l'on admet qu'à ces qualités du tao doivent correspondre des complexes de sons qui permettent d'impliquer ou de donner une image subtile de la Grandeur de la Roue du Potier Céleste ou du Pivot des Cieux ; si l'on essaye de peindre dans cette langue, intentionnellement confuse, soit l'Ancêtre Primordial, incommensurable et séparé de tout être, soit la masse inconcevable de l'axe terrestre, l'éternité sans fond, le son raréfié du tao, et les autres intuitions taoïques, il faut bien adopter une langue à part, des combinaisons phonétiques, [179] des adaptations parallèles, des images et des paroles aussi approximatives qu'évasives, en tous cas intentionnellement dénuées de précision et qui, tout en se trouvant dans la langue bornée des hommes, n'indiquent plus ce qu'elles expriment d'ordinaire et demeurent au fond impuissantes à rendre cette inspiration taoïque, laquelle aboutit ainsi fatalement à des bizarreries d'expressions ne voulant pas exprimer ce qu'elles expriment. On peut donc dire, qu'elle quasi-vient [sic], qu'elle est soi-disant imperceptible, qu'elle semble entendre un appel quelconque; elle est semblable à des réminiscences confuses de l'antiquité; elle peut, enfin, être représentée comme l'image d'un homme stupéfié, et muet devant la grande nature. Il n'existe plus de parole fixe pour exprimer la qualité spirituelle de son dépositaire, le poète-tao, et tout ce qu'il tient du tao, son ancêtre. On se sert en pareils cas d'onomatopées, de comparaisons, de paraboles et d'euphonies, d'une langue extraordinaire et implicite.


Mais si elle ne peut être exprimée dans une langue positive; l'inspiration taoïque se prête aux images qui gardent la tradition des paraboles mystérieuses des écrivains mystiques de l'antiquité. Aussi pouvons-nous imaginer l'intuition poétique comme un son raréfié jusqu'à [180] être inaudible…


[omission de la suite soit des pages 180 à 192]


§§



Zen flesh, zen bones (P. Reps 1957)



ZEN FLESH, ZEN BONES

A COLLECTION OF ZEN & PRE-ZEN WRITINGS À COMPILED

BY PAUL REPS

PUBLISHED BY THE CHARLES E. TUTTLE COM-PANY A RUTLAND, VERMONT & TOKYO, 1957


9.The Moon Cannot Be Stolen

[27]

RYOKAN, a Zen master, lived the simplest kind of life in a little hut at the foot of a mountain. One evening a thief visited the hut only to discover there was nothing in it to steal.
Ryokan returned and caught him. "You may have come a long way to visit me," he told the prowler, "and you should not return empty-handed. Please take my clothes as a gift."
The thief was bewildered. He took the clothes and slunk away.
Ryokan sat naked, watching the moon. "Poor fellow," he mused, "I wish I could give him this
beautiful moon."



10. The Last Poem of Hoshin

[27-29]

THE ZEN MASTER Hoshin lived in China many years. Then he returned to the northeastern part of Japan, where he taught his disciples. When he was getting very old, he told them a story he had heard in China. This is the story:

One year on the twenty-fifth of December, Toku-fu, who was very old, said to his disciples : "I am not going to be alive next year so you fellows should treat me well this year."

The pupils thought he was joking, but since he
was a great-hearted teacher each of them in turn treated him to a feast on succeeding days of the departing year.

On the eve of the new year, Tokufu concluded: "You have been good to me. I shall leave you tomorrow afternoon when the snow has stopped."

The disciples laughed, thinking he was aging and talking nonsense since the night was clear and without snow. But at midnight snow began to fall, and the next day they did not find their teacher about. They went to the meditation hall. There he had passed on.

Hoshin, who related this story, told his disciples: 
"It is not necessary for a Zen master to predict his passing, but if he really wishes to do so, he can."
"Can you?" someone asked.
"Yes," answered Hoshin. "I will show you what I can do seven days from now."

None of the disciples believed him, and most of them had even forgotten the conversation when Hoshin next called them together.

"Seven days ago," he remarked, "I said I was going to leave you. It is customary to write a fare-well poem, but I am neither poet nor calligrapher. Let one of you inscribe my last words."

His followers thought he was joking, but one of them started to write.
"Are you ready?" Hoshin asked.
"Yes, sir," replied the writer.

Then Hoshin dictated:

I came from brilliancy
And return to brilliancy.
What is this?

The poem was one line short of the customary four, so the disciple said: "Master, we are one line short."

Hoshin, with the roar of a conquering lion, shouted "Kaa I" and was gone.

§

28. Open Your Own Treasure House

[48]

DAIJU VISITED the master Baso in China. Baso asked: "What do you seek?"
"Enlightenment," replied Daiju.
"You have your own treasure house. Why do you search outside?" Baso asked.
Daiju inquired: "Where is my treasure house?" Baso answered: "What you are asking is your treasure house."
Daiju was enlightened Ever after he urged his friends: "Open your own treasure bouse and use those treasures."


29. No Vater, No Moon

[48-49]

WHEN THE NUN Chiyono studied Zen under Bukko of Engaku she was unable to attain the fruits of meditation for a long time.
At last one moonlit night she was carrying water in an old pail bound with bamboo. The bamhoo broke and the bottom fell out of the pail, and of that moment Chiyono was set free!
In commemoration, she wrote a poem:

In this way and that I tried to save the old pail
Since the bamboo strip was weaknening and about to break
Until at last the bottom fell out.
No more water in the pail!
No more moon in the water!

§

« Zen has no gates »

Zen has many classic texts, of which this work is one. Mu-mon-kan—literally, "no gate barrier"—was recorded by the Chinese master Ekai, also called Mu-mon, who lived from 1183 to 1260. The work consists of narrated relationships between ancient Chinese teachers and their pupils, illustrating means employed to sublimate the dualistic, outgoing, generalizing, intellectualizing tendencies of students in order that they might realize their true nature. The problems or inner challenges with which the masters confronted their pupils came to be called koans, and each of the following stories is a koan in itself.

The stories use slang freely to actualize the highest teaching, the seeing into one's being. Occasional instances of apparent violence might be better interpreted as vigor and earnestness. None of the stories make any pretense at logic. They are dealing with states of mind rather than words. Unless this is understood, the point of the classic will be missed. The whole intent was to help the pupil break the shell of his limited mind and attain a second eternal birth, satori, enlightenment.

Each problem is a barrier. Those who have the spirit of Zen pass through it. Those who live in Zen understand one koan after another, each in his own way, as if they were seeing the unseen and living in the inimitable.

Mu-mon wrote the following words in bis introduction to the work :


"Zen has no gates. The purpose of Buddha's words is to enlighten others. Therefore Zen should be gateless.

"Now, how does one pass through this gateless gate? Some say that whatever enters through a gate is not family treasure, that whatever is produced by the help of another is likely to dissolve and perish.

" Even such words are like raising waves in a windless sea or performing an operation upon a healthy body. If one clings to what others have said and tries to understand Zen by explanation, he is like a dunce who thinks he can beat the moon with a pole or scratch an itching foot from the outside of a shoe. It will be impossible after all.

"In the year 1228 I was lecturing monks in the Ryusho temple in eastern China, and at their request I retold old koans, endeavoring to inspire their Zen spirit. I meant to use the koans as a man who picks up a piece of brick to knock at a gate, and after the gate is opened the brick is useless and is thrown away. My notes, however, were collected unexpectediy, and there were forty-eight koans, together with my comment in prose and verse concerning each, although their arrangement was not in the order of the telling. I have called the book The Gateless Gate, wishing students to read it as a guide.

"If a reader is brave enough and goes straight forward in bis meditation, no delusions can disturb him. He will become enlightened just as did the partriarchs in India and in China, probably even better. But if he hesitates one moment, he is as a person watching from a small window for a horseman to pass by, and in a wink he bas missed seeing.[113-114]



"The great path has no gates,
Thousands of roads enter it.
When one passes through this gateless gate
He walks freely between heaven and earth."

§

7. Joshu washes the Bowl

[123]

A MONK TOLD Joshu: "I have just entered the
monastery. Please teach me."
Joshu asked: "Have you eaten your rice porridge?"
The monk replied: "I have eaten."
Joshu said: "Then you had better wash your bowl."
At that moment the monk was enlightened.

Mumon's comment: Joshu is the man who opens his mouth and shows his heart. I doubt if this monk really saw Joshu's heart. I hope he did not mistake the bell for a pitcher.

It is too clear and so it is hard to see.
A dunce once searched for a fire with a lighted lantern.
Had he known what fire was,
He could have cooked his rice much sooner.

§

23. Do Not Think Good, Do Not Think Not-Good [137-138]


WHEN HE BECAME emancipated the sixth patriarch received from the fifth patriarch the bowl and robe given from the Buddha to his successors, generation after generation.


A monk named E-myo out of envy pursued the patriarch to take this great treasure away from him. The sixth patriarch placed the bowl and robe on a stone in the road and told E-myo: "These objects just symbolize the faith. There is no use fighting over them. If you desire to take them, take them now."


When E-myo went to move the bowl and robe they were as heavy as mountains. He could not budge them. Trembling for shame he said: " I came wanting the teaching, not the material treasures. Please teach me."


The sixth patriarch said: "When you do not think good and when you do not think not-good, what is your true self?"


At these words E-myo was illumined. Perspiration broke out all over his body. He cried and bowed, saying: "You have given me the secret words and meanings. Is there yet a deeper part of the teaching?"


The sixth patriarch replied: "What I have told you is no secret at all. When you realize your own true self the secret belongs to you."


E-myo said: "I was under the fifth patriarch many years but could not realize my true self until now. Through your teaching I find the source. A person drinks water and knows himself whether it is cold or warm. May I call you my teacher?"


The sixth patriarch replied: "We studied to-gether under the fifth patriarch. Call him your teacher, but just treasure what you have attained."


Mumon's comments: The sixth patriarch certainly was kind in such an emergency. It was as if he removed the skin and seeds from the fruit and then, opening the pupil's mouth, let him eat.

You cannot describe it, you cannot picture it, You cannot admire it, you cannot sense it. 
It is your true self, it has nowhere to hide. When the world is destroyed, it will not be destroyed.

§

Centering transcribed by Paul Reps

ZEN IS nothing new, neither is it anything old. Long before Buddha was born the search was on in India, as the present work shows.

Long after man has forgotten such words as Zen and Buddha, satori and koan, China and Japan and America —still the search will go on, still Zen will be seen even in flowers and grass-blades before the sun.

The following is adapted from the preface to the first version in English of this ancient work.


Wandering in the ineffable beauty of Kashmir, above Srinagar I come upon the hermitage of Lakshmanjoo.


It overlooks green vice fields, the gardens of Shalimar and Nishat Bagh, lakes fringed with lotus. Dater streams down from a mountaintop.


Here Lakshmanjoo —tall, full bodied, welcomes me. He shares with me this ancient teaching from the Vigyan Bhairava and Sochanda Tantra, both written about four thousand years ago, and from Malini Vijaya Tantra, probabiy another thousand years older yet. It is an ancient teaching, copied and recopied countless times, and from it Lakshmanjoo bas made the beginnings of an English version. I transcribe it eleven more times to get it into the form given here.

Shiva first chanted it to his consort Devi in a language of love we have yet to learn. It is about the immanent experience. It presenis 112 wqys to open the invisible door of consciousness. I see Lakshmanjoo gives his life to its practicing.


Some of the ways may appear redundant, yet each differs from any other. Some may seem simple, yet any one re-quires constant dedication even to test it.


Machines, ledgers, dancers, athletes balance. Just as centering or balance augments varions skills, so it may awareness. As an experiment, try standing equaly on both feet; then imagine you are shifting your balance slightly from foot to foot: just as balance centers, do you. If we are conscious in part, this implies more inclusive consciousness. Have you a hand? Yes. That you know without doubt. But until asked the question were you cognizant of the band apart?


Surely, men as inspiritors, known and unknown to the world, have shared a common uncommon discovery. The Tao of Lao-tse, Nirvana of Buddha, Jehovah of Moses, the Father of Jesus, the Allah of Mohammed —all point to the experience.


No-thing-ness, spirit—once touched, the whole life clears.

§§

Anthologie (Paul Demiéville 1962)

Anthologie de la poésie chinoise classique
sous la direction de PAUL DEMIÉVILLE
GALLIMARD 1962

Introduction 

[…] « Silencieuse, esseulée, je monte... »



Sur l'air La joie du revoir.

Wôu yèn tôu châng si leôu /

Yûe jôu keôu I

Tsi mô wôu t'ông chèn yuàn, sô ts'ing ts'ieôu

Tsiên pôu touàn J

Li houân louàn

Ché li tch'eôu

Piê ché yi pin tsèu wéi, tsài sin t'eôu


Mot à mot :

Sans parole seul(e) monter ouest pavillon /

Lune comme crochet /

Tranquilles silencieux sterculias paulownias profond cour, cadenasser pur automne //


Couper pas rompu /

Ranger encore désordonné /

Être séparation chagrin /

Singulière est une sorte saveur goût, dans coeur suffixe //


Traduction de Mme Kaltenmark :


Silencieuse, esseulée, je monte les degrés du pavillon de l'ouest.

La lune est comme une faucille.

Dans la cour profonde plantée de platanes, le frais automne enferme ma solitude.


O insécable fil de ma pensée,

Inextricable écheveau de mes peines,

Douloureux éloignement,

Quelle singulière saveur tu mets en mon coeur !


Le schème prosodique est celui de l'air intitulé La joie du revoir,

air remontant aux T'ang et sur lequel ont été composés de nombreuses paroles de ts'eu :

[…]

Suite de l’Introduction de P. Demiéville

[…] La métrique est à base ternaire, les vers comptant trois, six ou neuf

syllabes, ces derniers avec une césure après la sixième syllabe. Tous

les vers riment, les trois premiers et les derniers en -eôu (ton plan),

le quatrième et le cinquième en -ouân (ton oblique). La prosodie n'impose des tons plans ou obliques que pour certaines syllabes de chaque vers, les autres restant tonalement libres […]


Les effets tonaux paraissent difficiles à interpréter et à apprécier en l'absence de la musique, [18] qui est perdue, et dont les tons des mots devaient suivre, on ne sait trop dans quelle mesure, la marche mélodique, le cursus plan, ascendant, descendant.

Tels sont quelques-uns des obstacles d'ordre formel qui hérissent l'abord de la poésie chinoise et compromettent tout essai de traduction.


Les mécomptes ne sont pas moindres en ce qui concerne le contenu, la thématique. Comme toute grande poésie, la poésie chinoise est chargée d'associations traditionnelles et dispose d'un matériel de thèmes, d'une topique d'autant plus riches qu'en raison de la continuité de sa tradition, soutenue par une langue littéraire et par une écriture qui ont à peine évolué au cours d'une vingtaine de siècles, la Chine a toujours incliné à se retourner vers son passé pour y puiser des exemples ou des inspirations. En dehors des « allusions littéraires » proprement dites, qui se réfèrent à des textes ou à des faits historiques déterminés et dont l'érudition chinoise a dressé des répertoires monumentaux, il y a un fonds immense de thèmes convenus et tellement courants qu'aucun commentaire ne songe même à les relever, une réserve d'archétypes poétiques qui relèvent du subconscient collectif et qui vont de soi pour tout lecteur chinois, mais dont la méconnaissance risque d'induire le lecteur étranger à de graves malentendus. Nous avons aussi nos thèmes traditionnels, dont nous ne sommes guère plus conscients et qui déroutent les Chinois tout autant (le thème du baiser les scandalise) ; qui nous donnera une thématique comparée des littératures universelles? Il me souvient qu'étant professeur en Chine, et cherchant une lecture française le plus directement accessible à mes élèves, je crus pouvoir recourir au Discours de la méthode. je n'en avais pas lu cinq lignes que je sentis se dresser devant moi un mur d'incompréhension et me rendis compte de ma naïveté ; Descartes s'avérait chargé d'une thématique à laquelle mes auditeurs n'entendaient rien.


C'est sur un tel canevas de thêmes traditionnels que le poète chinois brode ses variations les plus originales : à prendre pour bon argent toutes les figures au milieu desquelles il se joue, on passe à côté de sa pensée et on se méprend sur ses intentions esthétiques. Le blanc signifie pour nous pureté ; pour les Chinois, couleur du deuil, il évoque plutôt tristesse, froidure, solitude, par exemple dans une expression comme la lune blanche ». Il s'oppose au rouge, couleur des épousailles, qui évoque les joies de ce monde : la « poussière rouge », c'est le monde avec ses plaisirs, ses pompes, sa vaine agitation. Les poètes chinois, qui restent ou se piquent de rester des ruraux, sont très sensibles aux saisons ; la philosophie nationale a toujours insisté sur les rapports qui lient la vie humaine à celle de la nature. Les mots « printemps » et « automne » reviennent donc constamment dans le vocabulaire poétique : le premier est presque synonyme de « vitalité, exubérance, excitation » (en particulier érotique), le second suggère les notions opposées. Or la Chine est [19] soumise au régime des moussons, et le printemps s'y annonce par les vents tièdes et humides du sud-est, l'automne par les vents froids et secs du nord-ouest. « Est » est donc synonyme de « printemps », comme « ouest » l'est d' « automne » ; dans le système de correspondances cosmiques dont les Chinois étaient friands, le printemps se classe avec l'est et avec l'élément du bois, l'automne avec l'ouest et l'élément du métal. Dans le ts'eu de Li Yu, qui a été cité plus haut, il est question d'un pavillon de l'ouest et non de l'est : c'est qu'il s'agit d'un poème d'automne et de mélancolie ; l'ouest était d'autre part, dans l'antiquité, la partie de la maison réservée à la femme, laquelle relève du yin, principe d'ombre et d'humidité ; la mention, dans un tel contexte, d'un pavillon de l'est produirait sur le lecteur chinois l'effet d'une fausse note.


Innombrables sont les clichés plus ou moins euphémiques qui se rapportent aux choses de l'amour. L'expression « les fleurs en buée » (yen-houa) est une de celles qui évoquent l'atmosphère du printemps, avec ses effluves vaporeux qu'apporte la mousson maritime :


Dans le léger brouillard sur l'eau mêlé de fleurs, comme dit Claudel paraphrasant Li Po (ci-dessus,p.13). La buée est yin ; les fleurs, en poésie, ce sont les femmes ; yen-houa suggère une ambiance de fête qu'égaient des courtisanes, et finira par signifier un lieu de débauche. Dans le quatrain d'adieu de Li Po, il se peut qu'à l'emploi de cette expression ne soit pas étrangère la vision de la vie de plaisir qui attend son ami à la préfecture de Yang. Lorsqu'un poète parle du « vent printanier » il sous-entend un souffle de sensualité ; « le vent et la lune », c'est-à-dire le vent du printemps et le clair de lune de la mi-automne, si beau à l'équinoxe dans les pays de mousson où l'on célèbre des fêtes pour en jouir, est une autre expression qui a subi la même déviation sémantique ; de même «le nuage et la pluie », plus réaliste, et qui fait allusion à un mythe érotique de l'antiquité. Le « nuage blanc », à la dérive dans le ciel, implique au contraire un sentiment d'exil et de dépaysement. « La lune dans l'eau », reflet insaisissable, est une image bouddhique de l'illusion universelle ; la fleur de lotus, dont les racines trempent dans la vase, mais qui élève sur la surface de l'eau sa grande corolle immaculée, c'est, dans le bouddhisme aussi, la pureté transcendante du saint ; Judith Gautier, dans son Livre de jade, commet un contresens lorsqu'elle nous montre un poète adressant une déclaration d'amour à un lotus. Les oies sauvages, auxquelles on confiait naguère des messages comme à nos pigeons voyageurs, s'associaient à l'idée de la séparation qui est un des thèmes constants de la poésie chinoise, thème lié à l'immensité du territoire et aux expéditions militaires lointaines, et auquel s'apparente celui du retour au pays natal, qu'il s'agisse du soldat licencié ou du fonctionnaire retraité, enfin rendus à la paix champêtre. Tels sont quelques-uns des idiotismes du langage poétique chinois, sans parler des [20] doubles sens allégoriques selon lesquels, par exemple, une femme abandonnée devient un vassal ou un fonctionnaire méconnu par son prince ; c'est à de tels doubles sens moralisants que nous devons la conservation de tant de pièces d'inspiration plus ou moins populaire et qui comptent parmi les joyaux de la poésie chinoise, tels les Airs des seigneuries qui ouvrent le Canon des Poèmes (Che-king) et la présente anthologie.


Il faut souligner qu'en Chine la poésie, art qui plonge dans le subconscient, est toujours restée plus proche que la prose de la spontanéité populaire, et cela tant par les sujets dont elle traite que par sa langue elle-même ; les vulgarismes abondent jusque chez les poètes les plus châtiés de l'époque des T'ang. Les lettrés mandarins trouvent dans la poésie un moyen de revenir à la nature sans mauvaise conscience ; ils y célèbrent les vacances du ritualisme et de l'intellectualité. De là le thème si fréquent du retour à la campagne, à la terre natale où reposent les ancêtres et où le haut dignitaire en retraite remise sa robe de cour pour revêtir le manteau de paille du paysan et entonner des airs rustiques. Toute l'histoire de la poésie chinoise est une suite de recours aux sources populaires, en particulier dans le domaine des formes qu'on voit se renouveler périodiquement par ce moyen. Les Airs des seigneuries passent pour être des chansons recueillies par l'administration des Tcheou, avec leurs « airs » musicaux, dans les différentes principautés ou seigneuries de la Chine féodale, en vue de renseigner la cour royale sur l'opinion publique, les moeurs locales, l' « air » politique et moral qu'on respirait dans le peuple ; l'idée que le tao s'exprime par la voix du peuple, resté plus près de la nature, est très ancienne en Chine, et plus d'un empereur ou d'une impératrice a dû ou a su tenir compte des chansons satiriques, ritournelles plus ou moins prophétiques, slogans rimés à base de jeux de mots, qui n'ont jamais cessé de courir dans le peuple. Les chansons du Che-king, bien entendu, avaient été mises en forme dans le dialecte de la cour par des scribes qui ne tardèrent pas, en outre, à leur appliquer une interprétation allégorisante et didactique : c'était la mainmise de la classe lettrée et gouvernante sur l'art du peuple, accaparé à des fins politiques.

Lorsqu'après la chute de la féodalité antique l'empire des Han veut se constituer une musique et une poésie de cour, on le voit recourir au même procédé et faire recueillir par son Conservatoire de Musique (yue-fou) le folklore régional qui allait inspirer tout un genre littéraire au cours des premiers siècles de notre ère. Sous les Six Dynasties, la Chine du Nord est envahie par les barbares et les dynasties nationales légitimes se réfugient dans le bassin du Fleuve Bleu, à Nankin, où pendant deux siècles et demi (317-589) elles se perpétuent dans l'attente trompeuse d'une restauration. […]

§



Wang Tche-houan



MONTÉE AU PAVILLON DES CIGOGNES

Le soleil blanc vers les monts penche et 							disparaît ; 
Le Fleuve Jaune à l'océan court se jeter.
Si tu veux d'un coup d'oeil embrasser mille 						stades, 
Monte encore un étage.


Wang Tche-houan a vécu au milieu du Ville siècle. Il faisait partie d'un célèbre groupe de poètes, qui comprenait notamment Wang Tch'ang-ling.

Le Pavillon des Cigognes (Kouan-ts'iue leou), situé dans le sud-est du Chan-si, au coude du Fleuve jaune, a été souvent célébré par les poètes des T'ang pour la beauté de son panorama.

Teng kouan ts'iue leou : Pai je yi chan tsin, houang ho jou hai lieou...

Tr. Tch'eng Ki-hien. Rv. Diény. [255]

§

Ts'ien K'i



INSCRIPTION POUR LE CHALET
DE TS'OUEI L'ERMITE


Le sentier aux simples, couvert de mousse rouge,
La fenêtre en montagne, emplie d'azur léger...
Ami, je vous envie votre vin, sous les fleurs,
Et tous ces papillons qui volent dans vos rêves.

Ts'ien K'i (Ts'ien Tchong-wen) est un poète du VIIIe siècle, docteur en 752 L'un des « dix génies » de l'ère Ta-li (766-799).


Ce gracieux compliment, à l'adresse d'un hôte de montagne, se conforme aux règles du quatrain dit « vers interrompus » : un croquis rapide suivi d'un « envoi » (cf. Kia Tao, « Pour l'ermitage de Li Ning », p. 313). Les motifs du sentier moussu (cf. Kia Tao, même texte), de la fenêtre lumineuse (cf. Yang Sou, « Au Président Siue », p. 195 ), des fleurs et du vin (cf. Li Po, « Libation solitaire au clair de lune », p. 226 ), appartiennent à la tradition. L'image délicate du dernier vers est plus originale, avec son rappel du fameux rêve de Tchouang-tseu. Les « simples » rappellent les expériences diététiques des taoïstes solitaires.


T'i ts'ouei yi jen chan t'ing : Yao king chen hong t'ai, chan tch'ouang man ts'ouei Tr. Tch'eng Ki-hien. Rv. Diény.


§

Wei Ying-wou



À QUI JE PENSE

C'est le printemps, mais pour qui reverdir,
Saules penchés au bord de la rivière ?
Hélas ! aux lieux qu'hier j'ai parcourus,
Je ne vois plus les mêmes gens qu'hier.

En circulant dans l'immense cité,
Les cavaliers soulèvent la poussière.
Je ne dis point qu'ils me sont inconnus ;
Mais à mon coeur aucun d'entre eux n'est cher.

Yeou so sseu : Tsie wen t'i chang lieou, ts'ing ts'ing wei chouei tch'ouen… Tr. Royère, loc. Cit. [280]

§

EN PASSANT AU MONT LANG-YE
Wei Ying-wou

Sur la route, au portail rocheux, il n'est pas une trace ;
Un flot d'encens vient, dans la brume, emplir le val aux pins.
Les mets qui restent dans la cour attirent les oiseaux ;
Aux arbres pendent des haillons : le moine s'est éteint.

T'ong yue lang ye chen : Che men yeou siue wou hing tsi, song ho ning yen man tchong hiang...

Tr. Royère, loc. Cit ; [281]

§





Han Yu



LES ROCHERS DE LA MONTAGNE

Dans la montagne aux rocs enchevêtrés, vagues sont les sentiers ; 
Au monastère où j'arrive à la nuit, les chauves-souris volent. 
Je monte à la salle, je m'assieds sur les marches. La pluie vient de 	cesser ; 
Les palmes des bananiers s'étalent, et les gardénias sont en fleur.

Le moine me dit la beauté des fresques 	bouddhiques sur les vieux 	murs ;
Quand le feu vient les éclairer, ce que j'en vois est sans pareil. 
Il dresse le lit, balaie la natte, dispose la soupe et le riz ; 
Bien que rustique, la nourriture suffit à me rassasier.

La nuit s'avance ; je m'étends dans le calme ; les insectes se taisent ; 
La lune limpide franchit la crête, et sa clarté passe ma porte. 
A l'aube, tout seul je m'en vais. Pas de chemins :
Je vais, je viens, je monte et je descends ; je m'enfonce dans le 	brouillard.

Rouges les monts, verts les torrents, tout brille de mille feux ; 
Des pins, des chênes, que dix bras ne pourraient ceinturer... 
A même le torrent, pieds nus, je foule les cailloux ;
Les eaux grondent, ma robe s'agite dans le vent.

Voilà le genre de vie où l'homme trouve joie ;
Pourquoi se laisser brider comme un cheval au mors ?
Ah ! que ne pouvons-nous, à deux ou trois amis de mêmes 	sentiments,
Ne plus quitter ces lieux jusqu'à nos derniers jours !

Han Yu (Han T'ouei-tche, Han Tch'ang-li, 768-824), après avoir obtenu difficilement un poste à la capitale, se fit exiler pour l'audace de ses critiques. Pardonné, il récidive bientôt ; il suscite la colère de l'empereur en attaquant violemment le bouddhisme. Exilé dans le Kouang-tong, sa santé ne résiste pas à l'épreuve. En littérature, Han Yu est surtout célèbre comme réformateur de la prose chinoise, qu'il voulait ramener à la simplicité et au naturel de l'antiquité. Dans l'histoire religieuse de la Chine, il annonce la réaction confucianiste des temps modernes, contre le bouddhisme qui avait dominé le Moyen Age. Mais ce poème montre qu'il savait apprécier les charmes de la vie bouddhique.

Chan che : Chan che lo k'iue hing king wei, houang houen tao sseu pien fou Tr. Tchang Fou-jouei. Rv. Hervouet. [289]


§




Sou Che

« Notre vie ici-bas, à quoi ressemble-t-elle ? »

SOUVENIR DE MIN—TCH'E,
EN RÉPONSE À UN POÈME DE TSEU—YEOU 1
	
Notre vie ici-bas, à quoi ressemble-t-elle ?
A un vol d'oies qui, venant à poser leurs pattes sur la neige,
Parfois y laissent l'empreinte de leurs griffes.
L'oie envolée part-elle vers l'Est, vers l'Ouest ?

Le vieux moine n'est plus ; un pagodon neuf se dresse 2.
Sur le mur abîmé, plus rien ne se voit de notre inscription... 
Te souvient-il des épreuves que nous rencontrâmes alors ?
La route était longue, nous étions épuisés ; et mon âne boitillant ne 	cessait de braire 3.


Sou Che adresse ces vers à son frère Sou Tchei ( Sou Tseu-yeou, 1039-1112), poète, lui aussi.

1. En 1061, au onzième mois, Sou Che et son frère Sou Tchô (Sou Tseu-yeou) passèrent à Min-tch'e au Ho-nan, où antérieurement ils avaient passé la nuit dans un monastère bouddhique et avaient inscrit des vers sur le mur d'un vieux moine. Mais celui-ci, lors du second voyage, n'était plus en vie. — 2. Le stûpa funéraire du moine. — 3. Sou Che rapporte que, lors du premier voyage, son cheval vint à mourir et qu'il dut le remplacer par un âne.

Ho tseu yeou min tch'e houai kieou : len cheng tao tch'ou tche ho sseu, k'ia sseu fei t'a siue ni… Tr. Bourgeois. Rv. M. Kaltenmark.[351]


« Une brise susurre, légère, dans les joncs »

NOCTURNE EN BARQUE
Sou Che

Une brise susurre, légère, dans les joncs ;
J'ouvre la porte : c'est une pluie de lune qui inonde le lac 1.
Les bateliers et les oiseaux des eaux rêvent ensemble ;
De grands poissons s'enfuient tels des renards agiles.
En cette nuit profonde où hommes et choses s'ignorent, 
Seuls mon corps et mon ombre ensemble jouent.
La houle nocturne dessine comme des vers de terre sur les berges ; 
La lune qui tombe s'accroche aux saules comme une araignée 	suspendue.
En cette vie qui se hâte, au milieu des tracas du monde, 
Une image éthérée passe parfois ainsi devant nos yeux, mais combien 	fugitive ! 
Le chant du coq soudain, le son d'une cloche au loin : les oiseaux se 	dispersent ; 
J'entends les tambours des pêcheurs qui s'interpellent pour le retour.

