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Copyright 2020 Dominique Tronc

Madame Guyon III
















Madame GUYON

Oeuvres mystiques






Opus « Madame Guyon »
Quinze ouvrages

Madame Guyon Oeuvres mystiques choisies

I Vie par elle-même I & II. – Témoignages de jeunesse.
II Explication choisies des Écritures.

III Oeuvres mystiques (Opuscules spirituels choisis).

IV Correspondance I. Madame Guyon dirigée par Bertot puis Directrice de Fénelon.

V Correspondance II. Autres directions - Lettres jusqu’à la fin juillet 1694.


VI Les Justifications. Clés 1 à 44.

VII Les Justifications. Clés 45 à 67 - Pères de l’Église.


VIII Vie par elle-même III. – Prisons – Compléments – pièces de procès.


IX Correspondance III. Du procès d’Issy aux prisons.
X Correspondance IV. Chemins mystiques.

XI Années d’épreuves Emprisonnements et interrogatoires – Décennie à Blois.
XII Discours Chrétiens et Spirituels sur divers sujets qui regardent la vie intérieure.

Éléments biographiques, Témoignages, Etudes.

Indexes et Tables.




Ce volume contient :



Présentation générale

Jeanne Guyon dans la Tradition mystique chrétienne

Préface aux Opuscules



OEUVRES MYSTIQUES


Les Opuscules spirituels


Moyen Court et très facile de faire oraison


Les Torrents spirituels


Petit abrégé de la voie et de la réunion de l’âme à Dieu


Abrégé de la Perfection chrétienne


Le Cantique … interprété selon le sens mistique…


Traité du Purgatoire


Renvoi à d’autres écrits normatifs


Poésies et cantiques spirituels


L’âme amante de son Dieu ... emblèmes…


Les effets différents de l’amour sacré et profane



Présentation générale

Avant-propos

Au XVIIe siècle, les autorités religieuses sont inquiètes1 : l’image d’un monde sans limites, dépourvu de centre, autonome dans ses mouvements depuis Galilée et pouvant inclure des vides depuis Pascal, prend la place de la représentation hiérarchique si bien illustrée par Dante. Les rôles fondateurs de l’expérience physique et de la raison qui l’analyse, s’imposent devant celui des autorités. L’examen critique des Écritures est entrepris.

Sans jamais faiblir, Madame Guyon (1648-1717) s’appuie sur un vécu mystique personnel qui déborde les systèmes traditionnels organisés : persuadée que seule une expérience intérieure peut enraciner la foi, elle croit devoir prendre le risque de l’expliciter. En cette entreprise, elle allie à sa certitude une grande finesse psychologique.

Elle subira l’éclipse promise à qui heurte de front des autorités religieuses et disparaîtra de la scène publique. Mais en même temps, loin de rejeter une foi dont l’Église rendait compte médiocrement, elle maintient que ce qui sous-tend des représentations et des croyances conserve toute sa valeur, mais à un niveau plus profond. Elle s’appuie pour cela sur une connaissance remarquable des textes des Écritures et des mystiques chrétiens.

Ne serait-elle plus pour nous qu’une figure anachronique dans une époque de transition ? Notre époque heureusement délivrée des vieilles querelles peut aujourd’hui reconnaître la valeur de son témoignage et la réhabiliter : elle fut pour Baruzi la meilleure interprète de Jean de la Croix (avec Fénelon), et, pour Bergson, le témoin mystique à l’état brut. Si les croyances disparaissent, nos contemporains continuent à chercher la Source au-delà du corps et du psychisme, dont on sait aujourd’hui combien les échos sont multiples et non limités à une Église (Jean Grenier a pu proposer un rapprochement entre des écrits quiétistes et ceux des pères du système taoïste). Ce volume d’Œuvres mystiques devrait permettre de confirmer ce que certains d’entre nous n’osent quelquefois pas même reconnaître : on peut y retrouver un vécu commun dans des descriptions toujours sobres, souvent d’une précision chirurgicale, [descriptions] à la fois intimes et universelles. Elles suggèrent l’Invariable, cette profondeur voilée par des fluctuations et des métamorphoses superficielles qui sont en fait de nature culturelle.

« L’hypothèse » divine n’est plus avancée de nos jours par les historiens qui s’efforcent de cerner le champ mystique : ils recourent à des modèles d’explication psychologique ou empruntée aux sciences sociales et tentent parallèlement d’accéder à une compréhension profonde par l’analyse du travail d’écriture. Inversement Bergson voyait dans le témoignage de Mme Guyon un invariant mystique préexistant aux religions, une preuve par universalité qui ne dépend pas du temps et des croyances religieuses. Ce témoignage peut conforter ceux qui sont exposés au doute sur l’existence d’une Réalité intime, cause première et premier moteur, plus profonde et plus centrale que notre nature consciente et inconsciente, en amont des religions qui tentent d’en donner l’écho. Une mystique très pure est exposée avec précision et finesse, dans notre langue, ce qui facilite une approche, à travers les mots, quelque peu analogue au mode de perception poétique. La figure est exemplaire par sa souplesse à la grâce. Elle est accessible : cette laïque, cette femme mariée et mère de famille partage la variété des conditions humaines, depuis les dîners intimes avec la femme du Roi jusqu’aux épreuves des interrogatoires et des prisons.

Un choix opéré sur l’œuvre suit l’ordre presque chronologique. Sa nouveauté tient à ce qu’il équilibre les œuvres écrites dans l’élan de la jeunesse avant trente-sept ans, par des écrits qui reflètent toute la profondeur atteinte dans la maturité par une mystique qui vécut soixante-neuf ans.

Les premiers écrits, composés avant la querelle du quiétisme, furent largement critiqués et on en connaît au moins les titres : Moyen court, Torrents, Commentaire au Cantique… Les derniers écrits sont restés méconnus : publiés après la mort de leur auteur sous des titres moins évocateurs, ils furent rapidement dispersés au sein des discrets cercles européens où se regroupaient les disciples ; il s’agit des Justifications, de Lettres, des Discours spirituels.

Pour le Moyen court et les Torrents, notre édition critique tient compte de nombreuses variantes : elles  forment un réseau complexe, même si l’on ne retient que celles qui affectent le sens profond. Nous y joignons les repérages des extraits figurant dans l’Ordonnance de M. de Chartres, Paul Godet des Marais : au moment du procès de Mme Guyon, il fut en effet le seul prélat à prendre la peine de citer des passages — souvent des assemblages — jugés condamnables2.

Notre édition inclut aussi, pour la première fois, toutes les précisions apportées dix années plus tard puisque, dans ses Justifications, Mme Guyon commenta son propre choix d’extraits du Moyen Court et du Commentaire au Cantique. Ces compléments datant de sa pleine maturité éclairent des points fondamentaux de la vie mystique, et ceux-là mêmes qui furent les plus âprement discutés. Passés presque inaperçus de par leur caractère de notes adjointes au sein d’une vaste anthologie mystique, ils présentent un grand intérêt.

Tous les aspects du corpus sont représentés dans ce volume (à l’exception des écrits biographiques déjà présentés dans cette même collection « Sources classiques ») : Moyen court, Torrents, Abrégé de la voie sont reproduits dans leur intégralité; le Commentaire au Cantique est limité à sa seconde moitié ; quelques exemples suggèrent l’esprit qui anima les très vastes Commentaires apportés aux autres textes de la Bible ; les Justifications livrent des notes profondes que Mme Guyon rattache aux auteurs figurant dans cette anthologie, principalement à Jean de la Croix ; un choix substantiel des textes rassemblés par les disciples sous le titre de Discours spirituels représente lœuvre de la maturité et forme le sommet trop souvent méconnu du corpus ; quelques Lettres soulignent la grandeur de sa direction spirituelle3 ; de brefs extraits de Cantiques nous émeuvent lorsque l’on connaît les dures conditions de leur genèse.

Notre introduction privilégie les aspects historiques. Puis l’étude du Père Max Huot de Longchamp  précise le sens théologique de termes utilisés dans le domaine mystique chrétien et esquisse un parallèle avec Ruusbroec, Thérèse, Jean de la Croix… Établir en profondeur l’affinité qui existe entre les grands mystiques nous a semblé utile pour démontrer la permanence d’une expérience commune vécue dans des circonstances diverses. La fin du Grand Siècle s’avère d’ailleurs en ce domaine trop pauvre pour que l’on s’y cantonne.

Les présentations attachées aux sections viennent compléter ces deux ouvertures : en particulier celle qui ouvre les Discours spirituels suggère quelques traits propres à la voie de l’intériorité, outre des éclaircissements sur les circonstances entourant chaque écrit et sur les sources utilisées dans cette édition critique. Une bibliographie axée sur les publications de l’œuvre pallie la contrainte que pose la contraction en un seul volume de l’ensemble des Œuvres mystiques. Notre choix et nos présentations privilégient les écrits sur la vie intérieure. D’autres aspects ont heureusement été bien couverts avant nous : introspection psychologique remontant à l’enfance, conseils d’éducation, émergence de thèmes propres à la moitié féminine du genre humain. Nous avons tenté de rassembler les textes qui traduisent clairement la maîtrise expérimentale d’une voie certes cachée, mais réelle et très concrète.



Amitiés spirituelles.

Le terme « quiétiste » fut employé largement et péjorativement par ceux qui craignaient les dangers d’un abandon excessif à la grâce, après que Molinos eût été condamné à la prison à perpétuité à Rome en 1687. Les figures spirituelles visées se qualifiaient simplement de « mystiques » et même, chez Fénelon, de « mystiques modernes4 ». Ils font en réalité partie de la grande tradition issue de Jean de la Croix, comme le souligna Jean Baruzi :

C’est parce que la pensée de Jean de la Croix nous est arrivée mutilée et déformée que l’intuition fondamentale n’y est pas aisément discer­nable. Cette intuition, qu’on le veut on non, est ressaisie de façon aiguë à travers la tradition mystique catholique, par Fénelon et Mme Guyon…5

Ces derniers ne voulaient à aucun prix être considérés comme extérieurs à la foi catholique : Fénelon a passé des années à vouloir convaincre Bossuet que la mystique moderne est l’essence même du christianisme vécu. Ils ne sont pas des « météores » arrivés subitement, de « nouveaux mystiques » comme les brocarde Bossuet. Mme Guyon n’est qu’un maillon au sein d’un réseau d’amitiés mystiques dont la longue histoire couvre deux siècles6.

L’inspiration d’origine est franciscaine : le Tiers Ordre Régulier se propagea jusqu’à Gênes et eut en charge l’hôpital auquel fut liée Catherine de Gênes (1447-1510), dont l’influence sera très grande chez Mme Guyon (seule l’influence des carmes Jean de la Croix et Jean de Saint-Samson est comparable). À la fin des guerres de religion, arrivèrent en France deux moines franciscains du Tiers Ordre qui établirent le monastère de Picpus.

Puis Jean-Chrysostome de Saint-Lô (1594-1646) devint Provincial de la région de Normandie-Bretagne fondée en 1640 et anima un vaste cercle mystique7. L’un de ceux qu’il dirigeait et accueillait dans l’Ermitage8 qu’il fit bâtir était un laïc, M. de Bernières (1601-1659).

Bernières, sensible à l’amitié, mais indifférent aux hiérarchies sociales, payait de sa personne lorsque maladie et misère étaient en cause. De concert avec Gaston de Renty (1611-1649), autre mystique laïc, grand seigneur qui passa des armes et des sciences à l’exercice de la charité, il contribua à la fondation d’hôpitaux, de couvents, de missions et de séminaires :

Il paye de sa personne, car il va chercher lui-même les malades dans leurs pauvres maisons, pour les conduire à l’hôpital […] porte sur son dos les indigents qui ne peuvent pas marcher jusqu’à l’hospice […] Il lui faut traverser les principales rues de la ville : les gens du siècle en rient autour de lui9.

Il fut aussi « le directeur des directeurs de conscience ». Il conseillait aussi bien des laïcs que des clercs, parlant avec humour de cet « hôpital » un peu particulier qui accueillait amis et hôtes de passage :

Il m’a pris un désir de nommer l’Ermitage l’hôpital des Incurables, et de n’y loger avec moi que des pauvres spirituels […] Il y a à Paris un hôpital des Incurables pour le corps, et le nôtre sera pour les âmes10.

Je vous conjure, quand vous irez en Bretagne, de venir me voir ; j’ai une petite chambre que je vous garde : vous y vivrez si solitaire que vous voudrez ; nous chercherons tous deux ensemble le trésor caché dans le champ, c’est-à-dire l’oraison11.

Bernières était bien conscient de n’être que l’intendant de Dieu :

Nous vivons ici en grand repos, liberté, gaieté et obscurité, étant inconnus du monde, et ne nous connaissant pas nous-mêmes. Nous allons vers Dieu sans réflexion […] Je connais clairement que l’établissement de l’Ermitage est par ordre de Dieu, et notre bon Père [Chrysostome] ne l’a pas fait bâtir par hasard ; la grâce d’oraison s’y communique facilement à ceux qui y demeurent, et on ne peut dire comment cela se fait, sinon que Dieu le fait12.

Son influence s’étendit au Canada par l’intermédiaire de l’ursuline Marie de l’Incarnation (1599-1672). Une de ses proches, la Mère Mectilde du Saint-Sacrement (1614-1698) fonda les bénédictines de l’Adoration perpétuelle du très Saint Sacrement, qui se répandit jusqu’en Pologne.

Le meilleur ami et disciple de Bernières fut le prêtre Jacques Bertot (1622-1671), auquel il adressa quatorze lettres remarquables par leur ton et leur profondeur13. Nous trouvons un résumé de sa vie, rédigé longtemps après sa mort, dans l’Avertissement placé en tête de ses œuvres rassemblées par Mme Guyon sous le titre Le directeur mystique14 :

Monsieur Bertot […] grand ami de […] Jean de Bernières […] s’appliqua à diriger les âmes dans plusieurs communautés de Religieuses [… et] plusieurs personnes […] engagées dans des charges importantes tant à la Cour qu’à la guerre […] Il continua cet exercice jusqu’au temps que la providence l’attacha à la direction des Religieuses Bénédictines de l’abbaye de Montmartre proche Paris, où il est resté dans cet emploi environ douze ans jusqu’à sa mort [… Il fut] enterré dans l’Église de Montmartre au côté droit en entrant. Les personnes […] ont toujours conservé un si grand respect [… qu’elles] allaient souvent à son tombeau pour y offrir leurs prières.

Bertot vécut caché, mais actif à Caen, où Jourdaine, sœur du vénéré Jean de Bernières et prestigieuse supérieure de couvent, lui vouait une confiance et une obéissance absolue. Il fut en relation avec la mystique Marie des Vallées15.

Dans la dernière partie de sa vie, Bertot fut nommé confesseur à la célèbre et vénérable abbaye bénédictine de Montmartre, fondée en 1133, dont le rôle était central après sa réforme mouvementée au début du siècle avec l’aide de Benoît de Canfield : sa présence y fut très appréciée, en particulier par Madame de Guise, abbesse de 1644 à 1669. Son rayonnement déborda les murs du couvent dans un cercle dévot laïc, dont, à sa mort, il laissa la direction à sa fille spirituelle, Mme Guyon. Nous en avons un témoignage dans un compte-rendu de police de 1695 adressé à Mme de Maintenon qui s’inquiétait de l’existence d’un cercle mystique trop indépendant du pouvoir royal :

Il y a plus de vingt ans que l’on voit à la tête de ce parti M. Bertau [Bertot] directeur de feu madame de Montmartre [la supérieure du célèbre couvent] […] Cet homme était fort consulté ; les dévots et les dévotes de la Cour avaient beaucoup de confiance en lui ; ils allaient le voir à Montmartre, et sans même garder toutes les mesures que la bienséance demandait, de jeunes dames de vingt ans partaient pour y aller, à six heures du matin, en tête-à-tête avec de jeunes gens à peu près du même âge. […] Madame G [uyon] était, disait-il, sa fille aînée, et la plus avancée…16

L’œuvre de Bertot est plus épurée, plus dense, moins lyrique que celle de son illustre dirigée. Il n’a livré sur lui-même que de très rares confidences qui trahissent une vie intérieure très profonde :

En vérité il [Notre Seigneur] me détourne tellement des créatures que j’oublie tout volontiers et de bon cœur. […] mon âme est comme un instrument dont on joue, ou si vous voulez comme un luth qui ne dit ni ne peut dire mot que par le mouvement de Celui qui l’anime.17

Tous ces spirituels (une trentaine, dont Chrysostome, Bernières et Bertot en filiation directe) ne furent donc pas des génies individuels ou des solitaires : ils se rencontraient, s’encourageaient, séjournaient à l’Ermitage, entretenaient des correspondances, priaient les uns pour les autres. On voit bien au travers de leurs lettres que ces relations personnelles se voulaient discrètes par rapport aux autorités religieuses et qu’ils avaient des difficultés avec les confesseurs sans expérience mystique. Chacun s’inclinait devant l’autorité du père spirituel qui l’avait initié à l’oraison. Bernières s’y réfère même par-delà la mort puisqu’il témoigne ainsi de son directeur, le père Jean-Chrysostome, dans une lettre à Catherine de Bar (la mère du Saint-Sacrement tant appréciée de Madame Guyon et de Fénelon18) :

… ce me serait grande consolation que […] nous puissions parler de ce que nous avons ouï dire à notre bon Père […] puisque Dieu nous a si étroitement unis que de nous faire enfants d’un même Père […] Savez-vous bien que son seul souvenir remet mon âme dans la présence de Dieu19 ?

Nous sommes bien au-delà d’un lien littéraire où lire une œuvre suffit pour recevoir l’influence de l’écrivain. Ces mystiques sont connaisseurs des rhéno-flamands (corpus taulérien et Ruusbroec), de Jean de la Croix, des « dits » rapportés par le confesseur de Catherine de Gênes, des « dictées » de l’aveugle Jean de Saint-Samson. Mais ce qui est fondamental dans ce mouvement, c’est qu’ils reconnaissent recevoir l’influence de la grâce par la présence même d’une personne plus avancée qu’eux dans le cheminement vers Dieu. Lorsque Bertot parle de l’union spirituelle qu’il éprouve avec ses amis et disciples, il affirme les porter dans ses prières et les amener à l’union avec lui dans le même état spirituel :

Si j’entre dans cette unité divine, je vous attirerai, vous et bien d’autres qui ne font qu’attendre ; et tous ensemble n’étant qu’un en sentiment, en pensée, en amour, en conduite et en disposition, nous tomberons heureusement en Dieu seul…20

On touche là la nature profonde du lien entre Madame Guyon et Fénelon.

Ces mystiques ne sont donc jamais seuls : ils sont reliés au passé par toute une chaîne d’influences et d’expériences transmises de personne à personne depuis les deux moines franciscains, en passant par Chrysostome, Bernières, Bertot dont Mme Guyon hérite. Et ils sont soutenus par leur groupe d’amis, génération après génération : ces amis ont la même expérience intérieure, exprimée avec le même vocabulaire, au point qu’on a accusé Mme Guyon de plagier M. Bertot21. Dans ces groupes, on trouve aussi bien des laïcs que des clercs, des femmes que des hommes. L’autorité n’est due qu’à l’expérience intérieure, ce qui explique la méfiance des autorités ecclésiastiques et politiques à leur égard. Chacun vit dans la situation sociale où le sort l’a mis, et ils n’éprouvent pas le besoin de créer une structure particulière : leur lien est tout intérieur, beaucoup plus fort que toute règle.

Madame Guyon.

Madame Guyon fut donc la dirigée la plus illustre de M. Bertot. Elle affirma une belle indépendance vis-à-vis des autorités de son temps parce qu’elle était persuadée que son contact direct avec une réalité intime donnée par la grâce divine était semblable à l’expérience des mystiques chrétiens de tous les temps. Cette certitude intérieure explique sa tentative « naïve » d’influencer Bossuet, puis sa résistance opiniâtre lors des interrogatoires de l’évêque de Meaux, enfin l’incompréhension de ce dernier face à une femme qui invoque presque exclusivement une expérience qui lui échappe.

Elle fit des années de prison et c’est par la condamnation de son ami Fénelon que le pape mit un terme à la querelle du quiétisme. Mais des protestants l’admirèrent et la publièrent, d’abord en Hollande, puis en Suisse. Tous ces faits rendirent difficile jusqu’à nos jours sa reconnaissance dans le monde catholique, qui constituait cependant son milieu naturel et auquel elle demeura fidèle. Inversement, aux yeux des esprits sceptiques du siècle des Lumières en lutte contre l’influence des Églises, elle demeura toujours une dévote. Son influence resta donc souterraine et par là suspecte aux uns comme aux autres : il fallut attendre 1907 pour voir authentifier sa correspondance de la direction de Fénelon. Puis Henri Delacroix dès 1908 puis Jean Baruzi en 1931, reconnurent le sérieux et la justesse de ses vues avant que l’on ne la réédite partiellement22 :

Plus encore que Fénelon qui […] ne consent pas à faire de la foi elle-même une obscurité que ne soutiendrait pas l’évidence de l’autorité, Madame Guyon voudrait aller au-delà de toute donnée distincte [… elle] estime qu’elle retrouve en tout cela la doctrine de saint Jean de la Croix. Elle allègue des textes solidement choisis et oppose avec rigueur « la voie de lumière distincte » et « la voie de la foi ». Elle sait « qu’il est de très grande conséquence d’empêcher les âmes de s’arrêter aux visions et aux extases ; parce que cela les arrête presque toute leur vie. » 23.

Il fallut attendre 1958 pour que Louis Cognet consacre à Mme Guyon la moitié d’un fort volume dont le titre, Crépuscule des mystiques, Bossuet Fénelon, omet encore son nom24. En 1962 Jean Bruno entreprit une première édition critique d’extraits de la Vie, suivie des contributions de Jean Orcibal à partir de 1974, et de madame Gondal à partir de 198925.

Le fait que Mme Guyon ait vécu plongée « dans l’ordinaire » quotidien est un des éléments qui nous la rendent très proche. Au nom de sa liberté intérieure, elle refusa de se laisser embrigader par les autorités ecclésiastiques masculines : en particulier de devenir supérieure des Nouvelles catholiques de Gex malgré les pressions de l’évêque in-partibus de Genève. Elle vécut une vie d’épouse et de mère de famille, géra sa fortune, voyagea, connut la Cour et ses mondanités, puis les prisons. Mais elle resta toujours centrée sur sa vérité profonde comme en témoigne cette confidence au duc de Chevreuse :

J’avais fait cinq vœux en ce pays-là [la Savoie]. Le premier de chasteté que j’avais déjà fait sitôt que je fus veuve [le second] celui de pauvreté, c’est pourquoi je me suis dépouillée de tous mes biens — je n’ai jamais confié ceci à qui que ce soit. Le troisième d’une obéissance aveugle à l’extérieur à toutes les providences ou à ce qui me serait marqué par mes supérieurs ou directeurs, et au-dedans d’une totale dépendance de la grâce. Le quatrième d’un attachement inviolable à la sainte Église. Le cinquième était un culte particulier à l’enfance de Jésus-Christ plus intérieur qu’extérieur26. »

Sa vie témoigne d’une incessante lutte pour garder cette voie personnelle inébranlable au milieu de la vie ordinaire et publique. Elle s’articule selon cinq périodes : jeunesse et vie provinciale, voyages en Savoie et Piémont, période parisienne de notoriété et de combats, enfermement, retraite à Blois :

Jeanne-Marie Bouvier de la Mothe naît en 1648 à Montargis, à l’est d’Orléans : c’est l’année des traités de Westphalie, la fin de la guerre de Trente Ans, mais le début de la Fronde. La petite fille est placée dans des couvents — deux demi-sœurs sont religieuses — avant d’être donnée à seize ans en mariage à Jacques Guyon, riche et âgé.

Trois ans plus tard, cherchant la vie intérieure, la jeune femme fréquente des disciples et des amis de Bernières. Elle rencontre le « bon franciscain » Archange Enguerrand27 qui l’ouvre à la vie mystique. La supérieure du couvent local des bénédictines, Geneviève Granger28, figure remarquable, la soutient pendant ses difficultés familiales, puis une nuit intérieure29 : elle la voit chaque jour et lui communique paix et soulagement de toutes ses angoisses. La mère Granger l’envoie à M. Bertot probablement pour qu’elle soit formée plus rigoureusement : elle le rencontre le 21 septembre 1671. Malgré quelques incompréhensions dont fait état sa Vie30, elle engage avec lui une relation très profonde, à laquelle fait écho une correspondance remarquable par l’intensité mystique des deux correspondants :

Vous ne pouvez assez entrer dans le repos et dans la paix intérieure, car c’est la voie pour arriver où Dieu vous appelle avec tant de miséricorde. Je vous dis que c’est la voie, et non pas votre centre : car vous ne devez pas vous y reposer ni y jouir […] il ne faut plus vous arrêter à rien quoiqu’il faille que vous soyez en repos partout. […] Je vous en dis infiniment davantage intérieurement et en présence de Dieu ; si vous y êtes attentive, vous l’entendrez. Soutenez-vous en Dieu nuement et simplement, seule et une […] N’ayez donc plus d’idées, de pensées, de sentiments de vous-même, non plus que d’une chose qui n’a jamais été et ne sera jamais31.

Un cinquième enfant naît après la mort de son mari, dont trois atteindront l’âge adulte. Elle a vingt-huit ans. Quatre années plus tard, sa nuit mystique prend fin après sept années, mais Bertot meurt l’année suivante.

En 1681, âgée de trente-trois ans, elle prend conseil auprès de spirituels, en particulier auprès de dom Martin, le fils de Marie de l’Incarnation du Canada32, et part à Gex, près de Genève, s’occuper des Nouvelles catholiques, c’est-à-dire de jeunes protestantes que l’on convertissait au catholicisme. Le caractère ambigu de cet apostolat lui fait refuser un supériorat. Elle vit quelques années dans le duché de Savoie-Piémont (Thonon, Turin, Verceil) et en Dauphiné (Grenoble), exerçant à l’état laïque, avec grand succès, une activité apostolique. C’est lors de son séjour à Thonon qu’elle fait l’expérience de communications intérieures avec son confesseur, le père Lacombe. Elle rédige le début de son autobiographie et les Torrents, où elle compare le chemin mystique à un torrent, à l’image de la Dranse qui se jette à Thonon dans le lac Léman.

Elle séjourne près d’un an près de Turin, auprès de l’évêque Ripa qui était lié au cardinal quiétiste Petrucci (1636-1701). À Grenoble, où elle rédige les Explications de l’Ancien et du Nouveau Testament et où son Moyen court est publié avec succès33, son apostolat auprès de religieuses chartreuses provoque le « Louis XIV des chartreux », dom Le Masson34, qui s’inquiète de son influence et fait enlever le Moyen court des couvents.

C’est une femme d’expérience qui revient en France et arrive à trente-huit ans à Paris, en 1686, l’année précédant la condamnation de Molinos et de supposés quiétistes35, dont, post-mortem, Jean de Bernières. Elle connaît une captivité de huit mois à la suite de complexes intrigues religieuses et familiales. Sa libération est suivie de ses relations à la Cour et à Saint-Cyr où sa cousine de la Maisonfort est maîtresse, grâce à la faveur de Madame de Maintenon.

Elle reprend une place centrale au sein du cercle créé par son directeur Bertot et rencontre Fénelon en 1688. Ses correspondances, avec Fénelon, avec le duc de Chevreuse, avec la duchesse de Mortemart, témoignent de sa profondeur spirituelle. De graves épreuves vont suivre la perte de la faveur de la femme du Roi, rendue publique dès 1694.

Elle prépare alors des Justifications, en collaboration étroite avec Fénelon. Les examens doctrinaux aboutissent à la signature par Bossuet, Tronson, Noailles, Fénelon, des 34 articles d’Issy, et à la condamnation de ses écrits. Elle est arrêtée le 27 décembre 1695 sans qu’une justification soit nécessaire, car l’arbitraire du système de lettre de cachet est total.

À l’âge de quarante-sept ans, débute une succession d’enfermements qui durera près de huit années, dont plus de quatre en isolement : en 1700, ses amis la croient morte. Elle est interrogée à Vincennes neuf fois, près d’une journée entière chaque fois, dans un niveau du donjon spécialement aménagé par ordre du roi, puis enfermée à Vaugirard dans un « couvent » spécialement créé à cet effet comportant trois gardiennes religieuses bretonnes qui la maltraitent ; enfin, à partir du 4 juin 1698, elle est mise à la Bastille, où les maladies et vingt interrogatoires nouveaux épuiseront sa robuste nature. Mais on ne pourra jamais lui extorquer de dépositions compromettantes ou qui contredisent son expérience.

Elle sort de la Bastille le 24 mars 1703, âgée de cinquante-cinq ans, sur un brancard, lavée de toutes les fausses accusations, pour se rendre avec son fils Armand-Jacques au château de Diziers, près de Blois. Elle achète une maison à Blois dont l’évêque Berthier est ami de Fénelon, et en 1709, ayant retrouvé des forces, elle rédige la fin de La vie par elle-même et l’extraordinaire Récit des prisons.

Son activité apostolique reprend auprès de disciples français : des gens très simples, mais aussi les ducs et duchesses de Chevreuse et de Beauvillier, Fénelon dont la fidélité est indéfectible et qui maintient un contact épistolier par le marquis son petit-neveu, etc. Elle a aussi des correspondants étrangers (allemands, suisses, hollandais, écossais), qui lisent ses ouvrages publiés par Poiret et son cercle à Amsterdam. Quelques-uns peuvent venir la voir et d’autres entretiennent une abondante Correspondance dont il nous reste les plus belles lettres de direction. Elle meurt paisiblement le 9 juin 1717, âgée de soixante-neuf ans36.

L’œuvre.

Le génie propre de Mme Guyon n’est pas tant une expérience mystique qu’elle a en commun avec Bertot et quelques autres, mais d’avoir su l’écrire et surtout l’analyser remarquablement sans la dissocier de la vie concrète.

L’intérêt se trouve renforcé par une excellente préservation du corpus. Ceci est dû à l’édition entreprise du vivant de Mme Guyon et à la sauvegarde des nombreux manuscrits rassemblés à l’époque de la querelle du quiétisme par les évêques-juges des rencontres d’Issy et, parallèlement, par les disciples. On possède l’essentiel de ses écrits, pratiquement sans retouches affectant le sens profond, ce qui est tout à fait exceptionnel. Nous sont également parvenues les minutes des interrogatoires menés avec grand soin. À l’inverse, on a perdu la plus grande partie de l’œuvre de Jean de la Croix37, Bernières a été retouché, etc.

Les écrits les plus connus, soit la première partie des Torrents qui précède le Moyen court, le Cantique […] interprété…, les deux premières parties de la Vie…, les Explications des Écritures, sont tous composées avant la fin de l’année 1685, soit avant l’âge de trente-sept ans. Délivrée d’une longue purification spirituelle et avec l’énergie que donne la jeunesse, elle y manifeste spontanéité et lyrisme.

Elle déclare avoir entrepris d’écrire sous l’impulsion divine à laquelle elle ne pouvait résister et n’écrit jamais que pressée par la grâce. Elle pratique une écriture sans repentir. Il ne s’agit pas d’un procédé à la recherche de l’inspiration, telle que l’écriture automatique des surréalistes. La rédaction est liée à un état contemplatif où la justesse d’un texte et ses multiples implications apparaissent d’autant mieux que l’auteur ne tente aucune capture volontaire. Elle dit à Dieu :

Vous me faisiez écrire avec tant de pureté, qu’il me fallait cesser et reprendre comme Vous le vouliez. […] j’avais la tête si libre qu’elle était dans un vide entier. J’étais si dégagée de ce que j’écrivais, qu’il m’était comme étranger. Il me prit une réflexion : j’en fus punie, mon écriture tarit aussitôt, et je restai comme une bête jusqu’à ce que je fusse éclairée là-dessus38

Il s’ensuit une décision volontaire de ne pas interférer, car les repentirs et tout travail d’amélioration stylistique risquent de déformer une expression spontanée dépendante de la grâce divine, ce que l’on vérifie sur les autographes où les ratures, très rares, signalent une modification affectant la suite à donner au cours d’une rédaction rapide (ponctuation et paragraphes absents), mais jamais un repentir après relecture. Mme Guyon témoigne par ailleurs de l’abondance de son inspiration, car si l’agilité intellectuelle et physique peut être ralentie par un état contemplatif, l’énergie vitale d’une femme de trente-six ans lui permettait de transcrire rapidement une dictée intérieure :

Je continuais toujours d’écrire, et avec une vitesse inconcevable, car la main ne pouvait presque suivre l’Esprit qui dictait et, durant un si long ouvrage, je ne changeai point de conduite, ni me servis d’aucuns livre39.

Dix années plus tard, au moment le plus intense de la querelle, le dossier des Justifications constitue un tissu des auteurs mystiques chrétiens accompagné de précieuses remarques de sa main, que nous reprenons ici avec les œuvres de jeunesse.

Enfin, après sa sortie de la Bastille, elle accepta de revoir ses écrits à l’occasion de leur édition par le pasteur Pierre Poiret, esprit original méconnu et grand transmetteur d’œuvres mystiques, devenu un disciple40. Elle s’abstint toutefois de composer de nouveaux traités : elle avait compris, par l’expérience acquise auprès de ses dirigé(e)s, qu’il faut adapter la guidance de chacun par des conseils particuliers ou tout au plus par de brefs opuscules répondant à une difficulté particulière communément ressentie. Ses disciples rassemblèrent des opuscules et des lettres qui circulaient entre eux. Cet ensemble de pièces de dimensions variables (entre une et vingt-cinq pages) constitue le cœur de l’œuvre guyonienne, et traduit la pleine maturité mystique, trésor resté caché, enfoui sous le titre de Discours chrétiens et spirituels… qui révèle mal sa valeur.

Sa Correspondance fournit des séries de directions, dont la plus célèbre est celle avec Fénelon, qu’elle entraîna sur les divins sentiers. Il est très rare d’avoir des dialogues avec les dirigés : on ne possède habituellement que les écrits d’un seul correspondant. Plus largement, dans la durée, ses lettres nous donnent accès à toutes les étapes de la vie mystique, de la jeune femme dirigée par Bertot avant 1681 et par Maur de l’Enfant-Jésus, à la « dame directrice ».

Des textes, parfois secondaires à nos yeux tels que les cantiques et poèmes, furent fidèlement publiés, dont se détache l’immense commentaire biblique formant vingt des trente-neuf volumes assemblés et édités à Amsterdam, travail accompli fidèlement par Poiret. Il doit être complété par le fond manuscrit, car des textes essentiels demeurèrent hors d’atteinte de ce dernier : écrits de jeunesse, Récit des prisons, une grande partie de la Correspondance.

Le corpus guyonien couvre donc les trois domaines qui fondent une autorité spirituelle, ce qui est, soulignons-le de nouveau, très exceptionnel :

(1) Les témoignages biographiques et spirituels sont d’une grande franchise et acuité psychologique. Ils rassemblent en une tresse unique : les événements, le vécu intérieur, enfin le « système » spirituel (tandis que la Vida de Thérèse, souvent citée comme modèle, sépare ces fils selon deux grandes parties, biographie, événements intérieurs).

(2) Un enseignement structuré et imagé tout à la fois est fourni. En témoigna à l’époque le Moyen court qui atteignit un large public avant sa condamnation. Sa simplicité, qui n’est pas synonyme de facilité, vient de l’affranchissement de tout moyen préalable : acquis théologiques et dogmatiques, méthodes de prières et exercices, sélections sociales ou culturelles sont écartés ; tous les hommes sont appelés à l’expérience intérieure par la médiation du « petit maître » Jésus-Enfant. Les Torrents restèrent par contre manuscrits jusqu’en 1704, car cette œuvre pouvait faire peur aux hommes de métier dont la médiation est mise en question41 : la liberté sauvage de l’âme emportée par le torrent de grâce est préférable aux canaux faits de mains humaines.

(3) Un recours à la Tradition conduit aux Explications de l’Ancien et du Nouveau Testament interprétés spirituellement, et dix ans plus tard aux Justifications, une remarquable anthologie de textes mystiques rassemblés autour de mots-clefs. L’édifice bâti à partir des sources traditionnelles est solide, car double : connaissance de l’Écriture autant que des mystiques, ses interprètes.

Au-delà des textes attribués en toute certitude, le problème de l’influence plus ou moins immédiate sur L’Abandon à la Providence divine, très beau traité spirituel et l’un des best-sellers de la littérature spirituelle, autrefois attribué à Jean-Pierre de Caussade, reste posé. Le plus récent de ses éditeurs l’attribue « à une plume anonyme, disciple de madame Guyon ».42.

Disciples et cercles spirituels.

Dans les dernières années de sa vie, Mme Guyon réunissait à Blois des disciples, qui se voyaient aussi entre eux, indépendamment. Les disciples voyageaient beaucoup entre Blois (la maison de « notre mère »), Paris, Cambrai (l’archevêché de « notre père » Fénelon), Rijnsburg près d’Amsterdam (la maison de Poiret et de proches), Aberdeen au nord d’Edinburgh (les résidences proches des Garden, de lords Deskford, Forbes). À cette « route » principale, reliant les bords de la Loire à la Hollande et de là par mer en trois jours à la lointaine Écosse, s’adjoint un chemin secondaire vers Lausanne, lieu de séjour important à l’époque pour prendre les eaux (et une certaine liberté) dans une Suisse encore très sauvage : loin du pouvoir royal français, ils pouvaient se réunir pour faire oraison sans attirer l’attention de personne.

Mais à cette époque, les voyages étaient longs et difficiles et l’enseignement passait par les lettres : comme elles mettaient des jours sinon des mois à parvenir à leur destinataire, on les conservait soigneusement et on les relisait avec ferveur ; elles servaient de petits traités d’oraison pour tout un groupe et circulaient entre disciples. C’est ainsi que des séries de lettres furent adressées à Fénelon, au marquis de Fénelon, petit-neveu de l’archevêque, au baron de Metternich, diplomate de la cour de Prusse, à Poiret et à son cercle, à des Écossais, etc.

Après la mort de Mme Guyon, on constate l’influence diffuse de ses écrits sur des milieux divers. L’Abandon à la Providence divine constitue une résurgence de la spiritualité de l’école en milieu catholique, avec toute la précaution rendue nécessaire après l’affaire du quiétisme. Dans une tout autre direction, ses écrits circulent chez les quakers, chez Wesley et les méthodistes43. Ils atteindront la Suède, probablement par l’intermédiaire des grandes familles écossaises qui avaient pied des deux côtés de la mer du Nord, telle que celle des Forbes ; les États-Unis où la première Bible éditée in-folio reprend des commentaires guyoniens et où s’installent quakers et méthodistes ; la Russie où des œuvres sont traduites par un pope au tout début du XIXe siècle.

En Suisse, le pasteur Jean-Philippe Dutoit fut influencé par Fleischbein et réédita l’œuvre de madame Guyon. Objet en 1769 d’une visite de la police de Berne, le procès-verbal de saisie de ses livres se limite, outre la Bible et l’Imitation, à quatre auteurs : Bernières, Bertot, Mme Guyon, Poiret44. Le cercle guyonien suisse continue jusqu’au début du XIXe siècle à Lausanne, où Rosalie de Constant meurt de manière édifiante en 1837 ; elle était cousine du chevalier de Langalerie. Ce dernier, converti par Dutoit, était au centre d’un cercle spirituel probablement en voie de dessèchement puisqu’on en perd la trace ensuite. Il est intéressant de noter que Sainte-Beuve fut accueilli à Lausanne la même année par Olivier et Vinet pour les conférences qui conduiront au Port-Royal : Vinet était un protestant animateur du Réveil, mouvement qui avait des contacts guyoniens.

Ce grand courant mystique auquel fut attaché le sobriquet de quiétisme, dura donc deux siècles. Jean Baruzi avait bien senti l’intérêt d’une telle école où se mêlaient religieux et laïcs, et proposait déjà d’entreprendre l’étude des cercles guyoniens du XVIIe et du XVIIIe siècle :

Une étude historique concernant Poiret, Dutoit, le comte de Fleischbein, […] les ermi­tages tels que ceux qui furent créés par Poiret à Rheinsburg [Rijnsburg] en 1688 ou, par Fleischbein, à Hayn, devrait s’appliquer à démêler ce qui, par-delà l’influence de Mme Guyon, rejoint saint Jean de la Croix lui-même…45.

Malheureusement, la querelle du quiétisme a engendré le rejet de ces mystiques par l’Église catholique. Après eux, la peur de l’hérésie sera telle qu’il leur deviendra difficile de témoigner en son sein, et l’on constate la rareté d’expressions écrites publiées alors qu’elles demeurent assez nombreuses sous forme manuscrite. 

Ceci conduisit Louis Cognet à publier son Crépuscule des mystiques (1958) dont le titre, certes évocateur, risque malheureusement de laisser croire que « la mystique » serait l’expression d’une époque révolue. Les aspects théoriques du quiétisme ont été traités par Paul Dudon dans sa préface au Gnostique de Fénelon (1930), par Louis Cognet, par Jacques Le Brun dans son édition du premier volume des Œuvres de Fénelon (Pléiade, 1983), dans l’article « quiétisme » (Pacho, Le Brun) du Dictionnaire de Spiritualité, vaste monographie couvrant Espagne, Italie et France. Toutes controverses éteintes, l’heure est venue de redécouvrir Mme Guyon et sa descendance spirituelle.

Nous attirons maintenant l’attention sur quelques aspects de l’expérience vécue au cours du long pèlerinage mystique : Mme Guyon les a soulignés dans le Moyen court, son seul texte normatif publié au XVIIe siècle, dans l’ample exposé des Torrents, enfin dans sa Correspondance. Mais comment entrer dans cette dépendance vécue où la grâce seule travaille ?

Oraison méditée et mortification.

Pour les débutants, Mme Guyon suggère de pratiquer l’oraison en s’appuyant sur une lecture :

Après s’être mis en la présence de Dieu par un acte de foi vive, il faut lire quelque chose de substantiel et s’arrêter doucement dessus non avec raisonnement, mais seulement pour fixer l’esprit, observant que l’exercice principal doit être la présence de Dieu, et que le sujet doit être plutôt pour fixer l’esprit que pour l’exercer au raisonnement46.

Elle regrette qu’on n’enseigne pas l’oraison, car

… le Royaume de Dieu est au-dedans. […] Les curés devraient apprendre à faire oraison à leurs paroissiens, comme ils leur apprennent le catéchisme. Ils leur apprennent la fin pour laquelle ils ont été créés et ils ne leur apprennent pas à jouir de leur fin47.

Elle reconnaît la nécessité de la mortification :

La mortification doit toujours accompagner l’oraison selon les forces, l’état d’un chacun et l’obéissance. Mais je dis que l’on ne doit pas faire son exercice principal de la mortification ni se fixer à telles et telles austérités, mais suivre seulement l’attrait intérieur et s’occuper de la présence de Dieu sans penser en particulier à la mortification. Dieu en fait faire de toutes sortes48.

Comme l’on n’est pas toujours orienté vers Dieu, elle reconnaît la nécessité de parfois « faire des actes » :

Si je suis tourné vers Dieu et que je veuille faire un acte, je me détourne de Dieu et je me tourne plus ou moins vers les choses créées, selon que mon acte est plus ou moins fort. Si je suis tourné vers la créature, il faut que je fasse un acte pour me détourner de cette créature et me tourner vers Dieu. […] Jusqu’à ce que je sois parfaitement converti, j’ai besoin d’actes pour me tourner vers Dieu49.

Il ne s’agit donc pas de « rêver sur son balai », comme telle pensionnaire de Saint-Cyr ! Une comparaison éclaire le passage de l’acte « volontaire » à la coopération naturelle au travail de la grâce :

Lorsque le vaisseau est au port, les mariniers ont peine à l’arracher de là pour le mettre en pleine mer. Mais ensuite ils le tournent aisément du côté qu’ils veulent aller. Lorsque l’âme est encore dans le péché et dans les créatures, il faut, avec bien des efforts, la tirer de là : il faut défaire les cordages qui la tiennent liée. Puis ramant par le moyen des actes forts et vigoureux, tâcher de l’attirer au-dedans, l’éloignant peu à peu de son propre port…

Lorsque le vaisseau est tourné de la sorte […] plus il s’éloigne de la terre, moins il faut d’effort pour l’attirer. Enfin, on commence à voguer très doucement et le vaisseau s’éloigne si fort qu’il faut quitter la rame, rendue inutile. Que fait alors le pilote ? Il se contente d’étendre les voiles et de tenir le gouvernail.

Étendre les voiles, c’est faire l’oraison de simple exposition devant Dieu, pour être mû par son Esprit. Tenir le gouvernail, c’est empêcher notre cœur de s’égarer du droit chemin, le ramenant doucement et le conduisant selon le mouvement de l’Esprit de Dieu qui s’empare peu à peu de ce cœur, comme le vent vient peu à peu enfler les voiles et pousser le vaisseau50.

Ses détracteurs l’ont attaquée en utilisant le mot quiétisme qui sous-entend l’idée de repos statique : on ne fait plus rien, on ne pratique plus les prières, ni même les vertus puisque Dieu fera tout à notre place. Il est vrai que les termes de passiveté (et non : passivité) et de repos en Dieu demeurent ambigus, lorsque Mme Guyon écrit à propos des états ultimes :

Cette âme ne se met pas en peine de chercher ni de rien faire. Elle demeure comme elle est et cela suffit. Mais que fait-elle ? Rien, rien et toujours rien. Elle fait tout ce qu’on lui fait faire51.

La majorité des écrivains spirituels contemporains de Madame Guyon, dont Bossuet, se méprennent et s’opposent à l’inaction, en la prenant dans son sens moderne d’oisiveté et non comme un état où se vit l’action de la grâce divine au cœur de l’être (in-action). Ainsi dom Le Masson, l’actif général des Chartreux, adversaire de la « dame directrice », déclare qu’il ne faut pas laisser

… l’âme dans la malheureuse oisiveté d’inaction que les Quiétistes se sont formées, sous le prétexte de cette passiveté52.

Madame Guyon leur répond :

… cette action de l’âme est une action pleine de repos. Lorsqu’elle agit par elle-même, elle agit avec effort. C’est pourquoi elle distingue mieux alors son action. Mais lorsqu’elle agit par dépendance de l’esprit de la grâce, son action est si libre, si aisée, si naturelle qu’il semble qu’elle n’agisse pas. […] Tous les mouvements que nous faisons par notre propre esprit empêchent cet admirable Peintre de travailler et font faire de faux traits. Il faut donc demeurer en paix, et ne nous mouvoir que lorsqu’Il nous meut53.

La « voie passive en foi » (1er degré : amour et intériorité).

La « voie passive en foi » est la voie toute simple dans la mesure où il n’y a pas de technique : la grâce divine va répondre à celui qui l’appelle et le chemin commence :

Tout ce qu’il y a de plus grand dans la religion est ce qu’il y a de plus aisé. […] De même dans les choses naturelles. Voulez-vous aller à la mer ? Embarquez-vous sur une rivière et, insensiblement et sans effort, vous y arriverez54.

Se produisent alors toutes sortes d’expériences : compréhension profonde, amour, paix… et surtout le mystique s’absorbe de plus en plus dans le courant de grâce.

… l’opération de Dieu, devenant plus abondante, absorbe celle de la créature, comme l’on voit que le soleil, à mesure qu’il s’élève, absorbe peu à peu toute la lumière des étoiles […] La créature ne distingue plus son opération, parce qu’une lumière forte et générale absorbe toutes ses petites lumières distinctes et les fait entièrement défaillir, à cause que son excès les surpasse toutes. De sorte que ceux qui accusent cette oraison d’oisiveté se trompent beaucoup. Et c’est faute d’expérience qu’ils le disent de la sorte55.

Madame Guyon et Fénelon appellent le lecteur à se référer à l’expérience et à faire confiance aux spirituels expérimentés ; leurs ennuis sont venus de ce qu’ils avaient affaire à des clercs qui, se situant à un autre niveau, réclamaient des actions qui conviennent aux débutants. En effet, pour ceux qui sont arrivés au-delà des gestes cultuels, des prières formulées, de la pratique volontaire de vertus, l’effort, quel qu’il soit, n’a plus de sens. Mme Guyon fit son possible pour obéir à Bossuet, qui lui ordonnait de faire des prières et demander son salut, mais elle en était devenue incapable. Fénelon dit bien dans son Gnostique que les mystiques font partie de l’Église et prient en commun avec tous, mais que leur expérience se situe au-delà de celle de la majorité des chrétiens.

Mme Guyon insiste dans sa défense de l’oraison passive :

Quelques personnes, entendant parler du silence dans l’oraison, se sont faussement persuadées que l’âme y demeure stupide, morte et sans action. Non, assurément, elle agit plus noblement et plus fortement. Elle est mue et agie par l’Esprit de Dieu. […] L’on ne dit pas qu’il ne faut point agir, mais qu’il faut agir par dépendance du mouvement de la grâce56.

Elle affirme avec force que :

… tout l’exercice de l’oraison discursive ou même de la contemplation active, regardés comme une fin et non comme une disposition à la passive, sont des exercices vivants par lesquels nous ne pouvons voir Dieu, c’est-à-dire être unis à Lui57.

La passiveté a été définie par Fénelon dans son Mémoire sur l’état passif comme

… un état d’amour si purifié qu’il n’admet plus que la conformité à la chose aimée, en sorte que l’âme ne s’occupe plus volontiers ni du goût qu’elle peut y trouver ni de la peine qu’elle en souffrirait si elle cessait d’aimer, ni de la récompense attachée à l’amour ni de son amour même, mais uniquement de son bien-aimé58.

À la limite, l’âme est tellement amoureuse de Dieu qu’elle devient indifférente à son salut. Si par une « très fausse supposition », Dieu voulait la damner sans la priver de son amour, l’âme préférerait être damnée plutôt que perdre son amour : cette célèbre supposition impossible qui scandalisa Bossuet était acceptée depuis Clément d’Alexandrie jusqu’à François de Sales.

« L’école » de l’amour pur est donc radicale. L’âme se considère comme un néant. Toute appropriation personnelle doit disparaître pour laisser place à Dieu seul. Le chemin serait aisé si on laissait agir la grâce. Mais en fait l’âme se croit propriétaire d’elle-même, de ses états mystiques et de Dieu même.

La « voie passive en foi » (2e et 3e degrés : dépouillement, mort).

Après la découverte de l’intériorité et des prémices où sont données la paix et parfois la jouissance d’un reflet de la présence divine, l’homme sera purifié jusqu’à être consumé par le feu divin. Le chapitre XXIV du Moyen court, traitant du « moyen le plus sûr pour arriver à l’union divine », résume cette longue période qui couvre les deux premières des trois voies traditionnelles, soit la purification et l’illumination (avant l’union) :

… Il faut que sa Sagesse, accompagnée de la divine Justice, comme un feu impitoyable et dévorant, ôte à l’âme tout ce qu’elle a de propriété, de terrestre, de charnel et d’actif. […] L’homme aime si fort sa propriété, et il craint tant sa destruction que si Dieu ne le faisait lui-même et d’autorité, l’homme n’y consentirait jamais. L’on me répondra à cela que Dieu n’ôte jamais à l’homme sa liberté […] je dis qu’il suffit d’un consentement passif […] parce que s’étant donné à Dieu dès le commencement, pour qu’Il fasse de lui et en lui tout ce qu’Il voudrait, il [l’homme] fît alors un consentement actif et implicite à tout ce que Dieu ferait. Mais lorsque Dieu détruit, brûle, purifie, l’âme ne voit pas que cela lui soit avantageux59.

Mme Guyon continue en décrivant la face lumineuse de cette période, l’action divine dans l’âme :

Dieu, donc, purifie tellement cette âme de toutes opérations propres, distinctes, aperçues et multipliées, qui font une dissemblance très grande, qu’enfin Il se la rend peu à peu conforme et enfin uniforme, relevant la capacité passive de la créature, l’élargissant et l’ennoblissant, d’une manière cachée et inconnue — c’est pourquoi on l’appelle « mystique ». Mais il faut qu’à toutes ces opérations l’âme ne travaille que passivement60.

La grâce opère à l’envers des tendances naturelles d’accroissement propriétaire, par un « creusement » de l’être humain :

Ceux en qui Dieu est saint ne sont pas des pierres ou médailles de relief, mais des pierres gravées profondément, comme celle des cachets. C’est Dieu qui S’imprime profondément en eux, qui est leur véritable sainteté. Il ne paraît au-dehors de ceux-là qu’une concavité. On n’en peut discerner la beauté qu’en les imprimant sur la cire, c’est-à-dire qu’on ne les connaît qu’à leur souplesse et à la perte de toute leur propriété et de tous les apanages de la volonté propre, au lieu que les premiers ont des volontés fortes et puissantes et un jugement raide61.

Sans le savoir, Mme Guyon se situe dans la tradition du chartreux Hugues de Balma (~1300), auteur d’une Théologie mystique des trois voies (qu’elle n’aura pas lue) :

Parce qu’il [le mystique] ne s’attribue pas en effet les choses qu’il possède, mais les fait toutes tourner à la louange du dispensateur de toutes choses, il creuse en soi une concavité en luttant contre soi-même avec plus de vérité. Par elle, l’abondante pluie des grâces divines, franchissant monts et collines, s’introduit dans les endroits moins élevés, de telle sorte que plus grande aura été la concavité de l’humilité, plus elle sera capable de recevoir une grâce plus abondante62.

Ce « creusement » est en quelque sorte céder à l’opération de Dieu : la passiveté succède peu à peu à l’action. Alors naît une liberté nouvelle, car la « mort » subie par le pèlerin spirituel est un passage et non un terme.

Dans la Correspondance de la fin de sa vie, Mme Guyon redira la même chose  en termes encore plus simple :

… Il vous faut maintenant un tel oubli de vous-même que vous ne songiez pas même volontairement si vous êtes d’une manière ou d’une autre. Il faut faire le saut de la perte totale, qui consiste à se laisser à Dieu pour le temps et l’éternité en sorte que tout ce qui nous touche ne nous regarde plus63.

C’est l’époque où :

la foi nue dépouille l’âme et la vide de tout ce qu’elle avait reçu dans la foi savoureuse, et la défigure si fort […] C’est pourquoi elle perd peu à peu l’amour d’elle-même et les propriétés, perdant les choses qui la rendaient propriétaire ; et en perdant tout de cette sorte, elle s’anéantit peu à peu et Dieu prend la place et remplit son vide et son néant, de sorte que, perdant tout, on trouve tout64.

Car cet anéantissement de soi n’a pas pour but de laisser la place au néant65. Mme Guyon demande en une prose magnifique que l’âme laisse la place à l’Amour absolu :

… mais ce que Dieu demande le plus de vous est l’étendue du cœur, la largeur, l’oubli de vous, la désoccupation de vous-même, la perte de tous vos intérêts d’âme, de corps, de temps, d’éternité : vous devez vous jeter dans les bras de l’amour… Allons, le temps est court. Enfonçons-nous dans cette mer d’amour éternel… Quand sera-ce que nous ne saurons plus si nous allons et comme nous allons, n’ayant plus de marcher [sic], mais nous laissant emporter par ce tourbillon infini qui nous fera faire plus de chemin en un moment que nous n’en ferions par nos pas en mille années66 ?

L’âme est ressuscitée : la vie divine n’est pas une mort, mais la vie même :

l’âme reprend une véritable vie […] Pour être ressuscitée, l’âme doit faire les mêmes actions qu’elle faisait autrefois avant toutes ses pertes, et sans nulle difficulté ; mais elle les fait en Dieu67.

Elle a perdu le créé pour l’incréé, le rien pour le tout…68

Cet état n’est plus un « état », car il est naturel pour ainsi dire : les « inclinations de Jésus-Christ » sont là, se font en elle « si aisément qu’il semble qu’elles lui soient devenues naturelles69. »

Quelle différence de cette âme à une personne toute dans l’humain ? La différence est que c’est Dieu qui la fait agir sans qu’elle le sache et auparavant c’était la nature qui agissait70.

Mme Guyon eut le tort d’affirmer une liberté totale qui, mal comprise, pose problème aux autorités établies, qui se plient nécessairement à des règles de prudence. En réalité, les contraintes habituelles n’ont plus place parce que seule compte l’impulsion donnée par le divin :

La liberté dont je parle n’est pas de cette nature : elle a facilité pour toutes les choses qui sont dans l’ordre de Dieu et de son état…71

La liberté est absolue parce que l’on est détaché de tout et parce qu’il n’y a plus que Dieu, au terme d’une voie ardue, dans un dépouillement absolu. Ces textes ne décrivent l’expérience que de quelques personnes.

L’état apostolique (4e degré, vie nouvelle divine)

À l’intention de celui qui est arrivé là, Mme Guyon témoigne en décembre 1709 :

Dans ces derniers temps, je ne puis parler que peu ou point de mes dispositions : c’est que mon état est devenu simple et invariable. […] Le fond de cet état est un anéantissement profond, ne trouvant rien en moi de nominable. Tout ce que je sais, c’est que Dieu est infiniment saint, juste, bon, heureux […] rien ne subsiste en moi, ni bien ni mal. Le bien est en Dieu, je n’ai pour partage que le rien. […] Tout est perdu dans l’immense, et je ne puis ni vouloir ni penser. […] Décembre 170972.

Sa prière s’est totalement transformée :

Il semble que je vous porte partout sitôt que je suis seule en paix, et il se fait en moi une prière continuelle qui est comme un état inséparable de mon fond, lequel est fixe et invariable quoique la disposition varie73.

Un tel état d’union est commun aux mystiques accomplis. Marie de l’Incarnation partageait cet état, elle qui écrivait dans sa Relation de 1654, âgée alors de cinquante-cinq ans :

Il ne se peut dire la paix et la grande tranquillité que l’âme possède, se voyant entièrement libre de ses liens et rétablie en tout ce qu’elle avait perdu […] comme ayant eu diverses affaires depuis que je suis en Canada […] L’on prenait souvent mon procédé comme provenant de mon naturel […] l’on ne voyait pas que, mon esprit étant possédé de cet Esprit des maximes du Fils de Dieu, j’agissais par ce principe […] Dans les susdits emplois, mon esprit était toujours lié à cet Esprit qui me possédait74.

Cette plénitude de la vie mystique n’est pas vécue comme une expérience personnelle et solitaire : à cet état ultime et permanent, est associée, chez Mme Guyon, la possibilité de transmettre la grâce de personne à personne et c’est pourquoi elle l’appelle « état apostolique » en référence aux apôtres qui reçurent le Saint-Esprit à la Pentecôte et pouvaient Le transmettre. La grâce utilise alors un canal humain pour passer. Mme Guyon a découvert cette expérience assez tardivement, à l’âge de quarante-quatre ans en 1682. Il s’agit d’un état spécifique de vide, même si Mme Guyon perçoit le passage de la grâce par son canal, en l’absence de toute volonté propre et sans intentionnalité75. Cette « prière » de caractère surprenant et rare a fait l’objet d’incrédulité et de sarcasmes, en particulier de la part de Bossuet. À l’époque moderne, elle est parfois sujet de curiosité et d’étude pour des érudits modernes76. En réalité, elle a toujours été connue dans le monde entier à toutes époques. On la trouve chez les orthodoxes, par exemple chez Séraphim de Sarov. On en trouve aussi des indices chez les Pères du désert77, peut-être dans le Carmel, et chez Monsieur Olier78. Mais compte tenu de l’existence de communautés fermées chez les catholiques, on en parle peu. La possibilité d’être un canal de grâce pour autrui est déjà évoquée par Bertot, mais Mme Guyon l’a explorée et a osé en parler et la décrire. Son témoignage est donc particulièrement précieux.

Elle a pris conscience que la grâce pouvait l’utiliser comme « un canal de communication » sans que sa volonté propre intervienne, ce dernier point étant absolument nécessaire. Ces communications se passaient pendant des oraisons silencieuses en commun, mais étaient vécues aussi à distance :

Ceux que Dieu unit à sa paternité divine ont un don de se communiquer intérieurement à leurs enfants de grâce, et Dieu s’en sert comme d’un canal de communication. Ils ont encore une autre qualité, qui leur coûte cher et qui est de souffrir pour leurs enfants, de porter leurs faiblesses et leurs langueurs ; et les enfants éprouvent de leur côté qu’ils ont auprès de leur père ou mère de grâce une onction toute particulière ; c’est pourquoi ils éprouvent qu’il leur est communiqué quelque chose par le fond qu’ils ne reçoivent de nulle autre part79.

La transmission de la grâce divine se situe bien loin de toute intention qui serait un exercice subtil de la volonté propre, mais dans une extrême soumission à cette « main de Dieu qui donne », dans un vide de soi-même et des créatures80 :

Si son propre salut ne la touche pas alors, celui des autres ne le fait pas non plus ; cependant, elle y est employée et elle y travaille par providence, mais sans soin ni souci, sans y penser, sans s’en occuper, sans se soucier du succès : tout périrait et renverserait qu’elle n’en serait point touchée. Tout lui est Dieu, et Dieu est tout : la gloire de Dieu se trouve autant dans la destruction que dans l’édification. On ne sait plus alors ce que c’est que parents, amis, biens, enfants, intérêt [604] honneur, santé, vie, salut, gloire, éternité : tout cela ne subsiste plus pour une telle âme ; Dieu est toutes ces choses en Lui et pour Lui81.

Mais il y a l’association très étroite du vide à la plénitude, tandis que cette « communication » est ressentie par tous dans un état de paix ou parfait repos :

Quand l’âme a perdu et tout pouvoir propre et toute répugnance à être mue et agi selon la volonté du Seigneur, alors Il la fait agir comme Il veut […] Quand Dieu la meut vers un cœur, à moins que ce cœur ne refusât lui-même la grâce que Dieu veut lui communiquer, ou qu’il ne fût mal disposé par trop d’activité, il reçoit immanquablement une paix profonde […] Quelquefois plusieurs personnes reçoivent dans le même temps l’écoulement de ces eaux de grâce ; et cela à proportion que leur capacité est plus ou moins étendue, leur activité moindre et leur passiveté plus grande82

Cette transmission ne dépend que de Dieu seul et s’effectue le plus parfaitement en silence. Elle suppose un accord au niveau du recueillement des personnes qui est souvent favorisé par une proximité physique tandis que le transmetteur est affranchi de toute inclination naturelle  :

Vous m’avez demandé comment se faisait l’union du cœur ? Je vous dirai que l’âme étant entièrement affranchie de tout penchant, de toute inclination et de toute amitié naturels, Dieu remue le cœur comme il Lui plaît ; et saisissant l’âme par un plus fort recueillement, Il fait pencher le cœur vers une personne. Si cette personne est disposée, elle doit aussi éprouver au-dedans d’elle-même une espèce de recueillement et quelque chose qui incline son cœur […] Cela ne dépend point de notre volonté : mais Dieu seul l’opère dans l’âme, quand et comme il Lui plaît, et souvent lorsqu’on y pense le moins. Tous nos efforts ne pourraient nous donner cette disposition ; au contraire notre activité ne servirait qu’à l’empêcher83.

On trouve de nombreux textes parallèles décrivant les modalités de la transmission dans la Vie par elle-même84 et dans les Explications des deux Testaments :

Ils se parlent plus du cœur que de la bouche ; et l’éloignement des lieux n’empêche point cette conversation intérieure. Dieu unit ordinairement deux ou trois personnes […] dans une si grande unité, qu’ils se trouvent perdus en Dieu […] l’esprit demeurant aussi dégagé et aussi vide d’images que s’il n’y en avait point. […] Dieu fait aussi des unions de filiations, liant certaines âmes à d’autres comme à leurs parents de grâce85. »

Les Lettres parlent sans cesse de cette expérience commune aux amis de Mme Guyon. Tentant de la décrire, elle écrit au duc de Chevreuse :

Ce n’est point une conversation de paroles successives, mais une communication d’onction, de lumière et d’amour. Le fer frotté d’aimant attire comme l’aimant même. Une âme désappropriée, dénuée et simple et pleine de Dieu, attire les autres âmes à Lui…86

Cette expérience bouleversante, Fénelon l’a ressentie à sa grande surprise, et c’est ce qui explique sa fidélité absolue à Mme Guyon malgré les pressions extérieures (mais après avoir exploré les compromis possibles). Fénelon avait des préventions contre une femme laïque et de tempérament si différent du sien, mais il savait par expérience qu’en sa présence et dans le silence, il recevait une communication spirituelle. C’est la raison pour laquelle il ne l’a jamais reniée et l’a aidée autant qu’il l’a pu, au grand étonnement de leurs juges, navrés de cet attachement incompréhensible. Dans ses lettres, il la reconnaît explicitement comme « canal » de grâce pour lui :

Je suis de plus en plus uni à vous, madame, en Notre Seigneur, et j’aimerais mieux mille fois être anéanti que de retarder un seul instant le cours des grâces par le canal que Dieu a choisi. 87

Celle-ci affirme son lien intérieur avec Fénelon, qu’elle considère comme son fils spirituel le plus proche.

Je me sens depuis hier dans un renouvellement d’union avec vous très intime. Il me fallut hier rester plusieurs heures en silence si rempli que rien plus. Je ne trouvais nul obstacle qui pût empêcher mon cœur de s’écouler dans le vôtre. …88

Elle lui écrit au début avril 1690 :

… j’ai cette confiance que si vous voulez bien rester uni à mon cœur, vous me trouverez toujours en Dieu et dans votre besoin89.

À cette confiance, Fénelon répond combien il a besoin de s’appuyer sur elle :

Si vous veniez à manquer, de qui prendrais-je avis ? ou bien serais-je à l’avenir sans guide ? Vous savez ce que je ne sais point et les états où je puis passer. C’est à vous à savoir et à me dire simplement les vues que Dieu vous donne pour moi sur cela. […] Je puis me trouver dans l’embarras ou reculer sur la voie que vous m’avez ouverte […] Je me jette tête première et les yeux bandés dans l’abîme impénétrable des volontés de Dieu. Lui seul sait ce que vous m’êtes en Lui […] je vous perds en Lui comme je m’y perds90

Fénelon était son disciple le plus cher, et un jour où elle était malade et croyait mourir, elle lui écrivit pour lui léguer la direction de leur groupe spirituel :

Je vous laisse l’esprit directeur que Dieu m’a donné91

Cette succession n’eut jamais lieu, car Fénelon mourut avant elle.

De nombreuses personnes bénéficièrent de ce don de grâce. Nobles ou gens simples, c’est cette expérience profonde qui attirait les gens venus à Blois les dernières années de sa vie comme l’avaient été les religieuses chartreuses dès 1685 : en sa présence, l’expérience mystique était si prégnante que les amis qui la connurent ne pouvaient la renier, même pour obéir à l’Église, dont ils reconnaissaient pourtant faire intimement partie. Le seul témoignage qui nous soit parvenu décrit, sur un ton peut-être trop hagiographique, comment ses amis plongeaient dans l’intériorité spontanément auprès d’elle, sans nulle suggestion orale ou rappel de sa part :

Elle vivait avec ces Anglais [des Écossais] comme une mère avec ses enfants. […] Souvent ils se disputaient [à propos de politique : le premier soulèvement écossais des jacobites eut lieu en 1715], se brouillaient  ; dans ces occasions elle les ramenait par sa douceur et les engageait à céder ; elle ne leur interdisait aucun amusement permis, et quand ils s’en occupaient en sa présence, et lui en demandaient son avis, elle leur répondait : « Oui, mes enfants, comme vous voulez ». Alors ils s’amusaient de leurs jeux, et cette grande sainte restait pendant ce temps-là abîmée et perdue en Dieu. Bientôt ces jeux leur devenaient insipides, et ils se sentaient si attirés au-dedans que, laissant tout, ils demeuraient intérieurement recueillis en la présence de Dieu auprès d’elle.

On y voit aussi une amusante façon de vivre l’œcuménisme tout en respectant les interdits cultuels de l’époque :

Quand on lui apportait le Saint Sacrement, ils se tenaient rassemblés dans son appartement, et à l’arrivée du prêtre, cachés derrière le rideau du lit, qu’on avait soin de fermer pour qu’ils ne fussent pas vus parce qu’ils étaient protestants, ils s’agenouillaient et étaient dans un délectable et profond recueillement, chacun selon le degré de son avancement, souvent aussi dans des souffrances [de purification] assorties à leur état92.

Un tel vécu montre que l’expérience mystique se situe en amont des religions et des clivages créés par des structures religieuses. Baruzi et Bergson pensaient que l’expérience mystique est universelle et a-dogmatique : elle témoigne qu’il existe un au-delà du corps et du psychisme. Dans ses découvertes textuelles, Bremond appelait à retrouver les « traces d’un fond ineffable qui se répète à l’identique à toutes époques, depuis l’homme des cavernes ». Le lecteur doit surmonter l’éventuelle étrangeté de ce témoignage avant de se laisser saisir par la véracité et la précision de l’explorateur d’une terre inconnue. Ces textes véridiques, car destinés à des amis définis et très personnellement connus, témoignent d’une expérience acquise « sur le terrain » et située au-delà des frontières connues de la psychologie ou de la religion traditionnelle.



Avertissement

Pour le Moyen court et pour les Torrents, nous disposons de quelques manuscrits et d’éditions basées sur des manuscrits perdus. Les variantes sont innombrables. Même en se limitant à celles qui apportent une nuance significative au sens spirituel, le lecteur les trouvera très nombreuses. Pour les variantes des Lettres, on se reportera à l’édition critique de la Correspondance.

Pour le Cantique… nous disposons d’éditions très proches. Il en est de même pour l’Abrégé. Les autres œuvres ne posent pas non plus de problème de variantes puisque l’on dispose d’une seule édition par Poiret, dont les sources manuscrites sont perdues. La difficulté porte alors sur le choix fait dans un vaste ensemble couvrant vingt-neuf des trente-neuf tomes de l’édition Poiret93 : nous laissons de côté la quasi-totalité des Explications… (vingt tomes) et des Poèmes (cinq volumes), ainsi que les deux tiers des Discours

La section consacrée aux Justifications se limitera à un choix d’explications apportées aux extraits d’auteurs mystiques. Celles qui portent directement sur les extraits du Moyen court et des Torrents sont données en notes au fil de notre édition de ces œuvres.

Nous avons omis le Traité de la purification de l’âme et la Règle des associés à l’Enfance de Jésus.

Pour les deux premiers traités de cette édition, Moyen court et Torrents, nous utilisons les italiques à la fois pour les citations bibliques et pour les italiques ou majuscules apparus à partir de 1704 : simplification qui ne génère pas d’ambiguïté. Nous introduisons parfois le signe d’addition « + » dans le fil du texte pour indiquer le début et la fin d’une adjonction propre aux éditions très similaires de 1712 et de 1720.

Les notes donnent les variantes significatives du manuscrit A (décrit ci-dessous) et des éditions de 1699, 1704, 1712 par rapport au texte retenu de 1720. Nous n’indiquons que rarement une variante des autres manuscrits. Nous incluons en note le mot qui précède et celui qui suit la variante (sauf lorsque celle-ci ne porte que sur un seul mot modifié ou remplacé sans ambiguïté) : toute ambiguïté est ainsi évitée.

Moyen court et Torrents ne représentant qu’une partie du présent volume, et certaines variantes affectant le sens profond ou requérant une explication, nous n’avons pas eu recours à deux systèmes de référence qui distingueraient les variantes des explications et des textes mis en parallèle. Par contre, nous avons distingué certains des appels de note en leur adjoignant un astérisque, afin d’assurer au lecteur sans besoin de recours érudit une fluidité de lecture tout en signalant des additions qui affectent ou complètent le sens profond du texte (le plus souvent il s’agit d’extraits des Justifications).

Les apports de natures différentes, qui figurent sous un même appel de note parce qu’ils se rapportent à un même endroit du texte, sont séparés par un tilde « ~ ». Les variantes (sans guillemets) sont parfois placées à la suite de textes d’intérêt plus général. Ces derniers sont mis entre guillemets pour les distinguer au premier coup d’œil des simples variantes (ou figurent souvent en italiques lorsqu’il s’agit d’explications). « / » signale un saut de paragraphe dans la source.

Les références bibliques correspondent à la Vulgate ancienne utilisée par Poiret et par madame Guyon ; nous ajoutons les références modernes dans le cas des citations de Psaumes (dont on sait que la numérotation diffère en général d’une unité).

§

Après l’étude du Père Max Huot de Longchamp situant Madame Guyon dans la Tradition mystique chrétienne, Je fais précéder les Opuscules mystiques de Madame Guyon par la préface à l’édition en deux volumes des textes rassemblés par son premier éditeur Pierre Poiret :


Jeanne Guyon dans la Tradition mystique chrétienne [P. de Longchamp]


Le lecteur des textes présentés dans ce volume sera frappé par l’aisance avec laquelle Jeanne Guyon évolue au cœur de la Tradition mystique chrétienne : au fil d’une continuelle méditation de l’Écriture, elle manie avec sûreté un vocabulaire qui remonte pour l’essentiel à saint Bernard, lui-même nourri de saint Augustin. S’exprimant sans hésitation, on sent qu’elle porte en elle une synthèse intellectuellement achevée des dizaines d’auteurs qu’elle a dévorés avec avidité. Elle sait de quoi elle parle, et reconnaît de loin ceux qui ne le savent pas :

Quelques saints ou quelques auteurs prenaient les fiançailles [spirituelles] pour le mariage, et le mariage pour la consommation… Parlant avec la liberté de l’esprit, ils ne distinguaient pas toujours exactement ces degrés :… il n’y a que l’expérience et la lumière divine, qui puisse faire connaître cette différence94.

En fait, parmi d’autres services que nous rend Jeanne Guyon, il y a celui d’une présentation claire et complète de la vision chrétienne de la vie mystique, au point que l’on pourrait recommander la lecture de ces pages comme celle d’un excellent manuel en la matière, et disons-le tout de suite pour apaiser les consciences délicates, qu’il serait difficile de prendre en défaut de foi catholique.

Un manuel, en effet : tous les thèmes spirituels y sont traités, même si c’est au service du seul thème qui l’intéresse vraiment, celui de la totale passivité (mais passivité « active », nous montrera-t-elle) de l’âme parfaitement transformée en Dieu, mystiquement morte et ressuscitée. C’est ce terrain-là qu’elle laboure, s’exposant à toutes les accusations de quiétisme, terrain d’autant plus sensible qu’il est celui de l’espérance chrétienne la plus absolue :

Nul n’ignore que le Bien souverain est Dieu, que la béatitude essentielle consiste dans l’union à Dieu, que les saints sont plus ou moins grands selon que cette union est plus ou moins parfaite, et que cette union ne se peut faire dans l’âme par nulle propre activité, puisque Dieu ne se communique à l’âme qu’autant que sa capacité passive est grande, noble et étendue95.

Pour rédiger ce manuel auquel il ne manque qu’un peu de mise en forme, Jeanne Guyon aura donc lu énormément. Quels ouvrages ? Écrivant, comme elle le déclare elle-même, d’abondance et comme au galop, il est difficile de les reconnaître à coup sûr : pensait-elle à saint Bernard lorsqu’elle nous fait penser à saint Bernard ? Elle arrive à un moment où, hélas, « voilà que le monde est plein de livres !96 », constate déjà tristement Louis de Blois (qu’elle aura certainement lu !) un siècle plus tôt ; si bien qu’elle peut avoir en tête tel vulgarisateur ou commentateur, là où l’érudit contemporain reconnaîtra un passage plus ancien. Cela dit, quand elle répond dans une lettre à une question posée, ou quand elle doit se justifier dans quelque écrit de circonstance, c’est à l’évidence Denys qui domine, comme toujours en Occident depuis Charlemagne, même si saint Augustin et saint Jean de la Croix ne sont jamais loin. Là où ses écrits sont un peu plus construits, c’est-à-dire dans les traités, les choses sont plus nettes : parlant des fondements de la vie spirituelle (cas du début du Moyen Court), c’est à saint François de Sales dans l’Introduction à la Vie dévote qu’il faut la référer, et plus largement à l’école salésienne ; lorsqu’elle aborde le thème du mariage spirituel, qui ne lui est pas habituel, mais qui appartient au niveau qu’elle aime bien de la totale transformation de l’âme en Dieu, on constate sa parfaite intelligence de Thérèse d’Avila. Préférant pour sa part l’expression d’état apostolique pour désigner cet accomplissement mystique, ses expressions, ses analyses et même ses images sont alors à rapprocher des descriptions de la vie commune chez Ruusbroec l’Admirable, disponibles dans la traduction de l’Ornement des Noces par dom Beaucousin en 1606. Et lorsqu’elle manie avec virtuosité le thème du pur amour et de l’anéantissement de l’âme, on sent la présence, si forte dans la France du XVIIe siècle, de Catherine de Gênes et de son école. Constatons quand même une absence remarquable : rien chez elle ne semble appartenir à la tradition française de la Perle évangélique, à travers Bérulle et l’École française.

Préciser tout cela serait prendre des risques scientifiques, tout en ennuyant des lecteurs qui demandent autre chose à Jeanne Guyon : une explication de ce que Dieu opère dans les âmes qu’il invite à son intimité. Tout homme porte secrètement cette invitation au plus profond de lui-même, mais elle s’impose de façon suffisamment explicite chez certains, pour qu’elle devienne la grande affaire de leur vie. Jeanne ici les aidera plus que quiconque à comprendre ce qui se passe alors. Mais le lecteur peu familier avec la Tradition dont elle hérite aura sans doute besoin de quelques repères dans le paysage qu’elle habite, domaine de la foi pure où toute navigation à vue est interdite, et où il faut se fier aux instruments. Nous allons donc examiner d’un peu plus près, non pas tant les sources, que le vocabulaire auquel Jeanne se réfère, et qui est celui des grands auteurs chrétiens.

Une lecture chrétienne de l’expérience mystique

La croissance spirituelle

Avant de parler de l’expérience d’une parfaite union à Dieu, à laquelle Jeanne Guyon consacre ses meilleures pages, il sera bon d’esquisser une vue d’ensemble de la croissance spirituelle.

Pour bien situer la contemplation, rappelons qu’une vie spirituelle un peu sérieuse connaît le plus souvent une phase fortement méditative dans ses débuts : la prise de conscience de la présence de Dieu entraîne une intense activité mentale de la part de celui qui en bénéficie, et qui cherche dès lors à se former des images et des idées de ce Dieu qui mystérieusement l’attire. Pour le chrétien, ce Dieu invisible ayant pris chair en Jésus-Christ, il se donne à connaître dans l’Écriture sainte et la Tradition de l’Église, qui vont dès lors alimenter cette amoureuse méditation. Chez Thérèse d’Ávila, cette activité méditative occupe les trois premières demeures de son Château de l’Âme ; elle correspond à ce que la terminologie habituelle désigne comme l’état des commençants (dans la tradition latine), ou encore comme la voie purgative (dans la tradition d’origine grecque du pseudo-Denys), ou encore, ici ou là, comme la vie active (chez Ruusbroec l’Admirable notamment). Conventionnellement, nous parlerons ici d’oraison méditative, ce mot d’oraison recouvrant à la fois un exercice méthodique dont la pratique se trouve précisément codifiée par Thérèse d’Ávila ou François de Sales, et une manière d’être globale dans notre relation à Dieu (en ce sens, une Marie de l’Incarnation, vers 1650, parlera de différents « états d’oraison ».)

Avant d’aller plus loin, notons bien que cette méditation n’est pas un point de départ dans la vie spirituelle : elle est une première réponse à la présence de Dieu ressentie, mais non provoquée, et donc à un fait d’essence contemplative, ce mot indiquant en première approximation la conscience que nous prenons de Celui qui est, par distinction de l’expérience sensible ou intellectuelle que nous avons de ce qui passe. Nous reconnaissons dans cette prise de conscience l’origine de l’inquiétude religieuse qui habite tout homme, quelle que soit la solution qu’il y apportera, inquiétude qui chez certains prend une intensité telle, que l’on va, conventionnellement encore, parler à leur sujet d’expérience mystique. C’est à ceux-là d’abord que s’adressent Jeanne Guyon et les auteurs qui nous intéressent ici, même si elle-même réserve habituellement ce mot de mystique à la phase terminale de leur itinéraire, celle qui s’ouvre justement avec leur « mort mystique ».

Reste que cette réponse méditative à la sollicitation divine va habituellement se révéler inadéquate au bout d’un certain temps, l’aspect passif de cette expérience revenant au premier plan de la conscience, au moins si cette expérience est appelée à un fort développement : tous les maîtres nous parleraient ici de l’impuissance qu’éprouve alors le spirituel à continuer à méditer, que le thème de cette méditation soit Dieu ou autre chose, comme si l’activité mentale se trouvait secrètement investie par quelque chose ou par quelqu’un d’invisible. Car on ne peut nier que cette impuissance s’accompagne d’une croissance dans la connaissance et dans l’amour de Celui que le spirituel continue à chercher, même s’il ne le trouve plus dans la méditation : demandez-lui de parler de Dieu, et il vous en parlera avec une étonnante lucidité ; proposez-lui une vie sans Dieu, et cette seule hypothèse lui sera en horreur. En réalité, cette âme hébétée ne voit pas moins bien qu’avant, mais beaucoup mieux, quoique sans s’en apercevoir : « La créature ne distingue plus son opération, parce qu’une lumière forte et générale absorbe toutes ses petites lumières distinctes et les fait entièrement défaillir, à cause que son excès les surpasse toutes97 ». Voilà ce qui caractérise cette fois-ci l’état des progressants, ou encore la voie illuminative, ou encore la vie de désir de Dieu dans la terminologie indiquée plus haut. Nous parlerons ici d’oraison contemplative, même s’il est clair qu’en occupant désormais le premier plan de la conscience, la contemplation n’en anéantit pas pour autant l’activité méditative sur un autre plan : le fait que le spirituel continue à chercher celui qui lui échappe, et donc à réfléchir, suffit à le prouver. En tout cas, bien souvent sans le savoir, le spirituel est entré dans la quatrième demeure de Thérèse d’Avila, celle de l’oraison de quiétude.

« Bien souvent sans le savoir », venons-nous d’écrire. En effet, cette entrée dans la quatrième demeure thérésienne correspond dans la pratique de l’oraison à un retournement de la vie mentale par rapport à son fonctionnement précédent, Dieu et non plus l’homme en ayant désormais l’initiative. D’où le désarroi et la sensation d’égarement (de « nuit », chantera Jean de la Croix) du spirituel qui se voit perdre le contrôle de sa vie d’oraison, subissant l’intrusion d’un Tout-autre qui le dépossède ainsi de lui-même. Et c’est ce caractère déconcertant de l’oraison contemplative qui fait souhaiter l’intervention éclairée d’un directeur spirituel compétent, faute duquel l’âme risquera de s’entêter dans une impasse dont elle cherchera à forcer le passage. En tout cas, avec ou sans aide, il lui faut comprendre qu’elle ne pourra désormais trouver ses repères que dans la seule Parole révélée par Celui dont elle sait maintenant qu’il est à l’origine de sa recherche, mais dont elle ne sent ni ne comprend plus le chemin : condamnée à la foi, c’est dans ce recours à la Révélation qu’elle passe de la navigation à vue à la navigation aux instruments, avec toutes les conséquences que l’on devine sur l’interprétation des états qui vont suivre, ainsi que sur la pratique de la direction spirituelle des âmes contemplatives.

L’oraison contemplative une fois installée, la vie mentale du spirituel connaîtra, sinon de nouvelles ruptures, au moins de nouveaux états, correspondant à ce que Thérèse d’Ávila désignera comme l’oraison d’union (cinquième demeure), puis les fiançailles spirituelles (sixième demeure), et enfin le mariage spirituel (septième demeure). Dans la terminologie déjà rencontrée, cet aboutissement correspond à l’état des parfaits (au sens d’épanouissement spirituel, et non d’impeccabilité morale), à la voie unitive (quoique certains auteurs la comprennent en un sens plus large), ou à l’union transformante de Jean de la Croix, ou à la vie suressentielle de Ruusbroec. Distinguer ces états dans les textes n’est pas toujours facile, d’autant que la terminologie des voies est en réalité indépendante de la chronologie spirituelle ; s’il est vrai que l’aspect purgatif de l’expérience intérieure domine chez les commençants, l’aspect illuminatif chez les progressants, et l’aspect unitif chez les parfaits, les trois se recouvrent à la façon d’un tuilage plus ou moins ajusté, plutôt qu’ils ne se succèdent comme trois phases d’une croissance régulière.

Voilà pour une vue d’ensemble. Arrivé ici, nous conseillerions au lecteur soucieux de bien se repérer dans l’univers guyonien de se reporter immédiatement au Discours chrétien et spirituel 3. 03, où Jeanne résume magistralement l’ensemble de ce que nous venons d’esquisser.

Maintenant, ce développement qui pourrait sembler linéaire, l’est de moins en moins à partir de la cinquième demeure thérésienne, c’est-à-dire à partir de l’apparition du mot union pour le décrire, et qui indique que désormais les volontés de Dieu et de l’âme sont en complet accord. Moins linéaire en effet, car sur le fond de cette union des volontés, l’âme habitant la cinquième demeure va éprouver par moments une union infiniment plus riche, annonciatrice de celle du mariage ; et elle va l’éprouver non pas encore comme un état, mais comme un acte plus ou moins prolongé, une touche, dirait Jean de la Croix : non plus la touche initiale qui avait mis en branle la croissance spirituelle, mais l’étreinte de quelqu’un qui ne prend plus immédiatement la fuite, et dont la présence saturante s’impose désormais avec une certaine durée. Dans ces moments, nous dit Thérèse, « Dieu se fixe dans cette âme de telle façon, que lorsqu’elle revient à elle, elle ne peut absolument pas douter qu’elle fût en Dieu, et Dieu en elle98. » Et de touche en touche, l’âme unie à Dieu va ici traverser une zone de turbulences, éprouvant tantôt une plénitude qu’elle croit indépassable, tantôt une déréliction qu’elle pourrait croire également définitive, cette alternance l’établissant peu à peu dans la passivité requise pour sa totale transformation en Dieu.

D’où viennent ces turbulences, alors que l’âme voulant ce que Dieu veut, on pourrait s’attendre à ce qu’elle échappe désormais à toute inquiétude ? En fait, l’union de la volonté de l’âme à celle de Dieu n’est réelle que pour sa partie consciente : enfoui dans ses profondeurs — oserons-nous dire dans son inconscient, ce qui serait faire de la « voie mystique » le remède à toutes ses maladies ? — le vieil homme n’est pas mort. Et au fur et à mesure de la pénétration en elle de la lumière divine, l’âme va s’apercevoir de nouvelles résistances qu’elle devra abandonner les unes après les autres par un creusement de son acte de foi, creusement qui sera sa mort en même temps que sa guérison : « L’amour est fort comme la mort et la jalousie dure comme l’Enfer… L’amour arrache tout à l’âme : la jalousie de Dieu est dure comme l’enfer, en ce qu’il n’y a rien qu’il ne fasse pour possé­der pleinement ses Épouses99. »

En tout cas, Jeanne Guyon fait partie des rares auteurs qui distinguent nettement les phases de ce processus ; dans la mesure où elle les réfère à plusieurs reprises aux fiançailles et au mariage spirituels, c’est en compagnie de Thérèse d’Ávila que nous allons les suivre de plus près.

De l’union à Dieu à la transformation en Dieu

Suivons ici le commentaire de Jeanne sur Job 33, 29-30100, passage d’interprétation délicate, mais qui résume tout ce qu’elle peut nous dire par ailleurs sur l’accès à la plénitude mystique, et qui demande à être mis en parallèle avec les descriptions thérésiennes des trois dernières demeures du Château de l’Âme. Elle parle de trois purgatoires successifs pour l’âme désormais unie à Dieu101 :

– Le premier appartient encore à la « voie passive de lumières » (c’est-à-dire, en termes plus habituels, à la voie illuminative), mais au moment où Dieu « veut faire entrer l’âme dans le mystique et la foi nue », ou « voie passive d’amour seul » (c’est-à-dire, en termes plus habituels, dans la voie unitive, au sens strict retenu plus haut).

Du fait de cette augmentation de foi et d’amour, la connaissance distincte de Dieu s’estompe, et avec elles les éventuelles visions et extases (mentionnées ici et ailleurs chez Jeanne en des termes probablement empruntés à Thérèse ou Jean de la Croix), au profit d’une pure et simple adhésion de l’âme à la volonté de Dieu, qui lui ôte le recul nécessaire pour y réfléchir : « Elle ne peut plus ni prier ni faire d’actes, ni dire une parole par elle-même… Elle se sent ici unie, liée et collée à son Dieu intimement, d’une manière autant forte que profonde, sans nulle vue, distinction ni connaissance, sans rien qui soit : elle est unie et c’est tout. » Thérèse d’Avila parlerait ici d’une période d’entrevues préparatoires aux fiançailles, caractérisée par l’ajustement des volontés des deux prétendants, et par l’approfondissement de la perception de l’Époux par sa future épouse102. Mais enfin, ces entrevues, pour merveilleuses qu’elles soient, n’ont ni la qualité ni la stabilité du mariage à venir.

– Le second purgatoire correspond à l’effacement de la sensation même d’être uni à Dieu, qui subsistait encore dans le premier. Ici, l’âme perd pied littéralement : « Ici, il n’y a plus rien de tout cet amour perceptible. Tout est ôté et l’âme y est dans un état très simple et très nu, sans autre soutien que la foi la plus dénuée. » Pour évoquer cette perte, Jeanne recourt fréquemment dans son œuvre à l’image, très employée chez Ruusbroec auquel elle a pu l’emprunter, d’un naufrage dans une mer sans fond, et donc sans aucune reprise possible de soi-même : la sensation en est délicieuse tant que le naufragé se laisse couler, mais terrible dès qu’il s’inquiète et cherche un appui pour refaire surface. En tout cas, Thérèse d’Avila développe tout cela dans sa sixième demeure, celle des fiançailles spirituelles, caractérisées par l’exaspération du désir de la fiancée : « Elle comprend qu’il est présent, mais qu’il ne veut pas se manifester ni lui permettre de jouir de sa compagnie, ce qui est une peine bien grande, mais savoureuse et douce103. »

– Le troisième purgatoire de l’âme unie va maintenant la « tirer de l’état de foi nue et mystique pour la faire passer en Dieu seul, ce qui est un total anéantissement, non physique, ce qui ne peut jamais être, mais mystique et même moral. Étant ainsi anéantie entièrement par ce dernier purgatoire, remise dans l’état de son néant et propre à être créée de nouveau, l’âme reçoit une nouvelle vie en Dieu seul, où elle vit pour ne plus mourir. » De l’insensibilité à elle-même, l’âme passe ici à l’indifférence, et du naufrage, elle passe à la noyade et l’absorption104 : l’union devient transformante, dans la terminologie du Carmel, parce que la vie de l’âme, désormais totalement transposée en Dieu, devient en lui suressentielle105 dans la terminologie de Ruusbroec. À un autre carrefour des deux traditions, explicitons ici avec Marie de l’Incarnation : « Parce que Dieu est un abîme d’amour au fond duquel l’âme ne peut atteindre, elle aspire d’être abîmée en cet abîme et enfin d’y être tellement perdue, qu’on ne voie plus que son Bien-Aimé qui l’aura par amour transformée en lui106. » Et nous voilà dans la septième demeure de Thérèse d’Avila, celle où se consomme le mariage spirituel, celle où Dieu et l’âme « passent » littéralement l’un en l’autre : « Il en est comme de l’eau du ciel qui tombe dans une rivière ou dans une fontaine, tout se confond en une eau unique, jamais on ne pourra séparer ni trier l’eau de la rivière de l’eau tombée du ciel107. » Ce qui devient chez Jeanne Guyon :

Ici, l’âme ne doit plus et ne peut plus faire de distinction de Dieu et d’elle : Dieu est elle et elle est Dieu, depuis que, par la consommation du mariage, elle est recoulée en Dieu et se trouve perdue en lui, sans pouvoir se distinguer ni se retrouver. La vraie consommation du mariage fait le mélange de l’âme avec son Dieu, si grand et si intime qu’elle ne peut plus se distinguer ni se voir ; et c’est ce mélange qui divinise, pour ainsi parler, les actions de cette créature arrivée à un état aussi haut et aussi sublime que celui-ci, parce qu’elles partent d’un principe tout divin, à cause de l’unité qui vient d’être liée entre Dieu et cette âme fondue et recoulée en lui, Dieu devenant le principe des actions et des paroles de cette âme, quoiqu’elle leur donne aussi le jour et les produise au-dehors.

Le mariage des corps, par lequel deux personnes sont une même chair, n’est qu’une légère figure de celui-ci, par lequel dans les termes de saint Paul, Dieu et l’âme ne sont plus qu’un esprit108. ...Le mariage se fait lorsque l’âme se trouve morte et expirée entre les bras de l’Époux qui, la voyant plus disposée, la reçoit à son union. Mais la consommation du mariage ne se fait que lorsque l’âme est tellement fondue, anéantie et désappropriée qu’elle peut toute, sans réserve, s’écouler en son Dieu. Alors se fait cet admirable mélange de la créature avec son créateur qui est réduit en unité, pour ainsi parler, quoiqu’avec une disproportion infinie, telle qu’est celle d’une goutte d’eau avec la mer : quoiqu’elle soit devenue mer, toutefois elle est toujours une petite gouttelette, bien qu’elle soit proportionnée en qualité d’eau avec toute la mer et propre à être mélangée, et ne faire plus qu’une mer avec elle109.

Les auteurs qui ont parlé de ce passage de l’union à Dieu à la transformation en Dieu, s’accordent tous sur cette répartition en trois phases, même si à l’intérieur de chacune, bien des éléments présents chez les uns sont absents chez les autres. L’important pour suivre Jeanne Guyon et ses semblables, est de bien voir qu’elles correspondent à trois perceptions différentes par l’âme de sa relation à Dieu, ou mieux, qu’elles correspondent à la formation même de cette relation110 : la première phase correspond à la perception d’un attouchement, la seconde à celle d’une adhésion, la troisième à celle d’une compénétration. Pour évoquer la première, Thérèse d’Avila emploie l’image de deux cierges dont les mèches se rejoignent, si bien que leurs flammes se confondent111. Pour évoquer la seconde, Thérèse encore emploie l’image, qui fera fortune à partir d’elle, des fiançailles, mais des fiançailles à l’espagnol, c’est-à-dire dans lesquelles tout est déjà donné, mais « sans qu’il y ait encore communication des personnes112. » Pour évoquer la troisième, Thérèse emploie l’image du mariage, ou mieux, de la consommation du mariage, en ce qu’elle implique, idéalement au moins, cette perception d’une mutuelle inhabitation de l’un et de l’autre, vérifiant l’accomplissement de la prophétie de Jésus pour les siens : « Ce jour-là — c’est-à-dire lors de son avènement au cœur de son disciple —, vous connaîtrez que je suis en mon Père, et vous en moi et moi en vous113. » Et parce qu’il est maintenant perçu comme moi-même, « plus moi-même que moi-même », dirait saint Augustin, et non plus comme un autre moi-même, tous citent ici Galates 2, 20 : « Ce n’est plus moi qui vis, c’est le Christ qui vit en moi. »

Transformation en Dieu et état apostolique

Pour parler de l’accomplissement que l’on vient d’évoquer, sans doute est-ce l’expression d’état apostolique que préfère Jeanne Guyon, même si elle n’est ni la première, ni la seule à l’employer. Cette référence aux apôtres indique la capacité de l’âme à diffuser l’amour et la lumière dont elle est désormais porteuse, à proportion de sa transformation en celui qu’elle rayonne : dans une image célèbre, Jean de la Croix nous dit qu’une vitre (l’âme) parfaitement pénétrée des rayons du soleil (Dieu), diffuse autant de lumière qu’elle en reçoit, et cela sans s’en apercevoir, ce qui supposerait un retour sur elle-même qui diminuerait sa parfaite transparence114. Aussi nous faut-il préciser pour terminer deux points, si nous voulons suivre Jeanne dans ses plus brillants développements : cette indifférence terminale de l’âme à ce qui lui arrive, et en même temps sa fécondité apostolique. Nous avons déjà mentionné que l’auteur auquel la référer ici est Ruusbroec l’Admirable.

De l’union sans distinction…

« Ici, l’âme ne doit plus et ne peut plus faire de distinction de Dieu et d’elle… », nous a dit Jeanne Guyon à propos de la perfection spirituelle. Cet effacement de toute distinction (le mot et ses composés reviennent des centaines de fois chez elle) caractérise l’univers intérieur de celui qui vit l’union transformante. De quoi s’agit-il ? D’abord de l’aveuglement de la foi. Parce qu’elle me plonge au cœur de ce qui est, au-delà de ce qui n’est qu’apparence, la foi me donne de connaître immédiatement tout ce que Dieu connaît ; mais faute de recul, je n’en distingue rien : « Toute lumière particulière est comme une réverbération, qui ne donne jamais la chose telle qu’elle est en soi115. » Et de là vient la sensation d’inhibition permanente de l’intelligence dans l’union transformante :

Le reflet de la lumière incompréhensible est tel en l’unité de nos puissances supérieures, que toute opération créée, laquelle se fait dans la distinction, doit défaillir… Au-dessus de toute activité et au-dessus de toute vertu, par un simple regard en amour de fruition, l’homme rencontre Dieu sans intermédiaire, et de l’unité de Dieu brille en lui une lumière simple, et cette lumière lui paraît ténèbres, nudité et néant… En cette nudité, il perd la connaissance et la distinction de toute chose, et se trouve transformé et pénétré de clarté simple116.

Mais ce manque de recul est lié à son tour à une indistinction beaucoup plus fondamentale entre Dieu et l’âme dans l’union transformante : « Il n’y a plus de vue ni de discerne­ment où il n’y a plus de division ni de distinction, mais un parfait mélange117. Or,

Ici, l’âme ne doit plus et ne peut plus faire de distinc­tion de Dieu et d’elle : Dieu est elle et elle est Dieu, depuis que, par la consommation du mariage, elle est recoulée en Dieu et se trouve perdue en lui, sans pouvoir se distinguer ni se retrouver. La vraie consommation du mariage fait le mélange de l’âme avec son Dieu, si grand et si intime qu’elle ne peut plus se distinguer ni se voir, et c’est ce mélange qui divinise, pour ainsi parler, les actions de cette créature118.

Ce qui, plus théologiquement chez Ruusbroec, correspond à la perception de la simplicité divine, au fond même de la Trinité :

Là, l’esprit se trouve en l’étreinte de la sainte Trinité, demeurant éternellement en cette unité suressentielle, en repos et en fruition. Et en cette même unité selon le mode de la fécondité, le Père est dans le Fils et le Fils dans le Père, et toutes les créatures en eux deux. Et cela est au-dessus de la distinction des personnes119.

Pour en arriver là,

L’âme a été conduite du multiplié, au distinct sensible sans multiplicité ; du distinct sensible au distinct insensible, ensuite au sensible indistinct…, passant de cette sorte du sensible au spirituel, et du spirituel à la foi nue, qui en nous faisant mourir à toutes les vies spirituelles, nous fait mourir à nous, et passer en Dieu pour ne vivre plus que de la vie de Dieu.120

Ce qui se dit chez Ruusbroec :

Si nous pouvions renoncer à nous-mêmes et à tout attachement dans nos œuvres, nous dépasserions toute chose en la nudité et en l’absence d’images de notre esprit ; et en cette nudité, nous serions menés sans intermédiaire par l’Esprit de Dieu, et là, nous aurions la certitude d’être des fils parfaits de Dieu, car ceux qui sont menés par l’Esprit de Dieu, ce sont les fils de Dieu, dit l’apôtre de Dieu saint Paul.121

L’enjeu de cette indistinction est tout simplement le rapport entre nature et grâce, c’est-à-dire le réalisme de l’Incarnation, Dieu et l’homme ayant exactement mêmes contours en Jésus-Christ : « Qui m’a vu, a vu le Père122. » Tous les mystiques chrétiens découvrent au cœur de leur expérience cette normalité humaine de Dieu, thème central chez Ruusbroec qui développe abondamment le fait que Jésus soit passé inaperçu aux yeux de ses contemporains : « Les Juifs l’ont piétiné sans s’en apercevoir ; car s’ils l’avaient reconnu Fils de Dieu, ils n’auraient pas osé le crucifier123. » Et cela entraîne que tout homme uni au Christ devienne un « fils caché » de Dieu, caché aux yeux des hommes, mais d’abord caché à ses propres yeux sous les apparences de la plus transparente banalité : « Mon percepteur est peut-être un chevalier de la foi », conclura Kierkegaard, qui aura lu Madame Guyon à travers Gerhard Tersteegen124.

… à la fécondité apostolique.

Un dernier thème abondamment développé tant par Jeanne Guyon que par Ruusbroec, est celui de la fécondité de ces « chevaliers de la foi ». La vitre de Jean de la Croix n’émet pas la lumière, elle la laisse passer : l’apôtre n’a besoin que d’être transparent, ce qui suppose son union sans distinction à l’émetteur de lumière, autrement dit, l’incarnation de Dieu en l’homme. On montrerait aisément que la Tradition chrétienne tout entière est pour penser cette incarnation, avec son cortège de dogmes qui, de la virginité de Marie à la présence eucharistique du Christ, n’est que, pour en dire la réalité, comme un long commentaire de la parole de Jésus : « Qui m’a vu, a vu le Père ». Aussi l’homme uni à Dieu sans distinction, le Christ d’abord, son disciple ensuite, est-il en même temps le seul propagateur possible de l’Évangile ; c’est dans le même acte que Jésus appelle et envoie ses apôtres, comme c’est dans le même acte que la vitre reçoit et diffuse la lumière :

Sur la face où elle reçoit,

Cette âme est rendue participante du commerce ineffable de la Trinité, où ce Père des esprits lui communique sa fécondité spirituelle, et la fait participante de ce qu’Il est, l’ayant faite un même Esprit avec Lui125.

Sur la face où elle diffuse,

Les choses qu’elle dit et qui paraissent extraordinaires se disent tout naturellement et sans y penser126… C’est là que les merveilles du temps et de l’éternité sont découvertes sans nulle manifestation particulière : le moment qui fait parler ou écrire en fait tout le discernement127.

Cette coïncidence exacte de la nature et de la grâce fait que l’apôtre évolue dans la parfaite aisance et spontanéité de l’innocence retrouvée. Jeanne y consacre ses plus belles pages, rejoignant les descriptions que Ruusbroec nous donne de la « vie commune », dont nous citerons pour conclure un seul exemple, mais qui suffira à montrer la parenté littéraire et spirituelle de leurs deux génies :

L’homme qui, de cette hauteur, est envoyé par Dieu dans le monde, est plein de vérité et riche de toutes vertus ; et il ne recherche pas son bien, mais l’honneur de celui qui l’a envoyé. Et voilà pourquoi il est droit et véridique en toutes choses ; et son fond est riche et généreux, établi dans la richesse de Dieu. Et voilà pourquoi il va nécessairement toujours se répandre en tous ceux qui ont besoin de lui, car la source vivante du Saint Esprit, c’est là sa richesse, et l’on ne peut l’épuiser. Et il est un instrument de Dieu vivant et disponible, avec lequel Dieu opère ce qu’il veut et comme il veut ; et il ne s’attribue pas cela, mais il en donne à Dieu l’honneur ; et voilà pourquoi il reste disponible et prêt pour faire tout ce que Dieu commande, et fort et vaillant pour pâtir et supporter tout ce que Dieu établit sur lui. Et c’est pourquoi il mène une vie commune, parce qu’il est également prêt à contempler et à agir, et il est parfait dans les deux128.










LES OPUSCULES SPIRITUELS


DE Madame J. M, B. de la MOTHE G U I 0 N.

Nouvelle Édition,

Corrigée et augmentée.

VINCENTI

A COLOGNE,

Chez JEAN DE LA PIERRE, 1720

Avec approbations et Privilège





Prov. XXIII. v. 26.


Mon fils, donne-moi ton Cœur ; et que tes

yeux prennent garde à mes voies.




Préface générale sur cette édition [Pierre Poiret].


SOMMAIRE.


I.


1-5. Contenu des Écrits de Mad. G. réduit à deux sortes de choses, les essentielles, et les non essentielles : ce qu’elles sont : leur impugnation 129: et le vrai sens qu’on peut leur donner.


6-10. Comment on eût pu ne pas trouver étranges les choses non essentielles de ses Écrits, si on eut bien eu égard aux expériences et aux Écrits des Mistiques et des Saints où l’on en voit de semblables. Exemples sur chaque genre de ces choses-là.


11.12. Que l’essentiel de ses livres a été goûté et approuvé par les gens de doctrine et de piété qui en ont jugé par le Cœur.

13-20. Que ceux qui en ont jugé par la science et selon la rigueur de l’École, et les ont condamnés, spécialement le MOYEN COURT, leur ont objecté sans (6) fondement le Qiétisme, la pure passiveté, l’anéantissement des demandes et des Actions de grâces, l’impossibilité de l’acte continuel. et plusieurs autres difficultés, auxquelles on répond, en excusant pourtant les personnes.


II.

21-26. La vraie et la fausse méthode pour trouver le sens des paroles et des livres touchant les choses divines et spirituelles.


27-30. Que les gens d’école, et ceux qui n’ont qu’une vocation extérieure, sont les plus impropres de tous les hommes à Connaître et à juger des choses mystiques et spirituelles, et des voies de l’esprit.


III.

31-50. Particularités et avis sur chacun des Traités suivants : où on répond aussi à une difficulté publiée contre le second.


I.

EN publiant ici de nouveau ces OPUSCULES SPIRITUELS de Madame G U I O N (a) dans une forme qui s’accorde avec celle de tous ses autres Écrits imprimés : On a crû ne devoir pas répéter les particularités historiques

(a) C’est le nom que cette Dame a porté après avoir épousé un Gentilhomme de ce nom, qui était l’un des Seigneurs du canal de Briare, qui communique la Loire à la Seine.

(7) touchant sa personne, insérées dans les Préfaces des éditions précédentes, puis que l’on vient de donner au public l’Histoire de sa Vie, écrite par elle-même, dont on peut tirer les circonstances les plus certaines. On se contentera donc de ne produire ici, que ce qui a été dit touchant le contenu de ses Ouvrages, et où l’on a tâché de défendre les sentiments de cette Dame, et de répondre aux oppositions qu’on leur a suscitées.

2. Pour le contenu des livres de Madame Guion, sans s’arrêter à des écrits litigieux, qui souvent ne font qu’embrouiller les matières les plus claires et les plus faciles, on ne saurait mieux l’apprendre qu’en les lisant simplement. Mad. Guion dans une de ses lettres à M. de Meaux (a) dit que ledit contenu de ses ouvrages se peut réduire à deux sortes de choses dont elle appelle les unes essentielles, auxquelles elle souhaiterait que les Lecteurs voulussent s’arrêter et se fixer ; et les autres non essentielles ou purement accessoires, qu’elle n’a écrites que pour satisfaire, à ce qu’on l’avait requis de tout dire et de ne rien oublier ; mais elle a peine que l’on fasse attention à celles-ci.

3. On ne saurait douter que les choses essentielles ne consistent, premièrement en la manière d’oraison qu’elle recommande tant, qui est, l’Oraison du Cœur, offrir et donner à

(a) Voiez la Relation de M. de Meaux sur le Quiétisme, Sect. II, p.17.

(8) Dieu en soi et abandon notre cœur et notre esprit afin qu’il y opère ainsi qu’il lui plaira ; et en second lieu, à bien observer les voies de Dieu, surtout la voie passive en foi quand Dieu y mène, en demeurant alors abandonné et fidèle à toutes ses opérations et conduites sur nous. On peut assurer sans grand hasard de se tromper que les traités du Moien court, des Torrens, et sur le Cantique des Cantiques, sont à proprement parler le siège et la vraie place où se trouve cet essentiel, qu’elle voudrait bien que l’on prît uniquement à cœur.

4. Pour les choses non essentielles, qu’elle appelle aussi extraordinaires, elle les réduit à 3. classes ; la première est, de ses communications intérieures et en silence. La 2. des prédictions : et la 3. des choses miraculeuses, à quoi l’on peut ranger quelques visions ou songes qu’elle a eus, et certaines choses fort singulières qu’elle a dites soit de sa personne, soit des Escrits qui viennent de sa plume.

5. C’est de celles — là que l’on a tellement pris impression contre elle, et sur lesquelles on a tellement insisté contre son intention dans les premières lectures et dans le premier examen de ses livres, que de n’avoir eu alors que sort peu d’égard aux choses substantielles qu’on ne pouvoir peut-être encore désapprouver, quoi qu’en suite, quand les esprits furent échauffés, la batterie se soit aussi tournée contre son oraison, mais plutôt indirectement (9) en la prenant en un contresens et par la voie des conséquences, que d’une manière directe et en son vrai sens. Et en effet, qui aurait osé impugner directement cette assertion à quoi revient toute la substance de son Oraison, que nous devons donner à Dieu notre cœur avec foi afin qu’il en fasse ce qu’il lui plaira ?

6. On ne voulut point admettre pour règle dans l’examen que l’on fit de ces choses, d’en juger sur des expériences, ni même sur la disposition du cœur et de l’intention, mais seulement par la science acquise à la scolastique, et sur le sens des termes pris en leur rigueur théologique. En effet on avait, ce semble, peu lu jusqu’alors d’expériences des Saints et de livres des Mistiques, ou la mémoire des lectures passées en était trop peu récente, pour pouvoir régler l’examen de question sur leurs maximes, leurs faits et leurs expressions.

7. Si cela n’eût été, comment eût-il été possible de se tant alarmer sur cette plénitude, de grâces qui faisait impression jusque sur le corps, et que l’on a fait appeler par dérision aux gens du monde, crever de grâce au pied de la lettre ; comme aussi sur la dérivation de la même grâce dans des personnes présentes et de même Oraison qu’elle ; comment dis-je se tant alarmer sur cela, si on se fût souvenu de ce qu’on lit dans les Vies de Sainte Catherine de Gênes, de Sainte-Thérèse, de S. Philippe de Néri, des SS. François d’Assise et Xavier, et (10) encore de tant d’autres Saints ? Si on eût remarqué dans J. de la Croix, (pour ne pas dire dans David et dans Jérémie,) la vérité de ce principe notable des Mistiques, que les impressions de Dieu sur l’âme sont quelques fois si vives et si puissantes, qu’elles redondent jusque sur le corps, et même au-delà du corps ? Si on eût observé que Jérémie (a) ne pouvait plus retenir dans son sein celles de Dieu, même dans le genre des malédictions, s’il ne les répandait au-dehors sur les autres ? Si on eût bien pris garde qu’il est arbitraire à Dieu de communiquer ses grâces de l’un à l’autre en autant de différentes manières et d’occasion qu’il lui plaira ? Celles de prudence, de direction et même de Prophétie coulèrent et se partagèrent de Moïse sur les anciens d’Israël lors qu’ils vinrent en sa présence. La même grâce de Prophétie se répandit par deux fois de quelques Prophètes sur le Roi Saül pour s’être trouvé simplement en leur assemblée. Élie en communique de très grandes à Élisée en lui jetant son manteau ; et puis encore une double portion de son Esprit par le regard de son transport au Ciel. Les Apôtres en communiquaient par l’imposition de leurs mains : sainte Catherine de Gênes, son Confesseur, et une de ses filles spirituelles, s’entre-communiquaient leurs pensées, des instructions et des consolations divines, en se regardant seulement

(a) Jer. 6 v. 11 et chap.20 v. 9.

(11) En face et sans se parler. Tout cela, et tant d’autres exemples qu’on passe sous silence, auraient-ils dû faire trouver étrange qu’entre des personnes d’Oraison il pût y avoir communication de grâces lorsqu’elles sont ensemble en la présence de celui qui a dit, lorsque deux ou trois sont assemblés en mon Nom, je suis au milieu d’eux ; et, je suis avec vous jusqu’à la fin du monde ?

8. Dans le genre des choses prophétiques aurait-on trouvé étrange, par exemple, sa prédiction touchant le Règne futur du S. Esprit sur toute la terre, si on eût pris garde, que la plupart des premiers chrétiens dans les 3. premiers siècles, plusieurs grands Saints et Saintes, plusieurs Mystiques et gens éclairés, tant catholiques romains que protestants, ont tenu et tiennent encore la même chose en substance, quelques-uns en termes formels, et en tirent leurs preuves des Saintes Écritures ? Il y en a qui ont divisé l’économie des thèmes en trois sur cette distinction fondée sur celle des trois personnes divines, attribuant la première Oeconomie au Règne du Père, la seconde à celui du Fils, et la troisième au Règne du S. Esprit, mais qui selon d’autres, par une espèce de rétrogradation disposera et sera place au Royaume glorieux de Jésus-Christ, lequel rendra lui-même le tout à son Père dont le Royaume éternel consommera toutes choses et fera, qu’il soit tout en tous. (12)

9. Et pour les visions et autres choses extraordinaires ; comme celle de la femme de l’Apocalipse, par exemple, a été appliquée par les uns à Léa la femme de Jacob de laquelle devait naître le Messie ; par d’autres à la Sainte Vierge ; par d’autres à Sainte Térêse ; par d’autres à l’Église chrétienne et renouvelée des derniers temps, qui reproduira sur la terre l’Esprit de Jésus-Christ ; par d’autres à la Sagesse divine qui fera le même effet ; saurait-on trouver si étrange qu’une ou plusieurs âmes qui participeront éminemment à cette divine Sagesse, et dont Dieu se voudra servir pour contribuer tout particulièrement à la renaissance de cet Esprit de Jésus-Christ, puissent être considérées dans cette vision de S. Jean d’une manière participative ?

10. On se contente de ces deux ou trois exemples sur les prédictions, les choses extraordinaires et sur ces autres choses non essentielles qu’on dit se trouver dans les Écrits de cette Dame ; car on irait trop loin si on voulait insister sur tout pour faire voir combien peu devraient paraître étranges ces sortes de choses à des personnes équitables qui voudraient les comparer à des expressions, ou à des faits tout — semblables qu’on rencontre à tout pas dans tant de Saints et dans tant d’Auteurs célèbres et approuvés.

11. Si la même Dame a parlé de ses Écrits comme venant de l’inspiration divine, si de sa (13) personne en termes trop au-delà de ce qu’il semble pouvoir convenir présentement à qui que ce soit ; sans doute qu’elle n’a fait le premier que parce qu’elle a crû devoir rapporter à Dieu tout le bien et toutes les vérités qui sont en ses ouvrages ; et cela paraît assez par le préambule et par la Conclusion de la I. Partie du traité des Torrens, où elle fait fort bien distinguer des vérités et des lumières de Dieu les faiblesses qu’elle pourrait y entremêler de sa part. On sait de plus qu’il y a des expressions hyperboliques et figurées et des emblèmes de même, qu’il ne faut pas presser à la rigueur. On sait que Dieu même attribue à ses enfants, et sur tout à des instruments de choix, des titres et des qualités qu’on ferait passer pour des blasphèmes si elles n’étaient pas contenues dans les Saintes Écritures, où il est dit d’eux, qu’ils sont (a) des Dieux (b) la, prunelle de l’œil de Dieu (c) la lumière du monde (d) la pierre sur laquelle l’Église est édifiée (e) les fondements de la Jérusalem céleste (f) des Épouses de Dieu (g) préférables à la qualité d’être Mère de Jésus-Christ selon la chair (h) des Rois au Ciel et dans la terre (i) qu’ils seront assis sur le trône de Jésus–Christ,

(a) Ps. 81 vs. 6. (b) Zach. 2. vs. 8. (c) Math. 5 v.14. (d) Math. 16. vs.18 (e) Apoc. 21. v. 14. (f) Ps.44. v. 10. Cant. 4. vs 8. (g) Matth. 12 v. 50. (h) Apoc. 1. vs. 6. (i) Apoc. 3. Apoc. 3. vs.21.

(14) (a) et que Jésus-Christ même les servira, et tant d’autres prérogatives semblables, tout cela par grâce et par participation gratuite sans doute, et même la plupart en sens de communication à toutes les âmes fidèles. Mais qui voudrait nier que les âmes de choix et dont Dieu veut se servir d’une manière singulière ne doivent participer à ces qualités-là par préférence aux autres et d’une façon toute particulière (b) ? Ces choses-là ? Et d’autres semblables expressions applicables aux amis de Dieu, devraient-elles paraître si étranges à des personnes qui ont étudié et qui savent les Saintes Écritures ?

12. L’Essentiel des écrits de Madame Guion (au moins autant qu’il avait alors paru publiquement dans ses livres du Moien court et de l’Exposition du Cantique de Salomon,) a rencontré deux sortes de Juges et de censeurs, à savoir les mêmes dont on vient de parler, et aussi le public.

13. Pour le public, et sur tous les gens de piété, qui n’ayant point la tête embarrassée d’épines scolastiques ni de rigueur théologique en ont jugé par le cœur, on peut dire avec vérité, que ce jugement leur a été entièrement favorable, et que les plus gens de bien les ont estimés, et même chéris et admirés an delà de tout ce qui s’en peut dire. Les approbations

(a) Luc. 12. vs. 37. (b) Voyez. Expl. du Cantiq. Ch, 6. vs. 8.

(15) des Docteurs, qui ont paru avec les livres mêmes, le débit de plusieurs Éditions qui s’en sont faites, leur Traduction, au moins celle du Moien court, en diverses langues, n’en sont pas des preuves ambiguës, non plus que le grand désir que l’on a toujours eu de voir paraître ce qui n’avoir pas encore vu le jour.

14. Mais les Examinateurs et Censeurs de rigueur théologique et scolastique ne se sont point rencontrés sur cela dans le goût du public ni de tant de gens de piété, et même de Doctrine.

On a dit pour le général, que ces livres-là étaient remplis des erreurs de ce qu’on appelle Quiétisme, et que ce n’était que le Quiétisme renouvelé. Ce masque de mot de Quiétisme, épouvante étrangement le monde, qui ne sait pourtant ce qu’il doit entendre par là. Selon quelques-uns le Quiétisme consiste à ne penser à rien dans l’Oraison ; et quand le tentateur inspire ensuite de mauvaises pensées, à n’y point résister, et même à se laisser entraîner à l’exécution, et cela sans qu’on pêche pour — tant. J’avoue n’avoir jamais trouvé cette chimère-là dans aucun des livres qu’aient publiés ceux à qui l’on a donné jusqu’ici le nom de Quiétistes ; mais assurément elle est bien éloignée des ouvrages de Madame Guion, auxquels on ne saurait objecter tout au plus sous ce nom-là que la Contemplation active ou acquise, enseignée (16) pourtant (a) par tant de Saints et par tant de Mistiques approuvés, et même par la Sainte Écriture. Mad. Guion a même cet avantage par-dessus plusieurs écrivains qui ont traité de cette Contemplation acquise. C’est que ceux-ci ayant ou supposés une âme déjà bien disposée sans avoir cependant expliqué cette disposition, ou l’ayant expliquée principalement par les actes de la Méditation et de l’opération de l’esprit, qu’il faut faire cesser pour donner lieu à la Contemplation ; il ne serait pas difficile à ceux qui ne s’y prendraient pas bien, de donner prise ensuite de cela à cette oisiveté dangereuse qu’on objecte tant, et que les Mistiques font passer unanimement pour une illusion : au lieu que Mad. Guion prévient très immanquablement dans son MOYEN COURT tout péril d’inaction oiseuse, en mettant pour le fondement de la disposition préparative à la Contemplation une certaine disposition active de cœur, laquelle doit toujours durer dans la Contemplation même, et qui en fait comme la base et la meilleure partie ; cet acte du cœur étant toujours inséparablement de concert avec la contemplation de l’esprit.

15. M. de Meaux se méprend visiblement

(a) Voi. la Théol. Réelle ou Germanique. Préface, pag. 52. 63.65. etc. S. Macaire Hom 18. Taul. Serm. I. post Epiph. Sandaus in Onomast. p. I 56. et Theol. Myst. Comment. IX. Exercit. I. et 2. Thom. à Jesu de Cont. Lib. I. C. 2. Bona, Via Comp. Cap. 10. etc., etc.

(17) quand il prétend que le MOIEN COURTait pour dessein d’enseigner (a) l’Oraison passive, ou infuse, l’Oraison extraordinaire, la passiveté, et même la perpétuelle passiveté. L’ORAISON DU CŒUR, que ce livre a pour but de recommander, n’est point la même que l’Oraison passive et infuse, que l’Oraison de passiveté continuelle et extraordinaire. Elle est active ; et il y a toujours concours volontaire de la liberté. À la vérité il y a bien en elle quelque chose de passif et d’infus, à savoir la grâce de Dieu, et un degré particulier de grâce ; elle peut aussi disposer son sujet à l’Oraison passive, que Dieu y fait quelques fois goûter passagèrement, comme le dit (b) le MOIEN COURT. Mais certaine portion de grâce passive et d’un certain degré, et quelque disposition du sujet à cette Oraison, est bien autre chose que l’Oraison même extraordinaire en son état de pure passiveté.

En un mot, rien de tout ce que propose Mad. Guion, pas même dans la passiveté de la voie de foi dont elle parle dans les Torrens, n’exclud jamais ni l’acte du concours de la liberté, ni celui d’oblation ou d’abandon de soi à Dieu, ni le désir vivant et foncier et le consentement actuellement subsistant que la volonté de Dieu soit toujours faite. Et de là vient que si on demandait à tout moment à une âme de cet état, si elle n’est pas effectivement dans la vive et actuelle volonté (18)

(a) Instr. pag. 237.261 362. 4 1c. etc.

(i) Chap.12. nomb.5.

que le bon plaisir de Dieu soit fait en elle et ailleurs, elle ne pourrait nier qu’elle n’y fût sans se démentir. Car son fond touché et animé de Dieu, est par principe de vie toujours désirant, et voulant le Seigneur et sa volonté sainte ! C’est la vie même de l’âme en état de faim et de soif du Dieu vivant. Quoi que cette âme fasse ou ne fasse pas, elle porte toujours actuellement en soi, à la façon d’une personne qui a faim ou soif, une tendance vive et animée vers l’objet de sa nourriture divine : et quand même le sensible en vient à s’amortir dans les sécheresses spirituelles, c’est par la subvention d’un degré plus sublime et plus spirituel de désirer que la volonté de Dieu s’accomplisse à sa divine façon et contre notre goût s’il lui plaît ainsi.

16. Et partant c’est bien sans sujet que l’on a objecté à la doctrine de cette Dame, dans le Moien court, qu’elle anéantit les demandes. Oui les imparfaites, celles que nous faisons et bornons de nous-mêmes, et que nous déterminons selon notre bon sembler d’une ou d’autre façon, ou à tels et tels thèmes et circonstances : mais jamais celles de ce que Dieu sait être le meilleur, jamais le désir continuel de l’accomplissement le plus parfait de la volonté de Dieu. Et encore bien moins exclut-elle les Actions de grâces, puis que cet état est foncièrement une offre de nous-mêmes et de tout ce qui est dans nous en sacrifice de reconnaissance à Dieu.

17. Mais les Docteurs d’école qui n’ont point (19) l’expérience de ce fond vivant et toujours animé de cet esprit-là, ne pouvant le comprendre à la façon des idées scolastiques, ne sauraient aussi le croire ; et ils s’imaginent même qu’on enseigne, qu’il ne faut point poursuivre ni même réveiller ou exalter, pour ainsi dire, de fois à autre l’âme vivant de ce fond cordial. Ce n’est pourtant pas cela. On veut seulement dire, qu’il ne faut point donner de place aux inquiétudes que l’ennemi nous suscite alors en nous suggérant dans cet état des craintes qu’on ne se soit relâché, et qu’on ne fasse point de progrès comme autres fois, quand on faisait effort pour se défaire des liens des créatures, pour se rappeler de l’oubli de Dieu et de son absence, pour le chercher et se mettre en sa présence, pour s’y rétablir et renouveler après des absences réelles et contre des distractions qui avoient étouffées cette sainte présence et ses opérations dans nous : ce qui effectivement ne va pas ainsi dans l’état affermi de l’Oraison du cœur et de la présence de Dieu, puis qu’alors on porte actuellement un fond de cœur et de vie respirant toujours en Dieu, et qui n’a besoin que d’être rafraîchi, de fois à autres par une douce modification, pour ainsi dire, du même mouvement et du même acte qui subsiste toujours, et par une espèce de remuement tranquille d’une chose déjà en action, à la façon d’un feu toujours allumé et brûlant dont on remue quelques fois le bois enflammé, et qui de là jette en ces intervalles certains (20) brillants plus vifs qu’à l’ordinaire : ce qui est bien éloigné de l’action réitérée de faire tous les jours avec de nouveaux efforts un nouveau feu après avoir laissé éteindre et finir le premier.

Et tel est l’acte continuel des Mistiques, qui nous assurent, et avec vérité, qu’il n’y a rien de plus vrai ni de plus réel dans l’Oraison bien établie d’un cœur qui aime et d’un esprit qui contemple Dieu. O si on tâchait d’entrer dans l’expérience et dans la pratique de cette divine Oraison, et que l’on employât en sa saveur et pour en ôter les scrupules autant d’adresse que l’on en prend pour y trouver à redire, qu’on s’apercevrait bientôt de sa divine solidité, et que c’est proprement ce que Dieu demande tant de l’homme lorsqu’il nous dit (a) Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme, de toute ton intelligence et de toutes tes forces !

8. Et alors disparaîtraient sans peine tant de difficultés imaginaires que l’on croit y découvrir. On n’aurait garde de se plaindre qu’elle anéantit les mortifications, lors qu’en effet elle les règle selon la discrétion, qu’elle n’en corrige que les manières propriétaires, et qu’elle en établit et en recommande (b) si expressément le véritable esprit. On n’objecterait plus que l’on y veut faire oublier Jésus-Christ en qualité de Dieu humanisé (21)

(a) Deut. 6. vs. 5. Marc. 12. vs.30. etc.

(b) Voi. Mad. Guion sur le Cant. Ch. 1. vs.6. Ch. 2., vs. 3. Ch. 5. vs. 1. etc. Tauler. Domin. I. post Epiph.

quand on verrait de ses propres yeux des écrits expressément composés pour recommander (a) l’ENFANCE DE JÉSUS comme modèle de perfection à tous les états. Ouvrage dont la condamnation fait retomber ce grief sur ses propres censeurs et opposants. On ne trouverait plus étrange qu’on parle de contempler la pure Divinité (quand l’attrait y est) à part de ses attributs, puisque même les gens d’école lorsque dans leurs spéculations étudiées ils se sont un concept formel de l’essence divine, en excluent celui des attributs ; qu’ils enseignent que le concept de cette divine essence et de son Unité est le premier concept de tous, et avant tous les autres ; et qu’ils sont sur la même Divinité, sur ses Personnes, et sur ses propriétés tant de spéculations formellement différentes, qu’eux-mêmes avouent ne les pouvoir bien concevoir que chacune à part, et sans penser aux autres quand ils veulent s’occuper d’une occupation qu’ils se croient très-permise, et à laquelle ils donnent lieu assez souvent par un motif tout vain, ou du moins bien inférieur à celui de la Contemplation.

19. On sait encore quantité d’objections et à cette personne, et même à tous les Mistiques, signamment lors qu’ils traitent (comme dans les Chap. VII. et VIII. de la Ie. Partie des Torrens) de l’état de la purification passive et de ses degrés différents : mais toutes ces difficultés, ou peu s’en (22)

(a) Livre de Mad. Guion.

faut, ne viennent que de ce qu’on ne prend pas bien garde à deux ou trois points ou vérités que voici.

(1) Qu’il y a de différents états, et de différents degrés en chaque état, et même de différentes dispositions à chaque degré et à chaque état ; et que ce qui est la perfection d’un état ou d’un degré est l’imperfection d’un autre (comme le dit Mad. Guion (a). De sorte qu’il n’y a rien de plus mal pris, que de relever ce qui est dit d’un état, ou d’un degré, et d’en faire l’application à d’autres états, ou à d’autres degrés, pour le décrier devant des gens qui ne se doutent point de cette confusion.

(2) Que dans l’état actif on doit s’efforcer à faire autant de bons actes qu’il est possible, mais que dans le passif, Dieu voulant purifier les vertus mêmes et le fond de l’âme de leur impureté et de leurs imperfections, il en fait cesser les actes sensibles, et ne fait paraître que tentations et que ténèbres en la place : à laquelle dispensation divine et juste il a dessein que l’âme acquiesce pour lors jusqu’à ce qu’il en dispense autrement. •

(3). Que l’âme en étant revenue, et établie dans la vie divine et parfaite, fait par retours et tout divinement les actes et fonctions qu’elle ne faisait qu’avec imperfection auparavant et dans son premier état d’activité. De sorte qu’il y a absurdité d’objecter les actes de cet état de

(a) Expllic. du Cant. Ch. 6. vs. 4.

rétablissement à l’état de passiveté d’une âme qui est alors dans les remèdes ou dans le plus sensible de sa maladie et de sa faiblesse. Ce peu de points bien observés, ne laisse point de lieu à quantité d’objections que l’on fait très souvent, sans aucun fondement.

20. Je proteste au reste avec une entière sincérité, d’être infiniment éloigné du dessein de choquer et encore moins de condamner personne de ceux qui se sont déclarés contre l’âme pieuse dont nous parlons ici ou contre ses sentiments. Je veux même croire charitablement que ses parties y ont agi de bonne foi et selon leur persuasion, Dieu permettant souvent, quand il veut exercer une âme par des croix, que les plus gens de bien même voient les choses autrement qu’elles ne sont, et qu’ainsi, sans blesser leurs consciences, ils agissent alors conformément aux lumières nuagées de leurs vues imparfaites. Les amis de Job étaient sans contredit des gens de bien et qui avaient la crainte de Dieu dans le cœur : et cependant, quelles oppositions ne firent-ils pas à ce pauvre affligé, dans la pensée qu’ils combattaient contre ses erreurs et pour la cause de Dieu ? Depuis quelques années on vient de publier la vie merveilleuse d’une sainte servante dont la Dame après l’avoir très durement affligée en toutes manières, revenue ensuite à soi, déclarait assez tranquillement (a) que Dieu (24)

(a) Vie de la bonne Armelle. Liv. I, ch. 7. page 73. Ed. de 1704.

l’avait rendue aveugle en ce sujet afin d’aider à la sanctification de cette âme ; et qu’il lui semblait qu’elle n’eût sçu faire autrement ; de quoi aussi la sainte fille témoigna toute sa vie de lui avoir de grandes obligations. Taulere a dit quelque part (a), que Dieu au défaut d’autres enverrait plutôt tout exprès des Anges du Ciel pour exercer ses amis, que de permettre que ces âmes de choix manquassent de moyens à être bien purifiées.

II.

21. Mais comme il est juste non seulement qu’on revienne de toutes ses préventions ; mais que d’autres aussi soient prémunis contre ces sortes de méprises, il ne sera pas hors de propos de dire un mot tant des vrais principes par lesquels on pourra s’en garantir, que des principes erronés qui en sont l’occasion.

Il s’agit de savoir, comment on peut connaître le sens des livres qui traitent de choses divines et spirituelles ; et s’il suffit d’y procéder à la manière des gens d’École et de critique qui s’en tiennent aux seules paroles à l’exclusion de l’expérience, et même indépendamment de l’intention de celui qui parle ou qui écrit.

22. À prendre les choses dans leur Origine, le sens d’un livre ou d’un discours spirituel et vraiment divin, est premièrement en Dieu même. Avant toute chose, Dieu a premièrement dans (25)

(a) Dans ses Institutions Ch. XI.

soi des sentiments lumineux, des pensées et des affections divines, qui tendent avec grand désir à se produire hors de lui dans les âmes.

Ce sens et ces pensées de Dieu, qui subsistent dans lui, et qui veulent aussi puissamment fertiliser hors de lui pour ainsi dire, trouvant quelques âmes qui en sont susceptibles, leur esprit, leurs affections et leur cœur ; et partant dès là même ces âmes ont des sentiments, des pensées et des affections divines ; [Nous avons le sens de Christ (a) disait S.Paul,] et ils les ont avec le même désir de Dieu, de les communiquer et de les rendre fertiles dans les âmes des autres hommes.

Ce bon désir dans Dieu, et dans ses Saints qui ont le sens de Dieu, ferait bien déjà quelque chose dans les âmes sans aucune parole si ces âmes étaient tant soit peu intérieures, ou façonnées à rentrer quelques fois au dedans d’elles-mêmes ; mais ne l’étant point, et au contraire se trouvant toutes attachées à ce qui est extérieur et sensible, les autres âmes saintes et illuminées du feu de Dieu, qui ont aussi un corps et des sens, et qui par le moyen des mots imparfaits, inventés d’origine pour marquer grossièrement les choses de ce monde, ont commerce avec les hommes, revêtent tout simplement, grosso modo et sans finesse leurs désirs, leurs pensées et leur sens divins de ces enveloppes grossières et en frappant par là nos sens extérieurs, qui ayant liaison

(a) I Cor. 2. vs. 16.

avec l’âme, la frappent, l’excitent, et la rappellent dans elle à se présenter à la même puissance de Dieu, qui est dans les Saints qui parlent ou qui écrivent, pour être comme eux revêtus par cette puissance de ce même sens, de ces mêmes affections lumineuses et de ce même Esprit dee Dieu et de ses Saints.

23. Si maintenant l’âme veut se rendre à cela, je veux dire, si rappelée ainsi dans elle, elle s’y présente à Dieu avec un désir sincère d’être à lui, d’être revêtue du sens, des pensées et des affections de Dieu ainsi qu’elles sont dans lui et dans l’instrument par qui il la réveille, alors ces mêmes affections, ces sentiments et ces pensées, qui sont dans le S. Esprit et dans son instrument avec grand désir de se produire ailleurs, trouvent entrée, portent coup et effet, et ont puissance et efficace par le même Esprit Saint, de se reproduire dans ces âmes-là, et de les investir de la lumineuse vérité et du sens du Seigneur.

24. Et voilà le seul et unique rnoyen de connaître solidement et salutairement le vrai sens des paroles et des livres des âmes éclairées de Dieu, au moins pour le découvrir autant et à meure que cela est nécessaire pour s’avancer dans les voies du salut. Je pourrais prendre à témoin de ce que je viens de dite toutes les Saintes Écritures : mais je serais trop long ; et je me contenterai de renvoyer le Lecteur à ce qu’il trouvera sur cette matière dans la Préface de la nouvelle édition de la vie merveilleuse de la bonne Armelle. (27)

25. Que font maintenant les gens d’école et de critique pour attraper le sens des livres divins et spirituels ? Après s’être bien desséché le cœur et bien rempli la tête des idées vaines, stériles, et trompeuses que leur ont fournies la Philosophie de ce siècle de ténèbres et l’activité de la raison humaine et corrompue, et après avoir appris dans les dictionnaires, dans les Auteurs profanes et dans les écrivains scolastiques l’usage précis de leurs termes, ils se mettent ensuite à regarder dans les livres divins. S’ils y rencontrent des termes ou des expressions qu’ils n’aient pas trouvés dans leurs Auteurs ni dans leurs dictionnaires, les voilà à crier tantôt au Galimatias, et tantôt au fanatisme ainsi qu’il leur vient en la fantaisie. S’ils y rencontrent des termes ou des expressions qu’ils n’aient pas trouvés dans leurs Auteurs ni dans leurs dictionnaires, les voilà à crier tantôt au Galimatias, et tantôt au fanatisme ainsi qu’il leur vient en la fantaisie. S’ils en trouvent de semblables, les voilà à fouiller parmi le tas des idées stériles et mortes de leur tête et de leur raison corrompue pour trouver celle d’entre elles que les Auteurs classiques ou scolastiques auront jointe précisément et dans la rigueur de l’École et de sa Théologie à ce mot-ci et à celui-là.

Cette rigueur scolastique ou théologique est à peu près quelque chose de semblable a ce qu’observent des ennemis ou des gladiateurs à l’égard de leurs mesures et de leurs postures d’escrime, où il se faut réduire si exactement, que pour que l’un d’eux vienne à s’y négliger, l’autre ne manque pas incontinent de s’en prévaloir pour lui couper la gorge s’il le peut. c’est une rigueur d’ennemi à outrance, et tout satanique de son origine. Aussi les Auteurs sacrés des Saintes Écritures ne l’ont jamais connue ; et si on voulait s’en servir en les interprétant, on pourrait les faire malignement tomber en mille absurdités et contradictions.

26. Or les âmes éclairées qui n’ont point vu les écoles, ont écrit sans ces précautions artificielles dans la même simplicité et ingénuité que les Auteurs sacrés : mais comme on n’a pas tant de respect pour elles que pour ceux-là, delà vient qu’on n’a pas de retenue à les harceler et à les impugner par cette malheureuse méthode d’interpréter, qui, quand même on en mettrait à part toute son absurde rigueur, ne vaut rien qu’à. nous donner des fantômes d’ombres, et ruiner la vie et l’esprit du véritable Christianisme, par en bannir l’unique et le vrai interprète et communicateur du sens et des volontés de Dieu, l’adorable Esprit Saint, qui nous doit enseigner toute vérité par sa divine lumière et par son Onction. Et cela est plus évident que le jour par la funeste expérience de plus de mille années. Les chrétiens n’ont tous qu’une seule et même Bible ; et cependant ils en sont venus à ce point par leur belle manière d’en chercher et d’en tirer le sens, qu’il n’y eût jamais de plus grandes divisions entre eux que là-dessus. Ce que l’un dit être blanc, l’autre le tient pour noir ; et cela les a réduits à s’entredamner et à s’entretuer mutuellement depuis je ne sais combien de siècles sur une infinité de sens opposés qu’ils attribuent tous aux Saintes Écritures

27. De tout ce que dessus il paraît clairement que les Docteurs scolastiques avec leur raison humaine, leur critique et leurs études de cervelle, sont les plus ineptes de tous les hommes pour comprendre le vrai sens des écrits divins et vraiment mystiques et spirituels, et pour en juger sainement, ne soit qu’avec leurs études ils aient l’expérience de ces choses-là, et ce bon fonds d’âme avec lequel on devient susceptible au sens de Dieu.

28. Par cette expérience je n’entends pas qu’on doive avoir expérimenté toutes les choses particulières qu’ont éprouvé ou rapporté les écrivains mystiques et les âmes spirituelles : cela serait impossible. On veut seulement dire, que le cœur doit avoir été vivement éclairé du sentiment de la lumière divine et visité de quelques rayons de la Sagesse d’en haut : et cela étant, c’est alors seulement qu’on est devenu capable de juger sainement de la vérité et de la valeur des choses divines, même de celles qu’on n’aurait pas encore expérimentées particulièrement. S. Paul dit en ce sens (a) que l’homme spirituel, ou qui a la lumière du S. Esprit, juge de toutes choses, et qu’il ne peut être jugé de personne. Un homme qui jouit de la lumière du jour, quoiqu’il n’ait pas encore l’expérience de quantité d’objets, a néanmoins le principe pour en connaître une infinité et pour en faire un discernement solide ; mais un aveugle qui saurait toutes les langues

(a) I Cor. 2. vs. 5.

et qui aurait la connaissance de toutes les règles de la critique et de la logique des écoles, serait-il bien capable avec tout cet appareil de bien comprendre le sers d’un livre ou d’un discours qui décrirait le beau spectacle de ce monde lumineux, et des vives et différentes couleurs et apparences dont chaque créature se trouve revêtue ? Tels sont à l’égard des choses divines et spirituelles tous ceux à qui Dieu n’a point encore ouvert les yeux de l’âme, et qu’il ne gratifie point de la lumière de son S. Esprit.

29. Il ne faut pas se persuader que pour être (et Dieu sait comment) dans une vocation spirituelle ou ecclésiastique ; on soit par là et en état de bien juger des choses de l’esprit, si avec cela on n’est point doué de ce bon fond d’âme qui n’aspire qu’a être revêtu du sens, des inclinations et de la volonté de Dieu, si on n’a point ou évité ou rectifié les dangereuses impressions de la scolastique, ni été vivement gratifié de la clarté d’en haut, sans quoi toute vocation à charge d’âmes n’est qu’un engagement à commettre de très grandes fautes.

30. Il arrive même pour l’ordinaire, que les meilleurs de ceux qui occupent le plus irréprochablement ces sortes de places, n’ayant que des lumières communes, proportionnées à la capacité du plus grand nombre et au besoin de la généralité des hommes, s’ils rencontrent quelques âmes qui passent le commun en sublimité de grâces, de voies et d’état, ils ne seront point capables de s’en mêler ni d’y étendre leur jugement et leur direction : Toutefois si le fond de leur cœur est bon et humble, ils reconnaîtront assez, quoique d’une manière générale, la divine solidité des grâces et de l’état de ces âmes de choix, qu’ils laisseront pourtant à la conduite du S.Esprit, ou qu’ils adresseront à de plus habiles qu’eux dans ces sublimes voies, sans se piquer de jalousie de ce que ce pourraient être de pauvres idiots, ou même de simples femmelettes, se souvenant de ce fait mémorable que le P. Ribera raconte (a) dans la vie de Ste Terese.

C’est que cette sainte, étonnée des communications si singulières que Dieu lui faisait de ses secrets divins, lui ayant dit, dans son étonnement ; comment, Seigneur, choisissez-vous une personne faite comme moi pour me communiquer tant de choses divines, puisqu’il y a tant d’autres personnes, tant d’hommes et de Docteurs, qui pourraient les faire valoir beaucoup mieux que moi ? Dieu lui répondit : les hommes et les Docteurs ne veulent pas se disposer pour traiter avec moi : c’est pourquoi étant chassé d’eux, je viens comme un pauvre nécessiteux chercher des femmes pour me soulager avec elles, et pour traiter avec elles de mes affaires. Ce qui fait que la même Sainte s’adresse ailleurs à ces hommes et à ces grands Docteurs en ces termes : (b) Qu’ils se gardent bien de juger de ce qu’ils n’entendent pas

(4) Rib. Vie de Ste Térès. Liv. IV. Ch.6. vers la fin.

(b) En sa Vie par elle-même Chap. 34.

ni de gêner les âmes conduites par ce Grand Maître, dont la science est aussi infinie que la puissance. Et au lieu de faire ici les étonnés, et de considérer ces choses comme impossibles, qu’ils sachent que tout est possible à Dieu, et qu’ils prennent sujet de s’humilier de ce qu’il plaira à Sa Majesté de donner plus de lumières à quelque petite bonne vieille, que non pas à eux avec toute leur science.

Le Bienheureux et sublime Jean de la Croix n’a pas manqué de censurer vivement ces jaloux spirituels dans (a) sa Divine Flamme d’amour, jusqu’à en dire par manière de plainte, Combien de fois arrive-t-il que Dieu communique à l’âme une très délicate notice ou lumière de contemplation et d’amour infus, calme, secret très éloignée du sens et de tout ce qu’on saurait penser ; et qu’il détienne entièrement cette âme sans pouvoir rien goûter ni méditer des choses ni d’en haut ni d’en bas, parce qu’il l’occupe toute en cette secrète onction, qui veut la solitude et le repos ; et voici il viendra quelqu’un qui ne sachant que frapper l’enclume comme un forgeron, et ne sachant que cette leçon, lui tiendra ce discours ou semblable : «  Allez ; quittez-moi cette situation, qui n’est que perte de thèmes et oisiveté toute pure ; et prenez-moi cet autre exercice : appliquez-vous à la méditation et à faire des actes : il vous faut opérer diligemment et avec industrie de votre part ; et ces autres choses ne sont que fadaises et

(a) Cant.2. vers ; 3. num. 8, ad 13. des anciennes éditions.

et abus tout purs. Voilà comment ces gens-là n’entendant rien dans les degrés de l’Oraison ni dans les voies de l’esprit, ne comprennent pas que ces actes qu’ils exigent d’une telle âme sont déjà chose faite ; que ces discours et ces méditations qu’ils veulent lui imposer sont besogne achevée ; que cette âme est parvenue à l’abnégation et au dépouillement de tout le sensible — — — — et qu’elle est entrée dans la voie de l’esprit, où le discursif et le sensible n’ayant plus de lieu, Dieu est le seul agent qui parle secrètement à cette âme que ces Maîtres grossiers voudraient priver de sa solitude et barbouiller de leurs grossres couleurs, au grand dommage des opérations sublimes et délicates que Dieu faisait en elle. O perte inestimable, (dit-il un peu plus haut,) perte étonnante ! le dommage ne paraissant presque point, aussi bien que lentre-deux qui le cause, est néanmoins infiniment plus grand et plus déplorable que tout autre dommage de plus grand éclat dans les âmes vulgaires ! et qui ne sont point susceptibles de ces sublimes et délicates opérations de la main du très-haut ! Toutes les remarques importantes que ce saint homme a faites sur ce sujet méritent bien d’être pesées, aussi bien que cette menace du Sauveur (a) par laquelle il les finit : malheur à vous, savants de la Loi, qui avez pris à vous la clef de la science ! Vous n’êtes pas entrés ; et vous avez empêché ceux qui entraient.

(a) Luc. II. vs. 52.

III. §. (I.)

31. Dieu veuille que les Traités suivants puissent servir de moyen à rappeler et à faire rentrer vers lui tous ceux entre les mains de qui ils viendront à tomber : et sans doute que la lecture leur en sera fructueuse s’ils les lisent avec la bonne disposition d’âme que nous venons de marquer, et qui ne peut nuire à personne, quand même on lirait de la sorte des livres remplis d’erreurs. Rentrer dans soi et s’élever à Dieu, vouloir être à lui, et demander d’être investi de ses divins sentiments et revêtu des inclinations de sa sainte volonté ; ne peut que nous acquérir la bénédiction et la lumière d’en haut pour nous faire sentir et discerner en toutes choses et autant qu’il nous est nécessaire, le bien d’avec le mal, et le faux d’avec la verité. Si quelqu’un veut faire la volonté de Dieu, dit Jésus-Christ (a), il connaîtra de ma doctrine si elle est de Dieu, ou si je parle de moi-même.130

Et ce discernement ne sera pas fort difficile à l’égard du premier de ces Traités, intitulé, MOIEN COURT et très facile de faire Oraison, proportionné qu’il est à la capacité des plus simples même, pourvu qu’ils aient sérieusement le dessein de se rendre à l’invitation ou au Commandement du Fils de Dieu, qui dit à un chacun (en exigeant cette Oraison du Cœur) (b) mon Fils, donne-moi ton CŒUR ; et que tes YEUX prennent garde à mes voies : et encore

(a) Jean 7. vs. 17 (b) Prov. 23. vs. 26.

(a) Priez sans cesse. Ses Commandemens (b) ne sont point difficiles, et son joug est aisé, ainsi qu’il le dit (c) lui-même, et que le promet dans le même sens le titre du premier traité suivant, qui pour ce sujet y est qualifié de moyen très facile. Ce traité est celui de tous les Écrits de Mad. Guion qui a paru le premier, qui a fait le plus de bruit, qui a été le mieux goûté et le plus souvent réimprimé en sa langue, et ensuite traduit en plusieurs autres, comme en Flamand, en Allemand, en Anglais, en Latin. On l’a revu sur l’imprimé à Rouen 1690 : mais on en a amplifié les Sommaires des Chapitres, aussi bien que la lettre du P. Falconi, pour en marquer plus précisément et en mieux retenir le contenu.

§. (2.)

32. Le second Traité qui paraît ici, est la Courte Apologie du Moien Court. Plus d’un Lecteur s’étonnera sans doute, qu’un livre comme celui du Moien court qui porte si évidemment le caractère d’un cœur qui n’a que Dieu en vue, et qui ne cherche qu’à lui adresser les âmes en toute sincérité, ait en besoin de quelque Apologie ; puisqu’il est très certain, et que l’expérience l’a sait voir très souvent que quiconque cherchera Dieu dans la simplicité et la droiture de son cœur, n’y trouvera que du bien, que des moyens si faciles131

(a) I Thess. 5. vs.17. (b) I Jean 5 vs.3

(c) Matth. 11. vs.30.

36)

et si clairs, des motifs si pressants et si vifs de se rendre à la fin pour laquelle nous avons été créés, qu’on ne pourra s’empêcher d’en louer Dieu, et d’en bénir l’organe dont il lui a plu de se servir pour parler de cette sorte au cœur de ses pauvres et égarées créatures. Mais pour des gens qui aiment mieux imiter le génie de l’araignée que celui de l’abeille, y a-t-il dans le monde aucun bien assez pur dont ils ne puissent faire et tirer du poison ?

3 3.0n verra par la lecture de cette Courte Apologie que la raison principale pourquoi l’Auteur fut obligée à l’écrire, vint des avis qu’on lui donna, qu’encore que son Moien Court ne soit qu’une effusion de sentiments très chrétiens, exprimés avec toute la bonne intention et l’innocence dont le meilleur cœur saurait être capable, il n’était pas cependant impossible que certains faux dévots et faux spirituels, qui commençaient depuis peu à faire bruit, et auxquels on donna en un sens très mauvais (a) le nom de Quiétistes, ne vinssent à s’aviser de mette à couvert leurs relâchements, et toutes les impiétés et impuretés dont on les accusait, sous les mêmes ou semblables expressions dont elle s’était servie dans ce livre ; pour ne pas dire que sous ce même prétexte de conformité de langage, ils pourraient bien essayer de se confondre et de se mêler eux-mêmes avec les gens de bien132 ; ensuite de quoi le public ne

(a) voyez ce qu’on a remarqué du mot de Quiétisme ci-dessus. n [uméro] .14. [« Mais les examinateurs… »]

Générale. 111 §. (1.) (37

discernant plus sur ce sujet le bien d’avec le mal, condamnerait ensemble le coupable et l’innocent, peu se donnant la peine ou la liberté de considérer l’injustice de ces décisions générales et précipitées, qui retombent effectivement sur ce qu’il y a jamais eu de plus saint et de plus irréprochable dans le Christianisme : car à ce compte-là les Juifs et les Païens auroient eu grande raison de charger les Apôtres et l’Église Chrétienne de ce temps-là des abominations de Simon le Magicien ; puisque non seulement il avait su se couvrir de leurs paroles et de leurs expressions par une profession extérieure de leurs sentiments, mais que de plus, s’étant efforcé de se joindre à eux, il y avait été effectivement reçu et incorporé par le Baptême.

Ce qui nous fait bien voir qu’il n’est pas impossible que quelques scélérats viennent à usurper le langage des Saints, qu’ils tâchent de plus à se mêler sous ce voile avec les plus gens de bien ; et même qu’ils surprennent leur crédulité pour un peu de thèmes, sans que l’on soit en droit pour cela de confondre l’innocence des personnes et des sentiments des uns avec les crimes et les égarements des autres, et de les condamner tous ensemble également et indistinctement, ainsi qu’a fait sur le sujet de question certain Prêtre apostat133, et en même temps assez aveugle pour ne pas s’apercevoir qu’il a ôté lui-même toute sorte de crédit à ses calomnies par l’excès de l’impudence qui lui a fait envelopper dans ses accusations quiétistes d’amour impur et profane les saintes âmes de Ste Thérêse et de la Baronne de Chantal, seulement sous le prétexte des expressions dont elles se sont servies en parlant des choses divines et entièrement spirituelles.

34. Ç’a été pour prévenir autant qu’il se pouvait et de semblables méprises, et ces horribles abus, que Madame Guion, suivant les avis qu’on lui en avait donnés, a composé la Courte apologie des son Moien Court, où elle exécute son dessein, premièrement par une protestation qu’elle y fait devant Dieu, que lorsqu’elle écrivit son livre elle n’avait encore ni ouï parler ni jamais eu la pensée de tant d’horribles choses qui se divulguèrent depuis ce temps-là n’ayant écrit uniquement qu’à dessein de faire connaître l’utilité salutaire qu’elle avait trouvée dans l’exercice de la présence de Dieu, et l’avantage qu’il y avait à marçher toujours devant sa face divine. Après quoi elle éclaircit en particulier et fort solidement tout ce qui aurait pû être susceptible de mauvais sens ou faire naître quelques difficultés sur diverses matières de son livre, au moins sur autant qu’on lui en avoir indiqué jusqu’alors, ou qu’elle pouvait pressentir d’elle-même en avoir quelque besoin. Enfin, en priant ses Lecteurs de considérer, que comme il n’y a rien qui ne pût être pris en un sens désavantageux et en un sens très-excellent, il est de leur équité chrétienne de lire son Ouvrage avec une prévention pleine de charité, telle que l’exige la simplicité avec laquelle il a été écrit, et en suppléant, s’il en était de besoin, à l’ignorance qui pourrait avoir fait mal exprimer la vérité que l’on a voulu dire.

35. On sait que feu M. l’Évêque de Meaux, qu’assurément on ne soupçonnera pas de lui avoir jamais été trop indulgent, après s’être donné tout le temps qu’il voulut pour examiner à loisir la personne et les sentiments, les livres, et les expressions, les explications et les déclarations de Madame Guion, en demeura tellement satisfait, que convaincu de son innocence, il lui en donna une attestation qui la justifie pleinement par la déclaration qu’il y fait qu’il ne l’avait trouvée impliquée en aucune sorte dans les abominations de Molinos ou autres, qu’il avait condamnés ailleurs. Cette Déclaration se trouve tout au long dans (a) sa Vie : où (b) l’on peut voir aussi que cette courte Apologie avait été faite à la sollicitation de M. l’Abbé Boileau, qui dans la suite devint l’un de ceux qui s’opposèrent le plus à l’Auteur ; mais qui pourtant goûtait alors si bien ce petit écrit, que d’insister fortement à ce qu’on ne manquât point de joindre cette pièce apologétique à a première Édition qui viendrait à se faire du Moien Court.

36. Mais l’air du bureau vint à changer entièrement quelque temps après ; et Dieu sait pour quel sujet. Le Moien Court, au lieu de se réimprimer, devint sans changement un livre criminel ; et son Apologie, un écrit de même nature :

(a) P. III, Ch. XIX. §. 8. (b) Là même Ch. XI. §. 8.

et bien loin que l’on ait eu le moindre égard à aucune de ses raisons et de ses protestations pour se laisser disposer à procéder en esprit de charité sur un sujet dont le fond n’est que la charité même, vous diriez au contraire qu’on se soit fait un plaisir singulier de mettre en usage toute l’adresse que l’art de disputer et de surprendre est capable de fournir à l’esprit de contradiction, quand il veut faire paraître le bien, mal, et lui en donner toutes les apparences aux yeux des meilleures âmes, qui d’elles-mêmes n’y auraient vu que du bien ; mais qui aussi n’ayant pour l’ordinaire ni assez de lumières, au moins distinctes, sur des sortes de choses, ni assez d’habitude avec la chicane et les artifices de l’École, ne pouvaient s’apercevoir de toutes leurs illusions, surtout quand ces illusions sont revêtues de l’extérieur aussi agréable que décevant d’un raisonnement apparemment bien lié et bien exprimé.

37. Ce qu’il y eut d’étrange, et même de surprenant en cette rencontre fut, qu’au même temps qu’on agissait de cette sorte à l’égard des écrits de question, on ne fit nulle difficulté de se couper par une manière d’agir tout opposé où l’on se vit obligé d’avoir recours sur les mêmes matières. On avait produit en faveur de Madame Guion un grand nombre d’autorités et de passages de plusieurs Auteurs Mistiques très approuvés, et même de Saints canonisés, comme de S. François de Sales, de Jean de la Croix, des Saintes Catherine de Gênes, Thérèse, Angèle de Foligni, et de plusieurs autres, qui disaient en substance les mêmes choses que Madame Guion et même en termes plus forts et plus susceptibles des mauvaises conséquences ou accusations de M. de Meaux. Ce Prélat, qui n’osait pas les condamner dans ces Saints, fit voir ici un esprit si fertile et si abondant à trouver des interprétations bénignes et à donner des tours favorables à tout ce qu’il voulait dans ces auteurs-là, que sûrement il n’avoir pas besoin de la vingtième partie de cette même adresse, si inventive en adoucissements, pour la justification de tout ce qu’il a trouvé à reprendre dans les ouvrages de la Dame dont il s’agit. Divers écrits qui furent publiés en ce temps-là ont fait voir la vérité de tout ceci aussi claire que le jour : mais pourtant sans effet, pour n’avoir voulu ni peser les mêmes choses à la même balance ni les regarder d’un même œil ; au contraire, on s’efforça d’y trouver et d’y mettre de la dissemblance et des oppositions de tous côtés par la même industrie qui était plus que capable d’y faire voir une entière conformité, si seulement on eût eu la volonté de l’entreprendre.

38. De là vint qu’on tâcha aussi de trouver à redire à la Courte Apologie, si bonne auparavant, pour la tourner en mal aussi bien que le reste. Le célèbre Antagoniste de l’Auteur a objecté publiquement deux choses à cet Écrit ; l’une, (a) une erreur

(a) M. de M. Instruct. sur les États d’Oraison.Liv. III. §. 20.

42,1 P E'sACE

insupportable; et l’autre, une illusion manifeste : L’erreur est, dit-il, que la parfaite résignation soit incompatible avec les demandes du Pater. Chacun peut voir de ses propres yeux qu’elle ne dit pas cela : elle dit tout au contraire en termes exprès (a) que le plus résigné ne s’exemptera jamais de dire le Pater pour ces motifs, de conformité et de résignation : : et afin qu’on s’en dispense d’autant moins sous ce prétexte-là, elle ajoute, que nui ne présume pour soi d’avoir cette parfaite résignation, ce qui bien loin d’être une illusion manifeste, s’accorde parfaitement avec la doctrine (b) du Concile de Trente, et de tous les Théologiens catholiques. Cependant on a interprété cette raison incidente, dont elle se servait pour empêcher d’autant mieux la conséquence abusive que l’on voulait tirer de la résignation, comme si c’eût été absolument l’unique et seule raison sur quoi elle fondait l’obligation qu’ont les personnes résignées de dire le Pater ; et que n’en ayant point allégué d’autre, elle n’en croyait aussi point d’autre ; de sorte que, selon elle, cette obligation considérée en soi-même était nulle, et incompatible avec la résignation.

Comment est-il possible qu’un homme de tant d’étude et de tant d’esprit, ne se soit pas aperçu qu’il ne pouvait lui imputer une telle conséquence que par un sophisme évident, que

(a) Courte Apol. Nomb.15. Pag.121.

(b) Sess. VI. ch. 9.

les gens d’École appellent eux-mêmes non causa a causa, donner pour cause une chose qui ne l’est pas ? Dire, cette personne n’allègue pour cause de l’obligation de dire le Pater que cette raison-là. Ergo, elle croit qu’il n’y en a point d’autres, elle nie qu’il y en ait d’autres, et ainsi elle établit que hors de cela, et quand on est résigné, il n’y a point d’obligation de dire l’Oraison dominicale. Paralogisme tout évident.

Mais pourquoi donc n’en a-t-elle point allégué d’autres raisons ? Je n’en sais rien. Peut — être que comme les femmes, et surtout les femmes pieuses, ne pensent et n’écrivent pas par méthode Scholastique, une autre pensée (comme celle de faire voir la possibilité de la parfaite résignation pour cette vie, dont elle traite ensuite) s’étant présentée à son esprit, elle aura sans façon donné place à cette dernière sans plus songer à la première ; puis que c’est ainsi que pensent et qu’écrivent ordinairement les personnes naïves, qui ne savent rien de l’art Scholastique de ramasser en un lieu tout ce qui est du sujet dont elles font mention. Voilà qui me suffit pour me retenir de la chicaner sur cette réticence, et pour m’empêcher d’en faire illusion au public contre le devoir de la charité que Dieu et elle ont tant exigé de moi.

39. Pour ce qui est des raisons positives qu’on exigeait tacitement pour ne point objecter ce que l’on vient de réfuter ; outre celles qu’on verra sur cette matière dans une annotation à la page 122.134 pour montrer comme les résignés,

44)

quand bien ils sauraient qu’ils le sont, ne doivent et ne peuvent se dispenser des demandes du Pater, en voici encore quelques autres ; c’est qu’un résigné qui se saurait tel, n’étant pas pour cela assuré de sa persévérance, a certainement sujet de la demander toujours à Dieu dans cette divine Prière. De plus, qu’est-ce proprement qu’être résigné à la volonté de Dieu, sinon être foncièrement animé du désir que la volonté divine s’accomplisse. Or incontestablement la volonté de Dieu est dans toutes les demandes du Pater. Donc, être résigné à la volonté de Dieu c’est être foncièrement et vivement dans le désir des demandes du Pater, bien loin de n’y plus penser et de ne s’en plus occuper. On y est même alors par état et comme par nature, et non plus par forme d’actes passagers ni par manière de loi et d’obligation, au même sens que S. Paul a dit (a) que la Loi n’est point pour les justes ; parce que la substance de son accomplissement est l’élément où vivent les justes. Ergo, les plus résignés sont bien éloignés de s’exempter jamais de désirer ce que Dieu nous fait voir dans le Pater être sa même volonté ; qui est la proposition de Madame Guion, comme on peut le voir dans la courte Apologie,

§. (3.)

40. Le Traité des TORRENTS qu’on met ici en troisième lieu, est une suite assez naturelle

(a) I Tim.I. vs.9.

du Moien court ; poursuivant les mêmes matières et conduisant l’âme par degrés jusqu’à sa consommation : ce que l’Auteur semble marquer précisément lors qu’elle dit dans le Chap. XII. dudit Moien court : O s’il m’était permis de poursuivre les degrés infinis qui suivent ! mais il faut s’arrêter ici, puisque je n’écris que pour les commençants, en attendant que Dieu mette au jour ce qui pourra servir pour tous les états. Vous diriez qu’elle avait dès lors non seulement dans l’esprit, mais même entre les mains le traité suivant (où en effet il est parlé d’abord de tous les états, mais ensuite des plus avancés et des plus sublimes ;) et qu’elle n’attendait que la saison propre à le publier. Le dernier Chapitre du Moien court, semble n’être qu’une espèce de préparation et de préambule à ce Traité.

41. Le titre qui paraît devant ce Traité est de notre façon, à la réserve du mot de TORRENS auquel on a joint celui de Spirituels pour développer et adoucir un peu la métaphore, qui sans cela aurait paru (contre l’usage d’aujourd’hui) un peu obscure et un peu étrange pour un Titre. Par les divisions que nous y avons faites en Chapitres, Sections, et Articles, en mettant au-devant de petits sommaires et des abrégés de tout, nous avons tâché d’exposer en gros toute l’analyse, l’ordre méthodique et le contenu de ce bel Ouvrage, duquel il sera facile de se former une idée générale et allez régulière en lisant simplement la Table des Chapitres et de leur contenu.

42. Comme ce Traité a eu ses adversaires qui ont voulu donner des sens désavantageux à quelques passages qu’on en avait détaché135, et qu’il se puisse faire encore que des esprits disposés comme ceux que l’on a eus en vue dans l’Apologie du Moien Court, seraient peut-être bien aises d’y trouver des endroits dont ils pourraient essayer d’abuser en faveur de leurs fausses maximes, ou de leurs pratiques relâchées ; ou a cru qu’il était à propos pour prévenir cet abus de mettre ci et là quelques notes marginales qui détournassent autant qu’il est possible les esprits faibles ou mal intentionnés, de tous les mauvais sens ou des mauvaises conséquences dont la plupart du monde n’est que trop susceptible. On aurait pu, il est vrai, multiplier ces sortes d’annotations à l’occasion de plusieurs endroits sur lesquels on n’a rien remarqué quoi qu’ils paraissent l’exiger pas moins que plusieurs autres qui pourtant ont leurs remarques : mais outre que l’on s’est avisé un peu trop tard de cet expédient, on ne saurait douter sans faire tort au Lecteur, que son bon sens et son équité ne lui fassent apercevoir et reconnaître de lui-même qu’une seule annotation peut et doit être d’usage à tous les endroits où reviennent les mêmes expressions, et qui regardent le même sujet.

45. Il y avait dans la première Édition de ce Traité qui n’en contenait que la première Partie, environ une vingtaine de fragments, munis de quantité de citations ou d’autorités des Auteurs les plus approuvés qui servaient à les justifier. On a remis, pour la même raison, toutes ces citations-là avec les mêmes passages, lesquels se trouveront ici (dans la seconde Partie) en leur place naturelle, où il sera facile de s’apercevoir, pour peu d’attention que l’on y veuille apporter, que leur situation et leur liaison avec ce qui les précède et avec ce qui suit, leur prêtent une force et une lumière qui les mettent à couvert de tous les mauvais sens dont quelques-uns ont voulu insinuer qu’ils étaient susceptibles ; mais qu’il paraît incontestablement qu’on ne peut leur donner qu’en les démembrant de leurs sujets pour les placer et appliquer ailleurs, et qu’en brouillant et confondant pêle-mêle tous les états spirituels, même ceux du péché et des âmes non encore converties, avec ceux des personnes en grâce ; et dans ceux-ci, toutes les espèces et tous les divers degrés des commençants, des avançants et de ceux qui approchent le plus de la perfection, et en rapportant et appliquant aux uns par la plus grande incongruité du monde, ce qui n’a été dit et qui ne doit s’entendre que des autres ; bévue qui règne également par tout dans certaine Ordornance (a) où les mêmes fragments ont été exposés et condamnés, sans qu’on se soit aperçu qu’il était fort facile, si on l’eût voulu

(a) A savoir de l’Évêque de Chartres que l’on peut voir dans l’Instruition sur les États d’Oraison de M. de Meaux vers la fin du Livre.

« 48) P R E FACE

d’envelopper dans la même condamnation, suivant cette méthode-là, tous les saints Auteurs Mistiques que l’on a cités à l’occasion de ces passages ; puis qu’en effet le contenu, je ne dis pas de ces petits extraits-là, mais de tout le Traité des Torrens, le procédé, les voies, les progrès et la fin, se trouvent en substance, dans les divins ouvrages de la Perfection chrétienne, de Ste Catherine de Gênes, de Ste Angèle, de Ste Térêse, de Taulere, de Jean de la Croix, de St. François de Sales, de Jean de S. Samson, et de tous les vrais et approuvés écrivains mystiques, entre lesquels je ne puis ne pas faire mention particulière du pieux et solide Auteur du Catéchisme spirituel et des Fondemens de la Vie Spirituelle, livres qui ont été publiés avec les Aprobations de M. Bossuet, devenu ensuite Évêque de Meaux. Cet Auteur si solide, que chacun sait être le R. P. Seurin, autrefois Directeur du pieux Prince de Conti (Auteur des Devoirs des Grands,) propose évidemment dans ses ouvrages, et plus d’une fois, avec sa facilité et sa simplicité ordinaire, toutes les mêmes choses que l’on voit dans les Opuscules de Mad. Guion touchant les voies de l’esprit, leurs degrés et leurs expériences : mais rien n’égale ce qu’il en a laissé par écrit dans le plus sublime et le plus long (a) de ses Cantiques Spirituels de l’Amour divin, qui est celui qui commence

(a) C’est le X. et il contient 75 couplets.

Quelqu’un hors de ma connaissance

S’est rendu Maître de mon cœur.

Rien ne saurait paraître si dur et si étrange ni pour les choses, ni pour les expressions, dans le Traité des Torrens, qu’on ne le trouve encore plus fortement exprimé dans cet admirable Cantique, si estimé néanmoins des connaisseurs solides, quoi que le saint Auteur y fasse entendre assez clairement qu’il s’était attendu sur ce sujet à la contradiction des esprits Scholastiques et disputeurs.


J’entends la Raison qui murmure,

Ne pouvant trouver à propos

Une loi qui fait que je dure

En un si pénible (a) repos.

On a recours à la doctrine

Qui la défend, et qui fulmine.


Je vois un Docteur qui s’avance,

Et d’un accent plein de terreur

M’avertit, me presse, me tance,

Disant que je suis en erreur.

Il se forme une nue épaisse

Qui voudrait me mettre en angoisse.


Malgré l’horreur de la tempête

L’Amour sera tout mon plaisir ;

Quand elle fondrait sur ma tête

Je ne changerai de désir :

Qu’on fasse bruit, que l’Enfer gronde,

Que tout abîme, et se confonde.


Je connais bien que cet orage

Viens de notre cœur aveuglé,

Qui ne voit l’excellent ouvrage

De l’Amour en tout bien réglé.

Pour n’en avoir l’expérience

Il n’en a pas l’intelligence.

(a) La mort ou la Sépulture spirituelle.



44. Outre ce qui a été dit de ce Traité des Torrens, pour en marquer l’usage et en faire voir l’excellence, il y a encore deux autres choses singulières qui en relèvent l’importance et le prix : l’une est, que cet ouvrage n’étant proprement qu’une perpétuelle effusion de cœur, et provenant d’une personne qui n’a point appris les choses spirituelles et mystiques par les voies de l’étude et de la lecture, on en doit envisager le contenu comme autant de choses de vive expérience, et même comme une espèce de narration de la vie intérieure de l’Auteur, comme une description historique des voies et des états par où Dieu l’a fait passer, et de la conduite qu’il a tenue sur elle. L’autre chose est, que l’on peut considérer, en quelque sorte, si je ne me trompe, ce même Traité de l’Auteur, comme son Sisteme sur les choses mystiques et intérieures, et comme une clef qui peut servir à l’intelligence de ses autres ouvrages. En effet, il n’est pas possible, que puisque ce Traité exprime les voies, les expériences et l’état foncier de l’Auteur, les mêmes expressions et les mêmes idées ne reviennent plusieurs fois, soit dans les explications qu’elle a faites sur la Ste Écriture, soit dans quelques autres de ses écrits, sans cependant que les mêmes choses y soient développées par tout, et représentées de source (comme ici) toutes les fois qu’il est venu à propos d’en faire mention, et toutes les fois que le lecteur a besoin de se les remettre dans l’esprit. Et c’est à quoi il pourra suppléer par une lecture attentive de ce Traité, dans lequel tout cela est expliqué à fond, et déduit fort particulièrement.

