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Copyright 2020 Dominique Tronc

1. A FÉNELON

Madame Guyon XII Discours Chrétiens et spirituels











Madame GUYON





Discours Chrétiens et Spirituels sur divers sujets qui regardent la vie intérieure





Présentés par

Murielle et Dominique Tronc



Opus « Madame Guyon »


Quinze ouvrages




Madame Guyon Oeuvres mystiques choisies


I Vie par elle-même I & II. – Témoignages de jeunesse.
II Explication choisies des Écritures.

III Oeuvres mystiques (Opuscules spirituels choisis).

IV Correspondance I. Madame Guyon dirigée par Bertot puis Directrice de Fénelon.

V Correspondance II. Autres directions - Lettres jusqu’à la fin juillet 1694.

VI Les Justifications. Clés 1 à 44.

VII Les Justifications. Clés 45 à 67 - Pères de l’Église.

VIII Vie par elle-même III. – Prisons – Compléments – pièces de procès.

IX Correspondance III. Du procès d’Issy aux prisons.
X Correspondance IV. Chemins mystiques.
XI Années d’épreuves Emprisonnements et interrogatoires – Décennie à Blois.
XII Discours Chrétiens et Spirituels sur divers sujets qui regardent la vie intérieure.


Éléments biographiques, Témoignages, Etudes.
Indexes et Tables.

Avertissement

Ces opuscules expriment l’enseignement vivant de Madame Guyon distribué au sein du cercle des disciples « cis » proches. Ils sont souvent plus révélateurs que des textes qui s’adressaient à un cercle élargi tels ceux du Moyen court ou des Torrents.

Les 156 opuscules rassemblés par les membres du cercle de Blois furent édités par le disciple « trans » Poiret sous le titre peu révélateur de Discours chrétiens et spirituels […] afin d’éviter toute récrimination d’un contributeur qui s’estimerait oublié1.

Ces écrits expriment une forte autorité, paisible et sans illusion, comparable aux dernières pages de la Vie.







Introduction.

Des Discours ?

Ce volume reprend les opuscules rassemblés et publiés au XVIIIe siècle par l’éditeur et pasteur Pierre Poiret sous le titre de Discours Chrétiens et Spirituels sur divers sujets qui regardent la vie intérieure…[1716], comportant 140 pièces, ainsi que ce qui apparaît comme une conclusion (sous forme de Discours complémentaires) attachée au quatrième volume des Lettres chrétiennes et spirituelles sur divers sujets qui regardent la vie intérieure ou l’esprit du vrai christianisme [1718] comportant 16 pièces 2. La description détaillée d’une partie de ces sources est donnée à la fin de ce volume. L’édition eut lieu en Hollande 3 où vivait Poiret. Ce pasteur et éditeur découvrit, s’intéressa et rechercha l’œuvre de Madame Guyon dès 1704 où il publia pour la première fois une partie de ses Torrents. 4.

Ces opuscules expriment l’enseignement vivant de Mme Guyon (1648-1717) distribué dans le cercle de ses disciples proches. Ils sont souvent plus révélateurs que des textes qui s’adressent à un cercle élargi tels que le Moyen court 5 ou les Torrents. Sans recourir à de larges développements lyriques, ils décrivent l’expérience intérieure à partir de laquelle madame Guyon établit son autorité. Ils furent appréciés des spirituels de l’époque, mais ne furent jamais réédités depuis le XVIIIe siècle, en partie parce que le choix d’un titre aussi banal rendait mal compte de leur contenu. Ces textes distribués au sein de bibliothèques privées sont devenus des plus rares et ne furent longtemps accessibles que dans quelques bibliothèques 6.

Il s’agit de textes de direction écrits dans des conditions très diverses mais qui s’adressent toujours à un aspirant à la vie intérieure, assez souvent sous la forme d’une lettre. Dans ce dernier cas, Poiret en a retiré les aspects personnels afin de voiler l’identité d’un destinataire encore vivant ou très récemment disparu. Ceci explique l’absence de plan général : il ne s’agit pas de « chapitres » d’une œuvre construite.

On sera cependant attentif à un regroupement selon des « zones » successives traversées par les itinérants intérieurs auxquels s’adressent ces Discours. Nous les reprenons en suivant le plan de Poiret disciple apprécié de Mme Guyon. Ses regroupements renforcent notre perception de répétitions, mais celles-ci s’avèrent peu gênantes : telles des facettes multiples à travers lesquelles se perçoit une même lumière profonde, des textes similaires quant à leur objet tiennent compte de la variété des besoins personnels comme de la diversité des chemins possibles 7.