1. Le bruit de la brise lui avait fait croire qu'il pleuvait.

Tcheou tchong ye tso : Wei fong siao siao tch'ouei kou p'ou, k'ai men k'an yue yu man hou...Tr. Bourgeois. Rv. M. Kaltenmark.[352]

§§



Anthologie japonaise (C. Renondeau 1971)



Anthologie de la poésie japonaise classique

TRADUCTION PRÉFACE ET COMMENTAIRES

DE C. RENONDEAU

GALLIMARD 1971

		





Sur la mort de la princesse Asuka *

* La princesse Asuka était fille de l’empereur Tenchi.

Son mari était le prince Osakabe, fils de l’empereur Temmu.

Elle mourut en 700.

Sur la rivière Asuka
Au nom qui évoque un oiseau en vol
A un gué de l'amont
On a posé des pierres pour passer,
A un gué de l'aval
On a jeté des rondins de bois,
Les belles algues
Qui ondulent
Au passage de pierres
Repoussent si on les coupe,
Les algues de rivière
Qui croissent dru
Au pont de bois
Repoussent après s'être desséchées.
Oh! Pourquoi,
Ma princesse,
Pourquoi oubliez-vous
Au matin
Et désertez-vous
Au soir le palais
De l'époux parfait
Sur qui vous vous appuyiez
Comme une algue ondulante
Quand vous étiez debout,
Comme une souple algue de rivière
Quand vous étiez étendue à son côté ?
Lorsque vous étiez
En ce monde,
Au printemps
Vous piquiez des fleurs dans vos cheveux
[...]
[28]

Le moine Manzei



[Ce poète qui vécut au début du mile siècle avait été un fonctionnaire d'un rang assez élevé. Il se fit moine en 721.]




A quoi comparer
Notre vie en ce monde ?
A la barque partie
De bon matin
Et qui ne laisse pas de sillage.
(Man. III; 351.)
[32]


§



[Dialogue de deux pauvres]

[LE PREMIER PAUVRE]

Dans la nuit où la pluie tombe
Mêlée au vent,
Dans la nuit où la neige tombe
Mêlée à la pluie,
Il fait un froid
Contre lequel on ne peut rien.
Je mâche à petits coups
Un morceau de sel dur
Je bois à petites gorgées
De la lie de saké dans l'eau tiède.
Tout en soufflant
Et reniflant
Je caresse une barbe
Rare.
Je puis bien me vanter
Qu'en dehors de moi
Il n'est homme qui vaille...
Mais il fait si froid
Que je tire sur ma tête
Ma couverture de chanvre.
J'y ajoute
Autant que j'en possède
Mes vêtements de toile sans manches.
Mais la nuit est vraiment froide...
De ceux plus pauvres encore
Que je ne suis
Le père et la mère
Sans doute ont faim et se gèlent.
La femme et les enfants
Sans doute gémissent d'une faible voix.
En pareille circonstance
Comment t'y prends-tu
Pour mener ta vie ?
[...][49]§


Anonymes VIIIe siècle

Faisant le tour de l’île,
Une fleur j'ai vue sur le rivage,
Même si le vent souffle,
Si la vague me menace,
Avant de l'avoir cueillie je n'aurai de cesse.
(Man. VII; 1117.)
[62]

 § 

Owarida no Hiromimi

Personnage dont la biographie est obscure.

Peut-être s'agit-il d'un homme qui fut gouverneur

d'Owari en 741 et de Sanuki en 743.



Dans la nuit où solitaire
Je songe avec mélancolie
Le coucou
Passe en criant,
Il semble qu'il ait lui aussi un coeur.
(Man. VIII; 1475.)
[65]

§

Anonymes VIIIe siècle


 
Pour rentrer au port,
Ma barque, fendant les roseaux
Rencontre maints obstacles
Mais, d'arriver bientôt à vous
Ne croyez pas qu'ils m'empêcheront I
(Man. XII; 2998.)
[79]

§



A Mi Yoshino
Dans le fracas des cascades
Tombent les vagues blanches
Ah qu'à mon aimée
Demeurée à la maison
Montrer voudrais ces blanches vagues !
(Man. XII; 3233.)
[79]

§


Sur le rivage de Nagato
(Qui évoque un écheveau suspendu
A la corbeille
D'une fille*)
Dans le calme du matin
Monte la marée,
Dans le calme du soir
Accourent les vagues.
Comme le flot
Qui ne cesse de monter
Comme les vagues
Qui gagnent, gagnent,
Rempli d'amour pour ma mie
Je m'approche.
Sur la plage rocheuse
De la mer d'Alto,
Ramassant des algues,
Les pêcheuses
Ont à leur cou
Des foulards qui brillent au soleil.
[...]
[79]

*jeu de mot en japonais

§



Notre corps est une poussière
Qui sans demeure fixe
S'en va dans le vent.
Quelle direction prendra-t-il ?
Il ne paraît pas le savoir.
(Kok. XVIII; 989.)
[113]

§

Fujiwara no Toshiyuki

(Mort en 907)

La blanche rosée
N'a qu'une couleur ;
Comment
Teint-elle de mille nuances
Les feuilles d'automne ?
(Kok. V; 257.)
[I29]

§

Ôe no Chisato

Actif dans les dernières années du IXe siècle et les premières années du Xe, il avait beaucoup subi l'influence de la poésie chinoise.

N'était le chant
Que lance dans la vallée
Le rossignol,
Qui donc saurait
Que le printemps est arrivé ?
(Kok. I; 14.)

§


Plus vite qu'on ne voit Se disperser sous le vent
Les feuilles d'érable Passe, éphémère,
La vie de l'homme.
(Kok. XVI; 859.)
[132]

§


Ariwara no Motokata



Fils de Munehari et petit-fils de Nariltira.

Actif dans let dernières années du IXe siècle et au début du Xe.



L'année courait encore
Que le printemps est venu.
De cette année
Faut-il dire : l'an passé ?
Faut-il dire : l'an nouveau ?
(Kok. I; 1.)

Au printemps le brouillard s'élève
Sur la montagne
Lointaine
Mais le vent qui en souffle
Apporte le parfum de ses fleurs.
(Kok. II; 103.)
[138]

§

Ikago no Aisuyuki

Adressé à un ami qui partait pour les provinces de l'Est :


A mon grand regret
Je ne puis me partager en deux
Mais, invisible,
Mon coeur vous suivra
En tous lieux.
(Kok. VIII; 373)
[147]

§

Fujiwara no Sadayori

993-1045, Fils de KINTÔ

[Paysage à l'aube]

Au point du jour
Sur la rivière d'Uji le brouillard
Peu à peu se déchire
Et découvre les pieux
Des claies de pêche sur les bas-fonds.
(Senzaishû VI; 419.)
[163]

§


Le ministre Fujiwara no Norikane

(Mort en 1165)

Avant le jour
J'ai été réveillé sur ma couche
Par un bruit.
C'était la clôture de bambou
Qui se brisait sous le poids de la neige.
(Shin Kok. VI; 667.)
[170]

§	

Fujiwara no Ariie

(1155-1216)

[Hiver]


Je ne t'oublierai pas ! 
M'avait-elle assuré
En me disant adieu, pourtant 
Depuis cette nuit-là, seule la lune 
Suivant son cours, est revenue.
(Shin Kok. XIV ; 1277.)
[182]

§

Fujiwara no Masaisuite

(Mort en 1221 A l’âge de 52 ans)



Sur les montagnes de Yoshino*
Souffle le vent d'automne,
La nuit s'avance.
Dans le vieux village** il fait froid,
On entend le bruit des battoirs sur les étoffes***.
(Shin Kok. V; 483.)

*Yoshino avait été résidence impériale.

**Expression convenue pour désigner le village natal ou un lieu où l'on a longtemps vécu et, ici, par extension, le lieu de l'ancienne résidence impériale.

***On bat les étoffes avec des maillets sur des billots pour les assouplir.

	§

Fujiwara no Nariklyo

(Fin du XIIe, Début du XIIIe Siècle)

[Éloge de la lune]


Après avoir avec peine
Émergé de la montagne
Pour luire entre les pins
Elle doit faire de grands efforts
La lune de l'aube.
(Shin Kok. XVI; 1520 ou 1522.)
[192]

§
	

Arakida Moritake

(1473-1549)



Tombée de la branche
Une fleur y est retournée :
C'était un papillon!
(Miyamori, 3.)
[218]

§

Matsuo Bashô (1644-1694)




La cascade est limpide. 
Dans les vagues immaculées 
Luit la lune d'été.

§




Réveille-toi, réveille-toi,
Tu seras mon ami,
Papillon qui dors.
(Bashô kushû, 80.)
[222]

§

Matsunaga Teitoku

(1571-1653)

Quand elle fond, 
La glace avec l'eau 
Se raccommode.
(Miyamori, 7.)

§


Sugiyama Sampii

(1647-1732)



Ses enfants vont l'attendre,
Tant l'alouette
Monte haut!
(Kinze haiku shû, 436; Miyamori, 223.)

§

J'y suis résolu :
Je vais de ce pas m'enrhumer
Pour voir la neige.
(Miyamori, 225.)

§

Le moine Ryôkan

(1757-1831)



Le voleur
M'a tout emporté, sauf
La lune qui était à ma fenêtre,
(Miyamori, 632.)


§§



Poems From Korea (P.H.Lee 1974)




Hyegun

[1320-1376]

En ouverture à l’anthologie anglaise « Poems from Korea » infra . Source : « Koreana », hiver 1997.



Le monde n’est pas notre oeuvre :
Inutile d’en chercher la raison.
Il n’est de vérité qu’en moi, que dans mon coeur.
Quand j’ai soif, je prépare du thé,
Quand la fatigue me prend,
Je me réfugie dans le sommeil.

§



POEMS FROM KOREA

FROM THE EARLIEST ERA TO THE PRESENT

Compiled and translated by PETER H. LEE

London GEORGE ALLEN & UNWIN LTD

Ruskin House Museum Street

First published in Great Britain in 1974



Great Master Kyunyô

[917-973]

The contents of the poems are as follows: 1) the worship and venera-tion of Buddha; 2) the praise of Tathâgata; 3) the search for and offer-ings to Buddha; 4) repentance of sins and retribution in this life for the sins of a previous existence; 5) rejoicing in the welfare of others and in the reward of virtue; 6) the entreaty for the turning of the wheel of Law; 7) the entreaty for the coming of Buddha among the living; 8) the constant following of the way of Buddha; 9) the constant har-mony with the living; 10) dedication of one's merits for the salvation of all living beings; 11) conclusion.


ELEVEN DEVOTIONAL FORMS

1

I bow today before the Buddha,
Whom I draw with the mind's brush.
O this body and mind of mine,
Strive to reach the end of ends.

He who is in every atom, He
Who presides over the four corners, He 
Who overwhelms the world like the sea; 
Would that I could always serve Him.

Idle body, mouth, mind,
Approach Him, be with Him, unimpeded.
[43]

§

5

As water and ice are of the same staff, 
Illusion and enlightenment are one. 
Our Master defies both You and Me, 
He and we the living are one.

Were we able to study His merits,
Were we able to master His ways,
Then would we obliterate self and other-self,
Then rejoice in the bliss of others.

Were we to follow in His footsteps, 
How could the jealous mind be aroused ?
[44-45]

§



Anonymous

The "Song of the Gong" is an anonymous hymn which sings of an unbroken line of kings and prays that the lives of kings be coeval with heaven and earth. The poem offers a series of impossibilities, and then claims that if these are ever resoived, as the refrain states, then only—not before—do we part from the virtuous lord, our King.


SONG OF THE GONG

The King reigns; ring the gong.
In this age, calm and lucky,
Let us, let us live and love.

In a sand dune, fine and plain,
Let us plant roasted chestnuts, five pints. 
When the chestnuts shoot and sprout, 
Then we'll part from the virtuous lord.

Let us carve a lotus out of jade, 
And graft the lotus in the stone. 
When it blossoms in the coldest day, 
Then we'll part from the virtuous lord.

Let us make an iron suit of armor, 
Stitch the pleats with iron thread. 
When it has been worn and is spoilt, 
Then we'll part from the virtuous lord.


Let us make an iron ox, and put him
To graze among the iron trees.
When he has grazed all the iron grass, 
Then we'll part from the virtuous lord.

Were the pearls to fall on the rock,
Would the thread be broken?
If I parted from you for a thousand years, 
Would my heart be changed?
[59-60]
§

Wôn Ch'ôn-sôk

[c. 1401-1410]

He became a chinsa ("Doctor in Letters") in the early part of the four-teenth century, but soon left the capital and lived hidden in the country, because the royal court was upset with political upheavals toward the end of the Koryô dynasty.


Rise and fall is a destiny turning;
The palace site is overgrown with weeds.
Only a shepherd's innocent pipe
Echoes the royal works of five hundred years.
Stranger, keep back your tears
In the setting sun.
[71]

§

Hongnang

[…] In the autumn of 1573 she accompanied Ch'oe Kyông-ch'ang (15391583), a noted poet of the day, on his official mission to the north. When, in 1574, Ch'oe had to retum to the capital, she sent him the following poem of farewell.

I send you branches of the willow—
Plant them, my Lord, to be admired,
Outside your bedroom window.
Perhaps the night rain will make them bud:
Think, then, that it is I
Who have come to be with you.

§

Myôngok

They say dream visits
are "only a dream."
My longing to see him
is destroying me.

Where else
do I see him but in dreams?
Darling, corne to me
even if it be in dreams :
let me see you, let me
see you time and time again.

§

Chông Ch'ôl

[1537-1594]

Poet, politician, and musician, Chông became a chinsa in 1561. He had a turbulent political career and became Second State Counselor in the reign of King Sônjo. His lite was thorny due to party strife, and he had to suffer many exiles. He died on Kanghwa Island on Feb-ruary 7, 1594. The Pine River Anthology, a collection of his kasa and sijo, contains seventy-four shorter poems and five long poems. He was subtle in weaving words together and relied for effect on a cunning juxtaposition which "gave back a familiar word as new."


A dash of rain upon the delicate
Lotus leaves. But the leaves
Remain unmarked, no matter
How bard the raindrops beat.
Mind, be like the lotus leaves,
Unstained by the mad world.
[87, 90]
§

Chang Man

[1566-1629]

He was Commanding General of the Army in the time of King Injo, and subjugated the Jurchen. He also suppressed the rebellion of a gen-eral and won a victory in 1624. Only the following poem survives.


Scared by wind and storm, 
A boatman bought a horse. 
But he found the winding paths 
More tortuous than a heavy sea. 
"Henceforth, no ship, no horse, 
From now on I'll follow the plow."
[121]

§



Yun Sôn-do



[1587-1671]

Without exception, he is the greatest poet in the sijo form and also in the Korean language. A chinsa of 1612, he did not take office because of the unsavory political situation under Tyrant Kwanghaegun. In 1616, despite his father's advice, he sent in a memorial criticizing the maladministration of the corrupt minister. The script was intercepted, and as a result his father was robbed of his position as governor, and the poet was transported to Kyi5ngwôn. There he wrote his earliest poems.

This marked the beginning of his thorny and turbulent political life that consisted of exile, recall, and retreat. In 1623, upon enthrone-ment of King Injo, he was released. In 1628 he passed another exami-nation and was appointed Tutor to the Heir Apparent (later Hyo-jong, 1619-1650-1659).

[...]

The following series of poems, entitled "Dispelling Gloom," was written in Kyôngwôn during his first banishment. They are the earliest poems of his that we know; nevertheless, they sing with an

125

intensity of their own, and the native reader can anticipate in them the greatest Korean poetic genius. The young poet expresses his pure longing for the king and for his parents, and declares that his sins were nothing but expressions of his loyalty and love. In the poem, "After the Rain," the poet echoes a famous Chinese poem, tradition-ally attributed to Ch'ü Yüan, a loyal minister of the state of Ch'u who suffered the same predicament, in which a fisherman satirizes Ch'ü Yüan with the words : "When the Ts'ang-lang's waters are clear, I can wash my hat strings in them; when the Ts'ang-lang's waters are muddy, I can wash my feet in them." The meaning is that one should seek office at court when times are favorable and should retire when the times are troubled.


DISPELLING GLOOM

1618
Whether sad or joyful,
Whether right or wrong,
order and polish
Only my duty and the Way.
As for other matters,
I’ll not split hairs.

I know it: sometimes I've been
Absurd, sometimes I've
Missed the mark. A
Foolish mind, you say.
Yet I desired always
Only to honor thee, great King.
Beware
The slanderous tongues of
Fools with more cunning.
(...)
[126]

§


DEEP NIGHT

Close the brushwood door; winds are neighing.
Blow out the candies; night is deepening.
Let's prop on the pillows,
Let's sleep out the night.
Don't wake me until the sky
Is full of the dawn.

§

SONGS OF FIVE FRIENDS

How many friends have I? Count them: 
Water and stone, pine and bamboo—
The rising moon on the east mountain, 
Welcome, it too is my friend.
What need is there, I say,
To have more friends than five?

They say clouds are fine; I mean the color.
But, alas, they often darken.
They say winds are clear; I mean the sound.
But, alas, they often cease to blow.
It is only the water, then,
That is perpetual and good.
[129]

§



Ch'oe Nam-sôn

[1890-1957]

The greatest historian of modem day, Ch'oe edited Korean classics and standard histories of Korea. One of the thirty-three patriots, he signed the "Declaration of Independence," which he wrote himself. He is the pioneer of free verse in Korea.


FROM THE SEA TO CHILDREN
The sea—a soaring mountain—
Lashes and crushes mighty cliffs of rock. 
Those flimsy things, what are they to me? 
"Know ye my power?" The sea lashes 
Threateningly, it breaks, it crushes.


No fear assaults, no terror
Masters me. Earth's power and pride 
Are tedious toys to me. All that the earth Imagines mighty is to me no more
Than a mere feather floating by.


Who has not bowed his head
Before my sovereignty, let him tome forth.
Princes of earth, challenge me if you will.
First Emperor, Napoleon, are you my adversary?
Corne, corne then, compete with me.


Perched on a small hill or possessed 
Of an islet or a patch of land, 
Thinking that you alone reign supreme 
In that kingdom small as a grain, 
Approach me, coward, gaze on me.


Only the arching vault of sky, my kin,
Can equal me, only the vast sky,
Whose bright image my waters beat.
Free from sin, free from stain
It ignores earth's little multitudes.
[161]
§§

Le clodo du dharma (J.Pimpaneau 1975)



LE CLODO DU DHARMA

25 POEMES DE HAN- SHAN

présentés par Jacques PIMPANEAU

CALLIGRAPHIES DE LI KWOK-WING

UNIVERSITE PARIS VII

CENTRE DE PUBLICATION ASIE ORIENTALE

1975

[Exceptionnellement je donne la quasi intégralité de ce fascicule de grand format devenu introuvable - dont la variété des traductions mises côte à côte me fait regretter de n’avoir pas poursuivi au-delà d’une introduction à la langue chinoise classique]


Le clodo du dharma (par J. Pimpaneau)

Han-shan était un poète chinois qui vécut probablement au VIIe siècle. Son nom est associé au bouddhisme chan (zen en japonais). 311 poèmes lui sont attribués. Devenu un personnage de légende, souvent représenté dépenaillé et hilare en compagnie de son ami Shi-de, il fut en quelque sorte le hippy de son époque ; reconnu comme tel aujourd'hui il est devenu l'un des étendards d'une autre façon de vivre.


Arthur Waley, le grand traducteur anglais, l'introduit dans le monde anglo-saxon en publiant 27 de ses poèmes dans le numéro de septembre 1954 de la revue Encounter. Puis Gary Snyder, un des poètes de la « beat generation » qui avait étudié le chinois à Berkeley, s'intéressa à Han-shan après avoir vu une peinture japonaise dans une exposition. Il traduit 24 poèmes qui seront publiés dans le numéro d'août 1956 de la revue littéraire de San Francisco Evergreen Review (note:)1. Burton Watson, professeur à l'Université de Columbia, après avoir étudié les commentaires et les éditions japonaises, en particulier celle de Iriya Yoshitaka, donna cent poèmes en traduction anglaise dans un recueil intitulé Cold Mountain, 100 poems by the T'ang poet Han-shan. 2.


Jack Kerouac, qui a donné voix au hippy, libre, vagabond, à la recherche du monde des ailleurs, dégagé des objets et du train-train de la vie petite bourgeoise, consacra tout un livre, les Clodos du Dharma, 3, à son amitié avec Snyder, le traducteur de Han-shan ; il y montre Snyder, appelé ici Japhy, en train d'essayer plusieurs façons de traduire (pp. 18-21 de l'édition Panther Books). L'ouvrage tout entier est dédié à Han-shan, qui est aussi mentionné dans d'autres oeuvres de Kerouac, et c'est pour cela que le présent volume lui est en retour dédié.


Les ouvrages d'Alan Watts et de Suzuki ont intéressé au zen une bonne partie de « l'avant-garde » américaine. Cette rencontre n'était pas un hasard : hors de la mauvaise mayonnaise en boîte de la civilisation chrétienne et de la technologie industrielle il était inévitable que les enfants perdus de Wall-Street ou du Middle-West cherchent à retrouver une certaine liberté « naturelle », à tordre le cou à la logique et à son rendement pour échapper à ses limites. Le zen avait eu le même but. Et les hippies ont fait scandale comme Han-shan avait pu le faire à son époque. Fous d'une sainteté qui se passe de toute théologie, solitaires, étrangers au monde, Han-shan et son compagnon Shi-de rejoignent à des siècles de distance certains héros de Kerouac ou de Hermann Hesse. [7]


Mais qui était Han-shan ? Personne peut-être, simplement un recueil de poèmes ayant une même inspiration, mais datant d'époques différentes 4. Wu Chi-yu croit l'avoir identifié : il s'agirait du bonze Zhi-yan qui, avant sa conversion, était officier dans l'armée du fondateur de la dynastie Tang, Li Shi-min 5. Mais Han-shan semble résister aux historiens et préférer rester un personnage mystérieux sur qui l'imagination peut vagabonder.


Han-shan signifie Montagne-Froide ; il s'agit d'une des montagnes de la chaîne du Tian-tai, située sur la côte sud-est de la Chine, dans la province du Zhejiang, au sud de Hangzhou. Il prit le nom de la montagne où il s'était installé un ermitage. Il fréquentait le monastère voisin, où son ami Shi-de travaillait aux cuisines et lui gardait les restes. Au cours de ses visites, il déambulait dans les couloirs en criant et en riant tout seul. Quand les bonzes se moquaient de lui, il battait des mains et partait de grands éclats de rire. Habillé de haillons avec un chapeau en écorce et des sandales à semelle de bois, il allait bavarder avec les gardiens de buffles dans les champs. Un jour, un fonctionnaire vint lui rendre visite, car un bonze assez original lui avait signalé Han-shan et son ami Shi-de en disant qu'ils étaient les réincarnations de deux bodhisattvas, Manjusri et Samantabhadra : « Quand vous le voyez, vous ne le reconnaissez pas, quand vous le reconnaissez, vous ne le voyez pas. Si vous voulez le voir, vous ne pouvez vous fier aux apparences. Alors vous pouvez le voir. » Mais Han-shan et Shi-de se sauvèrent à son arrivée et traitèrent de voleurs les serviteurs envoyés à leur suite pour leur apporter des cadeaux. Ce fonctionnaire eut la bonne idée de faire réunir les poèmes inscrits sur des bambous, des arbres, des murs, des pierres, des falaises et d'en faire un volume. Telle serait l'origine de la poésie de Han-shan, si la préface du recueil n'est pas elle aussi une légende.


Deux anecdotes citées par Wu Chi-yu donnent le ton des histoires imaginées sur le personnage :


« Shi-de un jour balayait le sol quand l'abbé du monastère passant par-là l'interrogea :

« On vous appelle le Trouvé parce que Feng-gan vous a recueilli. Mais quel est votre vrai nom et où viviez-vous ? »

Shi-de posa son balai et resta les mains croisées. Quand l'abbé renouvela sa question, il reprit son balai et recommença à balayer. En voyant cela, Han-shan se battit la poitrine et répéta :

« Ciel ! Ciel ! »

— Pourquoi fais-tu cela ? demanda Shi-de surpris.

— Ne sais-tu pas, répondit-il, que quand un homme meurt dans la maison de l'est, les voisins de la maison de l'ouest doivent montrer leur sympathie en se lamentant ! »


Tous deux éclatèrent de rire, dansèrent, crièrent et s'en allèrent. »


La deuxième histoire raconte comment un maître zen ayant rencontré Han-shan et Shi-de leur dit ce qu'il pense d'eux :

« Il y a longtemps que j'ai entendu parler de vous, mais maintenant je m'aperçois que vous n'êtes rien d'autre que deux buffles. »

Alors Han-shan et Shi-de firent semblant de se battre comme deux buffles. Le maître leur cria après, et ils grincèrent des dents en réponse.


Un autre jour, ils demandèrent au maître ce qu'il venait de faire. Il répondit qu'il avait prié les cinq cents arhats. « Les cinq cents têtes de buffles », corrigèrent-ils aussitôt.

« Pourquoi cinq cents têtes de buffles ?

— Ciel ! s'écria Han-shan et le maître leur répondit par un grand rire. » [9]


Han-shan et Shi-de sont devenus des immortels du panthéon chinois ; et certains les identifièrent aux Deux Saints de l'Harmonie, que l'on représente sous les traits de deux garçonnets en train de jouer. Avec leur mine hilare et leur air dépenaillé, ils ont inspiré de nombreux peintres chinois et japonais, en particulier Liang Kai (mue siècle), dont le style est aussi libre que l'allure de ses personnages.


Pourtant en Chine même, Han-shan n'a jamais connu le succès qu'il a maintenant auprès de la jeunesse américaine. S'il est mentionné dans les Nouvelles Annales des Tang et s'il fut apprécié jusqu'au XIe siècle, il fut pratiquement ignoré du mie au XVIIe siècle. Il figure dans deux grandes compilations littéraires du XVIIIe siècle, les Poèmes complets des Tang (1707) et Tous les livres des Quatre Réserves (1782). Entre les deux guerres mondiales, il y eut un court regain d'intérêt en sa faveur : Hu Shi le mentionne parmi les trois poètes du début de l'époque Tang qui ont utilisé la langue parlée vulgaire, et ses oeuvres ont été republiées en 1929 (note:) 6.


Par contre au Japon, où la poésie religieuse, surtout d'inspiration zen a eu une importance inconnue en, Chine, les oeuvres de Han-shan ont été périodiquement rééditées. La Bibliothèque impériale conserve la plus ancienne édition connue de ses poèmes, datée de 1189. Le romancier Mori Ogai, qui fut un des artisans de la littérature japonaise moderne, a écrit une de ses meilleures nouvelles sur la vie de Han-shan


Pour un Occidental, Han-shan introduit les paysages chinois et avec eux une vision nouvelle sur l'univers comme une autre façon de vivre. La culture qui le nourrit est différente, mais il en fut assez indépendant pour ne pas nous être étranger. Il a inventé une pensée qui échappe à la logique, aux règles, et il a poursuivi cette recherche jusqu'à ses limites. La philosophie taoïste de Lao-zi et Zhuang-zi aussi bien que le bouddhisme zen ne lui ont été qu'une aide, comme la drogue ou l'alcool peuvent l'être pour d'autres. Il n'a jamais accepté d'être bonze ou de se soumettre à la cloche du monastère. Fou de liberté, il a entamé un travail intérieur dans la solitude sans se laisser tenter par les ornières des religions ou des philosophies établies. Il a voulu se dégager jusqu'au bout du monde ou, pour reprendre son expression bouddhiste, de la poussière rouge.


Avec lui la poésie reprend alors son sens. Ce n'est plus un exercice esthétique, mais le seul langage assez dégagé de la logique pour donner un équivalent de ce que la raison ne peut atteindre. L'objectif et le subjectif ne font enfin plus qu'un : Montagne-Froide c'est en même temps son nom et celui de la montagne où il vivait ; « assis » c'est à la fois le terme bouddhiste pour indiquer l'état de méditation et l'action physique de s'asseoir ; le paysage c'est aussi la pensée ; et la prosodie comme les images, malgré leurs limitations essaient d'exprimer cette union du moi et de l'univers.


Li Kwok-wing est un calligraphe qui vit à Hong Kong, où il est né en 1929 ; il y enseigne la peinture au Grantham College of Education. Héritier d'une extraordinaire collection de peintures anciennes et modernes réunie depuis trois générations, il a commencé par s'intéresser aux techniques picturales occidentales, en particulier à la peinture à l'huile. Il a fait ainsi une première série de tableaux, dont la poésie et l'imagination auraient pu en faire de merveilleuses illustrations de livres pour enfants. Ils ont été exposés à Londres en 1959, à l'Institut d'Art Contemporain et tous vendus. Frappé par ce succès, Li Kwok-wing a décidé de refuser la facilité et de ne plus jamais refaire de peintures occidentales. Depuis il se consacre entièrement à la calligraphie chinoise. Là les règles sont trop strictes, l'ascèse trop nécessaire pour permettre des effets. Les vingt-cinq calligraphies présentées ici montrent les différents styles « d'écriture », mais elles ont une unité fondamentale puisqu'il s'agit à chaque fois d'un poème de Han-shan.

[… suite omise ] Juin 1974 J. P.


(Notes:) 1 à 6

1. La traduction de Snyder est reprise dans Riprap and Cold Mountain, San Francisco, Four Season Foundation, 1965, & Londres, Mandarin Books ; et dans Anthology of Chinese Literature, edited by Cyril Birch, Grove Press, New York, 1965, & Penguin Classics, Londres, 1967, pp. 211-220.

2. Grove Press, New York, 1962.

3. The Dharma Bums, André Deutsch, Londres, 1959, Panther Books, Londres, 1972 ; traduction française : les Clochards célestes, N. R. F., Paris 1963.

4. Communication du Professeur Pulleyblank au Congrès des Orientalistes de juillet 1973

5. Wu Chi-yu, « A study of Han-shan », T'oung Pao, vol. 45, Livres 4-5, 1957, pp. 392450. Article où sont réunies de nombreuses légendes sur Han-shan et la traduction d'un choix de

poèmes.

6. Références dans : Zhong Ling, « la Position de Han-shan dans le monde littéraire oriental et occidental », préface en chinois à une édition de la traduction de B. Waston avec texte chinois, Taipei.

7. Œuvres complètes de la littérature japonaise moderne, vol. 7, p. 259.