Au reste nous voulons bien avertir ici le Lecteur, que pour voir un Ouvrage qu’on peut véritablement mettre en parallèle avec celui des Torrens, et qui contribue autant à l’appuyer qu’à l’éclaircir, il doit lire l’admirable livret qui a pour titre, l’Abrégé de la Perfection chrétienne, qu’on a réimprimé en ces quartiers dans le recueil intitulé, la Théologie du Cœur. On y reconnaîtra en substance les mêmes vérités, qui pourtant sont plus détaillées et plus vivement représentées par des comparaisons dans celui-ci.

§. (4.)

45. Le quatrième Traité que l’on trouve dans ce Volume est celui de la Purification de l’âme après la mort, ou du Purgatoire. On se dispense de dire ici rien, de plus particulier sur ce petit Traité, puis que la propre Préface, et un Indice qui l’accompagne, en mettent brièvement devant les yeux du Lecteur la disposition et le contenu.

§. (5.)

46. Le cinquième Traité de notre Volume est celui que nous avons intitulé, Abrégé de la Voie et de la Réunion de l’âme à Dieu. On l’a divisé en deux Parties, en celle de la Voie, en celle de la Réunion. On y a fait quelques autres subdivisions, et de petits Sommaires de chaque article, pour en faire remarquer en gros la disposition et le contenu, qui est bien en substance le même sujet que celui des Torrens spirituels ; mais qui paraît pourtant ici comme un traité effectivement nouveau, comme il l’est en effet, puisque c’est une nouvelle effusion d’un cœur, qui sans regarder à ce qui avait déjà été écrit (si du moins cette pièce est postérieure à l’autre) ne fait que répandre incessamment de son fond les lumières. les expériences, les vérités qui lui sont les unes renouvelées plus vivement, les autres dilatées plus amplement, et quelques autres infuses pour la première sois, toujours avec un caractère vivant qui fait sentir que cela vient véritablement de source.

On se persuade que le Lecteur ne se fera point de peine sur l’énumération des degrés de la Voie spirituelle si peut-être il vient à remarquer que celle de l’Abrégé est différente de celle du Traité des Torrens. Il doit regarder, s’il lui plaît, à la substance des choses mêmes, si elle est solide et véritable ; et non pas à la manière de leur division et de leur arrangement. Il est très souvent arbitraire en de certains suiets, d’en faire des divisions en plus ou moins de parties, de ranger plusieurs de leurs parties sous une, ou d’en partager une pour en faire plusieurs. Dans l’Abrégé, le retour de l’âme à Dieu est compté pour un degré, et non dans les Torrens. Dans les Torrens on met pour un degré, et pour le dernier, l’entrée de l’âme en Dieu ; et l’Abrégé la compte pour terme, et non pas pour degré. Enfin le III. et le IV. des degrés de l’Abrégé, semblent être réduits en un seul (qui est le II.) dans le Traité des Torrens. Je pourrais alléguer quelques raisons de cette diversité ; mais cela serait superflu après l’avertissement que l’on vient de donner.

§. (6.)

47. Le sixiéme Traité de ces Opuscules, est la Régle des Associés à l’Enfance de JÉSUS. Et quoi que le titre porte d’avoir été tiré de l’Écriture et des Pères par les Réflexions de plusieurs personnes intérieures ; l’Avis pourtant que M. le Vicaire Général a mis au-devant, quantité de pensées qui s’y trouvent conformes « avec celles du Moien court, le style, l’Esprit, et le contenu de Ouvrage, font assez connaître qu’il est du même Auteur. Si bien que ces personnes intérieures, dont le titre et la dédicace font mention, en sont sans doute bien moins les auteurs que de simples exhortateurs à réduire cette Régle par écrit après en avoir peut-être suggéré la pensée. Comme l’imprimé de Lion n’était pas sans plusieurs fautes, on a eu soin de les corriger toutes dans cette édition et d’étendre un peu plus les Sommaires des Chapitres.

Tout ce qui a précédé regarde proprement, et directement les voies intérieures et la conduite des âmes avec Dieu ; mais cette Régle, aussi bien que les Traités suivants, en récapitulant ce qui est de plus essentiel dans les mêmes choses, s’étendent aussi sur la vie active, et sur les pratiques, même extérieures, non seulement touchant ce qui nous concerne nous-mêmes, mais aussi en ce qui regarde le prochain. On y propose l’exemple des exemples et pour l’intérieur et pour l’extérieur, tant pour les commençants, que pour tous autres, quels qu’ils puissent être ; c’est à savoir l’Enfance de l’adorable JÉSUS, Dieu Verbe fait chair pour se faire suivre par ceux qui ne veulent point marcher dans les ténèbres, mais avoir la lumière de Vie.

§. (7.)

48. Le septieme et dernier traité de Mad. Guion qui se trouve dans ce Recueil, est l’Instruction chrétienne pour les jeunes gens ; qui suit le même modèle, et nous représente les premiers éléments d’une vie commune, mais parfaitement chrétienne. Il est facile de s’apercevoir, que les fondements et les principes en sont absolument les mêmes que ceux de ces autres traités Et quoique celui-ci ait été inséré au second volume des Discours spirituels, à cause qu’on ne lui trouvait point alors d’autre place, on a cru pourtant ne le devoir pas omettre ici, où l’on a voulu ramasser tous les petits traités de notre Auteur, dont chacun ne pouvoir pas remplir un juste volume.

§. (8.)

49. Pour ce qui est de la Brève Instruction et des Maximes spirituelles, elles sont du P. la Combe dont pourtant le nom était supprimé tant sur la copie de l’Instruction, imprimée à Grenoble que sur celle des Maximes spirituelIes, qui ont paru pour la première fois dans notre édition précédente. On sait par la Vie de Mad. Guion qu’il y a eu grande liaison d’esprit et de sentiments entre elle et ce Père, qui était son Fils, son Père spirituel et son Directeur ; traité pour cet effet non moins rigoureusement qu’elle. Ainsi le Lecteur sera sans doute bien aise de trouver ici ces deux Traités, qu’on croit les seuls qu’il ait écrits en François. Car son Analise de l’Oraison mentale est seulement en Latin, ayant été imprimée à Amsterdam sous le dire de Sacra Orationis Theologia.

50. Le Seigneur veuille donner par sa Bonté et par sa Providence adresse et bénédiction aux divines et salutaires vérités de ces petits ouvrages, venus en substance de son bon Esprit ; afin que rencontrant de ces cœurs que l’Évangile appelle une bonne terre, ils y produisent par la grâce divine et germe et fruits à la gloire du Père, du Fils et du S. Esprit, seul et unique Vrai Dieu, de qui, par qui et pour qui nous sommes créés, rachetés et appelés à nous laisser renouveler et conduire par lui jusqu’à ce qu’il soit TOUT EN TOUS ; AMEN !

MOYEN COURT

Présentation

Ce bref manuel, qui enseigne à tous de façon accessible la pratique de l’oraison, fut écrit en Savoie-Piémont peu après les Torrents, dont il constitue en quelque sorte une simplification. Il fut imprimé à Grenoble en mars 1685, et rencontra un succès certain136 : les capucins en auraient pris quinze cents exemplaires et il pénétra chez les chartreuses, ce qui provoqua une mémorable intervention de leur Général, Dom Le Masson, qui jugea son autorité mise en cause. Les rééditions accompagnées d’approbations chaleureuses furent nombreuses, en particulier à Paris et à Rouen, les deux premières villes du royaume.

Mais le petit ouvrage, dénoncé en 1687 par l’évêque de Genève in partibus, dans sa Lettre pastorale contre le quiétisme rédigée à la suite de la condamnation de Molinos, fut mis à l’index en 1688. En 1690, Jean-Jacques Boileau137 à qui Nicole, puis Fénelon avaient adressé Mme Guyon à la fin de l’hiver, sollicita une Courte apologie (qui resta inédite jusqu’en 1712). Cela n’empêcha pas quelques années plus tard sa diffusion à Saint-Cyr, à l’époque où Mme de Maintenon semblait touchée par la grâce. Puis les autorités contestèrent les écrits de Mme Guyon : les exemplaires du Moyen court furent finalement recherchés et confisqués en 1693, lors de la visite canonique à Saint-Cyr de l’évêque de Chartres, Godet des Marais.

Les Ordonnances.

Finalement, l’affrontement entre les membres du cercle « quiétiste » animé par madame Guyon et les autorités civiles et religieuses devint public et fit l’objet d’Ordonnances successives : celles-ci forment la base canonique dont il faut partir pour déterminer la teneur des critiques de fond. Les principales Ordonnances se succèdent d’octobre 1694 à fin novembre 1695. Partir du corpus des textes épiscopaux permet de relever les principales objections dogmatiques. S’y adjoindra par la suite une immense littérature secondaire de controverses et de libelles, jusqu’au Bref romain de 1699. De cette confusion se détachent par leur valeur les figures de Bossuet et de Nicole d’une part, de Fénelon et de dom Claude Martin d’autre part.

Comme le Moyen court concentrait le feu des critiques, le déroulement des Ordonnances138 nous paraît mériter un exposé bref, mais précis des objections anti-quiétistes du magistère catholique139, en nous limitant au tout début d’une « querelle du quiétisme » rapidement confuse.

L’archevêque de Paris, Harlay, mécontent d’avoir été mis à l’écart des premières conversations d’Issy, prend les devants dès le 16 octobre 1694. Il censure trois livres : l’Analysis orationis Mentalis du P. Lacombe, le Moyen court et Le Cantique. Son texte est court. Il condamne « l’idée chimérique… de faire parvenir les âmes à la perfection… jusqu’à rendre ridiculement la contemplation commune à tout le monde même aux enfants de quatre ans », ce qui « donne atteinte à des vérités essentielles de la Religion… Par l’extinction de la liberté dans les contemplatifs, en qui elle ne reconnaît qu’un consentement passif aux mouvements que Dieu produit en eux… Par la persuasion illusoire qu’elle établit d’un affranchissement de toute règle et de tout moyen, de tout exercice de piété, etc. et d’un bonheur qu’elle suppose dans l’oubli des péchés… Par l’assurance imaginaire qu’elle insinue qu’on possède Dieu dès cette vie en lui-même et sans aucun milieu, qu’on l’y connaît sans espèces même intellectuelles… » Enfin il achève par ce qui apparaît comme le plus condamnable : « les auteurs y déclarent… une fécondité qui met par état dans la vie apostolique ». La censure publiée est « lue dans toutes les communautés » le dimanche 24 octobre.

Puis, à la suite des « entretiens d’Issy » et de la rédaction finale du compromis en 34 articles, contresigné le 16 avril 1695 par Mme Guyon (elle fait toutefois précéder sa signature d’une formule restrictive), Bossuet ouvre le feu, et publie son Ordonnance « sur les états d’oraison » : elle est datée du 16 avril et publiée le 1er mai. Il cite, à la fin d’une introduction combative, le Guide de Molinos, La pratique de Malaval, Le Moyen court, la Règle des associés à l’Enfant-Jésus, Le Cantique, l’Orationis. Après un rappel des condamnations romaines de 1687, il se réfère à la « judicieuse » ordonnance du 16 octobre où « plusieurs propositions… sont proscrites » par Harlay. Il résume clairement, mais sans nuances cinq « erreurs » quiétistes : « ils excluent de la haute contemplation l’humanité sainte de Notre Seigneur Jésus-Christ », ils avancent « une fausse générosité et une espèce de désintéressement » ; le « troisième moyen de connaître ces faux docteurs » est de relever leur suppression de « tous les actes » ; leur « quatrième marque » est de s’opposer à la mortification ; enfin il leur est reproché de ne « louer communément que les oraisons extraordinaires » ! Ce texte de combat est suivi de l’impression des 34 Articles sur les états d’oraison d’Issy, dont on pouvait attendre une édition irénique puisqu’il s’agissait d’un « accord » conclu entre les parties, plus particulièrement entre Bossuet et Fénelon.

En même temps, Noailles, l’évêque de Châlons qui participa aussi aux entretiens d’Issy et succédera bientôt à Harlay comme archevêque de Paris, publie chez l’imprimeur Seneuze à Châlons, en seize pages denses, son Ordonnance « Contre les erreurs du quiétisme, portant condamnation de quatre livres » : il s’agit de l’Analysis, du Moyen court, de la Règle des Associés, du Cantique. Noailles s’oppose aux conceptions quiétistes de l’indifférence, de l’abandon, du repos, de l’anéantissement ; il fait l’effort de les définir, puis reproduit les 34 Articles d’Issy. Datée du 12 avril, jour où madame Guyon subissait la visite tempétueuse de Bossuet au couvent de Meaux, l’Ordonnance aurait été publiée vers le 15 mai.

Jusqu’ici on a condamné, mais sans citations méthodiques ! L’évêque de Chartres Godet des Marais porte à cinq le nombre des ouvrages condamnés : l’Analysis, le Moyen court, la Règle des associés, Le Cantique, et surtout un manuscrit, Les Torrens, dont des exemplaires avaient été saisis par lui-même à Saint-Cyr au mois d’août. Il apporte une contribution nouvelle en publiant 63 extraits jugés condamnables140. Le grand intérêt de cette quatrième Ordonnance vient donc de la présence des extraits qui ont particulièrement soulevé l’opposition ecclésiastique. Ils sont réalisés selon l’habitude du temps, par collage de segments de texte, sans indiquer les coupures pratiquées (il s’agit parfois de larges sauts), rarement innocentes. Le manuscrit utilisé s’avère très proche de « G » sinon lui-même.

Les quatre Ordonnances portent donc sur huit textes : Guide, Pratique, Analysis, Moyen court, Règle des associés, Cantique, Torrents. Quatre auteurs sont concernés, tandis que quatre textes sont de la main de madame Guyon, et sont les seuls cités. Nous avons relevé en notes à nos éditions les 63 extraits jugés condamnables.

Un travail en profondeur permettant de mieux cerner les condamnations des évêques devrait tenir compte de l’analyse de nombreux écrits postérieurs, dont la masse croît exponentiellement avec le temps. S’en détachent deux écrits officiels provenant du nouvel archevêque de Paris : Noailles, qui a succédé à Harlay, douze jours après la mort subite de ce dernier le 6 août 1695, publie en effet, en 1697, contre les Maximes des Saints de Fénelon, l’Instruction pastorale sur la perfection chrétienne et sur la vie intérieure. Contre les illusions des faux mystiques141. Puis, en 1699, le même Noailles publie son Mandement reproduisant la condamnation par Innocent XII de 23 propositions extraites de l’Explication des Maximes.

Les sources et notre édition.

Le Moyen court a été publié en sept années différentes entre 1685 et 1720 :

(1) 1685, J. Petit, Grenoble, que nous citons « G ».

(2) 1686, A. Briasson, Lyon, « L » ; A. Warin, Paris.

(3) 1690, Paris et Rouen, « R ».

(4) 1699, Cologne [Amsterdam], par Poiret, « 1699 ».

(5) 1704, par Poiret, « 1704 ».

(6) 1712, par Poiret, « 1712 ».

(7) 1720, par Poiret, « 1720 », réédité à l’identique par Dutoit en 1790.

La première édition critique réalisée par M.-L. Gondal en 1995 (J. Millon, Grenoble), reprise à l’identique en 2001 (Mercure de France, Paris), donne le « premier jet » (1) 1685, ainsi que les variantes de « L » et de « R ».

Nous avons choisi de donner le « dernier état » (7) 1720. Nos variantes proviennent surtout de « G », car les éditions de Poiret reprennent probablement celle de Rouen (deuxième ville du Royaume dont le port est en relation avec la Hollande) et demeurent identiques entre elles (à la différence du cas complexe des Torrents).

Nous adjoignons au Moyen court des extraits de la Courte Apologie (que nous omettons par ailleurs) et surtout nous adjoignons au Moyen court puis aux Torrents les éclaircissements que Mme Guyon apporta à ces œuvres « de jeunesse » : rédigés en 1694, ils furent publiés dans les Justifications sous forme de notes attachées à des extraits des œuvres. Nous avons déjà évoqué la grande valeur spirituelle de ces précisions, ce qui justifie de les présenter ici avec un minimum de coupures, même au prix de quelques notes longues. Dans ce dernier cas, peu fréquent, nous en résumons brièvement l’objet en note et les reportons en appendices qui figurent en fin de l’œuvre concernée : séparées par dix années, les œuvres de jeunesse « dialoguent » avec les réflexions qu’elles suscitent dans la pleine maturité. La série des éclaircissements ne pourrait d’ailleurs pas être éditée séparément.

Nous ajoutons également les repérages et les variantes des soixante-trois passages relevés dans l’unique Ordonnance dont le rédacteur s’est donné la peine de citer avec méthode l’auteur incriminé. Ceci constitue un élément central appartenant au « dossier » du procès. Dans cette sélection, peut-être l’œuvre d’un clerc au service de Godet des Marais, les points de friction sont soulignés et des gauchissements sont perceptibles : ils constituent des résumés « orientés ».


Comme indiqué précédemment dans l’Avertissement commun aux œuvres, nous modernisons l’orthographe, la ponctuation, et reprenons le découpage des paragraphes.

Addition à la présentation

Une reprise de la présente édition devra tenir compte des variantes relevées par Jean Orcibal dans sa préface aux Opuscules que l’on trouvera au tome 13. Témoignages & Etudes.

MOYEN COURT ET TRÈS FACILE DE FAIRE ORAISON

Que tous peuvent pratiquer très aisément et arriver par là dans peu de temps à une haute perfection.

Ambula coram me, et esto perfectus. Marchez en ma présence et soyez parfait142. Gn, 17, 1.

Préface de l’auteur

Où elle expose l’occasion de cet écrit, son but, sa facilité, les dispositions qu’elle exige de ses lecteurs, et l’offre qu’elle en fait à Jésus-Christ.

On143 ne pensait point de donner au public ce petit ouvrage qu’on avait conçu dans une grande simplicité. Il avait été écrit pour quelques particuliers qui désiraient d’aimer Dieu de tout leur cœur. Mais comme quantité de personnes en demandaient des copies, à cause de l’utilité que la lecture de ce petit traité leur avait apportée, ils ont souhaité de le faire imprimer pour leur propre satisfaction, sans autre vue que celle-là.

On l’a laissé dans sa simplicité naturelle. On n’y condamne la conduite de personne. Au contraire, on estime celle que tous autres tiennent. On soumet même tout ce qu’il contient à la censure des personnes d’expérience et de doctrine. On prie seulement les uns et les autres de ne point s’arrêter à l’écorce, mais de pénétrer le dessein de la personne qui l’a fait, qui n’est autre que de porter tout le monde à aimer Dieu et à Le servir avec plus d’agrément et de succès, le pouvant faire d’une manière simple et aisée, propre aux petits qui ne sont pas capables des choses extraordinaires ni de celles qui sont étudiées, mais qui veulent bien tout de bon se donner à Dieu.

On prie ceux qui le liront de le lire sans prévention, et ils découvriront sous des expressions si communes une onction cachée, qui les portera à la recherche d’un bonheur qu’ils doivent tous espérer de posséder.

On se sert du mot de facilité, disant que la perfection est aisée, parce qu’il est facile de trouver Dieu, le cherchant au-dedans de nous.

On144 pourra alléguer ce passage : Vous me chercherez et vous ne me trouverez pas145. Cependant il ne doit point faire de difficulté, parce que le même Dieu, qui ne peut point se contrarier Lui-même, a dit : qui cherche trouve146. Celui qui cherche Dieu sans vouloir quitter le péché ne Le trouve point, parce qu’il Le cherche où Il n’est pas. C’est pourquoi il est ajouté : Vous mourrez dans votre péché. Mais celui qui veut bien se faire quelque peine pour Le chercher dans son cœur, en quittant sincèrement le péché pour s’approcher de Lui, Le trouvera infailliblement.

Quantité de personnes se sont figuré la dévotion si affreuse et l’oraison si extraordinaire qu’ils n’ont point voulu travailler à leur acquisition, désespérant d’en venir à bout. Mais comme la difficulté que l’on se fait d’une chose cause le désespoir d’y pouvoir réussir et ôte en même temps le désir de l’entreprendre, et que lorsqu’on se propose une chose comme avantageuse et qu’il est aisé d’obtenir, on s’y donne avec plaisir et on la poursuit avec hardiesse, c’est ce qui a obligé de faire voir et l’avantage et la facilité de cette voie.

Ô si nous étions persuadés de la bonté de Dieu pour ses pauvres créatures et du désir qu’Il a de se communiquer à elles, on ne se ferait pas des monstres et on ne désespérerait pas si facilement d’obtenir un bien qu’Il désire extrêmement de nous donner !

Et après qu’Il nous a donné son Fils unique et L’a livré Lui-même à la mort pour nous147, pourrait-Il nous refuser quelque chose ? Non assurément. Il ne faut qu’un peu de courage et de persévérance. On en a tant pour de petits intérêts temporels et on n’en a point pour l’unique nécessaire148.

Que ceux qui auront de la difficulté de croire qu’il est facile de trouver Dieu par cette voie n’en croient point ce qu’on leur dit, mais qu’ils en fassent l’expérience et qu’ils en jugent par eux-mêmes. Et ils verront qu’on leur en dit bien peu en comparaison de ce qui en est.

Très cher lecteur, lisez ce petit ouvrage avec un cœur simple et sincère, avec la petitesse de l’esprit, sans vouloir l’éplucher scrupuleusement. Et vous verrez que vous vous en trouverez bien. Recevez-le avec le même esprit que l’on vous le donne, qui n’est autre que de vous porter tout à Dieu sans réserve, qui n’est pas de le faire valoir ou estimer quelque chose, mais d’encourager les simples et les enfants d’aller à leur Père, qui aime leur humble confiance et auquel la défiance déplaît beaucoup. N’y cherchez rien que l’amour de Dieu et ayez le désir sincère de votre salut, et vous le trouverez assurément, suivant cette petite méthode sans méthode.

On ne prétend point élever son sentiment au-dessus de celui des autres, mais on dit sincèrement l’expérience que l’on a eue, tant par soi-même que par d’autres âmes, de l’avantage qu’il y a à se servir de cette manière simple et naïve pour aller à Dieu.

Si on n’y parle pas de quantité de choses que l’on estime, mais seulement du Moyen court et facile pour faire l’oraison, c’est que n’étant fait que pour cela, il ne peut point parler d’autre chose. Il est certain que149 si on le lit dans le même esprit qu’il a été écrit, on n’y trouvera rien qui choque l’esprit. On150 sera encore plus certain de la vérité qu’il renferme, si on veut bien en faire l’expérience.

C’est à vous, ô saint Enfant Jésus, qui aimez la simplicité et l’innocence, et qui faites vos délices d’être avec les enfants de hommes151, c’est-à-dire avec ceux d’entre les hommes qui veulent bien devenir enfants152, c’est à vous, dis-je, à donner le prix et la valeur à ce petit ouvrage, l’imprimant dans le cœur, et portant ceux qui le liront à vous chercher au-dedans d’eux, où vous reposerez comme dans une crèche où vous désirez recevoir les marques de leur amour et leur donner des témoignages du vôtre. Ils se privent de ces biens par leur faute. C’est votre ouvrage, ô Enfant-Dieu, ô Amour incréé, ô Parole muette et abrégée, de vous faire aimer, goûter et entendre. Vous le pouvez, et j’ose dire que vous le devez, par ce petit ouvrage qui est tout à vous et tout pour vous153*.

Chapitre I. Tous peuvent faire oraison. 154

1. Tous sont propres pour l’oraison et c’est un malheur effroyable que presque tout le monde se mette dans l’esprit de n’être pas appelé à l’oraison. Nous sommes tous appelés à l’oraison155*, comme nous sommes tous appelés au salut. L’oraison n’est autre chose que l’application du cœur à Dieu, et l’exercice intérieur de l’amour156*. Saint Paul nous ordonne de prier sans cesse157. Notre Seigneur dit : Je vous le dis à tous : veillez et priez158. Tous peuvent donc faire oraison et tous doivent la faire. Mais je conviens que tous ne peuvent pas méditer et très peu y sont propres. Aussi n’est-ce pas cette oraison que Dieu demande ni que l’on désire de vous159.

2. Mes très chers frères, qui160 que vous soyez, qui voulez vous sauver, venez tous faire oraison. Vous devez vivre d’oraison comme vous devez vivre d’amour. Je vous conseille d’acheter de moi de l’or éprouvé au feu, afin de vous enrichir161. Il vous est très aisé de l’avoir et plus [aisé]162 que vous ne sauriez163 vous l’imaginer.

Venez, vous tous qui avez soif, à ces eaux vives et ne vous amusez pas à creuser des citernes rompues qui ne peuvent tenir les eaux164. Venez, cœurs affamés qui ne trouvez rien qui vous contente, et vous serez pleinement remplis. Venez, pauvres affligés qui êtes accablés de peines et d’ennuis, et vous serez soulagés. Venez, malades, à votre médecin, et ne craignez pas de l’aborder parce que vous êtes accablés de maladies. Exposez-lui vos maux et vous en serez soulagés.

Venez, enfants, auprès de votre Père, Il vous recevra des bras de l’amour. Venez, pauvres brebis errantes et égarées, approchez de votre Pasteur. Venez, ignorants et stupides, vous êtes tous propres pour l’oraison, vous qui croyez en être incapables : c’est vous qui y êtes les plus propres. Venez tous sans exception, Jésus-Christ vous appelle tous. Que ceux qui sont sans cœur n’y viennent pas, ils en sont dispensés, car il faut un cœur pour aimer. Mais qui est sans cœur ? Ô, venez donner ce cœur à Dieu, et apprenez la manière de le faire.

3. Tous ceux qui veulent faire oraison le peuvent aisément avec le secours de la grâce ordinaire et des dons du Saint-Esprit, qui sont communs à tous les chrétiens.

L’oraison est la clef165 de la perfection et du bonheur souverain, c’est le moyen efficace de nous défaire de tous les vices et d’acquérir toutes les vertus. Car le grand moyen de devenir parfait est de marcher en la présence de Dieu. Il nous le dit Lui-même166 : Marchez en ma présence et soyez parfaits167. L’oraison peut seule vous donner cette présence et vous la donner continuellement.

4. Il faut donc vous apprendre à faire une oraison qui se puisse faire en tous temps, qui ne détourne point des occupations extérieures, que les princes, les rois, les prélats, les prêtres, les magistrats, les soldats, les enfants, les artisans, les laboureurs, les femmes et les malades, puissent faire168*.

Ce n’est pas une oraison de seule pensée parce que l’esprit169 de l’homme est si borné que, s’il pense à une chose, il ne peut penser à l’autre. Mais c’est l’oraison du cœur, qui n’est point interrompue par toutes les affaires170 de l’esprit.

Rien ne peut interrompre l’oraison du cœur que les affections déréglées. Et lorsqu’on a une fois goûté Dieu et la douceur de son amour, il est impossible de goûter autre chose que Lui.

5. Rien n’est plus aisé que d’avoir Dieu et de Le goûter. Il est plus en nous que nous-mêmes. Il a plus de désir de se donner à nous que nous de Le posséder. Il n’y a que la manière de Le chercher qui est si aisée et si naturelle que l’air que l’on respire ne l’est pas davantage.

Oui, vous qui êtes si grossiers, qui croyez n’être propres à rien, vous pouvez vivre d’oraison et de Dieu même aussi aisément et aussi continuellement que vous vivez de l’air que vous respirez. Ne serez-vous donc pas bien criminels si vous ne le faites pas ? Vous le ferez, sans doute, lorsque vous en aurez appris le chemin, qui est le plus aisé du monde.



Chapitre II. Manière de faire oraison171.

Il y a deux moyens pour introduire les âmes dans l’oraison, dont on peut et doit se servir pour quelque temps. L’un est la méditation, l’autre est la lecture méditée.

l. La lecture méditée n’est autre que de prendre quelques vérités fortes soit pour la spéculative, soit pour la pratique, préférant172 la dernière à la première, et [de] lire de cette sorte.

Vous prendrez votre vérité telle que vous la voudrez choisir et vous en lirez ensuite deux ou trois lignes pour les digérer et goûter, tâchant d’en prendre le suc et de vous tenir arrêté à l’endroit que vous lisez, tant que vous y trouvez du goût, et ne passant point outre que cet endroit ne vous soit rendu insipide. Après cela, il faut en reprendre autant et faire de même, ne lisant pas plus de demi-pages à la fois173.

Ce n’est pas la quantité de lecture qui profite que la manière de lire. Ces gens qui courent si fort ne profitent pas, non plus que les abeilles ne peuvent tirer le suc des fleurs qu’en s’y reposant et non en les parcourant174. Lire beaucoup est plus pour la science scolastique que pour la mystique. Mais pour profiter des livres spirituels, il faut lire de cette sorte. Et je suis sûre que si on faisait ainsi, on s’habituerait peu à peu par la lecture à l’oraison et on y serait très disposé.

2. L’autre [moyen] est la méditation qui se fait dans l’heure choisie pour cela et non dans le temps de la lecture. Je crois qu’il serait bon de s’y prendre de cette manière. Après s’être mis en la présence de Dieu par un acte de foi vive, il faut lire quelque chose de substantiel et s’arrêter doucement dessus, non avec raisonnement, mais seulement pour fixer l’esprit, observant que l’exercice principal doit être la présence de Dieu, et que le sujet doit être plutôt pour fixer l’esprit que pour l’exercer au raisonnement.

Cela supposé, je dis qu’il faut que la foi vive de Dieu présent dans le fond de nos cœurs nous porte à nous enfoncer fortement en nous-mêmes, recueillant tous les sens au-dedans, empêchant qu’ils ne se répandent au-dehors. Ce175 qui est un grand moyen, dès l’abord, de se défaire de quantités de distractions et de s’éloigner des objets du dehors, pour s’approcher de Dieu176 qui ne peut être trouvé177 que dans le fonds de nous-mêmes et dans notre centre qui est le Sancta sanctorum où Il habite.

Il promet même que si quelqu’un fait sa volonté, Il viendra à lui et fera sa demeure en lui178. Saint Augustin s’accuse lui-même du temps qu’il a perdu pour n’avoir pas d’abord cherché Dieu de cette manière.

3. Lors donc que l’on est ainsi enfoncé en soi-même et vivement pénétré de Dieu dans ce fonds, lorsque les sens sont tous ramassés et retirés de la circonférence au centre (ce qui donne un peu de peine au commencement, mais qui est aisé dans la suite, ainsi que je dirai), lors, dis-je, que179 l’âme est de cette sorte ramassée en elle-même, qu’elle s’occupe doucement et suavement de la vérité lue, non en raisonnant beaucoup dessus, mais en la savourant, excitant la volonté par l’affection plutôt que d’appliquer l’entendement par la considération, l’affection étant ainsi émue, il faut la laisser reposer180 doucement et en paix, avalant ce qu’elle a goûté. Comme une personne qui ne ferait que mâcher une excellente viande ne s’en nourrirait pas, quoiqu’elle en eût le goût, si elle ne cessait un peu ce mouvement pour l’avaler, il en est de même lorsque l’affection est émue : si on veut la mouvoir encore, on éteint son feu, et c’est ôter181 à l’âme sa nourriture. Il faut qu’elle avale, par un petit repos amoureux plein de respect et de confiance, ce qu’elle a mâché et goûté. Cette méthode est très nécessaire et avancerait plus l’âme en peu de temps que toute autre en plusieurs années182.

4. Mais, comme j’ai dit que l’exercice direct et principal doit être la vue de la présence de Dieu, ce que l’on doit aussi faire le plus fidèlement, c’est de rappeler ses sens lorsqu’ils se dissipent. C’est une manière courte et efficace de combattre les distractions. Parce que ceux qui veulent s’y opposer directement183 les irritent et les augmentent. Au lieu que, s’enfonçant par la vue de foi de Dieu présent et se recueillant simplement, on les combat indirectement et sans y penser, mais d’une manière très efficace.

J’avertis aussi ces commençants de ne point courir de vérités en vérités, de sujets en sujets, mais de se tenir sur le même tant qu’ils y trouvent du goût. C’est le moyen de pénétrer bientôt les vérités, de les goûter et se les imprimer.

Je dis qu’il est difficile au commencement de se recueillir, à cause de l’habitude que l’âme a prise d’être toute au-dehors. Mais lorsqu’elle s’y est un peu habituée par la violence qu’elle s’est faite, cela lui devient fort aisé, tant parce qu’elle en contracte l’habitude que parce que Dieu, qui ne demande qu’à se communiquer à sa créature, lui envoie des grâces abondantes et un goût expérimental de sa présence qui le lui rend très facile.

Chapitre III. Pour ceux qui ne savent pas lire. 184

1. Ceux qui ne savent pas lire, ne seront pas privés pour cela de l’oraison185. Jésus-Christ est le grand livre, écrit par dehors et par dedans, qui leur enseignera toutes choses.

Ils doivent pratiquer cette méthode. Premièrement, il faut qu’ils apprennent une vérité fondamentale, qui est que le Royaume de Dieu est au-dedans d’eux186, et que c’est là qu’il le faut chercher.

Les curés devraient apprendre à faire oraison à leurs paroissiens, comme ils leur apprennent le catéchisme. Ils leur apprennent la fin pour laquelle ils ont été créés et ils ne leur apprennent pas assez à187 jouir de leur fin. Qu’ils le leur apprennent de cette manière.

Il faut commencer par un acte profond d’adoration et d’anéantissement devant Dieu et là, tâchant de fermer les yeux du corps, ouvrir ceux de l’âme, puis la ramasser au-dedans, et s’occupant directement de la présence de Dieu par une foi vive que Dieu est en nous, sans laisser répandre les puissances et les sens au-dehors, les tenir le plus qu’il se peut captifs et assujettis.

2. Qu’ils disent donc ainsi leur Pater188 en français, comprenant un peu ce qu’ils disent, et pensant que Dieu qui est au-dedans d’eux189, veut bien être leur Père. En cet état, qu’ils lui demandent leurs besoins et, après avoir prononcé ce mot de Père, qu’ils demeurent quelque moment en silence avec beaucoup de respect, attendant que ce Père céleste leur fasse connaître ses volontés. D’autres fois, le chrétien se regardant comme un enfant tout sale et gâté de ses chutes, qui n’a point de force ni pour se soutenir ni pour se nettoyer, qu’il s’expose à son Père d’une manière humble et confuse, tantôt mêlant quelque mot d’amour et de douleur, puis demeurant en silence.

Ensuite, poursuivant le Pater, qu’il prie ce Roi de gloire de régner en lui, s’abandonnant à Lui-même afin qu’Il le fasse, et Lui cédant les droits qu’il a sur soi190.

Sentant une inclination à la paix et au silence, il ne faut pas poursuivre, mais demeurer ainsi tant que cet état dure. Après quoi, on continuera la seconde demande : Que votre volonté soit faite sur la terre comme au ciel. Sur laquelle ces humbles suppliants désireront191 que Dieu accomplisse en eux et par eux toutes ses volontés. Ils donneront à Dieu leur cœur et192 leur liberté, afin qu’Il en dispose à son gré193*. Puis, voyant que l’occupation de la volonté doit être d’aimer, ils désireront d’aimer et demanderont à Dieu son Amour. Mais cela se fera doucement, paisiblement. Et ainsi du reste du Pater, dont messieurs les curés peuvent les instruire.

Ils ne doivent point se surcharger d’une quantité excessive de Pater et d’Ave, ni d’autres prières vocales ; un seul Pater dit de la manière que je viens de dire, sera d’un très grand fruit194*.

3. D’autres fois195, ils se tiendront comme des brebis auprès de leur Pasteur et Lui demanderont leur véritable nourriture. O divin Pasteur, vous nourrissez de vous-même vos brebis, et vous êtes leur pain de chaque jour. Ils196 pourront aussi Lui représenter les besoins de leur famille, mais il faut que cela se fasse avec cette vue de foi directe et principale de Dieu en nous.

Ce n’est rien de Dieu que tout ce que l’on se figure. Une vive foi de sa présence suffit, car197 il ne se faut former nulle image de Dieu, quoique l’on puisse s’en former de Jésus-Christ, Le regardant comme crucifié, ou comme enfant, ou dans quelque autre état ou mystère, pourvu que l’âme Le cherche toujours dans198 son fonds.

D’autres fois, l’on Le regarde comme un Médecin et on Lui présente ses plaies afin qu’Il les guérisse. Mais toujours sans effort et avec un petit silence de temps en temps, afin que le silence soit mêlé d’action, augmentant peu à peu le silence et diminuant le discours, jusqu’à ce qu’enfin, à force de céder peu à peu à l’opération de Dieu199, Il gagne le dessus comme il sera dit dans la suite.

4. Lorsque la présence de Dieu est donnée et que l’âme commence à goûter peu à peu le silence et le repos, ce goût expérimental de la présence de Dieu l’introduit dans le second degré d’oraison que l’on obtient d’ordinaire en commençant200 comme il a été dit, et pour ceux qui savent lire et pour ceux qui ne le savent pas, quoique Dieu en gratifie dès le commencement quelques âmes privilégiées201.

Chapitre IV. Second degré d’oraison [oraison de simplicité]. 202

1. Le second degré est appelé par quelques-uns : contemplation, oraison de foi et de repos ; et d’autres lui donnent le nom d’oraison de simplicité203*. Et c’est de ce dernier terme dont il faut se servir ici, étant plus propre que celui de contemplation qui signifie une oraison plus avancée que celle dont je parle.

Lors204 donc que l’âme s’est exercée, comme il a été dit, durant quelque temps, elle sent que peu à peu la facilité de s’appliquer à Dieu205 lui est donnée. Elle commence à se recueillir plus aisément. L’oraison lui devient aisée, douce et agréable. Elle connaît que c’est le chemin pour trouver Dieu. Elle sent l’odeur de ses parfums206. Alors il faut qu’elle change de méthode, puis qu’elle fasse avec fidélité et courage ce que je vais dire, sans s’étonner de tout ce qu’on lui pourrait alléguer.

2. Premièrement, sitôt qu’elle se met en présence de Dieu avec foi et qu’elle se recueille, qu’elle demeure un peu de cette sorte dans un silence respectueux. Que si, dès le commencement, en faisant son acte de foi, elle se sent un petit goût de la présence de Dieu, qu’elle en demeure là, sans se mettre en peine d’aucun sujet207 ni de passer outre, et qu’elle garde ce qui lui est donné tant qu’il dure. S’il s’en va, qu’elle excite sa volonté par quelque affection tendre. Et si dès la première affection elle se trouve remise dans sa douce paix, qu’elle y demeure. Il faut souffler doucement le feu et, sitôt qu’il est allumé, cesser de le souffler, car qui voudrait encore souffler l’éteindrait.

3. Je demande surtout que208 l’on ne finisse jamais l’oraison sans que l’on demeure quelque temps sur la fin dans un silence respectueux.

Il est encore de grande conséquence que l’âme aille à l’oraison avec courage, qu’elle y porte un amour pur et sans intérêts. Qu’elle n’y aille jamais tant pour avoir quelque chose de Dieu, que pour Lui plaire et faire sa volonté. Car un serviteur qui ne sert son maître qu’à mesure qu’il le récompense, est indigne d’être récompensé.

Allez donc à l’oraison, non pour vouloir jouir de Dieu, mais pour y être comme Il veut. Cela fera que vous serez égal dans les sécheresses comme dans l’abondance et que vous ne vous étonnerez point des rebuts de Dieu ni des sécheresses.

Chapitre V. Des sécheresses. 209

1. Comme Dieu n’a point d’autre désir que de se donner à l’âme amoureuse qui Le veut chercher, Il se cache souvent pour réveiller sa paresse et l’obliger à Le chercher avec amour et fidélité. Mais avec quelle bonté récompense-t-Il la fidélité de sa bien-aimée et combien ses fuites apparentes sont-elles suivies de caresses amoureuses !

On croit alors que c’est une plus grande fidélité et que c’est marquer davantage son amour, que de Le chercher avec effort de tête, à force d’action, ou que cela Le fera bientôt revenir. Non, croyez-moi, chères âmes, ce n’est point la conduite de ce degré. Il faut qu’avec une patience amoureuse, un regard abaissé et humilié, une affection fréquente, mais paisible, un silence respectueux, vous attendiez le retour du Bien-aimé.

2. Vous Lui ferez voir par cette manière d’agir que c’est Lui seul que vous aimez et son bon plaisir, et non le plaisir que vous aurez à L’aimer. C’est pourquoi il est dit : Ne vous impatientez point dans les temps de sécheresse et d’obscurité. Souffrez les suspensions et les retardements des consolations de Dieu. Demeurez uni à Lui. Attendez-Le avec patience, afin que votre vie croisse et se renouvelle210.

Soyez patient dans l’oraison. Et quand vous n’en feriez point d’autre toute votre vie que d’attendre en patience dans un esprit humilié, abandonné, résigné et content, le retour du Bien-aimé, ô l’excellente oraison ! Vous pouvez l’entremêler de plaintes amoureuses. Ô que ce procédé charme le cœur de Dieu et L’oblige bien plus à revenir que nul autre211!

Chapitre VI. De l’abandon. 212

1. C’est ici que doit commencer l’abandon et la donation de tout soi-même à Dieu, par se213 convaincre fortement que tout ce qui nous arrive de moment en moment est ordre et volonté de Dieu et tout ce qu’il nous faut. Cette conviction nous rendra contents de tout et nous fera regarder en Dieu — et non du côté de la créature — tout ce qui nous arrive.

Je vous conjure, mes très chers frères, qui que vous soyez, qui voulez bien vous donner à Dieu, de ne vous point reprendre lorsque vous vous serez une fois donnés à Lui, et de penser qu’une chose donnée n’est plus en votre disposition.

2. L’abandon est ce qu’il y a de conséquence dans toute la voie, et c’est la clef de tout l’intérieur. Qui sait bien s’abandonner sera bientôt parfait. Il faut donc se tenir ferme à l’abandon sans écouter le raisonnement ni la réflexion. Une grande foi fait un grand abandon. Il faut s’en fier à Dieu, espérant contre toute espérance214.

3. L’abandon est un dépouillement de tout soin de nous-mêmes, pour nous laisser entièrement à la conduite de Dieu. Tous les chrétiens sont exhortés à s’abandonner. Car c’est à tous qu’il est dit : Ne soyez pas en souci pour le lendemain, car votre Père céleste sait tout ce qui vous est nécessaire215. Pensez à Lui dans toutes vos voies et Il conduira Lui-même vos pas216. Exposez vos œuvres au Seigneur et Il fera réussir vos pensées217. Remettez au Seigneur toute votre conduite et espérez en Lui, et Il agira Lui-même218.

L’abandon doit donc être, autant pour l’extérieur que pour l’intérieur, un délaissement total entre les mains de Dieu, s’oubliant beaucoup soi-même et ne pensant qu’à Dieu. Le cœur demeure par ce moyen toujours libre, content et dégagé.

4. Pour la pratique, elle doit être de perdre219 sans cesse toute volonté propre dans la volonté de Dieu, renoncer à toutes les inclinations particulières, quelques bonnes qu’elles paraissent, sitôt qu’on les sent naître, pour se220 mettre dans l’indifférence et ne vouloir que ce que Dieu a voulu dès son éternité. Être indifférent à toutes choses, soit pour le corps soit pour l’âme, pour les biens temporels et éternels. Laisser le passé dans l’oubli, l’avenir à la Providence, et donner221* le présent à Dieu. Nous contenter du moment actuel qui nous apporte avec soi l’ordre éternel de Dieu sur nous, et qui nous est une déclaration autant infaillible de la volonté de Dieu qu’elle est commune et inévitable pour tous222. Ne rien attribuer à la créature de ce qui arrive, mais regarder toutes choses en Dieu et les regarder comme venant infailliblement de sa main à la réserve de notre propre péché.

Laissez-vous donc conduire à Dieu comme il Lui plaira, soit pour l’intérieur, soit pour l’extérieur.

Chapitre VII. De la souffrance. 223

1. Soyez content de tout ce que Dieu vous fera souffrir. Si vous L’aimez purement, vous ne Le chercherez pas moins en cette vie sur le Calvaire que sur le Thabor224. Il faut L’aimer autant sur le Calvaire que sur le Thabor, puisque c’est le lieu où Il fait paraître le plus d’amour225.

Ne faites pas comme ces personnes qui se donnent dans un temps et se reprennent en un autre. Elles se donnent pour être caressées et se reprennent lorsqu’elles sont crucifiées, ou bien vont chercher dans la créature la consolation.

2. Non, vous ne trouverez point, chères âmes, de consolation que dans l’amour de la croix et dans l’abandon entier. Ô, qui n’a pas le goût de la croix n’a pas le goût de Dieu226 ! Il est impossible d’aimer Dieu sans aimer la croix, et un cœur qui a le goût de la croix trouve douces, plaisantes et agréables, les choses même les plus amères. Une âme affamée trouve douces les choses qui sont amères227, parce qu’elle se trouve autant affamée de la croix qu’elle est affamée de Dieu228. La croix donne Dieu et Dieu donne la croix. La marque de l’avancement intérieur est si l’on avance dans la croix. L’abandon229 et la croix vont de compagnie.

3. Sitôt que vous sentez quelque chose qui vous répugne et qui vous est proposé comme souffrance230*, abandonnez-vous à Dieu d’abord pour cette même chose et donnez-vous à Lui en sacrifice. Vous verrez que lorsque la croix viendra, elle ne sera plus si pesante parce que vous l’aurez bien voulue231. Ce qui n’empêche pas que l’on n’en sente le poids232. Quelques-uns s’imaginent que ce n’est pas souffrir que de sentir la croix. Sentir la souffrance est une des principales parties de la souffrance même. Jésus-Christ en a voulu souffrir toute la rigueur233.

Souvent on porte la croix avec faiblesse, d’autres fois avec force. Tout doit être égal dans la volonté de Dieu234.

Chapitre VIII. Des Mystères. 235*

l. On m’objectera que, par cette voie, on ne s’imprimera pas les mystères. C’est tout le contraire : ils sont donnés en réalité en l’âme. Jésus-Christ à qui l’on s’abandonne et que l’on suit236 comme voie, que l’on écoute comme vérité et qui nous anime comme vie s’imprimant Lui-même en l’âme, lui fait porter tous ses états. Porter les états de Jésus-Christ, c’est quelque chose de bien plus grand que de considérer seulement les états de Jésus-Christ. Saint Paul portait sur son corps les états de Jésus-Christ : Je porte, dit-il, sur mon corps, les marques de Jésus-Christ237, mais il ne dit pas qu’il raisonnait dessus.

2. Souvent Jésus-Christ donne dans cet état d’abandon des vues de ses états d’une manière bien particulière. Il faut238* les recevoir et se laisser appliquer à tout ce qui Lui plaira, recevant également toutes les dispositions où il Lui plaira de nous mettre, et n’en choisissant aucune par nous-mêmes que celle de demeurer auprès de Lui, de nous affectionner, de nous anéantir devant Lui, mais recevant également tout ce qu’Il nous donne : lumières ou ténèbres, facilité ou stérilité, force ou faiblesse, douceur ou amertume, tentation ou distraction. Peines, ennuis, incertitudes, rien de tout cela ne doit nous arrêter.

3. Il y a des personnes239 que Dieu applique durant des années entières à goûter un de ses mystères. La seule vue ou pensée de ce mystère les recueille au-dedans. Qu’elles y soient fidèles. Mais lorsque Dieu le leur ôte, qu’ils s’en laissent dépouiller.

D’autres se font de la peine de ne pouvoir penser à un mystère : c’est sans sujet, puisque l’attention amoureuse à Dieu renferme toute dévotion particulière, et que qui est uni à Dieu seul par son repos à Lui, est appliqué d’une manière plus excellente à tous les mystères. Qui240 aime Dieu aime tout ce qui est de Lui.

Chapitre IX. De la vertu. 241

1. C’est [là] le moyen court et assuré d’acquérir la vertu, parce que Dieu étant le principe de toute vertu, c’est posséder toute vertu que de posséder Dieu. Et plus on s’approche de cette possession, plus on a la vertu en degré éminent.

De plus, je dis que toute vertu qui n’est point donnée par le dedans est un masque de vertu, et comme un vêtement qui s’ôte et ne dure guère. Mais la vertu communiquée par le fonds est la vertu essentielle, véritable et permanente. La beauté de la fille du roi vient du dedans242. Et de toutes les âmes il n’y en a point qui la pratiquent plus fortement que celles-ci, quoiqu’elles ne pensent pas à la vertu en particulier. Dieu à qui elles se tiennent unies leu en fait pratiquer de toutes sortes243*. Il ne leur souffre rien, Il ne leur permet pas un petit plaisir.

2. Quelle faim ces âmes amoureuses n’ont-elles pas de la souffrance ? À combien d’austérités ne se livreraient-elles pas si on les laissait agir selon leurs désirs ? 244 Elles ne pensent qu’à ce qui peut plaire à leur Bien-aimé et elles commencent à se négliger elles-mêmes et à se moins aimer. Plus elles aiment leur Dieu, plus elles se haïssent et plus elles ont de dégoût des créatures.

3. Ô si on pouvait apprendre cette méthode, si facile qu’elle est propre pour tous, pour les plus grossiers et ignorants comme pour les plus doctes, combien aisément toute l’Église de Dieu serait-elle réformée !

Il ne faut qu’AIMER. Aimez et faites ce que vous voudrez (St. Augustin). Car lorsque l’on aime bien, on ne peut vouloir rien faire qui puisse déplaire au Bien-Aimé.

Chapitre X. De la mortification. 245

1. Je dis de plus qu’il est comme impossible d’arriver jamais à la parfaite mortification des sens et des passions par une autre voie. La raison toute naturelle est que c’est l’âme qui donne la force et la vigueur aux sens, comme ce sont les sens qui irritent et émeuvent les passions. Un mort n’a plus ni sentiment ni passion à cause de la séparation qui s’est faite de l’âme et des sens. Tout le travail qui se fait par le dehors porte toujours l’âme plus au-dehors dans les choses où elle s’applique plus fortement. C’est dans celles-là qu’elle se répand davantage. Étant appliquée directement à l’austérité et au-dehors246, elle est toute tournée de ce côté-là, de sorte qu’elle met les sens en vigueur, loin de les amortir.

Car les sens ne peuvent tirer de vigueur que de l’application de l’âme, qui leur communique d’autant plus de vie qu’elle est plus en eux. Cette vie des sens émeut et irrite la passion, loin de l’éteindre. Les austérités peuvent bien affaiblir le corps, mais jamais émousser entièrement la247 pointe des sens ni leur vigueur, par la raison que je viens de dire.

2. Une seule chose le peut faire, qui est que l’âme par le moyen du recueillement se tourne248 toute au-dedans d’elle pour s’occuper de Dieu qui y est présent249. Si elle tourne toute sa vigueur et sa force au-dedans d’elle, elle se sépare des sens par cette seule action, et, employant toute [sa] force et [sa] vigueur au-dedans, elle laisse les sens sans vigueur. Et plus elle s’avance et s’approche de Dieu, plus elle se sépare d’elle-même. C’est ce qui fait que les personnes en qui l’attrait de la grâce est fort, se trouvent toutes faibles au-dehors et tombent souvent dans la défaillance250.

3. Je n’entends pas par là qu’il ne faille pas se mortifier251*. La mortification doit toujours accompagner l’oraison selon les forces, l’état d’un chacun et l’obéissance. Mais je dis que l’on ne doit pas faire son exercice principal de la mortification ni se fixer à telles et telles austérités, mais suivant seulement l’attrait intérieur et s’occupant de la présence de Dieu, sans penser en particulier à la mortification. Dieu en fait faire de toutes sortes, et il ne donne point de relâche aux âmes qui sont fidèles à s’abandonner à Lui, qu’Il n’ait mortifié en elles tout ce qu’il y a à mortifier. Il faut donc seulement252 se tenir attentif à Dieu et tout se fait avec beaucoup de perfection. Tous ne sont pas capables des austérités extérieures253*, mais tous sont capables de ceci.

Il y a deux sens que l’on ne peut excéder à mortifier : la vue et l’ouïe. Parce que ce sont ceux-là qui forment toutes les espèces. Dieu le fait faire, il n’y a qu’à suivre son Esprit.

4. L’âme, par cette conduite, a un double avantage qui est qu’à mesure qu’elle se tire du dehors, elle s’approche toujours plus de Dieu. Et, en s’approchant de Dieu, outre qu’il lui est communiqué une force et une vertu secrète qui la soutient et la préserve, c’est qu’elle s’éloigne d’autant plus du péché qu’elle s’approche plus près de Dieu, et elle est alors dans une conversion habituelle.

Chapitre XI. De la conversion. 254

1. Convertissez-vous dans le fond du cœur, selon que vous vous étiez éloignés de Lui255. La conversion n’est autre chose que de se détourner de la créature pour retourner à Dieu. La conversion n’est pas parfaite (quoiqu’elle soit bonne et nécessaire pour le salut), lorsqu’elle se fait seulement256 du péché à la grâce. Pour être entière, elle doit se faire du dehors au-dedans.

L’âme étant tournée du côté de Dieu, elle a une facilité très grande à demeurer convertie à Dieu. Plus elle reste convertie, plus elle s’approche de Dieu et s’y attache. Et plus elle s’approche de Dieu, plus elle s’éloigne nécessairement de la créature, qui est opposée à Dieu. Si bien qu’elle se fortifie si fort dans sa conversion qu’elle lui devient habituelle et comme toute257 naturelle.

Or il faut savoir que cela ne se fait pas par un exercice violent de la créature. Le seul exercice qu’elle peut et doit faire avec la grâce, c’est de se faire effort pour se tourner et ramasser au-dedans. Après quoi, il n’y a plus rien à faire que de demeurer tourné du côté de Dieu dans une adhérence continuelle.

2. Dieu a une vertu attirante qui presse toujours258 plus fortement l’âme d’aller à Lui, et, en l’attirant, Il la purifie. Comme l’on voit le soleil attirer à soi une vapeur grossière, et peu à peu, sans autre effort de la part de cette vapeur que de se laisser tirer, le soleil, en l’approchant de soi, la subtilise et la purifie.

Il y a cependant cette différence que cette vapeur n’est pas tirée librement, et ne suit pas volontairement, comme fait l’âme259*. Cette manière de se tourner au-dedans est très aisée et avance l’âme sans effort et tout naturellement, parce que Dieu est notre centre. Le centre a toujours une vertu attirante260 très forte. Et plus le centre est éminent et spirituel, plus son attrait est violent et impétueux, sans pouvoir être arrêté.

3. Outre la vertu attirante261 du centre, il est donné à toutes les créatures une pente forte de réunion à leur centre, en sorte que les plus spirituels et parfaits ont cette pente plus forte. Sitôt qu’une chose est tournée du côté de son centre, à moins qu’elle ne soit arrêtée par quelque obstacle invincible, elle s’y précipite avec une extrême vitesse262. Une pierre en l’air n’est pas plutôt détachée et tournée vers la terre qu’elle y tend par son propre poids comme à son centre. Il en est de même de l’eau et du feu qui, n’étant point arrêtés, courent incessamment à leur centre263*.

Or je dis que l’âme, par l’effort qu’elle s’est fait pour se recueillir au-dedans, étant tournée en pente centrale, sans autre effort que le poids de l’amour, tombe peu à peu dans le centre. Et plus elle demeure paisible et tranquille, sans se mouvoir264* elle-même, plus elle avance avec vitesse parce qu’elle donne plus de lieu à cette vertu attractive et centrale de l’attirer fortement.

4. Tout le soin, donc, que nous devons avoir, c’est de nous recueillir au-dedans le plus qu’il nous sera possible, ne nous étonnant point de la peine que nous pouvons avoir à cet exercice, qui sera bientôt récompensé d’un concours admirable de la part de Dieu, qui le rendra très aisé, pourvu que nous soyons fidèles à ramener notre cœur doucement et suavement, par un petit retour doux et tranquille, et par des affections tendres et paisibles, lorsqu’Il s’éloigne par des distractions et par des occupations. Lorsque les passions s’élèvent, un petit retour au-dedans du côté de Dieu qui est présent, les amortit avec beaucoup de facilité. Tout autre combat les irrite plutôt que de les apaiser265.

Chapitre XII. De l’oraison de simple présence de Dieu. 266

1. L’âme fidèle à s’exercer, comme il a été dit, dans l’affection et dans l’amour de son Dieu, est toute étonnée qu’elle sente peu à peu qu’Il s’empare entièrement d’elle. Sa présence lui devient si aisée qu’elle ne pourrait pas ne la point avoir. Elle lui est donnée par habitude267 aussi bien que l’oraison. L’âme ressent que le calme s’empare peu à peu d’elle-même. Le silence fait toute son oraison. Et Dieu lui donne un amour infus qui est le commencement d’un bonheur ineffable. O. s’il m’était permis de poursuivre les degrés infinis268 qui suivent ! Mais il faut s’arrêter ici puisque je n’écris que269 pour les commençants, en attendant que Dieu mette au jour ce qui pourra servir pour tous les états.

2. Il se faut contenter de dire que c’est alors qu’il est de grande conséquence de faire cesser l’action et l’opération propre, pour270 laisser agir Dieu. Tenez-vous en repos et reconnaissez que je suis Dieu, nous dit-Il Lui-même271 par David.

Mais la créature est si amoureuse de ce qu’elle fait, qu’elle croit ne rien faire si elle ne sent, connaît et distingue son opération. Elle ne voit pas que c’est la vitesse de sa course qui l’empêche de voir ses démarches, et que l’opération de Dieu devenant plus abondante, absorbe celle de la créature, comme l’on voit que le soleil, à mesure qu’il s’élève, absorbe peu à peu toute la lumière des étoiles, qui se distinguaient très bien avant qu’il parût : ce n’est point le défaut de lumière qui fait que l’on ne distingue plus les étoiles, mais l’excès de lumière. Il en est de même ici. La créature ne distingue plus son opération, parce qu’une lumière forte et générale absorbe toutes ses petites lumières distinctes et les fait entièrement défaillir, à cause que son excès les surpasse toutes.

3. De sorte que ceux qui accusent cette oraison d’oisiveté se trompent beaucoup. Et c’est faute d’expérience qu’ils le disent de la sorte. O. s’ils voulaient un peu travailler à en faire l’essai ! Dans peu de temps ils seraient expérimentés et savants en cette matière.

Je dis donc que cette défaillance d’opérer ne vient point de disette, mais d’abondance, comme la272 personne qui en fera l’expérience le distinguera bien273*. Elle connaîtra que ce n’est pas un silence infructueux causé par la disette, mais un silence plein et onctueux, causé par l’abondance. David l’avait éprouvé lorsqu’il disait : Mon âme demeurera certainement en silence devant Dieu (Ps. 62, 1).

4. Deux sortes de personnes se taisent : l’une pour n’avoir rien à dire, et l’autre pour en avoir trop. Il en est de même en ce degré, on se tait par excès et non par défaut.

L’eau cause la mort à deux personnes bien différemment : l’une se meurt de soif, l’autre se noie. L’une meurt par disette, et l’autre par l’abondance. C’est ici l’abondance qui fait cesser les opérations. Il est donc bien de conséquence, en ce degré, de demeurer le plus en silence que l’on peut.

Un274 petit enfant attaché à la mamelle de sa nourrice nous le montre sensiblement. Il commence à remuer ses petites lèvres pour faire venir le lait. Mais lorsque le lait vient avec abondance, il se contente de l’avaler sans faire nul mouvement. S’il en faisait, il se nuirait et ferait répandre le lait, et il serait obligé de quitter.

Il faut de même au commencement de l’oraison remuer d’abord275 les lèvres de l’affection. Mais lorsque le lait de la grâce coule, il n’y a rien à faire qu’à demeurer en repos, avalant doucement. Et lorsque le lait cesse de venir, remuer un peu l’affection, comme l’enfant fait [de] la lèvre. Qui ferait autrement ne pourrait profiter de cette grâce, qui se donne ici pour attirer au repos de l’amour, et non pour exciter au mouvement de la propre multiplicité.276*.

5. Qu’arrive-t-il277 à cet enfant qui avale doucement le lait en paix sans se mouvoir ? Qui pourrait croire qu’il se nourrit de la sorte ? Cependant, plus il tète en paix, plus le lait lui profite. Que lui arrive-t-il, dis-je, à cet enfant ? C’est qu’il s’endort sur le sein de sa mère. Cette âme paisible à l’oraison s’endort souvent du sommeil mystique où toutes les puissances se taisent jusqu’à ce qu’elles entrent par état dans ce qui leur est donné passagèrement. Vous voyez que l’âme est conduite ici tout naturellement sans gêne, sans effort, sans étude, sans artifice.

L’intérieur n’est pas une place forte qui se prenne par le canon et par la violence : c’est un royaume de paix, qui se possède par l’amour278. Ainsi, suivant tout doucement ce petit train pris de cette manière, l’on arrivera bientôt à l’oraison infuse. Dieu ne demande rien d’extraordinaire ni de trop difficile. Au contraire, un procédé tout simple et enfantin lui plaît extrêmement.

6. Tout ce qu’il y a de plus grand dans la religion est ce qu’il y a de plus aisé. Les sacrements les plus nécessaires sont les plus faciles. De même dans les choses naturelles : voulez-vous aller à la mer ? Embarquez-vous sur une rivière et, insensiblement et sans effort, vous y arriverez. Voulez-vous aller à Dieu ? Prenez cette voie si douce, si aisée, et en peu de temps vous y arriverez d’une manière qui vous surprendra.

O. si vous vouliez bien en faire l’essai ! Que vous verriez bientôt que l’on vous en dit trop peu, et que l’expérience que vous en feriez irait bien au-delà de ce que l’on en marque ! Que craignez-vous ? Que ne vous jetez-vous promptement entre les bras de l’Amour, qui ne les a étendus sur la croix que pour vous recevoir ! Quel risque peut-il y avoir à s’en fier à Dieu et s’abandonner à Lui ? Ha, Il279 ne vous trompera pas, si ce n’est d’une agréable manière, vous donnant beaucoup plus que vous n’attendiez. Au lieu que ceux qui attendent tout d’eux-mêmes pourraient bien entendre ce reproche que Dieu fait par la bouche d’Isaïe : Vous vous êtes fatigués dans la multiplicité de vos voies et vous n’avez jamais dit : demeurons en repos280.

Chapitre XIII. Du repos devant Dieu. 281

1. L’âme étant arrivée ici n’a plus besoin d’autre préparation que son repos. Car c’est ici que la présence de Dieu durant le jour, qui est le grand fruit de l’oraison, ou plutôt la continuation de l’oraison même, commence282 d’être infuse et presque continuelle283. L’âme jouit dans son fond d’un bonheur inestimable. Elle trouve que Dieu est plus en elle qu’elle-même. Elle n’a qu’une seule chose à faire pour Le trouver, qui est de s’enfoncer en elle-même. Sitôt qu’elle ferme les yeux, elle se trouve prise et mise en oraison284. Elle est étonnée d’un si grand bien, et il se fait au-dedans d’elle une conversation que l’extérieur n’interrompt point.

2. On peut dire de cette manière d’oraison ce qui est dit de la Sagesse, que tous biens sont venus avec elle285. Car les vertus coulent agréablement en cette âme qui les pratique d’une manière si aisée qu’elles semblent lui être naturelles. Elle a un germe de vie et de fécondité qui lui donne de la facilité pour286 tout ce qui est bon, et de 1'insensibilité pour tout ce qui est mauvais.

3. Qu’elle demeure donc fidèle en cet état, et qu’elle se donne bien de garde de chercher d’autre disposition, quelle qu’elle soit, que son simple repos, soit pour la confession ou communion, action ou oraison287. Il n’y a rien à faire qu’à se laisser remplir de cette effusion divine.

Je n’entends pas parler des préparations nécessaires pour les sacrements, mais de la plus parfaite disposition intérieure dans laquelle on puisse les recevoir, qui est celle que je viens de dire288.

Chapitre XIV. Du silence intérieur. 289

1. Le Seigneur est dans son saint Temple, que toute la terre demeure en silence devant Lui290. La raison pour laquelle le silence intérieur est si nécessaire291*, c’est que le Verbe étant la parole éternelle et essentielle, il faut, pour qu’Il soit reçu dans l’âme, une disposition qui ait quelque rapport à ce qu’Il est.

Or, il est certain que pour recevoir la parole, il faut prêter l’oreille et écouter. L’ouïe est le sens qui est fait pour recevoir la parole qui lui est communiquée. L’ouïe est un sens plus passif qu’actif, qui292 reçoit et ne communique pas. Le Verbe étant la parole qui doit se communiquer à l’âme et la revivifier, il faut qu’elle soit attentive à ce même Verbe, qui veut lui parler au-dedans d’elle.

2. C’est293 pourquoi il y a tant d’endroits qui nous exhortent d’écouter Dieu et de nous rendre attentifs à sa voix. On en pourrait marquer beaucoup. Il faut se contenter de rapporter ceux-ci :

Écoutez-moi, vous tous qui êtes mon peuple. Nation que J’ai choisie, entendez ma voix294. Écoutez-moi, vous tous que Je porte dans mon sein et que Je renferme en mes entrailles295. Écoutez, ma fille, voyez et prêtez l’oreille : oubliez la maison de votre Père, et le Roi concevra de l’amour pour votre beauté296.

Il faut écouter Dieu et se rendre attentif à Lui, s’oublier soi-même et tout propre intérêt297. Ces deux seules actions (ou plutôt passions, car cela est fort passif)298 attirent l’amour de la beauté que Lui-même communique.

3. Le silence299 extérieur est très nécessaire pour cultiver le silence intérieur, et il est impossible de devenir intérieur sans aimer le silence et la retraite. Dieu nous le dit par la bouche de son Prophète : Je la mènerai dans la solitude, et là Je parlerai à son cœur300.

Le moyen d’être occupé de Dieu intérieurement et de s’occuper extérieurement de mille bagatelles ? Cela est impossible. Lorsque la faiblesse vous a porté à vous répandre au-dehors, il faut faire un petit retour au-dedans, auquel il faut être fidèle toutes les fois que l’on est distrait et dissipé. Ce serait peu de faire oraison et de se recueillir durant une demi-heure ou une heure, si l’on ne conservait pas l’onction et l’esprit d’oraison301 durant le jour.

Chapitre XV. De la confession et de l’examen de conscience. 302

1. L’examen doit toujours précéder la confession, mais l’examen doit être conforme à l’état de l’âme. Celles qui sont ici doivent s’exposer devant Dieu, qui ne manquera pas de les éclairer et de leur faire connaître la nature de leurs fautes. Il faut que cet examen se fasse avec paix et tranquillité, attendant plus de Dieu que de notre propre recherche la connaissance de nos péchés.

Lorsque303 nous nous examinons avec effort, nous nous méprenons aisément. Nous croyons le bien mal et le mal bien304. Et l’amour-propre nous trompe facilement. Mais lorsque nous demeurons exposés aux yeux de Dieu, c’est un soleil qui fait voir jusques aux moindres atomes. Il faut donc se délaisser et s’abandonner beaucoup à Dieu, tant pour l’examen que pour la confession.

2. Sitôt que l’on est dans cette manière d’oraison, Dieu ne manque pas de reprendre l’âme de toutes les fautes qu’elle fait. Elle n’a pas plutôt commis un défaut qu’elle sent un brûlement qui le lui reproche. C’est alors305 un examen que Dieu fait, qui ne laisse rien échapper. Et l’âme n’a qu’à se tourner simplement vers Dieu, souffrant la peine et la correction qu’Il lui fait.

Comme cet examen de la part de Dieu est continuel, l’âme ne peut plus s’examiner elle-même. Et si elle est fidèle à s’abandonner à Dieu, elle sera bien mieux examinée par sa lumière qu’elle ne le pourrait faire par tous ses soins. Et l’expérience le lui fera bien connaître.

3. Pour la confession, il est nécessaire d’être averti d’une chose, qui est que les personnes qui marchent dans cette voie seront souvent étonnées que, lorsqu’elles s’approchent du confessionnal et qu’elles commencent à dire leurs péchés, au lieu du regret et d’un acte de contrition qu’elles avaient accoutumé de faire, un amour doux et tranquille s’empare de leur cœur.

Ceux306 qui ne sont pas instruits veulent se tirer de là pour former un acte de contrition, parce qu’ils ont ouï dire que cela est nécessaire, et il est vrai. Mais ils ne voient pas qu’ils perdent la véritable contrition qui est cet amour infus, infiniment plus grand que ce qu’ils pourraient faire par eux-mêmes. Ils ont un acte éminent qui comprend les autres, avec plus de perfection, quoiqu’ils n’aient pas ceux-ci comme distincts et multipliés. Qu’ils ne se mettent307 pas en peine de faire autre chose, lorsque Dieu agit plus excellemment en eux et avec eux. C’est308 haïr le péché comme Dieu le hait que de le haïr de cette sorte. C’est l’amour le plus pur que celui que Dieu opère en l’âme. Qu’elle ne s’empresse donc pas d’agir, mais qu’elle demeure telle qu’elle est, suivant le conseil du Sage : Mettez votre confiance en Dieu, demeurez en repos dans la place où Il vous a mis309.

4. Elle s’étonnera aussi qu’elle oubliera ses défauts et qu’elle aura peine à s’en souvenir310*. Il ne faut point qu’elle s’en fasse de peine, pour deux raisons : la première parce que cet oubli est une marque de la purification de la faute et que c’est le meilleur en ce degré d’oublier tout ce qui nous concerne, pour ne nous souvenir que de Dieu. La seconde raison est que Dieu ne manque point, lorsqu’il faut se confesser, de faire voir à l’âme ses plus grandes fautes : car alors Il fait311 Lui-même son examen, et elle verra qu’elle en viendra mieux à bout de cette sorte que par tous ses propres efforts.

5. Ceci ne peut être pour les degrés précédents, où l’âme, étant encore dans l’action, se peut et doit servir de son industrie pour toutes choses, plus ou moins, selon son avancement. Pour les âmes de ce degré, qu’elles s’en tiennent à ce qu’on leur dit et qu’elles ne changent point leurs simples occupations.

Il en est de même pour la communion. Qu’elles laissent agir Dieu et qu’elles demeurent en silence. Dieu ne peut être mieux reçu que par un Dieu312.



Chapitre XVI. De la lecture et des prières vocales. 313

1. La manière de lire en ce degré est que, dès que l’on sent un petit recueillement, il faut cesser et demeurer en repos, lisant peu et ne continuant pas, sitôt que l’on se sent attiré au-dedans.

2. L’âme n’est pas plutôt appelée au silence intérieur qu’elle ne doit pas se charger de prières vocales, mais en dire peu ; et lorsqu’elle les dit, si elle y trouve quelque difficulté, et qu’elle se sente attirée au silence, qu’elle demeure et qu’elle ne se fasse point d’effort, à moins que les prières ne fussent d’obligation : en ce cas, il faut les poursuivre.

Mais si elles ne le sont pas, qu’elle les laisse, sitôt qu’elle se sent attirée et qu’elle a peine à les dire : qu’elle ne se gêne et ne se lie point, mais qu’elle se laisse conduire à l’Esprit de Dieu, et elle satisfera alors à toutes les dévotions d’une manière très éminente.

Chapitre XVII. Des demandes. 314

1. L’âme se trouvera dans un état d’impuissance de faire des demandes à Dieu, qu’elle315 faisait autrefois avec facilité. Cela ne la doit point surprendre, car c’est alors que l’Esprit demande pour les saints ce qui est bon, ce qui est parfait, ce qui est conforme à la volonté de Dieu. L’Esprit nous aide même dans nos faiblesses, parce que nous ne savons pas ce qu’il faut demander ni le demander comme il faut. Mais l’Esprit même le demande pour nous avec des gémissements ineffables316

Je dis plus : qu’il faut seconder les desseins de Dieu, qui sont de dépouiller l’âme de ses propres opérations pour substituer les siennes en leur place.

2. Laissez-Le donc faire. Et ne vous liez à rien par vous-mêmes. Quelque bon qu’il vous paraisse, il n’est pas tel alors pour vous, s’il vous détourne de ce que Dieu veut de vous. Or la volonté de Dieu est préférable à tout autre bien. Défaites-vous de vos intérêts et vivez d’abandon et de foi. C’est ici que la foi commence d’opérer en l’âme excellemment.

Chapitre XVIII. Des défauts. 317

1. Sitôt que l’on est tombé en quelque défaut ou que l’on s’est égaré, il faut se tourner au-dedans, parce que, cette faute ayant détourné de Dieu, on doit au plus tôt se tourner vers Lui et souffrir la pénitence qu’Il impose Lui-même.

Il est de grande conséquence de ne se point inquiéter pour les défauts, parce que l’inquiétude ne vient que d’un orgueil secret et d’un amour de notre excellence. Nous avons peine à sentir ce que nous sommes.

2. Si318 nous nous décourageons, nous nous affaiblissons davantage. Et la réflexion que nous faisons sur nos fautes produit un chagrin qui est pire que la faute même.

Une âme véritablement humble ne s’étonne point de ses faiblesses. Et plus elle se voit misérable, plus elle s’abandonne à Dieu et tâche de se tenir auprès de Lui, voyant le besoin qu’elle a de son secours. Nous devons d’autant plus tenir cette conduite que Dieu nous dit Lui-même : Je vous ferai entendre ce que vous devez faire. Je vous enseignerai le chemin par lequel vous devez marcher et j’aurai sans cesse l’œil sur vous pour vous conduire319

Chapitre XIX. Des distractions et tentations. 320

1. Dans les distractions ou tentations, au lieu de les combattre directement (ce qui ne ferait que les augmenter, et tirer l’âme de son adhérence à Dieu, qui doit faire toute son occupation), on doit en détourner simplement sa vue et s’approcher de plus en plus de Dieu. Comme un petit enfant qui, voyant un monstre, ne s’amuse pas à le combattre ni même à le regarder, mais s’enfonce doucement dans le sein de sa mère, où il se trouve en assurance. Dieu est au milieu d’elle, elle ne sera point ébranlée, Il la secourra dès le point du jour321.

2. Faisant autrement, comme nous sommes faibles, pensant attaquer nos ennemis, nous nous trouvons souvent blessés, si nous ne nous trouvons pas entièrement défaits. Mais demeurant dans la simple présence de Dieu, nous nous trouvons tout à coup fortifiés.

C’était la conduite de David : j’ai (dit-il) le Seigneur toujours présent devant moi, et je ne serai point ébranlé : c’est pour cela que mon cœur est dans la joie, et que ma chair reposera même en assurance322. Il est dit dans l’Exode : Le Seigneur combattra pour vous, et vous vous tiendrez en repos323.

Chapitre XX. De la prière. 324

1. La prière doit être et oraison et sacrifice. L’oraison, selon le témoignage de saint Jean, est un encens dont la fumée monte à Dieu. C’est pourquoi il est dit dans l’Apocalypse que l’Ange tenait un encensoir, où était le parfum des prières des saints325.

La prière est une effusion du cœur en la présence de Dieu. J’ai répandu mon cœur en la présence du Seigneur, disait la mère de Samuel326. C’est pourquoi la prière des Rois Mages dans l’étable fut signifiée par l’encens qu’ils offrirent.

2. La prière n’est autre chose qu’une chaleur d’amour qui fond et dissout l’âme, la subtilise et la fait monter jusqu’à Dieu. À mesure qu’elle se fond, elle rend son odeur, et cette odeur vient de la charité qui la brûle.

C’est ce que l’Épouse exprimait quand elle disait : Lorsque mon Bien-aimé était dans sa couche, mon nard a donné son odeur327. La couche est le fond de l’âme. Lorsque Dieu est là, et que l’on sait demeurer auprès de Lui et se tenir en sa présence, cette présence de Dieu fond et dissout peu à peu la dureté de cette âme et, en se fondant, elle rend son odeur. C’est pourquoi l’Époux, voyant que son épouse s’était fondue de la sorte sitôt que son Bien-aimé eut parlé, lui dit : Qui est celle qui monte du désert comme une petite fumée de parfum ? 328.

3. Cette âme monte de la sorte à son Dieu. Mais pour cela, il faut qu’elle se laisse détruire et anéantir par la force de l’amour. C’est un état de sacrifice essentiel à la religion chrétienne, par lequel l’âme se laisse détruire et anéantir pour rendre hommage à la souveraineté de Dieu, comme il est écrit : Il n’y a que Dieu seul de grand, et Il n’est honoré que par des humbles329. Et la destruction de notre être confesse le souverain Être de Dieu.

Il faut330 cesser d’être, afin que l’Esprit du Verbe soit en nous. Or, afin331 qu’Il y vienne, il faut Lui céder notre vie et mourir à nous, afin qu’Il vive Lui-même en nous.

Jésus-Christ, dans le saint sacrement de l’autel, est le modèle de l’état mystique. Sitôt qu’Il y vient par la parole du prêtre, il faut que la substance du pain lui cède la place et qu’il n’en reste que les simples accidents. De même, il faut que nous cédions notre être à celui de Jésus-Christ et que nous cessions de vivre afin qu’Il vive en nous et qu’étant morts, notre vie se trouve cachée avec Lui en Dieu332. Passez en moi, dit Dieu, vous tous qui me désirez avec ardeur333. Comment passer en Dieu ? Cela ne se peut faire qu’en sortant de nous-mêmes pour nous perdre en Lui.

Or cela ne s’exécutera jamais que par l’anéantissement, qui est la véritable prière334, laquelle rend à Dieu l’honneur et la gloire et la puissance, dans les siècles des siècles335.

4. Cette prière est la prière de vérité. C’est adorer le Père en Esprit et en vérité336. En Esprit, parce que nous sommes tirés par là de notre manière d’agir humaine et charnelle, pour entrer dans la pureté de l’Esprit qui prie en nous. Et en vérité, parce que l’âme est mise par là dans la vérité du Tout de Dieu et du néant de la créature.

Il n’y a que ces deux vérités, le Tout et le rien. Tout le reste est mensonge. Nous ne pouvons honorer le Tout de Dieu que par notre anéantissement. Et nous ne sommes pas plutôt anéantis que Dieu, qui ne souffre point de vide sans le remplir, nous remplit de Lui-même.

Ô si on savait les biens qui reviennent à l’âme de cette oraison, on ne voudrait faire autre chose. C’est la perle précieuse, c’est le trésor caché : celui qui le trouve vend de bon cœur tout ce qu’il possède pour l’acheter337. C’est adorer Dieu en Esprit et en vérité338. C’est pratiquer les plus pures maximes de l’Évangile.

5. Jésus-Christ ne nous assure-t-Il pas que le Royaume de Dieu est au-dedans de nous339 ? Ce Royaume s’entend de deux manières : la première est lorsque Dieu est si fort maître de nous que rien ne Lui résiste plus ; alors, notre intérieur est vraiment son Royaume. L’autre manière est que, possédant Dieu, qui est le Bien souverain, nous possédons le Royaume de Dieu, qui est le comble de la félicité et la fin pour laquelle nous avons été créés, ainsi qu’il est dit : servir Dieu, c’est régner340. La fin pour laquelle nous avons été créés, est pour jouir de Dieu dès cette vie, et l’on n’y pense pas !



Chapitre XXI. Que l’on agit plus fortement et plus noblement par cette oraison que par toute autre. 341

1. Quelques personnes, entendant parler de l’oraison de silence342, se sont faussement persuadé que l’âme y demeure stupide, morte et sans action343*. Mais il est certain qu’elle agit plus noblement et avec plus d’étendue qu’elle ne fit jamais jusques à ce degré puisqu’elle est mue de Dieu même et qu’elle agit par son Esprit. Saint Paul344 veut que nous nous laissions mouvoir par l’Esprit de Dieu345.

On ne dit pas qu’il ne faut point agir, mais qu’il faut agir par dépendance du mouvement de la grâce. Ceci est admirablement figuré en Ézéchiel. Ce prophète voyait, dit-il, des roues qui avaient l’Esprit de vie, et elles allaient où cet Esprit les conduisait. Elles s’élevaient et s’abaissaient selon qu’elles étaient mues, car l’Esprit de vie était en elles ; mais elles ne reculaient jamais346. L’âme doit être de la sorte. Elle doit se laisser mouvoir et agir par l’Esprit vivifiant qui est en elle, suivant le mouvement de son action, et n’en suivant point d’autre. Or ce mouvement ne la porte jamais à reculer, c’est-à-dire à réfléchir sur la créature, ni à se recourber contre elle-même, mais347 à aller toujours devant elle, avançant incessamment vers sa fin.

2. Cette action de l’âme est une action pleine de repos. Lorsqu’elle agit par elle-même, elle agit avec effort. C’est pourquoi elle distingue mieux alors son action. Mais lorsqu’elle agit par dépendance de l’Esprit de la grâce, son action est si libre, si aisée, si naturelle qu’il semble qu’elle n’agisse pas. Il m’a mis au large, et Il m’a sauvé, parce qu’Il m’a aimé348.

Sitôt que l’âme est en pente centrale349, c’est-à-dire retournée au-dedans d’elle-même par le recueillement, dès ce moment elle est dans une action très forte, qui est une350 course de l’âme vers son centre qui l’attire, et qui surpasse infiniment la vitesse de toutes les autres actions, rien n’égalant la vitesse de la pente centrale.

C’est donc une action, mais une action si noble, si paisible, si tranquille qu’il semble à l’âme qu’elle n’agit pas, parce qu’elle agit comme naturellement. Lorsqu’une roue n’est que médiocrement agitée, on la distingue bien ; mais lorsqu’elle va avec une grande vitesse, on ne distingue plus rien en elle. De même l’âme351 qui demeure en repos auprès de Dieu a une action infiniment noble et relevée, mais une action très paisible. Plus elle est en paix, plus elle court avec vitesse, parce qu’elle s’abandonne à l’Esprit qui la meut et la fait agir.

3. Cet Esprit n’est autre que Dieu, qui nous attire et, en nous attirant, nous fait courir à Lui, comme le savait bien la divine Amante, lorsqu’elle disait : Tirez-moi, nous courrons352. Tirez-moi, ô mon divin Centre, par le plus profond de moi-même, les puissances et les sens courront à vous par cet attrait ! Ce seul attrait est un onguent qui guérit et un parfum qui attire. Nous courrons, dit-elle, à l’odeur de vos parfums. C’est une vertu attractive très forte, mais une vertu que l’âme suit très librement, et qui, étant également forte353 et douce, attire par sa force et enlève par sa douceur354.

L’épouse dit : Tirez-moi, et nous courrons. Elle parle d’elle et à elle : Tirez-moi, voilà l’unité du centre qui est attiré. Nous courrons : voilà la correspondance et la course de toutes les puissances et des sens, qui suivent l’attrait du fond de l’âme.

4. Il n’est donc point question de demeurer oisif, mais d’agir par dépendance de l’Esprit de Dieu qui doit nous animer, puisque c’est en Lui et par Lui que nous vivons, que nous agissons, et que nous sommes355. Cette douce dépendance356 de l’Esprit de Dieu est absolument nécessaire et fait que l’âme, en peu357 de temps, parvient à la simplicité et unité dans laquelle elle a été créée.

Elle a été créée une et simple, comme Dieu. Il faut donc, pour parvenir à la fin de sa création, quitter la multiplicité de nos actions, pour entrer dans la simplicité et l’unité de Dieu, à l’image duquel nous avons été créés358. L’Esprit de Dieu est unique et multiplié359, et son unité n’empêche point sa multiplicité. Nous entrons dans son unité lorsque nous sommes unis à son Esprit, comme ayant par là même un même Esprit avec Lui360. Et nous sommes multipliés au-dehors dans ce qui est de ses volontés, sans sortir de l’unité. De sorte que Dieu agissant infiniment, et nous, nous laissant mouvoir par l’Esprit de Dieu, nous agissons beaucoup plus que par notre propre action. Il faut nous laisser conduire par la Sagesse. Cette Sagesse est plus active que les choses les plus agissantes361. Demeurons donc dans la dépendance de son action et nous agirons très fortement.

5. Tout a été fait par le Verbe, et rien n’a été fait sans Lui362. Dieu, en nous créant, nous a créés à son image et ressemblance. Il nous inspira l’Esprit du Verbe par ce souffle de vie363 qu’Il nous donna lorsque nous fûmes créés à l’image de Dieu par la participation de cette vie du Verbe qui est l’image de son Père.

Or cette Vie est une, simple, pure, intime364, et toujours féconde. Le démon, par le péché, ayant gâté et défiguré cette belle image, il a fallu que ce même Verbe, dont l’Esprit nous avait été inspiré en nous créant, vînt la réparer. Il fallait que ce fut Lui, parce qu’Il est l’image de son Père et que l’image ne se répare pas en agissant, mais en souffrant l’action de celui qui la veut réparer.

Notre action doit donc être de nous mettre en état de souffrir l’action de Dieu et de donner lieu au Verbe de retracer365 en nous son image. Une image qui se remuerait, empêcherait le peintre de contre-tirer un tableau sur elle366*. Tous les mouvements que nous faisons par notre propre esprit empêchent cet admirable Peintre de travailler et font faire de faux traits. Il faut donc demeurer en paix, et ne nous mouvoir que lorsque Il nous meut367. Jésus-Christ368 a la vie en Lui-même369. Et Il doit communiquer la vie à tout ce qui doit vivre370.

C’est l’Esprit de l’Église que l’Esprit de la motion divine. L’Église est-elle oisive, stérile et inféconde ? Elle agit, mais elle agit par dépendance de l’Esprit de Dieu qui la meut et la gouverne.

Or l’Esprit de l’Église ne doit point être autre dans ses membres qu’Il [ne l’] est dans elle-même. Il faut donc que ses membres, pour être dans l’Esprit de l’Église, soient dans l’Esprit de la motion divine.

6. Que cette action soit plus noble, c’est une chose incontestable. Il est certain que les choses n’ont de valeur qu’autant que le principe d’où elles partent est noble, grand et relevé. Les actions faites par un principe divin sont des actions divines. Au lieu que les actions de la créature, quelque bonnes qu’elles paraissent, sont des actions humaines, ou tout au plus vertueuses371 lorsqu’elles sont faites avec la grâce372.

Jésus-Christ dit qu’Il a la vie en Lui-même. Tous les autres êtres n’ont qu’une vie empruntée, mais le Verbe a la vie en Lui. Et comme Il est communicatif de sa nature, Il désire de la communiquer aux hommes. Il faut donc donner lieu à cette vie de s’écouler en nous, ce373 qui ne se peut faire que par l’évacuation et la perte de la vie d’Adam et de notre propre action, comme l’assure saint Paul. Si quelqu’un donc est en Jésus-Christ, il est une nouvelle créature ; tout ce qui était de l’ancienne est passé, tout est rendu nouveau374. Cela ne se peut faire que par la mort de nous-mêmes et de notre propre action, afin que l’action de Dieu soit substituée en sa place375.

On ne prétend donc pas de ne point agir, mais seulement d’agir par la dépendance de l’Esprit de Dieu, pour donner lieu à son action de prendre la place de celle de la créature. Ce qui ne se fait que par le consentement de la créature. Et la créature ne donne ce consentement qu’en modérant son action, pour donner lieu peu à peu à l’action de Dieu de prendre376 la place.

7. Jésus-Christ nous fait voir dans l’Évangile cette conduite : Marthe faisait de bonnes choses, mais parce qu’elle les faisait par son propre esprit, Jésus-Christ l’en reprit. L’esprit de l’homme est turbulent et inquiet : c’est pourquoi il fait peu, quoiqu’il paraisse faire beaucoup. Marthe, dit Jésus-Christ, vous vous inquiétez et empressez de beaucoup de choses, mais une seule chose est nécessaire. Marie a choisi la meilleure part, qui ne lui sera point ôtée377.

Qu’a-t-elle choisi, Madeleine ? La paix, la tranquillité et le repos. Elle cesse d’agir en apparence pour se laisser mouvoir par l’Esprit de Jésus-Christ. Elle cesse de vivre, afin que Jésus-Christ vive en elle.

C’est pourquoi il est si nécessaire de renoncer à soi-même et à ses opérations propres pour suivre Jésus-Christ. Car nous ne pouvons point suivre Jésus-Christ si nous ne sommes animés de son Esprit. Or, afin que l’Esprit de Jésus-Christ vienne en nous, il faut que le nôtre lui cède la place. Quiconque s’attache au Seigneur, dit saint Paul, devient un même Esprit avec Lui378. Et David disait qu’il lui était bon de s’attacher à Dieu, et de mettre en Lui toute son espérance379. Qu’est-ce que cet attachement ? C’est un commencement d’union.

8. L’union commence, continue, s’achève et se consomme. Le commencement de l’union est une pente vers Dieu. Lorsque380 l’âme est tournée au-dedans d’elle en la manière qu’il a été dit, elle est en pente centrale et elle a une tendance forte à l’union : cette tendance est le commencement. Ensuite elle adhère, lorsqu’elle approche plus près de Dieu. Puis elle Lui est unie. Et ensuite elle devient une, ce qui est devenir un même Esprit avec Lui. Et c’est alors que cet Esprit sorti de Dieu retourne dans sa fin381.

9. Il faut donc nécessairement entrer dans cette voie, qui est la motion divine et l’Esprit de Jésus-Christ. Saint Paul dit que personne n’est à Jésus-Christ, s’il n’a son Esprit382. Pour être donc à Jésus-Christ, il faut nous laisser remplir de son Esprit et nous vider du nôtre : il faut qu’il soit évacué. Saint Paul, dans le même endroit, nous prouve la nécessité de cette motion divine : Tous ceux, dit-il, qui sont poussés par l’Esprit de Dieu, sont enfants de Dieu383.

L’Esprit de la filiation divine est donc l’Esprit de la motion divine. C’est pourquoi le même apôtre continue : l’Esprit que vous avez reçu, n’est point un esprit de servitude, qui vous fasse vivre dans la crainte ; mais c’est l’Esprit des enfants de Dieu, par lequel nous crions : Abba, notre Père. Cet Esprit n’est autre que l’Esprit de Jésus-Christ, par lequel nous participons à sa filiation. Et cet Esprit rend Lui-même témoignage au nôtre que nous sommes enfants de Dieu.

Sitôt que l’âme se laisse mouvoir à l’Esprit de Dieu, elle éprouve en elle le témoignage de cette filiation divine. Et c’est ce témoignage qui la comble d’autant plus de joie qu’il lui fait mieux connaître qu’elle est appelée à la liberté des enfants de Dieu ; et que l’Esprit qu’elle a reçu n’est point un esprit de servitude, mais de liberté384. L’âme sent alors qu’elle agit librement et suavement, quoique fortement et infailliblement.

10. L’Esprit de la motion divine est si nécessaire pour toutes choses que saint Paul dans le même endroit fonde cette nécessité sur385 notre ignorance dans les choses que nous demandons. L’Esprit (dit-il) nous aide dans nos faiblesses, car nous ne savons pas ce qu’il faut demander, ni le demander comme il faut ; mais l’Esprit même le demande pour nous, avec des gémissements ineffables386. Ceci est positif : si nous ne savons pas ce qu’il nous faut, ni même demander comme il faut ce qui nous est nécessaire, et s’il faut que387 l’Esprit qui est en nous, à la motion duquel nous nous abandonnons, le demande pour nous, ne devons-nous pas le laisser faire ? Il le fait avec des gémissements ineffables.

Cet Esprit est l’Esprit du Verbe qui est toujours exaucé, comme Il le dit Lui-même : Je sais que vous m’exaucez toujours388. Si nous laissions demander et prier cet Esprit en nous, nous serions toujours exaucés. Et pourquoi cela ? Apprenez-le-nous, grand Apôtre, Docteur mystique et Maître de l’intérieur. C’est, ajoute saint Paul, que celui qui sonde les cœurs, connaît ce que l’Esprit désire, parce qu’Il demande selon Dieu pour les saints389. C’est-à-dire que cet Esprit ne demande que ce qui est conforme à la volonté de Dieu. La volonté de Dieu est que nous soyons sauvés et que nous soyons parfaits. Il demande donc ce qui est nécessaire pour notre perfection.

11. Pourquoi, après cela, nous accabler de soins superflus et nous fatiguer dans la multiplicité de nos voies, sans jamais dire : Demeurons en repos390 ? Dieu nous invite Lui-même à nous reposer sur Lui de toutes nos inquiétudes. Et Il se plaint, dans Isaïe, avec une bonté inconcevable, de ce que l’on emploie la force de l’âme, ses391 richesses et son trésor, dans mille choses extérieures : vu qu’il y a si peu à faire pour jouir des biens que nous prétendons, pourquoi, dit Dieu, employez-vous votre argent à ce qui ne peut vous nourrir, et vos travaux à ce qui ne peut vous rassasier ? Écoutez-moi avec attention : nourrissez-vous de la bonne nourriture que Je vous donne, et votre âme en étant engraissée, sera dans la joie392.

O. si on connaissait le bonheur qu’il y a d’écouter Dieu de la sorte, et combien l’âme en est engraissée393! Il faut que toute chair se taise en présence du Seigneur394. Il faut que tout cesse sitôt qu’Il paraît. Dieu, pour nous obliger encore à nous abandonner sans réserve, nous assure, dans le même Isaïe, que nous ne devons rien craindre en nous abandonnant, parce qu’Il prend un soin de nous tout particulier. Une mère peut-elle oublier ses enfants (dit Dieu) et n’avoir point de compassion du fils qu’elle a porté dans ses entrailles ? Mais quand même elle l’oublierait, pour moi Je ne vous oublierai jamais395. Ô paroles pleines de consolation ! Qui craindra après cela de s’abandonner à la conduite de Dieu ?

Chapitre XXII. Des actes intérieurs. 396

1. Les actes de l’homme sont ou extérieurs ou intérieurs. Les extérieurs397 sont ceux qui paraissent au-dehors, à l’égard de quelque objet sensible, et qui n’ont autre bonté ni malice morale que celle qu’ils reçoivent du principe398 intérieur dont ils partent.

Ce n’est point de ceux-là que j’entends parler, mais seulement des actes intérieurs qui sont des actions de l’âme, par lesquelles elle s’applique intérieurement à quelque objet, ou se détourne aussi de quelque autre.

2. Lorsque, étant appliqué à Dieu, je veux faire un acte d’autre nature, je399 me détourne de Dieu et je me tourne vers les choses créées plus ou moins selon que mon acte est plus ou moins fort. Si je suis tourné vers la créature, je veux retourner à Dieu : il faut400 que je fasse un acte pour me détourner de cette créature et me tourner vers Dieu. Plus l’acte est parfait, plus la conversion est entière.

Jusqu’à ce que je sois parfaitement converti, j’ai besoin de plusieurs actes401 pour me tourner vers Dieu. Les uns le font tout d’un coup, les autres le font peu à peu. Mon acte me doit donc porter à me tourner vers Dieu, employant toute la force de mon âme pour Lui, suivant le conseil de l’Ecclésiastique : Réunissez tous les mouvements de votre cœur dans la sainteté de Dieu402. Et comme faisait David : Je conserverai toute ma force pour vous403, ce qui se fait en rentrant fortement en soi-même, comme dit l’Écriture : Retournez à votre cœur404.

Car nous sommes écartés de notre cœur par le péché. Aussi405 Dieu ne demande-t-Il que notre cœur : Mon fils, donnez-moi votre cœur, et que vos yeux soient toujours attachés à mes voies406. Donner son cœur à Dieu, c’est avoir toujours la vue, la force et la vigueur de l’âme attachée à Lui afin de suivre ses volontés. Il faut donc demeurer ainsi tourné vers Dieu, sitôt que l’on y est appliqué.

Mais407 comme l’esprit de l’homme est léger et que l’âme, étant accoutumée à être tournée au-dehors, se dissipe aisément et se détourne, sitôt qu’elle s’aperçoit qu’elle s’est détournée dans les choses du dehors, il faut que, par un acte simple qui est un retour vers Dieu, elle se remette en Lui408. Puis son acte subsiste tant que sa conversion dure, à force de se retourner vers Dieu par un retour simple et sincère.

3. Et comme plusieurs actes réitérés font une habitude, l’âme contracte l’habitude de la conversion et d’un acte qui devient comme habituel dans la suite409. L’âme ne doit pas se mettre alors en peine de chercher cet acte pour le former, parce qu’il subsiste. Et même elle410 ne le peut sans y trouver une très grande difficulté. Elle trouve même qu’elle se tire de son état sous prétexte de le chercher, ce411 qu’elle ne doit jamais faire puisqu’il subsiste en habitude et qu’alors412, elle est dans une conversion et dans un amour habituel. On cherche un acte par d’autres actes, au lieu de se tenir attaché par un acte simple à Dieu seul.

On413 remarquera que l’on aura quelquefois facilité à faire distinctement de tels actes, mais simplement : c’est une marque que l’on s’était détourné et que l’on rentre dans son cœur après qu’on s’en était écarté. Mais que l’on y demeure en repos dès que l’on414 y est rentré. Lors donc que l’on croit qu’il ne faut point faite d’actes, on se méprend, car on fait toujours des actes, mais chacun les doit faire conformément415 à son degré.

4. Pour bien éclaircir cet endroit, qui fait la difficulté de la plupart des spirituels faute416 de le comprendre, il faut savoir qu’il y a des actes passagers et distincts, et des actes continués ; des417 actes directs et des actes réfléchis. Tous ne peuvent point faire les formels et tous ne sont point en état de faire les autres.

Les premiers actes se doivent faire par les personnes qui sont détournées. Ils doivent se tourner par une action qui se distingue, et qui soit plus ou moins forte, selon que le détour était plus ou moins éloigné. De sorte que418, lorsque le détour est léger, un acte des plus simples suffit.

5. Il y a l’acte substantiel qui est lorsque l’âme419 est toute tournée vers son Dieu par un acte direct, qu’elle ne renouvelle pas, à moins qu’il ne fût interrompu, mais qui subsiste. L’âme, étant toute tournée de la sorte, est dans la charité et elle y demeure420 : Et qui demeure dans la charité, demeure en Dieu421. Alors l’âme est comme dans422 une habitude de l’acte, se reposant dans ce même acte.

Mais son repos n’est pas oisif. Car alors il y a un acte toujours subsistant, qui est un doux enfoncement423 en Dieu, où Dieu l’attire toujours plus fortement. Et elle, suivant cet attrait si fort, en424 demeurant dans son amour et dans la charité, s’enfonce toujours plus dans ce même amour, et elle a une action infiniment plus forte, plus vigoureuse et plus prompte que l’acte qui ne sert qu’à former le retour.

6. Or l’âme qui est dans cet acte profond et fort, étant toute tournée vers son Dieu, ne s’aperçoit point de cet acte, parce qu’il est direct et non réfléchi. Ce qui fait que cette personne, ne s’expliquant pas bien, dit qu’elle ne fait point d’actes425. Mais elle se trompe : elle n’en fit jamais de meilleurs ni de plus agissants. Qu’elle dise plutôt :426 je ne distingue plus d’actes ; et non pas : je ne fais point d’actes.

Elle ne les fait point par elle-même : j’en conviens ; mais elle est tirée et elle suit ce qui l’attire. L’amour est le poids qui l’enfonce, comme une personne qui tombe dans la mer s’enfonce et s’enfoncerait à l’infini, si la mer était infinie, et sans s’apercevoir de cet enfoncement, elle descendrait dans le plus profond, d’une vitesse incroyable.

C’est donc parler improprement que de dire que l’on ne fait point d’actes. Tous font des actes, mais tous ne les font pas de la même manière. Et l’abus vient de ce que tous ceux qui entendent et savent qu’il faut faire des actes, voudraient les faire distincts et sensibles. Cela ne se peut. Les sensibles sont427 pour les commençants, et les autres sont pour les âmes avancées. S’arrêter aux premiers actes, qui sont faibles et avancent peu, c’est se priver des derniers. De même que vouloir faire les derniers, avant que d’avoir passé par les premiers, serait un autre abus428.

7. Il faut que toutes choses se fassent en leur temps429. Chaque état a son commencement, son progrès et sa fin. Si l’on veut toujours s’arrêter au commencement, c’est trop se méprendre. Il430 n’y a point d’art qui n’ait son progrès : au commencement, il faut travailler avec effort, mais ensuite il faut jouir du fruit de son travail431.

Lorsque le vaisseau est au port, les mariniers ont peine à l’arracher de là pour le mettre en pleine mer. Mais ensuite ils le tournent aisément du côté qu’ils veulent aller. De même, lorsque l’âme est encore dans le péché et dans les créatures, il faut, avec bien des efforts, la tirer de là, il faut défaire les cordages qui la tiennent liée. Puis travaillant par432 le moyen des actes forts et vigoureux, tâcher de l’attirer au-dedans, l’éloignant peu à peu de son propre port, et en l’éloignant, on la tourne au-dedans, qui est le lieu où l’on désire voyager.

8. Lorsque le vaisseau est tourné de la sorte, à mesure qu’il avance dans la mer, il s’éloigne plus de la terre, et plus il s’éloigne de la terre, moins il faut d’effort pour l’attirer. Enfin, on commence à voguer très doucement, et le vaisseau s’éloigne si fort qu’il faut quitter la rame, qui est rendue inutile. Que fait alors le pilote ? Il se contente d’étendre les voiles et de tenir le gouvernail.

Étendre les voiles, c’est faire l’oraison de simple exposition devant Dieu, pour être mû par son Esprit. Tenir le gouvernail, c’est empêcher notre cœur de s’égarer du droit chemin, le ramenant doucement et le conduisant selon le mouvement de l’Esprit de Dieu qui s’empare peu à peu de ce cœur, comme le vent vient peu à peu enfler les voiles et pousser le vaisseau. Tant que le vaisseau a le vent en poupe, le pilote et les nautoniers se reposent de leur travail. Quelle démarche ne font-ils pas sans se fatiguer ? Ils font plus de chemin en une heure, en se reposant de la sorte et en laissant conduire le vaisseau au vent, qu’ils n’en feraient en bien du temps par tous leurs premiers efforts433. S’ils voulaient alors ramer, outre qu’ils se fatigueraient beaucoup, leur effort serait inutile et ils retarderaient le vaisseau.

C’est la conduite que nous devons tenir dans notre intérieur, et, en agissant de cette manière, nous avançons plus en peu de temps par la motion divine, qu’en toute autre manière par beaucoup d’efforts. Si on voulait prendre cette voie, on la trouverait la plus aisée du monde.

9. Lorsque l’on a le vent contraire, si le vent et la tempête est forte, il faut jeter l’ancre dans la mer pour arrêter le vaisseau. Cette ancre n’est autre chose que la confiance en Dieu et l’espérance en sa bonté, attendant en patience le calme et la bonace434, et que le vent favorable retourne, comme faisait David : J’ai attendu (dit-il) le Seigneur avec grande patience, et Il s’est enfin abaissé jusqu’à moi435. Il faut donc s’abandonner à l’Esprit de Dieu et se laisser conduire par ses mouvements.

Chapitre XXIII. Avertissements aux pasteurs et aux prédicateurs. 436

1. Si tous ceux qui travaillent à la conquête des âmes tâchaient de les gagner par le cœur, les mettant d’abord en oraison et en vie intérieure, ils feraient des conversions infinies et durables. Mais tant que l’on ne s’y prend que par le dehors et qu’au lieu d’attirer les âmes à Jésus-Christ, par l’occupation du cœur en Lui, on les charge seulement de mille préceptes pour les exercices extérieurs, il ne se fait que très peu de fruit et il ne dure pas437.

Si les curés de la campagne avaient le zèle d’instruire de cette sorte leurs paroissiens, les bergers, en gardant leurs troupeaux, auraient l’esprit des anciens anachorètes ; et les laboureurs, en conduisant le socle de leurs charrues, s’entretiendraient heureusement avec Dieu ; les manœuvres qui se consument de travail en recueilleraient des fruits éternels. Tous les vices seraient bannis en peu de temps, et tous leurs paroissiens deviendraient spirituels.

2. Ha, quand le cœur est gagné, tout le reste se corrige aisément ! C’est pourquoi Dieu demande principalement le cœur. On retrancherait par ce seul moyen les ivrogneries, les blasphèmes, les impudicités, les inimitiés, les larcins, qui règnent ordinairement parmi les gens de la campagne. Jésus-Christ régnerait paisiblement partout et la face de l’Église se renouvellerait en tous lieux.

Les hérésies sont entrées dans le monde par la perte de l’intérieur. Si l’intérieur était rétabli, elles seraient bientôt ruinées. L’erreur ne s’empare des âmes que par le manquement de foi et de prière. Si on apprenait à nos frères égarés à croire simplement et à faire oraison, au lieu de disputer beaucoup avec eux, on les ramènerait doucement à Dieu.

O Pertes438 inestimables, que celles qui se font en négligeant l’intérieur ! O Quel compte les personnes qui sont chargées des âmes n’auront-elles pas à rendre à Dieu, pour n’avoir pas découvert à tous ceux qu’ils servent par le ministère de la parole, ce trésor caché !

3. On s’excuse sur ce que l’on dit qu’il y a du danger dans ce chemin, ou que les gens simples sont incapables des choses de l’Esprit. L’oracle de la vérité nous assure du contraire : Le Seigneur (dit-il) met son affection en ceux qui marchent simplement439. Mais quel danger peut-il y avoir à marcher dans l’unique voie qui est Jésus-Christ, se donnant à Lui, Le regardant sans cesse, mettant toute sa confiance en sa grâce et tendant de toutes nos forces à son plus pur amour ?

4. Loin que les simples soient incapables de cette perfection, ils y sont même plus propres. Parce qu’ils sont plus dociles, plus humbles et plus innocents, et que, ne raisonnant pas, ils ne sont pas tant attachés à leurs propres lumières. Étant de plus sans science, ils se laissent mouvoir plus aisément à l’Esprit de Dieu. Au lieu que les autres, qui sont gênés et aveuglés par leur propre suffisance, résistent beaucoup plus à l’inspiration divine.

Aussi Dieu nous déclare que c’est aux petits qu’Il donne l’intelligence de sa loi440. Il nous assure encore qu’Il aime à converser familièrement avec les simples441. Le Seigneur garde les simples : J’étais réduit à l’extrémité, et Il m’a sauvé442. Que les pères des âmes prennent garde de ne pas empêcher les petits enfants d’aller à Jésus-Christ. Laissez venir (dit-Il à ses apôtres) ces petits enfants, car c’est à eux qu’appartient le Royaume des Cieux443. Jésus-Christ ne dit cela à ses apôtres que parce qu’ils voulaient empêcher les enfants d’aller à Lui.

5. Souvent on applique le remède au corps et le mal est au cœur. La cause pour laquelle on réussit si peu à réformer les hommes, surtout les gens de travail, c’est que l’on s’y prend par le dehors et que tout ce que l’on y peut faire passe aussitôt. Mais si on leur donnait d’abord la clef de l’intérieur, le dehors se réformerait ensuite avec une facilité toute naturelle.

Or cela est très aisé. Leur apprendre à chercher Dieu dans leur cœur, à penser à Lui, à y retourner s’en trouvant distraits, à tout faire et tout souffrir à dessein de Lui plaire, c’est les appliquer à la source de toutes les grâces et leur y faire trouver tout ce qui est nécessaire pour leur sanctification.

6. Vous êtes conjurés, ô vous tous qui servez les âmes, de les mettre d’abord dans cette voie, qui est Jésus-Christ ; et c’est Lui qui vous en conjure par tout le sang qu’Il a répandu pour ces âmes qu’Il vous a confiées. Parlez au cœur de Jérusalem444. O Dispensateurs de ses grâces, ô prédicateurs de sa parole, ô ministres de ses sacrements, établissez son Royaume ; et pour l’établir véritablement, faites-le régner sur les cœurs ! Car comme c’est le cœur seul qui peut s’opposer à son empire, c’est par l’assujettissement du cœur que l’on honore le plus sa souveraineté. Rendez gloire à la sainteté de Dieu, et Il deviendra votre sanctification445. Faites des catéchismes particuliers pour enseigner à faire oraison, non par raisonnement ni par méthode (les gens simples n’en étant pas capables), mais une oraison de cœur et non de tête, une oraison de l’Esprit de Dieu et non de l’invention de l’homme.

7. Hélas ! On veut faire des oraisons étudiées ; et pour les vouloir trop ajuster, on les rend impossibles. On a écarté les enfants du meilleur de tous les pères pour avoir voulu leur apprendre un langage trop poli. Allez, pauvres enfants, parler à votre Père céleste avec votre langage naturel : quelque barbare et grossier qu’il soit, il ne l’est point pour Lui. Un père aime mieux un discours que l’amour et le respect met en désordre, parce qu’il voit que cela part du cœur, qu’une harangue sèche, vaine et stérile, quoique bien étudiée. Ô que de certaines œillades d’amour le charment et le ravissent ! Elles expriment infiniment plus que tout langage et tout raisonnement.

8. Pour avoir voulu apprendre à aimer avec méthode l’amour même, l’on a beaucoup perdu de ce même amour446. O. qu’il n’est pas nécessaire d’apprendre un art d’aimer ! Le langage d’amour est barbare à celui qui n’aime pas ; mais il est très naturel à celui qui aime. Et on n’apprend jamais mieux à aimer Dieu qu’en L’aimant. En ce métier, souvent les plus grossiers deviennent les plus habiles, parce qu’ils y vont plus simplement et plus cordialement. L’Esprit de Dieu n’a pas besoin de nos447 ajustements. Il prend quand il Lui plaît des bergers pour faire des prophètes. Et bien loin de fermer le palais de l’oraison à quelqu’un, comme on se l’imagine, il en laisse au contraire toutes les portes ouvertes à tous, et la Sagesse a ordre de crier dans les places publiques : Quiconque est simple, vienne à moi. Et elle a dit aux insensés : Venez, mangez le pain que je vous donne, et buvez le vin que je vous ai préparé448. Jésus Christ ne remercie-t-Il pas son Père de ce qu’Il a caché ses secrets aux sages, et les a révélés aux petits449?



Chapitre XXIV. Quel est le moyen le plus sûr pour arriver à l’union divine.450

1. Il est impossible d’arriver à l’union divine par la seule voie de la méditation451 pour plusieurs raisons dont j’en dirai quelques-unes.

Premièrement452, selon l’Écriture : Nul ne verra Dieu, tant qu’il sera vivant453. Or tout l’exercice de l’oraison discursive ou même de la contemplation active, regardés comme une fin et non comme une disposition à la passive, sont des exercices vivants par lesquels nous ne pouvons voir Dieu, c’est-à-dire être unis à Lui. Il faut que ce qui est de l’homme et de sa propre industrie, pour noble et relevé qu’il puisse être, il faut, dis-je, que tout cela meure.

Saint Jean rapporte que dans le ciel il se fit un grand silence454. Le ciel représente le fond et le centre de l’âme, où il faut que tout soit en silence lorsque la majesté de Dieu y paraît. Tout ce qui est de propres efforts et de propriété455* doit être détruit, parce que rien n’est opposé456 à Dieu que la propriété, et que toute la malignité de l’homme est dans cette propriété, comme dans la source de sa malice. En sorte457 que plus une âme perd sa propriété, plus elle devient pure. Et ce qui serait un défaut à une âme vivant à elle-même ne l’est plus à cause de la pureté et de l’innocence qu’elle a contractée, lorsqu’elle a perdu ces propriétés qui causaient la dissemblance entre Dieu et l’âme458*.

2. Or459, pour unir deux choses aussi opposées que le sont la pureté de Dieu et l’impureté de la créature, la simplicité de Dieu et la multiplicité de l’homme, il faut que Dieu opère singulièrement. Cela460 ne se peut jamais faire par l’effort de la créature, puisque deux choses ne peuvent être unies qu’elles n’aient du rapport et de la ressemblance entre elles, ainsi qu’un métal impur ne s’alliera jamais avec un or très pur et affiné461*.

3. Que fait donc Dieu ? Il envoie devant Lui sa propre Sagesse, comme le feu sera envoyé sur la terre pour consumer par son activité tout ce qu’il y a d’impur. Le feu consume toutes choses et rien ne résiste à son activité. Il462 en est de même de la Sagesse. Elle consume toute impureté dans la créature pour la disposer à l’union divine.

Cette impureté si opposée à l’union est la propriété et l’activité. La propriété : parce qu’elle est la source de la réelle impureté, qui ne peut jamais être alliée à la pureté essentielle. De même que les rayons peuvent bien toucher la boue, mais non pas se l’unir. L’activité : parce que Dieu étant dans un repos infini, il faut, afin que l’âme puisse être unie à Lui, qu’elle participe à son repos. Sans quoi il ne peut y avoir d’union à cause de la dissemblance, puisque pour unir deux choses, il faut qu’elles soient dans un repos proportionné.

C’est pour cette raison que l’âme n’arrive à l’union divine que par le repos de sa volonté. Et elle ne peut être unie à Dieu463 qu’elle ne soit dans un repos central et dans la pureté de sa création464.

4. Pour purifier l’âme, Dieu se sert de la Sagesse, comme on se sert du feu465 pour purifier l’or. Il est certain que l’or ne peut être purifié que par le feu qui consume peu à peu tout ce qu’il y a de terrestre et de matériel et le sépare de l’or. Il ne suffit pas à l’or466 pour être mis en œuvre, que la terre soit changée en or. Il faut de plus que le feu le fonde et le dissolve, pour tirer de sa substance tout ce qui lui reste d’étranger et de terrestre. Et cet or est mis tant et tant de fois au feu qu’il perd toute impureté et toute disposition à pouvoir être purifié.

L’orfèvre ne pouvant plus y trouver de mélange, à cause qu’il est venu à sa parfaite pureté et simplicité, le feu ne peut plus agir sur cet or467*. Et il y serait un siècle qu’il n’en serait pas plus pur et qu’il ne diminuerait pas. Alors il est propre à faire les plus excellents ouvrages.

Et si cet or est impur dans la suite, je dis que ce sont des saletés contractées nouvellement par le commerce des corps étrangers. Mais il y a cette différence, que cette impureté n’est que superficielle et n’empêche pas de le mettre en œuvre. Au lieu que l’autre impureté était cachée dans le fond et comme identifiée avec sa nature468*. Cependant les personnes qui ne s’y connaissent pas, voyant un or épuré couvert de crasse au-dehors, en feront moins de cas que d’un or grossier, très impur, dont le dehors sera poli469.

5. De plus, vous remarquerez que l’or d’un degré de pureté inférieure ne peut s’allier avec celui d’un degré de pureté supérieure. Il faut que l’un contracte de l’impureté de l’autre, ou que celui-ci participe à la pureté de celui-là. Mettre un or épuré avec un grossier, c’est ce que l’orfèvre ne fera jamais. Que fera-t-il donc ? Il fera perdre par le feu tout le mélange terrestre à cet or, afin de le pouvoir allier à la pureté du premier. Et c’est ce qui est dit en saint Paul, que nos œuvres seront éprouvées comme par le feu, afin que ce qui est combustible soit brûlé470. Il est ajouté que la personne dont les œuvres se trouveront propres à être brûlées sera sauvée, mais comme par le feu. Cela veut dire qu’il y a des œuvres reçues et qui sont de mise. Mais afin que celui qui les a faites soit aussi pur, il faut qu’elles passent par le feu, afin que la propriété en soit ôtée. Et c’est en ce même sens que Dieu examinera et jugera nos justices471, parce que l’homme ne sera jamais sanctifié par les œuvres de la loi, mais par la justice de la foi qui vient de Dieu472.

6. Cela posé473, je dis qu’afin que l’homme soit uni à son Dieu, il faut que sa Sagesse, accompagnée de la divine Justice, comme un feu impitoyable et dévorant, ôte à l’âme tout ce qu’elle a de propriété, de terrestre, de charnel et de propre activité ; et474 qu’ayant ôté à l’âme tout cela, Il se l’unisse.

Ce qui ne se fait jamais par l’industrie de la créature : au contraire elle le souffre475*, même à regret476, parce que, comme j’ai dit, l’homme aime si fort sa propriété et il craint tant sa destruction que, si Dieu ne le faisait Lui-même et d’autorité, l’homme n’y consentirait jamais477.

7. On me répondra à cela que Dieu n’ôte jamais à l’homme sa liberté et qu’ainsi il peut toujours résister à Dieu478* : d’où il s’ensuit que479 je ne dois pas dire que Dieu agit absolument et sans le consentement de l’homme.

Je m’explique, et je dis qu’il suffit alors qu’il donne un consentement passif afin qu’il ait480 une entière et pleine liberté, parce que s’étant donné à Dieu dès le commencement, afin qu’Il fasse de lui et en lui tout ce qu’Il voudrait, il donna dès lors un consentement actif et général pour tout481 ce que Dieu ferait. Mais lorsque Dieu détruit, brûle et purifie482*, l’âme ne voit pas que cela lui soit avantageux : elle croit plutôt le contraire, et de même que le feu, au commencement, semble salir l’or, aussi cette opération483 semble dépouiller l’âme de sa pureté. De sorte que, s’il fallait alors un consentement actif et explicite, l’âme aurait peine à le donner, et bien souvent elle ne484 le donnerait pas. Tout ce qu’elle fait est de se tenir dans un485 consentement passif, souffrant de son mieux cette opération, qu’elle ne peut ni ne veut empêcher486.

8. Dieu donc purifie tellement cette âme de toutes opérations propres, distinctes, aperçues et multipliées, qui font une dissemblance très grande, qu’enfin Il se la rend peu à peu conforme et enfin uniforme, relevant la capacité passive de la créature, l’élargissant et l’ennoblissant, quoique d’une487 manière cachée et inconnue : c’est pourquoi on l’appelle mystique. Mais il faut qu’à toutes ces opérations l’âme concoure passivement488.

Il est vrai qu’avant que d’en venir là, il faut qu’elle agisse plus au commencement ; puis, à mesure que l’opération de Dieu devient plus forte, il faut que peu à peu et successivement, l’âme lui cède489, jusqu’à ce qu’Il l’absorbe tout à fait. Mais cela dure longtemps490.

9. On491 ne dit pas, donc, comme quelques-uns l’ont cru, qu’il ne faille pas passer par l’action, puisqu’au contraire c’est la porte. Mais seulement qu’il n’y faut pas toujours demeurer, vu que l’homme doit tendre à la perfection de sa fin, et qu’il ne pourra jamais y arriver qu’en quittant les premiers moyens, lesquels lui ayant été nécessaires pour l’introduire dans ce chemin, lui nuiraient beaucoup dans la suite s’il s’y attachait opiniâtrement, puisqu’ils l’empêcheraient492 d’arriver à sa fin. C’est ce que faisait saint Paul : Je laisse (dit-il) ce qui est derrière, et je tâche d’avancer, afin d’achever ma course493.

Ne dirait-on pas qu’une personne aurait perdu le sens si, ayant entrepris un voyage, elle resterait à494 la première hôtellerie parce qu’on l’aurait assurée que plusieurs y ont passé, que quelques-uns y ont séjourné, et que les maîtres de la maison y demeurent495 ? Ce que l’on souhaite donc des âmes, c’est qu’elles avancent vers leur fin, qu’elles prennent le chemin le plus court et le plus facile, qu’elles ne s’arrêtent pas au premier lieu496 et que, suivant le conseil de saint Paul, elle se laissent mouvoir à l’Esprit497 de la grâce, qui les conduira à la fin pour laquelle elles ont été créées, qui est de jouir de Dieu.

10. C’est une chose étrange que, n’ignorant pas que l’on n’est créé que pour cela, et que toute âme qui ne parviendra pas dès cette vie à l’union divine et à la pureté de sa création doit brûler longtemps dans le Purgatoire pour acquérir cette pureté498, on ne puisse néanmoins souffrir que Dieu y conduise dès cette vie. Comme si ce qui doit faire la perfection de la gloire devait causer du mal et de l’imperfection dans cette vie mortelle499*.

11. Nul n’ignore que le Bien souverain est Dieu, que la béatitude essentielle consiste dans500 l’union à Dieu, que les saints sont plus ou moins grands selon que cette union est plus ou moins parfaite, et que cette union ne se peut faire dans l’âme par nulle propre activité, puisque Dieu ne se communique à l’âme qu’autant que sa capacité passive est grande, noble et étendue. On ne peut être uni à Dieu sans la passiveté et la simplicité. Et cette union étant la béatitude même, la voie qui nous conduit dans cette passiveté ne peut être mauvaise : au contraire, elle est la meilleure et il n’y a point de risque à y marcher.

12. Cette voie n’est point dangereuse. Si elle l’était, Jésus-Christ en aurait-Il fait la plus parfaite et la plus nécessaire de toutes les voies ? Tous y peuvent marcher ; et comme tous501 sont appelés à la béatitude, tous sont aussi appelés à jouir de Dieu, et en cette vie et en l’autre502, puisque la jouissance de Dieu fait notre béatitude.

Je dis503 de Dieu Lui-même et non de ses dons qui ne pourraient faire la béatitude essentielle, ne pouvant pas contenter pleinement l’âme. Car elle est si noble et si grande que tous les dons de Dieu les plus relevés ne pourraient la rendre heureuse si Dieu ne se donnait Lui-même. Or tout le désir de Dieu est de se donner Lui-même à sa créature, selon la capacité qu’Il a mise en elle, et l’on craint de se laisser à Dieu ! On craint de Le posséder et de se disposer à l’union divine !

13. On dit qu’il ne s’y faut pas mettre de soi-même. J’en conviens. Mais je dis aussi qu’aucune créature ne pourrait jamais s’y mettre, puisque nulle créature au monde ne pourrait s’unir504 à Dieu par tous ses efforts propres, et qu’il faut que Dieu se l’unisse. Si on ne peut s’unir à Dieu par soi-même, c’est crier contre une chimère que de crier contre ceux qui s’y mettent d’eux-mêmes.

On dira que l’on feint d’y être. Je dis que cela ne se peut feindre, puisque celui qui meurt de faim ne peut feindre, du moins pour longtemps, d’être dans un rassasiement parfait. Il lui échappera toujours quelque désir ou envie, et il fera bientôt connaître qu’il est bien loin de sa fin.

Puisque donc nul ne peut entrer dans sa fin que l’on ne l’y mette, il ne s’agit pas d’y introduire personne, mais de montrer le chemin qui y conduit, et de conjurer que l’on ne se tienne pas lié et attaché à des hôtelleries ou pratiques qu’il faut quitter quand le signal est donné, ce qui se connaît par le directeur expérimenté, lequel montre l’eau vive et tâche d’y introduire. Et ne serait-ce pas une cruauté punissable de montrer une source à un homme altéré, puis de le tenir lié et l’empêcher d’y aller, le laissant ainsi mourir de soif ?

14. C’est ce que l’on fait aujourd’hui. Convenons tous du chemin, et convenons de la fin, dont on ne peut douter sans erreur. Le chemin a son commencement, son progrès et son terme. Plus on avance vers le terme, plus nécessairement s’éloigne-t-on du commencement. Et il est impossible d’arriver au terme qu’en s’éloignant toujours plus du commencement, ne505 pouvant aller d’une porte à un lieu écarté sans passer par le milieu. Cela est incontestable.

Si la fin est bonne, sainte et nécessaire, si la porte est bonne, pourquoi le chemin qui vient de cette porte et conduit droit à cette fin sera-t-il mauvais ? Ô aveuglement de la plupart des hommes qui se piquent de science et d’esprit !506 O. qu’il est vrai, mon Dieu, que vous avez caché vos secrets aux grands et aux sages, pour les révéler aux petits507 !

Appendice : «  Dieu détruit, brûle, et purifie ».

Cet appendice, que nous avons annoncé par une note attachée au § 7 de ce dernier chapitre du Moyen court, provient des Justifications, I Purification. Il commente le passage : « Mais lorsque Dieu détruit, brûle et purifie, l’âme ne voit pas que cela lui soit avantageux… ». Il s’agit de se justifier sans rien oublier et en pesant soigneusement chaque mot :

Pour comprendre ceci, il est bon de faire attention que, lorsque l’onction de la grâce est fort goûtée et aperçue de l’âme, ses défauts paraissent comme essuyés ; mais lorsque Dieu purifie, qu’Il enfonce les vertus dans l’âme, les mêmes vertus semblent éteintes au-dehors et l’on voit les défauts naturels.

Il me semble que l’impression de l’hiver sur les plantes est une belle et véritable figure de cela. Lorsque l’hiver s’approche, les arbres perdent peu à peu les feuilles ; et cet habit d’un vert éclatant change peu à peu sa couleur, jaunit, et enfin meure et tombe, en sorte que les arbres paraissent tout dépouillés. La perte même de leurs feuilles laisse à découvrir tous les défauts de leurs écorces qu’on ne remarquait pas auparavant : ce ne sont point des défauts nouveaux que ces arbres contractent, ce sont les mêmes ; mais cette robe de verdure les dérobait aux yeux des hommes. Ils sont donc dépouillés de leurs feuilles, comme l’homme le parait des vertus dans le temps de sa purification.

Mais de même que l’arbre, en conservant sa sève, conserve le principe de ses feuilles, aussi l’âme n’est point dépouillée de l’essence de la vertu, ni ce qu’elle a de réel, mais bien d’un certain facile usage et de son éclat, en sorte que l’homme ainsi nu et dépouillé paraît, aux yeux des autres hommes et à ses propres yeux, avec tous les défauts naturels, couverts auparavant des habits d’une grâce sensible. Tout le temps de l’hiver, tous les arbres paraissent morts et ne le sont nullement ; au contraire l’hiver est ce qui les conserve. Car que fait l’hiver ? Il les resserre, afin que la sève ne s’épande pas au-dehors et qu’ils emploient leurs forces à pousser de nouvelles racines, à étendre et nourrir celles qui sont déjà poussées, et enfin à les enfoncer toujours plus avant dans la terre. On peut dire qu’alors plus l’arbre paraît mort dans ses accidents, qui sont ses feuilles (je ne sais si ce terme sera propre, mais j’espère de la charité de ceux qui veulent bien m’examiner, qu’ils suppléeront au défaut de mes expressions), cet arbre, dis-je, qui paraît mort dans ses accidents, ne fut jamais plus vivant dans son principe. Et c’est durant l’hiver que la source et le principe de sa vie s’établi[ssen]t, au lieu que dans les autres saisons il emploie toute sa sève à s’orner et embellir, et ses racines ne font pendant tout ce temps que s’affaiblir.

Il en est tout de même de l’économie de la grâce sur les âmes. Dieu ôte ce qui est d’accidentel dans la vertu, afin d’en nourrir le principe par l’essence de ces vertus, qui se pratiquent alors, quoique d’une manière cachée, comme l’humilité, le pur amour, l’abandon entier, le mépris de soi-même, et le reste. C’est donc en cette sorte que l’opération de Dieu semble salir les dehors, non qu’elle les salisse véritablement, mais elle ôte ce qui couvrait la saleté, afin de la mieux guérir en l’exposant aux yeux de tous.

Il me vient encore une autre comparaison : je ne sais si je ne m’en suis point servie en quelque endroit. C’est celle du bois, lorsqu’on le met au feu. Il faut qu’avant que le feu le change en soi, il en chasse tout ce qui lui est contraire. Remarquez, s’il vous plaît, que ce ne sont point différents feux qui purifient et transforment : le feu ne change point son opération, soit qu’il purifie le bois, soit qu’il le transforme en soi. L’opération du feu est toujours la même, qui est échauffer, brûler, éclairer. Et si nous lui voyons faire tant de différentes opérations, ce n’est que par rapport au sujet qui lui est présenté : car pour lui, il est toujours le même, toujours un en lui, quoique avec une infinie variété d’opérations, qui ne font rien à sa constitution, laquelle ne peut jamais être altérée, ni changée. Ce qui paraît changement dans le feu, n’est qu’un accident qui ne vient point de la cause, mais des sujets qui lui sont présentés. Car le feu agit dans tous les sujets et par rapport à ce qu’ils sont en eux-mêmes, et par rapport à ce qu’il est en soi : par rapport à ce qu’ils sont, il agit pour leur ôter les dissemblances et contrariétés ; et par rapport à ce qu’il est, il leur communique, à mesure qu’il les purifie de leurs contrariétés, selon ce qu’ils sont, sa chaleur et sa lumière. Il en est de même des opérations de Dieu. Il est toujours Lui-même, toujours égal à soi en toutes choses. Il n’a qu’une seule et unique opération sur tous les sujets, qui est de se les conformer ; et s’Il agit si différemment dans chacun de nous, cela vient de nous-mêmes.

La fin des opérations de Dieu est donc de se conformer tous les sujets propres à cela, et de les changer en soi. Il faut donc qu’Il commence par leur ôter et pousser au-dehors tout ce qu’ils ont de contraire à la fin pour laquelle Il les destine, qui est de les changer en soi, comme l’on voit que le feu commence par pousser au-dehors du bois la première contrariété, qui est son humidité ; ensuite, il ôte peu à peu toutes les autres qui sont les qualités du bois, sa couleur, sa pesanteur. Et lorsque cela s’opère par l’activité du feu, comme la purification se fait en l’âme par l’activité de la Sagesse, cette opération poussant au-dehors toutes les contrariétés dont elle purifie le dedans, le dehors paraît plus défectueux qu’il n’était auparavant.

Il faut néanmoins remarquer que comme le bois renfermait en soi ces contrariétés, et que ce ne sont point de nouvelles saletés, quoique cela parût tel à ceux qui, ignorant les propriétés du feu, ne verraient que cette seule opération au bois, aussi les défauts et misères dont l’âme se trouve alors remplie et qui lui font tant de peine, ne sont point de nouvelles impuretés qu’elle contracte, mais les mêmes qu’elle avait, mais qu’elle [n’] apercevait pas, parce que, n’étant pas si proche de Dieu ni si exposée à ses yeux purifiants, cela ne paraissait pas : comme on ne distingue les contrariétés qui sont dans le bois, que lorsque le feu commence d’agir sur lui et de l’échauffer.

Et comme il est manifeste qu’on ne s’avise pas de mettre de nouvelles humidités sur le bois afin qu’il devienne plus pur par le feu, et qu’il est évident qu’on n’ajoute rien à son humidité, qu’au contraire on le prépare pour le mettre au feu, en le laissant sécher après qu’il est coupé, aussi est-ce une folie et une impertinence malicieuse de dire qu’il faille salir l’extérieur pour purifier le dedans. Ceux qui disent ces choses, ou ne veulent pas voir la vérité, ou le disent malicieusement : et c’est une invention du diable pour éloigner de l’oraison. Car n’est-il pas vrai que si vous mettez de nouvelles impuretés et humidités sur ce bois, non seulement le feu ne le changera point en soi, mais même peu à peu, si vous mettez une humidité plus forte que la chaleur du feu, elle l’éteindra tout à fait ? Et si l’humidité que vous ajoutez n’excède pas la force du feu, le même feu sera toujours employé à détruire les nouvelles contrariétés, et ne changera jamais en soi le bois. Il faut donc, bien loin d’ajouter de nouvelles contrariétés, pour être purifié, laisser peu à peu détruire les obstacles qui sont en nous à la grâce, afin que la grâce, après les avoir surmontés peu à peu, selon la force du sujet, Dieu, trouvant le sujet disposé, le change enfin en soi-même.

C’est toute l’économie de la grâce de la purification, et toute personne qui y aura passé, verra que je dis vrai. Je prie Dieu d’éclairer les yeux pour faire voir cette extrême différence ; et que la malice de l’ennemi, qui a semé beaucoup d’ivraie avec le bon grain, ne soit pas cause qu’on confonde l’un et l’autre, et qu’on arrache la vérité pour détruire le mensonge. Si je cherche en cela mon propre intérêt, je prie Celui sous les yeux duquel j’écris, de confondre mon erreur et la malice, et de relever sa vérité, quand ce serait aux dépens de ma vie.





TORRENTS

Présentation

La genèse

Dans sa Vie par elle-même, Mme Guyon décrit les circonstances et le caractère spontané de la première écriture de son œuvre la plus connue508 :

Dans cette retraite, il me vint un si fort mouvement d’écrire que je ne pouvais y résister. La violence que je me faisais pour ne le point faire me faisait malade et m’ôtait la parole. Je fus fort surprise de me trouver de cette sorte, car jamais cela ne m’était arrivé. Ce n’est pas que j’eusse rien de particulier à écrire, je n’avais chose au monde ni pas même une idée de quoi que ce soit. C’était un simple instinct, avec une plénitude que je ne pouvais supporter. J’étais comme ces mères trop pleines de lait, qui souffrent beaucoup. Je dis au Père La Combe après beaucoup de résistance la disposition où je me trouvais, il me dit qu’il avait eu de son côté un fort mouvement de me commander d’écrire, mais qu’à cause que j’étais si languissante qu’il n’avait osé me l’ordonner. Je lui dis que ma langueur ne venait que de ma résistance, que je croyais qu’aussitôt que j’écrirais, cela se passerait. Il me demanda : « Mais que voulez-vous écrire ? » Je lui dis : « Je n’en sais rien, je ne veux rien, et je n’ai nulle idée, et je croirais même faire une grande infidélité de m’en donner une, ni de penser un moment à ce que je pourrais écrire. » Il m’ordonna de le faire. En prenant la plume, je ne savais pas le premier mot de ce que je voulais écrire. Je me mis à écrire sans savoir comment, et je trouvais que cela venait avec une impétuosité étrange. Ce qui me surprenait le plus était que cela coulait comme du fond et ne passait point par ma tête. Je n’étais pas encore accoutumée à cette manière d’écrire ; cependant j’écrivis un traité entier de toute la voie intérieure sous la comparaison des rivières et des fleuves. Quoiqu’il soit assez long et que la comparaison y soit soutenue jusqu’au bout, je n’ai jamais formé une pensée ni n’ai jamais pris garde où j’en étais restée et, malgré des interruptions continuelles, je n’ai jamais rien relu que sur la fin, où je relus une ligne ou deux à cause d’un mot coupé que j’avais laissé ; encore crus-je avoir fait une infidélité. Je ne savais avant d’écrire ce que j’allais écrire ; était-il écrit, je n’y pensais plus. J’aurais fait une infidélité de retenir quelque pensée pour la mettre, et Notre Seigneur me fit la grâce que cela n’arriva pas. À mesure que j’écrivais, je me sentais soulagée et je me portais mieux.

Le premier jet date de l’été 1682 : c’est donc une œuvre de relative jeunesse puisque Mme Guyon a vécue tout juste la moitié de son existence. Elle y compare le chemin spirituel à un torrent, mais il manquait des précisions sur sa fin : le lac ou la mer où se mêle l’eau du torrent parvenu au terme de sa course.

Insatisfaite du dernier chapitre de sa première écriture, qui précédait une Conclusion […] à son confesseur, elle ajouta donc une « seconde partie », où elle précise cet achèvement, ceci à une date indéterminée, précédant toutefois 1695509. Après sa sortie de prison en 1703, elle révisa et compléta le texte, corrigeant « un grand nombre de formules peu heureuses510 ». Cette seconde partie des Torrents a été souvent négligée parce qu’elle abandonne la comparaison avec le cours d’eau qui fait le charme de la première ; mais, ajoutée après coup, elle couvre l’essentiel de la vie mystique.

Orcibal fait le récit suivant relatif à l’histoire manuscrite :

Mme Guyon ne chercha jamais à publier les Torrents, mais, après son retour à Paris en 1686, elle montra l’écrit à la duchesse de Charost qui « en fit un grand état » et à un con­fesseur, le P. du troisième Ordre Paulin d’Au­male, « sans lui permettre cependant d’en prendre de copie ». Le religieux le « trouva fort spirituel », bien qu’il y eût « des choses qu’il n’approuvait pas ». Le duc de Chevreuse en eut communication et, le 12 mai 1693, Mme Guyon lui permettait même d’en « faire lire le commencement » à J. J. Boileau qui avait déjà examiné son Moyen Court. Les 23 et 24 août 1693, elle plaçait beaucoup plus de confiance dans le jugement qu’en ferait Bossuet, ajoutant : « S’il y a quelque chose de trop fort dans les Torrents, je l’expliquerai et, si je me suis trompée dans ce que j’ai écrit, je suis ravie d’être redressée ». Hélas ! Dès le 30 septembre 1693 Bossuet disait « avoir vu un écrit des Torrents, fort mauvais ». Mais il ne devait s’agir que d’une copie sans autorité, puisque le ler septembre 1694 on demanda au P. Paulin d’Aumale l’attestation que c’était « le même écrit que je me souviens d’avoir lu autre­fois mot à mot et qui m’avait été prêté par Mme Guyon ». Le 6 décembre 1694, Bossuet et Noailles posèrent à celle-ci huit questions sur des expressions des Torrents et M. Tronson compléta le 12 l’interrogatoire : elle donna des réponses satisfaisantes, mais incomplètes. Une fois à Meaux, elle déclara solennellement à Bossuet les 15 avril et 1er juillet 1695 : « Quant aux manuscrits qu’on répand sous mon nom, notamment celui qu’on nomme Torrens… je n’en puis avouer aucun à cause des altérations qu’on a faites dans les copies ». Aussi l’ouvrage ne fut-il pas mentionné dans les Instructions pastorales de Bossuet et de Noailles d’avril 1695.

Jusqu’ici demeure l’espoir d’une compréhension ou du moins d’un accommodement par transaction entre d’une part Mme Guyon, la duchesse de Charost, aînée du groupe fondé par Bertot, le duc de Chevreuse devenu confident, et d’autre part Paulin d’Aumale, Bossuet et Noailles, enfin Tronson agissant peut-être comme modérateur. Mais, après le traitement de choc par Bossuet auquel fut soumise Mme Guyon lors de son séjour volontaire à la Visitation de Meaux :

Tout changea après que Mme Guyon se fut enfuie de Meaux et, le 21 novembre 1695, l’évêque de Chartres Godet-Desmarais publia un mandement où il dénonçait une soixantaine de propositions de Mme Guyon, dont près de vingt, et les plus accablantes, étaient tirées d’un manuscrit des Torrents communiqué par Bos­suet. L’accusée protesta avec indignation dans une lettre du 27 au duc de Chevreuse : « Ceux qui ont transcrit… l’écrit des Torrens… avec une fin malicieuse » ont « ajouté des endroits et tron­qué d’autres qui le rendent tout à fait différent de lui-même ». 511.

On trouvera dans les 63 propositions dont nous repérons les collages au fil du texte des Torrents des gauchissements qui justifient les protestations de madame Guyon.



Les sources et la diffusion de l’œuvre. Leçon choisie.

Quatre manuscrits des Torrents sont actuel­lement connus :

– le ms. (R) des Archives générales O. P., Rome, Sainte - Sabine, XIV, 461 a, envoyé sans doute par Bossuet en 1698 avec l’attes­tation du P. Paulin d’Aumale ;

– le ms. (G) des Archives de Saint — Sulpice 2056 muni du même certificat. La table (dres­sée par un sulpicien en 1700 - 1703) précise : « Cette copie a été faite sur celle de M. l’évêque de Chartres qui a fait transcrire la sienne sur celle de M. l’évêque de Meaux, lequel assure que la sienne est fidèle. Elle diffère du manus­crit suivant qui nous a été envoyé d’Autun » (p. 241).

– Nous désignons par (A) cette autre pièce du même ms. 2056.

– Enfin le ms. 169 de la B. M. de Sens (S) a ap­partenu à l’archevêque Languet de Gergy dont le nom est bien connu des historiens de Fénelon et de Mme Guyon.

Les mss. À et S ne portent pas le certificat du P. Paulin, mais R, G et S semblent remonter à un archétype commun512.

Mme Guyon protestera contre l’utilisation de copies peu sûres (ou tronquées) des Torrents et veillera sur son œuvre de jeunesse513. Il faut attendre 1699 pour voir la première édition hollandaise de Pierre Poiret incluant la première partie des Torrents. L’« Avertissement », qui ne serait pas de Poiret, soulève clairement les points les plus difficiles à admettre par ses détracteurs « anti-mystiques » — et aussi par de nombreux observateurs « neutres » :

Ceux qui les ont vus [les manuscrits cités auparavant] et qui prétendent la convaincre de quiétisme, disent qu’elle fait remarquer trois sortes de choses extraordinaires en elle : la première qui regarde les communications intérieures en silence, laquelle elle dit être très aisée à justifier par le grand nombre de personnes de mérite et de probité, qui en ont fait l’expérience. Pour les choses à venir, c’est une matière sur laquelle elle ne désire pas trop qu’on fasse attention […] Au regard des communications, on lui fait dire que Dieu lui donne une abondance de grâce […] on n’a qu’à s’asseoir en silence auprès d’elle, et l’on y reçoit la grâce […], mais puisque l’évêque de Meaux et les autres prélats de son parti, toléraient Madame Guyon, qu’ils l’admettaient à la communion, et qu’ils ne se sont déchaînés contre elle que depuis qu’ils ont été animés contre l’archevêque de Cambrai, il y a bien plus d’apparence que c’est elle qui est victime de cet archevêque. L’amitié que ce prélat lui avait témoignée lui est devenue funeste…514.

Il faut attendre 1712 pour que Poiret puisse donner le texte complet augmenté d’après « deux manuscrits qu’on croit être du nombre des meilleurs », assez proches de celui d’Autun. Pour Orcibal :

Cette fois il s’agit d’un texte ré­visé et complété par l’addition de mots, de lignes et même de pages qui expliquent les pas­sages délicats et font disparaître les expressions choquantes. Est-ce à dire que l’édition précé­dente renfermait une « quantité prodigieuse de fautes » (Préface, pp. 24 sq.) ? Ce serait bien in­vraisemblable. Il ne serait pas moins injuste d’attribuer les nouvelles leçons à Poiret lui-­même (qui ne se prive d’ailleurs pas de dé­velopper dans des notes ses idées personnel­les). Il s’agit bien plutôt d’une seconde édition composée par Mme Guyon après la libération (1703) qu’elle finit par obtenir après avoir pas­sé six ans à Vincennes et à la Bastille : le Dr James Keith [de Londres] aura alors servi d’intermé­diaire515.

Le texte de Torrents fut assez largement diffusé puis subit une longue éclipse. Sa reconnaissance récente est due à quelques rééditions modernes, les éditions anciennes étant devenues très rares. Les informations qui accompagnent ces mises à disposition par Jean Orcibal, puis Marinette Bruno, sont complétées par Claude Morali qui présente cette histoire et décrit les manuscrits actuellement localisés : Rome, Sens, et deux à Paris516.

Nous prenons comme leçon la dernière édition sortie de presse l’année qui suivit la mort de Poiret, grâce aux soins des membres de son cercle spirituel de Rijnsburg517. Trois années se sont écoulées depuis la mort de Mme Guyon. Cette édition suit très probablement la volonté de « notre mère » dont Poiret devint, à la fin de sa vie, un disciple aimé518 : elle aurait revu une copie que l’on peut considérer comme le dernier état de l’œuvre. Trois années seulement séparent son décès en juin 1717, de cette édition de 1720, qui peut ainsi être assimilée à une « dernière édition du vivant de l’auteur » si l’on tient compte de l’intimité qui unissait les membres du cercle ainsi que d’un délai d’impression compréhensible à la suite des deux décès. On note que Mme Guyon révisa la Vie publiée la même année par l’équipe Poiret : nous disposons dans ce dernier cas de traces manuscrites, dont un autographe attaché au ms. d’Oxford utilisé par Poiret519.

En tout état de cause l’édition de 1720 diffère très peu de l’édition de 1712, qui apporte par contre d’assez longs ajouts aux manuscrits qui nous sont parvenus, Poiret disposant en 1712 selon Orcibal d’un « meilleur manuscrit, probablement mis au point par madame Guyon elle-même. » La comparaison avec le ms. « A » d’Autun fournit de nombreuses corrections portant sur des contresens évidents et améliore beaucoup la précision du message.

Nous pensons ainsi respecter la volonté de la « Dame directrice » en nous conformant à la règle d’édition de la dernière forme revue. Ne faut-il pas en effet accorder le bénéfice d’une révision du texte à celle à qui l’on reproche trop souvent une écriture sans repentir ? Car il ne s’agit pas ici d’un poème dont on devrait privilégier le premier élan, mais de la description précise et exacte du cheminement le long d’une voie mystique parcourue en de nombreuses années.

Ajouter toutes les variantes des manuscrits et des éditions antérieures aurait conduit à un fourmillement voilant complètement les adjonctions à la signification de l’œuvre520. Aussi ne donnons-nous que celles qui affectent le sens profond, mais en retenant toutefois certaines des modifications spirituellement fines des variantes du ms. des archives Saint-Sulpice « A » d’Autun, celles de l’édition de 1704, et celles de l’édition de 1712.

Foi nue et tableau des voies.

Tout le chemin est résumé par l’image du torrent sauvage : cette dynamique qui bouscule toute la personne conduit à un engloutissement dans le flot de la grâce décrit sur le mode subjectif dans la Vie par elle-même :

[1.8.10.] Rien ne m’était plus facile alors que de faire oraison : les heures ne me duraient que des moments et je ne pouvais ne la point faire : l’amour ne me laissait pas un moment de repos. […] rien ne se passait de mon oraison dans la tête, mais c’était une oraison de jouissance et de possession dans la volonté, où le goût de Dieu était si grand, si pur et si simple qu’il attirait et absorbait les deux autres puissances de l’âme dans un profond recueillement, sans acte ni discours. J’avais cependant quelquefois la liberté de dire quelques mots d’amour à mon Bien-aimé ; mais ensuite tout me fut ôté. C’était une oraison de foi savoureuse qui excluait toute distinction, car je n’avais aucune vue ni de Jésus-Christ, ni des attributs divins : tout était absorbé dans une foi savoureuse, où toutes distinctions se perdaient pour donner lieu à l’amour d’aimer avec plus d’étendue, sans motifs ni raisons d’aimer. Cette souveraine des puissances, la volonté, engloutissait les deux autres puissances […] c’est que la lumière générale, pareille à celle du soleil, absorbe toutes lumières distinctes, et les met en obscurité à notre égard, parce que l’excès de sa lumière les surpasse toutes.

L’Abrégé reprend une description comparable, mais exprimée cette fois sur le mode objectif :

[§ II, 1] Les personnes qui sont conduites par cette voie sont celles qui éprouvent la science savoureuse, quoique conduites par un abandon aveugle. Elles ne vont jamais par les lumières de l’esprit comme les premières qui reçoivent des lumières distinctes pour leur conduite et qui, voyant les routes par où elles sont conduites, ne marchent jamais par les routes impénétrables de la volonté cachée, ce qui n’est que pour les dernières. Les premières marchent sur les témoignages que leurs lumières leur donnent, aidées de leur raison, et elles font bien ; mais les secondes, destinées à suivre aveuglément une conduite inconnue qui leur paraît toute naturelle, quoique elles semblent aller à tâtons, vont cependant plus sûrement que les premières, qui peuvent se tromper dans les lumières de leur esprit.


La voie mystique est ainsi présentée dans LES TORRENTS Spirituels et dans le PETIT ABRÉGÉ de la voie et de la réunion de l’âme à Dieu que nous livrons à sa suite. Nous suggérons dans le tableau qui suit des correspondances entre des chapitres ou des paragraphes repérées dans ces deux œuvres, tout en étant conscient du risque de substituer à la diversité des vécus un chemin qui serait la norme !

La division traditionnelle en « trois voies » est rappelée dans la dernière colonne du tableau en l’appliquant à la seule vie mystique profonde. Le modèle des trois voies prête en effet à confusion, car certains y incluent parfois ce qui précède la vie proprement mystique, alors que la purgation suit l’appel divin : la vie mystique commence par un des états de passiveté où Dieu illumine l’homme par in-action sans que ce dernier y soit pour quelque chose.

Les Torrents expose amplement la voie passive en foi, préférée à la voie passive de lumière qui correspond à une « mystique » des phénomènes trop souvent privilégiée. Les deux voies ne se succèdent pas — du moins généralement —, sinon dans l’exposé : le Petit Abrégé, probablement rédigé postérieurement à la seconde partie des Torrents, évite toute digression et toute ambiguïté, en ne s’attachant qu’à la voie passive en foi sans lumière distincte. C’est celle à laquelle appelle Mme Guyon.



Addition à la présentation

Une reprise de la présente édition (presque) critique devra tenir compte des variantes relevées par Jean Orcibal dans sa préface aux Opuscules que l’on trouvera au tome 13. Témoignages & Etudes.

LES TORRENTS SPIRITUELS. TRAITÉ

Dans lequel521* sous l’emblème d’un TORRENT, on voit,

Comment Dieu, par la VOIE DE L’ORAISON passive en FOI , purifie et dispose prochainement les âmes qui doivent arriver ici à une vie nouvelle et toute divine.

Retouché et augmenté sur une Copie revue par l’Auteur522.

« Mes jugements [pour purifier les âmes de leurs péchés] se manifesteront comme de l’eau, et ma justice en façon d’un gros torrent523*. »

Lettre de l’auteur à son confesseur524 servant de préambule. Vive Jésus, Marie, Joseph !  C’est en leurs noms et pour obéir à Votre Révérence, que je vais commencer à écrire ce que je ne sais pas moi-même, tâchant autant qu’il me sera possible de laisser conduire mon esprit et ma plume au mouvement de Dieu, n’en faisant525 point d’autre que celui de ma main. Mais comme mes infidélités, et la pente naturelle que nous avons à mêler ce qui est nôtre à ce que Dieu fait, pourrai [en] t bien m’engager, sans le vouloir, à mêler mes atomes et mes impuretés parmi les rayons divins, j’espère que Notre Seigneur vous les fera distinguer, et que cette impureté ne pouvant s’allier au soleil526, servira à le mieux découvrir, et à faire connaître davantage sa pureté. Je reconnais donc que tout ce qui se trouvera de bon, sera de Notre Seigneur, n’y ayant moi-même aucune part, puisque, lorsque je commence à écrire, je ne sais point ce que je dois écrire ; et que même s’il me venait des pensées sur cela, je les regarderais comme des distractions, et l’attention que j’y ferais, comme des infidélités notables. Tout ce qui se trouvera de gâté, sera mon propre : et comme je sais que c’est à votre lumière, mon très cher Père, que ceci sera exposé, j’écris simplement et sans retour ce qui me viendra dans l’esprit, laissant à Votre Révérence le soin de séparer le vil du précieux, l’humain du divin, et l’erreur de la vérité.

Première partie

Chapitre I. Divers retours de l’âme à Dieu527.

1. Sitôt qu’une âme est touchée de Dieu et que son retour est véritable et sincère, après la première purgation que la confession et la contrition ont faite, Dieu lui donne un certain instinct de retourner à Lui d’une manière plus parfaite et de s’unir à Lui. Elle sent alors qu’elle n’est pas créée pour les amusements et les bagatelles du monde, mais qu’elle a un centre et une fin528 où il faut qu’elle tâche de retourner et hors de laquelle elle ne trouve jamais de véritable repos.

2. Cet instinct est mis dans l’âme d’une manière très forte : en quelques âmes plus, et en quelques autres moins, selon les desseins de Dieu ; mais elles ont toutes une impatience amoureuse de se purifier, et de prendre les voies et moyens nécessaires pour529 retourner à leur source et origine, semblables aux rivières, qui, après qu’elles sont sorties de leurs sources, ont une course continuelle pour se précipiter dans la mer. Vous voyez même que de toutes ces rivières les unes vont gravement et lentement, et les autres vont avec plus de vitesse ; mais il y a des fleuves et des torrents qui courent avec une impétuosité effroyable et que rien ne peut arrêter. Toutes les charges que vous pourriez leur donner, et les digues que vous pourriez mettre pour empêcher leur cours, ne serviraient qu’à en redoubler la violence.

3. Il en est ainsi de ces âmes530. Les unes vont doucement à la perfection, et elles n’arrivent jamais à la mer, ou que très tard, se contentant de se perdre dans quelque rivière plus forte et plus rapide, qui les entraîne avec elle dans la mer ; les autres, qui sont les secondes, y vont plus fortement et plus promptement que les premières. Elles y portent même avec elles quantité de ruisseaux ; mais elles sont lentes et paresseuses en comparaison des dernières, qui se précipitent avec tant d’impétuosité, qu’elles ne sont même bonnes à guère de choses. On n’ose naviguer sur elles, ni leur confier aucune marchandise, si ce n’est en certains endroits et en certains temps. C’est une eau folle et téméraire, qui se bat contre les rochers, qui effraie de son bruit, et qui ne s’arrête à rien ; les secondes au contraire, sont plus agréables et plus utiles : leur gravité plaît, et elles sont toutes chargées de marchandises ; et on y va sans crainte et sans péril.

Il faut voir avec l’aide de la grâce ces trois sortes de différentes personnes sous ces trois figures que j’ai proposées, et commencer par les premières pour heureusement finir par les dernières.

Chapitre II. Voie active de la méditation531.

1. Les premières âmes sont celles qui, après leur conversion, s’adonnent à la méditation, ou aux œuvres mêmes de532 charité ; elles font quelques austérités extérieures ; enfin elles tâchent peu à peu de se purifier, d’essuyer certains péchés notables, et même de véniels volontaires. Elles travaillent selon leurs petites forces à avancer peu à peu, mais faiblement et petitement.

2. Comme leur source n’est pas abondante, la sécheresse les fait quasi tarir. Il y a des endroits même dans les temps d’aridité533 où elles se dessèchent tout à fait. Elles ne laissent pas de couler de la source ; mais c’est si faiblement qu’à peine s’en aperçoit-on. Ces rivières ne portent point ou peu de marchandises ; et534 si, pour le besoin public, il faut leur en faire porter, il faut en même temps que l’art supplée535 à la nature, et trouver le moyen de les grossir, ou par la décharge de quelques étangs, ou par le secours de quelques autres rivières de même espèce, que l’on joint et unit à elles, lesquelles rivières jointes ensemble augmentent l’eau et, se secourant les unes les autres, se mettent en état de porter quelques petits bateaux, non dans la mer, mais dans quelques-unes de ces maîtresses rivières dont nous parlerons ci-après.

3. Ces âmes-ci sont ordinairement peu appliquées au-dedans. Elles travaillent au-dehors, et ne sortent guère de la méditation, aussi ne sont-elles pas propres à de grandes choses. Elles ne portent point pour l’ordinaire de marchandises : cela veut dire qu’elles536 n’ont rien pour les autres ; et Dieu ne se sert ordinairement de ces âmes si ce n’est pour porter quelques petits bateaux, c’est-à-dire pour quelques œuvres de miséricorde corporelle : encore pour s’en servir, il leur faut décharger des étangs des grâces537 sensibles, ou les unir à quelques autres dans la religion, où plusieurs d’une grâce médiocre ne laissent pas de porter un petit bateau, non dans la mer même, qui est Dieu, où elles n’entrent jamais538 dans cette vie, mais bien dans l’autre.

4. Ce n’est pas que ces âmes ne se sanctifient par cette voie. Il y a même quantité de bonnes âmes qui passent pour très vertueuses539, qui ne la passent pas, Dieu leur donnant des lumières conformes à leur état, et qui sont quelquefois très belles, et font l’admiration des spirituels ordinaires. Il y a même quelques-unes de ces âmes qui à la fin de leur vie reçoivent quelques lumières passives, selon la fidélité qu’elles ont eue dans leur voie ; mais pour l’ordinaire elles ne sortent point d’elles-mêmes : toutes leurs grâces540 et leurs lumières, étant d’une manière créée, je veux dire proportionnées à leur capacité, sont distinguées, aperçues et accompagnées de ferveurs ; et plus ces mêmes lumières sont distinguées, aperçues et accompagnées de ferveurs, plus elles s’y attachent, et ne trouvent rien de plus grand en cette vie.

5. Les plus favorisées de ces âmes pratiquent la vertu avec beaucoup de générosité541. Elles ont mille inventions saintes et mille pratiques pour se porter à Dieu et pour demeurer en sa présence. Le tout cependant se fait par leurs propres efforts, aidés et secourus de la grâce. Mais dans ces âmes, leur opérer paraît excéder celui de Dieu, et celui de Dieu ne fait que concourir avec le leur.

6. Je crois que qui voudrait porter ces âmes à une oraison plus élevée542 n’y réussirait pas pour plusieurs raisons. La première est que, comme ces âmes n’ont rien de surnaturel qu’à mesure de leur travail, si vous leur ôtez leur travail, vous empêchez le543 cours des grâces, semblables à ces pompes qui ne donnent de l’eau qu’à mesure qu’elles sont agitées. Vous remarquerez544 même en ces âmes une grande facilité à raisonner, à s’aider de leurs puissances, une activité toujours vigoureuse et forte, un désir de faire toujours quelque chose de plus et de nouveau pour se perfectionner ; et dans les sécheresses, une anxiété pour s’en défaire, aussi bien que de leurs défauts.

7. Ces âmes ont beaucoup de hauts et bas. Tantôt elles font merveille, d’autres fois elles languissent et rampent, et elles n’ont jamais une conduite unie ; d’autant que le principal de leur oraison étant dans les puissances, lorsque ces puissances sont desséchées, soit faute de travail de leur part, soit faute de correspondance de la part de Dieu, elles tombent dans le découragement, ou bien elles s’accablent d’austérités et d’efforts pour retrouver par elles-mêmes ce qu’elles ont perdu. Elles n’ont jamais, comme les autres âmes, une profonde paix ni le calme dans leurs distractions ; au contraire elles sont toujours alertes pour545 les combattre ou pour s’en plaindre. Elles sont pour l’ordinaire scrupuleuses, entortillées dans leurs voies, à moins qu’elles n’aient l’esprit d’une force assez raisonnable.

8. Il ne faut donc pas porter ces âmes à l’oraison passive : car546 ce serait les ruiner sans ressource, leur ôtant les moyens d’avancer vers Dieu. Car comme une personne qui serait obligée de voyager et qui n’aurait ni bateaux ni carrosses, ni aucunes autres voies que celle d’aller à pied, si vous lui ôtiez les pieds, vous la mettriez hors d’état d’avancer. De même ces âmes, si vous leur ôtiez leur opérer, qui est leurs pieds, elles n’avanceraient jamais.

9. Et je crois que c’est ce qui fait aujourd’hui les contestations qui arrivent parmi les personnes d’oraison. Celles qui sont dans la passive connaissant le bien qui leur en revient, y voudraient faire marcher tout le monde ; les autres au contraire, qui sont dans la méditation, voudraient borner tout le monde à leur voie, ce qui serait une perte et un dommage qui ne se peut dire. Que faut-il donc faire ? Il faut prendre le milieu et voir si les âmes sont propres à une voie ou à l’autre.

10. Le directeur expérimenté le pourra connaître par l’opposition qu’elles ont à demeurer en repos et à se laisser conduire par l’Esprit de Dieu, par un fourmillement de fautes et de défauts dans lesquels elles tombent sans quasi les voir ou les connaître ; ou, si ce sont des personnes d’une sagesse et prudence humaines, par une certaine adresse547 à couvrir et à elles et aux autres leurs défauts, par une attache à leurs sentiments et par quantité de fautes que l’on ne peut expliquer et que le directeur expérimenté connaîtra.

Les faut-il donc laisser toute leur vie dans le raisonnement ? Je crois que si elles sont assez heureuses que de trouver un directeur habile, il ne laissera pas de les faire bien plus avancer : et un nombre infini d’âmes qui ne croient être propres que pour la méditation, arriveraient à la perfection la plus consommée si elles trouvaient un directeur avancé. Et tant s’en faut qu’un directeur de grâce leur nuise : il leur servira infiniment, les faisant marcher selon toute l’étendue que Dieu veut d’elles, ne prévenant pas la grâce ni ne différant pas de la suivre, mais548 la secondant et y faisant correspondre, au lieu549 qu’un directeur d’une grâce commune arrête les âmes, empêche qu’elles n’avancent, et se les approprie.

11. Le directeur expérimenté portera donc ces âmes-ci à faire moins de raisonnements et plus d’affections : il les dénuera peu à peu de leur raisonnement, y substituant les bonnes affections en la place ; et s’il voit ces âmes peu à peu se simplifier et goûter plus l’affection que le raisonnement, le raisonnement tarissant peu à peu, c’est une marque qu’il y a quelque chose à faire dans ces âmes pour le spirituel550.

12. Il faut remarquer cependant que si le raisonnement tarissait par la faiblesse du sujet et que ces âmes se sentissent portées non à aimer, mais seulement à ne rien faire par une stupidité et fainéantise, il faut les porter à s’exercer. Si elles ne le peuvent pas par l’entendement, du moins par + l’affection et + la volonté551, car les âmes qui commencent à se dessécher par grâce ne sont pas plus imparfaites plus elles se dessèchent : au contraire elles ont un instinct de se poursuivre elles-mêmes pour se combattre et de poursuivre la lumière pour la retrouver et la suivre. Il faut donc les aider et552 les porter, non à se dénuer, mais à se remplir plus la volonté que l’entendement. Il ne faut pas les porter à se reposer, mais à courir de toutes leurs forces selon leur petit pouvoir jusqu’à ce qu’il plaise à Dieu de soulager leur travail + et leur marcher + par553 quelque voiture, ou plutôt, suivant ma première comparaison, jusqu’à ce que ces petites rivières faibles trouvent le fleuve ou la grande rivière, qui les reçoit dans son sein et les porte dans la mer.

13. Je ne sais pourquoi l’on crie si fort contre les livres spirituels et les personnes qui écrivent et parlent des voies intérieures. Je soutiens que cela ne peut nuire, si ce n’est à quelques âmes qui veulent se perdre pour leur554 plaisir, à qui non seulement ces choses nuisent, mais tout le reste, semblables aux araignées qui convertissent les fleurs en venin. Mais555 aux âmes humbles et désireuses de leur perfection, cela ne leur peut nuire, d’autant qu’il est impossible qu’une âme puisse les comprendre et en faire usage si le don ne lui en est donné ; et quelques lectures qu’elles puissent faire, elles ne peuvent se figurer des états qui, étant surnaturels, ne peuvent tomber sous l’imagination, mais bien sous l’expérience. Et de plus, quand la personne voudrait se tromper elle-même et se servir des termes qu’elle aurait lus, le directeur habile dans les interrogations qu’il lui ferait, verrait bien la tromperie. De plus l’état d’une âme dans un degré en suppose toutes les suites, et la perfection va d’un pas égal avec l’avancement intérieur.

Ce n’est pas qu’il n’y ait des âmes avancées dans l’oraison qui auront des défauts en apparence plus grands que des âmes communes ; mais ils ne sont pas de même ni quant à la nature ni quant à la qualité.

14. La seconde raison pourquoi je dis que ces livres ne peuvent faire de mal, c’est qu’ils portent avec soi tant de morts, de556 détachements, tant de choses à vaincre et557 à détruire que l’âme n’aurait jamais assez de force pour l’entreprendre si son intérieur n’est vrai. Et quand même elle l’entreprendrait, elle aurait par ses seules pratiques l’effet de la méditation, qui n’est que de travailler à se détruire. Toute la différence est que l’âme n’agirait pas par un principe divin, mais seulement vertueux : ce que le directeur expérimenté découvrirait.

15. C’est pourquoi une âme ne doit jamais se conduire elle-même, ni craindre d’avoir un directeur trop éclairé. C’est se vouloir tromper soi-même que d’en vouloir chercher un autre ; et par une lâcheté de courage vouloir borner l’Esprit de Dieu en bornant sa perfection à telle ou telle chose.

Ce que je conclus de cela, c’est qu’il faut toujours choisir le directeur le plus spirituel, qui en quelque degré que l’on soit, servira ; et558 que Dieu vous accordera, ô vous559 qui n’espérez rien de surnaturel, par cet homme qui Lui est cher, ce qu’Il ne vous accorderait pas à vous-même.

16. Mais pour ces directeurs qui s’approprient les âmes, qui les veulent conduire à leur mode et non à celle de Dieu, qui veulent donner des bornes à ses grâces et poser des limites pour les empêcher d’avancer, pour ces directeurs, dis-je, qui ne connaissent qu’une voie et qui y veulent faire marcher tout le monde, les maux qu’ils font aux âmes sont sans remède, parce qu’ils les tiennent arrêtées tout le temps de leur vie à certaines choses qui empêchent Dieu de se communiquer infiniment. Quel compte ne leur faudra-t-il pas rendre de ces âmes ? S’ils n’ont pas de lumière pour les conduire, que ne les laissent-ils aller à d’autres maîtres plus avancés ? Ils devraient avoir assez de charité pour560 le leur conseiller eux-mêmes.

Il me semble qu’il faudrait agir dans la vie spirituelle comme l’on fait dans561 l’école : on ne retient pas toujours les écoliers dans une même classe ; on les fait passer dans d’autres plus élevées et les maîtres de sixième et de cinquième ne s’ingèrent pas de montrer la562 philosophie. Ô sciences humaines, vous êtes si peu de chose et l’on ne laisse pas de prendre tant de précautions ! Ô science mystique et divine, vous êtes si grande et si nécessaire ; et cependant on vous néglige, on vous borne, on vous contraint, on vous violente ! Ô n’y aura-t-il jamais une école d’oraison! Hélas, pour en avoir voulu faire une étude, on a tout gâté ! On a voulu donner des règles et des mesures à l’Esprit de Dieu, qui est sans mesure.563*.

17. Il n’y a pas une âme qui ne soit capable d’oraison et qui ne puisse et ne doive s’y appliquer. Les personnes les plus grossières et les plus stupides en sont capables. Je le sais par mon expérience : car certaines âmes s’étant adressées à moi564, qui avaient une incapacité quasi invincible + pour l’oraison + et565 qui ne voulaient pas s’y appliquer, et après s’y être appliquées, voulaient tout quitter ; comme elles avaient bien de la confiance en moi, je les obligeais par une douce violence à continuer malgré leur répugnance et le peu de profit qu’elles croyaient faire, car elles se croyaient tout à fait inutiles. Cependant, après plusieurs années de persévérance, elles sont arrivées à une très haute oraison infuse. Elles m’ont avoué elles-mêmes que si je n’avais tenu bon, elles auraient tout quitté et se seraient perdues. Cependant, si ces âmes avaient trouvé certains directeurs, ils n’auraient pas hésité de leur dire qu’après avoir passé quatre et cinq années à faire l’oraison sans pouvoir ni méditer ni être échauffées de l’amour de Dieu ni sans être plus parfaites, c’était une marque que Dieu566 ne les y appelait pas. Ô pauvres âmes ainsi impuissantes ! Vous êtes plus567 propres à servir aux desseins de Dieu et si vous êtes fidèles, vous ferez mieux oraison que ces grands raisonneurs, qui font plutôt une étude à l’oraison qu’une oraison.

18. Je dis plus, ces pauvres âmes qui paraissent si impuissantes et si incapables, sont très propres pour la contemplation, pourvu qu’elles ne se lassent point de frapper à la porte et d’attendre avec une humble patience qu’elle leur soit ouverte. Ces grands raisonneurs, ces entendements si féconds, qui ne sauraient demeurer un moment en silence devant Dieu, qui paraissent avoir une facilité admirable, qui ont un babil continuel, qui savent si bien rendre compte de leur oraison et de toutes ses parties, qui la font toujours comme il leur plaît et avec les mêmes méthodes, qui s’exercent comme ils veulent sur tous les sujets qu’ils se proposent, qui se contentent si fort d’eux-mêmes et de leurs lumières, qui raffinent sur les préparations et méthodes d’oraison, n’y avanceront jamais guère, et après dix et vingt ans de cet exercice, seront toujours les mêmes. O mon Dieu, enseignera-t-on avec méthode à faire l’amour à l’Amour même ? Hélas ! Quand il est question d’aimer une misérable créature, se sert-on de méthode pour cela ? Les plus ignorants en ce métier sont les plus habiles. Il en est de même, quoique bien différemment, de l’Amour divin.

19. C’est pourquoi, ô sage directeur, si une pauvre âme qui n’a jamais fait oraison s’adresse à vous pour apprendre à la faire, apprenez-lui à bien aimer Dieu et faites-la jeter à corps perdu dans l’Amour, et elle sera bientôt maîtresse. Si c’est un naturel peu propre568 à aimer, qu’elle fasse de son mieux et qu’elle attende en patience que l’Amour même se fasse aimer à sa mode et non à la vôtre. Des sujets simples, courts, affectifs et peu raisonnés sont les meilleurs pour des commençants. Des569 vérités solides, lues et570 un peu digérées hors de l’oraison feront autant que la méditation ; mais faites-leur employer le temps de l’oraison à571 beaucoup aimer.

Chapitre III. Voie passive de lumière 572

1. Les secondes âmes sont comme ces grandes rivières qui vont à pas lents et graves. Elles coulent avec pompe et majesté. On distingue leur course, qui a de l’ordre. Elles sont chargées de marchandises et peuvent aller elles-mêmes dans la mer sans s’écouler dans d’autres rivières ; mais elles n’y arrivent que tard, leur marcher étant grave et lent ; de plus il y en a quelques-unes qui n’y entrent jamais ; et pour la plupart, elles se perdent dans d’autres plus grands fleuves ou bien elles aboutissent à quelque bras de mer. Plusieurs de ces rivières-ci ne servent qu’à porter des marchandises, et elles en sont très chargées. On les peut retenir par des écluses et les détourner par certains endroits. Telles573 sont les âmes qui sont dans la voie passive de lumière. Leur source est très abondante. Elles sont chargées de dons, de grâces et de faveurs célestes. Elles font l’admiration de leur siècle, et quantité de saints qui brillent dans l’Église comme des étoiles lumineuses n’ont jamais passé ce degré.

2. Ces âmes-ci sont de deux manières. Les unes ont commencé par la voie commune et ont été ensuite attirées à la contemplation passive par la bonté de Dieu qui a eu pitié de leur travail inutile, sec et aride, ou pour une récompense de leur première fidélité.

Les autres sont prises comme tout à coup574 : elles ont été saisies par le cœur et elles se sentent aimer sans avoir appris a connaître l’objet de leur amour. Car il y a cette différence entre l’Amour divin et l’amour humain, que le dernier suppose une connaissance de575 l’objet, parce que, comme il est au-dehors, il faut que les sens s’y portent ; et les sens ne s’y portent que parce qu’il leur est communiqué : les yeux voient et le cœur aime. Il n’en est pas de même de l’Amour divin. Dieu ayant une puissance absolue sur le cœur de l’homme et étant son principe et sa fin, il n’est pas nécessaire qu’Il lui fasse connaître ce qu’Il est : Il le prend d’assaut sans donner de bataille. Le cœur est impuissant de Lui résister sans que576 Dieu use d’une autorité absolue et de violence, si ce n’est en quelques-uns où Il577 l’a fait578 pour faire éclater son pouvoir. Il prend donc ces âmes de cette manière, les faisant brûler tout d’un coup ; mais pour l’ordinaire Il leur donne des éclairs de lumière qui les éblouissent et les enlèvent.