La majorité de ces écrits furent rassemblés à la fin de la vie de Mme Guyon, période paisible où, sortie de prison mais sous surveillance après la condamnation du quiétisme, elle a pu faire venir près d’elle quelques disciples et correspondre avec beaucoup d’autres. Très certainement avec son accord, 140 de ces 156 textes furent édités en 1716, un an avant sa mort en 1717. Elle n’a probablement pas eu le temps de revoir à Blois les manuscrits aujourd’hui disparus utilisés par Poiret à Rijnsburg près d’Amsterdam 8. Les 16 textes édités en 1718 à la fin des volumes rassemblent une fraction de sa correspondance apparaissent par contre comme un supplément rassemblé post-mortem sans le contrôle de leur auteur.

En général tous ces écrits expriment une très forte autorité, toutefois paisible et sans illusion, comparable à celle des dernières pages autobiographiques écrites en 1709. Un dialogue permanent avec l’Ancien et le Nouveau Testament supplée à l’absence de théories théologiques. Ce dialogue est distinct des Explications très abondantes de 1684 9 et nous paraît constituer un approfondissement d’une interprétation toute mystique. Ces deux indices nous font attribuer une majorité des Discours aux dernières années et les rendent ainsi très précieux. Toutefois certains sont plus anciens, telles des lettres adressées à Fénelon, mais dès 1689 la maturité intérieure était assez grande chez cette femme de 41 ans pour justifier leur publication en 1716.

Ces écrits sont rassemblés dans la perspective d’une disparition prochaine de leur auteur comme de son cercle d’amis français et étrangers, afin de fournir à une nouvelle génération de disciples les traces écrites d’une direction spirituelle qui fut vivante. Rappelons que le duc de Chevreuse est mort en 1712 et Fénelon en janvier 1714. L’éditeur et disciple Poiret va disparaître en 1719. C’est ici toute une génération qui s’efface pour être remplacée par des disciples français, écossais, hollandais et suisses.

Poiret et ses amis ont donc édité un témoignage sobre et sûr, rempli d’admirables descriptions d’états. Il traduit le courant qui relie à plus d’un siècle d’écart Jean de Bernières à Jean-Pierre de Caussade et d’autres par l’intermédiaire de monsieur Bertot et de madame Guyon.

Une adaptation est nécessaire pour surmonter son étrangeté. On a en effet l’impression de toucher une autre rive, de voyager au cœur d’un continent inconnu plutôt que de cerner sa cartographie, ce qui serait le travail de géographes supposant des connaissances indirectes, par exemple théologiques. Il faut accepter les précisions apportées par l’exploratrice d’une terre nouvelle :

Car on doit plus croire à un seul qui dit, sans intention de mentir, qu’il a vu ou compris quelque chose, qu’on ne doit faire à mille autres qui le nient pour cela seul qu’ils ne l’ont pu voir ou comprendre : ainsi qu’en la découverte des antipodes on a plutôt cru au rapport de quelques matelots qui ont fait le tour de la terre qu’à des milliers de philosophes qui n’ont pas cru qu’elle fut ronde 10.

Ecrits souvent à l’intention d’un interlocuteur défini et personnellement connu, ils témoignent d’une expérience acquise « sur le terrain » et situé au-delà des frontières connues par l’ensemble des membres des structures religieuses, qui se plient nécessairement à des règles majoritaires de prudence, respectent des critères d’accord avec des développements théologiques, recherchent l’absence d’ambiguïté.

Mme Guyon est peu théoricienne, mais s’appuie solidement sur les traditions de l’Ecriture et des mystiques chrétiens. Elle y était remarquablement préparée par ses Explications (1684), commentaires des deux testaments bibliques, et par ses Justifications (1694), choix de textes d’auteurs mystiques qu’elle avait dû fournir à Bossuet pendant la querelle du quiétisme. Ces deux ensembles vastes témoignent d’une grande culture.

Toute impression d’étrangeté s’atténue lorsque l’on tient compte de textes mystiques antérieurs au XVIIe siècle qui courent parallèlement aux explicitations théologiques et se situent profondément au cœur du christianisme. Aussi, en notes aux Discours, nous citerons deux femmes : Hadewijch II, béguine du XIIIe siècle inspiratrice du grand Ruysbroeck, et Catherine de Gênes, veuve de la fin du XVe siècle dont les dits recueillis par ses proches furent très lus et admirés par les contemporains de madame Guyon. Elles abordent des sujets théologiquement sensibles parfois plus vigoureusement que ne se le permet Mme Guyon 11 !