[Cette introduction avec notes est suivie d’un choix de poèmes:]




« A thatched hut... / Une chaumière… »

B. Watson

A thatched hut is a home for a country man;

Horse or cardage seldom pass my gate:

Forests so still all the birds corne to roost

Broad valley streams always full of fish.

I pick wild fruit in hand with my child,

Till the hillside fields with my wife.

And in my house what do I have ?

Only a bed piled high with books.


Wu Chi yu

Country-folk in thatched cottages,

Before the door carnages and horses are rarely seen.

Birds seem to like to gather in gloomy woods;

Fish choose a wild stream in which to hide.

I bring my children to pluck the fruit of the mountain.

I plough the high fields with my wife.

What do I have at home

Except a mere couchful of books.


A. Waley

I have thatched my rafters and a peasant hut ;

Horse and carnage seldom come to my gate-

Deep in the woods where birds love to forgather,

By a broad stream, the home of many fish.

The mountain fruits child in hand I pluck;

My paddy field along with my wife I hoe.

And what have I got inside my house?

Nothing at ail but one stand of books.


B. Chin

Chaumière de gens de campagne

Charettes et chevaux passent rarement devant ma porte

Bois serein où les oiseaux aiment se rassembler

Large torrent où les poissons vont se cacher

Fruits de la montagne qu'avec mon fils je cueille

Champs qu'avec ma femme je laboure

Et qu'y a-t-il dans ma maison ?

Sinon un simple lit couvert de livres.

J. Chiffert

Une chaumière pour tout gîte

Des équipages, peu s'y risquent

Le bois est calme, les oiseaux y nichent

La rivière large, les poissons s'y cachent

Ces fruits sauvages, mon fils et moi nous les cueillons

Sur les hauteurs, ma femme et moi nous travaillons

Ma maison, qu'y trouve-t-on'?

Sinon des livres pour tout lit.


§ 



« Riding my horse… / Je pousse mon cheval... »

Wu Chi-yu

Riding my horse by a ruined town,

was touched by its vanished past.

High and low are the parapets,

Large and small are the ancient graves.

The drifting shadow belongs to a solitary pêng

Long moans come from the graveyard trees.

It is a pity that our flesh is too mundane

To be immortalized as in the Taoist annals.


B. Watson

I spur my horse past the ruined city;

The ruined city, that wakes the traveller's thoughts:

Ancient battlements, high and low;

Old grave mounds, great and small.

Where the shadow of a single tumbleweed trembles

And the voice of the great trees cling forever,

sigh over all these common bones-

No roll of the immortals bears their names.


G. Snyder

I spur my horse through the wrecked town,

The wrecked town sinks my spirit.

High, low, old parapet-walls

Big, small, the aging tombs.

I waggle my shadow, all alone;

Not even the crack of a shrinking coffin is heard.

I pity all these ordinary bones,

In the books of the immortals they are nameless.


D. Roussel

Je pousse mon cheval dans la ville morte

Et la ville morte m'invite à rêver.

Dans le dédale des créneaux emmêlés,

Vieux mausolées, modestes tombes,

Une ombre, solitaire et fugitive, passe.

Le vieil arbre pousse sa plainte lugubre

Et je me mets à penser à ces os,

Legs pourrissant des temps oubliés.


M.-C. Pilière

Au galop mon cheval passe la ville morte,

La ville morte en moi suscite mille songes

Droits, effondrés, murs d'une ancienne place forte

Fières, humbles tombes, le temps des cimetières vous ronge

Seule la pâle ombre d'une ronce s'agite

La plainte des vieux bois se fige pour toujours

Face aux communs sépulcres, je soupire et médite

Livre des immortels à leur nom tu es sourd.


§



« I climb the road… / Je grimpe le sentier... »

B. Watson

I climb the road to Cold Mountain,

The road to Cold Mountain that never ends.

The valleys are long and strewn with stones;

The streams broad and baked with thick grass.

The moss is slippery, though no rain has fallen ;

Pines sigh, but it is not the wind.

Who can break from the snares of the world

And sit with me among the white clouds?


G. Snyder

Clambering up the Cold Mountain path,

The Cold Mountain trail goes on and on:

The long gorge choked with scree and boulders,

The wide creek, the mist-blurred grass.

The moss is slippery, though there's been no rain

The pine sings, but there's no wind.

Who can leap the world ties

And sit with me among the white clouds?


A. Waley

I make my way up the Cold Mountain path;

The way up seems never to end.

The valley so long and the ground so stony;

The stream so broad and the bush so tangled and thick.

The moss is slippery, rain or no rain;

The pine-trees sing even when no wind blows.

Who can bring himself to transcend the bonds of the world

And sit with me among the white clouds?


F. Combrisson

Je grimpe le sentier qui me mène à Han-shan,

Le chemin de Han-shan qui jamais ne finit,

Les longues gorges pleines de rochers et de pierres,

Où les bords des torrents sont couverts d'herbe grasse.

La mousse est très glissante : il n'a pas plu pourtant.

Les longs pins soupirent : pas un souffle de vent.

Qui voudraient bien du monde arracher tous ses liens

Pour s'asseoir près de moi dans les nuages blancs ?


C. Illouz et P. Octo

Grimpant le chemin de Han-shan

Le chemin infini de Han-shan

Les longues vallées jonchées d'éboulis

Les larges torrents voilés par les herbes

La mousse glissante sans qu'il ait plu

Les pins sussurant sans que le vent souffle

Qui saura se défaire des rêts de ce monde

Et s'asseoir avec moi sur le nuage blanc

§



Chansons de Cat Stevens.

It's so quiet in the ruins walking through the old town

Stones crumbling under my feet I see smoke for miles around

Oh it's enough to make you weep, all that remains of the main street

Up in the park on Sunday, dogs chasing and the children played

Old man with his head down, can't see nothing more around; no

Ah But it's all changed winter turned on man

Came down one day when no-one was looking and it

Stole away the land, people running scared, losing hands

Dodging shadows of falling land, buildings standing like empty shells.

...You came back here to find your home is a black horizon

That you don't recognize, evil destruction has taken everything

You'd better walk on the side while you're still walking

Just keep on walking on down the street, keep your distance

From the people you meet…


Blue bird on a rock, slow wind blowing soft

Across the base face of the sleeping lake

Rise up and be free, voice whispered to me

And in this way you will awake


Go climb up on a hill, stand perfectly still

And silently soak up the day

Don't rush and don't you roam, don't feel so alone

And in this way you will awake


Miles from nowhere, guess I will take my time,

oh yeah, to reach there. Look up at the

mountain I have to climb, oh yeah, to reach there.

Lord my body has been a good friend, but I won't

need it when I reach the end. Miles from nowhere,

guess I will take my time, oh yeah, to reach there.

I creep through the valleys, and I grope

through the woods, 'cause I know when I find it,

my honey, it's gonna make me feel good. Yes, 1

love everything, so don't it make you feel sad,

‘cause I'll drink to you, my baby

think to that, I'll think to that.

Miles from nowhere, not a soul in sight,

oh yeah, but it's allright. I have my freedom,

I can make my own rules, oh yeah, the ones that I choose.

Lord my body has been a good friend,

but I won't need it when I reach the end.

I love everything, so don't it make you feel sad,

'cause I'll drink to you my baby. I think to that,

yes I'll think to that, I'll think to that.

Miles from nowhere, guess I’ll take my time,

oh yeah, to reach there.




Han-shan, Li kwok-wing Vingt-cinq poèmes à traduire

[allégé des caractères chinois !]


« Je désirais obtenir un endroit… »

[Mot à mot suivi de la traduction proposée:]


Désirer obtenir tranquille corps endroit

Froide montagne pouvoir longtemps garder

Léger vent souffler retirés pins

Proche entendre son encore-plus bon

Dessous y-avoir grisonnant homme

Marmonner lire Huang Lao

Dix ans revenir ne-pas obtenir

Oublier venir moment voie


Je désirais obtenir un endroit pour reposer mon 							corps	
Froide Montagne peut vous garder longtemps		
Un léger vent souffle dans les pins retirés		
Quand on l'écoute de près le son est encore 						meilleur		
Dessous il y a un homme aux cheveux grisonnants		
Qui en marmonnant lit le Livre de l'Empereur 						Jaune et celui de						Lao-zi		
Au bout de dix ans je ne peux plus revenir		
J'ai oublié le chemin de quand je suis venu.	


§

« Mon coeur est comme la lune d’automne... »

Moi cœur semblable-à automne lune

Vert lac brillant immaculé pur

Ne-pas-y-avoir être pouvoir comparaison

Enseigner moi comment dire


Mon coeur est comme la lune d'automne
Brillant pur et immaculé sur un lac jaspé
Rien ne peut servir d'objet de comparaison
Enseignez-moi comment le dire.

[20]

§

« Avançant à cheval... »

Avancer cheval traverser à-l'abandon ville

A-l'abandon ville émouvoir visiteur sentiments

Haut bas anciens créneaux

Grand petit vieux tombés

De-lui-même s'agiter solitaire conysa ombres

Longtemps se-solidifier bois-de-cimetière son

Ce-sur-quoi soupirer tous communs ossements

Immortels histoire encore-plus ne-pas-avoir nom.


Avançant à cheval, je traverse la ville 							abandonnée
La ville abandonnée émeut les sentiments du 						visiteur
Les anciens créneaux hauts et bas
Les vieilles tombes grandes et petites
D'elle-même s'agite l'ombre du conysa solitaire
Depuis longtemps s'est solidifié le son des 						arbres du cimetière
Ce sur quoi je soupire ce sont tous les ossements 					communs
Les histoires des immortels n'ont pas leur nom.

[22]

§

« La voie de Montagne Froide... »

Risible froide montagne voie

Et ne-pas-avoir chars chevaux empreintes

Reliés torrents difficile retenir méandres

Accumulés pics ne-pas savoir succession

Pleurer rosée mille sortes herbes

Murmurer vent une-seule espèce pins

Ce moment égare sentier endroit

Forme interroger ombre quoi à-partir-de

La voie de Montagne Froide est risible
Et il n'y a pas trace de chars ou chevaux
Les torrents reliés entre eux il est difficile de retenir leurs méandres
Les pics accumulés on ne sait pas combien de fois répétés
La rosée qui pleure sur mille sortes de plantes
Le vent qui murmure dans les pins à l'unisson
En ce moment quelque part ayant perdu le sentier
Ma forme interroge mon  ombre : à partir d'où ?


§


« Personnellement je prends plaisir... »

Soi-même prendre-plaisir-à ordinaire vie voie

Brume armoise pierres grottes parmi

Sauvage sentiments beaucoup relâche large

Longtemps compagnon blancs nuages oisif

Y-avoir route ne-pas communiquer monde

Ne-pas-avoir coeur qui pouvoir attirer

Pierre lit solitaire nuit être-assis

Ronde lune monter froide montagne


Personnellement je prends plaisir à la voie d’une vie ordinaire
Parmi l'armoise dans la brume et les grottes pierreuses
Mes sentiments sauvages ô combien spontanés et à l’aise
Avec longtemps comme compagnons les blancs nuages oisifs
Il y a des routes mais elles ne communiquent pas avec le monde
Sans passion qui pourrait m'attirer
Sur un lit de pierres solitaire dam la nuit je suis assis
La lune ronde monte sur la Montagne Froide.


§

« Désoeuvré j'ai rendu visite... »

Désoeuvré moi-même rendre-visite-à élevé bonze

Brume montagne dix-mille dix-mille couches

Maître en-personne montrer retour chemin

Lune être-suspendue une roue lanterne


Désoeuvré j'ai rendu visite à un bonze éminent
La brume et les montagnes se succédaient en milliers de couches
Le maître en personne m'a montré le chemin du retour :
Une lune était suspendue, lanterne comme une 						roue.

[28]


§

« Aujourd'hui devant une falaise assis »

Aujourd'hui falaise devant être-assis

Etre-assis longtemps brume nuages se-retirer

Une-seule voie clair cours-d'eau froid

Mille toises verts-de-jade monts têtes

Blancs nuages matin ombres tranquilles

Brillante lune nuit lumière flotter

Corps sur sans poussière saleté

Coeur milieu comment plus soucis


Aujourd'hui devant une falaise assis
Après être assis longtemps brume et nuages se retirent
Une seule voie : le cours d'eau clair froid
A mille toises les sommets des monts verts
Les ombres matinales des nuages blancs sont calmes
La lumière nocturne de la lune brillante flotte
Sur mon corps il n'y a ni poussière ni saleté
Au milieu de mon corps comment y aurait-il encore des soucis ?
(Au milieu de mon corps comment y a-t-il encore des soucis !)

[30]


§

« Montagne Froide ô combien retirée et étrange »

Froide montagne nombreux retiré étrange

Ascensionner ceux-qui tous souvent avoir-peur

Lune éclairer eau claire-et-translucide

Vent souffler herbes bruit-du-vent

Fâné prunus neige faire fleurs

Dénudé bois nuages servir-de feuilles

Rencontrer pluie tourner frais animé

Ne-pas-être temps-clair ne-pas pouvoir traverser


Montagne Froide ô combien retirée et étrange
Tous ceux qui l'ascensionnent ont souvent peur
Quand la lune éclaire l'eau devient claire et translucide
Quand le vent souffle les herbes font un bruissement
Sur les prunus fanés la neige forme des fleurs
Dans les branchages dénudés les nuages servent de feuilles
Mais quand survient la pluie cela devient frais et animé
S'il ne fait pas beau on ne peut pas traverser

[32]

§


« Sous toit de chaume... »



Chaume poutre-faîtière sauvage homme habiter

Porte devant chars chevaux rares

Forêt retiré écarté se-rassembler oiseaux

Cours-d'eau-de-Montagne large fond se-cacher poissons

Montagne fruits emmener fils ramasser

Champ surélevé ensemble femme biner

Famille milieu quel il-y-a

Seulement avoir un lit livres


Sous toit de chaume homme de la campagne habiter
Devant la porte chars et chevaux rares
Dans la forêt retirée dans un coin se rassemblent les oiseaux
Dans cours d'eau larges au fond se cachent les poissons
Les fruits de la montagne emmenant mon fils je cueille
Les champs en terrasse en compagnie de ma femme je bine
Dans mon foyer qu'y a-t-il ?
Seulement il y a un lit de livres.

[34]

§

« Parmi mille nuages et dix-mille eaux »

Mille nuages dix-mille eaux parmi

Milieu y-avoir un oisif personnage

De jour se-promener vertes montagnes

Nuit revenir falaise sous dormir

Rapidement passer printemps automnes

Solitairement sans poussière impliqué

Joyeux ! quoi sur quoi s'appuyer

Calme comme automne fleuve eau



Parmi mille nuages et dix-mille eaux
Au milieu il y a un personnage oisif
En plein jour il se promène parmi les vertes montagnes
La nuit il revient sous la falaise dormir
Rapidement passent printemps et automnes
Solitairement sans liens avec le monde de poussière
Joyeux ! sur quoi m'appuyerais-ie ?
Je suis calme comme l'eau du fleuve à l'automne

[36]

§

« La vie humaine ne remplit pas cent ans »



Humaine vie ne-pas remplir cent

Souvent contenir mille années chagrin

Soi-même corps maladie commencer aller

De-nouveau à-cause-de fils petit-fils se-faire-du-souci

En-bas contempler céréale racine terre

En-haut regarder mûrier arbre sommet

Balance tomber orientale mer

Arriver fond commencer savoir se-reposer



La vie humaine ne remplit pas cent ans
Souvent elle contient mille années de chagrin
Quand la maladie de son propre corps commence à aller mieux
De nouveau à cause de son fils ou petit-fils on se fait du souci
On baisse les yeux vers la terre (où poussent) les racines des céréales
On lève le regard vers le sommet des arbres de mûrier
Quand la balance tombera dans la Mer de Chine
Et arrivera au fond vous commencerez à savoir vous reposer.

[38]

§

« Ai-je un corps ou n'en ai-je pas »



Avoir corps et ne-pas-avoir corps

Etre moi de-nouveau ne-pas-être moi

Ainsi interroger pensée compter

S'écouler-doucement appuyé-contre falaise assis

Pieds parmi vertes herbes pousser

Sommet-de-la-tête sur rouge poussière tomber

Déjà voir commun au-milieu-de hommes

Lit-de-mort déposer vin fruits


Ai-je un corps ou n'en ai-je pas
Suis-je moi ou ne suis-je pas moi
Ainsi ma pensée qui s'interroge suppute
Le temps s'écoule doucement et je reste assis appuyé à la falaise
Entre mes pieds les herbes vertes poussent
Sur le sommet de ma tête la poussière rouge tombe
J’ai déjà vu des hommes parmi le vulgaire
Sur mon lit de mort déposer offrandes de vin et 	de fruits.

[40]

§

« Je me souviens des endroits... »



Se-souvenir autrefois rencontrer endroits

Hommes parmi successivement célèbres parcourir

Prendre-plaisir-à montagnes ascensionner dix-mille toises

Aimer eau flotter mille bateaux

Accompagner invités luth vallée

Tenir cythare perroquets île

Comment savoir pin arbre sous

Enlacer genoux froid bruit-du-vent-cinglant



Je me souviens des endroits que j'ai rencontrés 	autrefois
Parmi les humains j'ai successivement parcouru les lieux célèbres
Prenant plaisir aux montagnes j'ai escaladé dix-	mille toises
Aimant l'eau j'ai flotté sur mille bateaux
J'ai accompagné des visiteurs à la vallée du Luth
Je tenais ma cythare à l'île des Perroquets
Comment aurais-je su que sous un pin
En enlaçant mes genoux j'aurais froid dans le vent cinglant.

[42]

§

« Les hommes de notre époque cherchent la route des nuages »



Moment hommes chercher nuages route

Nuages routes sans-ombre-ni-son sans trace

Montagnes hautes beaucoup dangereuses escarpées

Vallées larges peu-nombreux bruit-de-métal-ou-de-jade

Verts pics devant en-outre derrière

Blancs nuages ouest de-nouveau est

Désirer savoir nuages route endroit

Nuages route être-dans vide


Les hommes de notre époque cherchent la route des nuages 
La route des nuages est sombre et silencieuse sans trace
Les hautes montagnes sont ô combien dangereusses et escarpées Dans les larges vallées rares sont les tintements
Les verts pics sont devant comme derrière
Les nuages blancs sont à l'ouest aussi bien qu'à l'est 
Désirez-vous savoir où se trouve la route des nuages
La route des nuages est située dans le vide

Souvent les hommes cherchent le chemin des nuages
Le chemin des nuages est vaste profond sans traces
les montagnes sont hautes et ont beaucoup d’escarpements 	dangereux
[…]
Si cous désirez connaître la vacuité du chemin des nuages
le chemin des nuages se trouve dans cette vacuité même.
[ma transcription au crayon de ce poème préféré]


[44]






§

« Les foyers à la campagne évitent... »



Champ famille éviter canicule mois

Boisseau vin ensemble qui prendre-plaisir

De toutes sortes et mélangés être-disposé montagne fruits

Séparés-les-uns-des-autres entourer vin récipient

Roseaux prendre remplacer natte

Bananier feuilles momentanément servir-de assiette

ivre après soutenir joue être-assis

Sumeru petit arquebuse boulette



Les foyers à la campagne évitent le mois caniculaire
(J'ai) un boisseau de vin, avec qui en profiterai-je ?
Des fruits de montagne de toutes sortes j'ai disposées
Les uns à côté des autres des tasses à alcool j'ai alignées
Des roseaux j'ai pris pour remplacer la natte
Et des feuilles de bananier pour remplacer momentanément les 	assiettes
Après l'ivresse en soutenant mes joues je suis assis
Le mont Suméru est plus petit qu'une balle d'arquebuse.

[46]


« La vie humaine est située dans le trouble… »

§

Humaine vie être-dans poussière trouble

Juste comme cuvette milieu insecte

Toute-la-journée avancer tourner tourner

Ne-pas quitter sa cuvette milieu

Immortels ne-pas pouvoir obtenir

Soucis plans sans épuisé

Années mois comme courante eau

En-un-instant être vieillard



La vie humaine est située dans le trouble de la poussière
Juste comme un insecte au milieu d'une cuvette
Toute la journée il avance en tournant en tournant
Il  ne quitte pas le milieu de la cuvette
Ses soucis et ses plans sont inépuisables
Tandis que années et mois sont comme l'eau courante
En un instant il devient un vieillard.

[48]

§

« Vous regardez les fleurs... »

Vous regarder feuilles milieu fleurs

Pouvoir obtenir combien moments bon

Aujourd'hui jour craindre homme tirer

Demain matin attendre quelqu'un balayer

Qui-attire-la-sympathie charme éclat sentiments

Années beaucoup tourner devenir vieux

Prendre monde comparer à fleurs

Rouge couleur comment longtemps garder.



Vous regardez les fleurs au milieu des feuilles
Elles peuvent obtenir combien de temps bon
Aujourd'hui elles craignent qu'une personne les cueille
Demain matin elles attendront que quelqu'un les balaie
Attachants, les élans du coeur pleins de fraîcheur et de charme
Après plusieurs années se transforment en vieillesse
Si l'on compare le monde aux fleurs
L'éclat rouge comment longtemps le préserver. 

[50]


§

« Les fleurs de pêcher désirent passer l'été »



Pécher fleurs désirer passer été

Vent lune presser ne-pas attendre

Rendre-visite chercher Han époque homme

Pouvoir ne-pas-avoir un seul exister

Matin après matin fleurs mouvoir tomber

Année après année hommes se-déplacer changer

Aujourd'hui soulever poussière endroit

Autrefois époque être grande mer



Les fleurs de pêcher désirent passer l'été
Mais le vent et les lunaisons les pressent et n'attendent pas
Bien que vous cherchiez les hommes de l'époque Han
Il ne peut pas y en avoir un seul qui soit là
Matin après matin les fleurs se fanent et tombent
Année après année les hommes sont emportés et passent
Aujourd'hui à l'endroit où la poussière se soulève
A une époque antérieure c'était une grande mer

[52]


§

« Haut haut sur le sommet du mont »



Elevé élevé mont sommet sur

De-tous côtés considérer extrémité sans limite

Seul assis sans homme savoir

Solitaire lune éclairer froide source

Source milieu momentanément sans lune

Lune elle-même être-dans bleu ciel

Wurmurer ce un mélodie chant

Chant finalement ne-pas être zen



Haut haut sur le sommet du mont
De tous côtés je regarde l'extrémité sans limite 
Seul assis personne ne le sait
La lune solitaire éclaire le source froide
Au milieu de la source pour le moment il n'y a pas de lune 
La lune elle-même est dans le ciel bleu
Je récite en murmurant ce chant mélodique 
Ce chant finalement n'est pas zen.

[54]

§

« Depuis que je désirais aller vers la falaise de l'est »

	

Désirer vers est falaise aller

A aujourd'hui ne-pas-avoir compter années

Hier venir escalader plantes-grimpantes sur

Moitié route pénible vent brume

Chemin étroit habits difficile entrer

Mousse coller chaussures ne-pas complet

S'arrêter maintenant rouge cannelier sous

Pour-le-moment oreiller blancs nuages dormir



Depuis que je désirais aller vers la falaise de l'est
Jusqu'à aujourd'hui je n'ai pas compté les années
Hier je suis venu escaladant et m'aidant aux lianes
A mi-chemin le vent et la brume sont devenu pénibles
Dans le sentier étroit avec mes habits il était difficile d'entrer
La mousse collait et mes semelles de bois y restaient
le moment avec comme oreiller les nuages blancs je dors.

[56]

§

« J'ascensionne la voie de Montagne Froide »



Grimper froide montagne voie

Froide montagne route ne-pas épuisé

Torrents longs pierres accumulées

Cours-d'eau larges herbes gouttelettes

Mousse glissante ne-pas fermer pluie

Pins crier ne-pas utiliser vent

Qui pouvoir dépasser monde être-impliqué

Ensemble être-assis blancs nuages milieu



J'ascensionne la voie de Montagne Froide
La route de Montagne Froide n'a pas de fin
Dans les longs torrents les pierres accumulées
Au bord des rivières larges l'herbe couverte de gouttelettes
La mousse est glissante sans être enfermée dans la pluie
Les pins crient sans avoir besoin du vent
Qui peut dépasser les liens du monde
Et s'asseoir avec moi au milieu des nuages blancs

[58]

§

« Ma maison est située sous une verte falaise »



Maison être-situé verte falaise sous

Cour herbes-sauvages plus ne-pas désherber

Nouveau rotin suspendre entourer

Anciennes pierres se-dresser abruptes falaises

Montagne fruits singes cueillir

Bassin poissons blanc héron prendre-dans-son-bec

Immortels livres un deux volumes

Arbre sous lire marmonner



Ma maison est située sous une verte falaise
Les herbes folles de la cour ne sont plus désherbées
Le rotin nouveau se suspend et entoure
Les anciennes pierres des falaises abruptes se dressent
Les fruits de la montagne les singes les cueillent
Les poissons dans le bassin un héron blanc les prend dans son bec
Avec des livres sur les immortels un volume ou deux
Sous un arbre je lis en marmonnant.

[60]

§

« Etage sur étage de montagnes et d'eaux merveilleuses »



Couche (sur) couche montagnes eau saillant

Brouillard nuages-roses enfermer vert-irise fin

Vapeur-d'eau caresser gaze coiffe mouiller

Rosée humidifier cape de pluie en herbes

Pied piétiner pélerin chaussure

Main tenir vieux rotin branche

Encore contempler poussière monde extérieur

Rêve domaine de-nouveau quoi faire



Etage sur étage de montagnes et d'eaux merveilleuses
La brume et les nuages rosés du couchant enferment la finesse de 	leur vert-irisé
La vapeur d'eau caresse ma coiffe de gaze et la mouille
La rosée humidifie ma cape de pluie en végétaux
Mes pieds chaussent mes sandales à semelle de bois de pèlerin
Ma main tient une vieille branche de rotin
Je regarde encore le monde de poussière qui est au dehors
Mais le domaine du rêve que me ferait-il encore ?

[62]



« Par géomancie j'ai choisi un terrain retiré pour y habiter »



Les monts Tian-tai pas besoin d'en dire plus
Les singes crient torrents froids dans la brume
La couleur des monts se relie à ma porte en herbe
Je cueille des feuilles et recouvre ma pièce en bois de pin
Je creuse un bassin et y amène une source par un cours d'un
Déjà de bon coeur j'ai cessé toutes les choses du monde
Je cueille des fougères pour passer les années qui me restent


[64]

§

« Le langage des oiseaux... »



Oiseaux langage sentiments ne-pas pouvoir-supporter

Ce moment se-coucher herbe chaumière

Cerises rouges brillant et lumineux

Saules droits laineux

Levant soleil tenir-sa-bouche bleu-verts pics

Clairs nuages se-laver vert étang

Qui savoir sortir-de poussière commun

Avancer monter froide montagne sud



Le langage des oiseaux mes sentiments ne peuvent le supporter
En ce moment je suis couché dans ma hutte d'herbe
Les cerises sont d'un rouge brillant et lumineux
Les saules sont droits avec des chatons laineux
Le soleil levant est retenu entre les mâchoire des pics bleu-verts
Les nuages clairs se lavent dans les lacs verts
Qui sait que je suis sorti du monde de poussière
Et que je m'avance en montant le flanc sud de Montagne Froide ?

[66]

§§



Poèmes chinois d'avant la mort (Paul Demiéville 1984)



édités par Jean-Pierre Diény


Ouvrage publié avec le concours du Centre National des Lettres

L'Asiathèque

1984





Quatrième de couverture


Au cours de ses lectures, Paul Demiéville avait recueilli bon nombre des stances qu'il est d'usage en Chine d'écrire ou de réciter à l'article de la mort. En Europe on parle des «mots de la fin », dont on a fait des recueils. Mais en Chine les lettrés recourent si naturellement à l'expression poétique que c'est en «vers de la fin» qu'ils adressent à leurs enfants ou à leurs disciples une sorte de testament moral. Les moines bouddhistes ont adopté cet usage qui a fini par s'institutionnaliser dans l'école du Tch'an (Zen). Les traductions rassemblées dans ce livre, le dernier auquel ait travaillé son auteur, sont léguées au public français comme «l'adieu au monde» d'un maître des études chinoises.



Tche-K’ai (518-568) Poème à l'approche de la fin

Une ville de mille mois, cela est en principe difficile à mener à terme ; 

La raison naturelle veut que les trois temps facilement s'écoulent.

La flamme de la pierre à feu est sans durée;
La lumière de l'éclair ne brille pas longtemps.
Vains sont ces textes que je laisse à pleins paniers,
Ils ne font que brouiller ma naissance à venir. 
Voici que s'assombrit la route vers les Sources;
Voici pur et glacé le tumulus transi.
Avec chaque matin la rosée s'évapore ;
Il n'y a plus que dans la nuit le bruit des pins.


v. 1 « Mille mois » (var. « mille automnes »): quatre-vingt-huit ans.


v. 2 « Les trois temps »: le temps sous ses trois formes, passée, pr »sente, future. Peut aussi désigner les trois saisons de l'anné eindienne.


v. 7 « Les Sources »: les « Sources jaunes », l'outre-monde souterrain.


v. 10 « Le bruit des pins » ou « du pin.»: c'est l'arbre qu'on plantait volontiers sur les tombes.


[v. 5] Particulièrement émouvant et humain est le troisième distique, dans lequel il proclama la vanité des travaux littéraires et érudits qui avaient occupés sa vie, comme il est arrivé à tant d’autres grands écrivains, notamment à saint Thomas d’Aquin [...]

17-18

§





Tche-ming


Nom de religion d'un fonctionnaire des Souei (589-618) puis des T'ang (618 sq.), nommé Tcheng T'ing, originaire de Ying-yang dans le Ho-nan actuel, et qui abandonna son poste pour aller courir les séances de prédication bouddhique, finissant par se raser les cheveux, revêtir le kâsâya et prendre en main le khakkara pour aller proclamer à la porte du palais impérial qu'il était sorti de la famille.


Il fut condamné à la décapitation, déclarant lorsqu'on le lui annonça que « son voeu était accompli ». En se rendant au supplice, il s'inclinait dans les dix directions en récitant un texte de Prajñâ , et demanda un pinceau pour écrire ce quatrain (pentasyllabique, rimant en -en):



Illusoire la naissance, illusoire la mort.

Mais la grande illusion ne survit pas au corps.

Il y a une idée où s'apaise l'esprit :

Si vous cherchez un homme, aucun homme n'existe !