3. Rien n’est si lumineux ni si ardent que ces âmes. Les directeurs sont charmés lorsqu’ils les ont sous leur conduite. Et comme le travail de ces âmes-ci n’est pas essentiel, aussi sont-elles plus tôt parfaites selon le degré qu’elles ont à perfectionner. Car comme Dieu ne veut pas d’elles une perfection si éminente que de celles qui suivent ni une purification si profonde579, aussi leurs défauts sont plus tôt580 épuisés581.

4. Ce n’est pas582 que ces âmes dont je parle ne paraissent bien plus grandes que celles qui suivent à ceux qui n’ont pas le discernement divin. Car elles arrivent extérieurement à583 une perfection éminente, Dieu élevant leur capacité naturelle à un degré éminent584. Elles ont des unions admirables, Dieu s’accommodant à leur capacité qu’Il rehausse extraordinairement en585 quelque manière. Mais cependant ces personnes ne sont jamais anéanties véritablement et586 Dieu ne les tire pas de leur être propre pour l’ordinaire pour les perdre en Lui.

5. Ces âmes-ci font pourtant l’admiration et l’étonnement des hommes. Dieu leur donne dons sur dons, grâces sur grâces, lumières sur lumières, visions, révélations, paroles intérieures, extases, ravissements, etc. Il semble que Dieu n’ait pas d’autre soin que d’enrichir et d’embellir ces âmes, que de leur communiquer ses secrets. Toutes les douceurs sont pour elles.

6. Ce n’est pas qu’elles ne portent de grandes croix, de fortes tentations qui sont comme les ombres qui rehaussent l’éclat de leurs vertus : car ces tentations sont repoussées avec vigueur, ces croix sont portées avec force, elles en désirent encore davantage, elles sont toutes feu et flammes, toute langueur, tout amour. Elles ont un grand cœur prêt à587 tout entreprendre. Enfin, en très peu de temps, elles588 font des prodiges et les miracles de leur siècle : Dieu se sert d’elles pour en faire et il semble qu’il suffise qu’elles désirent quelque chose pour que Dieu le leur accorde. Il semble que Dieu fasse son plaisir d’accomplir tous leurs désirs et de faire toutes leurs volontés. Elles sont dans une mortification très grande, elles portent de très grandes austérités589, les unes plus, les autres moins selon leur état et leur degré : car dans chaque état il y a bien des degrés et les uns arrivent à une perfection bien plus éminente que les autres. Dans la même voie, il y a bien des degrés différents.

7. Le directeur peut beaucoup nuire à ces âmes ou beaucoup les aider, parce que s’il n’entend pas leur voie, ou il les combattra et leur fera bien de la peine, comme l’on fit à sainte Thérèse, ce qui pourtant n’est pas le plus à craindre ; ou bien il les admirera trop et leur fera connaître à elles-mêmes le cas qu’il en fait, et c’est ici où est le grand dommage que l’on fait aux âmes, parce qu’on les amuse autour d’elles, les arrêtant aux dons de Dieu au lieu de les faire courir à Dieu par ses dons.

Le dessein de Dieu, dans la distribution et même dans la profusion qu’Il leur fait de ses grâces, est pour les faire avancer vers Lui, mais elles en font un usage tout différent : elles s’y arrêtent, elles les considèrent, les regardent et se les approprient ; d’où viennent les vanités, les complaisances, la propre estime, la préférence que l’on fait de soi aux autres, et souvent la perte et la ruine de590 l’intérieur.

8. Ces âmes-ci sont admirables pour elles-mêmes et quelquefois, par une grâce spéciale, elles peuvent beaucoup aider les autres, particulièrement si elles ont été pécheresses. Mais pour l’ordinaire ces âmes ne sont pas si propres à la conduite que celles qui suivent : car comme elles sont très591 fortes en Dieu et dans un degré éminent, elles ont de l’horreur pour le péché et souvent de l’éloignement pour les pécheurs [et] certaines592 antipathies qui sont de grâce. Si ces âmes sont supérieures, elles n’ont pas une certaine compassion de mère pour les pécheurs. Et comme elles n’ont pas éprouvé les misères qu’on leur découvre, elles s’en étonnent et s’en formalisent. Elles veulent une perfection trop forte des âmes et ne les acheminent pas peu à peu ; et s’il leur tombe entre les mains des âmes dans l’affaiblissement, elles ne les aident pas selon leur degré et selon les desseins de Dieu, et même souvent593 les écartent de leur voie. Elles ont peine à converser avec les âmes imparfaites, préférant leur solitude et leur vie à tous les accommodements de charité.

9. Si on entend parler ces personnes et que l’on ne soit pas divinement éclairé, on les croira dans les mêmes voies des dernières et même plus avancées. Elles se servent des mêmes termes de morts, de pertes, d’anéantissement, etc., et il est bien vrai qu’elles meurent en leur manières, qu’elles s’anéantissent et se perdent, car souvent leurs puissances sont perdues ou suspendues594 à l’oraison, elles perdent même l’usage de s’en servir et d’opérer avec, car tout ce qu’elles reçoivent, c’est passivement. Ainsi ces âmes sont passives, mais en lumière, en amour, en force. Si vous examinez de près les choses et que vous conversiez avec ces personnes, vous verrez qu’elles ont des volontés très bonnes et même admirables. Elles ont des désirs des plus grands et éminents du monde, elles portent la perfection où elle peut aller, elles sont détachées, elles aiment la pauvreté ; cependant elles sont et seront toujours propriétaires, et même de la vertu, mais d’une manière si délicate que les seuls yeux divins le peuvent découvrir.

10. La plupart des saints dont les vies sont si admirables, ont été conduits par cette voie. Ces âmes sont si chargées de marchandises que leur course est fort lente. Que faut-il donc faire à ces âmes ? Ne sortiront-elles jamais de cette voie ? Non, sans un miracle de la Providence et sans une conduite d’une direction divine595, qui porte ces âmes non à résister à ces grâces, non à les regarder, mais à les outrepasser596, en sorte qu’elles ne s’y arrêtent pas un moment : car ces vues sur elles-mêmes sont comme des écluses qui empêchent l’eau de couler.

11. Il faut que le directeur leur fasse connaître qu’il y a une autre voie plus sûre pour elles, qui est la foi : que Dieu ne leur donne ces grâces qu’à cause de leur faiblesse. Il faut, dis-je, que le directeur les porte à passer du sensible au surnaturel, de l’aperçu et assuré aux très profondes et très assurées ténèbres de la foi : qu’il ne paraisse faire aucun cas de tout cela, qu’il ne les en fasse pas écrire, à moins que l’âme ne fût dans un avancement si notable dans sa voie qu’ayant des connaissances nécessaires à être sues, il les leur fasse écrire. Encore est-il mieux qu’elles ne les écrivent point, car aussi bien ce n’est pas sur ces connaissances qu’il faut assurer rien, mais sur la Providence. Il est bon de connaître les desseins de Dieu, de travailler à les exécuter ; mais c’est la seule Providence qui en doit fournir les moyens et les faire exécuter. C’est là où il ne peut y avoir de tromperie.

Il est aussi inutile de vouloir discerner si ces choses sont de Dieu ou non +puisqu’il faut les outrepasser+ : car597 si elles sont de Dieu, elles s’exécuteront par la Providence en nous y abandonnant ; et si elles n’en sont point, nous ne serons pas trompés, ne nous y arrêtant pas.

12. Ces âmes-ci ont bien plus de peine d’entrer dans la voie de foi que les premières, et pour l’ordinaire elles n’y entrent jamais à moins que Dieu n’ait quelque dessein extraordinaire sur elles et qu’Il ne les destine à la conduite des autres. Car comme ce qu’elles ont est si grand et si fort de Dieu, qu’elles en sont certifiées598 et qu’elles ont même vu accomplir ce qu’elles ont prédit, elles ne croient point qu’il y ait rien de plus grand dans l’Église de Dieu : c’est pourquoi elles s’y tiennent attachées. Ces599 personnes sont sages, prudentes, elles ont souvent un zèle trop fort contre les faibles et les pécheurs. Elles ne feraient pas une fausse démarche tant elles sont compassées ; mais ce qu’elles veulent, elles600 le veulent +très imparfaitement+ et très fortement601. O Dieu, que de propriétés spirituelles qui paraissent de grandes vertus aux âmes qui ne sont pas éminemment éclairées, et qui paraissent de grands défauts et bien dangereux à celles qui le sont ! Car les âmes de cette voie regardent comme vertus ce que les autres considèrent comme des défauts subtils ; et même la lumière ne leur en est pas donnée, et lorsque on leur en parle, elles n’y entrent pas.

13. Ces âmes sont fermes dans leurs opinions et, comme leur grâce est grande et forte, elles s’en tiennent plus assurées. Elles ont des règles et des mesures dans leurs obéissances et la prudence les accompagne ; enfin elles sont fortes et vivantes en Dieu, quoiqu’elles paraissent mortes. Elles sont bien mortes quant à leur opérer propre, recevant les lumières passivement, mais non quant à leur fond.

14. Ces âmes ont aussi souvent le silence intérieur, la paix savoureuse, certains enfoncements en Dieu qu’elles distinguent et expriment bien ; mais elles n’ont pas cette pente secrète à n’être rien, comme les dernières. Elles veulent bien être rien par un certain anéantissement aperçu, une humilité profonde, un certain abattement sous le poids immense de la grandeur de Dieu, qui leur fait d’autant plus de peine à porter qu’elles sentent plus fortement ce poids de Dieu. Tout cela est un anéantissement où on loge sans être anéanti : on a le sentiment de l’anéantissement, mais on n’en a pas la réalité, car cela soutient encore l’âme, et cet état lui est plus satisfaisant qu’aucun autre, car il est plus sûr et elles le savent bien.

15. Ces âmes pour l’ordinaire n’arrivent en602 Dieu qu’en mourant, si ce n’est des âmes privilégiées que Dieu destine à être les lumières de son Église ou pour les sanctifier plus éminemment ; et celles-là, Dieu les dépouille peu à peu de toute leurs richesses. Mais comme il y en a peu d’assez courageuses après tant de biens pour les vouloir perdre, peu603 aussi et moins que l’on ne peut dire passent ce degré, le dessein de Dieu étant peut-être qu’elles ne le passent pas et que, comme il y a plusieurs demeures dans la maison de son Père604, elles n’occupent que celle-ci ; ou bien faute de courage, faute de directeurs éclairés : ceux qui les conduisent croiraient605 peut-être les avoir perdues s’ils les voyaient déchoir de ces dons et de ces grâces éminentes. Laissons-en les causes dans le dessein de606 Dieu.

16. Quelques-unes de ces âmes n’ont pas ces dons gratuits, mais seulement une force généreuse et intime, un amour secret, doux et paisible, général et vigoureux, qui consomme leur perfection et leur vie. Ces âmes sont adroites à cacher leurs défauts et à les déguiser, y donnant toujours quelque couleur ou607 prétexte.

+ 17. Les épreuves des âmes dont je viens de parler sont aussi extraordinaires que leur état. Elles viennent du démon et, quoique elles soient d’une extrême violence et toutes autres en apparence que celles qui doivent suivre, elles leur servent cependant encore de soutien. Elles sont livrées au démon qui exerce sur elles ce que peut sa malice, mais elles sont gardées toutes entières malgré les effroyables excès de ces esprits malins. Il faut une lumière bien grande pour discerner le soutien caché dans un état si terrible, mais l’expérience le fait connaître.+

Chapitre IV. Voie passive en foi, premier degré 608

1. Pour609 les âmes du troisième degré [ou de cette troisième voie610] que dirons-nous sinon611 que ce sont comme des TORRENTS qui sortent des hautes montagnes ? Elles sortent de Dieu même, et elles n’ont pas un instant de repos qu’elles ne soient perdues en Lui. Rien ne les arrête. Aussi ne sont-elles chargées de rien. Elles sont toutes nues et vont avec une rapidité qui fait peur612 aux plus assurées. Ces torrents coulent sans ordre çà et là613 par tous les endroits qu’ils rencontrent propres à leur faire passage. Ils n’ont ni leurs lits réguliers, comme les autres, ni leur démarche dans l’ordre. Vous les voyez courir par tout ce qui leur fait passage sans614 s’arrêter à rien. Ils se brisent contre les rochers. Ils font des chutes qui font bruit. Ils se salissent quelquefois passant par des terres qui ne sont pas solides. Ils les entraînent à cause de leur rapidité. Quelquefois ils se perdent dans des fonds et dans des abîmes où il y a bien de l’espace sans les retrouver ; enfin, on les revoit un peu paraître, mais ce n’est que pour se mieux précipiter de nouveau dans un nouveau gouffre et plus profond et plus long. C’est un jeu de ces torrents615 de se montrer et de se perdre et de se briser contre des rochers. Leur course est si rapide que les yeux ne la discernent pas. Ce n’est qu’un certain bruit général, confus et ténébreux. Mais616 enfin, après bien des précipices et des abîmes, après avoir été bien battus des rochers, après s’être bien perdus et retrouvés, ils rencontrent la mer où ils se perdent heureusement pour ne jamais se retrouver.

2. Et c’est là où autant que ce torrent a617 été pauvre, vil, inutile et dépouillé de marchandises, autant est-il enrichi admirablement. Car il n’est pas618 riche de ses propres richesses, comme les autres rivières qui ne contiennent qu’une certaine quantité de marchandises ou certaines raretés ; mais il est riche des richesses de la mer même. Il porte sur son dos les plus gros navires. C’est la mer qui les porte et c’est lui, parce qu’étant perdu en la mer, il est devenu une même chose avec la mer.

3. Il est à remarquer que le fleuve [ou torrent] ainsi précipité dans la mer ne perd pas sa nature, quoique il619 soit si changé et si perdu qu’on ne le connaisse plus. Il est toujours ce qu’il était, mais son être est confondu et perdu, non quant à la réalité, mais quant à la qualité : car il prend tellement la qualité de l’eau marine que l’on ne voit plus rien qui lui soit propre ; et plus il s’abîme, s’enfonce et demeure dans la mer, plus il perd sa qualité pour prendre celle de la mer.

4. À quoi n’est pas propre alors ce pauvre torrent ? Sa capacité est sans bornes puisqu’elle est celle de la mer même. Ses richesses sont immenses quoique il n’en possède aucunes puisqu’elles sont celles de la mer même. Il est alors capable d’enrichir toute la terre. O heureuse perte, qui te pourrait décrire et le gain qu’a fait ce fleuve inutile et propre à rien, méprisé et appréhendé620, qui était un621 étourdi à qui l’on n’osait confier le moindre bateau, puisque ne pouvant se conserver soi-même et se perdant si souvent, il l’aurait abîmé avec lui ? Que dites-vous du sort de ce torrent, ô grandes rivières qui coulez avec tant de majesté, qui êtes la joie et l’admiration des peuples, qui vous glorifiez dans la quantité des marchandises étalées sur votre dos ? Le sort de ce pauvre torrent que vous regardiez avec mépris ou du moins avec compassion, qui était le rebut de tout le monde, qui paraissait n’être propre à rien, qu’est-il devenu et à quoi est-il propre à présent ou plutôt à quoi n’est-il pas propre ? Qu’est-ce qu’il lui manque ? Vous êtes à présent ses servantes puisque les richesses que vous portez sont ou622 pour le décharger de celles dont il abonde ou pour lui en porter de nouvelles.

Mais avant que de parler du bonheur d’une âme ainsi perdue en Dieu, il faut commencer par l’origine et ensuite poursuivre par degrés.

5. L’âme, comme il a été dit, étant sortie de Dieu, a une pente continuelle à retourner en Lui, parce que, comme Il est son principe, Il est aussi sa dernière fin. Sa course serait infinie si elle n’était interrompue, ou empêchée, ou623 tout à fait arrêtée par le péché et l’infidélité continuelle. C’est ce qui fait que le cœur de l’homme est dans un perpétuel mouvement et ne peut trouver de repos qu’il ne soit retourné à son principe et à son centre, qui est Dieu : semblable au feu qui, étant éloigné de sa sphère, est dans une agitation continuelle et ne trouve son repos que lorsqu’il y est retourné624; et c’est là que par un miracle naturel, cet élément si actif de lui-même qu’il consume tout par son activité, est dans un repos parfait.625*.

Ô pauvres âmes qui cherchez du repos dans cette vie, vous n’en trouverez jamais qu’en Dieu. Tâchez d’y rentrer, et c’est là où toutes vos pentes et peines, vos agitations et anxiétés seront réduites dans l’unité du repos.

6. Il est à remarquer que plus le feu s’approche de son centre, plus aussi approche-t-il du repos, quoique sa vitesse pour y retourner augmente ; mais sitôt qu’aucun sujet ne le retient plus, aussitôt il s’élance en haut avec une vitesse incroyable qui augmente à mesure qu’il approche : quoique sa vitesse augmente, son activité diminue. Il en est de même d’une âme : sitôt que le péché ne la retient plus, elle court d’une manière infatigable pour retrouver Dieu ; et si par impossible elle était impeccable, rien n’empêcherait sa course qui serait si prompte qu’elle y arriverait bientôt. Mais aussi, plus elle approcherait de Dieu, plus sa course redoublerait, et plus cette même course deviendrait paisible : car le repos, ou plutôt la paix (puisque ce n’est pas alors repos, mais une course paisible), augmenterait, de626 sorte que la paix redoublerait la course et la course augmenterait627 la paix.

7. Ce qui fait le trouble alors, ce sont les péchés et les imperfections, qui arrêtent pour quelque temps la course de cette âme, ou plus ou moins selon628 la grandeur de la faute. Alors l’âme sent très bien son activité, comme si, lorsque le feu remonte à sa sphère, il rencontrait quelques obstacles comme quelque morceau de bois ou de paille, il reprendrait sa première activité pour consumer cet obstacle ou entre-deux ; et plus l’obstacle serait grand, plus son activité redoublerait : si c’était un morceau de bois, il faudrait une plus longue et plus forte activité pour le consumer, mais si ce n’était qu’une paille, en un moment elle serait consumée et n’arrêterait que très peu sa course. Vous remarquerez que cet obstacle que le feu rencontrerait, ne servirait qu’à augmenter sa course et qu’à lui donner un nouvel empressement de surmonter tous ces obstacles pour s’unir à son centre. Il est à remarquer encore que plus le feu rencontrerait d’obstacles et plus les obstacles seraient considérables, plus ils retarderaient sa course ; et s’il s’en trouvait incessamment et toujours de nouveaux, ce serait autant de sujets qui le tiendraient attaché et l’empêcheraient de retourner d’où il est sorti. On voit par expérience que si on donne toujours du bois au feu, vous l’arrêterez toujours et l’empêcherez de jamais remonter en haut.

8. Il en est de même des âmes. Leurs instincts et pentes naturelles les portent à Dieu. Elles courraient incessamment, sans jamais s’arrêter dans leurs courses, si ce n’était les empêchements qu’elles rencontrent. Ces empêchements sont les péchés et les fautes, qui mettent d’autant plus d’obstacles à leur retour à Dieu qu’ils sont forts et de durée ; en sortent que, si elles pèchent incessamment, elles demeurent arrêtées sans jamais arriver ; et si elles meurent en péché, elles sont hors d’état pour jamais d’arriver, n’étant plus en voie et en course et tout étant terminé pour elles. Les autres qui meurent dans un autre empêchement moindre, qui est le péché véniel, vont dans le feu du Purgatoire achever de consumer ce que le feu de l’amour n’a pas consumé629 en cette vie ; et les autres avancent, autant ou plus ou moins que ces obstacles qu’elles se fournissent elles-mêmes sont plus ou moins forts.

9. Les âmes qui n’ont jamais péché mortellement doivent donc beaucoup plus avancer que les autres. Cela est vrai pour l’ordinaire, mais cependant il semble que Dieu prenne plus de plaisir à faire abonder ses630 miséricordes où le péché a plus abondé631. Je crois qu’une des causes de cela, qui est dans les âmes qui n’ont pas péché, vient de ce qu’elles ont une estime extraordinaire de leur propre justice en tous les chefs où elle s’étend. Si elles sont vierges, elles sont idolâtres de leur pureté et632 ainsi du reste ; et cette attache, estime ou amour désordonné de leur propre justice, est un obstacle plus difficile à surmonter que les plus gros péchés, à cause que l’on ne peut point avoir une attache si forte aux péchés qui sont si hideux d’eux-mêmes, comme on en a en sa propre justice ; et Dieu, qui ne violente pas la liberté, laisse jouir ces âmes à leur plaisir de leur sainteté, pendant633 qu’Il prend ses délices à purifier la boue des plus misérables. Et pour réussir dans son dessein, Il donne un feu et plus fort et plus ardent, qui consume par son activité ces grosses fautes plus facilement qu’un feu plus léger ne consume634 les plus légers obstacles. Il semble même que Dieu prenne plaisir à faire de ces âmes criminelles le trône de son amour, afin de faire voir son pouvoir, et comment Il peut consommer et rétablir en son premier état cette âme défigurée et même la rendre plus belle que celle qui n’a pas été salie.

10. Ces635 âmes donc qui ont péché et pour lesquelles j’écris, laissant les autres à part, trouvent avoir un grand feu qui consume636 en un moment tous leurs défauts et empêchements. Elles s’élancent avec d’autant plus de force que ce qui les retenait était plus fort et plus difficile à consumer. Elles se trouvent souvent arrêtées par des fautes notables que leurs anciennes habitudes avaient contractées, mais ce feu les consume et passe outre, et cela tant et tant de fois et si souvent qu’il n’en trouve plus. Il faut remarquer que plus il va consumant, plus il avance et plus les obstacles qu’il rencontre sont faciles à consumer, en sorte qu’à la fin ce ne sont plus que des pailles, qui, loin d’empêcher sa course, ne servent qu’à le rendre plus ardent.

Tout ceci exposé et supposé, il est aisé d’en faire l’application et de le concevoir comme il est. Il faut donc prendre l’âme dans son premier état et poursuivre, si Dieu, qui fait écrire ces choses (que l’on ne voit qu’à mesure qu’elles s’écrivent), veut que l’on poursuive.

11. Dieu destinant l’âme pour Lui-même, et pour la perdre en Lui d’une manière admirable et très peu connue aux spirituels ordinaires, commence par lui faire sentir intérieurement son éloignement. Sitôt qu’elle a senti et connu son éloignement, cette inclination qui est en elle de retourner à son principe, et qui était comme éteinte par le péché, se réveille. Alors l’âme conçoit une véritable douleur de ses péchés et sent avec peine et inquiétude le mal que lui cause cet éloignement. Ce sentiment inquiet ainsi mis dans637 l’âme, lui fait chercher les moyens de se défaire de cette peine et d’entrer dans un certain repos qu’elle voit de loin, mais qui ne sert qu’à redoubler cette inquiétude et à augmenter son désir de Le poursuivre et de Le trouver.

12. Quelques-unes de ces âmes, faute d’être instruites qu’il faut chercher Dieu dans leur fond et là Le poursuivre sans sortir de chez elles, se portent à la méditation et à chercher au-dehors ce qu’elles ne trouveront jamais qu’au-dedans. Cette méditation à laquelle elles sont pour l’ordinaire très peu habiles (parce que Dieu, qui désire autre chose d’elles, ne permet pas qu’elles trouvent rien en cet exercice), ne sert qu’à augmenter leur désir : car leur blessure est au cœur et elles veulent mettre l’emplâtre au-dehors. Cependant c’est flatter leur mal et non le guérir. Elles combattent longtemps avec cet exercice et leur combat redouble leur impuissance. Et si ces âmes, dont Dieu prend soin Lui-même, ne rencontrent quelqu’un qui leur fasse connaître qu’elles prennent le change, elles perdront leur temps et le perdront autant de temps qu’elles demeureront sans secours638.

13. Mais Dieu, tout plein de bonté, ne manque pas de leur faire trouver par providence ce secours, quand ce ne serait qu’en passant et pour quelques jours. Ce secours n’est point recherché par elles, quoique elles sentent639 bien ce qui leur manque sans deviner le remède ; mais par un pur effet de la Providence, elles le trouvent sans le chercher. Car comme elles sont proprement les vrais enfants de Providence, Dieu leur fait trouver sans rien d’extraordinaire ce dont elles ont besoin, mais comme tout naturellement640.

14. Lors donc que ces âmes sont instruites par quelqu’un (que la Providence leur envoie) qu’elles n’ont garde d’avancer641, parce que leur blessure est au-dedans et qu’elles veulent guérir le dehors, lorsque on les fait retourner642 au-dedans d’elles-mêmes et chercher dans le fond de leur cœur ce qu’elles cherchent inutilement au-dehors, alors ces pauvres âmes éprouvent avec un étonnement qui les ravit et les surprend tout ensemble, qu’elles ont au-dedans d’elles-mêmes un trésor qu’elles cherchaient si loin. Elles se pâment de joie dans leur liberté nouvelle. Elles sont tout étonnées que l’oraison ne leur coûte plus rien et que plus elles se concentrent, s’enfoncent643 et s’abîment en elles-mêmes, plus elles goûtent un certain « je ne sais quoi » qui les ravit et les enlève ; et elles voudraient toujours aimer et s’enfoncer ainsi.

Vous remarquerez, s’il vous plaît, que ce qu’elles goûtent, quelque délicieux qu’il paraisse, si elles sont destinées à la pure foi, ne les arrête pas, mais les porte par là même à courir après je ne sais quoi qu’elles ne connaissent pas. L’âme n’est plus qu’ardeur et qu’amour. Elle croit déjà être en Paradis, car ce qu’elle goûte au-dedans étant infiniment plus doux que toutes les douceurs de la terre : elle les quitte sans peine et quitterait tout le monde pour jouir un moment dans son fond ce qu’elle expérimente. Cette âme s’aperçoit donc que son oraison devient quasi continuelle. Son amour augmente de jour en jour et il devient si ardent qu’elle ne le peut contenir. Ses sens se concentrent si fort et le recueillement s’empare tellement de toute elle-même que tout lui tombe des mains. Elle voudrait toujours aimer et n’être point interrompue.

15. Et comme l’âme en cet état n’est pas assez forte pour ne se point dissiper par les conversations, elle les fuit et les craint. Elle voudrait toujours être en solitude et toujours jouir des embrassements de son Bien-aimé. Elle a au-dedans d’elle un directeur qui ne lui laisse prendre de plaisir à rien et ne lui laisse pas faire une faute sans la reprendre fortement et sans lui faire sentir par ses froideurs combien la faute lui déplaît. Ces froids de Dieu dans les fautes sont à l’âme des pénitences plus terribles que les plus grands châtiments. Elle est reprise d’un regard inutile, d’une parole précipitée. Il semble que Dieu n’ait d’autre soin que de corriger et de reprendre cette âme et que toute son application soit pour sa perfection. Elle est elle-même étonnée, et les autres aussi, de voir qu’elle a plus changée en un mois par cette voie, même en un jour, qu’en plusieurs années par l’autre voie. O Dieu, il n’appartient qu’à Vous de corriger et de purifier les âmes !

L’âme est instruite de toutes les mortifications sans en avoir jamais entendu parler. Si elle pense manger quelque chose à son goût, elle est retenue comme par une main invisible ; si elle va dans un jardin, elle n’y peut rien voir, pas même retenir une fleur ni la regarder. Il semble que Dieu ait mis des sentinelles à tous ses sens. Elle n’ose entendre une nouvelle. C’est alors qu’elle peut dire ces paroles : qu’elle est entourée de haies et d’épines644, car si elle veut prendre quelque essor, elle se sent piquée au vif.

Elle voudrait alors, principalement dans le commencement, se consumer d’austérités. Il semble qu’elle ne tient plus à la terre tant elle s’en sent détachée. Ses paroles ne sont que feu et flammes. Dieu a encore une autre manière de punir cette âme, mais c’est lorsque elle est plus avancée : c’est qu’Il se fait sentir à elle plus fortement [et amiablement645] après sa chute. Alors la pauvre âme est abîmée de confusion. Elle aimerait mieux le châtiment le plus rude que cette bonté de Dieu après sa chute, qui la fait mourir et abîmer de confusion.

16. Alors l’âme est si pleine de ce qu’elle sent qu’elle en voudrait faire part à tout le monde. Elle voudrait apprendre à tout le monde à aimer Dieu. Ses sentiments pour Lui sont si vifs, si purs et si éloignés de l’intérêt que les directeurs qui l’entendraient parler, s’ils n’étaient pas expérimentés dans ces voies, la croiraient au sommet de la perfection. Elle est féconde en belles choses qu’elle couche par646 écrit avec une facilité admirable. Ce sont des sentiments profonds, vifs et intimes. Il n’y a plus de raisonnement ici, mais rien qu’amour, le plus ardent et le plus fort. L’âme durant le jour se647 sent saisie et prise par une force divine qui la ravit et la consume et la tient jour et nuit sans savoir ce qu’elle fait. Ses yeux se ferment d’eux-mêmes. Elle a peine à les ouvrir. Elle voudrait être aveugle, sourde et muette, afin que rien n’empêchât sa jouissance. Elle est comme ces ivrognes qui sont tellement pris et possédés du vin qu’ils ne savent ce qu’ils font et ne sont plus maîtres d’eux-mêmes. Si ces personnes veulent648 lire, le livre leur tombe des mains et une ligne leur suffit : à peine en tout un jour peuvent-elles lire une page, quelque assiduité qu’elles y donnent. Ce n’est pas qu’elles comprennent ce qu’elles lisent : elles n’y pensent pas ; mais c’est qu’un mot de Dieu ou l’approche d’un livre réveille ce secret instinct qui les anime et brûle, en sorte que l’amour leur ferme et la bouche et les yeux.

17. C’est ce qui fait qu’elles ne peuvent dire des prières vocales, ne les pouvant prononcer. Un Pater les tiendrait une heure. Une pauvre âme649 qui n’est pas accoutumée à cela ne sait ce que c’est, car elle n’a jamais rien vu ni ouï de pareil, et elle ne sait pourquoi elle ne peut prier. Cependant elle ne peut résister à un plus650 puissant qui l’enlève. Elle ne peut craindre de mal faire ni ne s’en met en peine, car Celui qui la tient ainsi liée ne lui permet ni de douter que ce ne soit Lui qui la tient ainsi liée, ni de se défendre. Car si elle voulait faire effort pour prier, elle sent651 que Celui qui la possède lui ferme652 la bouche et la contraint par une douce et aimable violence de se taire.

Ce n’est pas que la créature ne puisse résister et parler avec effort, mais, outre qu’elle se fait653 une grande violence, c’est qu’elle perd cette paix divine et sent bien qu’elle se dessèche. Il faut donc que cette âme se laisse mouvoir au gré de Dieu et non à sa mode, et si on a alors un Directeur qui n’est pas expérimenté et qui oblige cette âme à prier [vocalement], outre qu’il lui fait souffrir une gêne très grande, il lui fait un tort irréparable654.

18. C’est alors que l’âme a un désir de souffrir si véhément qu’il la fait languir et mourir. Elle voudrait payer pour les péchés de tout le monde et satisfaire à Dieu. C’est alors qu’elle commence à ne pouvoir gagner les indulgences et l’amour ne lui permet pas de vouloir abréger les peines655.

19. L’âme en cet état croit être dans le silence intérieur parce que son opérer est si doux, si facile et si tranquille qu’elle ne l’aperçoit plus. Elle croit être arrivée au sommet de la perfection, et elle ne voit rien à faire pour elle que de jouir du bien qu’elle possède. Ce degré dure longtemps et va peu à peu s’augmentant, et très souvent il y a des âmes qui ne le passent pas et qui y sont toute leur vie, lesquelles ne laissent pas d’être des saints et l’admiration de tous les hommes. L’âme a dans ce degré certaines sécheresses passagères et courtes qui ne la tirent pas de son degré, mais qui servent à l’avancer.

20. Ces âmes cependant si brûlantes et si désireuses de Dieu commencent à se reposer en cet état et à perdre656 insensiblement l’activité amoureuse qu’elles avaient pour courir après Dieu, se contentant de leur jouissance qu’elles croient être Dieu même. Et c’est un malheur pour elles irréparable que ce repos et cette cessation qu’elles font de leur course, si Dieu, par une bonté infinie, ne les tirait au plus vite de cet état pour les faire passer dans celui qui suit. Mais avant que d’en parler, il faut dire les imperfections de ce degré.

Chapitre V. Imperfections de ce premier degré. Sécheresses 657

1. L’âme qui est dans le degré dont je viens de parler, y peut avancer beaucoup et y avance aussi très fort, allant d’amour en amour et de croix en croix ; mais elle tombe si souvent et elle est si propriétaire que l’on peut dire qu’elle ne va qu’à pas de tortue quoique elle paraisse à elle et aux autres courir infiniment. Ici ce torrent est dans un pays uni et n’a pas encore trouvé la pente de la montagne pour se précipiter et prendre une course qui ne doit plus être arrêtée.

2. Les défauts de l’âme dans ce658 degré sont une certaine estime d’elle-même, plus cachée et plus enracinée qu’elle n’était avant que d’avoir reçu ces grâces et faveurs de Dieu ; un certain dédain et mépris secret des autres que l’on voit si éloignés de sa voie ; une facilité à se scandaliser de leurs fautes et une certaine dureté pour les péchés et pour les pécheurs ; un zèle de saint Jean avant la venue du Saint-Esprit, qui voulait faire descendre le feu du ciel659 sur les Samaritains pour les consumer ; une certaine confiance en son salut et en sa vertu en sorte qu’il semble que l’on soit impeccable660 ; un orgueil secret qui fait, principalement au commencement, qu’on a peine des fautes qu’on a faites en public. On voudrait être impeccable. On a un maintien recueilli et ce recueillement paraît aux autres. On se rend propriétaire des dons de Dieu et on en fait comme s’ils étaient à nous. On oublie sa faiblesse et sa pauvreté par l’expérience qu’on a de sa force, en sorte qu’on perd la défiance de soi-même et qu’on ne craint point de s’exposer aux occasions.

+ Quoique tous ces défauts et plusieurs autres soient dans les personnes de ce degré, elles ne les connaissent point et il leur paraît même plus d’humilité qu’aux autres à cause que leur humilité est plus comprise. Mais, patience ! ces défauts se feront sentir et toucher en leur temps. +

3. La grâce qu’elles sentent si fort en elles-mêmes leur étant un661 témoignage qu’il n’y a rien à craindre pour elles, elles s’exposent sans mission divine à parler. Elles voudraient communiquer ce qu’elles sentent à tout le monde. Il est vrai qu’elles font quelque bien aux autres, car leurs paroles toutes de feu et de flammes embrasent les cœurs qui les écoutent. Mais outre qu’elles ne font pas le bien qu’elles feraient si elles étaient dans le degré où662 l’ordre de Dieu porte à répandre ce que l’on a, c’est que leurs grâces n’étant pas encore en plénitude, elles donnent de leur nécessaire au lieu de ne donner que de leur abondance663. En sorte qu’elles se dessèchent elles-mêmes : comme vous voyez plusieurs bassins d’eau au-dessous d’une fontaine, la seule fontaine donne664 de sa plénitude et les autres bassins ne se répandent les uns dans les autres que de la plénitude que la source leur communique ; mais si on bouche ou si on détourne la source et que les bassins ne laissent pas de couler, alors comme ils n’ont plus de source, ils se dessèchent eux-mêmes. C’est ce qui arrive aux âmes de ce degré. Elles veulent sans cesse répandre leurs eaux et elles ne s’aperçoivent que tard, que l’eau qu’elles ont n’était que pour elles et qu’elles ne sont pas en degré de la communiquer parce qu’elles ne sont pas en source. Elles sont comme ces fioles de liqueur que l’on répand : on trouve tant de douceur dans l’odeur qu’elles rendent en s’épanchant que l’on ne s’aperçoit pas de la perte que l’on en fait.

4. C’est dans ce degré où on prend aisément le change, prenant le moyen pour665 la fin, et comme il est très long en certaines âmes666 et que même il y en a quelques-unes qui ne le passent pas, on prend cet état, principalement sur la fin, pour l’état consommé. Ce qui est bien se méprendre. Il est vrai qu’il y a bien du rapport et, à moins que le directeur n’ait passé tous les états, il croira aisément que l’âme est dans la consommation, quoiqu’elle en soit infiniment éloignée. Et ce qui le lui fait croire plus aisément, c’est que l’âme pratique toutes les vertus avec une force admirable : elle se surmonte aisément, elle ne trouve rien de difficile parce que l’amour est fort comme la mort667.

5. Il faut remarquer aussi que les vertus paraissent être venues dans l’âme sans aucunes peines : car l’âme dont je parle n’y pense pas puisque toute son occupation est un amour général sans motif ni raison d’aimer. Demandez-lui ce qu’elle fait à l’oraison et durant le jour : elle vous dira qu’elle aime. Mais quel motif ou quelle raison avez-vous d’aimer ? Elle n’en sait ni n’en connaît rien. Tout ce qu’elle sait est qu’elle aime et qu’elle brûle de souffrir pour ce668 qu’elle aime. Mais c’est peut-être la vue des souffrances de votre Bien-aimé, ô âme, qui vous porte ainsi à vouloir souffrir ? Hélas ! dira-t-elle, elles669 ne me viennent pas dans l’esprit. Mais est-ce donc le désir d’imiter les vertus que vous voyez en Lui ? Je n’y pense pas. Mais que faites-vous donc ? J’aime. N’est-ce pas la vue de la beauté670 de votre Amant qui enlève votre cœur ? Je ne regarde pas cette beauté. Qu’est-ce671 donc ? Je n’en sais rien. Je sens bien dans le plus profond de mon cœur une blessure profonde, mais si délicieuse que je me repose dans ma peine, faisant mon672 plaisir de ma douleur673.

6. L’âme croit alors avoir tout gagné et tout consommé : car quoique elle soit pleine de défauts que je viens de dire674 et d’une infinité d’autres très dangereux, qui se sentent675 mieux dans le degré suivant qu’ils ne se peuvent exprimer, alors elle se repose dans la perfection qu’elle croit avoir acquise ; et s’arrêtant aux moyens qu’elle croit être la fin, elle y demeurerait toujours attachée si Dieu ne faisait rencontrer à ce torrent (qui est comme un lac paisible676 sur le haut de la montagne) la pente de la montagne, pour le faire précipiter et prendre une course d’autant plus rapide que la chute qu’il fera sera plus profonde.

7. Il me semble que l’âme de ce premier degré, même dans les plus avancés, a677 une certaine habitude à cacher ses678 défauts et à elle et aux autres. Elle trouve des excuses et des prétextes. Elle ne les dit jamais ingénument : non par volonté, mais par un certain amour de sa propre excellence, par une dissimulation habituelle sous laquelle elle679 se cache. Elle n’a pas tant de paix dans ses misères : au contraire elle se sent affligée680 extraordinairement. Elle a un certain empressement de s’en purifier. Elle le dit historiquement681. Celles qui paraissent le plus sont celles qui lui font le plus de peine. Elle goûte et savoure les dons de Dieu. Elle en a un amour d’elle-même secret plus fort que jamais, une estime de sa voie extraordinaire, un secret désir de se produire, une certaine composition extérieure, une modestie gênée et affectée, un fourmillement de réflexions lorsque elle est tombée en quelque défaut apparent, une facilité à juger des autres et, avec tous ces défauts, mille propriétés attachées à ses dévotions : préférant l’oraison au devoir de sa famille, elle est cause de mille péchés que font ceux avec qui elle est.

8. Ceci est d’extrême conséquence, car l’âme se sentant attirée d’une manière si douce et si forte, voudrait toujours être seule et en oraison, et elle en fait plus que ne porte son état et extérieur et intérieur : le premier cause mille bruits, fait faire mille fautes, fait négliger les obligations essentielles ; et le second épuise peu à peu les forces de l’âme et sa vigueur amoureuse, et lui cause des sécheresses qui, n’étant pas de l’ordre de Dieu, lui nuisent, loin de lui servir.

9. Il arrive de là deux inconvénients : le premier, que l’âme veut trop être en oraison et en solitude lorsque elle en a la facilité ; le second est que lorsqu’elle a épuisé sa vigueur amoureuse, comme c’est par sa faute, elle n’a pas la même force dans la sécheresse : elle a peine à rester si longtemps en oraison, elle en abrège facilement le temps, elle va quelquefois se divertir dans les objets extérieurs ; elle s’abat, se décourage, s’afflige, croyant avoir tout perdu et fait tout ce qu’elle peut pour se procurer la présence et l’amour de Dieu.

10. Mais si elle était assez forte pour tenir une vie égale, et ne point faire plus dans l’abondance que dans la sécheresse, elle satisferait à tout. Elle est incommode au prochain, pour qui elle n’a pas de la condescendance, se faisant une affaire de se relâcher un peu pour le contenter682 : elle a une sévérité et un silence trop austère où il n’en faudrait pas ; et dans d’autres rencontres, elle a un babil qui ne finit point pour les choses de Dieu. Une femme fera scrupule de plaire à son mari, de l’entretenir, de se promener et de se divertir683 avec lui et n’en fera point de parler deux heures sans nécessité avec des dévots et des dévotes : c’est un abus horrible.

Il faut satisfaire à son devoir de quelque nature qu’il soit et quelque peine que cela nous cause, quoique même on croit y faire des fautes ; et ce procédé nous fera profiter684 infiniment davantage, non comme nous croyons, mais en nous faisant mourir. Il semble même que Notre Seigneur nous fasse connaître que cela Lui plaît par la grâce qu’Il y répand. J’ai connu une personne qui jouant aux cartes avec son mari par condescendance, éprouvait une union si forte et si intime qu’elle n’en éprouva jamais de pareille dans l’oraison685; et cela lui était ordinaire dans tout ce que son mari voulait qu’elle fît, quelque répugnance qu’elle y eût ; et686 si elle y manquait pour mieux faire selon sa pensée, elle connaissait fort bien qu’elle sortait de son état et de l’ordre de Dieu. Ce qui n’empêchait pas que cette personne ne fît souvent de ces fautes, parce que l’attrait du recueillement, l’excellence de l’oraison, que l’on préfère à687 ces pertes de temps apparentes, entraînent insensiblement l’âme et lui font prendre le change. Et c’est ce qui paraît sainteté en la plupart.

11. Cependant les âmes destinées à la foi ne font pas longtemps et souvent de ces méprises, parce que, comme Dieu les veut conduire dans son ordre divin, Il leur fait bien sentir leur manquement. Et la différence d’une âme destinée pour la foi et d’une autre est que la dernière demeure dans ces dévotions sans peines : c’est lui arracher l’âme que de la tirer de ce tranquille amour ; mais l’autre n’a pas de repos dans le repos même qu’elle n’ait satisfait à son devoir ; et lorsqu’elle y reste malgré l’instinct de quitter le repos, c’est une infidélité qui lui cause de la peine.

12. Il arrive aussi que l’âme par cette mort et cette contrariété se sent plus fortement attachée ou attirée à son repos intérieur : car688 c’est le propre de l’homme de s’attacher plus fortement à ce qui lui est plus difficile à avoir (du moins s’il a un peu de courage), et de s’affermir par la contrariété, voulant plus fortement les choses auxquelles on s’oppose. Cette peine de ne pouvoir avoir le repos qu’à demi augmente son repos et fait que, dans l’action même, elle se sent tirée d’une manière si forte qu’il semble qu’il y ait en elle deux âmes et deux conversations tout à la fois, et que celle du dedans est infiniment plus forte que celle du dehors. Mais si l’âme veut quitter son obligation pour l’oraison, elle ne trouve plus rien et son attrait se perd.

13. Je n’entends pas l’oraison d’obligation, et dont on s’est fait un devoir auquel il ne faut manquer que par impuissance ; mais je parle d’une oraison que l’on voudrait rendre continuelle, où on se sent entraîné par la force du recueillement. Je n’entends pas non plus par l’action celle de propre choix, mais celle du devoir absolu. Car si la personne a du temps après avoir satisfait à ses obligations, qu’elle le donne à l’oraison et qu’elle y emploie tout le temps qu’elle pourra. Alors cela lui servira infiniment. Il faut aussi sous prétexte de l’obligation ne se point charger d’actions non nécessaires : l’amour d’un mari, des enfants, de l’économie, pourrait bien se mêler689 avec le nécessaire ; l’empressement naturel d’achever une chose commencée, tout ceci se découvrira aisément par une âme qui ne se flatte pas. Ceci n’est pas si dangereux.

14. Lorsque le recueillement est bien fort, pour l’ordinaire l’âme ne tombe pas dans ces derniers défauts, mais bien dans les autres : d’excéder dans la retraite. Lorsque la sécheresse commence, il est plus à craindre qu’elle ne se charge d’occupations, à cause de la peine des sens à demeurer en oraison. Mais il faut tenir ferme et y être aussi exact que dans le recueillement. J’ai connu une personne qui en faisait plus lorsque elle lui était la plus pénible, se roidissant contre la peine même ; mais ceci nuit à la santé à cause de la violence et de la peine des sens et de l’entendement, qui ne pouvant s’arrêter à aucun objet et étant privé de la douce correspondance qui le tenait auprès de Dieu, en a des tourments690 horribles, jusques-là que l’âme souffrirait plutôt les plus grandes austérités que la violence qu’il se faut faire pour s’arrêter691 sans soutien auprès de Dieu. Ici la peine est intolérable et la nature en est comme dans la rage. Cette personne dont je parle passait quelquefois deux ou trois heures de suite dans cette pénible oraison ; et comme Dieu lui avait donné692 beaucoup de courage, elle se laissait dévorer à sa peine quoique elle sentît ses sens dans la rage. Et cette personne m’a avoué que l’austérité qui paraît la plus étrange lui aurait passé pour des délices plutôt que de rester ainsi. Et quelquefois elle en faisait pour se soulager, ce qui n’était pas une petite infidélité693. Mais comme cette violence si forte dans des sujets si faibles694 pourrait ruiner le corps et l’esprit, je crois qu’il est mieux de ne diminuer ni augmenter l’oraison pour les dispositions différentes.

15. Ces sécheresses si pénibles et si douloureuses dont je viens de parler, qui passent parmi certains spirituels peu éclairés pour des états terribles et des épreuves de Dieu les plus fortes, n’appartiennent qu’à ce premier degré de foi et sont souvent causés par l’épuisement ; et cependant les âmes qui695 les ont passées, croient être mortes et en écrivent et parlent comme du passage le plus douloureux de la vie spirituelle. Il est vrai qu’elles n’ont point l’expérience du contraire ; et très souvent l’âme n’a pas le courage de passer outre, quoique ce soit là si peu de chose. Car ici, dans ces peines qui sont comme un feu brûlant, l’âme y est bien laissée de Dieu, qui retire d’elle son secours aperçu ; mais ce sont les sens qui les causent, parce qu’étant habitués à agir696, voir, sentir et goûter et que, n’ayant jamais éprouvé des privations pareilles et ne trouvant pas ailleurs où se repaître, ils sont dans un désespoir épouvantable.

L’âme ne laisse pas ici d’être en vigueur : elle se tient697 ferme si elle a du courage. Sa peine lui est glorieuse et elle n’est pas de longue durée, car les forces de l’âme ne sont pas alors en état de porter longtemps un tel poids : elle retournerait en arrière chercher de la nourriture ou bien elle quitterait tout.

16. C’est pourquoi Notre Seigneur ne tarde guère à revenir : quelquefois même la fin de l’oraison ne se passe pas sans qu’Il revienne. Et s’Il ne vient pas dans la fin de l’oraison, Il revient durant le jour d’une manière plus forte. Il semble qu’Il se repente d’avoir fait souffrir l’âme, sa bien-aimée698, ou qu’Il lui veuille payer avec usure ce qu’elle a souffert pour son amour. Si cela dure quelques jours, ce sont alors des peines intolérables. Elle l’appelle doux et cruel. Elle lui dit s’Il ne l’a blessée que pour la faire mourir. Mais cet aimable Amant rit de sa peine et revient mettre sur sa plaie un baume si doux qu’elle voudrait toujours sentir de nouvelles blessures pour avoir toujours un nouveau plaisir dans une guérison qui lui rend non seulement sa première santé, mais même une santé plus abondante.

17. Jusqu’ici, ce ne sont que des jeux d’amour où l’âme s’accoutumerait aisément si l’Ami ne changeait de conduite. Ô pauvres âmes qui vous plaignez des fuites de l’Amour699 ! Vous ne savez pas que ce ne sont que des feintes, que des essais, que des échantillons de ce qui doit suivre. Les heures d’absence vous marquent les jours, les semaines, les mois et les années700. Il faut apprendre à vos dépends à devenir plus généreuses701, à laisser aller et venir l’Époux sans Lui rien dire. Il me semble que je vois ces jeunes épouses. Elles sont dans les dernières douleurs lorsque leur Époux les quitte pour peu que ce soit. Elles pleurent trois jours d’absence comme s’Il était mort, et elles se défendent tant qu’elles peuvent de Le laisser aller. Cet amour paraît fort et grand, cependant il ne l’est nullement. C’est le plaisir qu’elles ont de voir leur Époux qu’elles pleurent. C’est leur propre satisfaction qu’elles recherchent. Car si c’était le plaisir de leur Époux, elles seraient aussi contentes du plaisir qu’Il prend séparé d’elles à la promenade, à la chasse et ailleurs, que de celui qu’Il prend avec elles. C’est donc un amour intéressé, quoique il ne paraisse pas tel à l’âme : au contraire, elle croit ne L’aimer que parce qu’Il est aimable. Il est vrai, pauvres âmes, que vous ne L’aimez que parce qu’Il est aimable ; mais vous aimez pour le plaisir que vous trouvez dans cette amabilité.

18. Cependant vous voulez bien, dites-vous, souffrir pour l’Ami702. Il est vrai, pourvu qu’Il soit témoin et compagnon de votre souffrance. Vous n’en voulez point de récompense, dites-vous. J’en demeure d’accord, mais vous voulez qu’Il connaisse votre souffrance et qu’Il l’agrée, vous voulez qu’Il s’y plaise. Y a-t-il rien de plus juste que de vouloir que celui pour qui l’on souffre le sache, l’agrée et y prenne plaisir ? Oh, que vous êtes loin de compte ! L’Amour jaloux ne vous laissera guère jouir du plaisir que vous prenez à Le voir se satisfaire de vos douleurs. Il vous faudra souffrir sans qu’Il fasse semblant ni de le voir ni de l’agréer ni de le savoir. C’est trop pour vous que d’être agréées. Et quelle peine ne souffrirait-on pas à ce prix ? Quoi ! Savoir que l’Amant voit nos peines et qu’Il y trouve un plaisir infini ! Oh, c’est un trop grand plaisir pour un cœur généreux ! Cependant je m’assure que la générosité la plus forte de ceux de cet état ne passe point cela.

19. Mais souffrir sans que l’Amant le sache, lorsqu’il paraît mépriser et se détourner de ce que nous faisons pour Lui plaire, n’avoir que du rebut pour ce qui semblait le charmer autrefois, le voir payer703 d’un froid et d’un éloignement effroyable ce que l’on fait pour son seul plaisir et ne point cesser de le faire, voir qu’Il ne paye nos704 poursuites que de fuites effroyables, se laisser dépouiller sans se plaindre de tout ce qu’Il avait donné autrefois pour gages de son amour et que l’âme croyait avoir payé par son amour, par sa fidélité et par sa souffrance ; non seulement s’en voir dépouiller sans se plaindre, mais voir enrichir les autres de ses dépouilles et ne pas laisser de faire toujours de même tout ce qui peut contenter l’Ami quoique absent ; ne cesser705 de courir après, et si, par infidélité ou par surprise, on s’arrête pour quelque moment, redoubler sa course avec plus de vitesse, sans craindre ni envisager les précipices, quoique l’on tombe et retombe mille fois, que l’âme soit si crottée et706 si lasse qu’elle perde ses propres forces pour mourir et expirer par les fatigues continuelles, — où, si quelquefois l’Ami se retourne et la regarde, Il lui redonne707 la vie et l’empêche de mourir, tant ce regard lui cause de plaisir, — jusqu’à ce qu’enfin l’Ami devienne si cruel708 qu’Il la laisse709 expirer faute de secours ; tout cela dis-je, n’est point de cet état-ci, mais de celui qui suit. Il faut remarquer ici que le degré dont je viens de parler est très long, à moins que Dieu n’ait dessein de faire beaucoup avancer l’âme ; et plusieurs, comme j’ai dit, ne le passent pas.

Chapitre VI. Deuxième degré de la voie passive en foi. 710

1. Le torrent ayant commencé à trouver la pente de la montagne, commence aussi le deuxième degré de la voie passive en foi. Cette âme qui était si paisible sur cette montagne, s’y tenait fort en repos et ne songeait pas à en descendre. Cependant, faute de pente et de descente, ces eaux711 du Ciel, par le séjour qu’elles faisaient sur la terre, commençaient à se corrompre : car il y a aussi cette différence des eaux qui ne coulent pas et ne se déchargent pas, de celles qui coulent et se déchargent, que les premières (si ce n’est la mer ou les grands lacs qui lui ressemblent) se corrompent712, et leur repos fait leur perte. Mais, lorsque étant sorties de leurs sources, elles ont une issue facile, plus elles coulent avec rapidité, plus aussi se conservent-elles.

2. Vous remarquerez que, (comme j’ai déjà dit de cette âme,) dès que Dieu lui a donné le don de la foi passive713, Il lui a donné en même temps un instinct de courir pour Le trouver comme son centre. Mais cette âme si infidèle (quoiqu’elle se croie pleine de fidélité) étouffe714 par son repos cet instinct de courir et demeurerait sans avancer, si Dieu ne réveillait715 cet instinct en lui faisant trouver la pente de la montagne, où il faut qu’elle se précipite presque malgré elle. Elle sent d’abord perdre son calme, qu’elle croyait posséder pour jamais. Ses eaux si tranquilles commencent716 à faire bruit. Le tumulte se met dans ses ondes, elles courent et se précipitent. Mais où courent-elles ? Hélas ! C’est à leur perte [à ce qu’elle s’imagine]717.

Si elles pouvaient vouloir quelque chose, elles voudraient se retenir et retourner à leur calme. Mais c’est une chose impossible. La pente est trouvée : il faut718 se précipiter de pentes en pentes. Il n’est point encore ici question d’abîme ni de perte. L’eau (l’âme) paraît toujours et ne se perd point dans ce degré. Elle se brouille et se précipite : une onde suit l’autre, et l’autre l’attrape et la choque par sa précipitation.

3. Cette eau rencontre pourtant sur la pente de cette montagne certains lieux unis où elle prend un peu de relâche. Elle se plaît dans la clarté de ses eaux et elle719 voit que ses chutes, ses courses, ce brisement de ses ondes contre les rochers, n’ont servi qu’à la rendre plus pure. Elle se trouve délivrée de ses bruits et orages et croit être déjà arrivée au lieu de repos ; et elle le croit avec d’autant plus de facilité qu’elle ne peut douter que l’état par lequel elle vient de passer, ne l’ait beaucoup purifiée. Car elle se voit plus claire et elle ne sent plus la méchante odeur que certains endroits corrompus720 lui faisaient sentir sur le haut de la montagne. Elle a même acquis une pente, qui est un degré de connaissance721 de ce qu’elle est : elle a vu par ce trouble des passions ou plutôt des ondes qu’elle n’était pas perdue722, mais endormie.

4. Comme lorsqu’elle était dans la pente de la montagne pour arriver à cet endroit uni, elle croyait se perdre et n’avait plus d’espérance de recouvrer la paix ; aussi à présent qu’elle n’entend plus le bruit de ses ondes, qu’elle se voit couler si doucement et si agréablement sur le sable, elle oublie sa peine première et ne croit pas qu’elle doive revenir : car elle voit qu’elle a acquis plus de pureté et elle ne craint pas de se gâter. Car ici elle n’est point arrêtée, mais coule si doucement et si agréablement que rien plus. Ô pauvre torrent, vous croyez avoir trouvé le repos et y être arrivé ! Vous commencez à vous plaire dans vos eaux : les créatures s’y mirent et les trouvent très belles. Mais vous voilà bien surpris lorsque en coulant si doucement sur le sable, vous rencontrez sans y penser une pente plus forte, plus longue et plus dangereuse que la première. Alors ce torrent recommence son bruit. Ce n’était qu’un bruit médiocre et il devient insupportable. Il fait un bruit et un tintamarre plus grand qu’auparavant. Il n’y a presque plus de lit pour ce torrent, mais il tombe de rochers en rochers, il se précipite sans ordre ni raison, il effraye tout le monde de son bruit, chacun craint de l’aborder.

5. Ô pauvre torrent, que ferez-vous ? Vous entraînez tout ce que vous trouvez dans votre furie, vous ne sentez que la pente qui vous entraîne et vous vous croyez perdu. Non, non, ne craignez point : vous n’êtes pas perdu, mais le degré de votre bonheur n’est pas encore arrivé. Il faudra bien d’autres bruits et d’autres pertes avant ce temps. Vous ne faites que commencer votre course. Enfin ce torrent courant sent qu’il723 trouve encore le bas de la montagne et le pays uni. Il reprend son premier calme et même plus grand ; et après avoir passé de longues années dans ces alternatives [suit] le troisième degré, [dont724 on remet à parler après avoir touché les dispositions à y entrer, et ses premières démarches725].

6. L’âme, après avoir passé quelques années726 dans le lieu tranquille dont nous avons parlé, qu’elle croyait posséder pour toujours et avoir acquis les vertus (ce lui semblait) dans toute leur étendue, croyant toutes ses passions mortes, et lorsque elle pensait jouir avec727 plus d’assurance d’un bonheur qu’elle croyait posséder sans crainte de le perdre, elle est toute étonnée qu’au lieu de monter728 plus haut ou du moins de demeurer dans un état égal, elle rencontre sans y penser le penchant de la montagne. Elle est étonnée qu’elle commence d’avoir de la pente pour les choses qu’elle avait quittées. Elle voit tout à coup ce calme si grand se troubler. Les distractions viennent en foule : elles se battent et se précipitent l’une l’autre ; l’âme ne trouve que pierres en son chemin, que sécheresses, qu’aridités. Le dégoût se met dans ses prières. Ses passions, qu’elle croyait mortes et qui n’étaient qu’assoupies, se réveillent.

7. Elle est toute étonnée de ce changement. Elle voudrait ou remonter d’où elle descend, ou du moins s’arrêter là, mais il n’y a pas moyen. La pente de la montagne est trouvée : il faut que cette âme tombe729. Elle fait de son mieux pour se relever de ses chutes. Elle730 fait ce qu’elle peut pour se retenir et se raccrocher à quelque dévotion. Elle redouble ses pénitences. Elle se fait effort pour regoûter sa première paix. Elle cherche la solitude pour voir si elle la trouvera. Mais son travail est inutile. Elle voit que731 c’est sa faute ; elle se résigne à souffrir l’abjection732 qui lui en revient, déteste le péché. Elle voudrait ajuster les choses, mais il n’y a pas moyen : il faut que ce torrent ait son cours. Il entraîne tout ce qu’on lui oppose. L’âme qui voit qu’elle ne trouve plus en Dieu de soutien, va cherchant si elle en trouvera dans la créature ; mais elle n’en trouve point et son infidélité ne sert qu’à l’effrayer davantage.

8. Enfin cette pauvre âme ne sachant que faire, pleurant partout la perte de son Bien-aimé, elle est toute étonnée qu’Il se présente de nouveau à elle. Cette vue charme d’abord cette pauvre âme qui croyait L’avoir perdu pour toujours. Elle se trouve d’autant plus fortunée qu’elle s’aperçoit qu’Il a apporté avec Lui de nouveaux biens, une pureté nouvelle, une plus grande défiance d’elle-même. Elle n’a plus envie, comme la première fois, de s’arrêter : elle court toujours, mais c’est paisiblement, doucement, et elle craint encore de troubler sa paix. Elle appréhende de perdre de nouveau le trésor qui lui est d’autant plus précieux que sa perte lui avait été plus sensible. Elle craint de Lui déplaire et qu’Il ne s’en aille encore une fois. Elle tâche de Lui être plus fidèle et de ne pas faire la fin des moyens.

9. Cependant ce repos l’enlève, la ravit, la rend plus paresseuse. Elle ne peut s’empêcher de le goûter et elle voudrait toujours être seule. Elle a encore l’avidité ou la gourmandise spirituelle. L’arracher de la solitude ou de l’oraison, c’est lui arracher l’âme. Elle est encore plus propriétaire, ce qu’elle goûte étant plus délicat et son goût étant devenu plus fin par la peine qu’elle a souffert. Il semble qu’elle soit dans un nouveau repos733.

10. Elle va doucement lorsque tout d’un coup elle rencontre une nouvelle pente plus forte et plus longue que la première. Elle entre tout d’un coup dans734 une nouvelle surprise, elle veut se retenir, mais inutilement : il faut tomber, il faut courir par les rochers de rocher en rocher. Elle735 est étonnée qu’elle perd le goût de la prière et de l’oraison. Il faut qu’elle se fasse des violences extrêmes pour y rester. Elle ne trouve que morts à chaque pas. Ce qui la vivifiait autrefois est ce qui cause la mort.

+ Elle736 ne sent plus de paix, mais un trouble et une agitation plus forte que jamais, tant du côté des passions, qui737 se réveillent avec d’autant plus de force qu’elles paraissaient plus éteintes, que du côté des croix qui se redoublent au-dehors : l’âme se trouve plus faible pour les porter. Elle s’arme de patience, elle pleure, elle gémit, elle s’afflige, elle se plaint à son Époux de ce qu’Il l’a ainsi abandonné ; mais ses plaintes ne sont pas écoutées. Plus elle s’afflige, plus elle se plaint de nouveau : tout lui devient mort, elle trouve tout ce qui est bon difficile ; elle sent pour le mal une pente qui l’entraîne.

+11. Cependant elle ne se peut reposer dans la créature, ayant goûté du Créateur. Elle court encore plus fort, et plus les rochers et les obstacles sont forts et s’opposent à son passage, plus elle s’opiniâtre à redoubler sa course. Elle est comme la colombe de l’Arche qui ne trouvant pas sur la terre de quoi reposer ses pieds est obligée de retourner738. Mais, hélas ! Que fera cette pauvre colombe lorsqu’elle veut retourner en l’Arche ? Noé ne lui tend sa main pour la reprendre. Elle ne fait que voltiger autour de l’Arche, cherchant du repos sans en pouvoir trouver. Elle grommelle autour de cette Arche, jusqu’à ce que le divin Noé, ayant compassion de sa persévérance et de ses gémissements, ouvre enfin la porte et la reçoive agréablement739*.

+12. O invention toute admirable et toute amoureuse de la bonté de Dieu ! Il n’amuse ainsi l’âme que pour la faire courir avec plus de vitesse. Il se cache pour se faire chercher. Il s’enfuit pour faire courir. Il laisse tomber en apparence pour avoir le plaisir de soutenir et de relever. O âme forte et vigoureuse qui n’avez jamais éprouvé ces jeux d’amour, ces jalousies apparentes, ces fuites, aimables à l’âme qui les a passées, mais terribles à celle qui les expérimente, vous, dis-je, qui ne savez ce que c’est que les fuites740 d’amour parce que vous êtes enivrée d’une possession continuelle de votre Bien-aimé — ou que, s’Il se cache, c’est pour si peu que vous ne sauriez juger par une absence longue et ennuyeuse du bonheur de sa présence, — vous n’avez jamais éprouvé votre faiblesse et le besoin que vous avez de son secours. Mais pour ces pauvres âmes ainsi délaissées, elles commencent à ne plus s’appuyer sur elles et à ne s’appuyer que sur leur Bien-aimé. Les rigueurs de ce Bien-aimé leur ont rendu ses douceurs plus souhaitables.

+13. Ces âmes font souvent des fautes741 à cause de leur affaiblissement et que leurs sens ne trouvent plus d’appuis ; et ces fautes les rendent si honteuses qu’elles se cacheraient elles-mêmes, si elles pouvaient, de leur Bien-aimé. Hélas ! Dans l’horrible confusion où elles se trouvent, Il leur montre sa face pour un moment. Il les touche de son sceptre742, comme un autre Assuerus, afin qu’elles ne meurent pas, mais ses caresses si courtes et si tendres ne servent qu’à augmenter leur confusion de Lui avoir déplu. D’autres fois, Il leur fait sentir par ses rigueurs combien leur infidélité Lui déplaît. O Dieu, si ces âmes pouvaient devenir en poudre, elles y deviendraient ! Elles se mettent en cent postures pour réparer l’injure faite à Dieu. Et si par quelques légères promptitudes, qu’elles regardent comme des crimes, elles ont offensé le prochain, quelles satisfactions ne lui font-elles pas ! Elles portent cela si loin qu’elles s’en croient coupables comme d’injures qu’elles lui auraient faites et lui en demandent pardon. Mais c’est grande pitié de voir l’état de cette pauvre âme qui a pu chasser son Bien-aimé. Elle fait tous ses efforts pour se corriger. Elle ne cesse de courir après Lui, mais plus elle court et plus Il fuit ; et s’Il s’arrête, ce n’est que pour des moments, afin de lui faire reprendre haleine. Ensuite elle rencontre un peu de repos, mais plus elle avance, plus ce repos devient court et délicat.

+14. Elle voit bien, cette pauvre âme, qu’il faut mourir, car elle ne trouve plus de vie en rien, tout lui devient mort et croix : l’oraison, la lecture, la conversation, tout est mort. Plus de goût à rien : ni aux pratiques des vertus ni au secours des malades ni à tout le reste qui rend une vie vertueuse. Elle perd tout cela ou plutôt elle y meurt, le faisant avec tant de peine et de dégoût que ce lui est une mort. Enfin, après avoir bien combattu, mais inutilement, après une longue suite de peines et de repos, de morts et de vies, elle commence à connaître l’abus qu’elle a fait des grâces de Dieu, et combien cet état de mort lui est plus avantageux que celui de vie. Car comme elle voit son Bien-aimé revenir, que plus elle avance et plus elle le possède purement, et que l’état qui précède la jouissance est une purgation pour elle, elle s’abandonne de bon cœur à la mort et aux allées et venues de son Bien-aimé, Lui donnant toute liberté d’aller et de venir comme il Lui plaît. Elle connaît alors que de Le vouloir retenir, ce serait une propriété défectueuse : elle est instruite de ce dont elle est capable. Elle perd peu à peu sa propre jouissance et est préparée par là à un état nouveau. Mais avant que d’en parler, il faut dire que plus l’âme avance, plus [aussi] ses jouissances sont courtes, simples et pures, et plus ses privations sont longues, rudes et angoisseuses, et cela jusqu’à ce que l’âme ait perdu toute jouissance pour ne la plus retrouver jamais743. Et c’est ici le troisième degré que l’on appelle perte, sépulture et pourriture. Celui-là [le second744] se termine à la mort et ne passe pas outre.

Chapitre VII.

SECTION I. Troisième degré de la voie passive en foi. Morts. 745

+1. Vous voyez ces moribonds, lorsque on les croit expirés, reprendre tout d’un coup une nouvelle force et faire cela jusqu’à ce qu’ils expirent. Comme une lampe qui n’a plus d’humeur, jette au milieu de l’obscurité quelques feux, mais ce n’est que pour mourir plus promptement, l’âme jette des feux, mais qui ne durent que des moments. Enfin on a beau combattre contre la mort, il n’y a plus d’humide radical dans cette âme : le soleil de Justice l’a tellement desséchée qu’il faut qu’elle expire.

+2. Mais que prétend-il autre chose, cet aimable soleil avec ses ardeurs rigoureuses, que de consumer cette âme ? Et cette pauvre âme ainsi brûlée se croit toute glace ! C’est que le tourment qu’elle souffre ne lui laisse pas connaître la nature de son supplice. Tant que le soleil s’est couvert de nuages et lui a fait sentir ses rayons d’une manière tempérée, elle sentait bien sa chaleur et croyait brûler, bien qu’elle ne fût que très peu échauffée ; mais lorsqu’il a dardé à plomb ses rayons, elle se sentait rôtir et dessécher sans croire avoir seulement de la chaleur.

+3. O aimable tromperie : ô Amour doux et cruel, n’avez-vous des amants que pour les tromper ainsi ? Vous blessez ces âmes, et puis Vous cachez votre dard et Vous les faites courir après ce qui les a blessées ! Vous les attirez ensuite et Vous montrez à elles. Et lorsque elles veulent Vous posséder, Vous Vous enfuyez. Lorsque Vous voyez l’âme réduite aux abois et qu’elle perd haleine à force de courir, Vous Vous montrez un moment afin de lui faire reprendre vie pour la faire mourir mille et mille fois avec plus de rigueurs. O rigoureux Amant, innocent meurtrier, que ne tuez-Vous tout d’un coup ? Pourquoi donner du vin à ce cœur qui expire et redonner la vie pour la lui arracher de nouveau ? C’est donc là votre jeu : Vous blessez à mort, et lorsque Vous voyez le malade près d’expirer, Vous guérissez sa blessure pour lui en faire de nouvelles ! Hélas, on ne meurt ordinairement qu’une fois et les plus cruels bourreaux dans les persécutions allongeaient bien la vie aux criminels, mais ils se contentaient qu’ils la perdissent une fois. Mais Vous, plus impitoyablement, Vous nous ôtez mille et mille fois la vie et en donnez de nouvelles !

+4. O vie que l’on ne peut perdre sans tant de morts ! Ô mort que l’on ne peut avoir que par la perte de tant de vies ! Tu viendras à la fin de cette vie. Mais pour quoi faire ? Peut-être que cette âme, après que tu l’auras dévorée dans ton sein, jouira de son Bien-aimé. Elle serait trop heureuse si cela était, mais il faut essuyer un autre supplice. Il faut qu’elle soit ensevelie, qu’elle pourrisse et qu’elle soit réduite en cendres. Mais peut-être ne souffrira-t-elle plus, car les corps qui pourrissent ne souffrent plus. Oh ! il n’en est pas ainsi de l’âme. Elle souffre toujours et le sépulcre, la pourriture, le néant lui sont infiniment plus sensibles que la mort même.

+5. Ce degré de mort est extrêmement long, et dure quelquefois les vingt et trente années, à moins que Dieu n’ait des desseins particuliers sur les âmes. Et comme j’ai dit que bien peu passaient les autres degrés, je dis que bien moins passent celui-ci. C’est ce qui a tant étonné de gens de voir des personnes très saintes avoir vécu comme les anges et mourir dans des peines terribles et quasi dans le désespoir de leur salut. On s’en étonne et on ne sait à quoi attribuer cela. C’est qu’elles mouraient dans ce degré de mort mystique et, comme Dieu voulait avancer leur course parce qu’elles étaient proches de leur fin, Il redoublait leur douleurs, comme à Tauler.

+On746 me dira à cela : c’étaient des saints et consommés selon leur degré et dans leur degré. Mais ils n’avaient pas passé celui-ci, ce qui n’empêche pas que ce ne fussent des saints ; et grand nombre sont canonisés de l’Église qui n’ont éprouvé ce degré qu’en mourant ; et plusieurs n’y sont jamais entrés. Aussi quand je vois des âmes qui disent qu’elles courent si vite, je ne puis m’empêcher de dire qu’elles se trompent. Elles sont toutes consommées, je le veux, oui, dans les états inférieurs qu’elles ne passent peut-être pas ; mais pour avoir parcouru celui-ci747, je dis que cela n’est pas. Et cela se vérifie dans la suite.

+6. Aussi les âmes qui sont dans l’union au premier degré qui commence la voie de la foi nue dont je parle, se font tort de prendre pour elles les avis des états les plus avancés. Il faut laisser à Dieu de dénuer l’âme. Il le fera bien en Maître, et l’âme secondera le dénuement et la mort sans y mettre d’empêchement. Mais748 de le faire par soi-même, c’est tout perdre et faire un état vil d’un état divin. Vous voyez aussi des âmes qui, pour avoir lu ou avoir entendu parler du dénuement, s’y mettent d’elles-mêmes et demeurent toujours ainsi sans avancer : car comme elles se dénuent d’elles-mêmes, Dieu ne les revêt pas de Lui-même. Car il faut remarquer que le dessein de Dieu en dépouillant, n’est que pour revêtir. Il n’appauvrit que pour enrichir et Il devient dans le secret le remplacement de tout ce qu’Il ôte à l’âme. Ce qui n’est pas en ceux qui se dénuent d’eux-mêmes : ils perdent bien à la vérité par leur faute les dons de Dieu, mais ils ne possèdent pas Dieu pour cela.

+7. Dans ce degré, l’âme ne saurait trop se laisser dépouiller, vider, appauvrir, tuer ; et tout ce qu’elle fait pour se soutenir sont des pertes irréparables, car c’est conserver une vie qu’il faut perdre. Comme une personne qui, ayant dessein de faire mourir une lampe sans l’éteindre, n’aurait qu’à n’y point mettre d’huile : elle s’éteindrait d’elle-même ; mais si cette personne, en disant toujours qu’elle veut faire mourir cette lampe, ne cessait pas d’y mettre de temps en temps de l’huile, la lampe ne s’éteindrait jamais. Il en est de même de l’âme qui prend vie pour peu que ce soit en ce degré. Si elle se soulage, si elle ne se laisse pas dénuer, enfin quelque acte de vie qu’elle fasse, elle retardera sa mort autant et plus de temps que sa vie sera longue.

+8. O pauvre âme, ne combattez pas contre la mort, et vous vivrez par votre mort. Il me semble que je vois ces gens qui se noient : ils font tous leurs efforts pour venir sur l’eau : ils se tiennent à ce qu’ils peuvent, ils se conservent la vie autant de temps qu’ils ont de force, ils ne se noient que lorsque les forces leur manquent. Il en est ainsi de ces âmes : elles se défendent tant qu’elles peuvent pour s’empêcher de périr. Il n’y a que le défaut de force et de puissance qui les fait expirer. Dieu, qui veut avancer cette mort et qui a pitié de cette âme, lui coupe les mains par où elle se tenait attachée et l’oblige ainsi de tomber dans le fond749*. Cette âme crie de toutes ses forces pour la douleur qu’elle ressent, mais il n’importe, Dieu est impitoyable et c’est une grande miséricorde de n’en point recevoir en cette rencontre.

O directeurs, soyez les aides de Dieu dans cette œuvre : ne donnez pas secours à cette âme750. Et comme il ne vous est pas permis de contribuer à sa mort en l’enfonçant vous-mêmes dans l’eau, il ne vous est pas permis non plus de lui tendre la main pour la soutenir. Ne lui souffrez point d’appui et soyez inexorables à leurs plaintes. Devenez de bronze pour elles, aussi bien que le Ciel l’est devenu, et si vous la voyez mourir, ne donnez pas de sépulture à son corps751. L’Amour lui en donnera une telle qu’Il saura : la sépulture et la poussière viendront ensemble752.

+9. Les croix suivent, les croix augmentent ; et plus les croix augmentent, plus l’impuissance de les porter devient forte, en sorte qu’il semble à l’âme qu’elle ne les peut plus porter. Ce qui est plus pénible en cet état est que l’état de peine commence toujours par quelque chose qui paraît faute à l’âme : elle croit avoir contribué à ce mauvais état. Enfin l’âme devient dans un état presque insensible. Elle commence à s’accoutumer à la peine, à être convaincue de son impuissance, de son inutilité et à désespérer d’elle-même. Elle consent même753 à la perte de toutes les faveurs + et il semble754 que Dieu les lui a ôtées justement. Elle n’espère plus même les posséder jamais.

Lorsqu’elle voit quelque âme de grâce, sa peine redouble et elle se sent enfoncée dans le plus profond de son néant. Elle voudrait pouvoir les imiter, mais voyant ses efforts inutiles, elle est contrainte de mourir et d’expirer. C’est alors qu’elle dit avec l’Écriture755 : Tout ce que je redoutais m’est arrivé. Quoi ! Perdre Dieu, dit-elle et le perdre pour toujours sans l’espoir de Le retrouver jamais ! Quoi ! Être privé d’amour pour le temps et pour l’éternité ! Ne pouvoir plus aimer celui que l’on connaît si aimable ! Oh ! N’est-ce pas assez, divin Amant, de rebuter votre créature, de vous détourner d’elle sans qu’elle perde l’amour, et le perdre (ce semble) pour toujours ? Elle croit, cette pauvre âme, l’avoir perdu ; mais cependant elle n’aima jamais plus fortement ni plus purement756. Elle a bien perdu la vigueur, la force sensible de l’amour, mais elle n’a pas perdu l’amour757 : au contraire elle n’aima jamais mieux. Cette758 pauvre âme ne le peut croire ; cependant, il est aisé de le connaître, car le cœur ne peut être sans amour. Si elle n’aimait pas Dieu, il faudrait qu’elle aimât quelque autre chose, mais ici l’âme est bien éloignée de prendre plaisir à quoi que ce soit.

10. Ce n’est pas que les sens ne se courbent vers les créatures ; et c’est ce qui fait alors la grande peine de l’âme, qui regarde la révolte des passions et ses défauts759 involontaires comme des fautes horribles, qui lui causent la haine de son Époux. Elle voudrait se laver, se blanchir et se purifier760, mais elle n’est pas plutôt lavée qu’elle s’imagine retomber761 dans un cloaque plus sale et infect que celui dont elle est sortie762. Elle ne voit pas que c’est à force de courir qu’elle763 se crotte, qu’elle se laisse tomber, et que l’amour la transporte si fort et la fait courir après lui avec tant de vitesse qu’elle ne voit pas les mauvais pas. Cependant elle est si honteuse de courir en cet état qu’elle ne sait où se mettre. Elle va avec une robe toute déchirée. Elle perd tout ce qu’elle a à force de courir.

11. Son Époux aide à la dépouiller pour deux raisons : la première parce qu’elle a sali764 ses habits si beaux et si magnifiques +par ses vaines complaisances et qu’elle s’est appropriée les dons de Dieu par quantité de réflexions et de regards d’amour propre+ ; la765 seconde parce qu’en courant, elle serait arrêtée766 par cette charge : même la crainte767 de perdre tant de richesses l’empêcherait de courir.

12. Ô pauvre âme, qu’êtes-vous devenue ? Vous étiez autrefois les délices de votre Époux lorsque Il prenait tant de plaisir à vous orner et embellir : à présent, vous êtes si nue, si déchirée, si pauvre que vous n’oseriez ni vous regarder ni paraître devant Lui. Les hommes qui vous regardent, après vous avoir admirée autrefois et qui vous voient ainsi déchirée, croient ou que vous êtes devenue folle, ou que vous avez commis les derniers crimes, qui ont porté l’Époux à vous abandonner. Ils ne voient pas que cet Époux jaloux, qui n’aime cette âme que pour Lui, voyant qu’elle s’amusait à ses ornements, qu’elle s’y plaisait, qu’elle s’y admirait, qu’elle s’aimait elle-même, voyant, dis-je, cela, et qu’elle cessait quelquefois de Le regarder afin de se regarder elle-même, et qu’elle diminuait l’amour qu’elle avait pour Lui à force de se trop aimer, +la dépouille et fait disparaître toutes ses beautés et ses richesses de devant les yeux.

L’âme dans l’abondance de ses biens+ trouve768 du plaisir à se contempler : elle voit des amabilités en elle qui attirent son amour et le dérobent à son Époux. Pauvre folle qu’elle est ! Elle ne voit pas qu’elle n’est belle que des beautés de son Époux et que s’il les lui ôtait, elle deviendrait si laide qu’elle se ferait peur. De plus, elle néglige de suivre l’Époux dans ses courses, dans les déserts, et partout où Il va : elle craint de gâter son teint, de perdre ses pierreries. Ô Amour jaloux, que vous faites bien de venir traverser cette orgueilleuse et de lui ôter ce que Vous lui avez donné, afin qu’elle apprenne à connaître ce qu’elle est, et qu’étant nue et dépouillée, rien ne l’arrête dans sa course.

13. Notre Seigneur769 commence donc à dépouiller cette âme peu à peu, à lui ôter ses ornements, tous ses dons, grâces et faveurs770, qui sont comme des pierreries qui la chargent ; ensuite Il lui ôte toutes ses facilités au bien771, qui sont comme ses habits ; après quoi, Il lui ôte la beauté de son visage, qui sont des divines vertus772 qu’elle ne peut pratiquer773 activement.

14. Le774 premier degré de son dépouillement se fait des grâces, dons et faveurs, amour sensible et aperçu. Elle s’en sent peu à peu dépouillée. Elle voit que son Époux775 reprend peu à peu ce qu’Il lui avait donné de richesses. Elle s’afflige d’abord beaucoup de cette perte. Mais ce qui l’afflige le plus, n’est pas tant la perte des richesses que la fâcherie de l’Époux. Car elle croit776 que c’est par colère qu’Il lui reprend ainsi ce qu’Il lui avait donné. Elle voit bien l’abus qu’elle en a fait et les complaisances qu’elle y a eues, ce qui la rend si honteuse qu’elle meurt de confusion. Elle Le laisse faire et ne777 Lui ose dire : « Pourquoi reprenez-Vous ce que Vous m’avez donné ? » Car elle voit qu’elle le mérite par l’abus qu’elle en a fait et, dans un silence profond, elle Le regarde d’une manière si pitoyable qu’elle Lui fait bien voir sa peine.

15. Quoiqu’elle garde le silence, il n’est pas profond comme dans la suite : elle l’interrompt par des pleurs et des soupirs entrecoupés. Mais elle est bien étonnée qu’en regardant l’Époux, elle Le voit tout en colère de ce qu’elle pleure la justice qu’Il lui fait, de la mettre hors d’état d’abuser de ses biens, et de ce qu’elle pense peu à l’abus qu’elle en a fait. Cette778 âme s’aperçoit d’abord de sa faute et de sa méprise. Elle s’efforce de faire connaître à son Époux qu’elle ne se soucie point de ses dons pourvu qu’Il ne soit pas fâché contre elle. Elle lui témoigne que ses larmes et sa douleur viennent de Lui avoir déplu. Il est vrai qu’alors779 la colère de l’Époux, justement irrité, lui est780 si sensible qu’elle ne pense plus à la perte de toutes ses richesses, mais à la colère781 de son Époux. Elle se met en cent postures pour L’apaiser. Ses soupirs, ses gémissements et ses larmes sont les expressions de sa douleur. Ceci est encore un défaut qui offense l’Ami, mais comme l’âme est encore faible782, Il le dissimule.

16. Après l’avoir laissée pleurer longtemps, Il fait semblant d’être apaisé : Il essuie Lui-même ses larmes et la console. O Dieu, quelle joie pour cette âme de voir ces nouvelles bontés de l’Amour, après ce783 qu’elle a fait ! Il ne lui rend pas cependant ses premières richesses et l’âme ne s’en met pas en peine, se trouvant trop heureuse d’être regardée, consolée et flattée de son Bien-aimé. Au commencement, elle reçoit ses caresses avec tant de confusion qu’elle n’ose lever les yeux. Mais comme les biens présents font oublier les maux passés, elle s’abîme et se noie dans ces nouvelles caresses de son Époux et ne songeant plus à ses misères passées, elle se repaît et se repose dans ces caresses et oblige par là l’Époux de se fâcher de nouveau et de la dépouiller davantage.

17. Il faut remarquer que Dieu n’ôte à l’âme ses richesses que peu à peu : une fois, l’une, et après, l’autre. Plus les âmes sont faibles, plus le dépouillement784 est long, et plus elles sont fortes, plus tôt il est fait, Dieu les dépouillant plus souvent et de plus de choses à la fois. Mais quelque rude que soit ce dépouillement, il n’est cependant que des choses de dehors et superflues, c’est-à-dire que des dons, des grâces et faveurs, mais non d’autres choses. Cela ne se fait que l’une après l’autre, à cause de la faiblesse de l’âme. Cette conduite est si admirable, c’est un si grand amour de Dieu pour l’âme que l’on ne le croirait jamais à moins de l’expérimenter : car l’âme est si pleine d’elle-même et si pétrie d’amour-propre que si Dieu n’en usait ainsi, elle se perdrait.

18. On dira peut-être : si les dons de Dieu font un tel dommage, pourquoi les donner ? Dieu les donne par un excès de sa bonté, pour tirer l’âme du péché, de l’attache aux créatures785, et la faire retourner à Lui ; et s’Il ne les lui donnait pas, elle serait toujours criminelle. Mais ces mêmes dons, desquels Il la gratifie pour786 la détacher des créatures et d’elle-même, pour se faire aimer d’elle du moins par reconnaissance, cette créature est si misérable qu’elle s’en sert pour s’aimer et s’admirer, qu’elle s’y amuse ; et l’amour-propre est si enraciné dans la créature que ces dons l’ont augmenté : car elle trouve en elle-même de nouveaux charmes qu’elle n’y trouvait pas autrefois ; elle s’enfonce, elle s’accroche à elle-même, s’approprie ce qui était à Dieu et, se familiarisant trop avec Lui, oublie l’esclavage dont Il l’a tirée et mille autres choses de cette nature. Il est vrai que Dieu pourrait l’en délivrer comme Il peut délivrer l’homme de son fond de concupiscence, mais Il ne le fait pas pour des raisons connues à Lui seul.

19. L’âme ainsi dépouillée des dons de Dieu perd un peu de l’amour d’elle-même et elle commence à voir qu’elle n’est pas si riche qu’elle croyait et que ses richesses sont à son Époux. Elle voit, dis-je, qu’elle en a abusé et consent qu’Il les garde et qu’Il les787 reprenne. Elle dit : « Je serai riche des richesses de mon Époux et quoiqu’Il les garde, nous serons toujours en788 communauté de biens : Il ne les perdra pas ». Elle devient même bien aise d’avoir perdu ces dons de Dieu : elle se trouve déchargée789, plus légère pour marcher. Enfin elle s’accoutume peu à peu à ce dépouillement, elle connaît qu’il lui a été utile et avantageux. Elle n’en a plus de chagrin. Elle s’ajuste du mieux qu’elle peut avec ses habits et comme elle est belle, elle se contente de ce qu’elle ne laissera pas de plaire à son Époux par ses agréments et par ses habits propres autant qu’elle faisait avec tous ses ornements.

SECTION DEUXIÈME790. Second degré de dépouillement. 791

20. Lorsqu’elle792 ne pense plus qu’à vivre en paix dans cette perte et qu’elle voit clairement le bien qu’elle lui procure et le dommage qu’elle s’était causé par le mauvais usage qu’elle a fait [des dons qu’on lui a repris], elle793 est toute étonnée que l’Époux, qui ne lui avait donné trêves qu’à cause de sa faiblesse, vienne avec plus de violence lui arracher ses habits.

Ô pauvre âme, que ferez-vous à ce coup ? C’est bien pis que l’autre fois, car ces habits sont nécessaires et il n’est pas de la bienséance de s’en laisser dépouiller. Oh ! C’est alors que l’âme s’en défend tant qu’elle peut. Elle fait voir à son Époux les raisons qu’elle a pour ne pas aller ainsi nue : que cela lui serait honteux à Lui-même. « Hélas, dit-elle, j’ai perdu toutes les richesses que Vous m’aviez données, vos dons, la douceur de votre amour. Mais je pouvais encore faire des actions extérieures de vertus. Je faisais des charités. Je faisais l’oraison avec assiduité, quoique vous eussiez ôté vos grâces sensibles ; mais de perdre tout cela, c’est à quoi je ne puis consentir. J’étais encore habillée selon ma qualité, et l’on me considérait encore dans le monde comme votre Épouse. Mais si je perds mes vêtements, cela Vous fera honte à Vous-même. — N’importe, pauvre âme, il faut consentir à cette perte. Vous ne vous connaissez pas encore. Vous croyez794 que vos habits sont à vous et que vous pouvez toujours vous en servir. — Mais je les ai acquis avec tant de soin. Vous me les avez donnés comme une récompense des travaux que j’ai souffert pour vous. » N’importe : il les faut perdre.

21. L’âme, après avoir fait de son mieux pour les conserver, se sent dépouiller peu à peu. Tout lui devient insipide. Elle ne trouve plus de goût à rien, au contraire tout lui vient à dégoût et elle est mise dans l’impuissance de le faire. Autrefois elle avait des dégoûts, des peines, mais non des impuissances. Mais ici tout pouvoir lui est ôté795. Les forces du corps et de l’âme lui manquent. Elle en796 perd même le souvenir797 longtemps. L’inclination lui en reste, qui est comme la dernière robe, qu’il faut perdre à la fin798.

22. Ceci se fait très peu à peu et d’une manière pénible, parce que l’âme voit toujours que cela est venu799 par800 sa faute. Elle n’ose plus rien dire, car ce qu’elle dirait ne servirait qu’à irriter son Époux, dont la colère lui est plus rude que la mort. Elle commence à se connaître mieux, à voir qu’elle n’a rien à elle et que tout est à son Époux. Elle commence à entrer en défiance d’elle-même. elle perd peu à peu l’amour qu’elle avait pour elle-même. Mais elle ne se hait pas encore, car elle est toujours belle, quoique nue. Elle regarde de temps en temps l’Amant avec un regard pitoyable, mais elle ne dit pas un seul mot, elle s’afflige de son courroux. Il lui semble que ce serait peu d’être dépouillée, si seulement elle n’avait pas fâché son Époux et si elle ne s’était pas rendue indigne de porter ses habits nuptiaux.

23. Si elle avait été confuse la première fois qu’on lui ôta ses richesses, la confusion de se voir nue lui est infiniment plus sensible. Elle ne voudrait pas paraître devant son Époux, tant elle est honteuse. Cependant il faut rester et courir en cet état partout. Quoi ! ne lui sera-t-il pas permis de se cacher ? Non : il faut ainsi paraître en public. Le monde commence à en avoir moins d’estime. On dit : « Est-ce là cette801 âme qui faisait l’admiration des hommes et des anges ? Voyez comme elle est déchue ! » Sa confusion redouble par ces paroles, parce qu’elle connaît bien que son Époux l’a dépouillée justement. Elle fait ce qu’elle peut afin qu’Il l’a revête un peu, mais Il n’en fera rien après l’avoir ainsi dépouillée de tout, ce qui est une miséricorde infinie, car ses habits la satisfaisaient en la couvrant et l’empêchaient de voir ce qu’elle était.

24. C’est une chose bien étonnante pour une âme qui croyait être bien avancée dans la perfection, de se voir ainsi déchoir tout d’un coup. Elle croit que ce sont de nouvelles fautes, dont elle s’était corrigée, qui reviennent ; mais elle se trompe : c’est qu’elle était cachée sous ses habits qui l’empêchaient de se voir telle qu’elle est. C’est une chose802 horrible qu’une âme ainsi nue des dons et grâces de Dieu, et l’on ne pourrait à moins d’expérience [savoir ni] croire ce que c’est803.

SECTION TROISIÈME.804 Troisième degré du dépouillement. 805

25. Mais c’est encore peu, si elle conservait sa beauté : mais Il [l’Époux] la fait devenir laide et la fait perdre806. Jusqu’ici807, l’âme s’est bien laissé dépouiller des dons, grâces et faveurs, facilité au bien : elle a perdu toutes les bonnes choses, comme les austérités, le soin des pauvres, la facilité à aider le prochain, mais elle n’a pas perdu les divines vertus. Cependant ici808 [il] les faut perdre quant à l’usage : car pour la réalité, elles s’impriment plus fortement dans l’âme. Elle perd la vertu comme809 vertu ; mais c’est pour la retrouver en Jésus-Christ810.

Cette âme toute humiliée devient811* toute superbe à ce qu’elle croit. Cette âme si patiente, qui souffrait si aisément toutes choses et qui en faisait ses plaisirs, trouve qu’elle ne peut rien souffrir. Les sens812 perdent813 leur économie +et semblent vouloir se révolter.+ Elle814 ne peut ni se mortifier815, ni se garder816* de rien +par ses propres efforts comme auparavant+ et 817 qui pis est, cette âme ainsi défigurée se salit à tout moment, à ce qu’elle croit : elle se blesse818* avec les créatures. Elle se plaint avec l’Épouse que les sentinelles l’ont trouvée et l’ont navrée819.

+ 26. Je dois pourtant dire ici que les personnes de cet état ne font aucune faute volontaire. Dieu leur fait voir en général un si grand fond de corruption qui est en elles, qu’elles diraient volontiers avec Job820 : Qui me donnera que je me cache dans l’Enfer jusqu’à ce que la colère de Dieu soit passée ? Car il ne faut pas croire qu’ici ni dans la suite, Dieu permette que cette âme tombe dans aucun péché réel ; et cela est si vrai que, quoique elle paraisse à ses propres yeux la plus misérable des créatures, lorsque Il s’agit de se confesser, elle ne trouve aucune faute en détail qu’elle ait fait et s’accuse seulement qu’elle est pleine de misères et qu’elle n’a que des sentiments contraires à ses désirs. Il est de la gloire de Dieu qu’en faisant expérimenter à l’âme jusqu’au fond de sa corruption, Il ne la laisse pas tomber dans des péchés. Ce qui fait sa douleur si épouvantable, c’est qu’elle est comme accablée de la pureté de Dieu, et cette pureté lui fait voir jusques aux moindres atomes d’imperfection comme d’énormes péchés, à cause de la distance infinie qu’il y a entre la pureté de Dieu et l’impureté de la créature, de cet homme Adam pécheur. Elle voit qu’elle était sortie toute pure des mains de Dieu et qu’elle a contracté non seulement le péché d’Adam, mais encore mille et mille fautes actuelles, de sorte que sa confusion est au-dessus de tout ce qu’on peut exprimer. Ce qui fait que les hommes la méprisent, n’est point aucune faute particulière qu’ils remarquent en elle ; mais c’est que, ne la voyant plus faire tout ce qu’elle faisait autrefois avec tant d’ardeur et de fidélité, ils jugent par là de son déchet : en quoi ils se trompent beaucoup.

+ Ceci doit servir pour la suite et pour tout ce qui peut être exprimé trop fortement et que ceux qui n’ont point l’expérience pourraient prendre en mauvaise part. Il faut remarquer encore quand je parle de corruption, de pourriture, de saleté, etc., que j’entends la destruction et la consomption du vieil homme par la conviction centrale et une expérience intime de ce fond d’impureté et de propriété qu’il y a en l’homme, qui le faisant voir à lui-même ce qu’il est en soi sans Dieu, le fait crier avec David821 : Je suis un ver et non pas un homme ; et avec Job822 : Quand j’aurais été blanchi comme la neige et que la blancheur de mes mains éblouirait par son éclat, vous me feriez voir à mes yeux tout couvert d’ordure et mon vêtement aurait honte de me toucher. 823.+

27. Ce n’est donc pas824 que cette pauvre âme fasse les fautes qu’elle s’imagine de faire : car elle ne fut jamais plus pure dans le fond ; mais c’est que les sens et les puissances étant sans soutiens, principalement les sens, ils errent vagabonds. De plus, comme la course de cette âme vers Dieu redouble et qu’elle s’oublie davantage elle-même, il ne faut pas s’étonner si, en courant, elle se salit par825 les endroits pleins de boue où il lui faut passer ; et comme toute son attention est tournée vers son Bien-aimé, quoique elle ne s’en aperçoive pas à cause de son état de course, elle ne pense point à elle, elle ne songe pas où elle met ses pas. Cela est si vrai que cette âme qui se croit la plus criminelle de toutes les créatures, ne fait pas une faute de volonté, quoique elles lui paraissent toutes volontaires, mais bien de surprise : souvent même elle826 ne voit ses fautes que lorsque elles sont faites.

28. Elle crie à son Époux afin qu’Il lui tende la main ; mais Il n’a garde de le faire, du moins d’une manière aperçue, quoique Il la soutienne d’une main invisible. Cette âme pense quelquefois de mieux faire, mais c’est alors qu’elle fait plus mal : car le dessein de son Époux lorsque Il la laisse tomber, sans cependant qu’elle se blesse827, est afin qu’elle ne s’appuie plus sur elle-même, qu’elle reconnaisse son impuissance, qu’elle entre dans un entier désespoir [d’elle-même] et828 qu’elle puisse dire : J’ai perdu tout espoir829 et je ne vivrai plus830.

29. C’est ici que l’âme commence à se haïr véritablement et à se connaître, ce qu’elle ne ferait jamais si Notre Seigneur ne lui faisait sentir ce qu’elle est. Toutes les connaissances que l’on a de soi831 par lumière, de quelque degré qu’elles soient, n’ont pas le pouvoir de faire que l’âme se haïsse véritablement. Celui qui aime son âme la perdra et celui qui la hait, la sauvera832. Il n’y a, dis-je, que cette expérience qui puisse faire véritablement connaître à l’âme son fond infini de833 misères. Toute autre voie ne peut donner une véritable pureté : si elle en donne, ce n’est qu’en superficie et non dans le fond, où834 l’impureté est cachée et non exprimée et sortie.

30. Ici Dieu va chercher jusques dans le plus profond de l’âme son impureté +foncière, qui est l’effet de l’amour-propre et de la propriété que Dieu veut détruire.+ Il835 la presse et la fait sortir. Prenez une éponge qui est pleine de saletés, lavez-la tant qu’il vous plaira : vous nettoierez le dehors,836 mais vous ne la rendrez pas nette dans le fond, à moins que vous ne pressiez l’éponge pour en exprimer toute l’ordure et alors vous la pourriez facilement nettoyer. C’est ainsi que Dieu fait : Il serre cette âme837 d’une manière pénible et douloureuse, puis Il en fait sortir ce qu’il y a de plus caché.

Lorsque l’âme sent cette puanteur, elle croit que c’est une nouvelle ordure et qu’elle se salit ; et c’est une tout838 au contraire. Cette ordure y était et elle ne la voyait pas, elle ne la sent à présent que parce qu’on la lui ôte. Une personne qui aurait une apostume839 en quelque endroit, n’en a pas de dégoût tant qu’on ne la lui ouvre pas ; mais lorsque le chirurgien fait une incision et qu’il fait sortir le pus, le malade se plaint de la puanteur qui lui fait mal au cœur. Cette apostume était aussi puante lorsqu’elle était cachée et qu’elle était plus dangereuse, cependant on ne se plaignait pas de sa mauvaise odeur. On840 croit être sali parce qu’elle suppure, et c’est le contraire. Il est vrai que le dehors en est sali pour quelque temps ; mais c’est afin que le dehors et le dedans soient purifiés dans la suite. Si Dieu ne faisait ainsi, l’amour propre, cette apostume effroyable, ne sortirait jamais, et plus elle serait couverte de beaux habits841, plus aussi serait-elle enfoncée, et plus elle se tournerait au-dedans et gâterait sans qu’on s’en aperçût toutes les parties nobles.

31. Je dis donc que cette voie si abjecte842, si pauvre, si sale, a seule le pouvoir de purifier radicalement ; et sans elle on serait toujours sale, quoique l’on parût bien843 propre. Il faut donc que Dieu fasse sentir à l’âme ce qu’elle est jusqu’au fond. Cette grâce de foi, de dépouillement, s’attache toujours aux défauts les plus essentiels et les plus cachés dans l’amour-propre, à certains défauts mignons que la nature resserre, qu’elle conserve avec844 soin et que les autres ne voient pas comme des défauts : + au contraire, ils paraissent vertus, de sorte qu’en les perdant, il semble que l’on perde la vertu. Car la vertu845 ne s’acquiert véritablement que par les tentations contraires, ainsi qu’il est écrit : Celui qui n’est pas tenté, que sait-il ? Plus846 nous avons d’attache à une vertu, plus nous sommes exercés sur cette même vertu.+ Les défauts des autres voies sont connus847 plus superficiellement. Ceux que Dieu va chercher dans le plus intime de ces âmes, passeraient pour perfections chez les autres, lesquelles ont en effet une prudence848 admirable, une sagesse grande, mille propriétés qu’elles conservent chèrement. Elles ont du courage : ce sont de grandes âmes. Mais celles-ci n’ont plus rien du tout. Ce n’est plus que faiblesse sur faiblesse, impuissance849 sur impuissance. On ne leur laisse pas la moindre propriété. Les autres vont par ce qui est et elles subsistent par quelque chose de grand : elles vont850 de sainteté en sainteté, et celles-ci vont851 par ce qu’elles n’ont pas. Aussi sont-elles bien éloignées de s’attacher à rien, ayant tout perdu : étant si laides et si sales, à quoi s’attacheraient-elles ?

32. +Les plus favorisées de+ ces852 âmes-ci, pour l’ordinaire, sont le rebut853 du monde : elles sont toujours contrariées. Ce que les autres font est admiré ; +mais pour elles, il semble qu’+elles854 gâtent tout ce855 qu’elles entreprennent. Elles ne réussissent à rien et ne sont approuvées en rien. Enfin, il faut que, malgré elles, elles se rendent justice et qu’elles voient tout bien être en leur Époux et tout mal être en elles. On ne saurait croire, sinon par expérience, de quoi la nature abandonnée à elle-même est capable. Oui, oui, notre856 être propre abandonné à lui-même est pire que tous les diables857*.

33. C’est pourquoi il ne faut pas croire que cette âme ainsi dans la misère soit abandonnée de Dieu. Elle n’en fut858 jamais mieux soutenue, mais c’est la nature qui est laissée un peu seule et qui859 fait tous ces ravages sans que l’âme y ait aucune part. Cette pauvre Épouse désolée courant çà et là après son Bien-aimé non seulement se salit beaucoup860, comme j’ai dit, mais elle se blesse avec les épines qu’elle rencontre. Elle se fatigue si fort qu’il lui faut861 mourir et expirer dans sa course sans secours.

Le plus grand bien de l’âme en cette voie est que Dieu lui soit impitoyable et lorsqu’Il veut bien faire avancer une âme, Il la laisse courir jusqu’à la mort ; s’Il l’arrête pour des moments (ce qui ravit et vivifie cette pauvre âme), c’est à cause862 de sa faiblesse et qu’Il craint qu’elle ne perde courage et que la lassitude863 ne l’oblige à se reposer.

34. Lorsqu’Il voit cela, Il la regarde pour un moment, et cette pauvre âme par ce regard se trouve prise et blessée864 de nouveau, mais d’une manière si forte qu’elle est hors d’elle-même et demeure comme défaillie. Elle Lui dirait volontiers : « Hélas ! Pourquoi m’avez-vous tant fait courir ? Donnez-moi un peu de repos afin que j’avale ma salive865. Qui me donnera que je Le trouve seul et que je Le mène dehors866 et que je le voie face à face ! » Mais, hélas ! lorsque elle croit Le tenir, Il s’enfuit derechef : Je L’ai cherché (dit-elle) et je ne L’ai point trouvé867. Comme, par ce regard de l’Époux, l’âme est devenue plus amoureuse, elle redouble sa course afin de Le trouver868. Cependant elle s’est arrêtée869 autant de temps que son regard a duré. C’est pourquoi l’Époux ne la regarde que le moins qu’Il peut et que lorsque Il voit qu’elle perd courage. Et si elle était assez forte, elle irait bien plus vite sans s’arrêter : si un voyageur pouvait toujours marcher sans besoin ni de repos ni de nourriture, il irait bien plus vite ; mais il lui faut et l’un et l’autre à cause de sa faiblesse, et l’un et l’autre lui donnent de nouvelles forces qui lui sont données à cause de son besoin et que la nature défaillirait s’il en était privé. Il en est ainsi dans cette voie.

35. Cette âme870* meurt donc ici véritablement à la fin de sa course, parce que toute force active lui manque pour courir : car quoique elle ait été passive, elle n’avait pas pourtant perdu sa force active quoique elle ne lui parût pas à elle-même ; l’attrait871 la faisait courir sans qu’elle le sût et connût. L’Épouse dit : Tirez-moi et nous courrons872 : elle court à la vérité, mais de quelle manière ? C’est en perdant tout. C’est comme le soleil qui court incessamment sans sortir de son repos.

L’âme perd tout ici par le trépas mystique, pour courir sous un autre pôle ou pour mieux dire [c’est comme un soleil qui] s’éclipse de notre hémisphère, où il ne paraîtra plus, étant caché dans873 la mer. C’est là le sépulcre où l’âme éprouve une874 tout autre mort et sa875 puanteur, ainsi qu’il sera dit.

36. L’âme ici se hait si fort elle-même qu’elle ne se peut souffrir : elle n’a des yeux que pour se regarder de travers, elle n’a que du mal à dire d’elle. C’est alors qu’elle n’est rien ni devant Dieu ni devant les créatures ni devant elle-même. Elle croit que c’est avec raison que l’Époux la traite de la sorte. Elle croit que c’est sa puanteur876 qui lui cause du dégoût. Elle ne voit pas que c’est tout le contraire : c’est pour la faire courir qu’Il fuit, c’est pour la purifier qu’Il semble la salir877. Lorsque l’on met le fer dans le feu pour le purifier et lui faire perdre sa rouille, il paraît d’abord se salir et noircir, mais après on voit bien qu’il a été purifié. Il ne lui fait expérimenter ses faiblesses qu’afin qu’elle perde toute force et tout appui propre et que, désespérant de tout, Il la porte Lui-même et qu’elle se laisse porter : car quelque forte que soit sa course, elle marche en enfant, mais lorsque elle est en Dieu et que Dieu la porte, quoique elle paraisse se reposer, ses démarches sont infinies, puisqu’elles sont celles d’un Dieu.

37. Cette âme voit encore les autres parées de ses dépouilles. Lorsqu’elle voit une sainte âme, elle n’ose l’aborder et elle la voit parée avec admiration de tous les ornements que l’Époux lui a ôtés. Mais, quoique elle l’admire et qu’elle se sente enfoncée jusques dans l’abîme878 du néant, elle ne peut pas cependant désirer de les avoir, tant elle s’en trouve indigne. Elle croit que ce serait les profaner que de les mettre sur une personne si couverte de boue et d’infection. Elle se réjouit même de voir que, si elle fait horreur à son Bien-aimé, il y en a d’autres qui font ses délices. Elle est bien éloignée de la jalousie des commencements où elle Le voulait toujours garder et retenir : au contraire, elle est bien aise qu’Il ne la regarde pas afin qu’Il n’en ait pas mal au cœur et qu’Il prenne ses délices avec les autres, qu’elle croit fortunées d’avoir gagné les amours de son Dieu, car pour les ornements, quoique elle les en voit parées, elle879 ne croit pas que ce soit cela qui les rende heureuses. Si elle trouve du bonheur pour elles à les en voir parées, c’est parce que ce sont les gages de l’amour de son Bien-aimé.

38. Lorsqu’elle se tient si petite auprès de ces âmes qu’elle regarde comme des reines, elle ne sait pas le bien que lui doit produire sa nudité880, sa mort et sa pourriture. Il ne la rend nue que pour être son vêtement : Revêtez-vous de Jésus-Christ, dit saint Paul881. Il ne la tue que pour être sa vie : Si nous sommes morts avec Jésus-Christ, nous ressusciterons avec Lui882. Il ne l’anéantit que pour la transformer en Lui.

Cette perte de vertu883 ne se fait que peu à peu, ainsi que les autres pertes, et cet entraînement apparent au mal est involontaire, car ce mal884 qui rend ces âmes si sales885 à leurs propres yeux n’est point un mal véritable ni dangereux dont elles soient propriétaires, car ici elles n’ont ni de volonté propre ni d’arrêt à quoi que ce soit. Ce qui les salit sont des précipitations et promptitudes, qui ne font que passer et qui ne laissent pas de les remplir de confusion, ce sont certains886 défauts qui ne sont que dans les sentiments887. Sitôt qu’une âme voit la beauté d’une vertu, elle tombe incessamment dans le vice contraire à ce qu’elle croit : par exemple, si elle aime la vérité, elle dit des paroles précipitées ou d’exagération, elle croit mentir à tout moment, quoique en effet elle ne le fasse pas, ne parlant pas contre son sentiment. Si elle aime la douceur, une promptitude inopinée lui survient et il en est ainsi de toutes les autres vertus. + Et plus les vertus sont de conséquence et que l’âme y tient plus fortement, (parce qu’elles lui paraissent plus essentielles,) plus lui sont-elles arrachées [en cette manière] avec plus de force et de douleur.+

SECTION QUATRIÈME888. Entrée dans la mort mystique. 889

39. Cette890 pauvre âme après avoir tout perdu, doit enfin se perdre elle-même891 par un entier désespoir de tout ou plutôt doit mourir accablée de fatigues horribles892*. L’oraison de ce degré est fort pénible parce que l’âme ne pouvant plus se servir de ses puissances dont l’usage lui est entièrement ôté, et Dieu ayant retiré un certain calme doux et profond qui la soutenait, elle reste comme ces pauvres enfants qui vont courant çà et là pour trouver de la nourriture sans trouver personne qui leur en donne. + C’est ce qui fait qu’ici l’oraison paraît entièrement perdue, comme en ceux qui ne l’ont jamais faite, mais avec cette différence que l’on sent la peine de sa perte, parce que l’on a connu sa valeur par sa possession et que les autres n’en ont pas de peine parce qu’ils n’en connaissent pas le prix.+ Elle893 ne peut plus trouver de soutien dans les créatures et, si elle s’y sent courbée et portée894, c’est par impétuosité sans cependant y trouver rien qui la satisfasse. Ce n’est pas que souvent elle ne s’égare et qu’elle ne voulût se jeter à corps perdu dans les choses qu’elle a goûtées autrefois, mais, hélas ! elle y trouve tant d’amertume qu’elle s’en retire au plus vite, et il ne lui reste que la douleur de son infidélité.

40. L’imagination895 est entièrement détraquée896 et ne laisse presque point de repos. Les trois puissances de l’âme [l’entendement, la mémoire et la volonté] perdent897 peu à peu leur vie, en sorte que sur la fin elles n’en ont point du tout, ce qui est très pénible à l’âme et particulièrement à la volonté, qui avait appris de goûter un « je ne sais quoi » tranquille et doux, qui rassurait les autres puissances dans leur inaction et898 dans leurs morts et impuissances.

41. Ce je ne sais quoi, qui soutient dans le fond, est ce qui coûte le plus à perdre et que l’âme tâche avec plus de force à retenir ; car d’autant plus est-il délicat, d’autant plus lui paraît-il divin et nécessaire, et elle consentirait aisément à ne se servir jamais des deux autres puissances ni même de la volonté d’une manière distincte et aperçue, pourvu899 que ce « je ne sais quoi », qui est son favori, lui demeure : car le moyen qu’une âme puisse subsister sans moyens, et sans ce moyen si pur qu’il semble que c’est la fin à laquelle tout aboutit et la récompense de tous les travaux ? Car que veut une âme dans tous ses travaux, que d’avoir ce témoignage dans le fond qu’elle est900 un enfant de Dieu ? Et toute la spiritualité se termine à cette expérience.

Cependant il le faut perdre901 comme le reste et ensuite entrer dans902 la funeste expérience de toutes les misères dont on est plein903. Et c’est ce qui opère véritablement904 la mort de l’âme : car, quelque misère que puisse avoir l’âme, si ce « je ne sais quoi » qui fait la vie de l’âme, ne se perdait, elle ne mourrait pas ; et aussi, si ce « je ne sais quoi » se perdait sans qu’elle sentît ses misères, elle se soutiendrait et ne mourrait jamais. + Elle sait et comprend facilement qu’il faut passer de longues et effroyables ténèbres, qu’il faut perdre tout goût, tous sentiments, quelque délicats qu’ils soient. C’est pourquoi elle porte les privations des soutiens et des goûts avec force, surtout les personnes éclairées et905 savantes ; mais de perdre un certain soutien presque imperceptible et tomber de faiblesse, tomber dans la misère et la boue906, c’est à quoi l’on ne peut consentir parce que l’on n’y doit jamais consentir. C’est où la raison se perd. C’est où les frayeurs et les transes mortelles s’emparent du cœur, qui semble n’avoir de vie que pour sentir sa mort.+ C’est907 donc la perte de cet imperceptible moyen et l’expérience de ses misères qui causent la mort.

42. L’âme doit être bien fidèle, dans un temps si nu et si rude, pour ne point laisser ses sens se courber vers les créatures volontairement, cherchant du soulagement et du divertissement volontaire : je dis volontaire, car908 pour des mortifications et attentions [réfléchies] sur soi-même, ces âmes en sont incapables ; et plus elles ont été mortifiées (ce qui paraissait mort aux non expérimentés), plus ont-elles de penchant vers le contraire sans909 s’en apercevoir, comme un fou qui va errant et vagabond partout ; et si vous vouliez les retenir trop rigoureusement, outre910 que cela serait inutile, c’est que cette application au-dehors retarderait et empêcherait la mort.

43. Que faut-il donc faire ? C’est d’observer de ne rien faire qui soulage les sens d’une911 manière criminelle et imparfaite, de les souffrir et de les récréer quelquefois en choses innocentes en charité, car comme ils ne sont pas capables de ce qui s’opère au-dedans, ce serait ruiner la santé et même les forces de l’esprit, et peut-être l’intérieur, que de les vouloir gêner. Il faut mépriser cela comme des enfances et n’être pas trop rigoureux en refusant les choses permises.

44. Ce que je dis est pour ce degré : car si l’âme en voulait user ainsi dans le temps de la force et vigueur de la grâce, elle ferait mal. Et même notre Seigneur tout plein de bonté fait bien voir Lui-même la conduite que l’on doit tenir, car dans les commencements, Il presse de si près les pauvres sens qu’Il ne leur donne aucune liberté ; c’est assez qu’ils veuillent quelque chose pour les en arracher : un regard, une parole, la moindre satisfaction ferait souffrir infiniment, et Dieu fait cela pour tirer les sens de leur opérer imparfait, pour912 les faire entrer au-dedans et, en les sevrant au-dehors913, Il les lie au-dedans d’une manière si douce914 qu’il ne leur coûte presque rien de se priver de tout ; ils y trouvent même plus de douceur que dans la possession de toutes choses. Mais quand ils sont suffisamment purifiés et introvertis, Dieu915 qui veut tirer l’âme d’elle-même par un mouvement tout contraire, permet que les sens s’extrovertissent et se répandent vers le dehors, ce qui semble à l’âme une grande impureté. Cependant la chose est [alors] de saison et faire autrement, c’est se purifier autrement que Dieu ne veut, et se salir.

45. Cela n’empêche pas qu’il ne se fasse des fautes dans cette extroversion des sens, mais la confusion que l’âme en reçoit et la fidélité à en faire usage, fait le fumier916 où elle pourrit plus vite : Tout917 coopère en bien à ceux qui aiment918. C’est aussi ici où l’on perd entièrement l’estime des créatures. Elles vous regardent avec mépris919 et disent : « N’est-ce pas là celle que nous admirions autrefois ? Comment est-elle devenue ainsi défigurée et laide ? ». Hélas, leur dit-elle : Ne me regardez pas par ma couleur noire, car c’est le soleil qui m’a ainsi décolorée920. C’est ici qu’elle entre tout d’un coup dans le troisième degré, qui est d’ensevelissement et de pourriture.

Chapitre VIII. Troisième degré de la voie passive en foi nue 921

1. Le torrent, ainsi que nous l’avons dit, a souffert tous les bruits et les renversements imaginables. Il a été battu contre les rochers : ce n’était que chutes de rochers en rochers, mais il a toujours paru et on ne l’a point vu perdre. Il commence ici à se perdre de gouffre en gouffre. Il y avait encore un marcher, quoique si précipité, si confus et si rompu ; mais ici il s’engouffre avec une impétuosité encore plus forte dans des trous. On est longtemps sans le voir, puis on l’aperçoit un peu, plus par son bruit que par la vue ; mais il ne paraît que pour se précipiter de nouveau dans un gouffre plus profond. Il tombe d’abîme en abîme, de précipice en précipice, jusqu’à ce qu’enfin il tombe dans l’abîme de la mer où, perdant toute figure, il ne se trouve plus jamais, étant devenu la922 mer même923.

2. L’âme après bien des morts redoublées expire enfin dans les bras de l’Amour, mais elle n’aperçoit pas ces mêmes bras. Elle n’est pas plus tôt expirée qu’elle perd tout acte de vie, pour simple et délicat qu’il fût : +tout désir, inclination, penchant, choix, répugnances et contrariétés foncières.+ Plus924 elle s’approchait de la mort, plus elle s’affaiblissait et sa vie, quoique languissante et agonisante, était encore vie ; et il pouvait encore rester à l’âme quelque espérance, quoique sa mort fût inévitable925. Mais ici, il n’y en a plus. Il faut que le torrent s’abîme et qu’on ne l’aperçoive plus.

3. O Dieu, qu’est-ce que ceci ? Ce qui n’était que des précipices devient des abîmes. L’âme tombe avec entraînement dans un abîme de misères d’où il n’y a nul jour de sortir. Au commencement, cet abîme est moindre ; mais plus elle avance, plus elle en trouve de plus étranges, en sorte que c’est aller de mal en pis, car il est à remarquer que lorsque l’on commence un degré, il tient beaucoup de celui qui précède dans son commencement, et dans sa fin, il commence déjà beaucoup à se ressentir de celui qui doit suivre. Il faut aussi remarquer que chaque degré en renferme une infinité d’autres.

4. L’homme après926 sa mort, avant que d’être enseveli, est encore parmi les vivants : il a encore figure d’homme, quoique il fasse peur. Cette âme aussi, dans le commencement de ce degré, a encore quelque figure de ce qu’elle était autrefois : il lui reste une certaine impression secrète et cachée de Dieu, comme il reste dans un corps mort une certaine chaleur qui s’éteint peu à peu. Cette âme se présente à l’oraison, à la prière, mais tout cela lui est bientôt ôté. Il faut perdre non seulement toute oraison, tout don de Dieu, mais Dieu même927 à ce qu’il paraît, et ne Le pas perdre pour un, deux928 ou trois ans, mais pour toujours. Toute facilité au bien, toute vertu active lui929 sont ôtées. Elle reste nue et dépouillée de tout. Le monde qui l’estimait autrefois tant, commence à en avoir peur930. On lui rend encore certains devoirs de bienséance, mais ce n’est que pour l’ensevelir, la cacher dans la terre et ne la plus voir.

+ Il faut remarquer que ce n’est aucune faute visible qui produit le mépris des hommes, mais l’impuissance de pratiquer ce que l’on faisait autrefois avec tant de facilité : on passait les jours entiers à l’église ou dans la visite des pauvres malades, souvent même contre son devoir ; on ne peut plus faire ces choses.+

5. Elle sera bientôt, cette pauvre âme, dans un entier oubli. Peu à peu931 elle perd tellement toute chose qu’elle est toute pauvre. Les créatures la jettent dans la terre, puis on n’y pense plus. Tout le monde jette de la terre dessus et on la foule aux pieds. Ô pauvre âme, il faut que tu te vois faire tout cela. Si un corps se voyait enterrer, quelle peine n’aurait-il point ? L’âme voit tout cela, et le voit932 avec frayeur, sans cependant y pouvoir mettre ordre. Il faut se laisser ensevelir, couvrir de terre et écraser de toutes les créatures.

6. C’est ici où sont les bonnes croix, et d’autant meilleures que l’âme croit mieux les mériter. Elle commence aussi à avoir horreur d’elle-même. Dieu la rejette si loin qu’Il paraît la vouloir abandonner933 pour toujours. Il faut, pauvre âme, que vous preniez patience et que vous demeuriez gisante dans le sépulcre.

7. Elle y demeure en paix, quoique avec des horreurs terribles, parce qu’elle voit bien qu’il n’y a pas d’apparence d’en sortir et qu’il y faut demeurer pour toujours ; et aussi bien voit-elle que c’est le lieu qui lui est propre à présent, tout autre étant plus fâcheux pour elle. Elle fuit les créatures de bon cœur, parce934 qu’elle voit bien qu’il n’y a plus rien à faire pour elle et qu’elles en ont de l’aversion. On parle mal d’elle. On ne la regarde plus que comme une charogne qui a perdu la vie de la grâce et qui n’est plus propre qu’à être enfoncée dans la terre.

8. L’âme porte son abjection. Mais, hélas, que cet état est encore doux ! Et qu’il serait aisé de rester dans le sépulcre s’il ne fallait pas pourrir ! Le vieil homme corrompt935 peu à peu : autrefois c’était des faiblesses, des défaillances ; ici l’âme voit le fond de sa corruption + qu’elle avait ignorée jusqu’alors, car il lui était impossible d’imaginer ce que c’est que l’amour propre et la propriété. Tout ceci se passe dans l’intime de l’âme sans que les sens y participent.+ O Dieu936, quelle horreur pour cette âme de se voir ainsi pourrir ! Toutes les peines, les mépris et les contradictions des créatures ne la touchent plus. Elle est même insensible à la privation du soleil de Justice : elle sait qu’il n’éclaire pas dans les tombeaux. Mais de sentir sa corruption, c’est ce qu’elle ne peut souffrir. Ô Dieu ! Que ne souffrirait-elle pas plutôt ? C’est cependant un faire le faut937. Il faut expérimenter jusqu’au fond ce que l’on est. Mais ce sont peut-être des938 péchés ? Dieu a horreur de moi. Mais939 que faire ? Il faut souffrir, il n’y a point de remède940.

9. Mais encore si je pourrissais sans être vue de Dieu, je serais contente ; ce qui me fait peine est le mal de cœur que je Lui fais. Mais, pauvre désolée, que ferez-vous ?941 Il vous doit suffire de n’aimer pas la corruption, mais de la porter. Encore942 ne savez-vous pas si vous ne la voulez pas : vous ne sauriez en juger vous-même. Les autres en jugent par la peine qu’elle943 vous cause.

10. Cette âme ainsi dans944 la corruption est si pleine d’horreur d’elle-même qu’elle ne peut se souffrir. La peine de souffrir sa propre puanteur est si forte qu’elle n’a plus de peine de tout ce qu’on lui pourrait faire au-dehors. Rien ne la touche plus. Elle se voit digne de tout mépris. Les autres ne la voient plus qu’avec horreur, mais cela ne lui fait point de peine, le mal de cœur qu’elle sent, et sa propre puanteur945, lui faisant voir que l’on a raison. Et si elle voit des âmes vivantes en Dieu, elle se croit indigne d’en approcher : elle s’enfonce946 dans la pourriture comme dans le lieu qui lui est propre.

11. Elle n’a pas de peine que947 Dieu la rebute, car elle voit si clair le mériter que rien plus. Elle948 est même ravie qu’Il ne la regarde plus, qu’Il la laisse dans la pourriture et qu’Il donne aux autres toutes ses grâces, que les autres soient l’objet de ses actions et949 qu’elle ne cause que de l’horreur950. Mais ce à quoi elle ne se peut résoudre, c’est que la mauvaise odeur de sa corruption monte jusqu’à Dieu. Elle951 ne voudrait pas pécher. N’importe, dit cette âme, que je pourrisse, que je sois le jouet de toutes les créatures, que je sois dans le fond de l’Enfer avec les démons, pourvu que je ne pèche pas. Elle ne pense plus à aimer ou à ne pas aimer. Elle s’en croit incapable952. Il n’y a plus d’amour pour elle. Elle est devenue bien pis que dans le pur naturel, puisqu’elle est dans la corruption ordinaire au corps privé de vie.

12. Enfin peut-être que cette corruption durera peu ? Hélas ! C’est tout le contraire. Elle durera plusieurs années et ira toujours en augmentant, si ce n’est sur la fin que la pourriture devient poussière et que ce qui est cendre redevient cendre.

13. Ce pauvre torrent va comme un fou, d’abîme en abîme, de précipices en précipices. Cette âme va de pourriture en pourriture : tous953 ses membres sont attaqués presque en même temps. Il n’y a plus rien pour elle, plus954 de règlements, plus d’austérités. Il lui semble que tous les sens et toutes les puissances sont955 dans la confusion956. Pauvre957 âme, que ferez-vous dans cet état ? Il vous faut résoudre à être éternellement la pâture des vers. Votre propre958 conscience vous reproche l’état où vous êtes tombée. Quelle différence pour ce torrent de couler si agréablement dans la plaine ou de se précipiter dans des gouffres affreux ? C’est pourtant son sort et sa destinée.

Enfin peu à peu l’âme s’accoutume959 à la corruption : elle la sent960 moins et elle lui devient naturelle, si ce n’est dans de certains moments961 qu’elle exhale une puanteur capable de la faire mourir si elle n’était pas immortelle. Ô pauvre torrent, n’étiez-vous pas mieux sur le haut de la montagne qu’à présent ? Vous aviez quelque légère corruption, mais à présent, quoique vous courriez avec rapidité et que rien ne vous arrête, vous passez dans des lieux si sales, si corrompus de soufre, de salpêtre et de vilenies, que vous entraînez avec vous la méchante odeur !

14. Enfin cette pauvre âme commence à ne plus tant sentir sa puanteur962, à s’y faire, à y demeurer en repos, sans espérance d’en sortir jamais, sans pouvoir rien faire pour cela, et ainsi ses membres, sa chair, tout elle-même s’anéantit et devient poussière. Et c’est alors que commence l’anéantissement, car auparavant, quelque puanteur qu’elle pût avoir, il restait [encore] des marques de l’humanité : un cadavre puant, un reste d’homme. Mais ici, il n’y a plus que de la cendre. L’âme ne souffre plus de la méchante odeur : elle est naturalisée à ces choses, elle ne voit plus rien, et elle est comme une personne qui n’est plus et qui ne sera plus jamais. Elle ne sait ni bien ni mal963.

15. Autrefois964 elle se faisait horreur : elle n’y pense plus. Elle est dans la dernière misère sans en avoir plus d’horreur. Autrefois elle craignait encore la Communion, de peur d’infecter ou déshonorer Dieu965 : à présent, il lui semble qu’elle y va tout966 naturellement967! Tout ce qui est de grâce se fait comme de nature et il n’y a plus rien, ni peine ni plaisir. Tout ce qu’il y a, c’est que ses cendres demeurent cendres en paix, sans espoir d’être jamais autre chose que cendres. Lorsqu’elle sentait sa puanteur, elle connaissait encore qu’elle pourrissait ; mais ici elle est pourrie, et rien de dehors ni de dedans968 ne la touche plus.

16. Enfin, réduite dans le non-être, il se trouve969 dans ses cendres un germe d’immortalité qui se conserve sous cette cendre, et qui prendra vie dans sa saison. Mais elle n’a pas cette connaissance et ne pense pas se voir970 jamais revivre ni971 ressusciter.

17. La fidélité de l’âme en cet état consiste à se laisser ensevelir, enterrer, écraser, marcher, sans se remuer non plus qu’un mort ; à souffrir sa puanteur dans sa fosse et à se laisser pourrir dans toute l’étendue de la volonté de Dieu972, sans aller chercher de quoi éviter la putréfaction973. Il y en a qui voudraient mettre du baume ou des senteurs pour ne point sentir la puanteur de leur corruption. Non, non : laissez-vous telles que vous êtes, pauvres âmes. Sentez votre puanteur : il faut que vous la connaissiez et que vous voyiez le fond infini de corruption qui est en vous. Mettre du baume n’est autre chose que de tâcher par974 quelques moyens vertueux et bons de couvrir la corruption et d’en empêcher l’odeur. Oh975, ne le faites pas ! Vous vous feriez tort. Dieu vous souffre bien : pourquoi ne vous souffririez-vous pas ?976 Si vous y regardez de près, vous verrez même que ce que vous ferez pour détourner la puanteur est un état violent pour vous et qu’il vous est plus naturel et meilleur de la sentir.

18. Je crois que le directeur doit donner très peu ou point du tout de977 secours à cette âme, principalement si son esprit est d’une force assez raisonnable. Car si cela n’était pas, il faudrait la soutenir : autrement, elle pourrait se perdre par la pénétration de la peine, car la peine de la pourriture passe jusque dans la moelle de ses os. Les autres peines sont plus extérieures et ne pénètrent pas si avant. Mais pour les âmes fortes, moins elles sont secourues, soutenues et fortifiées, plus tôt sont-elles réduites en poussière. Ne leur portez donc pas compassion et laissez-les dans leurs ordures apparentes, qui font cependant les délices de Dieu, jusqu’à ce que, de978 ces979 cendres, renaisse une nouvelle vie980.

19. L’âme réduite au néant y doit demeurer, sans vouloir, lorsque elle est poussière, sortir de cet état ni, comme autrefois, désirer981 de revivre. Il faut qu’elle demeure comme ce qui n’est plus, et c’est pour lors que le torrent s’abîme et se perd dans la mer pour ne se retrouver jamais en lui-même, mais pour devenir une même chose avec la mer982*.

20. C’est pour lors que ce mort sent peu à peu sans sentir, que ses cendres se raniment et prennent une nouvelle vie ; mais cela se fait si peu à peu qu’il semble983 que ce soit un songe et un sommeil où l’on a bien rêvé : c’est comme un ver984 qui se forme de la cendre et qui prend vie peu à peu. Et c’est ce qui fait le dernier degré qui est le commencement de la vie divine et véritablement intérieure, qui enferme des degrés sans nombre, et où l’on avance toujours infiniment, de même que ce torrent peut toujours avancer dans la mer et en prendre tant plus les qualités que plus il y séjourne985.

Chapitre IX. Quatrième degré de la voie passive en foi. Vie divine. 986

1. Lorsque ce torrent commence à se perdre dans la mer, on le distingue fort bien un temps notable : on aperçoit son mouvement, et enfin peu à peu il perd toute figure propre pour prendre celle de la mer. L’âme tout de même, sortant de ce degré et commençant de se perdre, conserve encore quelque chose de propre ; mais après quelque temps, elle perd tout ce qu’elle avait de propre. Ce corps dont la pourriture a été réduite en cendre, est encore987 poudre et cendre, mais si une personne avalait ces cendres, il ne resterait plus rien de propre et il en serait fait une même chose avec la personne qui les prendrait. L’âme jusqu’à présent, quelque morte et pourrie qu’elle ait été, a toujours conservé son être propre et ne l’a point perdu. Il n’y a qu’en ce degré qu’elle est véritablement tirée hors d’elle-même.

Tout ce qui s’est passé jusqu’à présent, s’est passé dans la capacité propre de la créature : mais ici, cette créature est tirée de sa capacité propre pour recevoir une capacité immense en Dieu même. Et comme ce torrent, (par exemple,) lorsque Il entre dans988 la mer, perd son être propre en sorte qu’il ne lui en reste plus rien, pour prendre celui de la mer, ou plutôt il est tiré de soi pour se perdre en la mer, de même989 cette âme perd l’humain pour se perdre dans le divin, qui devient son être et sa substance990, non essentiellement, mais mystiquement. Alors ce torrent possède tous les trésors de la mer, et autant qu’il a été pauvre et misérable, autant est-il glorieux.

2. C’est donc dans ce tombeau que l’âme commence à reprendre vie et la lumière y paraît insensiblement991. C’est alors qu’on peut dire avec vérité que ceux qui reposent dans les ténèbres ont vu une grande lumière ; et que le jour s’est levé sur ceux qui demeuraient dans la région et dans l’ombre de la mort992. Il y a une belle figure dans Ézéchiel de cette résurrection993, où les ossements reprennent vie peu à peu ; puis cet autre passage : Le temps est venu que les morts entendront la voix du Seigneur994.

3. O âmes995 qui sortez du sépulcre, vous sentez en vous un germe de vie qui vient peu à peu. Vous êtes tout étonnées qu’une force secrète s’empare de vous. Ces cendres se raniment. Vous vous trouvez dans un pays nouveau. Cette pauvre âme, qui ne pensait plus qu’à demeurer996 en paix dans le sépulcre, reçoit une agréable surprise. Elle ne sait que croire et que penser. Elle croit que le soleil a dardé pour un peu ses rayons par quelque fente et ouverture, mais que ce n’est que pour quelque moment. Elle est bien plus étonnée lorsque elle sent cette vigueur secrète s’emparer plus fortement de toute elle-même et que peu à peu elle reçoit une nouvelle vie pour ne plus la perdre, (du moins autant que l’on peut être assuré en cette vie), ce qui n’arriverait pas sans la plus noire infidélité. Mais cette vie nouvelle n’est plus comme autrefois : c’est une vie en Dieu997. C’est une vie parfaite. Elle ne vit plus998, n’opère plus par elle-même ; mais Dieu vit, agit et opère. Et cela va s’augmentant peu à peu, en sorte qu’elle devient parfaite de la perfection de Dieu, riche de sa richesse ; elle aime de son amour.

4. L’âme sent bien que tout ce qu’elle avait eu autrefois, pour grand qu’il parût, avait été en sa possession. Mais à présent elle ne possède plus, mais elle est possédée. Et elle n’est plus et ne prend une nouvelle vie que pour la perdre en Dieu, ou plutôt elle ne vit que de la vie de Dieu, qui étant999 le principe de vie, cette âme ne peut manquer de rien. Quel gain n’a-t-elle point fait pour toutes ses pertes ? Elle a perdu le créé pour l’incréé, le rien pour le tout : tout lui est donné, non en elle, mais en Dieu, non pour être possédé d’elle, mais pour être possédé de Dieu. Ses1000 richesses sont immenses : elles sont Dieu même. Elle sent1001 tous les jours sa capacité s’accroître et une largeur et étendue qui augmente chaque jour. Il semble que sa capacité devienne immense. Toutes les vertus lui sont redonnées1002, mais en Dieu.

5. Il faut remarquer que, comme elle n’a été dépouillée que très peu à peu et par degré, elle n’est enrichie et revivifiée que peu à peu. Plus elle se perd en Dieu, plus sa capacité devient grande, comme plus ce torrent se perd dans la mer, plus il est élargi et devient immense, n’ayant point d’autres bornes que la mer : il en participe toutes les qualités. L’âme devient forte, immense1003, ferme : elle a perdu tous les moyens, mais elle est dans la fin1004. Comme une personne qui marcherait sur la terre pour se perdre en mer, se servirait de ce moyen [de marcher] pour y arriver et le perdrait pour s’y abîmer.

6. Cette vie divine devient toute naturelle à l’âme. Comme l’âme ne se sent plus, ne se voit plus, ne se connaît plus, elle ne voit rien1005 de Dieu, n’en comprend rien, n’en distingue rien. Il n’y a plus d’amour, de lumières ni de connaissances1006. Dieu ne lui paraît plus comme autrefois quelque chose de distinct d’elle, mais1007 elle ne sait plus rien sinon que DIEU EST et qu’elle n’est plus1008, ne subsiste et ne vit plus qu’en Lui. Ici l’oraison est l’action et l’action est l’oraison. Tout est égal, tout est indifférent à cette âme, car tout lui est également Dieu.

7. Autrefois il fallait pratiquer la vertu pour faire les œuvres vertueuses. Ici toute distinction d’actions est ôtée, les actions n’ayant plus de vertus propres, mais tout étant Dieu à cette âme, l’action la plus basse comme la1009 plus relevée, pourvu qu’elle soit dans l’ordre de Dieu et dans le mouvement1010 divin, car ce qui serait de choix propre, s’il n’est dans cet ordre, ne ferait pas le même effet, faisant sortir de Dieu à cause de l’infidélité. Non que l’âme sorte de son degré ni de sa perte, mais seulement du mouvement1011 divin qui rend toutes choses une et toutes choses Dieu, non par vue, application et pensée, mais par état, en sorte que l’âme est indifférente d’être d’une manière ou d’une autre, dans un lieu ou dans un autre : tout lui est égal et elle s’y laisse aller comme naturellement.

8. Cette vie est rendue comme naturelle et l’âme agit comme naturellement. Elle se laisse aller à tout ce qui l’entraîne, sans se mettre en peine de rien, sans rien penser, vouloir ou choisir, mais demeure contente, sans soin1012 ni souci d’elle, n’y pensant plus, ne distinguant plus son intérieur pour en parler : l’âme n’en a plus. Il n’est plus question ni de recueillement ou de divagation : l’âme n’est plus au-dedans, elle est1013 toute en Dieu. Il ne lui est plus nécessaire de s’enfermer dans son fond1014 : elle ne pense plus à L’y trouver, elle ne L’y cherche plus. Comme si une personne était toute pénétrée de la mer, dedans et dehors, dessus et dessous, de tous côtés est la mer : elle n’aurait besoin ni d’un lieu ni d’un autre, mais de se tenir comme elle serait.

9. Aussi cette âme ne se met pas en peine de chercher ni de rien1015 faire. Elle demeure comme elle est et cela suffit1016. Mais que fait-elle ? Rien, rien et toujours rien1017. Elle fait tout ce qu’on lui fait faire. Elle souffre tout ce qu’on lui fait souffrir. Sa paix est toute inaltérable, mais toute naturelle. Elle est comme passée en nature. Mais quelle différence de cette âme à une personne toute dans l’humain ? La différence est que c’est Dieu qui la fait agir sans qu’elle le sache et auparavant c’était1018 la nature qui agissait. Elle ne fait ni bien ni mal, ce semble ; mais1019 elle vit contente, paisible, faisant d’une manière agile et inébranlable ce qu’on lui fait faire1020.

Dieu seul est son guide1021, car dans le temps de sa perte elle a perdu toute volonté : ici, l’âme n’en a plus de propre, et si vous lui demandiez ce qu’elle veut, elle ne le pourrait dire. Elle ne peut plus choisir. Tous désirs sont ôtés parce qu’étant dans le tout et dans le centre, le cœur perd toute pente, tendance et activité, comme il perd toute répugnance et contrariété. Ce1022 torrent n’a plus de pente ni de mouvement. Il est dans le repos et dans la fin1023*.

10. Mais de quel contentement cette âme est-elle contente ? Du contentement de Dieu, immense1024, général, sans savoir ni comprendre ce qui la contente, car ici1025 tous sentiments, goûts, vues, notices particulières, quelque délicats qu’ils soient sont ôtés : rien ne touche l’âme, ni amour, ni connaissance, ni intelligence. Ce certain je ne sais quoi qui l’occupait autrefois sans l’occuper est ôté, et1026 il ne lui reste rien.

Mais cette insensibilité est bien différente de celle de mort, sépulcre, pourriture : alors, c’était une privation de vie, de mouvement pour les choses, un1027 dégoût, une séparation, une impuissance de mourant et une insensibilité de mort ; mais1028 ici, c’est une élévation au-dessus de ces choses, qui n’en prive pas, mais les rend inutiles. Un mort est privé de toutes les fonctions de la vie par une impuissance de mort ou par un dégoût de mourant, mais s’il est ressuscité glorieux, il est tout plein de vie sans moyens de se la conserver par usage de ses sens et, étant au-dessus de tous moyens par son germe d’immortalité, il ne sent pas ce qui l’anime quoique il se voie en vie1029.

11. Je ne saurais mieux expliquer cela que par la mort. Lorsque l’on meurt, on sent la séparation de son âme d’avec le corps. Cette âme est-elle séparée, on ne sent plus rien, mais c’est sans vie et la mort fait la séparation de tout. L’homme1030 ressuscite-t-il, il se sent revivifié. Lorsque il est réanimé, il éprouve en cet état que Dieu est l’âme de son âme, la vie de sa vie et1031 d’une telle manière qu’il s’en rend le principe comme naturel, sans que l’âme le sente1032 ou l’aperçoive à cause de son unité et intimité, s’il est permis de se servir de ce mot. L’âme sent bien qu’elle vit, agit, marche et fait toutes les fonctions de la vie, mais sans sentir son âme.

12. Lorsque nous avons quelque goût de Dieu, si délicat qu’il soit, que l’on connaît ses [sic] enfoncements, certaines langueurs, peines, amours, désirs, jouissance, ce n’est point ce degré ici, mais1033 bien quelque autre, car ici Dieu ne peut être goûté, senti, vu, étant plus nous-mêmes que nous-mêmes, non distinct1034 de nous. Si une personne pouvait vivre sans manger dans un grand dégoût, elle sentirait d’abord son dégoût, ensuite son impuissance de manger, mais elle ne sentirait pas de plénitude. Ici l’âme n’a de pente ni de goût pour rien. Dans l’état de mort et de sépulture, il1035 en est bien ainsi, mais non pas de même. Là, c’est par dégoût et impuissance, mais ici c’est par plénitude et par abondance, comme1036 si une personne pouvait vivre d’air, elle serait pleine sans sentir sa plénitude ni comment elle lui serait venue. Elle ne serait pas vide ni impuissance de1037 manger, de goûter, mais hors de nécessité de manger, par plénitude, sans savoir comment l’air entrant par tous ses pores ferait une pénétration égale1038.

13. L’âme ici est en Dieu comme dans l’air qui lui est propre et naturel pour maintenir sa nouvelle vie, et elle ne Le sent pas plus que nous ne sentons l’air que nous respirons. Cependant elle est pleine et rien ne lui manque : c’est pourquoi tous désirs lui sont ôtés. La paix est grande, non comme dans les autres états. Dans l’état passé, c’était une paix inanimée, une certaine sépulture dont il sortait quelquefois des exhalaisons qui la troublaient. Dans l’état de poudre, elle était en paix, mais c’était une paix inféconde, semblable à un mort qui serait en paix dans les orages et les flots les plus mutinés de la mer : il ne les sentirait pas ni n’en aurait pas de peine, son état de mort le rendant insensible. Mais ici, c’est que l’âme est mise au-dessus, comme si, d’une montagne, elle voyait gronder les flots sans craindre leurs attaques, ou, si vous voulez, comme si on était dans le fond de la mer, lequel est toujours tranquille pendant que la superficie est en agitation. Les sens peuvent souffrir leurs peines, mais le fond est de même égalité, à cause que Celui qui le possède est immuable.

14. Ceci suppose la fidélité de l’âme, car en quelque état qu’elle soit, elle peut déchoir et retomber en elle-même. Mais ici l’âme fait des démarches presque infinies dans Dieu et elle peut avancer incessamment, de même que si la mer était sans fond, une personne qui y serait tombée s’enfoncerait jusqu’à l’infini et, allant toujours plus approfondissant cet Océan, plus en découvrirait-elle les beautés et les trésors. Il en est ainsi de cette âme en Dieu.1039*.

15. Mais que doit-elle faire pour être fidèle à Dieu ? Rien, et1040 moins que rien. Il faut se laisser posséder, agir, mouvoir sans résistance, demeurer dans son état naturel et de consistance, attendant tous les moments et les recevant de la Providence sans rien augmenter1041 ni diminuer, se laissant conduire à tout sans vue ni raison, ni sans y penser, mais comme par entraînement, sans penser à ce qui est de meilleur et de plus parfait, mais se laissant aller comme naturellement à tout cela, demeurant dans l’état égal et de consistance où Dieu l’a mise, sans se mettre en peine de rien faire, mais laissant à Dieu le soin de faire naître les occasions et de les exécuter : non que l’on fasse des actes d’abandon ou de délaissement1042, mais on y demeure par état.

16. L’âme ne saurait agir pour peu que ce soit sans faire une infidélité : comme dans l’état de mort et de pourriture, elle doit se laisser pourrir sans rien faire et sans avoir envie de rien faire. L’homme qui expire, sent un dégoût de tout ce qui peut entretenir la vie, ensuite une impuissance d’en user ; il meurt1043 et tout lui devient inutile. Dans tous ces états, il faut bien de la fidélité pour se laisser dénuer, quitter1044 la nourriture lorsque le dégoût en prend et laisser toutes choses dans le temps, quelque1045 délicates qu’elles soient. Mais ici l’âme a tout sans rien avoir. Elle a la facilité pour tout ce qui est de son devoir, pour agir, dire et faire, non1046 plus à sa manière, mais en la manière de Dieu. Ici la fidélité1047 ne consiste pas à1048 tout cesser comme celui qui est mort, mais à ne rien faire que par le principe vivifiant qui l’anime. Une âme en cet état n’a pente pour rien, mais elle se laisse aller comme1049 on veut et ne fait rien qu’être comme on la met et sans s’en mettre en peine.

17. L’âme ne peut parler de son état, ne le voyant pas, mais bien des1050 actions de vie qu’elle exerce, +, car, quoique il y ait alors bien des choses extraordinaires, elles ne sont plus comme dans les premiers états où la créature y avait quelque part (ce qui était être propriétaire) ; mais ici les choses les plus divines et miraculeuses sont comme toutes naturelles à l’âme, elle les fait sans y penser, et c’est le même principe qui la fait vivre qui les fait en elle et par elle. Elle a comme un pouvoir souverain sur les démons1051 et même sur les esprits des personnes dont elle est chargée, mais tout cela hors d’elle. Comme elle n’est plus propriétaire, elle n’a plus de réserve et, si elle ne peut rien dire d’un état si sublime, ce n’est point qu’elle craigne la vanité, car cela n’est plus ; ce n’est point non plus faute de lumière pour s’exprimer, comme dans les degrés inférieurs. C’est à cause que ce qu’elle a, sans rien avoir, passé toute expression par son extrême simplicité et pureté. Ce qui n’empêche pas qu’il ne se passe mille choses qui sont comme les accidents de cet état et qui n’en sont pas le fond, dont elle peut fort bien parler. Ces accidents sont comme les miettes qui tombent du festin éternel que l’âme commence dans le temps. Ce sont des bluettes qui font connaître qu’il y a là une source de feu et de flammes.+, Mais de parler de leur principe1052 et de leur fin, elle n’en peut ni n’en veut rien dire, n’en ayant de connaissance qu’autant qu’il plaît à Dieu d’en donner dans le moment pour1053 le dire et pour l’écrire.

L’âme ne voit-elle pas ses défauts ou n’en commet-elle point ? Elle en commet et les connaît mieux que jamais +surtout dans ce commencement de vie nouvelle.+ Ceux1054 qu’elle commet sont bien plus subtils et délicats qu’autrefois. Elle les connaît mieux parce qu’elle a les yeux ouverts ; mais elle n’en a pas de peine et ne peut rien faire pour s’en défaire. Elle sent bien, lorsque elle a fait une infidélité ou commis une faute, un certain nuage ou bien une poussière s’élever ; mais elle retombe d’elle-même sans que l’âme fasse rien ni pour la faire tomber ni pour s’en nettoyer ; outre que tous les efforts de l’âme seraient pour lors inutiles et ne serviraient même qu’à augmenter l’impureté, et l’âme sentirait fort bien que la seconde souillure serait pire que la première. Il ne s’agit point ici de retour, quelque simple qu’il puisse être, parce qu’en disant retour, on suppose éloignement ; et si on est Dieu1055, il ne faut que demeurer en Lui. De même que, quand il s’élève quelque petit nuage dans la moyenne région de l’air, si l’air souffle, il agite les nuages et ne les dissipe pas ; au contraire, il faut laisser au soleil de les dissiper lui-même : plus les nuages sont subtils et délicats, plus tôt le soleil les a dissipés.

18. Oh, si l’âme avait assez de fidélité pour ne se jamais regarder elle-même, quelles démarches ne ferait-elle pas !1056 Ses vues propres sont comme de certains petits arbrisseaux qui soutiennent dans la mer et qui empêchent que l’on ne tombe plus avant tout autant que leur soutien dure : si les branches en sont très délicates, le poids du corps les abat et l’âme n’est arrêtée que des moments ; mais si, par infidélité notable, l’âme se regardait volontairement et longtemps, elle serait arrêtée autant de temps que son regard durerait et sa perte serait très grande.

19. Les défauts de cet état sont certaines légères émotions, ou vues de soi, qui1057 naissent et meurent dans le moment : certains vents de vue propre qui passent1058 sur cette mer calme, font des rides, mais ces défauts se dissipent peu à peu et deviennent toujours plus délicats.

20. L’âme au sortir du tombeau se trouve, sans savoir comment cela s’est fait et sans y avoir pensé, revêtue de toutes les inclinations de Jésus-Christ, non par vues distinctes ni pratiques, mais par état, les trouvant toutes dans l’occasion lorsque elle en a à faire, sans qu’elle y pense : comme une personne qui aurait un trésor enfermé, sans y penser le trouve1059 dans le besoin. L’âme est surprise que, sans avoir réfléchi sur les états de Jésus-Christ ni sur ses inclinations1060 depuis1061 les dix, les vingt, les trente dernières années, elle les trouve1062 imprimées en elle par état. Ces inclinations de Jésus-Christ sont la petitesse, la pauvreté, soumission et le reste des vertus de Jésus-Christ. L’âme1063 trouve que tout cela se fait en elle, mais si aisément qu’il semble qu’elles1064 lui soient devenues naturelles.

21. C’est alors que son trésor est en Dieu seul, où elle puise sans cesse et sans fin ce qui lui est propre sans le diminuer ni tarir. C’est alors que l’on est revêtu1065 véritablement de Jésus-Christ, et c’est proprement Lui qui est agissant, parlant, conversant en l’âme, Notre Seigneur Jésus-Christ étant1066 le principe de ses mouvements. C’est pourquoi le prochain ne l’incommode plus : son cœur s’élargit tous les jours pour le contenir. Elle n’a plus d’inclination ni pour l’action ni1067 pour la retraite, mais pour être ce qu’on la fait1068 être à chaque moment.

22. Comme l’âme peut faire ici des démarches infinies, je laisse à ceux qui en ont l’expérience, de les écrire, la lumière ne m’en étant pas donnée pour les degrés supérieurs et mon âme n’étant pas assez avancée en Dieu pour les voir ni les connaître1069. Ce que je dirai est qu’il est aisé de remarquer par la longueur des démarches qu’il faut que l’âme fasse pour arriver en Dieu, que l’on n’y est pas arrivé si tôt que l’on s’imagine, et que les âmes les plus spirituelles et les plus éclairées prennent la consommation de l’état passif de1070 lumière de d’amour, pour la fin de celui-ci ; et ce n’en est que le commencement. C’est pourquoi les âmes n’avancent pas, pour ne se pas laisser assez dénuer ou pour le faire trop tôt1071.

23. Tant que l’on trouve goût à quelque pratique ou prière, il ne la faut jamais quitter que le dégoût n’en vienne avec1072 une certaine difficulté et peine de la faire : car d’attendre l’impuissance absolue, c’est attendre des miracles : Dieu les donne à certaines âmes qui n’ont pas la lumière du dénuement1073 et qui n’ont personne pour les y conduire, leur faisant faire d’autorité absolue ce qu’elles ne connaissent pas.

24. Il faut remarquer que, dans la voie de lumière et d’amour passif, il y a des sécheresses, aridités, peines, ennuis ; mais le tout n’est ni1074 de la longueur ni de la qualité de celles que j’ai décrites dans la voie de foi nue. C’est pourquoi il faut prendre garde de ne s’y méprendre. C’est au directeur de juger de tout. Heureuse l’âme qui1075 en trouve un expérimenté !

25. Il faut aussi remarquer que1076 ce que je dis des inclinations de Jésus-Christ, se commence dès que la voie de la foi nue commence1077 : quoique l’âme dans toute sa voie1078 n’ait point de vue distincte1079 de Jésus-Christ1080, elle a cependant un désir de s’y conformer. Elle désire la croix, la petitesse, la pauvreté ; ensuite ce désir se perd ; et il reste une pente1081, une inclinaison secrète pour1082 les mêmes choses, qui va toujours de plus en plus s’approfondissant, se simplifiant, devenant tous les jours plus intime et plus cachée. Mais qui dit inclination, pente, tendance, quelque délicates qu’elles soient, dit une chose que l’on ne possède pas et qui est hors de nous. Mais ici les inclinations de Jésus-Christ sont l’état de l’âme, lui1083 sont propres, habituelles et comme naturelles, comme choses non différentes d’elle, mais comme son propre être et comme sa propre vie, Jésus-Christ les exerçant1084 Lui-même sans sortir de Lui et l’âme les exerçant avec Lui, en Lui, sans sortir de Lui, non comme quelque chose de distinct1085 qu’elle connaît, voit, propose, pratique, mais comme ce qui lui est le plus naturel. Toutes les actions de vie comme la respiration, etc., se font naturellement, sans y penser, sans règle ni mesure, mais selon le besoin, et cela se fait sans vue propre de la personne qui les fait. Il en est ainsi des inclinations de Jésus-Christ en ce degré, qui va toujours en augmentant, plus l’âme est transformée en Lui et devenue une même chose avec Lui.

26. Mais n’y a t-il donc point de croix en cet état ? Comme l’âme est forte de la force de Dieu même, Dieu lui donne plus de croix et plus pesantes ; mais elle les porte divinement. Autrefois la croix la charmait, et elle l’aimait et la chérissait. À présent, elle n’y pense plus, elle la laisse aller et venir, et cette croix lui devient Dieu, comme le reste, ce qui n’empêche pas la souffrance, mais la peine, le trouble et l’occupation de la souffrance. Il est vrai que les croix ne sont plus croix, mais elles sont Dieu : aussi ne sanctifient-elles point1086, mais elles divinisent. Dans1087 les autres états, la croix est vertu et se relève d’autant plus que les états s’avancent ; ici, elle1088 est Dieu pour l’âme, comme le reste, tout ce qui fait la vie de cette âme, tout ce qu’elle a de moment en moment lui étant Dieu.

27. L’extérieur de ces personnes est tout commun1089 et l’on n’y voit rien d’extraordinaire1090*. Plus elles avancent, plus elles deviennent libres, n’ayant rien d’extraordinaire +qui paraisse au-dehors qu’à ceux qui en sont capables.+ Ici1091 tout se voit, sans voir, en Dieu tel qu’Il est. C’est pourquoi cet état n’est point sujet1092 à la tromperie. Il n’y a point de visions, révélations, extases, ravissements, changements. Tout cela n’est point de cet état qui est fort au-dessus de tout cela. Cette voie est simple1093, pure et nue, ne voyant rien qu’en Dieu, comme Dieu le voit, et par ses yeux.

CONCLUSION de l’Auteur en forme de lettre à son confesseur :

Il1094 ne m’est pas permis de poursuivre ici, tout manquant. Je crois avoir trop pris sur mes1095 lumières naturelles. Vous les discernerez aisément. J’ai fait des réflexions, que peut-être c’était plus par nature que par grâce que j’ai eu instinct d’écrire ; et je veux bien en faire ici1096 ma confession et avouer franchement que j’ai même fait sur la fin quelques fautes, ayant retenu dans mon esprit certaines lumières qui m’étaient venues à l’oraison sur cet état, au lieu de les perdre. De plus, je n’ai rien distingué, en l’état1097 où je suis, ce qui est naturel ou divin, ce qui est Dieu1098 et ce qui est mien. Je prie Dieu de vous le faire connaître.

Je n’ai point lu ce papier après l’avoir écrit et j’ai été beaucoup interrompue. Lorsque j’avais laissé le sens à moitié, je relisais une ligne ou deux, ou quelques mots, pour poursuivre. Je ne sais si j’ai fait contre votre intention. Cela m’est arrivé quelquefois, mais je n’ai rien relu depuis. Je n’ai point pris garde aux états si j’ai tout dit de chacun ou si j’ai répété. Je laisse tout cela à vos lumières, priant Notre Seigneur de vous éclairer pour vous faire discerner le faux du vrai, et ce que mon amour propre aurait voulu mélanger avec ses lumières1099

Seconde partie

Chapitre I. Vie ressuscitée et divine 1100

1. J’avais oublié à dire que c’est ici où la véritable liberté est donnée : non une liberté, comme quelques-uns s’imaginent, qui prive ou exempte de faire les choses (ce qui est plutôt1101 une privation qu’une liberté, ces âmes se croyant libres parce qu’ayant du dégoût pour les choses bonnes, elles ne les pratiquent plus). La liberté dont je parle n’est pas de cette nature : elle a facilité pour toutes les choses qui sont dans l’ordre de Dieu et de son état, et elle les fait d’autant plus aisément qu’elle en a été privée longtemps et d’une manière plus pénible.

J’avoue que je ne comprend pas l’état ressuscité et divinisé de certaines personnes qui restent cependant toute leur vie dans l’impuissance et dans la perte de tout, car ici l’âme reprend une véritable vie. Les actions d’un homme ressuscité sont des actions de vie, et si l’âme après la résurrection demeure sans vie, je dis qu’elle est morte ou1102 ensevelie, mais non ressuscitée. Pour être ressuscitée, l’âme doit faire les mêmes actions qu’elle faisait autrefois avant toutes ses pertes, et sans nulle difficulté ; mais elle les fait en Dieu. Le Lazare après sa résurrection ne faisait-il pas toutes les fonctions de vie comme auparavant ? Et Jésus-Christ après sa résurrection a voulu même manger et converser avec les hommes. C’est un exemple de ceci. Aussi ceux qui se croient en Dieu et qui sont gênés, qui ne peuvent faire oraison, je dis1103 qu’ils ne sont pas ressuscités. Car ici, tout est rendu à l’âme au centuple.

2. Il y a une belle figure de cela dans Job, que je regarde comme un miroir de toute la vie spirituelle. Vous voyez comme Dieu le dépouille de ses biens1104, qui sont les dons et grâces ; ensuite de ses enfants, qui est le dépouillement de ses puissances ; des bonnes œuvres, qui sont nos enfants et nos productions les plus chères ; ensuite, Dieu lui ôte la santé, qui est la perte des vertus, puis Il le fait pourrir, Il le rend un objet d’horreur et d’infection et de mépris. Il semble même que ce saint homme fasse des fautes et qu’il manque de résignation : il est accusé par ses amis d’être puni justement à cause de ses crimes ; il ne reste aucune partie saine en lui. Mais après qu’il est pourri sur le fumier et qu’il ne lui reste que les os, qu’il est un cadavre, Dieu ne lui rend-t-Il pas tout, et ses biens et ses enfants et sa santé et sa vie ?

Il en est de même après la résurrection : tout est redonné, avec une facilité admirable d’en faire usage sans se salir, sans s’y attacher, sans se l’approprier comme autrefois. On fait tout en Dieu et divinement1105, usant des choses comme n’en usant point. Et c’est où est la véritable liberté et la vie véritable : Si vous avez été semblables à Jésus-Christ en sa mort, vous le serez en sa résurrection1106. Est-ce être libre que d’avoir des impuissances, des restrictions ? Non : Si le Fils vous met en liberté, vous serez véritablement libres1107, mais de sa liberté.

3. C’est ici où se commence la vie apostolique. Sans se nuire à soi-même, rien ne coûte de ce que Dieu veut, et si une personne est appelée à instruire, à prêcher, etc., elle le fait avec une facilité merveilleuse qui ne lui coûte rien, sans qu’il soit nécessaire de préparer ses discours, pouvant fort bien pratiquer ce que Notre Seigneur Jésus-Christ dit1108 à ses disciples : qu’ils ne pensent point à ce qu’ils diront, mais que lorsque Il sera temps de parler, Il leur donnera1109 une sagesse à laquelle nul ne pourra résister ni contredire1110.

Ceci n’est donné que tard et après qu’on a éprouvé des impuissances terribles, et plus elles ont été grandes, plus la liberté est grande. Mais il ne faut pas se mettre là de soi-même, car comme Dieu n’en serait pas le principe, cela n’aurait pas l’effet qu’on prétendrait. C’est là où l’on fait des conversions admirables sans y penser. On peut bien dire de cette vie ressuscitée que tous les biens sont donnés avec elle1111.

4. Dans cet état, l’âme ne peut point pratiquer la vertu comme vertu : elle ne peut pas même la voir ni la distinguer ; mais les vertus lui sont devenues comme habituelles et naturelles en sorte qu’elle les pratique toutes sans les voir ni les connaître et sans y pouvoir faire aucune application et distinction1112*. Lorsqu’elle voit quelque personne dire des paroles d’humilité et s’humilier beaucoup, elle est toute surprise et étonnée de voir qu’elle ne pratique rien de semblable : elle revient comme d’une léthargie, et si elle voulait s’humilier, elle en serait reprise comme d’une infidélité, et même elle ne le pourrait faire, parce que l’état d’anéantissement par lequel elle a passé l’a mise au-dessous de toute humilité, car pour s’humilier, il faut être quelque chose, et le néant ne peut s’abaisser au-dessous de ce qu’il est. L’état présent qu’elle porte l’a mis au-dessus de toute humilité et de toute vertu par la transformation en Dieu1113 : ainsi son impuissance vient et de son anéantissement et de son élévation.

5. C’est pourquoi ces âmes sont fort communes au-dehors, et n’ont rien qui les distingue des autres, si ce n’est qu’elles ne font de mal à personne, car pour l’extérieur, il est très commun. C’est ce qui fait qu’elles sont1114 très peu connues ; et c’est ce qui conserve leur état et les fait vivre en repos, sans soin ni souci de quoi que ce soit.

6. Elles ont une joie immense, mais insensible, qui vient de ce qu’elles ne craignent ni ne désirent ni ne veulent rien. Aussi rien ne peut ni troubler leur repos ni diminuer leur joie. David l’avait éprouvé lorsque Il dit1115 : Tous ceux qui sont en vous, Seigneur, sont comme des personnes ravies de joie. Une personne ravie de joie ne1116 se sent plus, ne se voit plus, ne pense plus à elle et sa joie, quoique très grande, ne lui est pas connue à cause de son ravissement.

7. L’âme est bien en effet dans un ravissement et une extase qui ne lui cause [nt] aucune peine, parce que1117 Dieu a élargi sa capacité presque à l’infini. Les extases qui causent perte des sens, ne causent cela qu’à cause du défaut1118 du sujet, et font pourtant l’admiration1119 des hommes. Le défaut vient de ce que, Dieu tirant l’âme comme d’elle-même pour la perdre en Lui, mais que l’âme n’étant ni assez pure ni assez forte pour le porter, il faut ou que Dieu cesse de tirer l’âme, ce qui termine l’extase, ou que la nature succombe et meure, ainsi qu’il est arrivé bien des fois. Mais ici l’extase se fait pour toujours et non pour des heures, sans violence ni altération, Dieu ayant purifié et fortifié le sujet au point qu’il est nécessaire pour porter cette admirable extase.

Il me semble que lorsque Dieu sort hors de Lui-même, Il fait une extase ; mais je n’ose dire cela de crainte de dire une erreur. Ce que je dirai donc est que l’âme tirée hors d’elle-même éprouve qu’il se fait en elle une extase, mais extase fortunée parce qu’elle n’est tirée d’elle-même que pour être abîmée et perdue en Dieu, quittant ses imperfections, ses qualités bornées et retirées pour participer à celles de Dieu.

8. O heureux rien, à quoi te termines-tu ! O misères, pauvretés, fatigues, que vous êtes bien et trop bien récompensées ! O bonheur qui ne se peut exprimer ! O âme, quel gain n’avez-vous pas fait pour toutes vos pertes ! L’auriez-vous cru, lorsque vous étiez dans la fange, dans la poussière, que ce qui vous faisait tant d’horreur vous eût dû procurer un bonheur si grand que celui que vous possédez ? Quand on vous l’aurait dit, vous ne l’auriez pu croire. Apprenez à présent par votre propre expérience comme il fait bon s’en fier à Dieu et que ceux qui mettent en Lui leur confiance ne seront jamais confondus1120. Ô abandon, quel bien ne produis-tu pas dans une âme ! Et quelles démarches ne ferait-elle point si elle te savait trouver dès le commencement ! De combien de fatigues ne se délivrerait-elle pas si elle savait laisser faire Dieu !

9. Mais hélas, on ne veut point s’abandonner et s’en fier à Dieu ! Ceux qui le font et1121 qui croient y être si bien établis, ne sont abandonnés qu’en figure et non en réalité. On veut s’abandonner dans une chose et non dans une autre. On1122 veut composer avec Dieu et se borner dans ce qu’on Lui laissera faire. On veut se donner, mais à telle et telle condition. Non : ce n’est point s’abandonner, c’est se figurer de l’être sans l’être. Un abandon1123* entier et total n’excepte rien, ne réserve rien, ni mort, ni vie, ni perfection, ni salut, ni Paradis ni Enfer.

Ô pauvres âmes, jetez-vous à corps perdu dans cet abandon : il ne vous en arrivera que du bien. Marchez en assurance sur cette mer orageuse, appuyées sur la parole de Jésus-Christ, qui a promis de prendre soin de ceux qui se perdront et s’abandonneront à Lui. Mais si vous vous enfoncez avec saint Pierre, croyez que c’est votre peu de foi.

Si nous avions la foi et que, sans hésiter, nous allassions tête baissée affronter tous les dangers1124, quel bien ne nous arriverait-il pas1125 ! Que craignez-vous ? Cœur lâche, vous craignez de vous perdre. Hélas ! Pour ce que vous valez, qu’importe !1126 Oui, vous vous perdrez si vous avez assez de force pour vous abandonner à Dieu, mais vous vous perdrez en Lui. Ô heureuse perte ! Je ne le saurais assez répéter. Que ne puis-je persuader à tout le monde cet abandon ? Et pourquoi les prédicateurs prêchent-ils autre chose ?

10. Mais, hélas, on est si aveugle que l’on regarde cela comme une folie, un défaut de prudence, une chose qui n’est propre qu’aux femmes ou aux esprits faibles ; mais pour les grands esprits, cela est trop bas pour eux : il faut qu’ils se conduisent eux-mêmes avec leur mesure de prudence. Ce sentier leur est inconnu parce qu’ils sont sages et prudents à eux-mêmes, mais il est révélé aux petits qui savent se laisser anéantir1127 et qui veulent bien être le jouet de la divine Providence, lui laissant tout pouvoir de les exercer et traiter comme elle veut, sans résistance, sans se mettre en peine du qu’en — dira-t-on. O qu’elle a de peine, cette prudence propre, à devenir1128 rien et à ses propres yeux, perdant toute estime de soi-même à cause de sa corruption et à ceux des créatures voulant bien être le rebut d’elles.

On veut se maintenir pour glorifier Dieu à ce que l’on dit, mais c’est pour se glorifier soi-même. Mais vouloir être rien aux yeux de Dieu, demeurer dans un entier abandon, dans le désespoir même, se donner à Lui lorsque l’on est le plus rebuté, s’y laisser et ne se pas regarder soi-même lorsque l’on est sur le bord de l’abîme, c’est ce qui est très rare et c’est ce qui fait l’abandon parfait1129*.

11. Il s’écoule quelquefois dès cette vie quelque1130 chose sur les puissances et sur les sens, qui est comme un épanchement de gloire du dedans ; mais cela n’est pas ordinaire : c’est comme Jésus-Christ dans sa transfiguration. Ce qui est très éminent et une grande pureté1131.



Chapitre II. Paix, et liberté divine 1132

1. L’âme, après être parvenue à un état divin, est, comme je l’ai déjà dit, un rocher immuable et inébranlable à1133 toutes sortes d’épreuves et de coups, si ce n’est lorsque le Seigneur veut1134 que cette âme fasse quelque chose contre l’ordinaire et l’usage commun : alors, si elle ne se rend pas au premier mouvement, Il lui fait souffrir une peine de contrainte à laquelle elle ne peut résister, et elle est contrainte, par une violence qu’elle ne peut expliquer, de faire ce qu’Il veut.

De dire les épreuves étranges qu’Il fait de ces âmes dans1135 l’abandon parfait, qui ne Lui résistent en rien, c’est ce qu’il ne se peut1136 et ne serait pas compris. Tout ce que l’on peut dire, c’est qu’Il ne leur1137 laisse pas l’ombre d’une chose qui puisse se nommer ni en Dieu ni hors de Dieu1138.

Et Il les élève1139 tellement au-dessus de tout par la perte de tout que rien moindre que Dieu Lui-même, ni au ciel ni en terre, ne saurait les arrêter. Rien ne peut les captiver, parce qu’il1140 n’y a plus pour elles de malignité en quoi que ce soit, à cause de l’unité qu’elles1141 ont avec Dieu, qui, en concourant avec1142 les pécheurs, ne contracte rien de leur malice, à cause de sa pureté essentielle1143.

2. Ceci est plus réel que l’on ne peut dire ; et cette âme participe à la pureté de Dieu ou plutôt toute pureté propre (qui n’est qu’une pureté1144 grossière) ayant été anéantie, la seule pureté1145 de Dieu en Lui-même subsiste dans ce néant, mais d’une manière si réelle que l’âme est dans une parfaite ignorance du mal1146 et comme impuissante de le commettre. Ce qui n’empêche pas que l’on ne puisse toujours déchoir, mais cela n’arrive guère ici à cause du profond anéantissement où est l’âme qui ne lui laisse aucune propriété ; et la seule propriété1147 peut causer le péché, car qui n’est plus ne peut pécher.

3. Et cela est si vrai que les âmes dont je parle ont beaucoup de peine à se1148 confesser, car lorsque elles veulent s’accuser, elles ne savent1149 qu’accuser, que condamner, ne pouvant rien trouver en elles de vivant et qui puisse avoir voulu offenser Dieu, à cause de la perte entière de leur volonté en Dieu1150. Et comme Dieu ne peut vouloir le péché, elles ne le peuvent non plus vouloir. Si on leur dit de se confesser, elles le font, car elles sont très soumises, mais elles disent de bouche ce qu’on leur fait dire, comme un petit enfant1151 à qui on dirait : « Il faut vous confesser de cela » ; il le dit sans connaître ce qu’il dit, sans savoir si cela est ou non, sans reproche ni remords. Car ici l’âme ne peut plus trouver de conscience et tout est tellement perdu en Dieu qu’il n’y a plus chez elle1152 d’accusateur : elle demeure contente, sans en chercher. Mais lorsque on lui dit : « Vous avez fait cette faute », elle ne trouve rien en elle qui l’ait faite ; et si on dit : « Dites que vous l’avez faite », elle le dira des lèvres, sans douleur ni repentir1153.

4. Sa paix pour lors est si invariable et si inaltérable que rien au monde ni en tout l’enfer ne peut l’altérer un moment. Les sens sont toujours susceptibles des souffrances ; et lorsque ils en sont accablés et que, comme des enfants, ils crient, si on demande à cette personne et qu’elle se sonde, elle ne trouvera rien en elle qui souffre : parmi des douleurs inconcevables, elle dit : « Je ne souffre rien », sans pouvoir dire ni avouer qu’elle souffre, à cause de l’état divin et1154 de la béatitude qu’elle porte dans le centre ou partie suprême.