Une certaine patience est requise du lecteur dans les ouvertures ou fermetures diffuses et dévotes probablement arrangées par l’éditeur de certains Discours. On tiendra aussi compte d’une progression intérieure, puisque nous suivons l’ordre « ascendant » adopté par ce dernier. Enfin la présente édition intégrale contient quelques pièces faibles dont l’origine pose un problème non résolu. 12.

Ces textes ont généralement une profondeur comparable à ceux qui nous sont parvenus de Ruysbroeck ou de Jean de la Croix, ce dernier très bien connu de Mme Guyon 13. Mais les témoignages de ces deux maîtres de la mystique furent retravaillés pour le premier et partiellement détruits pour le second. Et leur éloignement par le temps et par leurs états consacrés les vouant à des modes de vie particuliers est grand. Pour ces raisons, ce que nous lisons ici des écrits intimes de Mme Guyon se révèle unique et proche.

La finesse psychologique de la contemporaine de Racine permet de Démonter tous les pièges de l’amour propre. Certes les descriptions des effets de l’amour divin qui conduisent à la désappropriation prennent parfois un caractère rigoureux et abrupt. Il n’est toutefois « terrible 14 » que si l’on oublie l’aide de la grâce divine et la libération affirmée mais indescriptible.





Une vie courageuse.

La belle indépendance de Mme Guyon vis-à-vis des autorités de son temps fut rendue possible par le contact direct avec une réalité intime donnée par la grâce divine. Ceci entraîna de sa part une certaine indifférence vis-à-vis de la théologie provenant d’un handicap culturel féminin propre à son temps 15.

Cette certitude intérieure permet de comprendre sa tentative « naïve » d’influencer Bossuet, puis sa résistance opiniâtre lors des assauts de l’évêque de Meaux mis en face d’une expérience intérieure qui lui échappe. Cette autorité issue de l’expérience seule continue d’ailleurs de poser le problème sérieux de Madame Guyon par rapport à la pratique religieuse, surtout si l’on tient compte d’affirmations abruptes et incontournables portant sur la transmission, sur son rôle dans la direction intérieure, etc.

C’est par la condamnation de son disciple Fénelon que le Pape mit un terme à la querelle du « quiétisme ». Puis des Protestants l’admirèrent et la publièrent d’abord en Hollande, ensuite en Suisse. Tous ces faits rendirent difficile jusqu’à nos jours la reconnaissance de cette grande mystique dans le monde catholique qui constituait cependant son milieu naturel et auquel elle demeura fidèle. D’un autre côté elle demeura toujours « une dévote » aux yeux des esprits sceptiques du Siècle des Lumières luttant contre l’influence des Eglises. Sa propre influence resta souterraine et par là suspecte aux uns comme aux autres : il fallut attendre 1907 pour voir authentifiée sa correspondance de la direction de Fénelon ! Puis Henri Delacroix dès 1908, le philosophe Bergson, les historiens Henri Bremond et Louis Cognet la réhabilitèrent avant que l’on ne la réédite partiellement 16.

Mme Guyon eut une vie plongée « dans l’ordinaire » quotidien, ce qui nous la rend très proche. Née en 1648 et mariée à Montargis à l’âge de seize ans, elle devint veuve à vingt-huit ans après cinq grossesses dont survivront trois enfants jusqu’à l’âge adulte. Elle a déjà traversée une grande partie du chemin intérieur lorsqu’elle pense (avec ses conseillers religieux) qu’elle devait alors contribuer à l’évangélisation.

Aussi voyagea-t-elle cinq ans durant, à Thonon en Savoie, près de Turin en Piémont pendant presque une année, à Grenoble. Le succès rencontré dans cette entreprise suscita jalousies et oppositions ; mais son action féconde fut reconnue. Le Moyen court… en témoigne 17. Ainsi c’est une femme d’expérience qui revint en France et arriva à trente-huit ans à Paris, l’année précédant la condamnation de Molinos et de « quiétistes 18 » dont post-mortem le grand spirituel français Jean de Bernières auquel elle se rattache par le franciscain Archange Enguerrand, la supérieure bénédictine Geneviève Granger enfin et surtout par le confesseur du couvent de Montmartre Jacques Bertot.