25

§





Hong -Jen (601-674)


Compté comme le cinquième des six premiers patriarches de l'école du Tch'an en Chine, Hong-jen fut dès l'âge de sept ans l'élève du quatrième patriarche, Tao-sin (580-651); il devint le maître du sixième, Houei-neng (638-713), avec lequel commence la branche dite du Sud, et aussi de son concurrent Chen-sieou (f 706), de la secte du Nord. […] Plus curieux est le «mot de la fin» qu'il aurait adressé au moment de mourir, le 28 mars 674, à Hiüan-tsö, qui fut son disciple de 670 à 674 et composa vers 710 un recueil de biographies et de logia intitulé «Monographie des hommes et des doctrines de [l'école du Dhyâna qui s'inspire du Lankâ[vatâra] […] On y lit qu'au moment de mourir, le 28 mars 674, Hong-jen demanda à son futur biographe:



La connais-tu maintenant, ma pensée?

Le disciple se récusa.

Le patriarche, agitant alors la main dans les dix directions,

lui dit :

Tout cela un à un raconte la pensée dont je fais l'expérience

et il mourut.



28-29

§





Siuan-kien dit dechan (780-865)


Originaire du Kien-nan (région de Tch'eng-tou au Sseu-tch'ouan); s'installa lors de la proscription du bouddhisme en 845 au Tô-chan de Wou-ling, dans le Hou-nan ; appartient à la branche du Tch'an remontant au disciple de Houei-neng, Hing-sseu de Ts'ing-yuan (- 740). On le comparaitpour le maniement du bâton dans l'enseignement du Dhyâna

à son contemporain Lin-tsi (866 ou 867) pour l'usage de l'éructation [cri]. Ces deux maîtres jouissaient alors d'une égale célébrité dans l'école du Tch'an.


Avant de mourir, le 25 décembre 865, il adressa ces mots de la fin (en prose) à ses disciples :


« A vouloir mettre la main sur le vide ou courir après l'écho, vous vous fatiguez l'esprit ! Une fois éveillé de rêve, il n'y a plus rien du tout à percevoir. »

[Autre traduction envisagée par l'auteur :]

« Vous vous apercevez qu'il n'y a plus rien du tout. »

36



§





Lin-tsi (866 ou 867)

Dans la conclusion des «Entretiens» (Yu-lou) de ce grand maître de la fin des T'ang (Taishô, no. 1985, p. 506c ; trad. Demiéville, Entretiens de Lin-tsi, 1972, p. 240), le récit de sa mort est précédé d'un bref dialogue avec un de ses disciples, auquel il confie sa succession par cette parole inimitable:


«Qui l'eût dit, que mon Trésor de l’Oeilde la Vraie Loi s'éteindrait avec cet âne aveugle !»

Tout Lin-tsi est dans ce mot ; s'il n'est pas authentique, rien ne l'est de ce qui nous est parvenu de ses logia. L'injure est le témoignage suprême de la confiance et de l'amour. Cependant dans deux éditions (Song et Yuan) de sa biographie telle qu'on la trouve dans le recueil des Song intitulé «Transmission de la lampe», qui date de 1004 (Taishô, no. 2076, XII, p. 291a), ce dialogue est suivi d'une gâthâ que Lin-tsi aurait prononcée avant de mourir; c'est là sans doute une variante, peut-être même postérieure à 1004, qui fut introduite à une époque où l'usage des «gâthâ léguées» était devenu un rite quasi impératif pour les maîtres de Dhyâna. Par son contenu comme par son style la stance reflète du reste assez sensiblement le Tch'an sophistiqué des Song.


Quelqu'un demande-t-il ce qu'il en est de suivre un cours d'eau sans arrêt,
Répondez-lui qu'en vérité c'est là tout comme l'infini.
Tant qu'il ne vous sera pas donné de vous départir des phénomènes et des mots,
Hâtez-vous, chaque fois que vous l'aurez utilisé, d'aiguiser votre souffle-poit


v. 4 Un «souffle-poil» (tch'ouei-mao). une épée, si bien aiguisée qu'un poil soufflé sur son tranchant se coupe en deux.

37-38 §





Leang-Kiai (807 -869)

Un des deux patriarches fondateurs de la secte dite Ts'ao-tong. Originaire de K'ouei-ki au Tchô-kiang, il finit ses jours au Tong-chan, du Kiang-si (non loin au sud-ouest de Nan-tch'ang), d'où son surnom usuel de Tong-chan [...] dernières paroles qu'il adressa à sa communauté avant de mourir le 23 avril 869, avec la stance qu'il laissa :


Si de tant d'apprentis, nombreux comme les grains de sable du Gange, pas un seul n'a réalisé l'éveil,


La faute en est à ce qu'ils l'ont cherché par la voie de la langue d'un autre.


Si l'on veut obtenir l'oubli des formes sensibles, toute trace étant effacée,


Qu'avec ardeur on fasse effort pour marcher dans le vide !


«Par la voie de la langue d'un autre»: le Tch'an condamne l'enseignement discursif d'un maître ou de la tradition ; c'est par soi-même et hors de toute parole que l'éveil doit être cherché.

Le texte ajoute qu'après avoir «révélé » cette stance, le maître se fit raser la tête, laver puis revêtir le corps, et qu'aux sons de la cloche il prit congé de sa communauté, pour accomplir la transformation, assis bien droit.

39-40


§




K’ouang-jen ou Kouang-jen (837-909)

Disciple de Leang-kiai dit du Tong-chan, un des deux fondateurs de la secte Tch'an de Ts'ao-tong. Originaire de la région de Nan-tch'ang (au nord du Kiang-si actuel).


Ma route va hors des espaces azurés,

Tel un nuage blanc qui flâne sans lieu fixe.

Il y eut en ce monde un arbre sans racines,

Dont les feuilles jaunies reviennent dans le vent.

Lin-tsi, dans ses «Entretiens» (Taishô, no. 1985, p. 49b c; trad. Demiéville, p. 31), compare ce qu'il appelle «l'homme vrai sans situation », le saint désindividualisé, à un tronc sans racines.


44


§


Pou-tai (-916)


Moine qui aurait résidé sur le mont Sseu-ming près de Ning-po au Tchô-kiang et serait mort sous les Leang Postérieurs, à la 3e lune de 916, assis bien droit sur un rocher du cloître oriental d'un des grands monastères de la capitale dynastique, Pien (K'ai-fong au Ho-nan). Avant sa «transformation », il aurait prononcé la gâthâ suivante (quatrain penta-syllabique non rimé ) :


Maitreya — le vrai Maitreya !


Il divise son corps en des mille et des cent fois cent mille.


De temps en temps il les fait apparaître aux gens soumis au temps ;


Les gens soumis au temps ne s'en aperçoivent pas.


Sous le nom de «Sac de toile » (Pou-tai), il passait pour une incarnation du messie Maitreya ; il est devenu une des figures les plus populaires de l'iconographie bouddhique dans le monde chinois, avec sa grosse panse, sa mine réjouie de goinfre bie nnourri et ses instrumetns de mendicité, d’où son nom « sac de toile ».

49

§



Jo-yu («Comme crétin»), dit Fa-king («Miroir-de-la-Loi»)

dont la biographie me reste inconnue, a vécu sans doute sous les Song du Sud, antérieurement à 1200, date à laquelle fut achevé par Tsong-hiao (1151-1214) le recueil de textes sur la Terre pure intitulé «Répertoire par genres de textes sur le Pays Bienheureux » (Sukhâvatî), Lo-pang wen-lei, quarante-six morceaux en prose et en vers, dont six gâthâ en vingt pièces hymniques ; cet ouvrage passa aussitôt au Japon, où il est cité par Shinran (1174-1268). L'« Eloge hymnique d'adieu au monde » de Jo-yu y est classé à la suite d'«Eloges hymniques de la Terre pure». L'auteur est qualifié de «prédicateur» (kiang-tchou).


Hymne d'adieu au monde

Lorsqu'on n'a point de home, où ferait-on retour ?

S'il est une route au bord des nues, qui vraiment la connaît ?

Tombant de la montagne à l'ouest, le clair de lune ondoie sur le torrent ;

La voici, l'heure où s'interrompt le rêve d'un gouffre aux immortels.

Le «retour », comme partout c'est la mort.

La «route au bord des nues »: celle de l'infini.

Le «gouffre aux immortels» doit être un trou d'eau sans fond,

inépuisable. Une pointe contre les taoïstes férus d'immortalité.


85-86

§



Tche-yu (1185-1269)


Moine de l'école du Tch'an, établi au Tchô-kiang (les monts King sont proches de Hang-tcheou), comme tant de maîtres de cette école sous les Song du Sud (1127-1276).


«Stance d'adieu au monde»


A quatre-vingt-cinq ans,

Je ne connais Buddha ni patriarches...

Et je m'en vais, les bras ballants,

Toute trace coupée, dans le grand vide !


« Les bras ballants »: attitude de promenade insouciante.

«Je ne connais Buddha ni patriarches»: c'est le boycottage des saints prôné par Lin-tsi.


89

§



Tch’ou- tsiun (1262-1336)


Tch'ou-tsiun, moine Tch'an de la secte de Lin-tsi, appellation Ming-ki, était originaire du Tchô-kiang (de l'actueYin-hien , près de Ning-po), comme tant de moines chinois qui émigrèrent au Japon à l'époque mongole, et y introduisirent la dernière mode du Tch'an. Il y fut invité en 1330 et couvert d'honneurs tant à Kyôto qu'à Kamakura et ailleurs. Il mourut à Kyôto le 8 octobre 1336 ; ses ossements furent partagés entre les deux centres les plus importants de la secte de Lin-tsi (Rinzai-shû) au Japon, le Nanzen-ji de Kyôto et le Kenchô-ji de Kamakura. Il laissait cette gâthâ assez énigmatique :


Soixante-quinze années —

Un bout de fer brut...

La terre réduite en poudre,

L'espace mis en pièces !


Le « fer brut » est une image de la solidité, de la résistance. Il a résisté à une longue vie ; c'est pour voir l'univers s'écrouler dans la mort (?).


[NDE : ou bien : après soixante-quinze années, le fer brut rouillera... Comme tout le visible terrestre, comme la croyance d’être inscrit dans l’espace].

93

§

Hiu Siuan (Ming?)

Je dois mon salut au maître-patriarche, qui m'a tiré de la rouge poussière ; 

L'arbre de fera ouvert ses fleurs, et alors j'ai vu le printemps. 

Cycle des transformations — transformations et transformations ;

Roulement des naissances — naissances et renaissances.

Qui veut savoir que ce qui est matière c'est encore le sans matière,

Doit reconnaître que le sans forme n'est autre que le qui a forme.

La matière, c'est le vide ; et le vide, c'est la matière ;

Il faut discriminer vide et vide, et matière et matière.


La « rouge poussière » est celle du monde impur, aux couleurs vives, souillé de la poussière (sanscrit rajas) des objets des sens.


« L'arbre de fer » qui produit des fleurs est l'image du miracle bouddhique en vertu duquel la « substance » métaphysique produit des effets, des « fonctions » phénoménales. La matière phénoménale est désignée ici sous son nom bouddhique de «couleur » (), du sanscrit rûpa; «vide» (k'ong) traduit sûñya.

95 §

Lou Ki (261-303)

[En guise d'introduction, l'auteur [Paul Demiéville mis en forme par Jean-Pierre Diény] n'a rédigé que les lignes suivantes sur la fin de Lou Ki. Le poète, originaire du pays de Wou, s'était rallié aux Tsin en 289. Entré au service du prince de Tch'eng-tou, il participa à la campagne malheureuse lancée par celui-ci contre le prince de Tch'ang-cha. C'est à la suite de cette défaite qu'il fut mis à mort.]

[Troisième poème:]

Toutes ces collines, qu'elles sont hautes !
Et cachées parmi elles, les huttes sombres...
Vaste est la terre jusqu'à ses quatre extrémités.
La voûte céleste abrite le firmament d'azur.
5 Penché, je tendrai l'oreille au jaillissement des canaux souterrains.
Et je contemplerai, couché, le plafond suspendu du ciel.
Ô quel silence et quel désert dans ces vastes ténèbres !
Quand donc le grand soir pourrait-il redevenir matin?
Lorsqu'un vivant s'en est allé, il y a une année pour le retour;
10 Mais pour moi, une fois parti, plus jamais de retour. 
Naguère j'habitais parmi le peuple des quatre clans; 
Maintenant j'ai pour voisines les âmes des morts par myriades.
Naguère j'étais un corps haut de sept pieds ;
Maintenant je suis devenu cendre et poussière.
15 A ma ceinture je portais l'or et le jade ;
Je ne puis soulever maintenant fût-ce une plume d'oie.
Ma chair copieuse sert à nourrir les fourmis ;
Ma gracieuse carcasse est à jamais défunte.
Les goules qui s'inviteront dans ma salle de longévité
20 N'y trouveront personne pour les traiter en hôtes.
Fourmis, pourquoi m'en voulez-vous?
Goules, vous suis-je apparenté ?
Je me presse le coeur de la main, tant je souffre ;
Ce sont des soupirs sans fin, sans personne pour m'épancher.


v. 1 D'après le commentaire, il ne s'agit pas ici de tertre funéraire,

mais de collines kang-fou. Les cimetières se trouvaient souvent sur des hauteurs, qui dans la Chine ancienne n'étaient guère cultivées.

v. 2 Ou « mystérieuses, obscures ». Il doit s'agir des cabanes qu'on élevait auprès des tombes.

v. 4 Le ciel et la terre sont symboliquement présents dans les quatre parois et le plafond de la tombe (souterraine).

v. 6 II s'agit du mort. Dans le tombeau monumental du Premier Empereur des Ts'in, près de Si-ngan, les cours d'eau terrestres et la mer étaient représentés par des machines de mercure, et en haut étaient figurés « tous les signes du ciel » (Che-ki, VI ; Chavannes, II, p. 194). J'ai traduit ici à la première personne, bien qu'elle ne soit pas spécifiée dans le texte ; elle l'est un peu plus bas, aux vers 10 et suivants. Le futur n'est naturellement pas non plus exprimé en chinois: peut-être le présent serait-il préférable ici, car ce n'est sans doute pas de l'auteur lui-même qu'il s'agit, mais de l'homme en général.

v. 7 Variante : dans les ténèbres de la fosse (k'ouang).

v. 11 Lettrés, agriculteurs, artisans, marchands.

v. 18 Variante : apparence, mine (tseu).

v. 19 D'après le commentaire, il s'agit du sanctuaire où la parenté présentait des offrandes à l'âme du mort.

124-128

§

La dame Heou

Auto-doléance

I	
Depuis le jour où j'ai accédé aux lumineux appartements,
Je n'ai pu m'acquitter de ma profonde gratitude.
Pendant mes sept ou huit années au palais de la Porte longue,
Jamais je n'ai revu le roi mon seigneur.
II 
Le froid du printemps me pénètre les os de sa pureté glacée; 
Et me voici qui reste là, couchée tristement dans la chambre vide ; 
Ou bien, dans les rafales du vent, je m'en vais faire quelques pas dans 	la cour en bas... 
Sombres pensées, vaines doléances.
III
Tous les jours je suis là à aimer et à regretter ;
Ce n'est pas souvent que je me vois appelée au service personnel;
La beauté ne me sert qu'à me voir rejetée.
Mince est le mandat de vie: à combien peut-on l'estimer ?
IV	
La faveur du seigneur est bien lointaine en vérité;
Les désirs de sa concubine restent irrésolus.
N'a-t-elle pas à la maison des parents proches comme os et chair?
Et surtout sa vieille mère, dans la salle du Nord...


V	
Mais sur ce corps, point de plumes ni d'ailes: Qu'inventer pour pouvoir sortir hors des hauts murs?
La nature innée et la vie sont assurément précieuses;
Il est certes bien dur de devoir s'en séparer.
VI. 
Je pends une pièce de soie à la poutre maîtresse vernie au vermillon;
Mon foie et mes entrailles brûlent comme eau bouillante.
Tout en tendant la nuque, je suis prise encore de regrets;
C'est comme si avec un fil on me tirait les boyaux.
VII 
Approchons avec fermeté le lieu de notre mort ;
D'ici nous ferons retour au pays des ténèbres.


Il s'agit d'une concubine de l'empereur Yang des Souei, qui régna de 605 à 617 et jouit d'une fâcheuse réputation de « souverain de perdition », adonné au luxe, au gaspillage, à la débauche et à la cruauté.

[…]

Les femmes se comptaient par milliers et bien peu d’entre elles avaient accès au lit impérial. Tel était le cas de la dame Heou, qui finit par se pendre à une poutre faîtière, laissant dans un sachet attaché à son bras le poème ci-dessus […] [l’empereur] fit ensevelir la malheureusee femme en grande cérémonie. On mit le feu au fâcheux bâtiment qui aurait brûlé pendant plusierus jours.


166-168

§

Siao Kang (503-551)


Troisième fils de Siao Yen (464-549), le premier empereur de la dynastie des Leang, qui régna de 502 à 549 sous le titre ancestral d'empereur Wou (Leang Wou-ti) et se distingua par sa dévotion bouddhique effrénée. A sa mort, Siao Kang lui succéda sous le titre d'empereur Kien-wen (Leang Kien-wen-ti). Mais dès le ler octobre 551 il fut destitué par Heou King (502-552). Ce militaire originaire du Nord-Ouest avait d'abord servi les Wei du Nord (386-534) puis était passé au service des Leang, mais les avait trahis en s'emparant de leur capitale, Kien-k'ang (Nankin). Il avait laissé Leang Wou-ti mourir de faim et mis sur le trône des Leang Siao Kang, qu'il avait bientôt destitué et ravalé au rang de prince (ou roi, wang), puis mis en prison et fait exécuter le 15 novembre 551, après qu'on l'eut enivré en musique puis étouffé ivre-mort sous un sac de terre. Six de ses fils et une vingtaine de ses petits-fils furent mis à mort avec lui. Heou King prit alors le titre d'Empereur Han, mais pour être chassé l'année suivante et mis à mort au Tchô-kiang où il s'était sauvé (Leang-chou, IV, p. 108, Tseu-tche t'ong-kien, CLXIV, p. 5071 sq. de l'édition ponctuée de Pékin). Cette dernière source qui suit le Nan-che, VIII, p. 234, ajoute (p. 5073) que depuis qu'il était en prison Siao Kang n'avait plus d'assistants ni de papier, et qu'il mania lui-même le pinceau pour inscrire ses poèmes de mort sur les murs de la prison et les cloisons de bois de sa cellule. [...]


« deux pièces en (style de) perles enfilées ».

La première décrit les funérailles et la tombe ; la seconde traite de la mort.


I 
Brumes confuses, vapeurs éparses;
Bruit du vent dans les pins et cyprès assombris...
Sur la montagne obscure, les peupliers ont une allure antique.
Sur la route en terrain inculte, profonde est la poussière jaune.
II 
En fin de compte, nulle vie ne saurait durer mille mois;
Pourquoi recourrait-on à l'or des neuf cinabres?
K’iue-li a pour toujours disparu sous les herbes,-
C'est en vain que l'azur du ciel illumine le coeur.


«Mille mois»: quatre-vingt-huit ans

Les «neuf cinabres» (kieou tan), ou drogues d'immortalité, liées aux neuf cieux, soit ceux des huit orients et du centre, servent à fabriquer de l'or.

«K'iue-li»: lieu d'origine de Confucius, où se trouve sa tombe.


160-163

§

Kiang wei (milieu du Xe siècle)


Le poète Kiang Wei, originaire de K'ao-tch'eng dans la préfecture de Song )+1 au Ho-nan, vécut dans la période troublée des Cinq Dynasties. Il s'établit tout d'abord au Fou-kien, qui restait relativement en paix, puis à Nankin chez les T'ang du Sud, dont le dernier empereur Li Yu, qui régna de 961 à 975, apprécia son talent. Coupable d'arrogance et de mauvaises moeurs, il fut impliqué dans un complot et mis à mort par ordre de cet empereur; d'après une autre source, ce fut sous Yin-ti des Han Postérieurs, qui réguèrent à Pien, l’actuel K’ai-fong du Ho-nan, de 947 à 950.

À l'approche du supplice

Les tambours dans les rues pressent les passants qui se hâtent;
Le soleil infléchi vers l'ouest s'apprête à décliner.
Aux sources jaunes, il n'y a point d'auberge ;
Cette nuit chez qui coucherai-je ?

Les tambours sont ceux des gardes de nuit, qui assuraient la police aux carrefours.

186-187

§


Ts’ai Tchen ( -1149)

[Malade et se sentant mourir, Ts'ai Tchen dicta à son frère cadet le poème suivant.]



Rien de trop dans la vie;
Mais rien non plus qui manque dans la mort.
Il faut marcher avec le temps:
Et voilà, c'est une autre aventure.

188

§



Ts’ieou Kin (1879? - 1907)


Célèbre héroïne de la révolution anti-mandchoue, fille aînée d'une famille de lettrés originaires de Chao-hing k ô e au Tchô-kiang, mais née à Amoy (Fou-kien) dont son grand-père était préfet. Elle reçut une éducation classique, épousa en 1896 le fils d'un riche marchand du Hou-nan qui l'emmena à Pékin, où elle fréquenta des cercles d'intellectuels réformistes et de féministes, en particulier la Société de Restauration, Kouang-fou houei. En 1904 elle quitte sa famille pour aller étudier au Japon, où elle fonde des groupes de radicaux et de progressistes féminines. En 1906 elle rentre définitivement en Chine, où elle prend à Chao-hing la direction d'une école normale dont elle fait un centre d'agitation. Avec un de ses cousins, elle prépare un soulèvement au Tchô-kiang et au Ngan-houei ; le cousin est exécuté, elle-même est faite prisonnière et décapitée, ayant refusé de se laisser extorquer des aveux. On rapporte qu'au moment de rédiger une déposition qui commençait par son nom Ts'ieou, qui signifie «l'automne », elle en avait fait le premier mot d'un vers resté fameux dans les annales de la révolution chinoise :



Pluie de l'automne. vent de l'automne — c'est le chagrin qui tue !

198-199

§§



« Tao poétique » (Cheng Wing fun & Hervé Collet 1986)



TAO POETIQUE vrais poèmes du vide parfait

Poèmes traduits du chinois par

CHENG Wing fun & Hervé COLLET,

calligraphie de CHENG Winf fun

Moundarren

chemin des bois Millemont 78940 France


1986





Pour le Ch’an...”

[Fin de l’introduction sans titre de l’ouvrage non paginé de nos deux anthjologistes :]


[…] “Pour le Ch'an, seul compte l'éveil à notre nature véritable, originelle, spontanée, identique à celle de l'univers. Cet éveil est accompagné d'une sensation intense de liberté et de compassion envers le monde. A travers nous, l'univers se contemple, se réfléchit (réfléchir, c'est refléter le monde). Expérience de l'éternité de l'instant présent, et de l'universalité de l'endroit où l'on se trouve (le temple). Le vide parfait, tel que l'a merveilleusement décrit Hui neng dans un sermon :


“« Vénérable auditoire, le vide contient le soleil, la lune, les étoiles, la grande terre, les montagnes, les rivières, les arbres, les herbes, les hommes bons, les hommes mauvais, les bonnes choses, les mauvaises choses, le paradis, l'enfer. Tous sont dans le vide. Le vide de la nature de de l'homme est de la même sorte. »


L'instant signifie étymologiquement se tenir dans, être debout dans (racine sta-, être debout). C'est là, au coeur des circonstances telles qu'elles sont, que s'épanouit l'ex-stase, où individu et univers se réfléchissent. Debout dans le chemin où l'on marche, pas à pas, s'arrêtant pour contempler, repartant. C'est ce chemin, le plus souvent en montagne, que des mandarins, des moines et des ermites qui vécurent en Chine aux 8ème et 9ème siècles, ont décrit dans les poèmes qui suivent. Ils nous convient à suivre leurs pas et à partager leur extase.


“Moundarren, printemps 1986.”


§

Sung Chih wen

“Sung Chih wen (656-712), un brillant mandarin qui, compromis dans un complot, fut exilé

au temple Ling yin


la Crête des vautours, verte, haute, abrupte
le Palais du dragon renferme la quiétude
du pavillon on contemple le soleil qui se lève sur la mer immense
le portall fait face à la marée du Chekiang
les fleurs des canneliers dans la lune tombent
un encens céleste flotte au delà des nuages
je grimpe à des lianes, monte à la pagode, regarde au loin
des rigoles en bois creusé, je cherche la source
givre mince, les fleurs sont encore plus épanouies
légère glace, les feuilles ne sont pas encore flétries
depuis mon enfance je rêve de paysages lointains, merveilleux
m'y confrontant je me nettoie des soucis et des clameurs
bientôt je prendrai le chemin de la montagne T'ien t'ai
je me vois déjà traversant le Pont en pierre



Meng Hao jan

aube printanière

sommeil de printemps, je n'ai pas vu le jour se lever
partout j'entends gazouiller les oiseaux
toute la nuit, le bruit du vent et de la pluie
les fleurs sont tombées, sait on combien ?

§

de nuit, retournant à la Porte du cerf

du temple de la montagne sonne la cloche, il fait déjà sombre
au Pont des pêcheurs, à l'embarcadère on s'agite pour 	traverser, 	clameurs
des gens longent le sable au bord, vers le village de la rivière
je monte aussi sur ma barque, retourne à la Porte du cerf
à la Porte du cerf, la lune claire perce la fumée des arbres
bientôt j'arrive là où maître P'ang s'est retiré
un rocher comme porte, le sentier dans les pins, toujours le silence
seul un ermite, solitaire, va, vient

§


Meng Hao jan

en visite au monastère de la Source du dragon

“Meng Hao jan convalescent, en visite au monastère de la Source du dragon, dédié aux maîtres Yi et Yip


midi, j'entends la cloche dans la montagne

je me lève marcher, que tristesse se dissipe

je vais dans la forêt, ramasse des champignons magiques

le val tourne, les lianes sont épaisses

sur un côté j'aperçois le monastère, il est ouvert

sous la longue veranda, les moines terminent leur repas

dans un ravin rocheux coule l'eau de neige

or scintillant, les mandarines sont givrées

le bâtiment dans les bambous, je pense à mes deux vieux amis

j'entre, m'y reposer, passer la journée

je pénètre dans une grotte, admire les stalactites

au bord de la falaise, on récolte du miel

au soleil du crépuscule je dis adieu aux maîtres

jusqu'au Torrent du tigre ils me raccompagnent


§



Wang Wei

Wang Wei (701-761) mena la vie d'un disciple laïc du ch'an, ermite tant au milieu du monde de poussière (il exerça diverses fonctions officielles), que dans sa retraite de la rivière Wang. Dans sa demeure, une bouilloire pour le thé, un mortier pour piler le grain, une table pour les sutras, un lit de corde. Son expérience du ch'an s'exprima tant dans la musique, la peinture que la poésie.


ma villa dans la montagne Chung nan


au milieu de ma vie, je me suis épris du tao

sur mes vieux jours, j'habite dans la montagne du sud

l'envie me prend, je pars seul

choses merveilleuses, je suis seul pour en jouir

je marche jusque là où l'eau s'arrête

assis, je regarde les nuages s'élever

par hasard je rencontre un vieillard de la forêt

nous parlons, nous rions, oubliant le retour

§

réponse à Chang le magistrat

sur mes vieux jours, je n'aime que la quiétude

les dix mille choses ne m'encombrent plus le coeur

je me retrouve sans projet durable,

je sais seulement que je retourne dans la forêt ancienne

le vent souffle dans les pins, dénoue ma ceinture

la lune de la montagne m'éclaire, je joue du ch'in

tu me demandes la vérité ultime

le chant du pêcheur s'éloigne, le long de la rive

Lu Yu14



[162] la nuit à la fenêtre


notre nature propre possède naturellement la lumière

quand voiles et obstacles se lèvent le tao spontanément s’accomplit

mes mains fauchent les roseaux pour le chaume

de ma maison à plusieurs solives

je déracine des légumes pour préparer un bol de potage

le ciel et l'homme vainquent en alternance, qui peut prédire?

malheur et bonheur ne durent pas, inutile de s'y arrêter

à mon coeur seul je puis sans réserve me fier

la nuit à la fenêtre, les mains dans les manches,

j'écoute le bruit des pins


§




Wang Chang ling





chanson du vieillard sur la rivière



sur la rivière un vieillard, assis sur un vieux radeau

pour préparer son élixir, il n'utilise que des fleurs de lotus bleu

aujourd'hui quatre vingts ans, comme quarante

il dit " la mer immense est ma maison "



§



Li Po



visite à un moine de la montagne sans le rencontrer


le sentier de pierres pénètre dans un val rouge

une porte en sapin, obstruée par de la mousse verte

sur les marches désertes, des traces d'oiseaux

la salle de méditation, personne pour ouvrir

je regarde par la fenêtre, une brosse blanche,

accrochée au mur, couverte de poussière

vaine visite, je soupire

je musarde un moment, sur le point de partir

des nuages parfumés s'élèvent des montagnes

une pluie de fleurs tombe du ciel

joie de la musique du ciel !

plus encore, le cri des singes, clair

illuminé, coupé des affaires du monde,

ici, à mon aise


§



Han Yu



Han Yu (768-824) mena une brillante carrière officielle. Il fut gouverneur de Chlang an, la capitale impériale, et ministre de la justice. Il connut cependant deux fois l'exil. Son deuxième exil fut causé par le célèbre memorandum contre la vénération impériale d'une relique du Buddha (un prétendu os du doigt) qu'il adressa à l'empereur.



rochers dans la montagne


rochers dans la montagne, rugueux, le sentier est étroit

au crépuscule j'arrive au temple, volent des chauves souris

j'entre dans le hall, vais m'asseoir sur le perron, la nouvelle pluie est abondante,

les feuilles des bananiers larges, les fleurs des gardénias opulentes

un moine me vante une belle fresque bouddhiste sur un mur ancien

il l'éclaire avec une torche, on ne distingue pas grand chose

il installe mon lit, essuie la natte, me sert un repas

du riz grossier, qui suffit pourtant à me rassasier

nuit profonde, en paix je m'allonge, les cent insectes se taisent

la lune claire émerge de la crête, sa lumière pénètre par la porte

à l'aube seul je pars, il n'y a pas de chemin

j'avance, monte, descends, dans les fumées et la brume

montagne rouge, torrent émeraude, les couleurs chatoient

de temps à autre je croise des pins, des chênes, tous dix tours de bras

j'arrive à un torrent, pieds nus traverse sur les callloux

bruit de l'eau fougueux, le vent souffle mon vêtement

la vie ainsi, on en jouit de façon naturelle

pourquoi piétiner sur place, bridé ?

avec deux ou trois comparses,

jusqu'à la vieillesse sans jamais partir d'ici

§



Chia Tao



passant la nuit au kiosque de Li



à la tête de ma couche, pour oreiller une pierre du ruisseau

la source au fond du puits communique avec l'étang au pied des bambous

passant la nuit, le voyageur ne dort pas encore, minuit passé

seul il écoute la pluie, au moment où elle arrive dans la montagne



§


Po Chu yi

nuit de neige




d'abord je suis étonné, la couverture et l'oreiller sont si froids

puis je m'aperçois que la fenêtre est lumineuse

nuit profonde, la neige doit être abondante

de temps à autre, le bruit d'un bambou qui casse



§


Hsu Hun



au pavillon de Hsieh, adieu


chanson d'adieu terminée, le voyageur défait la barque

feuilles rouges sur la montagne verte, la rivière coule fougueuse

soleil couchant, réveil après l'ivresse, tu es déjà loin

plein le ciel vent et pluie, je descends du pavillon de l'ouest


§




Hsu Hun est célèbre pour avoir écrit


la pluie de la montagne est sur le point d'arriver le vent remplit le pavillon

Les Chinois prononcent ces vers lorsqu'ils sentent poindre un grand changement.