Et alors il y a une séparation1155 si entière et si parfaite des deux parties, l’inférieure et la supérieure, qu’elles vivent ensemble comme étrangères qui ne se connaissent pas ; et les peines1156 les plus extraordinaires n’empêchent pas la parfaite paix, tranquillité, joie et immobilité de la partie supérieure1157, comme la joie et l’état divin n’empêche [nt] pas l’entière souffrance de l’inférieure, et cela sans mélange ni confusion en aucune manière.

5. Si vous voulez attribuer quelque chose à cette âme ainsi1158 transformée et devenue Dieu, elle se défendra d’abord, ne pouvant rien trouver en elle qui puisse se nommer, affirmer, entendre ; mais l’âme est dans une négation parfaite. C’est ce qui fait la différence des termes et les expressions qu’on a peine à faire entendre à moins que ces personnes ne soient ainsi.

Cela vient aussi de1159 ce que cette âme, par son anéantissement, ayant perdu tout ce qu’elle avait de propre, Dieu subsistant en elle, elle ne peut se rien attribuer non plus qu’à Dieu, parce qu’elle ne connaît plus que Lui seul, dont elle ne1160 peut rien dire.

6. Aussi tout est Dieu à cette âme : car ici il n’est plus question de voir tout en Dieu, car voir les choses en Dieu, c’est les distinguer en Lui. Par exemple, dans une chambre, je vois ce qu’il y a de différent de la chambre quoique renfermé en elle. Mais tout étant transformé dans la même chambre ou que tout fût ôté de la chambre, je ne verrais plus que la même chambre.

Toutes créatures célestes, terrestres, pures intelligences, tout disparaît et est évanoui, et il ne reste que Dieu même comme Il était avant la création. Cette âme ne voit que Dieu partout, et tout lui est Dieu : non par pensée, vue, lumière, mais par identité d’état et consommation d’unité, qui1161 la rendant Dieu par participation, sans1162 qu’elle puisse plus se voir elle-même, elle1163 ne peut aussi rien voir partout. Ainsi cette âme serait aussi indifférente d’être toute une éternité avec les démons qu’avec les anges. Les démons1164 lui sont comme le reste, et1165 il ne lui est plus possible de voir un être créé hors de l’Être incréé, le seul Être incréé1166 étant tout et en tout, tout Dieu aussi bien dans un diable que dans un saint, quoique différemment1167.

7. Mais cela est si réel qu’il est impossible que cette âme soit autrement. Aussi toutes les créatures1168 la condamneraient que cela lui serait moins qu’un moucheron, non par entêtement et fermeté de volonté comme l’on s’imagine, mais par impuissance de se mêler de soi, parce qu’elle ne se voit plus. Vous demanderez à cette âme : « Mais qui vous porte à faire telle ou telle chose ? C’est donc que Dieu vous l’a dit, vous l’a fait connaître ou entendre ce qu’Il voulait ? - Je1169* ne connais rien, je n’entends rien, je ne pense pas à rien connaître, tout est Dieu et volonté de Dieu, et je ne sais plus ce que c’est que volonté de Dieu parce que la volonté de Dieu m’est devenue comme naturelle. -  Mais1170 pourquoi faites-vous plutôt cela que ceci ? - Je n’en sais rien. Je me laisse1171 aller à ce qui m’entraîne. - Hé, pourquoi ? - Il m’entraîne parce que1172 n’étant plus, je suis entraînée avec Dieu et Dieu seul fait1173 mon entraînement. Il va là, Il agit et je ne suis qu’un instrument que je ne vois1174 ni ne regarde. Je n’ai plus d’intérêt distinct, parce que par ma perte j’ai perdu tout intérêt1175. Aussi ne suis-je1176 capable d’entendre nulle raison ni d’en rendre aucune de ma conduite, car je n’ai plus de conduite. J’agis cependant infailliblement tandis que je n’ai point d’autre principe que le Principe infaillible1177. »

Et1178 cet abandon aveugle est une chose d’état à l’âme dont je parle, parce qu’étant devenue une même chose avec1179 Dieu, elle ne peut voir que Dieu : car ayant perdu toute dissemblance, propriété, distinction, il n’est ici plus question de s’abandonner, parce que pour s’abandonner, il faut être quelque chose et pouvoir disposer de soi.

8. L’âme dont je parle est par cet état1180 perdue en Dieu avec Jésus-Christ, comme dit saint Paul, mêlée1181 avec Lui comme ce fleuve dont j’ai parlé est mêlé dans la mer en sorte qu’il ne se trouve plus : il a le flux et reflux de la mer, non plus par choix et volonté et liberté, mais par état1182, parce que la mer immense ayant absorbé ses petites eaux bornées et rétrécies, il participe à tout ce que fait la mer, mais sans distinction de la même mer. C’est la mer qui l’entraîne, et cependant il n’est pas entraîné, puisqu’il a perdu tout son propre ; et n’ayant point d’autre mouvement que la mer, il agit comme la mer1183 même, non que par sa nature il ait ces qualités, mais1184 c’est qu’en perdant toutes ses qualités propres, il n’en a plus d’autres que la mer, sans pouvoir être jamais autre que mer.

Ce n’est pas, comme j’ai dit, qu’il ne conserve tellement sa nature que, si Dieu le voulait, en un moment Il le tirerait de la mer, mais Il ne le fait pas. Aussi cette âme ne perd pas sa nature de créature et Dieu pourrait la rejeter de son divin sein1185, mais Il ne le fait pas. Cette créature, comme nous avons dit, agit donc comme divinement1186.

9. Mais, me dira-t-on, vous ôtez ainsi à l’homme sa liberté. Non, car il n’a plus de liberté que par un excès de liberté : parce qu’il a perdu librement1187 toute liberté créée, il participe à la liberté incréée1188, qui n’est plus rétrécie, limitée, bornée pour1189 quoi que ce soit ; et cette âme est si libre et si large que toute la terre ne lui paraît qu’un point, sans en être enfermée1190. Elle est libre pour tout faire et pour ne rien faire. Il n’y a point d’état et de condition où elle ne s’accommode ; elle peut tout faire et ne1191 rien faire de ce qu’ils font.

10. O état, qui te pourra décrire et que pourrais-tu craindre et appréhender ? Perte, mort, damnation ? O1192 saint Paul, vous disiez : Qui pourra jamais nous séparer de la charité de Jésus-Christ ? Nous sommes assurés que1193 ni la mort, ni la vie, ni les puissances, etc., ne pourront nous en séparer1194. Or ce mot, nous sommes assurés, exclut tout doute. Hé1195, grand saint, où était votre certitude ? Elle était dans l’infaillibilité de Dieu seul. On lit si souvent les Lettres1196 de ce grand apôtre, ce Docteur mystique et on ne l’entend pas. Cependant toute la vie mystique, son commencement, son progrès et sa fin, sont décrits par saint Paul, et même la vie divine ; mais on n’en a pas l’intelligence, et1197 une personne à qui l’intelligence est donnée, les y voit plus clair que le jour.

11. O. si les hommes qui ont tant de peine à se laisser à Dieu, pouvaient éprouver ceci ! Ils avoueraient que, quoique la voie qui y conduit soit extrêmement dure, un1198 seul jour de cet état récompense bien tant d’années de peines. Mais par où Dieu conduit-Il là ? Par des chemins tout opposés à tout ce que l’on s’imagine. Il édifie en abattant, Il donne la vie en tuant.

O. si je pouvais dire ce qu’Il fait et les inventions étranges dont Il se sert pour arriver ici ! Mais1199* silence ! Les hommes n’en sont pas capables, ceux qui y sont passés m’entendent. Ici il n’est plus besoin de lieu ni de temps. Tout est égal, tous lieux sont bons et si l’ordre de Dieu conduisait en Turquie, on s’y trouverait également bien, parce que tous moyens sont inutiles et infiniment outrepassés ; étant dans la fin éminemment, il n’y a plus rien à chercher.

12. Ici tout est Dieu : Dieu est partout et en tout ; et ainsi, cette âme est égale en tout. Son oraison est Dieu même, toujours égale, jamais interrompue, non que l’âme l’aperçoive autrement que par un état de consistance. Et si quelquefois Dieu fait rejaillir quelque écoulement de sa gloire sur ses puissances et sur ses sens1200, cela ne fait rien à ce fond qui demeure toujours le même. Marie, qui possédait cet état dans un degré le1201 plus parfait qu’une créature le puisse avoir, était indifférente de rester sur la terre après l’Ascension de son Fils ; et elle y serait restée toute l’éternité si tel eût été le bon plaisir de Dieu. Cette âme ne se soucie pas de la solitude ni du grand monde : tout lui est égal. Elle ne pense plus à être délivrée de ce corps pour être unie sans milieu : ici, elle est non seulement unie, mais transformée, changée en l’objet de son amour, ce qui fait qu’elle ne pense plus à aimer, car elle aime Dieu d’un amour-Dieu, et par état1202, quoique non pas inamissible.

Chapitre III. Déiformité. 1203

1. Il me vient dans l’esprit une comparaison qui me paraît assez propre à ce sujet : c’est celle du grain1204 qui est premièrement séparé du mauvais, ce qui marque la conversion et la séparation du péché. Après que ce grain est seul et pur, il faut qu’il soit moulu par l’affliction, croix et maladies, etc. Lorsque il est ainsi broyé et réduit en farine, il faut encore ôter, non l’impur, car il n’y en a plus, mais ce qu’il y a de grossier qui est le son. Et lorsque il1205 ne reste plus que la fleur très fine et épurée de matière, on en fait du pain que l’on pétrit. Il paraît que l’on salit la farine, qu’on la noircit et la flétrit, qu’on lui ôte sa délicatesse et sa blancheur pour en faire une pâte qui paraît bien éloignée de la beauté de cette farine ; ensuite on met cette pâte au feu. Or il faut qu’il en arrive autant à ces âmes. Mais après que ce pain est cuit, il sert à la bouche du Roi, qui non seulement se l’unit par l’attouchement, mais le mange, le digère, le consume et l’anéantit pour le changer en soi et le faire passer en sa substance.

Vous remarquerez que le pain a beau être touché et mangé même du Roi, qui est le plus grand avantage qu’il1206 puisse recevoir, et sa fin, il ne peut cependant être changé en la substance du Roi s’il n’est anéanti par la digestion, perdant toute forme et qualité propre.

2. O que ceci exprime bien tous les états de l’âme : celui d’union, bien différent de la transformation où il faut nécessairement que l’âme, pour devenir une avec Dieu, transformée et changée1207 en Lui, soit non seulement mangée, mais digérée, pour, après avoir perdu ce qu’elle avait de propre, devenir +une même chose avec+ Dieu1208. Cet état est très peu connu, c’est pourquoi il ne s’en parle point. Ô état de vie ! Que1209 le chemin qui y conduit est étroit ! Ô amour le plus pur de tous, puisque1210 tu es Dieu même ! Ô amour immense et indépendant, qui ne peut être rétréci par quoi que ce soit !

3. Cependant ces âmes paraissent des plus communes, ainsi que je l’ai dit, parce qu’elles n’ont rien à l’extérieur qui les différencie, qu’une1211 liberté infinie qui1212 scandalise souvent les âmes rétrécies et resserrées en elles-mêmes1213 à qui, comme elles ne voient rien de meilleur que ce qu’elles ont, tout1214 ce qui n’est pas ce qu’elles possèdent paraît mauvais. Mais la liberté qu’elles condamnent dans ces âmes si simples et si innocentes est une sainteté incomparablement plus éminente que tout ce qu’elles croient saint ; et c’est en ce sens que s’entend ce passage qui dit que l’iniquité de l’homme vaut mieux que la femme qui fait bien1215, parce que les fautes apparentes de ces hommes, qui peuvent seuls porter la qualité d’hommes parmi les autres efféminés, valent mieux que ces efféminés, qui font le bien si faiblement, quoique si servemment1216 en apparence ; parce que leurs œuvres n’ont pas plus de force que le principe1217 d’où elles partent, qui est toujours par l’effort (quoique beaucoup relevé et anobli) d’une faible créature. Mais ces âmes consommées dans l’unité divine, agissent1218 en Dieu par un principe d’une force infinie ; et ainsi leurs plus petites actions sont plus agréables à Dieu que tant d’actions héroïques des autres, qui paraissent si grandes devant les hommes.

4. C’est pourquoi les âmes de ce degré ne se mettent point en peine ni ne cherchent point à rien faire de grand, se contentant d’être comme elles sont à chaque moment1219*. Ô que faisiez-vous, Marie, sur terre après l’Ascension de votre Fils ? Vous mettiez-vous en souci de convertir bien des âmes ? De faire de grandes choses ? Une telle âme fait plus, sans rien faire, pour la conversion d’un royaume, que cinq cents prédicateurs qui ne sont pas de cet état. Marie faisait plus pour l’Église ne faisant rien, que tous les apôtres ensemble. Ce n’est pas que Dieu ne permette souvent que ces âmes soient connues : non tout à fait, mais quantité de personnes1220 leur sont adressées, à qui1221 elles communiquent un principe vivifiant pour en gagner quantité d’autres à Jésus-Christ1222. Mais cela se fait sans soin ni souci, par pure providence.

O. si on savait la gloire que ces personnes1223, qui sont souvent le rebut du monde, rendent à Dieu ! On en serait étonné et ravi. Car ce sont elles proprement qui rendent à Dieu une gloire digne de Dieu, sans penser à Lui en rendre, parce que Dieu agissant en elles en Dieu, Il tire de Lui-même en elles une gloire digne de Lui.

5. Ô combien d’âmes toutes séraphiques en apparence, sont éloignées de ceci ! Mais dans cet état il y a, comme dans tous les autres, des âmes plus ou moins divines. La divine Marie a été privilégiée et, après elle, plusieurs y1224 avancent plus ou moins, selon le dessein de Dieu ; et ceux qui arrivent durant cette vie à cet état, n’y arrivent d’ordinaire que peu avant de mourir, si ce n’est par un dessein tout particulier de Dieu qui, voulant se servir d’elles et en faire des prodiges, les avance de cette sorte. Mais cela est si rare que rien plus.

6. Car Dieu les cache dans son sein et sous l’extérieur de la vie la plus commune, afin qu’elles ne soient connues qu’à Lui seul, quoique elles fassent1225 ses délices. Ici les secrets de Dieu en Lui, et de Lui en ces pures créatures, sont manifestés, non en manière de parole, vue, lumière, mais par la science de Dieu qui demeure en Lui. Et lorsque il faut qu’une telle âme écrive ou parle, elle est de même étonnée que tout coule de ce fond divin sans qu’elle eût jamais pensé à posséder ces choses. Elle se trouve comme une science profonde, sans mémoire ni ressouvenir, comme un trésor inestimable que l’on ne remarque que lorsque on est obligé de le manifester, et c’est la manifestation pour les autres qui est la manifestation pour soi.

Lorsqu’une telle âme écrit, elle est étonnée qu’elle écrive des choses qu’elle ne connaît et ne croyait1226 pas savoir, quoique elle ne puisse douter de les posséder en les écrivant. Il n’en est pas de même des autres, leurs lumières précédant leur expérience, parce que1227 c’est comme une personne qui voit de loin les choses qu’il ne possède pas : il décrit ce qu’il a vu, connu, entendu, etc. Mais celle-ci est une1228 personne qui renferme en elle-même un trésor : elle ne le voit qu’après la manifestation quoique elle le possédât.

7. Cela n’exprime pas encore bien ce que je veux dire. Dieu est dans cette âme, ou plutôt cette âme n’est plus : elle n’agit plus, mais Dieu agit, et elle est l’instrument. Dieu renferme en Lui tous les trésors, Il les fait manifester par cette âme aux autres, et elle connaît alors, en les tirant de son fonds, qu’ils1229 y étaient, quoique sa perte ne lui eût jamais permis d’y réfléchir. Et je m’assure que toute âme de ce degré m’entendra, et saura très bien la différence de ces états. Le premier voit ces choses et en jouit comme nous jouissons du soleil, mais le second est devenu lui-même le soleil qui ne jouit ni ne pense à sa lumière.

8. Cet état est fort permanent, et il n’y a nulle vicissitude quant au fond qu’un avancement plus grand en Dieu. Et comme Dieu est infini, Il peut diviniser une âme toujours plus et cela en élargissant sa capacité. Marie, comme je l’ai dit ailleurs, était toute remplie de grâce au commencement1230 de sa conception. Et ceci est bien découvert à l’âme. Elle était dans la plénitude de Dieu lorsque elle conçut le Verbe ; et cependant elle croît presque à1231 l’infini jusqu’à sa mort. Comment, si elle était pleine, comme l’ange l’en assure, pouvait-elle se remplir encore ? C’est que Dieu élargissait chaque jour sa capacité, + la perdant et dilatant en Lui, comme l’eau dont nous avons parlé, s’étend toujours plus à mesure qu’elle est plus perdue dans la mer, où elle s’abîme incessamment sans en sortir jamais.+

Il en fait1232 de même à ces âmes : toutes celles qui sont en ce degré ont Dieu, mais les unes plus, les autres moins. Elles sont1233 toutes en plénitude, mais elles ne sont pas toutes en égale quantité de plénitude. Un petit vase plein est aussi bien rempli qu’un grand, mais il ne contient pas pareille quantité. Il en est de même de ces âmes : elles ont toutes la plénitude de Dieu, mais selon leur capacité de recevoir ; et ainsi il y en a à qui Dieu accroît chaque jour cette capacité. C’est pourquoi plus les âmes vivent dans cet état divin, plus elles sont agrandies et leur capacité devient toujours plus immense, sans qu’il y ait rien à désirer ni à faire pour elles, car elles ont toujours Dieu en plénitude, Dieu ne laissant jamais un moment de vide en elles. A mesure qu’Il croît et élargit, à mesure Il remplit de Lui-même, comme l’air : une petite chambre est pleine d’air, mais une grande a plus d’air. Augmentez toujours cette chambre, à mesure, infailliblement, quoique imperceptiblement, l’air y entre toujours : de même sans changer d’état ni de disposition, et sans rien sentir de nouveau, l’âme augmente en plénitude et en largeur. Mais1234 jamais la capacité de l’âme ne peut être accrue de cette sorte que par l’anéantissement, parce que jusqu’alors cette âme a une opposition à être étendue1235.

+10. Il est bon d’expliquer ici une chose de conséquence qui est qu’il paraît une contrariété en ce que je dis, qu’il faut que l’âme soit anéantie pour passer en Dieu, et qu’elle perde ce qu’elle a de propre ; et cependant, je parle de capacité, qu’elle retient.

+Il y a deux capacités. L’une est propre à la créature et cette capacité est petite et bornée : lorsque elle est purifiée, elle est propre pour recevoir les dons de Dieu, mais non pas Dieu, parce que ce que nous recevons en nous est moindre que nous, comme ce qui est renfermé dans un vase est moins étendu, quoique plus précieux, que le vase qui le reçoit.

+Mais la capacité dont je parle ici est une capacité de s’étendre et de se perdre toujours plus en Dieu après que l’âme a perdu sa propriété, qui la fixait en elle-même ; et que n’étant plus arrêtée ni rétrécie, (parce que son anéantissement lui ôtant toute forme particulière, l’a disposée à s’écouler en Dieu de sorte qu’elle se perd et s’écoule en Celui qui ne peut être compris,) plus elle s’y abîme, plus elle s’étend et devient immense, participant à Ses perfections.

+11. C’est une capacité de s’accroître et de s’étendre toujours plus en Dieu, y pouvant être de plus en plus transformée, comme l’eau étant jointe à sa source se mélange toujours plus avec elle. Dieu étant notre être original, Il nous a créés d’une nature propre à être unie et transformée et ne faire plus qu’un avec Lui.+

Chapitre IV. Mouvements tous divins. Paix inaltérable 1236

1. L’âme1237 donc n’a rien à faire ici qu’à demeurer comme elle est, et suivre sans résistance tous les mouvements de son moteur. Tous les1238 premiers mouvements de cette âme sont de Dieu et c’est sa conduite infaillible. Il n’en est pas de même aux états inférieurs, si ce n’est lorsque l’âme a commencée à goûter du centre ; mais il n’est pas si infaillible, et qui garderait cette règle sans être dans l’état bien avancé se tromperait.

2. C’est donc la conduite de cette âme de suivre aveuglément et sans conduite les mouvements qui sont de Dieu, sans réflexion1239*. Ici toute réflexion est bannie et l’âme aurait peine, même quand elle voudrait, à en faire1240. Mais comme, en s’efforçant, peut-être en pourrait-elle venir à bout, il faut les éviter plus que toute autre chose, parce que la seule réflexion a le pouvoir de faire entrer l’homme en lui et de le tirer1241 de Dieu. Or je dis que, si l’homme ne sort point de Dieu, il ne péchera jamais ; et s’il pèche, c’est qu’il en est sorti, ce qui ne se peut faire que par la propriété ; et l’âme ne peut se reprendre que par la réflexion, qui serait pour elle un enfer pareil à ce qui arriva au premier ange1242 qui, en se regardant avec complaisance et par préférence de ce qu’il devait à Dieu, s’aima et devint démon. Et1243 cet état serait d’autant plus horrible que l’autre aurait été plus avancé.

3. On m’objectera à cela que l’on ne souffre donc rien en cet état. Non, quant au fond1244, mais bien dans les sens ainsi que je l’ai dit. Parce que, dira-t-on, pour souffrir, il faut réfléchir, et c’est la réflexion qui fait la partie principale et la plus douloureuse de la souffrance. Tout cela est vrai en certain temps1245 et, comme il est réel que des âmes bien inférieures à celles-ci souffrent tantôt par réflexion tantôt par impression, je dis qu’il est aussi véritable que celles de ce degré ne pourront souffrir autrement que par impression. Ce qui n’empêche pas les douleurs d’être sans bornes et bien plus fortes que celles qui sont réfléchies, comme la brûlure de celui à qui l’on imprimerait le feu serait plus forte que celle d’un autre qui se brûlerait à la réverbération du feu1246.

4. On dit : mais Dieu les appliquera par réflexion pour les faire mieux souffrir. Dieu ne le fera pas par réflexion. Il pourra leur montrer en un instant ce qu’elles doivent souffrir, par une vue directe et non réfléchie sur elles-mêmes, comme les Bienheureux voient en Dieu ce qui est en Lui et ce qui se passe hors de Lui dans les créatures et en eux-mêmes, sans se regarder ni réfléchir sur eux, mais demeurant fermement attachés, abîmés et perdus en Dieu.

5. C’est ce qui trompe quantité de spirituels qui croient qu’on ne peut rien connaître ni souffrir que par réflexion. Tout au contraire, les connaissances et souffrances de cette manière sont bien petites en comparaison des autres.

6. Toute souffrance qui se distingue et connaît, quoique exprimée en des termes si exagérants, n’égale point celle de ces âmes qui ne connaissent pas leurs souffrances, et qui ne peuvent avouer ce qu’elles souffrent à cause de la grande séparation des deux parties. Il est vrai qu’elles souffrent des maux extrêmes, il est vrai qu’elles ne souffrent rien et qu’elles sont dans un contentement parfait1247. Je crois que si une telle âme était conduite en enfer, elle en souffrirait les cruelles douleurs de cette sorte, dans un contentement achevé, non contentement causé par la vue du bon plaisir de Dieu, mais contentement essentiel à cause de la béatitude du fond transformé ; et c’est ce qui fait l’indifférence1248 de ces âmes pour tout état1249. Cela n’empêche pas, comme j’ai dit, l’extrémité de la souffrance, comme l’extrémité de la souffrance n’empêche pas le bonheur parfait. Ceux qui l’auront éprouvé, le sauront bien comprendre.

7. Ce n’est point ici comme dans l’état passif d’amour, où l’âme est si remplie de suavité ou d’amour pour la souffrance et le bon plaisir de Dieu. Ce n’est point tout cela. C’est par une perte de volonté en Dieu, par un état de déification où tout1250 est Dieu sans voir que cela soit ainsi. L’âme est établie par état dans son Bien Souverain, sans changement. Elle est dans la béatitude foncière où rien1251* ne peut traverser ce bonheur parfait lorsque il est par état permanent : car plusieurs l’ont passagèrement avant que de l’avoir par état permanent. Dieu donne, premièrement les lumières de l’état ; ensuite Il donne le goût de l’état ; enfin Il le donne par une notice confuse et non distincte ; puis Il donne l’état d’une manière permanente et y établit l’âme pour toujours.

On me dira que l’âme étant établie dans l’état, il n’y a rien de plus pour elle. C’est tout le contraire : il y a toujours infiniment à faire du côté de Dieu et non de la créature1252. Dieu ne divinise pas tout à coup, mais peu à peu. Puis, comme j’ai dit, Il augmente la capacité de l’âme, qu’Il peut toujours déifier de plus en plus, Dieu étant un abîme inépuisable. O Dieu, que Vous réservez de bien à ceux qui Vous craignent1253 et qui Vous aiment ! Et c’était la vue de cet état qui faisait écrier1254 David si souvent après qu’il se fût purifié de son péché.

9. Ces âmes ne peuvent plus s’étonner, ni pour aucune grâce qu’on leur raconte, ni pour aucun péché que l’on puisse commettre, + connaissant à fond et la bonté de Dieu qui cause l’une et la malice de l’homme qui est la source de l’autre.+ Toute1255 la terre périrait qu’elles n’en auraient pas de peine, + si Dieu ne leur imprimait cette même peine+. Est-ce1256 donc qu’elles ne sont plus jalouses de l’honneur de Dieu, puisqu’elles ne s’affligent plus des péchés qui se commettent ? Non, ce n’est point cela. C’est qu’elles sont jalouses de la gloire de Dieu comme Dieu.

10. Dieu est1257 nécessairement obligé d’aimer sa gloire plus que tout autre, et tout ce qu’Il fait en Lui et hors de Lui dans les autres, Il le fait par rapport à Lui1258. Cependant Il ne peut être fâché des péchés de tout le monde ni de la perte de tous les hommes, quoique, pour les sauver + tous, Il se soit incarné et ait pris un corps passible et mortel+, Il1259 ait donné sa vie. Elles donneraient aussi mille vies1260 pour les sauver, parce que Dieu, qui les a transformées, les fait participer à ses qualités, et qu’elles voient tout cela comme Dieu. Et quoique Dieu veuille véritablement le salut de tous les hommes, qu’Il leur donne à tous les grâces nécessaires pour le salut, quoique non pas toujours efficaces par leur faute, Il1261 ne laisse pas de tirer sa gloire de leur perte, parce qu’il est impossible que Dieu permette chose au monde en quoi Il ne soit pas nécessairement glorifié, ou par justice ou par miséricorde. Ce n’est pas l’intention de celui qui L’offense et qui Lui rend un déshonneur actif : de la part de Dieu, il n’y a pas de déshonneur passif, et il faut nécessairement, contre la volonté de celui qui L’offense, que son péché retourne à la gloire de Dieu.

11. Quoique Dieu ne puisse être offensé de sa nature, celui qui L’offense mérite des punitions infinies, à cause de la volonté maligne qu’il a d’offenser cette Bonté infinie et de la déshonorer : et s’il ne le fait pas du côté de Dieu, il le fait toujours par son action et par sa volonté. Et cette volonté est si maligne que si elle pouvait ôter à Dieu sa divinité, elle la Lui ôterait. C’est donc1262 cette volonté maligne de la part du sujet qui fait l’offense et non l’action : car si une personne dont la volonté serait perdue, abîmée et transformée en Dieu, était réduite par nécessité absolue à faire les actions du péché, +comme certains tyrans ont fait à des vierges martyres+, elles1263 les feraient sans péché1264. Cela est clair.

12. Mais pour revenir, je dis que ces âmes ne peuvent avoir de peine du péché, parce que, quoique elles le haïssent infiniment, elles ne souffrent plus d’altération, le voyant comme Dieu le voit. Et quoique s’il fallait donner leur vie pour en empêcher un seul, si Dieu le voulait, ils la donneraient. Cela est sans actions, sans désirs, sans inclination, sans choix, sans empressement de leur part, mais dans une mort parfaite, ne voyant plus les choses que comme Dieu les voit et n’en jugeant plus que comme Dieu en juge.







PETIT ABRÉGÉ

Présentation, analyse et objections de Fénelon.

Le Petit abrégé de la Voie et de la Réunion de l’âme à Dieu fut composé à la même époque que les Torrents, sans que l’on puisse fixer de manière certaine une antériorité de l’un par rapport à l’autre. Il fut sans doute adressé au même destinataire, le père Lacombe1265 : « Je ne dois que vous obéir », lui dit-elle. Mais malgré l’obéissance due à son confesseur, l’autorité sur lui s’affirme : « … il me suffit d’avoir marqué en gros ce que vous souhaitiez savoir. L’expérience vous enseignera le reste et, vous faisant comprendre ce que je vous dois être, vous jugerez de ce que je vous suis en Notre Seigneur. » Cette autorité et la précision dans l’exposé du terme de la voie mystique nous font penser que l’Abrégé est une suite donnée aux Torrents. Il peut s’agir d’un écrit complet réservé au cercle des intimes (les nombreuses copies des Torrents suggèrent une plus large distribution de ce dernier traité). Le Petit abrégé fut publié par Poiret en 1712 puis en 1720 : c’est cette dernière édition que nous reproduisons.

Mme Guyon parle de l’Abrégé dans une lettre à Fénelon écrite en décembre 1688, peu après leur rencontre, qui date du 4 octobre1266 :

Il y a six ans que je fis par obéissance un écrit de toute la conduite de Dieu sur l’âme, depuis la conversion jusqu’à la consommation : il n’est pas long et il est plein des vérités que je crois. J’ai eu un fort mouvement de le faire écrire au net et de vous en faire un petit présent. Sitôt qu’il sera achevé, je vous l’enverrai par la même voie : je vous prie, monsieur, de le garder comme un témoignage de l’entière confiance que Notre Seigneur me donne pour vous.

Fénelon en accuse réception le 11 août 1689, et analyse six degrés ou états tout en explicitant ses difficultés qui portent sur la désappropriation et sur les ténèbres de la pure foi1267. Nous citons des extraits de sa longue lettre parce qu’elle révèle par son résumé du texte la perception qu’en eut Fénelon, et ses objections au début de sa vie mystique. On constate qu’il réécrit le texte en éliminant les images dont il déteste le flou : elles reflètent l’expérience vivante, mais ne satisfont pas une analyse rationnelle rigoureuse. On comparera ce texte compliqué et intellectuel, qui tient à distance son sujet, avec son Gnostique de 1694, plein de fougue et de vie : entre temps, la révolution de l’expérience mystique avait eu lieu dans sa vie.

Je comprends et je goûte, Madame, beaucoup de choses dans ce dernier écrit, que vous avez la bonté de m’envoyer sur les divers états de la voie et de la pure foi. […]

Le premier degré [Abrégé Partie I, §II1268] qui commence à distinguer cette voie est donc le recueillement et l’oraison simple, où l’on se sent attiré à mortifier les sens extérieurs, mais d’une manière active, quoique moins multipliée […]

Le second degré [P. I, §III] est celui de la foi passive, où Dieu ôte peu à peu les goûts sensibles, en sorte qu’on perd peu à peu les sentiments intérieurs, comme on perdait dans le degré précédent les extérieurs, mais avec cette différence que, dans le degré précédent, on mourait par effort et par vue active aux sens extérieurs, et que, dans ce second degré, on meurt au goût et aux sentiments intérieurs d’une manière qui commence à être passive […]

Le troisième degré [P. I, § IV, foi nue] est un dépouillement universel, qui se fait peu à peu, des dons aperçus. Comme le degré précédent avait déjà ôté les dons sensibles et intérieurs, ainsi dans ce troisième degré la foi qui commençait déjà à être sèche et dépourvue des goûts sensibles, devient peu à peu nue, en sorte qu’elle parvient enfin à n’avoir plus rien qui se fasse apercevoir à l’âme. […]

Le quatrième degré [P.I, §V, mort mystique] est celui de la mort : il consiste dans une entière extinction de toute répugnance à tous les divers moyens dont Dieu se sert pour désapproprier l’âme d’elle-même. En cet état, l’âme […] cesse à répugner à tout ce que Dieu veut en elle : dès ce moment, elle est comme un corps mort, insensible à tout, qui ne résiste à rien et que rien n’offense.

Le cinquième état [P.I, § VI, mais surtout Partie II, §I] est celui de résurrection, où Dieu rend peu à peu à l’âme, et avec une alternative de vie et de mort, tout ce qu’Il lui avait ôté dans le troisième degré, qui est celui de la nudité, c’est-à-dire que Dieu, après avoir peu à peu arraché à l’âme tout son senti ou aperçu, après l’avoir mise dans l’entière cessation de toute action propre pour la désapproprier de son mouvement naturel et propre, lui rend en passiveté tout ce qu’elle avait autrefois dans son activité. Au lieu qu’avant la mort et le dénuement, elle agissait par elle-même pour le reste, alors elle ne fait plus que laisser faire à Dieu tout ce qu’Il veut en elle. […]

Le sixième et dernier état [P.II, §II] est celui où l’âme, ayant achevé de ressusciter et de recevoir la vie divine en la place de la vie propre, se trouve anéantie et transformée : elle est alors anéantie, parce qu’il ne lui reste plus rien de sa volonté propre, ni pour agir ni pour pâtir ; elle est transformée, parce que la vie et la volonté de Dieu sont en la place de la sienne propre. C’est l’état de saint Paul, qui vivait, mais ce n’était plus lui : c’était Jésus-Christ, vivant dans sa volonté morte à tout [Galates, 2, 20, le verset qui est le plus souvent cité par Madame Guyon]. […] Dieu devient l’âme de cette âme, elle n’a qu’à agir naturellement, et elle se trouve arrêtée avec douleur toutes les fois qu’on lui veut faire vouloir ce que Dieu ne veut pas. Mandez-moi si j’ai bien compris votre écrit.

Supposant dans l’esprit du siècle que « l’âme n’a rien d’impur que la propriété volontaire », Fénelon objecte :

Pour la désappropriation de la volonté, je ne la puis croire entièrement parfaite au moment de la mort mystique. […] L’âme, étant un pur esprit, n’a point de rouille, mais elle a un reste d’attachement à elle-même que nous appelons propriété, et qui la ternit comme la rouille ternit les corps. Je ne puis rien comprendre d’impur dans l’âme que ce qui est volontaire et de propriété : je conclus donc qu’aussitôt que l’âme sort d’elle-même, elle entre immédiatement en Dieu.

Je dis bien davantage, car je soutiens qu’elle ne peut sortir d’elle qu’autant qu’elle entre dans Dieu, et qu’elle n’achève de sortir d’elle que quand elle achève de se perdre en Dieu. Quoique l’ouvrage de la grâce paraisse toujours commencer par le dépouillement et par la privation, et que la possession ne vienne qu’ensuite, il est pourtant vrai dans le fond qu’on ne se vide de soi qu’à mesure qu’on se remplit de Dieu. Ce n’est pas le vide de l’âme qui attire la plénitude de Dieu, car comment se viderait-elle seule si Dieu même n’y était pas pour la vider ? Mais c’est la plénitude de Dieu, qui, entrant, se fait faire place à la plénitude. Ainsi le cœur n’est jamais un instant vide : Dieu se l’ouvre Lui-même, en poussant au-dehors l’amour propre qui remplissait l’espace. Être en Dieu, c’est être entièrement désapproprié de sa volonté, et ne vouloir plus que par le mouvement purement divin : c’est ce qui n’arrive à l’âme que par l’anéantissement, transformation et résurrection consommée.

Il ne supporte pas l’idée d’une foi « obscure » et avec une certaine condescendance, l’évêque tance cette femme ignorante au nom de l’Évangile et de principes de théologie. Le mot « ténèbre » n’apparaît pas dans l’Abrégé, mais Fénelon l’emploie :

Ma seconde difficulté est sur les ténèbres de la foi [P.I, § 2, section 3]. La foi ne consiste point à ne rien voir du tout ; il y aurait de l’impiété à le croire […] En quoi consiste donc cette conduite de la pure foi, qui va toujours par le non-voir, comme disent le bienheureux Jean de la Croix et les autres ? Le voici : c’est que l’âme voyant clairement la vérité de l’Évangile et étant certaine que Dieu parle aux hommes, elle se laisse aller sans mesure et sans réflexion à l’impression de ces vérités. Sa conduite est tout ensemble raisonnable et obscure : raisonnable puisque la voie de la pure foi où elle marche, et qui n’est autre que la pure perfection de l’Évangile, lui est certifiée par l’autorité de l’Évangile et par tous les principes de la sainte théologie. […]

Cette conduite est en même temps obscure, parce que les choses proposées sont aussi incompréhensibles que l’autorité qui les propose est certaine ; aussi tout se réduit à la définition que saint Paul donne de la foi1269 : c’est une conviction des choses qui ne paraissent pas, voilà la certitude de l’autorité. Des choses qui ne paraissent pas, voilà l’obscurité des mystères. Si je suis sûr d’un guide, je m’abandonne à lui dans un chemin que je ne connais pas : le chemin m’est obscur, le guide m’est clair. Le chemin de la foi est ténébreux et impénétrable, mais Dieu, qui est le guide, nous le rend clair par son autorité : c’est pourquoi saint Paul dit : Je sais à qui je me confie1270. Vous-même, dans l’état de la foi dénuée, dites tous les jours : « Je ne puis résister à Dieu. » Vous savez donc que c’est Dieu qui vous mène, quoique vous ne sachiez pas où est-ce qu’Il vous mènera. […]

Il est donc vrai qu’il vient un temps où Dieu se cache, où l’on ne sait si on L’aime ou si on en est aimé. On sait bien certainement en général que la voie est de Dieu, mais on ne sait pas si on la suit. Je comprends que Dieu pousse quelquefois jusqu’à certaines extrémités où l’on ne voit plus aucunes traces du chemin et où il faudra, quoi qu’on fasse, hasarder son éternité. Mais alors ce n’est pas l’indifférence de tomber dans l’illusion ou de n’y tomber pas, qui mène librement dans cet état de doute et de hasard : au contraire, on y est poussé violemment et involontairement par une puissance supérieure, qui ne laisse aucune relâche. Alors, quoi qu’on fasse et quelque parti qu’on prenne, on croit tout hasarder, on croira même que tout est perdu. Mais remarquez qu’alors, quoi qu’on fasse, ce n’est pas l’âme qui quitte sa lumière, c’est la lumière qui la quitte tout à coup malgré elle, encore même la lumière pure et véritable ne quitte jamais, car, comme nous le disions, si on lui proposait ce qui serait véritablement mal, sa conviction intérieure se réveillerait, elle dirait : j’aime mieux mourir que de résister à Dieu et de violer la loi. Dieu donc prend plaisir à l’embarrasser, pour la réduire à lui sacrifier son éternité tout entière.

Mais, dans cette agonie, elle tient toujours par le fond de la volonté à tout ce qui lui paraît le plus droit selon Dieu. Si elle ne peut plus suivre Dieu clairement à la piste, elle va du moins à tâtons le plus près qu’elle peut de Lui. Il y en a là assez pour trouver la certitude de la conscience dans cette droiture d’intention, pendant que d’un autre côté cette âme, faute de pouvoir réfléchir sur sa droiture d’intention et sur sa conviction certaine, ne laisse pas de se croire aussi perdue pour l’éternité que si elle avait abandonné toute droiture et toute règle de conscience. Mais en cet état même, tout ténébreux qu’il est, il y a une lumière simple et sans retour de l’âme sur elle, qui est plus pure, plus lumineuse, plus certifiante et plus chère à l’âme que toutes les consolations et toutes les certitudes sensibles des autres états : ce qui paraît par son horreur pour d’autres choses vraiment mauvaises. […] Il s’ensuit de ces principes que la plus pure foi sans raisonnement est non seulement raisonnable, comme saint Paul nous l’assure, mais encore que c’est le comble de la raison parfaite. […]


PETIT ABRÉGÉ DE LA VOIE ET DE LA RÉUNION DE L’ÂME À DIEU

Première partie : de la voie à Dieu

§I et II. Retour de l’âme et touche efficace dans la volonté1271.

§I. Le premier degré est le retour à Dieu, où l’âme véritablement convertie subsiste par le moyen de la grâce.

§ II. Il lui est donné ensuite une touche dans la volonté qui l’invite au recueillement, et lui apprend que Dieu est dedans d’elle, que c’est le lieu où il Le faut chercher, qu’Il est présent à son cœur, que c’est dans ce lieu qu’il en faut jouir. Cette découverte est au commencement d’un très grand goût à l’âme, lui donnant comme une notice, ou, si vous voulez, un gage d’un bonheur à venir, qui, ne faisant que commencer, ne laisse pas de découvrir à l’âme la route qu’elle doit tenir, qui est celle de l’intérieur.

Cette découverte est d’autant plus avantageuse qu’elle est la source de tout le bonheur de l’âme et le fondement solide de tout l’intérieur, puisque les âmes qui ne tendent à Dieu que par la pensée, quoique elles contemplent, même d’un regard de l’esprit, ne parviendront jamais à l’union intime si elles ne quittent leur route pour entrer dans celle de la touche intérieure, où toute l’opération se fait dans la volonté.

Les personnes qui sont conduites par cette voie sont celles qui éprouvent la science savoureuse, quoique conduites par un abandon aveugle. Elles ne vont jamais par les lumières de l’esprit, comme les premières, qui reçoivent des lumières distinctes pour leur conduite et qui, voyant les routes par où elles sont conduites, ne marchent jamais par les routes impénétrables de la volonté cachée, ce qui n’est que pour les dernières. Les premières marchent sur les témoignages que leurs lumières leur donnent, aidées de leur raison ; et elles font bien. Mais les secondes, destinées à suivre aveuglément une conduite inconnue qui leur paraît toute naturelle, quoique elles semblent aller à tâtons, vont cependant plus sûrement que les premières, qui peuvent se tromper dans les lumières de leur esprit ; et celles-ci [les secondes] sont conduites par une Volonté souveraine qui les mène comme il lui plaît. De plus, toutes les opérations les plus immédiates se font dans le centre de l’âme, qui n’est autre que les trois puissances réduites dans l’unité de la volonté, où elles s’absorbent toutes, suivant insensiblement cette route que la touche dont nous avons parlé, leur a découverte.

2. Ces dernières personnes sont celles qui suivent le chemin de la foi et de l’abandon total. Elles n’ont de goût et de liberté que pour cela. Tout ce qui n’est point cela, les gêne et les embarrasse. Elles sont conduites par une plus grande sécheresse que les premières, car, comme elles n’ont rien dans l’esprit qui les fixe, leur esprit est souvent divagué et n’a rien qui les puisse arrêter. Et comme il y a de deux sortes d’âmes, de celles qui sont conduites par la volonté : les unes sont plus affectives, les autres plus sèches. Les affectives ont plus de goût, et moins de solide, et elles doivent mettre le holà à la nature trop empressée, laissant tomber les saillies qui paraissent toutes brûlantes d’amour. Les autres ont un état plus dur et plus insensible, et leur état paraît tout naturel ; cependant, elles ont dans le fond de la volonté quelque chose de délicat qui leur sert d’aliment, et qui est comme le précis de ce que les autres ont dans l’esprit et dans l’ardeur de la volonté.

Cependant, comme ce soutien est très délicat, il est souvent imperceptible, et la moindre chose le couvre. C’est ce qui fait bien de la peine, surtout dans le temps des épreuves et des tentations, parce que, comme le goût et le soutien est délicat et caché, la volonté est aussi fort délicate et cachée, de manière que ces personnes n’ont point de ces fortes volontés. Leur état est plus indifférent, plus insensible, leur voie plus unie. Quoique cela soit la sorte, elles ont souvent autant et plus de peine que les premières, car rien ne se faisant en elle par entraînement, tout s’y opère comme naturellement ; et cette volonté toute faible, insensible et cachée ne se trouve point pour faire tête aux ennemis. Cependant la fidélité de ces derniers surpasse souvent celle des autres. La différence de saint Pierre et de saint Jean est remarquable : l’un fait paraître un zèle extraordinaire, et cependant tombe à la voix d’une servante ; l’autre, sans rien témoigner au-dehors, demeure fidèle jusqu’au bout1272.

Mais, me direz-vous, si cette âme n’a point d’entraînements violents et qu’elle marche dans l’aveuglement, fait-elle la volonté de Dieu ? Elle la fait plus véritablement, quoique elle n’en ait aucune certitude distincte : la volonté de Dieu demeure gravée dans le fond de cette âme avec des caractères ineffaçables, de sorte qu’elle fait par un abandon froid, languissant, mais ferme et inviolable, ce que les autres font par l’entraînement d’un goût fort marqué.

3. L’âme, par le moyen de cette touche, va de degrés en degrés par la foi savoureuse plus ou moins sensible, où elle éprouve des alternatives continuelles de sécheresses et de goût de la présence de Dieu, trouvant toujours que le goût s’approfondissant devient moins aperçu et qu’ainsi il est plus délicat et intime. Elle éprouve aussi que, sans nulle lumière distincte, et toute pleine de sécheresse, elle ne laisse pas d’être éclairée, car cet état est lumineux en lui-même quoique il soit si obscur par rapport à l’âme qui le possède. Et cela est si vrai qu’elle se trouve plus instruite de la vérité, je veux dire de cette vérité qui est imprimée dans le fond d’elle-même, qui fait que tout cède à la volonté de Dieu. Cette divine volonté lui devient plus familière et elle pénètre mille choses par un goût insipide que la lumière de la raison et de la science ne lui peut point découvrir. Elle est insensiblement et peu à peu, sans savoir comme cela se fait, dressée pour les états qui doivent suivre.

Les épreuves de cet état sont des alternatives de sécheresse et de facilité. La sécheresse purifie l’attache ou même la tendance et le goût naturel que l’on a pour la jouissance de Dieu. De sorte que tout ce degré est composé d’alternative de goût, de sécheresse et de facilité, sans qu’il soit fait mention de tentations, si ce n’est de fort passagères, ou de certains défauts : car dans tous les états dès le commencement, lorsque l’on est dans la sécheresse, on tombe plus facilement dans les défauts naturels que dans le temps du goût intérieur, où l’onction de la grâce garantit de mille maux. Dans tous les états précédents et jusqu’ici l’âme combat les mauvaises habitudes, tâche avec effort de les vaincre, et se sert pour cela de toutes sortes de pénitence.

Dans les commencements que Dieu1273 l’attire au-dedans, Il la tourne de telle sorte contre elle-même qu’elle ne peut que se priver de tous les biens, de tous les plaisirs les plus innocents, et se procurer toutes sortes de maux. Il y en a à qui Dieu ne donne aucune relâche là-dessus, jusqu’à ce qu’ils aient détruit dans la nature, c’est-à-dire dans le sens extérieur, les appétits ou répugnances.

4. La destruction des appétits ou répugnances des sens extérieurs appartient au second degré, que j’ai appelé touche efficace dans la volonté ; et c’est dans ce degré, surtout lorsque l’attrait est vigoureux et l’onction fort savoureuse, que se pratiquent les plus grandes et les plus fortes vertus. Car il n’y a point d’invention que Dieu ne fasse trouver à cette personne pour se vaincre et se surmonter en toutes choses, de sorte que, par cette pratique continuelle accompagnée de l’onction de la grâce dont nous avons parlé, l’esprit prend le dessus de la nature, et la partie inférieure se trouve lui être assujettie sans résistance, et ne lui fait non plus de peine que s’il n’y avait plus de sentiments extérieurs. Les personnes peu éclairées prennent cela pour la mort. C’est bien la mort des sens, mais1274 il s’en faut bien que ce ne soit celle de l’esprit.

§ III. Troisième degré : passiveté savoureuse1275.

5. Lorsque l’on a goûté quelque temps le repos d’une victoire qu’on avait remportée avec tant de peine, et que l’on croit être affranchi pour toujours d’un ennemi dont toute la violence a été détruite, on entre dans le troisième degré, qui est une suite de celui-là, qui est toujours foi savoureuse, plus ou moins, selon l’état de la personne. On entre dans une alternative de sécheresse et de facilité comme je l’ai dit. Dans cette sécheresse, l’âme éprouve de certaines faiblesses extérieures, certains défauts naturels, pourtant légers, qui la surprennent ; et elle sent en même temps que cette force qui lui avait été donnée pour combattre, s’affaiblit. Cela vient de ce que la force intérieure active se perd, car, quoique dans le second degré l’âme s’imagine d’être en silence devant Dieu, elle n’y est pas tout à fait. Elle est bien dans un silence de toute parole, soit de cœur, soit de bouche ; mais elle est toute en opération de tendance vers Dieu, et d’exhalaison d’amour, de sorte qu’ayant ce qu’il y a de plus fort dans l’activité amoureuse, qui est l’opération de ce même amour vers son divin objet, elle saillit, pour ainsi parler, continuellement vers son objet, de sorte que son activité amoureuse est liée d’une paix savoureuse et presque rendue continuelle. Et comme toute la force du combat contre notre nature vient de la force de l’activité amoureuse, c’est dans ce temps que se pratiquent les plus fortes vertus et que se font les plus fortes mortifications.

Mais à mesure que l’activité amoureuse se perd et s’éteint par la passiveté amoureuse, la force active pour se combattre se perd, et à mesure que ce degré avance et que l’âme devient1276 plus passive, elle devient plus impuissante de se combattre. Plus Dieu devient fort chez nous, plus nous sommes faibles. Il y a des âmes qui regardent comme de fortes épreuves cette impuissance de se combattre. Elles ne voient pas que tout notre travail, aidé et secouru de la grâce, ne peut jamais aller qu’à combattre et vaincre les sens extérieurs, après quoi Dieu s’empare peu à peu de notre fond, devient Lui-même notre purificateur. Et comme Il a voulu tout notre soin tant qu’Il nous a laissés dans l’activité amoureuse, Il veut aussi toute notre fidélité pour Le laisser faire lorsque Il commence à se rendre le maître par l’assujettissement de la chair à l’esprit.

Car il faut remarquer que toute notre perfection extérieure doit dépendre de l’intérieure, et ne doit suivre que celle du dedans, de sorte que, lorsque nous avons une oraison active, quoique simple, nous sommes activement retournés contre nous-mêmes, quoique simplement.

6. Si le second degré détruit les sens extérieurs, le troisième est pour détruire les sens intérieurs, et c’est ce qui se fait par la passiveté savoureuse. Mais comme alors le travail de Dieu est au-dedans, Il semble abandonner le dehors. C’est ce qui fait reparaître, quoique faiblement pourtant, les défauts qui semblaient éteints, et ils ne paraissent que dans le temps de la sécheresse.

Plus le troisième degré approche de sa fin, plus les sécheresses sont longues et fréquentes, et la faiblesse augmente. C’est une purification qui sert à détruire les sentiments intérieurs, comme l’activité amoureuse a détruit les sentiments extérieurs. Et dans chaque degré, il y a des alternatives de sécheresse et de jouissance. La sécheresse sert de purgatoire à la jouissance qui doit suivre. Ce purgatoire est toujours pénible à cause du dessèchement et de l’affaiblissement. Sitôt que l’on cesse de faire ces sortes de mortifications volontaires par les impuissances où l’on est, celles de la Providence prennent la place, qui sont les croix que Dieu choisit conformément au degré. Ce ne sont point des croix choisies par l’âme, mais l’âme conduite intérieurement de Dieu a les croix que la Providence lui ménage1277.

§ IV. Quatrième degré de foi nue1278.

7. Le quatrième degré est la foi nue, où il n’est parlé que de dépouillement intérieur et extérieur : car l’un suit toujours l’autre.

Chaque degré1279 a son commencement, son progrès et sa fin.

Tout ce qui avait été donné et acquis avec tant de peine est ôté peu à peu.

Ce degré est le plus long, et n’est terminé qu’à la mort totale, au cas que l’âme se laisse assez détruire pour mourir entièrement à elle-même. Car une infinité d’âmes ne passent point les premiers degrés et de celles qui entrent en celui-ci, très peu le consomment entièrement.

8. Ce dépouillement se fait dans les unes d’une manière violente et, quoique ces personnes souffrent une douleur plus sensible que les autres, elles sont moins à plaindre, parce que la violence de leur douleur leur est un appui. Mais les secondes n’éprouvent leur dépouillement que comme une faiblesse et un certain dégoût des choses, qui paraît une lâcheté et une involonté de les faire.

On est dépouillé d’abord des choses de surérogation1280, et l’on devient impuissant de faire ce que l’on faisait dans les degrés précédents. À mesure que l’on est dépouillé de ces choses, on se sent une faiblesse générale sur toutes sortes de sujets, qui croît chaque jour, loin de diminuer. Cette faiblesse et cette impuissance augmentant ainsi peu à peu, on entre dans un état où l’on commence de dire : Je ne fais pas le bien que j’aime, et je n’ai de pente que pour le mal que je hais1281.

Après que l’on a été dépouillé des choses extérieures et intérieures qui ne sont pas nécessaires, on est peu à peu dépouillé de celles qui le sont ; et à mesure que l’on est dépouillé au-dehors1282 de tout ce qui entretenait une certaine vie vertueuse qui remplissait une vie chrétienne, on est dépouillé au-dedans d’un certain goût ou soutien substantiel. Plus ce soutien devient délicat et subtil, plus sa perte devient sensible. Il faut remarquer cependant qu’il ne se perd point si ce n’est à notre connaissance, n’ayant rien au monde qui le puisse faire discerner, parce qu’il est dans l’âme comme sans nulle action qui lui puisse servir d’appui. Si cela était autrement, il empêcherait la mort et la perte l’âme. Mais il se retire au-dedans et se concentre si fort que l’âme ne l’aperçoit plus.

9. Et pourquoi, me direz-vous, cette conduite ? Elle a été conduite depuis le commencement de la voie jusqu’à présent, pour faire passer l’âme du multiplié1283 au distinct sensible sans multiplicité, du distinct sensible au distinct insensible, ensuite au sensible indistinct, qui est un goût général bien moins sensible que le premier. Ce goût est vigoureux au commencement et introduit l’âme dans l’aperçu, qui est un goût plus pur et moins fort que le premier ; de l’aperçu, dans la foi soutenue et opérante en charité, passant de cette sorte du sensible au spirituel, et du spirituel à la foi1284 nue qui, en nous faisant mourir à toutes les vies spirituelles, nous fait mourir à nous et passer en Dieu pour ne vivre plus que de la vie de Dieu.

L’économie de la grâce est donc de commencer par les choses sensibles, de continuer par les spirituelles, et enfin de conduire insensiblement l’âme par l’une et par l’autre de ces choses, suivant le premier attrait qui lui est été communiqué, afin de l’attirer dans son fond et la réduire en unité.

Plus cet imperceptible soutien s’enfonce, plus il réunit l’âme, et lui ôte la facilité de se multiplier en mille choses qu’elle ne peut plus ni opérer ni apercevoir même, de sorte qu’ainsi nue, elle est obligée de se laisser peu à peu elle-même.

On la dépouille donc sans miséricorde également et en même temps de tout ce qui est hors d’elle et de ce qui est dedans ; et ce qui est pis, c’est qu’on la livre aux tentations ; et plus on la livre aux tentations, plus on lui ôte la force pour combattre au-dehors ces mêmes tentations, l’affaiblissant1285 davantage lorsque on la fait attaquer plus fortement ; et on lui ôte un soutien intérieur qui, en lui servant de refuge et d’asile assuré, lui serait un témoignage de la bonté de Dieu et de sa fidélité1286 à elle-même.

C’est comme un homme qui, poursuivi d’un autre homme puissant, combat et se défend en approchant cependant toujours d’un lieu fort pour se mettre en sûreté : plus il combat, plus il trouve qu’il s’affaiblit et que les forces son adversaire augmentent. Que fera-t-il ? Il gagnera avec le plus d’adresse qu’il pourra la forteresse, parce qu’il y aura un secours puissant ; mais s’il la trouve fermée et que, loin de lui donner du secours, il trouve que l’on a bouché tous les endroits qui pourraient lui servir de retraite, il faut qu’il tombe entre les mains de cet ennemi puissant qu’il connaît, — après qu’il a réduit aux abois, qu’il est sans défense et qu’il est tombé entre ses mains, — être son plus véritable ami.

Comptez donc que ce degré est composé de toutes ces choses : d’une privation de tout bien, d’un assemblage de toutes sortes de faiblesses, d’une impuissance de se défendre, point de refuge au-dedans ; Dieu souvent même paraît irrité ; et avec cela, des tentations.

10. Mais, me direz-vous encore, si je sentais toujours que la volonté n’est point d’accord avec la malignité de la nature et la faiblesse des sens ? Si cela était, on serait trop heureux. Et cela ne peut point être, parce qu’à mesure que vous êtes affaibli et dénué de toute opération et activité amoureuse, pour petite et délicate qu’elle soit, vous l’êtes en même temps de cette volonté qui naît de cette vigueur amoureuse, de sorte que la volonté, s’affaiblissant chaque jour, disparaît peu à peu ; et disparaissant de la sorte, il est certain qu’elle n’entre en rien de tout ce qui se passe dans l’homme. N’y entrant pas, elle en est séparée, mais comme elle ne se fait connaître par aucun signe, elle ne sert à l’âme d’aucun soutien qui la puisse assurer : au contraire, ne trouvant plus cette volonté résistante, on croit qu’elle consent à tout et qu’elle est de concert avec une volonté animale, qui est la seule qui paraît.

11. Vous aurez encore là-dessus une autre difficulté, sur ce que je vous ai dit, que, par ce premier combat de l’activité amoureuse, les sens et la nature sont demeurés comme éteints et assujettis à l’esprit ; et cela est vrai. Mais comme cet esprit propriétaire s’est fortifié par les victoires que la grâce lui avait fait remporter, il est par là même rendu plus élevé, plus fixe dans ce qu’il croit bon, et plus indomptable. Dieu, qui veut se l’assujettir, se sert pour cela des réveils et des sentiments de cette même nature qui était comme domptée ; et par sa révolte apparente, Dieu s’assujettit l’esprit. Mais remarquez qu’Il ne se sert de la nature que lorsque Il en a ôté la malignité, qu’Il a détruit, ou plutôt séparé la volonté supérieure de ce qui la rendait forte et criminelle : Il a ôté le venin de cette vipère, après quoi Il s’en sert d’antidote contre l’esprit. Qui connaîtrait l’économie admirable de la grâce et de la sagesse de Dieu pour conduire l’homme à la désappropriation générale, en serait charmé et, quelque insensible qu’il pût être, il mourrait d’amour. Le peu qui en est découvert à mon cœur le charme souvent et l’enlève.

12. La fidélité de ce degré doit être de se laisser dépouiller dans toute l’étendue des desseins de Dieu, sans se mettre en peine de soi-même, sacrifiant à Dieu tous les intérêts du temps et de l’éternité. Il ne faut rien réserver ni retenir sous quelque prétexte que ce puisse être, car la moindre réserve cause une perte irréparable, empêchant la mort totale. Il se faut donc laisser au plein gré de Dieu battre de toute part des vents et de la tempête, souvent submergé et enfoncé dans les ondes mutinées.

On éprouve une chose étrange, que, loin que les misères que l’on souffre éloignent de Dieu, au contraire, c’est dans ce moment qu’Il paraît ; et s’il est arrivé quelque faiblesse, c’est alors que Dieu se fait connaître présent, comme pour servir dans ce moment de témoignage à l’âme qu’Il était avec elle dans cette tribulation. Je dis : dans ce moment, car cela ne lui peut servir d’assurance dans la suite, et est plutôt pour certifier la direction, et aussi pour éviter l’âme à se perdre davantage.

Ces états ne sont pas continuels dans leur violence : ils ont des alternatives qui, servant à reprendre haleine, servent en même temps à rendre la peine plus pénible. Car la nature se nourrit de tout ; et l’homme qui se noie, ne trouvant point d’autre soutien que des rasoirs tranchants, s’y tient attaché sur l’eau sans se mettre en peine de la douleur qu’ils lui causent.

§V. Cinquième degré, ou état de mort mystique1287.

13. À force d’être de cette sorte attaqué de toute part de tant d’ennemis, sans vie, sans soutien, il faut expirer entre les bras de l’Amour. Lorsque la mort est entière, les états les plus terribles ne cause plus de peine. Ce n’est pas par la fin de ces états que l’on connaît sa mort, mais par l’impuissance absolue de ressentir de la peine, de penser à soi, d’y soigner1288, et par l’indifférence d’y rester toujours, sans qu’il reste nul signe de vie. La vie est dans la volonté de quelque chose, ou dans la répugnance : [mais ici, dans cette mort de l’âme,] tout lui est égal. Elle reste morte et insensible à tout ce qui la regarde, et à quelque extrémité que Dieu la réduise, rien ne répugne chez elle. Tout lui est égal, d’être ange ou démon, parce qu’elle n’a plus d’yeux pour se voir elle-même. C’est alors que Dieu a réduit tous ses ennemis comme les escabeaux de ses pieds1289 et que, dominant seul sur cette âme, Il s’empare d’elle-même et la possède d’autant plus qu’elle s’est plus quittée elle-même. Ceci ne s’opère que peu à peu.

Après la mort, il reste longtemps un reste de chaleur vivante, qui se perd peu à peu. Tous les états ont leur purgation ; et celui-ci est l’entier purgatoire.

Il n’en est pas de la mort intérieure comme de la mort naturelle. On meurt peu à peu, on est souvent vif et mort : tantôt l’un, tantôt l’autre, jusqu’à ce que la mort ait surmonté la vie.

Il en est de même dans l’état de résurrection : une alternative, jusqu’à ce que la vie ait surmonté la mort.

14. Ce n’est pas que la nouvelle vie ne vienne tout à coup, et celui qui était mort, se trouve vivant et ne peut jamais douter qu’il n’ait été mort et qu’il ne vive. Mais il n’est pas d’abord établi dans cette vie : c’est plus une disposition vivante qu’une vie établie par état.

Au lieu que la première vie de grâce a commencé par le sensible et s’est toujours enfoncée dans le centre jusqu’à ce que, réduisant l’âme dans l’unité, elle l’ait fait expirer par des moyens étranges entre les bras de l’Amour, car, quoique toutes les âmes éprouvent cette mort, les moyens sont singuliers pour chacune d’elles. Ici, la [nouvelle] vie1290 qui lui est communiquée vient du fond. C’est comme un germe de vie qui a toujours subsisté dans l’âme, — quoique elle ne le distingue pas, — et qui fait voir que la vie de la grâce ne l’a jamais abandonnée, quoi qu’il lui soit arrivé et que ce germe de vie ait été si caché : il ne laissait pas d’être et de subsister dans la mort, sans que la mort cessât d’être véritable, comme le ver à soie est véritablement mort très longtemps, quoique il conserve dans sa mort un germe de vie qui le faire redevenir vivant. Cette vie donc germe dans le centre, et naît du fond ; puis elle s’étend et se répand peu à peu sur les puissances et sur les sens, leur communiquant sa vie et sa fécondité.

L’âme vivant de cette sorte éprouve un contentement infini, non en elle, mais en Dieu, surtout lorsque la vie est fort avancée.

15. Mais avant que de poursuivre les effets de cette vie admirable, il faut dire qu’il y a des personnes qui n’éprouvent pas ces douloureuses morts : elles n’éprouvent qu’une langueur et défaillance mortelle, qui les anéantit et fait mourir à tout.

Quoique bien des personnes spirituelles aient donné le nom de mort aux premières purifications, qui sont bien une mort en effet par rapport à la vie qui est communiquée, ce n’est point pourtant la mort totale. C’est bien une privation de quelqu’une des vies, soit de nature, soit de grâce ; mais ce n’est point une privation générale de toutes vies.

La mort a plusieurs noms, suivant les différentes manières de s’exprimer et de le concevoir. C’est un trépas, c’est-à-dire une séparation de soi-même pour passer en Dieu. C’est une perte entière de la volonté de la créature, qui la fait défaillir à elle-même pour ne subsister qu’en Dieu. Or comme cette volonté est en tout ce qui subsiste dans la créature, quelque bon et saint qu’il soit, il faut que toutes ces choses soient nécessairement détruites en ce qu’elles ont de subsistant dans la créature, et où la bonne volonté de l’homme est enfermée, afin qu’il ne reste que la volonté de Dieu. Tout ce qui est né de la volonté de la chair et de la volonté de l’homme, est détruit. Il ne reste que la volonté de Dieu, qui devient le principe de la nouvelle vie et qui, animant peu à peu cette volonté détruite, prend sa place et la change en soi.

16. Dès que l’âme meurt mystiquement, ainsi que je l’ai dit, elle est séparée généralement de tout ce qui peut lui être un obstacle à la parfaite union à Dieu ; mais elle n’est pas cependant reçue en Dieu : c’est ce qui fait sa plus forte peine. Vous me répondrez à ce que je viens de vous dire, que, lorsque elle est entièrement morte, elle ne souffre plus. Je m’explique : elle est morte sitôt qu’elle se sépare d’elle-même ; mais la mort (ou trépas mystique) n’est consommée que lorsque l’âme est passée en Dieu. Jusqu’à ce temps-là, elle souffre une peine très grande, mais peine générale et indistincte, qui vient uniquement de ce qu’elle n’est pas établie dans le lieu qui lui est propre.

17. La peine qui précède la mort, est causée par la répugnance des moyens de mort ; et cette répugnance se réveille toutes les fois que ces moyens se réveillent, ou qu’ils deviennent plus fort. Mais à mesure que l’on meurt, cela devient plus insensible ; et il semble qu’on s’endurcisse dans les coups, jusqu’à ce qu’enfin on meurt véritablement par une entière privation de toute vie, Dieu la poursuivant sans miséricorde dans les lieux où elles se cantonne : car elle a tant de malignité qu’à mesure qu’on la serre de plus près, elle se fortifie dans les lieux qu’elle choisit pour refuge, et se sert de tout ce qu’il y a de plus raisonnable et de plus saint pour se faire vivre. Mais étant poursuivie partout et en tous lieux dans1291 quelques âmes (ô qu’elles sont rares !), elle est contrainte de les abandonner absolument.

18. Il ne reste plus alors de douleur pour les moyens dont on se sert pour ôter la vie, et qui sont tout contraires à ce qui la fait subsister : plus ce qui la couvre est raisonnable, plus le moyen dont on se sert pour la faire mourir, est déraisonnable ; plus il est saint en apparence, plus le moyen de mort paraît opposé.

19. Mais après la mort, qui est aussi ce qui fait que l’âme sort d’elle-même, c’est-à-dire qu’elle perd toute propriété quelle qu’elle soit (car on ne connaît ce que l’on possède que par la perte que l’on en fait : tel qui croit ne tenir à rien, est souvent bien trompé, tenant à mille choses qu’il ne connaît pas), la mort, dis-je, étant arrivée de cette sorte, l’âme est bien sortie d’elle. Mais elle n’est pas d’abord reçue en Dieu : il lui reste encore un je ne sais quoi, un reste d’homme, une forme : cela se perd. C’est une rouille qui est détruite par une peine générale, indistincte, qui ne regarde nuls moyens de mort, puisqu’ils sont tous outrepassés et finis ; mais un défaut d’aisance, parce qu’étant chassé de chez soi, on n’est pas encore reçu dans l’Être original. L’âme sortant d’elle-même, perd toute possession de soi, sans quoi elle ne serait jamais reçu dans son Être Original ; mais elle n’est pas pour cela entièrement possédée de Dieu. C’est ce qui ne se fait que peu à peu, et par le moyen de la nouvelle vie, qui est toute divine.

§ VI. Réunion à Dieu, sans sentiment

Réunion à Dieu, (sujet de la partie qui suit), mais encore sans sentiment.

20. Sitôt que l’âme est morte, elle est morte à la vérité dans le baiser du Seigneur, c’est pourquoi elle Lui est véritablement unie, et unie1292 sans milieu, puisqu’en perdant tout, et même les meilleures choses, elle a perdu par conséquent les moyens et entre-deux qui subsistaient dans ces meilleures choses ; et ces bonnes choses étaient elles-mêmes des entre-deux. Elle est donc dès ce moment unie à Dieu immédiatement. Mais elle ne connaît et ne jouit des fruits de son union que lorsque Il l’anime et devient son principe vivant : comme une épouse évanouie entre les bras de son époux est bien unie à lui, quoique elle ne goûte pas le plaisir de cette union et qu’elle l’ignore même souvent, mais lorsque, après l’avoir considérée quelque temps défaillie1293 par l’excès de son amour, il la fait revenir par ses douces caresses, alors elle connaît qu’elle possède celui qu’elle aime, et qu’elle en est possédée.


Seconde partie : de la réunion à Dieu

§I. Résurrection de l’âme, divinement active1294.

1. L’âme ainsi possédée de Dieu, éprouve qu’Il est tellement maître d’elle-même, qu’elle ne peut plus faire que ce qui Lui plaît, et comme il Lui plaît ; et cela devient toujours plus de cette sorte. Son impuissance ne lui est plus pénible, mais elle lui est agréable, parce qu’elle est toute pleine de vie et du pouvoir de la volonté divine.

L’âme morte est donc unie, mais elle ne jouit du fruit de son union que dans le moment de la résurrection, où Dieu, la faisant passer en Lui, lui donne des gages et des assurances réelles de la consommation du mariage divin de Dieu et d’elle, dont elle ne peut douter, parce que cette union immédiate est quelque chose de si spirituel, de si délicat, de si divin, de si intime qu’il est également impossible que l’âme se la puisse figurer ni en douter. Car il est à remarquer que toute la voie dont nous venons de parler est infiniment loin de toute imagination ; et même, ces âmes ne sont nullement imaginatives, n’ayant rien dans la tête, et tout se passe au-dedans, étant parfaitement dégagées des fantômes et espèces.1295

Tout le temps de la voie de la foi, les âmes n’ont rien de distinct ; et cette distinction est entièrement opposée à la foi, de sorte qu’elles ne peuvent même goûter le distinct, ayant une certaine généralité qui fait le fondement de toutes choses, et par laquelle tout leur est donné. Mais il n’en est pas de même lorsque la vie est éminente en Dieu, car, quoique elles n’aient rien de distinct1296 pour elles-mêmes, elles en ont pour les autres ; et les lumières pour les autres sont d’autant plus sûres, (quoique non toujours goûtées de ceux auxquels on les dit,) qu’elles sont plus immédiates et comme naturelles.

2. À mesure que Dieu ressuscite une âme, c’est-à-dire qu’Il la reçoit en Lui, et que ce germe vivant, qui n’est autre que la Vie et l’Esprit du Verbe, vient à paraître et à se manifester, c’est la manifestation de Jésus-Christ1297, qui vit en nous par la perte de la vie d’Adam subsistante dans la propriété.

Elle est donc reçue en Dieu. Et après y être reçue, elle est peu à peu changée et transformée en Lui, comme la nourriture se change en celui qui la prend. Ce qui n’empêche pas que l’être de la créature ne subsiste toujours, comme il a été expliqué ailleurs.

Sitôt que la transformation se commence, cela s’appelle anéantissement, parce qu’à mesure que l’on change de forme, on s’anéantit quant à la sienne propre pour prendre celle du sujet qui nous change en soi. Et ceci s’opère toute la vie, où l’âme est transformée de plus en plus en Dieu. Plus Dieu la change en Lui, plus elle participe à ses qualités divines ; et c’est ce que Dieu fait, la rendant en Lui immuable, insensible, etc. Mais aussi Il la rend féconde en Lui-même, et non hors de Lui.

3. Cette fécondité s’étend sur certaines âmes que Dieu lui donne et attache, et Il lui communique son amour, plein de charité. Car l’amour de ces âmes divinisées pour les personnes qui leur sont données, quoique éloigné des sentiments naturels, est infiniment plus fort que les amitiés des pères et des mères de pour leurs enfants ; et quoique cet amour paraisse empressé, il ne l’est point par rapport à celui qui l’éprouve, qui ne suit que le moment qu’on lui donne.

Pour comprendre ceci, il faut savoir que Dieu n’a point privé les sens et les puissances de leur vie pour les laisser dans cet état : leur privation serait une mort, et quoique que la vie fût dans le fond de l’âme, les puissances et les sens resteraient dans la mort si cette vie ne leur était pas communiquée. Cette vie croît peu à peu, et s’étend dans les puissances et dans les sens, les dilatant à mesure qu’elle se communique à eux, de sorte que ces puissances et ces sens, qui jusqu’alors avaient été stériles et inféconds, sont rendus actifs, mais d’une activité divine, selon que Dieu les anime et les dispose selon ses desseins, de sorte que les personnes qui sont dans l’état mourant ou dans la mort, ne doivent point regarder l’activité de ces âmes pour en juger : car elles ne seraient jamais mises en activité divine si elles n’avaient passé par la plus étrange mort. En tout le temps de la foi, l’âme reste sans mouvement pour chose quelconque ; mais après que Dieu a mis l’âme dans cette activité divine, son activité est d’une étendue très grande ; mais quoique cela soit tel, elle ne peut se donner du mouvement par elle-même.

§ II. Vie divine, communication divine et spirituelle1298.

4. Nous ne parlerons plus de degrés ici, n’y en ayant plus que celui de la gloire, tous moyens étant outrepassés : il n’y a plus qu’une plus longue étendue de vie, et une vie plus abondante1299. Car à mesure que Dieu transforme davantage l’âme en soi, sa vie lui est communiquée plus abondamment. L’amour de Dieu pour la créature est incompréhensible, et ses empressements inexplicables. Il y a des âmes qu’Il pousse sans relâche. Il les prévient. Il est assis à leur porte. Ses délices sont d’être avec ces âmes, de leur donner des marques de son amour. Il imprime ce même amour tout chaste et pur en toutes choses, et tout plein de tendresse. Saint Paul et saint Jean l’évangéliste sont ceux qui ont le plus participé à cet amour de tendresse maternelle. Il faut1300, pour avoir les qualités dont je parle, qu’elles soient données à l’âme dans l’état que je viens de décrire, sans quoi ce serait pur naturel.

5. L’oraison de l’état de foi est un silence absolu de toutes les puissances de l’âme, et une cessation d’opération, pour délicate qu’elle soit, surtout dans la fi, de sorte qu’alors l’âme n’apercevant plus d’oraison, ne pouvant plus prendre de temps réglé, parce qu’on la dépouille de cela, croit avoir absolument perdu toute sorte d’oraison. Mais lorsque la vie lui est rendue, l’oraison lui est rendue, même avec une merveilleuse facilité ; et à mesure que Dieu s’empare des puissances et des sens, son oraison est rendue douce, suave, très spirituelle, mais oraison en Dieu, qui la tire toujours plus d’elle : au lieu que la première l’enfonçait en elle pour jouir de Dieu, celles-ci la tire d’elle pour la perdre et changer toujours plus en Dieu.

Cette différence est très notable, et ne peut être faite que par l’expérience. Quoique l’âme dans l’état de mort soit en silence, c’est un silence stérile, accompagné d’une furieuse divagation, qui ne laisse aucune marque de silence qu’une impuissance de pouvoir parler de Dieu ni ce à Dieu de cœur ni de bouche. Mais après la résurrection, ce silence est fécond et accompagné d’une très pure et très délicate onction, qui, dans sa délicatesse, se répand délicieusement sur les sens, mais si purement que cela ne fait nul arrêt et ne contracte rien de leur grossièreté.

C’est alors qu’il est impossible à cette âme de se donner ce qu’elle n’a pas ni de s’ôter ce qu’elle a. On l’imprime de ce qu’on l’on veut : elle s’en laisse imprimer. Son état, quelque renversant qu’il pût être, serait toujours sans peine, si Dieu qui la meut vers certaines choses libres, donnait à ces choses la correspondance nécessaire. Mais comme leur état ne le porte pas, il faut qu’à force de souffrir pour eux, on leur communique ce que Dieu veut qu’ils aient.

6. Ce serait un abus à ces personnes de dire : « Mais je ne veux point de ces moyens : je ne veux que Dieu ». Dieu les leur ayant choisis pour les faire mourir à un je ne sais quoi qui se soutient, qui fait que l’on ne voudrait que Dieu1301, si on venait à se retirer de ces moyens, on se retirerait de l’ordre de Dieu et on s’arrêterait. Mais ces moyens n’étant donnés que comme des aides pour arriver à la fin, mais aides féconds, qui communiquent grâce et vertu, quoique secrète et cachée, ils se perdent dans la fin, où l’âme étant arrivée se trouve unie en Dieu avec ce moyen, qui ne lui sert plus1302, quoique il Lui soit très uni, Dieu se communiquant par Lui-même. Alors Dieu tire Lui-même ce moyen, à qui Il ne donne plus de mouvement vers la personne à laquelle on est attaché, parce qu’alors elle lui pourrait servir d’appui, ayant enfin connu son utilité1303. Alors on ne peut plus avoir ce que l’on avait, et on demeure dans sa première mort à leur égard, quoique avec une très étroite union.

7. C’est dans cet état de résurrection qu’est donné le silence ineffable, par lequel non seulement on subsiste en Dieu, mais on communique avec Lui, se faisant, dans cette âme ainsi morte à ces opérations et à sa propriété générale et foncière, un flux et reflux de communications toutes divines, sans qu’il y ait rien qui salisse cette communication, car rien ne la retient.

C’est alors qu’elle est rendue participante du commerce ineffable de la Trinité, où ce Père des esprits lui communique sa fécondité spirituelle et la fait participante de ce qu’Il est, l’ayant fait un même Esprit avec Lui1304. C’est là qu’elle se communique aux autres âmes lorsque elles sont assez pures pour Le recevoir en silence selon le degré où elles sont et l’état qu’elles portent. C’est là où les secrets ineffables sont découverts, non par lumière momentanée, mais en Dieu même, où ils demeurent tous, sans que cette âme les possède pour elle-même ni les ignore.

8. Quoique j’ai dit que l’âme a alors du distinct, ce distinct n’est point à son égard, mais à l’égard des personnes avec lesquelles elle s’explique1305, car les choses qu’elle dit et qui paraissent extraordinaires, se disent tout naturellement et sans y penser. Elles paraissent toutes extraordinaires à celui auquel on les dit, qui, les voyant arriver ou qui ne voyant pas même en lui ce qu’on lui dit, quoique cela y soit, regarde cela comme une chose distincte extraordinaire ou chimérique. Les âmes [qui sont] dans les dons, ont des lumières distinctes et momentanées en elles-mêmes ; mais celles-ci n’ont qu’une lumière sans lumière, générale, qui est Dieu même, où elles puisent tout ce qu’il faut, en distinction même par rapport à ceux auxquels on parle, sans qu’il reste quoi que ce soit de ce que l’on dit.

§ III. Simplicité, étendue, fonction de conducteur spirituel1306.

9. Il y aurait une infinité de choses à dire sur la vie intérieure et céleste de cette âme toute vivante en Dieu, que Dieu conserve très chèrement pour Lui, et qu’Il couvre d’abjection au-dehors, parce qu’Il est un Dieu jaloux. Mais il faudrait un volume, et je ne dois que vous obéir. Dieu est la vie et l’âme de cette âme, subsistante en Dieu sans interruption (comme le poisson dans la mer) dans un bonheur ineffable, quoique tout plein des souffrances que Dieu lui fait porter pour les autres.

10. Cette âme est si simple, surtout lorsque la transformation est fort avancée, qu’elle va toujours son train sans se soucier d’aucune créature ni d’elle-même. Elle n’a qu’une seule chose à faire, qui est de faire la volonté de Dieu. Mais comme elle a à faire à bien des créatures qui ne sont pas capables de cet état, les unes la font souffrir en voulant l’obliger de se soigner, précautionner, et le reste, ce qu’elle ne peut ; et les autres, par défaut de correspondance à ce que Dieu veut.

11. Les croix de ces âmes sont des plus fortes ; et Dieu les conserve sous les plus fortes humiliations et par un extérieur tout commun et tout faible, quoique elles soient ses délices. C’est là que Jésus-Christ est communiqué Lui-même dans tous ses états, et que l’âme est revêtue et de ses inclinations et de ses souffrances. Elle comprend ce que les hommes Lui ont coûté, ce que leur infidélité Lui a fait souffrir, ce que c’est que la Rédemption de Jésus-Christ, et comme Il a enfanté les prédestinés.

12. On connaît la transformation par l’indistinction qu’il y a entre Dieu et l’âme, qui ne peut plus se distinguer de Dieu, et à qui tout est également Dieu, étant passée1307 dans son être original, réunie à son tout, et changée en lui. Mais il me suffit d’avoir marqué en gros ce que vous souhaitiez savoir. L’expérience vous enseignera le reste et, vous faisant comprendre ce que je vous dois être, vous jugerez de ce que je vous suis en Notre Seigneur.

13. L’âme transformée en Dieu éprouve qu’à mesure que sa transformation se consomme et se perfectionne, elle a une qualité plus étendue. Tout est dilaté et étendu chez elle, Dieu la faisant participer à son infinité, de sorte qu’elle se trouve souvent immense ; et toute la terre ne lui paraît qu’un point au prix de cette largeur et étendue admirable. Tout ce qui est ordre et volonté de Dieu la dilate ; et ce que Dieu ne veut pas d’elle, l’étrécit, et ce rétrécissement l’empêche de passer outre. La volonté étant celle par qui la transformation est faite (car le centre n’est autre que toutes les puissances réunies dans la volonté), plus l’âme est transformée, plus la volonté est changée et passée dans celle de Dieu, plus Dieu veut Lui-même pour l’âme. L’âme agit et opère dans cette divine volonté, qui lui est donnée en la place de la sienne, d’une manière si naturelle que l’on ne peut distinguer si la volonté de l’âme est faite la volonté de Dieu, ou si la volonté de Dieu est faite la volonté de l’âme.

14. Dieu exige souvent d’étranges sacrifices de ces âmes ainsi transformées en Lui, mais cela ne leur coûte plus rien ; et il n’est rien qu’elles ne Lui sacrifient sans répugnance. Les moindres sacrifices sont ceux qui coûtent le plus, et les plus extrêmes coûtent le moins, parce que l’on ne les demande que lorsque on est en état de les accorder sans peine, à quoi on s’incline comme naturellement. Ceci est fondé sur ce qui est dit de Jésus-Christ venant au monde : Il est écrit à la tête du livre que je ferai votre volonté. J’ai dit : me voici, Seigneur, etc.1308 Sitôt que le même Jésus-Christ vient dans une âme pour en être le principe vivant, Il en dit la même chose ; et c’est Lui qui est le Prêtre éternel, qui fait dans l’âme sans interruption l’office de son sacerdoce éternel. Ceci est très relevé, et dure jusqu’à ce que la victime soit portée dans sa gloire.

15. Ce sont ces âmes que Dieu destine pour aider les autres dans des routes impénétrables, parce que n’ayant plus rien à ménager ou pour elles-mêmes, et n’ayant plus rien à perdre, Dieu s’en sert pour faire entrer les autres dans les voies de sa pure, nue et sûre volonté, ce que les personnes qui se possèdent elles-mêmes ne pourraient pas faire, parce que, n’étant pas en état pour elles-mêmes de suivre aveuglément la volonté de Dieu, qu’elles mélangent toujours de leur raisonnement et de leur fausse sagesse, elles ne sont nullement en état de ne rien ménager pour suivre aveuglément la volonté de Dieu sur les autres. Lorsque je dis de ne rien ménager, j’entends de1309 ce que Dieu veut dans le moment présent, car souvent Il ne permet pas que l’on dise à la personne tout ce qui l’arrête, et tout ce que l’on connaît qui lui doit arriver, si ce n’est en termes généraux, à cause qu’elle ne le pourrait porter. Et quoique l’on dise quelquefois des choses dures, comme Jésus-Christ en disait aux Capharnaïtes, Il donne cependant une force secrète pour le soutenir, du moins pour les âmes que Dieu choisit uniquement pour Lui, et c’est là la pierre de touche.




Antoine Briasson Lyon1688


LE CANTIQUE DES CANTIQUES DE SALOMON, INTERPRÉTÉ SELON LE SENS MYSTIQUE, ET LA VRAIE REPRÉSENTATION DES ÉTATS INTÉRIEURS.

[décrit au chapitre I pas à pas avec exactitude les débuts de la vie mystique comme annoncé par la seconde moitié du titre « … et la vraie représentation des états intérieurs ». Les chapitres II et III sont moins intéressants, bridés par le commentaire du Cantique rédigé de façon assez classique comme les trop amples Explications (que nous avons réduit à un choix couvrant le douzième de l’ensemble de notre édition alors qu’ils représentaient la moitié de celles du dix-huitième siècle). L’intérêt reprend à partir des chapitres VI et suivants.]

Chapitre I.

Qu’il me baise du baiser de sa bouche.


Le baiser que l’âme demande à son Dieu est l’union essentielle, ou la possession réelle, durable, et permanente de son divin objet. C’est le mariage spirituel. Pour faire comprendre ceci, il faut expliquer la différence qu’il [2] y a, entre l’union des puissances, et l’union essentielle. L’une et l’autre de ces unions, est, ou passagère, et seulement pour quelques moments : ou permanente, et durable. L’union des puissances est celle, par laquelle Dieu s’unit l’âme fort superficiellement : c’est plutôt la toucher, que l’unir. Elle est pourtant unie à la Trinité des Personnes, selon les différents effets, qui leur sont appropriés : mais toujours comme aux personnes distinctes, et par opération médiate ; l’opération servant ici de moyen, et de fin ; en ce que l’âme se repose dans cette union qu’elle éprouve, ne croyant pas qu’il faille aller plus avant. Cette union se fait par ordre, dans chacune des puissances de l’âme ; et elle s’aperçoit quelques fois dans une, ou deux d’entre'elles, selon le dessein de Dieu ; et d’autres fois, dans les trois ensemble. Cela fait l’application de l’âme à la Sainte Trinité, comme aux Personnes distinctes. Lors que l’union est dans le seul entendement, c’est l’union de pure connaissance, et elle est attribuée au Verbe, comme personne distincte. Lors que l’union est dans la mémoire, ce qui se fait par un absorbement de l’âme en Dieu, et un profond [3] oubli des créatures ; elle est attribuée au Père, comme personne distincte. Et lors qu’elle se fait sentir dans la seule volonté, par une amoureuse jouissance, sans vue ni connaissance distincte ; c’est l’union d’amour, attribuée au saint Esprit, comme personne distincte ; et celle-ci est la plus parfaite de toutes, parce qu’elle approche plus que nulle autre de l’union essentielle ; et que c’est principalement par elle que l’âme y arrive. Toutes ces unions sont des embrassements divins ; mais ce n’est point encore le baiser de la bouche.

Il est de deux fortes de ces unions : l’une passagère, qui ne dure que très peu : et l’autre permanente, qui se soutient par une présence de Dieu continuelle, et par un amour doux, et tranquille, qui subsiste parmi toutes choses. Voilà en peu de mots, ce que c’est que l’union des puissances, qui est une union de fiançailles, et qui a bien l’affection du ceur, les caresses, et les presens reciproques, comme les fiancés ; mais qui n’a point la parfaite jouissance de l’objet.

L’union essentielle, et le baiser de la bouche, est le mariage spirituel ; où il y a [4] union d’essence à essence, et communication de substances : où Dieu prend l’âme pour son Épouse, et se l’unit : non plus personnellement, ni par quelque acte, ou moyen ; mais immédiatement, réduisant tout en unité, et la possédante dans son unité même. Alors c’est le baiser de la bouche, et la possession réelle, et parfaite. C’est une jouissance, qui n’est point stérile ni infructueuse ; puis qu’elle ne s’étend à rien moins qu’à la communication du verbe de Dieu à l’âme.

Il faut savoir que Dieu est tout bouche, comme il est tout parole ; et que l’application de cette bouche divine sur l’âme, est la jouissance parfaite, et la consommation du mariage ; par laquelle la communication de Dieu même et de son verbe se fait à cette âme. C’est ce que l’on peut appeler l’état Apostolique, par lequel l’âme est, non seulement épouse, mais aussi féconde, car Dieu comme bouche, est uni quelque temps à cette âme, avant que de la rendre féconde de fa propre fécondité.

Il y a des personnes qui disent, que cette union ne se peut faire, que dans l’autre vie : mais je tiens pour certain, qu’elle [7] se peut faire en celle-ci ; avec cette différence, qu’en cette vie l’on possède sans voir, et dans l’autre, l’on voit ce que l’on possède. Or je dis que quoique la vue de Dieu, soit un avantage de la gloire, lequel est nécessaire pour sa consommation ; elle n’est pas néanmoins l’essentielle béatitude : puis que l’on est heureux dès que l’on possède le bien souverain : et que l’on peut en jouir, et le posséder sans le voir. L’on en jouit ici dans la nuit de la foi, où l’on a le bonheur de la jouissance sans avoir le plaisir de la vue : au lieu que dans l’autre vie, l’on aura la claire vision de Dieu avec le bonheur de le posséder. Mais cet aveuglement n’empêche ni la vraie possession, ni la très réelle jouissance de l’objet, ni la consommation du mariage divin, non plus que la communication réelle du Verbe à l’âme. Ceci est très réel, et sera avoué de toutes les personnes d’expérience.

L’on peut encore ici résoudre la difficulté de quelques personnes spirituelles, qui ne veulent pas que l’âme étant arrivée en Dieu (ce qui est l’état d’union essentielle) parle de Iesus-Christ, et de ses états intérieurs : disant que pour une telle âme cet état est passé. Je conviens avec [6] eux que l’union à Jésus Christ, a précédé très longtemps l’union essentielle ; puis que l’union à J. C. comme divine personne s’éprouve dans l’union des puissances, et que l’union à J. C. homme Dieu, est la première de toutes, et qu’elle se fait des le commencement de la vie illuminative : mais pour ce qui regarde la communication du Verbe à l’âme, je dis qu’il faut que cette âme soit arrivée en Dieu seul, et qu’elle y soit établie par l’union essentielle, et par le mariage spirituel, avant que cette divine communication lui soit faite, comme les fruits, et les productions du mariage, ne se font qu’après qu’il a été consumé.

Ceci est plus réel, que l’on ne peut dire ; et comme Dieu poffede ici toute l’âme sans interruption, c’est ce qui fait la différence de l’union à Dieu même, d’avec les autres unions : en ce que dans les unions avec les êtres créés, l’objet ne se peut posséder, que pour des moments ; à cause que les créatures sont hors de nous, mais la jouissance de Dieu est permanente, et durable ; parce qu’elle est au dedans de nous-mêmes ; et que Dieu étant notre dernière fin, l’âme peut sans cesse s’écouler dans lui, comme dans son [7] terme, et son centre, et y être mêlée, et transformée, sans en ressortir jamais : ainsi qu’un fleuve qui est une eau sortie de la mer, et très distinct de la mer, se trouvant hors de son origine, tâche par diverses agitations de se rapprocher de la mer ; jusqu’à ce qu’y étant enfin retombé il se perde et se mélange avec elle, ainsi qu’il y était perdu, et mêlé, avant que d’en sortir ; et il ne peut plus en être distingué.

Il faut encore observer que Dieu nous a donné, en nous créant, une participation de son être, propre à être réunie à lui ; et en même temps une tendance à cette réunion. Il a donné quelque chose de semblable au corps humain à l’égard de l’homme, dans l’état d’innocence ; le tirant de l’homme même ; afin de lui donner cette pente à l’union, comme à son origine : mais cela étant entre des corps fort matériels, cette union ne peut être que matérielle, et fort bornée ; puis qu’elle se fait entre des corps solides, et impénétrables. Pour mieux comprendre ceci, on peut se servir de la comparaison d’un métal, que l’on veut joindre à un autre de différente espèce : mais quoi [8] qu’on les fasse fondre pour les unir ensemble, ils ne peuvent être parfaitement alliés ; à cause qu’ils sont d’une nature dissemblable. Cela réussit mieux dans le mélange d’un métal avec un autre de même nature. Ou bien c’est comme une eau versée dans une autre eau, qui peut être tellement mêlée avec elle, qu’on n’y peut plus remarquer aucune distinction. Ainsi l’âme étant d’une nature toute spirituelle, elle est très-propre à être unie, mêlée, et transformée en son Dieu.

L’on peut être uni sans être mélangé. C’est l’union des puissances : mais le mélange est l’union essentielle, et cette union est toute entiere se faisant du tour dans le tout. Il n’y a que Dieu, à qui l’âme puisse être unie de cette manière ; parce qu’elle a été créée d’une nature à pouvoir être

mélangée avec son Dieu : et c’est ce mélange que S Paul appelle transformation. Et Iesus-Christ, unité, mêmeté, et consommation. Or cela se fait lors que l’âme perd sa propre consistance, pour ne subsister qu’en Dieu : ce qui se doit entendre mystiquement, par la perte de toute propriété, et par un recoulement amoureux, et parfait, de l’âme en Dieu : [9] et non pas selon le dépouillement reel de la subsistance intime, lequel est nécessaire pour l’union hypostatique. Mais c’est comme une goûte d’eau qui perd sa consistance sensible : lors qu’elle est mise dans une cuve de vin, où elle est changée sensiblement en vin ; quoi que son être, et fa matière en soient toujours distincts : et qu’un Ange pût, si Dieu le voulait, en faire la division : De même cette âme peut être toujours séparée de son Dieu, quoique la chose soit très-difficile.

C’est donc cette haute, et intime union, que l’Épouse demande à son Époux, avec tant d’instance. Elle la lui demande comme parlant à une autre personne : c’est une saillie impétueuse de son amour, qui sans regarder à qui il parle, donne essor à sa passion. Qu’il me baise, dit-elle, puis qu’il le peut faire, mais du baiser de sa bouche : toute autre union ne me peut point contenter : celle-là seule peut satisfaire tous mes désirs, et c’est celle que je demande.

§

[10] Car vos mamelles sont meilleures que le vin : et plus odoriférantes que d'excellents parfums.

LES mamelles, ô Dieu, dont vous nourrissez les âmes commençantes, sont si douces, et si agréable, qu’elles rendent vos enfants, et même vos enfants qui ont encore besoin de mamelle, plus forts que les hommes les plus robustes, qui boivent le vin. Elles sont si odoriférantes, qu’elles attirent, par leur charmante odeur, les âmes, qui ont le bonheur de les sentir : elles sont aussi comme un baume précieux, qui guérit routes les plaies intérieures. Si cela est déjà de la sorte dans ces premières approches, combien de délices y aura-t-il au baiser nuptial, au baiser de la bouche ?

Il est proposé au commencement de ce Cantique, ce qui en doit être la fin ; et comme la récompense, et la consommation parfaite de l’Épouse : parce qu’il est naturel, que la vue, et le désir de la fin, précède le choix des moyens. Ensuite les moyens d’y arriver sont décrits par ordre [11] en commençant par l’enfance spirituelle. C’est la vue de cette même fin, qui a porté l’Épouse à demander d’abord le baiser de la bouche : quoique ce soit la dernière chose qui lui doive être accordée, et qu’elle ne recevra, qu’après qu’elle l’aura achetée au prix de quantité d’épreuves, et de travaux.

Votre nom est comme une huile répandue, c’est pourquoi les jeunes filles vous ont aimé.

LA grâce sensible, qui est ici exprimée par le nom de l’Époux, pénètre si fort toute l’âme par la douceur, dont Dieu prévient les cœurs, qu’il veut engager à son amour ; qu’elle est véritablement comme un baume répandu, qui s’étend et s’accroît insensiblement, à mesure qu’il se répand davantage : et avec une odeur si excellente, que l’âme commençante se trouve toute pénétrée de sa force, et de sa suavité. Cela se fait sans violence, et avec tant de plaisir, que l’âme qui est encore jeune, et faible se laisse prendre à ses charmes innocents. C’est de [12] cette sorte que Dieu se fait aimer de jeunes cœurs, qui ne savent encore aimer qu’à cause de la douceur qu’ils goûtent en aimant. C’est un écoulement de cette huile de joie, dont Dieu le père a oint son fils, plus que tous ceux qui participeront à sa gloire.

Tirez-moi : nous courrons après vous, à l’odeur de vos parfums.

Cette jeune Amante prie l’Époux de la tirer par le centre de son âme, comme si elle n’était point satisfaire de la douceur de ce baume répandu dans ses puissances : car elle pénètre déjà par la grâce de son Époux, qui l’attire toujours plus fortement, qu’il y a une jouissance de lui-même, et plus noble, et plus intime, que ce qu’elle goûte à présent. C’est ce qui la porte à faire cette demande à fon Époux. Tirez-moi, dit-elle, dans le plus intime de mon fond : afin que mes puissances, et mes sens courent aussi-bien à vous, par cette voie plus profonde, quoique moins sensible. Tirez-moi, dis-je, ô mon divin Amant ! et nous courrons à [13] vous par le recueillement, qui nous fait sentir cette force divine, par laquelle vous nous attirez à vous même. En courant, nous suivrons une certaine odeur, que votre attrait fait sentir, laquelle est l’odeur du baume, que vous avez déjà répandu, pour guérir le mal que le péché avait causé dans les puissances, et pour purifier les sens de la corruption, qu’il y avait glissé. Nous outrepasserons même cette odeur pour aller jusqu’à vous, comme au centre de notre bonheur. Cet excellent parfum opère l’Oraison de recueillement : parce que les sens aussi bien que les puissances courent à son odeur, qui leur fait goûter avec ravissement, combien le Seigneur est doux.

Le Roy m’a fait entrer dans ses celliers : nous nous réjouirons, et tressaillirons d’allégresse en vous : nous souvenant de vos mamelles, qui sont meilleures que le vin. Ceux qui sont droits vous aiment.

I « Amante n’a pas plutôt témoigné à son Dieu, le désir qu’elle a d’outrepasser [14] toutes choses, pour courir à lui seul ; que pour la récompenser de cet amour déjà plus épuré, il la fait entrer dans ses divins celliers. C’est une grâce bien plus grande, que celles qu’il lui avait accordées jusqu’alors : parce que c’est une union passagère dans les puissances. Quand le ur de l’homme est assez fidèle pour vouloir outrepasser tous les dons de Dieu, afin de ne s’arrêter qu’à Dieu même ; Dieu prend plaisir de le combler de ces mêmes dons, qu’il ne recherche pas : de même qu’il les enlève avec indignation, à ceux qui les préfèrent à la recherche de lui seul. Ce fut cette connaissance, qui obligea le Roy Prophete, d’inviter tous les hommes à chercher sans cesse le Seigneur ; à chercher sur tout son visage : comme s’il voulait dire : sans vous arrêter aux grâces ni aux dons de Dieu, qui sont comme des rayons sortants de son visage ; mais qui cependant ne sont point lui-même : montez jusqu’à son Trône, et là cherchez-le, cherchez sans cesse son visage ; jusqu’à ce que vous ayez été assez heureux de le trouver. Ce sera alors, dit l’Épouse, toute transportée de joie, pour le secret ineffable qui lui est manifesté ; [15] qu’étant en vous, ô mon Dieu, nous serons remplis de joie : nous en tressaillirons même d’allégresse, en nous souvenant de vos mamelles, qui sont meilleures que le vin ; c’est à dire que le souvenir de la préférence, que l’Épouse a faite de son Époux, à tout le reste, fera le comble de son bonheur, et de son plaisir. Elle avait déjà préféré la douceur de son lait, au vin des plaisirs du siècle : c’est pourquoi elle dit : En nous souvenant, que vos mamelles font meilleures que le vin. Ici elle préfère son Dieu à ses consolations spirituelles, et aux douceurs de la grâce qu’elle éprouvait en suçant le lait de ses mamelles. Elle ajoute : Ceux qui font droits vous aiment. Pour marquer que la véritable droiture, qui porte l’âme à outrepasser tous les plaisirs de la terre, et toutes les douceurs du Ciel, pour se perdre en son Dieu ; est-ce qui fait le pur, et parfait amour. Ô véritablement, mon Dieu, il n’y a que ceux qui sont droits de cette sorte, qui vous aiment comme il faut vous aimer. [16]

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Ô filles de lerusalem ! Je suis noire ; mais belle, comme les tentes de Cedar, comme les pavillons de Salomon.

Comme les plus grandes grâces de Dieu tendent toujours à la connaissance plus profonde, de ce que nous sommes ; et qu’elles ne seraient pas de lui, fi elles ne donnaient, selon leur degré, une certaine expérience de la misère de la créature : cette âme ne sort qu’à peine des celliers de son Époux, qu’elle se trouve noire. Quelle est votre noirceur, ô incomparable Amante ? Dites-le-nous : nous vous en conjurons. Je suis noire, dit-elle, parce que j’aperçois à la faveur de mon divin Soleil, quantité de défauts, que j’avais ignorés jusques à présent : je suis noire, parce que je ne suis point purifiée de ma propriété. Mais cependant je ne laisse pas d’être belle, et belle comme les tentes de Cedar : parce que cette connaissance expérimentale de ce que je suis, plaît extrêmement à mon Époux, et l’engage à venir en moi, comme dans un lieu de repos : Je suis belle, parce que n’ayant [17] point de tache volontaire, mon Époux me rend belle de sa beauté. Plus je suis noire à mes yeux, plus je suis belle en lui. Je suis encore belle, comme les pavillons de Salomon. Les pavillons du divin Salomon sont la sainte Humanité, qui couvre au dedans d’elle le Verbe de Dieu fait chair. Je suis belle, dit-elle, comme ses pavillons ; parce qu’il m’a fait participante de la beauté, en ce que comme l’Humanité sainte couvre la Divinité ; aussi ma noirceur apparente cache la grandeur des opérations de Dieu dans mon âme. Je suis encore noire par les croix et les persécutions, qui me viennent du dehors. Mais je suis belle comme les pavillons de Salomon, puis que ces croix, et cette noirceur me rendent semblables à lui. Je suis noire, parce qu’il paraît des foibleffes dans mon extérieur ; mais je suis belle, parce que je suis au-dedans exempte de malice.



Ne regardez pas que je suis brune ; parce que c’est le soleil qui m’a décolorée. Les enfants de ma mère ont combattu contre moi : ils m’ont établie pour garder les vignes. Je n’ai pas gardé ma vigne.

Pourquoi l’Épouse demande-t-elle que l’on ne la regarde pas dans la noirceur ? C’est que l’âme commençant à entrer dans l’état de la foi, et du dépouillement des grâces sensibles ; elle perd peu à peu cette douce vigueur, qui lui faisait pratiquer le bien avec facilité, et qui la rendait au-dehors toute belle. Et ne pouvant plus s’acquitter de ses premières pratiques, parce que Dieu veut autre chose d’elle ; il semble qu’elle soit retombée dans son état naturel. Cela paraît de cette sorte à ceux qui ne sont pas éclairés. C’est pourquoi elle dit : Je vous conjure vous autres mes compagnes, qui n’êtes pas encore arrivées si avant dans l’intérieur, vous qui n’êtes que dans les premiers [19] pas de la vie spirituelle ; ne jugez pas de moi par la couleur brune que je porte au-dehors ; ni par tous mes défauts extérieurs, soit réels, ou apparents ; car cela ne vient pas comme aux âmes commençantes, faute d’amour et de courage : mais c’est que mon divin Soleil, par ses regards continuels, ardents, et brûlants, m’a décolorée. Il m’a ôté ma couleur naturelle, pour ne me laisser que celle que son ardeur me veut donner. C’est la force de l’amour qui me sèche la peau, et la brunit ; et non pas l’éloignement de l’amour. Cette noirceur est un avancement, et non pas un défaut : mais un avancement, que vous ne devez pas considérer, vous qui êtes encore jeunes, et trop tendres pour l’imiter ; parce que la noirceur, que vous vous donneriez, serait un défaut : elle ne doit venir, pour être bonne, que du Soleil de Justice, qui pour sa gloire, et pour le plus grand bien de l’âme, mange, et dévore cette couleur éclatante du dehors, laquelle l’aveuglait elle-même ; quoiqu’elle la rendit admirable aux autres, au préjudice de la gloire de l’Époux. [20]

Mes frères me voyant noire de la forte, m’ont voulu obliger à reprendre la vie active, et à garder les dehors, sans m’appliquer à faire mourir les passions du dedans : j’ai longtemps combattu avec eux ; mais enfin ne pouvant leur résister, j’ai fait ce qu’ils ont voulu : et en m’appliquant au dehors, à des choses qui me font étrangères, je n’ai pas gardé ma vigne, qui est mon fond, où mon Dieu habite. C’est là ma seule affaire, et la seule vigne que je dois garder : et lors que je n’ai pas gardé la mienne ; lors que je ne me suis pas rendue attentive à mon Dieu, j’ai encore moins gardé les autres. C’est le tourment que l’on fait d’ordinaire aux âmes, lorsque l’on voit que la grande occupation du dedans fait négliger en quelque chose les dehors ; et qu’à cause de cela, l’âme toute renfermée au-dedans ne peut plus s’appliquer à certains petits défauts, que l’Époux corrigera en un autre temps. [21]

Apprenez-moi, O vous, que mon âme aime où vous paissez votre troupeau, où vous paissez votre troupeau, où vous vous reposez durant le midi ; de peur que je ne commence à errer, après les troupeaux de vos compagnons.

Ô vous, que mon âme aime, dit cette pauvre Amante, que l’on oblige de sortir de la douce occupation du dedans pour s’appliquer au-dehors à des choses fort basses ; O vous que j’aime d’autant plus, que plus je me vois contrariée dans mon amour ! hélas montrez-moi où vous paissez votre troupeau, et de quelle nourriture vous rassasiez les âmes, qui sont assez heureuses d’être sous votre conduite ! Nous savons, que pendant que vous avez été sur la terre, votre viande était de faire la volonté de votre Père ; et maintenant votre nourriture est, que vos amis fassent votre volonté. Vous paissez encore vos Amantes de vous-même, leur découvrant vos perfections [22] infinies ; afin qu’elles vous aiment plus ardemment : et plus vous vous manifestez à elles, plus elles demandent de vous connaître ; afin qu’elles vous puissent toujours plus aimer.

Apprenez-moi aussi, ajoute l’Amante, où vous vous reposez durant le midi ! elle entend sous cette figure l’ardeur de la pure charité, désirant apprendre de celui qui en est l’auteur et le maître, en quoi elle consiste ; de peur que donnant par malheur dans quelque conduite humaine, quoique couverte du manteau de spiritualité, elle ne prenne le change ; et ne satisfasse l’amour propre, lors même qu’elle penserait n’avoir en vue que le pur amour, et la seule gloire de Dieu. Elle craint avec raison une méprise de si grande conséquence, qui n’est que trop fréquente parmi les troupeaux de l’Église, c’est ce qui arrive lors qu’ils sont conduits par des Directeurs, que Jésus-Christ a véritablement rendu ses compagnons, se les associant pour le gouvernement des âmes : mais qui n’étant pas morts à eux-mêmes, ni crucifiés au monde avec Jésus-Christ, n’apprennent pas à [23] leurs dirigés, à se renoncer, et crucifier, et mourir en toutes choses ; afin de ne vivre qu’en Dieu seul, et que Jésus-Christ vive en eux. D’où il arrive que les uns, et les autres étant dans une vie fort naturelle, et immortifiée, leur conduite est aussi fort humaine, et par conséquent sujette à errer çà et là, et changer souvent de pratiques, et de guides ; sans s’arrêter à rien de solide. Et parce que cet égarement vient de ce que l’on ne consulte pas assez les maximes, et les exemples de Jésus-Christ, et que l’on ne s’adresse pas assez à lui par la prière pour obtenir ce que lui seul peut nous accorder : cette Amante déjà bien instruite lui demande avec beaucoup d’instances, l’intelligence de la parole, dont il nourrit les âmes ; et la fidélité à suivre ses exemples ; sachant que cela seul soutenu par la grâce peut l’empêcher de s’égarer. On s’arrête trop aux moyens créés, quoique pieux : Dieu seul peut nous apprendre à faire sa volonté : parce que lui seul est notre Dieu. Elle demande aussi au verbe, qu’il la conduise à son Père puisqu’il est la voie qui I'y doit conduire, Le sein de son Père [24] étant le lieu où il se repose dans le midi de sa gloire, et dans le plein jour de l’éternité : elle souhaite de se perdre en Dieu avec Jésus son fils, d’y être cachée, et d’y reposer pour toujours. Et quoiqu’elle ne le dise pas si clairement, elle le donne assez à connaître ; par ce qu’elle dit ensuite : Afin que je ne sois plus errante ça et , comme je l’ai été, je serai là en toute assurance, je ne me pourrai plus tromper, et ce qui est encore plus, je ne pourrai plus pécher.

Si vous vous méconnaissez, ô la plus belle des femmes, sortez et marchez sur les traces des troupeaux, et passez vos jeunes boucs auprès des tentes des Pasteurs.

L’Époux répond à son Amante, et pour la disposer aux grâces qu’il lui veut faire aussi bien que pour lui apprendre à bien user de celles qu’elle a reçues ; il lui donne une excellente instruction : Si vous ne vous connaissez pas, lui dit-il, sortez. [25] Il veut dire qu’elle ne saurait connaître le divin objet de son amour, quoiqu’elle le désire si passionnément ; qu’elle ne se connaisse aussi soi-même : puis que le néant de la créature aide à connaître le Tout de Dieu. Mais parce que c’est dans ce Tout de Dieu, que se puise la lumière nécessaire, pour découvrir l’abîme du néant de la créature ; il lui ordonne de sortir : et d’où ? d’elle-même : Comment ? Par le renoncement, et par la fidélité à se poursuivre en toutes choses, sans se permettre aucune satisfaction naturelle, et sans prendre vie, ni en soi ni en rien de créé. Et pour aller où ? Afin d’entrer en Dieu, par un parfait abandon d’elle-même ; où découvrant qu’il est tout en toutes choses ; elle voit conséquemment son néant, et celui de toutes les créatures. Or le néant ne mérite aucune estime, puisqu’il n’a aucun bien : Il ne mérite non plus aucun amour ; puisqu’il n’est rien : Il n’est digne au contraire que de mépris, et de haine, à cause de la propre estime, et de l’amour de nous-mêmes, entièrement opposé à Dieu, que le péché y a glissé. Il faut [26] donc que la créature qui aspire à l’union divine, étant bien persuadée du Tout de Dieu et de son néant, sorte d’elle-même, n’ayant que du mépris, et de la haine pour soi ; afin de garder toute son estime, et son amour pour Dieu : et par là même elle sera admise à son union. Cette sortie de soi-même, par le renoncement continuel de tout propre intérêt, est l’exercice intérieur, que l’Amant céleste conseille aux âmes, qui soupirent après le baiser de la bouche : comme il le donne à entendre à son Amante par ce seul mot, sortez, qui lui suffit pour régler son intérieur.

Mais quant à l’extérieur, il veut qu’elle ne néglige rien de tout ce qui est de son devoir, dans l’état où il l’a mise. Ce qui comprend infiniment plus que tout le détail que l’on en pourrait faire. Il veut de plus que comme elle doit suivre en toute liberté l’attrait du saint Esprit, pour tout ce qui est de son intérieur : elle se conforme aussi aux usages de l’Église, et aux ordres des Supérieurs, en tout ce qui regarde son extérieur : ce qui est bien désigné, par marcher sur les traces des [27] troupeaux, c’est-à-dire dans un train commun, pour l’extérieur : et c’est aussi paître les boucs, qui signifient les sens près les tentes des Pasteurs.

Vs. 8. Ma bien-aimée, je vous ai fait semblable à ma cavalerie, avec les chariots de Pharaon.

L’Époux connaissant que les louanges qu’il donne à son Amante, l’anéantissent toujours plus ; loin de la rendre plus vaine ; lui en donne de magnifiques, afin d’augmenter son amour. Il lui dit : Je vous aie fait semblable, ma bien-aimée, à ma Cavalerie. C’est-à-dire que je veux de vous, une course, en moi si forte, et si rapide ; que pour cela je vous ai fait semblable vous seule, à une grande quantité d’âmes, qui courent à moi, avec une extrême vitesse. Je vous ai fait ressembler à mes Anges, et je veux que vous ayez le même avantage qu’eux, qui est de1310 contempler toujours ma face. Cependant afin de cacher de si grandes choses, durant que vous vivez sur la terre ; je [28] vous ai fait par dehors semblable aux chariots de Pharaon. Ceux qui vous voient courir avec tant de vitesse, et comme sans ordre, croient, que vous courez après les plaisirs, les vanités, et les multiplicités de l’Égypte : ou bien que vous vous recherchez vous-même dans vos grands empressements : mais vous courez à moi, et votre course se terminera en moi seul, sans que rien vous puisse empêcher d’y arriver, à cause de la force et de la fidélité dont je vous ai prévenue.

Vs. 9. Vos joues font belles, comme celle d’une tourterelle : votre cou ressemble à des perles.

Ces joues signifient l’intérieur, et l’extérieur : elles sont belles comme celles de la tourterelle. La tourterelle a cela de propre que lors que l’une des deux périt, celle qui survit demeure seule le reste de ses jours, sans s’allier à une autre. De même l’âme qui se trouve éloignée de son Dieu ne peut prendre de plaisir en aucune créature, ni au-dehors ni au [29] dedans ; dans son intérieur elle se trouve réduite à une solitude d’autant plus étrange, que ne trouvant pas son Époux, elle ne peut s’appliquer à quoi que ce soit. Dans l’extérieur tout est mort pour elle : c’est cette séparation de tout le créé, et de tout ce qui n’est point Dieu, qui fait la beauté de cette âme aux yeux de l’Époux : son cou représente sa charité pure, qui est le plus grand soutien qui lui reste. Mais quoi qu’elle paroisse alors dans la dernière nudité, elle est cependant enrichie de la pratique de quantité de vertus, qui comme un filet de perles de grand prix, lui servent d’ornement : mais sans cet ornement, la seule charité la rendrait parfaitement belle ; ainsi que le cou de l’Épouse, quoique sans perles, ne laisse pas d’être très beau.

Vs. 10. Nous vous ferons des colliers d’or, marquetés d’argent.

Quoique vous soyez déjà très belle, dans votre dénuement, qui marque un cœur pur, et une charité non [30] feinte ; nous vous donnerons encore de quoi rehausser l’éclat de votre beauté, en y ajoutant de précieux ornements. Ces ornements seront des colliers, en signe de votre parfaite soumission à toutes les volontés du Roi de gloire : mais ils seront d’or ; pour représenter, que n’agissant que par un amour très épuré, vous n’avez que la simple et pure vue du bon plaisir, et de la gloire de Dieu dans tout ce que vous faites, ou souffrez pour lui. Ils seront néanmoins marquetés d’argent, parce que quelque simple et pure que soit la charité en elle-même, elle doit se produire, et signaler au-dehors, par la pratique des bonnes œuvres, et des plus excellentes vertus. Il faut remarquer que le divin Maître en bien d’endroits, prend un soin particulier d’instruire sa chère disciple de la pureté souveraine de l’amour qu’il demande dans ses Épouses, et de sa fidélité à ne rien négliger, de tout ce qui regarde le service du bien aimé, ou l’assistance du prochain. [31]

VS.11. Lorsque le Roi était assis sur son lit, mon nard a répandu son odeur.

L’Amante n’est pas encore si dénuée, qu’elle ne reçoive de temps en temps quelques visites de son Bien-aimé. Mais que dis-je, une visite ? c’est plutôt une manifestation qu’il lui fait de lui-même, une expérience de la présence foncière, et centrale. L’Époux sacré est toujours dans le centre de l’âme, qui lui est fidèle ; mais souvent il y demeure si caché, que celle qui possède ce bonheur l’ignore presque toujours : excepté certains moments où il lui plaît de se faire sentir à l’âme amoureuse, qui pour lors le découvre en soi d’une manière intime et profonde. Il en use à présent de la sorte envers la plus pure de ses Amantes, ainsi que le témoigne ce qu’elle va dire. Lors que mon Roi, celui qui me gouverne, et me conduit en Souverain, était en son lit, qui est le fond, et le centre de mon âme, où il prend son repos : mon nard, qui est ma fidélité, a répandu son odeur, d’une manière si douce [32] et si agréable ; qu’il l’a obligé de se faire connaître à moi : alors j’ai reconnu qu’il se reposait en moi, comme dans son lit royal, ce que j’avais ignoré auparavant, car quoiqu’il y fût je ne l’y apercevais pas.

Vs. 8,12. Mon Bien-aimé est pour moi un bouquet de myrrhe : il demeurera entre mes mamelles.

Lorsque l’Épouse, ou plutôt l’Amante (car elle n’est pas encore Épouse) a trouvé l’Époux ; elle est si transportée de joie, qu’elle voudrait d’abord s’unir à lui. Mais l’union de jouissance continuelle n’est pas encore arrivée. Il est à moi, dit-elle, je ne peux douter qu’il ne se donne à moi dans ce moment ; puis que je le sens : mais il est à moi comme un bouquet de Mirre. Il ne l’est pas encore comme un Époux, que je doive embrasser, dans son lit nuptial ; mais seulement comme un bouquet de croix, de peines, et de mortifications : Comme1311 un Époux de sang, et un Amant crucifié, qui veut [33] éprouver ma fidélité, en me donnant une bonne part à ses souffrances ; car c’est alors ce qu’il donne à l’âme. Pour marquer néanmoins l’avancement de cette âme, déjà héroïque, elle ne dit pas mon Bien-aimé me donnera le bouquet de la Croix ; mais il sera lui-même ce bouquet, car toutes mes Croix seront celles de mon Bien-aimé : le bouquet sera entre mes mamelles, pour marque qu’il me doit être un Époux d’amertumes, aussi bien pour le dehors que pour le dedans. Les Croix extérieures sont peu de choses, quand elles ne sont pas accompagnées des intérieures : et les intérieures sont rendues beaucoup plus douloureuses par l’union des extérieures. Mais quoique l’âme n’aperçoive que la croix de toutes parts, c’est pourtant son Bien-aimé, qui est lui-même cette croix, et il ne lui fut jamais plus présent, que dans ces amertumes, pendant lesquelles, il demeure au milieu de son cœur.

Vs.13. Mon bien-aimé m’est comme une grappe de cypre, aux vignes d’Engaddi.

Mon Bien-aimé, continue cette Amante, m’est comme une grappe de cypre ; elle ne s’explique qu’à demi. C’est comme si elle disait : Il n’est que proche de moi ; car je n’ai pas l’avantage de l’union intime, par laquelle il doit être tout en moi, et moi tout en lui : Il est néanmoins auprès de moi, mais il y est comme une grappe de cipre (c’est un arbrisseau qui produit un baume très odoriférant) puisque c’est lui qui donne la bonne odeur, et tout le prix, à ce qui se fait par ses Amantes. Cette grappe de cipre croît aux vignes d’Engaddi, qui sont très belles, et dont le raisin est excellent. L’Amante compare son Bien-aimé à la bonne odeur, et à la rare vertu du baume, à l’agrément, et à la force du vin, pour exprimer sous ces figures, que qui par le goût intérieur de Dieu, a appris à se plaire en lui, ne peut plus trouver de plaisir, [35] en aucune autre chose : Et que l’on ne cherche pas plutôt quelques autres délices, que l’on perd les divines.

Vs. 14. Que vous êtes belle, ma bien-aimée Que vous êtes belle ! vos yeux ressemblent à ceux des colombes.

Le Bien-aimé voyant la docilité de son Amante à se laisser crucifier, et instruire par lui, est charmé de l’éclat des beautés, qu’il a mises en elle. C’est pourquoi il la caresse, et la loue, l’appelant belle, et sa Bien-aimée. Que vous êtes belle, lui dit-il, ma Bien-aimée, que vous êtes belle ! Ô douce parole : Il lui parle d’une double beauté ; l’une intérieure, et l’autre extérieure : mais il veut qu’elle le sache, comme voulant dire : Voilà que votre beauté est déjà formée dans le fond, quoique non encore perfectionnée : sachez aussi que dans peu vous serez parfaitement belle au dehors, lorsque je vous aurai consommée, et tirée de vos faiblesses. Cette louange est accompagnée de la [36] promesse d’une beauté plus achevée, dont l’espérance doit donner à cette âme beaucoup de courage et la tenir aussi dans l’humilité, par la connaissance de ce qui lui manque. Mais pourquoi lui dit-il qu’elle sera dans peu, belle de cette double beauté ? C’est que ses yeux, et ses regards font déjà comme ceux des colombes ; en ce qu’elle est simple au-dedans, ne se détournant point de la vue de son Dieu ; et au-dehors, dans toutes ses paroles, et actions, qui sont sans déguisement. Cette simplicité colombine est la plus sure marque de l’avancement d’une âme ; car n’usant plus de détours ni d’artifices elle est conduite par l’Esprit de Dieu. L’Épouse conçut dès le commencement la nécessité de la simplicité, et la perfection de la droiture, lors qu’elle dit : Ceux qui sont droits vous aiment,) mettant la perfection de l’amour dans la simplicité et la droiture de ce même amour. [37]

Vs.15. Que vous êtes beau, mon Bien-aimé, que vous êtes agréable ! Notre lit est orné de fleurs.

corus. Lectulus no.

Lâme amante voyant que son Époux l’a louée d’une double beauté, et ne voulant rien s’en attribuer, lui dit aussi : Que vous êtes beau, mon Bien-aimé ; et que vous êtes agréable ! Elle lui rend toutes les louanges qu’elle reçoit de lui, et elle lui en donne de très grandes à son tour. Nul bien n’étant à nous, nulle louange, nulle gloire, nul plaisir ne se doit arrêter en nous : Tout se doit renvoyer à celui qui est l’auteur, et le centre de tous biens. L’Épouse dans tout ce discours nous enseigne cette importante pratique, glorifiant par tout le Seigneur, de tout ce qu’il a mis en elle. Si je suis belle, lui dit-elle, c’est de votre beauté même ; c’est vous qui êtes beau en moi de cette double beauté, dont vous me louez. Notre lit, ajoute-t-elle, ce fond où vous habitez en moi, que j’appelle nôtre, pour vous inviter à venir m’y donner ce baiser nuptial [38] que je vous demandai d’abord, et qui est ma fin ; notre lit, dis-je, est préparé, et orné par les fleurs de mille vertus.

Vs. 16. Les solives de nos maisons sont de bois de cèdre, et nos lambris de cyprès.

Lorsque l’Époux caché dans le fond et le centre de l’âme (comme il a été dit) prend plaisir d’envoyer de ce Sanctuaire, où il habite, quelques épanchements de ses grâces sensibles, lesquelles produisent dans l’extérieur de l’Épouse, quantité de vertus différentes, qui sont comme autant de belles fleurs, dont elle se voit ornée : surprise, et charmée qu’elle en est, ou bien faute d’expérience, elle croit que son édifice intérieur est presque achevé : les couvertures, dit-elle, sont déjà mises : les chevrons, qui sont la pratique des vertus extérieures, sont de bois de cèdre : il me semble qu’elles ont pour moi une odeur agréable ; et que je puis les pratiquer avec autant de force, que de facilité. Le règlement des sens me paraît [39] dans un ordre aussi juste que des lambris bien travaillés, et d’un bois exquis. Mais, ô Amante, cela ne vous paraît tel, que parce que ce lit est fleuri ; et que l’état doux, agréable, et plaisant, que vous sentez au dedans, vous fait croire, que
vous avez tout acquis pour le dehors : mais songez que les lambris sont de cyprès, que le cyprès signifie la mort, et ce que vous voyez si beau, et si paré, n’est préparé que pour la mort.

Chapitre II.

Vs.I. Je suis la fleur du champ, et le lis des vallées.

O Dieu, vous reprenez agréablement votre Épouse de ce qu’elle voulait si tôt se reposer dans un lit bien fleuri, avant que de s’être reposé comme vous, sur le lit douloureux de la Croix. Je suis, dites-vous, moi-même la fleur du champ, une fleur que vous ne recueillerez pas dans le repos du lit ; mais dans le champ [40] de combat, de travail, et de souffrance. Je suis le lis des vallées, qui ne croît que dans les âmes anéanties. Ainsi si vous voulez que je vous tire de votre terre, et que je prenne vie en vous, il faut que vous soyez dans le dernier anéantissement : et si vous voulez me trouver, il faut que vous entriez dans le combat, et dans la souffrance.

Vs. 2. Ma Bien-aimée est entre les filles, comme les lis parmi les épines.

L’Époux par ces paroles, donne à connaître l’avancement de son Amante, laquelle est comme un lis très-pur, très agréable, et de bonne odeur devant lui : lors que les autres filles, au lieu d’être souples et pliables, et de le laisser conduire par son esprit ; sont comme des buissons d’épines, qui se hérissent, et piquent ceux qui veulent les approcher. Telles sont les âmes propriétaires et attachées à leur volonté, qui ne veulent pas se laisser conduire à Dieu. Et c’est là ce qu’une âme bien abandonnée à son Dieu [41] souffre parmi celles qui ne le sont pas : car les autres font tout ce qu’elles peuvent, pour la retirer de la voie ; mais de même que le lis conferve, et fa pureté, et fon odeur, au milieu des épines, sans en être nullement endommagé ; aussi ces âmes sont conservées par leur Époux, au milieu des contrariétés, qu’il faut qu’elles essuient, de la part de ceux qui n’aiment qu’à se conduire eux-mêmes, et à se multiplier dans leurs propres pratiques ; n’ayant point de docilité, pour suivre le mouvement de la grâce.

Vs. 3. Mon Bien-aimé est entre les enfants, comme un pommier parmi les arbres des forêts. Je me suis assise à l’ombre de celui que je désirais : et son fruit est doux à mon goût.

Cette comparaison est très-naïve : l’Amante se voyant persécutée par les spirituels, qui ne sont pas de sa voie, leur dit en parlant à eux, et à son Bien-aimé, en même temps : ce que le pommier très [42] fertile, est entre les arbres des forêts, mon Bien-aimé l’est entre les enfants : c’est à dire, entre ceux, soit des Saints du Ciel, ou des Justes de la terre, qui sont les plus agréables à Dieu. Ne vous étonnez donc pas, si je me suis assise à son ombre, et si je demeure en repos sous sa protection. Je suis seulement sous l’ombre des ailes de celui dont j’ai tant désiré la possession ; mais quoique je ne sois pas encore arrivée à un si grand bien, néanmoins je peux dire que son fruit, qui est la croix, la douleur, et l’abjection, est doux à mon goût. Il n’est pas doux à la bouche de la chair : car la partie inférieure le trouve âpre et bien rude ; mais il est doux à la bouche du cœur, après que je l’ai avalé : et pour moi qui ai le goût de mon Bien-aimé, il est préférable à tous les autres goûts : [43]


Vs.4. Il n’a fait entrer dans le cellier du vin. Il a ordonné en moi la charité.

La bien-aimée du Roi, sortant du doux entretien, qu’elle vient d’avoir avec lui, paraît à ses compagnes comme ivre, et toute hors de soi. Elle l’était bien en effet ; puis qu’ayant bu du plus excellent vin de l’Époux, elle ne pouvait du moins qu’elle ne fût embrasée de la plus forte ardeur. Aussi l’était-elle de telle forte, que s’en apercevant fort bien elle-même, elle prie ses compagnes de ne pas s’étonner de la voir dans un état si extraordinaire. Mon ivresse, leur dit-elle, m’est tout à fait pardonnable ; puisque mon Roi m’a fait entrer dans ces divins celliers. C’est là qu’il a ordonné en moi la charité. La première fois qu’il me fit une grâce si singulière, j’étais encore si fort enfant, que j’eusse volontiers préféré la douceur des mamelles divines, à la force de cet excellent vin : aussi l’Époux se contenta-t-il de me découvrir l’effet de ce vin, sans m’en donner que très peu [44] à boire. Mais aujourd’hui, que mon expérience, et sa grâce m’ont rendue forte et mieux instruite, je n’en agirai plus de même : j’ai bu si abondamment de son vin pur, et fort ; qu’il a ordonné en moi la charité.

Quel est cet ordre que Dieu met dans la charité ? ô amour ! Dieu-charité ! vous seul le pouvez révéler : c’est qu’il fait que cette âme, laquelle par un mouvement de charité, se voulait tout le bien possible, par rapport à Dieu, s’oublie entièrement de toute elle-même, pour ne plus penser qu’à son Bien-aimé. Elle s’oublie de tout intérêt, de salut, de perfection, de joie, de consolation ; pour ne penser qu’à l’intérêt de son Dieu. Elle ne pense plus à jouir de ses embrassements ; mais à souffrir pour lui. Elle ne demande plus rien pour elle ; mais seulement que Dieu soit glorifié. Elle entre dans les intérêts de la divine justice, consentant de tout son cœur à tout ce qu’elle fera d’elle, et soit pour le temps, ou pour l’éternité, en elle. Elle ne peut aimer, ni en soi, ni en aucune créature, que ce qui est à Dieu, et pour Dieu ; et non ce qui est en elle [45] pour elle, quelque grand et nécessaire qu’il paraisse. Voilà l’ordre de la charité, que Dieu met en cette âme, son amour est devenu parfaitement chaste. Toutes les créatures ne lui sont rien ; elle les veut toutes pour son Dieu : et n’en veux aucune pour soi. O Que cet ordre de la charité donne de force, pour les états terribles qu’il faudra passer dans la suite ! mais il ne peut être connu, ni goûté de ceux qui n’y sont pas ; pour n’avoir pas encore bu de ce vin de l’Époux.

Vs.5. Soutenez-moi avec des fleurs : couvrez-moi de fruits : car je languis d’amour.

L ’Époux n’a pas plutôt ordonné de la sorte cette charité dans l’âme ; qu’il lui fait une grâce signalée, pour la préparer aux souffrances qui doivent suivre. Il lui donne son union passagère dans le fond, laquelle de là, se répand dans les puissances, et sur les sens. Et comme l’âme n’est pas encore bien forte, il se fait comme une suspension, ou un absorbement [46] du sens, qui l’oblige à s’écrier : soutenez-moi avec quelques fleurs, aidez-moi de quelques petites choses, que je puisse pratiquer au-dehors : ou bien couvrez-moi des fruits de quelque exercice de charité ; afin que je ne meure pas dans un attrait si fort. Car je sens que je languis d’amour. Ô pauvre Amante, que dites-vous ? Pourquoi vous appuyer sur des fleurs, et sur des fruits, sur des consolations extérieures, sur des bagatelles ? vous ne savez ce que vous demandez ; pardonnez-moi si je vous le dis. Si vous succombez à cette défaillance, vous ne tomberez qu’entre les bras de votre Époux. Ah que vous seriez heureuse d’y expirer ! mais il n’en est pas encore temps.

Vs. 6. Sa main gauche est sous ma tête, et il m’embrassera de sa droite.

Elle commence à comprendre le mystère ; c’est pourquoi comme si elle se repentait du secours étranger qu’elle a demandé, elle dit : sa main gauche est sous ma tête : il me soutient d’une protection [47] singulière puisqu’il m’a honoré de son union dans les puissances de mon âme ; qu’ai-je donc à faire de fleurs, ni de fruits, c’est-à-dire, de chercher encore les choses sensibles, et humaines, puisque les divines me sont communiquées ? il fera même quelque chose de plus dans la suite, m’unissant à lui essentiellement, et alors je serai féconde, et je produirai à mon Époux des fruits incomparablement plus beaux que ceux que je demandais : car il membrassera de sa main droite ; qui est la toute-puissance, accompagnée de son amour, dont les chastes embrassements produisent dans l’âme sa parfaite jouissance, qui n’est autre que l’union essentielle. Il est vrai que dans les commencements, cet embrassement de la main droite, est bien les fiançailles de l’âme, mais non encore le mariage. Il m’embrassera, dit-elle, il me liera premièrement à lui d’un lien de fiançailles, qui me fait espérer, qu’il m’honorera un jour du mariage ; et c’est pour lors qu’il m’embrassera, et me liera si fortement à lui que je ne craindrai plus aucune défaillance, parce que le propre [48] de l’union essentielle, est d’affermir l’âme de telle forte, qu’elle ne peut plus avoir de ces défaillances qui arrivent aux âmes commençantes, dans lesquelles la grâce étant encore faible, elles éprouvent des éclipses, et font encore des chutes, mais par cette union l’âme est confirmée (si l’on peut user de ce terme) dans la charité, puisqu’alors, elle demeure en Dieu ; et celui qui demeure en Dieu, demeure en charité ; car Dieu est charité.

Vs.7. Je vous conjure, filles de Jerufalem, par les chevreuils, et les cerfs de la campagne, de ne point troubler, ne pas réveiller ma Bien-aimée, jusques à ce qu’elle le veuille bien.

Lâme dans ce doux embrassement de fiançailles s’endort du sommeil mystique ; où elle goûte un repos sacré qu’elle n’avait jamais goûté. Dans les autres repos elle s’était bien assise à l’ombre de son Bien-aimé, par la confiance : mais elle ne s’était jamais endormie sur son sein, ni entre les bras. C’est une chose étrange, comme les créatures, même spirituelles, s’empressent de retirer l’âme de ce doux sommeil. Les filles de Jérusalem, sont les amies charitables, et incommodes, qui s’empressent si fort pour la tirer de là, quoique sous les plus beaux prétextes : mais elle est si endormie qu’elle ne peut sortir de son sommeil. L’Époux parle donc pour elle, et la tenant serrée entre ses bras, il prie ces personnes, et les conjure même par tout ce qu’elles estiment davantage, qui est la pratique des vertus les plus fortes et les plus agissantes, de ne point éveiller sa Bien-aimée, et de ne la point tirer de son repos : parce qu’elle lui plaît plus dans ce repos, que dans tout ce qu’elle pourrait faire hors de là. Ne l’éveillez point, leur dit-il, ni directement ni indirectement, vous servant pour cela de quelques moyens recherchés à ce dessein ; jusqu’à ce qu’elle-même le veuille bien : parce qu’elle ne le voudra que lorsque je le voudrai. [50]

Vs.8. Voilà la voix de mon Bien-aimé, le voici qui vient sautant sur les montagnes, se passant par-dessus les collines.

Cette âme qui est endormie à tout le reste, est plus attentive à la voix de son Bien-aimé : elle l’entend et le distingue d’abord : Voilà la voix de mon Bien-aimé, dit-elle : je le connais, je l’entends, et l’effet qu’il opère en moi, ne me permet pas d’en douter. Mais que dites-vous, ô Amante ? L’amour vous fait peut-être rêver : vous dormez entre les bras de votre Bien-aimé, et cependant vous dites qu’il vient jusque sur les montagnes, et qu’il outrepasse les collines ! ô que tout cela s’accorde bien ensemble ! L’Époux embrasse son Amante, et il est en elle : Il l’entoure au dehors, et il la pénètre au dedans : elle sent que dans ce sommeil mystique, il s’enfonce en elle, qu’il s’unit à elle, non seulement comme autrefois, par les puissances, qui font les collines : mais que de plus outrepassant les collines [51] il vient sur la montagne qui est le centre, et là il la touche véritablement de son action immédiate. Elle sent bien que cet attouchement est bien différent de celui des puissances, et qu’il lui fait de très grands effets, quoique ce soit un attouchement passager, qui n’est pas encore l’union permanente, et durable.

Vs.9. Mon Bien-aimé est semblable à un chevreuil, et à un fan de biche. Le voilà qui est debout derrière notre mur : il regarde par les fenêtres, et voit par les treillis.

Lorsque l’âme jouit des doux embrassements de fon Époux, elle croit qu’ils doivent toujours durer ; mais s’ils sont les gages de son amour, ils sont aussi la marque de sa fuite. À peine cette Amante a-t-elle goûté la douceur de cette union, que l’Époux disparaît tout à fait. Voyant donc une fuite si prompte, elle le compare à un chevreuil, et à un fan de biche, à cause de la légèreté, et [52] de la vitesse de la course : et se plaignant amoureusement de lui, ensuite d’un abandon si étrange ; lorsqu’elle le croit bien loin, elle l’aperçoit tout proche. Il s’était seulement caché, pour éprouver sa foi, et sa confiance ; cependant il n’ôte point les regards de dessus elle ; parce qu’il la protège, plus particulièrement que jamais, étant plus uni à elle par la nouvelle alliance qu’il vient de faire, qu’il ne l’avait été jusqu’alors. Mais quoiqu’il la regarde incessamment, elle ne le voit pas toujours. Elle ne l’aperçoit que pour quelques moments ; afin qu’elle ne puisse ignorer ce regard, et qu’elle l’apprenne un jour aux autres. Il faut remarquer que l’Époux est debout, parce qu’il n’est plus temps de se reposer, ni de demeurer assis ; mais de courir. Il est debout, comme prêt à marcher. [53]

Vs.10. J’entends mon Bien-aimé qui me dit : levez-vous, hâtez-vous ma Bien-aimée, ma colombe, ma belle, et venez.

Dieu ayant entièrement tourné l’âme en elle-même, et l’ayant conduite à son centre, après l’avoir fait jouir de ses chastes embrassements, pour la disposer au mariage spirituel ; il lui fait prendre une route toute contraire en apparence : il la fait sortir d’elle-même par le trépas mystique. Le Bien-aimé venant lui-même parler à cette âme l’invite à sortir promptement : Il ne lui dit plus de se reposer ; au contraire il lui commande de se lever de son repos. C’est une manière bien différente de celle qu’il avait autrefois : Il défendait qu’on l’éveillât, et à présent il veut qu’elle se lève promptement. Il l’appelle d’une manière si douce, et si forte, que quand elle ne serait pas aussi passionnée de lui obéir qu’elle l’est, elle ne pourrait s’en défendre. Levez-vous [54] ma Bien-aimée, que j’ai choisie pour en faire mon Épouse, et ma toute belle ; car je vous trouve belle à mes yeux, remarquant en vous mille traits de ma beauté. Ma colombe, simple, et fidèle ; levez-vous et sortez, puisque vous avez toutes les qualités nécessaires, pour sortir de vous-même. Vous ayant attirée au dedans de vous, je sors pour ainsi dire hors de vous-même, pour vous obliger d’en sortir en me suivant.

Cette sortie est bien différente de celle dont il a été parlé ci-dessus1312, et beaucoup plus avancée : car la première était une sortie des satisfactions naturelles pour ne vouloir plaire qu’au Bien-aimé, mais celle-ci est une sortie de la possession de soi-même, afin de n’être plus possédée que de Dieu : et que ne s’apercevant plus en elle, elle ne se trouve plus qu’en lui. C’est un transport de la créature dans son origine, ainsi qu’il sera déclaré dans la suite. [55]

Vs.11. Car l’hiver est déjà passé : la pluie a cessé, et s’est retirée.

Il faut savoir qu’il y a deux hivers ; celui du dehors, et celui du dedans : et que tous deux sont réciproquement contraires. Lorsque l’hiver est au dehors, l’été est au dedans, qui porte l’âme à s’enfoncer davantage en soi, par un effet de la grâce qui opère un profond recueillement : et lorsque l’hiver est au dedans, il se fait un été au dehors, qui oblige l’âme à sortir de soi-même, par l’élargissement que cause une grâce d’abandon plus étendue. L’hiver dont l’Époux parle ici, disant qu’il est déjà passé, est l’hiver extérieur, durant lequel l’âme pouvait être glacée par la rigueur du froid, salie par les pluies, et accablée sous les orages, et sous les neiges des péchés, et imperfections que l’on contracte facilement dans le commerce des créatures. Lâme qui a trouvé le centre a été si fortifiée, qu’il n’y a plus rien à craindre pour elle au-dehors : toutes les pluies sont essuyées ; et il [56] lui serait impossible, à moins d’une infidélité la plus noire qui ne fût jamais, de prendre aucun plaisir dans les choses du dehors. De plus cette manière de parler, l’hiver est déjà passé, veut dire, que comme l’hiver amortit toutes choses, de même pour cette âme la mort est passée sur toutes les choses extérieures : en sorte qu’il n’y a plus rien qui la puisse satisfaire. S’il y paraît encore quelque chose, c’est un renouvellement d’innocence, qui n’a plus rien de la malignité d’autres fois. Les pluies de l’hiver sont aussi passées, elle peut sortir sans plus craindre l’hiver : et avec cet avantage, que l’hiver a détruit, et fait mourir ce qui était autrefois vivant pour elle, et qui l’aurait fait mourir elle-même : ainsi que la rigueur de l’hiver purge la terre des insectes. [57]

Vs.12. Les fleurs commencent à paraître sur notre terre, le temps de tailler la vigne est venu ; la voix de la tourterelle a été ouïe dans notre contrée.

Afin de l’obliger à venir, il lui fait entendre qu’il la veut emmener en sa terre : Il l’appelle, notre terre, parce qu’il la lui a acquise par sa rédemption, et qu’elle est à lui pour elle, et à elle par lui. Il dit que les fleurs ont déjà commencé à paraître en ce lieu-là ; mais fleurs qui ne se flétrissent jamais : fleurs qui n’appréhendent plus les approches de l’hiver. Le temps, dit-il, de tailler la vigne est venu. Il faut que cette Bien-aimée, qui s’était elle-même comparée à la vigne, soit taillée, qu’elle soit retranchée, coupée, et détruite. La voix de la tourterelle de mon humanité, vous invite à venir vous perdre, et vous cacher avec elle dans le sein de mon Père ; vous entendrez mieux cette voix, lorsque vous serez dans la terre, où je vous appelle, que vous ne faites à présent, qu’elle vous est encore inconnue : [58] Cette voix de ma simplicité et de mon innocence, dont je vous veux gratifier, est bien différente de la vôtre.

Vs.13. Le figuier a produit ses fausses figues, les vignes qui fleurissent, répandent leur agréable odeur. Levez-vous ma Bien-aimée, ma belle, et venez.

Là le printemps est éternel, et il s’allie très bien avec les fruits de l’automne, et avec les ardeurs de l’été. L’Époux par ces fleurs et par ces fruits, marque assez clairement trois saisons : mais il ne parle point de l’hiver ; parce que, comme il a été dit, lorsque l’âme arrive dans cette nouvelle terre, elle trouve que l’hiver, non seulement l’extérieur, mais l’intérieur même, est passé. Il n’y a plus d’hiver pour une âme arrivée en Dieu ; mais il y a un composé de trois autres saisons, qui se trouvent toutes réunies en une, et comme immortalisées par la perte de l’hiver. Car avant que d’arriver à l’hiver intérieur, l’âme a passé toutes les saisons de la vie spirituelle : mais après l’hiver intérieur, [59] elle rentre dans un printemps, un été, et un automne continuels. La douceur du printemps n’empêche point la force de l’été, ni la fécondité de l’automne : comme la chaleur de l’été, ne diminue en rien la beauté du printemps, ni la fertilité de l’automne : et les fruits de l’automne n’incommodent, aucunement, ni l’agrément du printemps, ni les ardeurs de l’été. O Terre fortunée ! que ceux qui ont le bonheur de vous posséder sont heureux ! nous sommes tous conjurez avec l’Epoufe, de sortir de nous-mêmes, pour y entrer. Elle nous est promise à tous ; et celui qui la possède, et à qui elle appartient, par le droit de sa naissance éternelle, et parce qu’il se l’est acquise au prix de son sang ; nous invite avec instance d’y aller. Il nous donne tous les moyens pour cela : Il nous attire par ses pressantes inspirations ; que ne courons-nous ? [60]

Vs.14. O Ma colombe qui êtes dans les trous de la pierre, dans le creux de la muraille, montrez-moi votre visage ; que votre voix résonne à mes oreilles, parce que votre voix est charmante, et votre visage est beau.

Ma colombe, dit cet Époux, ma pure, chaste, et simple colombe, qui êtes concentrée dans le fond de vous-même, comme dans l’enfoncement d’une muraille, et qui là êtes cachée dans mes plaies, qui sont les trous de la pierre vive ; montrez-moi votre visage. Mais que dites-vous, Ô Époux ? Votre Bien-aimée n’est-elle pas toute tournée vers vous ? comment dites-vous qu’elle vous montre fon visage ? Elle est comme toute cachée en vous ; ne la voyez-vous pas ? Vous voulez entendre sa voix, et elle est muette pour tout autre que pour vous. O Invention admirable de la sagesse Divine ! cette pauvre âme voyant que pour correspondre à son Époux, il faut faire comme autrefois [61] se recueillir, et s’enfoncer davantage au dedans de soi ; elle le fait de toutes ses forces : mais c’est le contraire. Comme ici il l’appelle au dehors, au plus haut d’elle-même, il veut qu’elle se quitte : C’est pourquoi il lui dit, Montrez-moi votre visage, que j’entende cette voix par le dehors, et tournez-vous vers moi, car j’ai changé de situation. Il l’assure que sa voix est très-douce, très-calme, et très-tranquille ; qu’elle s’est conformée au langage de l’Époux, qui n’est pas une voix qui se fasse entendre par le bruit des paroles. : Votre visage, ajoute-t-il, est beau. La suprême partie de votre âme est déjà belle, et elle a tous les avantages de la beauté : Il ne vous manque plus qu’une chose qui est de sortir de vous-même.

Si l’Époux n’attirait son Amante au-dehors, avec tant de force, et de douceur, elle ne sortirait jamais d’elle-même. Il semble qu’autant qu’elle s’est trouvée autrefois recueillie, et enfoncée au-dedans ; autant elle se sent maintenant tirée au-dehors ; et même avec plus de force : Car il faut bien d’autres forces, pour tirer l’âme d’elle-même, que pour l’y enfoncer. [62] La douceur qu’elle goûte au-dedans, par le recueillement savoureux, l’y invite assez ; mais quitter cette douceur du dedans, pour ne trouver que des amertumes au dehors, c’est ce qui est très-difficile : outre que, par le recueillement, elle vit, et se possède ; mais par la sortie d’elle-même, elle meurt, et se perd.

Vs.15. Prenez-nous les petits renards, qui ravagent les vignes : car notre vigne est fleurie.

L’Amante fidèle prie l’Époux d’ôter les petits renards, qui sont quantité de petits défauts, lesquels commencent à paraître ; parce qu’ils gâtent cette vigne intérieure, qui est, dit-elle, fleurie : et c’est ce qui rend cette vigne plus agréable, et qui fait qu’elle l’aime davantage espérant d’en voir bientôt le fruit. Que ferez-vous, pauvre âme, pour abandonner cette vigne, à laquelle vous êtes attachée sans le connaître ? Ah le Maître y mettra lui-même de petits renards, qui la ravageront, et en abattront les fleurs [63] et y feront un étrange dégât. S’il n’en usait de la sorte, vous êtes si amoureuse de vous-même, que vous n’en sortiriez jamais.

Vs.16., Mon Bien-aimé est à moi, et moi à lui : il repaît parmi les lis.

O Bonheur inestimable d’une âme, qui est toute, et sans réserve à son Bien-aimé, et à laquelle le Bien-aimé est toutes choses ! LAmante est fi fort enivrée des bontés, et des caresses que lui fait son Époux, pour l’obliger à sortir d’elle-même ; qu’elle croit déjà être arrivée au comble du bonheur, et au plus haut degré de la perfection, et que le mariage se doit bientôt consommer. Elle dit que son Bien-aimé est à elle, pour en disposer, comme il lui plaît ; et qu’elle est aussi toute à lui, pour toutes ses volontés : qu’il prend son repos en elle, parmi les lis de la pureté. Il se repaît lui-même de ses grâces, et de ses vertus, il vit d’innocence et de pureté, afin de nous en nourrir. Il nous invite de manger avec [64] lui de la viande qui lui plaît le plus, comme il le donne à connaître par ces paroles, dans un autre endroit ; buvez, et mangez, mes amis ; nourrissez-vous de la bonne nourriture que je vous donne, et votre âme en étant engraissée, sera dans la joie.

Vs. 17. Jusqu’à ce que le jour paroisse, et que les ombres s’abaissent. Revenez mon Bien-aimé, soïez semblable au chevreuil, et au fan des cerfs, sur les montagnes de Bether.

L’âme commençant à s’apercevoir qu’elle ne voit plus le Verbe, croit qu’il s’est seulement caché pour une nuit, ou plutôt, qu’il s’est endormi dans son lieu de repos : elle lui dit donc : O mon cher Époux, puisque je suis avec vous sous un même toit, et que vous êtes si proche de moi, revenez un peu à moi, me permettant de vous sentir ! Que je jouisse de vos doux embrassements, jusqu’à ce que le jour vienne, et que je sois plus [65] certaine de votre présence ; et que les ombres de la foi soient dissipées, par la douce lumière de la vision et claire jouissance : Puis se souvenant de cette union passagère, qu’elle a éprouvée autrefois, elle lui dit : Passez promptement, fi vous voulez comme un petit cerf qui bondit ; mais que ce soit sur la montagne ; que je jouisse encore de cette union centrale, qui me fut si douce, et si avantageuse, lors que vous me la fîtes éprouver.

Chapitre III.

Vs.I. J’ai cherché dans mon petit lit durant plusieurs nuits, celui que mon âme aime : le l’ai cherché, et ne l’ai pas trouvé.

L’âme voyant que l’Époux ne lui accorde pas une grâce, à laquelle elle s’attendait ; après la lui avoir accordée dans un temps, où elle ne l’espérait pas, est étonnée de cette si dure absence. Elle le cherche dans le fond d’elle-même, qui [66] est son petit lit, et pendant la nuit de la foi : mais hélas elle est bien surprise de ne l’y plus trouver : elle avait quelque raison de l’y chercher ; puisque c’est là qu’il s’était découvert à elle, et qu’il lui avait donné le plus vif sentiment de ce qu’il est qu’elle eut encore éprouvé. Mais ô Amante, vous n’avez garde de trouver là votre Époux ! ne savez-vous pas qu’il vous a conjurée de ne le plus chercher en vous, mais en lui-même ? Ce n’est plus hors de lui que vous le trouverez : sortez hors de vous-même au plus vite, pour n’être plus qu’en lui ; et ce sera là qu’il se laissera trouver. Ô artifice admirable de l’Époux ! Lors qu’il est plus passionné pour sa Bien-aimée, c’est alors qu’il fuit avec plus de cruauté ; mais c’est une cruauté amoureuse, sans laquelle l’âme ne sortirait jamais d’elle-même, et conséquemment ne se perdrait jamais en Dieu. [67]

Vs. 2. Il faut que je me lève, et que je fasse le tour de la ville : je chercherai par les rues et par les places publiques, celui que mon âme aime : je l’ai cherché, et ne l’ai point trouvé.

O Miracle opéré par l’absence d’un Dieu ! combien de fois avait-il convié son Amante à se lever de son repos, et elle ne le pouvait encore faire ? Il la pressait avec des paroles les plus tendres du monde. Cependant elle était si enivrée de la paix, et de la tranquillité qu’elle goûtait, qu’elle n’en pouvait sortir. Ô âme fidèle, le repos que vous goûtez en vous-même n’est qu’une ombre de repos, au prix de celui que vous trouverez en Dieu. Il était néanmoins impossible de la faire lever ; mais dès qu’elle ne trouve plus son Bien-aimé dans le lit de son repos ; ô ! dit-elle, que je me lèverai bien à présent, ce lit de repos qui m’était autrefois un paradis, m’est maintenant un enfer, depuis que mon Bien-aimé est absent ; [68] et avec lui l’enfer me serait un paradis. Cette ville, ce monde, que j’ai haï autrefois, sera désormais le lieu de ma recherche. Car cette âme, non encore pleinement instruite, quelque passionnée qu’elle paroisse, et avec raison, pour la possession de son bien souverain, et de sa dernière fin, témoigne ici des sentiments d’enfant. Elle est si faible, qu’il lui est impossible de chercher d’abord Dieu en lui-même ; quoiqu’elle ne le trouve plus dans son fond : elle le cherche dans toutes le créatures, dans mille endroits, où il n’est pas ; et étant ainsi répandue au-dehors, elle s’amuse avec la créature, sous prétexte de chercher le créateur. Elle cherche pourtant, car son cœur aime ; et il ne peut trouver de repos, qu’en ce qu’il aime : mais elle ne trouve rien, parce que Dieu n’est pas sorti d’elle, pour se faire chercher dans d’autres créatures. Il veut être cherché dans lui-même, et lorsqu’elle sera arrivée en lui, elle y découvrira une autre vérité, dont la beauté la ravira ; qui est, que son Bien-aimé est par tout, et en tout, et que tout est lui-même ; sans qu’elle puisse rien distinguer de lui, qui est [69] en tous lieux, sans être renfermé en aucun.

Vs. 3. Les sentinelles qui gardent la ville m’ont trouvée ; n’avez-vous point vu celui qu’aime mon âme ?

Comme j’ai vu que je ne trouvais pas mon Bien-aimé dans aucune créature mortelle, je l’ai cherché parmi les esprits bienheureux, qui gardent la ville ; ils m’ont trouvée, parce qu’ils sont toujours veillants. Ce sont des gardes que Dieu a établis sur les murs de Jérusalem1313, qui ne se tairont jamais, ni durant le jour, ni durant la nuit. Je leur ai donc demandé des nouvelles de mon Bien-aimé, de celui pour lequel je brûle d’ardeur : mais quoiqu’ils le possèdent pour eux, ils ne pouvaient me le donner. Il me semble que je vois Madelaine, qui ne trouvant pas Iesus-Christ dans le sépulcre, le cherche partout, le demande aux Anges, et aux hommes ; mais nul ne peut rendre raison du Bien-aimé, que lui-même. [70]

Vs. 4. Après que je les ai eu un peu passés, j’ai trouvé celui que mon âme aime : je le tiens et ne le laisserai plus aller ; jusqu’à ce que je l’aie fait entrer dans la maison de ma mère ; et dans la chambre de celle qui m’a engendrée.

L’âme s’étant quittée soi-même, et ayant outrepassé toutes les créatures, rencontre son Bien-aimé, qui se montre à elle avec de nouveaux charmes : Ce qui lui persuade que le moment fortuné de la consommation du mariage est proche, et que l’union permanente se va lier. Dans le transport où elle est, à cause du bonheur qu’elle possède, elle s’écrie : J’ai mon Bien-aimé, je l’ai trouvé, je le tiens, je ne le laisserai plus aller. Car elle croit qu’elle peut le retenir, et qu’il ne s’est éloigné d’elle, qu’à cause de quelque faute qu’elle a faite. Je le tiendrai et fortement, continue-t-elle de dire, et je m’attacherai à lui avec tant de fidélité, que je ne le laisserai plus aller, jusqu’à ce que [71] je l’aie fait entrer dans la maison de ma mère, dans le sein de Dieu, qui est la chambre de celle qui m’a engendrée ; puis qu’il est mon principe et mon origine. Mais que dites-vous, âme innocente ?
N’est-ce pas à lui à vous y conduire, et non à vous à l’y mener ? l’amour croit tout possible, comme il persuada à Madelaine, qu’elle pourrait emporter le corps de son Seigneur : La passion qu’elle a d’y aller, fait que sans considérer qu’elle y doit être avec lui, et revêtue de lui, elle dit qu’elle veut l’y introduire.

Vs. 5. Je vous conjure ô filles de Jérufalem, par les chevreuils, et par les cerfs de la campagne, de ne pas interrompre le sommeil de ma Bien-aimée, et de ne point l’éveiller jusqu’à ce qu’elle le veuille bien.

L’Époux plein de compassion, après cette première épreuve de son Épouse (qui du moins est la première épreuve forte, et intime) depuis qu’elle a commencé [72] à se lever, pour venir dehors, lui fait part encore une fois de son union essentielle. Alors cette pauvre âme est si ravie d’un bien qui lui paraît infiniment plus grand, que l’autrefois ; parce qu’il lui a coûté plus cher ; qu’elle s’endort, se pâme, se perd, et semble expirer entre les bras de l’amour. L’on peut voir par là que quoique l’âme souffre beaucoup, à la recherche de son Bien-aimé ; toutefois ses peines sont des ombres de peines, étant comparées au bonheur de la possession de cet objet adorable. C’est pourquoi saint Paul disait1314, que les peines même les plus grandes de cette vie, n’ont nulle proportion, avec la gloire qui sera découverte en nous. Son Bien-aimé ne veut point qu’on l’éveille ; à cause que ce réveil empêcherait sa mort, et retarderait son bonheur. [73]

Vs. 6. Qui est celle, qui monte par le désert, comme une petite vapeur d’aromates, de myrrhe, et d’encens, et de toutes sortes, de poudres, d’habiles parfumeurs.

Les amis de l’Épouse la voyant ornée de tant de perfections, et comblée de tant de grâces, par un effet de la visite de l’Époux, en témoignent leur étonnement par ces paroles : qui est celle qui monte par le désert comme une petite vapeur d’aromates ? C’est que l’Amante s’épure si fort entre les bras de son Époux, qu’elle en sort comme une vapeur subtile, que le feu de l’amour a presque consumée. Elle est comme une vapeur qui tendrait en haut, à cause de la droiture, et de sa justice ; et une vapeur subtile, pour faire voir qu’elle est déjà tout esprit. Cette vapeur est composée des odeurs les plus choisies de toutes les vertus : mais il faut remarquer que les odeurs, dont cette vapeur est composée, sont des gommes propres à être fondues, et des poudres [74] qui ne sont point de corps solide ; la solidité, et la consistance en elle-même ne sont plus de son état. Et d’où monte cette vapeur si droite, et si odoriférante ? Elle monte du désert de la foi. Et où va-t-elle ? Elle veut aller se reposer en son Dieu.

Vs. 7. Voilà que le lit de Salomon est gardé par soixante braves, des plus forts d’Israël.

Notre Amante, se sentant déjà beaucoup dégagée d’elle-même, crois qu’il n’y a plus qu’une seule chose à faire ; et il est vrai : mais hélas ! qu’il y a d’obstacles à vaincre, avant que d’y réussir. C’est d’aller en Dieu, qui est le lit de repos du véritable Salomon. Mais pour y arriver, il faut passer au travers de soixante des plus forts d’Israël. Ces vaillants guerriers sont les Attributs divins, qui environnent ce lit royal : et qui en empêchent l’accès à ceux qui ne sont pas entièrement anéantis. Ils sont les plus vaillants d’Israël, parce que c’est en ces Attributs [75], qu’Israël qui désigne le contemplatif, trouve sa force : et que c’est aussi par eux, que la force de Dieu est manifestée aux hommes.

Vs. 8. Tous sont armés de leur épée, et très habiles à la guerre ; chacun d’eux à son épée au côté, à cause des craintes de la nuit.

Tous sont armés de leur épée, pour combattre avec force contre cette âme, qui par une secrète présomption, veut s’attribuer ce qui n’appartient qu’à Dieu : c’est ce qui leur fait dire d’une commune voix : qui est comme Dieu ? la Justice divine, est la première qui vient pour combattre, et détruire la propre justice de la créature, et la force vient ensuite pour terrasser la force propre de l’homme, et le faisant entrer par l’expérience de son extrême faiblesse dans la puissance du Seigneur, lui apprend à ne se plus souvenir que de la seule justice de Dieu.

La providence se déclare contre la prévoyance humaine ; et ainsi de tous les [76] attributs. Ils sont tous armés, parce qu’il faut que l’âme soit détruite en toutes ces choses, pour être admise dans le lit de Salomon, pour être épouse, et afin que le mariage s’achève, et se consomme. Ces vaillants guerriers ont toujours l’épée au côté. Cette épée n’est autre que la parole de Dieu la plus intime, et la plus pénétrante ; mais parole efficace, qui en découvrant à l’âme sa plus secrète présomption, la lui arrache en même temps.

Cette parole, est la parole incréée, qui ne se manifeste dans le fond de l’âme, que pour y opérer ce qu’elle y exprime. Elle ne se déclare pas plutôt, que comme un coup de tonnerre, elle réduit en poudre ce qui s’oppose à son passage. Cette divine parole en s’incarnant en usa tout de même : Elle dit, et il fut fait, et elle imprima en son Humanité les caractères de sa Toute puissance. Elle vint dans la bassesse de la créature, pour détruire son élévation ; et dans la faiblesse, pour en abattre la force : et elle prit la forme du pêcheur, pour terrasser la propre justice. Elle fait le même dans l’âme, elle l’abaisse, elle l’affaiblit, elle la couvre de [77] misères : mais pourquoi l’Écriture dit-elle qu’ils sont tous armés de la sorte, à cause des craintes de la nuit ? Cela veut dire que comme la propriété, est celle qui tient l’âme dans l’obscurité, et qui lui cause toutes ses nuits funestes : les Attributs divins s’arment ainsi contre elle, afin qu’elle n’usurpe point ce qui n’appartient qu’à Dieu.

Vs. 9. Le Roi Salomon s’est fait un Trône des arbres du Liban.

Le fils de Dieu, Roi de gloire, s’est fait un trône de l’humanité, à laquelle il s’est uni par son Incarnation, à dessein de s’y reposer éternellement, et de s’en faire aussi comme un char de triomphe, sur lequel il veut être porté avec éclat et magnificence., à la vue de toutes les créatures. Ce Siège royal est fait des arbres du Liban ; parce que Jésus-Christ est descendu, selon la chair, des Patriarches, et des Prophètes, et Rois, tous éminents par leur sainteté, et leur caractère. Le Verbe de Dieu est donc dans [78] l’homme, ainsi que sur le trône de la majesté, comme dit saint Paul, que Dieu était en Jésus-Christ, dans lequel il rétablissait le monde en sa grâce.

Dans chaque âme, Jésus Christ se fait aussi un trône, qu’il orne avec beaucoup de magnificence, pour en faire le lieu de sa demeure, aussi bien que de son repos, et de ses délices éternelles ; et y régner souverainement, après l’avoir acquis au prix de son sang, et sanctifié par ses grâces. Car de même que Dieu règne en Iesus-Christ, aussi Iesus-Christ règne dans les cœurs purs, où il ne trouve plus rien, ni qui lui résiste, ni qui lui déplaise : ce qui est nous préparer son Royaume, et nous rendre participants de la Royauté, ainsi que son Père lui avait preparé son Royaume, et lui a communiqué sa Royauté. Ce trône donc du Roi des Rois, est fait des arbres du Liban : C’est le fond naturel de l’homme, qui sert de base, et de fondement à l’édifice spirituel : et ce fond imite bien la hauteur, et le prix des arbres du Liban ; puisqu’il tire son origine de Dieu même, et qu’il est fait à son image, et ressemblance. L’Épouse de ce [79] Cantique, est donnée pour modèle de cet auguste trône, à toutes les autres Amantes de l’Époux céleste ; afin de les animer à la poursuite d’un semblable bonheur. C’est elle-même qui fait la description du trône de l’Époux, ayant reçu une nouvelle lumière, pour le connaître avec plus de pénétration, dans l’union essentielle, quoique passagère, dont elle vient d’être gratifiée, c’est pourquoi elle ajoute.

Vs.10. Il en a fait les colonnes d’argent, l’appui d’or, les degrés, et le siège de pourpre, et il a garni tout le dedans de charité ; à cause des filles de Jérufalem.

Les colonnes de l’Humanité sainte de Jésus-Christ, sont d’argent ; son âme avec ses puissances, et son Corps avec ses sens, et toutes ses parties étant d’une pureté achevée, bien figurée par l’argent le plus brillant, et le plus épuré. Son appui, qui est la Divinité même, dans laquelle Iesus-Christ subsiste, par la personne du [80] Verbe, est clairement exprimé par l’appui de ce siège mystérieux, qui était tout d’or. Car souvent dans l’Écriture l’or se prend pour Dieu même. La montée de ce trône divin est ornée de pourpre, ce qui exprime très bien, que quoique le sein de Dieu le Père, qui est la demeure du Verbe, lui fût acquis par sa génération éternelle ; et qu’il ne pût en avoir d’autre ; quoiqu’il se fût fait homme, par le décret de la divine Iustice, à laquelle il s’était volontairement soumis ; cependant il n’a pu remonter à son Père pour entrer dans la plénitude de la gloire, que par la pourpre de son Sang : Puisqu’il a fallu que le Christ endurât de grands maux, et mourût, et qu’ainsi il entrât dans sa gloire. Le milieu, et tout le dedans de ce lieu de triomphe, est garni d’ornements de très grand prix, qui sont bien compris sous le nom de charité, comme étant ce qu’il y a de plus grand, et de plus précieux. Et n’est-ce pas en Iesus-Christ que sont tous les trésors, et la plénitude de la Divinité ? C’est à lui que le Saint Esprit a été donné au-delà de toute mesure. Le saint Esprit donc remplit le milieu et tout [81] le dedans de ce trône majestueux ; puisqu’il est l’amour du Père, et du Fils ; et aussi l’amour par lequel Dieu aime les hommes : et que comme il est l’union des personnes divines ; il est aussi le nœud, qui lie les âmes pures avec Jésus-Christ. Or le divin Salomon a fait tout cela en considération des filles de Jérusalem, qui sont ses élus pour lesquels il a tout fait et tout souffert.

Dans le Santuaire que Dieu se dresse en son Amante, il y a de même des colonnes d’argent, qui sont les dons du saint Esprit, établis sur la grâce divine, qui est comme l’argent pur, et éclatant, qui leur tient lieu de matière et de fond. L’appui en est d’or ; car une âme qui mérite de servir de trône, et de lit royal à Iesus-Christ, ne doit plus avoir d’autre appui, que Dieu seul : et il faut qu’elle soit entièrement dépouillée de tout soutien créé. La montée en est toute de pourpre, car si l’on ne peut entrer dans le Royaume du Ciel, que par beaucoup d’afflictions : Et si l’on ne peut régner avec Jésus-Christ, qu’après avoir souffert avec lui : cela va encore plus avant pour ceux, qui sont appelés [82] aux premières places du Roiaume intérieur ; et pour les âmes, qui dès cette vie, doivent être honorées de la noce de l’Époux céleste ; que pour le commun des chrétiens, qui sortent bien de ce monde en voie de salut, mais chargés de beaucoup de dettes, et d’imperfections ; il est incroyable combien il faut que ces âmes choisies dévorent de croix, d’opprobres, et de renversements. Enfin tout le dedans est rempli de charité, puisque ces trônes vivants du Très-Haut étant pleins d’amour, ils font aussi parés de tous les fruits, et ornements de lamour : qui sont les bonnes œuvres, les mérites, les fruits du Saint Esprit, et la pratique des plus pures, et des plus solides vertus. C’est à quoi vous êtes appelés, ô filles de Ierufalem, Épouses intérieures, âmes d’oraison ! C’est aussi ce que le Roi des Rois, le Roi pacifique vous a mérité, et qu’il vous offre, si vous voulez bien l’aimer. C’est sur ce riche fond, que l’Époux et l’Épouse appuient les louanges magnifiques, qu’ils se vont donner l’un à l’autre, dans les Chapitres suivants. [83]

Vs.11. Sortez filles de Sion, et considérez le Roi Salomon, avec le diadème dont sa mère l’a couronné le jour de ses noces, le jour de la joie de son cœur.

Jésus-Christ invite toutes les âmes intérieures, qui sont les filles de Sion, à sortir hors d’elles-mêmes, et de leur imperfection ; pour contempler le Roi Salomon, couronné de la couronne de gloire, couronné de Dieu même ; la nature Divine tient lieu de Mère, à l’égard de la nature humaine, c’est elle qui la couronne, et qui est tout ensemble son Diadème. Elle couronne donc Jésus-Christ le jour de ses noces, d’une gloire autant sublime, qu’elle est infinie, et immortelle. Mais quel est le jour des noces de l’Agneau ? c’est le jour qu’il monta au Ciel, où il fut reçu à la droite de son Père : jour de joie éternelle. Regardez-le, filles de Sion, dans tous ses avantages divins ; parce qu’il les veut partager avec vous. [84]

Chapitre IV.

Vs. I. Que vous êtes belle, ma Bien-aimée, Vous êtes belle ! Vos yeux sont comme ceux des colombes ; sans ce qui est caché au-dedans. Vos cheveux ressemblent aux troupeaux de chèvres qui sont venus de la montagne de Galaad.

Quoique l’Époux ne puisse encore mettre l’Amante dans son lit nuptial, qui est le sein de son Père ; il ne laisse pas pourtant de la trouver très-belle, et plus belle que jamais : car ses fautes ne sont plus des péchés notables, ni presque des offenses ; mais des défauts, qui sont dans sa nature, encore dure et rétrécie, laquelle a une peine incroyable à être étendue pour se perdre en Dieu. Elle est donc très-belle, et dans l’intérieur, et dans l’extérieur ; et plus belle que jamais, quoiqu’elle ne le croie pas ; à cause du [85] refus qu’on lui a fait, d’être reçue en Dieu. C’est ce qui fait que l’Époux l’assure qu’elle est très-belle ; sans ce qui lui est caché à elle-même, qui est bien plus beau que tout ce qui paraît au dehors, et que tout ce qu’on en peut exprimer, ou même conjecturer. Vos yeux par votre fidélité, droiture, et simplicité sont comme ceux des colombes. Cette droiture est pour le dehors et pour le dedans. La vertu de simplicité, tant recommandée dans les Écritures nous fait agir à l’égard de Dieu, incessamment, sans hésitation ; directement, sans réflexion ; et souverainement, sans multiplicité de desseins, de motifs, ou de pratiques : mais uniquement pour plaire à Dieu : et même quand la simplicité est consommée, on le fait d’ordinaire sans y penser. Agir simplement avec le prochain, c’est agir avec naïveté, sans affectation, avec sincérité, sans déguisement, et avec liberté, sans contrainte ; ce sont là les yeux et le coeur de la colombe qui charment Jésus-Christ. Vos cheveux, qui représentent les affections qui naissent de votre cœur, et qui sont son ornement, sont si éloignés des [86] choses de la terre, qu’ils s’élèvent au-dessus des dons les plus excellents, pour ne s’arrêter qu’à moi seul. Ils ressemblent en cela aux chèvres qui montent sur les montagnes les plus inaccessibles.

Vs.2. Vos dents sont comme les troupeaux de brebis nouvellement tondues, qui sont revenues du lavoir ; chacune a deux petits jumeaux, en il n’y en a aucune de stérile entre elles.