Elle fut emprisonnée un peu moins d’une année puis délivrée sur l’intervention de Mme de Maintenon tentée momentanément par la vie mystique. Elle entreprit alors un apostolat à la Fondation des Demoiselles de Saint-Cyr que dirigeait alors sa cousine Mme de la Maisonfort et s’attacha de nombreux disciples, dont Fénelon et les ducs et duchesses de Chevreuse et Beauvillier sont les figures connues. Ils lui demeureront fidèles jusqu’à leur mort, c’est-à-dire durant près de trente ans.

Tombant en défaveur, elle tenta en vain de se réfugier dans l’isolement et le silence ; lorsqu’il s’avéra qu’elle était l’âme de la résistance à la normalisation anti-quiétiste, elle fut emprisonnée une seconde fois à quarante-huit ans, pour sept années et demie dont cinq en isolement à la Bastille. Elle en sortit à cinquante-cinq ans, sur un brancard.

Il lui restait encore quatorze années à vivre : elle les consacra à former des disciples catholiques et protestants, les ouvrant à la vie intérieure, ce dont témoignent les textes présentés ici et une correspondance qui devint européenne. Elle mourut en 1717, âgée de soixante-neuf ans.

Au nom de sa liberté intérieure, elle évita toute sa vie de se laisser embrigader par les autorités ecclésiastiques masculines : elle vécut une vie d’épouse et de mère de famille, géra sa fortune, refusa de devenir supérieure des Nouvelles Catholiques de Gex malgré les pressions de l’évêque in-partibus de Genève, voyagea, connut la Cour et ses mondanités, puis la prison. Mais elle resta toujours centrée sur sa vérité profonde comme en témoigne cette confidence au Duc de Chevreuse :

J’avais fait cinq vœux en ce pays-là [la Savoie]. Le premier de chasteté que j’avais déjà fait sitôt que je fus veuve, [le second] celui de pauvreté, c’est pourquoi je me suis dépouillée de tous mes biens - je n’ai jamais confié ceci à qui que ce soit. Le troisième d’une obéissance aveugle à l’extérieur à toutes les providences ou à ce qui me serait marqué par mes supérieurs ou directeurs, et au-dedans d’une totale dépendance de la grâce. Le quatrième, d’un attachement inviolable à la sainte Eglise. Le cinquième était un culte particulier à l’enfance de Jésus-Christ plus intérieur qu’extérieur 19.

Sa vie témoigne d’une incessante lutte pour garder cette voie personnelle inébranlable au milieu de la vie ordinaire et publique. Son témoignage peut conforter ceux qui sont exposés au doute sur l’existence même d’une Réalité intime, cause première et premier moteur, plus profonde et plus centrale que notre nature consciente et inconsciente, en amont des religions qui tentent d’en donner l’écho. En effet « l’hypothèse » divine n’est plus avancée de nos jours par les historiens qui s’efforcent de cerner le champ mystique. Ils recourent à des modèles d’explications psychologiques ou empruntés aux « sciences sociales » et tentent parallèlement d’accéder à une compréhension profonde par l’analyse du travail d’Ecriture. Inversement Bergson voyait dans le témoignage de Mme Guyon un invariant mystique, une preuve par universalité qui ne dépend pas du temps et des croyances religieuses.

Une mystique très pure, dégagée d’une gangue dévotionnelle, est exposée ici avec précision et finesse - et dans notre langue - ce qui facilite l’approche à travers les mots, quelque peu analogue au mode de perception poétique. Nous en soulignons maintenant quelques aspects.



Quelques thèmes.

Ils sont suggérés suivant une séquence analogue à « l’histoire » sous-tendant le texte des Torrents : la prière est indispensable sur le chemin qui, surmontant des obstacles par de précieuses qualités au travers d’une purification allant jusqu’à la nuit vécue dans la foi, trouve son terme apostolique en Dieu, permettant la communication.