§


Tu Tsun ho





dédié au moine éminent Chi



assis à méditer ou bien pérégrinant, hors du monde de poussière

sans gourde ni bol pour t'accompagner

rencontres tu quelqu'un, tu ne lui parles pas des affaires de ce monde

tu vas ainsi, dans le monde des hommes un homme sans affaire


§


Tu Fu

Tu Fu (712-770) est souvent associé à Li Po par contraste de tempérament, de destin, de style. Quand ils se rencontrèrent, leur amitié fut immédiate. Li Po avait quarante quatre ans, venait de quitter les fastes de Ch'ang an, Tu Fu avait trente trois ans, était à la fin de sa période "fourrure, cheval et fougue", comme on dit en Chine. Tu Fu écrit alors à propos de Li Po


son pinceau se pose, provoque vent et pluie

son poème achevé, dieux et diables pleurent


Tu Fu, qui descend d'une famille de lettrés, décide alors de se rendre à Chang an, obtenir un poste. A partir de là, sa vie va rencontrer des circonstances difficiles. Il n'eut jamais de poste important, connut l'exil et la misère. Son fils cadet mourut de faim en 755. Il n'eut de répit et de tranquillité que durant trois ans, de 759 à 762, au pays de Shu, dans l'ouest de l'empire. Jamais il ne réussit à retourner chez lui, à Lo yang. Malade, il mourut pendant le voyage, sur le Long fleuve, sur sa barque. Les poèmes qui suivent datent tous de la période où il vécut au pays de Shu.



Improvisation


la lune dans la rivière, à quelques pieds seulement de moi

la lanterne de vent éclaire la nuit, bientôt la troisième veille

sur le sable, endormis, un groupe de hérons, roulés en boule, calmes

à l'arrière de la barque un poisson saute, " po la " dans l'eau


§




quatrain composé selon mon humeur



elles savent bien que ma chaumière est très basse,

pourtant les hirondelles de la rivière viennent exprès, sans cesse

elles apportent de la terre dans leur bec, salissent mon ch'in et mes livres

en plus, les insectes volants sans arrêt me rentrent dedans



§


Ch'iu Wei (694-789)



visite à un ermite de la montagne de l'ouest sans le rencontrer



au sommet, une chaumière

ascension en ligne droite, trente li

je frappe à la porte, personne pour ouvrir

je regarde à l'intérieur, rien qu'une table

il a dû sortir dans sa charrette en branches,

ou bien partir pêcher dans l'eau d'automne

nous nous sommes croisés sans nous voir

vain enthousiasme, je contemple alentour

couleur de l'herbe, sous la dernière pluie

bruit des pins, ce soir près de la fenétre

à ces merveilles je m'accorde,

elles me lavent le coeur et les oreilles

pourtant, sans plaisir de l'hôte et du maître

je comprends alors la claire et pure loi

joie épuisée, je redescends la montagne

pourquoi t'attendre ?


§


Ch'ien Ch’i



de mon studio à la bouche de la vallée,

envoyé à Yang le censeur



eaux et montagnes ceinturent ma chaumière

nuages et brumes s'élèvent des rideaux de lianes

les bambous, je les aime après la dernière pluie

la montagne, je la chéris au crépuscule

les hérons oisifs tôt viennent se percher

les fleurs d'automne tombent, saison tardive

le garçon balaie le sentier de lierres

hier vieil ami, nous avons fixé rendez vous


§


Lang Chih yuan



au temple dans la forêt de cyprès,

contemplant le sud



sur la rivière, j'entends au loin la cloche du monastère

j'amarre la barque, le sentier sinueux traverse les pins denses

éclaircie sur la montagne verte, encore quelques nuages

nets contours, au sud ouest quatre ou cinq pics


§


Chiao jan



Chiao jan (chiao immaculé, jan spontané) était un ami de Lu Hung chien, plus connu sous le nom de Lu Yu, célèbre auteur du Classique du thé.




visite à Lu Hung chien sans le rencontrer



tu as déménagé près du rempart de la ville, pourtant,

le sentier est sauvage, entre dans mûriers et chanvre

récemment tu as planté, le long de la haie, des chrysanthèmes

l'automne arrive, ils n'ont pas encore fleuri

je frappe à la porte, pas de chien pour aboyer

sur le point de partir, j'interroge le voisin à l'ouest

il répond " il est parti dans la montagne,

il revient toujours quand le soleil décline "


§


Yu Liang che (756-?)



printemps dans la montagne, nuit de lune



au printemps la montagne regorge de choses merveilleuses

j'en jouis jusqu'au soir, oubliant le retour

j'écope de l'eau, la lune dans mes mains

je joue avec les fleurs, leur parfum embaume mon vêtement

quand la joie monte, nulle attention à la distance

sur le point de partir, déjà je regrette la senteur des fleurs

je contemple vers le sud, où sonne une cloche

pavillons et terrasses sombrent dans l'émeraude de la montagne


§


Tsui Hu



inscrit dans un hameau au sud de la capitale



il y a un an aujourd'hui, devant cette porte,

son visage et les fleurs du pêcher se répondaient, rouges

ce visage, où est il maintenant ?

les fleurs du pêcher, comme hier, rient dans le vent printanier


§


Liu Tsung yuan


Liu Tsung yuan (773-819), poète, penseur, politicien, érudit. Le groupe des rénovateurs politiques dont il faisait partie ayant perdu le pouvoir, à trente trois ans il fut exilé à Yong chow, dans le sud de l'empire. Il ne sera rappelé que dix ans plus tard. Un mois après son retour à Ch'ang an, la capitale, on l'exile à nouveau, encore plus loin, dans le Kuang si, où vivaient des minorités barbares. C'est là qu'il mourut.



au milieu de la nuit, me levant contempler le jardin de l'ouest, au moment où la lune se lève


je me réveille, entends goutter la rosée dense

j'ouvre la porte, face au jardin de l'ouest

la lune froide monte sur la crête à l'est

son clair au pied des bambous épars

la source dans les rochers, au loin encore plus bruyante

dans la montagne, de temps à autre un oiseau crie

je m'adosse à un pilier, ainsi jusqu'à l'aube

solitude, comment en parler ?


§




le matin, arrivant au monastère du maître

Chao, lisant les sutras


je puise de l'eau, me rince les dents, glaciales

me purifier le coeur, je secoue la poussière de mon habit

serein, je prends un livre en feuilles de pattra

je sors de la salle de l'est, lire

la source originelle, jamais on ne l'embrasse

des traces illusoires, ce que suivent les hommes de ce monde

cet enseignement j'aimerais m'y accorder

cultiver sa nature, comment s'y familiariser ?

homme du tao, la cour est silencieuse

la couleur de la mousse se mélange aux bambous denses

le soleil sort, brume et rosée demeurent

les pins verts sont comme lubrifiés

libre, par delà la parole

compréhension joyeuse, coeur de lui même comblé


§


ermite Tai shang



Réponse


par hasard je suis venu au pied de ce pin

à l'aise, posant la tête sur une pierre, je me suis endormi

dans la montagne, pas de calendrier

le froid passe, on ne sait quelle année


§§



    Trésor de la poésie universelle (R. Caillois & J.-C. Lambert 1987)


Roger Caillois Jean-Clarence Lambert
Trésor de la poésie universelle
COLLECTION UNESCO
D'CEUVRES REPRÉSENTATIVES
Gallimard / Unesco
1987






T'ao yuan-ming

(Chine. 372-427.)
EN REVENANT A MES CHAMPS ET A MON JARDIN [704]

Dès ma jeunesse, je n'ai pu m'habituer à la foule.
C'est ainsi : j'aime mieux les montagnes.
Par mégarde je tombai dans le filet de la poussière.
Et depuis, trente années se sont écoulées.
L'oiseau capturé languit après sa forêt d'antan
Et le poisson pêché après son lointain étang.
Jadis, j'ai cultivé les champs vierges du Sud.
Pour me sauver, et mes pensées, j'y retourne.
J'y ai une maison rustique de huit ou neuf pièces.
Autour d'elle s'étendent quelques méou de terrain.
Derrière, les ormes et les saules font de l'ombre,
Et les pêchers et les poiriers l'estompent par 	devant.
On voit vaguement de lointains villages
D'où les fumées s'élèvent en spirale.
Les chiens aboient dans une longue ruelle.
Les coqs chantent au sommet des mûriers.
Nulle poussière n'envahit ma maison.

La quiétude en baigne les salles.
Ah, depuis si longtemps en cage,
Je retourne au sein de la nature!
Au pied du Mont du Sud, j'ai semé des fèves,
Mais les herbes sauvages les ont empêchées de grandir.
Aussi dès le matin dois-je sarcler.
Je ne rentre chez moi qu'au clair de lune.
Le chemin est étroit, et l'herbe y foisonne.
La rosée du soir mouille mon habit.
Que m'importe la rosée si mon voeu
De vie en paix est exaucé!	§

Tseu ye

(Chine. IIe-IVe siècle.)
[705]

« Je n'ai pas encore fait ma toilette ce matin »

Je n'ai pas encore fait ma toilette ce matin,
Mes cheveux fins comme soie couvrent mes épaules.
Je pose mes poignets sur les genoux de mon bien-aimé. 
Je demande :
— En quelle partie de mon corps ne suis-je point charmante?


Je pense à mon amant, je pense à mon amant,
Toi aussi, tu ne peux te détacher, hésitant à partir,
Le brouillard matinal a tout enseveli,
On ne voit même pas les fleurs du lotus.


Je passe ma jupe sans l'agrafer,
Je lisse mes sourcils pour paraître à la fenêtre.
Ma jupe de soie légère flotte avec aisance.
Je gronde le vent printanier qui la soulève.



Les broderies de ma robe chatoient au soleil naissant, 
La brise balance la soie blanche.
Dans mes deux fossettes fleurissent les sourires,
Mes longs cils levés filtrent mes regards caressants.
Nous sommes si unis que nos pensées sont mêmes.
Nous nous levons ensemble et nous nous asseyons.


— Compare-moi aux racines couleur de jade,
A la fleur d'or du nénuphar,
Mais ne me nomme pas graine de lotus.



§

Tou Fou

(712-770)

« Le pavillon des fleurs s'enfonce... »

[713]
DANS LA MONTAGNE

Le pavillon des fleurs s'enfonce au penchant bleuissant.
Le soleil d'automne répand sa confuse clarté.
Les pierres tombées s'appuient aux arbres de la pente.
Les rides claires tirent le vêtement de l'eau.
Les poissons roux sautent jusqu'au rivage,
Les éperviers bleus reviennent du pillage des nids.
Le soir tombe et je cherche ma route.
Aux côtés du cheval un reste de nuage plane.

§

« Au pied du temple... »

[713]
LE TEMPLE BOUDDHIQUE

Au pied du temple les eaux immobiles sourient. 
Au flanc de la montagne le pavillon lointain s'afflige. 
Au-dessus du mur bleu un nuage au gré du vent s'effile. 
A l'abri du soleil les érables touffus se pressent. La véranda 	entoure une douce solitude. 
Canards et hérons s'envolent dans le soir attristé. Autour de ce gazon les dieux sont assemblés, Attendent que la nuit jusqu'à leurs fronts 	s'élève.

§


« Les flammes cruelles... »

[713]
LA MAISON DANS LE CŒUR

Les flammes cruelles ont dévoré entièrement la maison où je suis né.

Alors je suis monté à bord d'un bateau d'or pour distraire mon 	chagrin.

J'ai pris ma flûte sculptée et j'ai dit une chanson à la lune.

Mais j'ai attristé la lune qui s'est voilée d'un nuage.

Je me suis retourné vers la montagne, mais elle ne m'a rien inspiré.

Il me semblait que toutes les joies de mon enfance avaient brûlé dans 	ma maison.

J'ai eu envie de mourir et je me suis penché sur la mer.

A ce moment une femme passait dans une barque, j'ai cru voir la lune 	se refléter dans l'eau.

Si elle voulait, je me rebâtirais une maison dans son coeur.

§

« Les fourgons s’ébranlent, »

CHANT DU DEPART 
[714-715]

Les fourgons s’ébranlent,
Les chevaux hennissent.
Les partants portent l’arc et le carquois à la ceinture.
Mères, femmes , enfants à pied les accompagnent,
Mais déjà la poussière cache le pont du sud.
Ramassant leurs haillons, traînant les pieds, au retour ils gémissent.
Et leur gémissement monte droit jusqu'au ciel.
Les passants sur la route interrogent les soldats
Qui répondent : « On est toujours sur la liste de départ. »
Tel qui à quinze ans allait défendre au nord la ligne du Fleuve 	jaune
A quarante ans tient garnison à l'ouest.
Jadis sergent en son village, un foulard sur la tête,
Il y revient les cheveux gris, pour repartir à la frontière.
A la frontière le sang coule.
Un lac de sang.
Le seigneur de la guerre veut ouvrir notre frontière et s'obstine.
Ne vous a-t-on pas dit que dans notre province du Chan-toun en 	deux cents villes,
Mille villages, dix mille hameaux ne poussent plus que des épines?
Si la femme est assez forte elle mène la charrue.
Que la maison pousse sur les tombes, peu importe.
Et toujours nos soldats endurent de pénibles 	combats,
Poussés en avant comme s'ils étaient chiens ou volailles.
Si le chef l'interroge,
L'homme ne cache pas son chagrin.
Et encore l'hiver dernier,
Qu'on ne nous avait pas retirés des passes de 	l'ouest
Le percepteur exigeait l'impôt.
L'impôt, mais où le prendre?
Maintenant c'est un malheur d'avoir un fils,
Un bonheur s'il naît une fille
Car on peut encore la marier dans le voisinage.
Mais un fils n'a pour sépulture que l'herbe sauvage.
Vous n'avez pas vu
Aux rives de Koukou-noor
Les ossements blanchis que nul n'a recueillis?
Les morts récents s'indignent, les anciens se 	plaignent.
Sous le ciel sombre et la pluie pénétrante on les entend gémir 1.

1. Tr. L. LALOY, Choix de poésies chinoises, Sorlot (I, II, III, IV, VII). SUNG. NIEN Heu, Anthologie de la littérature chinoise, Delagrave (VI). TRAN VAN TUNG, Poésies d'Extrême-Orient, Grasset (V).



§

Tcheou pang-yen

[728]
(Chine. 1056-1121.)
AVENTURE DE JEUNESSE

Les Couteaux semblent de l'eau.
Le sel est plus blanc que la neige.
De ses doigts effilés, elle déchire une orange 	nouvelle.
Dans la première tiédeur de l'alcôve de brocart
Le parfum du musc ne cesse pas.


Puis assise en face de moi, elle joue du luth.
Enfin, à voix basse, elle demande :
« Vers quel endroit allez-vous la nuit?
La troisième veille a déjà sonné sur les murailles.
Votre cheval glisserait sur l'épaisse gelée blanche.
Il est mieux de ne pas me quitter.
Vraiment, il y a trop peu de passants dehors.1 »


1. Tr. G. SOULIÉ DE MORANT, Florilège de poèmes Song, Plon.



§





L'OCÉAN DU CIEL
[745]

Sur l'océan du ciel, 
Les nuages en vagues se dressent 
Et la lune, frêle esquif, 
A travers la forêt d'étoiles 
Fait rame, sombre, et disparaît.

§§

La Montagne vide (P Carré & Z.Bianu 1987)

La Montagne vide

Anthologie de la poésie chinoise (IIIe - XIe siècle)

Traduuite et présentée par P. CARRÉ et Z. BIANU

« Spiritualités vivantes » Albin Michel 1987

[...]

La métaphysique de l'instant

La simplicité parfois déconcertante de ces poèmes exige un état de pleine réceptivité. Intériorisez-moi, murmurent-ils. « Le poème, écrit Bachelard, est une métaphysique instantanée (...). En un court poème, elle doit donner une vision de l'univers et le secret d'une âme, un être et des objets tout à la fois » ; et Hölderlin de préciser que « l'objet particulier et le tout forment un seul ensemble vivant ». Dans cette poésie de l'inlassablement même, la fraîcheur est sans cesse renouvelée ; les clichés — « lune claire », « bleu des brumes », « oubli des mots », « extrême rivage » — sont les paillettes d'un kaléidoscope aux lumières imprévisibles. Le poète chinois combine les figures d'un stock d'images limité pour fixer, dans son infinie diversité, la particularité de l'instant, comme s'il déployait les accords élémentaires du monde jusqu'à faire du poème un état spécifique de la nature :


« Le sens du poème est parmi les bambous.

L'esprit de la Voie naît au-dessous des pins. »

(Ts'ien K'i)


Ainsi, notre anthologie n'a d'autre visée que de transmettre les éclats de transparence de cette poésie du réel où vibrent la gaieté sereine et le sourire du visage du vent d'est, saisir ces instants-déclics où se dévoile la lumière du vide.





Che-Tô

(fin du VIe siècle)


Nulle part je n'habite.
Je couche dans l'Absolu,
Je grimpe au Nirvâna :
Au temple du bois d'encens,je joue.

Le plus souvent, je fais sans faire. 
Fortune et renom ? Bulles d'illusion. 
Si même l'océan se couvrait de mûriers, 
Nos esprits ne sauraient se rencontrer.
[52]

§

Hiuan-kiue de Yong-kia

(665-713)

Voie (1)


Clair miroir de l'esprit libre en tous reflets, 
Pleine lumière du vide en chaque grain d'univers. 
Aux dix mille ombres de l'exubérante multitude 
Une perle irradie dans l'oubli de l'espace.
[54]

§

Li Po

Poème ancien


La mer Pourpre au matin m'enivre ;
Je porte le soir un manteau de brumes rouges.
De l'arbre à soleils* je brise une branche 
Pour balayer les rayons du couchant !

Porté par un nuage, je voyage aux Huit Pôles :
Mille givres de jade gèlent mon visage !
Je pénètre l'infini tournoyant
Et me prosterne devant le Maître des Hauteurs.

Il m'invite à traverser l'Ultime Blancheur**, 
Me verse le Nectar dans une coupe de jade. 
D'une goutte surgissent dix mille ans !
Pourquoi retourner au pays ?

Au souffle du bon vent, sans fin je m'abandonne, 
Libre tourbillon par-delà le ciel.

* »L’arbre à soleils », littéralement « arbre Jo » aux fleurs cramoisies, est l’arbre du couchant. Le poète K’iu Yuan (340-278) av. J.-C. Dans le Li-sao, en casse une branche pour arrêter le soleil dans sa chute et empêcher la venue de la nuit.

** « L’ultime Blancheur », ou « Grande Simplicité », est, selon Lie-tseu (T’ien-jouei), l’état originel de la matière.

[note, 151]

[70]

§

En écoutant Siun, moine du Sseu-tch'ouan, jouer du luth


Portant le bois divin, le moine du Sseu-tch'ouan
Au versant ouest descend le mont Omei.
Sa main glisse sur les cordes —
Le chant des pins résonne aux mille vallées.

L'esprit se lave à l'eau des rivières,
L'ultime écho retourne à la cloche de givre. 
Je n'ai pas vu le soir venir aux monts de jade 
Qu'ombraient déjà les nuages d'automne.
[78]

§

Wang tche-Houan

(695- ?)


Montée au pavillon des Cigognes


Le soleil sur les monts épuise sa blancheur ;
Le fleuve Jaune coule vers la mer.
Si tu veux voir à perte de vue,
Gravis un autre étage !
[106]

§

Wen t'ing-Yun

(seconde moitié du IXe siècle)


Séjour en montagne, début d'automne


Le matin froid glisse de la montagne proche : 
Devant mon refuge, s'ouvrent les vapeurs de givre. 
Nudité des forêts, soleil à ma fenêtre —
Au plein étang, le silence de l'eau.

Les fruits tombent au passage des singes ; 
A la foulée des biches, les feuilles craquent. 
Le luth blanc apaise le bruit des pensées ; 
La source pure est ma compagne de la nuit.
[137]

§

Sou tong-p'o

Visite aux deux moines bouddhistes du

Mont-Orphelin

le jour du sacrifice de fin d'année


Neige qui vient
sur le lac empli de brumes.
S'éclairent et s'éteignent les palais :
parfois la montagne, parfois son absence.
Jaillie des rochers, l'eau révèle
les poissons évidents.
Le bois profond est vide,
où les oiseaux s'appellent.
En ce jour de fête,
j'ai délaissé femme et enfants
A la recherche d'un homme de la Voie —
ma vraie joie !

Où habite un tel homme ?
Au mont des Nuages précieux,
le chemin serpente.
Qui construirait son refuge
dans les solitudes du Mont-Orphelin ?
Pour les adeptes, qui vivent de la Voie,
la montagne n'est plus solitaire !
Dans l'intime chaleur
d'une maison de bambous, aux fenêtres en papier,
Ils méditent et dorment, vêtus de coton,
sur un coussin de joncs.
La route longue au froid du ciel
chagrine mon serviteur.
Il prépare l'attelage
et me presse de rentrer avant le soir.
Au sortir des montagnes, je me retourne —
arbres et nues se confondent.
Un aigle seul
plane au-dessus des pagodes.

Errer à l'abandon fait ma joie !
Le retour me surprend
comme un rêve évanoui.
Je me hâte d'écrire
ce qui déjà disparaît.
Comment restituer
un paysage perdu ?
[145]

§§

Entre source et nuage, la poésie chinoise réinventée (F. Cheng 1990)



ENTRE SOURCE ET NUAGE, LA POÉSIE CHINOISE RÉINVENTÉE

Albin Michel 1990



Avant-propos (François Cheng)

[...] Au point que la poésie, en liaison avec la calligraphie et la peinture — appelées en Chine la Triple-Excellence — devient l'expression la plus haute de la spiritualité chinoise. On sait que cette spiritualité s'est nourrie de trois courants de pensée : le taoïsme, le confucianisme et le bouddhisme. A la fois opposés et complémentaires, s'interpénétrant sans cesse, ceux-ci contribuent à féconder la pensée chinoise en la douant d'un regard multiple et en l'empêchant de demeurer univoque et figée. A sa manière, la poésie participe de ce mouvement d'une pensée en continuelle transformation interne.


Elle débute environ mille ans avant notre ère avec le Shih-ching (« Livre des Odes »), un ensemble des chants produits essentiellement dans la « Plaine centrale » située au nord de la Chine et parcourue par le fleuve Jaune et son affluent la Huai. Cette poésie est caractérisée par son style dépouillé et concis, non épique, au rythme sobre et aux thèmes très proches de la vie réelle des hommes, leurs travaux des champs, leurs rites et fêtes, les joies et les peines qu'ils éprouvent, ainsi que leurs règles de conduite. Confucius lui-même et par la suite les confucéens se réclameront de cette tradition. Quelques siècles après le Shih-ching (vers le Hie siècle avant notre ère), une autre poésie chantée a pris son essor dans le royaume de Ch'u, situé lui au coeur du bassin du fleuve Yang-tse, au centre-sud de la Chine, poésie fortement marquée par cette région à la végétation luxuriante et aux paysages par endroits féeriques ou fantastiques. D'inspiration chamaniste, au rythme long et incantatoire, débordants d'images rêvées ou mythiques, les chants de Ch'u sont avant tout une recherche de la communion avec les éléments de la nature transformés en autant d'esprits, et par là, une quête nostalgique du divin. Par leur tendance à donner libre cours à l'imagination, à s'affranchir des contraintes trop formelles, ils sont proches de l'esprit taoïste. Ainsi, dès son origine, la poésie chinoise ancienne, avec ces deux sources majeures, possède sa chance de se maintenir mouvante, ouverte. Plus tard, lorsque la Chine aura assimilé pleinement le bouddhisme, introduit en Chine vers le IVe siècle, une troisième source viendra se joindre aux deux sources originelles, en apportant la vision particulière qu'elle véhicule, notamment un certain accent mis sur la pure méditation et l'intériorité, une interrogation sur l'ultime salut.


A l'époque des T'ang où le pays, après l'effondrement des premiers empires Ts'in et Han et la longue période de désordre et de division dus aux invasions barbares, retrouve son unité, les trois courants de pensée,

12


Avant-propos

reconnus à présent comme base idéologique de la société, imprègnent les créations artistiques. Dans le domaine poétique, trois figures représentatives se détachent : Li Po, de tendance taoïste, épris de liberté, chante la communion totale avec la nature et les êtres ; Tu Fu, essentiellement confucéen, soucieux de l'engagement, exprime avant tout le destin douloureux de l'homme, mais également sa grandeur ; Wang Wei, l'adepte, vers la fin de sa vie, du bouddhisme Ch'an, fixe ses expériences méditatives dans des vers d'une parfaite simplicité. A côté de ces géants se trouvent bien d'autres poètes, contemporains à eux ou venus une ou deux générations après, qui exaltent, chacun à leur manière, les thèmes qui leur sont chers : un Meng Hao-jan et un Chiao Tao qui, en des vers dépouillés, révèlent leur désir d'évasion et de communion spontanée ; un Po Chü-i qui dénonce l'injustice sociale et décrit la souffrance des humbles en recourant à la forme du chant populaire ancien ; un Ch'ien Chi dont les chants rythmés, proches de l'incantation, se veulent un médium qui permet d'accéder au mystère de l'au-delà ; un Li Ho, hanté lui aussi par la vision de l'au-delà, par le monde des morts, dévoile, avec un accent pathétique, la tragique beauté de la vie terrestre ; un Li Shang-yin, chantre ardent de la passion de l'amour ; un Tu Mu et un Wen T'ing-yun qui, à la fin des T'ang, expriment toute la nostalgie d'un bonheur vécu ou rêvé, désormais inaccessible.

Sous les Sung, une certaine synthèse est faite sur le plan de la pensée, notamment par les philosophes néo-confucianistes qui tentent d'intégrer les apports du taoïsme dans leur conception cosmologique, et les éléments du bouddhisme dans leur théorie de la connaissance. A partir de cette synthèse, un nouveau type de lettré-artiste est né. Le représentant le plus éminent en est sans doute Su Tung-po dont la voix inspirée domine toute son époque, pourtant foisonnante de créations nouvelles. Peu après lui, une autre voix, au milieu de tant d'autres, se fait entendre, la plus pure, la plus fine, la plus singulière aussi, celle de la poétesse Li Ch'ing-chao. Cette figure infiniment attachante, chère au coeur de tous les Chinois, honore la poésie chinoise par son chant frémissant de sensibilité, tout de nuances subtiles et de musicalité. [...]


§




Li Po

À UN AMI QUI M'INTERROGE

Pourquoi vivre au coeur de ces vertes montagnes ? 
Je souris, sans répondre ; l'esprit tout serein. 
Tombent les fleurs,coule l'eau,mystérieuse voie... 
L'autre monde est là, non celui des humains.

§



Li Po

BUVANT SEUL SOUS LA LUNE


Pichet de vin, au milieu des fleurs.

Seul à boire, sans un compagnon.

Levant ma coupe, je salue la lune : A

vec mon ombre, nous sommes trois.

La lune pourtant ne sait point boire.

C'est en vain que l'ombre me suit.

Honorons cependant ombre et lune :

La vraie joie ne dure qu'un printemps !

Je chante, et la lune musarde,

Je danse, et mon ombre s'ébat.

Éveillés, nous jouissons l'un de l'autre ;

Et ivres, chacun va son chemin...

Retrouvailles sur la Voie lactée :

A jamais, randonnée sans attaches !


33


§



Tu Fu

VILLAGE PRÈS D'UNE RIVIÈRE*

Eau claire, méandres enserrant le village.
Longues journées d'été où tout est poésie.
Sans crainte, vont et viennent les couples 	d'hirondelles ;
Les mouettes, les unes contre les autres, dans 	l'étang.

Ma vieille épouse dessine un échiquier sur papier. Mon fils, pour pêcher, tord son hameçon d'une 	aiguille. 
Souvent malade, je cherche les plantes qui 	guérissent : 
Quoi d'autre peut-il désirer, mon humble corps ?
	

* Ce poème et le suivant ont été écrits probablement vers 761, à Ch'eng-tu (au Ssu-ch'uan), où Tu Fu venait de construire sa chaumière. C'est la période la plus heureuse et la plus paisible de sa vie.

	
46

§

Ch'ien Ch'i

PASSANT LA NUIT EN COMPAGNIE D'UN PÊCHEUR SUR LA RIVIÈRE LAN-T’IEN

Seul en voyage, maintes fois j'oublie le retour.
D'autant moins je le regrette quand le lieu est 	reclus. 
Trempant mes cheveux dans la source fraîche et 	claire 
Longuement je me laisse retenir par la clarté 	lunaire. 
Attirante est la figure du vieux pêcheur, là,
Calme et immobile, pareil à l'aigrette sur le 	sable. 
En partage nous n'avons qu'un coeur de nuage blanc Ensemble nous savourons le délice de l'espace sans 	limite.
Parmi les roseaux, les feux nocturnes peu à peu 	s'éteignent ;
Bientôt les monts d'automne accueilleront l'aube. Destin des oiseaux qui s'assemblent puis se 	séparent : 
En leur errance n'est-il jamais de retrouvailles ?

80

§


Po Chii-i

VIEUX CHARBONNIER

Vieux charbonnier, au mont du Sud,
Coupe du bois et puis le brûle...
Visage couleur de feu, de suie,
Tempes grisonnantes, mains noircies.
A quoi lui servirait le peu d'argent gagné ?
Des habits pour son corps, des vivres pour sa 	bouche.
Quelle pitié ! Si mince déjà son vêtement,
Et lui, il souhaite un temps plus froid encore.
Cette nuit, la neige est tombée sur la ville :
Dès l'aube, il pousse son chariot sur la route 	gelée ;
A midi, le boeuf est las et l'homme affamé.
Porte du Sud : tous deux se reposent dans la boue.
Qui sont ces cavaliers qui arrivent fringants ?
Un messager en jaune, suivi d'un garçon en blanc.
Un parchemin dans la main : « Par ordre impérial!»
Huant le boeuf, ils tournent le chariot vers le 	nord.
Une charretée de charbon — plus de mille livres —,
Prise par les gens du palais : à qui se plaindre ?
Une demi-pièce de gaze, dix pieds de soie légère
Attachés au boeuf : voilà le prix qu'ils te payent !