Les dents représentent l’entendement, et la mémoire, qui servent à mâcher, et à ruminer les choses que l’on veut savoir. Ces puissances ont déjà été purifiées, aussi bien que l’imagination et la fantaisie ; en sorte qu’il n’y a plus d’embarras : elles font très-bien comparées aux brebis tondues, à cause de la simplicité qu’elles ont acquise par leur union avec les personnes divines, où elles ont été dépouillées de la pente excessive, et même de la facilité à raisonner, et à agir avec réflexion, et avec trouble, comme elles faisaient [87] autrefois ; mais quoiqu’elles soient dépouillées de leurs opérations, elles ne sont pas pour cela stériles ni infructueuses : au contraire, elles rapportent du fruit au double, et un fruit très pur, et très-parfais : car les puissances ne sont jamais plus fécondes, que lorsqu’elles sont perdues par rapport à la créature, et écoulées en Dieu par leur centre.

Vs. 3. Vos lèvres ressemblent à un ruban teint en écarlate. Votre parole eft charmante ; vos joues sont comme un quartier de grenade sans ce qui est caché au-dedans.

Les lèvres représentent la volonté, qui est la bouche de l’âme, parce qu’avec l’affection, elle serre et embrasse fortement ce qu’elle aime. Et comme la volonté de cette Amante n’aime que son Dieu, et que toutes ses affections sont pour lui ; l’Époux la compare à un ruban teint en écarlate, qui signifie les affections réunies en une seule volonté, laquelle [88] est toute charité, et tout amour ; toutes les forces de cette volonté étant réunies dans leur divin objet.

Votre parole, ajoute-t-il, est charmante : parce que votre cœur a un langage, que nul autre que moi ne peut entendre ; à cause qu’il ne parle qu’à moi seul. Vos joues sont comme un quartier de grenade. La grenade a plusieurs grains, qui font tous renfermez dans une écorce : de même vos pensées sont comme réunies en moi seul par votre amour pur et parfait, et tout ce que je décris ici, qui appartient aux puissances, n’est rien au prix de ce qui est caché dans votre plus profond centre. [89]

Vs. 4. Votre cou est comme la Tour de David bien fortifiée : mille boucliers y sont pendus, avec toutes sortes d’armes pour les plus vaillants guerriers.

Le cou est la force de l’âme : elle est bien comparée à la tour de David ; parce que toute la force de cette âme est en son Dieu, qui est la maison de Iesus-Christ, et de David. Car ce grand Roi proteste en tant d’endroits de ses Pseaumes : que Dieu seul est son appui, son refuge, son rempart : et surtout, la tour de sa force. Les bastions et les remparts, qui l’environnent, sont l’abandon total qu’a fait cette âme d’elle-même à son Dieu. La confiance, la foi, l’espérance l’ont fortifiée dans son abandon. Plus elle est faible en elle-même plus elle se trouve forte en Dieu. Mille boucliers y sont prêts, pour la défendre contre autant d’ennemis visibles, et invisibles : et elle est armée de tant de force en Dieu, qu’elle ne craint aucune attaque, tant qu’elle demeurera de la forte : car ici son état [90] n’est pas encore permanent.

Vs.5. . Vos deux mamelles font comme deux petits jumeaux de la chevrette, qui paissent entre les lys.

L’Époux reçoit ici la facilité d’aider aux âmes, désignée par les mamelles ; mais elle ne la reçoit pas avec toute la plénitude, qui lui sera communiquée dans la suite : cette facilité lui est seulement imprimée, comme un germe de fécondité, dont l’abondance ett marquée par les petits jumeaux de la chevrette. Ils sont jumeaux, parce qu’ils sortent d’une seule source, qui est Jésus-Christ ; ils paissent entre les lis, puis qu’ils se nourrissent de la pureté de la doctrine, et parmi les exemples du même Jésus-Christ.

Ce passage est expliqué plus au long au Chap. VII. Vs. 3.

[91]

Jusqu’à ce que le jour paraisse, et que les ombres s’abaissents : je m’en irai sur la montagne de la myrrhe, et sur la colline de l’encens.

L’Époux interrompt l’éloge de son Amante, pour l’inviter à le suivre vers la montagne où croît la myrrhe, et jusques aux collines sur lesquelles l’encens se recueille. Jusqu’à ce, dit-il, que le jour de la vie nouvelle, que vous devez recevoir en mon père, commence à paraître et que les ombres, qui vous tiennent dans l’obscurité de la foi la plus nue, s’abaissent, et se dissipent : je m’en irai sur la montagne de la myrrhe ; parce que vous ne me trouverez plus que dans l’amertume et dans la croix. Ce fera néanmoins pour moi, une montagne d’une odeur très-agréable ; puisque l’odeur de vos souffrances montera vers moi, comme un encens ; et ce sera par elles que je prendrai mon repos en vous. [92]

Vs. 7. Ma Bien-aimée ; vous êtes toute belle, et il n’y a point de tache en vous.

Jusqu’à ce que l’âme se fût toute fondue en amertumes, et en croix, quoi qu’elle fût belle, elle n’était pas néanmoins toute belle : mais depuis qu’elle s’est fondue sous le poids des traverses et des afflictions, elle est toute belle, et il ne reste en elle aucune tache ni difformité. Elle serait par là disposée à l’union permanente, si sa qualité encore dure, et rétrécie, bornée, et limitée n’empêchait ce bonheur. Cette qualité n’est pas une tache, qui soit en elle, ni rien qui offense Dieu : c’est seulement un défaut de sa nature, prise en Adam, que son Époux détruira insensiblement. Mais pour elle, et puis que la croix l’a toute défigurée aux yeux des hommes, elle est toute belle aux yeux de son Époux ; et depuis qu’elle n’a plus de beauté, elle a trouvé la véritable beauté. [93]

Vs. 8. Venez du Liban, mon Épouse, venez du Liban, venez, et vous serez couronnée ; du haut d’Amana, du sommet de Sanir, et d’Hermon, des repaires des Lions, et des montagnes des Léopards.

L’Époux l’appelle ici du nom d’Épouse, et la convie à se hâter de se laisser consommer, détruire, et anéantir, et d’accepter le mariage spirituel. Il l’appelle pour être épousée, et couronnée. Mais Ô Époux, le dirai-je ? Pourquoi inviter si fortement ; et si longtemps une Épouse, à des noces, pour lesquelles, elle est si fort passionnée ? Vous l’appelez du Liban, quoi qu’elle soit dans Jerusalem : Est-ce, ou parce que vous donnez quelquefois le nom du Liban à Jérusalem, ou pour marquer par la hauteur de cette célèbre montagne, l’élévation, où elle est déjà arrivée devant vos yeux ? Elle n’a presque plus de chemin à faire, pour être unie à vous d’un nœud immortel ; et lorsqu’elle paraît approcher de votre lit, elle en est [94] repoussée par soixante hommes forts. N’y a-t-il pas de la cruauté, à l’attirer fi fortement, quoi qu’avec tant de douceur, pour posséder un bien qu’elle estime plus que mille vies, et lors qu’elle est près de sa possession, la rebuter si rudement ? Ô Dieu vous conviez, vous appelez, vous donnez la disposition de l’état avant que de donner l’état ; comme l’on donne à goûter d’une liqueur exquise, afin de la faire plus désirer. O Que ne faites-vous pas souffrir à ćetre âme par le retardement de ce que vous lui promettez ! Venez donc, lui dit-il, mon Épouse ? Car il n’y a plus qu’un pas à faire pour l’être réellement. Jusqu’à présent ; je vous ai appelée Ma belle, ma Bien-aimée, ma colombe ; mais je ne vous ai point encore appelée du nom d’Épouse. O que ce nom est doux ! Mais la possession en sera bien plus douce et plus charmante ! Venez, dit-il, encore, du sommet des plus hautes montagnes : c’est-à-dire de la pure pratique des plus éminentes vertus, désignées par les montagnes d’Amana, de Sanir, et d’Hermon, qui sont proches du mont Liban. Quelque relevé, que tout cela vous paraisse, [95] et quoi qu’il le soit en effet ; il faut encore monter plus haut, et outrepasser toutes choses pour entrer avec moi dans le sein de mon Père, et vous y reposer sans milieu, et par la perte de tout moyen : l’union immédiate, et centrale, ne se faisant qu’au-dessus de tout le créé. Mais venez aussi des repaires des lions, et des montagnes des léopards : car ce ne fera qu’à travers les plus cruelles persécutions des hommes, et des démons, comme d’autant de bêtes féroces, que vous pourrez arriver à un état si divin. Il est temps de vous élever plus que jamais au-dessus de tout cela, puisque vous êtes prête d’être couronnée en qualité de mon Épouse. [96]

Vs. 9. Vous m’avez blessé au cœur, ma sœur, mon Épouse : vous m’avez blessé au cœur par un regard de vos yeux, et par les cheveux unis de votre cou.

Vous êtes ma sœur, puisque nous appartenons à un même Père : Vous êtes mon Épouse ; puisque je vous ai déjà épousée, et qu’il ne tient plus qu’à très peu, que notre mariage ne soit consommé. Ma ur, mon Épouse. O Paroles trop douces, pour une âme affligée, de ce que la beauté qu’elle aime, et de qui elle est si tendrement aimée, ne se laisse point posséder ! Vous m’avez blessé au cœur, lui dit-il, vous n’avez blessé au cœur. Vous lui avez fait, ô Épouse, une double plaie : une, par un regard de vos yeux ; comme s’il disait : ce qui m’a blessé, et charmé en vous, c’est que tous vos malheurs, toutes vos disgrâces, et vos déplaisirs les plus extrêmes ; tout cela ne vous a point portée à retirer votre œil de dessus moi, pour vous envisager vous-même : vous [97] n’avez pas seulement regardé les blessures que je vous faisais faire ; ni celles que je vous faisais moi-même ; non plus que si elles ne vous eussent point touchée : parce que votre amour pur et droit, qui vous tenait appliquée uniquement à mol ; ne vous permettait pas de vous regarder vous-même, ni vos propres intérêts : mais seulement de m’envisager avec amour, ainsi que votre souverain objet. Mais hélas ! dira cette Amante affligée, comment vous aurais-je regardée, puisque je ne sai où vous êtes ? Elle ne sait pas que son regard est devenu si épuré, qu’étant toujours direct et sans réflexion, elle ne connaît pas son regard, et ne s’aperçoit pas qu’elle ne cesse point de voir. De plus dès que l’on ne peut plus le voir, et que l’on s’oublie soi-même, aussi bien que toutes les créatures, il est nécessaire que l’on regarde Dieu : et c’est sur lui que s’arrête le regard intérieur. L’autre plaie que vous m’ayez faite, c’est, dit encore [98] l’Époux, par l’union de vos cheveux bien tressés. Cela marque assez clairement que toutes les affections de lAmante ont été réunies en Dieu seul, et qu’elle a perdu toutes ses volontés en celle de son Dieu : de sorte que l’abandon de toute elles-même à la volonté de Dieu, par la perte de toute volonté propre, et la droiture avec laquelle elle s’applique à Dieu sans faire plus de retour sur soi-même, sont les deux flèches qui ont blessé le cœur de son Époux.

Vs. 10. Que vos mamelles fort belles, ma Sœur, mon Épouse ! vore sein est plus beau que le vin, et l’odeur de vos parfums passe tous les aromates.

L’Époux prévoyant toutes les conquêtes que son Épouse lui doit faire, et combien de lait il doit fortir de son sein, pour nourrir un nombre innombrable d’âmes, en est dans l’admiration : car il faut remarquer [99] que plus l’Épouse avance, plus ses mamelles deviennent pleines, l’Époux les lui remplissant toujours davantage, ce qui lui fait dire : Que vos mamelles font belles ! elles me ravissent bien et me charment. Elles sont plus belles que le vin ; car elles ont du vin et du lait ; du vin pour les forts, et du lait pour les enfants. Les odeurs par lesquelles vous attirez à moi les âmes, surpassent infiniment tous les parfums : il y aura en vous une odeur qu’elles ne connaîtront que lors qu’elles seront bien avancées : une odeur qui les attirera, et les fera courir après vous, pour venir à moi, et elles me seront amenées par vous. Cette odeur secrète étonnera ceux qui ne sauront pas ce mystère. Cependant leur expérience les forcera de dire : Je ne sai ce qu’il y a en vous qui m’attire : C’est une odeur admirable, dont on a peine à se déffendre, quoi qu’on ne pénètre pas ce que c’est : Il faut que ce foit l’onction de l’Esprit, que le seul Christ du Seigneur peut communiquer à ses Épouses. [100]

Vs. 1. Vos lèvres mon Épouse, font comme le raïon d’où coule le miel : Le miel et le lait se trouvent sous votre langue ; et l’odeur de vos vêtements est comme i'odeur de l’encens.

Sitôt que l’âme est arrivée au bonheur d’être reçue pour toujours en son Dieu, elle devient mère, et nourrice : la fécondité lui est donnée ; elle est mise par état dans la vie Apostolique, et dès lors les lèvres de cette personne sont comme un raïon de miel, qui distille continuellement en faveur des âmes. Ce ne sont que ses lèvres, et non ses paroles ; parce que c’est l’Époux qui parle par son Épouse, et les lèvres de son Épouse lui servent d’organe pour exprimer sa parole divine. Le miel et le lait, lui dit-il, sont sous la langue que je vous donne : c’est moi qui mets ce miel et ce lait sous votre langue, et qui les fais répandre par vous en faveur des âmes, selon [101] leur portée. L’Épouse est route miel, pour ceux qu’il faut gagner par la douceur des consolations. Elle est tout lait, pour les âmes devenues simples et enfantines. L’odeur de vos vertus et de vos bonnes œuvres, qui vous fervent comme de vêtements, et auxquelles vous ne tenez plus, depuis que la propriété en est bannie, se répand par tout, comme un encens très-odoriférant.

Vs. 12. Ma Sæur mon Épouse est un jardin clos : elle est un jardin bien fermé, une fontaine scellée.

L’Époux sacré ne se rend le panégyriste de son Épouse que pour nous faire voir ce qu’il souhaite que nous devenions en suivant son exemple1315. Ma Sæur et mon Épouse, dit-il, est un jardın clos, par dehors, et par dedans. Car comme il n’y a rien au dedans d’elle, qui ne soit entièrement à moi, il n’y a rien non plus au dehors d’elle, ni en toutes [102] ses actions, qui ne soit tout pour moi : elle n’est propriétaire d’aucune action, ni de quoi que ce puisse être : elle est close par tout ; il n’y a rien en elle pour elle ni pour aucune créature. Elle est aussi une fontaine, puis qu’elle est unie intimement à moi, qui suis la source, dont elle doit répandre les eaux par toute la terre, mais que je tiens scellée, en sorte qu’il n’en sortira jamais une goûte, que par mon ordre : et ainsi les eaux qu’elle distribuera, seront très-pures, et sans mélange, comme étant sorties de ma source :

Vs. 5. Vos productions ressemblent à un jardin délicieux, plein de grenades, et de toutes sortes de fruits, avec le cipre et le nard.

Votre fécondité sera si étendue, qu’elle ressemblera à un jardin délicieux plein de grenades ; en ce que l’union à la source vous rendant [103] utile à tout le monde, l’esprit de Dieu se communiquera par vous en divers lieux, comme on voit la grenade, qui représente les âmes unies en charité communiquer sa sève à tous les grains qu’elle renferme. Il est vrai que le sens principal de ce passage regarde l’Église, mais l’on ne saurait croire les grands fruits qu’une âme bien anéantie produirait en faveur des hommes sitôt qu’elle serait appliquée à les aider, Il y a dans ce jardin des fruits de toute façon, chaque âme ayant avec les qualités qui sont communes aux autres, son caractère particulier ; l’une excède en charité, et c’est la grenade, l’autre se signale en douceur, et c’est la pomme ; une autre se distingue par la souffrance, et par l’odeur de son bon exemple, et c’est le cipre : quelque autre distille la dévotion, le recueillement, et la paix ; et c’est le nard, et toutes sont aidées par l’Épouse anéantie selon leurs besoins. [104]

Vs. 14. Le nard, le safran, le sucre, la cannelle, et tous les arbres du Liban, la myrrhe, e l’aloes avec tous les parfums les plus exquis.

Il continue de faire un portrait des qualités particulières des âmes, dont il a rendu mère son Épouse par un pur effet de sa bonté ; et en faisant le récit des caractères des autres, il les fait voir en même temps tous renfermés en son Amante, comme dans le principe de communication par lequel ils sont distribués.

Vs.15. La fontaine des jardins, et le puits des eaux vives, qui descendent avec impétuosité du Liban.

LA fontaine des jardins est l’Époux même, qui est la source des grâces, lesquelles font naître, reverdir, croître, et fructifier les plantes spirituelles : L’Épouse est comme [105] un puits dans lequel les eaux vives et vivifiantes sont renfermées : et ces eaux coulent de l’Époux par l’Épouse, descendant impétueusement de la hauteur de la divinité, représentée par celle du mont Liban, pour inonder toute la terre : c’est-à-dire toutes les âmes qui veulent bien entrer dans le royaume intérieur, et en supporter les travaux, dans l’espérance d’en recueillir les fruits

Vs. 16. Levez-vous, vent de bise : venez vent de midi : soufflez par mon jardin, afin que les odeurs se pandent.

L’Épouse invite l’Esprit saint, l’Esprit de vie, de venir souffler en elle ; afin que ce jardin si rempli de fleurs, et de fruits répande son odeur, pour l’utilité de plusieurs âmes. C’est aussi l’Époux qui demande que la résurrection de cette Épouse se fasse bientôt, et qu’elle [106] reprenne une nouvelle vie, par le souffle de cet Esprit vivifiant, qui est celui qui doit ranimer et faire revivre cette âme anéantie, afin que le mariage soit parfaitement consommé.

Chapitre V


Que mon Bien-aimé vienne en son jardin, afin qu’il mange du fruit de ses pommiers. — Je suis venu en mon jardin, ma sœur, mon épouse : j’ai recueilli ma myrrhe avec mes senteurs ; j’ai mangé mon rayon de miel, et j’ai bu mon vin avec mon lait ; mangez, mes amis, buvez bien et faites bonne chère, mes bien-aimés. (Verset 1)

L’épouse qui, comme son Bien-aimé lui a dit, est un beau jardin, toujours plein de fleurs et de fruits, le prie instamment d’y venir, pour jouir de ses délices et manger de ses fruits, comme si elle disait : « Je ne veux de beauté, ni de fécondité que pour vous : venez donc en votre jardin, y posséder toutes choses, les manger et vous en servir en faveur des âmes choisies, sans quoi je n’en veux point ». Le Bien-aimé consent à ce que son épouse désire, Il veut bien manger de tout, mais Il veut que l’épouse y soit présente, et qu’elle soit témoin comme Il s’est nourri le premier de ce qu’Il veut faire manger à ses amis : « J’ai recueilli, dit-Il, ma myrrhe ; mais c’est pour vous, ô mon épouse, car c’est votre mets, qui n’est que d’amertumes, parce qu’il y a toujours à souffrir dans cette vie mortelle ». Cette myrrhe pour­tant n’est jamais seule, elle est toujours accompagnée de sen­teurs très agréables. L’odeur est pour l’Époux et la myrrhe amère est pour l’épouse. « Pour moi, dit cet Époux, j’ai mangé de tout ce qu’il y avait de doux, j’ai bu le vin et le lait, je me suis nourri de la douceur de votre charité ». Ravi qu’Il est de la générosité de son épouse, Il convie tous ses amis et ses enfants à venir se nourrir et se désaltérer auprès de son Épouse, qui est un jardin chargé de fruits et arrosé de lait et de miel. Une âme de cette force a de quoi pourvoir aux besoins spirituels de toutes sortes de personnes et peut donner d’excellents avis à tous ceux qui s’adressent à elle.

Ceci se peut encore très bien expliquer de l’Église qui invite Jésus-Christ à venir manger le fruit de ses pommiers, ce qui n’est autre chose que de recueillir le fruit de ses mérites par la sanctification de ses prédestinées, ainsi qu’Il le fera dans son second avènement : l’Époux répond à son épouse très chère qu’Il est venu en son jardin, lorsque Il s’est incarné ; qu’Il a recueilli sa myrrhe avec ses senteurs, lorsque Il a souffert les amertumes de sa Passion, qui était accompagnée de mérites infinis et dont l’odeur montait jusqu’à Dieu son Père. J’ai, ajoute-t-Il, mangé mon rayon de miel. Ce qui s’entend de ses actions et de sa doctri­ne, car Il pratiquait ce qu’Il annonçait ; et Il ne nous ordonnait aucune chose qu’Il ne la mît le premier en exécution, nous méritant, par ces choses mêmes qu’Il pratiquait, la grâce de ce qu’Il exige de nous. De sorte que la vie de Jésus-Christ était comme un rayon de miel, dont l’ordre divin, aussi bien que la douceur, faisait sa nourriture et sa félicité, dans la vue de la gloire que son Père en recevait et de l’utilité qui en revenait aux hommes.

J’ai bu mon vin et mon lait. Quel est-ce vin que Vous avez bu, ô divin Sauveur, et dont Vous fûtes si fort enivré que Vous Vous oubliâtes vous-même ? Ce vin fut l’amour excessif qu’Il portait aux hommes, qui Lui fit oublier qu’Il était Dieu, pour penser seulement à leur salut. Il en fut si enivré qu’il est dit de Lui-même par un prophète qu’Il sera rassasié d’opprobres, tant sa charité était forte1316. Il but son vin et son lait, lorsque Il but son sang en la Cène, qui, sous l’apparence du vin, était un lait virginal. Ce lait fut encore les écoulements de la divinité de Jésus-Christ sur son humanité. Ce divin Sauveur invite tous ses élus, qui ont envie de se nourrir comme Lui de souffrances, d’opprobres et d’ignominies, de l’amour de ses exemples et de sa pure doctrine qui sera pour eux un vin et un lait délicieux, un vin qui leur donnera de la force et du courage pour faire ce qui leur est ordonné, et du lait qui les charmera par la douceur de la doctrine qui leur est enseignée. Nous sommes donc tous invités à écouter et à imiter Jésus-Christ.

Je dors et mon cœur veille, j’entends la voix de mon Bien-aimé qui heurte. — Ouvrez-moi ma Sœur, ma Bien-aimée, ma colombe, ma toute belle et sans tache : car ma tête est toute chargée de rosée et mes cheveux entortillés sont baignés des gouttes de la nuit (Verset 2).

L’âme qui veille à son Dieu éprouve que, quoique son exté­rieur paraisse mort et comme interdit et éteint ainsi qu’un corps endormi, néanmoins ce cœur a toujours une vigueur secrète et inconnue, qui le tient uni à Dieu. De plus les âmes fort avancées éprouvent souvent une chose surprenante, qui est qu’elles n’ont, la nuit, qu’un demi-sommeil et Dieu opère plus, ce semble, en elles durant la nuit et dans le sommeil que pen­dant le jour. L’âme, dans ce sommeil, entend bien la voix de son Bien-aimé, qui vient frapper à la porte. Il veut se faire entendre, Il lui dit : « Ouvrez-moi, ma Sœur ; je viens à vous, ma Bien-aimée, que j’ai choisie par-dessus toutes pour en faire mon Épouse, ma colombe en simplicité, ma toute parfaite, ma toute belle et sans tache. Considérez que ma tête est pleine et encore dégouttante de ce que j’ai souffert pour vous durant la nuit de ma vie mortelle, et que j’ai essuyé pour votre amour les gouttes de la nuit de la plus cruelle persécution. Je viens donc à vous de la sorte, afin de vous faire part de mes opprobres, de mes ignominies et de mes confusions1317* ! Jusqu’à présent, vous avez eu part à l’amertume de ma croix. L’un est bien différent de l’autre, vous en allez faire une expérience terrible ».

Je me suis dépouillée : comment me revêtirai-je ? J’ai lavé mes pieds : comment les salirai-je ? (Verset 3)

L’épouse voyant que l’Époux parle de lui faire part de ses ignominies, craint beaucoup, et autant qu’elle a été courageuse et intrépide à accepter la croix, autant a-t-elle de peur de l’abjection dont elle est menacée. Plusieurs veulent bien porter la croix, mais il n’y a presque personne qui veuille porter l’infamie de la croix. Lorsque l’ignominie est proposée à cette âme, elle appréhende deux choses : l’une d’être revêtue de ce dont elle a été dépouillée, savoir d’elle-même et de ses défauts natu­rels1318* ; l’autre de se salir dans les affections des créatures. « Je me suis, dit-elle, dépouillée de moi-même, de mes défauts et de ce qu’il y avait en moi d’Adam pécheur : comment pourrai-je jamais m’en revêtir ?  Et cependant il me semble qu’il n’y a que cela qui me puisse causer de l’abjection et de la confusion : car pour les mépris qui m’arriveraient de la part des créatures, sans que je les eusse causés par ma faute, je m’en ferais un plaisir et une gloire, espérant que cela glorifierait mon Dieu et me ren­drait encore plus agréable à ses yeux. J’ai lavé et purifié mes affections de telle sorte qu’il n’y a rien dans moi qui ne soit tout à mon Bien-aimé, comment les souillerai-je encore par le commerce des créatures1319* ? » O pauvre aveugle, de quoi vous défendez-vous ? L’Époux ne voulait qu’éprouver votre fidélité, et voir si vous étiez à toutes ses volontés1320. Il a passé pour cou­pable, Il a été couvert de confusion, rassasié d’opprobres et mis au nombre des scélérats, Lui qui était l’innocence même ; et vous qui êtes criminelle, vous ne sauriez supporter de passer pour telle ? Ah, que vous serez bien punie de votre résistance !

Mon Bien-aimé a avancé sa main par un trou de la porte et mes entrailles se sont émues à ce seul attouchement. (Verset 4)

Le Bien-aimé, malgré les résistances de son épouse1321*, porte sa main par un petit passage qui lui est encore ouvert, qui est un reste d’abandon, malgré les répugnances que sent l’âme à s’abandonner avec tant d’excès. Une âme de ce degré porte un fond de soumission à toutes les volontés de Dieu, de manière qu’elle ne voudrait rien Lui refuser ; mais lorsque Dieu explique ses desseins particuliers1322*, et qu’usant des droits qu’Il a acquis sur elle, Il lui demande les derniers renoncements et les plus extrêmes sacrifices, ah ! c’est pour lors que toutes ses entrailles sont émues et qu’elle trouve bien de la peine où elle ne croyait plus en avoir ; et cette peine1323 vient de ce qu’elle était attachée à quelque chose sans le connaître. À ce toucher, toute la nature fré­mit, car c’est un toucher douloureux et qui est la plus sensible douleur de l’âme, comme l’éprouvait le plus patient des hommes, lorsque ayant souffert des maux inconcevables sans se plaindre, il ne put s’empêcher de s’écrier à ce toucher de la main de Dieu1324: « Ah ! de grâce, mes amis, oubliez tous mes autres maux, qui vous font tant d’horreur ! Ayez seulement pitié de moi pour une chose : c’est que la main de Dieu m’a touché ». De même l’épouse se sent toute frémir à ce toucher.

Combien êtes-vous jaloux, ô divin Époux, que votre amante fasse toutes vos volon­tés, puisqu’une simple excuse, qui paraît si juste, Vous offense si fort ! Ne pouviez-Vous pas empêcher une épouse si chère et si fidèle de Vous faire cette résistance1325? Mais elle était nécessaire pour sa consommation. L’Époux permet cette faute dans son épouse, afin de la punir, et de la purifier en même temps, de l’attache1326* qu’elle avait à sa pureté et à son innocence, et de la répu­gnance qu’elle sentait au dépouillement de sa propre justice, car, quoique elle sût bien que sa justice est à son Époux, néanmoins elle y avait de l’attache et elle s’en appropriait quelque chose1327.

Je me suis levée pour ouvrir à mon Bien-aimé : la myrrhe a dégout­té de mes mains et mes doigts se sont trouvés pleins de myrrhe très pure. (Verset 5)

L’âme n’a pas plutôt reconnu sa faute qu’elle s’en repent et se relève par un renouvellement d’abandon et une étendue de sacrifice. Ce n’est pas toutefois sans douleur et amertume : la partie inférieure et toute la nature est saisie de tristesse et de frayeur, toutes ses actions mêmes en sont rendues plus pénibles et plus amères, mais de l’amertume la plus forte qu’elle eût encore éprouvée.

J’ai déverrouillé ma porte pour ouvrir à mon Bien-aimé, mais il s’était déjà écarté et il avait passé outre ; mon âme s’est fondue sitôt qu’il a parlé. Je l’ai cherché et je ne l’ai point trouvé, je l’ai appelé et il ne m’a pas répondu. (Verset 6)

C’est comme si cette âme disait : « J’ai levé la barrière qui empêchait et ma perte totale et la consommation de mon mariage, car ce mariage divin ne peut être consommé que la perte totale ne soit arrivée. J’ai donc ôté cette barrière par l’abandon le plus courageux et le sacrifice1328* le plus pur qui fût jamais. J’ai ouvert1329 à mon Bien-aimé, croyant qu’Il entrerait et qu’Il guérirait la douleur qu’Il m’avait causée par son attouche­ment. » Mais hélas, le coup serait trop doux, s’Il y apportait si promptement le remède ! Il se cache, Il fuit, Il passe outre, Il ne laisse à cette amante affligée que la plaie qu’Il lui a faite, la peine de sa faute, et la saleté qu’elle croit avoir contractée en se levant. Cependant la bonté de l’Époux est si grande que, quoique Il se cache, Il ne laisse pas de faire de grandes grâces à ses amis, et d’autant plus grandes que les privations sont et plus longues et plus dures : comme Il fit à son Épouse qui se trouva dans une nouvelle disposition, laquelle lui fut bien avantageu­se, quoique elle ne la reconnût pas pour telle. C’est que son âme se fondit et se liquéfia, dès que son Bien-aimé eut parlé, et que, par cette liquéfaction, elle perdit ses qualités dures et rétrécies, qui empêchaient la consommation du mariage spirituel, en sorte que, par là, elle fut toute disposée pour s’écouler dans son origine. J’ai cherché mon Bien-aimé et je ne l’ai point trouvé : je l’ai appelé, mais Il n’a plus pour moi de parole : ô affliction incon­cevable !

Les gardes qui font la ronde par la ville m’ont rencontrée : ils m’ont battue et blessée ; les gardes des murailles m’ont ôté mon man­teau. (Verset 7)

Épouse infortunée, jamais il ne vous était arrivé rien de pareil, parce que jusqu’ici votre Époux vous gardait : vous vous êtes reposée sûrement sous son ombre, vous étiez en assurance entre ses bras ; mais depuis qu’Il s’est éloigné par votre faute, ah ! que vous est-il arrivé ? Vous croyiez avoir beaucoup souffert par tant d’épreuves qu’Il avait déjà faites de votre fidélité. Au prix de ce qui vous reste à souffrir, ce que vous avez souffert avec Lui n’était que des ombres de souffrances, et il ne vous fallait pas attendre à moins : croyiez-vous épouser un Dieu déchiré de plaies, percé de clous et dépouillé de tout, sans être traitée de même ? Cette âme se trouve battue et blessée de tous ceux qui gardent la ville ; ceux qui jusqu’à présent n’avaient osé l’atta­quer, et qui cependant la veillaient incessamment, prennent leur temps pour la frapper. Qui sont ces gardes ? Ce sont les ministres de la Justice de Dieu1330: ils la blessent et ils lui ôtent le manteau si cher de sa propre justice. Ô épouse infortunée, que ferez-vous, dans un état si pitoyable ? L’Époux ne voudra plus de vous, après un si triste accident, qui porte avec soi l’abjection d’avoir été maltraitée des soldats1331* et couverte de blessures, jusqu’à avoir laissé votre manteau entre leurs mains, quoique il fût votre principal ornement. Si vous continuez encore de cher­cher votre Bien-aimé, l’on dira que vous êtes folle de vous pré­senter à Lui de la sorte1332 ; et d’ailleurs, si vous cessez de Le chercher, vous mourrez de langueur : votre état est assurément déplorable.

Je vous conjure, ô filles de Jérusalem, en cas que vous rencontré mon Bien-aimé, de lui dire que je languis d’amour. (Verset 8).

Le véritable amour n’a point d’yeux pour se regarder soi­-même. Cette amante affligée oublie ses blessures, quoique elles saignent encore ; elle ne se souvient plus de sa perte : elle n’en parle pas même. Elle pense seulement à celui qu’elle aime, et elle le cherche avec d’autant plus de force qu’elle trouve plus d’obstacle à sa possession. Elle s’adresse aux âmes intérieures et leur dit : « Ô vous à qui mon Bien-aimé se découvrira sans doute, je vous conjure par Lui-même de lui dire que je languis d’amour pour Lui ». Quoi, ô la plus belle des femmes, ne voulez-­vous pas qu’on Lui parle plutôt de vos blessures et qu’on Lui raconte ce que vous avez souffert en Le cherchant ? « Non, non, répond cette âme généreuse, je suis trop récompensée de mes maux, puisque je les ai soufferts pour Lui et je les préfère aux plus grands biens. Ne dites qu’une chose à mon Bien-aimé : c’est que je languis d’amour pour Lui. La plaie que son amour a faite dans le fond de mon cœur est si vive que je suis insensible à toutes les douleurs extérieures ; j’ose dire même qu’au prix de celle-là, elles me sont des rafraîchissements ».

Quel est votre Bien-aimé digne d’être chéri plus que nul autre, ô la plus belle de toutes les femmes ? Quel est votre Bien-aimé digne d’être chéri plus que nul autre, pour lequel vous nous conjurez si fort ? (Verset 9).

Les filles de Jérusalem ne laissent pas d’appeler cette aman­te la plus belle de toutes les femmes, à cause que ses plaies les plus douloureuses sont cachées et que celles qui paraissent, donnent même du lustre à sa beauté. Ces autres filles sont étonnées de voir un amour si fort, si constant et si fidèle au milieu de tant de traverses. Elles demandent : « Quel est ce Bien-aimé ? Il faut, disent-elles, qu’Il soit d’un mérite sans égal pour posséder de la sorte son amante ». Car quoique ces filles soient spirituelles, elles ne sont point encore en état de comprendre une voie si forte et si nue. Si cette épouse avait pensé à elle-même, elle aurait dit1333 : Ne m’appelez pas belle ; elle aurait usé de quelque parole d’humilité ; mais elle est incapable de tout cela : elle n’a qu’une seule affaire, c’est la recherche de son Bien-aimé. Elle ne peut parler que de Lui ; elle ne peut penser qu’à Lui et quand elle se verrait précipitée dans l’abîme, elle n’y ferait point de réflexion. Celle qu’elle venait de faire par l’appréhen­sion de se salir lui a trop coûté, puisqu’elle lui a causé l’absence de son Époux, de sorte que, instruite par sa disgrâce, elle ne peut plus se regarder, et quand elle serait aussi affreuse qu’elle est belle, elle ne pourrait pas y penser1334.

Mon Bien-aimé est blanc et vermeil, choisi entre mille. (Verset 10)

Mon Bien-aimé, dit cette amante, est blanc par sa pureté, par son innocence et par sa simplicité. Il est vermeil par sa cha­rité, et parce qu’Il a voulu être empourpré et teint de son sang. Il est blanc par sa candeur : Il est vermeil par le feu de son amour. Mon Bien-aimé est choisi entre mille, c’est-à-dire entre tous. Je L’ai choisi et L’ai préféré à tout autre. Son Père l’a choisi entre tous les enfants des hommes1335, comme son Fils unique et bien-aimé, en qui Il prend ses délices. Enfin, si vous voulez savoir, ô jeunes cœurs, qui est celui que j’aime si passionné­ment1336, c’est celui de qui la beauté surpasse celle de tous les enfants des hommes, car la grâce est répandue sur ses lèvres1337. C’est celui qui est l’éclat de la lumière éternelle, le miroir sans tache de la majesté de Dieu et l’image de sa bonté. Jugez si j’ai sujet de Lui donner toute la préférence de mon amour.

Sa tête est un or très pur. Ses cheveux ressemblent aux fleurs de pal­mier, et ils sont noirs comme un corbeau. (Verset 11)

Par les cheveux qui couvrent la tête, l’on doit entendre l’humanité sainte, laquelle couvre et cache la Divinité. Ces mêmes cheveux, ou cette humanité étendue sur la croix res­semble aux fleurs de palmier, parce que c’est là que, mourant pour les hommes, elle remporta la victoire sur leurs ennemis et leur mérita les fruits de la rédemption, qui nous avaient été promis par sa mort : alors le bouton de la palme s’ouvrit, parce que l’Église naquit du cœur de son Époux. Là l’humanité ado­rable paraît noire comme un corbeau, en ce qu’elle paraît non seulement couverte de meurtrissures, mais aussi chargée de péchés et de la noirceur de tous les hommes, quoique elle soit la blancheur et la pureté sans pareille. Là où Jésus-Christ parut un ver et non un homme1338, l’opprobre des hommes et le mépris du peuple, combien était-Il noir ! Cette noirceur néanmoins ne laissait pas de relever sa beauté, parce qu’Il n’en était chargé que pour en décharger tout le monde.

Ses yeux sont comme les colombes qui sont auprès des petits ruis­seaux, aussi blanches que si elles avaient été lavées dans du lait, et qui se tiennent sur le bord des eaux les plus abondantes. (Verset 12)

Elle continue à relever les perfections de son Époux : toutes ses richesses et ses grandes qualités sont la joie de l’amante, au milieu de ses misères. Ses yeux, dit-elle, sont si purs, si chastes et si simples, ses connaissances si épurées de tout ce qui est matériel, qu’elles sont comme des colombes : non des colombes d’une beauté ordinaire, mais des colombes lavées dans le lait de la grâce divine qui, lui ayant été donnée avec plénitude, lui a communiqué tous1339 les trésors de la sagesse et de la science de Dieu. Il est auprès des petits ruisseaux, dans les âmes petites qui, quoique peu avancées, ne laissent pas de lui être agréables à cause de leur petitesse, surtout dès qu’elles ont appris à en faire usage. Mais Il fait sa résidence continuelle auprès de ces âmes abandonnées, auprès de ces eaux promptes et rapides, qui ne s’arrêtent pour chose au monde et qui, lorsque’l’on leur fait le moindre obstacle, s’enflent avec plus de force et s’écoulent avec plus d’impétuosité.

Ses joues sont comme de petits carreaux d’aromates, plantés par les parfumeurs. Ses lèvres ressemblent aux fleurs de lis, d’où dégoutte une excellente myrrhe. (Verset 13)

Les joues de l’Époux représentent les deux parties de son âme, la supérieure et l’inférieure, qui sont dans un ordre si admirable qu’il ne se peut rien de plus, et qui rendent une odeur inconcevable. Et comme les joues sont unies à la tête, aussi cette noble et belle âme est unie à la Divinité. Les car­reaux pleins de plantes aromatiques signifient les puissances et les sens intérieurs de son humanité sainte, qui sont tous dans un ordre parfait. C’est assurément un habile parfumeur qui en a fait le choix et qui les a si bien rangées, puisque c’est le Saint-Esprit qui a donné un si bel ordre à tout l’intérieur et extérieur de Jésus-Christ. Ses lèvres sont très bien comparées aux lis, mais ce sont des lis rouges, qui sont fréquents dans la Syrie et d’une rare beauté. Quelles lèvres peuvent être plus ver­meilles, plus odoriférantes et plus belles que celles qui répan­dent les paroles d’Esprit et de vie, et la science de la vie éter­nelle ? De ces mêmes lèvres dégoutte une excellente myrrhe, puisque la doctrine de Jésus-Christ porte à la pénitence, à la mortification des passions et au renoncement continuel.

Ses mains sont toutes d’or façonnées au tour et ornées d’hyacinthes. Son ventre est d’ivoire semé de saphirs. (Verset 14)

Ses mains signifient ses opérations intérieures et extérieures : les intérieures sont toutes d’or, puisqu’elles ne s’étendent à rien moins qu’à rendre à Dieu son Père tout ce qu’Il reçoit de Lui. Aussi ses mains sont-elles façonnées au tour, pour marquer qu’Il ne reçoit rien de son Père qu’Il ne le Lui rende et qu’Il n’en retient rien, car Il est extrêmement fidèle1340 à remettre son royaume entre les mains de Dieu et de son Père. Elles sont aussi ornées d’hyacinthe, parce que chacune de ses opérations intérieures se distingue par le degré le plus éminent de la vertu à laquelle elles appartiennent, surtout de religion envers son Père et de miséricorde à l’égard des hommes.

Ses opéra­tions extérieures sont toutes distributives, libérales et ouvertes en faveur des hommes. Ses mains sont faites au tour : elles ne peuvent rien retenir, et elles sont pleines des grâces et des misé­ricordes les plus réservées, qu’Il communique et distribue incessamment à ses pauvres créatures. Son humanité, représen­tée par son ventre, est comparée à l’ivoire, parce qu’il n’y a rien en elle que de très pur et de très solide, puisque tout y est uni à Dieu et appuyé sur la Divinité. Elle est aussi ornée, et embellie de toutes les perfections possibles, qui éclatent en elle comme autant de pierres précieuses.

Ses jambes sont comme des colonnes de marbre posées sur des bases d’or. Sa beauté égale celle du Liban ; il est choisi comme les cèdres. (Verset 15)

Toute la partie inférieure du corps, dont il est ici parlé sous le nom des jambes et des pieds qui les soutiennent, est prise singulièrement pour la chair du Sauveur, et elle est bien dési­gnée par le marbre à cause de son incorruptibilité. Car encore qu’elle ait succombé à la mort pour quelques heures, toutefois étant assise sur une base d’or, c’est-à-dire unie hypostatique­ment à la Divinité1341, elle n’a point été réduite à la corruption ; et tout cet auguste sanctuaire soutenu par le Verbe de Dieu, qui lui donne son incorruptibilité, durera éternellement. Sa beauté est immense et si grande qu’elle égale celle du mont Liban, qui est d’une très vaste étendue et extrêmement fertile, puisqu’en lui sont plantés tous les cèdres, qui sont les saints. Mais quoique tous les saints soient plantés en Jésus-Christ, Il est néanmoins élu comme eux en tant qu’homme, étant le pre­mier prédestiné ; et Il est élu pour tous les hommes, car il n’y a point d’élu qui ne soit élu en Lui et par Lui : c’est Lui qui a méri­té leur élection1342, tous ayant été prédestinés pour être conformes à la gloire de Jésus-Christ, afin qu’Il soit l’aîné de plusieurs frères.

Sa gorge est très agréable. Enfin, il est tout désirable. Tel est mon Bien-aimé et c’est là celui que j’aime, ô filles de Jérusalem. (Verset 16)

Il y a des sujets médiocres dont les louanges ordinaires expriment assez les bonnes qualités, mais il y en a qui sont si fort au-dessus de l’expression que l’on ne peut les louer digne­ment qu’en avouant qu’ils sont au-dessus de toutes louanges. Tel est le divin Époux qui par l’excès de ses perfections rend son épouse muette, lors même qu’elle tâche de Le louer avec plus de force, afin de Lui attirer les cœurs et les esprits. Sa pas­sion la fait éclater en quelques louanges, de celles qu’elle jugeait convenir le mieux à son Époux ; mais comme si, revenue de l’emportement de son amour, elle avait honte d’avoir voulu exprimer un mérite qui est inexplicable, elle se condamne à un silence précipité, qui semble mettre le désordre dans un dis­cours qu’elle faisait autant pour évaporer sa passion que pour inviter ses compagnes à aimer celui dont elle est si fort passion­née. Aussi son silence est-il précédé de ces deux seules paroles : Sa gorge est très agréable. Comme la gorge sert à pousser la voix, elle fait voir par là qu’Il est l’expression de la Divinité, et que c’est pour cela que, comme Dieu, Il est au-dessus de tous attri­buts et de toutes qualités : si on Lui en donne quelques-unes, c’est pour s’accommoder à la faiblesse de la créature qui ne peut s’expliquer d’une autre manière.

Puis se laissant encore aller à son transport, elle ajoute : Enfin il est tout désirable. Comme si elle disait : Ô mes compagnes, ne me croyez pas sur ce que je vous ai dit de mon Bien-aimé, mais désirez d’en juger par votre expérience : goûtez combien Il est doux, puis vous serez en état de comprendre la justice et la force de mon amour. Il est encore désirable non seulement parce qu’Il est1343 le désir des collines éternelles1344 et celui que désiraient les nations, mais parce que ce qui est à souhaiter pour nous est de participer à ses gran­deurs selon notre faiblesse : car Il peut être imité de tous, quoique non dans toute sa perfection. C’est, ô filles de Jérusa­lem, celui qui a toutes ses rares qualités, et infiniment davanta­ge que je n’en saurais décrire, que j’aime, que je cherche, et dont je suis ainsi passionnée : jugez si je n’ai pas raison de L’aimer ?

Où est allé votre Bien-aimé, ô la plus belle de toutes les femmes ? Dites-nous où s’est écarté votre Bien-aimé, et nous le chercherons avec vous. (Verset 17)

Cette âme, dans son abandon et dans sa douleur, devient une grande missionnaire : elle prêche avec tant d’éloquence les per­fections de celui qu’elle aime, ses douceurs et ses amabilités infi­nies, qu’elle donne envie à ses compagnes de Le chercher avec elle et de Le connaître. Ô amour vainqueur, lorsque vous fuyez plus fortement, c’est alors que vous faites plus de conquêtes ! Et cette âme qui est comme un torrent impétueux à cause de son vio­lent amour, entraîne avec elle tout ce qu’elle rencontre. Ô qui n’aurait pas envie de voir et de chercher un Amant si désirable ? Jeunes cœurs qui vous répandez si inutilement dans les amuse­ments des créatures, que ne vous employez-vous à cette recherche ! Ah, vous seriez infiniment contents !

Chapitre VI

Mon Bien-aimé est descendu dans son jardin, jusqu’au parterre des plantes aromatiques, pour repaître dans ces lieux de délices et y cueillir des lis. (Verset 1)

Ô amante fortunée, après avoir tant cherché votre Bien-­aimé, vous en apprenez enfin des nouvelles ! Vous aviez tant dit que vous Le tiendriez si bien que vous ne Le laisseriez plus aller, cependant vous L’avez laissé aller plus loin que jamais. « Hélas ! dit-elle, j’étais une téméraire, je ne considérais pas de moi de le retenir ; mais que c’est à lui à se donner et à se retirer comme il Lui plaît, que je ne dois vouloir que sa volonté, et être indiffé­rente dans ses allées et dans ses venues. J’avoue que mon amour était intéressé, quoique je ne le connusse pas : je préférais à son propre plaisir, le plaisir que j’avais à L’aimer, Le voir et Le possé­der. Ah ! que si j’étais assez heureuse pour Le revoir, je n’en agi­rais pas de la sorte : je Le laisserais aller et venir à son gré, et ce serait le moyen de ne Le plus perdre. Je sais cependant qu’Il est descendu dans son jardin, ce Bien-aimé : Il est dans mon âme, mais Il y est tellement pour Lui que je n’y veux plus de part. Il est dans le plus profond centre, dans la partie suprême, où se trouve ce qu’il y a de plus odoriférant. C’est là le lieu où Dieu habite, c’est là la source et le siège de toutes les vertus. Il y vient pour s’y nourrir de tout ce qui est à Lui, car il n’y a plus rien à moi ni pour moi. Il prend ses innocentes délices dans ce jardin que Lui-même a planté, qu’Il a cultivé et fait fructifier par sa chaleur vivifiante. Qu’Il cueille donc ses lis, que toute la pureté soit pour Lui, qu’Il en ait tout le plaisir et tout l’avantage ».

Je suis à mon Bien-aimé, et mon Bien-aimé est à moi. Il repaît parmi les lis. (Verset 2)

Sitôt que l’âme est entièrement désappropriée, elle est toute disposée pour être reçue dans le lit nuptial de l’Époux, ou elle n’est pas plutôt introduite que, goûtant les sacrées et chastes délices du baiser de la bouche qu’elle avait désiré d’abord, et qu’elle possède à présent par l’union essentielle dont elle vient d’être gratifiée, elle ne peut s’empêcher d’expri­mer son contentement par ces paroles : « Je suis toute à mon Bien-­aimé et mon Bien-aimé est tout à moi. Ô avantage inexplicable ! Je n’en peux dire autre chose, si ce n’est que je suis toute sans réserve à mon Bien-aimé, et que je Le possède sans obstacle, sans empêchement et sans restriction ».

Ô épouse digne de la jalousie des anges, vous avez enfin trouvé votre Bien-aimé, et quoique vous ne soyez plus si téméraire que de dire que vous Le retiendrez et ne Le laisserez plus aller, toutefois vous L’avez d’une manière plus solide que jamais. Vous L’avez pour ne plus Le perdre : qui ne vous féliciterait pas d’un si grand avantage ? Vous êtes si fort à votre Bien-aimé que rien ne vous empêche de vous perdre en Lui. Depuis que vous avez été toute fondue par la chaleur de son amour, vous avez été disposée à vous écou­ler en Lui, comme dans votre fin : « Ah ! dit cette incomparable épouse, si je suis toujours à mon Époux, Il est bien aussi tout à moi ! Car j’éprouve de nouveau ses bontés : Il se donne à moi d’une manière autant ineffable qu’elle est nouvelle ; il récom­pense ma douleur par de plus tendres caresses. Il se nourrit entre les lis de ma pureté : ceux de l’âme, qui Lui plaisent beau­coup plus que ceux de la chair, sont la désappropriation généra­le, — une âme sans propriété est une âme vierge ; ceux du corps sont l’intégrité des sens.

Vous êtes belle, ma Bien-aimée et toute charmante, agréable comme Jérusalem, terrible comme une armée rangée en bataille. (Verset 3)

Le Bien-aimé ayant trouvé son épouse toute désappropriée et toute préparée pour la consommation du mariage, et pour être reçue en Lui par état permanent1345* et durable, admire la beau­té de cette âme. Il lui dit qu’elle est belle et charmante : c’est qu’Il trouve en elle une certaine douceur et un agrément qui approche du divin. « Vous êtes, lui dit-Il, agréable comme Jérusalem en ce que depuis que vous avez perdu tout ce qui était à vous, pour me le dévouer entièrement ; vous êtes ornée et embellie de tout ce qui est à moi ; et vous avez part à tout ce que je possè­de. Je vous trouve toute propre à être ma demeure, comme je veux être la vôtre : vous serez en moi et je serai en vous. Mais si vous avez tant d’agrément et tant de douceur pour moi, vous êtes au contraire terrible au démon et au péché : comme une armée rangée en bataille, et sans combattre, vous mettez en fuite tous vos ennemis, parce qu’ils vous craignent autant que moi, depuis que vous êtes devenue1346 un même esprit avec Dieu, par la perte de vous-même en moi ».

O pauvres âmes qui com­battez toujours votre vie et ne remportez que de très petites victoires, quoique elles vous coûtent bien des blessures, si vous vous donniez à Dieu tout de bon et vous délaissiez à Lui, vous seriez plus redoutables et plus terribles qu’une infinité d’hommes armés pour le combat et déjà rangés en bataille.

Détournez — vos yeux de moi, car ils m’ont fait envoler. Vos cheveux sont comme un troupeau de chèvres qui ont paru de Galaad.1347 (Verset 4)

L’on ne saurait croire la délicatesse de l’amour de Dieu et l’extrême pureté qu’Il demande des âmes qui sont ses Épouses. Ce qui fait la perfection d’un état est l’imperfection d’un autre : autrefois l’Époux se louait infiniment de ce que son épouse ne détournait jamais ses regards de dessus Lui, et aujourd’hui Il ne veut pas qu’elle Le regarde : Il dit que les regards de l’Épouse le font envoler. Ah ! c’est que, dès que l’âme commence de recouler en son Dieu, comme un fleuve dans son origine, elle doit être toute perdue et abîmée en Lui. Il faut même alors qu’elle perde la vue aperçue de Dieu et toute connaissance distincte, pour petite qu’elle soit : il n’y a plus de vue ni de discerne­ment, où il n’y a plus de division ni de distinction, mais un parfait mélange. De sorte que la créature ne pourrait regarder Dieu dans cet état, sans se voir elle-même et apercevoir en même temps les opérations de son amour : or il faut que tout cela soit caché et dérobé à sa vue, et que, comme un séraphin, elle ait les yeux voilés pour ne plus jamais rien voir en cette vie. Ce qui s’entend de ne vouloir rien voir et de ne chercher pour elle-même aucune découverte, ce qu’elle ne peut faire sans infidélité ; mais cela n’empêche pas que Dieu ne lui fasse découvrir et comprendre ce qui Lui plaît. Il n’y a que le cœur qui demeure découvert, parce qu’il ne peut trop aimer.

Lorsque je parle de distinction, je ne l’entends pas de la dis­tinction de quelque perfection divine en Dieu même, car elle est perdue il y a longtemps puisque, dès les premiers absorbe­ments, l’âme n’a qu’une vue de soi confuse et générale de Dieu en Lui, sans distinction d’attributs ni de perfections1348. Et quoique l’amante ait parlé des grandeurs et qualités souverains de son Bien-aimé, elle ne l’a fait que pour gagner les âmes, sans qu’elle eût besoin pour elles d’aucune de ces vues dis­tinctes, et il lui est donné selon le besoin d’en parler ou d’en écrire. La distinction dont je veux parler est de Dieu et de l’âme. Ici, l’âme ne doit plus et ne peut plus faire de distinc­tion de Dieu et d’elle : Dieu est elle et elle est Dieu1349, depuis que, par la consommation du mariage, elle est recoulée en Dieu et se trouve perdue en Lui, sans pouvoir se distinguer ni se retrouver. La vraie consommation du mariage fait le mélange de l’âme avec son Dieu, si grand et si intime qu’elle ne peut plus se distinguer ni se voir, et c’est ce mélange qui divinise, pour ainsi parler, les actions de cette créature, arrivée à un état aussi haut et aussi sublime que celui-ci, parce qu’elles partent d’un principe tout divin, à cause de l’unité qui vient d’être liée entre Dieu et cette âme fondue et recoulée en Lui, Dieu deve­nant le principe des actions et des paroles de cette âme, quoique elle leur donne aussi le jour et les produise au-dehors. Le mariage des corps, par lequel1350 deux personnes sont une même chair, n’est qu’une légère figure de celui-ci, par lequel, dans les termes de saint Paul, Dieu et l’âme ne sont plus qu’un esprit1351.

On est si fort en peine de savoir en quel temps se fait le mariage spirituel : cela est aisé à voir par ce qui a été dit. Les fiançailles ou promesses mutuelles se font dans l’union des puissances, lorsque l’âme se donne toute à son Dieu et que son Dieu se donne tout à elle, à dessein de l’admettre à son union ; c’est là un accord et une promesse réciproque. Mais, hélas, qu’il y a encore de chemin à faire et qu’il y a bien à souffrir, avant que cette union tant désirée soit accordée et consommée ! Le maria­ge se fait lorsque l’âme se trouve morte et expirée entre les bras de l’Époux qui, la voyant plus disposée, la reçoit à son union. Mais la consommation du mariage ne se fait que lorsque l’âme est tellement fondue, anéantie et désappropriée qu’elle peut toute, sans réserve, s’écouler en son Dieu. Alors se fait cet admirable mélange de la créature avec son Créateur, qui les réduit en unité, pour ainsi parler, quoique avec une dispropor­tion infinie : telle qu’est celle d’une goutte d’eau avec la mer en ce que, quoique elle soit devenue mer, toutefois elle est tou­jours une petite gouttelette, bien qu’elle soit proportionnée en qualité d’eau avec toute la mer et propre à être mélangée et ne faire plus qu’une mer avec elle.

Que si quelques saints ou quelques auteurs ont établi ce mariage divin dans des états moins avancés que n’est celui que je décris, c’est qu’ils prenaient les fiançailles pour le mariage et le mariage pour la consommation et qu’en parlant avec la liberté de l’esprit, ils ne distinguaient pas toujours exactement ces degrés : ainsi que l’on attribue souvent l’union divine à des états qui ne sont que les premiers pas du chemin intérieur. Toutes les âmes qui ont eu la faveur des fiançailles se croient épouses, d’autant plus que l’Époux même les traite de ce nom, comme on l’a vu dans ce Cantique. Il n’y a que l’expérience et la lumière divine, qui puisse faire connaître cette différence.

L’Époux compare encore les pensées de son épouse, dési­gnées par ses cheveux, à des chèvres qui ont paru et non à des chèvres qui se soient arrêtées, parce que l’esprit de ces per­sonnes consommées est si net et si vide de toutes pensées que celles qui viennent ne font que paraître pour des moments, et pour autant de temps qu’il en faut pour l’effet que Dieu en prétend.

Vos dents sont comme un troupeau de brebis qui viennent d’être lavées : toutes ont de petits jumeaux et il n’y en a aucune de stérile entre elles. (Verset 5)

L’Époux redit à son épouse ce qu’Il lui avait dit autrefois, pour lui faire voir qu’elle a présentement, très réellement et en libre usage, ce qu’elle n’avait alors qu’en germe. Ses dents sont ses puissances, qui sont tellement redevenues innocentes, pures et nettes qu’elles sont parfaitement lavées. Les brebis aux­quelles elles ressemblent ne sont plus tondues comme les pre­mières, parce que la facilité de l’usage des puissances est rendue d’une manière admirable et sans confusion : car la mémoire ne ramène que les choses qu’il faut, selon l’esprit de Dieu, sans désordres d’espèces, et dans le temps qu’il est nécessaire. Elles ne sont plus stériles, ayant une double fécondité : l’une de faire beaucoup plus qu’elles ne faisaient auparavant et l’autre, de le faire mieux.

Vos joues ressemblent à l’écorce de la grenade, sans ce qui est caché au-dedans de vous. (Verset 6)

Comme l’écorce est la moindre partie de la grenade, qui renferme en soi toute sa bonté, aussi ce qui paraît extérieure­ment de l’âme de ce degré est très peu de chose, au prix de ce qui est caché. Le dedans est plein de la plus pure charité et des grâces les plus réservées, couvertes cependant d’un extérieur très commun, car Dieu prend plaisir de cacher les âmes qu’Il veut pour Lui-même : les hommes ne sont pas dignes de les connaître, et les anges les admirent et respectent, quoique sous un extérieur le plus simple du monde. En sorte que ceux qui n’en jugeraient que selon l’apparence les croiraient des plus communes, quoique elles soient les délices de Dieu. Ce ne sont point de celles-là qui éclatent dans le monde ni par les miracles ni par les dons extraordinaires : tout cela est trop peu pour elles. Dieu se les réserve et Il en est si fort jaloux qu’Il ne les expose pas aux yeux des hommes. Au contraire, Il les scelle de son sceau, comme Il dit Lui-même que son épouse est la fontaine scellée1352, dont Il est Lui-même le sceau. Mais pourquoi la tient-Il scellée ? C’est parce que l’amour est fort comme la mort et la jalousie dure comme l’enfer1353. Ô que ceci exprime bien ce que j’avance. Car comme la mort enlève tout à celui qu’elle tient, aussi l’amour arrache tout à l’âme et la cache dans le secret d’un sépulcre vivant. La jalousie de Dieu est dure comme l’enfer, en ce qu’il n’y a rien qu’Il ne fasse pour possé­der pleinement ses épouses.

L’on m’objectera que cette âme n’est pas si cachée, puisqu’elle aide au prochain. Mais je réponds que c’est ce qui la couvre le plus d’abjection, Dieu se servant de cela pour la rendre plus méprisable, à cause des contradictions qu’il faut qu’elle essuie. Il est vrai que celles qui s’adressent à elle et qui sont en état de recevoir quelque participation de la grâce qui est en elle, en ressentent les effets ; mais, outre que ces per­sonnes sont aussi fort cachées, c’est que, pour l’ordinaire, Dieu permet que l’extérieur commun de ces âmes choisies scandali­se même ceux qui ont part à leurs grâces, jusque là qu’ils s’en emparent souvent après que Dieu en a tiré l’effet qu’il préten­dait. L’Époux traite en cela son épouse comme Lui-même : tous ceux qu’Il avait gagnés à son Père1354 ne furent-ils pas scandalisés en Lui ? Que l’on examine un peu la vie de Jésus-Christ : rien de plus commun, quant à l’extérieur. Ceux qui font des choses plus extraordinaires sont les copies des saints, desquelles Jésus-Christ a dit qu’ils feraient de plus grandes œuvres que Lui : ces âmes ici sont d’autres Jésus-Christ, c’est pourquoi l’on y remarque moins les traits des saints. Mais pour les caractères de Jésus-Christ, si on les examine de près, on les y verra très clairement. Cependant Jésus-Christ est un sujet de scandale aux Juifs et semble une folie aux Gentils. Ces per­sonnes scandalisent souvent, dans leur simplicité, ceux qui, attachés aux cérémonies légales, plutôt qu’à la simplicité de l’Évangile, ne regardent que l’écorce de la grenade, sans péné­trer le dedans. O vous qui en usez de la sorte, faites attention que la grenade à laquelle l’épouse est si bien comparée, a une écorce très méprisable, quoique ce qu’elle renferme soit le plus excellent de tous les fruits et même le plus agréable à voir et à goûter. C’est cet ordre admirable de la charité que l’Époux commença de mettre dans le cœur de son épouse lorsque Il l’introduisit dans ses celliers, et qui se trouve ici achevé, la grenade étant dans sa maturité.

Il y a soixante reines et quatre-vingts autres femmes, et les jeunes filles sont sans nombre. (Verset 7)

L’Époux dit qu’il y a des âmes choisies entre toutes, comme des reines, d’autres qui participent à ses faveurs singulières, quoique elles n’aient pas la qualité de souveraines ; et quantité de jeunes cœurs, qui sont à Lui d’une manière commune, et qui commencent à soupirer après son union. Mais cette amante les surpasse toutes dans l’affection qu’Il a pour elle. Ô Dieu, à quel bonheur avez-vous élevé votre épouse ! Il en est quelques-unes qui paraissent comme des reines élevées au-dessus des autres par l’éclat de leurs vertus ; il en est plusieurs autres, à qui vous faites part de vos caresses, mais cette seule épouse vous est plus que toutes les autres ensemble.

Ma colombe est unique ; elle est ma toute parfaite ; elle est l’unique de sa mère et sa mère se plaît uniquement en elle. Les filles l’ont vue et ils l’ont déclarée très heureuse. Les reines et les autres femmes l’ont aussi louée. (Verset 8)

Quoique le premier sens de ce verset soit en faveur de la divine Marie et de l’Église universelle, néanmoins, comme il n’y a rien d’attribué à l’Église comme au corps mystique qui ne s’attribue à proportion aux âmes, ainsi qu’à ses membres, sur­tout lorsque elles sont parfaitement pures, aussi l’on peut dire qu’il y a des âmes que Dieu s’est élues dans chaque siècle d’une façon très singulière. Dieu, donc, dit que cette âme en qui le mariage a été parfaitement consommé par son anéantissement total et par sa perte entière, est une colombe en simplicité et qu’elle est unique, en ce qu’il y en a peu qui lui ressemblent ; elle est aussi unique, parce qu’elle est réduite en Dieu, dans l’unité parfaite de son origine. Elle est très parfaite, mais des perfections de Dieu même, et parce qu’elle est exempte de toute propriété et dégagée de sa nature dure, rétrécie et bornée, dès que, par son recoulement entier, elle est entrée dans l’innocence de Dieu. Elle est parfaite dans son fond par la perte de toute recherche de soi-même. Il faut remarquer que, quelques louanges que l’Époux eût données jusqu’ici à son épouse, Il n’avait point encore dit (jusqu’à ce qu’elle fut recoulée entière­ment dans son unité divine) qu’elle fût unique et parfaite, à cause que ces qualités ne se trouvent qu’en Dieu, lorsque l’on y est entièrement consommé par état permanent et durable.

Elle est l’unique de sa mère, en ce qu’ayant perdu toute la multiplicité de sa nature, elle se trouve seule et séparée de tout ce qui est naturel. C’est en elle que se plaît uniquement la Sagesse qui l’a engendrée et produite pour la perdre dans son sein. Les âmes les plus intérieures l’ont vue, car Dieu permet d’ordinaire que telles personnes soient un peu connues, don­nant quelquefois un peu de discernement de leur état à d’autres âmes fort spirituelles, qui sont ravies de cette connaissance et qui, admirant leur perfection, les déclarent heureuses ; les reines, qui sont ces âmes élevées et estimées de tout le monde et aussi les âmes communes et inférieures en mérite, leur don­nent également de grands éloges, parce qu’elles ressentent l’effet de la grâce qui leur est communiquée. Quoique ceci semble contrarier ce qui a été dit plus haut, il n’y a pourtant nulle contradiction : car ce qui est dit ici s’entend de l’état apostolique de Jésus-Christ, que l’on fait avoir été reçu en un temps comme Roi et Sauveur, dans le même lieu où peu après on le fit mourir comme un scélérat.

Qui est celle-ci, qui s’avance comme l’aurore naissante. qui est belle comme la lune, pure et brillante comme le soleil, terrible comme une armée rangée en bataille ? (Verset 9)

Ce sont les chœurs des compagnons de l’Époux, qui admi­rent la beauté de son épouse. Qui est celle-ci, disent-ils, qui s’avance, s’élevant peu à peu, car il faut savoir que l’âme, quoique arrivée en Dieu, s’élève peu à peu et se perfectionne1355* dans cette vie divine, jusqu’à ce qu’elle arrive au séjour éternel. Elle s’élève en Dieu insensiblement comme l’aurore jusqu’à ce qu’elle vienne à son jour parfait et son midi consommé, qui est la gloire du Ciel. Mais ce jour éternel commence dès cette vie. Elle est belle comme la lune, parce qu’elle tire toute sa beauté de son soleil ; elle est pure et brillante comme le soleil, à cause qu’elle est unie à Jésus-Christ, pour être participante de sa gloire et pour être perdue avec Lui en Dieu. Mais elle est terrible et redoutable aux démons, au péché, au monde et à l’amour propre, comme une armée rangée prête à donner la bataille.

Je suis allée au jardin des noyers, afin de voir aussi les fruits des vallées, et pour regarder si la vigne avait fleuri, et si les grenadiers étaient boutonnés. (Verset 10)

Cette âme n’est pas si bien établie dans son état en Dieu qu’elle ne puisse encore jeter quelques regards sur elle-même : c’est une infidélité, mais qui est rare et qui ne vient que de fai­blesse. L’Époux a permis que son épouse ait fait cette légère faute, afin de nous instruire par là du dommage que cause la propre réflexion dans les états les plus avancés. Elle est donc rentrée pour un moment en elle-même, sous les meilleurs pré­textes du monde : c’était pour y voir les fruits de l’anéantisse­ment, si la vigne fleurissait, si elle avançait, si la charité était féconde. Cela ne paraissait-il pas très juste et très raisonnable ?

Je n’en ai rien su : mon âme m’a troublée à cause des chariots d’Aminadab1356. (Verset 11)

Je le faisais, dit-elle, sans y penser et sans croire faire mal ni déplaire à mon Époux. Cependant, je n’ai pas plutôt fait cette faute que mon âme a été troublée par les chariots d’Aminadab : c’est-à-dire par mille et mille réflexions qui roulaient dans ma tête, comme autant de malheureux chariots qui m’allaient perdre1357, si la main de mon Bien-aimé ne m’eût soutenue.

Revenez, revenez, Sulamite, revenez, revenez, afin que nous vous regardions. (Verset 12)

Le retour de l’épouse est aussi prompt et sincère que sa faute a été légère et imprévue, c’est ce qui fit que ses com­pagnes ne s’en aperçurent pas. Ce qu’elles remarquèrent seule­ment en elle, et qui les surprit étrangement, fut qu’à peine eut­-elle cessé de leur déclarer les amabilités et les beautés de son Époux, qu’elle disparut à leurs yeux, parce qu’elle fut admise aussitôt aux noces de l’Agneau : ce qui l’éleva si fort au-dessus d’elle-même et de toutes créatures que les autres âmes, la per­dant entièrement de vue, la conjurent de revenir à elles, afin qu’elles la puissent contempler dans sa gloire et dans sa joie comme elles l’ont vue dans sa douleur : Revenez, lui disent-elles, ô Sulamite, temple de la paix ; revenez pour nous enseigner, et par vos exemples et par vos paroles, le chemin qu’il faut suivre pour parvenir au bonheur que vous possédez ; revenez afin d’être notre guide, notre soutien et notre consolation ; enfin, revenez pour nous emmener avec vous.

Chapitre VII

Que verrez-vous en la Sulamite, sinon des chœurs d’une armée cam­pée ? Ô fille du prince, que vous avez de grâce à marcher avec cette chaussure ! Les jointures de vos cuisses sont comme des joyaux de grand prix, travaillés de la main d’un habile ouvrier. (Verset 1)

L’Époux répond au lieu de son épouse à celles qui la pres­saient avec tant d’instance de se tourner vers elles, comme n’agréant pas qu’elles l’interrompent dans les innocents plaisirs qu’elle goûte auprès de Lui : ainsi qu’Il le leur avait déjà témoi­gné tant de fois, les conjurant de ne la pas réveiller. Il leur dit donc : « Pourquoi priez-vous mon épouse, avec tant d’empresse­ment, de se tourner vers vous, afin que vous la regardiez ? Que verrez-vous en elle, à présent qu’elle est une même chose avec moi, sinon des chœurs d’une armée campée ? Elle a la grâce et la beauté d’un chœur de jeunes vierges : car le chaste baiser que je lui ai donné a infiniment augmenté sa pureté. Elle a aussi en même temps la force et la terreur d’une armée parce qu’elle est associée à la très Sainte Trinité, et qu’elle participe aux attri­buts divins qui sont armés pour combattre et détruire en sa faveur tous les ennemis de Dieu. — Ô fille du prince, ô fille de Dieu, s’écrient les jeunes filles, que vos démarches sont belles, et au-dedans et au-dehors ! »

Les pas du dedans sont très beaux, puisqu’elle peut toujours avancer en Dieu, sans cesser de se reposer. C’est la beauté ravissante de cet avancement que d’être un vrai repos, sans que le repos empêche l’avancement, ni l’avancement le repos : au contraire, plus l’on se repose, plus l’on avance ; et plus on fait de progrès, plus le repos est tran­quille. Les pas du dehors sont aussi pleins de beautés : car cette âme est toute réglée comme étant conduite par la volonté de Dieu et par l’ordre de la Providence. Ses pas la font admirer dans sa chaussure, parce que toutes ses démarches se font dans la volonté de Dieu, de laquelle elles ne sortent plus. Les join­tures des cuisses marquent l’ordre admirable des actions qui se font avec une entière dépendance de la partie inférieure à la supérieure, et de la supérieure à l’égard de Dieu. Ce grand ouvrier a forgé et fondu cette âme dans la fournaise d’amour.

Votre nombril est comme une grande coupe façonnée autour, qui n’est jamais vide de liqueur. Votre ventre est comme un monceau de fro­ment environné de lis. (Verset 2)

Par le nombril est prise la capacité de l’âme à recevoir ou la disposition passive, qui est étendue et agrandie jusqu’à l’infini, depuis qu’elle est recoulée en Dieu, non seulement pour recevoir elle-même les communications divines, mais pour conce­voir et enfanter bien des âmes à Jésus-Christ. Elle est ronde parce qu’elle reçoit beaucoup et qu’elle ne peut rien retenir, ne recevant que pour répandre. Elle est, en même temps, et propre à recevoir et prompte à distribuer, participant en cela aux qua­lités de son Époux. Elle est toujours arrosée des eaux de source qui coulent de la divinité, et les grâces les plus réservées lui sont données pour les distribuer aux autres. Votre ventre, c’est-à-dire votre fécondité spirituelle, est comme le monceau de froment, tant elle est abondante ; elle germe, croît, fructifie et nourrit comme le froment, et elle en a toujours les qualités. Mais elle est environnée de lis, pour marque d’une entière pureté.

Vos deux mamelles sont comme deux petits jumeaux de la chevrette. (Verset 3)

Ce serait peu à cette épouse d’enfanter des âmes à son Époux, s’il ne lui était donné de quoi les nourrir : aussi l’Époux parle-t-il ici de ses mamelles, pour marquer qu’elle est non seulement mère, mais encore nourrice : en effet, elle a de quoi donner à ses enfants avec tant d’abondance que ses mamelles sont toujours pleines, quoique elle les vide incessamment, et qu’il n’y ait pas un moment où elle ne les ouvre en faveur de quelqu’un. Et quoique elles allaitent sans cesse, elles ne dimi­nuent point : au contraire, leur plénitude est d’autant plus gran­de qu’elle distribue plus de grâces, en sorte que la mesure de leur vide est celle de leur plénitude. Et elles sont très juste­ment comparées aux jumeaux de la chevrette, pour nous don­ner à entendre qu’elle tire elle-même de Dieu ce qu’elle donne. Car de même que les petits jumeaux sont attachés au sein de leur mère, aussi l’épouse est toujours attachée à son Dieu, duquel elle tire ce qu’elle communique aux autres.

Votre cou ressemble à une tour d’ivoire, vos yeux aux piscines d’Hesebon, qui sont à la porte de la fille de la multitude. Votre nez est comme la tour du Liban. qui regarde contre Damas. (Verset 4)

Le cou signifie la force : il est d’ivoire, à cause que la pureté de la force consiste à être en Dieu et c’est ce qui fait que la force de l’épouse est toute pure. Cette force est une tour, où l’âme est à couvert de tous dangers, et d’où elle découvre les approches des ennemis. Par les yeux, l’entendement est exprimé et depuis que cette puissance a été perdue en Dieu, elle est devenue une piscine, source de tous biens et remède à tous maux. Dieu emploie cet esprit que l’on a bien voulu perdre pour Lui, à mille grandes choses qui servent pour le bien du prochain. Ces piscines sont à la porte de la fille de la multitude : la fille de la multitude n’est autre chose que l’imagination et la fantaisie, qui trouble et gâte la netteté de l’esprit, avant que la division mystique en soit faite. Mais ici cela n’est plus, car l’on n’est plus inquiété des sens volages et incommodes, Dieu ayant mis comme une porte entre l’esprit et les sens.

Le nez est le symbole de la prudence. Cette prudence est devenue comme la tour du Liban, parce qu’elle est forte et invincible, étant la Providence même et la prudence de Dieu que l’âme a reçue en considération de sa simplicité, qui lui a fait perdre toute pru­dence humaine. Cette prudence céleste ne regarde jamais que d’un côté : elle ne voit que le moment divin de la Providence ; et tout ce qui lui vient de moment en moment fait toute sa prévoyance. Prudence sans prudence, tu surpasses celle des hommes les plus prudents !

Votre tête est comme le Carmel et la chevelure de votre tête. comme la pourpre royale, qui est encore liée aux canaux. (Verset 5)

La partie supérieure est comme une montagne élevée en son Dieu, et les cheveux qui représentent tous les dons dont elle a été gratifiée, appartiennent tellement à Dieu que l’amante n’y a rien plus de propre. Si elle a quelque bien ou quelque avanta­ge, tout est à son Dieu : ce sont les mêmes biens de son Époux, de sorte que tout ce qui orne et embellit cette partie supérieure est la pourpre royale, puisque c’est la participation des mêmes ornements, dont son Roi est paré. Mais cette pourpre est liée aux canaux, tant pour y perfectionner de plus en plus la vivaci­té de sa couleur par les grâces qui découlent du Ciel pour elle, que parce qu’elle est en l’âme comme en un canal de distribu­tion qui reçoit sans résistance toutes les grâces de son Dieu, mais qui les laisse en même temps recouler en Lui sans en rien retenir pour elle, ou bien qui ne sert que comme de canal pour donner un libre passage aux eaux de grâces, afin qu’elles cou­lent dans les jardins spirituels.

Que vous êtes belle, ô ma très chère, que vous êtes charmante dans vos délices ! (Verset 6)

Dieu regardant dans son épouse ses propres perfections comme dans un miroir qui les Lui représente avec fidélité, se laisse ravir en Lui-même de sa beauté contemplée en son épouse, et Il lui dit : « Ô ma très chère, que vous êtes belle en ma beauté et que ma beauté est belle en vous ! Vous faites toutes mes délices, comme je fais toutes celles de mon Père. Car me représentant, au vif et au naturel, comme une belle glace, laquelle ne change en rien l’objet qui lui est présenté, vous me donnez un plaisir infini. Vous êtes belle et ravissante, puisque vous êtes ornée de toutes mes perfections. Mais si vous faites mes délices, je fais aussi les vôtres et nos plaisirs sont communs ».

Votre taille est semblable au palmier et vos mamelles aux grappes de raisin. (Verset 7)

Votre taille, c’est-à-dire toute votre âme, est semblable au palmier, à cause de sa droiture. Bien loin que les faveurs que je vous fais vous fassent courber vers vous-même, au contraire comme une belle palme, vous n’êtes jamais plus droite que lorsque vous en êtes plus chargée. Le palmier femelle a deux qualités : l’une d’être encore plus droit lorsque il est plus char­gé de fruits, l’autre de ne produire aucun fruit qu’à l’ombre de son palmier mâle. Ainsi cette belle âme a deux qualités : l’une de ne se courber jamais vers elle-même pour aucune grâce qu’elle ait reçue de Dieu, l’autre de ne produire pas la moindre action par elle-même, pour petite qu’elle soit, mais de les faire toutes à l’ombre de son Époux, qui les lui fait faire chacune en son temps. Les mamelles sont très bien comparées aux grappes de raisin. Le raisin a cela de propre que, quoique il soit plein de liqueur, ce n’est point pour lui, mais il donne ce qu’il renferme à celui qui le presse. Cette âme est de la sorte : plus elle est pressée et opprimée par la persécution, plus elle se communique et est bienfaisante à ceux même qui lui font du mal.

J’ai dit : je monterai sur le palmier, et je prendrai ses fruits ; et vos mamelles seront comme les grappes de la vigne et l’odeur de votre bouche comme celle des pommes. (Verset 8)

Les jeunes vierges ayant ouï la comparaison que le Roi de gloire vient de faire de son épouse au palmier, transportées du désir de participer à ses grâces, s’écrient toutes d’une même voix, ou bien l’une d’entre elles expliquant la passion de toutes les autres : « Je veux monter sur le palmier pour en cueillir les fruits, je veux être le disciple de cette excellente maîtresse de toute perfection ; et si cette mère si riche et si sage daigne m’accepter pour sa fille, je ressentirai1358* les effets de l’onction de l’Époux qui est en elle. Le fruit de sa parole me sera comme une grappe de raisin d’une douceur exquise et la pureté de ses maximes m’embaumera de son odeur ».

Votre gorge est comme un excellent vin, digne d’être bu par mon Bien-aimé et d’être savouré entre ses lèvres et entre ses dents. (Verset 9)

L’une des jeunes filles de Sion continue de louer l’Épouse. Elle entend par la gorge l’intérieur de l’âme : c’est un vin parce que tout y est liqueur, tout recoule en Dieu sans être arrêté par aucune propre consistance. C’est un vin pour la boisson de Dieu, puisqu’Il reçoit en Lui-même cette âme, la changeant et la transformant en soi : Il en fait son plaisir et ses délices, Il la remâche et savoure pour ainsi dire, la perdant de plus en plus et la transformant en Lui d’une manière toujours plus admi­rable. Cela est vraiment digne de la bouche de Dieu, puisqu’elle seule est capable de le faire et digne aussi de l’âme, puisque c’est son bonheur souverain et sa dernière fin.

Je suis à mon Bien-aimé et il est tout appliqué à moi. (Verset 10)

L’épouse certifie que ce que disent ces filles est vrai, le leur avoue et le confirme même : « Depuis, dit-elle, que l’ardent amour de mon Bien-aimé m’a entièrement dévorée, j’ai été si fort perdue en Lui que je ne peux plus me retrouver, et je dois dire, avec encore plus de vérité que les autres fois, que je suis toute à mon Bien-aimé, puisqu’Il m’a changée en Lui-même, en sorte qu’Il ne saurait plus me rejeter : aussi je ne crains plus d’être séparée de Lui ».

Ô amour, vous ne rejetez plus une telle âme et l’on peut dire qu’elle est pour toujours confirmée en amour, puisqu’elle a été consommée par le même amour et changée en lui. Le Bien­-aimé ne voyant plus rien en son épouse, qui ne soit à Lui et de Lui, n’en détourne plus ses regards ni son amour, comme il ne peut jamais cesser de se regarder ni de s’aimer soi-même.

Venez, mon Bien-aimé, allons aux champs, demeurons aux vil­lages. (Verset 11)

L’épouse ne peut plus rien craindre, parce que tout lui est devenu Dieu et qu’elle Le trouve également en toutes choses. Elle n’a plus que faire de moyens ni d’être enclose et enfermée : elle est entrée dans une excellente participation de l’immensité de Dieu. Tout ce qui se dit de cette ineffable union s’entend avec toutes les différences essentielles entre le Créateur et la créature, quoique avec une parfaite unité d’amour et de recoulement mystique en Dieu seul. Elle ne craint plus de Le perdre, puisqu’elle est non seulement unie, mais changée en Lui. C’est pourquoi elle L’invite elle-même à sortir de l’enceinte de la maison ou du jardin. « Allons, mon amour, dit-elle, allons par tout le monde vous faire des conquêtes ; il n’y a plus de lieu trop petit ni trop grand pour moi, depuis que mon lieu est Dieu même et que partout où je suis, je suis en mon Dieu ».

Levons-nous du matin pour aller aux vignes, voyons si la vigne est fleurie, si les fleurs se changent en fruits, si les grenadiers ont jeté leurs fleurs : là je vous donnerai mes mamelles. (Verset 12)

Elle invite son Époux à aller partout, car alors elle est mise en action. Et comme Dieu est toujours agissant au-dehors et toujours reposant au-dedans, de même cette âme, qui est confirmée au-dedans dans un parfait repos, est aussi toute agis­sante au-dehors. Ce qu’elle avait fait, il y a peu de temps avec défaut1359*, elle le fait maintenant avec perfection. Ce n’est plus elle-même ni les fruits qui sont en elle qu’elle regarde, mais elle voit tout en Dieu. Elle voit dans les champs de l’Église mille biens qui sont à faire pour la gloire de son Époux et elle y travaille de toutes ses forces, selon les occasions que la Provi­dence lui en fournit et dans toute l’étendue de sa vocation.

Mais expliquez-nous, ô admirable épouse, ce que vous vou­lez dire, lorsque vous dites que vous donnerez vos mamelles à votre Époux. N’est-ce pas Lui qui les rend fécondes et qui les remplit de lait ? Ah ! elle veut dire qu’étant dans une parfaite liberté d’esprit et largeur d’âme, depuis qu’elle n’a point de propriété, en travaillant pour sa gloire, elle Lui donnera tout le fruit de ses mamelles, et Lui fera boire le lait dont Il les remplit : Il en est la source et aussi la fin, dans laquelle elle les veut vider.

Les mandragores ont répandu leur odeur. Je vous ai gardé, ô mon Bien-aimé, au-dedans de nos portes, toutes sortes de fruits, vieux et nouveaux. (Verset 13)

Unité admirable ! Tout est commun à l’Époux et à l’épouse. Comme elle n’a plus rien qui soit à elle, elle se rend aussi com­muns tous les biens de son Époux. Elle n’a plus de biens ni d’intérêts que les Siens : c’est pourquoi elle dit que les âmes commençantes et profitantes, désignées par les mandragores, ont répandu leur odeur. Cela est parvenu jusqu’à nous : « Mon Bien-aimé, lui dit-elle, tout ce que j’ai est à Vous, et tout ce que Vous avez est à moi. Je suis tellement dénuée et dépouillée de tout que je Vous ai gardé, donné, réservé de toutes sortes de fruits, de toutes manières d’actions et de productions quelles qu’elles soient, sans en excepter aucune. Je Vous ai donné toutes mes œuvres, tant les vieilles que Vous avez opérées en moi, dès le commencement, que les nouvelles que Vous opérez à tout moment par moi-même. De plus, je n’ai rien que je ne Vous aie donné : mon âme avec toutes ses puissances et ses opérations, mon corps avec ses sens et tout ce qu’il peut faire. Je Vous ai tout consacré, et comme Vous me les avez donnés à garder, m’en conservant l’usage, je les garde tous pour vous, de sorte que, et quant à la propriété et quant à l’usage, tout est à vous ».

Chapitre VIII

Qui vous donnera à moi, ô mon frère, suçant les mamelles de ma mère ? Que je vous trouve dehors, et que je vous baise, afin que personne ne me méprise plus. (Verset 1)

L’Amant demande que son union s’enfonce davantage. Quoique l’âme transformée soit dans une union permanente et durable, elle est néanmoins comme une épouse, qui s’applique aux besoins de sa maison et qui a beau aller et venir, sans qu’elle cesse d’être épouse. Mais outre cela, il y a des moments où l’Époux céleste se plaît à serrer et caresser plus fortement son épouse. C’est donc ce qu’elle demande dans ce moment. « Qui me donnera, dit-elle, celui qui est mon Époux et mon Frère, puisque nous suçons ensemble les mamelles de notre mère, qui est l’Essence divine. Depuis qu’Il m’a cachée avec Lui en Dieu, je suce incessamment avec Lui les mamelles de la Divi­nité. Mais outre cet avantage, qui est inconcevable, je veux être seule dehors, à jouir de ses doux embrassements, par lesquels Il me fait davantage recouler en Lui et m’y enfonce de plus en plus ».

Elle demande de plus une autre grâce, qui ne s’accorde que tard, et c’est que le dehors soit transformé et changé comme le dedans, car le dedans est longtemps transformé, avant que tout le dehors soit changé. En sorte qu’il reste durant quelque temps certaines faiblesses légères, qui servent à couvrir la grandeur de la grâce et qui ne déplaisent pas à l’Époux. Cependant elles sont comme une espèce de faiblesse, qui attire en quelque sorte le mépris des créatures. « Qu’il me transforme donc, dit-elle, par-dehors, afin que personne ne me méprise plus. Ce que je demande est pour la gloire de Dieu, et non pas pour mon avantage, n’étant plus en état de me regarder ».

Je vous prendrai et vous mènerai dans la maison de ma mère : là vous m’instruirez, et je vous y donnerai à boire du vin confit et du moût de mes grenades. (Verset 2)

L’âme qui se trouve si étroitement unie à son Dieu, éprouve deux choses : l’une, que son Époux est en elle, autant comme elle est en son Époux, ainsi qu’un vase vide jeté dans le fond de la mer serait rempli de la même eau dont il serait environné, et contiendrait sans la comprendre celle dans laquelle il serait contenu, de sorte que l’âme, qui est portée par son Époux, le porte aussi. Et où Le porte-t-elle ? Seulement là où elle peut aller : elle Le porte dans le sein de son Père, qui est la maison de sa mère, puisque c’est le lieu de son origine.

L’autre chose qu’elle éprouve est que, là, Il l’instruit, lui donnant la pénétra­tion de ses secrets qui ne sont découverts qu’à l’épouse favori­te, à laquelle Il apprend toutes les vérités qu’elle doit savoir, ou desquelles Il veut bien, par un excès de son amour, lui donner la connaissance. O admirable science que celle qui s’enseigne à petit bruit, dans le silence ineffable et toujours éloquent de la Divinité ! Le Verbe parle incessamment en cette âme et l’enseigne d’une manière à faire honte aux plus grands Doc­teurs.

Mais à mesure qu’Il enseigne l’âme, en s’insinuant de plus en plus en elle et élargissant incessamment sa capacité passive, aussi cette âme fidèle fait boire à son Époux de son vin mêlé de douceur et du doux aigre de ses grenades, qui est ce que produit en elle la charité, Lui rendant continuellement tout ce qu’Il lui donne avec une entière pureté. Ce n’est qu’un flux et reflux de communications, l’Époux donnant à l’Épouse et l’épouse rendant à l’Époux. Ô épouse incomparable, le dirai­-je, que vous avez part au commerce de la très Sainte Trinité, puisque vous recevez sans cesse et que vous rendez perpétuelle­ment ce que vous recevez ?

Il soutient ma tête de sa main gauche et il m’embrassera de sa droite. (Verset 3)

Dieu, comme nous l’avons dit, a deux bras dont Il tient et embrasse son Épouse : l’un est sa protection toute-puissante, par laquelle Il la soutient ; et l’autre est la parfaite charité de laquelle Il l’embrasse, et cet embrassement sacré n’est autre que la jouissance de Lui-même et l’union essentielle. Lorsque l’épouse dit ici : Il m’embrassera, elle ne parle pas d’une chose qui doive arriver et qui n’est pas encore venue, puisqu’elle a eu cet embrassement divin avec le baiser nuptial, mais comme d’une chose qui sera toujours présente et toujours future, parce que sa durée s’étendra dans toute l’éternité.

Je vous conjure, filles de Jérusalem, de ne point interrompre le som­meil de ma Bien-aimée, et de ne la point éveiller jusqu’à ce qu’elle le veuille bien. (Verset 4)

Comme il y a trois sortes de sommeils intérieurs, aussi l’Époux conjure-t-Il trois fois, dans des temps différents, qu’on n’éveille point sa Bien-aimée. Le premier est dans l’union des puissances, où elle a un sommeil d’extase violente1360*, qui se répand beaucoup sur les sens. Il prie alors qu’on ne l’éveille pas parce que ce sommeil est alors de saison en ce qu’il aide à déta­cher les sens de leurs objets, auxquels ils s’attachaient impure­ment, et par là même à les purifier.

Le second est le sommeil de mort, où elle expire entre les bras de l’amour. Il ne veut pas non plus qu’elle en soit éveillée, jusqu’à ce qu’elle s’éveille elle-même par l’effet de la voix toute-puissante de Dieu, qui l’appelle du tombeau de la mort à la résurrection spirituelle.

Le troisième est le sommeil du repos en Dieu, permanent et durable : c’est un repos d’extase, mais d’extase douce et continuelle, qui ne cause plus d’altération aux sens, l’âme étant passée en son Dieu par l’heureuse sortie d’elle-même. C’est un repos dont elle ne sera jamais divertie. Il ne veut point que ses amantes soient troublées ni contrariées dans aucun de leur repos, mais qu’on les Lui délaisse, puisqu’elles dorment entre ses bras.

Le premier repos est un repos promis, dont on donne alors des arrhes et des gages ; le second repos est un repos donné, et le troisième, est un repos confirmé, qui ne sera jamais plus interrompu. Il pourrait pourtant l’être absolument, puisque la liberté subsiste et que ce serait en vain que l’Époux dirait : jusqu’à ce qu’elle veuille bien, si elle ne pouvait plus jamais le vouloir ; mais après une union de cette nature, à moins de la plus extrême ingratitude et infidélité, elle ne le voudra jamais. Cependant le divin Époux, — qui, en louant Lui-même son épouse et agréant qu’on la loue en sa présence, veut en même temps toujours plus l’instruire pour lui faire comprendre qu’il n’y a que la vaine complaisance en soi-même et le mépris des autres qui puissent donner entrée à une ruine aussi déplorable, — dans le verset suivant, Il lui va remettre devant les yeux la bassesse de son extraction et la misère de sa nature, afin qu’elle ne sorte jamais de son humilité1361.

Qui est celle-ci, qui monte du désert, comblée de délices, appuyée sur son Bien-aimé ? Je vous ai ressuscitée sous un pommier ; c’est là que fut corrompue votre mère et que celle qui vous a engendrée fut violée. (Verset 5)

L’âme monte peu à peu du désert, car son soi-même est un désert, depuis qu’elle l’a abandonné. Ce n’est plus seulement le désert de la foi, mais c’est le désert d’elle-même. Elle regorge toute de délices parce qu’elle en est comblée et si pleine que, comme un bassin trop rempli des eaux de sa source, elle sur­abonde de tous côtés, pour en faire part aux autres. Elle n’est plus appuyée sur elle-même : c’est pourquoi elle ne craint plus l’abondance de ses délices, elle n’a plus de peur d’être renver­sée, puisque son Bien-aimé, qui les répand dans son sein, les porte Lui-même, avec elle, souffrant qu’elle marche appuyée sur Lui. Ô avantage admirable de la perte des appuis créés ! L’on reçoit en échange Dieu seul pour appui.

Je vous ai ressuscitée sous un pommier. Je vous ai tirée du som­meil de la mort mystique, vous retirant vous-même de votre propre corruption et de l’être corrompu et gâté, que votre mère vous avait communiqué par son péché, car toutes les opé­rations de Dieu dans l’âme ne tendent qu’à deux choses : l’une de la délivrer de sa malice actuelle et de la malignité de sa nature corrompue, l’autre de la rendre à son Dieu, aussi pure et nette qu’elle l’était, avant que Ève se fût laissée séduire. Ève, dans son innocence, appartenait à Dieu, sans nulle propriété ; mais elle se laissa violer, se retirant de son Dieu pour se prosti­tuer au démon, de sorte que nous avons tous participé au mal­heur de cette prostitution. Nous venons au monde comme des enfants illégitimes qui n’ont plus de trace de leur véritable père ; et ils ne peuvent être reconnus comme appartenant à Dieu qu’ils ne soient légitimés par le baptême. Mais quoique ils le soient, ils ne laissent pas de tenir quelque chose de cette mal­heureuse fornication : il leur en reste une qualité maligne et opposée à Dieu, jusqu’à ce que Dieu, par de longues, fortes et fréquentes opérations, ait ôté cette qualité maligne, tirant l’âme d’elle-même, lui ôtant toute son infection, lui redonnant une grâce d’innocence et la perdant en Lui : c’est ce qu’il appelle la ressusciter innocente du même lieu où sa mère, qui est la nature humaine, fut corrompue.

Mettez-moi comme un cachet sur votre cœur, comme un cachet sur votre bras, car l’amour est fort comme la mort et la jalousie est dure comme l’enfer : ses lampes sont des lampes ardentes de feu et de flammes. (Verset 6)

L’Époux invite l’épouse de la mettre Lui-même comme un cachet sur son cœur, parce que, comme c’est Lui qui est la source de la vie de l’âme, Il en doit être le sceau. C’est Lui qui empêche qu’elle ne sorte jamais d’un si heureux état. Elle est alors la fontaine scellée, que nul ouvrier ne peut ouvrir, ni fer­mer que Lui-même. Il veut qu’elle Le mette aussi comme un cachet sur son extérieur et sur ses opérations, afin que tout soit réservé pour Lui et que rien ne se meuve que par son ordre. Elle est alors le jardin clos pour son Époux, qu’Il ferme et que nul n’ouvre, qu’Il ouvre et que nul ne ferme. Car l’amour, dit l’Époux, est fort comme la mort, pour faire ce qu’il Lui plaît en son amante. Il est fort comme la mort1362, vu qu’Il l’a fait mourir à tout, afin qu’elle vive à Lui seul. Mais la jalousie est dure comme l’enfer : c’est ce qui fait qu’Il ferme de la sorte son épouse. Il la veut tellement toute pour Lui que, si par une infidélité autant difficile que funeste, elle venait à se retirer de sa dépendance, elle serait dès ce moment rejetée de Lui, comme dans un enfer, par l’excès de son indignation. Les lampes dont Il éclaire sont des lampes ardentes d’un feu qui éclaire en brûlant, et qui brûle en éclairant. O.1363 Agneau qui ouvrez et fermez les sept sceaux, cachetez si bien votre épouse qu’elle en sorte jamais que par Vous et pour Vous, puisqu’elle Vous est acquise par un mariage éternel.

Les plus grandes eaux n’ont pu éteindre la charité, ni les fleuves ne la submergeront point : quand un homme aurait donné tout ce qu’il a de bien, il ne l’estimerait rien au prix de l’amour. (Verset 7)

Si les plus grandes eaux des afflictions, des contradictions, des misères, pauvretés et traverses n’ont pu éteindre la charité, dans une telle âme, il ne faut pas croire que les fleuves de l’abandon à la Providence le puissent faire, puisque ce sont eux qui la conservent. Si l’homme a eu assez de courage pour aban­donner tout ce qu’il possédait et tout son soi-même afin d’avoir cette pure charité qui ne s’acquiert que par la perte de tout le reste, il ne faut pas croire qu’après un effort si généreux pour acquérir un bien qu’il estime plus que toutes choses et qui effectivement vaut mieux que tout l’univers, il vienne ensuite à la mépriser jusqu’à reprendre ce qu’il avait quitté. Cela n’est pas possible, Dieu nous fait connaître par là la cer­titude et la consistance de cet état, et combien il est difficile qu’une âme qui y est arrivée, en sorte jamais.

Notre sœur est petite et elle n’a point de mamelles : que ferons-nous à notre sœur au jour que l’on doit lui parler ? (Verset 8)

L’épouse est si heureuse avec son Époux que tout est com­mun entre eux. Elle lui parle des affaires des autres âmes et traite familièrement avec Lui, comme s’il s’agissait de leurs affaires domestiques : « Que ferons-nous, dit-elle, à cette âme, encore petite et tendre, qui est notre sœur, à cause de sa pureté et simplicité ? » Elle parle de toutes ses semblables en la person­ne de celle qu’elle désigne : que lui ferons-nous au jour que je dois commencer à communiquer avec elle ? Elle n’a point enco­re de mamelles ni assez de disposition au mariage divin ; elle n’est point en état d’aider aux autres : de quelle manière en agi­rons-nous avec elle ? C’est ainsi que les épouses doivent consul­ter Jésus-Christ en faveur des âmes.

Si c’est un mur, bâtissons sur lui des fortifications d’argent ; si c’est une porte, ornons-la de tables de cèdre. (Verset 9)

L’Époux lui répond : « Si elle est déjà comme un mur d’atten­te par une forte passivité, commençons à dresser sur elle des forteresses d’argent pour sa défense contre les ennemis de cet état avancé, qui sont la raison humaine, la réflexion et la subti­lité de l’amour propre. Mais si elle n’est encore que comme une porte, qui commence seulement à sortir de la multiplicité, pour entrer dans la simplicité, ornons-la de grâces et de vertus qui aient la solidité et la beauté du cèdre ».

Je suis un mur et mes mamelles sont comme une tour, depuis que j’ai été devant lui, comme celle qui a trouvé la paix. (Verset 10)

L’épouse ravie de l’instruction et de la promesse qu’elle vient de recevoir de la bouche de son Époux, se donne elle­-même pour exemple du succès de cette conduite. « Je suis moi­-même, dit-elle, un mur de cette force, et mes mamelles sont comme une tour qui peut servir d’asile et de défense à bien des âmes, et qui me tient moi-même en assurance depuis que j’ai paru devant Vous comme celle qui trouve la paix en Dieu pour ne la plus jamais perdre. »

Le pacifique a une vigne en celle qui a des peuples, il a commis des gens pour la garder : un homme lui en doit payer mille pièces d’argent pour les fruits. (Verset 11)

Il semble, ô mon Dieu, que Vous ayez pris plaisir de préve­nir tous les doutes et toutes les objections que l’on pourrait for­mer. L’on pourrait dire que cette âme, qui ne se possède plus et qui n’opère plus par elle-même, ne mérite plus. Vous êtes, ô Dieu, ce Dieu de paix qui avez une vigne, dont Vous confiez le soin principal à votre épouse, et l’épouse est cette vigne même. Elle est située en un lieu qui s’appelle peuple, car vous avez rendu votre épouse féconde et mère d’un peuple innom­brable. Vous avez commis vos anges pour la garder et elle rap­porte un grand profit et à Vous, ô Dieu, et à l’âme même. Vous lui donnez la liberté d’en user et d’en goûter les fruits : elle a l’avantage de n’être presque plus en état de Vous perdre ni de Vous déplaire1364*, et cependant encore celui de ne pas laisser de profiter et de mériter toujours.

Je suis toujours attentive à ma vigne. Mille pièces d’argent seront pour vous, ô pacifique, et outre cela il en aura deux cents pour ceux qui gardent ses fruits. (Verset 12)

La chaste épouse ne dit plus maintenant comme autrefois : « Je n’ai pas gardé ma vigne ». C’était alors une vigne dont les hommes l’avaient voulu charger contre la volonté de Dieu ; mais pour celle-ci qui lui est commise par son Époux, ah ! elle en prend un soin admirable. Tout ce qui est de l’ordre de Dieu s’accorde très bien avec toutes sortes d’emplois, soit intérieurs ou extérieurs ; et tout se fait avec une merveilleuse facilité, depuis que la personne qui en est chargée, est établie dans la grande liberté. La fidélité de l’épouse est digne d’admiration, car, quoique elle veille si exactement à la culture et à la garde de cette vigne, elle en laisse néanmoins tout le revenu à l’Époux et donne aux gardes un juste salaire, sans rien demander pour elle. La parfaite charité ne sait ce que c’est que de penser à ses inté­rêts.

Vous qui habitez dans les jardins, les amis écoutent : faites-moi entendre votre voix. (Verset 13)

L’Époux invite son épouse à parler en sa faveur et à entrer véritablement dans la vie apostolique en enseignant les autres. « Vous, dit-Il, ô mon épouse, qui habitez dans les jardins, dans les parterres toujours fleuris de la Divinité, où vous n’avez point cessé d’être depuis que l’hiver est passé, vous avez été dans les jardins également beaux par la variété des fleurs dont ils sont émaillés, et par la bonté des fruits dont ils sont pleins ; vous, dis-je, ô mon épouse, que Je tiens incessamment avec moi dans ces jardins de délices, sortez un peu du repos plein de douceur et du silence que vous y goûtez : faites-moi entendre votre voix : les amis écoutent ». L’Époux, par ces paroles, demande à son épouse deux choses également admirables : l’une, qu’elle sorte à son égard de ce profond silence, dans lequel elle a été jusqu’alors, car, comme dans tout le temps de la foi et de la perte en Dieu1365*, elle a été dans un grand silence à cause qu’il fallait réduire son fond dans la simplicité et l’unité de Dieu seul. À présent qu’elle est entièrement consommée dans cette unité, Il veut lui donner cet admirable accord qui est un fruit de l’état consom­mé de l’âme, savoir de la multiplicité et de l’unité, sans que la multiplicité empêche l’unité ni l’unité la multiplicité. Il veut qu’elle joigne à la parole muette du centre, qui est l’état d’unité, la louange extérieure de la bouche : ce qui est une imi­tation de ce qui se doit accomplir dans la gloire, où, après que l’âme aura été plusieurs siècles absorbée dans ce silence inef­fable et toujours éloquent de la Divinité, elle recevra son corps glorieux, qui donnera une louange sensible au Seigneur : en sorte qu’après la résurrection, le corps aura sa louange propre, qui sera une augmentation de la félicité, et non une interrup­tion de la paix de l’âme.

Dès cette vie même, lorsque l’âme est consommée dans l’unité et que cette unité ne peut plus être interrompue par les actions du dehors, il est donné à la bouche du corps une louan­ge qui lui est propre, et il se fait un accord admirable de la parole muette de l’âme et de la parole sensible du corps, qui fait la consommation de la louange. L’âme et le corps rendent une louange conforme à ce qu’ils sont. La louange de la seule bouche n’est pas une louange, ainsi que Dieu le dit par son Prophète1366 : Ce peuple m’honore des lèvres, mais son cœur est bien éloigné de moi. La louange qui vient purement du fond, étant une louange muette, et d’autant plus muette qu’elle est plus consommée, n’est pas une louange entièrement parfaite, puisque l’homme étant composé d’âme et de corps, il faut que l’un et l’autre y concourent. La perfection de la louange est que le corps ait la sienne, qui soit de telle manière que, loin d’inter­rompre le silence profond et toujours éloquent du centre de l’âme, elle l’augmente plutôt ; et que le silence de l’âme n’empêche point la parole du corps, qui fait donner à son Dieu une louange conforme à ce qu’Il est. En sorte que la consomma­tion de la prière, et dans le temps et dans l’éternité, se fait par rapport à cette résurrection de la parole extérieure, unie à l’intérieure.

Mais comme l’âme, qui est accoutumée au silence profond et ineffable, craint de l’interrompre, c’est ce qui fait qu’elle a quelque peine à reprendre cette parole extérieure. Et c’est ce qui oblige son Époux, afin de lui faire perdre cette imperfec­tion, de l’inviter à faire entendre sa voix. « Faites-moi, lui dit-Il, ô mon épouse, entendre votre voix : il est temps de parler, de me par­ler à moi de la bouche du corps pour me louer, en la manière que vous avez apprise durant ce silence admirable ». Il y a de plus une parole intérieure toute ineffable, Dieu rendant à l’âme la liberté de lui parler quelquefois, selon ses volontés, avec beaucoup de facilité.

Il l’invite aussi à parler aux âmes des choses intérieures, et leur apprendre ce qu’elles doivent faire pour Lui être agréables. C’est une des principales fonctions de l’épouse que d’instruire et d’enseigner l’intérieur aux amies de l’Époux, qui n’ont pas autant d’accès auprès de Lui que sa Sulamite. Voilà donc ce que l’Époux désire d’elle : qu’elle lui parle et de cœur et de bouche, et qu’elle parle aussi aux autres pour Lui.

Fuyez, mon Bien-aimé, et soyez semblable au chevreuil et au faon des biches, sur les montagnes d’aromates. (Verset 14)

L’âme, qui n’a plus d ’autre intérêt que celui de son Époux, ni pour elle ni pour aucune créature, et qui ne peut vouloir autre chose que sa gloire, voyant quelque chose qui le déshono­re, lui dit : « Fuyez, ô mon Époux ! Sortez de ces lieux qui n’ont pour Vous que de la méchante odeur. Allez à ces âmes qui sont des montagnes d’aromates, élevées au-dessus des vapeurs cor­rompues et gâtées par la malice du siècle. Ce sont des mon­tagnes d’aromates par l’odeur des vertus exquises que Vous avez mises en elles, et ce ne sera qu’en ces âmes que Vous trou­verez un véritable repos ».

L’âme qui est arrivée à ce degré entre dans les intérêts de la divine Justice, et à son égard et à celui des autres, d’une telle sorte qu’elle ne pourrait vouloir autre sort pour elle, ni pour autre quelconque, que celui que cette divine Justice lui vou­drait donner pour le temps et pour l’éternité. L’épouse a aussi la charité la plus sincère qui ne fût jamais envers le prochain, ne le servant plus que pour Dieu, et dans la volonté de Dieu. Mais quoiqu’elle fût toute prête d’être anathème pour ses frères1367, comme saint Paul, et qu’elle ne travaille à autre chose qu’à leur salut, elle est néanmoins indifférente pour le succès et elle ne pourrait être affligée ni de sa propre perte ni de celle d’aucune créature, regardée du côté de la Justice de Dieu. Ce qu’elle ne peut souffrir, c’est que Dieu soit déshonoré, parce que Dieu a ordonné en elle la charité : depuis ce temps-là, elle est entrée dans les plus pures dispositions de la charité parfaite.

Il ne faut pas croire qu’une âme du degré de cette épouse soit empressée pour la présence sensible et pour la douce et continuelle jouissance de l’Époux : nullement. C’était une per­fection qu’elle avait autrefois que de désirer ardemment cette charmante possession, car cela était nécessaire pour la faire marcher et aller à Lui ; mais maintenant c’est une imperfection qu’elle ne doit point admettre, son Bien-aimé la possédant par­faitement dans son essence et dans ses puissances, d’une maniè­re très réelle et invariable, au-dessus de tout temps, de tout moyen et de tout lieu. Elle n’a plus que faire de soupirer après des moments de jouissance distincte et aperçue : outre qu’elle est dans une si entière désappropriation de toutes choses, qu’elle ne saurait plus arrêter un désir sur quoi que ce soit, non pas même sur les joies du Paradis. Cet état est même la marque qu’elle est possédée par le centre. C’est pourquoi elle témoigne ici à l’Époux qu’elle est bien contente qu’Il aille où il Lui plaira, qu’Il visite d’autres cœurs, qu’Il en gagne, qu’Il en purifie, qu’Il en consomme dans toutes les montagnes et collines de l’Église, qu’Il prenne ses délices dans des âmes aromatiques, embaumées de grâces et de vertus. Mais pour elle, elle ne saurait plus rien Lui demander ni rien désirer de Lui, à moins que ce ne fût Lui-même qui lui en donnât le mouvement ; non qu’elle méprise ou rejette les visites et consolations divines : non, elle a trop de respect et de soumission pour l’opération de Dieu, mais c’est que ces sortes de grâces ne sont plus guère de saison pour une âme aussi anéantie qu’elle l’est, et qui est établie dans la jouissance du centre, et qu’ayant perdu toute volonté dans la volonté de Dieu, elle ne peut plus rien vouloir1368*. Cela est bien exprimé par cette agréable figure : Fuyez, mon Bien-aimé, soyez semblable au chevreuil et au faon des biches sur les montagnes des aromates.

L’indifférence de cette amante est si grande qu’elle ne peut pencher ni du côté de la jouissance ni du côté de la privation. La mort et la vie lui sont égales ; et quoique son amour soit incomparablement plus fort qu’il n’a jamais été, elle ne peut néanmoins désirer le Paradis, parce qu’elle demeure entre les mains de son Époux comme les choses qui ne sont point. Ce doit là être l’effet de l’anéantissement plus profond.

Quoiqu’en cet état elle soit plus propre que jamais pour aider aux âmes, et qu’elle serve avec un extrême soin celles que son Époux lui adresse, elle est cependant incapable de désirer d’aider aux autres, et ne le peut même faire que par un ordre particulier de la Providence.



« Justifications » apportées au Cantique

Justification 1. Sur l’amour pur.

Avant que de mettre les Autorités pour [la section XV] « ne rien désirer », je crois devoir mettre ici l’explication que j’ai pris la liberté d’en donner à Monseigneur de Meaux, il y a un an, après qu’il eût bien voulu prendre la peine de me voir. La voici, avec quelques autres explications. Comme il me parut que c’était le principal endroit qui l’arrêtait, je crois qu’il ne le sera plus, lorsque il verra toutes les autorités qui sont ici.

Il y a deux sortes de désirs : il y a un désir muable ou élans de désirs aperçus ou distincts. Il y a un désir immuable qui est essentiel à l’homme, de retourner à sa dernière fin.

Il y a un amour agité qui a des flammes et des ardeurs ; et comme cet amour est distinct, il est accompagné d’un désir aperçu.

Il y a un amour reposé dans sa fin, par la mort de la volonté propre ; et le désir de cet amour est plein de repos et ne s’aperçoit pas de l’âme, à cause de sa tranquillité et de la mort de la volonté propre.

L’amour renferme nécessairement le désir, mais le désir est conforme à l’amour. Quand l’âme est éloignée de son Dieu, l’amour est impétueux aussi bien que le désir ; il y a l’agitation qui le meut vers sa fin : plus il approche de sa fin, plus son impétuosité diminue.

Mais quand l’amour a uni l’amant à l’Aimé, l’amour et le désir sont pleins de repos, et sont comme morts et tombés dans le tout, qui est un amour parfaitement tranquille, quoiqu’il soit le plus fort.

Il y a une manière d’aller à Dieu par voie d’élévation au-dessus de soi, et celle-là est accompagnée d’extases et ravissements. Il y a une autre manière de sortir de soi par voie d’anéantissement et de nudité, et celle-là n’a point d’extase : c’est une voie toute de mort et, par cette mort, l’âme sort de soi et passe par une extase permanente en son divin Objet. Qu’on puisse dès cette vie entrer en Dieu, s’y perdre par une entière mort de volonté en ce qu’elle a de propre à l’âme, et dissemblable à celle de Dieu, [nul de qui a de l’expérience n’en peut douter.]

C’est ce que saint Jean appelle demeurer en charité [I Jn 4,16] : Celui qui demeure en charité, demeure en Dieu ; il faut voir ses Épîtres. C’est ce que Jésus-Christ appelle unité et consommation d’unité [Jn 17, 22-23] ; saint Paul, transformation [II Co 3, 18] ; le bienheureux Jean de la Croix, déification, […] comme aussi frère Jean de Saint-Samson […], ses œuvres étant plus fortes que ce que j’ai écrit.

Lorsque l’âme s’est écoulée en son Dieu par une perte de tout elle-même en Lui, elle a perdu toute propriété. Elle est alors comme un or très pur, ce qui n’empêche pas qu’elle ne puisse toujours déchoir, n’y ayant point d’impeccabilité en cette vie. Mais Dieu ne le permet guère : cela ne pourrait arriver que par la plus grande infidélité et même malice, comme celle de Lucifer. Ce qui fait la pureté de cette âme et la perte de sa volonté en celle de Dieu : elle ne peut pécher sans tirer sa volonté de celle de Dieu, ce qui est difficile. Voyez saint Jean dans ses Épîtres [I Jn 3,6-9 et 5,18.], sainte Catherine de Gênes [Vie, chap. 32 sur la fin. ...], frère Jean de Saint-Samson. Cela n’empêche pas que ces âmes n’aient de certains défauts extérieurs qui viennent du peu d’attention qu’elles font sur elles-mêmes, mais qui sont exempts de malice ; et même Dieu se sert de ces défauts, qui sont légers, pour les cacher à elles-mêmes et aux autres.

Il me semble [ici commence la lettre adressée à Bossuet autour du 10 février 1694 dont on trouvera le texte dans Madame Guyon, Correspondance II Combats, lettre n° 159, dont les variantes montrent qu’elle s’écarte légèrement de celui des Justifications, ce dernier identique au ms. d’Oxford] qu’il est aisé de concevoir qu’une personne qui met son bonheur en Dieu seul ne peut plus désirer son propre bonheur. Nul ne peut mettre tout son bonheur en Dieu seul que celui qui demeure en Dieu par la charité. Lorsque l’âme en est là, elle ne désire plus d’autre félicité que celle de Dieu en Lui-même et pour Lui-même. Ne désirant plus d’autre félicité, toute félicité propre, même la gloire du Ciel pour soi, n’est plus ce qui peut la rendre heureuse, et par conséquent l’objet de son désir. Le désir suit nécessairement l’amour. Si mon amour est en Dieu seul et pour Dieu seul sans retour sur moi, mon désir est en Dieu seul sans rapport à moi.

Ce désir en Dieu n’a plus la vivacité d’un désir amoureux qui ne jouit point de ce qu’il désire, mais il a le repos d’un désir rempli et satisfait. Car Dieu étant infiniment parfait et heureux, et le bonheur de cette âme étant dans la perfection et le bonheur de son Dieu, son désir ne peut avoir l’activité du désir ordinaire, qui attend ce qu’il désire, mais il a le repos de celui qui possède ce qu’il désire. C’est donc là le fond de l’état de l’âme, et ce qui fait qu’elle n’aperçoit plus tous les bons désirs de ceux qui aiment Dieu par rapport à eux-mêmes, ni de ceux qui s’aiment et se recherchent eux-mêmes dans l’amour qu’ils ont pour Dieu.

Or cela n’empêche pas que Dieu ne change les dispositions, faisant que l’âme sentira pour des moments le poids de son corps, qui lui fera dire : Cupio dissolvi et esse cum Christo [Ph 1, 23 : Je désire d’être dégagé des liens du corps et d’être avec Jésus-Christ]. D’autres fois, ne sentant plus qu’une disposition de charité pour ses frères, sans retour ni rapport à soi-même, elle désirera d’être anathème et séparée de Jésus-Christ pour ses frères [Rm 9, 3]. Ces dispositions, qui paraissent se contrarier, s’accordent très bien dans un fond qui ne varie point, de manière que, quoique la béatitude essentielle de cette âme soit la béatitude de Dieu en Lui-même et pour Lui-même, dans laquelle les désirs sensibles de l’âme sont comme éteints et reposés, Dieu ne laisse pas de réveiller Lui-même ces désirs lorsqu’il Lui plaît. Ces désirs ne sont plus de ces désirs d’autrefois qui sont dans la volonté propre, mais des désirs remués et excités de Dieu même, sans que l’âme réfléchisse sur soi, parce que Dieu, qui la tient directement tournée vers Lui, rend ses désirs, comme ses autres actes, sans réflexion, de sorte qu’elle ne les peut voir s’Il ne les lui montre, ou si ses propres paroles ne lui en donnent quelque connaissance en la donnant aux autres. Il est certain que, pour désirer pour soi, il faut vouloir pour soi. Or, tout le soin de Dieu étant d’abîmer la volonté de la créature dans la Sienne, Il absorbe aussi tout désir connu dans l’amour de Sa divine volonté.

Il y a encore une autre raison qui fait que Dieu ôte et met dans l’âme les désirs sensibles comme il Lui plaît : c’est que Dieu voulant dispenser quelque chose à cette âme, Il la lui fait désirer pour avoir sujet de la lui donner et de l’exaucer, car il est indubitable qu’Il exauce les désirs de cette âme et la préparation de son cœur [Ps 9, 17], de sorte que, l’Esprit désirant pour elle et en elle [Rm 8, 26], ses désirs sont des prières et des demandes du Saint-Esprit. Et Jésus-Christ dit dans cette âme : Je sais que vous m’exaucez toujours [Jn 11, 42]. Un désir véhément de la mort, dans une telle âme, serait presque une certitude de la mort. Désirer les humiliations est bien au-dessous de désirer la jouissance de Dieu ; néanmoins, lorsqu’il a plu à Dieu de me beaucoup humilier par la calomnie, Il m’a donné une faim de l’humiliation : je l’appelle faim pour la distinguer du désir. D’autres fois, Il met dans cette âme de prier pour des choses particulières. Elle sent bien dans ce moment que la prière n’est point formée par sa volonté, mais par la volonté de Dieu, car elle n’est pas même libre de prier pour qui il lui plaît ni quand il lui plaît ; mais lorsqu’elle prie, elle est toujours exaucée. Elle ne s’attribue rien pour cela, mais elle sait que c’est Celui qui la possède qui s’exauce Lui-même en elle. Il me semble que je conçois cela infiniment mieux que je ne l’explique.

Il en est de même pour la pente sensible, ou même l’aperçue, qui est bien moins que sensible. Lorsqu’une eau est inégale à une autre qui se décharge en elle, cela se fait avec un mouvement rapide et un bruit aperçu ; mais lorsque les deux eaux sont de niveau, la pente ne s’aperçoit plus : il y en a une néanmoins, mais elle est insensible et imperceptible, en sorte qu’il est vrai de dire en un sens qu’il n’y en a plus. Tant que l’âme n’est pas unie entièrement à son Dieu d’une union que j’appelle permanente pour la distinguer des unions passagères, elle sent sa pente pour Dieu. L’impétuosité de ce penchant, loin d’être une chose parfaite comme des personnes peu éclairées le pensent, en est le défaut et marque la distance de Dieu et de l’âme.

Mais quand Dieu s’est uni l’âme de telle sorte qu’Il l’a reçue en Lui, où Il la tient cachée avec Jésus-Christ, l’âme trouve un repos qui exclut toute pente sensible et tel que la seule expérience le peut faire comprendre. Ce n’est point un repos dans la paix goûtée, dans la douceur et dans la suavité d’une présence de Dieu aperçue, mais c’est un repos en Dieu même, et qui participe à Son immensité tant il a d’étendue, de simplicité et de netteté. La lumière du soleil qui serait bornée par des miroirs aurait quelque chose de plus éclatant que la pure lumière de l’air ; cependant ces mêmes miroirs qui rehaussent son brillant la terminent et lui ôtent de sa pureté : lorsque le rayon est terminé par quelque chose, il s’emplit d’atomes et il se fait mieux distinguer que dans l’air, mais il s’en faut bien qu’il n’ait sa pureté et simplicité.

Plus les choses sont simples, plus elles sont pures et plus elles ont d’étendue. Rien de plus simple que l’eau, rien de plus pur ; mais cette eau a une étendue admirable à cause de sa fluidité. Elle a aussi une qualité, que, n’ayant nulle qualité propre, elle prend toutes sortes d’impressions. Elle n’a nul goût et elle prend tous les goûts, elle n’a nulle couleur et elle prend toutes les couleurs. L’esprit et la volonté, en cet état, sont si purs et si simples que Dieu leur donne telle couleur et tel goût qu’il Lui plaît, comme à cette eau, qui est tantôt rouge, tantôt bleue, enfin imprimée de telle couleur et de tel goût que l’on veut lui donner : il est certain que, quoique l’on donne à cette eau les diverses couleurs que l’on veut à cause de sa simplicité et pureté, il n’est pourtant pas vrai de dire que l’eau en elle-même ait du goût et de la couleur, puisqu’elle est de sa nature sans goût et sans couleur, et c’est ce défaut de goût et de couleur qui la rend susceptible de tout goût et de toute couleur. C’est ce que j’éprouve de mon âme : elle n’a rien qu’elle puisse distinguer ni connaître en elle ou comme à elle, et c’est ce qui fait sa pureté ; mais elle a tout ce qu’on lui donne et comme l’on lui donne, sans en rien retenir pour elle. Si vous demandiez à cette eau quelle est sa qualité, elle vous répondrait que c’est de n’en avoir aucune. Vous lui diriez : « Mais je vous ai vue rouge ! — Je le crois, mais je ne suis point rouge : ce n’est pas ma nature. Je ne pense pas même à ce qu’on fait de moi, à tous les goûts et à toutes les couleurs qu’on me donne. » Il en est de la forme comme de la couleur. Comme l’eau est fluide et sans consistance, elle prend toutes les formes des lieux où on la met, d’un vase rond ou carré. Si elle avait une consistance propre, elle ne pourrait prendre toutes les formes, toutes les odeurs, tous les goûts et toutes les couleurs.

Les âmes ne sont propres qu’à peu de chose tant qu’elles conservent leur consistance propre. Tout le dessein de Dieu étant de leur faire perdre, par la mort d’elles-mêmes, tout ce qu’elles ont de propre, afin de les mouvoir, agir, changer et imprimer comme il Lui plaît. De sorte qu’il est vrai qu’elles ont toutes les formes, et il est vrai qu’elles n’en ont aucune ; ce qui fait que, ne sentant que leur nature simple, pure et sans impression singulière, lorsqu’elles parlent ou écrivent d’elles-mêmes, elles nient toutes formes être en elles, parce qu’elles ne parlent pas conformément aux dispositions variables où on les met, auxquelles elles ne font nulle attention, mais au fond de ce qu’elles sont, qui est leur état toujours subsistant.

Je vous conjure, M [onseigneur], d’excuser les expressions, et, si je dis mal, redressez-moi. Si l’on pouvait montrer l’âme comme le visage, je ne voudrais, ce me semble, cacher aucune de ses taches. Je soumets le tout.

J’ai encore ce défaut, que je dis les choses comme elles me viennent, sans savoir si je dis bien ou mal. Lorsque je les dis ou écris, elles me paraissent claires comme le jour ; après cela, je les vois comme des choses que je n’ai jamais sues, loin de les avoir écrites. Il ne reste rien dans mon esprit qu’un vide, qui n’est point incommode : c’est un vide simple, qui n’est incommodé ni par la multitude des pensées ni par leur stérilité. Je prie Dieu, s’Il le veut, de faire entendre ce que je ne puis mieux exprimer [fin du texte de la lettre].

Quoique l’âme écrive des états les plus relevés de la vie intérieure, elle ne croit pas pour cela posséder ces états ; et lorsqu’elle écrit d’elle-même, elle écrit avec une telle abstraction qu’elle ne pense pas l’avoir écrit. Il en est de même des autres écrits : elle ne sait rien avant que d’écrire ; quand elle a écrit, elle ne s’en souvient plus, quoique en écrivant, les choses lui paraissent clair comme le jour.

Justification 2 : Le dépouillement de défauts naturels, où l’âme porte une grande confusion et humiliation.

Notez1369 naturels : ce ne sont donc pas des péchés. Pour comprendre ceci, il faut faire attention que Dieu, pour purifier l’esprit, (ce que le bienheureux Jean de la Croix appelle « nuit obscure » de l’esprit,) permet que les défauts qui paraissent essuyés et comme éteints paraissent fort au-dehors ; je veux dire les défauts naturels d’humeur, des promptitudes, des inégalités, des sentiments tout révoltés. Dieu dépouillant alors l’âme de l’usage des divines vertus et de la facile pratique du bien, tous les défauts reparaissent. L’âme étant alors abandonnée à elle-même, elle souffre de toutes parts : de la part de Dieu, qui appesantit Sa main ; de la part des créatures, qui la calomnient et lui font les plus étranges persécutions ; de la part d’elle-même, tous ses sentiments étant révoltés ; et de la part des démons. Et c’est ce terrible assemblage de tant de si étranges croix, qui causent la mort de l’âme : car si quelqu’une lui manquait, ce lui serait un refuge et un soutien, qui la ferait vivre en elle-même. Ces défauts ne sont point volontaires, non plus que l’expérience de mille misères et faiblesses qui font la douleur de l’âme, quoiqu’elle ne le connaisse pas toujours, car l’abandonnement de Dieu lui fait croire que c’est sa faute. Si elle se tourne vers Dieu, elle s’en sent rejetée, et n’éprouve que Son indignation ; si elle s’envisage elle-même, elle ne voit que tentations, misère, pauvreté et défauts ; si elle veut se tourner vers les créatures, elles sont pour elle comme des épines qui la piquent et la repoussent. Elle est comme pendue, comme bannie de tous les êtres, ainsi qu’on le verra dans la purification. Ce qui est plus terrible pour l’âme, c’est qu’ordinairement Dieu pousse ces pauvres affligées au-dehors dans ces temps-là, c’est-à-dire qu’Il les met, par la nécessité de leur état, hors de leur solitude et dans le commerce du monde. Ce qui les tourmente le plus, c’est que plus elles désirent le détachement, plus elles sentent malgré elles que leur cœur prend à tout : elles souffrent beaucoup de cela. Mais lorsque Dieu s’est servi de toutes les créatures et de leurs propres défauts, de la pesanteur de Son bras, de la malice des hommes et des démons, de l’expérience de leurs faiblesses, Il les en délivre tout d’un coup, pour les recevoir en Lui toutes pures. Celles qui ne se laissent pas détruire de la sorte, restent toute leur vie en elles-mêmes dans leurs défauts et propriétés. Voilà ce que j’ai voulu dire.

Ce que l’épouse veut encore dire, c’est que dans les commencements on souffre les persécutions et les calomnies avec force, parce qu’on sait très bien de les avoir pas méritées, et qu’on est fort soutenu intérieurement ; mais ici il en est plus de même. Comme l’âme est remplie de sentiments de penchants vers la créature, elle croit avoir en réalité ce qu’elle n’a qu’en sentiment : alors elle se croit la plus misérable du monde. Elle croit mériter tout ce qu’on lui fait souffrir, et porte une telle confusion et humiliation au-dedans qu’elle est inexplicable. Elle se croit la plus mauvaise de toutes les créatures. Et plus elle s’est sentie détachée de tout, et de goûts pour Dieu, et une certaine légèreté, plus elle se sent sa misère, son attache et sa pesanteur, mais d’une manière si douloureuse qu’elle agonise mille fois par jour. Il lui semble avoir le goût de tous les plaisirs et l’envie d’en jouir, quoiqu’elle les fuit plus que jamais.

Justification 3. Épreuve de l’âme pendant sa résistance à Dieu.

La résistance1370 que l’âme fait ici à Dieu est de deux natures, qui ont rapport aux demandes que Dieu lui a faites dans les versets précédents. Nous avons vu dans le Cantique que l’Époux lui dit : Ouvrez-moi, ma sœur, mon épouse, parce que Je suis chargé des gouttes de ma Passion. Il faut comprendre que l’âme alors voit fort bien que Dieu vient à elle chargé de douleurs pour l’accabler de douleur : car ses discours sont des impressions douloureuses que Dieu fait en elles de toutes les douleurs possibles, et en même temps de toutes les faiblesses, car si elle pouvait souffrir avec force, elle serait trop heureuse. Dieu lui donne des vues d’infamie et de décri : ces vues sont suivies de l’effet. Dieu joint à cela l’expérience de mille faiblesses et misères, une perte apparente des vertus, ou plutôt de la force dans les vertus, en sorte qu’elle se trouve couverte d’une telle confusion et d’une si extrême douleur qu’il n’y a rien qui soit égal : car lorsque Dieu appesantit sa main sur le dedans, Il livre l’extérieur à la calomnie, à la malice des hommes, et souvent au diable, auquel Il donne un plein pouvoir sur les corps, qui est une chose si terrible qu’on ne peut y penser sans frayeur. Dieu, pour l’ordinaire, avant que de livrer l’extérieur entre les mains de l’Ennemi, donne un goût si extraordinaire de Sa Justice et un désir si véhément de la satisfaire, non seulement pour ses propres péchés, mais aussi pour ceux des autres, que ce désir rend tout languissant. Alors l’âme, sans rien spécifier, se livre aux rigueurs de la Justice en général, sans qu’il soit donné aucune vue distincte ; ensuite de quoi Dieu la prend au mot. Lorsque l’épreuve dure, elle sent une révolte extrême contre la souffrance ; elle ne voit en elle nul abandon ; elle crie de toutes ses forces pour être délivrée. Lorsqu’elle est dans le calme pour des moments, son goût et son amour de la Justice lui est rendu tout de nouveau pour se sacrifier ; et elle s’immole de nouveau à cette même Justice, sans pouvoir faire autrement, jusqu’à ce que la tempête revienne. Elle oublie alors son sacrifice et son goût pour la Justice, et livrée qu’elle est à toutes ses répugnances, elle n’éprouve que les douleurs de la mort. D’autres fois, Dieu, avant que d’éprouver l’âme, lui fait voir en gros les plus extrêmes souffrances, et Il lui demande son consentement. Il y a des âmes qui résistent à Dieu, ne pouvant se sacrifier à Sa Justice ; quelques-unes résistent tout à fait, d’autres résistent peu de jours ; et ses résistances leur font de terribles tourments, surtout à une âme qui avait été fort fidèle jusqu’alors, et qui avait un certain appui secret dans sa fidélité à souffrir et à n’avoir jamais rien refusé à Dieu, quelque dures qu’aient été ses volontés.

Dieu donc permet ces résistances à s’immoler à la croix et la peine, à Le recevoir couvert de sang, comme un Époux de sang et de douleur. Les âmes de cette trempe ne résistent pas longtemps. Cependant ces résistances sont nécessaires pour leur faire sentir à elles-mêmes leurs faiblesses, et leur faire connaître combien elles sont éloignées du courage qu’elles croyaient avoir. Il y a telles âmes qui, après une exquise pureté d’amour senti, se trouvent bien faibles contre l’amour rigoureux et, si elles ont été fidèles jusqu’alors, la peine de l’impureté spirituelle qu’elles ont contractée par cette résistance, leur est un grand tourment.

Justification 4. Impureté spirituelle par résistance à l’abandon. 

J’oubliais1371 de faire remarquer que ce que je dis : pour la punir et purifier de l’attache à la pureté et innocence, ne peut jamais être appliqué autrement qu’à une impureté spirituelle, et non comme des gens charnels l’ont expliqué, puisque je fais voir que la résistance qu’elle a faite à se sacrifier à Dieu, et l’impureté dont je parle, ainsi qu’on le peut remarquer en lisant attentivement la proposition : Ne pouviez-vous pas empêcher une épouse si chère et si fidèle de vous faire cette résistance ? Sa fidélité faisait sa pureté, et sa docilité son innocence. Mais elle était nécessaire pour sa consommation : remarquez, s’il vous plaît, que je parle de résistance, et de résistance à l’abandon, pour souffrir les épreuves. L’Époux permet cette faute dans son épouse, cette faute de résistance, afin de la punir, et en même temps de la purifier de l’attache qu’elle avait à sa pureté et à son innocence. Cette faute étant une résistance, l’impureté qu’elle contracte est donc une impureté spirituelle, causée par la résistance. Si j’avais voulu parler d’une impureté corporelle, et que j’eusse voulu dire ce qu’on me veut faire dire, comme Dieu m’a fait la grâce de savoir ma langue, j’aurais mis tout le contraire et j’aurais dit : « Elle s’est livrée à l’impureté pour se purifier de l’attache à sa pureté », ce qui est absurde, car cela ne peut jamais être. On dit que ce que j’ai voulu faire dire à notre épouse : J’ai lavé mes pieds : comment les salirai-je ?, c’est pour qu’elle commette des crimes. Si c’est pour commettre des crimes, et si c’est pour se servir de la sorte, la résistance qu’elle fait à cela l’empêche de perdre sa pureté en cette sorte ; ainsi Dieu n’a point permis cette faute pour lui faire perdre la pureté et l’innocence, comme ces personnes le disent, puisque ce serait une contradiction manifeste, d’autant que la résistance à ces choses la rendrait plus pure et plus attachée à sa pureté corporelle, loin de la lui ôter ; et je dis au contraire que Dieu a permis cette résistance dans son épouse pour la purifier de l’attache à sa pureté spirituelle, qui est une fidélité trop poursuivie, et sans relâche.

Dieu veut qu’elle se livre à souffrir toute la rigueur de Sa Justice, qu’elle soit livrée comme Job au démon pour la tourmenter, et ce sont ces sortes de tourments qui la purifient de l’attache propriétaire à sa pureté corporelle : ce qui est très involontaire en ces âmes, et des tourments comparés à l’enfer, comme on verra. Mais cette résistance est tout le contraire : elle fait contracter à l’âme une impureté spirituelle, qui est une résistance à l’abandon à Dieu, et une infidélité par faiblesse à l’approche des croix. Je ne sais si je me suis suffisamment expliquée sur cela. Je suis prête de sceller ma foi de mon sang. Comme je n’avais jamais imaginé qu’on pût donner une pareille explication, et que, lorsque j’écrivis cela, je n’avais jamais ouï parler de toutes ces créatures ni de rien d’approchant, je ne songeai pas à m’expliquer, et d’autant plus que ce livre-là était incorporé, et non détaché de ce qui exprime plus au long mes sentiments. Si quelque chose fait difficulté, je m’offre toujours de l’expliquer le plus nettement que je le pourrai.

Justification 5. Consentement à damnation et non à péché.

Ce sacrifice1372 est celui de l’éternité. L’âme semble être abandonnée de Dieu et livrée à la rage de Satan : se croyant perdue, elle abandonne son éternité. Elle croit après ce sacrifice, parce qu’elle sent quelques moments de repos, qu’elle va jouir de Dieu, et c’est le contraire : Il la précipite dans l’enfer spirituel. Il faudra expliquer cet enfer et prouver cela par les saints auteurs. Voyez purification nº 40, nº 79, etc. Ce sacrifice est pur parce qu’il se fait par excès d’amour et par la perte de tout intérêt propre. Il est pur, comme je l’expliquerai en parlant de la purification, car l’âme aimerait mieux l’enfer que le péché ; aussi ne pèche-t-elle pas, quoique tous les sentiments soient dans la peine de croire ; l’extrême douleur qu’elle en a, fait bien voir qu’elle n’offense pas son Dieu. Combien de fois s’écrie-t-elle dans son transport : « Damnez-moi et que je ne pèche pas ! » Les autres craignent l’enfer, parce qu’il est la punition du péché : cette âme demande l’enfer pour prévenir le péché. Elle croit consentir à tous les blasphèmes dont sa tête est pleine ; ses efforts augmentent son mal et le redoublent ; elle n’est soulagée que par la résignation et la patience. J’espère prouver cela dans l’article des purifications ou épreuves. Je ne pensais pas tant écrire, mais je m’aperçois que j’y suis emportée : je vous en demande pardon.

Ceci est bien différent de certaines créatures qui n’ont jamais eu d’intérieur, et dans lesquelles, si on les interrogeait, on ne trouverait aucun fonds, qui n’ont ni lumière ni chaleur : et comment en auraient-elles, mon Dieu, puisqu’elles sont éloignées de Vous, qui êtes la source d’amour et de lumière ? Elles sont les suppôts de Satan, comme il en a eu en tout temps, afin de confondre la vérité et le mensonge. Ce sont des gens qui, loin de sortir d’eux-mêmes pour se perdre en Dieu, sortent de Dieu par le péché, et l’oublient pour ne penser qu’à eux et se livrer à l’iniquité. Il est à remarquer que, dans tout le Cantique, il est répété la nécessité de se renoncer, que l’âme ne trouve aucun plaisir ni au ciel ni sur la terre, et qu’elle est infiniment éloignée d’aller chercher des plaisirs illicites, puisqu’elle suit même les plus innocents. Notre épouse cherche Dieu sans cesse, se hait et fuit toutes les créatures. Ces personnes, au contraire, fuient Dieu, ne s’occupant jamais de Lui, et ne songent qu’à satisfaire leur sensualité. Nous faisons voir qu’on ne peut arriver au mariage divin que par une mort entière et non à demi, une extinction de tout appétit ; et ces gens vont, en suivant un appétit effréné, sans Dieu, sans amour, sans vérité. Qu’on voie si on leur trouvera le moindre fonds de mortification. Gens qui étouffent les syndérèses1373 de la conscience, et qui dévorent, comme le Béhémot1374, les fleuves d’iniquité : aussi plus ils vont avant, plus ils sont méchants, au lieu que mon épouse ne saurait souffrir la moindre imperfection sans en être brûlée, et qu’après ces épreuves elle devient tout divine. Ces épreuves sont des peines passives auxquelles elle n’a nulle part, et les autres se livrent à l’iniquité. Mon épouse ne peut rien goûter hors de Dieu : Dieu seule la rend pleinement contente ; les autres ne goûtent point Dieu et cherchent toutes choses hors de Lui. Aussi n’ont-ils ni vérité ni amour ni paix en Dieu ; ils ont un étourdissement de conscience qui cependant n’empêche pas mille peines et inquiétudes. Mon épouse est en paix à cause de sa soumission parfaite à la volonté de Dieu, qui l’unit à son Dieu, et son Dieu la change en Soi d’une manière ineffable. Ils sont pétris de péchés, comme elle l’est d’innocence.

Je proteste que, lorsque j’ai écrit tous mes écrits, je n’avais jamais ouï dire qu’il y eût de pareilles créatures au monde, que je ne l’avais même jamais imaginé, car j’aurais si fort expliqué les choses qu’elles n’eussent point fait des difficultés. Je commençai à en entendre parler la première fois en écrivant les Épîtres de Saint-Paul vers la moitié, ce qui m’obligea de me mieux expliquer, comme on le verra si on veut bien, pour l’amour et pour la gloire de Dieu, les lire. Je prie ce Dieu de vérité, à qui rien n’est caché, de faire connaître cette différence. Et s’il se trouvait quelque chose dans mes écrits qui parlât d’autre chose que du renoncement, de la mort à soi-même et à ses satisfactions, et qui dît quelque chose qui ne fût pas dans les auteurs expérimentés et reconnus bien catholiques, je le déteste et l’abjure de tout mon cœur, comme n’ayant jamais été ni dans mon esprit ni dans ma volonté ; et c’est pour ne me pas tromper moi-même que je demande qu’on les lise : je crois que l’on fera une œuvre qui glorifiera Dieu ; du moins tout le monde saura que je ne suis point dans leurs sentiments, que je les ai en horreur et en détestation.

TRAITÉ DU PURGATOIRE

Madame Guyon, LE PURGATOIRE/Traité du purgatoire suivi de Trois moyens de purification et de mort et Figures scripturaires de la purification, Textes présentés par Marie-Louise Gondal, Éditions Jérôme Millon, 1998.1375

<I — LA NÉCESSITÉ DU PURGATOIRE APRÈS LA MORT>

<le destin de l’âme est fonction de sa pureté>


Les âmes du purgatoire sont, autant que je le peux comprendre, purifiées non seulement selon la nature de leurs péchés, mais selon le degré de gloire auquel Dieu les destine.

Toutes les âmes du purgatoire se trouvent, au moment de leur mort, dans l’ordre et (la) disposition divine plus ou moins parfaitement (selon) qu’elles sont plus ou moins pures. Car si elles n’étaient pas dans l’ordre et disposition divine elles seraient dans la révolte et par conséquent dans la damnation.

<En effet> sitôt que l’âme sort de ce monde, elle est fixée pour jamais dans le même état où elle meurt. Cette fixation n’est point pour la pureté, mais pour l’état de grâce et de péché, et pour la capacité de

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recevoir. Si l’âme de grâce et non encore purifiée était fixée au moment de sa mort

dans son impureté, elle ne pourrait jamais voir Dieu, parce qu’il faut une pureté selon la capacité de l’âme ».

L’âme, au sortir de son corps, se trouve nécessiter de suivre son destin. Je ne crois point que Dieu la juge d’un jugement particulier. (Comme j’ignore là-dessus le sentiment de l’Église, je soumets le mien). Notre divin juge attendra à la fin du monde <pour> se montrer ou favorable aux justes ou rigoureux aux pécheurs ; et les Écritures qui nous assurent que, dans l’effroi où seront alors les réprouvés à la vue de leur juge, ils s’écrieront : « Montagnes, tombez sur nous » (Ap. 6,16) et qu’ils craindront plus que l’enfer même la présence redoutable de leur juge, nous font assez connaître qu’ils n’ont point paru devant lui.


<trois sortes d’états>


Lorsque l’âme, au sortir de son corps, se trouve parfaitement pure et sans nul

1. add. Poiret : « sans aucune tache ».

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mélange de propriété, elle va droit au ciel et son propre poids l’emporte dans le lieu qui lui est destiné. Cela se fait comme tout naturellement, car Dieu étant notre centre, l’âme a une pente infinie pour se perdre en lui, et s’y perd véritablement lorsqu’elle est dégagée de tous les obstacles qui l’en peuvent empêcher. Elle vole donc dans le sein de Dieu selon le degré qui lui est préparé et la capacité que Dieu a mise en elle. Si son amour est très épuré, selon cette prérogative dominante en elle, elle est placée au rang des séraphins, et alors elle passe d’un vol hardi toutes les hiérarchies inférieures. Si elle est d’un ordre inférieur, elle s’y arrête.

Il y a des âmes pures qui ne passent point après leur mort par le purgatoire et qui cependant sont de derniers ordres, et d’autres au contraire qui passent par le purgatoire, qui souffrent même de rigoureux tourments et qui ne laissent pas d’être plus élevées dans le ciel. Ceci s’expliquera. Il est donc constant que l’âme se trouvant sans empêchement se perd en Dieu, son divin centre et sa dernière fin, au moment de sa mort.

Celles qui se trouvent en mourant dans la malice de la rébellion de leur volonté, se

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trouvent nécessitées, par un double poids — de la fureur de Dieu et de leur iniquité —, de se précipiter dans l’enfer. Elles s’y précipitent avec vitesse, comme au lieu qui leur est propre. Et quelque terribles que soient les tourments de l’enfer, il y a encore de la miséricorde, car si l’âme ne trouvait ce lieu que Dieu lui a destiné, la peine de l’état violent où elle est, causée parce qu’elle est hors de l’ordre et disposition divine, lui serait un enfer plus pénible. C’est une nécessité en Dieu, par sa pureté essentielle, de rejeter le pécheur, comme à ce pécheur d’être rejeté de son Dieu. Il est attiré par la nécessité du centre qui tire toutes choses à soi et il est rejeté de Dieu par une main infiniment puissante. De sorte qu’<être> tiré et rejeté avec une violence infinie <lui> cause un tourment qui ne se peut exprimer, qui s’appelle peine du dam 1. Car il n’y a pas une moindre nécessité à cette âme damnée d’être tirée par son centre que d’en être repoussée.

Les troisièmes sortes d’âmes sont celles qui sortent de cette vie dans la soumission à la volonté de Dieu et dans l’ordre de sa


1. dam = damnation.

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grâce, et qui néanmoins ont besoin d’être purifiées. Elles ont, comme les autres, une pente nécessaire pour le lieu qui leur est destiné. Elles sont attirées comme les premières âmes pour se perdre dans leurs dernières fins dont l’attrait est infini, mais le poids de leur impureté les entraîne dans le lieu destiné à leur purification. Elles se précipiteraient plutôt en mille enfers, dans la connaissance qui leur est alors donnée de Dieu, que de paraître devant lui chargées de la moindre impureté.

Il y a alors en Dieu pour ces âmes une double nécessité qui se rapporte à lui-même et non à elles, et une double nécessité dans ces âmes qui se rapporte à Dieu. La nécessité de Dieu pour elles est de les aimer parce qu’elles sont dans sa grâce, et son amour les attire à soi. Car Dieu, comme fin dernière, a en soi une nécessité d’attrait, comme l’âme a une nécessité d’être attirée. C’est la nature de Dieu d’attirer toutes choses à soi comme principe et fin. Jésus Christ réparateur ne dit-il pas : « Lorsque je serai élevé de terre, j’attirerai toutes choses à moi » (Jn. 12, 32) ? Mais ce même Dieu qui, comme principe et dernière fin, a cette qualité nécessairement

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attirante qui fait et le bonheur des saints et le malheur des réprouvés, est contraint par sa pureté essentielle de repousser toute impureté spirituelle, parce que, pour recevoir l’homme en lui, il faut qu’il lui soit semblable, étant impossible 1 d’allier deux choses opposées. Cette ressemblance consiste dans la participation des qualités de Dieu, et c’est où gît la parfaite pureté. Les hommes la mettront où il leur plaira, mais Dieu la met en ce que je vais dire.


<la pureté de l’âme : une opération de Dieu>


Dieu est un être très simple, sans aucun mélange. Nous sommes d’autant plus parfaits que nous lui sommes plus semblables. C’est pourquoi il est écrit : « Soyez parfaits comme votre Père céleste est parfait » (Mt. 5,48). Ce comme ne se peut jamais prendre pour autant, mais pour une ressemblance imparfaite dans la nature de la perfection. La perfection de notre esprit consiste dans la simplicité. La simplicité et la nudité le rendent pur et parfait. Plus il est simple et nu, plus


1. add. Poiret : « à Dieu ».


il est pur. Cette simplicité le rend un en Dieu, parce qu’<elle> le fait ressembler à Dieu qui est un et simple. Et il est impossible (supposé ce que nous avons dit : que c’est une nécessité au souverain être d’attirer à soi tous les êtres qui lui sont conformes), qu’il ne s’unisse pas celui qui sera véritablement simple et pur, parce que se l’étant rendu semblable, il faut qu’il se l’unisse.

La pureté de l’esprit consiste donc incontestablement dans sa nudité et simplicité. Or il faut savoir que, comme il est impossible que Dieu n’unisse pas à soi une âme pure et simple, il est également impossible que cette âme soit purifiée au point qu’il faut pour être unie à Dieu, <sinon> par lui-même. La créature aidée de la grâce peut bien, par son activité, se mettre en disposition d’être purifiée de Dieu, mais elle ne peut jamais se purifier par elle-même au point qu’il le faudrait pour être unie à Dieu. La raison est prise de la nature de cette union.

Nous avons vu que la pureté qui nous unit à Dieu doit participer à la nature de Dieu et nous rendre conformes à lui. C’est un être pur et sans mélange : il faut que

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nous devenions purs et sans mélange d’activité 1 Sa simplicité fait sa pureté. Il faut que notre simplicité fasse notre pureté. Or cette simplicité ne peut s’acquérir que par le dénuement. Si Dieu pouvait s’unir un être différent du sien sans se le rendre conforme, il cesserait d’être pur et contracterait par ce mélange une qualité opposée à sa pureté, et par conséquent <il> se détruirait lui-même par la contrariété. Il faut donc nécessairement que Dieu se conforme l’âme qu’il veut unir à soi. Or toute activité <propre>2 de la créature la rendant toujours multipliée, toujours semblable à soi, toujours enfoncée en elle-même, empêche qu’elle ne soit parfaitement purifiée. Il n’y a que l’opération de Dieu qui puisse rendre l’âme conforme à lui et, par conséquent, la purifier.


1. Dans le langage de Mme Guyon, l’activité de l’âme est un obstacle à l’union divine lorsqu’elle a sa source dans la « propriété » : vues propres », « volonté propre », « amour propre », dictées par un amour de soi oublieux de notre fin. Ce n’est pas l’activité en elle-même qui éloigne de Dieu, mais une activité détournée de sa source divine.

2. add. Poiret.


<la purification du purgatoire>

Aussi les âmes du purgatoire sont-elles purement passives, et c’est Dieu même qui les purifie. Si elles avaient quelque activité pour leur purification, elles seraient dans une imperfection actuelle, <ce> dont elles sont incapables. Il faut donc <de> nécessité que Dieu, en les purifiant par sa justice qui est comme un feu consumant, détruise et purifie ce qui n’a pas été consumé1, détruit et purifié en cette vie, et par ce moyen se les rende conformes.

Dieu purifie ce que l’âme a de grossier comme le soleil purifie l’air qui est seul capable de recevoir purement sa lumière et d’être comme mélangé avec elle. Il attire à soi les vapeurs grossières qui épaississent l’air et empêchent son entière pénétration. Mais, comme les impuretés seraient toujours les mêmes s’il ne les attirait, et qu’il ne pourrait jamais les unir à sa lumière s’il


1. Mme Guyon a écrit « consommer ». Il est vrai qu’elle écrit souvent consommer pour consumer et que, chez elle, le thème de la consumation-destruction est intimement mêlé à celui de la consommation-manducation. Ici l’image du feu appelle plutôt « consumer ».

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ne les purifiait, il les attire donc et les purifie en les attirant. La même nature du soleil qui

les attire les purifie nécessairement en les attirant, car il n’est pas moins essentiel au soleil de purifier en attirant, que d’attirer. Dieu fait tout de même 1. Il commence par attirer l’âme intérieurement. C’est ce que l’on a fort bien nommé attrait. Et si l’homme était fidèle dès le commencement à suivre l’attrait de Dieu, il parviendrait en peu de temps à sa divine union. Mais il <le> combat presque toute sa vie. Et comme il est né libre, il se sert de sa liberté pour résister à l’attrait de Dieu. <Toutefois en> supposant qu’il suive cet attrait — qui le portera toujours à cesser toute action propre pour se laisser entraîner, purifier et élever jusqu’à Dieu —, l’ordre que Dieu tient par la nécessité de tout lui-même est celui-ci.

Nous appelons cette nécessité Economie de sa Sagesse — car nous donnons des noms aux opérations de Dieu pour nous faire entendre, quoiqu’il soit certain que tout est également Dieu et nécessité de Dieu en lui et pour lui. Ce qui fait la variété des opértions <de la sagesse>, c’est la variété des sujets sur lesquels elle s’applique, car tout est nécessité de Dieu en Dieu.

1. = exactement de même.

<II — UN PURGATOIRE DÈS CETTE VIE>

<une opération identique sous le voile de la foi>


Je dis donc que quand Dieu veut honorer une âme de son intime union, qui est la fin pour laquelle il la crée et le fruit de la rédemption de Jésus-Christ — car Dieu, comme seul et souverain Etre, existant par soi-même, ne pouvait créer des êtres qui participassent de lui sans imprimer dans le plus intime de leur substance un instinct de réunion à leur principe, et c’est cet instinct de réunion dans l’essence de l’âme qui est et sera éternellement le siège de la béatitude ou de la damnation — si l’âme arrive à sa fin, s’y laissant conduire et donnant toute liberté à son instinct de suivre son Créateur et son moteur, elle arrive dès cette vie à l’union de Dieu, mais union couverte sous le voile de la foi.

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Si elle ne suit pas cet instinct foncier qui se manifeste dès le commencement de la conversion et qu’elle le laisse étouffer par l’entraînement de la nature corrompue qui inspire un penchant contraire à celui de la grâce, et qu’elle meure en suivant cet instinct de corruption, étant donc malheureusement damnée et se trouvant fixée pour une éternité dans la disposition où elle meurt, son enfer sera l’entraînement de la nature corrompue qui aura tout le mal et la douleur de la corruption, sans nul mélange de plaisir, et d’être attirée par une nécessité essentielle qui ne peut jamais cesser qu’elle ne cessât d’être. Elle est donc tirée avec une violence infinie et repoussée de même. Parce que le même Dieu qui tire nécessairement tous les êtres participés de lui, repousse nécessairement dans ces mêmes êtres ce qui lui est contraire : et c’est la peine du dam qui passe tout ce que l’on peut imaginer.

Nous ne la comprenons pas en cette vie, parce que nous sommes entraînés par la nature corrompue qui, par ses délectations matérielles et grossières, fait diversion et, amusant les sentiments, empêche l’attention de l’esprit. Il n’en est pas de même

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dans l’autre vie où l’esprit dégagé de la matière sera tout appliqué à un seul et unique objet, ou douloureux ou béatifique. Comme nous sommes composés de corps et d’esprit, nous sommes partagés et de telle sorte ensevelis dans les sentiments que cet instinct de réunion et de tendance à Dieu demeure enveloppé et comme étouffé.


<au centre de tout : l’attrait de Dieu>


Lorsque Dieu convertit un pécheur, il commence par développer cet instinct et, le tirant des ténèbres, le fait sentir à l’âme. Alors elle sent en elle une pente et un attrait pour Dieu, qui lui avait été inconnu jusqu’alors. Cet attrait anime la volonté et lui donne une activité d’amour nécessaire. Car il faut savoir que c’est l’attrait qui meut la volonté et qui excite l’amour. Plus l’attrait se développe, plus la tendance de la volonté augmente, plus l’amour croît, de sorte que c’est cet attrait qui est le pivot sur lequel tout roule. Et l’on verra toujours l’amour suivre l’attrait et la volonté s’assujettir par la force de ce même attrait. Ceci est un enchaînement nécessaire.

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Quand au contraire l’instinct de réunion à Dieu est étouffé par les attraits de la nature corrompue, nous voyons que notre volonté et notre amour suit notre attrait. Lorsque nous sommes plus attirés par un objet créé, nous sentons moins cet instinct et nous trouvons que notre amour en s’éloignant de son principe suit l’attrait corrompu, et que la volonté le soutient. Ainsi la volonté devient rebelle et l’amour dépravé. Mais lorsque l’attrait de l’âme gagne le dessus et qu’il est, par la grâce de Dieu, développé 1 des ténèbres de l’erreur et du mensonge, alors il suit, et en suivant son activité croît : elle commence d’être éclairée de la lumière de vérité, lumière générale, lumière Jésus Christ, « éclairant tout homme venant au monde » Un 1, 9). Longtemps, dans le commencement, c’est un jour brouillé par les ombres de la nuit, jusqu’à ce qu’à force de se laisser entraîner par l’instinct 3, Jésus Christ se lève en nous comme nous voyons


1. = débarrassé (comme d’une enveloppe).

2. 11 s’agit, cette fois, non d’une activité « propre », mais d’une activité ordonnée à la volonté et lumière divine.

3. C’est-à-dire, dans k langage de Mme Guyon, l’« instinct de réunion à Dieu ».

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le soleil se lever sur notre hémisphère. À mesure que sa lumière croît, elle dissipe nécessairement les ténèbres de la nuit : de même Jésus Christ nous illumine.

C’est de cette sorte que Jésus Christ, Sagesse éternelle, est « voie et vérité et vie » On 14, 6). Il est voie puisqu’en nous attirant comme Dieu, il nous trace, comme Dieu et homme, la voie par laquelle il nous attire. Il est vérité et cette vérité est la lumière éclairante et purifiante. Il est vie parce que les ténèbres sont une mort pour l’âme qui, quoiqu’immortelle, ne laisse pas d’être dans la mort lorsqu’elle est privée de la lumière vivifiante, la Sagesse éternelle. Sans faire donc autre chose que d’attirer l’âme et se faire suivre d’elle, il prend à son égard ces trois qualités, y faisant ces trois fonctions.

Et comme nous voyons le soleil, en attirant la vapeur, la purifier à mesure qu’il l’attire, et l’attirer selon qu’il la purifie, il en fait tout de même pour l’âme. Il l’attire donc, comme nous l’avons vu, par la nécessité de l’attrait qui est en lui. Si l’âme suit cet attrait, il la purifie. Car il n’est pas moins essentiel à la nature de Dieu de purifier en attirant, <qu’il> lui est essentiel

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d’attirer. L’âme suit et est purifiée. Cette purification, développant toujours plus l’attrait, l’approche davantage de Dieu, comme nous voyons que le soleil, en purifiant et subtilisant la vapeur qu’il attire, l’approche toujours plus de soi, jusqu’à ce qu’il l’ait rendue si pure qu’elle participe à sa lumière et devient une avec elle. C’est la figure de la conduite de la grâce.


<la fidélité à cet attrait : voie de purification>


Il faut donc suivre cet attrait à mesure qu’il se manifeste. Et la fidélité à suivre l’attrait est la manifestation du même attrait. L’âme sent alors une pente pour son Dieu qu’elle n’avait jamais éprouvée. Son attrait et son amour s’augmentent chaque jour. Car l’amour suit l’attrait, et par cette augmentation d’attrait et d’amour, la volonté devient plus assujettie, jusqu’à ce qu’à force d’être attirée, purifiée et simplifiée, elle se perde dans la source de toute pureté. Car la fidélité à suivre l’attrait simplifie l’âme et la retire de la multiplicité des objets pour la réduire toute en un seul et unique objet qui est Dieu.

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Par cette conduite l’âme est simplifiée dans l’esprit et dans la volonté. Dans l’esprit, n’ayant qu’un esprit de foi net, pur et général, sans multiplicité de raisonnements. Dans la volonté, étant dépouillée de tous désirs et tendances, parce que cet unique objet la réunit, la retirant d’une infinité d’inclinations et de désirs multipliés en quantité d’objets, qui, n’ayant pas assez d’étendue et de force pour la contenter, à cause de la grandeur de sa capacité, la laissent vide. C’est ce qui fait qu’elle se multiplie toujours plus en désirs, sans cependant jamais être satisfaite.

Mais, lorsque, suivant l’instinct qui la porte à sa dernière fin, elle trouve que plus elle le suit, plus ses vides se trouvent remplis, c’est alors que celle qui se trouvait infiniment plus grande que ce qu’elle possédait hors de Dieu, se trouve trop petite pour recevoir ce qui lui est communiqué. C’est ce qui l’oblige de se retirer insensiblement de tout ce qui la partageait au-dehors. Et, se réunissant toujours plus en son divin objet, plus elle se ramasse, plus elle augmente sa capacité. Mais comme son objet est infini, à mesure que sa capacité croît, elle sent qu’il la surpasse infi-

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niment. Et, ne pouvant le contenir, réduite qu’elle est dans la simple unité, elle se perd en lui et se laisse comprendre par celui qu’elle ne peut jamais contenir.

Voilà ce que c’est que la simplicité de la volonté, qui rend l’âme semblable à Dieu. Car alors, étant toute réunie dans ce divin objet, elle cesse de vouloir autre chose que Dieu. Mais comme il se veut lui-même pour lui-même, sans nul retour sur la créature, il est aisé de voir que l’âme perd par là tous désirs qui lui sont propres, pour n’avoir qu’un seul désir ou plutôt une seule volonté, qui est celle de Dieu. Et comme Dieu l’a attirée pour réunir en soi la volonté de la créature, il la meut aussi selon tous ses vouloirs. C’est alors qu’elle agit et veut, mais son action et sa volonté est Dieu.

Cet attrait est vigoureux et agissant, mais, comme l’âme conduite dans la volonté de Dieu est dans l’ordre et disposition divine et dans la pente de sa fin, cela se fait si tranquillement qu’il paraît naturel. C’est comme la pente d’une rivière, en sorte qu’il semble qu’elle soit sans action quoique son action soit très vigoureuse. C’est une action pleine de repos, et un repos agissant, non d’une

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action dont l’âme soit le principe. Dieu en est lui-même le principe et la fin en sorte que, comme une roue suit le mouvement de son pivot, l’âme suit le mouvement de Dieu.

La simplicité de l’esprit consiste en ce que Dieu, l’éclairant par sa lumière, lumière de vérité, le fait surpasser toutes <les> lumières multipliées de la raison et l’absorbant dans une lumière qui la surpasse, la fait défaillir à tout le reste. Or comme cette lumière de vérité est d’une étendue infinie et d’une pureté divine, étant Dieu même, elle n’a rien que l’entendement humain puisse attraper pour le concevoir et le renfermer en soi. Cela fait que l’esprit, tout abîmé dans cette lumière, reste très simple et très nu, mais si pur qu’il ne peut voir ni comprendre sa lumière, quoiqu’elle ne lui laisse rien ignorer au besoin. Elle n’a rien qui satisfasse l’esprit, quoiqu’il soit heureux dans sa netteté, parce que, comme cette lumière excède sa capacité propre, elle ne lui laisse rien distinguer. Ce que l’esprit distingue et comprend est moindre que lui, mais ce qui l’absorbe étant plus grand, ne tombe point sous sa compréhension et par conséquent sous son discernement.

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Ceci supposé, il est aisé de voir qu’afin que l’âme soit unie à Dieu, il faut qu’elle lui ressemble. Elle ne peut lui ressembler qu’elle ne soit pure et simple comme lui. Lorsqu’<elle> sort de ce monde, si elle s’est laissé purifier à l’action de Dieu et simplifier au point qu’il faut, il est infaillible qu’elle a une pente infinie qui, en la détachant du corps la perd en Dieu. Ne trouvant plus d’obstacles à sa réunion, elle suit infailliblement et nécessairement son instinct essentiel de réunion.


<la volonté d’amour : ligne de partage entre enfer et ciel>


Celles au contraire qui ont étouffé cet attrait pour vivre dans le crime et la révolte, sans perdre jamais cette nécessité d’être tirées à leur centre, seront repoussées à cause de leur impureté, avec une violence inexplicable, sans que la violence du rejet diminue celle de l’attrait, ni la violence de l’attrait l’impétuosité du rejet.

Ceci est un tourment que le pur amour tout seul peut faire concevoir et que l’homme charnel ne comprendra jamais. S’il n’y

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avait pas de peine spirituelle dans l’enfer, ce ne serait pas un enfer, puisque l’âme a une capacité de souffrir et de jouir qui excède toutes douleurs matérielles et tous plaisirs sensibles.

Or de toutes les peines qui se peuvent souffrir, la plus violente est celle qui pénètre la substance de notre âme et qui lui est la plus propre. La peine propre à la substance de l’âme est celle de tendance à sa fin et de rejet de cette même fin. Car cette tendance est dans sa nature et fait partie de son existence 1. Bien plus elle est son existence même. Or il est donc impossible qu’il y ait une peine ni plus violente pour l’âme ni plus propre à la tourmenter selon sa nature.

Quoique cette peine soit la plus violente que l’âme puisse souffrir, elle n’est point infinie. Parce que l’âme, quoiqu’immortelle, est pourtant bornée et finie par sa nature. En sorte que son instinct est borné par rapport à sa nature qui ne peut en avoir un plus grand, quoiqu’il soit infini à raison de son objet.

L’attrait et la pente de Dieu pour lui-même est infini comme lui. Et comme il

1. Note de Poiret : « c’est-à-dire essence actuelle ».

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jouis toujours de lui-même, son attrait est son repos et sa béatitude. S’il était possible que Dieu fût un moment sans trouver en lui la consommation de son attrait et la jouissance de lui-même, cet instant, par la véhémence essentielle de cet attrait, le détruirait. Parce que, n’existant qu’en soi et pour soi, et ne pouvant trouver son existence en aucun autre être, il faudrait nécessairement qu’il fût détruit. Il n’en est pas de même de l’homme qui existe nécessairement en Dieu. La division d’avec soi-même ne l’empêche pas de subsister. La division d’avec Dieu ne l’en empêche pas non plus, en tant que cette division n’est que de volonté. C’est une volonté rebelle qui n’empêche pas la nécessité d’exister en Dieu : cette nécessité d’exister en Dieu fait le malheur de l’âme damnée et son immortalité.

Les bienheureux ont, outre la nécessité d’exister en Dieu, une volonté toute d’amour qui les unit à lui avec un plaisir et une béatitude infinie. Quoiqu’ils soient tous simples et réduits dans la pureté requise pour arriver au ciel, ils n’ont pas tous ni une égale pureté, ni une même capacité, ni une gloire semblables. Ils sont tous purs. Mais

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autre est la pureté d’une agate ou d’un petit rubis, autre celle d’un diamant parfait. Ce sont toutes pierres précieuses, mais les unes excèdent infiniment le prix des autres. Ils composent cependant tous la Jérusalem céleste. Tous leurs vides se trouvent remplis, et ils sont tous infiniment heureux selon leur capacité.

Il y en a dont la capacité est d’une étendue presque infinie. Ce sont des vases d’une grandeur démesurée. Les autres sont petits et quoiqu’ils soient purs et pleins, il y a néanmoins une très grande différence. Leur amour est pur à tous, car il est absolument impossible que le moindre propre intérêt entre au Ciel. S’il y entrait, il y mettrait l’imperfection. Il n’y a qu’une lumière dans le Ciel, cette lumière est l’Agneau 1. Il n’y a qu’un intérêt, c’est l’intérêt de Dieu, qu’un

1. La figure de l’Agneau, dans le dernier livre de la Bible, l’Apocalypse, désigne le Christ Sauveur et Seigneur. Elle est centrale dans les représentations de l’achèvement du monde en Dieu : « Le trône de Dieu et de l’Agneau sera dressé dans la ville, et les serviteurs de Dieu l’adoreront ; ils verront sa face et son nom sera sur leurs fronts. De nuit, il n’y en aura plus ; ils se passeront de lampe ou de soleil pour s’éclairer, car le Seigneur Dieu répandra sur eux sa lumière.... » (Ap. 22, 3-5).

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amour, l’amour pur, qu’une gloire, celle de Dieu. Mais cet amour, cette gloire, cette lumière étant Dieu, est d’une si grande étendue qu’elle aurait de quoi consumer et éclairer et glorifier une infinité d’autres hiérarchies d’anges et de saints.


<une place parmi les anges>


Dans le ciel, les hiérarchies sont composées d’hommes et d’anges. Les saints remplissent les places que les anges ont abandonnées par leur rébellion. Dans chaque hiérarchie il y a des saints plus éminents les uns que les autres. Les saints sont placés entre les anges selon leur prérogative particulière. Car quoique l’amour soit attribué aux séraphins, tous les ordres inférieurs ne laissent pas d’être remplis d’amour. Mais comme les séraphins ont excellé en pureté d’amour, et qu’il a été leur prérogative particulière, les saints dont l’amour est pur, nu et dégagé sont placés entre les séraphins. La prérogative particulière des trônes est la constance et l’immobilité. Les âmes destinées en cette vie à tout sacrifier au pur amour, qui ont un amour nu, pur et simple, amour réel, réel et insensible,

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sont des séraphins dès cette vie. Il ne faut pas prendre la vérité de l’amour pour le sentiment et la chaleur de l’amour, car tel qui paraît tout enflammé d’ardeur est bien loin de la pureté de l’amour, quoiqu’il soit tout plein de sentiment d’amour 1.

<III — LA PURIFICATION DE L’ÂME>

<une purification passive>


Pour revenir aux âmes de 2 purgatoire, qui est le but que je me suis proposé d’abord, je dis que si, en sortant de cette vie, elles se trouvent chargées des taches de quantité de péchés énormes, il faut un étrange purgatoire pour les purifier.

L’âme donc, sortant de cette vie, a en elle, comme nous l’avons vu, l’instinct de

1. Poiret n’a pas retenu : « quoiqu’il soit tout plein de sentiment d’amour ».

2. Noter l’apparition de l’article « de » au lieu de « du », détail non connu ou non retenu par Poiret. Le purgatoire n’est plus du tout un lieu, mais une opération ou un état liés à la situation spirituelle d’une « âme ».

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réunion à son principe. Cet instinct enveloppé par le commerce des sens ne se découvre qu’à peine en cette vie, mais à la mort il se fait sentir avec toute sa force. Alors l’âme, suivant sa pente, irait se perdre en Dieu avec une impétuosité qui passe tout ce que l’on en peut penser, si son impureté et les restes du péché ne l’en empêchaient. L’essence de Dieu l’attire comme un sujet qui lui est propre, mais la sainteté de Dieu et sa pureté la repoussent comme n’étant pas en état de leur être unie. Il faut donc qu’elle reste dans un lieu que l’on appelle Purgatoire. Il faut qu’elle y reste passive jusqu’à ce que Dieu l’ait purifiée.

Tant que nous vivons sur la terre, Dieu, en nous attirant à soi et nous purifiant, augmente et dilate toujours plus la capacité de notre âme, la rendant capable d’une plus grande béatitude. C’est ce que l’on appelle augmenter en mérite. Et si nous pouvions augmenter à l’infini, nous aurions une béatitude infinie. Il n’en est pas de même après la mort. Car quoique l’âme sortie de cette vie en la grâce de Dieu ait un lieu de purification et qu’elle ne soit pas fixée dans son impureté — si cela était elle ne pourrait

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jamais entrer au ciel — elle est néanmoins fixée quant à sa capacité, de sorte que, quoiqu’elle puisse être purifiée de ses souillures, elle ne peut accroître sa capacité. Si cela était autrement, elle croîtrait en grâce et en mérite.

Elle est donc fixée par 1 son étendue dans l’état où elle se trouve au moment de la mort. Par exemple un vase croît entre les mains du potier tant qu’il demeure sur le tour, il s’étend insensiblement. Mais lorsqu’après lui avoir donné la capacité conforme à l’usage auquel il le destine <le potier> l’a mis dans le fourneau, il n’y a plus moyen de l’accroître. Il peut bien le nettoyer et purifier, mais non lui donner plus d’étendue. <Ainsi> le purgatoire purifie les âmes, mais il n’accroît point leur capacité de jouissance.

Le péché augmente incessamment la capacité de souffrir et d’être malheureux comme la grâce augmente celle de jouir de Dieu. Mais de même que la mort termine le détestable ouvrage de l’homme criminel, et que sa douleur n’augmente point dans son

1. Poiret lit : « pour ».

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point essentiel étant une fois damné, <de même> l’homme mort en grâce ne peut croître en capacité de jouissance essentielle.


<capacité de l’âme et béatitude>


Il y a deux manières de concevoir la capacité de l’âme et la béatitude.

Quant à la capacité de l’âme, elle est fixée au moment de sa mort, de sorte que mille ans de purgatoire ne l’augmenteraient pas. Sa place est marquée dans le ciel, et elle n’augmente jamais en gloire de béatitude essentielle. Dieu la remplit d’abord de lui-même selon sa mesure et la grandeur où il la destine. Ceci est constant : que les saints ne croissent ni en béatitude essentielle ni en mérite, dès qu’ils sont dans le ciel, parce qu’ils sont dans le terme fixe et invariable.