On sera conscient de la durée très grande - plusieurs dizaines d’années - de la trajectoire ainsi mise en œuvre. Parfois des prises de conscience peuvent surgir brusquement : ainsi à dix-neuf ans, ne connaissant que la méditation et la prière vocale et cherchant vainement une voie intérieure satisfaisante, fit-elle la connaissance du franciscain Enguerrand qui lui répondit : « C’est, Madame, que vous cherchez au-dehors ce que vous avez au-dedans 20. », réponse dont l’efficacité la fit entrer brusquement dans la vie mystique. Puis cette évolution spirituelle se poursuivit sur toute la durée d’une longue vie. Afin d’en porter témoignage, celle-ci écrivit les opuscules des Discours et des rédactions successives de sa Vie par elle-même, mêlant intimement les événements de la vie concrète aux événements intérieurs incluant des résonances psychologiques propres à sa nature, tentant aussi d’en tirer des leçons dont elle pensait qu’un tiers pouvait tirer avantage. Ces trois composantes - vie extérieure, vie intérieure, enseignement - forment une tresse complexe parfois délicate à démêler.

Mais chez beaucoup de spirituels l’évolution reste inachevée. Ceci explique une confusion dans les termes mystiques utilisés par des observateurs qui superposent certains états à d’autres états analogues mais plus avancés d’un ou quelques tours, selon une comparaison imagée où le chemin est assimilé à une spirale ascendante plutôt qu’à une progression linéaire :

Ce ne sont donc point les mêmes degrés que l’on repasse, ce qui serait aussi difficile que de rentrer dans le ventre de sa mère, mais de nouveaux degrés, qui paraissent les mêmes…21.

Le parcours intérieur va au-delà des phénomènes propres aux débuts de la vie mystique, qui sont liés à la faiblesse de notre nature et qui sont rejetés ou du moins mis à leur place secondaire par l’ensemble des auteurs mystiques 22. Il dépasse la « voie de lumières 23 » pour aboutir parfois, après purification comportant éventuellement une nuit, à la foi nue, l’anéantissement en Dieu et parfois la vie apostolique.

Tout commence par la prière, « ce concours vital …pour adhérer à Dieu 24. » Mais comment le mettre en œuvre ?

Madame Guyon décrit une voie médiane qui ne fait pas appel à l’effort méditatif d’exercices spirituels (elle ne rejette cependant pas le recours à des moyens tels qu’une lecture introduisant doucement au recueillement) ; à l’opposé elle rejette une recherche « quiétiste » qui se satisferait d’un vide ponctuel obtenu par abstraction d’esprit. Car les exercices peuvent être utiles au commencement mais risquent ensuite d’enfermer le pratiquant dans leurs procédés ; et la recherche du vide peut conduire à une fausse paix de l’esprit, danger contre lequel Ruysbroeck mettait en garde :

On rencontre d’autres hommes qui... au moyen d’une sorte de vide, de dépouillement intérieur et d’affranchissement d’images, croient avoir découvert une manière d’être sans mode et s’y sont fixés sans l’amour de Dieu. Aussi pensent-ils être eux-mêmes Dieu ... Ils sont élevés à un état de non-savoir et d’absence de modes auxquels ils s’attachent ; et ils prennent cet être sans modes pour Dieu 25. »

Ces deux extrêmes des exercices prolongés ou de l’abstraction volontaire d’esprit ont en commun de privilégier l’effort. Ils risquent donc en pratique de ne plus reconnaître la primauté voire l’existence même du don de la grâce ! Au contraire, dans la voie d’amour :

On ne fait nul effort d’esprit pour s’abstraire; mais l’âme s’enfonçant de plus en plus dans l’amour, accoutume l’esprit à laisser tomber toutes les pensées ; non par effort ou raisonnement, mais cessant de les retenir, elles tombent d’elles-mêmes 26

Madame Guyon privilégie sur l’esprit le cœur, mais aussi la volonté au sens propre que leur prêtait son siècle :

L’esprit se lasse de penser, et le cœur ne se lasse jamais d’aimer. … il est impossible que l’action de l’esprit puisse durer continuellement : c’est de plus une action sèche, qui n’est bonne qu’autant qu’elle en procure une autre, qui est celle de la volonté. Concluons qu’il est plus utile pour nous, plus glorieux à Dieu, et même uniquement nécessaire, d’aller par la voie de la volonté 27

Dans l’état contemplatif ainsi établi peuvent se présenter phénomènes mystiques ou psychologiques, souvent sous la forme de représentations, d’images : au mieux, elles sont la coloration dépendant d’un contexte religieux ou culturel sous laquelle transparaît un travail profond de la grâce ; au pire, elles sont des illusions. Dans tous les cas, il faut s’en détourner :

Cette contemplation doit être nue et simple, parce qu’elle doit être pure. Tout ce qui la détermine, la termine et l’empêche … ne donne jamais la chose telle qu’elle est en soi, mais en image grossière, qui ne peut ressembler au simple et immense Tout. 28.