* Vers 14 : Agents de réquisition du palais impérial.

Vers 19: Indemnité dérisoire dont le charbonnier ne saura que faire.


106

§

[j’y adjoint un poème extrait de:]



François CHENG


L'ÉCRITURE POÉTIQUE CHINOISE

SUIVI D'UNE ANTHOLOGIE DES POÈMES DES T'ANG

ÉDITIONS DU SEUIL 1977

Chia Tao

Visite à un ermite sans le trouver 1

Sous le sapin / demander jeune disciple 
Dire maître / cueillir simples partir 
Seulement être / au milieu de cette montagne Nuages profonds / ne point savoir où

Sous le sapin, j'interroge le disciple :
« Le maître est parti chercher des simples,
Par-là, au fond de cette montagne.
Nuages épais : on ne sait plus où... »


La visite est souvent l'occasion d'une expérience spirituelle; l'absence de l'ermite accentue l'écart spirituel entre celui-ci et le visiteur.

Dans ce poème, les quatre vers qui contiennent le renseignement donné par le jeune disciple (renseignement de plus en plus vague) marquent en réalité les quatre étapes dans l'ascension spirituelle du maître : vers 1 : un lieu habité; vers 2 : un chemin ou une voie; vers 3 : communion profonde avec la nature; vers 4 : esprit complètement détaché. [146]

François CHENG

Anthologie bilingue de la poésie chinoise classique (M.Coyaud 1997)

LES BELLES LETTRES
1997



QUADRISYLLABES

Le liseron

À la campagne les liserons Tout chargés de rosée, ah! Voici une beauté
Limpide et mignonne, ah! Je l'ai rencontrée
Elle me convient, ah!

À la campagne les liserons
Tout dégouttants de rosée, ah!
Voici une beauté
Mignonne et candide, ah!
Je l'ai rencontrée
Quel trésor! ah !
35

§

PENTASYLLABES

Tao Yuanming

Retour au potager, vie aux champs (4)

Longtemps je suis parti, bien des errances
Je cours aux joies des bois et des champs
Je m'essaie à emmener par la main enfants et neveux
Ecartant les coudriers, nous marchons dans un village ruiné
Allons et venons parmi les tombes
Apercevons à peine les antiques demeures
Voici un puits, un four : simples vestiges
Mûriers, bambous : restent des souches pourries
J'interroge des bûcherons :
Que sont devenus tous ces gens ?
Les bûcherons me répondent :
Morts, sans retour
"En une seule génération changent et les villes et la Cour"
Ce dicton n'est vraiment pas faux
La vie humaine c'est comme illusions et transformations
A la fin, on retourne au néant
49

§

Buvant de l'alcool (7)

En automne les chrysanthèmes ont un charme 1 fou
Imbibés de rosée, on cueille leur gloire
On vogue sur leur parfum, oubliant tout souci
Il est loin mon moi, j'ai laissé les affaires du monde
Une coupe! quoique tout seul, je me sers
La coupe est-elle vidée ? le pot se penche de lui-même pour servir
Le soleil se couche, les gens reprennent souffle
Les oiseaux reviennent, vite vers la forêt pour chanter
Je chante à tue-tête, sous la vérandah-est
Heureux d'avoir obtenu ce genre de vie

1. sè signifie à la fois "couleur" et "séduction (sexuelle souvent)".

55


§

Me rendant en groupe au cimetière

Me rendant en groupe au cimetière de la famille Zhou, sous les cyprès

Aujourd'hui il fait beau
Une brise claire souffle, sons de flûte et de cithare
Pensant à ces morts sous les cyprès
Comment ne pas être heureux ?
Des chansons limpides se répandent
Le vin vert épanouit les visages parfumés
J'ai oublié les affaires du lendemain
Mes vêtements sont encore assez bons pour être usés jusqu'au bout

58


§

Han Shan

« Sous une poutre de chaume un sauvage habite »

Sous une poutre de chaume un sauvage habite
Devant la porte bien rares passent chars et chevaux
Dans le secret de la forêt se rassemblent des oiseaux
Dans la largeur des cours d'eau, au fond se cachent des poissons


Fruits de la montagne : j'emmène mon fils les cueillir 
Champs surélevés : avec ma femme je les sarcle
Dans la maison, qu'y a-t-il ?
Seulement un lit de livres
60

§

Li Bai

« Le bonze de Shu étreignant sa harpe... »

Ecoutant le bonze de Shu gratter de la harpe

Le bonze de Shu étreignant sa harpe bariolée de vert
A l'ouest, a descendu les cimes du mont Emei
Pour moi, il effleure son instrument
On croirait entendre bruire les myriades de pins dans les gorges
Les eaux courantes purifient le coeur de l'invité
Les sons de la harpe résonnent avec les clochettes saisies de givre
On ne s'aperçoit pas même pas du crépuscule de jade qui tombe 	sur les montagnes
Ni de la pénombre qui envahit les nuages de l'automne 1

1. Et jam somma procul villarum culmina fumant

Majoresque cadunt altis de montibus umbrae

Virgile, Bucoliques, I, fin.

84


§

Meng Hao-ran

Aurore au printemps

Au printemps, réveillé par l'aurore 1
On entend partout crier les oiseaux
La nuit venue, bruit du vent et de la pluie
Les fleurs choient, sait-on combien ?

1. Quel champ accorder aux déclins des saveurs,

quand l'aurore se formule en buissons d'étamines ?

Et jamais ne survit la digression des fleurs.

Jacques Garelli, L'ubiquité d'être (Corti, 1986).

(bonheur de lire des alexandrins dans un recueil d'où ils sont bannis ; le dernier rappelle le fameux vers de Ronsard : Et les fruits passeront la promesse des fleurs).

87


§

Du Fu (Tu Fu)

 (712-770)


Rêvant à Li Bai

Séparation par la mort : j'avale mes sanglots
Séparation mais vivant : je pleure sans cesse
Du sud du Fleuve, pays de malaria
On n'envoie pas de nouvelles
L'ami est entré dans mes songes
Il sait donc que je pense à lui toujours
Toi, maintenant, pris au filet,
Comment as-tu repris l'usage de tes ailes ?
C'est peut-être un simple fantôme
La route mène loin. On ne peut sonder le vrai.
Le fantôme vient d'un bois d'érables vert sombre
Le fantôme retourne par une passe noire
La lune qui tombe éclaire les poutres de ma pièce
Comme si elle faisait luire un visage
Eaux profondes, vagues étendues
Ne laisse pas les dragons t'attraper!
Les nuages flottant ne cessent d'aller
L'errant depuis longtemps ne revient pas
Trois nuits de suite, voilà que tu me hantes en songe
Tes sentiments pour moi sont bien visibles
A l'instant des adieux, tu es bien inquiet
Pénible est le chemin ; pas facile de marcher
Sur fleuve et lacs, beaucoup de vent et vagues
On a peur pour les rames, qu'elles sombrent
En sortant, tu te grattais le chef blanchi
Comme accablé des soucis de la vie ordinaire
Chapeaux de mandarins, baldaquins, plein la capitale!
Toi, seul, tu te ronges de chagrin
Qui dit que les mailles du filet enserrant le ciel sont lâches ?
Un homme vieillissant s'y est pris!
Pour mille automnes et dix mille ans, tu seras célèbre
Une vie passée dans la misère, voilà le prix!

90-91






CONCLUSION
Voir un ami en rêve

En lisant le merveilleux poème de Du Fu (p. 90-91) qui voit en songe le fantôme de son pauvre ami Li Bai dans son triste exil, comment ne pas se souvenir des "Deux amis" que La Fontaine (Fables, VIII-11) faisait vivre au Monomotapa (lieu mythique, inexistant, montrant bien que de tels amis ne se trouvent pas) ?


Vous m'êtes en dormant un peu triste apparu ; 
J'ai craint qu'il ne fût vrai, je suis vite accouru. Ce maudit songe en 	est la cause.
	[...]
Qu'un ami véritable est une douce chose.
Il cherche vos besoins au fond de votre coeur ; 
Il vous épargne la pudeur
De les lui découvrir lui-même.
Un songe, un rien, tout lui fait peur
Quand il s'agit de ce qu'il aime.

On connaît moins le poème que Ronsard écrivit quelques mois après la mort de Joachim du Bellay (qui survint le ler janvier 1560) ; il vaut la peine d'être cité un peu longuement (dans l'orthographe originelle), afin de le mettre auprès de celui de Du Fu :


L'autre jour en dormant (comme une vaine idole, 
Qui deça qui dela au gré du vent s'en volle) M'apparut du Bellay, 	non pas tel qu'il estoit 
Quand son vers doucereux les princes arrestoit, 
Et qu'il faisoit courir la France après sa lyre, Qui encore sur tous le 	plaint et le désire : 
Mais have et déscharné, planté sur de grands os
	[...]
Il me disoit : "Ronsard, que sans tache d'envye J'aymé, quand je 	vivois, comme ma propre vie, 
Qui premier me poussas et me formas la voix 
A célébrer l'honneur du langage françois"
	[...]	
Ronsard, retire toy
Vy seul en ta maison, et jà grison delaisse
A suivre plus la Court, ta Circe enchanteresse.

276



§

Wang Wei

Plage aux galets blancs



Limpide, peu profonde, l'arène aux cailloux blancs sous l'eau
Les verts roseaux, on pourrait les saisir
Des familles habitaient aux rives du ruisseau
Elles lavaient la soie grège au clair de lune

105

§

Du torrent aux épineux

Du torrent aux épineux émergent des rocs blancs L'espace est froid, les feuilles rougies se font rares 
Sentier de montagne : plus de pluie
Le ciel devenu bleu, mes habits encore humides

§

Su Dong-po

	

Croisière sur la Ying

En amont, la rivière est droite et limpide
En aval, sinueuse et ridée
De la barque décorée, je me penche sur le clair miroir
Souriant j'interroge :"Eh, toi! qui es-tu ?"
Soudain apparaît une carapace écailleuse 1
Qui trouble ma barbe et mes sourcils
Les disperse en cent Dong-po
Un moment après, me voilà derechef ici

1. Le poète aurait-il vu son effigie dispersée par une tortue ?

126

§

Quand Yu-ke' peint un bambou

Quand Yu-ke 1 peint un bambou
Il voit le bambou, il ne voit pas les gens
Comment! non seulement il ne voit plus personne
Mais encore, il s'oublie lui [son corps]-même
Son corps s'est changé en bambou
Inépuisablement sort clarté et fraîcheur
Tchouang-tseu 2 n'est plus là
Qui connaît maintenant un tel pouvoir magique ?

1. Poème écrit en 1087 à la capitale, à propos de son cousin Wen Yu-ke, célèbre peintre de bambous.

2. Zhuâng Zhôu est le vrai nom du sage taoïste plus connu sous celui de Maître Tchouang. On peut lire ses oeuvres en français dans La Pléiade.

127

§



HEPTASYLLABES

Du Fu

(712-770)	

Escalade

Vent furieux, ciel haut, les singes crient leur chagrin
Îlot clair, sables blancs, les oiseaux tourbillonnent
Sans limite, les arbres laissent tomber leurs bruissantes feuilles 1
Sans arrêt, le Grand Fleuve roule vers nous ses flots
A mille lieues de ma famille, tristesse automnale, je suis étranger
Toute mon existence, valétudinaire! seul encore, j'escalade cette 	hauteur
Soucis, chagrins, rancoeur, j'en ai plus que de cheveux de givre sur 	mes tempes
Effondré, bon à rien, j'ai cessé de boire le vin nouveau 2

1. L'arbre est morne en grand appareil

Et se désole feuille à feuille

P. Reverdy, Main d'oeuvre, (p. 443).

2. Il devrait pourtant ce jour-là aussi suivre le conseil du poète anacréontique :

"Quand je bois le vin, dorment les soucis ;

que m'importent gémissements, peines, soucis ?"

157



Village fluvial



La rivière embrasse dans ses courbes le village
Long été, village fluvial en pleine torpeur calme
Vont et viennent les hirondelles au-dessus du temple
Les mouettes font des travaux d'approche amoureuse


Ma vieille épouse peint sur papier pour faire un échiquier 
Mes enfants frappent une épingle pour fabriquer un hameçon 
Mon vieil ami m'a fourni du riz sur ses émoluments 1
Ma chétive personne, que voudra-t-elle de plus ?

1. Fort contraste entre le superbe premier quatrain, et le second, "chétif" et humble. Belle illustration de la "juxtaposition" chère à Eva Chou (op. cit.)

Uma gaviota que passa "Une mouette passe

E a minha ternura é major et ma tendresse grandit"

F. Pessoa, Oeuvres complètes (La Différence, 1989, t. 3, p. 101).


Mouette à l'essor mélancolique

Elle suit la vague, une pensée,

A tous les vents du ciel balancée,

Et biaisant quand la marée oblique

Verlaine, "Sagesse"

161

§

Han Yu

(768-824)

Rochers de montagne

Parmi les blocs de rocs raboteux 1 passe un sentier mince
Jaunes du crépuscule, j'arrive au temple, chauves-souris de voler
Je m'assieds sur les marches de la grande salle, la pluie a cessé
Feuilles de bananier larges, jasmins du Cap luxuriants
Un bonze dit la beauté des vieilles fresques de bouddhas au mur
Il vient avec une torche les éclairer, comme elles sont rares!
Il étend le lit, secoue la natte, pose la soupe 2 	et le riz cuit
Le riz non décortiqué suffit à me rassasier
La nuit s'approfondit, je me couche, les bestioles cessent de crier
Une claire lune sort, illumine les cimes, entre par l'écran
L'aurore point, je sors seul, sans prendre le chemin
De tous côtés, les brumes s'effilochent dans l'immensité
Montagnes rouges, torrents de jade, tout flamboie et brille
Parfois on voit des chênes 3 aux troncs énormes
Pieds nus, je passe à gué les torrents de pierre en pierre
Bruit de l'eau, le vent s'engouffre dans mes habits
Une vie humaine dans ces conditions, quel bonheur!
Pourquoi faut-il endurer ? blanchir sous le harnois ?
Puissé-je avec deux ou trois copains
Revenir ici et ne plus en repartir

1. qiào : caractère rare, la pierre ( ) à gauche de la corne : "raboteux". Dans son Parti pris des choses, Ponge nous dit que

tous les rocs sont issus par scissiparité d'un même aïeul énorme. De ce corps fabuleux l'on ne peut dire qu'une chose, savoir que hors des limbes, il n'a point tenu debout. La raison ne l'atteint qu'amorphe et répandu parmi les bonds pâteux de l'agonie. (p. 92).


Parsemées sous bois par le Temps, d'inégales boules de mie de pierre, pétries par les doigts sales de ce dieu. Depuis l'explosion de leur énorme aïeul, et de leur trajectoire aux cieux abattus sans ressort, les rochers se sont tus. (p. 95).


2. gêng : soupe de viande et légumes.


3. Cronartium quercum.

197

§

Han Yu

(768-824)

Nuitée dans un temple

Nuitée dans un temple du mont Heng, poème écrit sur le portail
[…]
Dans le temple, un ancien connaît les volontés des dieux
Il m’examine, scrute, fait des courbettes
Dans sa main, une coupe de magie, il m'apprend à la manipuler
II me dit : "Voilà du propice! le reste ne l'est 	pas autant"
Fourré chez les Barbares du sud, par chance, je ne suis pas mort
J'ai en suffisance de quoi manger et m'habiller
Mais de devenir marquis, prince, général, ministre, l'espoir est 	perdu
Les dieux seraient indulgents ? mon désir de 	fortune, peu de 	chances de succès
Je passe la nuit dans un haut pavillon au temple bouddhique
Lune et étoiles voilés par les brouillards de l'aube 1
Cris des singes, tintements des cloches ne me réveillent pas
Les rayons du soleil glacial apparaissent à l'orient.

1. L'inspiration de ce poème fait penser à Hugo :

Là, sombre et s'engloutit dans des flots de désastres

L'hydre Univers tordant son corps écaillé d'astres

V. Hugo, "Ce que dit la bouche d'ombre".

203,205
§

Su Dong-po

161

« La vie humaine, jusqu'où va-t-elle ?... »

La vie humaine, jusqu'où va-t-elle ? à quoi ressemble-t-elle ?
Elle doit sembler un cygne qui vole, se pose sur la neige ou la fange
Sur la fange, il arrive qu'il laisse vestiges de ses griffes
Le cygne s'envole, savoir où ? est ? ou ouest ?
Le vieux moine est déjà mort, devenu neuve pagode
Le mur s'effondre, plus moyen de voir les anciennesinscriptions
La journée de voyage, : des hauts et des bas, t'en souviens-tu ?
La route est longue, les gens las, les ânes trébuchent et braient 1

1. Poème écrit en 1061 au temple de Mianchi. Interrogations hâchées, angoisse. Les traces hasardeuses des griffes du cygne sur la boue : les écrits des voyageurs sur les murs délabrés du temple où ils ont passé la nuit, les poésies du fonctionnaire en voyage, autant de choses périssables. Thème usé sans doute, un poncif sans doute, mais étrangement poignant ici. Comment ne pas évoquer les derniers vers de la Huitième Pythique de Pindare ?

"Ephémères! Etre quelqu'un? N'être personne? Rêve d'une ombre

est l'homme. Mais quand un rayon dieudonné survient

un vif éclat plane sur lui, et un âge miellé."

Pindare, (Oeuvres complètes (Trad. Savignac, La Différence, 1990, p. 233.)

222
§

« La pluie a lavé le côteau oriental... »

Côteau oriental

La pluie a lavé le coteau oriental 1, la lune a une teinte pure 
Les citadins marchent, et les campagnards marchent Je ne renâcle pas devant les cailloux du sentier pentu 2 
J'aime le son de mon bâton les frappant

1. Ce pourraît être : "La pluie m'a lavé".


2. Si j'ai du goût ce n'est guère

Que pour la terre et les pierres

A. Rimbaud, Une saison en enfer, Faim.


Voyons aussi ces vers des Contemplations :

Une caresse sort du houx et du chardon ;

Tous les rugissements se fondent en prières ;

On entend s'accuser de leurs forfaits les pierres ;

Tous ces sombres cachots qu'on appelle les fleurs

Tressaillent ; le rocher se met à fondre en pleurs

[...]

Hélas le cygne est noir, le lys songe à ses crimes ;

La perle est nuit ; la neige est la fange des cimes.

V. Hugo, "Ce que dit la bouche d'ombre".


Quand vous vous promenez le soir parmi les chênes

Et les rochers aux vagues yeux

V. Hugo, "Horror".

224

§

« Le vent souffle de biais... »

Paysage vespéral au Pavillon "Bellevue sur la mer"


Le vent souffle de biais, fait entrer la pluie dans le pavillon 
Superbe spectacle, il faudrait l'exalter par des vers
La pluie finie, la marée apaisée, fleuve et mer sont de jade 
Quand l'éclair luit, il trace des serpents violets et dorés


§

VERS IRRÉGULIERS

« A l'aurore, je bois la rosée... », lisao

Prenons comme second exemple [de vers irréguliers] le lisao de Qu Yuan (340-278 avant notre ère). C'est un poème d'environ 370 vers allant de cinq à dix pieds 1.

Le sens de lisao est l'objet de discussions : lî "séparer", sâo "agitation, ennuis". On peut interpréter ce titre comme "Tristesse de la séparation". (Voir d'autres explications dans Huang, op. cit., p. 55-56). Si l'on regarde la strophe commençant par le vers 65, on trouve une succession de vers de huit, sept, dix, et six pieds.

A l'aurore 2, je bois la rosée tombée sur les fleurs de magnolia, 
Au crépuscule, je mange les pétales tombés des chrysanthèmes, 
Il suffit de jouir d'une nature simple et belle
Je ne serais pas hâve, triste même avec un visage blême.

On constate des parallélismes : aurore / crépuscule ; après la particule ( ) zhi de détermination, ( ) zhûi et ( ) lûo signifient tous deux "tomber" ; la marque de respiration xi (prononcé à l'époque /a/) apparaît à la fin du premier et du troisième vers. Le deuxième caractère du dernier vers cité est en fait ( )


1. On peut consulter Qu Yuan ( ), et le Lisao ( ) Texte, étude et commentaires, par Huang Shengfa (Pékin, 1985).


2. Pour que l'aurore avec sa tendresse tenace

Pour que l'entrée de la lumière au ras des monts

Comme elle éloigne la lune légère, efface

Ma propre fable, et de son feu voile mon nom

Ph. Jacottet, "Prière entre la nuit et le jour", L'ignorant (Gallimard, 1958).

230

Les fu de Bao Zhao

Ce poète des Six Dynasties (220-589) naît au début du Ve siècle et meurt en 466, âgé d'une cinquantaine d'années 1. Dans le fu donné ci-dessous, on peut trouver des vers de cinq pieds, six ou sept pieds. Un xi ( ) est souvent inséré au milieu du vers.

yûn jing xi hâi jié

shàng zhàngxi Sông féng

(lift shili xi jià jin

liâng yàn xi wèi hông

mù qi qf xi yuân fèng hèi

yâng jing jiàn xi tiàn ji hông

bô mâng mâng xi wu dl'

shàn chichi xi wàn chông

Pensées en voyage

Chemin des nuages, route des océans
La mer monte, accompagne les vents
Les eaux automnales chevauchent les gués
Une brume fraîche mange un arc-en-ciel
Vapeurs vespérales au loin, sommets noirâtres
Le soleil diminue ah! l'horizon rougeoie
Les vagues roulent sans fond
Les montagnes s'accumulent sans fin 2

1. On peut consulter un recueil de traductions avec le texte original, présenté par Michel Kuttler, intitulé Sur les berges du fleuve (Orphée, La Différence, 1992).

2. Poids des pierres, des pensées

Songes et montagnes

N'ont pas même balance

Nous habitons encore un autre monde

Peut-être l'intervalle

Ph. Jacottet, Poésies (Gallimard, 1995)

231

Li Bai

Ce ( ) yûe est en vers irréguliers, sur une structure à sept syllabes :

Offrande d'alcool

Vous ne voyez pas que les flots du Fleuve Jaune descendant du ciel
Se précipitent vers la mer et ne retournent pas
Vous ne voyez pas que les miroirs clairs de la salle haute renvoient 	tristement vos cheveux blancs
Le matin, soie bleu-noir, au soir, devenus neigeux
Les humains en leur vie ne sont contents qu'en épuisant les plaisirs
Qu'on ne laisse pas vide le hanap d'or face à la lune
Le ciel m'a donné des talents, je dois les utiliser
Si je disperse mille pièces d'or, il m'en viendra bien d'autres
Que l'on cuise les moutons, que l'on tranche les boeufs pour notre 	joie
Vidons nos trois cents coupes!
Maître Cên, camarade Dan Qiu
Voici de l'alcool! ne cessons pas de trinquer!
Je vous chante un air, tendez l'oreille!
Cloches, tambours, plats raffinés, cela ne me suffit pas!
Ce que je veux c'est l'ivresse, et ne pas m'en réveiller!
Saints et sages de l'antiquité sont bien au calme et ignorés
Seuls ont laissé un nom les grands buveurs!
Jadis le prince de Chen festoyait au palais de Pingle
Dix mille boisseaux d'alcool permettaient de s'égayer et plaisanter
Comment! notre hôte prétexterait qu'il n'a pas assez d'argent ?
Qu'on aille tout de suite chercher à boire!
Cheval à cinq couleurs, manteau de fourrure à mille écus
Appelons le garçon! qu'il les échange contre du bon alcool!
Ensemble noyons l'antique chagrin de l'humanité!
237


Adieux à la Mère céleste (Ballade onirique)

[…]
La pluie tombe tranquillement 4, ah! apparaissent  les brumes
Le ciel se fend, éclairs, tonnerre, écroulements, avalanches	
La porte qui ferme la grotte céleste, soudain, boum! s'ouvre
Antre sombre, infinie ; on n'en voit pas le fond
Soleil et lune brillent, resplendissent sur les terrasses d'or et 	d'argent
Arc-en-ciel pour habit, ah! le vent pour monture
Les seigneurs des nuées, ah! descendent en foule	
Tigres de jouer du tambour et de la cithare ah! phénix de tirer un 	char
Les immortels sont rangés comme des pieds de chanvre
Soudain mon âme frémit, mon coeur tressaille
Epouvanté, je me dresse, et pousse de longs soupirs
Je venais simplement de me réveiller sur oreiller et natte
Brumes et nuages de naguère ont disparu
Les joies en ce monde sont comme cela
Depuis toujours les dix mille choses coulent vers l'est 5
Je te quitte, je pars hélas! quand reviendrai-je ?
Je pais mon cerf blanc parmi les ravins bleu-noir	
Si je dois partir, je le chevaucherai pour visiter
	les monts célèbres 
Comment serais-je capable de baisser les yeux, courber la taille, 	pour servir les Grands
Et de m'interdire d'avoir le coeur et le visage 	ouverts ? 6

4. a est glosé par le Xinhuazidian ( ) "tranquille" ; on s'étonne que Tchang Fou-jouei et Hervouet aient traduit "en trombe" (in Demiéville, 1962).


5. Les dix mille choses coulent vers l'est comme les fleuves de Chine.


6. Les vers 42 et 43 évoquent Joachim du Bellay se lamentant d'avoir à servir à Rome son cardinal, et à faire des courbettes :


Marcher d'un grave pas et d'un grave sourci

Et d'un grave soubris à chacun faire fête

Balancer tous ses mots, respondre de la tête

Avec un Messer no, ou bien un Messer si

Entremesler souvent un petit è cosi

Et d'un son servitor contrefaire l'honneste


241

§



CONCLUSION / Le phénomène Du Fu

Auteur de mille quatre cents poèmes qui nous sont parvenus, et porté au pinacle par la critique chinoise unanime, Du Fu a fait l'objet de nombreux livres et articles. Le dernier d'entre eux, dû à Eva Chou, remarquable, nous aidera dans cette évocation de la stature et du mystère (ou miracle) de simplicité qu'offre l'oeuvre de ce poète. Sa poésie, en effet, c'est sa vie. Réalisme, et "juxtaposition" de scènes abstraites, objectives du moins, avec des détails presque triviaux, du moins directement tirés de la vie quotidienne du poète. Voyons

aussitôt le troisième poème intitulé ( ) "Le village Qiang" :

	
Les poulets piaillent sauvagement
Les invités arrivent en plein piaillement
Nous les chassons, ils grimpent aux arbres
On frappe au portail de ronces
Voici quatre ou cinq vieillards
Venus m'interroger sur mes longues errances
Chacun a apporté quelque chose avec lui
De leurs flacons 1 sort un alcool non tamisé ou clair
Ils disent : "Ne m'en voulez pas si l'alcool est faible
Nous n'avons personne pour labourer nos champs de millet
La guerre n'a pas fini
Les jeunes sont tous au combat à l'est".
Ils demandent que l'on chante pour eux
Ces temps difficiles : j'ai honte devant leurs sentiments profonds
La chanson terminée, je lève les yeux au ciel, je soupire
De toutes parts, les larmes coulent librement

Ce qui fait le charme de ce poème, c'est précisément, caractéristique de Du Fu, la nonchalance de la composition. Tout est prétexte pour écrire des vers. Voilà la poésie de circonstance telle que la prônera Goethe dix siècles plus tard. Le hasard, l'occasion déterminent la création poétique. Nullement la volonté bien arrêtée de composer une oeuvre importante.

1. En réalité, ke avec la clef du bois.

269

[...]


§

[...]

Mais revenons à Du Fu. Son réalisme semble s'en donner à coeur joie dans le second poème sur la ( ) "rivière qui serpente" :

	
Chaque matin, je mets en gage mes habits printaniers
Chaque jour, je reviens du fleuve ivre-mort
Mes dettes d'alcool il y en a partout où je mets le pied
La vie humaine excède rarement soixante dix ans
Les papillons vont de fleur en fleur'
Les libellules frôlent les eaux, repartent en voltigeant
Au paysage clair je dis : nous tournons ensemble
Je n'ai qu'un moment à jouir de vous, ne me trahissez pas !

1. Les papillons jiadié ont des raies noires sur un fond rouge et jaune (Xinhua zidian, 1965). Collègues du papillon de Saint-Amant (Le soleil levant)?


L'abeille [...] sort de la ruche

Et va sucer l'âme des fleurs


Le gentil papillon la suit

D'une aile trémoussante,

Et, voyant le soleil qui luit,

Vole de plante en plante

Pour les avertir que le jour

En ce climat est de retour.

Là, dans nos jardins embellis

De mainte rare chose

Il porte de la part du lis

Un baiser à la rose

Et semble en messager discret

Lui dire un amoureux secret.

		
272


§§



Jeux de montagnes et d'eaux (J.-P. Diény 2001)



quatrains et huitains de chine traduits par jean-pierre diény

encre marine, fougères, 2001



« L'âge venant

«nul rêve qui ne soit de montagne ou forêt »

Li Dongyang



Avertisssement (J.-P. Diény)


Ouyang Xin (1007-1072), l’un (les hommes de les plus éminents de la dynastie des Song, écrivit un jour. entre autres réflexions sur la poésie:


« Notre empire a connu autrefois neuf moines tenus dans le monde pour de bons poètes. Aussi publia-t-on à l'époque une anthologie intitulée « Poèmes des neuf bonzes », aujourd'hui disparue. Quand j'étais jeune,j'ai entendu beaucoup de gens en faire l’éloge. [...]

En ce temps-là, un docteur appelé Xu Dong, excellent écrivain et savant distingué, réunit ces moines poètes. entre lesquels furent partagés des [7] sujets de composition. La règle du jeu leur fut ainsi communiquée : « Défense d'utiliser ne serait-ce qu'un seul mot de la famille suivante : montagne, eau, vent, nuage, bambou, pierre, fleur, herbe, neige, givre, étoile, lune, bête, oiseau. » Sur quoi tous les moines déposèrent leur pinceau.


Cette plaisante comédie se passait au début des Song, au coeur de la période où s'épanouit la poésie paysagiste. Sans doute ces neuf moines, dans leurs temples reculés, s'adonnaient-ils avec prédilection à la peinture des monts et des eaux. Mais l'homme qui les prit au piège, Xu Dong, appartenait à un autre monde. Reçu au concours du doctorat en l'an 1000, fonctionnaire et spécialiste de l'un des classiques de la tradition confucéenne, il était prosateur plutôt que poète. Avec malice, il réduisit au silence ses invités, en leur interdisant de réemployer les matériaux bruts de son catalogue, dont il se doutait bien qu'ils ne pourraient se passer.