Ce qui n’empêche pas que Dieu, qui est infini, ne découvre toujours en lui de nouvelles variétés de beautés, et cela sera toute l’éternité. C’est pourquoi Dieu est à ses saints une beauté ancienne et nouvelle 1, et


1. L’expression est tirée des Confessions d’Augustin (Livre X, § 27) « Tard je t’ai aimée, beauté ancienne et toujours nouvelle… » Augustin parlait de sa conversion. Mme Guyon transpose l’expression de la vie d’ici-bas à la vie dans l’au-delà de la mort, pour signifier le rassasiement non rassasié de l’union divine.


c’est en ce sens qu’il est dit que « les anges désirent sans cesse » (I P. 1, 12).

Or il est certain que, si nous prenons le désir comme il est ordinairement, pour un vide à remplir, ce désir ne peut point être attribué aux anges. Car s’ils avaient un vide qui ne fût pas parfaitement rempli, ils ne seraient pas heureux. Ils sont donc essentiellement bienheureux et tous leurs vides sont remplis. Mais ce désir est un appétit sans faim de ce qu’on possède, et qui découvre incessamment de nouvelles beautés dans l’objet possédé.

Ceci est causé par la petitesse de la créature et l’immensité divine. Une personne possède un trésor infini ou un objet dont elle est parfaitement contente. Mais, quoiqu’elle possède tout en même temps, ce trésor ou cet objet excédant la capacité de la vue, quoiqu’il se soit laissé voir dans la totalité de lui-même, ne laisse pas de manifester chaque jour avec un plaisir infini mille charmes que l’on ne remarquait pas à cause que la totalité de l’objet excède la portée de

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celui qui le possède. Dans les mêmes appâts, mille attraits sont découverts de manière que, sans croître en béatitude essentielle, l’âme découvre dans son bonheur mille agréments et en découvrira éternellement à cause de l’infinité de son objet.


<l’âme de purgatoire>


Je dis donc que l’âme du purgatoire peut être purifiée, mais que sa capacité béatifique ne peut augmenter après la mort. Ceci sert de preuve à ce que j’ai avancé au commencement : qu’il y aurait des saints inférieurs en grâce à d’autres saints, qui (cependant) n’ont jamais été en purgatoire, et des saints très éminents (qui) y ont passé. La raison est prise du côté de Dieu et de l’éminence de leur grâce. Du côté de Dieu, qui choisit pour être plus proche de lui les sujets les plus purs et étendus. Et cette pureté est si éminente que la moindre tache est purifiée d’une manière très forte, car plus ils ont reçu, plus il leur est demandé. Tous les cristaux sont purs. Mais ceux que l’on destine pour les plus beaux ouvrages, combien les polit -

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on, et avec combien d’exactitude y regarde-t-on ! Il en est de même des saints.

De plus il y a des saints qui meurent dans un instant où ils seront épurés selon leur capacité, quoique petite et bornée, comme un enfant au sortir du baptême. Et d’autres qui, quoique d’une grâce très éminente, ne sont pas purifiés au point qu’il faut pour approcher de Dieu. C’est pourquoi ils ont besoin de purgatoire. Au sortir de ce lieu de souffrance, ils passent beaucoup d’anges et de saints.


<un feu spirituel « dévorant » >


Le feu qui brûle dans le purgatoire n’est autre que Dieu même qui, par sa divine justice, purifie l’âme. Cette opération est semblable à celle du feu qui brûle en purifiant. La Justice donc, appliquée en l’âme, lui fait souffrir une douleur inconcevable. Non que la justice ait rien de rigoureux. Cette même justice, par son admirable opération, béatifie les uns et fait souffrir les autres. La souffrance en cette vie et en l’autre ne vient point d’elle. Il est vrai qu’elle crie partout : « Qui est comme

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Dieu ? » 1 et son activité est infinie pour ôter tous les obstacles qui empêchent le règne de Dieu en nous. L’opposition qui reste dans la créature est donc ce qui fait sa souffrance. Ce feu divin qui n’est autre que la justice pénètre toute l’âme et la purifie en la pénétrant. C’est donc la contrariété qui fait la douleur.

L’âme, étant délivrée des empêchements qui retardent sa réunion, ne souffrirait pas dans le purgatoire, ni même dans l’enfer, la cause de la souffrance étant ôtée, et cette même justice, si cruelle en apparence, lui serait une béatitude.

Il y a deux natures de peines dans le purgatoire, comme il y en a dans l’enfer. L’une vient, comme il a été dit, de l’attrait de Dieu et du rejet de ce même Dieu. L’autre est causée par l’application douloureuse de la divine justice. Son feu spirituel n’est nourri que de notre impureté. Il perd son activité douloureuse et pénétrante sitôt que l’âme perd l’impureté.


1. C’est le sens étymologique, en hébreu, de Michel, le nom de l’archange qui mène le combat de Dieu contre le Dragon (Ap. 12, 7).

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Il y a cette différence entre le purgatoire et l’enfer, que l’âme de purgatoire étant attirée de Dieu pour se perdre en lui, quoiqu’elle en soit repoussée à cause de son impureté, sent fort bien, dans le plus intime de son âme cet instinct béatifique qui l’assure que l’impureté qui fait son rejet sera détruite, qu’elle est destinée à suivre cet attrait divin et à se perdre en Dieu.

Ce n’est pas qu’il n’y ait des âmes que Dieu tient dans une extrême ignorance d’elles-mêmes dans ses flammes. Et comme toute réflexion est interdite à ces âmes, elles ne connaissent que selon la manifestation qui leur est faite. Et il y en a qui, pour des causes connues de Dieu seul, n’ont nulle vue de leur état. Elles 1 ne découvrent point cet instinct béatifique. Elles ignorent le lieu qu’il habite, leur volonté est soumise, et elles n’ont ni révolte ni désespoir, mais tout est caché pour elles.

La divine justice est appliquée à la vérité sur l’âme de purgatoire comme un


1. Le ms. porte ici un masculin « ils ». Pour la cohérence du paragraphe, nous gardons le féminin « elles » mis pour « âmes ». C’est ce que fait Poiret.

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feu dévorant 1, et lui fait souffrir des tourments inconcevables. Mais comme <ces âmes> sont dans l’ordre et disposition divine, elles sont dans une union si grande de leur volonté à celle de Dieu que leur paix est parfaite. Au milieu des plus grandes douleurs, elles sont très contentes que Dieu se venge des résistances qu’elles lui ont faites, et très obligées à cette divine Justice qui les purifie. Au lieu que les âmes damnées, sentant cet attrait et étant repoussées avec impétuosité, éprouvent en elles l’instinct malin de la damnation, comprenant avec un désespoir plein de rage et de fureur qu’elles ne verront jamais Dieu qui les peut seul rendre heureuses, qu’elles ne cesseront jamais de tendre à lui et d’en être repoussées. La révolte de leur volonté et la haine de Dieu augmentent leur désespoir. C’est un double désespoir, de ne pouvoir jamais posséder Dieu ni cesser de tendre à lui.


1 C’est la définition que Dieu se donne, d’après Moïse, en Dt. 4,24. Le symbole du feu sera appliqué à la parole prophétique avant de l’être au jugement. H exprime une « jalousie » divine (cf. So. 1,18).

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<une justice d’amour>


La justice qui exerce les âmes de purgatoire est une justice d’amour, mais d’un amour rigoureux qui n’est rigoureux que parce qu’il est pur. La justice qui exerce les damnés est une justice d’ire et de fureur qui, étant repoussée par une volonté rebelle qui ne peut jamais ni agréer ni aimer son châtiment parce qu’elle ne peut cesser de haïr Dieu, cause une rage et un trouble effroyable, et d’autant plus grand que les damnés sont hors de l’ordre et disposition divine et de la fin pour laquelle ils avaient été crées. Si l’âme damnée pouvait accepter sa damnation par résignation, elle cesserait de l’être et deviendrait bienheureuse, faisant un acte d’amour très parfait.


<une volonté désintéressée>


L’âme de purgatoire est incapable d’avoir une volonté différente de Dieu. Si elle était autrement, elle serait dans le péché actuel, ce qui est impossible. Elle est, au sortir de cette vie, mise dans la vérité de Dieu et de ce qu’elle est, de sorte que, si elle pouvait entrer au ciel sans être purifiée, ce lui serait

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un tourment incomparablement plus grand que celui de la purification. Elle voit avec un agrément inconcevable la justice de Dieu appliquée à la purifier. Cette complaisance n’est point causée par nul retour d’intérêt propre, mais par le seul intérêt de Dieu.

Car il se faut bien donner de garde 1 de confondre dans les âmes de purgatoire un désir imparfait de leur délivrance, avec cet instinct ou tendance nécessaire à leur dernière fin. Il est également 2 impossible que les âmes de purgatoire, par cet instinct béatifique et de réunion à leur fin, ne tendent pas à Dieu avec une violence et une impétuosité inconcevable — <ce> que je regarde comme la plus violente peine du purgatoire — qu’il l’est qu’elles puissent avoir un désir 3 d’être délivrées des peines qu’elles souffrent pour être soulagées et jouir de la gloire 4.


1. = car il faut bien se garder de

2. Egalement = aussi (une comparaison entre deux capacités de l’âme, l’une nécessaire, l’autre impossible).

3. add. Poiret : « intéressé ».

4. Leur peine est de ne pouvoir ni mettre fin à leur peine (ce qui dépend de Dieu) ni souhaiter un soulagement, ce qui serait pour elles se soustraire à l’opération divine.

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Ces sentiments intéressés et d’amour propre sont entièrement incompatibles avec la lumière de vérité, lumière droite qui ne laisse voir que Dieu pour lui-même et qui cache tout le reste. Si l’âme de purgatoire pouvait penser : « Je sortirai de ce lieu bientôt, j’y suis pour telles fautes que je voudrais n’avoir pas commises, je voudrais qu’on offrît des sacrifices pour abréger mes peines », elle serait dans une imperfection actuelle, dont elle est absolument incapable. Elle est donc abîmée dans la divine volonté, en sorte qu’elle n’a plus de vue sur elle-même, mais demeure contente et satisfaite que Dieu fasse d’elle ce qui lui plaira. Elle demeure paisible dans des tourments inexplicables, sans penser à elle pour peu que ce soit. Sa paix vient de son union à la volonté de Dieu qui ordonne ses tourments.


<deux objections>


On pourra me faire sur ceci deux objections. L’une, que si ces âmes sont disposées comme je le dis, elles ne souffrent point du désir de voir Dieu, étant pleinement contentes dans la volonté de Dieu. L’autre,

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que les suffrages de l’Église leur sont inutiles 1.

Je réponds à cela que, si nous prenons le désir comme une impatience d’être délivré de la douleur et d’être béatifié, qui n’envisage que l’intérêt de la créature, ces âmes sont incapables de le former. Ce serait même une faute très grossière. Le pur amour et la perte en Dieu n’admet aucun de ces désirs, ni même la pensée. Mais si nous prenons le désir pour cet instinct de réunion à leur objet béatifique, cet instinct est tellement violent et tellement essentiel à l’âme, qu’elle cesserait aussitôt d’être que de l’avoir. Cet instinct n’est point un désir, puisque le désir appartient proprement à la volonté et que l’âme abîmée dans la volonté de Dieu, ne pouvant avoir de volonté différente de la sienne, ne peut par conséquent désirer.

Mais, pour cet instinct, il est dans l’essence de l’âme. Il est de sa nature. Il est


1. La première objection élimine la tension paradoxale caractéristique du purgatoire : union à Dieu, mais union purifiante. La seconde en tire comme conséquence qu’il n’y a pas lieu, pour l’Église, de prier pour le repos de l’âme des défunts.

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impossible que sa violence cesse <autrement> que par la réunion au bien souverain. De sorte qu’il est vrai que ces âmes souffrent plus qu’on ne peut penser, qu’elles tendent nécessairement et que cependant elles ne désirent point.

Les suffrages de l’Église leur sont très salutaires, parce qu’il y a un temps marqué pour l’expiation de chaque faute, et ce temps s’abrège par la Justice. Il y a le purgatoire de la propriété, il ne peut être purifié par les suffrages. Il faut que le feu de la divine justice purifie l’âme sans miséricorde dans toute l’étendue des desseins de Dieu sur elle. En quoi les suffrages sont très utiles. C’est que, comme les âmes de purgatoire ne peuvent ni mériter, ni s’appliquer le sang de Jésus-Christ, les suffrages de l’Église leur appliquent ce sang qui les lave de leurs taches. Mais pour la purification de la propriété, rien n’est capable de faire quitter à la divine Justice le sujet sur lequel elle attache son feu qu’il ne soit parfaitement purifié 1.


1. Mme Guyon reprend ici un discours très répandu Parmi les chrétiens du XVIIe siècle. Le salut par le Christ mort et ressuscité, selon d’ailleurs des expressions bibliques, s’exprime en un langage de « rédemption » (= rachat) ou « d’expiation » par le sang du Christ. Les images du rachat des esclaves ou de la mort violente affrontée pour autrui, soulignent la signification centrale de ce qu’a vécu le Christ dans l’entreprise divine de mener à son terme l’histoire de chaque homme et de tous. On ne peut se sauver soi-même. Il y a à recevoir un don. Et la prière de l’Église pour les vivants et pour les morts exprime cette solidarité dans ce risque de la liberté. Il reste que l’on a pu reprendre ces images dans un sens plus mercantile ou morbide, au détriment de leur signification spirituelle profonde. Et ce fut une des difficultés à l’origine du courant de la Réforme. Mme Guyon reprend ces images en renouvelant leur signification.

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Il me vient la comparaison du feu d’esprit de vin. Il brûle tant que l’esprit dure. Le feu s’éteint sitôt qu’il n’y a plus d’esprit. Le feu de la Justice attaché à l’âme en la manière que j’ai dit, ne la quitte point que son impureté ne la quitte. Il ne la quitte que dans l’instant qu’elle se perd en Dieu.

Comme il faut un feu plus véhément alors quel l’on veut épurer davantage, de même, plus les âmes sont destinées à une gloire éminente, plus leur purgatoire est violent. Il y aura des séraphins qui auront brûlé dans les flammes de la divine Justice. Heureuses <les âmes> qui se laissent purifier en cette vie au feu dévorant de la Justice de Dieu ! C’est donc l’activité de la Justice


1. = lorsque.


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qui consume tous les obstacles d’une manière douloureuse. Il n’y a point d’autre feu dans le purgatoire que celui de la Justice de Dieu 1.

Ces âmes sont toutes passives lorsqu’elles sont épurées par la divine Justice. Elles doivent être de même en cette vie lorsqu’elles sont assez heureuses d’être purifiées par elle.

Les péchés de l’esprit étant ceux qui sont les plus opposés à Dieu sont aussi ceux dont la purification est plus difficile. La propriété ne peut être rachetée : il faut qu’elle soit détruite. Il y a des personnes d’une vie qui paraît sainte aux yeux des hommes, qui ont plus de propriété que de gros pécheurs. C’est ce qui fait qu’<elles> ont un plus violent purgatoire, et d’autant plus long que les suffrages sont appliqués aux pécheurs plutôt qu’à eux. Car « celui à qui il est plus donné, il lui sera demandé davantage » (Lc. 12, 48 c).


1. Poiret n’a pas les deux dernières phrases.

CONCLUSION

<LA PURIFICATION : UNE NÉCESSITÉ DE JUSTICE ET D’AMOUR POUR QUE L’ÂME SE PERDE EN DIEU>

Il est absolument nécessaire, à cause de la pureté de Dieu et de la faiblesse de la créature, qu’il y ait un purgatoire. S’il n’y en avait point, comme rien d’impur n’entre en Dieu, que deviendraient tant d’âmes de bonne volonté, mais faibles, tant de gens qui ont gémi sous le poids d’une vertu propriétaire ? <et> d’autres qui, ne s’étant convertis qu’au moment de la mort, sortent de cette vie tout fumants de péché ? Ces péchés ne sont plus, mais le foyer est encore tout noir. Il faut que ce qui est impur soit purifié avant qu’il entre en Dieu (cf. He 12,14) 1. L’homme réconcilié par la grâce n’est pas un homme parfait : il meurt accablé d’impureté sans pouvoir se soulager. Si Dieu, par une miséricorde infinie, n’avait établi ce lieu, que deviendraient toutes ces âmes ?


1. « Recherchez. . . la sanctification sans laquelle personne ne verra le Seigneur » (traduction de la Bible de Jérusalem).

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Que ceux qui sont appelés au pur amour et qui n’y correspondent pas, conservant leur propre intérêt — qu’ils se dissimulent à eux-mêmes — seront sévèrement punis ! Ô qu’ils méritent de l’être, puisqu’ayant connu la vérité, ils ne l’ont pas suivie !

Heureux ceux qui, suivant leur instinct de réunion, se laissent conduire et purifier de Dieu même dès cette vie ! Ceux-là rendent à Dieu une gloire digne de lui.

O sacrifice de tout soi-même, que vous êtes purifiant !

Ô sainteté de Dieu, que ne méritez-vous point !

O péchés d’esprit, que vous êtes horribles ! Si l’on pouvait les voir par la lumière de vérité, que l’on serait étonné !

Suivons l’instinct de Dieu qui nous séparera peu à peu de nous-mêmes pour nous perdre en Dieu !

Inexorable amour, où réduis-tu les âmes

Qui brûlent dans l’ardeur de tes cruelles flammes !



AUTRES ÉCRITS « NORMATIFS »

Les Opuscules spirituels1376 rassemblent de nombreux écrits de Guyon, Lacombe, Falconi, François de Sales1377.


Je n’ai pas repris dans le présent tome d’autres Opuscules que ceux présentés jusqu’ici.


La « Règle des Associés à l’Enfance de Jésus » a été rééditée récemment1378.


On se reportera aux Discours spirituels, aux Justifications, aux Explications édités en d’autres tomes de la série.





Enfin j’attache ici une collecte représentative des Poésies et Cantiques spirituels soit quatre volumes édités en 1722, 328 +332 +326+ 371=1357 pages. Réduites à une centaine de pages, elles clôturent avec justesse un volume d’« Oeuvres mystiques ».



POÉSIES ET CANTIQUES SPIRITUELS


Poésies et Cantiques spirituels/ Sur divers sujets qui regardent/ La Vie intérieure/ ou l’esprit du vrai christianisme/ par Madame J.M.B. de la Mothe Guion/ Divisés en quatre volumes/ Vincenti/ A Cologne/ Chez Jean de la Pierre 1722.




Présentation1379

La préface de Poiret souligne le côté « chanson » plutôt que de « poèmes » qu’on ne doit donc comparer avec les plus grands poètes : Surin au dix-septième et bien d’autres depuis. Et la poésie en ce début du siècle des Lumières subit une éclipse (que l’on songe aux vers de Voltaire qui ailleurs écrivait si bien !).


L’intérêt est donc tout autre : percevoir ce qui animait intérieurement Jeanne-Marie Guyon, car si la « dame directrice » expose ailleurs les éléments d’une vie éprouvée durement, elle ne se livre jamais quant au vécu mystique intime — peut-être parfois indirectement par ses notes aux textes choisis d’autres mystiques dans les Justifications.


Mais on peut apprécier les conseils de « plongée » que la dame directrice suggère en « chansons », par exemple en « IX. Écouter Dieu en silence ». La pauvreté des rimes est évidente - Madame Guyon privilégiant le « dit » spirituel bien plus que sa forme expressive versifiée. Mais la prose n’était pas possible en petite société d’une école du Cœur qui se veut non contraignante mais plaisante.


La genèse des cantiques prend place dans le cadre étroit des années vécues à Blois  des veillées à remplir avec quelques compagnons dont certains – leurs noms ne nous sont pas parvenus - étaient probalement simples. Chansons donc sur les airs connus de l’époque, qui nous sont indiqués au début de chaque « Cantique » . Passages inspirés  en débuts moins ensuite car il faut multiplier les couplets. Le dernier est souvent le meilleur, on termine en beauté !


Le volume de toute cette production est imposant, on dépasse le millier de pages imprimées en quatre volumes assemblés par Poiret, repris sans modification par Dutoit. J’ai limité mon choix au dixième sans hésiter à tronquer. Le critère de choix est mystique et non poétique. En note ce qui pourrait être développé1380.

Sources disponibles sur Google Books

Voici les liens-sources1381 d’éditions relevées sur GoogleBooks des quatre tomes et d’un cinquième livrant les textes associés aux Emblèmes (noter aussi ceux qui figuraient en fin du dernier tome de Poiret, ici séparé du quatrième tome en un tome à part augmenté d’autres Emblèmes aux textes moins intéressants : Poiret semble avoir meilleur goût que Dutoit qui dépend d’un affaiblissement du goût de disciples tardifs. Et de même pour les figures : gravures plus claires et fines dans Poiret — j’ai la chance de disposer de cette rare édition…

Présentation des Poèmes1382

Les poèmes de Mme Guyon, le plus souvent des cantiques, représentent le huitième de son œuvre écrite, soit cinq volumes. S’ajoutent quelques manuscrits rédigés en prison. Il ne s’agit pas de la partie la plus remarquable de l’œuvre et nous n’en donnerons donc ici qu’un très bref aperçu. Mais au cas où le goût littéraire changeant se rapprocherait quelque jour de ce qui fut fort goûté au XVIIIe siècle, indépendamment de la bibliographie donnée en fin de volume, en voici les sources :

[1717] L’âme amante de son Dieu, représentée dans les emblèmes de Hermanus Hugo sur ses « Pieux désirs », et dans ceux d’Othon Vaenius sur l’amour divin, avec des figures nouvelles accompagnées de vers qui en font l’application aux dispositions les plus essentielles de la Vie intérieure, à Cologne [Amsterdam], J. de la Pierre, 1717. XXVIII-188p. et pl. gravées. — Réédition « par Madame J.M.B de la Mothe-Guyon, nouvelle édition considérablement augmentée », 1790.

[1722] Poésies et Cantiques spirituels sur divers sujets qui regardent la vie intérieure ou l’esprit du vrai christianisme, par Madame J.M.B. de la Mothe-Guyon, divisés en quatre volumes, à Cologne [Amsterdam], Chez Jean de la Pierre, 1722 — Réédition, 1790.

Quelques poésies figurent en annexe à la Vie par elle-même (p. 1036-1042, éd. Paris, Champion, 2001) ainsi que dans la correspondance échangée avec Fénelon (p. 565-585, éd. 2003 ; les poèmes seraient d’elle ?).

Des traductions-adaptations existent, dont celle écrite par le poète anglais William Cowper (1731-1800). Plus récemment un choix notable a été proposé par M.-L. Gondal : Le Moyen court et autres récits, une simplicité subversive, « III. Le Chant de l’âme », Grenoble, Millon, 1995.

Enfin des sources manuscrites demeurent inexploitées aux Archives Saint-Sulpice : il s’agit des folios 77 à 83 et 89 du ms. 2176, « Livre des lettres du marquis de Fénelon », ainsi que de cinq sections du ms. 2057, « Divers écrits de Madame Guyon ».

La poésie de Mme Guyon ne cherchait aucunement un achèvement littéraire. Mais elle illustre de manière concentrée et directe l’intensité et la profondeur de l’expérience vécue. Rappelons brièvement les circonstances de leur composition : Mme Guyon fut enfermée en prison pendant plus de sept ans1383, dont près de cinq années d’isolement dans l’un des quatre étages de l’une des huit tours de la Bastille1384. C’est dans ce sombre lieu que furent composées des poésies dont subsistent deux manuscrits, des petits cahiers d’une écriture microscopique, dont l’un est autographe1385. Elle partageait très probablement ses poèmes, d’inspiration psalmique, avec ses « filles » de compagnie qui restèrent fidèles, d’où une grande simplicité et répétitivité dans les formes. Dans les dossiers La Reynie conservés à la B.N.F., on a conservé des traces matérielles de cette période : les cheveux qui servirent à une crèche faite à la Bastille. Ces traces traduisent une dévotion où le thème de l’Enfance de Jésus tient une large place, qui apparaît bien dans ses compositions rythmées.

On la questionna aussi au sujet de ses écrits en vers, lors du neuvième interrogatoire qui eut lieu au donjon de Vincennes le 4 avril 1696 :

[…] Si elle n’a pas écrit et composé en vers.

À dit qu’oui, et qu’elle aime extrêmement la poésie, qu’elle a composé un petit livre d’emblèmes qui est manuscrit, où il y a des images à chaque feuille, et qu’elle a aussi composé l’opéra dont elle vient de parler, et quelques autres pièces.

Si elle a appris les règles qu’il faut savoir pour composer et pour écrire en vers français.

Et dit que non, et que c’est par cette raison qu’elle y fait beaucoup de fautes, mais qu’elle écrit avec autant de facilité en vers qu’en prose et qu’elle faisait quarante et quarante-cinq de ces emblèmes en une seule matinée. […]

Un niveau du donjon avait été aménagé par ordre royal pour ces interrogatoires dont on espérait beaucoup. Elle fut enfermée ensuite dans un « couvent » à Vaugirard, spécialement constitué pour cet effet. Car l’affaire quiétiste fut l’objet des soins du puissant Roi, signataire des lettres de cachet, et surtout de son épouse, Mme de Maintenon, qui manipulait les évêques. Les interrogatoires se déroulèrent en deux temps : aux neuf interrogatoires par La Reynie, homme sévère, mais juste, dont nous venons de donner un extrait, succéderont vingt interrogatoires par son terrible successeur d’Argenson1386. Les écrits de prison sont souvent des cantiques : quand on est réduit à n’utiliser que quelques rares feuilles de papier avec des moyens de fortune, que peut-on fixer, sinon des formes brèves ? Elle écrira par ailleurs deux lettres avec une encre de fortune puis avec son sang1387 !


Relevé des pièces retenues

Voici la liste des pièces retenues  (souvent partiellement reproduites) :


Tome I : choix  de 37 Cantiques : sur 196 : numéros 8 9 10 23 25 31 32 35 37 45 46 48 50 58 60 66 75 80 108 110 113 117 118 121 122 123 127 142 145 150 155 156 164 170 171 181 182


Tome II : choix  de 27 Cantiques sur 243 : n° 4 9 14 54 58 61 70 73 74 80 129-130 132 154 170 171 180 188 195 196 197 202 218 235 242


Tome III : choix  de 24 Cantiques sur 209 : n° 33 40 54 68 71 117 159 161 164 169 174 175 180 182 186 187 191 193


Madame Gondal, Le Moyen Court et autres récits, Millon 1995, présente « le chant de l’âme » en 33 poèmes.

Tome I : n° 6 9 16 50 62 71 72 138 150 169 173 174 185 190

Tome II 26 127 137 188 221 223

Tome III 46 57 157 164

Tome IV 4 44 61 IV 15 26 39 66 80 81 —


Grande diversité des choix ! sur les tomes I, II, III, seulement quatre pièces en communs : I : 9 50 - II : 188 - III : 164).

Un premier choix : « Amour et liberté chantés par madame Guyon ».

Ces cantiques1388 traduisent une alternance entre paix et oppression. Les deux premiers extraits traduisent la félicité qu’elle arrive encore à trouver au début de son emprisonnement parce qu’elle peut trouver refuge en Dieu :

Cantique V 1389 :

[…] Je n’ai nulle espérance en moi, mais Vous êtes mon salut

Je suis calomniée, Vous êtes mon défenseur

Je suis dans l’opprobre et Vous êtes ma gloire,

(237 v°) Je suis dans les ténèbres, Vous êtes ma lumière […]

Cantique VI 1390

Que mon cœur est content auprès de ce que j’aime !

Et que je suis heureux dans mon malheur extrême !

Puisque tous mes travaux me donnent plus de lieu

De m’unir et jouir en secret de mon Dieu.

Je Le possède seul dans un profond silence

Je me nourris de foi, d’amour et d’espérance […]

Mais de nombreux poèmes suivront qui montrent moins de certitude lorsque l’épreuve devient très lourde. Ils laissent transparaître l’angoisse de la prisonnière qui se sent abandonnée. Isolée dans la Bastille, ses amis la croiront morte en 1700. On rejoint l’atmosphère oppressante rendue par l’extraordinaire « récit des prisons ». Le premier extrait qui suit est raisonnablement confiant, et fut donc imprimé. Les suivants, se prêtant moins à une attente forcément hagiographique de disciples, ne semblent pas l’avoir été :

[f° 300v°] 1391

Pour labourer un champ on fait beaucoup d’effort :

Il faut avec le fer ouvrir, tourner la terre.

Plus le fer passe, plus on attend son rapport.

On y jette le blé et puis on le resserre :

C’est ainsi que l’Amour agit sur notre cœur.

La croix et la douleur Lui sert de labourage. 1392 […]

On voit que l’expression est moins mièvre que dans les précédents poèmes, car elle perd toute espérance humaine. Mais jamais elle ne tombe dans l’absence d’espérance, car elle garde toujours à l’esprit que cette épreuve a un sens spirituel profond :

[f° 299]

L’espérance me nourrissait

Dedans ma plus tendre jeunesse

Et l’Amour qui me conduisait

Était plein de délicatesse.

Mais sitôt que la foi brillant dans mon esprit

Me fit apercevoir mille traits de l’enfance1393,

Je voulus quitter l’espérance

Et suivre l’Amour pur dans une sombre nuit.

L’espérance sera ta fidèle compagne,

Dit l’Amour : quitte du lait la douceur

Et viens avec moi parcourir la campagne.

Il faut, il faut changer ton cœur :

Je te ferai courir à bord des précipices

[…]

[f° 297]

Je vois de tous côtés grand nombre d’ennemis :

Chacun me presse et m’environne,

Ils croient me rendre soumis,

La mort et l’enfer me talonne [nt].

Malgré tant de dangers je n’appréhende rien :

Qu’on me frappe, qu’on m’environne,

Ce qu’on fait contre moi me paraîtrait un bien

Si ce divin Amour me servait de soutien.

[…]

Parfois pourtant la lassitude la prend et elle soupire après la mort :

[f° 288v°]

Que mon exil est long, ô mon divin Époux,

J’attends la fin de ma carrière

Et Votre divine lumière

Devant de désirer un bien si doux.

Je suis pèlerine sur terre

Dedans une terre étrangère

Dont j’abhorre les habitants,

car on ne Vous y connaît guère […]

Mais elle n’ose désirer la mort :

[f° 281v°]

Je vois de loin la mort qui semble m’approcher.

Je n’ose en témoigner de joie :

J’appréhende de Vous fâcher.

Hélas ! faites que je Vous voie !

[…]

Elle ne sortit de sa prison qu’en 1703, très faible, en litière. On se méfiait encore d’elle et elle fut assignée à résidence chez son fils près de Blois. Heureusement, vers 1705, elle put s’établir discrètement dans une maison acquise près du château de Blois où des disciples français (les « cis ») et étrangers (les « trans ») lui rendaient visite : le jeune marquis de Fénelon (qui deviendra un temps ambassadeur en Hollande avant de mourir au combat au milieu du siècle), des Écossais comme le « chevalier » Ramsay, lord Deskford, des membres de la famille des Forbes… Elle entretenait une abondante correspondance européenne.

L’atmosphère de ce cercle spirituel de Blois était très informelle et on s’y distrayait innocemment. C’est pendant cette seconde époque, beaucoup plus paisible, que madame Guyon composa des cantilènes que l’on chantait sur des airs profanes connus : ce « détournement » devait beaucoup amuser tous ces amis et prouve l’humour qui régnait parmi eux ; on est très loin d’une atmosphère compassée ou d’une retraite dans un couvent ! Ces chansons, à la forme plus ou moins achevée, devaient être bienvenues lors des longues veillées d’hiver bien rudes : celui de 1709, célèbre, vit la Loire gelée et le pont emporté par les glaces… La préface de l’éditeur des quatre volumes de Poésies et Cantiques nous décrit la façon dont furent créés ces chansons spirituelles :

… dans des moments d’un recueillement plus marqué, elle prenait le premier papier qui se trouvait sous sa main, et y écrivait ces Cantiques sur toutes sortes d’airs qui lui venaient en pensée, ou qui lui étaient suggérés par ses Amis, aussi aisément qu’elle écrivait ou dictait des lettres ; et la cadence et les rimes s’y trouvaient […] et souvent ils y découvraient les dispositions de leurs âmes, chacun selon son état et degré [Vol. 1, Préface, V]

Le même éditeur ajoute :

On verra à la fin du quatrième volume une Table alphabétique de tous ces poèmes : à quoi l’on a ajouté en faveur de ceux qui aiment le chant, une autre Table des airs… avec la désignation de ceux auxquels chaque air se rapporte… [Vol. 1, Préface, XI]

En effet à chaque poème est attribué un air profane connu de tous et que signalent les pièces manuscrites. Ceci nous a permis de retrouver certains poèmes imprimés, pour constater que l’ordre des strophes est modifié, et parfois des strophes ajoutées : l’éditeur a eu visiblement à mettre en ordre des sources de fortune (« elle prenait le premier papier… ») et a cru bon d’arranger légèrement le style… Cela autoriserait l’édition éventuelle de quatrains choisis pour leur force d’expression, sans se soucier d’en faire une édition complète qui serait fort ennuyeuse. On s’aperçoit en particulier que les débuts sont fréquemment meilleurs que les suites : ces dernières ne sont pas exemptes de répétitions, prix payé pour assurer une longueur propice, comme c’est le cas pour certains hymnes de louange du missel.

Le but de Mme Guyon était, dans la première période sombre de composition, de maintenir un certain courage très nécessaire pour elle-même et ses compagnes dans les prisons. À Blois, ces chansons lui permettaient de ramener ses disciples à une certaine ferveur, sans tension ni sévérité, dans la détente et la simplicité, en évitant monotonie et ennui : s’exprimant en pleine spontanéité, elle décrivait en formules heureuses la joie et la liberté d’une âme parvenue au sommet d’une vie mystique qu’elle désirait faire partager à ses amis.

La familiarité tenait une grande place dans les rapports entre la « dame directrice » et ses « disciples » : ils se désignaient entre eux comme les enfants de « notre mère » (comme aussi de « notre père » : Fénelon). On voit Mme Guyon inviter sans formalité « le boiteux », neveu de l’archevêque :

… Et vous serez dans la maison du petit Maître tant que vous le voudrez et pourrez. Si les bons Écossais viennent, vous pourrez découcher et descendre dans le bas, car je fais de vous comme des choux de mon jardin. À Dieu sans amen, mon enfant le boiteux1394.

Les « enfants » se livraient à des « jeux » pendant que « leur mère » restait en oraison. Les cantiques ou chansons poursuivaient donc deux buts : fournir des thèmes qui inclinent vers l’oraison, exprimer ce qui est vécu dans l’oraison. L’intérêt des poèmes réside dans leur contenu qui reflète sa longue expérience, beaucoup plus que dans la forme peu achevée, puisqu’il faut inventer chaque jour autour de thèmes récurrents : un lecteur sévère dirait qu’il s’agit plutôt de prose rimée. Mais Mme Guyon arrive en général à maintenir un rythme : nous entendons beaucoup de décasyllabes, parfois des rythmes impairs à cinq ou sept pieds, parfois des alexandrins. Mais l’intérêt évident de ces vers est leur profondeur mystique.

§

Des thèmes essentiels se dégagent : Dieu seul donne et demande un amour pur qui assure la paix et la liberté, quelles que soient les contraintes extérieures.

Dieu seul est le point de départ ou source commune à tous les mystiques, qu’ils soient quiétistes ou non. L’amour pur en est immédiatement la conséquence puisque tout retour sur nous-mêmes revient à détourner notre regard de la vision vers Dieu.  Mme Guyon compare souvent l’être humain à un miroir ou à un héliotrope qui se tourne toujours vers le soleil de Dieu. Elle utilisait d’ailleurs souvent un cachet portant cette image qui, par son dynamisme (la rotation de la plante), rappelle très bien notre nature de vivant.


O bien réel ! tu fais toute ma joie :

Je te trouve en mon Dieu, non pas en moi ;

Ce qu’Il donne, aussitôt je Lui renvoie :

Un cœur loyal ne retient rien pour soi.

[…]

… Dieu seul se possédant Soi-même,

Infiniment tranquille et bienheureux,

Doit faire le bonheur du cœur qui L’aime.

Ou bien il est lâche, et non amoureux !1395

[…]

Nous arrêtons les dons de Dieu

Quand nous les voulons pour nous-mêmes.

Ils ne sont bien que dans leur lieu :

Leur lieu, c’est l’Essence suprême.

Tout en sort, tout doit aboutir

En Lui, comme il en doit sortir.1396

[…]

Nous voulons conserver mille choses pour Dieu,

Lorsque Il en veut le sacrifice :

C’est la matière d’un grand feu ;

Et ce feu vient de Sa Justice.

[…]

Ah ! Ne nous flattons point : c’est vouloir posséder

Que de se posséder soi-même ;

C’est un prétexte pour tromper,

Dire que c’est pour Dieu qu’on s’aime.1397

Dieu est la seule réalité, et nous-mêmes, à vrai dire, ne sommes rien devant Lui. Ce vertige de la mystique est heureusement contredit par l’expérience d’être aimé.

[…]

Voulez-vous savoir qui je suis ?

Rien. Et Dieu toute chose.

Je ne veux, ne fais ni ne puis.

Dieu, mon unique Cause,

Demeure en Soi, moi dans le rien.

Dieu vit, Dieu seul opère.

Dieu saint est le souverain bien ;

Moi, la même misère. 1398

Tout panthéisme est évité par la reconnaissance d’une circulation dynamique qui ramène à sa Cause : on est loin d’une vision statique. Mme Guyon est marquée par l’influence de Denys, qui reprend un schéma d’émanation où le rôle premier est celui de la grâce divine qui nous in-forme :

Je m’imagine voir l’immense tourbillon

Entraînant ce qui se dissipe,

Comme par circulation

Le ramenant à son Principe.

Laissons-nous entraîner à sa rapidité ;

Nous n’appréhenderont plus l’orage :

Il nous conduit dans l’immensité ;

Rien ne s’oppose à son passage.1399

L’amour pur est le thème central, parallèle à la nudité puisqu’il faut se donner totalement à Dieu :

Ah, qu’heureuse est la destinée

De celui qui n’a plus de moi !

Et que l’âme est infortunée,

Lorsqu’elle habite encore en soi ! 1400

[…]

Divine Vérité qui faites mon bonheur,

Que vous causez au cœur de paix et de largeur !

On ne vous goûte bien que dans la solitude :

C’est là qu’on apprend tout sans secours de l’étude.

[…][162]

On se donne cent fois, on se reprend de même,

On ne se laisse point mouvoir au Dieu Suprême :

S’Il vient pour nous conduire, on veut voir Son chemin ;

On cherche à s’assurer s’Il nous tient par la main. 1401

Le mystique n’a plus de volonté propre, il est mû totalement par la grâce. Apparaît un thème qu’elle a vécu très profondément, celui de l’enfant dans les bras de Dieu, et parallèlement à celui, peu usité chez elle, du « fou » de Dieu :

L’âme ainsi qu’un fleuve s’écoule

Par la volonté dans l’Amour :

Dieu la meut ainsi qu’une boule ;

Elle obéit sans nul détour. 1402

[…]

Je ne possède plus de moi,

Toujours étrangère à moi-même :

Je vis sans connaître de loi,

Suivant toujours la loi suprême ;

Tout ainsi qu’un petit enfant

Remué par un bras puissant.

[…]

Principe de mon mouvement,

Souverain Auteur de mon être,

Tu me conduis rapidement,

Après T’être rendu le maître :

Je Te suis comme un pauvre fou,

Le plus souvent sans savoir où. 1403

[…]

Je ne puis rien prévoir

Je ne sais Qui me mène ;

Je n’ai plus aucun pouvoir,

Et je n’en ai point de peine :

Ma route est incertaine ;

Je ne puis rien vouloir. 1404

Elle appelle ses disciples à une vie mystique très épurée et très sobre : il n’y a plus d’états, plus de manifestation extraordinaire, car l’union à Dieu est totale :

D’abord, Il attire, unit et concentre

Les puissances rejointes en un point.

Quand Dieu possède entièrement le centre,

Les sens reçoivent, ne dissipent point.

Amour en soi peu à peu nous transforme.

Les puissances trouvent la vérité.

Même les sens changent aussi de forme,

Et tout se retrouve dans l’unité. 1405

L’étincelle de l’âme est engloutie dans le feu divin :

Plus notre amour est pur et se concentre,

Moins il parait d’étincelle au-dehors :

Quand la charité devient notre centre,

On ne remarque plus aucuns transports.

L’obstacle au feu cause les étincelles :

Sans quoi, il brûlerait tranquillement :

Quand les âmes sont souples et fidèles,

On ne voit à leur feu nul mouvement.

Le pur amour est une flamme droite,

Qui sans se recourber tend à son Dieu.1406

[…]

J’aime mon Dieu cent fois plus que moi-même ;

Et cependant je ne sens point d’amour !

L’homme perdu dans l’Essence Suprême

Ne connaît plus ni ténèbres ni jour. 1407

Là, l’être humain est comblé et madame Guyon choisit l’amplitude de l’alexandrin pour l’exprimer :

Dedans l’obscurité j’ai trouvé la lumière ;

Mon néant est comblé de la Source première.

Je ne manque de rien, et sans rien posséder,

J’ai cent fois plus de bien ; car sans rien demander,

Il prévient mes besoins ; à Lui je m’abandonne.

Ce qui me vient de Lui, sans cesse je Lui donne ;

Et dégagé par là de tous soins superflus,

Je Le contemple seul, et je ne me vois plus. 1408

Une fois la perte du moi accomplie, elle chante son bonheur :

On trouve en se perdant, ce Dieu puissant, immense,

Qui fait participer à Son immensité

Le cœur trouve une libre aisance,

Qui vient de sa simplicité.1409

[…]

Dans cette étrange obscurité

Que mon âme est contente!

J'y pénètre la vérité

Par delà mon attente.

La vérité c'est mon néant,

Et que Dieu seul est juste et grand 1410

Le rythme devient celui d’une chanson remplie de paix et de liberté au terme de cette longue vie si remplie d’épreuves et d’amour de Dieu :

Que je suis contente,

N'étant bonne à rien!

Je vis sans attente

En moi de nul bien,

Mais mon Sauveur

Est seul tout mon bonheur.

[…]

Que je suis bien

Quand je suis dans le rien !

[…]

Dieu Se voit sans cesse

Dans cet heureux rien :

Là, de ses richesses,

On n'usurpe rien.

Tout est pour Lui :

Sagesse, force, appui.

L'esprit se promène

Dans Son vaste sein,

Sa grâce l'entraîne

Selon Son dessein :

Car pour le rien,

Il n'est ni mal ni bien. 1411

Et enfin elle affirme :

La perte la plus extrême

N'est pas trop grande à mon gré.

Je suis défait de moi-même

Et je vis en liberté.

Enfin j'ai tout ce que j'aime,

Et j'aime tout ce que j'ai. 1412.

Poésies spirituelles

Préface [de Pierre Poiret]1413

[…]

Elle composait ces Poèmes avec une faci [V] lité admirable sans aucune réflexion. Ceux qui ont eu l’honneur de la connaître et de la voir fort particulièrement, entre autres des Seigneurs d’outre-mer et plusieurs personnes de distinction et de haute naissance, ont déclaré avoir vu et admiré la manière surprenante avec laquelle elle les écrivait. Toute sa méthode était, surtout depuis le thème (a) qu’elle était plus accoutumée à l’opération de Dieu, qui lui a tant fait écrire, que dans des moments d’un recueillement plus marqué, elle prenait le premier papier qui se trouvait sous sa main, et y écrivait ces Cantiques sur toutes sortes d’airs qui lui venaient en pensée, ou qui lui étaient sugérés par ses Amis, aussi aisément qu’elle écrivait ou dictait des lettres ; et la cadence et les rimes s’y trouvaient.

Elle écrivait même quelquefois sur son lit malade cinq ou six Cantiques par jour sur des airs différons, qu’elle distribuait dans le moment aux Amis qui la venaient voir, et qu’elle engageait à chanter avec elle : et souvent ils y découvraient les dispositions de leurs âmes, chacun selon son état et degré. Ce qu’on admirait davantage, c’est qu’elle les écrivait [VI]

(a) Voyez la Vie de l’Auteur Part. II. Chap. 21.

avec la même facilité dans ces thèmes de ses maladies, qui étaient fréquentes et violentes, et au milieu des souffrances, des désolations et des peines intérieures et extérieures, qui devaient naturellement assoiblir la force de l’imagination, et faire languir toutes les puissances de l’esprit humain. Ce lui était une gêne insupportable de faire la moindre réflexion, soit en écrivant ou dictant en prose, soit en composant ses ouvrages de poésie.

[…]



TOME I

VI. Dieu, le centre de l’âme.

AIR : Ami, ne passons pas Créteil ; ou, Je ne me soucie plus de rien.


PLus notre centre est éminent,

Et plus on a d’empressement ;

On désire l’atteindre :

Et c’est un horrible tourment

De ne le pouvoir joindre.


Notre cœur n’a point de repos

S’il ne se perd dans le Très-haut :

C’est son centre et sa vie :

Ailleurs il éprouve un cahos,

Qui tient l’âme asservie.


Dieu, comme le centre infini,

Sitôt que le cœur est uni,

Rend la course paisible ;

En nous séparant du fini,

Nous perd dans l’impassible.


La course augmente chaque jour,

On se repose en son amour :

Plus la course est rapide,

Et moins a-t-elle de détour ;

Plus on trouve le vide.


Et c’est dans cette vastité,

Et cette pure immensité,

Que l’on tombe sans cette,

Sans troubler la tranquillité :

Jamais on ne s’empresse.


Si le cœur a du mouvement

Pour arriver plus promptement

10

Jusqu’à son divin centre,

Il court bien plus rapidement

Aussitôt qu’il y rentre.


Sa course est sans émotion ;

Elle est sans agitation,

Tranquille et reposée :

On ne trouve plus d’action ;

L’âme est en Dieu passée.


C’est la rapidité du Tout

Qui nous entraîne jusqu’au bout ;

Et sa course est immense :

Pour en venir bientôt à bout

Cessons la résistance.


12

VIII. Les dons de Dieu doivent retourner à lui.

AIR : Léandre ; ou, Dirai-je mon Confiteor.

[…]

Ne fixons point du Tout-puissant

Par notre amour propre la grâce ;

Renvoyons dans le même instant

Ce qu’il donne ; quoiqu’il en fasse,

14

Soyons contents de notre sort,

Soit pour la vie ou pour la mort.

IX. Écouter Dieu en silence.

AIR : L’éclat de vos vertus et celui de vos grâces.

[…]

Votre parler en un doux calme

Sans discours même sans saveur.

[…]

Cette muette voix veut une âme muette ;

Que tout se taise en nous pour la laisser agir :

C’est là l’âme que Dieu souhaite

Pour s’y tracer avec plaisir.


Mais notre activité s’opposant à ce calme,

Arrête en même thème l’action de mon Dieu :

C’est la passiveté de l’âme,

Et la paix qui lui donne lieu.


Mais notre esprit déçu d’une fausse apparence,

Veut toujours se mouvoir pour l’attirer à soi :

Il perd par sa vaine prudence

Ce qu’il eût acquis par la foi.

15

Sitôt qu’il ne sent pas l’opérer de la grâce,

Persuadé qu’il est qu’il faut toujours sentir,

Remuant cette belle glace,

Il ne fait rien que la ternir.


L’âme tranquille, ainsi qu’une glace très-pure,

Reçois facilement l’image du Seigneur :

L’empressement de la nature

L’empêche de se peindre au cœur.


On cherche incessamment, on veut de l’assurance ;

Et l’on détruit par là le parfait abandon :

Au lieu que par la patience

On a le Donneur et le don.

[…]

X. Servir Dieu avec joie et liberté de cœur.

AIR : La jeune Iris. ou, Les folies d’Espagne.

[…]

16

En servant Dieu l’amour pur se contente ;

Il est au centre de tous les plaisirs :

L’âme n’a plus la tristesse inconstante ;

Le pur amour enlève les désirs.


Dieu, dont la bonté surpasse l’idée

Que notre esprit oserait s’en former,

Veut la paix ; il nous l’a recommandée ;

Pourquoi tant craindre, et tant nous alarmer ?


Pourquoi veut-il que le cœur soit au large ?

Il est immense et le cœur si petit.

Il nous a tous tirés de l’esclavage,

Pour nous rendre libres par Jésus-Christ.

XXIII. La vraie pauvreté d’esprit.

AIR : Je ne veux de Tirsis.


ON parle bien souvent d’être pauvre d’esprit ;

Et c’est ce qu’on ne connaît guère :

Lorsque Jésus nous en instruit,

Il montre son vrai caractère.


L’obscur soi produit le parfait dénuement ;

Elle dérobe nos pensées,

Ne nous laissant pas seulement

La possession de nos idées.


Le vrai pauvre d’esprit n’admet nulle raison,

Toujours s’éloignant de soi-même ;

Il devient pauvre tout de bon,

Puisqu’il se perd jusqu’à l’extrême.


En se perdant de goût, de vue, et sentiment,

Sa pauvreté devient entière :

Ce n’est plus qu’un vil excrément,

Qu’on bannit de dessus la terre.


Qui ne possède rien, et se veut posséder,

Quand il se dit pauvre est très-riche :

Mais qui de soi se peut vider

Rend à la pauvreté justice.


Je dis que c’est trop peu, que de ne rien avoir :

La pauvreté spirituelle

Exclut jusqu’au moindre vouloir ;

Et c’est la pauvreté réelle.


Nous voulons conserver mille choses pour Dieu

Lorsqu’il en veut le sacrifice :

C’est la matière d’un grand feu ;

Et ce feu vient de sa Justice.


Saül voulut garder l’élite des troupeaux ;

C’est pour Dieu que je les destine,

Dit-il au Prêtre du Très-haut :

Ainsi l’amour propre raffine.


Savoir bien obéir, c’est savoir bien donner :

A-t-il besoin de quelque cl ; ose.

Ce Dieu qui doit tout dominer,

Et qui de tous biens est la cause ?


Ah ! ne nous flattons point ; c’est vouloir posséder

Que de se posséder soi-même ;

C’est un prétexte pour tromper,

Dire que c’est pour Dieu qu’on s’aime.


Se quitter, se haïr ; c’est obéir à Dieu ;

C’est l’agréable sacrifice

Qu’il exige de notre feu ;

C’est à lui qu’il se rend propice.


La pauvreté d’esprit consiste assurément

À ne faire aucune réserve,

Se délaisser sincèrement,

Ne faire au moi jamais de trêve.


Ni volonté, ni choix, ni goût, ni sentiment,

Ni nul bien que l’on puisse dire,

C’est où gît le vrai dénuement ;

Et c’est plus que je n’ose écrire.


XXV. Portrait de l’Enfance chrétienne.

AIR : Ami ne passons pas Créteil ; ou, Le Berger Tirsis est rêveur.


Vous m’avez demandé longtemps

Le portrait d’un petit Enfant ;

Je m’en vais vous le faire :

Il est simple, il est dépendant,

Pauvre et dans la misère.


Son âme ne lui paraît rien ;

Il est dans le Souverain Bien,

Dans une mer profonde ;

Dieu lui sert d’appui, de soutien

Sa Majesté l’inonde.


Il est transporté loin de soi,

Ne connais le mien ni le moi ;

Une docte ignorance

Le conduit, sans savoir pourquoi,

À la petite Enfance.

Il est dedans l’immensité ;

Il subsiste dans l’unité

Dans une paix profonde ;


ll est mis dans la vérité

Comme étant seul au monde.

Il ne pénètre point le mal ;

Il vit dans un esprit égal,

Sans, penser à lui-même ;

Rien n’est pour lui doux ni fatal ;

Il ne sait pas s’il aime.


XXXI. Dieu veut un cœur vide.

AIR : On ne vit plus en nos forêts ; ou, Dirai-je mon Confiteor.


OU trouver ce vide parfait

Qui ne peut être en la Nature ?

Celui qui le remplit, le fait,

Lorsqu’il s’unit une âme pure :

Sans ce vide il n’est point de lieu

Chez nous pour loger notre Dieu.


C’est peu de se vider de tout,

Si l’on n’est vide de soi-même :

Le pur amour en vient à bout

Par le néant le plus extrême :

Plus notre néant est profond,

Plus Dieu possède notre fond.


Mais, hélas ! on veut tout avoir :

Et si nous perdons quelque chose,

On croit qu’il est de son devoir

D’en chercher promptement la cause ;

Loin de demeurer dans le rien,

On veut posséder quelque bien.


Cependant pour posséder Dieu

Il faut un vide presque immense,

Pour proportionner le lieu

Où le TOUT fait sa résidence

Notre cœur déjà si petit,

Loin de le vider, on l’emplit.


XXXII. Bonheur de l’anéantissement.

AIR : Songes agréables.


QUE je suis contente,

N’étant bonne à rien !

Je vis sans attente

En moi de nul bien :

Mais mon Sauveur

Est seul tout mon bonheur.


Plus je suis petite,

Plus mon cœur est grand ;

Suivant la conduite

D’un Dieu fait enfant :

Que je suis bien,

Quand je suis dans le rien !


Le rien est immense,

Ainsi que le Tout ; .

Mais sans évidence ;

Il n’a point de bout :

De ce néant

Dieu fait son instrument.


Nulle résistance

Au vouloir divin ;

N’ayant de puissance

Que dedans sa main :

Heureux néant !

Dieu te rend agissant.


Tu peux toujours faire

Tout ce qui lui plaît :

Mais pour lui déplaire,

Tu ne peux jamais

Car sans vouloir

Il n’est point de pouvoir.


Dieu se voit sans cesse

Dans cet heureux rien :

Là de ses richesses

On n’usurpe rien :

Tout est pour lui,

Sagesse, force, appui.


L’esprit se promette

Dans son vaste sein ;

Sa grâce l’entraîne

Selon son dessein :

Car pour le rien,

Il n’est ni mal ni bien.


Dieu seul en lui-même

Y prend son plaisir ;

Le vouloir suprême

Devient son désir :

Ah ! Qui n’est rien

Ne peut ni mal ni bien.


XXXV. Se plaire dans son néant.

AIR : Ah, mon mal ne vient que d’aimer ; ou, On dit qu’amour est si charmant.


IL n’est que Dieu seul qui soit grand,

Qu’il me fait aimer mon néant !

Mon cœur à rien plus ne prétend ;

À Dieu je m’abandonne.

Qu’il me fait aimer mon néant !

Il ne trompe personne.


Sitôt que je suis dans mon rien,

Ah Dieu ! que je m’y trouve bien !

C’est là qu’il brise mon lien,

M’affranchit, me console.

Ah Dieu ! que je m’y trouve bien !

Le rien est mon école.


J’apprends ce que je dois à Dieu :

Ah ! que je suis bien en ce lieu !

Je me rafraîchis dans le feu,

Comme la Salamandre.

Ah ! que je suis bien en ce lieu

J’habite dans ma cendre.


Lorsque je ne veux rien pour moi,

Ah ! je n’ôte rien à mon Roi :

Il voit mon amour et ma foi

Dans ce lieu de bassesse.

Ah ! je n’ôte rien à mon Roi ;

Pour lui je m’intéresse.


Évitons ce qui paraît grand :

Ah ! Dieu se plaît en mon néant :

J’y resterai donc constamment ;

Il aime ma bassesse.

Ah ! Dieu se plaît en mon néant,

Et dans ma petitesse.


XXXVII. L’homme doit recouler en Dieu dont il est sorti.

AIR : Léandre, ou Dirai-je mon Confiteor


Les hommes savent à présent

Que tout circule en la Nature.

La sève de son tronc montant,

Revêt les arbres de verdure ;

Pendant l’hiver elle revient

Au même tronc qui la retient.


Un fleuve sortant de la mer

Retourne à la mer tout de même.

L’air retourne et rentre dans l’air.

Le feu d’une vitesse extrême

Tâche à rejoindre l’élément

Qui cause son empressement.


Le Soleil pour suivre son cours

Semble s’éloigner de son centre ;

Et cependant les mêmes jours

Par une autre route il y rentre,

faisant sa course tous les ans

D’un printemps à l’autre printemps.


L’homme sortant des mains de Dieu

Fut composé d’un peu de boue ;

Il doit retourner en son lieu,

Son thème suit le tour d’une roue,

De l’enfance montant toujours

Descend, vieillit, finit son cours.


S’il naît un enfant aujourd’hui,

On y voit mourir bien des hommes.

L’un mort, un autre au lieu de lui

Renaît et revient où nous sommes :

Ce n’est qu’un circuit de souffrir

De voir naître et de voir mourir.


Circulons-donc mon cher enfant,

Ne retenons rien en nous-mêmes :

Les thèmes passés, le thème présent

Nous apprennent les lois suprêmes :

Nous sommes sortis de l’Amour,

Rentrons-y sans aucun détour.

[…]


XLV. Suivre le moment divin.

AIR : Ami, ne passons pas Créteil ; ou, Le berger Tirsis est rêveur.


SI nous suivions fidèlement

En tout thème le divin moment,

Notre cœur toujours libre

Serait sans nul empressement

Dans un doux équilibre.


C’est ce moment qui rend heureux,

Empêchant de tourner les yeux

Sur Celui qui doit suivre

On ne voit ni doux ni fâcheux ;

Ce moment nous fait vivre.


Rien n’assure pour l’avenir ;

Ce moment nous peut voir finir :

II faut en faire usage,

En tâchant à Dieu de s’unir :

On y trouve le large.


Ce qui ne dépend pas de moi,

Je n’en dois nul compte à mon Roi :

Mais ce qui se présente,

Si je sais le prendre avec soi,

Rends mon âme constante.


Qui ne s’attache qu’au moment,

Ne change pas incessamment :

Le passé l’on délaisse ;

faisant usage du présent,

On vit fort à son aise.


C’est ce moment qui donne Dieu,

Sans nous faire changer de lieu :

Occupé de lui-même,

On ne met point de bois au feu ;

Il brûle quand on aime.

[…]


XLVI. Extase de la Volonté.

AIR : Mon cher troupeau ; ou, Réveillez-vous.


[…]

Sa pauvreté fait sa richesse :

Ne possédant plus rien en soi,

Elle a la divine Sagesse,

Qui, prend la place de son moi.


La volonté qui se résigne,

À force de se résigner

Sent que par une grâce insigne

Elle n’en peut plus disposer.


Se trouvant lors toute interdite

De ne pouvoir plus rien vouloir,

Elle laisse à Dieu sa conduite,

Sans rien découvrir ni savoir.


La volonté n’a plus de forme ;

On ne trouve choix ni désir :

C’est alors qu’amour la transforme,

La gouvernant à son plaisir.


Une certaine indifférence

La tient toujours également,

Sans pouvoir pencher la balance,

Ni lui donner un mouvement.


Toujours un parfait équilibre

Lui donne cette égalité,

Qui la rend parfaitement libre

Dedans cette simple unité.


C’est la plus excellente extase

Que celle de la volonté :

On n’en discerne aucune trace ;

Dieu la consume en charité.


Cette extase est perpétuelle,

Et non pour de certains moments :

La volonté toujours fidèle

En Dieu reste éternellement.


C’est un écoulement intime,

Non un transport momentané,

Qu’ordinairement on estime ;

Cet état est faible et borné.


Il ne vient que de la faiblesse,

L’homme ne pouvant supporter

Cette pure délicatesse

De Dieu qui le veut absorber.


Mais la volonté toute pure,

Sans changement, sans nul essor

Laissant de bien loin la nature,

En Dieu trouve un très heureux port.


L’âme ainsi qu’un fleuve s’écoule

Par la volonté dans l’amour :

Dieu la meut ainsi qu’une boule ;

Elle obéit sans nul détour.

XLVIII. Foi sans assurance.

AIR : Mon cher troupeau.


POURcontempler l’essence nue,

Il faut la nue et pure soi :

Lorsqu’en Dieu l’âme est parvenue,

Il ne reste plus rien du moi.


Si je me faisais quelque forme,

Si je me figure un objet ;

Je rends mon Dieu semblable à l’homme

Et me trompe dans mon sujet.


Si c’est Jésus que je contemple

D’un œil simple autant qu’épuré,

Si je me forme à son exemple ;

Mon état est très assuré.


Sans me former aucune image,

Avec lui me perdant en Dieu,

Je le trouve sans nul partage,

Sans différence, thèmes, ni lieu.

[…]


L. Sûreté de la lumière de la pure foi.

AIR : Ah ! que l’amour paraît charmant !


LA lumière est sans nul brillant

Quand elle est sans empêchement ;

Elle est plus pure cependant,

Car rien ne la termine.

Quand elle est sans empêchement,

Rien ne nous illumine.


Il en est ainsi de la foi :

Ah ! sans l’éprouver qui le croit !

Plus elle est pure, moins on voit :

Alors rien n’illumine.

Ah ! sans l’éprouver qui te croit,

Ô science divine !


Plus ce sentier est ténébreux,

Ah ! plus il est avantageux.

S’il ne brille pas à nos yeux

Il fait naître le doute :

Ah ! plus y est avantageux,

Et plus on le redoute.


Tout ce qui fait réflexion,

Cause réverbération,

Et donne certaine action

À la pure lumière :

C’est pourquoi la réflexion

Est moins pure et plus claire.


Une lumière qui s’étend,

Nous paraît sans aucun brillant

[…]


LVIII. L’amour parfait ne se recourbe point sur soi.

AIR : Ces prés, ces bois ; ou, Les folies d’Espagne.


L’AMOUR, parfait veut une flamme pure

Qui ne se courbe ni retourne sur soi ;

Tous ces retours font voir que la nature

S’aime, et ne veut se livrer à son Roi.

[…]

Sitôt qu’Amour nous met à la coupelle

Ah ! que notre or parait de bas aloi !

Tendres pour nous, pour lui trop infidèles

Nous démentons nos discours, notre foi.

[…]


LX. Unique loi de l’amour.

AIR : Celui qui m’a soumise : ou, Je ne veux de Tirsis.


Amour grand, juste et saint, pur, simple, indépendant,

Qui ne regarde que toi-même ;

Et qui te formant un amant,

Veux que ce soit pour toi qu’il t’aime.


Tu ne demandes point qu’on suive tant de lois ;

Tout se trouve dans l’amour même :

Il n’est pour nous ni bien ni choix,

Qu’en suivant le Vouloir Suprême.


Cet amour libre et pur n’enseigne qu’une loi,

Mais loi sans aucune contrainte ;

De marcher dans l’aveugle foi,

Et bannir pour jamais la crainte.

[…]


LXVI. Pureté d’amour requise pour être unie à Dieu.

AIR : Celui qui m’a soumise.


JE ne puis exprimer la pureté d’amour

Que Dieu veut au cœur d’une amante

Un amour droit, et sans détour ;

Une charité patiente.


Sitôt qu’on pense à soi, l’on se sent rejeter

Avec une puissance extrême :

Dieu ne saurait se contenter,

Si l’âme ne sort d’elle-même.


Tout amour hors de soi devient digne de Dieu ;

Sa pureté devient extrême,

Quand demeurant fixe en son lieu

Il ne rentre plus en soi-même.


Cet amour souverain veut nous changer en soi :

Il faut donc que son feu sépare

Le pur esprit d’avec le moi ;

Et c’est l’ouvrage le plus rare.


Si notre esprit n’est pur, il ne peut approcher

De Dieu son unique principe :

Quelque tour qu’on puisse chercher,

Sans amour nul n’y participe.

[…]


LXXV. Indifférence du pur amour. Fidélité à écouter les instruments de Dieu.

AIR : L’éclat de vos vertus et celui de vos grâces.


Vous m’apprenez, Seigneur, cette auguste science,

Vous la faites goûter et voir en tout son jour ;

Que la parfaite Indifférence

Est l’effet du plus pur amour.


Quand notre volonté se trouve en Dieu perdue,

On n’a plus de désir, de choix, ni de penchant

Si ce n’est que Dieu la remue :

Tout le reste est indifférent.


Il meut comme il lui plaît ; il incline notre âme

Pour prier, pour aimer, et se charger d’autrui :

C’est l’effet d’une pure flamme,

Qui part et dérive de lui.


Cet amour est sans choix, il est sans complaisance ;

[…]


LXXX. Nul mérite de l’homme devant Dieu.

AIR : Les folies d’Espagne ; ou, La jeune Iris.

[…]

Qu’il ne reste de moi, aucune trace,

Et que je sois comme ce qui n’est plus :

Ce doit être l’œuvre de votre grâce ;

Mon travail pour le faire est superflu.


C’est en vos mains que je remets mon âme,

Faites-en selon votre volonté ;

Allumez en moi cette douce flamme,

Qui, ne se nourrit que de vérité.


La vérité doit me changer de forme,

Et me remettre en mon premier néant :

Elle doit détruire en moi le vieil-homme

Me rendant petite ainsi qu’un enfant.

[…]


CX. Bonheur de l’anéantissement.

AIR : Aimable jeunesse ; ou, Songes agréables.


Adorable Maître,

Mon souverain bien !

Tu changes mon être :

Je ne suis plus rien.

Ah ! mes amours

Possédez — moi toujours.


Que jamais mon âme

Ne sorte de toi ;

Que jamais µµ ma slamme

Ne penche vers moi :

Ah ! tout mon bien

Consiste à n’être rien.


Mon unique cause,

Étre indépendant,

Qui veut quelque chose

N’est pas ton amant :

Ah ! tout le bien

Consiste à n’être rien.


Grand Dieu, je te donne

Mes petits enfants ;

Et je t’abandonne

Leur âme et leurs sens :

Ah ! mon Vainqueur

Garde toujours leur cœur.


Daigne les instruire

De tes volontés ;

Et qu’ils ne soupirent

Que pour tes beautés :

Ah mon Époux !

Qu’ils soient un avec nous.


Soutiens leur faiblesse,

Guéris leur langueur ;

Et que ta Sagesse

Gouverne leur cœur :

Ô mon Époux !

Qu’ils soient un avec nous.


Ah ! sais qu’ils t’adorent

Dans la vérité ;

Que ton seu dévore

Leur propriété :

Ah ! le seul bien

Est, de n’être plus rien.


Daigne leur apprendre,

Que le pur amour

Ne se peut comprendre

Dans ce bas séjour, ,

Que par le rien,

Qui nous donne ce bien.


Grand Dieu, que je t’aime,

Mon unique espoir :

Le bonheur suprême

Est, en ton vouloir.

Ô pur amour !

Tu m’apprends mon devoir.


Tu m’instruis sans celte ;

Et je connais bien,

Que notre sagesse

Gît à n’être rien :

Ah mon Vainqueur !

Tu t’exprimes au cœur.


Science secrète,

Amour souverain,

Parole muette,

Tu t’exprimes bien :

Ah ! tu dis tout

En ne nous disant rien.


Quoique sans parole,

L’amour est disert :

L’excellente école,

Aimable désert !

O mon — Amour !

En ton sein je me perds.


Chacun m’inquiète,

Ne comprenant pas

Que l’amour parfaite

Est pleine d’appas :

Je veux aimer

Par delà le trépas.


O. mort savoureuse ,

Quand on aime bien !

Tu n’es plus affreuse

Pour qui ne veut rien.

Ah mon amour !

Viens briser mon lien.


Ton vouloir suprême

Vaut mieux cependant :

Cette mort que j’aime

Seroit mon tourment

Sans ton vouloir

Ô mon unique espoir.


Ma mort et ma vie

Sont dedans ta main :

Je n’ai plus d’envie :

Amour souverain,

Règle mon sort

Pour la vie ou la mort.


CXIII. Heureux naufrage qui mène au port.

AIR : Profitons des plaisirs, Bergère.


JE disais dans mon abondance ;

Rien ne me saurait ébranler ;

Oui, mon Dieu, la souffrance,

Loin de me désoler,

Hausse mon espérance,

Et doit me consoler.


Mais j’ai bien changé de langage,

Sitôt que j’ai changé de sort :

Cachant votre visage,

Je reste dans la mort ;

Et n’ai pas le courage

De faire aucun effort.


On s’embarque pour un voyage :

Le vaisseau poussé par le vent,

Réjouit l’équipage

Par son avancement ;

Mais, hélas ! le naufrage

Le perd en un moment.


Quand le Saint Esprit nous anime,

Quel plaisir, quel contentement !

On se croit à la cime

Bien au-dessus du vent :

Un moment nous abîme

Au-dessous du néant.


On ne voit rien que sa faiblesse,

Notre cœur se trouve abattu ;

Ce n’est plus que tristesse.

Que devient la vertu ?

Car dans cette détresse

On croit être perdu.


Les flots, les vagues sur la tête,

Sans que nous puissions l’empêcher :

Au fort de la tempête

On cherche à s’attacher ;

On nage, ou l’on s’arrête ;

On-voudroit s’accrocher.


Hélas ! nous perdons l’espérance,

Perdant nos sorces, nos appuis :

Notre corps en balance,

Nos esprits interdits :

D’autres ont l’évidence

Que nous sommes péris.


Cependant ce même naufrage

Nous a ramenés sur le port :

On retrouve l’usage

Des sens ; et notre sort

Est un heureux partage,

On vit après la mort.


Sans la mort il n’est point de vie ;

Nous ne vivons que par la mort :

Et c’est une solie

De bénir notre sort

Quand l’âme est asservie : »

Le moi n’a point de port.


C’est le portrait de notre vie :

Battus de mille et mille flots

Dessous la tyrannie

De nos propres défauts,

Notre âme est affranchie

Par la main du Très-haut.


Qu’on a besoin de sa misère !

Sans elle notre aveuglement

Nous rendrait téméraires

Dieu dans son jugement

Réduiroit en poussiere

Cet indigne excrément.


Mon cher Maître prit de la boue

Pour éclairer l’aveugle-né :

C’est ainsi qu’il se joue

D’un orgueil obstiné :

Qui s’estime et se loue

Est déjà condamné.


Dieu créa l’homme de la terre ;

Il veut qu’il y penche toujours :

Par la-boue il l’éclaire :

À la fin de ses jours

Il rentre en la poussiere ;

Il y finit son cours.


CXVII. État de l’enfance chrétienne où l’âme se complaît en son néant pour adorer le Tout de Dieu.

AIR : Celui qui m’a sounise ; ou, Je ne veux de Tirsis


[…]

L’homme aime en tout tems l’éclatant et le beau ;

La foi lui paraît trop obscure :

Il veut le grand et le nouveau,

Pour faire vivre la nature.


S’il quitte les plaisirs, les honneurs et les biens,

Il veut des biens pour récompense ;

Et s’il n’avait les dons divins,

Dure serait sa pénitence.


Il tâche d’être saint, et se donner un nom

Au-dessus des grands de la terre ;

Et cette noble ambition

Ne lui paroit pas téméraire.


Mais pour nous, nous vivons cachés aux yeux de tous,

Et souvent cachés à nous-mêmes :

[…]


C XVIII. L’âme perdue dans l’amour. Comment arriver à cet état heureux.

AIR : Je ne veux de Tirsis.


[…]

Aimons, aimons, aimons, laissons tout à la foi ;

Et nous vivrons comme les Anges :

L’amour est leur unique emploi ;

Il est leur bonheur, leurs louanges.


Contentons-nous d’aimer, sans plue penser à nous ;

Perdons-nous dans le Tout immense :

Sans discerner l’amer du doux,

Entrons dans l’immuable Essence.

[…]


CXXI. S’abandonner quoiqu’avec faiblesse au milieu de ses miseres.

AIR : Mon cher troupeau.


UN seul retour de complaisance

Mérite les peines d’Enfer :

Car l’amour propre est la science

Que nous tenons de Lucifer.


Il saut vivre sans assurance ;

Ensuite mourir sans appui,

Dans une entière défiance

De tout ce qu’on sent aujourd’hui.


On s’abandonne avec audace,

Espérant le faire toujours :

Dans l’occasion on est de glace,

Oubliant sa foi, ses amours.


Prens pitié de notre faiblesse ;

Je me sacrifie à présent :

Car sitôt que la mort nous presse

On perd courage en ce moment.


Celui qui fonde son courage

Lorsque la mort est loin de lui,

N’a que la crainte pour partage :

Alors rien ne lui sert d’appui.


Daigne soutenir ma misère,

Amour ; je serai toujours bien :

C’est en toi que mon âme espere ;

Du reste elle n’attend plus rien.


Ah ! soutiens ma foi chancelante,

Mon abandon est aux abois ;

Et fais que contre mon attente

J’entende encor ta douce voix.

Rends, rends le doux calme à mon âme

Dans cette extrême affliction :

Divin Amour, que je réclame,

Je ne vois rien que fiction.


Je trouve mon âme alarmée,

Et mon esprit tout abattu :

Je te remets ma destinée ;

Mais c’est sans force et sans vertu.


Celui qui vit dans l’abondance,

Dans l’abondance meurt

Celui qui vit sans assurance,

Meurt sans soutien et sans appui.


Ô foi, qui me fus si fidelle,

Tu m’abandonnes à présent !

Je sens qu’une perte éternelle

Si proche, est un rude tourment.


Malgré mon cœur je m’abandonne ;

Et d’un esprit plein de terreur,

À toi de nouveau je me donne,

Et m’en remets à mon Sauveur.


Plus de cœur et moins de faiblesse

M’aurait rendu présomptueux :

Il faut connaître sa bassesse,

Se sentir tremblant et douteux.


Qui s’abandonne en assurance,

Pur Amour, ne te donne rien :

La misère est une science

Qui nous fait perdre tout soutien.


Se sentir trembler, et tout craindre,

Le craindre même avec raison

Lorsque l’on ne saunroit rien feindre,

Est une terrible leçon.


Leçon qu’on a peine à comprendre,

Qui doit coûter infiniment

Quand l’Amour nous la fait apprendre

Et soutenir à nos dépens.


Cher Amour, si tu m’abandonnes

A l’instant que je dois mourir,

Et que la justice m’étonne ;

C’en est fait, je m’en vais périr.


Ah ! Justice, que je réclame,

Mon cœur est nud devant tes yeux ;

(a) Tu peux seul juger de ma flamme :

L’amour pur me peut rendre heureux.


Jésus m’apprend ce qu’on doit faire

Dans ces moments trop incertains :

Après l’abandon de son Père,

Il remit son âme en ses mains.


CXXII. Nature et effets d’un abandon véritable et entier à Dieu.

AIR : L’éclat de vos vertus.


[…]

On se croit malheureux en se perdant soi-même :

C’est la perte de tout qui cause tous nos biens ;

Car lorsque la perte est extrême,

Elle brise tous nos liens.


On trouve en se perdant ce Dieu puissant, immense ;

Qui sait participer à son immensité

Le cœur trouve une libre aisance,

Qui vient de sa simplicité.


CXXIII. Se perdre de vue en demeurant passif à l’opération de Dieu.

AIR : Je ne veux de Tirsis.


PERCÉ depuis longtemps des traits de votre amour ;

Je ne sens pourtant pas ma flamme :

Hélas ! quand viendra-t-il ce jour,

Que je ne verrai plus mon âme ?


Je la vois quelquefois : et c’est un grand tourment ;

Cachez-la si bien, mon Principe,

Dans l’abîme de son néant,

« Qu’a rien elle ne participe.


Cachez-la de mes yeux, et de ceux des humains ;

Qu’elle reste si bien perdue,

Sans sortir jamais de vos mains ;

Qu’elle soit toujours inconnue.


Je ne me saurais voir sans devenir impur ;

Toujours quelque propre recherche :

Que ce regard me serait dur !

Ah ! que votre bonté l’empêche !


Comme le basilic tue avec ses regards ;

Ainsi notre regard nous tue ;

Amour, perce-moi de tes dards ;

Et que je me perde de vue.


Abîmé dans ton sein, je ne verrai que toi ;

Que tout le reste disparoisse !

L’amour pur a fait cette loi :

Pour aimer il faut que tout cesse.


Mais nous voulons agir ; et par notre action

Nous empêchons souvent la sienne :

C’est une étrange illusion ;

Et la source de notre peine.


Recevons l’opérer de Dieu passivement,

N’ayant jamais la hardiesse

De mêler le nôtre rampant

À ce qu’opère la Sagesse.


Demeurons-donc passif à tout ce que Dieu fait ;

Ah ! laissons-le agir en notre âme :

Tout ce qu’il fait seul est parfait ;

Lui seul épure notre flamme.


Dans mon obscurité, dit-on, je ne puis voir

Ce que Dieu dans mon âme opère :

C’est ce qu’il ne saut pas savoir ;

La patience est nécessaire.


Aimons, aimons, croyons, demeurons par amour

Dans un respectueux silence !

Et Dieu nous'sera voir un jour

Le fruit de notre patience.



CXXII. Nuit effroyable de l’esprit.

AIR : Hélas Brunette.


JE suis dans une région

Tout à fait inconnue ;

Le brouillard emplit ma maison,

Rien ne perce la nue :

Le jour ne s’y montre jamais,

Je ne vois point ce que je saii.


Dans cette étrange obscurité

Que mon âme est contente !

J’y pénétre la vérité

Par de-là mon attente.

La vérité c’est mon néant,

Et que Dieu seul est juste et grand.


Je ne vois que sa sainteté ;

Sa grandeur m’environne :

Content dedans ma pauvreté

Que sa justice est bonne

De me dérober à mes yeux,

Et du regard des curieux !


Car l’abîme de mon néant

Est un espace immense ;

Je ne vois de beau ni de grand

Que la Toute-puissance :

Lorsqu’elle m’enlève mon bien,

Elle ne me dérobe rien.

[…]



CXLII. L’amour fixe le cœur.

AIR : Celui qui m’a soumise ; ou, Je ne veux de Tirsis.


SITÔT que votre amour s’empara de mon cœur,

Ce cœur perdit toute autre pente :

Vous seul fûtes son protecteur,

Comme vous fûtes son attente.


Tout lui parut indigne et de vous et de lui :

Se séparant de toutes choses,

Il vous prit pour son seul appui,

Être puissant, Cause des causes.


Il connut qu’hors de vous tout n’est que vanité ;

Qu’abus, que néant, que mensonge

Vous seul êtes la vérité ;

Le reste passe comme un songe.


Lors se livrant à vous par un franc abandon,

Il quitta tout soin de lui-même,

Pour en faire à jamais le don

À votre puissance suprême.


Vous avez disposé depuis de mon vouloir ;

Je n’en trouve plus dans mon âme :

Je suis sans force et sans pouvoir ;

Mais non sans votre pure flamme.


Ce pur et chaste amour dédommage de tout ;

Qu’il soit rigoureux, oupaisible ;

Qu’il flatte, ou qu’il nous pousse à bout ;

Qu’il soit doux, ou bien insensible.


Il meut l’âme et le cœur par un secret penchant,

Et l’incline sans violence :

Ô, que cet amour est touchant !

Qu’il fixe bien notre inconstance !


Le cœur est agité sans ce sacré repos

Que le pur amour nous inspire :

Ce ne sont que des bas des hauts ;

Il rit et soudain il soupire.


L’amour pur fixe en Dieu notre agitation ;

Il arrête le cœur volage,

Donne une sainte émotion

Pour le suivre avec grand courage.


Cet amour sans ardeur est vigoureux et fort ;

Il outrepasse toute chose,

Ne craint le tourment ni la mort ;

Dans sa douleur il se repose.


Tout lui paraît égal de la main de l’amour ;

Les peines sont sa récompense

Sans jamais faire de retour,

L’arnour incline la balance.


CXLV. Désert de la foi et de l’amour.

AIR : Charmante Gabrielle.


[…]

Dans cet espace immense

De l’Océan divin

Je fais ma résidence

Dans l’amour souverain :

Là rien ne me surcharge.

Tout est mon lieu,

Ayant trouvé le large

Dedans mon Dieu.


Que je hais la prudence

Qui regarde de loin !

La sainte Providence

Pourvoit à mon besoin :

L’oubli de soi fait vivre

Le pur amour

C’est lui qui nous fait suivre

Dieu sans détour.


Aimons la petitesse,

Ne soyons jamais grands ;

Car la vraie Sagesse

Ici, c’est d’être enfants :

N’aimons tous qu’innocence,

Simplicité,

La simple dépendance,

La charité.

[…]


CXLVIII. Sur le même sujet. [L’amour inébranlable dans les souffrances et la prison]

AIR : Un tendre engagement.


[…]

Entouré d’ennemis que faut-il que je fasse ?

Je n’espére qu’en votre grâce :

Elle seule adoucit mes maux.

Que votre volonté sur moi se satisfasse,

M’accablant de plus de travaux.


J’avais peine autrefois, voyant que l’innocence,

Malgré sa ferme confiance,

Enduroit la nuit et le jour :

Mais depuis j’ai connu que le poids de souffrance

Se mesure au poids de l’amour.


L’Amour pur et parfait va plus loin qu’on ne pense :

On ne sait pas lorsqu’il commence

Tout ce qu’il doit coûter un jour.

Mon cœur eût ignoré le prix de la souffrance,

S’il n’eût goûté le pur Amour.


CXLIX. Sur le même sujet.

AIR : Vous l’avez bien voulu.


GRAND Dieu pour ton plaisir

Je suis dans une cage :

[…]

Je chante tout le jour ;

Seigneur, c’est pour te plaire :

Mon extrême misère

Augmente mon amour :

N’ayant point d’autre affaire,

Je chante tout le jour.

[…]

L’esclave de mon Dieu

Trouve par tout l’Immense ;

Une certaine aisance

Le rend libre en tous lieux ;

Il est dans l’abondance

L’esclave de mon Dieu.

[…]


CL. Sur le même sujet.

AIR : Charmante solitude.


CHARMANTE solitude,

Cachot, aimable tour,

Où sans inquiétude

Je passe tout le jour !

Est-il tourment trop rude

Pour mon fidèle amour ?


Les maux sont mes délices,

Les douleurs mes plaisirs ;

Les plus affreux supplices

Le but de mes désirs

Et tous mes exercices

L’amour et les soupirs.


Je ne crains point la peine,

Quoique sans nul soutien,

Étant assez certaine

Que ce mal est mon bien :

La Beauté Souveraine

Veut l’amour souverain.


Je souffre, et ma souffrance

Cause tout mon bonheur :

Par sa douce présence

Dieu consomme mon cœur :

Il est ma patience,

Ma force, et ma douceur.


CLV. Ne vivre que de la volonté de Dieu.

AIR : Celui qui m’a soutnise.


JE ne veux, mon Seigneur, rien que ta volonté ;

Je ne connais rien autre chore :

Par un esset de ta bonté

Toujours en ton sein je repose.


Ce vouloir souverain sait agir sur un cœur

Qui ne fait plus de résistance ;

Il est le principe et moteur

Qui le tient sous sa dépendance.


Tout consiste pour nous à ne plus rien vouloir

Cette volonté prend la place,

Ne nous laissant d’autre pouvoir,

Qu’une obéissance efficace.

[…]


CLVI. Suivre Dieu sans savoir où.

AIR : On ne vit plus dans nos forêts.


Hélas ! cher Époux de mon cœur,

Que détires-tu que je fasse ?

Amour, tu connais ma langueur :

Ah ! qu’elle serait ma disgrâce,

Si tu voulais changer mon sort !

Donne-moi bien plutôt la mort.


Quelque chose dans le secret

Délire la sin de ma vie,

Si je n’adorois ton décret :

La loi où je suis asservie,

Me ferait mourir mille fois

Si j’osois enfreindre tes loix.


[…]

Tu sais que je n’ai plus d’esprit ;

Et mon âme est toute éperdue :

Je demeure comme interdit

Dans l’accablement qui me tue :

J’adore ton divin pouvoir,

Et me soumets à ton vouloir.


[…]

Je ne possède plus de moi,

Toujours étrangère à moi-même :

Je vis sans connaître de loi,

Suivant toujours la loi suprême ;

Tout ainsi qu’un petit enfant

Remué par un bras puissant.


Mais de quoi sert tout ce discours ?

Ma peine est-elle soulagée ?

Comme un fleuve qui suit son cours,

Sans que sa route soit changée,

Se précipite dans la mer,

Et de doux redevient amer.


[…]

Principe de mon mouvement,

Souverain Auteur de mon être,

Tu me conduis rapidement,

Après t’être rendu le maître :

Je te suis comme un pauvre fou,

Le plus souvent sans savoir où.

[…]


CLXIV. Unité des Bienheureux et des parfaits avec Dieu et entre eux.

AIR : Celui qui m’a soumise : ou, Je ne veux de Tirsis.


PUISQUE notre âme est faite à l’image de Dieu,

Elle porte ce caractère ;

Et Dieu se l’unit sans milieu,

Quand l’amour seul est son salaire.


Lorsqu’on ne veut plus rien, qu’on est anéanti,

On retourne à son origine :

Là notre vouloir englouti

Passe en la volonté divine.


C’eit ce vaste Océan de qui l’immensité

Renserme en lui toutes les âmes

Plus grande est leur conformité,

Plus, amour pur, tu les enflammes.


Elles ne sont en Dieu qu’un par la charité,

Qui les rend d’autant plus conformes,

Que toi, Suprême Vérité,

En les éclairant les transformes.


Lorsque ces âmes sont dans le même degré,

Elles sont en Dieu si perdues

Que tout l’humain et le créé

Semble disparu de leurs vues.


Submergés dans l’amour, l’amour se plaît en eux,

Cette charité mutuelle

De Dieu dans tous les Bienheureux

De toutes ces âmes entre elles.


On peut avoir ce bien mâme dès ici-bas :

Ces âmes entre elles unies,

Marchant toutes d’un même pas,

Toutes ont mêmes simpathies.


Venez, ô pur amour ! consumer tous les cœurs

D’ardeurs pures et mutuelles ;

faites-en des adorateurs

Dignes des Beautés éternelles !


CLXX. Dieu se plaît dans le néant et la solitude du cœur.

AIR : La jeune Iris.


Qui le croirait, ô Seigneur de mon âme ;

Que vous fussiez dans ce faible néant !

Il ne paraît nul signe de sa flamme :

Tout est caché comme en un Sacrement.


Vous vous plaisez dans des lieux solitaires,

Qui sont éloignés du monde et du bruit :

Vous vous y retiriez étant sur terre ;

Et c’est où vous, habitez aujourd’hui.


C’est un désert, lorsque notre âme est vide

De tout ce qui n’est pas son Créateur :

Il paraît louvent un séjour aride :

Mon Dieu s’y plaît : c’est assez pour mon cœur.


L’homme créé pour son Divin Principe,

Ne devroit s’arrêter en nul sujet ;

Indigne de Dieu s’il ne participe

À cet auguste et souverain Objet.

[…]


CLXXI. L’amour de Dieu dans une âme anéantie ; et l’éloignement des hommes du même amour.

AIR : hélas Brunette !


JE suis devant vous un néant

Sans choix, sans subsistance ;

À qui tout est indifférent,

Sinon la dépendance

De votre sainte volonté,

Et l’amour de la vérité.


Mais cet amour n’est pas en moi ;

Il subsiste en vous-même :

Je ne connais que par la foi

Que c’est vous seul que j’aime ;

Et que je n’existe qu’en vous,

Objet de mes vœux les plus doux.


Le Tout occupe tout le rien ;

Et ce Dieu tout immense,

Qui seul possède tout mon bien

Par sa sainte présence,

Ne laisse de vacuité

Où n’existe sa vérité.


. C’est cette chaste vérité

Simple, nue et très-pure,

Qui dans sa généralité

Fait voir en la Nature

Par tout les traits de sa grandeur :

Tout y concourt à son honneur.


L’homme ingrat seul ne comprend pas ;

Que ce pouvoir sans borne,

Qui se démontre à chaque pas ;

Et qui nous environne,

Fait voir que ce Dieu Tout-puissant

Veut notre amour, et notre encens.


Tout fait obéir à sa voix ;

Tout suit l’ordre immuable :

Les animaux sournis aux loix

D’un Dieu très-équitable,

Ne sortent pas un seul instant

Du vouloir de ce Dieu puissant.


Le Soleil poursuivant son cours,

Remplissant sa carrière,

Nous fait revoir les mêmes jours

L’éclat de sa lumière :

Les siècles passés, les suivans

Suivent sa route tous les ans.


Le printems ne manque jamais,

Ni l’été, ni l’automne ;

Étalans selon nos souhaits

Les biens que Dieu leur donne :

L’homme seul ingrat et voleur

Ne rend pas tout bien au Seigneur.


Les oiseaux, qui dès le matin

Annoncent la lumière,

Le louent selon son dessein ;

Chacun en leur manière,

Faisant retentir dans les bois

Sa grandeur par leur douce voix.


Mais l’homme sans penser à Dieu,

S’occupant de lui-même,

Sans suivre l’ordre ni le lieu,

Où son pouvoir suprême

Par l’amour l’avait destiné,

Dans son vouloir est obstiné.

[…]


CLXXXI. Route de la foi.

AIR : Votre empire est trop sévère.


[…]

Nous n’avons que la foi nue,

Pour nous servir de flambeau :

Quand notre esprit se dénue,

Il entre en pays nouveau ;

Il va suivant la justice,

Qui le met en vérité ;

Sur le bord du précipice

Il se voit en liberté.


Ce désert n’a point de route,

On fait souvent de faux pas :

Sitôt que notre esprit doute,

Il entre dans l’embarras ;

Lorsque le cœur est fidèle,

Il court sans penser à soi,

Trouvant la route très-belle

De l’amour et de la foi.

[…]


CLXXXII. École de l’amour.

AIR : Songes agréables.


ON veut que je dise ;

Et je ne sais rien :

Malgré ma franchise


J’ignore tout bien.

Ô mon Époux !

Vous seul parlez en nous.

[…]


TOME II

IV. Dieu seul aimable.

AIR : Les Dieux comptent nos jours, nous devons les en croire.


DIEU mérite lui seul nos vœux et nos louanges ;

C’est usurper ses droits que vouloir être aimé ;

On veut de tous du moins être estimé :

Mon Dieu sait bien comme on se venge.


Vous seul êtes puissant, juste, saint, immuable ;

Nous voulons occuper votre place en autrui :

C’est ce que sait l’homme rempli de lui.

Ingrat, dis moi, qu’as-tu d’aimable !


Toi, sépulcre blanchi, ne couvrant qu’un squelette,

Chez qui la pourriture a détruit tous les traits.

Mon Dieu possède seul tous les attraits,

Ingrat, qu’est-ce que tu souhaites !


IX. Ou Dieu, ou Soi-même.

AIR : Les Dieux comptent nos jours, nous devons les en croire.


JE te livre en ce jour à mon cher petit Maître

Tu le verras bientôt armé contre le moi ;

Il ne veut plus qu’on te trouve chez toi :

Choisis, car tu ne dois plus être.


Tu recevois jadis des douceurs, des louanges ;

Mais avant qu’il soit peu tout va s’évanouir :

S’il sait du bien, il sait aussi punir

L’ingrat sur lequel il se venge.


Si tu veux être à lui, va, quitte toi toi-même ;

Il ne saurait souffrir un partage, un milieu :

Il faut quitter ou toi-même, ou ton Dieu :

Choisis, ce sont les deux extrêmes.


XIV. La puissance est à Dieu seul.

AIR : On ne vit plus plus nos sorêts, ou : Que ces bergers vivent contens.

ADieu seul la gloire et l’honneur

L’empire, la force et puissance

Nous lui devons tout notre cœur

Une parfaite obéissance,

Comme au seul et souverain Bien ;

Car notre partage est le rien.


Vivez, régnez, mon cher Époux,

Etendez par tout votre empire :

Qu’on n’adore et n’aime que vous,

Que pour vous notre cœur soupire,

Vivez et régnez, mon Seigneur,

Dans notre âme et dans notre cœur.


La force se renferme en vous ;

Tout le reste n’est que faiblesse

L’empire n’est dû qu’à l’Époux :

Notre âme devient larronnesse,

Quand elle prétend autre bien

Que vivre et mourir en son rien.


La puissance est au seul Seigneur

Et je bénis mon impuissance :

Car bien loin d’être usurpateur,

Je me plais dans mon indigence ;

Et je n’aspire à d’autre bien,

Que de n’être et ne vouloir rien.


Dieu seul est grand, saint et parfait ;

Et l’homme n’est rien que misère :

Il est à celui qui l’a fait ;

Mais par un désir téméraire,

Il sort bien souvent de son rien,

Afin d’usurper quelque bien.


LIV. L’Hirondelle, emblême de l’âme aimante.

AIR : La bergère Nanette.


Que j’aime l’hirondelle,

Qui m’apprend mon devoir !

Je dois faire comme elle,

Si j’en ai le pouvoir :

On ne lui voit jamais faire

Dessus la terre

Qu’un moment de séjour ;

Elle vole toujours.


Lorsqu’elle se repose,

C’elt au milieu de l’air ;

Sans manger autre chose,

Que ce qu’on voit voler :

Car enfin sa nourriture

Et sa pâture

Ne croit point dans nos champs.

Elle vient au printemps.


L’été elle y séjourne,

Abhorrant les frimats ;

Quand le Soleil retourne,

Elle va sur ses pas.

Nous devons faire de même

Fuir à l’extrême

De faire un long séjour

Ailleurs que dans l’amour.


Que notre nourriture

Soit de faire oraison ; fuyons de la nature

Le dangereux poison :

Faisons comme l’hirondelle,

Toujours fidèle,

À suivre du Soleil

Son regard sans pareil.


Si quelquefois la terre

La reçoit sur son dos,

C’est lorsqu’elle veut faire

Un nid à ses oiseaux :

Si ce n’était sa couvée,

Haut-élevée,

Elle ne voudrait pas

Sur terre faire un pas.


Quittons-en la demeure,

C’est un mortel séjour, ,

Pour aller à toute heure

Nous guinder dans l’amour :

Quittons le froid et sa glace ;

Et que la grâce

Nous mène à chaque instant

Vers le Soleil levant.


LVIII. Attraits et communications de l’Amour.

AIR : Je ne veux de Tirsis.


Mon Dieu, comme l’aiman, lorsqu’il touche le cœur

Lui donne une vertu secrete ;

Et quelque chose de moteur

Qui meut les cœurs et les arrête.


Il attire en secret un grand nombre de cœurs

Avec une force incroyable ;

En fait des vrais adorateurs,

Et leur montre le seul aimable.


Il est vrai que longtemps le terrestre élément

Leur fait une cruelle guerre ;

Mais le cœur touché de l’aiman

Détruit à la fin cette terre.


Quand l’esprit dégagé s’unit avec son Dieu,

Il ne souffre plus de mélange ;

Il est séparé par le feu,

Et devient pur ainsi qu’un Ange.


Lorsque le cœur est pur, il entend l’autre cœur

Dans un mystérieux silence ;

Il lui communique une ardeur

Pleine de paix sans véhémence.


Quand on est pénétré de ce premier aiman,

Notre âme devient toute pure ;

Le corps ne fait plus de tourment,

Tout séparé de la nature.


Ainsi que le Soleil par sa vive clarté

Pénètre le corps diaphane ;

De même en nous l’amour sacré

Pénètre et bannit le profane.


Il faut donc pour un thème souffrir et soutenir

Le poids de notre corps fragile ;

Dieu peut de notre âme bannir

Ce qui n’est ni pur ni tranquille.


Le cœur simple et tranquille épure enfin le corps

Et le réduit dans l’innocence :

Ce que ne peuvent nos efforts,

Se fait par la toute puissance.


Deux esprits épurés, deux cœurs sans mouvemens ,

En se pénétrant s’illuminent ;

Dégagés de tous sentiments

(a)1414 Rien de créé ne les termine.


Mais jusqu’à ce moment il faut se supporter, ,

Il faut ressentir sa misère :

Soyez simple pour écouter

La voix d’un Époux et d’un Père.


L’imparfait se perdra dans un sacré repos,

Vous ne sentirez que la grâce :

L’amour pur par ses doux pavos

Effacera toute autre trace.

(a) Ou Les biens créés ne les terminent.


Vous ne trouverez plus que Dieu dans votre cœur,

Toute l’humanité bannie ;

Et sur vous l’esprit séducteur

N’étendra plus sa tyrannie.


Votre cœur trop étroit ne saurait recevoir

Ce que l’amour lui communique ;

Mais un jour le divin pouvoir

Vous le rendra béatifique.


Allez-donc simplement sans crainte et sans détour

Dans l’entier oubli de vous-même :

Dieu vous donnant le pur amour.

Vous sera sentir qu’il vous aime.



LXI. L’Amour sans crainte, mais non sans humilité.

AIR : On ne vit plus dans nos forêts.


JE ne connais plus que l’amour,

Je ne puis marcher par la crainte ;

Dès que j’habitai son séjour

De lui mon âme fut atteinte :

Si vous voulez quelqu’autre bien,

Cherchez-le et ne m’en dites rien.


Vous dites marcher sûrement ;

Je n’entre point dans votre affaire,

Contente d’aimer purement

Je n’y connais point de mystère :

Tout ce que je sais c’est l’amour,

L’amour pur, l’amour sans retour.


« Craignez et tremblez de terreur,

« Vous qui n’êtes rien que poussiere ;

« Il faut qu’une sainte frayeur,

« Bien loin d’être si téméraire ,

,, Vous occupe éternellement

“De votre dernier jugement.


J’aime, et ne puis appréhender,

Amour, que de ne pas te plaire :

Je n’ai plus rien à demander,

L’amour me tient lieu de salaire :

L’amour fait mon contentement,

L’amour fait aussi mon tourment.


“Ne voyez-vous point votre erreur,

« Qui d’un orgueil opiniâtre

Vous fait mépriser la terreur,

‘Vous rend pire qu’un idolâtre ?

‘Ah ! quittez votre entêtement,.

‘Et vous marcherez sûrement.


Je ne méprise aucunement

La crainte chaste et salutaire ;

Mais je ne puis faire autrement

Que de t’aimer, et laisser faire,

Divin Amour, ce que tu veux,

Ton vouloir nous rend bienheureux.


Ô vous qui voulez me troubler,

Vous n’y gagnerez que des peines :

Mon cœur ne saurait plus trembler,

Toutes vos paroles sont vaines :

le ne cesserai point d’aimer ;

Sur moi tâchez de vous calmer.


Tous vos soins ne peuvent avoir

Qu’une inquiétude frivole ;

Si vous saviez votre devoir,

Plus d’effet et moins de parole

Fixeroit votre empressement

Et vous rendrait parfait amant.


Si vous connoissiez comme moi

Notre pouvoir, notre misère,

Marchant dans un esprit de foi

Vous apprendriez ce mystère

L’humilité vient de l’amour,

C’est lui qui lui donne le jour.


Afin de pouvoir s’abaisser

Il faudrait être quelque chose :

L’amour ne laisse pas penser

Que du bien nous soyons la cause ;

Il nous retient dans notre rien,

Sans trouver en nous de soutien.


Il nous tient si petits, si bas,

Comme étant notre propre place

Sans lui je ne puis faire un pas

Qu’il ne m’en fasse voir l’audace,

M’abîmant jusqu’au plus profond

De l’horreur de mon mauvais fond.


Je ne puis rien faire qu’aimer

L’amour est mon centre et ma vie :

Bien que l’on puisse me blâmer,

Et que chacun me porte envie,

Mon refuge est entre ses bras,

Il ne les retirera pas.


Je me confie entièrement

À son adorable conduite ;

Son feu sera mon élément

Jusqu’au thèmes qu’il m’aura détruite :

Lors n’ayant rien en moi de moi,

On n’y verra plus que mon Roi.


Conserve qui voudra son moi,

Je n’en ferai jamais de compte :

Je me repose sur la foi ;

Et si son amour me surmonte

Il contentera tous mes vœux,

M’anéantissant dans ses feux.


Amour puissant, amour vainqueur ;

Disposez toujours de ma vie ;

Soyez le maître de mon cœur,

Puisque je vous suis asservie :

Car je ne pense nuit et jour

Qu’à vous témoigner mon amour.


LXX. Obscure nuit de la foi.

AIR : Mon cher troupeau.


Qui peut se regarder encore,

Est bien loin de ton pur amour :

O Verbe que mon cœur adore,

Deviens ma lumière et mon jour.


Lorsque ta lumière nous guide,

Elle sait abhorrer le moi :

D’un pas hardi et non timide,

On suit le chemin de la foi.


On ne veut plus de connaissance ;

On marche dans l’obscure nuit :

On ne veut plus d’autre science,

Qu’être pauvre avec sus-Christ :


L’homme qui s’aime trop soi-même,

Regarde s’il met bien ses pas :

Celui qui t’aime pour toi-me,

En marchant n’y regarde pas.


Il te regarde et te contemple

Sans vouloir plus penser à soi :

Au-dehors il suit ton exemple ;

Au-dedans l’amoureuse loi :


Je jure pour toute ma vie

De ne plus marcher autrement

Si ma déroute en est suivie,

Je m’immole à ton châtiment.


Si tu voulais me faire grâce,

C’est un pur don de ta bonté :

Je veux que tu te satisfasses

Au temps et dans l’éternité.


LXXIII. L’Amour impitoyable contre le moi.

AIR : La bergère Nanette.


[…]

L’amour impitoyable

Ne se contente pas

D’un amour raisonnable ;

Il veut un vrai trépas :

Il veut que son feu divise,

Brûle et détruise

Tout ce qui n’est point lui,

Arrachant tout appui.


Oui, mon Dieu vous appelle

À la destruction :

Si vous êtes fidèle,

Ce Seigneur de Sion

Vous choisira pour lui-même.

Lorsqu’il nous aime

Il ne pardonne rien :

Et c’est là notre bien.


Jamais il ne pardonne

À qui vit sous sa loi ;

Et lorsqu’on s’abandonne

Il montre qu’il est Roi :

Il sait commander en maître,

Détruis notre être,

Le transformant en soi

Par l’amour et la foi.


Vous serez ses délices,

Quand vous ne serez plus ;

Le feu de la justice

Lors sera superflu.

La Justice ne tourmente,

Dans son amante,

Que le mien et le moi,

Qui se perd par la foi.


LXXIV. Perte de tout dans le néant.

AIR : Mon cher troupeau.


Souverain Maître de mon âme,

Auteur de ma félicité

Grand Dieu que sans fin je réclame,

Enseigne-moi ta vérité.


Tu m’apprends que le Tout immense

Veut opérer sur le néant ;

Et que la parfaite science,

Est de te servir en enfant.


Nul soin ni souci de soi-même

Ne doit remplir l’homme de bien :

Ô, Dieu, le cœur qui vraiment t’aime

T’adore et réside dans son rien.


Il ne peut penser qu’à ta gloire ;

Tout le reste est indifférent :

Sans en occuper sa mémoire,

Il reste simple en son néant.


Ô divin Amour que j’adore,

Que ton feu consume mon cœur

Si je puis désirer encore,

Ce n’est que pour ton seul honneur :


Ma volonté toute perdue

Ne trouve en soi aucun penchant ;

Et plus ton amour la dénue,

Plus tout devient indifférent.


Eh, quelle est cette indifférence !

Je n’en connais rien, mon Seigneur :

Je ne veux, désire et ne pense ;

Car tout se perd avec mon cœur.



XXX. Oraison de Contemplation.

AIR : Toute la nuit j’ai la puce à l’oreille.


Vous m’enseignez, ô mon Souverain Maître

À purement vous aimer et connaître

Par le moyen de la simple oraison,

Qui doit bannir notre propre raison.


Dès le matin, sitôt que je m’éveille,

Je vous contemple, ô Beauté sans pareille,

Et je sens bien que possédant mon cœur

Vous l’animez d’une nouvelle ardeur.


Le soir aussi, quand le Soleil se couche,

Dieu de nouveau par ses attraits me touche ;

M’éveillant même au milieu de la nuit,

Pour m’enseigner en secret et sans bruit.


Quand on est pris de la Beauté Suprême,

Plus on connaît, plus on la goûte et l’aime ;

Le cœur rempli ne trouve plus de lieu

Pour contenir autre chose que Dieu.

CXXIX. Perte de l’âme par l’amour.

(D’un Ami de l’Auteur.)

AIR : Les folies d’Espagne.


Ô pur amour achève de détruire

Ce qu’à tes yeux il reste encore de moi :

Divin vouloir, daigne seul me conduire,

Je m’abandonne à son obscure foi.


En quelque état que cet ordre me mette

Les yeux fermés, pleinement j’y consens :

C’est pour lui seul que mon âme fut faite,

C’est à lui seul que j’offre mon encens.


Je ne suis plus désormais à moi-même,

Dieu me possède, et je ne sens que lui ;

L’Éternel en mon cœur vit et s’aime,

Il en arrache et bannit tout appui.


CXXX. Sur le même sujet.

(Réponse.)

AIR : Les folies d’Espagne.


Vous vous croyez sans soutien, sans défense ;

Vous êtes loin du parfait dénuement :

Que vous avez d’appuis et d’assurance !

N’avez-vous plus ni goût, ni sentiment ?


Celui qui sent et voit encore qu’il aime ;

qu’il elt loin de ce terrible rien

Où l’on n’ose se regarder soi-même,

Tant on se voit éloigné de tout bien.


Mais suivons Dieu, ne cherchons point de route,

Contentons-nous de marcher sur ses pas :

S’il veut de nous une entière déroute,

Il le fera ; nous ne le saurons pas.


Amour, amour, si l’on croyait te suivre

On marcherait sans cesse et sûrement :

Mais lorsqu’Amour à l’ennemi nous livre,

Si l’on se perd, c’est éternellement.


Du moins on croit qu’il en va de la sorte,

On ne connaît plus ni sentier ni lieu ;

Et cependant l’âme alors se transporte

Bien loin de soi, s’abîmant en son Dieu.


CXXXII. Abandon de l’Amour pur à la volonté de Dieu.

AIR : Taisez-vous ma musette.


Victime de mon Maître,

Je me livre à ses coups.

Il fallait plutôt disparaître,

Afin d’éviter son courroux ?


Je n’ai plus de prudence,

Je ne discerne rien :

L’abandon à la Providence

Sera désormais mon soutien.


Je sens bien que ma perte

Est sans aucun retour :

L’enfer avec sa bouche ouverte

Ne peut détourner mon amour.


Que si mon Dieu m’abîme

Dans le fond des enfers,

Si mon âme paraît sans crime

Je serai libre dans mes fers.


[…]


Que le monde est à charge !

À qui n’aime que Dieu !

Et que notre cœur est au large

Lorsqu’il n’a plus ni temps , ni lieu !

Lors son lieu c’est Dieu même,

Son temps l’éternité :

Son bien est sa misère extrême ;

Sa faiblesse est sa fermeté.


Volonté toute aimable,

Je n’estime que toi :

Tu seras toujours adorable,

Fais ce que tu voudras de moi.


Le bien ne m’intéresse,

La douleur ne m’abat ;

Je n’ai ni plaisir ni tristesse,

Ni tranquillité ni combat.


‘Dis-moi, qui tu peux être,

« Qui parle ainsi de toi :

‘N’es-tu rien ? Serais-tu peut-être

Un monstre qui remplit d’effroi ?


Je suis un peu de boue,

Un fantôme mouvant, ,

Un fétu dont le vent se joue,

Une ombre fausse, un pur néant.


CLIV. Routes par lesquelles Dieu mène une âme à la vie Apostolique1415.

AIR : Mon cher troupeau.


Vous, dont la Majesté Suprême

Veut bien s’abaisser jusqu’à nous,

Qui commandez que l’on vous aime,

Est-il un précepte plus doux !


Essence pure, indivisible,

Vous abaissez votre grandeur ;

Et par une grâce indicible,

Vous nous logez dans votre cœur.


Sans égard à notre misère,

Vous voulez à nous vous unir :

Nous méritons votre colère ;

Vous récompensez, sans punir


Quand je vois ma bassesse étrange,

Je n’oserais, ô, mon Sauveur,

Chanter l’hymne à votre louange

Faire des vers à votre honneur.


Quoique je sois si peu fidèle,

Malgré mes insignes forfaits,

Je sens que votre amour m’appelle

À publier vos grands bienfaits.


Souvent je me trouve animée,

Par quelque chose de bien doux,

À dire que je fus aimée

Lorsque j’étais bien loin de vous.


Vous me eomblâtes de vos grâces,

Vous me prîtes pour votre enfant,

Lorsque j’étais toute de glace.

Que ce souvenir est touchant !


Vous me prîtes par ma main droite,

Pour me tirer du fond des eaux :

D’une main douce autant qu’adroite

Vous me guérites de mes maux.


Vous me portiez sur vos épaules,

Ô trop admirable Pasteur ;

Et m’instruisant par vos paroles,

Vous sçutes bien gagner mon cœur.


§§§


Après la grâce ainsi reçue,

Dieu me conduisit au désert ;

Il me dépouille et me dénue :

Je ne sais plus si je le sers.


Je l’aimai bien plus que moi-même,

Malgré l’apparente rigueur

Que de sa Justice suprême

Il faisait jaillir sur mon cœur.


Après une longue souffrance,

Il eût de moi quelque pitié ;

Il me fit goûter sa présence,

Et me prit en son amitié.


Depuis cette heureuse journée

Mes travaux sont évanouis

Il ne m’a point abandonnée ;

Mon cœur lui fut toujours soumis.


Alors il me prit en lui-même ;

Je n’éprouvai plus de douceurs :

Je compris que l’Être Suprême

Devoit faire aimer ses rigueurs.


Je ne songeai plus qu’à lui plaire,

Sans me mettre en peine de moi ;

Et ne voulus d’autre salaire

Pour mes maux que l’avoir pour Roi.



Je goûtai lors la paix profonde ;

Je me trouvai sans nuls désirs,

Comme si j’étais seule au monde ;

La douleur faisait mes plaisirs.


Je n’eus plus ni plaisir ni peine ;

Je me reposais dans son soin :

Alors sa bonté souveraine

Voulut bien changer mon destin.


Je veux, dit-il, que pour tes frères

Tu serves d’otage en ce jour,

Sans espérer d’autre salaire

Que leur inspirer mon amour.


Je restai toute abandonnée

Je dis : vous le voulez, Seigneur ;

Comme victime fortunée,

Pour eux j’immole tout mon cœur.


C’est là la fin de toute chose,

Que s’immoler pour le prochain :

Le pur amour en est la cause ;

Et je me livre en votre main.


Je pensais que votre Justice,

Ne m’immolerait que pour moi :

Veut-elle un autre sacrifice,

De mon, amour et de ma foi ?


Elle veut donc que je m’immole,

Non plus pour moi ; mais pour autrui :

Je l’accepte et je me console ;

L’amour deviendra mon appui.


Sans l’amour que pourrai-je faire !

Je ne suis qu’un faible néant :

Il faut souffrir ; il faut me taire,

Et me laisser comme un enfant.



CLXX. Ne regarder que Dieu, et non soi-même :

AIR : Les folies d’Espagne.


Que nous avons besoin de patience,

Non pour autrui, mais pour nous supporter !

Que c’est une merveilleuse science

De savoir de Dieu seul nous contenter !


Ne retournons jamais dessus nous-mêmes,

S’il vient des retours, il faut les souffrir :

Le seul objet qu’on adore, et qu’on aime,

Dois occuper le cœur, le souvenir.


Pour notre bien Dieu se cache à notre âme,

Il laisse les sens comme vagabonds :

Mais en secret, il allume la flamme

Dont pour jamais il veut que nous brûlions.


Je vous connais par une expérience

Que Dieu seul peut verser en notre cœur,

Une secrète et simple intelligence,

Qui ne peut être sujette à l’erreur.


Confiez-vous à la Bonté Suprême,

Sans vous inquiéter de votre état :

Vouloir encor se gouverner soi-même,

Sur l’abandon c’est faire un attentat.


Souvent l’esprit distrait le cœur tranquille,

Marque que l’Esprit Saint est au-dedans ;

La sécheresse est souvent fort utile ;

Mais l’amour-propre est-il jamais content ?


Il veut sentir et voir ce qui s’opère,

Afin de prendre sa part au butin :

Mais Dieu qui veut nous traiter en bon Père,

Dérobe tout à cet œil si malin.


Consolons-nous si nous ne voyons goutte,

Si nous ne discernons point notre amour :

Moins on connaît, plus en secret on goûte ;

Tout dépend de marcher sans nul détour.


Mes chers enfants, lorsque je dis que j’aime,

Ce n’est point moi, ni par mon propre amour :

Dieu dans mon cœur vous accepte lui-même,

Je ne fais qu’adhérer sans nul retour.


Depuis longtemps toute amour est bannie,

Je ne suis plus maîtresse de mon cœur :

Dieu tient mon cœur et mon âme ravie ;

Il en est le principe et le moteur.


Si je suis simple, et qu’on s’en scandalise

Laissez-moi là, regardez le Très-haut :

J’agis avec une extrême sranchise,

Je ne suis pas exempte de défaut.


Dieu seul est saint, sage, juste, immuable ;

Je n’ai que les faiblesses d’un enfant :

Mes faiblesses me sont très-agréables ;

Elles rehaussent ce Dieu tout-puissant.


Oui, sa grandeur éclate en ma bassesse,

Sa vérité paraît en mon néant ;

Mon enfance rehausse sa sagesse,

Mes défauts font voir qu’il est saint et grand.


CLXXI. L’Amour pur, dégagé et secret.

AIR : On n’aime plus dans nos forêts.


TU sais, Seigneur, la vérité,

Si j’ose dire que je t’aime :

Car la divine charité,

Me transportant hors de moi-même,

M’a si bien transformée en toi,

Que je n’ai d’amour ni de moi.


S’il est en mon cœur un amour,

C’est le seul amour dont Dieu s’aime :

Je n’ai plus d’être ni de jour,

Tout est dans son Être Suprême :

Son tout est lumière et ardeur

Et son seul vouloir est mon cœur.


Qui n’a plus ni cœur ni vouloir,

N’a plus en soi de propre flamme :

Car Dieu, par son divin pouvoir,

Ayant en soi transformé l’âme,

S’aime en elle d’une façon

Qui surpasse toute leçon.


Il l’enseigne dans le secret,

Sans lui laisser de connaissance ;

Il est éloquent et discret :

Cette savoureuse science

Ne s’apprend que dans l’unité,

Par la divine charité.


Savoir tout et ne savoir rien,

Est donc mon unique partage :

Adhérant au Souverain Bien,

Toute peine m’est avantage :

Si mon corps a quelque douleur,

Elle n’entre pas dans mon cœur.


Ce cœur demeure indifférent,

Abîmé dans l’Être Suprême ;

Il n’a ni crainte ni tourment :

Tout se perd en celui qui s’aime

Chez moi avec tant de secret,

Que j’ignore ce qu’il y sait.


CLXXX. Abandon sans nul retour sur soi.

AIR : La bergère Nanette.


À Toi je m’abandonne,

Mon souverain Seigneur,

Et de plus je te donne

Et mon âme et mon cœur

Ta divine providence,

Dès mon enfance,

M’a toujours assisté

Avec fidélité.


Je suis dans la vieillesse,

Et dans l’infirmité ;

N’as-tu plus de tendresse

M’aurais-tu rejeté

Envisage ma misère,

Mon divin Père ;

Ne m’abandonne pas

Si proche du trépas.


Ainsi qu’un pauvre aveugle,

Je vais sans savoir où ;

Comme le bœuf je meugle,

Quand il est sous le joug :

Toi qui connais toutes choses,

Cause des causes,

Fais que ta volonté

Règle ma liberté.


Comme la sentinelle

Je t’attends nuit et jour ;

Incessamment je veille,

T’expliquant mon amour ;

Tu me rebutes sans cesse

Et la tristesse

S’empare de mon cœur,

Ainsi que la douleur.


Jadis de l’allégresse

Je goûtais le transport ;

À présent la détresse

Me conduit à la mort :

Je veux ton vouloir suprême ;

Et si je t’aime,

Ce souverain vouloir

Dois régler mon devoir.


“C’est penser à toi-même

« Que de te plaindre ainsi.

“S’il est vrai que tu m’aimes ,

,, D’où vient donc ce souci ?

L’abandon sans défiance

« Est la science

‘Qui doit faire toujours

‘Oublier les retours.


‘Être aimant en peinture,

‘C’est de penser à soi ;

‘Et c’est une imposture

‘De m’appeler son Roi :

‘Quand je règne sur une âme,

‘Que je la calme

‘Ou la trouble, à l’instant

‘Son cœur sera content.


‘Qu’il est peu sur la terre

De fidèles amours ;

‘La paix comme la guerre

Satisfera toujours

Le cœur pur, tendre et fidèle :

‘Jamais cruelle

‘Il ne voit ma rigueur,

‘L’acceptant de bon cœur’.


Je connais, mon cher Maître,

Et sens quel est mon tort :

Je suis et je veux être

À toi jusqu’à la mort :

Ordonne dans ta Justice.

De mon supplice ;

Je recevrai tes coups,

Sans craindre ton courroux.


Que je serais à plaindre,

Si dans mes derniers jours

Il me fallait contraindre

Mon cœur et mes amours l

Qu’on m’estime, ou qu’on me blâme ;

Jamais mon âme

N’ordonnera de soi :

Je suis tout à mon Roi.


CLXXXVIII. Sur le même sujet [État d’enfance spirituelle accompagné de croix].

AIR : Je ne veux de Tirsis.


J’éprouve dans mon fond une division ;

Je suis étrangère à moi-même :

Le dedans est sans action ;

Le dehors est pauvre à l’extrême.


Je trouve que j’agis et parle par ressort ;

C’est une chose inexplicable :

Je ne saurais faire d’effort ;

Et mon cœur est invariable.


On parle, je l’entends ; et je ne conçois pas

Bien souvent ce qu’on me veut dire :

Je parle, et ne m’exprime pas,

Si mon doux amour ne m’inspire.


Chacun sait bande à part ; et je ne connais rien,

Quoique rempli de connaissance

On est soutenu sans soutien,

Ignorant et plein de science.


Mon âme est dans les Cieux, et mon corps sur la croix,

Je m’en trouve toute interdite :

L’un bien haut, l’autre par son poids,

Me rend chaque jour plus petite.


Si je pouvais, Amour, vivre ainsi qu’un enfant,

Je me trouverais bien au large :

Plus mon Maître en moi paraît grand,

Et plus j’aime le badinage.


Hélas ! de toutes parts je ne vois que des grands,

Que quelque homme prudent et sage :

Je ne voudrais que des enfants ;

Tout me remet dans l’esclavage.


Je ne m’arrête à rien ; tout est outrepassé :

Je ne me connais plus moi-même ;

Car l’homme toujours compassé

Me dérobe de ce que j’aime.


Il me faut des égards, on veut de la raison ;

Je suis un enfant à la chaîne :

Prenez de moi compassion,

Et me tirez de cette gêne.


Laissez couler mes jours dans un sacré repos :

Que tout le parler m’importune !

Qu’une prison bien à propos

Comblerait ma bonne fortune !


Être seul enfermé dedans d’obscurs cachots,

Serait un lieu plein de délices :

On serait hors de ces chaos :

Tout redouble ici mes supplices.


Vous le pouvez, Seigneur, m’affranchir à l’instant

Vous êtes maître de ma vie :

Comment peut vivre un pauvre enfant,

Accablé sous la tyrannie.


CXCV. Indifférence à aider aux âmes.

AIR : Je ne veux de Tirsis.


JE suis, je le sais bien, un instrument usé,

Qui ne peut plus rendre service :

Plusieurs l’ont déjà refusé ;

Je trouve qu’ils lui sont justice.


Dieu se sert quand il veut, comme, autant qu’il lui plaît,

D’un instrument qu’il se prépare ;

Et s’en sert selon les sujets :

Il les unit ou les sépare.


Comme on ne peut vouloir qu’il se serve de nous,

On n’est point surpris qu’on nous laisse :

Tous deux sont également doux

Au cœur qui vraiment se délaisse.


Il ne faut donc jamais se gêner un moment :

Qui sert à l’un peut nuire à l’autre :

Il faut en user librement,

Et chercher ailleurs un Apôtre.


Ne nous attachons donc qu’à Dieu, seule vérité ;

Abandonnons la créature :

Mais saisons-le avec équité,

Suivant Dieu, non pas la nature.


CXCVI. Indifférence à tout sous la conduite de Dieu.

AIR : La bergère Nanette.


[…]

Quelquefois on me jette

Comme instrument usé :

Là rien ne m’inquiète,

Et sans être abusé

Je demeure en ma place :

On me fait grâce

De se servir de moi

Pour le plus vil emploi.

[…]

Tout à coup on m’arrête,

On me jette à l’écart ;

Je suis dans la disette,

À rien je ne prends part :

Je suis comme une œuvre morte,

Si l’on m’emporte

Hors de mon logement,

Je n’ai nul mouvement.


Enfin laissant tout faire,

Je ne prends part à rien :

Je sens bien ma misère ;

Et c’est là le seul bien

Que j’aie pour mon partage :

Mon héritage

Est la mort, le néant. ;

Dieu seul est juste et grand.


CXCVII. Plaintes sur le peu de correspondance des bons mêmes.

AIR : Je ne veux de Tirsis.


JE ne puis rien gagner sur l’esprit prévenu ;

Il suit ce qu’il a dans la tête ;

Loin de devenir pauvre et nu,

Pour se soutenir, il s’apprête.


De raisons sur raisons il charge son esprit ;

La foi n’est plus sa sûre guide :

Son esprit devient interdit,

Et son cœur sec et tout aride.


Revenez, mes enfants, revenez à l’amour ;

Et que le froid amant raisonne :

Je ne forme pas un retour ;

Je n’ai d’intérêt pour personne.


Mais Dieu vous a choisis pour vous conduire en foi

Et pour vous remplir de lui-même :

Il voulait être votre Roi,

Vous enseigner l’amour suprême.


Il ne reste chez vous nul lieu pour le loger ;

Il veut pour l’amour un grand vide :

Il faut de tout se dégager ;

Sinon, l’on est lâche et timide.


On ne m’écoute plus ; mon discours est sans fruit :

Vous n’en tenez plus aucun compte.

Tout ce qu’on dit déplaît et nuit ;

Il ne me reste que la honte.


O mon souverain Bien, enlève notre cœur,

Pour le ranger sous ton Empire :

Tous suivent l’esprit séducteur ;

Nul ne veut se laisser instruire.


Ils ne connoissent rien, idolâtres du moi,

Que ce que le moi leur inspire :

C’est là leur véritable Roi ;

Et lui seul sait bien les conduire.


Je ne puis plus souffrir ces grands renversements

Seigneur, ôte-moi de la vie :

Je n’ai vécu que trop longtemps,

Pour voir la vérité bannie.


O mon souverain Bien, ne m’exauces-tu plus ?

Suis-je rejetté pour mes frères ?

Mes soupirs sont-ils superflus ?

Adresse-les à d’autres pères.


Je ne m’en mêle plus ; mon esprit dégagé

Les laissera vivre à leur mode :

Hélas ! que le siècle est changé !

Le pur amour est incommode.


Ils se sont fait un plan de certaines vertus ;

Mais l’on est trop propriétaire :

Ce qu’ils sont ne me touche plus ;

Et j’en secouerai la poussière.



CCII. Douleur de ne voir pas Dieu aimé, et qu’on n’enseigne pas bien à l’aimer.

AIR : Hélas ! Brunette, mes amours.


Que je porte au fond de mon cœur

Une douleur profonde !

Vous n’êtes point aimé, Seigneur,

Presque dans tout le monde.

Mon divin Maître ; mon amour,

Vous serez-vous aimer un jour ?


Les enfants demandent du pain,

Et nul ne leur en donne :

Ils sont près de mourir de faim,

Ils ne trouvent personne :

Mon divin Maître, mon amour,

Donnez-leur en donc quelque jour.


Ah ! si l’on voulait vous aimer,

Sans autre nourriture,

L’amour qui peut seul nous calmer,

Servirait de pâture :

Mais. on n’aime point mon Sauveur ;

C’est ce qui me perce le cœur.


On ne parle jamais d’amour,

Mais bien de la colère

On veut éloigner chaque jour

La tendresse de père.

On ne rend pas parfait amant

Ne parlant que de châtiment.


Notre cœur est fait pour aimer

Beaucoup plus que pour craindre

Cherchant le doux, il fuit l’amer

Et ne peut se contraindre :

Faites donc parler, mon Époux,

Du bonheur d’être tout à vous.


On ne met point à l’hameçon

Du chicotin sauvage :

On n’y prendrait pas un poisson,

L’appas prend davantage :

En ne parlant que de rigueur

On n’attrapera pas un cœur.


CCXVIII. Comment profiter des instruments dont Dieu se sert pour le bien des âmes.

AIR : Taisez-vous ma musette.

[…]

Dieu se sert de l’argile,

II en fait un tuyau ;

On sait que le vase est fragile ;

En boit-on moins pour cela l’eau.

[…]


CCXXXV. Rareté des vrais enfants de Dieu.

AIR : On ne vit plus dans nos forêts.


JE ne vois plus de vrais enfants :

Tous sont faux, chacun se déguise ;

Trop sages, ou trop inconstants,

Un chacun veut vivre à sa guise :

Un petit nombre cependant

Travaille à devenir enfant.


Ô mon cher et divin Époux,

Accorde-moi du moins la grâce,

Avant les abandonner tous,

Que quelqu’un d’entre'eux satisfasse

Les empressements innocents

Que j’ai pour te voir des enfants.


Je m’aperçois de jour en jour,

Qu’on se recherche plus soi-même ;

Qu’on s’éloigne de ton amour ;

Et que c’est vraiment soi qu’on aime :

Un petit nombre cependant

Travaille à devenir enfant.


Ils suivent l’inclination

Dans les conseils qu’ils te demandent,

Croyant, ô Seigneur de Sion,

Te tromper ; et s’ils appréhendent ;

Ce n’est que pour leurs intérêts

Pour ta seule gloire jamais.


On se déguise en cent façons ;

On examine ta parole,

On veut te faire des leçons :

Que leur espérance est frivole !

Un petit nombre cependant

Travaille à devenir enfant.


Tu les feras tromper, Seigneur ,

Puisqu’ils désirent qu’on les trompe ;

Tu seconderas leur erreur :

Si tu veux qu’avec eux je rompe,

Je le ferai dès à présent ;

Mais garde pour toi ton enfant.


Ô quelle aveugle et sotte erreur !

Quitter cette sourre premiere,

Suivant l’égarement du cœur ;

Fermer les yeux à la lumière :

On veut toujours être flatté ;

Je ne vois que la vérité.


Ô vous, qui mettez des coussins,

Pour appui d’un peuple rebelle ;

Qui le flattez en ses desseins ;

Qui, d’une amitié mutuelle,

Cherchez votre propre intérêt,

Et n’aimez que ce qui vous plaît.


Je viens, dit le Dieu tout-puissant,

Et j’arracherai cette vigne ;

Je chercherai quelqu’autre plant

Plus reconnaissant, moins indigne :

Je me donnerai des enfants,

Simples, et purs, obéissants.


Ah ! Seigneur, qu’est-ce que je vois,

Cette belle vigne au pillage !

J’en suis presque transi d’effroi :

Elle est comme un terroir sauvage ;

Ses raisins en sont détachés,

Et tous ses pampres arrachés.


Quel est ton orgueil cependant,

Vieux pampre, tu te dis sa vigne,

Quoique sous le pied du passant ?

Ô que ta folie est insigne,

De ne voir pas que le Seigneur.

T’a rendue un objet d’horreur !


C’est où le hibou sait son nid ;

Tu sers aux renards de tanières ;

Là le serpent à petit bruit

Se glisse et cache entre tes pierres ;

Tes murs dans leurs renversements

Servent d’asile aux chats-huants.


Confuse, et dedans la douleur,

Pour une chose si funeste,

Je pleure aux pieds de mon Seigneur :

Je m’en vais rassembler le reste,

M’a-t-il dit, et de ce débris

Il me sortira d’autres fils.


Ne pleurez plus à l’avenir

Le débris d’une vigne ingrate ;

Bientôt je viendrai le bénir :

Il faut que mon courroux éclate

Avant ce rétablissement,

Qui doit venir incessamment.


CCXLII. L’amour-propre sera détruit.

AIR : Les folies d’Espagne.


J’ai fait autrefois un étrange songe,

Qui me parut être la vérité :

je n’y vis point les lignes du mensonge,

Ni d’autres songes la vanité.


Je vis un serpent sans queue et sans tête

Qu’on portais ainsi qu’en procession ;

Une foule, comme en un jour de fête,

Le suivait avec admiration..


Je dis alors, d’où vient que tout le monde

Suit à l’envi ce monstre qui sait peur ?

D’où vient cette extravagance profonde ?

Ont-ils perdu l’esprit avec le cœur ?


Lors on me dit : ce serpent admirable,

Qui paraît sans tête et sans mouvement,

Nous fait à tous une plaie incurable,

Et plus de mal que les autres serpents.


Nous admirons et suivons ce prodige :

Sa puissance surpasse le pouvoir

De ces anciens serpents dont le prestige

De leurs maîtres désignait le vouloir.


Couvert d’un dais avec magnificence,

Je le voyais conduire en divers lieux ;

Où les peuples redoutant sa puissance,

Se soumettaient à lui comme à des Dieux.


Me retournant j’aperçus mon cher Maître,

Que l’on portait abandonné de tous :

Nous étions une douzaine peut-être

Qui le suivions d’un cœur triste et jaloux.


Je lui dis : Hélas, Auteur de la vie,

On suit celui qui donne à tous la mort ;

La nation sous ses loix asservie,

Le suit avec joie et sans nul effort :


On ne veut point vivre sous ton Empire ;

On s’assujettit à ton ennemi !

Et ce qui me paraît encor le pire,

On tâche, hélas, d’augmenter son crédit !


On te délaisse ô Monarque Suprême !

C’est là ce qui m’afflige au dernier point :

Je vois ce mal comme un malheur extrême ;

D’y remédier inutile est le soin.


J’ai bien connu mon songe véritable ;

Cela ne paraît que trop à présent :

Ce petit nombre d’amis qu’on accable,

sait voir le grand crédit de ce serpent :


Ô pur amour un chacun te méprise !

C’est l’amour-propre qui règne aujourd’hui ;

Cet amour-propre que chacun déguise

Du nom de réforme, et de bel esprit.


Hélas ! Seigneur, gardes-tu ta vengeance

Pour tes enfants, ou pour tes serviteurs !

Pour les pécheurs quelle est ta patience !

Tu laisses vivre en paix ces séducteurs.


Sitôt que tes enfants font quelques fautes,

Tu les punis avec sévérité ;

Tu les jettes, de ton sein tu les ôtes,

Pour châtier la moindre impureté.


« Je punis mes enfants ; car je les aime :

« Pour les autres, j’attends à les punir ;

« Je veux voir s’ils rentreront en eux-mêmes,

« Gardant le châtiment pour l’avenir.


,, Adore, adore en secret ma Sagesse ;

“Et me bénit, loin de t’en affliger :

“Bientôt, bientôt elle sera maîtresse,

“Bientôt on verra l’Univers changer”.


Tu dis toujours, mon cher Maître, de même

Bientôt, bientôt ; je ne vois rien venir :

Ah ! ma fille, ton audace est extrême,

“Sans ton amour je saurais t’en punir.

“Demeure en paix, j’aurai soin de ma gloire

“On verra bientôt dans tout l’Univers

“Mon jugement triompher en victoire,

“Mon nom loué dans mille endroits divers.

TOME III

XXXIII. L’abandon fait le bonheur de l’âme.

AIR : Je ne veux de Tirsis.


UN cœur abandonné se trouve trop heureux ;

Rien ne l’étonne ou l’embarrasse :

Ne voulant que ce que Dieu veut,

Partout il se trouve à sa place.


Il est toujours content, ne s’afflige de rien,

Si Dieu ne l’afflige lui-même :

Ce que Dieu fait est tout son bien ;

Son bonheur est en ce qu’il aime.


O divin abandon, délices de mon cœur,

Tu sais le bonheur de la vie :

Malgré la plus vive douleur,

L’abandon à tout remédie.


Persécuté de tous il se trouve content :

La pauvreté, la maladie

Ne le trouble pas un instant ;

Il se rit de la calomnie.


Quoiqu’on l’accuse à tort, il vit tranquillement ;

Ne songeant point à se défendre :

Il est toujours également

Abandonné, fidèle et tendre.


Qu’on l’accable de maux, qu’on le mette en prison,

Qu’on le traite comme un infâme ;

Il a recours à l’abandon,

Et trouve la paix de son âme.


Qu’on lance contre lui tous les traits des méchans

Trempés dans le ciel de, l’envie ;

Ses amours sont toujours constants

Son bien est d’y perdre la vie.


L’abandon et l’amour ne se quittent jamais ;

Ils vont tous deux de compagnie :

Ils n’ont que le même intérêt :

Tous deux tiennent l’âme ravie.


Qui sait s’abandonner, sait aussi bien aimer ;

Lorsqu’on aime, l’on s’abandonne :

Ô Dieu, peut-on vous estimer,

Et craindre encor pour sa personne !


C’est la marque d’amour, mettre son intérêt

Aux mains de la personne aimée :

Dieu sera donc ce qu’il lui plaît ;

À tout je suis abandonnée.


Pouvoir penser à soi après s’être donné,

Est la marque qu’on n’aime guère :

Le véritable abandonné

De soi ne se fait nulle affaire.


Il ne saurait penser qu’à l’intérêt de Dieu,

Il ne se connaît plus soi-même :

Il ne discerne plus son feu ;

Il est perdu dans ce qu’il aime.


Lorsqu’on est bien perdu, l’on ne se trouve plus

Dieu vit en l’âme, et l’environne :

Poussé de son flux et reflux, Aux flots d’amour on s’abandonne.


Ne me demandez pas qui m’a conduit ici ;

Tâchez vous-même de l’apprendre :

Vivez d’abandon sans souci ;

Et Dieu vous le fera comprendre.


XL. Amour pur pour Dieu et pour le prochain.

AIR : La jeune Iris.


L’âme qui se perd en celui qu’elle aime,

À sûrement l’amour sans intérêt :

N’en prenant plus aucun pour elle-même,

Elle prononce avec Dieu ses arrêts.


Toujours de son parti contre elle-même

Toujours soumise à son divin vouloir,

Elle adore en tout le Pouvoir Suprême

En quelque façon qu’il se fasse voir.


Le pur amour n’a d’yeux que pour se plaire

En ce sublime et souverain Objet ;

Il ne voit rien qui peut le satisfaire,

Son cœur ne s’arrêtant en nul sujet.


Dieu seul est grand, saint, adorable, immense ;

Tout le reste est trop indigne de lui :

Il est pour Dieu dans l’humble dépendance ;

Surpassant tout, Dieu seul est son appui.


Tout rempli d’un orgueil plein de noblesse,

Rien moins que Dieu ne peut le contenter :

Son goût a pris tant de délicatesse,

Qu’il ose tout le reste mépriser.


Qui peut aimer encor la créature,

Si ce n’est Dieu qui le veut, qui le sait,

Séduit qu’il est par l’ombre et l’imposture,

Ne peut avoir aucun désir parfait.


Dieu fait des unions simples et pures,

Qui sont en lui en parfaite unité,

Et qui n’ayant plus rien de la nature,

Ont pour lien la parfaite charité.


On s’aime en Dieu d’une certaine sorte,

Que l’absence, bien loin de désunir,

Rends l’union et l’amitié plus forte,

Toute simple, exempte de souvenir.


Car ce n’est rien que la pensée inspire ;

Ces âmes sont un en leur Créateur :

Ce que l’un veut, cet autre le désire ;

Car Dieu du même vouloir est l’auteur.

LIV. Heureux néant.

AIR nouveau.


LA paix et la solitude

sont le plaisir de mon cœur :

Que je hais l’inquiétude,

La vivacité, l’ardeur !

Ô le grand bien,

De n’être, et ne vouloir rien !


On veut être quelque chose

Dans le monde, ou près de Dieu ;

Mais le cœur qui se repose,

Dans le rien trouve son lieu.,

Ô le grand bien,

De n’être, et ne vouloir rien !


On s’intrigue, on se tourmente,

Sans se reposer jamais ;

Ce qui rend rame inconslante,

Et lui dérobe sa paix.

Ô le grand bien,

De n’être, et ne vouloir rien !


On nourrit sa propre vie

Dans le soin, empressement ;

Et l’on perd bientôt l’envie

D’aimer son Dieu purement.

le grand bien,

De n’être, et ne vouloir rien !


L’âme qui rien ne désire,

Ne saurait faire de choix :

L’agir lui devient martyre,

Et le repos est son poids.

Ô le grand bien,

De n’être, et ne vouloir rien !


Tout ainsi qu’une girouette,

Son pivot sans mouvement,

Se meut comme on le souhaite

Par le moindre coup de vent.

Ô le grand bien,

De n’être, et ne vouloir rien !


Ainsi l’âme reposée

Sur les bras de son Amant,

Par lui se trouve poussée,

Sans aucun retardement.

Ô le grand bien,

De n’être, et ne vouloir rien !


Ce repos plein de sagesse

En Dieu toujours agissant,

N’inspire que petitesse

C’est lui qui nous rend enfants.

Ô le grand bien,

De n’être, et ne vouloir rien !


Le mépris ou la louange

N’ont nul pouvoir sur son cœur,

Qu’on le prenne pour un Ange,

Ou pour l’esprit séducteur.

O le grand bien.,

De n’être, et ne vouloir rien !


Ô rien, qu’on ne peut atteindre

Sans mourir à tout moment,

On ne saurait te contraindre

Par caresse ou par tourment.

Ô le grand bien,

De n’être, et ne vouloir rien !


C’est en Dieu qu’on te possède ;

Dieu s’écoule en notre rien :

De tous les maux le remède,

De tous biens le plus grand bien.

O Rien heureux,

De toi je suis amoureux !


LXVIII. Routes adorables au divin Amour.

AIR : Ce n’est point par effort qu’on aime : ou, J’entends partout le bruit des armes.


CE n’est point par effort qu’on aime

L’Amour est jaloux de ses droits ;

Il ne dépend que de lui-même,

On ne l’obtient que par son choix :

Tout reconnaît sa loi suprême,

Lui seul ne connaît point de loix.


C’est lui qui rend l’âme parfaite :

Lorsqu’il commande en souverain,

Il met en nous ce qu’il souhaite

Et nous protège de sa main :

Il commence par la défaite

De ce qui nous reste d’humain.


Après il change de manière ;

Il nous arrache tout appui ;

Il cache sa grâce première,

Et nous fait courir après lui :

Étant au bout de la carrière,

Il laisse celui qui le suit.


On sent alors que l’on s’égare,

On ne sait à qui recourir ;

Et plus notre âme se prépare,

Plus elle s’efforce à courir :

Par une conduite assez rare

Elle n’en peut rien obtenir.


Il faut enfin qu’elle abandonne

Son marcher pour un doux repos ;

Lorsqu’elle ne voit plus personne,

L’Amour revient sort à propos ;

Mais nouvelle forme il lui donne,

Lui tenant de nouveaux propos.


,, Il faut à présent que tu meures”,

Lui dit-il, d’un air de courroux :

,, Depuis le thème que tu demeures

,, Dans ce repos tranquille et doux,

,, Tu n’as pas changé de demeure ;

,, Et tu crois joindre ton Époux » !


J’ai couru de toute ma force,

Espérant de l’atteindre un jour :

Son amour me servait d’amorce ;

Mais il rebutoit mon amour :

Il faisait avec moi divorce,

Lorsque plus je faisais ma cour.


,, Je veux à présent que tu cesses

,, De courir et de me chercher :

,, Tu n’as qu’une fausse tendresse,

,, Tu ne sais pas encor marcher :

,, Ne songe plus à mes caresses,

,, Pour toi je deviendrai rocher ».


O Qu’il m’a bien tenu parole !

Ma douleur, mon gémissement

N’ont été que plainte frivole,

Sans que son œil un seul moment

D’un de ses regards me console ;

Il se moque de mon tourment.


Ne vois-tu pas, pauvre abusée,

Que tu conserves ton vouloir ?

Tu voudrais être regardée ;

Et l’Amour, ne te veut pas voir :

Tu veux régler ta destinée ;

Ah, c’est usurper son pouvoir.


Demeure-donc anéantie

Sous la main puissante d’Amour,

Ne sois jamais assez hardie

D’espérer de voir un retour,

Sois morte, simple assujettie ;

C’est par là qu’on lui fait sa cour.

LXXI. Veiller à Dieu de cœur pendant la nuit.

AIR : Je ne veux de Tirsis.


LE sommeil s’est enfin éloigné de mes yeux ;

Et je n’en sens aucune peine :

Mon cœur n’en est que plus heureux ;

Il est libre, et rien ne le gêne.


Il peut là sans témoin s’unir arec son Dieu :

Ce silence de la Nature

Sert et lui donne plus de lieu

Pour exhaler sa flamme pure.


Interrompu le jour en cent mille façons,

On est en proie aux créatures :

Il faut suivre leurs passions,

Être témoin de leurs murmures.


La nuit dans le secret, on contemple sans bruit

Cette Beauté simple éternelle :

Là nul n’interrompt ni ne nuit ;

C’est là qu’amour se renouvelle.


[…]


Vous le chantiez David : (a)1416 La nuit est ma clarté

Dedans mes plus grandes délices.

À qui sait cette vérité,

Les jours deviennent des supplices.


Aimons, aimons, aimons, et laissons le sommeil

Pour qui n’aime rien que soi-même

On craint l’approche du Soleil

Quand véritablement on aime.


CXVII. État d’une âme anéantie.

R É P O N S E [à un ami]

AIR : Les folies d’Espagne.


Celui qui peut se dépeindre soi-même,

S’il encor loin d’avoir perdu son cœur :

Le mien n’est plus, et s’il est vrai qu’il aime

C’est de l’amour même de son Vainqueur.


En lui perdu, je ne vois plus de trace,

Il n’est pour moi de sommet escarpé :

Je vais toujours sans savoir où je passe,

Et suis bien haut sans que j’aie grimpé.


Je ne vois plus, Seigneur, des précipices

Depuis qu’Amour en m’abîmant en vous,

Me dit ; Suis-moi, il faut que tu périsses

Sans espérer un regard de l’Époux.


Lors je lui dis : Que veux-tu que je fasse ?

Détruis, abîme, arrache-moi de moi :

Je veux, Amour, que tu te satisfasses ;

Je ne connais plus ni règle ni loi.


En me montrant un sentier tu te caches ;

En te suivant je m’égare toujours :

Tu me conduis sans vouloir que je sache

D’aucun chemin réglé suivre le cours.


C’est peu, dit-il, que n’avoir plus de vie,

Et de quitter pour moi ce toi si cher :.

Je veux si loin porter ma jalousie,

Qu’en me perdant tu n’oses me chercher.


Je veux de plus, qu’ignorant si je t’aime

Tu n’oses pas songer à le savoir :

Il faut qu’en toi je m’aime seul moi-même,

M’y contemplant sans te le laisser voir.


Depuis ce temps je me trouve sans vie,

Je ne vois plus en moi de propre amour

Dieu tient mon âme en soi-même ravie,

Sans me laisser sur moi faire un retour.


Je ne connais ni la mort ni la vie ;

Dieu vit en moi, et je vis en mon Dieu

Pour tous plaisirs mon âme est assoupie ;

Il n’est pour moi ni loi, ni temps, ni lieu.


Sans rien savoir, il n’est rien que j’ignore ;

Sans rien avoir, je ne manque de rien ;

Sans rien aimer, nul tourment je n’abhorre ;

En voulant tout, je ne veux aucun bien.


Plus que la mer mon cœur se trouve immense ;

Rien d’ici bas ne le saurait borner :

Dieu verse en lui sa divine science ;

Ferme et constant qui pourrait l’ébranler !


CLIX. L’amour vigoureux aime la Justice et ses rigueurs.

AIR : Je ne veux de Tirsis.


[…]

Je disais quelquefois : Amour, les jeunes cœurs

Semblent vous plaire davantage :

Vous leur réservez les douceurs,

Et pour le vieil amant la charge.


Après quelques momens j’ai connu ton secret

J’ai vu que la pure caresse

C’est de traiter comme il te plaît

L’homme soumis à ta Sagesse.


La Justice est pour lui ; la douceur pour tous ceux

Qui ne sont pas sous ton empire :

S’ils ne goûtaient le savoureux,

Ils suivraient ce qui les attire.


Pour le fidèle amant, il adore tes coups :

Il t’aime si sort pour toi-même

Que de ta main tout paraît doux

À son cœur ; car vraiment il t’aime.


Amour, disais-je un jour, vois quels maux tu me fais ;

N’as-tu point pitié de mes peines ?

Sont-ce les biens que tu promets,

Que les rigueurs plus inhumaines ?

[…]


CLXI. L’amour purifiant le cœur.

AIR : Les folies d’Espagne.


[…]

Si nous souffrons c’est notre résistance ;

L’amour pur est doux, il est bienfaisant :

Mais il veut une entière obéissance,

Sans écouter la raison ni les sens.


CLXIV. L’amour est à soi-même sa récompense. Que le règne de Jésus-Christ s’étendra.

AIR : Les folies d’Espagne.

L’AMOUR ne veut point d’autre récompense

Que l’amour même ; il sait seul son bonheur

Ah ! que pour lui la plus rude souffrance,

Est un grand bien qui satisfait le cœur !


Qui veut avec l’amour quelque autre chose,

Ne connut jamais ce que vaut l’amour :

Je veux qu’en tout temps de moi tu disposes,

Divin Amour, sans faire aucun retour.


Si je me regardais encore moi-même

En t’aimant, je me reconnais menteur :

Je suis si fort à cet Amour suprême,

Que je n’aperçois plus en moi de cœur.


Tout est passé dans l’Amour immuable ;

Si je subsiste, ah ! je n’en connais rien ;

Il me paraît uniquement aimable,

Le Tout Immense et le Souverain Bien.


Divin Amour, je m’immole à ta gloire ;

Chacun en te cherchant ne veut que soi :

Quand te verrai-je une entière victoire ?

Quand seras-tu le véritable Roi ?


Tu me promis autrefois que ton Régne

S’étendrait bientôt en tout l’Univers :

Je vois au contraire qu’on te dédaigne,

Qu’on a de toi des sentiments divers.


Détruis, détruit ces amateurs d’eux-mêmes ;

Ce sont eux qui triomphent à présent

Je ne vois point, ô Majesté Suprême ,

Qu’aucun t’aime que les petits Ensans.


Rends-nous petits, simples, qu’en innocence

Nous vivions en proclamant tes grandeurs :

Tu n’es loué, Seigneur, que par l’Enfance ;

Et des enfants tu possèdes les cœurs.


Que les Grands leur sont une horrible guerre ;

Ils voudraient bien les faire tous périr :

Ils les extermineront sur la terre,

Si tu ne viens, Amour, les secourir.


,, Je les rassemblerai, mais pour ma gloire,

« Ouoiqu'épandus en mille endroits divers :

,, N’étant qu’un cœur, j’ai sur eux la victoire ;

“Mon Esprit remplira tout l’Univers.


,, Oui ma promesse est toujours infaillible ;

,, Les hommes en ignorent le moment :

Sitôt que je veux tout m’étant possible,

« Qui peut se plaindre du retardement ?


,, Mille ans ne sont qu’un jour en ma présence :

Les siècles devant moi sont un instant :

« Attends, attends-moi donc en patience ;

,, Tout s’accomplit dans l’éternel moment.


L’homme empressé voudrait que ma promesse

« S’accomplit aussitôt que j’ai promis ;

,, Mais il est des loix selon ma Sagesse

Qu’on ne connaît que quand on est soumis.


« Je promis pour Abraham l’héritage

Qu’il ne posséda qu’en ses descendants :

» Lorsque je sais de mes dons le partage,

‘On me doit croire, et non régler les temps.


« Il te suffit de savoir que mon Règne

‘S’avance, lorsqu’on s’y veut opposer :

C’est ce qu’il faut à présent qu’on enseigne ;

‘L’attendre en paix, sur moi se reposer.


CLXIX. Entière dépendance de l’Esprit divin.

AIR : Quoi, vous m’abandonnez Silvie !


JE ne sais comme tout se passe

Mais je sens un esprit fort au-dessus du mien,

Qui l’élève souvent, et souvent le terrasse ;

Il se tait quelquefois, d’autre il parle assez bien.


Souvent je ne suis qu’une bête ;

Et je connais alors que cet Esprit divin

Anime plus le cœur, que l’esprit ou la tête :

Comme tout vient de lui, je n’en suis pas plus vain.


Sans lui je ne suis qu’une souche.

S’il n’anime en secret mon cœur, mon sentiment ;

Je ne suis point touché si sa main ne me touche :

Que je serais sans lui lâche et perfide amant !


Puisque je lui dois toute chose,

Comment pourrai-je donc me prévaloir de rien ?

Je le vois dans mon cœur comme l’unique cause

De tout ce que je pense, ou dis, ou fais de bien.


Seigneur, qui règle ainsi mon âme,

Et dont la volonté fait ma peine ou mon bien,

Que mon cœur est heureux de brûler de ta flamme ;

Et qu’il se trouve riche en ne possédant rien !


De tout ce qu’on voit dans le monde,

Rien ne demeurera que l’amoureuse loi,

Que grava dans nos cœurs ta Sagesse prosonde,

Puisqu’on perd même aux Cieux l’espérance et la foi.


Divin Amour qui me commande,

Gouverne-moi toujours, ne me quitte jamais :

Toi seul est le trésor que mon âme demande,

Et le but souverain où tendent mes souhaits.


Si tu me guides en ma vie,

Si tu me suis toujours par tout en tous les lieux ;

En Dieu par ton moyen mon âme étant ravie,

Passerait avec toi d’ici-bas jusqu’aux Cieux.



CLXXIV. Communications de Dieu à l’âme amante et des âmes pures à d’autres1417.

AIR : Je ne veux de Tirsis.


DIEU tout saint et tout pur est communicatif,

Il veut se verser dans nos âmes :

Si notre cœur était passif,

Nous goûterions ses douces flammes.


Il a, ce Dieu d’amour, bien plus d’empressement

De nous communiquer son être,

Que nous n’avons de sentiment

Des bontés de ce divin Maître.


Nous créant il a mis au milieu de nos cœurs,

Une capacité passive,

Propre à recevoir ses saveurs

Avec une grâce unitive.


Sitôt que notre cœur est vide entièrement,

Il s’y communique lui-même ;

Et le fait très abondamment :

Son amour pour nous est extrême.


Il est grand, riche, saint, immense, glorieux ;

Il se donne avec abondance :

Quand notre cœur est amoureux,

Il est aussi sans résistance.


Alors ce Dieu d’amour s’y verse tout entier ;

Non content des grâces insignes

Il donne de communiquer

À d’autres lorsqu’ils en sont dignes.


L’âme éprouvant en soi le don, le donateur,

Sent un penchant de se répandre ;

Il semble que ce pauvre cœur

Pour tout donner veuille se rendre.


Elle ne pense point à retenir les dons ;

Les partageant à tous ses frères

Elle trouve Dieu dans son fond,

Qui lui verse amour et lumière.


Il le faut avouer, la céleste onction

Est si simple, calme et paisible,

Qu’elle n’a pas d’émotion,

Qui la rende trop perceptible.


Celui qui la reçoit, croit ne rien recevoir

Lorsqu’elle est si pure et tranquille :

Car il ne peut l’apercevoir,

Mais il se trouve plus docile.


On la connaît bien mieux par ses divers effets :

Elle rend nos vouloirs pliables,

Nous donne des désirs parfaits,

Enfin nous perd dans l’immuable.


Quand nous sommes perdus dans la dernière fin,

Nul vouloir ne paraît en l’homme ;

Il n’est ni penchant ni dessein ;

L’amour pur en lui nous transforme.


C’est alors que l’amour se répand tout entier,

Qu’il ravit et transporte l’âme :

On ne trouve plus de sentier ;

Tout est devenu pure flamme.

(a)1418 Le commencement est l’attrait, la motion :

Tout doit continuer de même ;

Jusqu’à ce que par l’union

Dieu nous change en l’Être Suprême.

CLXXV. Union en Dieu avec une âme choisie.

AIR : Profitons des plaisirs, bergère.


DIEU maître de nos destinées

Vous a mené jusques chez moi,

Âme prédestinée

Pour l’amour et la foi !

Ne soyez point bornée,

Laissez agir mon Roi.


Il veut que votre cœur sans cesse

Reçoive son Esprit du mien,

Et que la petitesse

Soit votre seul soutien,

Le néant, la faiblesse

L’amour pur et le rien.


Si nos cœurs sont unis ensemble,

Ainsi que Dieu me l’a fait voir,

Il faut qu’ils se ressemblent

N’ayant plus qu’un vouloir :

Lors nous serons le temple

Bâti par son pouvoir.


Il doit détruire notre ouvrage,

Afin de mieux le rebâtir.

On croit que c’est dommage

En le voyant périr :

Mais c’est notre avantage,

Nous devons l’en bénir.


Je vois quantité de matières

Pour rétablir son bâtiment ;

Les chrétiens sont les pierres,

L’amour est l’ornement,

Et nos humbles prières

Serviront de ciment.


CLXXX. L’âme Apostolique sans espérance ni crainte.

AIR : L’éclat de vos vertus.


MON Dieu ne me permet d’espérer ni de craindre ;

Mon sort et mon esprit sont si forts en sa main,

Que je ne serais pas à plaindre,

Quand je devrais mourir demain.


Ah ! si je ne vois rien flattant mon espérance,

Je ne puis, mon Seigneur, rien craindre cependant :

Que mon Dieu penche la balance ;

Mon cœur sera toujours content.


Accablé de ses maux il est dans l’équilibre ;

L’amour, le seul amour, en fait le contrepoids :

Il est si parfaitement libre,

Qu’il ne saurait faire aucun choix.


Je suis aux mains de Dieu pour la mort ou la vie ;

C’est à lui de régler dans son vouloir mon sort :

Je ne trouve chez moi d’envie

Soit pour la vie ou pour la mort.


Si j’aime mes enfants, je ne sens point d’attache

Qui puisse m’obliger de désirer le jour :

La mort qui jamais ne me fâche,

N’ôte rien d’un fidèle amour.


Je les porte avec moi dans le sein de mon Père,

En mourant je ne veux pas les abandonner ;

Et Dieu m’en ayant fait la mère,

C’est à moi de les lui donner.


CLXXXII. Correspondre à Dieu par la petitesse.

AIR : On n’aime plus dans nos forêts.


Ô Dieu que j’aime uniquement,

Souverain Auteur de ma flamme !

Si tu m’unis ce cher enfant,

Ah ! rends le propre pour mon âme :

Qu’il n’ait plus d’autre volonté

Que de se perdre en ta bonté.


Je trouve quelquefois son cœur ;

Une douce correspondance

L’unit à nous, ô mon Seigneur !

Et d’autrefois sa résistance

L’empêche de se perdre en toi ;

Il conserve encore son moi.


On ne comprend point, mon Époux !

Où doit aller la petitesse :

Il faut que tout périsse en nous,

Pour y recevoir ta Sagesse ;

Car tu bâtis sur nos débris :

Ton ouvrage n’a point de prix.


Mais on veut toujours travailler ;

Chacun veut être quelque chose :

Le Maître voudrait nous tailler ;

De tout on veut être la cause.

Nous ne résistons au Seigneur,

Que pour posséder notre cœur.


Il faut pourtant le lui donner,

Et vouloir bien qu’il en dispose ;

Nous devons tout abandonner

À ce Dieu notre unique cause,

Nous soumettant à son pouvoir,

Perdre à jamais notre vouloir.


Mais nous ne serons jamais rien,

Que par l’Amour, la petitesse

Hors là ne cherchons aucun bien,

Aimons jusqu’à notre bassesse ;

Afin que Dieu soit saint en nous,

Qu’il soit grand, juste autant que doux.



CLXXXVI. Ne point s’attacher à l’instrument de Dieu ; mais à Dieu qui y est tout.

AIR : Les folies d’Espagne.


[…]

Si Dieu t’unit à quelque âme fidèle,

Pour te perdre promptement en son cœur ;

Elle n’a garde de prendre pour elle

Ce qui n’est dû qu’à Dieu son Créateur.


Si tu lui témoignes de la tendresse ;

Renvoyant tout à ce sublime Objet

Elle s’enfonce dans sa petitesse ;

Pour Dieu le grand ; et pour elle l’abject.


Elle ne voit que Dieu seul en son âme ;

Ce qu’on lui dit, ne saurait la toucher :

Elle s’élance en Dieu comme la flamme,

Où rien d’humain ne saurait l’approcher.


Dieu vit, agit, dispose tout en elle ;

Sans s’ébranler elle reste en son rien :

Son cœur vers son Amour toujours fidèle

Ne saurait s’attribuer aucun bien.


Néant heureux, il demeure en sa place ;

Rien ne peut plus l’atteindre et l’ébranler ;

Néant d’amour, de vérité, de grâce ;

D’autant plus rien qu’il ne peut s’élever !

[…]


CLXXXVII. Croix de la vie Apostolique.

AIR : Les folies d’Espagne.


JE suis à vous dès ma plus tendre enfance :

Vous m’avez conduit comme par la main :

Je vous suivais, et mon obéissance

Attirait encor le secours divin.


Je ne cherchais dès lors que votre gloire :

Elle fit seule en tout temps mon bonheur.

M’avez-vous donc banni de la mémoire,

Et votre amour n’est-il plus dans mon cœur ?


Vous rendîtes ma parole efficace, 1

Elle pénétrait l’intime du cœur ;

Elle ne trouve à présent plus de place :

On lui ferme la porte avec rigueur.


J’admire, ô Dieu ! sans le pouvoir comprendre,

Combien l’homme a de peine à se quitter :

De son esprit il ne peut se déprendre ;

C’est ce qui l’oblige à te rebuter.


Le Démon lui donne certaine idée

Sans la combattre il s’y laisse entraîner,

Et lorsque son âme en est possédée,

il ne veut que s’en laisser dominer.


O pur amour, ô divine Sagesse !

Vous atteignez de l’un à l’autre bout :

Convertissez cette force en faiblesse ;

Et que ce rien rende gloire à son Tout.


Hélas ! que je souffre dans ma vieillesse

De ne point trouver de ces cœurs soumis

Tous enivrés de leur fausse sagesse

Me regardent comme leurs ennemis.


Souvent mon âme est pleine d’amertume ;

Vous êtes seul témoin de ma douleur

Cette douleur toutefois me consume ;

Le mal est moins à mon corps qu’à mon cœur.

CXCI. Se sacrifier pour le prochain.

AIR : Rochers, vous êtes sourds.


JE veux bien, mon Seigneur, pour eux être anathème

Frappe, n’épargne pas, je me livre à tes coups :

Fais tomber sur moi seul le poids de ton courroux ;

Tout me fera plaisir, pourvu que leur cœur t’aime.


Mais il faut pour t’aimer renoncer à soi-même ;

Il faut, sans soin de soi, s’abandonner au sort,

Et même se livrer au néant, à la mort :

L’homme à se renoncer souffre une peine extrême.


Il veut à tout moment sentir ce qui se passe,

Regarder son chemin, craint de s’abandonner ;

Ignorant ton pouvoir, il tâche à le borner ;

Et se mêler de soi par un excès d’audace.


Ô, qu’on en trouve peu qui se laissent conduire !

Mesurant chaque état sur la propre raison,

Ils s’éloignent toujours du parfait abandon,

Et méprisent la voix qui voudrait les instruire.


Reçois, ô mon Seigneur, cet humble sacrifice

Que je sais chaque jour en faveur de leur soi :

Quoiqu’indigne je m’offre, ô mon Dieu, reçois-moi ;

Je veux bien tout souffrir, si tu leur es propice.


Je souffre chaque jour de mortelles atteintes,

Indigne de t’aimer, indigne de souffrir :

Oubliant mes forfaits, daigne te souvenir

Que ce n’est point pour moi que je te fais ces plaintes.


Laisse-moi, je le veux ; comble-les de ta grâce ;

Sauve-les, je consens à mon sort rigoureux ;

S’ils t’aiment, je ne puis me croire malheureux :

Ma requête, Seigneur, est humble et sans audace.


Chacun me blâmerait s’il voyait ma misère,

M’accuserait d’orgueil de parler pour autrui :

Qu’il laisse ses enfants et qu’il parle pour lui ;

Quoique manquant de tout je ne le saurais faire.


J’appartiens à mon Dieu, je veux ce qu’il ordonne ;

Je n’ai plus rien à voir sur mon propre intérêt :

Depuis longtemps je veux et sais ce qu’il lui plaît ;

Pour autrui m’oubliant, à tout je m’abandonne.



CXCIII ; Souffrances d’une âme Apostolique pour ses enfants spirituels.

AIR : Je ne veux de Tirsis.


TORRENT impétueux arrête ici ton cours,

Suspends tes ondes mutinées

Pour écouter le long discours

De mes terribles destinées.


Hélas ! j’étais à Dieu dès mes plus jeunes ans,

J’ai vécu sous son doux empire ;

Sans écouter mes sentiments

J’aimais le plus cruel martyre :


Consumée en l’amour, je ne m'attendais pas

Qu’il fallut souffrir pour mon frère

Un mal plus dur que le trépas :

Est-ce à ce prix que je suis mère !


Faut-il enfin mourir de ces terribles coups ?

S’il ne m’en coûtait que la vie,

Vous savez, mon divin Époux,

Que mon âme en serait ravie.


Je connais sûrement qu’on s’éloigne de vous,

S’éloignant de ce cœur fidèle

Que vous donnez pour rendez-vous

À ceux que votre amour appelle.


Mon cœur est déchiré de cent mille façons ;

Sans cesse il reçoit des blessures :

Si l’on ne reçoit vos leçons,

Il souffre cent mille tortures,


Et c’est-à-dire là le tourment dont je me plains ici,

Torrens, rochers, antre sauvage ,

Vous qui partagez mon souci,

Et qui comprenez mon langage,


Les murmures secrets que j’entends près de moi,

Me sont des marques très certaines,

Que vous avez bien plus de soi

Que ces chers auteurs de mes peines.


Touchés de mes ennuis, touchés de mes douleurs,

Je vois en ces secrets murmures,

Que plus plus sensibles que leurs cœurs

Vous déplorez mes aventures.


Lorsqu’ils ont de la foi, que mon cœur amoureux

Est satisfait de son partage !

Ce sort qui m’est si douloureux,

Est alors ce qui me soulage.


Venez, ô pure foi, venez, ô pur amour,

Vaincre ces cœurs trop invincibles :

Hélas ! donnez-leur un beau jour ;

Puisque vos nuits leur sont pénibles.


Mais que dis-je un beau jour ! il n’est que dans la nuit,

Ce jour pour qui le cœur soupire :

On le découvre à petit bruit,

En se rangeant sous votre empire.


C’est un jour sans brillant, qu’on ne remarque pas

Sans un cœur soumis et fidèle :

Quand le distinct ne paraît pas,

On suit cette amour éternelle.


Apprenez-leur, Seigneur, quelle est la vérité ;

Que la foi régit leur conduite :

Mais l’esprit plein de vanité

A bientôt leur âme séduite.

Vous pouvez les guider : ne permettez jamais

Que leur esprit ainsi s’égare :

Ils s’imaginent de faux traits

Dans votre ouvrage le plus rare.


C’est à vous de guérir ce dangereux poison,

Qui flatte et pénètre leur âme :

Ils rebutent la guérison,

Lorsqu’elle vient par une femme,


Pourquoi choisissez-vous un si vil instrument ?

Qu’il est abject dans leur mémoire !

« C’est que m’aimant uniquement,

« Je ne puis vouloir que ma gloire.


« Je te rabaisserai plus encor à leurs yeux,

« Pour rendre leur foi bien plus pure

« Car rien ne m’est plus précieux

, Que ce qui détruit la nature."


Il faut marcher sans voir, croire au-dessus de soi,

« Espérer contre l’espérance ;

Et préférer l’obscure foi

,, A ce qu’on appelle évidence”.


Marchez donc, mes enfants, ne vous arrêtez plus ;

Sans vous servir d’aucun langage :

Tous les discours sont superflus,

Quand mon cœur me rend témoignage.


Trop fidèle témoin, il dit la vérité

Quand l’homme s’ignore soi-même :

Il m’ôte la tranquillité

En me tourmentant à l’extrême.


Quand par humilité je crois qu’on a raison,

Et que me condamnant moi-même

Je fais voir ma soumission ;

Il montre son pouvoir suprême.

Ah ! je n’ai plus de paix qu’en suivant ce qu’il dit :

« Non ce n’est point toi qui t’abuses ».

Alors mon cœur est interdit :

Quand je me condamne, il m’excuse.


Il ne saurait souffrir de me voir vaciller :

Il faut que je le laisse faire ;

Que je croie sans hésiter,

Et sans regarder ma misère.


Nous nous trompons toujours, croyant tromper autrui :

Notre cœur sensible et volage

Nous dérobe un certain repli,

Qui fait tout le mauvais ménage.


Nous demeurons fixés dans notre sentiment :

Alors notre âme desséchée

Vers Dieu n’a plus de mouvement ;

Par là sa course est empêchée.


Rentrons, mes chers Enfans, sous nos premières loix :

Là nous vivions sans assurance ;

Nous n’avions ni vouloir ni choix ;

Nous avions une pure aisance :


Là rien ne retenait notre cœur amoureux,

Étendu même en sa faiblesse :

Il se trouvait content, heureux

Dans sa plus extrême bassesse.


Rentrons en ce climat oà nous trouverons Dieu ;

Ne donnons rien à la nature :

Nous le trouverons sans milieu,

Et bénirons notre aventure.

TOME IV

POÉSIES ET

CANTIQUES SPIRITUELS SUR DIVERS SUJETS

QUI REGARDENT LA VIE INTÉRIEURE, OU

L’ESPRIT DU VRAI CHRISTIANISME. PAR MADAME J. M. B. de la MOTHE-GUYON.

Divisés en quatre Volumes.

TOME IV. À PARIS Chez les LIBRAIRES ASSOCIÉS.

M D C C. XC.

POÉSIES ET

CANTIQUES SPIRITUELS SUR DIVERS SUJETS

QUI REGARDENT LA VIE INTÉRIEURE, OU

L’ESPRIT DU VRAI CHRISTIANISME. PAR MADAME J. M. B. de la MOTHE-GUYON.

Divisés en quatre Volumes.

TOME IV. À PARIS Chez les LIBRAIRES ASSOCIÉS.

M D C C. XC.


142

VIII. Dieu aime à épurer et à s’unir par la croix les âmes de choix. Abandon invariable de ces âmes.

UN abîme profond, un néant douloureux,

L’esprit abandonné, le cœur bien amoureux,

Ténèbres, nudités, peines, incertitudes,

Croix, douleurs, déplaisirs, les tourments les plus rudes,

Mépris, confusion, inévitables coups,

Vous réunissez seuls l’Épouse à son Époux.

Qui le croirait, Seigneur, que toutes vos caresses

Ne partent pas d’amour ; mais bien de nos faiblesses !

Vous aimez un cœur pur et plein de fermeté,

Qui ne s’attache à rien qu’à votre Vérité ;

Que vous puissiez traiter selon votre Justice,

Qui reçoive de vous comme un bien le supplice ;

Qui ne veut rien pour soi que votre volonté,

Aimant à ses dépens vos loix, votre équité ;

Qui vit avec plaisir dans un rude martyre ;

Qui délire de voir en tous lieux votre Empire ;

Qui marche aveuglément dedans l’obscure foi ;

Qui prend le pur amour pour son unique loi ;

Qui ne cherche en vos dons, Seigneur, nulle assurance ;

Qui montre son amour dans sa persévérance.

Vous choisissez pour vous avec plaisir ces cœurs ;

Et les rendez pourtant le but de vos rigueurs !

Les douceurs sont pour ceux qui s’aimant trop soi-même,

Ne comprennent jamais comme il faut qu’on vous aime,

Ce que vous méritez, ayant droit d’exiger

Qu’on méprise pour vous la peine et le danger.

143

Âme, qui vous croyez infiniment heureuse

Pour certains sentiments d’une onction savoureuse :

Qui croyez votre amour aussi fort que brillant,

Et qui comme le jonc pliez au moindre vent ;

Vous avez du mépris pour une âme affligée ;

Vous croyez que pour vous l’Amour l’a négligée,

Et qu’un vice caché l’empêche d’obtenir

Ces consolations qui font votre plaisir.

Que vous connaissez mal la conduite divine !

Vous donnant la douceur, il entoure d’épine

Ce cœur qu’il a choisi pour être tout à lui ;

Lorsqu’on le croit sans force, il se rend son appui ;

Il épure ce cœur par toutes ces épreuves ;

[…]

146

X. Dieu seul désirable et aimable. L’adorer en esprit et en vérité.

[…]

Sur le puits de Jacob, Jésus lassé de peine

Promit de cette eau vive à la Samaritaine,

Qui lui fit adorer d’esprit en vérité

147

De ce Dieu, pur esprit, l’excellente beauté :

D’un hommage suprême il veut qu’on l’honore ;

Et c’est en pure foi qu’il faut qu’on l’adore.

Ce culte qui convient seul avec sa grandeur,

Est produit par l’amour et vient de notre cœur ;

Mais ce cœur plein d’amour il faut qu’il nous le donne,

Qu’il lui fasse accomplir ce que lui-même ordonne.

[…]

148

XI. Cantique d’amour et de louange d’une âme arrivée à la nouvelle vie en Dieu par les voies sûres des croix intérieures et extérieures.

[…]

152

Je vous cherchais en moi ; je vous trouve en vous-même :

Je sais bien à présent comme il faut qu’on vous aime.

Je voulais la vertu, les biens, la sainteté ;

Je ne dois rien vouloir que votre vérité.

C’est elle qui m’apprend qu’enfermant toute chose

Je dois laisser tous biens dans leur première Cause ;

Et que c’est usurper ce qui vous appartient,

Que de m’approprier le moindre de vos biens.

J’ai connu ce secret ; et mon âme ravie

Oublia tous ses maux dans sa nouvelle vie :

Mon cœur renouvelé se trouva tout changé

Il fut sous vos vouloirs à cet instant rangé

Perdant tout intérêt, il se livra sans feinte :

[…]

154

XII. Voies adorables de l’Amour divin pour réduire l’âme dans le néant et la perdre en Dieu.

[…]

Ce respect si profond qu’on doit au Dieu suprême,

M’empêchait de me plaindre à d’autres qu’à lui-même.

Je lui disais souvent : O mon divin Époux,

Vous m’avez rejetée ; et ces moments si doux

Que je goûtais jadis dès ma plus tendre enfance,

Que sont-ils devenus ? Quoi donc votre présence

Sera-t-elle interdite à jamais à mon cœur !

N’aurez-vous plus pour moi qu’une extrême rigueur ?

Je regrettai cent fois le temps de ma jeunesse ;

Et je ne voyais pas la divine Sagesse,

Qui pour me faire aimer mon Dieu plus purement,

Et pour me rendre un jour bien plus parfait amant,

Avoit sçû m’enlever cette saveur céleste,

Pour me rendre à lui seul, en perdant tout le reste.

[…]

Enfin je me remis aux mains de la Justice ;

Et de tout mon bonheur je fis le sacrifice,

Trouvant plus de douceur que je n’avais pensé,

Dans cet amour si nu et non récompensé.

Je compris aussitôt ce que mon Dieu mérite

Et qu’il faut être nu, pour marcher à sa suite :

[…]

160

XIV. Vie heureuse d’une âme abandonnée et perdue en Dieu.

Divine Vérité qui faites mon bonheur,

Que vous causez au cœur de paix et de largeur !

On ne vous goûte bien que dans la solitude :

C’est là qu’on apprend tout sans secours de l’étude.

Vous renfermez en vous le véritable Bien :

On le trouve chez vous demeurant dans son rien.

Auguste vérité, favorable lumière,

C’est vous qui conduisez dans la source première.

Là le cœur à l’écart de tant de vains objets,

De soucis, de pensers, d’inutiles projets,

Vit seul avec son Dieu, dans une paix prosonde,

Dans l’éternel oubli de ce qu’on sait au monde :

L’amour seul et la foi règlent ses mois, son jour ;

Tout commence et finit dans l’immuable amour :

Il est de cent façons, sans prendre aucune forme ;

C’est lui qui nos vouloirs dans son vouloir transforme :

Souvent il paraît grand, quoiqu’il soit bien petit,

Moins il parait, et plus il transforme l’esprit.


Céleste motion, adorable principe,

Union d’unité dont le cœur participe !

Brouillard plein de lumière, abîme de grandeur

Où s’enfonce l’esprit, la volonté, le cœur !

Vous engloutissez tout, et perdez si bien l’âme,

Qu’elle ne connaît plus son être ni sa flamme :

Vous vivez seule en nous, céleste Vérité ;

Vous éclairez le cœur sans montrer de clarté.

161

Vous vous manifestez dans les nuits les plus sombres :

Ce que vous enseignez est environné d’ombres ; En vous accommodant à nos débiles yeux,

Dans ce jour tempéré l’on pénètre les Cieux.


Doux séjour de la paix, ô rien, ô vastitude !

O. Dieu qui nous conduit dans cette solitude

Que tu possédais seul dans ton éternité,

Toujours heureux chez toi de ta félicité !

Tu créas les humains pour entrer en partage,

Par un excès d’amour, de ce grand avantage.

Il ne faut que t’aimer, s’abandonner à toi,

Te suivre à chaque instant dans une aveugle foi,

Être simple, enfantin, sans souci de soi-même ;

Et l’on parvient enfin à ce bonheur suprême.

Admirable désert où l’âme vit en Dieu !

Elle avance toujours, mais sans changer de lieu.

C’est où tu me conduis, Suressence adorable,

Dans ce sacré désert, à l’état immuable.

[…]

167

XVI . Vie nouvelle et divine d’une âme anéantie et transformée en Dieu.

169

[…]

Il sait bien qu’il n’est rien, son Dieu seul est puissant ;

Il ne regarde plus son extrême faiblesse,

Il ne saurait non plus penser à sa bassesse ;

Dieu seul est tout pour lui ; peut-il manquer de rien ?

Il ne veut rien pour soi ; l’amour est tout son bien,

Sans chercher dans l’amour même son avantage ;

Il porte les douleurs ; et c’est là son Partage :

Souffrir pour ce qu’il aime est son unique bien ;

[…]

Il sait qu’il vous faut tout, il vous veut tout donner ;

Que vous méritez tout ; qu’il ne peut mériter :

Il rencontre en vous seul la source du mérite ;

Connaissant qu’il n’est rien, quittant tout il se quitte.

Si je possédais tout, ô Seigneur tout-puissant !

Je vous le donnerais dedans le même instant :

Mais ne possédant rien, je vous donne à vous-même.

Ce don est digne seul de l’Essence Suprême :

[…]

173

XVIII. Extension du règne de Jésus — Christ. Voie abrégée pour aller à Dieu par le renoncement.

[…]

174

Rochers inhabités, monts qui percez la nue,

Ah ! venez recevoir cette vérité nue

Venez pour adorer d’esprit en vérité

Ce Seigneur pur Esprit, et ce Dieu charité :

Que si vous habitez dans des pays stériles,

Que vos cœurs par l’amour soient rendus plus fertiles.

Cet Esprit pur et sain voudrait s’insinuer :

Ne lui résistez pas ; laissez-vous dénuer.

Livrez-vous à ses soins, à son amour fidèle ;

Il vous enseignera cette route nouvelle :

Mais, que dis-je ? Elle est plus ancienne que les Cieux.

C’est cet amour sacré, que je montre à vos yeux ;

Cet amour dont mon Dieu jouissait en lui-même,

Qu’il vient vous partager par une grâce extrême.

[…]

189

XXIV. Souffrances et gémissement d’une âme Apostolique pour le peu de correspondance de ses enfants spirituels.

191

[…]

J’ai servi quelque temps à façonner les autres ;

Je recevais leurs coups pour les rendre tout vôtres :

Je ne suis à présent qu’un objet de mépris,

Un vase sans honneur, un diamant sans prix ;

Et la confusion qui couvre mon visage,

Me rend même odieuse au fol ainsi qu’au sage.

Je n’ose plus parler ; et mes discours sont vains ;

On en a du dégoût : tout me tombe des mains.

Ah ! daigne me cacher dans quelque solitude,

Que je porte en secret cette peine si rude :

Des maux que je ressens, je ne puis me cacher ;

Et j’indispose ceux que je devrais toucher.

Inutile souci, fatale inquiétude,

Laissez à mon esprit un peu de quiétude ;

Laissez-moi respirer sous les coups du Seigneur,

Et ne travaillez plus à déchirer mon cœur

M’étiez-vous réservés au temps de ma vieillesse ?

Ma douleur est l’effet, grand Dieu, de ta Sagesse :

S’adore des ressorts que je ne comprends pas ;

Et je veux bien souffrir jusques à mon trépas.

192

Si je crains mon tourment ; en même temps je l’aime,

Et son effet me plaît dedans sa cause même :

Je ne puis perdre, hélas ! ce qui peut le causer ;

Ô toi, toi qui l’as fait, daigne l’autoriser.


Je croyais du bonheur où j’ai trouvé ma peine :

Je voulais t’acquérir, ô Bonté souveraine,

Ce grand nombre de cœurs que tu m’avais commis :

Sont-ce là tes enfants ? Sont-ce mes ennemis ?

Je ne discerne rien ; je n’en suis pas capable :

Tout repousse mon cœur ; et c’est ce qui m’accable ;

Et cet accablement m’ôte la liberté

De pouvoir démêler, grand Dieu, ta vérité.

Rien n’entre dans les cœurs ; et je sens que tes flèches

Retournent contre moi, sans faire aucune brèche ;

Ne trouvant point d’Âme à ce torrent d’amour,

Il remonte à sa source et s’enfle chaque jour.


Hélas ! hélas ! Seigneur, où me vois-je réduite !

J’adore en pâtissant cette sage conduite :

Pourquoi résiste-t-on à tes charmants appas ?

Ah ! c’est que tu choisis un instrument trop bas.

On veut de la grandeur ; le fier orgueil des hommes

Ne saurait s’abaisser en ce siècle où nous sommes :

On veut de l’éclatant ; et la fausse vertu

Plaît bien plus à nos yeux qu’un esprit pauvre et nu :

De ces renversements, Seigneur, ôte les causes ;

On verra dans l’instant renaître toutes choses.


Psal. 103. v. 3 o.

Envoyez votre esprit et ils seront créés de nouveau, et vous renouvellerez toute la face de la terre.


[…]

Manque la Sixième section… Emblèmes ! Pages 254 à 290 de l’édition Poiret 1722.

Elle a dû être remplacée par « âme amante » aux figures moins fines.


[…]

Manque la Sixième section… Emblèmes ! Pages 254 à 290 de l’édition Poiret 1722.

Elle a dû être remplacée par « âme amante » aux figures moins fines.




L’ÂME AMANTE DE SON DIEU REPRÉSENTÉE DANS LES EMBLÈMES DE HERMANNUS HUGO, ET DANS CEUX D’OTHON VENIUS SUR L’AMOUR DIVIN

Avec des figures nouvelles, accompagnées de Vers qui en sont l’application aux dispositions les plus essentielles de la Vie intérieure.

PAR MADAME DE LA MOTHE-GUYON.

Nouvelle Édition, considérablement augmentée.

À PARIS, Chez les LIBRAIRES ASSOCIÉS.


Avertissement

Je livre un choix d’Emblèmes illustrant des poèmes de Madame Guyon, textes accompagnés d’images.

Suite à une vision défectueuse, Madame Guyon écrivait peu à la fin de sa vie. Elle dictait son courrier (pour exemple vers ~1712 par l’intermédiaire de son secrétaire Ramsay). Ses « écrits », à visée plutôt éducative que poétique, sont très nombreux : les pièces ont été notées par divers disciples français « cis » ou étrangers « trans » de sensibilités diverses (v. la citation en fin de cet Avertissement).

Les pièces ne purent être triées : ni par elle — Madame Guyon disparue en juin 1717 n’a pu préparer l’édition de 1722 — ni par ses fervents disciples. Le « trans » éditeur Pierre Poiret ne put et probablement ne voulut pas trier ce qu’il reçut des disciples « cis » (Poiret avait été échaudé par la controverse née de son édition de la Vie par elle-même  et n’a pas éliminé certains Discours spirituels qui ne reflètent pas « notre mère » et nuisent à leur ensemble).

La « nouvelle édition [d’Emblèmes seuls] considérablement augmentée » de 1790 accentue encore la distorsion propre à certaines pièces, car le Pasteur suisse Dutoit peut être rangé comme un disciple inconditionnel trop heureux de reprendre tout ce qui provenait d’un cercle de Blois disparu devenu référence.

Pour ces raisons il s’en est suivi un quasi mépris d’érudits modernes pour une production annoncée comme « poétique » ; elle fut toutefois appréciée au dix-huitième siècle, par exemple traduite par le poète Cooper. Mais le siècle des Lumières n’est pas trop poète…

L’appréciation — après un tri nécessaire — est entièrement justifiée si l’on s’intéresse à l’expression très précise de la vie mystique — la pratique sobre et profonde de l’amour pur, ce qui restreint tout cercle d’admirateurs. Je n’hésite pas à placer un choix en conclusion de ce tome qui rassemble les principales œuvres mystiques  de Madame Guyon : Moyen Court, Torrents., etc.

Une lecture des quatre tomes de Poésies assemblées par Poiret (le dernier seul comporte des Emblèmes), puis d’un cinquième tome assemblé par Dutoit, un travail initialement entrepris par seul souci de complétude en préparant le corpus guyonnien, s’est transformée en admiration de ce qui touche au « blanc de cible » mystique.

Une extrême simplicité chantante rend la pureté exigeante d’une expérience parvenue à terme. Il suffit de lire ces pièces comme simples témoignages d’une auteure qui faisait fi de tout métier poétique, mais non du souci d’assister des pèlerins sur les « sentiers de l’amour divin » (Constantin de Barbanson).

On est face à une parole spontanée. Mais elle est suscitée et dictée pour transcription à la suite de demandes de disciples. Tout se passe au sein d’un cercle dévot de catholiques et de protestants réunis ensemble autour de ~1715. Le phénomène est proto œcuménique !  

Il nous est rapporté ainsi dans un « Supplément à la Vie » (dont la source en est principalement le « manuscrit de Lausanne  TP 1155 ») :

« Quand on lui apportait le Saint Sacrement, ils se tenaient rassemblés dans son appartement, et à l’arrivée du prêtre [catholique, un proche de l’évêque de Blois Mgr Berthier, ami de Fénelon], cachés derrière le rideau du lit, qu’on avait soin de fermer, pour qu’ils ne fussent pas vus parce qu’ils étaient protestants, ils s’agenouillaient [43] et étaient dans un délectable et profond recueillement, chacun selon le degré de son avancement, souvent aussi dans des souffrances assorties à leur état. Que de miracles ne se sont pas passés dans ces moments, qui ne seront connus que dans l’éternité ! ils étaient en quelque sorte les prémisses du protestantisme pour la doctrine intérieure. C’est en leur faveur que Madame Guyon composa plusieurs cantiques accommodés à leur état d’alors. Milord Forbes a même dit à des personnes respectables, de qui on le tient, que si on chantait dans ces temps-là quelque nouvel air, et qu’on lui demandât un cantique sur cet air, elle en dictait un sur-le-champ toujours assorti à l’état de ceux pour qui il était. »1419

I. Les emblèmes de Hermannus Hugo sur ses pieux désirs

qui représentent les Dispositions les plus essentielles DE L’INTÉRIEUR. CHRÉTIEN,

exposés EN VERS LIBRES.


[saut de page]


PSAUME XLVIII. V. 4,5.

Ma bouche publiera la sagesse, et la méditation de mon cœur annoncera la prudence. Je tiendrai l’oreille attentive aux PARABOLES, et je chanterai sur la harpe mes ÉNIGMES.


[saut de page]


PROLOGUE



IL est ici trois sortes de soupirs :

Les premiers font l’effet d’une douleur profonde,

D’avoir tant offensé le Créateur du monde :

Le cœur est accablé de cruels déplaisirs ;

Pour satisfaire à la Justice,

On s’impose certain supplice,

On travaille à se corriger ;

C’est le premier moyen pour nous faire changer :

Celui dont la bonté pour nous est sans égale,

Paraît afin de consoler ce cœur,

Lorsqu’en cessant d’être pécheur,

Il s’anéantit, se ravale :

Dieu qui se plaît dans notre humilité,

Remplis le cœur de charité :

Ce sont d’autres soupirs, qui viennent d’une flamme

Bien plus pure, et déjà notre âme

Ne peut soupirer que d’amour.

Ces soupirs vont vers Dieu, et même sans détour ;

Car les premiers soupirs recourbés sur nous-mêmes,

Semblaient ne regarder que nous :

On craignait de mon Dieu jusques aux moindres coups :

La peine et la douleur qui nous semblaient extrêmes,

N’envisageaient que le propre intérêt,

On craignait le divin arrêt :

Les soupirs de l’âme amoureuse

Montent droit au Seigneur : Oui, je veux bien périr,

Si ma perte t’est glorieuse,

Dit-elle, ô Dieu ! fais-moi bientôt mourir.

Cet amour cependant est mêlé de douleur.

On est peiné de son offense,

On en désire la vengeance,

On veut même que Dieu n’épargne pas le cœur

Punis, punis, mon adorable Maître,

Ce cœur ingrat autant que traître

Il vient après, certain soupir d’amour :

Que ce soupir est délectable !

Car l’âme ne sent plus de douleur qui l’accable ;

Elle habite un autre séjour :

On ne fait plus que languir sur la terre,

On voudrait passer en son Dieu

L’activité de ce beau feu

Est pour remonter à sa sphère.

Peu à peu les soupirs s’éteignent ;

On ne saurait plus soupirer,

On ne saurait plus désirer ;

Il semble que ces jeux si charmants se contraignent.

Non, non, ils sont passés dans la tranquillité

D’un feu qu’aucun sujet ne retient en ce monde :

Ils traversent la terre et l’onde,

Pour se perdre dans l’unité.


LIVRE PREMIER.

I. Mon âme vous a désiré pendant la nuit.

DE deux sortes de nuits où l’on cherche l’Époux,

L’une commence la carrière :

À la saveur de sa lumière

On quitte le péché qui paraissait trop doux.


L’âme voit bien alors qu’elle marche en ténèbres

Et cet effet d’un petit jour

Rends les conversions célèbres :

Cette faible clarté vient pourtant de l’amour.


Il est une autre nuit ; mais nuit toute divine ;

Il ne paraît ni lampe ni flambeau ;

C’est l’Amour le plus pur qui lui-même illumine,

Et nous donne un état nouveau.


Ô ténébreuse foi ! vous êtes préférable

À ce qu’on appelle clarté :

Vous nous faites jouir de ce Tout immuable

Qui donne la félicité.

V. Souvenez-vous, je vous prie, que vous m’avez fait comme un ouvrage d’argile, et que dans peu de temps vous me réduirez en poudre.

TU m’as, ô mon Seigneur ! formé d’un peu de cendre,

Et j’y vais bientôt retourner :

Bien loin de m’élever, je dois toujours descendre ;

Aux mépris, aux douleurs je veux m’abandonner.


Ô mon unique espoir dans ma longue misère ;

En me formant à ta façon

Imprime-moi cette leçon,

Que je ne suis rien que poussière !


Pourrais-je m’emporter à quelque élèvement

Connaissant bien mon origine ?

Si je m’abîme en mon néant,

Je rentrerai dans l’Essence divine.


Mon esprit simple et pur émane de mon Dieu ;

Mon corps est sorti de la terre :

Que chacun retourne en son lieu,

Le corps en poudre, et l’âme dans sa sphère.


Ô souverain Amour, transporte mon esprit,

Et l’abîme dans son principe !

Fais aussi que. mon corps en poudre étant réduit,

Au bonheur de l’esprit un jour il participe !



VII. Pourquoi me cachez-vous votre visage, et pourquoi me croyez-vous votre ennemi ?

L’ÂME.

AH ! ne me cache plus ton aimable visage !

Je ne puis supporter ce cruel châtiment :

C’est me punir bien davantage

Que me livrer au plus rude tourment.


Amour saint et sacré, n’as-tu pas d’autres peines ?

Livre-moi plutôt à tes jeux :

Exerce sur mon corps les plus terribles gênes ;

Mais ne dérobe point tes charmes à mes yeux.


Hélas ! divin Amour, je suis allez punie,

Laisse-moi te voir un moment ;

Sinon, je vais perdre la vie,

Prends pitié de moi, cher Amant !


NOTRE SEIGNEUR.

Ne vois-tu pas, trop indiscrète Amante,

Que tu ne peux encor me voir ?

Ton cœur est-il sans désir et sans pente ?

Est-il soumis à mon vouloir ?


Ne m’importune plus, et souffre mon absence

Pour te punir de ton erreur

Et de ta folle résistance :

Pour me voir, il te faut mieux épurer le cœur :


Il faut t’abandonner toi-même,

Me laisser faire à mon plaisir.

Si tu m’aimais comme je veux qu’on m’aime,

Tu n’oserais former un seul désir.




LIVRE II

XVII. Daignez, Seigneur, régler mes voies de telle sorte, que je garde la justice de vos ordonnances.

DANS ce terrible labyrinthe,

Si rempli de tours et détours,

Je marche, cher Époux, sans crainte,

Sur la foi de votre secours.


Je regarde de loin tomber au précipice

Les plus hardis et le plus clair voyant :

Je vais sans voir et tout mon artifice

Est de m’abandonner aux soins de mon Amant.


Cet aveugle est un grand exemple

De l’abandon et de la foi ;

Lorsque de loin je le contemple

Je me sens ravir hors de moi.

Il suit son petit chien et marche en assurance

Sans broncher ni faire un faux pas.

Je suis guidé par votre Providence

Et je pourrais ne m’abandonner pas ?


Celui qui compte sur sa force

Sur son adresse et son agilité

Son orgueil lui servant d’amorce

Est aussitôt précipité.

Qui peut dans un si grand danger


Encor se fier à soi-même ;

Ah, que son audace est extrême !

Vous m’apprîtes à me ranger

Sous les soins de la Providence

Et cette admirable science

Ne me laissa plus rien à ménager.


Cette vie est un labyrinthe ;

Si l’on veut marcher sûrement.

Que notre soi soit aveugle et sans feinte

Notre amour pur, et sans déguisement.

LIVRE III.

XLV. Fuyez, ô, mon Bien-aimé ! et soyez semblable à un chevreuil, et à un fan de cerf, en vous retirant sur les montagnes des aromates.

QUE vous m’avez appris une haute leçon,

Ô trop charmant Docteur, que mon âme est contente

Je n’aime plus à ma façon

J’entre dans les devoirs d’une parfaite Amante.

Je vous voulais pour moi, mais je vous veux pour vous :

fuyez, fuyez, mon cher Époux,

fuyez, et faites des conquêtes ;

Je ne serai plus de requêtes

Que pour vos intérêts, que pour le pur amour ;

Allez, courez toute la terre,

Faites partout un long séjour

En parcourant l’un et l’autre hémisphère,

Gagnez cent mille cœurs : mon esprit satisfait

N’aura plus pour moi de souhait.

Que j’étais faible, hélas ! croyant ma flamme pure,

Tout était mélangé d’ordure,

J’étais, en vous aimant, de mon amour la fin ;

Peut-on aimer ainsi le Seigneur Souverain ?


Je vous aime d’une autre sorte :

Et, quoique sans empressement,

Mon amour est cent fois plus forte ;

Elle est pure, elle est simple et sans déguisement.


Ô mon céleste Époux ! remportez la victoire.

Sur tous les cœurs dans ce grand univers ;

Je ne pense qu’à votre gloire :

Et quand je souffrirais mille tourments divers.


Mon cœur, mon triste cœur, ne fera plus de plainte,

Il vous aime à présent sans feinte :

Il n’est plus de division :

J’ai trouvé le secret de l’entière union.


ÊTRE parfait, indivisible, immense,

Remplissant tout sans occuper de lieu,

Celui qui pleure votre absence

Ignore que vous êtes DIEU.


L’Amour pénètre et soutient Univers.

AMOUR, qui par vos traits pénétrez l’Univers,

Qui par le même effet soutenez votre ouvrage,

Tout vous montre, ô grand Dieu ! tout vous rend témoignage,

Chaque objet vous produit par cent endroits divers.


(a) Certes l’homme ici bas n’a pas droit de se plaindre

Que vous vous cachez trop à ses faibles regards ;

Vous avec su partout si vivement vous peindre,

Que l’œil qui veut s’ouvrir, vous voit de toutes parts.


Mais de votre grandeur la marque la plus belle ;

Et qui ne dépend point du rapport de nos yeux,

C’est que quand on vous cherche avec un cœur fidèle,

On vous trouve en soi-même encor mieux qu’en tous lieux.


(a) Ces vers sont tirés de M. de Brebeuf, avec un peu de changement.

II. Les emblèmes d’Othon Vaenius sur l’amour divin

qui représentent les Dispositions les plus essentielles,

DE L’INTÉRIEUR CHRÉTIEN.


PROLOGUE.

ON représente ici l’entretien tout charmant

De l’Amante et de son Amant ;

Là leurs mutuelles caresses :

Que de douceurs, que de tendresses !


Je vois d’autre côté des peines, des douleurs,

Des dangers affranchis, des tristesses, des pleurs ;

On y voit des combats, l’abîme, le naufrage,

Les vents, la tempête et l’orage.


Mais où se réduiront tant de tourments divers ?

Dans un contentement qui surpasse mes vers.

L’Époux paraît jaloux de sa très chaste Épouse ;

Elle est pour son Époux d’elle-même jalouse :

Elle porte son joug, qui lui semble bien doux

Venant de la main de l’Époux :

Et la fatale inquiétude

Ne trouble point sa solitude

Seul à seul avec Dieu, que d’innocents plaisirs !

Que de langueurs, que de soupirs !

Tout se termine enfin à l’union parfaite,

Qui vient de l’entière défaite

Des sens, de la raison, et de la volonté ;

Tout est réduit en unité.


Divine Charité, tu fis ce grand ouvrage ;

C’est de toi, c’est de toi, que l’âme a l’avantage

De plaire à son céleste Époux,

Et de goûter un bien si doux.


§


Ô Verbe fait Enfant, ô Parole muette

Ô Seigneur Souverain de la terre et des cieux,

Devenez aujourd’hui, par grâce, l’interprète

De cette immensité qui se cache à nos yeux.


Je ne vois qu’un Enfant, et c’est le Dieu suprême ;

Outrepassons les sens, l’Esprit, et la raison :

Découvrons au travers d’une faiblesse extrême

Le Dominateur de Sion.


Vous cachez vos brillants, vous couvrez vos grandeurs.

Sous les plus faibles apparences

Afin de gagner tous les coeurs :

Surmontez-donc leurs résistances :


§


Divin Enfant, qui méritez

Que tout le monde vous adore,

Faut-il qu’après tant de bontés

Aucun ici ne vous implore ?


On vit dans l’éternel oubli

De vos saveurs et de vous-même

Je souffre de voir qu’aujourd’hui

Personne presque ne vous aime.


On veut passer pour généreux

Dans la plus noire ingratitude :

Enfant, les délices des cieux

Qu’il m’est affligeant, qu’il m’est rude

De ne pouvoir trouver de cœur

Qui soit pénétré de vos flammes,

Et dont vous soyez possesseur

Pénétrant le fond de nos âmes.


Enfant si charmant et si doux,

Ah ! rangez tout sous votre empire,

Puisque mon cœur est tout à vous

Accordez-lui ce qu’il désire.


§


Les eaux de Siloë si calmes et tranquilles,

Par un affreux malheur,

Se glacèrent un jour, et ses lavoirs utiles

En rochers transparents changèrent leur liqueur.


L’absence du soleil fit d’un cristal liquide

Une glace, solide :

Le séjour de la paix était rempli d’horreur.

Mais ce divin Soleil par un retour aimable,

faisant ressentir sa chaleur,

Rendit à mon esprit un calme délectable

Et la paix à mon cœur.


IV. L’Amour est droit.

L’AMOUR sonde le cœur humain,

Il veut une volonté pure,

Et reconnais à la droiture

Si l’Amour qu’on lui porte est Amour Souverain.


Pour peu qu’il penche vers la terre,

Pour peu qu’il s’éloigne de lui,

Qu’il cherche en soi-même un appui,

Il ne peut point passer pour un Amant sincère.


Quand le cœur aime purement,

Vers le divin Objet il tend incessamment :

Le reste lui paraît comme l’éclat du verre,

Aussi frêle que décevant.


Il est vrai que du cœur l’amour seul est le poids ;

Tel est l’amour tel est le choix.

Donne, donne, à mon cœur, grand Dieu, la rectitude ;

Il sera sans penchant et sans inquiétude ;

N’envisageant que ta bonté

Son unique penchant sera ta Vérité.


Sur le même sujet.

L’Amour pur et parfait est une flamme droite,

Qui ne penche d’aucun côté ;

Cet Amour a ce qu’il souhaite

Ne voulant, mon Seigneur, que votre volonté.


Cet Amour tout divin n’a qu’un objet aimable,

Dieu seul est sa force et son poids ;

Tout ce qui n’est pas Dieu lui paraît détestable,

Il est fixe en son premier choix.


Pur, net, et dégagé de l’humaine nature,

Il tend sans cesse à ce sublime objet,

Sans se courber vers soi, ni vers la créature :

Ce qui n’est pas son Dieu lui semble trop abject.


Il s’élève en son sein au-dessus de soi-même,

D’un vol rapide il traverse les cieux ;

C’est d’un amour jaloux qu’il aime

Cet objet noble et glorieux.


Il ne saurait souffrir ni penchant ni partage,

Cruel, impitoyable, il dépouille de tout.

Comprends, ou crois du moins, ce sublime langage ;

Éprouve-le : le pur Amour peut tout.

V. L’Amour est éternel.

QU’ON est heureux en vous aimant,

Puisqu’on aime éternellement.

Tout ce qui n’est pas vous, et qu’on voit dans le monde,

Est plus inconstant que n’est l’onde.


Les plaisirs d’ici-bas n’ont qu’un fard décevant,

Les honneurs et les biens passent comme le vent :

Vous demeurez toujours, vous êtes immuable,

Tout ce sue vous donnez est charmant et durable :

Et lorsqu’un jeune cœur se livre à votre amour

Vous payez ses soupirs par un heureux retour.


Cet amour est exempt de faiblesse et de crainte,

Il est sincère, il est sans feinte :

Lorsque vous enflammez, vous ressentez les feux ;

Quand vous liez mon cœur, je vous tiens dans mes nœuds.


Ce réciproque amour est constant et fidèle

Sa chaîne est éternelle :

Tl est grand, i1 est saint, il est victorieux,

Et de plus il est sûr d’être toujours heureux.

Sur le même sujet.

Cent fois je vous jurais un amour éternel,

Divin Époux, qui ravissez mon âme :

Vous me dites : c’est moi qui le puis rendre tel,

Et te faire brûler d’une immortelle flamme.


Je le sais, mon Seigneur, répondis-je à l’instant ;

Je ne compte que sur vous-même ;

Rendez mon cœur toujours constant,

Et m’apprenez comme on vous aime.


L’Amour en ce moment vint, s’approcha de moi,

Faisant un cercle indivisible ;

Ce cercle est l’Amour pur, et la plus sombre foi,

Qui ne peut rien admettre de sensible.


Cependant, cher Amour, j’aperçois dans vos yeux

Un je ne sais quoi qui m’enchante ;

Un langage délicieux

Enlève en un instant le cœur de votre amante.


Vous lui tenez la main et par de doux souris

Vous flattez ses cuisantes peines :,

Vous apaisez tous ses soucis ;

Et ses larmes loin d’être vaines

Lui causent des biens infinis.

VI. L’Amour de Dieu est le Soleil de l’Âme.

QUE vos raisons, cher Époux de mon cœur,

Éclairent, pénètrent mon âme :

Soyez mon unique vainqueur,

Que je brûle à jamais de votre douce flamme !


Que mon cœur est charmé de vos divins attraits !

Que je le trouve heureux d’être sous votre empire !

C’est un délicieux martyre

Que d’être blessé de vos traits.


Plus vous blessez, plus on vous aime ;

J’adore même la rigueur

Qui fait que m’ôtant à moi-même,

Vous ne me laissez rien de doux ni de flatteur.

Plus de moi ! rien que vous ! que tout objet s’efface !

Je me sens élever par une noble audace :

Tout ce qui n’est pas vous est indigne de moi.

En vous seul mon espoir se fonde ;

Content de vous avoir pour Roi,

Avec mépris je vois tout le reste du monde.

VIII. L’Amour instruit.

[…]

Enseignez-moi, mon adorable Maître,

Mon cœur écoute, il est tout préparé ;

Votre leçon doit me faire renaître :

Ah ! serai-je bientôt de ce MOI séparé ?


Et nuit et jour j’ai l’oreille attentive

À ce qu’il vous plaira, Seigneur, de m’enseigner :

Il faut que votre main dans notre cœur écrive

Ce qu’il ne doit pas ignorer.


La loi d’Amour n’a point d’autre salaire

Que l’Amour même ; il renferme tout bien :

Celui qui veut retourner en arrière,

N’a point l’Amour pour docteur, pour soutien.


C’est trop peu que ma loi soit écrite en ton livre,

Il faut que je la grave au milieu de ton cœur.

Divin Amour à vous seul je me livre,

Agissez comme Maître et comme Créateur.


Donnez-moi cet Amour que vous daignez m’apprendre :

L’expérience est au-dessus de tout.

Hélas ! que puis-je, moi, qui ne suis rien que cendre ?

Le moindre contretemps sans vous me pousse à bout.

X. L’Amour est pur.

[…]

L’Amour, ainsi qu’une glace très-pure,

Représente l’objet tel qu’il est à nos yeux,

De ce que nous aimons empruntant la figure ;

Quand on n’y voit que Dieu, que le cœur est heureux !

Mais de l’Amour sacré la glace merveilleuse

Se ternit d’un moindre respir,

Un détour de l’âme amoureuse

Dérobe cet objet qui faisait son plaisir.


Ah ! faites que mon cœur comme une belle glace

Vous dépeigne sans fin, Objet rare et charmant !

Ce doit être l’unique grâce

Que peut vous demander un véritable amant.


Sur le même sujet.

Ce miroir représente encore,

Que quand le cœur est enflammé

De ce beau feu qui le dévore,

Un autre cœur est allumé

De cette flamme pénétrante ;

Car la réverbération

D’un cœur déjà dans l’union

Doit embraser le cœur d’une autre amante.

XI. Dans l’Unité se trouve le parfait.

L’Amour sacré ne souffre aucun partage,

Il est simple, il est Vérité ;

Lui seul à l’avantage

De tout réduire à l’unité.


En Dieu toutes choses sont une,

Il n’est rien hors de lui que la division,

Que troubles, qu’infortunes ;

Le calme et le bonheur ne sont qu’en l’Union.


Jésus la demanda pour les siens à son Père

C’est ce calme divin qu’il donne à ses amis.

Admirable Unité, L’UNIQUE NÉCESSAIRE !

C’est toi qui rends en Dieu tous les cœurs affermis ;

C’est toi qui rends douces les peines,

Qui rend légers les plus rudes travaux :

Tu romps de tes captifs les chaînes,

Et tu leur fais trouver du plaisir dans leurs maux.

Sur le même sujet.

La fin de l’Amour pur est l’union intime,

Où cet Amour conduit par des chemins rompus :

La croix et le mépris, non la gloire et l’estime,

Est le chemin sacré ; tout autre est superflu.

XV. C’est de deux volontés le concours unanime.

QUE nous aurions de force et de puissance,

Si loin de partager sans succès nos désirs,

Une sincère obéissance

Faisait nos innocents plaisirs !


Quand on vit sous la dépendance

De la Suprême volonté,

On trouve une prompte assistance

Dans le soin que prend sa Bonté.


Le plus pesant fardeau devient charge légère

Assuré d’un pareil secours ;

Loin de traîner ses jours

Dans la triste misère,

On trouve même au milieu des tourments

De doux contentements.


L’amour-parfait ne compte pas pour peine

Ce qu’il fait pour son Roi ;

Et sa volonté Souveraine

En tous temps est sa loi :

Rien ne le fatigue ou le gêne,

Tout cède à cet Amour, et tout cède à sa Foi.

Sur le même sujet.

Quand notre volonté veut tout ce que Dieu veut,

L’homme faible est surpris de sentir ce qu’il peut :

Plus il est faible en soi, plus il trouve en Dieu même,

Soumis à son vouloir, une force suprême.

Rien ne lui coûte plus ; la peine et les tourments

Dans le vouloir divin sont des contentements.

Ce qui fait ma douleur, ce qui fait mes traverses

C’est de trouver en moi des volontés diverses.

Ce qui fait tous les maux c’est la division :

La paix et le bonheur sont en cette union.


Ordonne de mon sort, ô Volonté suprême !

Et je serai toujours pour toi contre moi-même.

Les plus rudes tourments ne m’étonneront pas,

Si ton divin vouloir règle et conduit mes pas :

Et des chemins jonchés de ronces et d’épines

Seront à mon Amour sentiers, routes divines.

XVI. C’est en haut qu’il regarde.

[…]

L’Héliotrope suit sans cesse son Soleil ;

Mon cœur suit son Dieu tout de même :

Son Amour pur et sans pareil

Me transforme en celui que j’aime.


Non, je ne saurais plus divertir ma pensée

De ce Dieu. si parfait, si grand,

De ce qui n’est point lui je suis débarrassée :

C’est lui qui fait mon mouvement.


Être immense et puissant, adorable Lumière

Source d’Amour, de vérité,

En éclairant mon cœur tu fermes ma paupière

À ce qui n’est que vanité.

XVII. Il s’accroît sans inclure.

LORSQUE le cœur comme une glace pure

Reçoit l’impression de ce divin Soleil,

Son feu croît sans mesure ;

Et ce feu sans pareil.

Est plein d’une douceur charmante

Qui brûle en paix sans causer de douleur :

L’âme est gaie et contente

Bien qu’au milieu de sa plus grande ardeur.


Divin Amour, ô que ta douce flamme,

Consume ainsi mon âme !

N’épargne point mon cœur :

Réduis le tout en cendre,

Est-il rien de plus tendre

Que ta sainte rigueur ?


Tu viens me nettoyer de ce qui t’est contraire,

Tu m’embellis, tu me combles de paix,

Tu me mets en état de pouvoir désormais

parfaitement te plaire :

Ô bonheur infini de l’Amour Souverain !

Fais donc que dans mon cœur tes feux croissent sans fin.


Sur le même sujet.

Lorsque le cœur est pur comme une belle glace,

Et que sans cesse il s’expose à son Dieu,

Il brûle et sent croître son feu,

Son Amour devient efficace.


S’exposer devant Dieu, marcher en sa présence

Par la pure et simple oraison,

Se laisser à sa motion,

Joindre l’amour à la persévérance ;

On sentira bientôt tout le cœur s’allumer :

Le feu qui vient du ciel est une flamme pure.

Mon cœur, laissons-nous enflammer,

Ne donnons rien à la nature,

Nous saurons le grand art d’aimer.

XXIV. Il rend très libéral.

Qu’il est doux de donner quand on reçoit sans cesse !

Plus je donne, et plus on me presse

De recevoir des dons nouveaux.

Que vos richesses sont immenses,

Amour divin, puisqu’à des dons si beaux.,

Vous y joignez même des récompenses.;

Vous payez de vos dons, Seigneur, les intérêts,

Vous couronnez vos biens couronnant mon mérite :

Si je vous sers, si je vous plais

Si, de mes devoirs je m’acquitte,

N’est-ce pas de vous seul que je tiens vos bienfaits ?


Cependant, ô Bonté Suprême !

Comme si c’était à moi-même

Que vous dussiez quelque retour ;

Vous me comblez d’une faveur immense ;

Je suis hors de moi quand je pense.

An grand excès de votre Amout.

Sur le même sujet.

L’Amour rend libéral, et le cœur généreux

N’ose rien posséder : tout est à ce qu’il aime ;

Pour soulager un malheureux, —

Il voudrait se donner soi-même.


Si je fais quelque bien je prends de vos trésors,

Divin Amour, ô source intarissable,

Pour les âmes et pour les corps !

Le cœur bien amoureux me paraît incapable

De s’approprier aucun bien ;

Sa richesse est de ne posséder rien.


L’Amour est son trésor, son bonheur, sa richesse :

Il trouve en lui sa force et sa sagesse.

Lorsque privé de tout il ne possède rien,

Il connaît que l’Amour est son unique Bien.

XXVI. Rien ne pèse à celui qui aime.

QUAND on aime son Dieu d’un amour véritable,

Les plus rudes travaux nous paraissent légers.

Que le joug du Seigneur est un joug délectable !

Pour lui plaire, on ne craint ni tourments ni dangers.


L’Amour parfait ne peut craindre la peine ;

Qui la craint, aime faiblement :

Qui craint le joug, qui redoute la chaîne,

N’est pas un véritable Amant.

Souffrir pour ce qu’on aime

Est un plaisir charmant,

Quand l’Amour est extrême.


Amour, Amour ta divine rigueur

N’a rien que de bon, que d’aimable :

Qu’il est vrai qu’un bon cœur

La trouve préférable

À toute autre douceur !

Travaux doux et plaisants

Délicieuse charge

Mettant mon âme au large,

Que tu plais à mon cœur quoique contraire aux sens !

Ah ! fais que mon martyre

Ne finisse jamais, Amour, que je n’expire !

XXVII. Le seul Amour est source de tous biens.

DANS l’union d’Amour on trouve tous les biens ;

Elle communique la vie :

C’est dans ses doux liens,

Où l’âme est asservie,

Que ces heureux Amans,

Goûtent mille contentements.


De toutes les vertus l’Amour pur les couronne ;

Loin d’être chargés de ce poids,

Ils se trouvent chargés des faveurs qu’il leur donne

Et soulagés tout à la fois.


O. divin assemblage !

Ô bonheur sans pareil !

Cher et doux esclavage,

Agréable appareil !


Quoiqu’il paraisse ici des croix et des souffrances ;

Tout est rempli de paix, de plaisirs innocents :

Ne nous arrêtons pas aux seules apparences,

Mais pénétrons jusqu’au-dedans.


Voyez que cette âme est contente !

On aperçoit aisément dans ses yeux,

Que toute son attente

Est déjà dans les Cieux ;

Qu’elle ne voit que de vraies délices

Dans ce que les mondains appellent des supplices ;


Amour, Amour donne-moi ces faveurs,

Je préfère la croix à toutes les douceurs.


Sur le même sujet.

L’Amour aux cœurs unis rend toute chose aimable ;

Cette union est source de tout bien :

Jamais aucun fardeau n’accable

Quand l’Amour en est le soutien.


Les peines sont faveurs, la douleur récompense

Lorsqu’on a le goût affiné ;

On trouve un vrai bonheur dans l’humble patience

Quand on est bien abandonné.


Comme au soin de l’Amour on remet sa conduite

Rien ne cause plus d’embarras.

Si par toi, cher Amour, j’allais être détruite,

Mon cœur n’en soupirerait pas.


Un soupir échappé rendrait-il infidèle

Un si pur et parfait Amant ?

La justice ne fut jamais, jamais cruelle :

On soupire d’amour et de contentement.

XXXIX. La Paix et l’Amour vont ensemble.

LE calme et la tranquillité

Accompagnent toujours l’Amour pur et sincère ;

La douce paix est nécessaire

Pour discerner en nous la sainte Charité :

Le trouble, le chagrin, jamais ne l’accompagne

Dans la ville ou dans la campagne : -

Dans les plaisirs ou bien dans la douleur

L’égalité fait son bonheur :

La paix la suit, la paix fait ses délices

Au milieu même des supplices.


Vous l’aviez bien promis, ô, mon divin Époux

Cette paix qui ne peut procéder que de vous ;

Cette paix qui tout bien surpasse,

Que produit en nous votre grâce,

Que le monde ne peut donner,

Paix que même il ignore :

Ô, mon grand Dieu, que j’aime et que j’adore,

Je veux de tout mon cœur à vous m’abandonner.

Que votre paix soit ma richesse,

Mon asile et ma forteresse

Elle possède un cœur quand vous le remplissez.


ELLE EST ; VOUS ÊTES :

Taisons-nous, c’est assez.

Goûte la paix, mon cœur ; langues soyez muettes ;

Et ne parlons jamais

De cette heureuse Paix !

XXX. L’Espoir nourrit une Âme-amante.

L’ESPÉRANCE sert d’aliment

Au véritable Amant

Dans les travaux que l’on endure :

La charité pure,

La sincère foi

Sont la sainte loi

Qui règle la vie.

L’âme en Dieu ravie

Ne trouve plus rien

Que l’unique Bien.

Lui seul la contente

Et fait son plaisir ;

Une paix touchante

Comble son désir.


Heureuse Espérance

Que rien ne déçoit !

Puisque par avance

Ici l’on reçoit,

Dans la ferme attente

Du bonheur promis

Une âme constante,

Un esprit soumis,

Un amour fervent


Une foi non feinte,

Un contentement

Pur et sans atteinte.

Avec grand courage

Ce cœur généreux

Voit fondre l’orage :

Les flots écumeux

Font voir le naufrage

Peint devant les yeux.

Le cœur inflexible

N’en est point touché

Il n’est plus sensible,

Son œil est bouché

Pour toute autre chose

Que pour son Seigneur

L’âme se repose

Dans son sacré cœur.


Admirable Amante

Que tu vis contente

Malgré les dangers !

Tes maux sont légers,

Ton bien est immense,

Ton cœur sans souci.

Qui fait tout ceci ?

C’est ton Espérance.

XXXII. L’Amour redresse toutes choses.

QUELQUES défauts qu’ait eus notre conduite,

L’Amour fait tout redresser et régler :

Jamais rien ne peut égaler,

Le bien d’une âme pure et par l’Amour instruite.


Le mensonge et l’erreur n’accompagnent jamais

Un cœur que la Charité guide :

La droiture et la paix,

L’Humilité solide,

Empêchent les détours, fruits de la vanité ;

La candeur, la sincérité,

La bonne foi, la joie et l’innocence,

Sont la saine science

Que l’Amour pur enseigne à ses Amans :

,, Si vous n’êtes, dit-il, ainsi que des enfants,

« Vous ne sauriez me plaire :

« Ils savent me louer, m’aimer, me satisfaire,

« Je me plais dans leur cœur,

« Et je sais leur bonheur.

« Ce n’est point aux sages du monde

« Que je révèle mes secrets :

« C’est des petits Enfants l’humilité profonde

« Qui pénètre mes saints décrets.


Que la petitesse est aimable !

Qu’elle a de douceurs et d’attraits !

Que la finesse est haïssable !

On ne voit que détours, labyrinthes, filets.


Celui qui trompe mieux, passe pour le plus sage ;

Qui sait sur son prochain prendre plus d’avantage

Passe pour être adroit, plein d’esprit, très heureux :

Qui sont les plus contents, ou des enfants ou d’eu

XXXIV. Tout doit rentrer dans sa première source.

QUE votre libéralité,

Amour, est magnifique et grande !

Sa noble et belle qualité

Est de vouloir qu’on vous demande.

Mais lorsque vous donnez, vous voulez un retour

Permettez-moi ce mot, divin Amour,

C’est qu’un peu d’intérêt, ce semble vous anime ;

Vous donnez les vertus, vous en voulez les fruits :

Mais vous pourrait-on bien les refuser sans crime ;

Puisque par votre Amour vous les avez produits ?


La vertu sans l’Amour est un arbre stérile ;

L’Amour rend tout fertile :

Tout feu qu’il est, il diffère en ce point

De celui qu’on voit dans le monde

Dont la chaleur bien loin d’être féconde

Détruit, consume tout, et ne reproduit point.

Le feu sacré dans notre cœur

Donne naissance

À la bonne semence,

La fait croître et mûrir par sa céleste ardeur.


Ô feu divin, qui produit toute chose,

Toi, qui donnes à tout une juste valeur,

Tu n’est pas moins la fin que l’admirable cause

Del'éternel bonheur.

Quelle espérance,

Quelle abondance,

Quelle douceur

Chastes délices

Heureux supplices,

O. saint Amour !

Quel sera l’éternel séjour ?

XXXV. Il est ferme et constant

AMOUR, auprès de toi, les plus rudes tourments

Passent pour des contentements

Les tortures, les feux, éprouvent ma constance :

Soutenu de ton bras puissant,

Cette unique assistance,

Ce bonheur infini de te voir si présent,

M’ôtent le sentiment des plus affreuses peines ;

Les bourreaux armés de leurs gênes

Ont beaucoup plus que moi d’horreur,

De mon excessive douleur.


Amour, source de mes délices,

Ne m’abandonne pas au milieu des supplices :

Si tu m’abandonnais, hélas !

Amour, que ne craindrais-je pas ?

Soutenu de ta main puissante,

Qu’il est aisé que l’âme soit constante !


Ah ! je serais bientôt accablé de frayeur ;

O que je serais faible et que j’aurais de peur ;

Si tu m’abandonnais un moment à moi-même !

Lorsque tu me soutiens par ta grâce Suprême,

Je ne me connais plus, je suis victorieux

De ces ennemis furieux

Si je succombe en apparence,

C’est pour faire éclater à leurs yeux ta puissance.

XXXVI. L’Amour édifie et construit.

Oque l’Amour divin est un bon Architecte !

Il bâtit dans nos cœurs un aimable séjour,

Consacré pour l’Amour.

C’est là qu’on le sert, qu’on l’aime et le respecte.


C’est dans le fond du cœur que Dieu fait sa demeure,

Il bâtit, il la sonde, il l’orne, il l’embellit,

Il y vient à toute heure,

Il taille, il retranche, il polit.


Il n’épargne ni soin ni peine :

Ô que l’homme est heureux lorsque d’un œil de foi,

Il contemple en repos la Bonté souveraine,

Qu’il meurt parfaitement pour vivre au divin Roi !

Ranimé par le même il voit jaillir dans soi

L’eau vive, et découverte à la Samaritaine.


Oui, l’homme intérieur,

Trouve alors dans son cœur

Cette vive fontaine :

C’est là qu’en vérité

Il adore le Père ;

Et déjà son Esprit, mis dans l’Éternité

Ne tiens plus à la terre.


Faites donc, ô mon Dieu ! de mon cœur votre temple :

Alors, malgré tout orage et tout bruit,

J’aurai le calme de la nuit,

et rien n’empêchera que je ne vous contemple.

Sur le même sujet.

Détruirez, cher Amour, mon ancienne maison ;

Soyez le fondement d’un nouvel édifice :

Que ce soit un lieu d’oraison,

Où l’on offre du cœur l’éternel sacrifice.


Vous ne l’élevez point sur le sable mouvant ;

Mais sur la roche vive :

Quand le débordement arrive,

Il ne pourra jamais l’ébranler un instant.

Ce qu’on fait sans l’Amour c’est bâtir sur l’arène,

Où le moindre débord entraîne

Ce superficiel, et léger bâtiment.


Nos œuvres, nos vertus sans l’Amour sont de paille,

Qui n’ont en soi nulle valeur :

Heureux ceux avec qui le pur Amour travaille

Leurs œuvres, leurs vertus sont dignes du Seigneur.

XXXVIII. Avec l’Amour on est en assurance.

QUE je me ris de votre effort !

Je n’appréhende point la mort,

Près de mon Bien-aimé je suis en assurance :

Vous ne sauriez me mettre en défiance :

Approchez, approchez vos chaînes et vos fers,

Je n’ai que du mépris pour vos tourments divers.


Lorsque l’Amour divin s’empare de notre âme,

Et qu’il lui fait sentir sa savoureuse flamme,

Qui consume chez nous toute propriété,

Dégagé de ce MOI l’on vit en liberté,

Les chaînes, les prisons, ne sauraient faire craindre :

Le glaive ne peut nous atteindre.


Pourrais-je m’effrayer de l’horreur du trépas ?

La mort a pour mon cœur mille secrets appas :

Elle peut bien m’ôter une fragile vie ;

D’un souverain bonheur cette perte est suivie,

Puisque je dois tomber très infailliblement

Entre les bras de mon Amant.

Ah ! craint-on de voir ce qu’on aime ?

Quoi qu’il coûte, l’Amour extrême

Trouve tout prix trop bas

Pour jouir à jamais de ses divins appas.


Lorsque la Charité de notre cœur s’empare,

La faim, la nudité, rien ne nous en sépare,

La mort, même l’enfer, la persécution,

Ne sauraient empêcher cette sainte union.

Sur le même sujet.

Je vois de tous côtés grand nombre d’ennemis

Qui me pressent et m’environnent :

Ils croient me rendre soumis,

La mort et l’enfer me talonnent.


Malgré tant de dangers, je n’appréhende rien ;

Qu’on me frappe, qu’on m’emprisonne :

Ce qu’on fait contre moi me paraîtrait un bien,

Si le divin Amour me servait de soutien.

C’est à lui que je m’abandonne

Entre ses bras je n’appréhende rien.


J’y goûte une paix profonde,

Que j’oserais défier tout le monde.

Je repose en son sein, et ma tranquillité

Ne viens que de la charité.


Qui me peut séparer de cet Objet aimable ?

La mort ou la captivité

Ne peuvent rien contre la vérité :

Elle est à tout inébranlable.

XXXIX. Il étanche la soif du cœur.

DÉLICES de l’esprit, vous êtes préférables

Aux faux plaisirs des sens ;

Ils ne sont qu’apparents,

Vous êtes véritables ;

Vous avez le solide, ils sont tous décevants.


Divine vérité, que tout le monde ignore,

Vous remplissez mon cœur d’une céleste ardeur :

Source de tous mes biens, cher Époux que j’adore,

Vos salutaires eaux coulent dedans mon cœur.


Que ce fleuve sacré rejaillisse en mon âme ;

Que ces saillantes eaux de la Divinité

Eteignent pour jamais en moi toute autre flamme

Que celle de l’Amour de votre vérité.


Cette eau toute céleste a l’insigne avantage

D’éteindre dans nos cœurs toutes sortes de feux ;

Mais celui de l’Amour en brûle davantage,

L’eau le rend plus ardent, plus pur, plus lumineux.


Donnez-moi de cette eau qui conserve la vie ;

Mais que son effet soit de me causer la mort :

Les liens de ce corps me tenant asservie

M’empêchent de vous joindre et de prendre l’essor.


Mon âme est encor plus que mon corps, prisonnière :

Vous pouvez, mon Seigneur, rompre seul ses liens.

Ah ! faites retourner mon corps en la poussière,

Donnez à mon esprit les véritables biens !

XL. Qui veut aimer n’est plus libre à sa mode.

QUE j’aime votre joug, qu’il est doux et suave !

Que je le craignais vainement !

Je suis libre, loin d’être esclave,

Quand je le porte en vous aimant.


Que mon âme est heureuse, étant votre captive !

J’ai trouvé là ma liberté.

Faites donc, Amour, que je vive

Dans l’humble dépendance à votre volonté.


Heureux joug qui bien loin de captiver mon âme,

Cause un vaste délicieux,

Que tu t’accordes bien avec la douce flamme

Que je garde en mon cœur comme un don précieux !


Le monde qui ne voit que l’apparente charge

Dont à ses yeux je suis comme accablé,

Me croit très-malheureux : mais mon cœur est au large ;

Loin d’être esclave, il est de délices comblé.


Non, le monde ne comprend guère,

Malgré tant de travaux le bonheur du dedans ;

N’estimant que ce qui prospère,

Les honneurs, les plaisirs, ce qui flatte les sens.


Les enfants de Dieu ont bien plus de sagesse,

N’estimant rien, ne goûtant que la croix :

Ah ! que leur goût a de délicatesse,

De savoir faire un si bon choix !


Je vous cède, mondains, les honneurs, les délices ;

J’aime tous mes travaux, ma chaîne, ma prison :

Quand même il me faudrait souffrir tous les supplices,

Je trouverais encor que j’ai grande raison :

Disons sans artifice,

Que qui connaît l’Amour et sa juste valeur,

Et qui fait lui rendre justice,

Approuvera le penchant de mon cœur.

Sur le même sujet.

Qui peut se plaindre de ta charge,

Amour, et de ton joug, ne l’a jamais porté.

D’un si doux esclavage, ah ! s’il craint qu’on le charge,

Il est captif de la cupidité.

En captivant le cœur tu le mets plus au large ;

Tu lui donnes la liberté.


[…]

XLI. L’Unique Amour brille entre les vertus.

AMOUR, divin Amour, qui comprend en toi-même

De toutes les vertus l’excellence suprême,

Source de la justice et soutien de la foi,

Tout ce que l’on espère est renfermé chez toi.


Sans toi la pénitence est une hypocrisie,

La prudence et la force une pure manie ;

Sans toi, divin Amour, croix, martyres, tourments,

Seraient de vains amusements.


[…]

XLII. L’Amour surmonte tout.

QUI peut résister à l’Amour ?

Lui qui surmonte tout, dont la force invincible

Malgré forts et remparts, perce, rompt et fait jour,

Atteins ce qui paraît le plus inaccessible.


Dieu cède à notre forte ardeur,

II suspend son courroux, s’apaise et rend les armes

Lorsqu’il découvre au fond de notre cœur

Que l’Amour est la source de nos larmes.


Amour, puissant Amour et vainqueur Souverain,

Que tes coups sont charmants ! que j’aime tes blessures !

Tire, entame, détruis, n’épargne pas mon sein,

Fais, fais couler mon sang par cent mille ouvertures.

Ne laisse rien qui ne soit tout divin,

Ôte l’impureté, nettoie les ordures,

Bannis ce qui reste d’humain,

Tu veux pour tes enfants des âmes toutes pures.


Tu ne détruis un cœur que pour le rendre fort :

Lorsqu’il n’est plus à soi, Dieu le meut et l’anime ;

Il vient à bout de tout sans faire aucun effort ;

Cette figure nous exprime

Comme l’Amour divin conduit l’arc et le bras

De cette Amante fortunée ;

Vois comme dextrement et sans nul embarras

Elle tire, sa flèche à vaincre destinée :

Elle perce du premier coup

Cette épaisse et sorte cuirasse :

Non, il n’est rien dont on ne vienne à bout

Aidé d’Amour, car sa force surpasse

De l’enfer le plus rude effort,

Enfin l’Amour est plus fort que la mort.

XLIII. Agité, il devient plus ferme.

[…]

Ce chêne que je vois battu de la tempête,

Ne fais que s’affermir : son orgueilleuse tête

Parais braver les vents impétueux,

Se roidissant dans sa racine

Lorsque ces thèmes injurieux

Semblent le menacer d’une prompte ruine.


Il en est ainsi de mon cœur ;

Lorsque chacun lui fait la guerre,

Qu’il entend gronder le tonnerre,

Il s’affermit contre la peur.


Regardant sans pâlir où tombera l’orage,

Il soutient tout avec courage ;

Il n’est point abattu, non plus qu’audacieux,

Fier du secours des cieux.

XLIV. Le véritable Amour ne fait point de mesure.

L’AMOUR de Dieu doit être sans mesure

On ne manque jamais

Dans ses divins excès :

Plus il est violent, et plus sa force dure.


Lorsque l’qn aime bien, on ne veut plus de règle,

La simple Charité

Jointe à la Vérité

Prends l’essor comme une aigle :

Laissant tout ce qui n’est pas Dieu,

On ne veut rien de tout ce qui fait un milieu.


Ah ! lorsque l’Amour est extrême,

L’on meurt à tout aussi bien qu’à soi-même,

Et l’on trouve la vie en cette heureuse mort.

Mourons donc toujours de la sorte !

Plus notre Charité sera sincère et forte,

Et plus prompt sera son effort.


Amour, en brisant tout, romps le fil de ma vie,

Qu’heureux sera mon sort,

Lorsque par son attrait l’Amour puissant et fort

Me l’aura sans pitié ravie.

Amour, Amour plus rien de limité,

Abîme-moi dedans ta charité.

[…]

Rompons, divin Époux, la règle et le boisseau ;

Laissons les thèmes à l’aventure ;

L’Amour donne un plaisir nouveau.

Disons et redisons, rien ne paraît si beau,

La règle de l’Amour est d’aimer sans mesure.

[…]

XLV. Les vents font qu’il s’accroît.

PLUS je suis accablé d’ennuis et de traverses,

Plus je sens dans mon cœur croître les sacrés feux :

Tant d’horribles tourments, tant de peines diverses, .

Bien loin de m’affliger, comblent enfin mes vœux.


Que ton souffle divin Esprit tout adorable,

Qui paraît au-dehors agiter notre cœur,

Nous cause par dedans un calme délectable !

Cette agitation augmente notre ardeur.


S’il est vrai qu’en l’Amour si charmante est la peine,

Quels seront dans les cieux ces torrens de plaisirs,

Dont la main de l’Amour puissante et souveraine

Par de divins excès doit remplir nos désirs !


Amour, divin Amour, qu’en secret je réclame,

Que tes feux me sont chers ! j’adore tes rigueurs.

Ah ! si je pouvais voir un jour ta sainte flamme,

En m’anéantissant, brûler les autres cœurs !


Croissez, brûlez sans fin, sans jamais vous éteindre :

Augmenter vos tourments, c’est croître vos bienfaits.

L’âpreté de vos feux ne saurait faire craindre ;

Plus on est consumé, plus on trouve de paix.


O feu qui détruis tout ! viens et détruis ma vie,

Unis-moi, je te prie, à mon Souverain Bien !

Mais je ne puis avoir ce sort digne d’envie,

Que je ne sois par toi réduit à n’être rien.

XLVIII. Au cœur touché d’Amour tout peut servir de voie.

LORSQUE l’on suit l’Amour nul danger ne fait craindre, ,

On se fait passage par tout ;

Lorsqu’on voit tout perdu, qu’on est le plus à plaindre,

Des plus affreux sentiers, l’âme trouve le bout.


Cette Amante sans peur sait traverser la presse

Des flots grondants de la mer en courroux,

Sans vaisseau, sans mâts : son adresse

Viens de son abandon au soin de son Époux.


Ces terribles écueils ne lui sont point de peine,

Elle dédaigne de les voir :

Ce qui fait son repos c’est qu’elle est très-certaine

De sa bonté, de son pouvoir :


Moins nous pensons à nous, et plus sa Providence

Nous accompagne pas-à-pas :

Augmentons notre constance,

Son soin ne nous manquera pas.

[…]

Sur le même sujet.

Il me faut donc passer cette mer orageuse ;

Dois-je m’abandonner à la merci des flots ?

Ah ! que je suis peu conrageuse,

Moi qui n’aimais que le repos.


Il me faut donc franchir abîme, précipice,

Être ainsi le jouet, Amour, de ta justice :

Est-ce là les grands biens que tu me promettais ?

Veux-tu me voir périr ? je suis presque aux abois :


Amour, tu ris de mon naufrage :

Je sens lever les flots, j’entends gronder l’orage,

La mer en s’entr’ouvrant ne me laisse rien voir,

Qu’un abîme profond où je suis prête à choir.


Traites-tu donc ainsi ton amante si chère ?

Périssons, j’y consens, je veux te satisfaire ;

Et sans plus écouter mes pleurs injurieux

Amour ; je vais périr, et périr à tes yeux.

XLIX. L’Amour est un vrai sel à l’âme.

LE sel est de tout temps symbole de sagesse ;

La charité sale nos actions,

Donnant à nos affections

Et l’incorruption, et la délicatesse.


La sagesse et l’amour s’accordent bien ensemble,

Celle-ci le conduit droit au Bien Souverain,

Et détourne le cœur humain

De ces appas trompeurs que l’univers rassemble.


L’Amour, comme un feu pur, mont droit à sa sphère

Il ne trouve rien ici-bas

Où l’on puisse tourner ses pas ;

Tout est empoisonné : s’il veut se satisfaire,

Il rencontre la mort,

Mais s’il prend son effort,

I1 outrepasse toute chose,

Il ne s’arrête à rien, il va jusqu’à son Dieu ;

Cet admirable feu

Remontant à sa cause,

Trouve dans lui sans nul défaut

Sa pureté, sa force et son repos.


Là sagesse est un sel, dont la force est extrême,

Sans lui tout est insipide et rampant :.

Qui n’a le sel d’amour s’il veut dire qu’il aime,

Son dire est fade, et ce n’est que du vent.

Trompé par sa propre raison,

L’amer lui parois doux, et la douceur poison.


La sagesse et l’amour sont sel de notre âme,

Ils la rendent d’un goût exquis ;

Si tous les biens nous sont acquis

Si nous savons brûler de la divine flamme.

L. Il chasse toute crainte.

L’AMOUR parfait bannit toute sorte de crainte :

À ses véritables Amans,

Il inspire des sentiments

Où la peur ne saurait donner aucune atteinte.


Il est sûr que la peur naît de la défiance :

Lors que l’on est rempli de foi

On ne craint rien pour soi ;

L’Amour pur est suivi de foi, de constance.


L’Amour est élevé, fonde le vrai courage,

Et répands ses saveurs

Richement aux grands cœurs ;

La force est leur partage.


Son cœur est généreux, son âme, une âme grande,

Point de timidité,

La libéralité

Est ce qu’il recommande.


Amour, divin Amour, donne-moi la largesse ;

Puisqu’un cœur étendu

S’est de-tout thèmes rendu

Ennemi de toute bassesse.

LII. La conscience en est témoin.

[…]


Je sens certain je ne sais quoi

Me porter presque malgré moi

À préférer l’utile au délectable :

Mes sentiments tournent vers l’équitable.


Sans regarder mes intérêts,

Je me soumets, Seigneur, à tous tes saints décrets,

Je veux bien pour ton Nom vivre dans la souffrance,

Te prouver mon Amour par mon obéissance.


Nous avons au-dedans un souverain Moteur,

Qui ne nous laisse point surprendre ;

Et cet éclairé Diredeur

Ne nous permets jamais de nous méprendre.


LIII. Il abhore l’orgueil.

POUR être à Dieu, l’humilité profonde

Est le plus sùr moyen :

Dieu veut qu’on ne soit rien,

Et la superbe plaît et règne dans le monde.


JÉSUS-CHRIST le premier a choisi la bassesse,

Le mépris sut sa passion,

La pauvreté l’objet de son affection,

Ce fut là sa doctrine et sa haute sagesse.


L’orgueil seul lui déplaît, le bannit de notre âme ;

La superbe lui fait horreur,

Il se plaît dans un cœur,

Quand il est humble et pur, sa Charité l’enflamme.


Il le mène et l’enseigne, il l’échauffe etl'éclaire,

Il ne l’abandonne damais,

Le comble de mille bienfaits,

enfin l’humble et petit fait l’aimer et lui plaire.

[…]

L’orgueil croît avec nous, et nous suit au tombeau,

Il augmente même avec l’âge :

Toujours quelque sujet nouveau

Lui donne sur nous l’avantage.


Hélas ! divin Amour, arrêtes-en le cours :

Toi seul as pouvoir de le faire ;

Sinon, il me suivra toujours

Il est à mes désirs contraire :

Je vois l’humilité pleine de doux appas !

Je l’aime, je la veux, et ne la trouve pas.

LIV. Il a soin d’inculquer ses loix.

DIEU par une bonté qui n’eut jamais d’exemple

Me vient chercher dans l’erreur et m’instruit,

M’ouvre les yeux, m’enseigne à petit bruit,

Ordonnant qu’en secret je l’aime et le contemple.


De sa divine loi il me montre le livre,

C’est là l’objet, me dit-il, de ta foi :

Écoute-là, laisse tout, et suis-moi ;

Pratique ces conseils, et tu pourras me suivre

Renonce à tous plaisirs, embrasse la vertu,

Que ton cœur par les maux ne soit pas abattu,

Meurs à toi-même afin de pouvoir mieux revivre.


Ne te lasse jamais d’admirer et de voir

L’excès de Mon Amour, et quel est mon pouvoir,

Regarde mes bienfaits, écoute mes paroles,

Banni loin de ton cœur tant de desseins frivoles,

Ne pense qu’à me plaire ; et ton cœur généreux

Trouvera que c’est moi, qui puis le rendre heureux.


Privé de tous les biens il aura l’abondance :

Lorsque plus de malheurs accableront tes sens,

Qu’en de rudes travaux tu vois couler tes ans,

Tu goûteras alors ce que peut ma clémence.


Je calme ton esprit, je sape ta douleur,

J’adoucis tes ennuis, et je charme ton cœur,

Contre tes ennemis je suis seul ta défense :

Rien ne peut échapper à mon extrême Amour,

Ne songe qu’à m’aimer, qu’à me faire la cour ;

Et puis, demeure en paix, sûr de ma Providence.



LVI. L’Amour réunit les semblables.

L’Amour divin nous comble de faveurs.

Que ses caresses sont aimables !

Mais, afin de jouir de ces biens délectables,

Il nous faut lui donner nos cœurs ;


Et les donner de telle sorte,

Qu’on ne s’en réserve plus rien ;

Lorsque son Amour nous transporte

Il nous donne son cœur, et rends-le notre lien.


Il paye en un moment nos ennuis, nos traverses,

Il nous porte en son sein, il fait tarir nos pleurs ;

Il nous fait oublier tant de peines diverses,

Par les épanchements de ses saintes douceurs.


O nion Epoux divin ! Que j’aime et que j’adore,

Soiez mon unique soutien :

Je n’aime rien que vous, et je désire encore

Vous aimer davantage, ô mon Souverain Bien !

Que je sois toute à vous, et non pas à moi-même,

Que je ne vous quitte jamais :

Le but où tendent mes souhaits

Est de m’unir à vous par un Amour extrême.

Sur le même sujet.

L’Amour sacré rend égaux les amans ;

Et les unit d’une chaîne éternelle :

Lorsque je vois leurs saints embrassements

Je comprends bien leur amour mutuel.


Quoi, vous vous abaissez, mon Souverain Seigneur,

Jusqu’à vous égaler votre pauvre servante !

Cette bonté ravit mon cœur :

Qu’elle est forte, qu’elle est touchante !


Vous m’aimez le premier

D’une Amour pure et gratuite ;

Faites que mon retour, cher Époux, soit entier,

Et que pour être à vous, moi-même je me quitte.


Je vous aime pour vous, ô Souverain Auteur

De ma chaste et pudique flamme ;

Sans m’occuper de mon bonheur,

Je vous abandonne mon âme.

LIX. C’est le but de l’Amour, de deux n’en faire qu’un.

C’EST là la fin de toute chose,

C’est le but de tous nos désirs :

Admirable métamorphose !

Comble des innocents plaisirs !

Unité que le Fils demandais à son Père

Pour ses Disciples bien-aimés !

Chaste lieu ! Adorable mystère !

Doux espoir des Prédestinés !


Qui pourrait espérer un si grand avantage

Si vous ne nous l’aviez promis ?

C’est le sublime et l’excellent partage

Que vous donnez à vos amis.


Qui pourrait le penser, encor moins le prétendre ?

Le Tout veut bien s’unir avec que le néant ;

Le Seigneur Souverain avec un peu de cendre,

Une goutte à son Océan.


Pour nous conduire aux cieux,

Il en voulut descendre :

Abandonnant sa gloire, il nous rend glorieux :

Je me perds ; et ne puis comprendre

Seigneur, l’excès de votre Amour.

Permettez-moi de vous le dire

Je suis un malheureux, même indigne du jour,

Vous partagez pourtant avec moi votre Empire.


Vous faites encor plus ; vous vous donnez à moi,

Et votre Amour extrême,

Vous fait me changer en vous-même ;

Votre bonté m’étonne et me remplit d’effroi,

Vous oubliez ce que vous êtes,

Mais je ne puis oublier qui je suis :

Je révère ce que vous faites,

Heureux ceux qui vous sont unis !

Sur le même sujet.

La fin d’un chaste Amour est l’entière Unité ;

L’Amante et son Amant sont une même chose.

C’est plus, une métamorphose

Transforme en son Amant l’Amante en vérité.


Il ne faut plus ici de carquois ni de flèches :

L’Amour a quitté son bandeau ;

Et par un miracle nouveau

Entre dans le cœur sans y faire de brèches.


Regardons le chemin par où l’âme a passé :

Que de rochers, de précipices,

Que d’agitations, de travaux, de supplices !

Mais enfin dans l’Amour son cœur est trépassé.

Ô digne et bienheureux trépas !

O. mort toute délicieuse

Pour cette belle âme amoureuse,

Qui ne vous désirerait pas ?


Le trépas est l’heureux passage

Qui met cette Amante en partage

De tous les droits de son Époux :

Vous faites plus, Amour, la transformant en vous.

LX. C’est de la Loi la consommation.

Qui pourrait exprimer le bonheur admirable

Que goûte un cœur qu’Amour conduit ici !

Il a trouvé le repos perdurable,

Exempt d’ennui, de crainte et de souci :

Tout est calme, tout est tranquille :

On ne veut rien que Dieu, qu’on aime uniquement.

Il est le ferme appui, comme le sûr asile,

On trouve tout en lui, le vrai contentement,

L’invariable paix dont parle l’Évangile

Qui surpasse tout sentiment,

Qui rend le précepte facile,

Le sentier des vertus droit, uni, tout charmant.


Lorsque de ces Vertus on a fait son étude,

On trouve dans la Charité

Cette admirable plénitude

Qui nos esprits met dans la vérité :

Sa lumière aisément dissipe tout nuage

Que produit une vaine erreur :

L’Amour sacré donne ici l’avantage

De goûter à longs traits la céleste douceur.


Si déjà l’on éprouve une si douce vie,

Que doit être l’éternité ?

De quelles voluptés sera-t-elle remplie ?

Bien, qui n’est jamais limité !

L’âme alors en son Dieu ravie,

Possède l’immortalité.


Sur le même sujet.

Le pur Amour est donc la fin de toutes lois ;

Il les renferme en soi, bien loin de les exclure :

L’âme au-dessus de la nature

N’a plus ni volonté ni choix.


Depuis longtemps sa volonté perdue

Dans la charité pure et nue

Ne lui laissait nul usage de soi ;

L’Amour alors était sa loi.


Mais depuis que l’Amour en lui l’a transformée

Il a changé sa destinée ;

Elle obéit et commande à son tour :

Son vouloir dans l’Amour est un vouloir suprême ;

Ne la regardez plus, cette Amante, en soi-même,

N’envisagez que son Amour.


Ne nous amusons point au-dehors, à l’écorce ;

Ce serait une vaine amorce :

Mais pénétrons jusqu’au-dedans

Et ne distinguons plus ces trop heureux Amans.


Ici toute activité cesse ;

Ce n’est ni douleur ni caresse :

On est en un parfait repos :

Tout se termine enfin au Sabbat du Très-haut.



ÉPILOGUE

Toi, délices de l’âme pure,

Amour, qui pénètre le cœur

Ayant surmonté la nature

Par ta pure et ta chaste ardeur ;


Lumière simple, inaccessible

Souverain Donneur de tout bien,

Toi qui rends le cœur inflexible

En l’abîmant dedans son rien.


Enfant qui gouverne le monde ;

À qui je consacre ces vers ;

Par une grâce sans seconde

Répands-les dans cet univers.


Que tous viennent à te connaître,

Mais encor bien plus à t’aimer

Comme seul Auteur de tout être ;

Fais-leur L’AMOUR PUR estimer.


Ah ! fais qu’ils t’aiment sans partage ;

D’un amour désintéressé ;

Fais-leur entendre mon langage,

Amour, oui, tu m’as exaucé.


Je sens leur cœur qui se remue,

Et qui se présente à tes traits ;

Que ta vérité pure et nue

Les frappes selon mes souhaits :


Je n’en ai plus que pour ta gloire,

Je ne désire rien pour moi :

Daigne remporter la victoire,

Divin Enfant, deviens leur Roi :


frappe-les quand je les amuse ;

Et que leur divertissement

Soit de se livrer sans excuse

À ton petit bras tout-puissant.


Tu sais bien pour qui je t’implore,

Rien ne saurait t’être caché.

Ô Toi ! que j’aime et que j’adore

De tout, rends leur cœur détaché.


Qu’ils te recherchent pour toi-même

Sans penser à leur intérêt ;

Se livrant au vouloir Suprême

Qu’ils ne s’en retirent jamais.


Fixe de l’homme l’inconstance,

Apprens-lui tes sentiers secrets ;

Qu’il connaisse ta sapience,

Et se livre à tes saints décrets.


Enfin, sois l’âme de leur âme ;

Donne telle grâce à mon chant

Qu’il produise en eux cette flamme

Qui vient de toi, Divin Enfant.


Si ton Épouse fut fidèle,

Si son cœur n’espère qu’en toi

Si son amour est éternel,

Favorise en cela sa foi.


Elle a chanté son aventure

En tous chants, en toutes façons,

Cette Charité sans mesure

Qui surpasse tous autres dons.


Elle dépeint là tes caresses

Et mille chastes voluptés,

Tant de mutuelles tendresses

De qui les sens sont enchantés.


Ne croyez pas, peuples fidèles,

Que ce ne soit que des chansons ;

Dessous ces figures nouvelles

Il est d’excellentes leçons.


Recevez par le divin Maître

De ma main ces petits présents :

Pour récompense, veuillez être

De simples et petits enfants.



Les effets différens de l’amour sacré et profane [reprise de l’édition Poiret, 1722]

Représentés dans plusieurs Emblèmes,

Exposés en Vers Libres.

XXII. Il a tendu son arc, et m’a mis comme en but à ses flèches. Lament. 3. v. 12.

MON cœur et comme un blanc où vous tirez sans cesse

Des traits qui sont tout enflammés :

Je sens augmenter ma faiblesse ;

Épargnez-moi si vous m’aimez.


Je me repens de mes paroles ;

Doux Amour, augmentez vos coups ;

Ah ! que mes craintes sont frivoles !

Peut-on appréhender les traits de son Époux ?


Frappez, frappez, mon adorable Maître ;

Que désormais mon cœur soit le but de vos coups :

Blessez-le, et qu’il soit tout à vous ;

Faites-vous aimer et connaître.


Ah ! vous m’avez percé le cœur,

Que vos flèches sont pénétrantes !

Traitez-vous donc ainsi, trop aimable Vainqueur,

Ceux qui sont tout à vous, vos fidèles amantes ?

XXV. Ôtez la rouille, et il se formera un vase très-pur. Prov. 25. v. 4.

HÉLAS ! mon cœur esl plein de rouille ;

Que cause ma propriété :

Si j’ai de vos dons, je les souille ;

Mettez-le, mon Seigneur, dans votre vérité.


Ah ! faites-le passer sous la meule avec l’eau ;

N’épargnez point les coups, mais lavez son ordure ;

Non, ce n’est pas assez, formez-en, un nouveau,

Qui n’ait plus rien de l’humaine nature.


Vous avez un moyen qui me paraît plus court ;

Mettez-le dans votre fournaise,

Daignez le consumer du feu de votre amour ;

Il fera plus d’effet que la plus forte braise.


Mes yeux fourniront assez d’eau

Pour laver mon cœur infidèle

Mais, ô divin Amour ! sans ce sacré fourneau ;

Il pourra contracter des souillures nouvelles.

XXIX. Je vous conjure de ne point réveiller la Bien-aimée. Cant. 3. v. 5.

NON, non ; je ne crains plus le monde et son effort ;

Le Démon ne me saurait nuire !

Je n’appréhende point ni l’enfer ni la mort,

Les tortures ni le martyre.


Je vis en assurance, en repos je sommeille ;

Car l’amour fait ma fermeté

Quand je dors, pour moi son soin veille ;

En lui gît ma sécurité.


Je n’ai plus de souci, je n’appréhende rien ;

Ma paix est douce et sans seconde :

Je ne connais ni mal ni bien,

Et vis comme étant seule au monde.


Je ne vois que l’Amour, je ne connais que lui ;

Je suis à tout comme étrangère :

Il est ma force et mon appui ;

Il fait d’un poids affreux une charge légère.

XXXIV. Union d’Amour.

UNISSEZ, unissez, ô mon céleste Époux

Nos deux cœurs d’une telle sorte,

Qu’on ne voie plus rien que vous ;

Donnez la braise la plus forte.


Tournez-les mille fois dedans votre fourneau ;

Battez le mien sur votre enclume ;

Réduisez-le à néant : qu’alors il sera beau !

Si votre feu s’éteint, faites qu’il se rallume.


Un cœur pareil au vôtre, et qu’ils n’en fassent qu’un :

C’est le bonheur auquel j’aspire.

Consumez tous les cœurs en un

Par un délicieux martyre.


Qui se plaint de vos feux, ne les connut jamais :

Pour moi, j’y trouve mes délices.

Est-il de véritable paix

Pour qui n’éprouve pas ces aimables supplices ?

XLIV. Qu’ils soient consommés en l’unité. Jean 17. v. 23.

LA fin de l’Amour pur est l’union intime,

Où cet Amour conduit par des chemins rompus.

La croix et le mépris, non la gloire etl’estime,

Est le chemin sacré, tout autre est superflu.


DIEU SEUL : un seu ! Amour réunit toutes choses ,

Ce point unique est le Souverain Bien.

L’Amour nous fait passer en notre unique Cause,

Où Dieu, notre principe, est moteur et soutien.


Admirable union de Dieu, de l’âme amante !

Il s’en fait à la fin un mélange divin.

L’âme sans rien avoir est ferme, elle, est contente,

L’Amant la transformant en son Bien souverain.


Elle ne paraît plus, cette Amante chérie,

DIEU SEUL opère en elle : et dans son unité

Elle est si fort anéantie,

Qu’on nc discerne plus que l’Amour vérité.

CONCLUSION.

QUEL fruit tirer de tout ceci,

Sinon qu’il faut être à Dieu sans partage ?

Nous aurons un double avantage,

Qui nous était inconnu jusqu’ici.


C’est qu’en aimant un Dieu, comme il est notre centre,

On trouve en lui le plus parfait repos :

Avec le pur amour, aucun autre amour n’entre,

Ce qui rend l’amour sans défaut.


Le cœur est reposé dans cet être Suprême,

Dans cet Objet rare et charmant,

Qui sans sortir hors de soi-même

Gouverne tout parfaitement.


Il attire le cœur par un charme invisible,

Pourtant si puissant et si fort,

Que quoiqu’il ne soit pas sensible,

Il est bien plus fort que la mort.


Soumettons-nous à son Empire,

Malgré le ravage des sens :

On souffre d’abord un martyre

Qu’Amour récompense en son temps.

FIN.




Quelques Emblèmes illustrés




Emblème IV. Son orgueil sera humilié. Osée 7. vs.10.

Rien n’est plus odieux au souverain Amour

Que la superbe de la vie :

L’Amante et fon Amant combattent tour à tour

Afin de la voir asservie.


On ne peut plaire à Dieu dedans l’élèvement ;

L’humilité l’attire dans notre âme :

Demeurons dans l’abaissement

Si nous voulons sentir sa douce flamme.


Il s’éloigne de la hauteur ;

Il s’écoule dans la vallée :

La souplesse et le rien, l’attirent dans le cœur ;

Car il se plaît dans l’âme ravalée.

Gant, vol. 4.


Il la comble de biens, cet adorable Époux

Sans cesse anéantissons-nous :

Son pur amour deviendra le partage

De ce profond abaissement

Nous entendrons son sublime langage,

Qu’on n’entend jamais autrement,







Emblème XII. Le peu de jours qui me restent finiront bientôt. Job 10. vs. 20. — Vous en avez marqué les bornes, et je ne les puis passer. Ch. 14. vs. 5.


Souviens-toi, mon divin Amour,

Que mes jours passent comme l’ombre

Dedans cette demeure sombre :

Tu peux me montrer un beau jour.


Ta présence est source de la lumière ;

Ton absence me met dans une sombre nuit :

Fais-moi la grâce toute entière

Brûle mon cœur, éclairant mon esprit.


Jamais la mort ne me fera de peine

Si l’Amour brise mon lien :

Car plus mon heure est incertaine,

Plus je me laisse à mon Souverain Bien.


Mon cher Époux, pardonne-moi, pardonne ;

Mes jours, tu le sais, ne sont rien :

C’est à toi que je m’abandonne

Dans ma faiblesse, ah ! deviens mon soutien.


Quoique mes ans paraissent courts,

Tu peux les employer, cher Époux, à ta gloire :

Quand je serai dans la demeure noire

Mon cœur te bénira.

Source de cette image 1420

Emblème XVII. Daignez, Seigneur, régler mes voies de telle sorte, que je garde la justice de vos ordonnances.


DANS ce terrible labyrinthe,

Si rempli de tours et détours,

Je marche, cher Époux, sans crainte,

Sur la foi de votre secours.


Je regarde de loin tomber au précipice

Les plus hardis et le plus clair voyant :

Je vais sans voir et tout mon artifice

Est de m’abandonner aux soins de mon Amant.


Cet aveugle est un grand exemple

De l’abandon et de la foi ;

Lorsque de loin je le contemple

Je me fens ravir hors de moi.

Il suit son petit chien et marche en assurance

Sans broncher ni faire un faux pas.

Je fuis guidé par votre Providence

Et je pourrais ne m’abandonner pas ?


Celui qui compte sur sa force

Sur son adresse et son agilité

Son orgueil lui servant d’amorce

Est aussitôt précipité.


Qui peut dans un si grand danger

Encore se fier à soi-même ;

Ah, que son audace est extrême !

Vous m’apprîtes à me ranger

Sous les soins de la Providence

Et cette admirable science

Ne me laissa plus rien à ménager.


Cette vie est un labyrinthe ;

Si l’on veut marcher sûrement.

Que notre foi soit aveugle et sans feinte

Notre amour pur, et sans déguisement.












Emblème XXIV. Comme l’or dans la fournaise Sag. 3. vs. 6.

Mettez mon cœur en ce fourneau,

Et lui faites changer de forme :

Que ce feu sacré le transforme,

Ou bien m’en donnez un nouveau.


Ah, que je désire ardemment

De voir mon cœur sur cette braise !

Amour, mets-le donc promptement

Dans le milieu de ta fournaise.


Accorde-moi cette faveur ;

Tes brasiers feront mes délices :

J’y trouverai de la fraîcheur ;

Je me plairai dans les supplices.


Forme mon cœur à ta façon ;

Et le rend pur, tendre et fidèle :

Fais qu’il soit à toi tout de bon,

Que son amour soit éternel.


Détruis-le au plutôt, cher Amant,

Que j’aime de ton amour même :

Tu possèdes, Seigneur, la puissance suprême,

N’y mets point de retardement.





Emblème XLIV. Qu’ils soient consommés en l’unité. Jean 17. vs. 2,3.

La fin de l’Amour pur est l’union intime,

Où cet Amour conduit par des chemins rompus

La croix et le mépris, non la gloire et l’estime,

Est le chemin sacré, tout autre est superflu.

DIEU SEUL : un seul Amour réunit toutes choses :

Ce point unique est le Souverain Bien.

L’Amour nous fait passer en notre unique Cause,

Où Dieu, notre principe, est moteur et soutien.

Admirable union de Dieu, de l’âme amante

Il s’en fait à la fin un mélange divin.

L’âme sans rien avoir est ferme ; elle est contente

L’Amour la transformant en son Bien Souverain.

Elle ne paraît plus, cette Amante chérie

DIEU SEUL opère en elle : et dans son unité

Elle est si fort anéantie,

Qu’on ne discerne plus que l’Amour-vérité.


TABLE

Table des matières

Présentation générale 7

Avant-propos 7

Amitiés spirituelles. 11

Madame Guyon. 17

L’œuvre. 22

Disciples et cercles spirituels. 26

Oraison méditée et mortification. 28

La « voie passive en foi » (1er degré : amour et intériorité). 31

La « voie passive en foi » (2e et 3e degrés : dépouillement, mort). 32

L’état apostolique (4e degré, vie nouvelle divine) 36

Avertissement 45

Jeanne Guyon dans la Tradition mystique chrétienne [P. de Longchamp] 47

Une lecture chrétienne de l’expérience mystique 49

La croissance spirituelle 49

De l’union à Dieu à la transformation en Dieu 53

Transformation en Dieu et état apostolique 57

De l’union sans distinction… 57

à la fécondité apostolique. 60

LES OPUSCULES SPIRITUELS 63

Préface générale sur cette édition [Pierre Poiret]. 65

MOYEN COURT 93

Présentation 93

Les Ordonnances. 94

Les sources et notre édition. 96

Addition à la présentation 98

MOYEN COURT ET TRÈS FACILE DE FAIRE ORAISON 99

Préface de l’auteur 99

Chapitre I. Tous peuvent faire oraison. 102

Chapitre II. Manière de faire oraison. 105

Chapitre III. Pour ceux qui ne savent pas lire. 108

Chapitre IV. Second degré d’oraison [oraison de simplicité]. 112

Chapitre V. Des sécheresses. 113

Chapitre VI. De l’abandon. 114

Chapitre VII. De la souffrance. 116

Chapitre VIII. Des Mystères. * 118

Chapitre IX. De la vertu. 120

Chapitre X. De la mortification. 122

Chapitre XI. De la conversion. 124

Chapitre XII. De l’oraison de simple présence de Dieu. 126

Chapitre XIII. Du repos devant Dieu. 130

Chapitre XIV. Du silence intérieur. 131

Chapitre XV. De la confession et de l’examen de conscience. 133

Chapitre XVI. De la lecture et des prières vocales. 136

Chapitre XVII. Des demandes. 136

Chapitre XVIII. Des défauts. 137

Chapitre XIX. Des distractions et tentations. 138

Chapitre XX. De la prière. 138

Chapitre XXI. Que l’on agit plus fortement et plus noblement par cette oraison que par toute autre. 141

Chapitre XXII. Des actes intérieurs. 149

Chapitre XXIII. Avertissements aux pasteurs et aux prédicateurs. 155

Chapitre XXIV. Quel est le moyen le plus sûr pour arriver à l’union divine. 158

Appendice : «  Dieu détruit, brûle, et purifie ». 170

TORRENTS 175

Présentation 175

La genèse 175

Les sources et la diffusion de l’œuvre. Leçon choisie. 179

Foi nue et tableau des voies. 182

185

Addition à la présentation 186

LES TORRENTS SPIRITUELS. TRAITÉ 187

Première partie 189

Chapitre I. Divers retours de l’âme à Dieu. 189

Chapitre II. Voie active de la méditation. 190

Chapitre III. Voie passive de lumière 198

Chapitre IV. Voie passive en foi, premier degré 205

Chapitre V. Imperfections de ce premier degré. Sécheresses 215

Chapitre VI. Deuxième degré de la voie passive en foi. 225

Chapitre VII. 232

SECTION I. Troisième degré de la voie passive en foi. Morts. 232

SECTION DEUXIÈME. Second degré de dépouillement. 241

SECTION TROISIÈME. Troisième degré du dépouillement. 244

SECTION QUATRIÈME. Entrée dans la mort mystique. 253

Chapitre VIII. Troisième degré de la voie passive en foi nue 258

Chapitre IX. Quatrième degré de la voie passive en foi. Vie divine. 267

Seconde partie 281

Chapitre I. Vie ressuscitée et divine 281

Chapitre II. Paix, et liberté divine 287

Chapitre III. Déiformité. 295

Chapitre IV. Mouvements tous divins. Paix inaltérable 301

305

PETIT ABRÉGÉ 307

Présentation, analyse et objections de Fénelon. 307

PETIT ABRÉGÉ DE LA VOIE ET DE LA RÉUNION DE L’ÂME À DIEU 313

Première partie : de la voie à Dieu 313

§I et II. Retour de l’âme et touche efficace dans la volonté. 313

§ III. Troisième degré : passiveté savoureuse. 316

§ IV. Quatrième degré de foi nue. 318

§V. Cinquième degré, ou état de mort mystique. 321

§ VI. Réunion à Dieu, sans sentiment 324

Seconde partie : de la réunion à Dieu 325

§I. Résurrection de l’âme, divinement active. 325

§ II. Vie divine, communication divine et spirituelle. 327

§ III. Simplicité, étendue, fonction de conducteur spirituel. 329

LE CANTIQUE DES CANTIQUES DE SALOMON, INTERPRÉTÉ SELON LE SENS MYSTIQUE, ET LA VRAIE REPRÉSENTATION DES ÉTATS INTÉRIEURS. 333

Chapitre I. 333

Qu’il me baise du baiser de sa bouche. 333

[10] Car vos mamelles sont meilleures que le vin : et plus odoriférantes que d'excellents parfums. 337

Votre nom est comme une huile répandue, c’est pourquoi les jeunes filles vous ont aimé. 337

Tirez-moi : nous courrons après vous, à l’odeur de vos parfums. 338

Le Roy m’a fait entrer dans ses celliers : nous nous réjouirons, et tressaillirons d’allégresse en vous : nous souvenant de vos mamelles, qui sont meilleures que le vin. Ceux qui sont droits vous aiment. 338

Ô filles de lerusalem ! Je suis noire ; mais belle, comme les tentes de Cedar, comme les pavillons de Salomon. 339

Ne regardez pas que je suis brune ; parce que c’est le soleil qui m’a décolorée. Les enfants de ma mère ont combattu contre moi : ils m’ont établie pour garder les vignes. Je n’ai pas gardé ma vigne. 340

Apprenez-moi, O vous, que mon âme aime où vous paissez votre troupeau, où vous paissez votre troupeau, où vous vous reposez durant le midi ; de peur que je ne commence à errer, après les troupeaux de vos compagnons. 341

Si vous vous méconnaissez, ô la plus belle des femmes, sortez et marchez sur les traces des troupeaux, et passez vos jeunes boucs auprès des tentes des Pasteurs. 342

Vs. 8. Ma bien-aimée, je vous ai fait semblable à ma cavalerie, avec les chariots de Pharaon. 343

Vs. 9. Vos joues font belles, comme celle d’une tourterelle : votre cou ressemble à des perles. 344

Vs. 10. Nous vous ferons des colliers d’or, marquetés d’argent. 344

Vs. 8,12. Mon Bien-aimé est pour moi un bouquet de myrrhe : il demeurera entre mes mamelles. 345

Vs.13. Mon bien-aimé m’est comme une grappe de cypre, aux vignes d’Engaddi. 346

Vs. 14. Que vous êtes belle, ma bien-aimée Que vous êtes belle ! vos yeux ressemblent à ceux des colombes. 346

Vs.15. Que vous êtes beau, mon Bien-aimé, que vous êtes agréable ! Notre lit est orné de fleurs. 347

Vs. 16. Les solives de nos maisons sont de bois de cèdre, et nos lambris de cyprès. 348

Chapitre II. 348

Vs.I. Je suis la fleur du champ, et le lis des vallées. 348

Vs. 2. Ma Bien-aimée est entre les filles, comme les lis parmi les épines. 349

Vs. 3. Mon Bien-aimé est entre les enfants, comme un pommier parmi les arbres des forêts. Je me suis assise à l’ombre de celui que je désirais : et son fruit est doux à mon goût. 349

Vs.4. Il n’a fait entrer dans le cellier du vin. Il a ordonné en moi la charité. 350

Vs.5. Soutenez-moi avec des fleurs : couvrez-moi de fruits : car je languis d’amour. 351

Vs.7. Je vous conjure, filles de Jerufalem, par les chevreuils, et les cerfs de la campagne, de ne point troubler, ne pas réveiller ma Bien-aimée, jusques à ce qu’elle le veuille bien. 352

Vs.8. Voilà la voix de mon Bien-aimé, le voici qui vient sautant sur les montagnes, se passant par-dessus les collines. 352

Vs.9. Mon Bien-aimé est semblable à un chevreuil, et à un fan de biche. Le voilà qui est debout derrière notre mur : il regarde par les fenêtres, et voit par les treillis. 353

Vs.10. J’entends mon Bien-aimé qui me dit : levez-vous, hâtez-vous ma Bien-aimée, ma colombe, ma belle, et venez. 353

Vs.11. Car l’hiver est déjà passé : la pluie a cessé, et s’est retirée. 354

Vs.12. Les fleurs commencent à paraître sur notre terre, le temps de tailler la vigne est venu ; la voix de la tourterelle a été ouïe dans notre contrée. 355

Vs.13. Le figuier a produit ses fausses figues, les vignes qui fleurissent, répandent leur agréable odeur. Levez-vous ma Bien-aimée, ma belle, et venez. 355

Vs.14. O Ma colombe qui êtes dans les trous de la pierre, dans le creux de la muraille, montrez-moi votre visage ; que votre voix résonne à mes oreilles, parce que votre voix est charmante, et votre visage est beau. 356

Vs.15. Prenez-nous les petits renards, qui ravagent les vignes : car notre vigne est fleurie. 357

Vs.16., Mon Bien-aimé est à moi, et moi à lui : il repaît parmi les lis. 357

Vs. 17. Jusqu’à ce que le jour paroisse, et que les ombres s’abaissent. Revenez mon Bien-aimé, soïez semblable au chevreuil, et au fan des cerfs, sur les montagnes de Bether. 358

Chapitre III. 358

Vs.I. J’ai cherché dans mon petit lit durant plusieurs nuits, celui que mon âme aime : le l’ai cherché, et ne l’ai pas trouvé. 358

Vs. 2. Il faut que je me lève, et que je fasse le tour de la ville : je chercherai par les rues et par les places publiques, celui que mon âme aime : je l’ai cherché, et ne l’ai point trouvé. 359

Vs. 3. Les sentinelles qui gardent la ville m’ont trouvée ; n’avez-vous point vu celui qu’aime mon âme ? 360

Vs. 5. Je vous conjure ô filles de Jérufalem, par les chevreuils, et par les cerfs de la campagne, de ne pas interrompre le sommeil de ma Bien-aimée, et de ne point l’éveiller jusqu’à ce qu’elle le veuille bien. 361

Vs. 6. Qui est celle, qui monte par le désert, comme une petite vapeur d’aromates, de myrrhe, et d’encens, et de toutes sortes, de poudres, d’habiles parfumeurs. 361

Vs. 7. Voilà que le lit de Salomon est gardé par soixante braves, des plus forts d’Israël. 362

Vs. 8. Tous sont armés de leur épée, et très habiles à la guerre ; chacun d’eux à son épée au côté, à cause des craintes de la nuit. 362

Vs. 9. Le Roi Salomon s’est fait un Trône des arbres du Liban. 363

Vs.10. Il en a fait les colonnes d’argent, l’appui d’or, les degrés, et le siège de pourpre, et il a garni tout le dedans de charité ; à cause des filles de Jérufalem. 364

Vs.11. Sortez filles de Sion, et considérez le Roi Salomon, avec le diadème dont sa mère l’a couronné le jour de ses noces, le jour de la joie de son cœur. 365

Chapitre IV. 366

Vs. I. Que vous êtes belle, ma Bien-aimée, Vous êtes belle ! Vos yeux sont comme ceux des colombes ; sans ce qui est caché au-dedans. Vos cheveux ressemblent aux troupeaux de chèvres qui sont venus de la montagne de Galaad. 366

Vs.2. Vos dents sont comme les troupeaux de brebis nouvellement tondues, qui sont revenues du lavoir ; chacune a deux petits jumeaux, en il n’y en a aucune de stérile entre elles. 367

Vs. 3. Vos lèvres ressemblent à un ruban teint en écarlate. Votre parole eft charmante ; vos joues sont comme un quartier de grenade sans ce qui est caché au-dedans. 367

Vs. 4. Votre cou est comme la Tour de David bien fortifiée : mille boucliers y sont pendus, avec toutes sortes d’armes pour les plus vaillants guerriers. 368

Vs.5. . Vos deux mamelles font comme deux petits jumeaux de la chevrette, qui paissent entre les lys. 368

Jusqu’à ce que le jour paraisse, et que les ombres s’abaissents : je m’en irai sur la montagne de la myrrhe, et sur la colline de l’encens. 368

Vs. 7. Ma Bien-aimée ; vous êtes toute belle, et il n’y a point de tache en vous. 369

Vs. 8. Venez du Liban, mon Épouse, venez du Liban, venez, et vous serez couronnée ; du haut d’Amana, du sommet de Sanir, et d’Hermon, des repaires des Lions, et des montagnes des Léopards. 369

Vs. 9. Vous m’avez blessé au cœur, ma sœur, mon Épouse : vous m’avez blessé au cœur par un regard de vos yeux, et par les cheveux unis de votre cou. 370

Vs. 10. Que vos mamelles fort belles, ma Sœur, mon Épouse ! vore sein est plus beau que le vin, et l’odeur de vos parfums passe tous les aromates. 371

Vs. 1. Vos lèvres mon Épouse, font comme le raïon d’où coule le miel : Le miel et le lait se trouvent sous votre langue ; et l’odeur de vos vêtements est comme i'odeur de l’encens. 372

Vs. 12. Ma Sæur mon Épouse est un jardin clos : elle est un jardin bien fermé, une fontaine scellée. 372

Vs. 5. Vos productions ressemblent à un jardin délicieux, plein de grenades, et de toutes sortes de fruits, avec le cipre et le nard. 373

Vs. 14. Le nard, le safran, le sucre, la cannelle, et tous les arbres du Liban, la myrrhe, e l’aloes avec tous les parfums les plus exquis. 373

Vs.15. La fontaine des jardins, et le puits des eaux vives, qui descendent avec impétuosité du Liban. 373

Vs. 16. Levez-vous, vent de bise : venez vent de midi : soufflez par mon jardin, afin que les odeurs se pandent. 374

Chapitre V 374

Chapitre VI 389

Mon Bien-aimé est descendu dans son jardin, jusqu’au parterre des plantes aromatiques, pour repaître dans ces lieux de délices et y cueillir des lis. (Verset 1) 389

Je suis à mon Bien-aimé, et mon Bien-aimé est à moi. Il repaît parmi les lis. (Verset 2) 389

Vous êtes belle, ma Bien-aimée et toute charmante, agréable comme Jérusalem, terrible comme une armée rangée en bataille. (Verset 3) 390

Détournez — vos yeux de moi, car ils m’ont fait envoler. Vos cheveux sont comme un troupeau de chèvres qui ont paru de Galaad. (Verset 4) 391

Vos dents sont comme un troupeau de brebis qui viennent d’être lavées : toutes ont de petits jumeaux et il n’y en a aucune de stérile entre elles. (Verset 5) 393

Vos joues ressemblent à l’écorce de la grenade, sans ce qui est caché au-dedans de vous. (Verset 6) 394

Il y a soixante reines et quatre-vingts autres femmes, et les jeunes filles sont sans nombre. (Verset 7) 395

Ma colombe est unique ; elle est ma toute parfaite ; elle est l’unique de sa mère et sa mère se plaît uniquement en elle. Les filles l’ont vue et ils l’ont déclarée très heureuse. Les reines et les autres femmes l’ont aussi louée. (Verset 8) 395

Qui est celle-ci, qui s’avance comme l’aurore naissante. qui est belle comme la lune, pure et brillante comme le soleil, terrible comme une armée rangée en bataille ? (Verset 9) 396

Je suis allée au jardin des noyers, afin de voir aussi les fruits des vallées, et pour regarder si la vigne avait fleuri, et si les grenadiers étaient boutonnés. (Verset 10) 397

Je n’en ai rien su : mon âme m’a troublée à cause des chariots d’Aminadab. (Verset 11) 398

Chapitre VII 399

Que verrez-vous en la Sulamite, sinon des chœurs d’une armée cam­pée ? Ô fille du prince, que vous avez de grâce à marcher avec cette chaussure ! Les jointures de vos cuisses sont comme des joyaux de grand prix, travaillés de la main d’un habile ouvrier. (Verset 1) 399

Votre nombril est comme une grande coupe façonnée autour, qui n’est jamais vide de liqueur. Votre ventre est comme un monceau de fro­ment environné de lis. (Verset 2) 400

Vos deux mamelles sont comme deux petits jumeaux de la chevrette. (Verset 3) 400

Votre cou ressemble à une tour d’ivoire, vos yeux aux piscines d’Hesebon, qui sont à la porte de la fille de la multitude. Votre nez est comme la tour du Liban. qui regarde contre Damas. (Verset 4) 401

Votre tête est comme le Carmel et la chevelure de votre tête. comme la pourpre royale, qui est encore liée aux canaux. (Verset 5) 401

Que vous êtes belle, ô ma très chère, que vous êtes charmante dans vos délices ! (Verset 6) 402

Votre taille est semblable au palmier et vos mamelles aux grappes de raisin. (Verset 7) 402

J’ai dit : je monterai sur le palmier, et je prendrai ses fruits ; et vos mamelles seront comme les grappes de la vigne et l’odeur de votre bouche comme celle des pommes. (Verset 8) 403

Votre gorge est comme un excellent vin, digne d’être bu par mon Bien-aimé et d’être savouré entre ses lèvres et entre ses dents. (Verset 9) 403

Je suis à mon Bien-aimé et il est tout appliqué à moi. (Verset 10) 404

Venez, mon Bien-aimé, allons aux champs, demeurons aux vil­lages. (Verset 11) 404

Levons-nous du matin pour aller aux vignes, voyons si la vigne est fleurie, si les fleurs se changent en fruits, si les grenadiers ont jeté leurs fleurs : là je vous donnerai mes mamelles. (Verset 12) 404

Les mandragores ont répandu leur odeur. Je vous ai gardé, ô mon Bien-aimé, au-dedans de nos portes, toutes sortes de fruits, vieux et nouveaux. (Verset 13) 405

Chapitre VIII 406

Qui vous donnera à moi, ô mon frère, suçant les mamelles de ma mère ? Que je vous trouve dehors, et que je vous baise, afin que personne ne me méprise plus. (Verset 1) 406

Je vous prendrai et vous mènerai dans la maison de ma mère : là vous m’instruirez, et je vous y donnerai à boire du vin confit et du moût de mes grenades. (Verset 2) 407

Il soutient ma tête de sa main gauche et il m’embrassera de sa droite. (Verset 3) 407

Je vous conjure, filles de Jérusalem, de ne point interrompre le som­meil de ma Bien-aimée, et de ne la point éveiller jusqu’à ce qu’elle le veuille bien. (Verset 4) 408

Qui est celle-ci, qui monte du désert, comblée de délices, appuyée sur son Bien-aimé ? Je vous ai ressuscitée sous un pommier ; c’est là que fut corrompue votre mère et que celle qui vous a engendrée fut violée. (Verset 5) 409

Mettez-moi comme un cachet sur votre cœur, comme un cachet sur votre bras, car l’amour est fort comme la mort et la jalousie est dure comme l’enfer : ses lampes sont des lampes ardentes de feu et de flammes. (Verset 6) 410

Les plus grandes eaux n’ont pu éteindre la charité, ni les fleuves ne la submergeront point : quand un homme aurait donné tout ce qu’il a de bien, il ne l’estimerait rien au prix de l’amour. (Verset 7) 411

Notre sœur est petite et elle n’a point de mamelles : que ferons-nous à notre sœur au jour que l’on doit lui parler ? (Verset 8) 411

Si c’est un mur, bâtissons sur lui des fortifications d’argent ; si c’est une porte, ornons-la de tables de cèdre. (Verset 9) 411

Je suis un mur et mes mamelles sont comme une tour, depuis que j’ai été devant lui, comme celle qui a trouvé la paix. (Verset 10) 412

Le pacifique a une vigne en celle qui a des peuples, il a commis des gens pour la garder : un homme lui en doit payer mille pièces d’argent pour les fruits. (Verset 11) 412

Je suis toujours attentive à ma vigne. Mille pièces d’argent seront pour vous, ô pacifique, et outre cela il en aura deux cents pour ceux qui gardent ses fruits. (Verset 12) 413

Vous qui habitez dans les jardins, les amis écoutent : faites-moi entendre votre voix. (Verset 13) 413

Fuyez, mon Bien-aimé, et soyez semblable au chevreuil et au faon des biches, sur les montagnes d’aromates. (Verset 14) 415

« Justifications » apportées au Cantique 419

Justification 1. Sur l’amour pur. 419

Justification 2 : Le dépouillement de défauts naturels, où l’âme porte une grande confusion et humiliation. 423

Justification 3. Épreuve de l’âme pendant sa résistance à Dieu. 424

Justification 4. Impureté spirituelle par résistance à l’abandon.  426

Justification 5. Consentement à damnation et non à péché. 427

TRAITÉ DU PURGATOIRE 429

<I — LA NÉCESSITÉ DU PURGATOIRE APRÈS LA MORT> 429

<II — UN PURGATOIRE DÈS CETTE VIE> 433

<III — LA PURIFICATION DE L’ÂME> 440

CONCLUSION 448

<LA PURIFICATION : UNE NÉCESSITÉ DE JUSTICE ET D’AMOUR POUR QUE L’ÂME SE PERDE EN DIEU> 448

AUTRES ÉCRITS « NORMATIFS » 451

POÉSIES ET CANTIQUES SPIRITUELS 453

Présentation 453

Sources disponibles sur Google Books 455

Présentation des Poèmes 456

Relevé des pièces retenues 460

Un premier choix : « Amour et liberté chantés par madame Guyon ». 461

Poésies spirituelles 475

Préface [de Pierre Poiret] 475

TOME I 476

VI. Dieu, le centre de l’âme. 476

VIII. Les dons de Dieu doivent retourner à lui. 477

IX. Écouter Dieu en silence. 477

X. Servir Dieu avec joie et liberté de cœur. 478

XXIII. La vraie pauvreté d’esprit. 479

XXV. Portrait de l’Enfance chrétienne. 480

XXXI. Dieu veut un cœur vide. 481

XXXII. Bonheur de l’anéantissement. 482

XXXV. Se plaire dans son néant. 483

XXXVII. L’homme doit recouler en Dieu dont il est sorti. 484

XLV. Suivre le moment divin. 485

XLVI. Extase de la Volonté. 486

XLVIII. Foi sans assurance. 488

L. Sûreté de la lumière de la pure foi. 488

LVIII. L’amour parfait ne se recourbe point sur soi. 489

LX. Unique loi de l’amour. 489

LXVI. Pureté d’amour requise pour être unie à Dieu. 490

LXXV. Indifférence du pur amour. Fidélité à écouter les instruments de Dieu. 491

LXXX. Nul mérite de l’homme devant Dieu. 491

CX. Bonheur de l’anéantissement. 492

CXIII. Heureux naufrage qui mène au port. 494

CXVII. État de l’enfance chrétienne où l’âme se complaît en son néant pour adorer le Tout de Dieu. 497

C XVIII. L’âme perdue dans l’amour. Comment arriver à cet état heureux. 497

CXXI. S’abandonner quoiqu’avec faiblesse au milieu de ses miseres. 498

CXXII. Nature et effets d’un abandon véritable et entier à Dieu. 500

CXXIII. Se perdre de vue en demeurant passif à l’opération de Dieu. 500

CXXII. Nuit effroyable de l’esprit. 502

CXLII. L’amour fixe le cœur. 503

CXLV. Désert de la foi et de l’amour. 504

CXLVIII. Sur le même sujet. [L’amour inébranlable dans les souffrances et la prison] 505

CXLIX. Sur le même sujet. 505

CL. Sur le même sujet. 506

CLV. Ne vivre que de la volonté de Dieu. 507

CLVI. Suivre Dieu sans savoir où. 507

CLXIV. Unité des Bienheureux et des parfaits avec Dieu et entre eux. 508

CLXX. Dieu se plaît dans le néant et la solitude du cœur. 509

CLXXI. L’amour de Dieu dans une âme anéantie ; et l’éloignement des hommes du même amour. 510

CLXXXI. Route de la foi. 512

CLXXXII. École de l’amour. 512

TOME II 513

IV. Dieu seul aimable. 513

IX. Ou Dieu, ou Soi-même. 513

XIV. La puissance est à Dieu seul. 514

LIV. L’Hirondelle, emblême de l’âme aimante. 514

LVIII. Attraits et communications de l’Amour. 516

LXI. L’Amour sans crainte, mais non sans humilité. 518

LXX. Obscure nuit de la foi. 520

LXXIII. L’Amour impitoyable contre le moi. 521

LXXIV. Perte de tout dans le néant. 522

XXX. Oraison de Contemplation. 523

CXXIX. Perte de l’âme par l’amour. 524

CXXX. Sur le même sujet. 524

CXXXII. Abandon de l’Amour pur à la volonté de Dieu. 525

CLIV. Routes par lesquelles Dieu mène une âme à la vie Apostolique. 526

CLXX. Ne regarder que Dieu, et non soi-même : 529

CLXXI. L’Amour pur, dégagé et secret. 531

CLXXX. Abandon sans nul retour sur soi. 532

CLXXXVIII. Sur le même sujet [État d’enfance spirituelle accompagné de croix]. 534

CXCV. Indifférence à aider aux âmes. 535

CXCVI. Indifférence à tout sous la conduite de Dieu. 536

CXCVII. Plaintes sur le peu de correspondance des bons mêmes. 537

CCII. Douleur de ne voir pas Dieu aimé, et qu’on n’enseigne pas bien à l’aimer. 538

CCXVIII. Comment profiter des instruments dont Dieu se sert pour le bien des âmes. 540

CCXXXV. Rareté des vrais enfants de Dieu. 540

CCXLII. L’amour-propre sera détruit. 542

TOME III 545

XXXIII. L’abandon fait le bonheur de l’âme. 545

XL. Amour pur pour Dieu et pour le prochain. 546

LIV. Heureux néant. 547

LXVIII. Routes adorables au divin Amour. 549

LXXI. Veiller à Dieu de cœur pendant la nuit. 551

CXVII. État d’une âme anéantie. 552

CLIX. L’amour vigoureux aime la Justice et ses rigueurs. 553

CLXI. L’amour purifiant le cœur. 554

CLXIV. L’amour est à soi-même sa récompense. Que le règne de Jésus-Christ s’étendra. 555

CLXIX. Entière dépendance de l’Esprit divin. 556

CLXXIV. Communications de Dieu à l’âme amante et des âmes pures à d’autres. 558

CLXXV. Union en Dieu avec une âme choisie. 559

CLXXX. L’âme Apostolique sans espérance ni crainte. 560

CLXXXII. Correspondre à Dieu par la petitesse. 561

CLXXXVI. Ne point s’attacher à l’instrument de Dieu ; mais à Dieu qui y est tout. 562

CLXXXVII. Croix de la vie Apostolique. 563

CXCI. Se sacrifier pour le prochain. 564

CXCIII ; Souffrances d’une âme Apostolique pour ses enfants spirituels. 565

TOME IV 569

VIII. Dieu aime à épurer et à s’unir par la croix les âmes de choix. Abandon invariable de ces âmes. 569

X. Dieu seul désirable et aimable. L’adorer en esprit et en vérité. 570

XI. Cantique d’amour et de louange d’une âme arrivée à la nouvelle vie en Dieu par les voies sûres des croix intérieures et extérieures. 571

XII. Voies adorables de l’Amour divin pour réduire l’âme dans le néant et la perdre en Dieu. 571

XIV. Vie heureuse d’une âme abandonnée et perdue en Dieu. 572

XVI . Vie nouvelle et divine d’une âme anéantie et transformée en Dieu. 573

XVIII. Extension du règne de Jésus — Christ. Voie abrégée pour aller à Dieu par le renoncement. 574

XXIV. Souffrances et gémissement d’une âme Apostolique pour le peu de correspondance de ses enfants spirituels. 574

L’ÂME AMANTE DE SON DIEU REPRÉSENTÉE DANS LES EMBLÈMES DE HERMANNUS HUGO, ET DANS CEUX D’OTHON VENIUS SUR L’AMOUR DIVIN 577

Avertissement 577

I. Les emblèmes de Hermannus Hugo sur ses pieux désirs 579

PROLOGUE 579

LIVRE PREMIER. 581

I. Mon âme vous a désiré pendant la nuit. 581

V. Souvenez-vous, je vous prie, que vous m’avez fait comme un ouvrage d’argile, et que dans peu de temps vous me réduirez en poudre. 581

VII. Pourquoi me cachez-vous votre visage, et pourquoi me croyez-vous votre ennemi ? 583

LIVRE II 584

XVII. Daignez, Seigneur, régler mes voies de telle sorte, que je garde la justice de vos ordonnances. 584

LIVRE III. 585

XLV. Fuyez, ô, mon Bien-aimé ! et soyez semblable à un chevreuil, et à un fan de cerf, en vous retirant sur les montagnes des aromates. 585

L’Amour pénètre et soutient Univers. 586

II. Les emblèmes d’Othon Vaenius sur l’amour divin 586

PROLOGUE. 586

IV. L’Amour est droit. 589

Sur le même sujet. 589

V. L’Amour est éternel. 590

Sur le même sujet. 590

VI. L’Amour de Dieu est le Soleil de l’Âme. 591

VIII. L’Amour instruit. 591

X. L’Amour est pur. 592

Sur le même sujet. 593

XI. Dans l’Unité se trouve le parfait. 593

Sur le même sujet. 593

XV. C’est de deux volontés le concours unanime. 593

Sur le même sujet. 594

XVI. C’est en haut qu’il regarde. 595

XVII. Il s’accroît sans inclure. 595

Sur le même sujet. 596

XXIV. Il rend très libéral. 596

Sur le même sujet. 596

XXVI. Rien ne pèse à celui qui aime. 597

XXVII. Le seul Amour est source de tous biens. 597

Sur le même sujet. 598

XXXIX. La Paix et l’Amour vont ensemble. 599

XXX. L’Espoir nourrit une Âme-amante. 599

XXXII. L’Amour redresse toutes choses. 601

XXXIV. Tout doit rentrer dans sa première source. 602

XXXV. Il est ferme et constant 602

XXXVI. L’Amour édifie et construit. 603

Sur le même sujet. 604

XXXVIII. Avec l’Amour on est en assurance. 604

Sur le même sujet. 605

XXXIX. Il étanche la soif du cœur. 606

XL. Qui veut aimer n’est plus libre à sa mode. 606

Sur le même sujet. 607

XLI. L’Unique Amour brille entre les vertus. 607

XLII. L’Amour surmonte tout. 608

XLIII. Agité, il devient plus ferme. 609

XLIV. Le véritable Amour ne fait point de mesure. 609

XLV. Les vents font qu’il s’accroît. 610

XLVIII. Au cœur touché d’Amour tout peut servir de voie. 611

[…] 611

Sur le même sujet. 611

XLIX. L’Amour est un vrai sel à l’âme. 612

L. Il chasse toute crainte. 613

LII. La conscience en est témoin. 613

LIII. Il abhore l’orgueil. 614

[…] 614

LIV. Il a soin d’inculquer ses loix. 615

LVI. L’Amour réunit les semblables. 615

Sur le même sujet. 616

LIX. C’est le but de l’Amour, de deux n’en faire qu’un. 617

Sur le même sujet. 617

LX. C’est de la Loi la consommation. 618

Sur le même sujet. 619

ÉPILOGUE 620

Les effets différens de l’amour sacré et profane [reprise de l’édition Poiret, 1722] 623

XXII. Il a tendu son arc, et m’a mis comme en but à ses flèches. Lament. 3. v. 12. 623

XXV. Ôtez la rouille, et il se formera un vase très-pur. Prov. 25. v. 4. 623

XXIX. Je vous conjure de ne point réveiller la Bien-aimée. Cant. 3. v. 5. 624

XXXIV. Union d’Amour. 624

XLIV. Qu’ils soient consommés en l’unité. Jean 17. v. 23. 625

CONCLUSION. 625

Quelques Emblèmes illustrés 627

Emblème IV. Son orgueil sera humilié. Osée 7. vs.10. 628

Emblème XII. Le peu de jours qui me restent finiront bientôt. Job 10. vs. 20. — Vous en avez marqué les bornes, et je ne les puis passer. Ch. 14. vs. 5. 630

631

Emblème XVII. Daignez, Seigneur, régler mes voies de telle sorte, que je garde la justice de vos ordonnances. 632

Emblème XXIV. Comme l’or dans la fournaise Sag. 3. vs. 6. 635

Emblème XLIV. Qu’ils soient consommés en l’unité. Jean 17. vs. 2,3. 637

TABLE 638

TABLE REDUITE 650

Fin 652



TABLE REDUITE


Table des matières

Présentation générale 7

Avant-propos 7

Amitiés spirituelles. 11

Madame Guyon. 17

Avertissement 45

Jeanne Guyon dans la Tradition mystique chrétienne [P. de Longchamp] 47

LES OPUSCULES SPIRITUELS 63

Préface générale sur cette édition [Pierre Poiret]. 65

MOYEN COURT 93

Présentation 93

MOYEN COURT ET TRÈS FACILE DE FAIRE ORAISON 99

TORRENTS 175

Présentation 175

185

LES TORRENTS SPIRITUELS. TRAITÉ 187

Première partie 189

Seconde partie 281

305

PETIT ABRÉGÉ 307

Présentation, analyse et objections de Fénelon. 307

PETIT ABRÉGÉ DE LA VOIE ET DE LA RÉUNION DE L’ÂME À DIEU 313

Première partie : de la voie à Dieu 313

Seconde partie : de la réunion à Dieu 325

LE CANTIQUE DES CANTIQUES DE SALOMON, INTERPRÉTÉ SELON LE SENS MYSTIQUE, ET LA VRAIE REPRÉSENTATION DES ÉTATS INTÉRIEURS. 333

Chapitre I. 333

Chapitre II. 348

Chapitre III. 358

Chapitre IV. 366

Chapitre V 374

Chapitre VI 389

Chapitre VII 399

Chapitre VIII 406

« Justifications » apportées au Cantique 419

TRAITÉ DU PURGATOIRE 429

AUTRES ÉCRITS « NORMATIFS » 451

POÉSIES ET CANTIQUES SPIRITUELS 453

Présentation 453

Un premier choix : « Amour et liberté chantés par madame Guyon ». 461

Poésies spirituelles 475

L’ÂME AMANTE DE SON DIEU REPRÉSENTÉE DANS LES EMBLÈMES DE HERMANNUS HUGO, ET DANS CEUX D’OTHON VENIUS SUR L’AMOUR DIVIN 577

Avertissement 577

I. Les emblèmes de Hermannus Hugo sur ses pieux désirs 579

II. Les emblèmes d’Othon Vaenius sur l’amour divin 586

Les effets différens de l’amour sacré et profane [reprise de l’édition Poiret, 1722] 623

Quelques Emblèmes illustrés 627

TABLE 640

TABLE REDUITE 652

Fin 654




Fin

1 Madame Guyon, Oeuvres mystiques, Honoré Champion, 2008, Présentation générale.

2 Les Ordonnances du Magistère furent à l’origine d’une vaste littérature de controverse qui, établie sans l’expertise nécessaire, s’avère d’intérêt bien moindre. Ceci souligne l’importance de l’Ordonnance de M. de Chartres que l’on peut considérer comme le document capital « anti-quiétiste ». Son étude montre que ses assemblages ne sont pas innocents.

3 Trésor spirituel, ces lettres constituent trois volumes récents de la collection « Correspondances » chez le présent éditeur.

4 Fénelon, Le Gnostique de Saint Clément d’Alexandrie, « Chap. I, Idée générale de la gnose » : « … le parfait chrétien est l’homme passif des mystiques modernes. » —Le terme « passif » est ambigu, car, dans une vision privilégiant une préparation ascétique, porter le travail de la grâce (passiveté) est rapproché de la paresse. (réédition : François de Fénelon, La Tradition secrète des mystiques, ou le Gnostique… Arfuyen, 2006).

5 Jean Baruzi, Saint Jean de la Croix et le problème de l’expérience mystique, Paris, 1931, page 443. Voir aussi, page 442 : « Fénelon et Mme Guyon n’en sont pas moins les deux êtres qui, pour la première fois, ont donné à la doctrine de saint Jean de la Croix un prolongement de caractère métaphysique. Par eux, par Mme Guyon surtout, une notion de la foi pure et de l’anéantissement intérieur s’est propagée au-delà de l’Église catholique… ».

6 D. Tronc, « Une filiation mystique : Chrysostome de Saint-Lô, Jean de Bernières, Jacques Bertot, Jeanne-Marie Guyon », XVIIe siècle, n° 1-2003, 95-116. 

7 Histoire Générale et particulière du Tiers Ordre de S. François d’Assise, par le R. P. Jean Marie de Vernon, Religieux pénitent du tiers ordre de saint François, Paris, 1667, tome troisième, 76 et 141.

8 Souriau, Deux mystiques normands au XVIIe siècle, M. de Renty et Jean de Bernières, Paris, 1913 ; R. Heurtevent, L’œuvre Spirituelle de Jean de Bernières, Beauchesne, 1938 ; L. Luypaert, « La doctrine spirituelle de Bernières et le Quiétisme », Revue d’Histoire Ecclésiastique, 1940, 19-130.

9 Souriau, Deux mystiques, 112 ; Boudon, Œuvres II, Migne, 1311.

10 Bernières, Chrétien Intérieur, 565, cité par Souriau, 203.

11 Bernières, Œuvres Spirituelles, II, 122. Ces rapports simples entre directeur et dirigé se perpétueront et Mme Guyon s’adressera ainsi au jeune marquis de Fénelon, en mars 1717 :  « … vous serez dans la maison du petit Maître tant que vous le voudrez et pourrez. Si les bons Écossais viennent, vous pourrez découcher et descendre dans le bas, car je fais de vous comme des choux de mon jardin ».

12 Bernières, Œuvres Spirituelles, II, 364.

13 Les Œuvres spirituelles de Monsieur de Bernières Louvigni…, Seconde partie contenant les lettres…, Paris, 2e éd., 1675, « Voie illuminative » : lettres n° 25, 30 à 32,  et « Voie unitive » : lettres n° 43 à 48, 50, 51, 59, 6.

14 Larges extraits dans : Jacques Bertot, directeur Mystique, textes présentés par D. Tronc, Coll. « Sources mystiques », Ed. du Carmel, 2005. — Le titre complet de l’œuvre principale du corpus, qui nous intéresse parce qu’il révèle le jeu des influences, est le suivant : Le directeur MISTIQUE [sic], ou les œuvres spirituelles de monsr. Bertot, ami intime de feu Mr de Bernières et directeur de Made. Guion, avec un recueil de Lettres Spirituelles tant de plusieurs Auteurs anonimes, que du R. P. Maur de l’Enfant Jésus, Religieux Carme, et de Madame Guion, qui n’avaient point encore vu le jour. Divisé en Quatre volumes, A Cologne, Chez Jean de la Pierre. 1726.

15 L’Addition de la fin du vol. II du Directeur Mistique rapportant les Conseils d’une grande servante de Dieu… Marie des Valées [sic], renvoie aux lettres 40 et 64 du même volume ; des liens étroits unissaient Marie des Vallées, Jean Eudes, Bernières, Renty.

16 Madame Guyon, Correspondance II Combats, « Pièces judiciaires 504. Enquête adressée à Madame de Maintenon. Fin 1695 ? ».

17 Le directeur Mistique, vol II, lettre 6.  — A rapprocher de Tchoang-tzeu (trad. Wieger) : « Quand Il les émeut, tous les êtres deviennent pour lui comme un jeu d’anches. Les monts, les bois, les rochers, les arbres, toutes les aspérités, toutes les anfractuosités, résonnent comme autant de bouches… ».

18 Lettre de Mme Guyon au duc de Chevreuse, du 10 janvier 1693 : « La Mère du Saint-Sacrement est celle dont je vous ai parlé, qui est l’Ins [ti] tutrice de cet ordre, fut de mes amies et [est] une s [ain] te. » - Fénelon écrira à une religieuse : « Conservez la simplicité […] que notre chère Mère vous a enseignée. »

19 Bernières, Œuvres Spirituelles II, 282 (lettre du 15 février 1647).

20 Jacques Bertot, directeur Mystique, op.cit., conclusion à la lettre 4.75, 287.

21 Heurtevent dans la notice « Bertot » du Dict. de Spiritualité (rédigée en 1937).

22 Voir Rencontres autour de la vie et l’œuvre de Madame Guyon (Thonon 1996), Millon, Grenoble, 1997, et notre bibliographie en fin de volume.

23 Baruzi, op.cit., livre IV « La synthèse doctrinale », chap. II « Une critique des appréhensions distinctes », 440.

24 L. Cognet, Crépuscule des mystiques, Bossuet Fénelon, Desclée, 1958, analyse la première partie de la vie de Mme Guyon (un second volume, annoncé page 7, devait traiter de la suite). Le récit qui la concerne directement couvre la moitié du texte (197 pages sur un total de 396). L’autre moitié, qui inclut un remarquable panorama du mysticisme en France au XVIIe siècle (pages 9 à 55), n’est que très partiellement consacrée à Fénelon.

25 V. le choix bibliographique proposé à la fin du présent volume.

26 Lettre au duc de Chevreuse du 11 septembre 1694 (Correspondance II Combats, 300).

27 La Vie par elle-même…, Champion, 2001, 1.8.6 à 1.8.9 —On note qu’Archange Enguerrand a lui-même rencontré Jean Aumont, « le pauvre villageois », disciple de Bernières ; c’est une deuxième filière reliant Mme Guyon au groupe de l’Ermitage : voir A. Derville, « Un Récollet Français méconnu : Archange Enguerrand », Archivum Franciscanum Historicum, 1997, 177 — 203.

28 La Vie…, 1.12.7. – Sur Geneviève Granger, voir Éloges…, mère de Blémur, Paris, 1679, t. II, 417 — 455, repris par Bremond, II, 465. Geneviève Granger étant née environ vingt ans avant Bertot, les rapports étaient plutôt d’échange entre membres du groupe animé par la triade Jean-Chrysostome, Jean de Bernières, Michelle Mangon (religieuse du couvent de Jourdaine), que de dépendance vis-à-vis d’un confesseur.

29 La Vie…, 1.13.3, 1.14.5, 1.17.6, 1.17.7, 1.19.9, 1.19.10 (contrat de mariage à Notre Seigneur enfant, le jour de la Madeleine), 1.23.3 (« Quoi! Vous n’aimez plus Dieu ? »). Lorsqu’elle meurt (1.20.7) Jeanne-Marie Guyon se retrouve terriblement seule (1.20.6) même si la mère se manifeste par rêve (1.22.7).

30 Vie, 1.21.9, 1.24.3, 1.28.4 ; v. Jacques Bertot…, op.cit., « La direction de madame Guyon », 51-62.

31 Jacques Bertot…, op.cit., extraits de la lettre 4.75, 286-287.

32 Voir Dom Claude Martin, Les voies de la prière contemplative, textes réunis et présentés par dom Thierry Barbeau, Solesmes, 2005. Le mauriste, mystique comme sa mère, prendra la défense du Moyen court en 1695-1696 dans un Traité de la contemplation malheureusement resté sous la forme d’un manuscrit inachevé à sa mort.

33 Moyen court et très facile pour l’oraison que tous peuvent pratiquer très aisément… Grenoble, 1685 ; Lyon, 1686 ; Paris et Rouen, 1690 ; Cologne, 1699. Ce fut un succès de librairie. Ce que rapporte la Vie par elle-même quant au rayonnement apostolique de Mme Guyon lors de ses voyages est confirmé par les enquêtes faites au moment de son procès (J. Orcibal, « Le Cardinal Le Camus, témoin au procès de Madame Guyon », dans Études d’histoire et de littérature religieuse, Klincksieck, 1997).

34 J. Martin, Le Louis XIV des Chartreux Dom Innocent Le Masson, 51e général de l’ordre (1627-1703), préface de Jean Guitton, Téqui, 1974. — D. Tronc, « Quiétude et vie mystique : Madame Guyon et les Chartreux », Transversalités, juillet 2004, 121-149.

35 Ce que recouvre le terme quiétiste est très divers et les articles condamnés ne se retrouvent en général pas dans les écrits des suspects.

36 Le choix bibliographique en fin de volume est limité aux études fondamentales dont l’orientation n’est pas biographique, dont celles d’Orcibal et de madame Gondal. Il omet donc le récit de Françoise Mallet-Joris, Jeanne Guyon, Paris, 1978, ouvrage aisé à lire qui évoque heureusement la vie à la Cour de France et (en conclusion) « l’inertie contestataire » de l’héroïne. On a déjà souligné l’intérêt du Crépuscule des mystique de Cognet. Enfin nous renvoyons à notre édition de la Vie…, op. cit.

37 L. Cognet, La Spiritualité moderne, 105.

38 Vie 2.21.3.

39 Vie 2.21.8.

40 M. Chevallier, Pierre Poiret, Bibliotheca Dissidentium, tome V, Koerner, Baden-Baden, 1985 ; Pierre Poiret 1646-1719, Du protestantisme à la mystique, Labor et Fides, 1994 ; Pierre Poiret, Écrits sur la Théologie mystique, Grenoble, Millon, 2005.

41 À leur décharge, on avait pu attribuer à la diffusion de textes rendus accessibles à tous sous forme imprimée les convulsions de la Réforme et de la Contre-réforme, proches et peu encourageantes.

42 L’Abandon à la Providence divine, autrefois attribué à Jean-Pierre de Caussade, Desclée de Brouwer, 2005. Voir l’Introduction par Dominique Salin, s. j., 7-30. Nous en attribuons l’inspiration à madame Guyon : un premier jet sans repentir, aujourd’hui perdu, serait-il parvenu dans l’est de la France depuis la Visitation de Meaux ? Qui, considérablement corrigé en ce qui concerne sa forme littéraire, serait devenu d’une grande beauté classique, telle une cordée de lave refroidie ? C’est le sentiment peut-être invérifiable issu de notre lecture de L’Abandon faite bien avant celle des œuvres de madame Guyon. On dispose de l’étude approfondie de J. Le Brun (Annales de l’Est, « Les opuscules spirituels de Bossuet, recherches sur la tradition nancéenne », Nancy, 1970). Une comparaison minutieuse entre les textes de madame Guyon et des textes sous influence (L’Abandon… mais aussi les lettres du mystique Milley par exemple) reste à faire.

43 Voir J. Orcibal, « L’originalité théologique de John Wesley et les spiritualités du continent », Études…, Klincksieck, 1997, 527.

44 A. Favre, Jean-Philippe Dutoit, Genève, 1911, « Inventaire et Verbal de la saisie des livres et écrits de M. Dutoit », 115-118 et 107 (traces du cercle spirituel). Voir surtout un contemporain du dernier feu spirituel du cercle de Morges (près de Lausanne) : J. Chavannes, Jean-Philippe Dutoit…, Lausanne, 1865.

45 Baruzi, op. cit., p. 442 (de l’édition de 1931), note 1.

46 Moyen court, ch. II.

47 Moyen court, ch. III.

48 Moyen court, ch. X.

49 Moyen court, ch. XXII, §2.

50 Moyen court, ch. XXII, § 7-8.

51 Torrents, I, 9 § 9.

52 Dom Le Masson, Introduction à la vie intérieure et parfaite…, vol. II, 6e avis, p. 111. — Le « Louis XIV des chartreux » est à l’origine d’insinuations qui donneront naissance chez d’autres religieux de moindre poids à des accusations extrêmes et infondées.

53 Moyen court, ch. XXI.

54 Moyen court, ch. XII, § 6.

55 Moyen court, ch. XII, § 2.

56 Moyen court, ch. XXI.

57 Moyen court, ch. XXIV, § 1.

58 Mémoire… cité par F. Varillon : Fénelon, Œuvres spirituelles, 1954, 50.

59 Moyen court, ch. XXIV, § 6-7.

60 Moyen court, ch. XXIV, § 8.

61 Discours spirituels, D.1.60, «  Différence de la sainteté propriétaire et de la sainteté en Dieu ».

62 H. de Balma, Théologie mystique, « La voie unitive », Cerf, 1996, SC 409, §56, 91. — À rapprocher du chap. VIII du Tao Te King : « L’eau/ Gratifie les dix mille êtres/ Ne dispute rien à personne,/ Et séjourne aux lieux dont chacun se détourne… » (trad. C. Larre, Desclée, 1977).

63 Correspondance III Chemins mystiques, 2005, 645.

64 Ibid., 495.

65 Contrairement à ce que laisserait supposer C. Morali dans son essai « Jeanne Guyon ou la pensée nue », p. 54, précédant son édition des Torrents, J. Millon, Grenoble, 1992. Nous sommes très loin du « vide » synonyme de paralysie, voire même d’un « vertige du néant » décrit par certains auteurs. Sur le vide mystique spontané qui apporte énergie : L. Silburn, « Le vide, le rien, l’abîme », dans Hermès n° 6, Le vide, expérience spirituelle en Occident et en Orient, 1969, rééd. 1981.

66 Correspondance III Chemins mystiques, 2005, 556. – « Et c’est pourquoi nous devons établir toute notre vie sur un abîme sans fond, et ainsi pourrons-nous éternellement nous enfoncer dans l’amour, et sombrer dans cette profondeur sans fond. Et avec le même amour, nous nous élèverons et nous nous dépasserons nous-mêmes dans l’inconcevable hauteur, et dans cet amour sans mode, nous perdrons notre chemin, et il nous guidera dans l’étendue immense de l’amour de Dieu. » (Ruusbroec, De la Pierre Brillante, trad. M. Huot de Longchamp des lignes 125-130 dans Opera omnia, Corpus Cristianorum CX, Brepols, 1991).

67 Torrents, II, 1,§ 1

68 Torrents, I, 9 § 4

69 Torrents, I, 9 § 20 :

70 Torrents, I, 9, § 9

71 Torrents, II, 1 § 1.

72 Vie par elle-même, ch. 3.21 (p. 872 sq. de notre éd.).

73 Correspondance III Chemins mystiques, lettre 571, 692.

74 Marie de l’Incarnation, Œuvres, Aubier, 1942, ch. LIX-LX, p. 145-146. — La « vie nouvelle et divine » affleure dans la seconde relation de 1654, tandis que la première de 1633 témoigne du chemin. — V. Dom Claude Martin, La Vie de la Vénérable Mère Marie de l’Incarnation, 1677, rééd. Solesmes 1981, 456, 515.

75 Nombreux témoignages de la prise de conscience de cette transmission et de ses modalités dans la seconde partie de la Vie, en particulier II, 13 § 5.

76 J. Bruno, « Madame Guyon et la communication intérieure en silence », dans Le Maître spirituel, Hermès 4, 1967, p. 110 sq.

77 Barsanuphe et Jean de Gaza, Correspondance, Solesmes, 1972, pp. 19, 73, 104.

78 J. Bruno, « La Transmission spirituelle chez un mystique chrétien du XVIIe siècle : Jean-Jacques Olier », dans Le Maître spirituel, Hermès 4, 1967, p. 95 sq.

79 Correspondance III Chemins mystiques, lettre n° 582. Voir Hermès, Le Maître spirituel selon les traditions d’Occident et d’Orient, 1983, J. Sebeo, « Madame Guyon et l’état apostolique », p. 213 sq.

80 Discours…, D.2.61.

81 Explication de madame Guyon sur le Psaume 118, 19.

82 D.2.64.

83 D.2.68 (v. aussi D.2.67.)

84 Vie, 2.11, 2.13, 2,17 à 2,20, 2,22, 3,8, 3,10.

85 Explication sur saint Matthieu, chap. XVIII, versets 19 et 20.

86 Lettre 2 116.

87 Lettre de Fénelon du 31 août 1689.

88 Discours 2.25.

89 Correspondance I Directions spirituelles, 495.

90 Ibid., 496-497 (Lettre de Fénelon du 11 avril 1690).

91 Ibid., 495 (Lettre à Fénelon écrite au début avril 1690). — « L’esprit directeur » est tiré du Ps. 50, 13-14 : « … affermissez-moi en me donnant un esprit de force/J’enseignerai vos voies… »

92 « Supplément à la vie de madame Guyon… », ms. de Lausanne TP 1155, p. 1006 de La Vie…, 2001, op. cit. (la rédaction en est assez terne, souvent hagiographique, mais livre des indications rares qui seraient à compléter par recours aux archives déposées à la bibl. universitaire de Lausanne, principalement en langue allemande, de « divers écrits mystiques »).

93 Vaste ensemble de 29 tomes : Explications… de l’Ancien Testament, 12 t., et du Nouveau Testament., 8 t., Poèmes, 4 t., Justifications, 3 t., Discours…, 2 t. S’ajoutent à cet ensemble, dix tomes : Lettres, 4 t., La Vie par elle-même, 3 t., les Opuscules spirituels, 2 t., L’âme amante…, 1 t. Soit au total 39 tomes (devenus 40 t. par adjonction d’un tome de lettres dans la réédition par ailleurs très fidèle de Dutoit).

94 Commentaire au Cantique des Cantiques, VI, 4.

95 Moyen Court, XXIV, 11.

96 Ludovici Blosii Opera, Anvers, 1632, p. 295.

97 Moyen Court, XII, 2.

98 Château de l’Âme, 5e demeure, 1, 9-10.

99 Commentaire au Cantique des Cantiques, VI, 6.

100 Réf. en pagination définitive.

101 Pour ne pas nous méprendre sur les épreuves qui attendent l’âme au fil de cette nouvelle croissance, soulignons que la notion d’un purgatoire délicieux et terrible n’avait rien de contradictoire pour une lectrice de Catherine de Gênes (« Je ne crois pas qu’il puisse se trouver un contentement comparable à celui d’une âme du purgatoire… », écrit cette dernière dans son Traité du Purgatoire, 2), contrairement à l’image purement négative que nous en avons aujourd’hui.

102 Château de l’Âme, 5e demeure, 4, 4-8.

103 Château de l’Âme, 6e demeure, 2, 1-4.

104 Cf. Torrents, VIII, 1-2 : Le torrent [de l’amour] commence ici à se perdre de gouffre en gouffre… Il tombe d’abîme en abîme, de précipice en précipice, jusqu’à ce qu’enfin il tombe dans l’abîme de la mer, où perdant toute figure il ne se trouve plus jamais, étant devenu la mer même : l’âme après bien des morts redoublées expire enfin dans les bras de l’Amour. Il faudrait tout citer de ces chapitres VIII et IX, où de la mort à la sépulture puis à la résurrection, Jeanne nous conduit du Vendredi Saint au matin de Pâques avec une virtuosité vertigineuse. On peut préférer sur le sujet la sobriété de Ruusbroec ou l’effacement de Marie de l’Incarnation, mais force est de reconnaître que le lyrisme de ces pages est probablement sans équivalent dans la littérature mystique.

105 Remarquons cependant que la terminologie essentiel/suressentiel, et son équivalent éminent/suréminent au XVIIe siècle français, est rare chez Jeanne Guyon.

106 Relation de 1654, XIX.

107 Château de l’Âme, 7e demeure, 2, 4.

108 I Co 6, 17 : « Celui qui s’attache au Seigneur forme un seul esprit avec lui… » Ce texte est le plus cité et le plus décisif chez tous les auteurs depuis saint Bernard pour évoquer le réalisme du mariage spirituel, notamment du fait de son contexte qui est celui de la gravité de la fornication. Petit résumé de cette lecture chez Fénelon : Saint Bernard assure que l’épouse est par la pureté de son amour au-dessus même des enfants, quoique les enfants soient sans intérêt (allusion au Sermon 83 sur le Cantique). Les plus saints contemplatifs des derniers siècles ont suivi cette idée, ils ont appelé noces spirituelles cette union intime de l’âme épouse avec l’Époux bien aimé. Sainte Thérèse, le bienheureux Jean de La Croix et beaucoup d’autres, ont parlé d’un état si sublime. Suivant leur langage, ces noces mystérieuses unissent immédiatement l’épouse à l’Époux d’essence à essence, ou de substance à substance ; c’est-à-dire, pour parler correctement, de volonté à volonté, par cet amour tout pur que nous avons expliqué tant de fois. Alors Dieu et l’âme ne sont plus qu’un même esprit, comme l’Époux et l’épouse dans le mariage ne sont plus qu’une même chair. Celui qui adhère à Dieu est fait un même esprit avec lui par une entière conformité de volonté que la grâce opère. (Maximes des Saints, 41). Remarquons que l’incise « de volonté à volonté » et l’expression « entière conformité de volonté », sont prudemment en retrait par rapport à la plénitude d’union évoquée par les auteurs auxquels il se réfère.

109 Commentaire au Cantique des Cantiques, VI, 4.

110 Le cœur de la révélation chrétienne étant celle de la personne, là où les paganismes ne voient qu’un individu (il est banal de rappeler que le mot de personne est spécifiquement chrétien), la seule question philosophique chrétienne nous semble celle-ci : qu’est-ce qu’une relation ? Et c’est ainsi que Ruusbroec construit tout son Ornement des Noces sur le verset évangélique : « Voici l’Époux qui vient : sortez à sa rencontre ! »

111 Château de l’Âme, 7e demeure, 2, 4.

112 Jean de la Croix, Vive Flamme, 3, 23.

113 Jn 14, 20.

114 Cf. Montée du Carmel, II, 5.

115 Discours I, 38.

116 Ruusbroec, Ornement des Noces, Opera omnia 3, Turnhout, 1988, p. 519s.

117 Commentaire au Cantique des Cantiques, VI, 4.

118 Idem. On ne sera pas surpris de voir ce texte figurer parmi les censures de Godet des Marais (LVI). Il est clair que le censeur lit en métaphysicien ce qu’il faudrait lire dans la tradition biblique des Pères de Église, soucieux d’expliquer non pas un échange d’essences entre l’homme et Dieu, mais la seule parole de Jésus à ses disciples rappelée plus haut : « Vous connaîtrez que je suis en mon Père, et vous en moi et moi en vous. » Ce débat était déjà celui de Guillaume de Saint-Thierry et de saint Bernard au XIIe siècle lorsque, commentant tous deux le Cantique des Cantiques, ils se demandaient jusqu’où pouvait aller le « faire un seul Esprit avec le Seigneur » de I Co 6, 17. Guillaume n’hésite pas à y voir une complète « transfusion » de Dieu en l’homme et de l’homme en Dieu (Exposé sur le Cantique des Cantiques, éd. Sources Chrétiennes, §§ 95 et 100), là où, voyant sans doute le parti qu’un Abélard pourrait tirer de cet apparent panthéisme de son ami, saint Bernard ajoute prudemment : « Ce n’est pas qu’alors même, l’âme soit une même chose avec Dieu, de la même manière que le Père et le Fils, bien que, selon l’Apôtre, celui qui adhère à Dieu ne fasse qu’un même esprit avec lui… Il n’y a personne, sur la terre ni dans le ciel, à moins que d’être insensé, qui ose usurper cette parole du Fils unique de Dieu : “Mon Père et moi ne sommes qu’une même chose (Jn 10, 30).” » (Sermon 71 sur le Cantique des Cantiques) Cependant, toute la tradition ultérieure préfèrera ici la lecture de Guillaume à celle de Bernard.

119 Ruusbroec, Ornement des Noces, op.cit., p. 587.

120 Petit abrégé, I, § 4.

121 Ruusbroec, De la Pierre brillante, Opera omnia 10, Turnhout, 1991, p. 139s.

122 Jn 14, 10.

123 Ruusbroec, De la Pierre Brillante, op.cit., p. 117 ; cf. I Co 2, 8.

124 Gerhard Tersteegen (1697-1769), né et mort dans la région de Thomas à Kempis dont il plaçait l’Imitation de Jésus-Christ au sommet de la littérature chrétienne, est à la suite de Poiret l’un des maillons essentiels de la très importante pénétration des mystiques français du XVIIe siècle en milieu protestant, notamment dans l’Europe germanophone.

125 Petit Abrégé, II, § 2.

126 Ibidem.

127 PJ : État Apostolique, Appel à enseigner..

128 Ruusbroec, De la Pierre Brillante, op.cit., p. 181sq. (lignes 936-945 dans Opera omnia, Corpus Cristianorum CX, Brepols, 1991).

129Impugner : attaquer (Godefroy).

130NDE j’apprécie Poiret si proche ! Aucun talent oratoire ni affectif, claire sobriété. Moderne. Remplacez « Dieu » par « …. » et « tout devient plus clair ». Garder cette introduction dans le corpus guyonien et en même corps.

131Pour […..] devenu « Dieu » à la mode humaine donc réductions diverses, idoles…

132Poiret intelligent ici comme ailleurs.

133Inconnu — peut-être janséniste ?

134 Courte apologie, 15., note (b) : « Cette conséquence qu’on vient de rejeter, n’est pas seulement désavantageuse ; elle est même absurde et tout à fait nulle. Car puisque tout homme qui dit le Pater, ne prie pas pour soi seulement, mais pour toute la généralité soit des hommes, soit du Christianisme, comme il paraît par les termes pluriels de nôtre et de nous, qui y sont exprimés dès le commencement jusqu’à la fin ; quand quelqu’un pour sa personne serait le plus parfaitement résigné, et qu’il saurait même qu’il l’est, cela ne pourrait l’empêcher defaire toutes les demandes du Pater pour tous en général, ou pour tout le corps dont il sait qu’il est membre. […] »

135 NDE avec malice en omettant des passages.

136 Moyen court et très facile pour l’oraison que tous peuvent pratiquer très aisément…, Grenoble, J. Petit, 1685 ; 2e édition à Lyon chez A. Briasson, 1686 et Paris chez A. Warin. ; 3e éd. Paris et Rouen, 1690 ; texte inclus dans : Recueil de divers traitez de théologie mystique qui entrent dans la célèbre dispute du Quiétisme qui s’agite présentement en France…, Cologne, [Amsterdam], 1699, édition suivie de trois autres par le même Poiret.

137 Jean-Jacques Beaulaigue (1649-1735), à l’époque précepteur des jeunes enfants du duc de Luynes. Il sera lié au groupe janséniste et à Noailles, évêque de Châlons en 1680, dont il sera le théologien.

138 Nous avons recours au corpus constitué des Ordonnances de l’archevêque de Paris [Harlay], chez F. Muguet, Paris, 1694, (les extraits que nous allons citer figurent pages 5 à 8 et dernière), et de Mgr l’évêque comte de Chaalons… [Noailles], chez J. Seneuze, Chaalons, 12 avril 1695 ; de l’Ordonnance et instruction pastorale… de Mgr l’Évêque de Meaux [Bossuet], chez J. Anisson, Paris, (extraits cités : pages 5 à 11), et de Mgr l’évêque de Chartres [Godet des Marais] (extraits relevés en notes à notre édition des œuvres).

139 Voir le Crépuscule des mystiques…, p. 308-310 et 333 sq. (sur Bossuet), 310-311 (Noailles), 352-357 (Godet).

140 La première édition « registrée sur le livre de la communauté des libraires » le 26 novembre 1695, est un texte abondant de cinquante grandes pages, publié chez Josse à Paris, avec le privilège du Roi donné à « Paul Desmarets » ; ce même texte sera republié par le même éditeur en 44 pages l’année suivante.

141 Il s’agit d’un texte très complet de 76 grandes pages (de la dimension des Ordonnances), reproduite l’année suivante en format maniable, couvrant 190 pages (suivies d’une Addition, p. 191-212).

142 Citation à la suite du titre  G L R ~ Citation au verso de la page de titre  P

143 Préface. On G L 1699 1704 (omission).

144 Dieu. L’on G

145 Jn. 7, 34.

146 Mt. 7,7.

147 Rm 8, 32.

148 Lc l0, 42.

149 chose. Je suis assurée que G.

150 choque. On G

151 Pr. 8, 31.

152 Mt. 18,3.

153* Ici prend place une page donnant l’Approbation de Terrasson faite à Lyon, le 25 mai 1686. Elle se distingue du style habituel aux approbations par sa chaleur : « … Il paraît que la personne qui a composé ce livre, est parfaitement instruite de l’exercice heureux et nécessaire de l’oraison : elle en sait tous les secrets et tous les mystères ; elle en a goûté les douceurs ; elle en a connu l’utilité et elle en marque les voies et les moyens dans ce livre d’une manière si sainte, si aisée et si claire, que j’estime que ce livre, parmi tant d’autres qui ont traité de cette divine matière, qu’on ne saura jamais épuiser, aura pourtant sa distinction et son utilité. »

154 § I. Tous sont appelés à faire oraison. G ~ § I Tous peuvent faire oraison. L ~ Nous prenons pour titres ceux de G ou L parce qu’ils sont brefs, en respectant les majuscules, et nous reportons en note entre guillemets les longs résumés de P 1720 (ou simplement P) qui précèdent les textes des chapitres (ces derniers diffèrent de ceux figurant dans la table des matières qui ferme l’œuvre et que nous ne reproduirons pas). Ici : « Introduction. Que tous sont appelés et peuvent avec le secours de la grâce ordinaire, faire l’oraison du cœur, qui est le grand moyen du salut, et qui se peut faire en tout temps et par les plus simples même. » P 1720.

155* Précision apportées par Mme Guyon en 1694 : « Lorsqu’on dit que tous sont appelés ici, on ne dit pas que tous soient appelés aux mêmes degrés de consommation ; mais tous sont appelés à prier de cœur, à renoncer à soi-même, à porter leur croix, à suivre Jésus-Christ : donc cette voie est pour tous. » Justifications, [clé] XLIV. Oraison. 

156* L’oraison n’est autre chose que l’affection du cœur et l’amour. Aimer Dieu, s’occuper de lui, est absolument nécessaire G. (« application » remplace « affection » ; omission de la seconde phrase à partir de L).

157 I Th. 5, 17.

158 Mc 13, 33-37.

159 l’on vous désire G

160 vous. Qui G. (omission). ~ ni que l’on vous désire, mes très chers frères, qui 1699 (Cette première édition de P et les éditions antérieures ne numérotent pas toujours leurs §, plus rares).

161 Ap. 3, 8.

162 Ajout entre crochets à partir de 1704.

163 savez G.

164 Ap. 22, 17 & Jr. 2,13.

165 Tous ceux qui veulent faire oraison le peuvent. C’est la clef G. (omission).

166 Car il n’y a qu’une chose à faire qui est de marcher en la présence de Dieu pour être parfait. Dieu nous le dit lui-même : G

167 Gn. 17, 1.

168* les malades, que tous puissent faire, mes très chers. G ~ « C’est une erreur, ains une hérésie, de vouloir bannir la vie dévote de la compagnie des soldats, de la boutique des artisans, de la cour des princes, du ménage des gens mariés. » (Saint François de Sales, Introduction à la vie dévote, Première partie, chap. III ; Œuvres, Pléiade, 37).

169 Ce n’est point l’oraison de la tête mais l’oraison du cœur. Ce ne peut point être une oraison de pensée, mes très chers, parce que l’esprit G ~ faire cette oraison. Ce n’est pas une oraison de seule pensée, parce que l’esprit 1699 (la variante « oraison de seule pensée » apparaît en R qui pourrait ainsi être à la source de Poiret). 

170 occupations 1699

171 Le titre vague est repris de G et 1699. Ici le terme « méditation » se réfère au résumé donné par P 1720 : « 1. Premier degré d’oraison, pratiqué en deux manières, l’une par lecture méditée et l’autre par la méditation même. 2.3. Excellentes manières et règles pour la méditation. 4. Et pour en surmonter les difficultés. »

172 vérités fortes pour la spéculative et pour la pratique préférant G ~ La lecture méditée se fait en prenant quelques vérités chrétiennes, soit pour la spéculative, ou pour la pratique, préférant 1699

173 Vous prendrez votre vérité telle que vous la voudrez choisir. Ensuite en lire deux ou trois lignes, les digérer et goûter, tâchant d’en prendre le suc et de se tenir arrêté à l’endroit qu’on lit, tant que l’on y trouve du goût, et ne passant point outre que cet endroit ne soit rendu insipide. Après cela, en reprendre autant et faire de même, ne lisant pas plus d’une demi-page à la fois. G (Dorénavant nous ne donnerons plus une telle variante d’uniformisation à la seconde personne, réécriture qui n’affecte pas le sens profond).

174 Tout ce chapitre est proche de l’apprentissage de l’oraison dans l’Introduction à la vie dévote de François de Sales (image de l’abeille qui butine, mise en présence de Dieu, etc.).

175 qu’ils ne s’extrovertissent. Ce G

176 de son Dieu G

177 Commentaire de 1694 : « J’entends Dieu Lui-même et non ses dons qui se reçoivent dans les puissances. » Justifications IV. Centre, fond de l’âme.

178 Jn 14, 23.

179 lors donc que G

180 plutôt que l’entendement, et lorsque l’affection est émue, la laisser reposer G

181 émue. La mouvoir encore serait éteindre son feu et ôter G

182 en je ne sais combien d’années G

183 veulent combattre directement G

184 « 1. Manière d’oraison méditative pour ceux qui ne savent pas lire. 2.3. Appliquée au Pater et à quelques qualités de Dieu. 4. Passage de ce premier degré d’oraison au second. » P

185Pour ceux qui ne savent pas lire, ils ne sont pas privés pour cela de l’oraison. G

186 Lc 17, 21.

187 pas à G

188 captifs. 2. Et en cette sorte qu’ils disent leur Pater G

189 pensant que Dieu est au-dedans d’eux G (l’ajout de « qui » change le sens profond).

190 D’autres fois, se regardant comme des enfants… sur eux-mêmes G (P utilise le singulier, insistant sur le caractère intime et personnel de l’oraison).

191 sur eux-mêmes. Puis rester en silence. Après, continuer l’autre demande. S’ils se sentent une inclination à la paix et au silence, qu’ils ne poursuivent pas, mais qu’ils demeurent tant que cet état dure. Après quoi ils continueront la seconde demande : « Que votre volonté soit faite sur la terre comme au ciel ». Alors ils désireront G

192 leur volonté et G

193* « J’avoue simplement que je ne comprends pas qu’il y ait plus d’humilité à se rendre le principe de nos propres actions, qu’à se laisser mouvoir à l’Esprit de Dieu […] si on dit qu’il faut se taire devant Dieu, on suppose que, Dieu parlant au fond du cœur, Il invite Lui-même au silence, et on ne le fait que pour Lui obéir. » Courte Apologie, § II, 7.

194* Mme Guyon répond aux objections : « La première de ces difficultés est que l’on dit qu’en faisant voir qu’à force de se résigner à la volonté de Dieu, l’âme lui devient soumise et conforme : on ôte l’usage du Pater, puisque Jésus-Christ, qui nous ordonne de dire le Pater, veut que nous demandions toujours cette conformité, et que celui qui serait fort résigné n’aurait plus besoin de dire le Pater. À cela, je réponds que le plus résigné ne s’exemptera jamais de dire le Pater pour ces motifs. Car quoique l’on sache que l’on puisse en cette vie acquérir par la grâce de Dieu l’entière résignation, nul ne présume pour soi d’avoir cette résignation. Et lorsque Dieu fait écrire des maximes qui regardent la perfection, celui qui les écrit ne présume point d’avoir acquis la perfection et n’y pense pas même : il se contente d’écrire, sans retour sur soi, suivant les lumières qui lui sont données. /,Mais pour répondre aux objections, je dis que, si nous ne pouvions acquérir par la grâce de Dieu la parfaite résignation, Jésus-Christ ne nous aurait pas ordonné de demander que votre volonté soit faite : on demanderait ou une chimère ou une chose que l’on ne peut jamais obtenir. Si on ne demande par la volonté de Dieu que ce que l’on peut obtenir, on peut donc parvenir en cette vie à la résignation parfaite qui est la conformité et unifor­mité de notre volonté à celle de Dieu. Pourquoi ne pourrions-­nous avoir dans la nouvelle Loi, quoique elle soit une Loi de Grâce, ce que les saints de l’ancienne ont eu d’une manière très éminente ? Qui pourra dire qu’Abraham, en sacrifiant à Dieu son fils unique, n’était pas parfaitement résigné ? Et Job qui, dans les pertes les plus extrêmes, ne fait que bénir le Nom du Seigneur, et nous apprend que nous devons recevoir avec une égalité parfaite les biens et les maux de la main du Seigneur, serait-il soupçonné de n’avoir pas la parfaite résignation ? /Concluons donc que l’on peut acquérir la parfaite rési­gnation, mais que cette acquisition, étant ignorée presque tou­jours de celui qui la possède, n’est pas une exclusion de dire le Pater. Il n’y a point de paroles dont on ne puisse tirer des consé­quences favorables ou désavantageuses. Je prie le lecteur d’en tirer de favorables de ce qui n’a été écrit qu’avec une entière sim­plicité et par obéissance. » Courte apologie, § III, 15.

195 Ils ne doivent point prendre quantité de Pater et d’Ave à dire, mais quand ils n’en diraient qu’un de cette manière, ils le diraient bien. /D’autres fois G

196 O Pasteur, vous nourrissez de vous-même et c’est le pain quotidien. Ils G

197 Ce n’est rien de Dieu que l’on se figure, mais c’est une foi de sa présence, car G

198 pourvu que ce soit dans G

199 afin qu’il y ait autant et plus de silence que d’action, augmentant peu à peu le silence, diminuant l’action, jusqu’à ce qu’enfin, à force de céder peu à peu à l’opérer de Dieu G

200 que l’on ne peut avoir par nulle autre voie qu’en commençant G

201 savent pas. G (fin du chapitre).

202 Second degré d’oraison G ~ « 1. Second degré d’oraison, appelé ici oraison de simplicité. Quand il est temps d’y monter. 2. Comment la faire et s’y entretenir. 3. Réquisitions pour la bien faire. » P

203* de quelques-uns : contemplation, d’autres : oraison de simplicité G ~ Semble correspondre à la contemplation acquise de François de Sales : « Théotime, la contemplation n’est autre chose qu’une amoureuse, simple et permanente attention de l’esprit aux choses divines… » (Traité de l’amour de Dieu, Livre VI, Chapitre III ; Œuvres, Pléiade, 616).

204 Contemplation qui en produit plusieurs autres. /Lors G

205 s’affectionner à Dieu G

206 onguents G

207 de sujet G

208 demande que G

209 « De plusieurs choses survenantes ou appartenantes à cette oraison, savoir : 1. Des sécheresses, qui sont ici causées par l’absence sensible de Dieu pour une admirable fin ; et qu’il faut les souffrir par des actes de vertus solides et paisibles d’esprit et de cœur. » P

210 Si (Siracide ou Ecclésiastique) 2, 2-9.

211 Ce chapitre, comme le précédent, est très salésien : à peu près tous ses éléments se trouvent disséminés chez François de Sales.

212 « 1. 2. De l’abandon de soi à Dieu, son fruit et son irrévocabilité. 3. En quoi il consiste, et que Dieu nous y exhorte. 4. Sa pratique. » P

213 Dieu. Se G

214 Rm 4, 18.

215 Mt 6, 34.

216 Pr 3, 6.

217 Pr 16, 3.

218 Ps 37, 5.

219 pratique, perdre G

220 paraissent. Sitôt qu’on les sent naître, se G

221* « Qui ne voit que celui qui donne le présent à Dieu continuellement, lui donne tout, parce qu’il se contente de son application actuelle à Dieu. Le passé n’est point à nous ; et le souvenir que nous en avons, ne servirait qu’à entretenir la propre réflexion, et nous désoccuper de Dieu. En nous occupant de Dieu, l’on s’occupe [sans se détourner de lui] de toutes les dispositions nécessaires, comme de douleur de ses péchés, d’amour, de conformité, et le reste ; car tout cela se fait, en s’occupant de Dieu, d’une manière bien plus parfaite. En Dieu, les péchés paraissent bien plus horribles par le contraire de la pureté divine que de les regarder en eux-mêmes. S’occuper de l’avenir qui ne regarde pas Dieu et sa gloire, est une chimère ; car je pense à l’avenir, lorsque je pense à mon Dieu. » Justifications, I. Abandon.

222 Premier extrait de l’Ordonnance de Godet des Marais, III : « [§2 :] Qui sait bien s’abandonner, sera bientôt parfait. [large coupure sans indication ; § 4 :] Pour la pratique elle doit être de perdre sans cesse toute volonté propre [omission de “dans la volonté de Dieu”], de renoncer à toutes inclinations particulières, quelques bonnes qu’elles paraissent […] pour tous. » — [Avertissement : nous référençons les extraits de l’Ordonnance à l’endroit où ils prennent fin ; ils peuvent commencer loin en amont, compte tenu de coupures (ici longue coupure depuis « parfait. » jusqu’au début du §4, suivie d’une brève coupure ou omission que nous avons signalée entre crochets) ; pour faciliter les repérages, nous indiquons entre crochets les numéros des § correspondant (ici §2, où l’extrait débute à la deuxième phrase, « Qui sait… », et §4, début) ; enfin pour réduire considérablement la taille des notes nous introduisons entre crochets des points de suspension indiquant nos propres omisssions (ici entre « paraissent » et « pour tous ».].

223 « 1. De la souffrance ; qu’il faut l’accepter de la main de Dieu. 2. Ses fruits et utilités. 3. Sa pratique. » P

224 Jésus apparaît transfiguré à ses disciples « sur une haute montagne » que l’on identifie au mont Thabor situé en Galilée (Mt 17, Mc 9, Lc 9, 28).

225 Si vous L’aimez, il faut L’aimer autant sur le Calvaire que sur le Thabor puisque c’est le lieu où Il fait paraître le plus d’amour. G (plus bref).

226 Voir Mt 16, 23.

227 Pr. 27, 7.

228 autant affamée de son Dieu qu’elle se trouve affamée de la croix. G

229 Dieu donne la croix. L’abandon G (omission).

230* « C’est qu’il est quelquefois proposé aux âmes au commencement de la voie en général, (même cela est assez ordinaire) ce qui fut proposé à Jésus-Christ selon l’Apôtre (Hébreux 12,2) : au lieu de la joie dont Il pouvait jouir, Il a choisi de souffrir la croix ; et aussi dans le particulier en quelques occasions de terribles souffrances. Mais le cœur amoureux de son Dieu non seulement les accepte, mais s’y immole, et dans la douleur ne dit jamais : “C’est assez”. Justifications, LXII. Souffrance.

231 voulu. G (l’offrande en sacrifice).

232 sente la pointe G sente le poids L R

233 toute la dureté G toute la rigueur L R

234 être égal. G ~ être égal dans la volonté de Dieu L R

235* « 1. Des mystères : Dieu les donne ici en réalité. 2.3. Il faut se laisser appliquer et désappliquer par Dieu comme il Lui plaît, en attention amoureuse. » P ~ Ce chapitre VIII est reproduit en entier dans les Justifications, XXXV. Mystères, accompagné du commentaire suivant qui précède les « Autorités » (c’est-à-dire les citations de mystiques) : « Avant que de mettre les Autorités conformes, je dois expliquer que dans les mystères doit être compris l’invocation des saints et l’application particulière à quelque saint. Les raisons pour lesquelles les âmes de ce degré ne peuvent invoquer les saints, lorsque elles le veulent, mais bien lorsque Dieu les y pousse, sont les mêmes que pour la cessation des actes et méditations. Tant que l’âme se possède elle-même, elle agit selon son inclination, qui la porte vers quelques saints ; mais lorsque elle est mise dans la généralité et simplicité, toutes les dévotions particulières lui sont ôtées, cet état les renfermant toutes en général. Lorsque nous sommes en nous-mêmes, nous tenons tout en nous en distinction ; mais lorsque nous passons en Dieu, nous portons tout avec nous en Dieu en simplicité et sans distinction : alors on se trouve une union d’unité avec les saints qu’on n’avait point comprise jusqu’alors, et que la seule expérience peut faire entendre. L’invocation des saints est comme les autres actes, opérations, mystères, qui s’écoulent et se perdent avec nous en Dieu ; autrement on serait arrêté par cela même. L’âme étant Épouse, elle se trouve si près de son Dieu, si fort absorbée et mélangée avec Lui, qu’elle ne voit que Lui, et en Lui ce qu’Il lui fait voir ; et lorsque Il veut qu’elle se serve de quelque saint, Il le lui met au cœur par impression, avec une douce correspondance : alors l’âme connaît que ce que Dieu lui fait demander sera accordé en union avec ce saint et par son entremise. Cela arrive d’ordinaire pour les saints, auxquels on a eu une grande dévotion, et fort distincte, avant que d’être dans l’état de simple humilité. Il est à remarquer que ce sentiment est bien différent de celui des hérétiques [protestants], car ils ôtent l’invocation des saints à tous chrétiens ; mais il n’en est pas de même ici, où ces dévotions à force d’activité sont surpassées et tombées dans l’unité avec le reste des autres actes. Ce qui n’empêche pas que Dieu dans cette unité n’applique à quelque saint, comme il Lui plaît, et quand il Lui plaît, mais cela se fait comme d’ami à ami sans sortir de l’unité même, et par le mouvement de la grâce. Pour mieux concevoir ceci, il faut faire attention que tant que l’âme peut se servir de son opération propre, elle agit en distinction avec Dieu, la sacrée Vierge et les saints ; mais lorsque elle est tombée dans l’unité divine, elle n’agit plus par elle-même, mais par le mouvement de Dieu : c’est alors qu’elle trouve tous les mystères, la Sainte Vierge et les saints dans cette unité divine, où ils sont tous perdus, et où elle est perdue elle-même, quoique moins parfaitement. C’est là véritablement l’expérience de la communion des saints. Comme la lumière des étoiles, sans qu’elles perdent leur clarté particulière, se trouve surmontée par la lumière du soleil, et absorbée en elle, de même en cet état la majesté de Dieu, par le moyen de la foi, absorbe toute dévotion particulière aux saints ; ce qui n’empêche pas que la dévotion ne soit réelle et plus que jamais, mais elle est sans distinction en Dieu même, l’âme, comme je l’ai dit, ne pouvant plus rien voir hors de Dieu. Cette dévotion s’appelle union ou communion. »

236 Jn 14, 6.

237 Ga 6,17.

238* « Je ne dis donc pas ici qu’il faut rejeter l’image de Jésus-Christ, au contraire ; mais qu’il faut non pas raisonner sur ses états, mais nous laisser appliquer à ces mêmes états lorsque Dieu le fait. » Justifications XXXV. Mystères.

239 C’est le sentiment et l’expérience de sainte Thérèse […] Justifications, XXXV. Mystères.

240 mystère. L’inclination pour le mystère et l’amour de Dieu renferment cette dévotion particulière. Qui G (omission). ~ mystère, mais c’est sans sujet puisque l’attention amoureuse à Dieu renferme cette dévotion. Qui R ~ dévotion particulière et ce qui est uni à Dieu seul par son repos en Lui est appliqué d’une manière plus excellente à tous les mystères. Qui L R (addition)

241 « 1.2. De la vertu. Toutes sortes de vertus viennent solidement avec Dieu et par le fond dans ce degré d’oraison du cœur. 3. Et cela avec facilité. » P

242 Ps 44, 15 : « Toute la gloire de celle qui est la fille du roi lui vient du dedans… » (Sacy) [Ps 45, 14].

243* « Y a-t-il rien de plus fort qu’une mortification toujours égale, qui exclut les satisfactions les plus innocentes, jointe avec les austérités qui ne sont pas épargnées ? Ainsi il est aisé de voir que cette oraison n’est pas contraire à la pénitence, puisque cet état exige non seulement la mortification, mais la mort à toutes choses, qui est la consommation de la mortification. Il est vrai qu’on ne fait pas le capital de la mortification, mais on ne l’abandonne pas pour cela, quoique on en perde la pratique à cause de l’habitude contractée et de la mort, qui ne laisse rien à mortifier. /Il est aisé de comprendre que la vraie mort, c’est la consommation de toute mortification : ainsi la mort à soi-même est la plus parfaite mortification, parce qu’elle s’étend partout et n’excepte rien, soit intérieurement, soit extérieurement ; au lieu que la mortification ne s’attachant qu’à certaines choses particulières, en laisse bien d’autres immortifiées. La mortification ou la mort suit l’état de l’âme. Une personne qui n’a que la méditation discursive et en détail, n’a qu’une certaine mortification objective de choses particulières, au lieu qu’une âme conduite par la foi nue a une connaissance confuse et générale, qui les comprend toutes sans rien détailler ; aussi sa mortification, qui est une vraie mort, renferme toute mortification possible, sans en envisager aucune objectivement. C’est comme des arbres qu’on ren­contre en son chemin, qui servent de rafraîchissement au voyageur, mais sous lesquels il ne s’arrête point, avançant toujours vers sa fin, qui est Dieu, au lieu que les autres âmes, quoique bien moins austères, en font leur capital, s’y arrêtent et ne passent point outre. » Justifications, XXXVIII. Mortification.