Voilà le lecteur prévenu : il trouvera peu de poèmes dans le présent recueil qui eussent échappé


1. Ouyang Wenzhong gong ji , 14, « Shama ».


à la censure de Xu Dong ! C'est à un nombre limité d'objets que s'attache ce genre poétique, et la relative monotonie de son lexique peut paraître un léger handicap. Mais il y a plus grave. En travaillant à la transposition de ces pièces subtiles, le traducteur est bien obligé de s'avouer l'ampleur de la perte. Si je renonce aux savants commentaires, comment tiendrai-je compte à la fois de la lettre et de son au-delà, des réminiscences de la tradition et des allusions à l'actualité, des passions de l'auteur et des drames de son temps ? Comment ferai-je passer le rythme bref et fort du poème chinois dans notre langue encombrée d'outils grammaticaux ? Suis-je en droit de substituer à une musicalité complexe, étrangère à nos oreilles, la douce mélodie de la phrase française ? Enfin, difficulté suprême, peut-être insurmontable pour tout autre qu'un lettré chinois, comment percevoir et conserver le « ton » propre à chacun des grands poètes qui ont évoqué la montagne et l'eau ?

Pour tourner autant que possible ces obstacles, j'ai choisi de « voler » des poèmes, comme disait Claude Roy, auxquels leur simplicité, leur dépouillement, leur transparence, m'ouvraient un accès immédiat. Une sélection, somme toute, révélatrice des goûts du « passeur » que je suis, plutôt que de la grandeur du génie de la Chine, qui créa la poésie paysagiste une bonne quinzaine de siècles avant nous 1, puis la développa puissamment sous le nom de « poésie de la montagne et de l'eau », tel un arbre merveilleux, frondaisons largement déployées sur un unique tronc nourricier. Pour éviter l'écueil des allusions érudites qui auraient fait peser sur la traduction des pièces les plus longues un lourd appareil de notes, je m'en suis tenu à des formes brèves. Le quatrain, issu de l'antique strophe de quatre vers, a conquis peu à peu son autonomie à partir des débuts de notre ère et s'est épanoui pleinement, en compagnie du huitain de formation plus récente, sous les dynasties des Tang (618-906) et des Song (960-1279).

Xu Dong moquait l'apparente pauvreté en images des poètes de la nature. Mais en proscrivant leur bagage de lieux communs, il se privait de la


1. Voir Paul Demiéville, « La montagne dans l'art littéraire chinois », France-Asie 183, 1965. Brillante introduction historique, reprise dans Choix d'études sinologiques (1921-197o), Leiden, 1973.


magie de leur art qui naît de la variété des situations respectives du sujet et de l'objet. Entre les deux peut exister une distance : la montagne est diversement regardée, d'un oeil attentif amusé, émerveillé, subjugué. Mais en sa présence le rêveur passe aisément de l'apaisement à l'oubli de soi, pour se perdre enfin au sein du grand tout.

Il existe des poètes randonneurs et c'est sur les brèves évocations de leurs courses en montagne que s'ouvre le volume. En peu de mots s'y concentrent les impressions que développe en prose le genre familier des récits de voyage. Au tour narratif la description associe ses esquisses, ses lavis, sous des éclairages variables selon les saisons ou selon les moments de la journée, notamment l'aube et le crépuscule où se noient les contours. Poésie et peinture sont si intimement liées que sous le regard du contemplateur le paysage se révèle oeuvre d'art. La montagne, antique divinité généreuse et redoutable, horrifique séjour des monstres, accueille aussi dans sa paix, en période de troubles, ceux qui fuient la poussière et les dangers du monde. Ermites et moines y établissent leurs retraites et monastères, et le regard serein qu'ils portent sur elle en découvre l'auguste majesté, la pureté sublime. Pas plus que de yang sans yin, il n'y a de montagne sans eau. Mais dans un deuxième groupe de poèmes c'est l'eau qui retient toute l'attention : limpidité des bassins et des lacs, inépuisable vitalité des torrents et des cascades, reflets, jeux d'ombre et de lumière. De vastes paysages défilent sous les yeux du voyageur à bord de son bateau, à moins que le poète, immobile sur la rive, ne voie s'évanouir une embarcation dans la brume, emportée mystérieusement vers d'autres cieux.


§§

« Qui se repose au sein des nuées blanches... »

Hanshan


Qui se repose au sein des nuées blanches

N'a nul besoin d'acheter la montagne.

Le val est-il pentu, prends un bâton,

La montée rude, agrippe les lianes.

Les pins resteront verts au fond des gorges,

Au bord des eaux se marbreront les roches.

Les liens brisés, tu n'auras plus d'amis,

Mais au printemps le concert des oiseaux.


19


§

Zhongnanshan, Le mont du Fond du Sud

Wang Wei


Le Faîte unique

approche la cité céleste,

Sa longue arête

atteint les bords de l'Océan.

Nuages blancs,

on se retourne, ils se referment,

Brouillard bleuté,

on y pénètre, il se dissipe.

Tous les terroirs

que traverse le mont diffèrent,

Ombre et lumière

se jouent dans les gorges sans nombre.

Désir m'a pris

d'un gîte pour passer la nuit,

Sur l'autre rive

un bûcheron, je l'interroge.


Le Zhongnanslian (le mont du Fond du Sud) s'élève au sud de l'ancienne capitale, Chang'an.

Il s'appelle aussi "Taiyi", le Faîte unique.


23


§


Inscrit sur le mur du temple de la Forêt de l'Ouest

Su Shi


Vie de profil c'est une chaîne

et de face une cime,

Entre le proche et le lointain,

le haut, le bas, tout change.

Si l'on ignore du Lushan

quel est le vrai visage,

C'est simplement qu'on est soi-même

au coeur de la montagne.


41


§



Sous le regard d'un promeneur matinal nuages et montagnes

Yang Wanli


Une éclaircie au point du jour

dans un ciel sombre encore :

L’oeil captivé ne voit partout

que cimes merveilleuses.

Mais il arrive qu'une cime

soudainement grandisse,

Et l'on découvre qu'immobile

elle est vraiment montagne.


51


§



Montagne au printemps nuit de lune

Yu Liangshi


La montagne au printemps

merveilles à foison

De plaisir on oublie

de rentrer à la nuit

Que je puise un peu d'eau

la lune est dans ma main

Que je me joue des fleurs

tous mes habits embaument.

Un même charme unit

le proche et le lointain

Au départ on regrette

les herbes parfumées

L'oeil cherche au sud : d'où vient

le son de cette cloche ?

D'une tour que dérobent

les vertes profondeurs.


67


§


Ce que j'écrivis sur une porte, à la sortie sud de la capitale

Cui Hu


L'année dernière en ce jour même

dans cette porte s'encadraient

Un visage, un pêcher en fleur,

dont se mêlaient les reflets rouges.

Mais aujourd'hui ne puis savoir

où s'en est allé ce visage,

Fleur de pêcher comme autrefois

sourit aux souffles du printemps.


73


§

Contemplation du soir après la neige

Jia Dao


Main sur sa canne il contemple

la neige après l'accalmie,

Des nuées sur les torrents

s'épaississent par milliers.

Les bûcherons s'en retournent

à leurs masures blanchies,

Et le soleil refroidi

descend sur les hautes cimes.

Parmi la campagne un feu

brûle l'herbe des collines,

Un fil de fumée s'élève

entre sapins et rochers.

En reprenant le chemin

du temple dans la montagne,

Il entend au crépuscule

sonner la cloche en plein ciel.


85


§



en montant au pic Nord du Grand Marais

Ren Yuchen


Du ciel bleu sombre j'approche,

du vide où les troncs se tordent.

La voix des monts m'étourdit,

mais le vent reste invisible.


Mille cimes me fascinent,

est-ce donc une peinture ?

Mais au milieu du tableau

je me suis perdu moi-même.


97


§


Du pic de Mo Li

Wu Weiye



Enfin j'ai compris

l'erreur de ma vie :

N'être pas venu

contempler du ciel

Des monts déchaînés

les nombreux détours,

Et des longues eaux

les brusques méandres.


Debout seul enfin

le calme est venu,

Le fond de mon coeur

soudain s'est ouvert.

Mais sur le sentier

déjà le soir tombe,

Pourrai-je à mon âge

revenir un jour ?


109


§


Vaine recherche de l'ermite

Jia Dao


Sous les pins j'avise

un petit valet.

"Le maître, dit-il,

récolte les simples.

Mais en vérité

dans cette montagne

Au fond d'un nuage

il a disparu."


113


§



En barque sur la Lavandière

Gui Hao


Elle avait hâte, ma barque légère,

D'atteindre le séjour du Bois brumeux !

Assis, debout, entre oiseaux et poissons,

J'ai troublé les reflets de la montagne.


Tandis qu'en haut les falaises dialoguent,

Nos voix sur l'eau amplifient le silence.

Me voici retiré de tout souci,

Rame en suspens face aux derniers rayons.


123


§


En réponse au sous-préfet Zhang

Wang Wei



Au soir de ma vie

j'aspire au silence,

Les dix mille affaires

mon coeur n'en a cure.

J'ai beau réfléchir,

aucun grand projet,

Sinon de revoir

ma vieille forêt.

Le vent dans les pins

délie ma ceinture,

La lune en montagne

éclaire mon luth.

Veux-tu pénétrer

jusqu'au fond des choses ?

Le chant d'un pêcheur

envahit la berge.


127


§

Inscrit dans la Salle de méditation, à l'arrière du Poshansi

Chang Jian



Soleil de l'aube à l'entrée du vieux temple,

Le jour paraît sur la haute futaie.

Un sentier de bambous mène au secret

Des cellules tapies dans la verdure.


Clarté des monts où s'égaient les oiseaux,

Reflets des eaux où s'épurent les coeurs.

Toute rumeur du monde ici s'est tue,

Rien que le son de la cloche et du gong.


149


§



Pouvoir de la lecture

Zhu Xi



Dans un bassin de rien du tout

qui leur tend son miroir,

L'astre du jour, la nuée sombre,

ensemble se promènent.

Demandons-lui : "Comment fais-tu

pour être aussi limpide ?

- C'est simplement que de ma source

me viennent des eaux vives."




Le titre indique le sens symbolique de l'image,



161


§



Dans un bol un étang

Du Mu



On a creusé

le sol moussu

Et dérobé

un bout de ciel

Dans ce miroir

naît un nuage

Au pied des marches

glisse la lune.



163


§

Le chant du torrent

Chu Guangxi



Il est un torrent

qui court la montagne

Comment il s'appelle ?

Nul ne sait son nom


À terre il reflète

la couleur du ciel

En vol il imite

le bruit de la pluie

Ses remous emplissent

de profonds ravins

Ses bras s'alanguissent

en petits bassins


Tranquille et modeste

inconnu des hommes

D'année en année

toujours aussi pur.


166 §§






Antologie (Jacques Pimpaneau 2004)





Jacques Pimpaneau
Anthologie de la littérature chinoise classique 
Editions Philippe Picquier 2004





Chen K'in-k'i



LE PRUNIER


Après que la glace et le gel ont tout broyé, Soudain éclosent quelques branches nouvelles.
Solitaires, dans le paysage vespéral,
Elles ouvrent le printemps de l'univers.
Dans la nature, mort et vie se répondent ;
Qui peut rivaliser avec la force de ces fleurs ?
Quand on voit auprès d'elles l'ermite campagnard,
C'est comme si l'on rencontrait un homme d'outre-monde 1.

Chen (Chen Tii-yu), bachelier du début des Ts'ing réputé pour son

art impulsif et naturel.

1. L'ermite campagnard, c'est l'adepte du taoïsme qui cherche l'immortalité par une ascèse physique lui donnant un aspect plus voisin d'une chose morte que d'êtres aussi vivants que les bourgeons du printemps.

Mei : Ping chouang mo lien heou, hou fang hi tche sin...

Tr. Siao Che-kiun. Rv. Hervouet.

§

Chanson de Zhounan

La littérature de l'antiquité

Classique des poèmes

Poème 1 [59]

Guanguan, crie l'aigle-pêcheur
Sur un îlot au milieu du fleuve.
La jolie fille est charmante,
Le seigneur la recherche.

Elle cueille le cresson, qu'il soit long ou court,
Elle cueille le cresson de droite et de gauche, à l'est et à l'ouest.
La belle jeune fille est charmante,
Il la poursuit même quand il dort.

Il la poursuit, mais ne l'obtient pas,
Il pense à elle même quand il dort.
Très longuement, très longuement,
Il se tourne et se retourne, sur le dos, sur le côté.

Le cresson pousse dans tous les sens, 
A gauche, à droite, elle en cueille. 
La belle jeune fille charmante, 
Le son de la cithare la conquiert.

Le cresson pousse dans tous les sens, 
A gauche, à droite, elle en cueille. 
La belle jeune fille charmante, 
Cloches et tambours la réjouissent.

§

Su Dongpo

(1036-1101)

[396]

L'image du soleil15

Par un exemple concret au lieu d'un discours abstrait, Su Dongpo reprend l'idée de Lao Zi : le Tao dont on parle n'est pas le Tao permanent ; le commencement du ciel et de la terre reste sans nom; ce qui a un nom, c'est la mère des êtres et des choses. On ne peut connaître que ce qu'on peut appréhender. Pourtant Su Dongpo pense qu'on peut atteindre le Tao, à condition de ne pas le rechercher, mais seulement le Tao sous-jacent à certains phénomènes, et encore faut-il l'étudier et le maîtriser.



Si un aveugle de naissance ne sait pas ce qu'est le soleil et qu'il interroge quelqu'un qui l'a vu, celui-ci sans doute lui dira : « Le soleil ressemble à une assiette en cuivre. » Alors si l'aveugle frappe une assiette de métal, il entendra ainsi un son; par la suite, entendant une cloche, il en conclura que c'est le soleil. Quelqu'un d'autre pourra lui dire : « La lumière du soleil est comme celle de la bougie. » Alors tâtant la bougie, il sentira une forme, si bien qu'en touchant une flûte, il croira que c'est le soleil. En fait, le soleil diffère fort d'une cloche ou d'une flûte, mais l'aveugle ne peut reconnaître la différence parce qu'il ne l'a pas vu et qu'il s'enquiert auprès d'autrui.
Il est encore plus difficile de voir le Tao que le soleil, et ceux qui ne l'ont pas compris sont comme un aveugle. Si ceux qui l'ont compris les informent, aussi habiles que soient leurs images, aussi bon que soit leur enseignement, ils ne peuvent le faire mieux que celui qui plus haut recourait à une assiette ou à une bougie. Si l'on va de l'assiette à la cloche, de la bougie à la flûte et vice versa en tournant en rond, comment pourrait-on y parvenir ? Ceux qui autrefois parlaient du Tao, ou bien donnaient des noms à ce qu'ils avaient vu, ou bien élaboraient des concepts sans avoir rien vu: c'est là faire fausse route quand on essaie de rechercher le Tao.
Est-ce à dire que finalement on ne peut rechercher le Tao ? Moi je dis : « On peut atteindre le Tao, mais on ne peut pas le rechercher. » Que signifie [397] alors « atteindre » ? Le stratège Sun Wu disait : « Un bon stratège attire l'ennemi pour l'atteindre, et il ne se fait pas attirer et atteindre par l'ennemi. » Le disciple de Confucius Zi Xia disait : « Les artisans restent dans leur atelier pour réaliser leurs objets, l'homme de bien étudie pour atteindre le Tao. » On l'atteint sans jamais le rechercher, voilà ce que je considère être « atteindre ».
La plupart des gens dans le Sud savent nager sous l'eau, car ils habitent dans des régions chaudes où il y a beaucoup d'eau. A sept ans, ils savent passer à gué ; à dix ans, ils savent flotter, et à quinze, ils peuvent nager sous l'eau. Savoir nager sous l'eau ne peut se faire n'importe comment. Il est nécessaire de pouvoir maîtriser le Tao de l'eau. Résidant dans des régions chaudes où l'eau est abondante, à quinze ans, ils ont obtenu le Tao de l'eau. A leur naissance, ils ne connaissaient pas l'eau ; et, même en grandissant, ils auraient continué à avoir peur en voyant un bateau. C'est pourquoi les hommes du Nord les plus audacieux, s'ils demandent comment nager sous l'eau, cherchent la façon d'y arriver en se fondant sur des informations orales, et s'ils s'y essaient dans un fleuve, il n'y en a pas qui ne se noieront pas. Il en est de même pour tous ceux qui interrogent sur le Tao sans étudier; ils sont comme les gens du Nord qui veulent apprendre à nager sous l'eau.
Autrefois, aux examens de lettrés, il y avait une épreuve de versification ; les candidats étudiaient en papillonnant sans se concentrer sur le Tao ; à présent, il y a une épreuve sur les Classiques; les candidats cherchent le Tao sans se consacrer à l'étude. Wu Yanlu de Bohai 1 est quelqu'un qui se consacre à l'étude et vient de demander à être promu et à entrer au ministère des Rites ; c'est pour lui que j'ai écrit ce texte sur l'image du soleil.

1. Wu Yanlu était inspecteur des alcools à Xuzhou quand Su Dongpo en était le préfet. Bohai est dans l'actuelle province du Shandong.

§

« Partout la vie humaine... »



Souvenir d'un séjour à Mianchi avec mon frère Ziyou (1061)

Su Dongpo et son frère Ziyou avaient séjourné dans un temple à Mianchi et écrit un poème sur un mur.



Partout la vie humaine, à quoi ressemble-t-elle ?
Elle ressemble au vol d'un cygne, à ses traces sur la boue 	enneigée.
Sur la boue au hasard, il laisse les marques de ses pattes,
Mais le cygne envolé se soucie-t-il de calculs 	sur ceci ou cela!

Le vieux moine est mort, un nouveau stoupa fut élevé,
Sur le mur en ruine, plus moyen de voir ce que nous avions écrit.
Du chemin escarpé d'autrefois, t'en souvient-il encore?
De la longue route, de la fatigue et du braiment de l'âne boiteux ?

(Mon cheval étant mort l'an passé à Erling, j'avais chevauché un âne jusqu'à Mianchi.)

§

« La veille du Nouvel an... »

La nuit du Nouvel An... (1071)

La nuit du Nouvel An, j'étais au tribunal. Les prisons étaient pleines de prisonniers. A la tombée du jour, je n'ai pas pu retourner chez moi, c'est pourquoi j'ai écrit un poème sur le mur.


La veille du Nouvel An, il convient de rentrer de bonne heure,
Mais des tâches officielles me retiennent.
Tenant mon pinceau, en face d'eux, j'ai pleuré
De pitié pour ces prisonniers enchaînés,
Petits hommes qui cherchaient à se nourrir.
Ils sont tombés dans le filet, ignorant le sentiment de la honte.
Moi aussi, par amour pour un maigre salaire,
Je m'y accroche au lieu de prendre ma retraite.
Sagesse ou sottise, inutile d'en parler,
Tous nous recherchons de quoi nous nourrir.
Qui pourrait les libérer, ne serait-ce qu'un moment ?
Je reste silencieux, honteux devant les anciens sages.

§

« Je ne vaux pas Tao Yuanming... »

Sur les rimes de « En buvant du vin » de Tao Yuanming (1092) *

Je bois peu, mais j'apprécie toujours d'avoir une coupe de vin à ma disposition et souvent je m'endors sur mon siège. On me croit ivre alors que j'ai l'esprit clair. Il est difficile de dire si je suis ivre ou à jeun. Ici à Yangzhou, je continue à boire, mais je m'arrête à midi. Mes visiteurs à peine partis, je déboutonne mes vêtements, me détends et reste assis ainsi le reste de la journée. Ce jour-là, je n'avais pas assez bu pour être vraiment heureux, mais je ressentais une sorte d'excitation. Aussi ai-je décidé d'écrire des poèmes en reprenant les rimes de Tao Yuanming dans sa série En buvant du vin afin d'exprimer, en quelque sorte, ces sentiments indéfinissables. Je les ai montrés à mon frère Ziyou et au lettré Chao Buzhi **.


* Tao Yuanming, poète qui refusa toute carrière officielle et qui était très admiré de Su Dongpo; il avait écrit une série de poèmes intitulée En buvant du vin. (Cf. la partie du chapitre III sur ce poète, p. 274 et suiv.)

** Alors vice-gouverneur de Yangzhou.




Je ne vaux pas Tao Yuanming,
Les affaires officielles m'enferment dans leurs filets
Et je me demande parfois comment m'en libérer
Pour obtenir enfin une vie telle que lui:
Un terrain minuscule sans ronces ni épines,
Un endroit agréable, semblable à celui-ci.
Que l'esprit sans entraves suive le cours des choses,
Que là où il réside il n'y ait plus de doute,
Obtenir par hasard du plaisir dans le vin
Et m'accrocher souvent à une coupe déjà vide.
J'ai rêvé être de retour à l'école de mon enfance,
Me croyant revenu au temps de mes deux couettes.
Sans plus me souvenir que j'ai des cheveux blancs,
Je récitais encore les Entretiens de Confucius.
La vie humaine est comme un jeu d'enfant,
Tout est à l'envers, et ressemble à ce rêve.
Ce n'est que dans l'ivresse que l'on est vraiment soi-même ;
Etre une grotte vide sans plus d'incertitude,
Tomber de char sans jamais se blesser;
Le vieux sage Zhuang Zi* ne nous a pas trompés.
Je demande à mon fils : prépare de quoi écrire ;
Et désormais j'écris ce que dicte l'ivresse.

1. Allusion à un passage du Zhuang Zi (chapitre 19): « Si un homme ivre tombe d'une voiture, bien que contusionné, il ne sera pas tué. Ses os et ses articulations sont semblables à ceux des autres hommes, mais le mal qu'il subit en diffère, car son esprit est intact. Il monte en char et en tombe sans en être conscient. La peur de la mort et de la vie ne pénètre pas en lui. C'est pourquoi il heurte les choses sans frayeur. Il obtient cette préservation de son intégrité grâce au vin. Alors, s'il en est ainsi, à plus forte raison s'il obtient de préserver son intégrité grâce au Ciel ! »

§
 

« Discuter de peinture... »



Ecrit sur des branches peintes par le secrétaire Wang de Yanling (1087)[405]

Discuter de peinture d'après la ressemblance des formes,
C'est regarder presque comme un enfant;
Dire que les poèmes doivent obéir à l'idée de 	poésie,
C'est à coup sûr ne pas comprendre la poésie.
Poésie et peinture relèvent d'une seule loi,
D'un art inspiré, de fraîcheur et de nouveauté.
Les oiseaux de Bian Luan* sont aussi vrais que nature,


* Peintre du VIIIe siècle.


§

« Je ne connais pas le monastère des Parfums... »



En passant par le monastère des Parfums Accumulés*


Je ne connais pas le monastère des Parfums Accumulés.
Sur plusieurs lieues j'ai pénétré les hauteurs perdues dans les 	nuages.
Parmi les vieux arbres, il n'y a pas de sentiers humains ;
Au fond des montagnes, d'où vient un son de cloche ?
Le bruit des sources résonne sur les pierres qui ressortent,
La couleur du soleil sur les pins verts donne une idée de froid.
Dans le vide du crépuscule ténu, des étangs sinuent,
La méditation paisible y maîtrise les dragons venimeux **.


* Monastère qui date des Tang, situé près de la capitale.

** Les dragons venimeux représentent les espoirs, les pensées vaines. L'idée du poème est que la tranquillité de la méditation bouddhique peut exister dans la nature, même si l'on ne va pas jusqu'au monastère. [414]

§

« A partir de ma maturité... »

Ma résidence secondaire aux monts Zhongnan*


A partir de ma maturité, j'ai beaucoup aimé le Tao**,
Au cours de ma vieillesse, j'ai installé mon foyer aux monts 	Zhongnan.
Quand l'envie m'en prend, je pars seul, droit 	devant moi,
J'ai compris ce plaisir suprême dans le vide.
Je marche jusqu'à un endroit où l'eau ne coule plus
Et je m'assieds pour regarder les nuages qui s'élèvent.

* Montagnes situées au sud-ouest de la capitale, où Wang Wei avait une maison.

** Ici, le Tao est plutôt le Tao au sens bouddhique: le Dharma. [414]

§

Li Bai, ou Li Bo

(701-763)



« Vous me demandez : quelle idée de percher... »


Dialogue dans la montagne [421]


Vous me demandez : quelle idée de percher sur ce mont bleuté ?
Je souris sans répondre. Mes pensées vagabondent
Comme les fleurs de pêcher que le courant emporte
Vers un autre monde étranger aux humains.


§

« Le bonze du Sichuan... »

En écoutant Jun, bonze du Sichuan, jouer de la cithare*

Le bonze du Sichuan tient dans son bras une 	cithare,
Il descend à l'ouest du sommet du mont Emei**.
Dès que pour moi il bouge ses doigts,
C'est comme entendre le bruissement de pins dans dix mille 	vallées.
Le coeur du voyageur en est lavé comme par un cours d'eau***,
Le son qui dure semble celui de la cloche que la rosée fait sonner.
Je ne m'aperçois pas que les vertes montagnes disparaissent dans 	le soir
Et que les nuages d'automne en volutes répétées s'assombrissent.

* On ne sait rien de ce bonze. La cithare est ici appelée un Lüqi, nom d'une cithare célèbre, comme on parle d'un violon en disant un Stradivarius. C'est une cithare à sept cordes sans chevalet, instrument par excellence des lettrés, dont on joue en pinçant les cordes et en faisant glisser les doigts sur elles.

** Le mont Emei, parsemé de temples bouddhiques, est le plus célèbre massif montagneux du Sichuan.

*** Sans doute une allusion à l'anecdote rapportée dans le Lie Zi: quand Bo Ya improvisa sur sa cithare, le bûcheron Zhong Ziqi devina qu'il pensait à de l'eau qui coule. La cloche du mont Fengshan résonnait quand de la rosée tombait sur elle. [425]

§

« Le voyageur revenu de la mer... »

Chanson d'adieu en parcourant en rêve le mont Tianlao [426-427]

Le voyageur revenu de la mer parle des immortels,
Perdus dans les brumes, difficiles à trouver.
Les gens de Yue vous entretiennent du mont 	Tianlao,
Visible à travers les nuages irisés dans la clarté déclinante.
Ce mont Tianlao raye le ciel de sa ligne,
Il dépasse les pics sacrés, surmonte le Mont Rouge.
Le mont Tiantai, aussi haut qu'il soit,
En face de lui, s'incline vers le sud-est.
Aussi ai-je voulu en rêve visiter cette région
Et une nuit sous la lune, j'ai volé jusqu'au lac Jinghu.
La lune sur le lac éclaire ma silhouette
Et m'accompagne jusqu'à la source à l'ouest du mont.
Existe toujours le lieu où Xie Lingyun* s'arrêta,
Ses vaguelettes d'eau verte, ses cris perçants de singes.
Chaussé des chaussures de montagne du poète,
Je monte à l'échelle des nuages sombres.
A mi-pente, je vois le soleil sur la mer,
Dans le vide, j'entends le Coq céleste.
La route erre parmi les gorges et ravins,
Perdu dans les fleurs, je m'appuie à une pierre; il est tard.
Les ours grognent, les dragons grondent, sources contre le roc,
Ils effraient les forêts profondes, font trembler les sommets étagés.
Les nuages sont noirs, il va pleuvoir,
L'eau tombe implacable et dégage une vapeur,
Les éclairs brillent, le tonnerre résonne,
La montagne va s'écrouler.
La pierre qui ferme l'antre céleste
S'ouvre avec fracas.
Vastitude du ciel dont on ne voit la fin,
La lune et le soleil éclairent la Terrasse d'or et d'argent.
Vêtus d'arc-en-ciel, avec le vent pour monture,
Les seigneurs des nuages descendent en désordre.
Des tigres jouent de la cithare, des phénix tirent des chars,
Les immortels sont aussi nombreux que plants de chanvre.
Soudain mon esprit est terrifié, mon âme prend peur.
Déçu, je me lève et pousse de longs soupirs.
A mon réveil, je ne trouve que natte et oreiller,
J'ai perdu les nuées d'il y a un instant.
Ainsi en va-t-il des plaisirs du monde,
Depuis toujours, tout n'est que cours qui courent à l'embouchure.
Je prends congé de vous. Quand reviendrez-vous ?
Maintenant je fais paître un daim blanc parmi les falaises vertes,
Plus tard je le chevaucherai pour visiter les monts célèbres.
Comment pourrais-je incliner les yeux et la taille devant les 	puissants
S'il faut renier l'allégresse d'un moment !


1. Xie Lingyun (385-433) est le grand poète de paysages qui influença Li Bai. On lui attribue l'invention de chaussures de montagne dont le talon relevé permettait de garder le pied à plat sur les pentes.

§

« ...il y a un vieux cyprès... »

Ballade du vieux cyprès*[432-433]

Devant le temple de Zhuge Liang** il y a un vieux cyprès,
Ses branches sont comme bronze, ses racines comme rochers.
Son écorce est comme entourée de gelée blanche,
La pluie qui en coule enserre son tronc,
Sa couleur sombre visite le ciel à deux mille pieds.
Seigneur et vassal ont déjà rencontré leur moment
Mais cet arbre est encore par les gens aimé.
Les nuages arrivent, leur souffle vient de la longue gorge des 	Chamanes,
La lune sort et le froid pénètre la blancheur des montagnes 	enneigées.
Ceci me rappelle, sur la vieille route qui contournait ma maison à 	l'est,
Le sanctuaire retiré de l'ancien souverain et du marquis Wu*** :
Ses branches et troncs majestueux dans la plaine aux environs de 	la ville,
Ses peintures décrépites, ses portes et fenêtres vides.
Ce cyprès a beau se dresser, bien ancré dans la terre,
Haut et solitaire dans le ciel, il est en butte aux vents violents.
C'est une force divine qui le soutient et le maintient,
C'est au travail de la création qu'est due son allure si droite.
Un grand bâtiment va s'effondrer, il faut une poutre,
Mais des milliers de boeufs détournent la tête devant sa lourdeur.
Sans faire montre de sa valeur, il étonne déjà le monde;
Il n'a jamais refusé d'être coupé, mais qui pourrait l'emporter?
Son coeur souffrant, comment éviterait-il que les fourmis le 	pénètrent,
Tandis que ses branchages odorants abritent des phénix.
Hommes ambitieux qui vivez retirés, ne soupirez pas de regret,
Depuis toujours ce qui est grand, il est difficile de l'employer.

* Du Fu a écrit ce poème sur un cyprès devant le temple de Zhuge Liang à Kuizhou, dans la pro-rince du Sichuan, où il résida un moment.

** Zhuge Liang était le grand stratège du royaume de Shu à l'époque des Trois Royaumes (220-265).

*** Ce temple de Zhuge Liang rappelle au poète le temple à Chengdu, où il résidait avant, dédié au même Zhuge Liang, marquis Wu, et à Liu Bei, le souverain du royaume de Shu.