244 souffrance ! […] désirs ! G (constatations plutôt que des questions).

245 « 1. De la mortification : qu’elle ne se fait jamais parfaitement par la seule voie du dehors : 2. Mais par s’occuper de Dieu au-dedans. 3. Lequel en dispense au-dehors même autant qu’il en faut. 4. D’où s’ensuit la vraie conversion. » P

246 l’austérité au-dehors G

247 peuvent affaiblir le corps, mais jamais émousser la G

248 « C’est ce que dit David : [Ps. 58, 10] J’emploierai toute ma force pour vous. » Justifications, XXXVIII. Mortification.

249 Ordonnance, Godet des Marais, XXXV : « L’âme étant appliquée directement à l’austérité […] amortir. [omission] Les austérités peuvent bien affaiblir […] présent. »

250 en défaillance G

251* « On dit que j’ai voulu détruire les mortifications extérieures, lorsque j’ai fait voir combien le recueillement intérieur est néces­saire à la mortification extérieure. Si on examine l’endroit où il est dit : “Je n’entends pas […] tout ce qu’il y a à mortifier” (§3), il est aisé à voir, par ce que je viens de rapporter, que l’on n’a jamais prétendu détruire la mortification extérieure, si nécessaire pour devenir intérieur, mais faire concevoir qu’elle tire sa principale force du recueillement intérieur. Cette manière de faire les pénitences en ôte le défaut, qui est la propre volonté et l’inconsidération. » Courte Apologie, § II, 10.

252 « Parce que l’âme attentive à Dieu est instruite de Lui, à chaque moment, de tout ce qu’elle doit faire, d’une manière admirable et sans relâche. » Courte Apologie, § II, 10.

253* « Il faut prendre garde que les personnes en qui l’attrait est fort, doivent plutôt être arrêtées que poussées aux austérités, sans quoi elles détruisent absolument leur tempérament, d’autant qu’elles ne peuvent qu’avec grand peine manger, ce qui est nécessaire pour soutenir leur vie. » Courte Apologie, § II, 10. — Guilloré (1615-1684), directeur de conscience de grande expérience des âmes, insiste vivement sur ce point : « Tout attachement, même aux croix, est blâmable », Ch. I : « L’attachement aux croix extérieures est ordinairement vicieux » (Œuvres, 1684, I, 3, maxime III).

254 « 1. De la conversion parfaite, qui est un effet de cette oraison. Comment elle se fait. 2.3. Deux de ses secours, l’attrait de Dieu, et la pente centrale de l’âme. 4. Sa pratique. » P

255 Es (Esaïe ou Isaïe) 31, 6.

256 La conversion n’est qu’à demi-parfaite, quoique elle soit bonne et valable pour le salut, lorsque elle est seulement G

257 et toute G

258 vertu attractive qui attirer toujours G

259* « Dieu nous laisse notre liberté entière, et c’est une erreur de croire que nous ne soyons pas libres. Mais comme la liberté est la seule chose que Dieu nous ait donnée en propre, le plus agréable sacrifice que nous Lui puissions faire, c’est du franc-arbitre. On le Lui donne longtemps avant qu’Il l’accepte. mais lorsque Il l’a pris, Il se rend maître de notre conduite et nous meut à son gré. L’âme est toujours libre, parce qu’elle s’est donnée librement. Et elle trouve que cet heureux esclavage dont elle ne peut et ne veut point sortir, est la par­faite liberté, au lieu que la liberté de l’homme qui se possède soi-même est une dure captivité […] J’ai cru devoir dire ici seulement quelques mots du franc-arbitre. » [Explication donnée en tête de :] Justifications, XXV. Franc-arbitre.

260 vertu attractive G

261 vertu attractive G

262 quelque sujet fort et vigoureux, elle s’y précipite avec force G

263* « Lorsqu’elle l’aura atteint et qu’il ne lui restera plus ni activité, ni inclination à se mouvoir, nous dirons qu’elle est dans son centre le plus profond. /Le centre de l’âme c’est Dieu… » (Vive flamme d’amour B, Explication de la stophe I, §12 ; Jean de la Croix, Œuvres, trad. Marie du Saint-Sacrement, Cerf, 1454).

264* « Notez elle-même ; mais moins elle se remue par elle-même, plus elle se laisse mouvoir au gré de Dieu. » Justifications, IV. Centre, fond de l’âme.

265 les irrite. G

266 « 1. Autre degré plus haut d’oraison, qui est l’oraison de simple présence de Dieu, ou de contemplation active, dont on ne dit ici que bien peu, réservant le reste à un autre Traité. 2.3.4. Comment ici disparaissent l’action et l’opération propre par un acte vivant, plein, abondant, divin, facile, et comme naturel, ce qui est bien loin de l’oisiveté et de la suppression de tout acte, qu’objectent ici si mal-à-propos les antimystiques. Ce qui est rendu clair par plusieurs belles comparaisons. 5. Passage à l’oraison infuse, où l’acte foncier et vital de l’âme ne se perd pas, mais est influé plus abondamment et plus pleinement (ainsi que les puissances) par celui de Dieu. 6. Facilité de ces voies de Dieu et exhortation à s’y abandonner. » P

267 par infusion G ~ par habitude L R

268 « C’est ce qu’elle a poursuivi dans le Traité des Torrents, qui va suivre [dans l’édition des Opuscules spirituels], et qui en effet est une dépendance naturelle de celui-ci, et peut servir à tous les états. » P [note]

269 puisque ce n’est que G ~ puisque je n’écris que LR

270 l’opération, pour G ~ l’opération propre, pour L R ~ « Propre, c’est-à-dire de propre choix, sensible à son goût et à sa façon, réfléchie, empressée, inquiète, tendant ailleurs ou d’une autre façon que l’attrait de Dieu ne porte. » P [note]

271 Ps 45, 10 [46, 11].

272 d’abondance. La G

273* « De plus j’ai fait voir dans le chap. XII, parlant du silence intérieur, qu’il n’était point causé par la disette, mais par l’abondance d’une opération intérieure plus forte que la nôtre, qui, en nous faisant taire à tout et de tout, nous apprend ce langage de la Divinité. Ce n’est donc point un silence causé par une inaction vague et forgée par un esprit imaginaire, mais une obéissance rendue au vouloir divin. » Courte Apologie, § II, 11.

274 peut. comme un G ~ peut. Un L R

275 même, d’abord, remuer G ~ Il faut, de même au commencement de l’oraison remuer d’abord L R

276* « l’âme ressemble alors à un petit nourrisson, attaché au sein de sa mère, qui, dans sa tendresse, lui fait couler le lait dans sa bouche sans qu’il ait à remuer les lèvres. De même ici, la volonté est à son amour, sans effort de l’entendement… » (Thérèse d’Avila, Chemin de perfection, chap. 31, §9). Le chapitre XIII qui suit, « Du repos devant Dieu », est à rapprocher de l’oraison de quiétude de Thérèse.

277 grâce. / 5. Qu’arrive-t-il G (omission) ~ grâce, qui se donne ici pour attirer au repos de l’amour, et non pour exciter au mouvement de la propre multiplicité. L R

278 canon, mais bien par l’amour G ~ canon, et par la violence : c’est un royaume de paix, qui se possède par l’amour L R

279 Lui ? Or Il G

280 Es 57, 10.

281 « 1. Du repos devant Dieu, présent à l’âme d’une manière admirable. 2. Fruits de cette paisible présence. 3. Avis de conduite dans la pratique. » P

282 le fruit de l’oraison, commence G ~ le grand fruit de l’oraison, ou plutôt la continuation de l’oraison même, commence L R

283 à être infuse, elle est presque continuelle G

284 et en oraison G ~ et mise en oraison L R

285 Sg 7, 11.

286 fécondité qui tient l’âme en vigueur pour G ~ fécondité qui lui donne de la facilité pour L R

287 Ordonnance, Godet des Marais, XXXII : « [§1 début :] L’âme étant arrivée ici n’a plus besoin d’autre préparation que de son repos. [omission exceptionnellement signalée par des points de suspension ; §3 :] Qu’elle se donne […] oraison. »

288 mais seulement de la disposition intérieure G ~, mais de la plus parfaite disposition intérieure dans laquelle on puisse les recevoir, qui est celle que je viens de dire. L R

289 « 1.2. Du silence intérieur. Sa raison : Dieu le recommande. 3. Le silence extérieur, la retraite et le retour en soi y contribuent. » P

290 Tenez-vous en silence devant le Seigneur et attendez-Le (Ps. 37,7). À ~ Le Seigneur est dans son saint Temple, que toute la terre demeure en silence devant Lui. L R. : Ha [Habacuc] 2, 20.

291* « On a cru que l’on voulait, en parlant du silence intérieur, supprimer toutes les bonnes pensées et toutes les paroles du cœur. Les pensées de l’esprit, qui sont produites par les affections épurées d’un cœur qui aime son Dieu, sont très bonnes. Ce ne sont pas celles-là qu’il faut supprimer, mais celles que la créature forme souvent plus pour satisfaire son esprit que pour échauffer son cœur. Il faut que le cœur agisse et tende incessamment à son Dieu par l’affection. Mais lorsque cette même affection attire dans ce cœur l’infusion de la grâce, il faut que ce même cœur, qui s’ouvrait comme une bouche pour parler, s’ouvre en se tai­sant pour recevoir la nourriture divine. C’est donc apprendre à préparer le cœur ; et lorsque ce cœur est préparé comme le dit le roi-prophète : Mon cœur est préparé  (Ps. 107, 2), et que Dieu, ayant écouté la préparation de ce cœur, se plaît de s’y communi­quer par une charité infuse, se soumettre en se taisant avec une humilité pleine de respect. C’est à cela que se réduisent toutes les pratiques du petit livre. » Courte Apologie, § II, 8.

292 sens passif et non actif qui G ~ sens plus passif qu’actif qui L R

293 attentive. / 2. C’est G ~ attentive à ce même Verbe, qui veut lui parler au-dedans d’elle. /2. C’est L R

294 Es 51, 4.

295 Es 46, 3.

296 Ps 44, 12 [45, 11].

297 tout intérêt G ~ tout propre intérêt R

298 car elles sont toutes passives G ~ passions, car cela est fort passif R

299 communique. Écouter et être attentif, s’oublier soi-même. Le silence G ~ communique. Le silence R. (Ces dernières variantes semblent indiquer que Poiret a utilisé l’édition de Rouen, second indice rencontré jusqu’ici).

300 Os (Osée) 2, 14.

301 l’onction et l’oraison G

302 « De l’Examen de conscience ; comment il se fait en cet état ; et cela par Dieu même. 3.4. De la confession, contrition et oubli ou souvenir des fautes, en cet état. 5. Ceci n’est pas applicable aux états précédents. Communion. » P

303 recherche. Lorsque G ~ recherche, la connaissance de nos péchés. Lorsque R

304 Es 5, 20.

305 fait. Sitôt qu’elle a commis un défaut, elle sent comme un brûlement. C’est alors G ~ fait. Elle n’a pas plutôt commis un défaut, qu’elle sent un brûlement. C’est alors L R ~ fait. Elle n’a pas plutôt commis un défaut, qu’elle sent un brûlement qui le lui reproche. C’est alors R (addition)

306 Celles… G (paragraphe entier au féminin).

307 eux-mêmes. Ils ont l’acte substantiel quoique elles ne l’aient pas formel. Qu’elles ne se mettent G ~ eux-mêmes. Ils ont un acte éminent qui comprend les autres, avec plus de perfection : quoiqu’ils n’aient pas ceux-ci, comme distincts et multipliés. Qu’ils ne se mettent L R

308 de le faire, lorsque Dieu le fait en elles, par elles et pour elles. C’est G ~ pas en peine de faire autre chose, lorsque Dieu agit plus excellemment en elles et avec elles. C’est R

309 Si [Ecclésiastique] 11, 22.

310* « Lorsque j’ai parlé dans la même section de l’oubli des fautes, je ne parle que pour les âmes pures qui, par la miséricorde de Dieu, sont affranchies de la volonté de pécher, quoique elles ne soient pas exemptes des faiblesses qui sont attachées à la nature corrompue. Ces personnes, auxquelles Dieu ne laisse pas passer la moindre faute sans la leur reprocher, sont étonnées que souvent, lorsque elles se confessent, ces faiblesses sont disparues de leur mémoire. Elles s’en inquiètent et croient s’en ressouvenir à force de réflexions, ce qui est pour elles un travail autant pénible qu’inutile, qui les trouble sans effet et leur fait perdre l’amour douloureux. Ces personnes, étant accoutumées à une grande pureté de vie, éprouvent que les fautes les plus considérables se présen­tent à leur esprit sitôt qu’elles s’approchent du tribunal, mais les autres fautes, qui ont été effacées par la bonté de Dieu après la cor­rection qu’Il leur en a faite, disparaissent de leur esprit. Comment trouvera-t-on à redire sur ce que l’on porte ces âmes à demeurer en repos en oubliant des fautes que les confesseurs ne jugent pas eux-­mêmes être une matière suffisante pour appuyer leur absolution ? Il est aisé de voir par là qu’il n’y a que le défaut d’explication qui puisse faire de la peine. » Courte Apologie, § II, 14.

311 fautes. Alors Dieu fait G

312 Ordonnance, Godet des Marais, XXII : « [§1 fin :] Il faut se délaisser, et s’abandonner beaucoup à Dieu, tant pour l’examen, que pour la confession. [large saut ; §2 réduit à :] L’âme ne peut plus s’examiner elle-même. [large saut ; §4 :] Elle s’étonnera qu’elle oubliera ses défauts […] Dieu. » — [Le premier saut n’est pas innocent : il permet d’omettre l’abandon à Dieu qui « ne manque pas de reprendre l’âme ».].

313 « 1. De la lecture, et des prières vocales ; en faire peu. 2. Point contre l’attrait, quand elles ne sont point d’obligation. » P

314 «1. Des demandes. Les propres cessent pour faire place à celles de l’Esprit de Dieu. 2. Donner ici place à l’abandon et à la foi. » P

315 demandes comme elle G ~ des demandes à Dieu, qu’elle R

316 Rm 8, 26-27 et 12, 2.

317 « 1. Des défauts (ou fautes vénielles) commis en ce degré. S’en retirer vers Dieu, sans inquiétude troublante et décourageante. 2. Le contraire affaiblit, et s’oppose à la pratique des âmes humbles. » P

318 sommes : si G (pour qui le §2 commence à : 2. Une âme…).

319 Ps 31, 10 (Sacy) [32, 8].

320 1. Des distractions et tentations, s’en défaire ici par un détour vers Dieu. 2. Comme ont fait les saints : autrement, on s’expose. P

321 Ps 46, 6.

322 Ps 15, 8-9 [16, 8-9].

323 Ex 14, 14.

324 « 1.2. La prière en tant qu’oraison et sacrifice, divinement expliquée par la similitude d’un parfum. 3. Notre anéantissement dans ce sacrifice. 4.5. Solidité et fruit de cette prière, selon l’Évangile même. » P

325 Ap 8, 2.

326 II S (Samuel) 1,15.

327 Ct 1, 11-12.

328 Ct 5, 6 et 3, 6.

329 Si 3, 21.

330 humbles. Il faut G. (omission).

331 Or pour G

332 Col 3, 3.

333 Si 24, 19.

334 en Lui, ce qui ne s’exécutera jamais que par l’anéantissement. [c’est là] la véritable prière G

335 Ap 5, 13.

336 Jn 4, 23.

337 Mt 13, 44.

338 Jn 4, 23.

339 Lc 17, 21.

340 Oraison du missel romain, fête de saint Irénée (Die 28 junii, postcom. : « Deus, auctor pacis et amator, quem nosse, vivere, cui servire, regnare est… »).

341 « On répond amplement à l’accusation d’oisiveté et d’inaction que l’on objecte à cette oraison ; et on fait voir que l’âme y est en une action noble, forte, tranquille, agile, libre, simple, suave, modérée, certaine ; mais dépendante de Dieu et de sa motion, agie par Lui, par son Esprit, pour et par la communication de sa vie et de son union, la seule activité inquiète et entachée du propre en étant bannie. » P [note]

342 « du silence dans l’oraison » P [note]

343* « Lorsqu’il est parlé de l’état passif, on n’entend jamais un état pareil à celui d’une chose inanimée, dont on fait ce que l’on veut sans qu’elle y puisse même contribuer par sa soumis­sion. Il n’en est pas de même de l’homme, qui fait des actions d’autant plus nobles et relevées qu’elles sont plus conformes aux vouloirs divins, puisque c’est véritablement la volonté de Dieu qui donne le prix et la valeur à une action. Or l’action qui nous fait soumettre librement et volontairement à la motion divine, et qui fait que nous nous laissons agir par l’action de Dieu (pouvant faire des actions de propre volonté) est sans doute un acte très méritoire, étant une obéissance à Dieu très parfaite. » Courte Apologie, § II, 11.

344 action. Non, assurément, elle agit plus noblement et plus fortement. Elle est mue et agit par l’Esprit de Dieu. Saint Paul G

345 Rm 8, 14.

346 Ez 1, 19-21.

347 créature, mais G

348 Ps 17, 20 [18, 20].

349 « Voyez ci-dessus chap. XI, § 3, etc. » P [note]

350 qui est comme une G

351 elle. L’âme G

352 Ct 1, 3.

353 librement. Elle est forte G

354 « Dieu nous laisse notre liberté entière… » (voir l’explication donnée en tête des Justifications XXV. Franc-arbitre, note au chapitre XI ci-dessus, § 2).

355 Ac 17, 28.

356 Cette dépendance G

357 « Ce peu se doit entendre en comparaison de ceux qui ne prennent pas ce chemin, qui n’y arrivent pas en cette vie. » Justifications, XII. Création.

358 Gn 1, 27.

359 créés. Dieu est uni et multiplié G

360 Nous sommes un, lorsque nous sommes unis à son Esprit et que nous avons un même Esprit avec Lui G

361 Sg 7, 24.

362 Jn 1, 1.

363 Gn 2, 7.

364 est une, pure, simple, intime Justifications [variante] ~ « Unité, pureté, simplicité, fécondité : toutes ces opérations sont du Verbe. » Justifications XII. Création.

365 et que le Verbe retrace G

366* « Lors donc qu’il plaît à Dieu de l’introduire dans ce vide et cette solitude, où l’on ne peut plus faire usage de ses puissances ni produire des actes, elle se figure d’être oisive et s’efforce d’agir […][comparaison avec] le peintre qui veut se mettre au travail et voit remuer sa toile : il ne pourra rien faire. » (Jean de la Croix, Vive Flamme d’Amour, Strophe 3, §66).

367 Ordonnance, Godet des Marais, XXIV : « Dieu en nous créant nous a créé à son image et ressemblance [quelques lignes omises] Le démon par le péché ayant gâté et défiguré cette belle image ; il a fallu que ce même Verbe [omission] vint la réparer. [omission] L’image ne se répare pas en agissant […] meut. »

368 meut. C’était le sentiment de David et sa pratique : « Je contemplerai, dit-il, votre visage dans la justice que j’aurai recue de vous et je serai rassasié lorsque votre image sera renouvelée en moi » (Ps. 17,15). Jésus-Christ G (omission L R P).

369 Jn 5, 26.

370 à toutes choses. G ~ à tout ce qui doit vivre L R

371 ou vertueuses G ~ ou tout au plus vertueuses R

372 Ordonnance, Godet des Marais, XXV : « C’est l’esprit de l’Église que l’esprit de la motion divine : [omission] l’Esprit de l’Église ne doit point être autre […] grâce. »

373 vie, ce G ~ vie de s’écouler en nous, ce R

374 II Co 5, 17.

375 Ordonnance, Godet des Marais, XXVI : « Jésus-Christ dit qu’Il a la vie en Lui-même, [omission] Il désire de la communiquer aux hommes […] propre action, [omission] afin que l’action de Dieu soit substituée en sa place. »

376 pour laisser peu à peu l’action de Dieu prendre G

377 Lc 11, 41-42.

378 II Co 6, 17.

379 Ps 73, 28.

380 pente. Lorsque G

381 « Perte en Dieu notre fin et origine. » Justifications IV. Centre, fond de l’âme.

382 Rm 8, 9.

383 Rm 8, 14.

384 En italiques dans l’édition P. ~ Rm 8, 20-22 : Car c’est malgré elles [les créatures] qu’elles sont assujetties à la vanité… la créature même sera dégagée de la servitude de la corruption, pour participer à la liberté que les enfants de Dieu auront dans la gloire. » (Amelote).

385 Paul nous assure dans le même endroit de cette nécessité qu’il fonde même sur G

386 Rm 8, 26.

387 et que G

388 Jn 11, 42.

389 Rm 8, 27.

390 Es 57, 10.

391 les forces de l’âme, qui sont ses G

392 Es 55, 2.

393 est fortifiée G

394 Za (Zacharie) 2, 17.

395 Es 49, 15.

396 « 1.-5. Distinction des actes extérieurs et des intérieurs ; et qu’en cet état, ceux de l’âme sont intérieurs, mais habituels, continués, directs, subsistants, profonds, simples, non-aperçus, et comme un doux et continuel enfoncement en l’Océan de la divinité. 6. L’âme de cet état en fait de tels. 7.8. Belle similitude. 9. Comment agir sans attrait aperçu. » P

397 1. L’acte est une action qui est ou bonne ou inutile ou criminelle. Il y a des actes extérieurs et des actes intérieurs. Les actes extérieurs G

398 et qui n’ont de bonté et de malice morale que selon le principe G

399 ceux-là que je veux parler. C’est de l’acte intérieur. L’acte intérieur est une action de l’âme qui la tourne vers un objet dont elle est détournée. /2. Si je suis tourné vers Dieu et que je veuille faite un acte, je G (L R identique à P).

400 créature, il faut G

401 besoin d’actes G ~ besoin de plusieurs actes L R

402 Si 32, 23.

403 Ps 59, 10.

404 Es 46, 8.

405 péché. Il faut donc retourner à notre cœur. Aussi G (L R identique à P)

406 Pr 25, 26.

407 volontés, voilà ce qui est de l’acte. L’acte nous fait tourner vers Dieu. Il faut y demeurer tourné, sitôt qu’on l’est. Et si je faisais des actes, alors je m’en détournerais. /,Mais G

408 elle se tourne vers lui G

409 conversion. L’acte devient habituel et non formel, dans la suite G

410 peine de former cet acte parce qu’il subsiste. Et elle G

411 état pour le faire, ce P

412 parce qu’il subsiste en habitude. Alors G

413 habituel. Voilà pour l’acte formel qui ne peut point toujours subsister et qui ne doit céder à l’habituel. /L’on G (L R identique à P)

414 repos lorsque l’on G (nous ne donnons pas les variantes de toutes les modifications mineures du paragraphe).

415 rentré. C’est de connaître les actes que tout dépend, car lorsque l’on dit qu’il ne faut point faite d’actes, l’on se méprend : l’on fait toujours des actes, mais l’on les fait conformément G

416 plupart, faute G

417 des actes formels et des actes substantiels, des G

418 Les actes formels se doivent des personnes qui sont détournées. Elles doivent se tourner par une action qui se distingue, plus ou moins forte, selon que le détour est plus ou moins fort. De sorte que G

419 5. J’appelle l’acte continué celui par lequel l’âme G

420 L’âme étant, dis-je, tournée de la sorte, est en charité et y demeure G

421 II Jn 4, 16.

422 est dans G

423 un enfoncement G ~ « ceci se fait par amour infus dans la volonté, ou par une tendance actuelle à sa fin. » Justifications II Abandon.

424 et G

425 réfléchi. Alors cette personne ne s’expliquant pas bien, elle dit : je ne fais point d’actes G

426 jamais mieux, ni plus fortement. Il faut qu’elle dise : G

427 vient que tous ceux qui entendent et savent qu’il faut faire des actes, voudraient les faire formels. Cela ne se peut. Les formels sont G

428 premiers, cela ne se peut et ce serait un abus G

429 Qo (Qohélet ou Ecclésiaste) 5, 1.

430 commencement, cela est impraticable. Il G

431 « Manière de quitter ses propres opérations. » Justifications, XLIII. Opérations propres.

432 Puis ramant par G

433 vent, que par tous leurs premiers efforts G (L R id. à G).

434 bonace : calme de la mer après un orage.

435 Ps 39, 1 [40, 2].

436 « 1.2. La stérilité des prédications, les vices, l’erreur, les hérésies, et toutes sortes de maux viennent de ce que l’on ne dresse pas les peuples à l’oraison du cœur. 3.4.5. Quoique cette voie soit la plus sure, la plus propre aux simples mêmes, et la plus facile. 6.7.8. Exhortations aux pasteurs à y mettre les âmes, sans les amuser d’oraisons étudiées et d’amour méthodique. » P

437 guère G

438 ruinées. Ô pertes G (omission)

439 Pr 12, 22.

440 Ps 118, 130 [119, 130].

441 Pr 5, 52.

442 Ps 114, 6 [116, 6].

443 Mt 19, 14.

444 Es 40, 2.

445 Es 8, 13-14.

446 8. Hélas, pour avoir voulu apprendre à aimer avec méthode cet amour sans mesure, l’on a perdu l’amour G

447 ces G

448 Pr 9, 4-5.

449 Mt 11, 25.

450 « Qu’ensuite des voies précédentes, il reste un moyen prochain, dispositif à l’union divine, plus passif que les précédents, où la Sagesse et la Justice de Dieu font la purification passive et rigoureuse de l’âme, qui ne concourt, durant qu’elle se fait, que par un consentement passif, par où l’âme se conforme à Dieu, s’unit ensuite, puis passe à un état de vie déiforme, et désormais déiformément agissante. De tout quoi il est traité en détail dans le Traité suivant, des Torrents spirituels. P [note]

451 Ordonnance, Godet des Marais, LVII : « Il est impossible d’arriver à l’union divine par la seule voie de la méditation, ni même des affections, ou de quelque oraison lumineuse et comprise que ce puisse être. » — [ce passage est tiré du ms. G, comme l’indique la variante qui suit. C’est un indice assez sûr : « oraison lumineuse » ne figure nulle part ailleurs].

452 par la seule voie de la méditation, ni même des affections, ou de quelque oraison lumineuse et comprise que ce puisse être. Il y en a plusieurs raisons ; voici les principales. /Premièrement G

453 Ex 55, 20. ~ Nul homme vivant ne verra Dieu. G

454 Ap 8, 1.

455* « Pour entendre ceci, il faut savoir qu’il y a une propriété mor­telle ou de pure malice, et qui est un péché mortel. Il y a une propriété spirituelle, d’autant plus dangereuse qu’elle est plus délicate. Il y a la propriété naturelle : j’appelle propriété naturelle celle qui est sans la volonté, quoiqu’elle soit dans la volonté. C’est une certaine répugnance naturelle à sa propre destruction. C’est une cert­aime qualité fixe en soi-même, dure, arrêtée, rétrécie, qui, tenant l’âme en soi, l’empêche de s’écouler et se perdre en Dieu, ce qui est nécessaire, comme on l’a vu. Lorsqu’elle est sans la volonté, Dieu la détruit dans les terribles purgatoires, dont nous parlerons, soit en cette vie, soit en l’autre. Lorsqu’à cette résistance naturelle la volonté se joint pour ne se laisser pas détruire, alors Dieu ne fait pas son œuvre dans l’âme. Et après une infinité d’essais et de grâces envoyées pour cela, voyant sa résistance, qui n’est pas toujours positive, car elle est le plus souvent indi­recte, Il réserve avec regret à la purifier dans l’autre vie, parce qu’Il ne violente point notre liberté. » Justifications, XLVIII. Propriété.

456 paraît. Il faut que tout ce qui est de propres efforts et de propriété soit détruit. Parce que rien n’est plus opposé G

457 propriété qui est comme identifiée avec elle. En sorte G

458* Ordonnance, Godet des Marais, XLI : « Rien n’est opposé […] l’âme. » —À quoi madame Guyon répond : « […] Pour expliquer ceci, il faut savoir qu’il y a deux manières d’impuretés qui se contractent après l’union, toutes deux superficielles, l’une réelle néanmoins, et l’autre apparente. La réelle, c’est lorsque le dehors n’est pas encore transformé comme le dedans, certains premiers mouve­ments ou sentiments, lorsque une forte contradiction nous presse, il échappe au-dehors quelques vivacités et promptitudes, quoique le dedans ne soit nullement altéré. /Il y a des défauts apparents et non réels, qui ne viennent que de liberté, d’innocence et de simplicité. On fait sans peine ni scrupule des choses inno­centes d’elles-mêmes, dont on aurait fait scrupule autrefois, lorsque la néces­sité de purifier les sens les tenait dans une extrême contrainte : par exemple, se récréer avec une fleur, un oiseau ; ne plus gêner la vue parce que les objets ne font plus d’impressions, quoique on 1'ait fort contrainte dans les commen­cements ; s’amuser avec des enfants, manger indifféremment de tout, parce qu’on ne trouve de goût à rien. On aurait fait autrefois scrupule de toutes ces choses. Les personnes gênées se scandalisent souvent de cette innocente liberté. » Justifications, XLVIII. Propriété.

459 2. Secondement G

460 l’homme, il n’y a que Dieu qui puisse le faire. Cela G [nous omettons les corrections secondaires du même paragraphe].

461* « La seconde difficulté est sur ce que j’écris de l’union à Dieu, supposant que l’union à Dieu puisse être dès cette vie. C’est une vérité qui est écrite par tant de saints et dont Jésus-Christ nous a donné la certitude, demandant cette union pour nous (Jn 17, 21), que cela ne fait nulle difficulté. / Ce qui a paru en faire aux personnes qui m’en ont parlé, c’est que je dis que l’union essentielle, ou immédiate, ne se peut faire que par la perte de la propriété. Ils disent ne point connaître d’autre propriété que la concupiscence. Et tirant de là une consé­quence, ils soutiennent que la concupiscence demeurant en nous tant que nous vivons, c’est une erreur de dire que l’on puisse être affranchi en cette vie de la concupiscence. Que si l’union essentielle ou immédiate ne se peut lier que par l’entier affranchissement de la concupiscence, elle n’est donc point pour cette vie, puisque c’est une erreur de dire qu’il y ait un état entièrement affranchi de la concupiscence. / 17. Ces raisons qui [en un sens] sont très justes, convainquent d’abord les esprits et laissent aisément la pensée que le senti­ment contraire est erroné. Cependant il n’y a rien d’erroné dans ce qui est avancé là-dessus dans le petit livre, mais bien des sen­timents mal expliqués. Je soumets pourtant ce que je dis ici. / Ce que j’ai toujours qualifié du nom de propriété, est dans l’esprit. Et ce à quoi j’ai donné le nom de concupiscence est dans la chair. La propriété, selon ce que je comprends, est concupis­cence d’esprit, qui, en s’appropriant ce qui n’est dû qu’à Dieu, corrompt ce qu’il y a de meilleur. Elle prend sa part en tout ce que Dieu fait. C’est la mère des péchés de l’esprit, la source des larcins et des déguisements intérieurs, par laquelle l’homme se dérobe à lui-même la connaissance de ce qu’il est et se revêt des rapines qu’il a faites à son Dieu. Je dis que cette propriété est entièrement opposée à l’union à Dieu, et que Dieu la détruit avant que d’honorer l’âme de son Union. / Comment la détruit-Il ? En donnant à l’homme une réelle expérience de ce qu’il est, en le dépouillant de ses usurpations. Et c’est là la véritable connaissance de Dieu et de soi-même, que saint Augustin demandait avec tant d’instance. / 18. Cette connaissance, qui vient de l’expérience foncière de ce que nous sommes, est la sûre et la véritable connaissance de nous-mêmes. La connaissance de Dieu qui procède du dépouillement de nos usurpations, est la connaissance la plus parfaite que nous puissions avoir en cette vie, car nous connaissons Dieu par la foi dans son tout, et nous nous connaissons par la même foi dans notre néant. Cette double connaissance produit l’amour pur et désintéressé qui, voulant tout pour le tout, ne prétend et ne veut rien pour le néant que le néant même. / C’est la source de l’humilité parfaite, de la patience, de la douceur et des autres vertus, car celui qui ne mérite rien, ne pré­tend rien et ne croit pas qu’on lui fasse de tort. / Cette désappropriation est ce qui rend l’âme simple, soumise et résignée, et qui par conséquent la dispose pour être unie à la suprême et simple vérité qui n’est autre que Dieu même, par le moyen de la pure charité. » Courte Apologie, § III, 16-18.

462 rien ne lui résiste qu’il ne le consume. Il G

463 Ceci doit être entendu de l’union essentielle et du centre, et non de celle des puissances Justifications XII. Création.

464 Ordonnance, Godet des Marais, LIII : « L’âme ne peut être unie à Dieu, qu’elle ne soit dans un repos central, et dans la pureté de sa création. »

465 comme d’un feu G

466 l’or. Et ainsi ce n’est pas assez à l’or G

467* « Cela veut dire pour le purifier de ses anciennes taches […] Car il faut raisonner de la purification de cette vie comme du Purgatoire. La différence est que, lorsque l’âme de Purgatoire est entièrement purifiée, comme elle entre dans le Ciel, elle ne peut plus contracter de nouvelles impuretés, ni se salir extérieurement par le commerce des créa­tures ; il n’en est pas de même de l’âme ici, qui com­met encore de nouvelles imperfections, lesquelles, quoique extérieures et sans nulle correspondance du fond, ne laissent pas de la salir extérieurement. C’est comme une petite crasse superficielle, causée par quelque vivacité intérieure, ou même par des défauts purement naturels, qui n’ayant pas été corrigés dans le temps que la lumière était donnée pour cela, comme ils ne sont ni volontaires, ni considérables, Dieu ne laisse pas d’avancer l’âme ; et l’âme n’ayant pas employé la lumière qui lui était donnée pour se corriger dans le temps qu’elle pouvait en faire usage, Dieu la lui ôte, parce qu’elle la retarderait dans la suite, et ainsi elle conserve donc ces défauts naturels avec une fort gran­de grâce. Et ces défauts causent toujours quelques petits nuages extérieurs, comme l’on voit un or très fin et très pur, qui ne peut se purifier davantage en sa substance dans le feu, parce qu’il a acquis le degré de vingt-trois carats, qu’on dit être son degré de pureté, qui ne laisse pas de se salir au-dehors et avoir besoin d’être mis au feu pour reprendre son premier éclat. Mais vous remarquerez, s’il vous plaît, qu’on ne fait que l’y jeter un instant, et qu’on l’en retire si brillant qu’il éblouit : il n’a plus besoin de ces feux longs et ardents qu’il fallait pour purifier sa substance. Il en est de même de cette âme : elle contracte des impuretés, qui sont si fort superficielles qu’un seul instant les purifie, sans même, souvent, que l’âme s’aperçoive de sa purification. Je ne doute point que si l’âme venait à se relâcher, peut-être ces défauts, s’enfonçant en elle et gagnant les puissances, lui causeraient beaucoup de dommage : c’est pourquoi il n’y a aucun temps où l’âme doive sortir de cette douce dépendance de Dieu son amour, où demeurant incessamment exposée à ses yeux divins, Il la tient toujours pure, la purifiant de nouveau, s’il est nécessaire. […]» Justifications, I. Purification.

468* « Ces personnes agissent si simplement et si librement que, quoique leur extérieur n’ait rien d’indigne de la majesté de Celui qui habite en eux, néanmoins ils sont bien éloignés de cette composition extérieure, qui vient d’une continuelle attention sur soi-même. » Justifications, L. Purification.

469 Ordonnance, Godet des Marais, XXXIX : « [§ 4 :] Pour purifier l’âme […] et le sépare de l’or [omission signalée]. Et cet or est mis tant et tant de fois au feu […] poli. »

470 I Co 5, 11-15.

471 Ps. 74, 2 [75, 3].

472 Rm 3, 20 et sv.

473 Cela supposé G

474 charnel et d’actif. Et G

475* « Il faut faire attention que j’ai dit qu’il y a deux propriétés et deux résistances, l’une volontaire, et l’autre purement naturelle. La résistance dont il est ici question, est dans la nature, et nullement volontaire ; au contraire, la volonté est soumise à Dieu, malgré les résistances de la nature : c’est pourquoi Dieu ayant le consentement de l’homme, renfermé dans son abandon entier et général à toutes les volontés de Dieu, Il use de son autorité, malgré les répugnances et résistances de la nature. Mais si la résistance était volontaire, pour petite qu’elle fût, elle arrêterait l’opération de Dieu. […] Dieu accepte le libre-arbitre lorsque on le Lui donne sincèrement, et qu’ensuite Il use de ses droits. /Il est encore nécessaire de comprendre que sous le nom de propriété est compris les propres opérations, propre amour, propre recherche, tout ce qui a rapport à nous, aussi bien que tous les entre-deux entre Dieu et l’âme, toutes les résistances, même toutes les répugnances, tout rapport à soi, spirituel et temporel : l’amour-propre est en tout cela et la propriété. » Justifications, XLVIII. Propriété.

476 créature, mais qu’elle souffre à regret G

477 Ordonnance, Godet des Marais, XLIV : « La sagesse de Dieu accompagnée de la divine Justice […] jamais. »

478* « … elles sentent des résistances étonnantes et une révolte entière des sentiments, quoique le fond de l’âme soit résigné […] Cette main de Dieu est la toute-puissance divine qui meut l’âme, mais comme elle ne violente point notre liberté, si la résistance est entière et absolue, ces âmes ne passent point ce degré et souvent décroient. Mais lorsque Dieu trouve encore un reste d’abandon, ou plutôt lorsque la révolte n’est que dans les sens et que l’abandon et la résignation subsistent dans le centre de l’âme, Dieu remue cette volonté avec force quoique librement, et lui fait faire ce qu’elle n’avait pas le courage de faire par elle-même. Elle dit alors : S’il est possible, que ce calice passe outre. Toutefois que votre volonté soit faite. » Justifications, I. Abandon — [Un commentaire d’un passage similaire du Cantique est cité immédiatement à la suite du présent].

479 Dieu, que G

480 suffit d’un consentement passif [pour] que l’homme ait G

481 il fit alors un consentement actif et implicite à tout G

482* Mme Guyon donnera dans ses Justifications deux comparaisons sur la façon dont Dieu purifie : l’hiver où la sève cachée s’emploie « à pousser de nouvelles racines », le feu qui chasse du bois tout ce qui lui est contraire. Nous les donnons en Appendice au présent chapitre XXIV qui achève le Moyen court.

483 avantageux. Au contraire. De même que le feu, au commencement, salit l’or, de même cette opération G

484 l’âme ne G

485 fait, c’est un G

486 Ordonnance, Godet des Marais, XLVIII : « Il suffit alors que l’homme donne un consentement passif […] empêcher. »

487 l’ennoblissant, d’une G

488 l’âme ne travaille que passivement G

489 « Ce qui arrive à mesure que le sujet est plus disposé : comme l’humidité du bois cède peu à peu à la chaleur du feu, et que plus le feu surmonte l’humidité dans ce bois, sa chaleur s’augmente dans le même bois et toutes les contrariétés en sortent, jusqu’à ce que le feu, à force de surmonter ces contrariétés, convertit le bois en soi. » Justifications, I. Purification.

490 « Ce mot “longtemps” fait voir que, quoiqu’on ait dit que ce chemin soit court, on ne prétend pas dire qu’on soit d’abord parfait. » Justifications, I. Purification.

491 9. C’est pourquoi, on G

492 l’empêchant G

493 Ph (Philipiens) 5, 15.

494 sens, laquelle ayant entrepris un voyage, elle s’arrêtait à G

495 y restent G

496 pas en ce lieu G

497 Rm 8, 14.

498 « Je presse si fort pour la pureté et la purification : comment peut-on trouver que je dise le contraire ? J’avoue que ces livres méritent d’être expliqués et que ceux qui les ont fait imprimer le devaient exiger ; mais comme il n’était point de mention alors de tous ces dérèglements, ils n’eurent pas la pensée, non plus que moi, du mauvais tour qu’on leur donnerait. Si ces messieurs voulaient bien se donner la peine de lire le Traité du Purgatoire, ils verraient comment la purification se fait, et quelles sont les opérations de Dieu dans l’âme. » Justifications, I. Purification.

499* « La dernière difficulté est que l’on dit que j’ai voulu éta­blir un état permanent et de confirmation en grâce dont on ne put déchoir en cette vie. /A cela, je réponds que j’ai prétendu effectivement établir un état permanent, mais non un état dont on ne puisse déchoir. Je m’explique. /J’appelle un état permanent pour l’intérieur celui qui est affranchi des vicissitudes continuelles que l’on éprouve dans les commencements de la vie spirituelle, avant qu’une longue habi­tude ait établi l’âme dans le bien, que l’exercice de la présence de Dieu ait rendu cette présence comme naturelle et que, de l’éloi­gnement où nous retient notre propre volonté, Il nous ait fait entrer dans la parfaite résignation en la manière que nous l’avons expliqué. C’est ce que j’appelle permanence, n’ayant jamais pensé ni à la justice ni à la grâce sanctifiante, étant trop ignorante pour savoir ces choses. J’ai donc voulu parler de cette permanence dont Jésus-Christ Lui-même nous a parlé, dont saint Jean nous instruit d’une manière si belle dans ses Épîtres. Jésus-Christ a dit : Si quelqu’un fait ma volonté (parlant de la parfaite résignation), nous viendrons à lui et nous ferons notre demeure en lui (Jn 14, 23-23). Cette demeure marque une permanence intérieure. Jésus-Christ ne dit-Il pas : Demeurez en mon amour (Jn 13, 9), saint Jean : Celui qui demeure en charité demeure en Dieu (Jn 4, 16) ; et le reste de ses Épîtres, que je ne cite pas pour éviter la longueur. Saint Paul n’a-t-il pas dit : Nous sommes assurés —ce mot est très expressif — que ni la mort ni la vie… ne nous sépareront jamais de la charité de Dieu qui est en Jésus-Christ notre Seigneur (Rm 8, 38-39) ? (Courte Apologie, § III, 20).

500 est dans G

501 Au contraire elle est la meilleure de toutes les voies. /12. Tous y peuvent donc marcher et comme tous G (ajout).

502 Ordonnance, Godet des Marais, LIX : « L’on ne peut être uni à Dieu sans la passiveté […] en l’autre. »

503 l’autre. Je dis G (ajout).

504 être unie G

505 d’arriver, qu’en s’en éloignant toujours plus, ne G

506 Ordonnance, Godet des Marais, XXVII : « [§ 8 :] Il faut que l’âme agisse […] d’arriver à sa fin [omission ; § 10 :] c’est une chose étrange […] cette vie mortelle. [saut ; § 13 :] Il s’agit donc de conjurer que l’on ne se tienne pas lié à des pratiques qu’il faut quitter quand le signal est donné, ce qui se connaît par le directeur expérimenté. [omission ; § 14 :] Convenons tous du chemin, et convenons de la fin dont on ne peut douter sans erreur. Le chemin a son commencement, son progrès et son terme. Plus on avance vers le terme, plus nécessairement s’éloigne-t-on du commencement. [omission] O aveuglement de la plupart des hommes qui se piquent de science et d’esprit ! »

507 Mt 11, 25.

508 Vie, 2.11.5. Ce passage est souvent cité parce qu’il traite de l’écriture dite « automatique », qu’il vaudrait mieux qualifier d’inspirée (à compléter par Vie 2.21.3 et 8-9).

509 Voir L.Cognet, Crépuscule des mystiques, Desclée, 1958, p. 79, note 1.

510 Cognet, op.cit., p.72.

511 J.M. Guyon, Les Opuscules spirituels, Olms, 1978, Introduction (non paginée) par Jean Orcibal ; [cette Introduction — sans les variantes — est reproduite dans J. Orcibal, Études d’histoire…, Klincksieck, 1997, 899-909.].

512 Introduction aux Opuscules par J. Orcibal.

513 L’Introduction par J. Orcibal fait le récit des protestations de l’accusée et donne une description des sources manuscrites.

514 Extraits de la double page « 6 », droite, de la double page « 7 » gauche, de la dernière page de l’« Avertissement » du Recueil de divers traités de théologie mystique…, 1699, assemblé par Poiret, édité « à Cologne » [Amsterdam]. — Sur le caractère « funeste » de l’amitié de Fénelon, on pense après coup à sa lettre adressée à Louis XIV par l’intermédiaire de Mme de Maintenon — qu’elle garda probablement avec bonne raison par devers elle — et à l’incompréhensible fidélité — pour Saint-Simon et la Cour — de l’archevêque à la prisonnière de la Bastille ; la courageuse critique du roi et la défense de la « dame directrice » demeura toutefois secrète à l’époque, aussi le prélat fut-il un temps (avant 1699) suspecté de faiblesse par les disciples.

515 Introduction aux Opuscules par J. Orcibal.

516 Rééditions récentes suivantes : (1) Les Opuscules spirituels…, G. Olms, Hildesheim, 1978, 129-276 [fac-similé de l’éd. Poiret 1720, précédée d’une « Introduction » par J. Orcibal, comprenant les « Principales variantes des éditions des Torrents de 1712 et 1720 », 36 p. non paginées] ; (2) « Les voies mystiques selon madame Guyon, Les Torrents », Hermès, Les Voies de la Mystique, 1981, [extraits de l’éd. Poiret 1704, 87-118, précédés d’une présentation par M. Bruno, 85-86] ; (3) Madame Guyon, Torrents et Commentaire au Cantique, édités par C. Morali, Grenoble, Jérôme Millon, Coll. « Atopia », 1992, 69-190 [v. dans l’Introduction par C. Morali : « Jeanne Guyon ou la pensée nue », la « Note sur les éditions » dans son édition des Torrents, 58-68, suivie de la leçon du ms. dit d’Autun, provenant des pages 510-645 du ms. 2056 des Archives Saint-Sulpice, avec des variantes de Poiret et des mss. de Sens et de Rome].

517 Cercle composé de Godart van Ewijk, sa femme, des deux frères Homfeld, enfin de l’imprimeur Jean-Luc Wettstein. (voir M. Chevallier, Pierre Poiret…, op. cit., chap. V : « La fin d’une vie »).

518 Voir Madame Guyon, Correspondance I Directions spirituelles, 675-677 (présentation de Poiret et de ses associés), 685-700 (lettres aux membres du groupe de Rijnsburg).

519 Voir pages 84 et 83 de notre introduction à l’édition de La Vie par elle-même…, 2001.

520 Les très nombreuses variantes résultant d’une toilette portant sur l’écriture sont disponibles dans l’édition Morali qui adopte « A » comme leçon : elles atteignent, pour ce seul texte assez court des Torrents, le nombre de 1455 (!), constituées pour leur très grande majorité entre « A » et Poiret 1720 soit deux sources seulement (il s’y ajoute une minorité de variantes jugées significatives entre « A » et les mss. de Sens et de Rome).

521* L’éditeur souligne que l’écrit est un « traité » et non un poème mystique. Son objet est la voie de l’oraison passive en foi, même s’il couvre rapidement en son début méditation et voie des lumières. — Le titre de l’édition de 1704 comporte un ajout : « LES TORRENTS SPIRITUELS : TRAITÉ qui est comme une suite naturelle du MOYEN COURT et très facile pour faire oraison, et dans lequel […] toute divine. »

522 En page de titre.

523* En page de garde au verso de la page de titre, et précédé par : AMOS Ch. V, vs. 24. / Revelabitur quasi aqua judicium, et justicia quasi torrens fortis. — L’annotation entre crochets, probablement de Poiret, explicite l’objet traité. — La première édition de 1704 donne à la suite un AVIS SUR L’ÉDITION DE CE TRAITÉ, pages 137 à 158, où Poiret reproduit la lettre de l’inconnu qui lui adressa un manuscrit incomplet. Il décrit « ce Traité » et le compare aux extraits de l’évêque de Chartres Godet des Marais. Poiret constate qu’il lui manque une partie de ces extraits (tirés de la seconde partie des Torrents qui figurera dans la deuxième édition de 1712), et reproduit ces « excellens fragmens » pages 299-312, à la suite du texte de la première partie. Il note : « Il y avait dans le corps du manuscrit trois ou quatre divisions […] Comme elles étaient étranges […] nous n’y avons aussi point eu d’égard, pour donner lieu à des divisions plus convenables, que nous avons fait en Chapitres, Sections, et Articles, où en mettant au-devant de petits sommaires et des abrégés de tout, nous avons tâché d’exposer de la sorte… l’ordre méthodique et le contenu… ». Il indique avoir ajouté « spirituels » au titre : « Torrents », tout en soulignant que le titre qui figure « immédiatement après le mot de préambule, est de l’auteur même » : ce titre, non repris en 1720, est intéressant : « PRÉAMBULE. / Les TORRENTS, ou Traité de la manière dont Dieu forme, orne et favorise les âmes qui commencent d’avoir quelques accès dans la vie spirituelle par la force et vigueur de la grâce. / C’est en leur noms… » Enfin il évoque Catherine de Gênes qu’il utilisera comme « Apologie » dans l’édition qu’il en avait faite en 1691 sous le titre de la Théologie de l’Amour et il cite, de madame Guyon : l’Abrégé de la Perfection chrétienne et la Règle des associés.

524 Le Père Lacombe. – Cette lettre précède le texte des Torrents

525 à leur mouvement, n’en faisant A ~ à leurs mouvements, n’en sachant 1704

526 ne pouvant salir ce soleil A

527 « Première partie » ne figure évidemment pas dans P[oiret] 1704 —Nous reprenons les titres de chapitres indiqués dans les en-têtes des éditions de 1704, 1712, 1720, qui diffèrent souvent de ceux, plus longs, donnés en table des matières, tel que, ici : « Chapitre I. Les âmes touchées de Dieu sont poussées à sa recherche » P 1720 — Nous reprenons en notes les sommaires des chapitres, ici : « 1. Les âmes touchées de Dieu sont poussées à sa recherche. 2.3. Mais en différentes manières, expliquées par une similitude, et réduites à trois. » 1704, 1712, 1720 (Nous donnerons par la suite ces sommaires selon 1720 sans les rares variantes des éditions précédentes).

528 à lui en quittant les amusements et bagatelles du monde pour rentrer en son centre, comme à une fin 1704

529 les biais pour A ~ les voies pour 1712

530 des âmes A

531 « De la première voie, qui est active et de Méditation. 1-5. Ce qu’elle est, ses faiblesses, usages, occupations, avantages, etc. 6-9. Avis capital, dont l’inobservance est la source de presque toutes les disputes et difficultés qu’on fait naître des voies passives, et qu’on leur objecte ensuite absurdement. 10-12. Âmes pour la méditation : elles doivent être menées par là aux affections. Avis touchant leur sécheresse et impuissance. 13.14. Lectures, livres, auteurs spirituels et intérieurs, combattus des autres mal à propos. 15.16. Avis touchant les directeurs, soit bons, soit mauvais. 17-19. Capacité et incapacité des âmes. Les simples sont plus propres que les grands raisonneurs. » P

532 méditation, aux œuvres mêmes extérieures de A, 1704

533 temps des aridités A, 1704

534 marchandises, quelques bois perdus ; et A, 1704

535 que l’on supplée A, 1704

536 marchandises, c’est-à-dire, elles A

537 il faut leur chercher des états de grâce A

538 où ils n’entraînent jamais A

539 pour vertueuses A

540 elles ne sentent point elles-mêmes leurs grâces 1704

541 avec générosité A

542 dénuée 1704

543 vous leur ôtez le A ~ travail, si on les tire de ce travail, elles perdent tout, quoique cependant elles empêchent par ce travail même le 1704

544 agitées, et qui n’ayant qu’une capacité bornée, n’en peuvent faire venir plus qu’il n’en peut contenir dans cette capacité par le mouvement de leur agitation, lequel cependant venant à cesser, l’eau cesse aussi de venir. Vous remarquerez 1704

545 toujours en peine ou pour A

546 Ne faut-il donc pas porter ces âmes à l’oraison passive ? non, car A

547 adresse qu’elles ont dans l’action. /10. j’en ai vu qui avaient une incapacité… 1704 (La suite est omise jusqu’au § 17, « qui avaient une incapacité… »)

548 l’étendue de ce que Dieu demande d’elles, ne précédant pas la grâce, n’y ajoutant pas ; mais A

549 l’âme dans toute son étendue : au lieu A

550le surnaturel A ~ « ou : le surnaturel » P (var. indiquée en note par Poiret)

551 par la volonté A – Nous délimitons à l’aide de marques « + » des additions significatives (qui seront parfois très longues), afin de faciliter une première appréciation de la distance qui sépare les éditions des manuscrits.

552 pour la trouver et la suivre. Il faudrait donc aider ces âmes et A

553 travail par A

554 perdre par leur A

555 venin et poison : mais A

556 tant d’amour, de A

557 à ruiner et A

558 servira infiniment : et A

559 à vous A

560 assez d’humilité pour A

561 comme l’enfant dans 1712

562 d’enseigner la

563* « Combien souvent arrive-t-il que Dieu répand dans l’âme une de ces délicates onctions […] Or, voici que se présente quelqu’un qui frappe et martèle à la manière des forgerons. Comme sa science ne va pas plus loin, il dira : “Voyons, laisse tout cela ! C’est pure oisiveté et perte de temps. Prends un sujet…” (Jean de la Croix, Vive Flamme d’Amour B, Strophe 3, § 43).

564 1704 reprend à partir d’ici, après avoir omis la plus grande partie du §10, les § 11 à 16, le début du présent § 17, paragraphes qui sont pourtant présents dans A, soit : « 10. J’en ai vu qui avaient… »

565 invincible et A

566 Dieu, Dieu ne les y appelait pas 1704

567 êtes les plus A

568 naturel bien propre A

569 pour les commencements. Des A

570 solides, et A

571 méditation ; et employer le temps à A

572 « 1.2. De la seconde voie de retour de l’âme à Dieu, qui est la voie passive, mais de lumière, et de deux sortes d’introduction à elle. 3-6. Description de ces âmes et de leurs avantages éclatants. 7-17. Plusieurs précautions et observations nécessaires touchant ces âmes, leur conduite, dispositions, pratiques, perfections, imperfections et épreuves. » P [note]

573 certains conduits. Telles A ~ certains canaux et conduits. Telles 1704

574 prises tout à coup A

575 connaissance distincte de A, 1704

576 résister ; non que A, 1704

577 « autrement : il permet cela » P [note]

578 il le fait A (forme présente)

579 ni si profonde A, 1704 (omission)

580 bien plutôt A

581 « autre : essuyés » P

582 « L’extrait XLV dans l’ordonnance de l’évêque de Chartres est un tissu fort interrompu de morceaux tirés d’ici, et des § 6. 9. et 10 » [note] P 1704 (ici débute cet extrait qui s’achève et que nous donnons à la fin du §10.)

583 Car ces âmes icy arrivent à A, 1704 (« extérieurement » omis, jusqu’à P 1712)

584 un don éminent. A

585 rehausse infiniment en A, 1704

586 jamais entièrement anéanties et A

587 cœur propre à A

588 temps, leur perfection se commence, s’achève et se consomme, elles A, 1704, 1712

589 mortification grande ; elles portent de grandes austérités A (« très » omis par deux fois)

590 souvent sa ruine et la perte de A

591 « autrement : trop » [note] P

592 pécheur, souvent même certaines A, 1704

593 et souvent A, 1704

594 perdues, suspendues A

595 direction toute divine A, 1704

596 Ordonnance, Godet des Marais, XLV : « [§ 4 :] Ce n’est pas que les âmes dont je parle ne paraissent pas plus grandes que celles qui suivent à celles qui n’ont pas le discernement divin. Car ces âmes ici arrivent à une perfection éminente : [omission d’une ligne] elles ont des unions admirables. [omission d’une ligne], Mais cependant […] l’étonnement des hommes : [omission d’une dizaine de lignes ; § 6 :] elles sont les prodiges et les miracles de leur siècle ; Dieu se sert d’elles pour en faire : il semble qu’Il [omission d’une ligne] prenne plaisir d’accomplir tous leurs désirs. Ces âmes sont dans une grande mortification [saut des § 7 et 8 ; § 9 :] L’on les croira […] se perdent [omission de plusieurs lignes ; fin du § 9 et § 10 :] Elles portent la perfection où elle peut aller […] qui porte ces âmes à outrepasser toutes ces grâces. » (les omissions et les sauts ne sont aucunement signalés)

597 non : car si A ~ non : si 1704

598 sont si certifiées A ~ sont si fort certifiées 1704

599 tiennent ancrées. Ces A, 1704 (plus fort)

600 veulent plus parfaitement, elles G, R

601 veulent très fortement A, 1704.

602 n’entrent en A, 1704

603 pour vouloir perdre tant de biens, peu 1704

604 Jn 14, 2.

605 courage, et de directeur éclairé qui croirait A

606 les secrets dans le sein de A

607 couleur, nom ou prétexte A

608 « De la troisième voie des âmes qui retournent à Dieu, qui est la voie passive en foi, et de son premier degré. 1-4. Description abrégée de toute cette voie sous la similitude d’un torrent. 5-10. Pente de l’âme vers Dieu, ses propriétés, obstacles, effets, expliqués par la similitude du feu. 11-18. Ce qui arrive à l’âme appelée de Dieu à la voie passive en foi. Description du premier degré de cette troisième voie, et de l’état de l’âme qui y est. 19.20. Le repos qu’elle y prend lui serait nuisible si Dieu ne l’en tirait pour l’avancer. » P

609 prétexte. Pour A, 1704 (absence du paragraphe précédent)

610 Ajout probable de P

611 degré, sinon A (omission)

612 frayeur A, 1704

613 assurées. Elles coulent comme des folles çà et là A, 1704

614 leur arrive, sans A, 1704

615 ce torrent A (Mme Guyon se souvient probablement du chaos naturel de roches, aujourd’hui appelés « les gorges du pont du diable », qui encombre le lit du cours de la Dranse, torrent qui devient rivière avant de se jeter dans le lac Léman à Thonon). 

616 confus. Mais A

617 où n’étant que ce pauvre torrent qui a A

618 plus A

619 quoique elle A, 1704 (la nature ?)

620 « Autrement : appréhendé qu’il était, un fou et un étourdi. » [note] P

621 un fol et un A

622 C’est-à-dire venues et prises de lui, de la mer. P

623 et A

624 On dépend ici du modèle cosmique et d’une représentation physique prégaliléenne : l’élément feu tend à quitter le monde sublunaire pour monter vers les sphères célestes et vers un « Soleil » divin.

625* « C’est par le moyen de cette théologie mystique et de cet amour secret que l’âme sort de tout le créé et d’elle-même, pour monter vers Dieu. L’amour est semblable au feu qui s’élève toujours en haut, par l’ardeur qui le porte à se plonger au centre de sa sphère. » (Jean de la Croix, Nuit obscure, Chap. 20, §6 ; Œuvres, Cerf, trad. Marie du Saint-Sacrement, 1044).

626 plus [pourtant] cette même course deviendrait paisible ; car ce n’est pas alors repos, mais bien plutôt une course paisible : de 1704

627 redouble… augmente A, 1704 (forme présente)

628 ni plus ni moins, selon A

629 consommer… consommé A

630 ces A

631 Rm 5, 20.

632 de leur virginité et A

633 laisse les âmes jouir avec douceur de leur sainteté, durant A

634 consomme A

635 salie, c’est ce qu’Il fait. Ces A, 1704

636 consomme A (et dans la suite consumer prend la place de consommer : nous omettons ces variantes)

637 Ce sentiment et inquiétude ainsi mise dans A ~ péchés, et les ressent avec peine et inquiétude. Ce mouvement ainsi mis dans 1704

638 Mme Guyon rencontra le secours du « bon franciscain » Enguerrand (Vie, 1.8.5).

639 par ces âmes, qui sentent A, 1704

640 remède ; mais il leur vient par un pur effet de la providence. Car ces âmes sont proprement les vrais enfants de providence. Leur voie se commence et se perfectionne par la même providence, sans rien d’extraordinaire, mais comme tout naturellement. 1704

641 Au sens de : qu’elles ne s’avancent pas !

642 dehors ; qu’il faut au lieu de dissiper leur force au-dehors les retourner A, 1704

643 plus elles s’enfoncent A ~ plus elles contemplent 1704

644 Os 2, 6.

645 amiablement : d’une manière douce et gracieuse. (Ajout probable de Poiret qui explique la « confusion » qui suit).

646 qu’elle fait connaitre par A

647 le plus fort de l’âme, duquel elle se 1704

648 Si elles veulent 1712

649 Cette pauvre âme A, 1704

650 au plus A

651 sait A

652 liée, ne le lui permet pas : mais il lui ferme 1704 (contraction)

653 qu’elle y fait A

654 Ordonnance, Godet des Marais, XXI : « Si un directeur oblige cette âme à prier, il lui fait un tort irréparable » (la contraction est signalée par P 1704 dans son édition des passages de l’Ordonnance).

655 Ordonnance, Godet des Marais, XXXIII : « C’est alors qu’elle commence à ne pouvoir gagner les Indulgences ; et l’amour ne lui permet pas de vouloir abréger ses peines. »

656 état en commençant à perdre A

657 « 1-3. Imperfections de ce premier degré, tant intérieures, que par rapport à l’extérieur. 4. Méprise qu’on y fait. 5. Marque de la passiveté de cet état. 6-10. Continuation des imperfections et méprises de ce degré. 11-14. Avis de conduite. 15-19. Sécheresses spirituelles, entremêlées d’un amour tendre, mais intéressé, et qui a besoin des épreuves et purifications du degré suivant. » P

658 l’âme de ce A

659 Lc 9, 54.

660 … leur salut… leur vertu… qu’ils soient impeccables. A … qu’elles [les âmes] soient impeccables 1704 (et la suite où « elles » est remplacé par « on », le pluriel par le singulier)

661 occasions. Cette grâce qu’ils sentent si fort en elle-même, leur est un A, 1704 (omission et corrections).

662 les degrés où A

663 donner de leur surabondance. A, 1704

664 fontaine ou source donne A ~ fontaine en source 1704

665 le terme pour A ~ prenant un [commencement et] terme pour 1704

666 en saintes âmes A

667 Ct 8, 6.

668 parce A

669 dira-t-elle, je ne pense pas et elles A ~… je n’y pense pas… 1704

670 bonté A

671 Je ne la regarde pas. Qu’est-ce A

672 peine, je fais mon A ~… et je… 1704 ~ peine, et fais mon 1712

673 « Autrement : et qu’elle fait mon plaisir et ma douleur. » P 1712

674 « ci-dessus, §2. » P

675 dangereux qui est une facilité à se scandaliser des défauts du prochain, à en juger avec facilité. La peine qu’il nous fait souffrir est un grand défaut de charité et dans d’autres qui se sentent A ~… à avouer avec facilité… et tant d’autres… 1704 [ajouts]

676 un lieu paisible A

677 même le plus avancé, a A

678 à chasser ses A

679 habituelle qu’elle ne connait pas et qu’elle A (exceptionnellement le manuscrit nous paraît ici plus subtil que son corrigé).

680 elle s’en afflige A

681 « Bien que les différentes versions laissent lire historiquement, on ne peut écarter la lecture hystériquement que la copie d’Autun accrédite par un e curieusement rajouté dans le o et qui a le mérite d’être fort cohérente avec le contexte alors qu’historiquement ne semble pas faire sens » (note de C. Morali) ~ hystérique, 1568 (Rey) ~ Elle les dit historiquement A

682 de faire un peu relâche pour se contenter A ~ de faire une petite relâche pour le contenter 1704

683 où il ne faudrait pas ; et un babil qui ne finit point pour les choses de Dieu. Une femme sera scrupuleuse de complaire à son mari, s’entretenir, se promener, se divertir A (exemple de nombreuses corrections généralement omises)

684 avancer A

685 Vie par elle-même, 1.12.11.

686 fît, et qui lui répugnait le plus ; et A

687 recueillement, l’existence de l’action que l’on préférera à A

688 contrariété apparente à ses dévotions s’y affermit davantage ; car A

689se fourrer A

690 accablements A

691 pour rester A

692 causé et donné A

693« … l’oraison me devint fort pénible… je ne pouvais y durer. Je me faisais violence afin de demeurer davantage en oraison… J’y souffrais quelquefois des tourments inexplicables. Pour me soulager et faire diversion, je m’emplissais tout le corps d’orties… » Vie, 1.13.4.

694 sujets faibles A

695 foi, et les âmes cependant qui A, 1704 (omission)

696 si peu de chose. Car ici, dans ces peines qui sont comme un feu brûlant, elles sont bien causées par Dieu qui ne refuse son concours à personne ; mais ce sont les sens qui les causent, parce qu’étant habitués à agir A ~ si peu de chose par rapport aux états ou degrés plus relevés. Ces peines que l’âme ressent ici, sont bien causées par Dieu, qui retire son concours. L’âme y est comme dans un feu brûlant, à cause qu’étant habituée à agir 1704

697 elle tient A

698 souffrir la bien-aimée 1704

699 plaignez de lâchetés et des fuites d’amour A ~ plaignez des cachettes et des fuites d’amour 1704

700 Les jours d’absence, vous marquez les mois et les années, les heures et les semaines. À ~ Ces jours d’absence vous marquent les mois et les années. 1704 ~… les jours d’absence. Vous marquez les heures, les jours, les semaines, les mois et les années. 1712

701 devenir généreuses A, 1704

702 l’aimé A ~ « autrement : pour l’aimer » 1712

703 autrefois ; payer A

704 n’y payer vos A ~ faire ; ne payer nos 1704

705 ne laisser A, 1704

706 soit terrassée, et 1704

707 fatigues continuelles où elle voit quelquefois l’Ami se retourner et la regarder (ce qui lui redonne 1712

708 fatigues continuelles, durant lesquelles bien qu’elle voie quelquefois l’ami retourner et la regarder, (ce qui lui donne la vie et l’empêche de mourir, tant ce regard lui cause de plaisir :) enfin, l’ami devient si cruel 1704

709 « Autrement : fasse » [note] P

710 « Deuxième degré de la voie passive en foi. 1-5. Description abrégée de ce degré. 6.7. Entrée dans ce degré, et efforts inutiles à s’en défendre. 8-14. Gradations et avancements dans ce degré, où se trouvent plusieurs manifestations de Jésus-Christ à l’âme, et plusieurs usages et abus qu’elle en fait successivement, par où elle est acheminée à la mort mystique, ou au troisième degré de cette voie passive en foi. » P

711 descendre. Cependant, faute de pente, elle ne pouvait descendre. Les eaux 1704

712 de celles de la mer ou de ces grands lacs qui lui ressemblent ; qu’elles se corrompent 1704 (omission et rédaction)

713 de la foi pour l’oraison passive en foi 1704

714 infidèle qu’elle se croit pleine de fidélité étouffe A (corrections nécessaires) ~ infidèle (quoiqu’elle se croit d’une fidélité très grande) étoufferait 1704

715 ne recueillait A

716 Ces eaux si calmes commencent A, 1704

717 perte, à ce qu’elles imaginent. 1704

718 La pente a trouvé où il faut 1704

719 Elle se met dans la clarté de ces eaux ; elle A

720 « Autrement : croupis » P

721 complaisance A, 1712 (avec la note : « autrement, connaissance » 1712)

722 « Autrement : qu’elles (les passions) n’étaient pas perdues » P

723 ce torrent court tant qu’il 1704

724 alternatives, il rencontre le troisième degré [dont A ~ alternatives, [dont 1704

725 « Ceci est inséré pour avertir de ce qui suit » [note] P

726 passé de longues années 1704

727 lorsqu’elle croyait se tenir avec plus d’assurance d’un bonheur A.... croyait tenir avec le plus d’assurance un bonheur 1704

728 étonnée que croyant ou monter A, 1704

729 « Non dans le péché ; mais dans une espèce de privation du degré précédent et de son sentiment. Elle déchet toujours de ce qu’il y avait de propre dans tous ses états. » P

730 chutes, elle voit que c’est un faire le faut [une obligation impérieuse, C. Morali]. Elle A

731 voit [ou croit] que 1704

732 se résigne, souffre l’abjection 1704

733 nouveau monde 1704 (et omission des variantes de style du §)

734 première. L’âme tout d’un coup revient dans A ~ première. L’âme devient dans 1704

735 par les rochers. Elle 1704

736 Ici commence une large addition, présente dès l’édition de 1704.

737 « Mais sans consentement de l’esprit. Voyez l’Abrégé de la Perfection chrétienne, chap. 8. » [note] P

738 Gn 8, 9.

739* « Notre petite colombe volait au milieu des bourrasques de l’amour, au-dessus du déluge de ses peines et de ses amoureuses angoisse, ainsi qu’il a été rapporté. Elle ne trouvait pas où poser le pied, lorsque, lors de ce vol que nous avons dépeint, le Père compatissant, représenté par Noé, étendit la main de sa miséricorde, la saisit et la plaça dans l’arche de sa tendre charité. » (Jean de la Croix, Cantique spirituel A, Strophes 13-14, § 2). 

740 feintes 1704

741 « Comme d’inadvertance, de promptitude, etc. Voyez un peu plus bas. » [note] P

742 Est (Esther) 5,2.

743 « À savoir comme en soi-même et propriétairement, ainsi qu’il vient d’être dit. » [note] P

744 Le résumé P du chapitre suivant parle de « plusieurs morts particulières qui mènent à la mort totale », etc.

745 « 1-4. Troisième degré de la voie passive en foi dans ses commencements et dans son progrès par plusieurs morts particulières qui mènent à la mort totale, à l’ensevelissement, à la pourriture, et à la cendre. 5-8. Durée de ce passage, où il ne faut ni s’avancer de soi, ni reculer. 9-13. Dépouillement de l’âme, et de trois sortes. 14-19. Premier degré du dépouillement de l’âme, qui concerne ses dons et faveurs, ou ses ornements. Sa nécessité et ses effets. » P

746 douleurs. On 1712 (Et le très long passage ajouté qui suit n’est connu que par P 1704)

747 affirmation remarquable de l’expérience de la mort mystique (qui n’est pas la seule voie).

748 « Tout ceci est fort à noter pour prévenir plusieurs abus, et les objections qu’on fait d’ordinaire à ce sujet. » P ~ « … et les abus, et les objections ineptes qu’on… » P 1704

749* « Liez cet homme et jetez-le dans le fleuve, commanda Djafar Sadiq… Quand il remonta… on le laissa crier sans que personne lui tendît la main… [repêché], quand il fut revenu à lui, Djafar Sadiq lui demanda : Eh bien as-tu vu le Seigneur très haut ? … lorsque n’attendant plus rien de vous, j’ai mis mon espoir dans le Seigneur, une porte s’est ouverte dans mon cœur… » (Attar, Le mémorial des saints, sentences de Djafar Sadiq, trad. Pavet de Courteilles).

750 « À savoir, pour la soutenir en sa propriété » [note] P

751 C’est probablement ce qu’a fait monsieur Bertot quand il a paru abandonner « inexorablement » sa dirigée.

752 viendront. 1712

753 « C’est-à-dire que Dieu la prive de la jouissance aperçue de ses dons. » [note] P

754 grâces de Dieu, et il semble A (addition du chap. VI, § 10, au chap. VII, § 9)

755 Jb 3, 25.

756 plus fortement. 1704

757 perdu la vérité de l’amour A

758 contraire, elle n’aima jamais ni plus fortement ni plus purement. Cette A, 1704

759 penchants A ~ regarde ses pentes et penchants 1704

760 « À savoir, à la manière active et aperçue. » [note] P

761 qu’elle retombe A, 1704, 1712 ~ Job 9, 30-31.

762 « Selon qu’elle en juge par l’horreur et l’aversion qu’elle a de ses fautes involontaires. » [note] P

763 « C’est-à-dire qu’elle commet des fautes de précipitation et de surprise. Saint Paul dit en ce sens qu’il faisait le mal qu’il ne voulait pas, et ne faisait pas le bien qu’il voulait ? Rm 7, 19. » P

764 « Par la complaisance en eux » [note] P 1712

765 magnifiques ; la seconde A, 1704

766 elle se voit arrêtée 1704 ~ « Par l’appropriation. » [note] P

767 « La crainte de perdre ses biens possédés propriétairement l’empêcherait de courir à la vraie liberté en Dieu. » [note] P ~ « … l’empêche de courir » [note] P 1704

768 aimer, elle trouve A ~ et qu’elle déprimait [en note : ou, déguisait ; ou, détruisait ; ou, diminuait.] l’amour qu’elle avait pour lui à force de le [en note : Peut-être, de se trop aimer : sinon, qu’on entende, à force de trop aimer l’amour même, c’est-à-dire, la vertu d’amour que l’on a] trop aimer, la dépouille, et fait disparaître toutes ses beautés et ses richesses de devant ses yeux. /L’âme dans l’abondance de ses biens trouve 1704

769 Ici commence le texte de l’Ordonnance Godet des Marais, VI, qui termine au § 21 après un large saut !

770 « Quant à leur perception ou possession aperçue. » P

771 toute facilité au bien A ~ « De propre activité. » [note] P

772 « Quant à leurs actes propres et aperçus. Voir Perfection chrétienne, chap. 8, 9 et 10. » [note] P

773 pratiquer. P 1712

774 pratiquer. Le A, 1704 ~ pratiquer activement. Le 1720

775 amant A

776 voit 1704

777 Elle ne 1704 (omission)

778 biens. Cette 1704 (omission)

779 viennent de l’avoir fâché alors A, 1712

780 la colère de l’Époux lui est 1704 (omission)

781 fâcherie 1704

782 tendre A, 1704

783 « Autrement : qu’il » [note] P

784 le premier dépouillement A, 1704

785 péché, de la créature A, 1704

786 dons, qu’Il lui donne pour A, 1704

787 « Qu’Il en soit le maître absolu. » [note] P

788 « En vertu de son union de cœur et de volonté avec Lui en toutes choses. » [note] P

789 « Moins propriétaire et plus libre. » [note] P

790 magnifiques. /§ I. /SECTION PREMIÈRE 1704 [section qui introduit le § I].

791 « 20-24. Second degré de dépouillement de l’âme, quant à ses habits, ou à la facilité de pratiquer le bien extérieurement et d’une manière aperçue : ses causes qui sont qu’elle s’attribuait cela et s’y complaisait, au lieu de reconnaître combien elle est impuissante et dénuée de tout bien par elle-même. » P

792 habits propres et magnifiques. Lorsqu’elle A ~ habits magnifiques. /20. Lorsqu’elle 1704

793 fait ; elle 1704

794 voyez [en note : ou, croyez] P 1704

795 Ordonnance, Godet des Marais, VI : « Notre Seigneur commence à dépouiller l’âme […] qui sont comme les divines vertus qu’elle ne peut plus pratiquer..... Autrefois elle avait des dégoûts, des peines, mais non des impuissances. Mais ici tout pouvoir lui est ôté. », les cinq points de suspension du texte de l’Ordonnance correspondent à un saut du § 13 au § 21 (!), ce qui justifie aux yeux du lecteur la condamnation : « Par l’abandon… ils n’entendent pas la soumission à la volonté de Dieu… mais un acquiescement mal entendu à tout ce qui se passe en nous… »

796 manquent. Elle ne peut rien faire, les occasions lui manquent. Elle en A

797 Ps 72, 22 et 26.

798 « Aussi quant au sentiment. » [note] P

799 voit cela être venu A, 1704

800 « Par son appropriation. » [note] P

801 L’on dit en cela, « cette 1704

802 « Voyez Jean de Saint-Samson, Maximes, Chap. 22 (ou 17, Édition de Cologne). » [note] P

803 d’expérience savoir ce que c’est. 1704

804 c’est. / § II. SECTION DEUXIÈME. [sic]/25-27. Troisième degré […] sensible. 28-32… 1704 (et un § en moins, le § 26 de 1712 et 1720)

805 « 25-28. Troisième degré du dépouillement de l’âme que Dieu conduit du 2e au 3e degré de la voie passive en foi. Cette troisième sorte de dépouillement regarde l’âme quant à sa beauté, ou à ses actes aperçus des divines vertus, au lieu de quoi viennent des fautes de surprise. Effets de tout cela : comment Dieu laisse venir par là cette âme à un désespoir sensible. 29-33. Item, à la vraie connaissance et haine de soi-même, et à la vraie pureté. 34-38. Intervalle et répit, suivi du redoublement des opérations précédentes jusqu’à la mort mystique. » P

806 Jb 9, 31.

807 mais il la faut perdre et devenir laide. Jusqu’ici A, 1704

808 « Voyez chap. 10 de la Perfection chrétienne. » P ~ « Autrement, il les fait perdre. Voyez… Chrétienne. » P 1712

809 « Comme habitude par elle acquise et pratiquée pour être belle. » [note] P

810 Ordonnance Godet des Marais, VII : « C’est une chose horrible […] pour la retrouver en Jésus-Christ », soit la fin du §24 et le §25 (en continuité, puisque les sections sont introduites par P).

811* « Par des impressions involontaires d’orgueil et d’impatience. Voyez sainte Angèle, chap. 19. (Édit. de Cologne, page 237) » [note] – « De peur que la grandeur et la multitude des révélations et des visions ne m’enflât… […] Dans mon âme une certaine humilité et un certain orgueil se combattent douloureusement… » (trad. Hello du texte remanié, auquel il faut préférer le ms. d’Assise inconnu au XVIIe siècle, trad. Ferré-Baudry, 1927).

812 « Par distraction involontaire et sans régler leurs fonctions dans le temps ordinaire, etc. » [note] P

813 Les sens se dérèglent, ils perdent A, 1704, 1712

814 économie. Elle A, 1704, 1712

815 « Activement et comme elle avait accoutumé. » [note] P

816* « Des objets, impressions, pensées distrayantes, inutiles, frivoles. Voyez sainte Thérèse, chap. 30. » [note] P — Au-delà de toute frivolité : « … il me venait en pensée que je les trompais [mes confesseurs]. J’allais les trouver, et je les avertissais très sérieusement de se défier de moi… Je voyais parfaitement que je n’aurais pas voulu le faire sciemment… » (Vida, trad. Marie du Saint-Sacrement, Cerf, 1995, 230).

817 de rien et A, 1704, 1712

818* « Sainte Thérèse, chap. 30. Si on pense alors adoucir sa peine en conversant avec autrui, on ne fait au contraire que l’augmenter, parce que le démon nous rend si colérés et de si mauvaise humeur qu’il n’y a personne qui ne nous devienne insupportable, etc. » [note] P

819 Ct 5, 7. (navré : blessé).

820 Jb 14, 13.

821 Ps 21, 7.

822 Jb 9, 30-31.

823 Tout le §26 : +1720… O+

824 navrée. Ce n’est pas A, 1704, 1712 (long ajout en 1720 du § 26, d’où le décalage de la numérotation des § suivants)

825 « Par les tentations survenantes. » [note] P

826 mais bien de méprise, car elle A ~, mais bien de surprise : car elle 1704

827 Ps 36, 24.

828 dans un entier désespoir A ~ dans un désespoir, et 1704

829 toute paix A

830 Jb 7, 16.

831 Toutes les causes sources de soi A ~ Toutes les connaissances de soi 1704

832 Jn 12, 25.

833 fonds de A

834 superficie où A (correction indispensable !)

835 son impureté. Il A, 1704, 1712

836 dedans A (!)

837 Dieu sait faire à cette âme 1704

838 c’est tout 1712

839 apostume : abcès.

840 pas. On A ~ pas : et l’on 1704

841 de peaux et d’habits 1704

842 voie abjecte A

843 l’on se crût bien A

844 la nature réserve, qu’elle conserve avec A ~ la nature réserve avec 1704

845 C’est-à-dire : La vertu… 1712 ~ « La vertu toute pure et essentielle, qui doit subsister éternellement, ne s’acquiert que par le contraire ou par le dépouillement et le détachement de cette même vertu en tant qu’elle est propriétaire : et plus elle est propriétaire, plus Dieu exerce l’âme par cette purification pour la détacher de cette propriété. » [note] P (probablement une citation).

846 tentations contraires ; plus 1712 (omission)

847 ne voient pas comme des défauts. Les défauts des autres voies sont connus A ~ ne voient pas comme des fautes. Les autres défauts sont connus 1704

848 perfections aussi ont-elles une prudence A ~… ainsi… 1704

849 n’ont rien du tout que faiblesse, impuissance A

850 « D’une manière sensible et visible. » [note] P

851 de grand : de sainteté en sainteté. Et celles-ci vont A ~ propriété. Auparavant elles allaient par ce qui est usité, par quelque chose de grand, de sainteté en sainteté : ici elles vont 1704

852 s’attacheraient-elles ? Ces A, 1704

853 sont l’ordure 1704

854 admiré ; elles A, 1704

855 tout et ce A

856 capable. Aussi notre 1704

857* « Sainte Catherine de Gênes, Vie, Chap. 16, p. 80 et 41, p. 190 (ou Ed. de Cologne, chap. 39, p. 197). » [note] P Mais heureusement « elle ne voulait pas davantage dire, comme on fait souvent, qu’elle était mauvaise, de peur que son propre moi n’en prît confiance et présomption qu’elle pût arriver à devenir bonne. » (Chap. XVI, trad. Debongnies).

858 abandonnée. Elle ne fut A

859 la nature qui est laissée un peu seulement qui A (!) ~ la nature qui est un peu lassée [en note : peut-être, laissée], qui 1704

860 « Tombe dans des fautes de surprise et d’amour-propre. » [note] P

861 « Ne plus rien espérer de soi ni de sa propre activité. » [note] P

862 la mort, et y crucifie cette pauvre âme ; au lieu que, quand il arrive qu’Il s’arrête pour des moments, c’est à cause 1704

863 solitude

864 trouve surprise et blessée A ~ trouve blessée 1704

865 Jb 7, 19.

866 Ct 8, 1-2.

867 Ct 3, 1.

868 retrouver A

869 « À la jouissance sensible, où il y a du propre plaisir. » [note] P

870* « Voyez, touchant cette mort mystique, tout le chap. 22 des Maximes de Fr. Jean de Saint-Samson, [et] Sandaeus in Onomastica in voce, Mort, num. 12 et 13. » [note] P — « TITRE XXII. De la Mort mystique de l’Âme en Dieu. […] III. Ce que les mourants ont à faire, c’est de vivre, comme s’il n’y avait que Dieu et eux… […] V. C’est une excellente mort, de se voir privé du bien qu’on ne peut faire… […] LII. Ne rien ressentir, c’est être joyeusement mort… ». (La vie, les Maximes et partie des œuvres du très excellent contemplatif, le vénérable Fr. Ian de S. Samson…, Paris, 1656.)

871 elle [la force] A

872 Ct 1, 3.

873 plus que caché et gisant dans A, 1704 ~ plus que caché dans P 1712 ~ « autrement, caché et couché » [note] P 1712

874 « Autrement : sa puanteur » [note] P

875 éprouve tout autrement sa 1704

876 pesanteur A

877 qu’il la salit A, 1704, 1712 ~ « Lui fait voir et sentir l’impureté et la puanteur et de l’amour propre et de toute propriété, ou la laisse tomber dans des promptitudes imprévues. » [note] P

878 le fonds A, 1704

879 quoiqu’elle les voit, elle A, 1704

880 nullité [peut-être : nudité] 1704

881 Rm 13, 14.

882 Rm 6, 8 et II Tm (Timothée) 2, 11.

883 des vertus A, 1704

884 entraînement au mal paraît involontaire, car le mal A

885 folles A

886 passer, ce qui les laissent dans des confusions horribles, certains A ~ passer, et qui laissent dans des confusions horribles : certains 1704

887 sens A, 1704, 1712

888 SECTION TROISIÈME 1704, 1712

889 « 39-41. Entrée dans la mort mystique de l’âme quant à ses sens, puissances, et même son fond aperçu. 42-45. Observations importantes sur cet état. » [note] P

890 autres vertus. Cette A (ajout, 1712)

891 Jn 12, 25.

892* « Sainte Catherine de Gênes, Vie, chap. 42. Sainte Angèle, chap. 19. Ancienne éd. Jean de la Croix, Obscure nuit, chap. 9e. » [note] P — Angèle de Foligno, 19e chap. : « Quelquefois il se produit une affreuse et infernale obscurité où disparaît toute espérance, et cette nuit est horrible… » (Hello) ; Jean de la Croix, chap. 9e : « Il nous reste à dire comment cette nuit ne plonge l’esprit dans les ténèbres que pour l’illuminer universellement… »

893 en donne. Car elles A ~ en donne. Car ils 1704 (l’ajout est de 1712)

894 n’en peuvent plus trouver [de nourriture] dans les créatures, car si elles s’y sentent courbées et portées A ~… ils… 1704 (et pluriel à la suite)

895 « Sainte Thérèse, Vie, chap. 30. » [note] P

896 agitée S, R.

897 L’imagination est extrêmement détraquée, et ne laisse presque point de repos à l’oraison que durant le jour. Mais pour les trois puissances de l’âme, l’entendement, mémoire et volonté, elles perdent A ~ L’imagination est extrêmement détraquée, et ne laisse de repos, même dans l’oraison durant le jour, mais pour les trois puissances de l’âme, l’entendement, la mémoire et la volonté, elles perdent 1704

898 leur fainéantise et A, 1704

899 en manière distincte, pourvu A ~ d’une manière aperçue, pourvu 1704

900 récompense de tous les travaux, que d’avoir ce témoignage que dans le fond du cœur elle est 1704

901 « Quant au sentiment. » [note] P

902 « Dans la vue et conviction sensible. » [note] P

903 misères dont on se plaint. 1704

904 opère sensiblement et véritablement A

905 « Autrement : ferventes » [note] P

906 II Cor. 12, 7. Jean de la Croix, Obscure nuit, livre I, chap. 14. Sainte Angèle, chap. 19. [note] P — Jean de la Croix, chap. 14 : « … cette nuit du sens est accompagnée… de tentations sensitives d’une longue durée… »

907 elle se soutiendrait par une vie réglée et ne mourrais pas. C’est A ~ que puisse avoir l’âme, si elle conservait toujours ce je ne sais quoi qui fait la vie, elle ne la perdrait pas et elle ne mourrait pas. C’est 1704

908 divertissement volontaire, car A

909 et plus elles ont été assez mortifiées ce qui paraissait mort aux âmes non expérimentées plus ont-elles de penchant au dérèglement sans A ~ et plus ils ont été mortifiés et paraissent morts aux âmes moins expérimentées, plus ont-ils de penchant aux dérèglements sans 1704

910 vouliez trop vigoureusement vous y opposer, outre 1704

911 qui les soulage d’une A ~ C’est en les observant, de ne rien faire volontairement qui les soulage d’une 1704

912 opérer impur. Il le fait pour 1704

913 au-dedans en s’assurant du dehors. 1704

914 suave A, 1704

915 quand les sens sont si suffisamment purifiés, Dieu A ~ quand les sens sont suffisamment introvertis 1704

916 « où elle meurt plus vite à soi-même. » [note] P

917 vite et hâte sa mort. Tout A, 1704

918 Rm 8, 28.

919 Ordonnance, Godet des Marais, XXXVI : « Dans les commencements Dieu presse de si près les pauvres sens, qu’il ne leur donne aucune liberté. [Saut de plusieurs lignes], Mais quand les sens sont suffisamment purifiés, Dieu qui veut tirer l’âme d’elle-même par un mouvement tout contraire, permet que les sens s’extravertissent : ce qui paraît à l’âme une grande impureté […] pourrit plus vite et hâte sa mort. Tout coopère à ceux qui aiment. C’est aussi ici où l’on perd entièrement l’estime des créatures : elles vous regardent avec mépris. »

920 Ct 1, 6.

921 « Troisième degré de la voie passive en foi nue, dans sa consommation. 1-4. État consommé de la mort de l’âme. 5-7. Sa sépulture. 8-13. Sa pourriture ou putréfaction. 14-16. Sa réduction en cendres. 17-20. Avis de conduite sur ces états, que suit une nouvelle vie. » P

922 jamais, devenant A

923 « C’est là le silence obscur dans lequel tous ceux qui aiment sont perdus. Et si nous pouvions nous y préparer dans les vertus, nous nous dévêtirions bientôt du corps, et nous nagerions dans la mer immense, sans qu’aucune créature ne puis se nous rattraper. » (Ruusbroec, Les Noces spirituelles, conclusion, trad. M. Huot de Longchamp).

924 fût. Plus A

925 fût incurable [ou : inévitable] 1704

926 L’âme donc après A, 1704

927 « Tout cela en tant que possédé propriétairement et par le moi. » [note] P

928 don de Dieu : il n’y a plus de présence de Dieu. Mais elle ne la perd pas pour deux 1704

929 toutes vertus lui A ~ toute vertu, lui 1704

930 Ordonnance, Godet des Marais, VIII : « Cette âme dans le commencement de ce degré […] il faut perdre toute oraison, tout don de Dieu. Mais elle ne la perd pas pour une, deux, ou trois années, mais pour toujours […] commence à en avoir horreur. » (« à ce qu’il paraît » omis)

931 la plus voir. Bientôt cette pauvre âme dans un entier oubli peu à peu A (omission d’un §) ~ la plus voir. 5. Elle sera bientôt, cette pauvre âme dans un entier oubli. Peu à peu 1704, 1712 (omission d’un §)

932 tout cela. Elle le voit 1704 (omission)

933 qu’Il ne paraît pas la vouloir abandonner A (!) ~ qu’Il paraît ne la voir pas et l’abandonner 1704 ~ Ps. 87, 5-6, etc.

934 de bonnes heures, parce A

935 L’âme se corrompt A, 1704, 1712

936 des faiblesses, des chutes, des défaillances. Ici c’est une corruption horrible qui devient tous les jours plus forte et plus horrible. Ô, Dieu A, 1704 ~… corruption étrange… 1712

937 un faire le faut : une obligation.

938 « Non actuels ; mais le sentiment du fond en tant que corrompu et que par soi seul il ne peut que pécher. » [note] P

939 moi. Il est vrai : mais 1704

940 Ordonnance, Godet des Marais, IX : « L’âme se corrompt peu à peu […] quelle horreur pour cette âme [deux lignes omises] ! Elle est insensible à la privation du soleil de Justice. Mais de sentir […] il n’y a pas de remède. » (par ailleurs texte proche de A)

941 pauvre âme ! que faites-vous ? À ~ pauvre âme ! que ferez-vous ? 1704

942 « On est en ténèbres, sans pouvoir juger si le sentiment de son fond corrompu n’est pas contaminé de péché. » [note] P

943 par le mal qu’elle A

944 « Dans le sentiment de son fond corrompu. » [note] P

945 cœur qu’elle sentait sa puanteur A

946 « Dans la vue et conviction de sa pourriture. » [note] P

947 II R (Rois) 15, 26.

948 « Elle consent de bon cœur à la privation de la vue et de l’agréation sensible de Dieu. » [note] P

949 de son affection et A ~ de ses affections et 1704

950 Ordonnance Godet des Marais, XII : « Les autres ne la voient plus qu’avec horreur ; mais cela ne lui fait point de peine. [plusieurs lignes omises] Elle est même ravie […] l’horreur. » ~ « Extr. IX défectueusement cité » [note] P 1704

951 c’est que Dieu sente son ordure et sa corruption. Elle A, 1704

952 Elle sent qu’elle en est incapable A, 1704

953 « Toutes ses facultés. » [note] P

954 « Tout ce qui est de propre établissement doit prendre fin, pour ensuite faire place au divin. » [note] P

955 « Jean de la Croix ci-dessus. » [note] P

956 Ordonnance, Godet des Marais, XXXIV : « Il n’y a plus rien pour elle, plus de règlement, plus d’austérité ; tous les sens et les puissances sont dans le désordre. » (cit. du texte selon A)

957 d’austérités. Tous les sens et les puissances sont [en note : « Dans le désordre de la confusion ou de l’engourdissement, non du crime. » 1712] dans le désordre. Pauvre A, 1704, 1712

958 pauvre A

959 « À souffrir et soutenir en patience la vue de ses misères. » [note] P

960 à sa pourriture et la sent A

961 « Par des réveils ou épreuves sensibles de différentes tentations dont on souffre avec peine les impressions horribles. Voyez Vie de sainte Angèle, chap. 19. » [note] P

962 « A souffrir et soutenir en patience la vue de ses misères. » [note] P (par renvoi à sa note précédente)

963 Ordonnance, Godet des Marais, XVIII : « Cette pauvre âme est obligée après avoir tout perdu, de se perdre elle-même par un entier désespoir de tout… Elle est comme une personne qui n’est plus, et qui ne sera plus jamais : elle ne sait ni bien ni mal. » [Les points de suspension rendraient compte du saut du début du chap. VII, § 39, à la fin du chap. VIII, § 14.]

964 et ainsi ce moribond se hait et tout lui-même s’anéantit : car auparavant, quelle puanteur pouvait-il y avoir ? Il restait des marques de l’humanité : un cadavre puant, un reste d’âme. Mais il n’y a plus que de la cendre. L’âme ne souffre plus de la méchante odeur, et elle est naturalisée à ces choses. Elle ne voit plus rien ; et elle est comme une personne qui n’est plus et qui ne sera plus jamais. /15. Autrefois 1704

965 d’infecter Dieu A, 1704

966 qu’elle y va comme à la table ! Tout A, 1704, 1712

967 Ordonnance, Godet des Marais, XI : « Enfin cette âme commence à ne plus sentir la puanteur […] sans pouvoir rien faire pour cela. C’est alors que commence l’anéantissement. Autrefois elle se faisait horreur […] de peur d’infecter Dieu. À présent elle y va comme à table, tout naturellement. » (contraction)

968 « Elle n’est plus troublée par nulles impressions sensibles. » [note] P

969 autrement : elle trouve 1712

970 pas devoir A

971 ne pense jamais ni vivre, ni 1704

972 « autrement : étant contente de toute la volonté de Dieu. » [note] P 1704

973 corruption A, 1704

974 de chercher par [ou : tâcher] 1704

975 « Cantique spirituel du Père Surin, c. 10, v. 40. » [note] P

976 Ordonnance, Godet des Marais, X : « [§ 17 :] La fidélité… ne souffririez-vous pas ? »

977 « De soulagements. » [note] P

978 « dans » [note] P

979 jusqu’à ce que dans les désordres [de] ces cendres A

980 Ordonnance, Godet des Marais, XXXVIII : « Ne portez point de compassion à ces âmes et les laissez dans leurs ordures apparentes, qui font cependant les délices de Dieu, jusqu’à ce que dans ces désordres renaisse une nouvelle vie. » ~ Mme Guyon s’élève contre la contraction qui fait disparaître « cendres » (variante A) : « … il y a que l’homme renaît de sa cendre, et est fait un homme nouveau. Ils ont mis que l’homme prend vie dans son désordre… » (Lettre du 27 novembre 1695, Correspondance II Combats, pièce 359, p. 505, qui suit de peu l’Ordonnance en date du 21 novembre ; à cette époque Mme Guyon est cachée au faubourg Saint-Antoine ; elle va acheter une petite maison à Popaincourt le 30 novembre ; elle sera découverte et arrêtée le 27 décembre pour sortir des prisons huit années et demie plus tard).

981 poussière, sentir sa corruption, comme autrefois, ni désirer A, 1704

982* Ressemblance avec Ruusbroec. « Dieu, en se répandant ainsi, réclame toujours un mouvement de retour, car Dieu est une mer qui a son flot montant et son reflux : sans cesse Il se répand sur tous ceux qu’Il aime, selon les besoins et la dignité de chacun. Puis Il reflue, ramenant tous ceux qu’au ciel et sur la terre Il a comblés de ses dons, avec tout ce qu’ils possèdent et tout ce qu’ils peuvent faire. » (Noces, Second avènement, troisième ruisseau, trad. Bizet, Aubier, 1947, 283.).

983 cela se meut et se fait peu à peu. Il semble 1704

984 Un ver à soie (réminiscence de Thérèse, Château, Veme Demeure, chap. 2).

985 La suite : « C’est dans ce tombeau que l’âme commence à reprendre vie […] le temps est venu que les morts entendront la voix du Seigneur », est déplacée au chapitre suivant, § 2, depuis 1704.

986 « Quatrième degré de la voie passive en foi, qui est le commencement de la vie divine. 1-4. Passage de l’état humain au divin, et à la résurrection de l’âme en Dieu dans la vie divine. 5-13. Description de cette vie et de ses propriétés, gradations, identité, indifférence ; sentiments de l’âme. Son être en Dieu. Sa paix, etc. 14-16. Ses devoirs de correspondance fidèle. 17-19. Pouvoir et vues de cette âme par rapport aux autres, à soi, à son état, à ses actions, à ses paroles, à ses défauts. 20.21. Des inclinations de Jésus-Christ en elle. 22-27. Plusieurs observations pour ne pas se méprendre en ses progrès, ses croix, son extérieur. Conclusion. » P

987 Le corps dans la pourriture et dans la cendre est encore 1704

988 immense. Comme lorsque ce torrent est dans A, 1704

989 celui de la mer. De même 1704 (omission)

990 divin, et elle y perd son être et sa subsistance 1704

991 plus sensiblement 1704

992 Mt 4, 16.

993 Ez 37.

994 Jn 5, 25. Ce paragraphe provient de la fin du chapitre précédent.

995 glorieux. Ô âmes A (omission : le § précédent figurant à la fin de son chap. VIII)

996 mourir A

997 Col 3, 3.

998 Ga 2, 20.

999 que de sa vie en étant A ~ que de sa vie ; et étant 1704

1000 Les A

1001 font A

1002 données 1704

1003 immuable A

1004 Ordonnance, Godet des Marais, XX, constituée de cette seule phrase isolée du contexte : « L’âme devient forte, immuable [comme A], ferme : elle a perdu tout moyen [comme A, var. non retenue dans notre sélection] : mais elle est dans la fin. »

1005 « De distinct et comme hors d’elle. » [note] P

1006 Ordonnance, Godet des Marais, XXX : « L’âme ne se sent plus […] connaisssance. »

1007 autrefois que la chose distingue d’elle-même, mais A

1008 ne sait plus rien, n’est plus 1704 (A est identique au texte principal)

1009 basse est autant que la 1704

1010 moment A ~ « autrement : moment » [note] P

1011 « autrement : moment » [note] P

1012 peine A

1013 Il n’est plus question de recueillement. L’âme n’est plus au-dedans d’elle : mais elle est 1704 (variante significative : il s’agit bien de tout recueillement)

1014 Il n’est plus nécessaire de s’informer en son fond

1015 en peine de rien 1704 ~ « à savoir : de soi, par soi, pour soi » [note] P

1016 cela lui suffit. A

1017 Ordonnance, Godet des Marais, XLIX : Cette âme ne sent pas, n’est pas en peine de chercher […] toujours rien. » (« Cette âme ne sent pas » absent de notre texte).

1018 et c’était A

1019 mal, mais (« ce semble » est ajouté en 1712)

1020 manière égale et inébranlable ce qu’on lui fait faire A ~ manière inébranlable ce qu’on lui fait faire. 1704 ~ manière agile et inébranlable. 1712

1021 L’obéissance est son seul guide A ~ L’obéissance est son guide 1704

1022 activité. Ce A, 1704

1023* Ordonnance, Godet des Marais, XXXI : « Elle a perdu toute volonté […] dans la fin. » (omission du début du § ; « pensée » au lieu de « pente ») ~ Les § 5-9 sont à rapprocher des descriptions de Ruusbroec, telles que celles de la fin du Royaume des Amants.

1024 contentement immense A

1025 contente ? car ici 1704 (omission)

1026 ni intelligence, ni ce certain je ne sais quoi qui l’occupait sans l’occuper ; et 1704

1027 vie : pour les choses, c’était un 1704

1028 séparation, une impuissance de mort, mais A, 1704

1029 vigueur 1704

1030 mais il est sans vie et en mort séparation de cela. L’homme A

1031 réanimé, il ne sent plus son âme. Dieu en cet état est l’âme de notre âme et A

1032 Lorsque l’on sent la séparation de son âme d’avec le corps. Cette âme est-elle séparée, l’on ne sent plus rien, mais c’est parce que l’on est sans vie, en mort et séparation. De cela, l’homme ressuscite, et il se sent revivifier : mais lorsqu’il est ranimé, il ne sent plus son âme. Dieu en cet état est l’âme de notre âme, et d’une telle manière qu’il se rend comme le principe naturel de vie, sans que l’âme le sente 1704

1033 enfoncements, quelques longues prières, amour, désir, jouissance, ce degré ici n’est point, mais A

1034 distingué A

1035 Dans son état de mort et de sépulcre il A

1036 car A

1037 pas vide impuissante de A

1038 l’air entre par tous ses pores : ce qui se ferait par une pénétration égale 1704 (var. de style : la source de 1704 est bien distincte de la famille A).

1039* « Car dans le tourbillon sans fond de la simplicité, toute chose est étreinte dans la béatitude de la fruition, le fond échappant tout entier à notre saisie, sinon par le truchement de l’unité essentielle. » (Ruusbroec, Noces spirituelles, conclusion ; trad. dom Louf).

1040 fidèle ? Rien et A

1041 attenter A ~ ajouter 1704

1042 non que l’on y pense, par abandon et délaissement A ~ non que l’on y pense par des actes d’abandon ou de délaissement 1704

1043 L’homme qui expire sans dégoût de tout ce qui peut entretenir la vie, a ensuite une impuissance d’en user : il meurt 1704

1044 dénuder et quitter A

1045 choses de dedans quelque 1704

1046 faire dire non A

1047 Ainsi sa fidélité A, 1704

1048 pas [simplement] à 1712 (qui utilise assez souvent des crochets, supprimés en 1720 lorsque leurs contenus sont repris)

1049 « Autrement : comme un vent » [note] P 1712

1050 pas bien ; ni des 1704

1051 « Autrement : éléments » [note] P.

1052 exerce. Mais pour de leur principe A, 1704 (omission du long ajout)

1053 d’en donner ou pour A

1054 jamais. Ceux A, 1704

1055 l’on est en Dieu A, 1704

1056 18. Aussi si l’âme… ne ferait-elle pas ? 1704 (diffère du style exclamatif de P)

1057 certaines propriétés et légères émotions qui A, 1704

1058 vue propre amour propre, complaisance qui passant A, 1704

1059 se trouve A ~ le trouverait 1704

1060 « Par des méditations réglées, étendues, réfléchies » [note] P 1712

1061 Jésus-Christ depuis A

1062 « La proposition LXI de Godet des Marais, “sans avoir pensé à aucun état de Jésus-Christ ou à ses inclinations depuis 10, 20, 30 années”, est conservée en 1712 avec une note apaisante qui a passé dans le texte de 1720 : “sans avoir réfléchi sur les états…” (Orcibal).  

1063 soumission. L’âme A ~ soumission, etc. L’âme 1704

1064 aisément, qu’elles A

1065 Romains, 13, 14.

1066 agissant, conversant, et parlant de Notre Seigneur Jésus-Christ étant A ~ qui agit et parle en nous ; et Notre Seigneur est 1704

1067 d’inclination ni A

1068 lui fait A, 1704

1069 Ce qui justifie l’adjonction postérieure d’une « seconde partie : j’avais oublié à dire… », absente de la source 1704.

1070 l’état de A

1071 trop tard. A

1072 pratique en prière, il ne la faut pas quitter mais seulement lorsque le dégoût en vient, avec A

1073 discernement A

1074 sécheresses, peines, ennuis, détresses, mais ils ne sont ni A ~ ennuis, détresses ; mais le tout n’est ni 1704

1075 de tout, et heureuse une qui A

1076 aussi prendre garde que A

1077 la voie de foi commence A

1078 toute la voie A (plus général)

1079 vues simples 1704

1080 Ordonnance, Godet des Marais, LXI : « L’âme est surprise […] petitesse, pauvreté, etc. [saut du § 20 au § 25] L’âme dans toute la voie n’a point de vue distincte de Jésus-Christ. » (longue coupure dans la citation et omission de la fin de la dernière phrase).

1081 une petite pente A

1082 inclination pour 1704

1083 font que celles de l’âme lui 1704

1084 propre état, sa propre vie, Jésus les exerçant A

1085 de distingué A ~ de destiné 1704

1086 plus

1087 divinisent pour ainsi dire. Dans 1704

1088 s’avancent. Plus elle A

1089 connu A

1090* La vie commune de Ruusbroec.

1091 n’ayant rien d’extraordinaire. Ici A (omission) ~ l’on n’y voit rien d’extraordinaire. Ici 1704 (omission plus large)

1092 état est moins sujet A, 1704

1093 Tout cela n’est pas de cette voie qui est simple, pure et nue, ne voyant rien qu’en Dieu A ~ Tout cela n’est point dans cette voie, qui est simple, pure et nue, n’y voyant rien qu’en Dieu 1704

1094 yeux. /Il A ~ yeux. /CONCLUSION. /Il 1704

1095 poursuivre, je finis ici, tout manquerait. Je crois que je peux beaucoup avoir mêlé mes A

1096 aussi A

1097 je ne sais point distinguer en l’état A

1098 est de Dieu A

1099 lumières. FIN. 1704 (dont la source se termine sur cette partie. Poiret complète son édition de 1704, p. 299 et sv., par : « PASSAGES/Qui ne se trouvent point dans la Copie dont on s’est servie ici, et qui sont rapportés dans l’Ordonnance de l’évêque de Chartres contre les Quiétistes, annexée à l’Instruction sur les états d’oraison de l’évêque de Meaux, pag. LXXXIX. etc. des Actes de la Condamn. des Quiétist. ») ~ FIN/DE LA PREMIÈRE PARTIE. [saut de page] LES TORRENTS SPIRITUELS. /SECONDE PARTIE. 1712

1100 « Description plus particulière de plusieurs propriétés de la vie ressuscitée et divine. 1.2. La vraie liberté et la vie ressuscitée, distinguées de ce qui ne l’est pas. Job en est la figure. 3. Commencement de la vie apostolique. Facilité de ses fonctions : avis de ne s’y mettre de soi-même. Ses fruits. 4. Comment s’y pratique la vertu, spécialement l’humilité. 5-8. Elle est commune au-dehors. Sa joie extatique. Bonheur de la perte en Dieu, et de l’abandon à Dieu. 9-11. Rareté de l’abandon parfait : à quoi s’oppose la prudence de la propre sagesse, sous prétexte de la gloire de Dieu. Rayon de gloire échappé de l’intérieur. » P

1101 prive de faire les choses, c’est plutôt A

1102 et A

1103 oraison ni dire leurs prières, soit d’obligation, soit d’observance, je dis A

1104 sens A

1105 et le divinisant G,B ~ et divinement A

1106 Rm 6, 5.

1107 Jn 8, 36.

1108 Notre Seigneur dit A

1109 sera donné A

1110 Mt 10, 19 ; Luc, 21, 15.

1111 Sg 7, 11.

1112* « Voyez sainte Catherine de Gênes, Vie, Chap. 14, n. 8, et Vie de M. de Renti [Renty], Part. 4, Chap. 9, n.16, Édit. de Col [ogne]. » [note] P — Catherine de Gênes, chap.14 : « … Ainsi c’est en Dieu qu’est mon être, mon moi, ma force, mon bonheur, mon bien, ma joie. […] Je ne puis m’exprimer autrement, mais au fait je ne sais ce que c’est que ce moi, ce mien, cette joie… » - La Vie de M. de Renty du P. Saint-Jure, Paris, 1651, est un classique lu dans toute l’Europe, « mosaïque de propos et d’écrits dus à Renty » (Triboulet).

1113 Ordonnance, Godet des Marais, XIX : « Lorsqu’elle voit quelques personnes […] transformation en Dieu. »

1114 C’est pourquoi ces âmes sont A

1115 Ps 86, 7.

1116 ravie ne A

1117 ravissement et extase continuelle par la sortie d’elle-même et la perte en Dieu, mais extase qui ne cause aucune perte ni peine à l’âme. Parce que A

1118 des défauts A

1119 sujet, et sont pourtant des défauts qui font l’admiration A

1120 En Lui toute leur confiance ne seront jamais confus. A

1121 le font le mieux et A

1122 dans l’autre jusqu’à tel point et non plus loin. L’on veut A

1123* « Autrement : L’abandon parfait, qui est la clef de tout l’intérieur, n’excepte etc. : “Voyez sur cela les Mœurs de Fr. Laurent, p. 62, Ed. de Col[ogne], et ses Entretiens I, II et III, Fr. Jean de Saint-Samson, Maximes, tit. 21, Max. 1, 9, 11, 18, etc., A. Kempis, Imitation, Liv. III, chap. 25, n. 3.” [note] P — Cette var. citée par P correspond à l’extrait I de l’Ordonnance de Godet des Marais : “L’abandon parfait… ni Enfer”. (On sait que P ne disposait en 1704 que de l’Ordonnance pour cette seconde partie des Torrents). — sur l’abandon, sources innombrables, dont de nombreux franciscains mystiques tardifs du XVIIe siècle français, contemporains de madame Guyon (Pierre de Poitiers auteur du Jour mystique, Simon de Bourg-en-Bresse, Alexandrin de la Ciotat, Maximien de Bernezay…).

1124 périls A

1125 « fr. Laurent, Mœurs, page 63. J. de Saint-Samson, tit. 22, Max. 8. » [note] P

1126 Ordonnance, Godet des Marais, II : « Que craignez-vous… qu’importe ».

1127 savent s’anéantir A

1128 O. que l’on a de peine à devenir A

1129* « Voyez sainte Catherine de Gênes, Vie, chap. 42, p. 214, Ed. de Col., sainte Angèle, Vie, p. 234, Ed. de Col., Jean de la Croix, Obscure nuit, livre 2, chap. 9. » [note] P. — « Je me trouve de jour en jour plus retirée, comme quelqu’un qui serait confiné d’abord dans une cité à l’intérieur des murs ; puis dans une maison avec un beau jardin ; ensuite dans une maison sans jardin, puis dans une salle, puis dans une chambre, puis dans une antichambre ; ensuite au fond de la maison avec peu de lumière ; puis dans un cachot sans lumière. Ensuite on lui lierait les mains, on lui mettrait des ceps aux pieds, puis on lui banderait les yeux ; ensuite on ne lui donnerait plus à manger ; puis plus personne ne pourrait lui parler. À la fin, ayant perdu tout espoir d’en sortir jamais jusqu’à la mort, il ne lui resterait d’autre consolation que de savoir que c’est Dieu qui fait cela (Catherine de Gênes, Vie, chap. XLII, trad. Debongnies).

1130 quelquefois de cette vie du centre quelque A

1131 et d’un degré de pureté. A

1132 « 1-5. Fermeté, épreuves, élévation, extrême pureté et paix de l’âme divine et abandonnée par état. 6-8. Tout lui est alors purement Dieu. 9-12. La liberté perdue a trouvé celle de Dieu : état admirable où tout est divinement sûr, égal et indifférent. » P

1133 rocher inébranlable et invulnérable à A

1134 lorsque Dieu veut A

1135 de A

1136 « Sainte Angèle, Livre 2, part. I, chap. 4 et 5. Ed. de Col. Autrement : chap. 19. » [note] P

1137 « Sainte Catherine de Gênes, Vie, chap. 14. » [note] P

1138 Ordonnance, Godet des Marais, XIII : « Vouloir bien être rien aux yeux de Dieu […] qui fait l’abandon parfait. [deux § omis !]. De dire les épreuves étranges […] hors de Dieu. »

1139 enlève A

1140 ne saurait les rétrécir ni captiver ces âmes ; Dieu les ayant mises dans une innocence parfaite, la sainteté des actions les plus saintes ne sont point sainteté pour elle. Dieu est seul saint, les actions les plus mauvaises ne peuvent communiquer leur venin quand elles seraient obligées de le faire parce qu’il A

1141 l’unité essentielle qu’elles A

1142 concourant nécessairement avec A

1143 « Sainte Angèle, Vie, chap. 27. Ou, Ed. de Col., partie 2, chap. 1, sect. 9. »  [note] P.

1144 impureté A

1145 impureté A

1146 « Sainte Angèle, Vie, chap. 32 et 44 ib. I Jean, 3, 9. » [note] P.

1147 « Sainte Cat. Dial. 2, chap. 9, 10, 11.  Théol. Germanique, chap. 2, 3, 4, etc. » [note] P.

1148 parle ne peuvent presque jamais se A

1149 « Sainte Catherine de Gênes, chap. 33 et 44, Vie d’Armelle Nicolas, livre 2, chap. 8 et 28. » [note] P.

1150 Ordonnance, Godet des Marais, XL : Il n’y a point [plus] pour elles […] volonté en Dieu. »

1151 « Sainte Catherine, Vie, chap. 44. » [note] P.

1152 Rm 8, 1 & 33 ; I Jn 3, 21.

1153 Ordonnance, Godet des Marais, XXII : « Les âmes dont je parle ne peuvent presque jamais se confesser, car lorsqu’elles veulent s’accuser, elles ne savent qu’accuser, ne pouvant […] plus chez elle d’accusateur. Mais […] repentir. »

1154 ou A

1155 « Sainte Cat. Dial. 3, chap. 11 et Vie, chap. 32. Jean de la Croix, Nuit obscure, livre 2, chap. 23,. Théol. Germ., chap.7. » [note] P.

1156 maux A

1157 Ordonnance, Godet des Marais, L : « Alors il y a une séparation […] partie supérieure. »

1158 âme ou état ainsi A

1159 vient de A

1160 attribuer non plus que Dieu, parce qu’elle ne connaît plus que Dieu seul, dont on A

1161 d’état qui A

1162 Dieu sans A

1163 elle-même par unité d’identité, elle A

1164 Sainte Angèle, chap. 27 ou dans l’éd ; de Col. IIe partie, chap.1, sect.9, n.60, p.245. [note] P.

1165 sont Dieu et A

1166 créé A

1167 Ordonnance, Godet des Marais, LII : « Cette âme serait aussi indifférente […] Les démons lui sont Dieu, comme le reste […] différemment. »

1168 Psaume 61, 10. ; romains, 8, 33 ; sainte Angèle, chap. 27 ou Ed. de Col., p. 282, 301, 314 ; sainte Thérèse, Vie, Ed. d’Anvers, p.421. Nouv. lettres, part.1, p. 97. [note] P

1169* Ste Cath de Gênes, Vie, ch. 14, 17, 21 et 35 ; Jean de S.Samson, Max., tit. I, 17, [et] 27. [note] P — « XVII. Quelqu’un peut être devenu tellement humble, qu’il ne sait plus ce que c’est qu’humilité, ni autre vertu… XXVII. Là où il n’y a rien, l’humilité est à son centre […] le rien leur demeure inconnu, voire même à son possesseur, tant il est profondément abîmé en Dieu. » (J. de S.Samson, La vie, les Maximes…, op.cit.).

1170 de Dieu est Dieu. Mais A

1171 Romains, 8, 14 ; St Cat. Vie, ch.17 etc. [note] P

1172 m’entraîne sans me mettre en peine où il m’entraîne. Et pourquoi ? parce que A

1173 Dieu fait A

1174 Vie d’Armelle Nic., livre II, ch.6, p.489,492, Ed. de Col. [note] P

1175 Ordonnance, Godet des Marais, XLVIII : Je me laisse aller à ce qui m’entraîne et pourquoi il m’entraîne ; parce que […] intérêt. »

1176 St Cat. de Gênes ut supr. Et ch.9 et 36 [note] P

1177 Ordonnance, Godet des Marais, LXIII (et dernière, c’est le « clou » de l’ensemble aux yeux des critiques) : « Toutes les créatures la condamneraient que cela lui serait moins qu’un moucheron […] que volonté de Dieu [coupure de plusieurs lignes qui insistent sur la conformité à la volonté divine]. Aussi ne suis-je capable […] infaillible. » ~ Suivent les jugements de l’évêque de Chartres : « Maximes où l’on donne comme un état d’une éminente perfection de demeurer en repos, et comme insensible au milieu des tentations et des chutes […] de ne plus arrêter son esprit à la vue des perfections de Dieu ni des Personnes divines. De ne plus avoir pour règle la volonté de Dieu signifiée par ses commandements et par ses conseils, mais ce qui nous arrive de moment en moment […] Maximes monstrueuses qui vont jusqu’à calmer l’âme dans l’état de sa corruption […] qui conduisent aux erreurs de Luther et de Calvin… »

1178 d’autre principe infaillible. Et A (suppression de la répétition)

1179 même avec A

1180 Col 3, 3 ; S.Cat. de Gênes, Vie ch. 22 [note] P

1181 en Dieu, mêlée A ~ S. Macaire, Homélie 18 [note] P

1182 par nécessité d’état A

1183 il agit aussi infailliblement que la mer A

1184 ait ses qualités propres, mais A

1185 son sein A

1186 donc nécessitamment et divinement A

1187 S.Cat., Vie, ch.14, n.7 et Abrégé de la Perf. Chrétienne, ch.XI. [note] P

1188 Ordonnance, Godet des Marais, XLVI : « L’âme dont je parle est par cet état perdue en Dieu, mêlée avec lui [longue omission de la comparaison marine, non signalée]. Cette créature agit donc nécessitamment et divinement. Mais, me dira-t-on, vous ôtez aussi à l’homme la liberté ? Non : car il n’a plus de liberté que par un excès de liberté : parce qu’il a perdu librement toute liberté créée, il participe à la liberté incréée. »

1189 plus raccourcie, limitée, bornée pour A

1190 si libre que toute la terre lui paraît moins qu’un point et il lui semble qu’elle renferme toute la terre sans en être renfermée A

1191 faire ce que les autres font et elle peut ne A

1192 damnation, péché ? Ô A

1193 assurés dit ce grand saint que A

1194 Rm 8, 35-38.

1195 assurés Hé A

1196 Épîtres A

1197 mais l’on n’entend pas et A

1198 pouvaient comprendre le bonheur ineffable d’une âme arrivée ici combien se laisseraient-ils à Dieu et quoique la voie qui y conduit soit extrême en dureté, un A

1199* Jean de la Croix, Flamme d’amour, vers la fin. Jean de S.Samson, Max. tit.15, m.6 ; P. Surin, Catech. Spir., tome I, part.IV, ch.7, p. 388. [note] P — « VI. Lorsque quelqu’un est devenu esprit et divin, à force d’agir, de pâtir, de mourir et d’aimer, soit en amour, soit par-dessus l’amour, il ne se peut juger en sa voie, que par son semblable. » (J. de S.Samson, La vie, les Maximes…, op.cit.).

1200 rejaillir sur les puissances et sur les sens A (omission)

1201 dans l’état le A

1202 et par état. 1712 (fin du chapitre)

1203 « 1-2. On explique par une comparaison ce qui regarde l’union parfaite, ou la déiformité. 3-5. Ces âmes, apparemment communes et méprisées, sont de grand prix, aussi bien que leurs actions, quoique sans éclat : mais rares et de différents degrés. 6.7. Secrets de Dieu manifestés à ces âmes cachées, et par elles à d’autres. 8.9. Permanence et accroissement de cet état, quoiqu’inégalement. 10.11. La capacité propre se doit perdre. La capacité participée de Dieu par transformation s’accroît à l’infini. » P

1204 par état. La comparaison du grain A (omission)

1205 le son et le gru [gruau] ; ensuite lorsque Il A — gru : résidu grossier du grain une fois le froment extrait.

1206 grande grâce qu’il A

1207 mangée A

1208 Jn 17, 21&23. ; I Cor 6, 17. ~ « Les mistiques appellent cet état, Déiformité. » [note] P ~ devenir Dieu A ~ devenir une même chose avec Dieu 1720

1209 vie ! mais de vie en Dieu, que tu es admirable, mais que A

1210 tous les Amours puisque A

1211 S.Cat. de Gênes, Dial. 3, ch.7, 8 et 14 ; Jean de Saint-Samson, Max., tit. 27 (Ed. de Col., ch.10) [note] P

1212 S.Cat de Gênes, Dial. 3, ch.10 et Vie, ch.22. [note] P

1213 Ordonnance, Godet des Marais, XXXVII : « Ces âmes paraissent les plus communes […] elles-mêmes. »

1214 ont, c’est ce qui fait que tout A

1215 Si 42, 14.

1216 si servemment : avec une si grande soumission.

1217 parce que le principe A (oubli)

1218 âmes devenues Dieu agissent A

1219* « On y savait seulement que chaque moment amène un devoir qu’il faut remplir avec fidélité. […] Semblable à l’aiguille qui marque les heures et qui répond à chaque minute à l’espace qu’elle doit parcourir, leur esprit, mû sans cesse par l’impulsion divine, se trouvait insensiblement tourné vers l’objet qui, selon Dieu, s’offrait à chaque heure du jour. » (L’Abandon à la Providence divine, autrefois attribué à Jean-Pierre Causssade, éd. D. Salin, coll. « Christus », Desclée, 2005, chap. I, p. 33).

1220 d’âmes A

1221 en qui A

1222 en Jésus-Christ A

1223 que les âmes A

1224 elle, les autres y A

1225 seul, mais elles font A

1226 qu’elle ne croyait A

1227 précèdent leur expression parce que A

1228 est comme une A

1229 Autres, alors cette âme qui les tient de son fond connaît qu’ils A

1230 plus infiniment et cela en élargissant sa capacité à l’infini. Marie fut divine comme je l’ai dit ailleurs dès le commencement A

1231 croît à A (omission)

1232 capacité. Il en fait A (omission)

1233 elles l’ont A

1234 nouveau. Mais A (omission)

1235 étendue ainsi que je l’ai dit ailleurs et cette lettre devait être mise ici parce qu’elle exprime très bien ce qu’elle fait pour dissoudre l’âme radicalement et le Maître qui la fait écrire le fera bien entendre. À — Après la suppression de cette fin de phrase de A, suit l’ajout de P précédant le début du chapitre IV.

1236 « 1-2. Les premiers mouvements de ces âmes-là sont tous divins. Elles n’ont plus de réflexions ; et pourquoi. 3-5. Leurs souffrances sont sans réflexion, mais par impression. 6-8. Grandeur de ces souffrances, qui cependant n’altèrent point leur repos ni contentement, à cause de la déification de ces âmes, laquelle s’accroît à l’infini, mais graduellement. 9-12. Ni les biens ni les maux ne peuvent plus altérer leur paix, de même que Dieu n’est ni troublé ni altéré par la vue des péchés des hommes, tout revenant à sa gloire. » P

1237 étendue. L’âme A (ajout P des § 10 et 11)

1238 Jean de la Croix, Montée du Carmel, livre 3, chap.1 ; Vie de S. Catherine de Gênes, chap. 17. [note] P

1239* Jean de S.Samson, Titre 13, Max. 17. [note] P — Car « XVII. Plus les hommes sont parfaits, plus se doivent-ils garder d’eux-mêmes, à cause des très subtiles réflexions de nature qui se délecte et se plaît dans le beau, le bon, le parfait, entre les choses qui lui sont très licites. » (J. de S.Samson, La vie, les Maximes…, op.cit.).

1240 voudrait en faire A

1241 retirer A

1242 Ordonnance, Godet des Marais, XLIII : « Tous les premiers mouvements de cette âme sont de Dieu. Et c’est sa conduite infaillible… [omission de quelques lignes parce qu’elles constituent une précaution] C’est donc la conduite […] Ange. »

1243 premier Ange, qui en se regardant, s’aimant, devint Démon. Et A

1244 sens A

1245 Peut-être : sens. [note] P

1246 comme la douleur d’une personne à qui l’on imprimerait le feu serait plus forte que celle d’un autre qui brûlerait à la révélation du feu A

1247 Sainte Catherine de Gênes, Traité du Purgatoire, p.222. Item Vie, chap. 42, etc. Ed. de Col. [note] P

1248 la différence A

1249 Ordonnance, Godet des Marais, LI : « Je crois que si une telle âme […] état. »

1250 Sainte Catherine de Gênes, Vie, chap. 22. [note] P

1251* Jean de S.Samson, Max., Tit. 22, Max 11. [note] P — « XI. Pour arriver à la totale transfusion de la créature en Dieu, il faut que la créature soit perdue à son vivre, à son sentir, à son savoir, à son pouvoir, et à son mourir… ».

1252 Ordonnance, Godet des Marais, LV : « C’est par une perte de volonté […] par état permanent. [Omission de deux lignes soulignant une gradation dans la voie .] Dieu donne l’état d’une manière permanente […] créature. »

1253 Ps 30, 20.

1254 faisait dire et écrier A

1255 commettre. Toute A

1256 peine. Est-ce A

1257 gloire de Dieu. Comme Dieu est A

1258 fait pour l’amour de Lui A

1259 sauvé. Il A

1260 mille et mille vies A

1261 efficaces Il A

1262 « On a retranché dans l’Ordonnance de l’évêque de Chartres (extrait 42), les paroles : “comme certains tyrans ont fait à des vierges martyres”, qui justifiait la proposition qu’il condamne : comme elle est encore justifiée par l’exemple de David, mangeant des pains consacrés défendus, Mt 12, 4 ; et de Moïse tuant un Égyptien, Ac 7, 24 ; des martyrs que l’on entraînait par violence dans le temple des idoles, dont on forçait les mouvements à l’inclination, les mains à y répandre de l’encens, la bouche à avaler des liqueurs consacrées aux démons, etc. » [note] P

1263 péché, elles A

1264 Ordonnance, Godet des Marais, XLII : « C’est la volonté maligne […] péché, elle les ferait sans péché. »

1265 Abrégé, Seconde partie, § III, 9 ; cit. suivante : § III, 12.

1266 Lettre 89 à Fénelon, Correspondance I, Directions spirituelles, 236. — Sur la date du 4 octobre : voir la Correspondance de Fénelon, t. 3, « Chronologie », 488.

1267 Lettre 180, Ibid., 380-388 et Jean Orcibal, Correspondance de Fénelon, tome II, Paris, Klincksieck, 1972, Lettre 79. On se reportera au commentaire très riche d’Orcibal.

1268 Fénelon, ignorant la conversion, commune à toutes les voies, décale les degrés d’une unité : le § II devient un « premier degré ».

1269 He 11, 1. : « Or la foi est la subsistance des choses que nous espérons, et l’évidence de celles que nous ne voyons pas. » (Amelote).

1270 II Tm 1, 12.


1271 1-4. Premier et second degré de la voie à Dieu, qui sont le retour de l’âme et la touche efficace de Dieu dans la volonté, où se trouve la science savoureuse, différente de celle des lumières distinctes. 2. Cette voie est de deux sortes : l’une affective, l’autre, moins sensible et plus pénible. 3. Gradation et alternatives des sécheresses et de goûts. Lumière obscure. 4. Effets du second degré. Activité savoureuse. P


1272 jusqu’à la mort 1712

1273 car dans tous les états dès le commencement que Dieu 1712 (omission à partir de : « lorsqu’on est dans la sécheresse, on tombe plus facilement… »)

1274 la mort : mais 1712

1275 5-6. Troisième degré. Déchet d’activité et de forces par une passiveté savoureuse. Destruction des sentiments intérieurs. P

1276 Mais à mesure que ce degré avance et qu’elle devient 1712 (omission)

1277 et de l’affaiblissement [où l’on est] sitôt que l’on cesse de faire ces sortes de mortifications volontaires par les impuissances où l’on est. 1712 [omission de la fin du § : « celles de la providence… »]

1278 7. 8. Quatrième degré de foi nue : double dépouillement, le douloureux et le languissant. 9-11. Causes du dépouillement. Gradations divines en cela. Comparaison admirable. Solution de deux difficultés. 12. Fidélité de l’âme, et de Dieu présent à elle, en cet état. P

1279 car l’un suit l’autre. Mais cessant de se mortifier soi-même, l’on entre dans les mortifications de la Providence, qui sont les croix que Dieu choisit conformément au degré. Ce ne sont point des croix choisies, mais l’âme conduite intérieurement de Dieu, a les croix que la Providence lui ménage. / Chaque degré 1712 [restitution de la fin du précédent §]

1280 Surérogation : ce qui est au-delà de ce qui est dû, commandé.

1281 Rm 7, 15.

1282 Peu à peu dépouillé au-dehors 1712 (omission)

1283 Elle a été depuis le commencement de la voie jusqu’à présent ; du multiplié 1712

1284 sensible, au spirituel à la foi 1712

1285 au-dehors. Ces mêmes tentations l’affaiblissent 1712

1286 bonté 1712

1287 13.14. Cinquième degré, ou état de mort mystique. Ses indices, ses suites. Que la vie y est cachée dans le centre, d’où elle vient à pousser comme un germe. 15. Dispensation des douleurs de la mort mystique. La véritable mort et ses appellations. 16-19. Cette mort est souffrante jusqu’à sa consommation. Cause de cette peine et des autres peines qui l’ont précédée par des moyens de contrariété. P

1288 d’y soigner : de s’en occuper.

1289 Ps 109 (110).

1290 D’elles : alors la vie 1712

1291 partout dans 1712 (omission)

1292 morte, elle est unie 1712 (omission)

1293 considérée défaillie 1712

1294 1. Résurrection de l’âme et sa réunion à Dieu et à la vie de Dieu. Ses gages assurés, mais généraux et indistincts ; manifestation de Jésus-Christ dans l’âme ressuscitée ; la transformation de l’âme et ses effets. 3. Fécondité de l’âme transformée et divinement active. P

1295 V. la septième demeure du Château intérieur de Thérèse.

1296 d’aperçu.

1297 Ga 1, 16.

1298 4. Vie divine continuée, plus abondante. Effusion de l’amour divin. 5-6. L’oraison est rendue ici. Vrai silence divin. État souffrant pour autrui. Moyens donnés de Dieu à ces âmes pour d’autres, et ensuite ôtés. 7-8. Silence ineffable. Flux et reflux divin. Communication divine et spirituelle. Plus rien de distinct ni d’extraordinaire. P

1299Jn 10, 10.

1300 De tendresse. Il faut 1712

1301 Ne vouloir que Dieu et refuser cependant les moyens d’aller à lui qu’il a lui-même choisis, est encore une manière de lui résister en se maintenant dans sa volonté propre (note de M.-L. Gondal).

1302 pas 1712

1303 d’appui ; étant enfin comme sans utilité. 1712

1304 II Co 6, 17 : « Car vous êtes le Temple de Dieu vivant… »

1305 s’applique 1712

1306 9.10.11. Ineffabilité de l’intérieur de cette âme. Subsister en Dieu : être simple, abject, souffrant pour les autres. État de Jésus-Christ en cette âme. 12.13. Sa transformation ; et comment connue. Étendue de l’âme transformée dans la volonté de Dieu. 14. Sacrifice que Dieu exige de ces âmes. Jésus-Christ fait en elles les fonctions de Prêtre éternel. 15. Ces âmes sont choisies de Dieu pour conducteurs spirituels et nulles autres. P

1307 possédée 1712

1308 Ps 39, 8-9.

1309 nullement en état de ne rien ménager. J’entends [cette volonté] de 1712 (omission)

1310Matth. 18.v.10.

1311Exod 4. v.2.5.

1312Chapitre I, vs.7.

1313isaïe

1314Rom. 8. v. 8.

1315NDE : il faudra encore bien des années et la perte de certaines illusions pour atteindre cette fécondité décrite juste auparavant — ainsi que les épreuves des prisons, années 1695-1703. La rédaction de ce Commentaire au Cantique fut publiée à Lyonen 1688. — Prémonition ? Voir la suite.

1316 Esaïe, chap. 52 et 53 sur le serviteur souffrant.

1317* Justification, XLVIII. Propriété : Il faut remarquer qu’il est toujours parlé de croix, d’ignominie et de confusion. Il y a bien des personnes qui se livrent pour certaines croix et non pour toutes, qui ne veulent jamais perdre leur réputation devant les hommes, et c’est ce que Dieu veut faire perdre ici. D’ailleurs, comme Dieu veut faire sortir cette âme d’elle-même pour l’appliquer au-dehors, elle sent en cela une extrême répugnance, n’aimant que sa retraite. Néanmoins il est très certain que si on ne sortait point de la solitude, ces sortes de croix n’arriveraient pas. Lorsque Dieu veut bien faire mourir, Il permet quelquefois certaines imprudences apparentes, qui ne le sont pas en effet, qui semblent donner lieu à cela. J’ai connu une personne qui, dans une vue qui lui fut donnée de plus terribles croix et surtout de la perte de sa réputation, à laquelle elle était fort attachée, ne s’y put jamais résoudre, et dit à Dieu : plutôt toutes autres croix, Lui refusant formellement son consentement ; elle demeura là sans passer outre : cette réserve fut si désagréable à Notre Seigneur qu’Il ne la favorisa jamais depuis d’aucune humiliation ni d’aucune grâce. C’est elle qui me l’a raconté.

1318* Voir la description de la « grande confusion et humiliation » portée par l’âme lors du dépouillement de défauts naturels, qui figure dans les Justifications, XLVIII. Propriété, texte reproduit à la fin de cette réédition partielle du Commentaire au Cantique, dans « Appendice 2. Le dépouillement de défauts naturels, où l’âme porte une grande confusion et humiliation. ».

1319* Justifications. XLVIII. Propriété : Notez que j’ai dit dans la note précédente qu’elle est alors nécessitée de reprendre la vie active, c’est-à-dire que sa condition, ou des affaires imprévues, la jettent au-dehors ; et comme elle s’était retirée dans la solitude, se détachant avec peine des créatures, elle a bien de la peine d’y retourner. Cependant, si Dieu ne la jetait pas au-dehors par la nécessité de son état, elle ne serait point calomniée, parce qu’elle serait inconnue ; et elle ne sentirait point de nouvelles affections envers les créatures, parce qu’elle ne les verrait point : elle ne connaîtrait point assez sa faiblesse ni la dépendance où elle doit être de la grâce, reconnaissant qu’elle ne doit rien se promettre de soi-même, mais bien attendre tout de Dieu, se confier en Lui, se défier de soi, se haïr, se quitter. Enfin ces peines et ces douleurs ne sont point senties des personnes qui ne connaissent point Dieu, ni de celles qui se livrent à leur dérèglement : elles n’ont garde de ressentir de la douleur d’un mal auquel elles se livrent volontairement, éteignant en elles l’Esprit du Seigneur, et se livrant à toutes sortes de désordres, oubliant Dieu, et devenant la même malice ; plus elles vivent, plus elles sont mauvaises, au lieu que ces âmes ici, après avoir été tentées, purifiées et éprouvées, sont trouvées dignes, par leur fidélité inconnue et par leur extrême humiliation, d’être reçues en Dieu.

1320 Isa. 53.

1321* Justifications. XLVIII. Propriété. Il faut faire attention ici, parce que cela est de conséquence, que nous avons dit au commencement qu’il y avait une résistance volontaire, et que celle-là empêchait absolument l’opération purifiante de Dieu, parce qu’Il ne violente point la liberté de l’homme ; et qu’il y avait aussi une résistance naturelle, qui est bien dans la volonté, mais sans être volontaire ; que celle-ci est une répugnance extrême à sa destruction. Mais quelque répugnance que l’âme ait, et quelque révolte naturelle qu’elle sente pour sa destruction, Dieu ne laisse pas de le faire d’autorité, en vertu de la donation qu’elle lui a faite d’elle-même et de l’abandon total qu’elle n’a point rétracté et ne rétracte point non plus alors, sa volonté demeurant soumise et assujettie à Dieu, malgré la révolte des sentiments. C’est cet abandon, cette soumission de la volonté, qui ne réside que dans le plus profond d’elle-même, et qui est quelquefois fort inconnue à l’âme, que j’ai appelée le passage de la main de Dieu, parce que c’est ce qui donne lieu à son action en nous, à cause de notre liberté qu’Il ne violente point. Il faut nécessairement suivre ce passage ici, et l’établir sur ce fondement.

Aussi Justifications, I. Abandon. Consentement passif : Il faut pour expliquer ceci, faire attention que j’ai dit que Dieu ne demandait par un consentement actif pour l’ordinaire. Je l’ai dit dans le Moyen court, chapitre 24 nº 7, et il faudra prouver cela ailleurs. Mais lorsqu’Il le demande de quelques âmes, elles sentent des résistances étonnantes et une révolte entière de sentiments, quoique le fond de l’âme soit résigné.

1322* Justifications, XLVIII. Propriété : Lorsque je dit que Dieu explique Ses desseins, il ne faut pas croire que ce soit que Dieu lui montre en détail beaucoup de choses à renoncer et à sacrifier : non, ce n’est pas cela. Il faut remarquer que nous avons dit diverses fois qu’en Dieu, le dire est faire. Dieu n’explique ses desseins qu’en mettant l’âme dans le creuset des plus extrêmes épreuves, comme on le verra. Il l’a réduite au point de Lui sacrifier non seulement ce qu’elle a, mais tout ce qu’elle est, non seulement pour le temps, mais pour l’éternité. Et de quelle manière se fait ce sacrifice ? Par un désespoir absolu de tout elle-même, que le père Jaques de Jésus [Diego de Jésus, 1570-1621, carme premier éditeur de Jean de la Croix dont des notes et remarques suivent la traduction de 1641 par Cyprien] […] appelle un saint désespoir, parce qu’en faisant perdre tout appui à la créature en soi-même, il la fait entrer dans l’abandon entier entre les mains de Dieu. Car il faut savoir que plus nous désespérons nous-mêmes, plus nous espérons en Dieu, quoique non pas toujours d’une manière sensible ; plus nous perdons toute certitude en nous et toute foi appuyée, plus nous entrons dans la foi en Dieu, dénuée de tout appui ; plus nous nous haïssons, plus nous aimons Dieu. Tout ce que Dieu ôte à l’âme est la matière de son sacrifice. Mais le dernier sacrifice de tous, que j’appelle dans mes écrits sacrifice pur, est celui que l’âme fait lorsque, se sentant comme abandonnée de Dieu, d’elle-même et des créatures, elle dit à Dieu : Mon Dieu, pourquoi m’avez-vous abandonné [Mt 27, 46.] ; et ensuite elle ajoute avec Jésus-Christ [Lc 23, 46.] : Mon Dieu, je remets mon esprit entre vos mains. C’était proprement le sacrifice de tout Lui-même. Et c’est cette remise de tout soi-même pour le temps et l’éternité, que j’appelle dernier sacrifice ; après lequel Jésus-Christ dit [Jean 20, 30.] : Tout est consommé ; aussi tout se consomme par là dans l’âme.

1323 Justifications, XLVIII. Propriété. Toutes nos peines ne viennent que de nos résistances, et nos résistances de nos attaches : plus on se tourmente dans les peines, plus on les aigrit ; on les adoucit en s’y livrant toujours plus, et en se laissant dévorer intérieurement ; l’âme ne connaît ses liens qu’à mesure qu’on les lui rompt.

1324* Jb 19, 21. Comment. dans Justifications, XLVIII. Propriété. Pour bien comprendre ceci, il faut savoir que la main de Dieu est sa justice et sa toute-puissance. Lorsque l’Écriture dit : « Il appesantit sa main sur nous », c’est comme si elle disait : « Il nous fait sentir le poids de sa justice ». Ce toucher de la main de Dieu — car ce n’est qu’un toucher —, si c’était application de sa main, l’âme serait réduite en poudre. Il n’y a que Jésus-Christ qui ait porté le poids de la Justice. Aussi lorsqu’il est écrit de Lui, il est dit que Dieu a appesanti sur Lui la force de son bras : c’est la Sainte Vierge qui le dit : fecit potentiam[Lc 1, 51.]). Pour les créatures, il en n’est pas de même : celles qui souffrent le plus, comme Job, éprouvent et sentent seulement le toucher de cette main toute divine. Ce toucher, dis-je, est douloureux pour l’homme qui n’est pas encore purifié, et d’autant plus dur que Dieu a plus de desseins sur lui ; mais qu’elle est douce, cette divine main, pour celui qui n’est plus propriétaire ! C’est ce que le bienheureux Jean de la Croix exprime admirablement, lorsqu’il dit : Mignarde main, toucher flatteur, à présent qui ne m’êtes plus dure, et qui m’êtes d’autant plus douce que vous m’avez été cruelle. L’application de la main de Dieu est donc l’application de sa Justice.

1325 Sur l’épreuve de l’âme qui sent « une révolte extrême contre la souffrance » pendant sa résistance à Dieu, voir Justifications, XLVIII. Propriété, reproduit à la fin de cette section dans : « Appendice 3. Épreuve de l’âme pendant sa résistance à Dieu. ».

1326* Justifications, XLVIII. Propriété, ici dans « Appendice 4. Impureté spirituelle par résistance à l’abandon à Dieu. ».

1327 Dans l’Ordonnance XIV, Godet des Marais fait des coupures à sa façon en partant du verset 3 : « Pour les mépris qui m’arriveraient de la part des créatures, sans que je les eusse causés par ma faute, je m’en ferais un plaisir et une gloire, espérant que cela glorifierait mon Dieu et me ren­drait encore plus agréable à ses yeux. J’ai lavé et purifié mes affections de telle sorte qu’il n’y a rien dans moi qui ne soit tout à mon Bien-aimé, comment les souillerai-je encore par le commerce des créatures ? O pauvre aveugle, de quoi vous défendez-vous ? [coupure] Ah, que vous serez bien punie de votre résistance ! [coupure] Une âme de ce degré porte un fond de soumission à toutes les volontés de Dieu, de manière qu’elle ne voudrait rien lui refuser : mais lorsque Dieu explique ses desseins particuliers, et qu’usant des droits qu’Il a acquis sur elle, Il lui demande les derniers renoncements et les plus extrêmes sacrifices, ah ! c’est pour lors que toutes ses entrailles sont émues et qu’elle trouve bien de la peine [coupure signalée]. Combien êtes-Vous jaloux, ô divin Époux, que votre Amante fasse toutes vos volon­tés, puisqu’une simple excuse, qui paraît si juste, vous offense si fort ! Ne pouviez-vous pas empêcher une Épouse si chère et si fidèle de vous faire cette résistance ? [coupure] L’Époux permet cette faute dans son Épouse, afin de la punir, et de la purifier en même temps de l’attache qu’elle avait à sa pureté et à son innocence et de la répu­gnance qu’elle sentait au dépouillement de sa propre justice, car, quoiqu’elle sût bien que sa justice est à son Époux, néanmoins elle y avait de l’attache, et elle s’en appropriait quelque chose. »

1328* Ici une précision sur le sacrifice, consentement à la damnation, mais non au péché, bien différent de celui « de certaines créatures qui n’ont jamais eu d’intérieur » : Justifications, I. Abandon, ici dans « Appendice 5. Consentement à damnation et non à péché. ».

1329 Justifications, XLVIII. Propriétés : Cette ouverture est un abandon renouvelé, parce que la résistance l’ayant en quelque manière interrompu, il faut un renouvellement actif d’abandon ; et Dieu l’exige ainsi de l’âme : ce qui marque qu’elle avait été infidèle, puisqu’elle a besoin d’un retour actuel, et d’un renouvellement d’actes aperçus.

1330* Justifications, XLVIII. Propriétés : Ces ministres de la Justice de Dieu sont les diables, auxquels Dieu livre quelquefois ces âmes d’une manière autant douloureuse qu’affligeante. Cet état arrive quelquefois, surtout à celles qui ont varié dans leur abandon, et qui ont résisté à Dieu comme celle-ci. Cela, joint avec l’expérience de leurs misères, leur ôte l’appui qu’elles avaient en leur propre justice. Remarquez que j’ai toujours dit propre justice, c’est-à-dire l’appropriation qu’elles se faisaient de leur justice et de la fidélité qui forme un appui en soi. Il faut perdre ces choses pour être désappropriées, et n’avoir d’appui qu’en la Justice de Dieu. Elles perdent donc cet appui par l’incertitude où elles sont mises de leur salut, ce qui les fait entrer dans la Justice de Dieu, connaissant Son tout et leur rien, Sa toute-puissance et leurs faiblesses : ce qui les établit dans un abandon qui ne varie plus.

1331*Commentaire indigné dans Justification XLVIII. Propriétés : Il est aisé de voir que ces soldats sont une comparaison dont je me sers, parce que le texte le dit de la sorte ; mais non pas que j’ai jamais pensé ni voulu dire que cette Épouse s’était abandonnée à des soldats d’une manière infâme. Cela me paraît si grossier que je m’étonne comment on a pu le penser. Ces ministres, gardes ou soldats, sont donc les diables ; ce manteau qu’ils ôtent est l’assurance du salut, et l’appui en nos propres œuvres et notre propre justice. Les blessures qu’ils font, sont souvent bien réelles. J’ai connu une sainte fille, examinée exactement par un saint évêque à qui le diable avait fait à la mamelle droite une plaie large de trois doigts, qu’il lui fallait panser avec d’extrêmes douleurs. J’en ai connu plusieurs de cette sorte. Il y en avait une dans le diocèse de Sens, conduite par Mgr Octave de Bellegarde, pour lors archevêque de Sens : le diable lui cassa le bras, Mgr l’archevêque lui défendit de lui toucher davantage ; il lui fit plus rien depuis. La vie de cette religieuse est imprimée, et je l’ai su plus particulièrement d’une religieuse fort âgée, qui était alors la supérieure. Le père Raveno, jésuite, rapporte la même chose, et de beaucoup plus étonnantes, dans la vie de la Mère de Saint Augustin, religieuse en Canada.

1332 Coupures dans Ordonnance, Godet des Marais, XV : « [v.6] L’Époux ne laisse à cette Amante affligée que la plaie qu’il lui a faite, la peine de sa faute, et la saleté qu’elle croit avoir contractée [coupure] Épouse infortunée, jamais il ne vous était arrivé rien de pareil […] Au prix de ce qui vous reste à souffrir, ce que vous avez souffert avec lui n’était que des ombres de souffrances [coupure]. Cette âme se trouve battue et blessée de tous ceux qui gardent la ville. […] Si vous continuez encore de cher­cher votre Bien-aimé, l’on dira que vous êtes folle de vous pré­senter à lui de la sorte. »

1333 Rt (Ruth) 1, 20.

1334 Ordonnance, Godet des Marais, XVI : [v.8] « Le véritable amour n’a point d’yeux pour se regarder soi­-même. Cette Amante affligée oublie ses blessures, quoiqu’elles saignent encore ; elle ne se souvient plus de sa perte : elle n’en parle pas même… [saut signalé ; fin du v.9 :] et quand elle se verrait précipitée dans l’abîme, […] elle ne pourrait pas y penser. »

1335 Mt 3, 17.

1336 Ps 44.

1337 Sg 7, 26.

1338 Ps 21, 6 : Mais pour moi, je suis un ver de terre, et non un homme ; je suis l’opprobre des hommes, et le rebut du peuple (Sacy).

1339 Col 21, 3.

1340 I Co 19, 24.

1341 Ac 2, 3.

1342 Rm 8, 29.

1343 Gn 49, 26.

1344 Ag (Aggée) 2, 28.

1345* Justifications, X. Consistance : Partout où je parle d’état permanent, je ne prétends pas parler d’une incapacité absolue de pécher, mais par rapport aux vicissitudes passées et à la difficulté des chutes, qui vient de ce que l’âme a contracté l’habitude d’être tournée à Dieu, d’être en Dieu, de ne se plus regarder soi-même ni les créatures, source de péché. Dieu la tient en Lui, la serre par l’attention amoureuse sans attention, ou, pour parler juste, Il la tient cachée avec Jésus-Christ en Lui-même.

1346 I Co 9, 1.

1347 Galaad est une région montagneuse fortement boisée, une condition idéale pour les animaux de pâturage.

1348 Ordonnance, Godet des Marais, LX : « Dès les premiers absorbe­ments, l’âme n’a qu’une vue de soi confuse et générale de Dieu en Lui, sans distinction d’attributs ni de perfections. »

1349 Ordonnance, Godet des Marais, LVI : « Ici l’âme ne doit plus et ne peut plus faire de distinc­tion de Dieu et d’elle : Dieu est elle et elle est Dieu. »

1350 Gn 2, 24.

1351 I Co 6,17.

1352 Ct 4, 12.

1353 Ct 8, 6.

1354 Mc 14, 27.

1355* Justifications X. Consistance : Il faut faire attention qu’il est dit dans ces versets, que l’âme se perfectionne : ce qui fait voir que je n’entends pas que la consistance soit pour l’état de grâce qui exclut l’avancement et le mérite, quoique il soit comme moralement impossible qu’une telle âme soit rejetée, et qu’elle soit amie et ennemie. Si Dieu conserve avec tant de bonté ceux qui sincèrement ne veulent plus L’offenser, comment ne conserverait-Il par son épouse qui est entièrement à Lui, qui s’est séparée de toutes les créatures et d’elle-même pour Son amour, qui ne s’oublie que pour penser à Lui, qui ne se quittent que pour passer en Lui par un amour autant réel qu’il est pur. Ce qui ferait tomber notre épouse, ce serait le propre regard et la propre complaisance ; c’est pourquoi son Époux lui ôte toute réflexion sur soi, et Il ne lui permet pas de se regarder le moins du monde. La consistance est par rapport aux vicissitudes passées et aux unions passagères ou des puissances.

1356 Passage obscur qui rend les traducteurs perplexes. Mt 1, 4 : « Aram engendra Aminadab, Aminadab engendra Naasson… » Le quadrige d’Aminadab est représenté dans la verrière de Saint-Denis.

1357 Ordonnance, Godet des Marais, XVII : « [v. 10 :] Cette âme (plus avancée) n’est pas si bien établie dans son état en Dieu, […] cela ne paraissait-il pas très juste et très raisonnable ? [coupure signalée] Je le faisais, dit-elle, sans y penser et sans croire faire mal ni déplaire à mon Époux. Cependant je n’ai pas plutôt fait cette faute que mon âme a été troublée [coupure de quelques mots] par mille et mille réflexions qui roulaient dans ma tête, comme autant de malheureux chariots qui m’allaient perdre. »

1358* Justifications VIII. Communication : Ces effets se ressentent à cause que Dieu habite dans cette âme. Comme on voit un fer touché de l’aimant attirer d’autres fers, aussi une âme en qui Dieu habite de la sorte, attire les autres âmes par une vertu secrète, de sorte qu’il suffit de l’approcher pour être mis en oraison et en recueillement ; c’est ce qui fait que sitôt qu’on s’approche d’elle, on a plus envie de se taire que de parler, et Dieu se sert de ce moyen pour se communiquer aux âmes, marque de la pureté de ces unions et affections.

1359* Justifications X. Consistance : Ceci s’entend que si, lorsqu’elle devait être toute passive, elle eût agi, ç’aurait été un défaut, parce qu’elle aurait empêché l’action de Dieu ; elle eut été active de sa propre activité, et Dieu la voulait toute passive pour la faire mourir à sa propre action. À présent, à force d’être passive, elle est devenue en la main de Dieu, comme une cire molle ou un instrument sans résistance, dont Dieu fait ce qui Lui plaît, et donc passivement agissante, parce qu’elle ne se remue point par elle-même, mais elle se laisse mouvoir au Saint-Esprit par une motion aussi pure que suavement amoureuse : toute vraie passiveté en doit venir là, et c’est sa consommation.

1360* Justifications XX. Extase (voir aussi le Traité des Torrents, I, 9, § 27 ; et la Vie, I, 9) : Pour entendre cette proposition, il faut savoir qu’il y a de deux sortes d’extase : l’une qui est passagère et dans les puissances, qui paraît au-dehors ; et l’autre qui se fait par anéantissement et sortie de soi pour passer en Dieu, et celle-là est durable et permanente. C’est de la première que j’ai voulu parler, lorsque j’ai dit que cet état est au-dessus des extases.

1361 Justifications X. Consistance : Il faut remarquer que plus on aime et connaît Dieu (ici la connaissance paraît venir de l’amour et non l’amour de la connaissance) plus on se connaît et se hait, se fuit et enfin se quitte. La plus forte preuve qu’on se hait, c’est de se quitter soi-même ; et c’est la solide humilité.

1362 Ap 3, 7.

1363 Ap 5, 2.

1364* Justifications X. Consistance : On peut assez remarquer par ce qui est avancé, que je n’entends pas que dans l’état stable, on ne puisse plus pécher en rigueur ni qu’on ne puisse plus mériter. La consistance est donc par rapport aux vicissitudes passées et à une stabilité du fond qui ne varie plus. C’est le propre de l’âme, qui n’est point senti ; c’est un repos au-dessus du sentiment, différent de la paix goûtée, c’est proprement un non-trouble, quoique souvent Dieu le fasse rejaillir sur les sens avec grandes délices. Jean de la Croix l’appelle « trois fois paix ».

1365* Justifications XXIII. Foi nue : Il est parlé dans tous les écrits de cet état de foi, soit de la foi nue, soit de la foi savoureuse, car j’ai appelé ainsi un goût confus et général, une expérience savoureuse de Dieu sans distinction d’attributs. J’ai nommé foi nue et obscure tout le temps de la purification, où cette foi n’ayant plus ni lumière ni chaleur, est très douloureuse pour l’âme : non qu’elle soit plus obscure en elle-même, mais c’est à cause de l’impureté de la créature qui, comme un hibou ou un œil malade, ne saurait porter son éclat, de sorte que Dieu, lumière béatifique, est un tourment infini à l’âme propriétaire et souillée de taches. Cette foi est donc très obscure, parce que l’on ne distingue rien à sa faveur et qu’elle lui fait fermer les yeux, sa lumière leur étant insupportable. Il y a un très grand rapport entre cet état et celui de nudité et celui de purification. Je ne parle pas de la foi infuse au baptême, tout chrétien l’a ; mais de cet esprit de foi qui fait l’intérieur, quoique ce soit la même foi en nature, mais différentes en ses effets, et en ce que celle-ci n’est jamais sans la charité : c’est cette foi, fruit du Saint-Esprit, que je crois.

1366 Es 29, 13.

1367 Rm 9, 3.

1368* L’Appendice 1. Sur l’amour pur qui suit immédiatement ci-dessous la fin du Cantique reproduit l’Explication de Mme Guyon qui, dans la clé XV Non-désir des Justifications, suit ses citations du Cantique et précède les Autorités (c’est un rare cas où le commentaire de Mme Guyon fait partie du texte principal et non des notes de l’édition Dutoit). Nous reproduisons les italiques de son premier paragraphe donné en gros corps. Cette Explication inclut la très belle lettre adressée à Bossuet : « Qu’il est aisé de concevoir qu’une personne qui met son bonheur en Dieu seul ne peut plus désirer son propre bonheur… ».

1369 Justification XLVIII. Propriété, Commentaire au Cantique, V, 3 : « Je me suis dépouillée, comment me revêtirai-je ? J’ai lavé mes pieds, comment les salirai-je ? »

1370 Justification XLVIII. Propriété, autre commentaire au Cantique, V, même verset 3. Ces appendices sont liés, l’ensemble forme un commentaire complet aux versets 3 à 6.

1371 Justification XLVIII. Propriété, Troisième commentaire au Cantique, V, même verset 3.

1372 Justifications I. Abandon. Commentaire au Cantique, Chap. V : « J’ai déverrouillé ma porte pour ouvrir à mon Bien-aimé […] Je l’ai cherché et je ne l’ai point trouvé, je l’ai appelé et il ne m’a pas répondu. » (verset 6).

1373 syndérèse : reproche qu’adresse la conscience.

1374 béhémoth, behémot : le Bestial, le diable.

1375Je reprends les pages 29 à 71 de cette édition revue sur l’original manuscrit des Archives Saint-Sulpice par celle qui m’a précédé dans la remise en valeur des écrits de Madame Guyon. Texte et notes alternées.

13761720, 1790 accessibles sous Google Books, 1978 édité par Olms avec une intéressante Introduction de Jean Orcibal.


1377Voici la table des contenus des deux tomes paginés de [1) à [560] :

Le Moyen court [1] à [78]

Lettre de Jean Falconi [79] à [93] et « Remarques faites par l’Auteur d’une traduction italienne de cete même lettre » [93] à [95],

« Les Avis for utiles… donnés par S. François de Sales à la très digne Mère de Chantal » [96] à [100],

la table du Moyen Court [101] à [106],

« La Courte Apologie pour le Moien Court » [107] à [128],

« Les Torrens… »[129] à [278]

« Traité… Purgatoire » [279] à [314]… non encore repris !

« Petit Abrégé » [315] à [348]

« Règle des Associés à l’Enfance de Jésus » [349] à [404]

« Instruction chrétienne… » [405] à [442]

« Brève Instruction… dans une lettre du P. François La Combe et ses Maximes spirituelles » [443] à [534]

« Table des matières principales de ces Opuscules » [535] à [560]


1378Madame Guyon Le Moyen court et autres récits…, Texte établi et présenté par Marie-Louise Gondal, Grenoble, Millon, 1995.

1379Cette édition 2020.

1380(1) angoisse dominée de la dame marquée par Corneille plutôt que par Racine, éducation de jeunesse oblige ; volonté de « positiver » au service de quelques rares disciples (2) souligner qu’entre 1706 (installation en ville à Blois) et 1717 (décès), la vieille dame est surveillée : sa fortune en divers cercles étrangers ne viendra qu’ensuite. (3) l’amour prime, c’est vraiment l’école du Cœur sans reculer devant telle mièvrerie adaptée au goût des simples , assez visible dans les Emblèmes tardifs de l’édition Dutoit — malheureusement les seuls largement repérés voir appréciés dans les cercles guyonniens. (3) titres trompeurs peut-être issus du protestant Poiret où Dieu remplace le « petit maître ». (4) étude thématique à entreprendre. (5) je suis Poiret 1722 (mon édition) en pagination ; je constate la parfaite identité observée par Dutoit seul présent pour tous les tomes sur GoogleBooks.



1381Références :


vol.1 1790

https://books.google.fr/books?id=WEoPAAAAIAAJetprintsec=frontcoveretdq=editions:8gIngdiuYqUCethl=fretsa=Xetved=0ahUKEwi6rYW1jr7mAhXbPsAKHZQNCs4Q6AEINzAC#v=onepageetqetf=false

https://books.google.fr/books?id=JuIUAAAAQAAJetprintsec=frontcoveretdq=editions:8gIngdiuYqUCethl=fretsa=Xetved=0ahUKEwi6rYW1jr7mAhXbPsAKHZQNCs4Q6AEIPjAD#v=onepageetqetf=false


vol.2 1790

https://books.google.fr/books?id=N-IUAAAAQAAJetprintsec=frontcoverethl=fretsource=gbs_ge_summary_retcad=0#v=onepageetqetf=false


vol.3 1722

https://books.google.fr/books?id=CNg7AAAAcAAJetprintsec=frontcoveretdq=editions:8gIngdiuYqUCethl=fretsa=Xetved=0ahUKEwi6rYW1jr7mAhXbPsAKHZQNCs4Q6AEIKTAA#v=onepageetqetf=false


vol.3 1790

https://books.google.fr/books?id=pMcPAAAAIAAJetprintsec=frontcoveretdq=editions:8gIngdiuYqUCethl=fretsa=Xetved=0ahUKEwi6rYW1jr7mAhXbPsAKHZQNCs4Q6AEIaDAJ#v=onepageetqetf=false


vol.4 1790

https://books.google.fr/books?id=51JlAAAAcAAJetprintsec=frontcoveretdq=editions:8gIngdiuYqUCethl=fretsa=Xetved=0ahUKEwi6rYW1jr7mAhXbPsAKHZQNCs4Q6AEIMDAB#v=onepageetqetf=false


L’âme amante 1790

https://books.google.fr/books?id=DsUPAAAAIAAJetprintsec=frontcoverethl=fretsource=gbs_ge_summary_retcad=0#v=onepageetqetf=false


1382Reprise de : Madame Guyon, Oeuvres mystiques, Champion, 2008, 763-777.

1383 Madame Guyon fut enfermée huit mois à la Visitation Saint-Antoine en 1688, puis six mois à la Visitation de Meaux en 1695, enfin de façon continue de la fin décembre 1695 à mars 1703, passant dix mois à Vincennes, vingt mois à Vaugirard, quatre ans et neuf mois à la Bastille. Au total, sur la période « parisienne », les 8,4 années d’emprisonnements l’emportent sur les 7,8 années passées en liberté. Elle témoigne ainsi de terribles conditions et pressions psychologiques dans son Récit des prisons (notre quatrième partie de La vie…, 881sq.), chap. 4, § 6 : « Alors le P. Martineau me dit : “Je n’ai de pouvoir de vous confesser qu’en cas que vous alliez mourir tout à l’heure.” Je lui dis que, s’il me prenait quelques nouvelles syncopes, je ne serais plus en état de me confesser et qu’ainsi je mourrais sans confession. »

Sur la présence d’un « mouton », technique utilisée de tout temps pour obtenir des informations : « J’avais toujours cette femme qui épiait mes paroles et toutes choses, croyant faire fortune par là. Une de mes femmes m’envoya, par Desgrez, un bonnet piqué qu’elle avait fait. Cette femme le décousit. Il y avait un billet écrit de son sang, n’ayant pas d’encre, et elle me mandait, dans un petit morceau que j’y trouvai encore, qu’elle serait toujours à moi malgré ce qu’on lui pouvait faire. Elle le prit encore et donna le tout à M. du Junca. »

1384 « Deuxième chambre de la tour du Trésor » (Journal de M. Du Junca, Ravaisson, IX, p. 67) soit un « appartement » obscur, car on pouvait difficilement y lire compte tenu de l’épaisseur des murs (1,5 m.) combinée à l’étroitesse des ouvertures, d’une surface intérieure que nous évaluons à 30 min 2 s. Vivaient là : la prisonnière avec au moins une personne de compagnie (une servante aimée de Mme Guyon, qui, trop fidèle, sera remplacée par des « moutons » successifs). Par ailleurs les archives de la Bastille renseignent sur ce qui tenait lieu de chauffage aux prisonniers, notamment pendant le terrible hiver de 1709 : « [G. Gerberon] a repris une partie de ses forces qu’il conserve par le secours de deux ou trois bouteilles de vin qu’il boit tous les jours » Philippe Lenain, Dom Gabriel Gerberon…, Septentrion, 1997, pp. 167 et 168 (voir ses notes 1192 et 1185). Elles renseignent aussi sur les conditions à Vincennes, selon le récit qu’en fit en 1710, dans trois lettres écrites du monastère de Saint Florent de Saumur, un bénédictin prisonnier, Dom Thierry de Viaixnes : « il n’y a rien qu’on n’emploie, les faux actes, les calomnies, les interrogatoires falsifiés ou supposés… même quelquefois d’autres prisonniers gagnés et corrompus. » Le même continue : « C’est un usage qu’on a tiré d’Italie… Il consiste dans l’infection de tous les aliments qu’on donne aux prisonniers sans exception et même du linge… de tout ce qui est à leur usage, et cela particulièrement par le sel végétal, le soufre, l’ail, le pavot et autres drogues qu’on emploie pour faire perdre la mémoire aux prisonniers… pour les faire parler pendant qu’ils dorment la nuit… Ces ingrédients bien ménagés empêchent quantité de maux et surtout la fièvre, ils entretiennent nets et sans vermines, mais ils attaquent le cerveau d’une manière inexprimable. On en augmente et diminue les doses selon les différentes situations où on veut mettre le prisonnier ». Mme Guyon rapporte de son côté le service rendu par un médecin charitable qui la prévient à mi-voix de ne pas prendre un remède proposé (probablement un opiat).

1385 Ms. 2057, pièce 34°.

1386 Sur cette seconde série de tortures morales, dans son Récit des prisons, 4,6, Mme Guyon témoigne ainsi : « Sitôt que je pus me tenir debout [en équilibre] dans une chaise, M. d’Argenson vint m’interroger. Il était si prévenu et avait tant de fureur que je n’avais jamais rien vu de pareil. […] J’avais résolu de ne rien répondre. Comme il vit en effet [que] je ne lui répondais rien, il se mit dans une furieuse colère et me dit qu’il avait ordre du roi de me faire répondre. […] On commença, quoique je fusse très faible, un interrogatoire de huit heures sur ce que j’avais fait depuis l’âge de quinze ans jusqu’alors, qui j’avais vu, et qui m’avait servie. Ces trois articles furent le sujet de plus de vingt interrogatoires, chacun de plusieurs heures […] rien ne m’a jamais tant fait souffrir que ces interrogatoires où, sûre de dire la vérité, je la disais, mais je craignais de ne la pas dire assez exactement, faute de mémoire. Les tours malins que l’on donnait à tout et aux réponses les plus justes, ne les rendant jamais ni dans les termes, ni dans le sens, sont des choses qui ne se peuvent exprimer. » D’Argenson est décrit ainsi par Saint-Simon : « Avec une figure effrayante qui retraçait celle des trois juges des enfers, il s’égayait de tout avec supériorité d’esprit. [Il avait] un discernement exquis pour appesantir et alléger sa main, penchant toujours aux partis les plus doux, avec l’art de faire trembler les plus innocents devant lui. ».

1387 Lettres 365 et 366 à la Reynie, 5 au12 avril 1696, Correspondance, II Combats, 516-517.

1388On en retrouvera certains dans la collecte de “Poésies spirituelles” qui suit ce choix, tomes présentés présentés par l’éditeur Poiret.

1389 A.S.S. pièce 2057, section 23° (voir sources manuscrites décrites dans le texte principal). Reproduit dans : Vie par elle-même, Champion-Slatkine, 2001, « Cantique V », p. 1041. La pièce est écrite dans un fascicule de tout petit format pour pouvoir le cacher et écrit très serré par manque de papier.

1390 A.S.S. pièce 2057, section 39°. Extrait du cantique intercalé entre des passages rétablis dans la Vie… dont le fameux texte décrivant la rencontre avec Fénelon. — En marge du poème figure un autographe de Mme Guyon (alors que le texte lui-même est une copie) : « ce sont des vers fais (sic) dans ma prison » (souligné deux fois). — Reproduit dans : Vie…, op.cit., « Cantique VI », p.1042.

1391 A.S.-S., pièce 2057, section 34°, f° 280r° à 303°, ensemble de très petit format, partiellement autographe, écrit très serré à partir du f° 286.

1392 Ce poème qui ne traduit pas la déréliction fut édité fidèlement : Poésies et cantiques, Tome I , XXII, « Il ensemence et rend l’esprit fécond. »

1393 L’enfance des débuts de la vie spirituelle.

1394 Madame Guyon, Correspondance I Directions spirituelles, Lettre n° 370 adressée au marquis de Fénelon (1716 ?). « Le boiteux » est le surnom affectueux donné à Gabriel-Jacques de Salignac de La Mothe, marquis de Fénelon, qui reçut une grave blessure le 31 août 1711 au siège de Landrecies, lors de l’enlèvement du camp ennemi.

1395 Vol. 1, Cantique 3, p. 4 : Le Tout de Dieu et le Rien de l’homme. Sur l’air de : La jeune Iris me fait aimer ses chaînes !

1396 Vol. 1, Cantique 8, p. 12 : Les dons de Dieu doivent retourner à lui. Sur l’air de : Léandre ; ou : Dirai-je mon Confiteor…

1397 Vol. 1, Cantique 23, p. 34 : La vraie pauvreté d’esprit. Sur l’air de : Je ne veux de Tirsis.

1398 Vol. 4, Sect. II, Ct 79 : Dieu seul est tout en l’âme anéantie. Sur l’air de : Joconde, ou : Seigneur ! Vous avez bien voulu.

1399 Madame Guyon, Récits de captivité, op.cit.,  « XV —Le Tourbillon, n° 62 ». Sur l’air de : Celui qui m’a soumise.

1400 Vol. 1, Ct 73 : Extase de la volonté. Sur l’air de : Mon cher troupeau : ou, Réveillez-vous.

1401 Vol. 4, Sect. IV, Poème 14, p. 160 : Vie heureuse d’une âme abandonnée et per­due en Dieu.

1402 Vol. 1, Ct 46, p. 73 : Extase de la volonté. Sur l’air de : Mon cher troupeau : ou, Réveillez-vous.

1403 Vol. 1, Ct 156, p. 253 : Suivre Dieu sans savoir où. Sur l’air de : On ne vit plus dans nos forêts.

1404 Vol. 3, Ct 43 : Loi du divin amour. Sur l’air de : Le beau berger Tirsis.

1405 Vol. 3, Ct 58 : Les états de Jésus-Christ portés par les âmes fidèles… Sur l’air de : Les folies d’Espagne.

1406 Vol. 1, Ct 175, p. 285 : Tranquille douceur de l’amour divin en une âme ressuscitée. Sur l’air de : La jeune Iris.

1407 Vol. 3, Ct 156, p. 228 : Amour pur insensible. Sur l’air de : La jeune Iris.

1408 Vol. 4, Sect. IV, Poème 13 : …Pauvreté abondante d’une âme ressuscitée avec lui [Jésus-Christ].

1409 Vol. 1, Cantique 122, p. 199 : Nature et effets d’un abandon véritable… Sur l’air de : L’éclat de vos vertus.

1410 Vol. 1, Ct p.172 : Nuit effroyable de l’esprit. Sur l’air de : Hélas ! Brunette.

1411 Vol. 1, Ct 32, p. 49 : Bonheur de l'anéantissement. Sur l’air de : Songes agréables.

1412 Vol. 3, Ct 141, p. 206 : Heureuse perte en Dieu. Sur l’air de : La bergère Célimène.


1413En-tête commun aux quatre tomes justifiant le terme « poésie ».

1414Ou : Les biens créés ne les terminent. P.

1415NDE après le début, §§§ = utile autobiographie de la mystique.

1416Ps 138, vs. 11.

1417Transmission !

1418Autrement : Tout se commence en nous par la pure onction. P.

1419La Vie par elle-même, Honoré Champion, 1006-1007. — Les cantiques sont précédés du nom des airs : ils n’ont rien de religieux.

1420

L’ÂME AMANTE DE SON DIEU, REPRÉSENTÉE DANS LES

EMBLÈMES DE HERMANNUS HUGO,

ET DANS CEUX D’OTHON VAENIUS SUR L’AMOUR DIVIN.

Avec des Figures nouvelles, accompagnées de Fers qui en font l’application aux dispositions les plus essentielles de la Vie intérieure.

PAR MADAME J. M. B. DE LA MOTHE-GUYON.

Nouvelle Édition, conidérablement augmentée.

À PARIS, Chez les LIBRAIRES ASSOCIÉS.

M. D C C. X C.

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