§

Hanshan

POÈMES CHAN

Le plus célèbre de ces bonzes poètes est Hanshan, que Gary Snider a fait connaître en Occident en tant qu'ancêtre de la Beat Generation, mais il ne fut pas le seul moine à considérer que la poésie était peut-être un langage possible pour exprimer la pensée religieuse et philosophique du chan (zen en japonais). [458-461]


« Je désirais obtenir un lieu pour reposer... »

Je désirais obtenir un lieu pour reposer mon corps,
Montagne Froide peut nous garder longtemps.
Un vent léger souffle dans les pins retirés,
Quand on l'écoute de près le son est encore meilleur.
Dessous il y a un homme aux cheveux grisonnants
Qui en marmonnant lit le livre de l'Empereur Jaune et de Lao Zi.
Au bout de dix ans je ne peux plus revenir,
J'ai oublié le chemin de quand je suis venu.

Montagne Froide, ô combien retirée et étrange,
Ceux qui l'ascensionnent ont souvent peur.
Quand la lune éclaire, l'eau devient claire et translucide,
Quand le vent souffle, les herbes font un bruissement.
Sur les prunus fanés, la neige forme des fleurs,
Dans les branchages dénudés, les nuages servent de feuilles.
Quand survient la pluie, cela devient frais et animé;
S'il ne fait pas beau, on ne peut pas traverser.

Parmi mille nuages et dix mille eaux,
Au milieu il y a un personnage oisif.
En plein jour, il se promène parmi les vertes montagnes,
La nuit, il revient sous la falaise dormir.
Rapidement passent printemps et automnes,
Solitairement, sans liens avec le monde de poussière.
Joyeux ! sur quoi m'appuierais-je?
Je suis calme comme l'eau du fleuve à l'automne.

Ai-je un corps ou n'en ai-je pas?
Suis-je moi ou ne suis-je pas moi?
Ainsi ma pensée qui s'interroge suppute.
Le temps s'écoule doucement et je reste assis, appuyé à la falaise,
Entre mes pieds, les herbes vertes poussent,
Sur le sommet de ma tête, la poussière rouge tombe.
J'ai déjà vu des hommes parmi le vulgaire,
Sur mon lit de mort, déposer offrandes de vin et de fruits.
La vie humaine est située dans le trouble de la poussière,
Juste comme un insecte au milieu d'une cuvette.
Toute la journée il avance en tournant, en tournant,
Sans quitter le milieu de la cuvette.
Esprit ou immortel il ne peut le devenir,
Ses soucis et ses plans sont inépuisables.
Années et mois sont comme l'eau courante,
En un instant il devient un vieillard.

§

« Ma route se situe au-delà de l'azur... »

Autres poèmes chan [461]

Ma route se situe au-delà de l'azur,
Où les nuages n'ont plus de lieu où errer.
Dans le monde il existe un arbre sans racines,
Telle une feuille morte, que le vent m'y ramène.

(Sushankuangren)

§




Yuan mei

(1716-1798) [761]

De hauts tumulus la colline est couverte,
Je les regarde brièvement et passe mon chemin.
J'ai l'idée d'un poème, mais ne me résous à l'écrire,
Trop de poètes avant moi s'y sont essayés.

Maintenant que j'ai vieilli, je ne supporte plus de me voir dans un 	miroir, 
Mais j'ai trouvé moyen d'éviter la vue de ma décrépitude.
Plus indulgente quand je me peigne est l'ombre que la lampe 	projette, 
Elle me montre sur le mur sans la gelée blanche de mes sourcils.
Quand on ouvre un livre, on rencontre des anciens,
Quand on marche dans les rues, on rencontre des contemporains.
Des anciens, les ossements sont devenus poussière,
C'est seulement leurs sentiments que nous pouvons approcher.
Les contemporains forment notre génération,
Mais les écouter est comme mâcher une chandelle.
Je préfère vivre avec des objets et des pierres
Que de passer mon temps avec des gens ordinaires.
Heureusement il n'est pas nécessaire d'appartenir à son époque,
Ma véritable époque est celle des livres que je lis.
Qui sait si je n'errerai pas dans un ciel au-delà du ciel
Où mes yeux verront ce qu'ils n'ont jamais vu.
Quelle déception si la roue des réincarnations
Se contentait encore une fois de faire de moi un poète !
A soixante-dix ans, je plante encore des arbres,
Ne riez pas de moi en me voyant.
Il est vrai qu'on ne vit pas éternellement,
Mais il ne sert à rien de le savoir prématurément.

§§




Table des matières

Poèmes de Chine, Corée, Japon 3

3

Avertissement 5

Chronologie des poètes disposant d’une entrée au premier niveau 11

§§ 11

Première partie 13

PAR NOMS D’AUTEURS 13

Tao Yuan Ming (365-427) 15

« je me suis retiré dans mon humble demeure » 15

« quand la barque est vide... » 19

« la vertu a décliné... » 20

« Lors du règne de la dynastie Chin... » 21

réponse au secrétaire Kuo 23

retournant vivre au jardin et aux champs 24

réponse à Liu de Tsai sang 25

éloge des hommes pauvres 26

poème en style ancien 27

Seng Ts'an (- ~606?) 29

Cent quatrains des T'ang 33

Préface du traducteur 33

Lieou tsong-Yuan 34

Li po 34

Wang wei 35

Lieou tch'ang-K'ing 35

Li chang-Yin 35

Wang tch'ang-Ling 36

Wei ying-ou 36

Li kieou-Ling 37

maître Yang alchimiste 37

Po kiu-yi 38

Chanson de Siang-Yang 38

Wei tch'eng-K’ing 38

Tou Fou 39

Li chang-Yin 39

Yuan Tchen 40

Wang Wei (701-761) (Wei-penn Chang & L. Drivod) 41

Quelques remarques sur les affinités entre la poésie moderne et la poésie des Tang 41

Ballade sur la source de la Rivière aux fleurs de pêchers 1 47

Adieux 49

En réponse à Zhang Yin 49

Dans les montagnes, lettre au bachelier Pei Di 49

Surpris par la pluie 51

Le Parc aux cerfs 52

Le Sentier aux sophoras 52

Le jardin aux laquiers 53

Ma villa au Mont Zhongnan 54

La Rivière d'azur 55

Composé en traversant le fleuve pour aller à Qinghe 1 56

Chanson pour accompagner le printemps qui s'en va 57

Les secrets de l'art pictural 59

Wang Wei (Moundarren) 67

Les Saisons bleues 67

Wang wei 68

« Nuit d'automne à l'Établissement des Rites... » 68

« Les montagnes se taisent... » 69

« Le couchant parfait les monts et l'eau... » 72

« Jour d'été au monastère... » 73

« J'ai connu tard le principe de pureté... » 73

« Le soir empoigne un bâton de bambou... » 74

Wang Wei (G.W.Robinson) 75

The wang river sequence 75

A letter to Pei Ti from the hills 76

Li Po ou Li Bai (701-762) 77

naviguant vers Ching men, adieu 79

Extraits biographiques (Cheng & Collet) 80

chant du marchand voyageur 81

inscrit au Temple du sommet 81

composé lors d'une visite à un moine 82

Chuang tzu 83

buvons et chantons 84

dédié à maître Tao ya 85

promenade sur le Ruisseau clair 85

« je suis le fou de Ch'u » 86

parmi les herbes sauvages 87

Tu Fu (712-770) 89

« cinq cents mots pour exprimer mon sentiment » 91

91

µµBallade de Peng ya 94

« ...les dessins de mer et de vagues y sont brisés » 95

« je viens de me promener dans le monastère » 96

« les chariots grondent "lin lin" » 97

« hauts et majestueux, les nuages... » 99

« étriqué! comme c'est étriqué! » 100

« ma longue houe!... » 101

« sur les les montagnes alentour le vent souffle... » 102

« tard dans la vie j'ai construit ma maison » 103

« sur les berges de la rivière déjà le milieu du printemps » 104

l'eau printanière 105

« ce soir un vent violent traverse le village » 106

« je me souviens, à quinze ans... » 107

« pauvre, vieux, vraiment sans affaire, » 108

« pêches et poires... » 109

« le haut ciel d'automne... » 110

« me voilà de retour aux champs » 111

« entre ciel et terre, partout la même vie pénible » 112

« au profond de la nuit... » 114

« d'avoir à solliciter autrui cause cent soucis » 116

« de la montagne sacrée du sud maintenant on approche » 118

voyage nocturne, décrivant mon sentiment  119

Lu Yu (733-804) 121

« je regarde le givre dans ma barbe... » 122

« un chapeau de bambou, un manteau de paille... » 123

« à dos d'âne souvent j'emporte... » 124

« l'air de l'automne souffle dans une flûte claire » 125

« une haie de ronces tressées... » 125

« le vieillard de la montagne... » 127

« de mon rêve mélancolique soudain... » 128

« à l'écart je me suis réfugié... » 129

« la pluie traverse le village assombri » 130

« des quatre côtés l'eau sans limite... » 131

« mon âge approche des soixante-dix ans » 132

« le vent soulève le fleuve et le lac... » 133

« dans l'ombrage formé par les mûriers... » 134

« dans la chambre au nord... » 135

« rester devant la fenêtre bonnet enlevé... » 136

« dix mille replis de montagnes enneigées... » 137

« à gauche et à droite ma lyre et une coupe... » 138

« jeune j'ai séjourné au milieu de la Cour... » 139

« du tao merveilleux depuis toujours... » 139

« dans ce pays de fleuves et de lacs... » 140

« un éclair jaillit... » 141

« du pont rouge du Hameau des pruniers... » 142

« toute ma vie le temps qui passe... » 143

« dans la poussière jaune... » 144

« il y a quarante années... » 145

« le papier est neuf... » 146

« la Lyre décline... » 147

« au moment où je commence à être las d'entendre les tourterelles... » 148

« mes vieilles habitudes... » 149

Po chu yi ou Po Kiu-yi ou Bai Juyi (772-846) 151

Le chant des pins 152

Fourrures légères et chevaux gras 153

« ...des maîtres zen, des amis poètes » 154

Me promenant sur le coteau à l'est 155

«... Par une journée de printemps... » 156

Biographie du Maître qui s'enivre et compose des poèmes 157

« la tête étourdie, je ne pêche plus » 158

« Accablé par la vieillesse et la maladie... » 158

« Dans la famille, hors de la famille » 159

« … le coeur en paix ...» 160

« une longue vie, jusqu’à soixante-quinze ans » 161

Sommeil printanier 162

Nuit de neige 163

Le chant du pip’a 164

Mangeant des pousses de bambou 165

« la route est longue... » 166

Soirée paisible 167

Han-shan (~800) (P. Carré) 169

« Eh bien moi, mon plaisir, c'est la vie solitaire! » 170

« Il est un mangeur de brumes » 171

« Vous, les sages,... » 172

« Mon coeur est comme la lune d'automne, » 173

« Houleuse immensité, les eaux du Fleuve Jaune » 174

« Splendides s'étagent les monts et les torrents, » 175

« Cette nuit, j'ai rêvé que je rentrais chez moi. » 176

« Bien que la vie ne couvre pas un siècle, » 177

« J'ai une grotte, / Une grotte où il n'y a rien » 178

« Sans étudier, sans agir... » 179

« Or donc, cet endroit où je vis en paix » 180

« D'une eau pure et lumineuse... » 181

« Allez dire aux gens de bien... » 182

« Les choses de ce monde... » 183

« Devant un haut rocher, » 184

« Les monts sont ma demeure, » 185

Han-shan (Watson) 187

« A thatched hut is a home for a country man; » 188

« Here we languish, a bunch of poor scholars, » 188

« If you have wine, call me in to drink; » 189

« Wonderful, this road to Cold Mountain — » 189

« Cold cliffs, more beautiful the deeper you enter » 190

« I look far off at T'ien-t'ai's summit, » 190

« Would you know a metaphor for life and death? » 191

« The clear water sparkles like crystal, » 191

« By chance I happened to visit an eminent priest » 192

« In my house there is a cave, » 192

« Here is a tree older than the forest itself; » 193

Li Shangyin (812-858) 195

Introduction (Yves Hervouet) 195

Le paravent 197

Le lierre du Nord 199

Le Dit du Genji (~1000) 201

Murasaki-shikibu, Le Dit du Genji illustré par la peinture traditionnelle japonaise, Traduction de René Sieffert, Diane de Selliers Editeur, 2008. (livre V cité en Avant-Propos, 17). 201

Su Dongpo (1037-1101)(Claude Roy) 203

« Un vent léger froisse les aiguilles de pin » 205

« Entrouvrir le rideau... » 207

« Le riz cette année met longtemps à mûrir » 208

« Qui dit qu'une peinture doit être ressemblante ? » 209

« Les cent rivières coulent jour et nuit » 210

« Les parents veulent tous des enfants brillants » 212

« Une terre abandonnée... » 213

« Avant que la lune soit haute les montagnes étaient plus élevées » 215

« C'est la veille du Nouvel An / Je devrais rentrer tôt » 217

« Nous fraternisons avec les langoustes... » 218

« Est-il ivre Dongpo ? » 219

« Le vent clair qu'est-ce donc ? » 220

« J'ai rêvé que j'étais à l'école primaire » 221

« La neige au crépuscule... » 222

La lune pâle plonge dans les nuages 223

« Quand la marche du temps... » 224

« Eau sans borne, ciel sans limite... » 226

Museau Noir chien de la mer du Sud 228

Un poème d'hiver pour avoir frais l'été 229

« Je suis un vieux singe qui a peur » 231

Su Tung po = Su Dongpo (Moundarren) 233

à Mian chi, réponse à Tzu yu, songeant au passé 234

sur le rythme de "marchant sur le vert" de Tzu yu 235

au Pavillon d'où l'on contemple la mer, scène du soir 236

passant la nuit au Temple 237

sur la route de Hsin cheng 238

passant la nuit au Temple de la terre pure, à Lin an 239

visite à la Pagode du haut pic, au temple Ling yin 240

plainte de la paysanne de Wu 241

« veille du nouvel an, la neige me retient » 242

la métaphore du soleil 243

le Rapide de cent pas, avec préface 244

cent jours, on me libère 246

« la lampe de buddha peu à peu s'assombrit... » 247

La pente de l’est 250

« ...même d'une terre en friche... » 250

« ...la pluie a lavé la Pente de l'est... » 251

« n'écoutez pas le bruit de la pluie... » 252

« je m'en retourne / vers où mon retour? » 253

« j'ai entendu dire que dans les rochers du Tai shan, » 255

« mes poèmes sont dit-on rudes » 256

note à propos d'une peinture 257

« qui dit que la peinture doit être ressemblante? » 258

sur la Tzu hu chia, contrarié par le vent 259

récit d'une promenade au Pavillon du vent dans les pins 260

Enménageant 261

« Sur le chemin de Chiang chow à Tan chow... » 262

« mi sobre mi ivre... » 263

propos sur la littérature 264

écrit à Tan chow 265

Su Dongpo (par Watson) 267

Introduction 267

Rhyming with Tzulu's "Treading the Green" (1063) 269

Winter Solstice (1071) 270

New Year's Eve (1071) 271

Written on the Wall at West Forest Temple (1084) 272

New Year's Eve (1084) 273

Mirage at Sea (1085) 274

Who Says a Painting Must Look Like Life? (1087) 275

Above the River, Heavy on Me Heart (1088) 276

Drinking Wine (1092) 278

Held Up by Head Winds on the Tz'u-hu-chia: Five Poems (1094) 280

I'm a Frightened Monkey Who's Reached the Forest (1095) 281

Yang Wan Li (1127-1206) (Moundarren) 283

Illumination 284

passant la nuit au Relais de l'Etang des pierres 285

une nouvelle édition d'un recueil de Su Tung po 286

le potager d'enfant 288

aurore de neige dans la jonque, on allume du feu 289

« en plus d'être malade... » 290

« la surface du lac est collée au ciel,... » 291

« Lire un livre... » 292

Yang Wan-Li (J.D.Schmidt) 293

« The great Way has no gates » 293

« Playing with the Moon on a Summer Night » 294

« This old fellow's really thirsty... » 295

Chu Hsi ou Zhu Xi (1130-1200) 297

« As for the interaction of stimulus and response... » 297

Recently I have absolutely renounced writing poetry 299

Spring Day 299

[Two Poems] 300

[Four poems] 301

304

Contemplation of nature was a way to transcendental wisdom and poems 305

Ikkyû (1394-1481) 309

Livre I. Nuages fous 310

Ikkyû-Sôjun de la Mer-Est. 311

Livre II Squelette 312

Bashô (1644-1694)(Sieffert) 313

1. A Yoshino 314

11. 315

45. 315

57. 315

90. 316

Bashô (Blyth) 317

« The old pond. » 317

Tsu Yun (1840-1960) 321

« Une tasse tombe sur le sol » 322

Paroles 323

323

ANTHOLOGIES 325

La littérature chinoise par Basile Alexéiev (1937) 327

« Dans ma précédente leçon... » 327

STANCE I 331

STANCE XXIV 331

STANCE XXIII 332

STANCE IX 332

« ...une espèce de synthèse thématique... » 333

Zen flesh, zen bones (P. Reps 1957) 343

9.The Moon Cannot Be Stolen 343

10. The Last Poem of Hoshin 344

28. Open Your Own Treasure House 345

29. No Vater, No Moon 346

« Zen has no gates » 346

7. Joshu washes the Bowl 348

23. Do Not Think Good, Do Not Think Not-Good [137-138] 349

Centering transcribed by Paul Reps 351

Anthologie (Paul Demiéville 1962) 353

Introduction  353

[…] « Silencieuse, esseulée, je monte... » 353

Suite de l’Introduction de P. Demiéville 354

Wang Tche-houan 359

Ts'ien K'i 360

Wei Ying-wou 361

Han Yu 363

Sou Che 365

« Notre vie ici-bas, à quoi ressemble-t-elle ? » 365

« Une brise susurre, légère, dans les joncs » 366

Anthologie japonaise (C. Renondeau 1971) 367

Sur la mort de la princesse Asuka * 369

Le moine Manzei 370

[Dialogue de deux pauvres] 371

Anonymes VIIIe siècle 372

Owarida no Hiromimi 372

Anonymes VIIIe siècle 373

Fujiwara no Toshiyuki 375

Ôe no Chisato 375

Ariwara no Motokata 376

Ikago no Aisuyuki 376

Fujiwara no Sadayori 377

Le ministre Fujiwara no Norikane 377

Fujiwara no Ariie 378

Fujiwara no Masaisuite 378

Fujiwara no Nariklyo 379

Arakida Moritake 379

Matsuo Bashô (1644-1694) 380

Matsunaga Teitoku 381

Sugiyama Sampii 381

Le moine Ryôkan 382

Poems From Korea (P.H.Lee 1974) 383

Hyegun 383

Great Master Kyunyô 384

1 384

5 385

Anonymous 386

Wôn Ch'ôn-sôk 387

Hongnang 388

Myôngok 388

Chông Ch'ôl 389

Chang Man 390

Yun Sôn-do 391

DISPELLING GLOOM 392

DEEP NIGHT 393

SONGS OF FIVE FRIENDS 394

Ch'oe Nam-sôn 395

Le clodo du dharma (J.Pimpaneau 1975) 397

Le clodo du dharma (par J. Pimpaneau) 397

« A thatched hut... / Une chaumière… » 403

« Riding my horse… / Je pousse mon cheval... » 405

« I climb the road… / Je grimpe le sentier... » 407

Chansons de Cat Stevens. 409

Han-shan, Li kwok-wing Vingt-cinq poèmes à traduire 411

« Je désirais obtenir un endroit… » 411

« Mon coeur est comme la lune d’automne... » 412

« Avançant à cheval... » 413

« La voie de Montagne Froide... » 414

« Personnellement je prends plaisir... » 415

« Désoeuvré j'ai rendu visite... » 416

« Aujourd'hui devant une falaise assis » 417

« Montagne Froide ô combien retirée et étrange » 418

« Sous toit de chaume... » 419

« Parmi mille nuages et dix-mille eaux » 420

« La vie humaine ne remplit pas cent ans » 421

« Ai-je un corps ou n'en ai-je pas » 422

« Je me souviens des endroits... » 423

« Les hommes de notre époque cherchent la route des nuages » 424

« Les foyers à la campagne évitent... » 425

« La vie humaine est située dans le trouble… » 426

« Vous regardez les fleurs... » 427

427

« Les fleurs de pêcher désirent passer l'été » 428

« Haut haut sur le sommet du mont » 429

« Depuis que je désirais aller vers la falaise de l'est » 430

« J'ascensionne la voie de Montagne Froide » 431

« Ma maison est située sous une verte falaise » 432

« Etage sur étage de montagnes et d'eaux merveilleuses » 433

« Par géomancie j'ai choisi un terrain retiré pour y habiter » 434

« Le langage des oiseaux... » 435

Poèmes chinois d'avant la mort (Paul Demiéville 1984) 437

Tche-K’ai (518-568) Poème à l'approche de la fin 439

Tche-ming 441

Hong -Jen (601-674) 443

Siuan-kien dit de Tö chan (780-865) 445

Lin-tsi (866 ou 867) 447

Leang-Kiai (807 -869) 449

K’ouang-jen ou Kouang-jen (837-909) 451

Pou-tai (-916) 452

Jo-yu («Comme crétin»), dit Fa-king («Miroir-de-la-Loi») 453

Tche-yu (1185-1269) 454

Tch’ou- tsiun (1262-1336) 455

Hiu Siuan (Ming?) 456

Lou Ki (261-303) 456

La dame Heou 459

Siao Kang (503-551) 461

Kiang wei (milieu du Xe siècle) 463

Ts’ai Tchen ( -1149) 464

Ts’ieou Kin (1879? - 1907) 465

« Tao poétique » (Cheng Wing fun & Hervé Collet 1986) 467

Pour le Ch’an...” 468

Sung Chih wen 469

au temple Ling yin 469

Meng Hao jan 470

aube printanière 470

de nuit, retournant à la Porte du cerf 470

Meng Hao jan 471

en visite au monastère de la Source du dragon 471

Wang Wei 472

Lu Yu 473

Wang Chang ling 474

Li Po 475

Han Yu 476

Chia Tao 477

Po Chu yi 478

Hsu Hun 479

Tu Tsun ho 480

Tu Fu 481

Ch'iu Wei (694-789) 483

Ch'ien Ch’i 484

Lang Chih yuan 485

Chiao jan 486

Yu Liang che (756-?) 487

Tsui Hu 488

Liu Tsung yuan 489

ermite Tai shang 491

Trésor de la poésie universelle (R. Caillois & J.-C. Lambert 1987) 493

T'ao yuan-ming 495

Tseu ye 496

« Je n'ai pas encore fait ma toilette ce matin » 496

Tou Fou 498

« Le pavillon des fleurs s'enfonce... » 498

« Au pied du temple... » 499

« Les flammes cruelles... » 500

« Les fourgons s’ébranlent, » 501

Tcheou pang-yen 503

La Montagne vide (P Carré & Z.Bianu 1987) 505

Che-Tô 507

Hiuan-kiue de Yong-kia 507

Li Po 508

Poème ancien 508

En écoutant Siun, moine du Sseu-tch'ouan, jouer du luth 509

Wang tche-Houan 510

Wen t'ing-Yun 510

Sou tong-p'o 511

Visite aux deux moines bouddhistes du 511

Mont-Orphelin 511

Entre source et nuage, la poésie chinoise réinventée (F. Cheng 1990) 513

Avant-propos (François Cheng) 513

À UN AMI QUI M'INTERROGE 517

BUVANT SEUL SOUS LA LUNE 518

VILLAGE PRÈS D'UNE RIVIÈRE* 519

PASSANT LA NUIT EN COMPAGNIE D'UN PÊCHEUR SUR LA RIVIÈRE LAN-T’IEN 520

VIEUX CHARBONNIER 521

Chia Tao 522

Anthologie bilingue de la poésie chinoise classique (M.Coyaud 1997) 523

QUADRISYLLABES 525

Le liseron 525

PENTASYLLABES 526

Tao Yuanming 526

Retour au potager, vie aux champs (4) 526

Buvant de l'alcool (7) 527

Me rendant en groupe au cimetière 528

Han Shan 529

« Sous une poutre de chaume un sauvage habite » 529

Li Bai 530

« Le bonze de Shu étreignant sa harpe... » 530

Meng Hao-ran 531

Aurore au printemps 531

Du Fu (Tu Fu) 532

535

Wang Wei 535

Plage aux galets blancs 535

536

Du torrent aux épineux 536

Su Dong-po 537

Croisière sur la Ying 537

Quand Yu-ke' peint un bambou 538

HEPTASYLLABES 539

Du Fu 539

Escalade 539

Village fluvial 540

Han Yu 541

Rochers de montagne 541

Han Yu 543

Nuitée dans un temple 543

Su Dong-po 544

« La vie humaine, jusqu'où va-t-elle ?... » 544

« La pluie a lavé le côteau oriental... » 545

« Le vent souffle de biais... » 546

VERS IRRÉGULIERS 547

« A l'aurore, je bois la rosée... », lisao 547

Les fu de Bao Zhao 548

Pensées en voyage 548

Li Bai 549

Adieux à la Mère céleste (Ballade onirique) 550

CONCLUSION / Le phénomène Du Fu 553

Jeux de montagnes et d'eaux (J.-P. Diény 2001) 557

Avertisssement (J.-P. Diény) 559

« Qui se repose au sein des nuées blanches... » 561

Zhongnanshan, Le mont du Fond du Sud 563

Inscrit sur le mur du temple de la Forêt de l'Ouest 564

Sous le regard d'un promeneur matinal nuages et montagnes 565

Montagne au printemps nuit de lune 566

Ce que j'écrivis sur une porte, à la sortie sud de la capitale 567

Contemplation du soir après la neige 568

en montant au pic Nord du Grand Marais 569

Du pic de Mo Li 570

Vaine recherche de l'ermite 571

En barque sur la Lavandière 572

En réponse au sous-préfet Zhang 573

Inscrit dans la Salle de méditation, à l'arrière du Poshansi 574

Pouvoir de la lecture 575

Dans un bol un étang 576

Le chant du torrent 577

Antologie (Jacques Pimpaneau 2004) 579

Chen K'in-k'i 581

Chanson de Zhounan 582

Su Dongpo 583

L'image du soleil 583

« Partout la vie humaine... » 585

« La veille du Nouvel an... » 586

« Je ne vaux pas Tao Yuanming... » 587

« Discuter de peinture... » 589

« Je ne connais pas le monastère des Parfums... » 590

« A partir de ma maturité... » 591

Li Bai, ou Li Bo 592

« Vous me demandez : quelle idée de percher... » 592

« Le bonze du Sichuan... » 593

« Le voyageur revenu de la mer... » 594

« ...il y a un vieux cyprès... » 596

Hanshan 598

« Je désirais obtenir un lieu pour reposer... » 598

« Ma route se situe au-delà de l'azur... » 600

Yuan mei 601

Table réduite aux noms de poètes et aux anthologies 619

fin 623

Table réduite aux noms de poètes et aux anthologies

Table des matières

Poèmes de Chine, Corée, Japon 3

3

Avertissement 5

Chronologie des poètes disposant d’une entrée au premier niveau 11

Première partie 13

PAR NOMS D’AUTEURS 13

Tao Yuan Ming (365-427) 15

Seng Ts'an (- ~606?) 29

Cent quatrains des T'ang 33

Wang Wei (701-761) (Wei-penn Chang & L. Drivod) 41

Wang Wei (Moundarren) 67

Wang Wei (G.W.Robinson) 75

Li Po ou Li Bai (701-762) 77

Tu Fu (712-770) 89

Lu Yu (733-804) 121

Po chu yi ou Po Kiu-yi ou Bai Juyi (772-846) 151

Han-shan (~800) (P. Carré) 169

Han-shan (Watson) 187

Li Shangyin (812-858) 195

Le Dit du Genji (~1000) 201

Su Dongpo (1037-1101)(Claude Roy) 203

Su Tung po = Su Dongpo (Moundarren) 233

Su Dongpo (par Watson) 267

Yang Wan Li (1127-1206) (Moundarren) 283

Yang Wan-Li (J.D.Schmidt) 293

Chu Hsi ou Zhu Xi (1130-1200) 297

Ikkyû (1394-1481) 309

Bashô (1644-1694)(Sieffert) 313

Bashô (Blyth) 317

Tsu Yun (1840-1960) 321

ANTHOLOGIES 325

La littérature chinoise par Basile Alexéiev (1937) 327

Zen flesh, zen bones (P. Reps 1957) 343

Anthologie (Paul Demiéville 1962) 353

Anthologie japonaise (C. Renondeau 1971) 367

Poems From Korea (P.H.Lee 1974) 383

Le clodo du dharma (J.Pimpaneau 1975) 397

Poèmes chinois d'avant la mort (Paul Demiéville 1984) 437

« Tao poétique » (Cheng Wing fun & Hervé Collet 1986) 467

Trésor de la poésie universelle (R. Caillois & J.-C. Lambert 1987) 493

La Montagne vide (P Carré & Z.Bianu 1987) 505

Entre source et nuage, la poésie chinoise réinventée (F. Cheng 1990) 513

Anthologie bilingue de la poésie chinoise classique (M.Coyaud 1997) 523

Jeux de montagnes et d'eaux (J.-P. Diény 2001) 557

Antologie (Jacques Pimpaneau 2004) 579

Table réduite aux noms de poètes et aux anthologies 619

fin 623







fin

© 2020.

Licence Creative Commons
Ce travail est mis à disposition selon les termes de la Licence Creative Commons Attribution 4.0 International. - This work by Dominique Tronc is licensed under CC BY-NC-ND 4.0. To view a copy of this license, visit https://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/4.0






 Garamond 10 

1Hsü signifie aussibie nl’infini de l’espace céleste que celui du Vide où il n’y a rien à retrancher ou à ajouter.

2Ju, l’ainsi-té ou Réalité ultime (ju ju) chez les bouddhistes

3Cheng hsin : la bonne foi, la confiance juste, la rectitude sincère – dans le bouddhisme.

4Nous retrouvons ici le titre (hsin hsin) de ce traité… un « coeur confiant », un « esprit sincère » peut sans doute pressentir une telle non-dualité où les mots font défaut...

5 Aucune pagination !

6 Limité ici à la seconde moitié.

7 Les Classiques taoïstes

8 Début d’un texte long.

9 Livre non paginé

10Volume non paginé

11 T’oung Pao LVIII, 55 à 119 – En-tête  : « Chu Hsi the Poet / Li chi ».

12 La suite figure en fin de ce long texte, après les poèmes, chercher : « *... »

13 Maître de Charles Luk / Lu K’uan Yu

14 Le vieil homme qui n'en fait qu'à sa guise, Moundarren.

15 Je titre par les incipit chacun des extraits de Su !

624