Ainsi, tandis que les illusions sont ainsi dénoncées conformément aux nombreuses mises en garde de Jean de la Croix, Mme Guyon se situe dans la tradition spirituelle qui remonte par Benoît de Canfield aux Rhéno-flamands :

L’élévation d’esprit qui se fait par ignorance, n’est autre chose que d’être mu immédiatement par l’ardeur d’amour, sans aucun miroir, ou aide des créatures, sans l’entremise d’aucune pensée précédente, et sans aucun mouvement présent d’entendement, afin que la seule affection puisse toucher, et que la connaissance spéculative ne puisse rien connaître en cet exercice d’esprit 29. »

Elle ajoute des descriptions précises, même si elles sont lyriques, du vécu intérieur, à un tel résumé « théorique » dense et sait définir clairement les termes mystiques correspondant aux divers états de prière ou oraison, tels qu’ils sont en usage à la fin du siècle, toujours par référence à l’expérience, distinguant comme on le verra en la lisant : oraison de simple regard, contemplation, oraison simple, oraison de foi, foi simple sans bornes ni mesures 30.

La Vie de Madame Guyon décrit une évolution qui naît au cœur de l’individu et le transforme sur la longue durée. Cette expérience est dite mystique parce qu’elle est intérieure et cachée mais elle ne se traduit par aucun refus des engagements dans la vie concrète visible et libère une énergie active considérable. On distingue, sans en faire système, trois étapes ou mieux grandes périodes :

En premier lieu, la découverte de l’intériorité permet une pacification progressive. Cette découverte s’accompagne d’événements intérieurs variés selon les tempéraments et l’environnement, brefs instants ou états pouvant durer des jours. Leur caractère extra ordinaire a toujours attiré une attention exagérée au détriment de la vie profonde. Manifestations secondaires souvent liées aux faiblesses d’une nature rencontrée par la grâce, elles sont cependant utiles pour confirmer le commençant dans sa voie. Elles élargissent sa vision en relativisant l’importance accordée à soi-même par une ouverture à la beauté du monde et des êtres. Mme Guyon souligne la manifestation divine qui détruit - suavement en ce début - les obstacles :

Dieu commence par combler l’âme de grâces : ce ne sont que lumières et ardeurs : on monte incessamment de grâce en grâce, de vertus en vertus, de faveurs en faveurs. 31.

Dès le commencement elle consiste en un regard d’amour sur l’homme ; et ce regard le consume et détruit ses impuretés … Car il faut concevoir, que toutes les opérations de Dieu en lui-même et hors de lui-même ne sont qu’un regard et un amour éclairant et unissant. … Plus il purifie par ce regard, plus il atteint le dedans et le purifie de ce qui est plus subtil, plus délicat, mais aussi plus enraciné. 32

En second lieu suivent des années de « désappropriation », terme qui s’avère d’un emploi fréquent dans les Discours. Il se substitue souvent à celui de « purification » terme beaucoup plus courant dans la littérature spirituelle mais ambigu aux yeux de Mme Guyon. Elle l’emploie souvent mais dans un sens moins large, parce qu’il risque de laisser croire que nous serions à terme un ‘nous-mêmes’ moins ses défauts ! Tandis que la désappropriation porte sur l’être même :

On s’élève au-dessus de soi en se quittant soi-même par un désespoir absolu de trouver aucun bien en soi. On n’y en cherche plus; on trouve en Dieu tout ce qui nous manque ; ainsi on s’élève au-dessus de soi par un amour de Dieu très épuré. 33.

Ce ‘soi-même’ ne subsiste pas mais seulement des capacités et aussi des infirmités 34.

En troisième lieu la structure individuelle est mise au service de ce qui vient prendre la place centrale au cœur et la dirige, comme l’exprime l’apôtre Paul :

Cette âme sait fort bien que Dieu est devenu sa vie. Au commencement cela est plus aperçu, dans la suite cela devient comme naturel. Saint Paul qui l’avait éprouvé dit : Je vis, non plus moi, mais Jésus-Christ vit en moi. 35

C’est la naissance à une vie nouvelle à partir de laquelle pourra éventuellement s’exercer une transmission. Avant de toucher à cette « vie apostolique » et à la communication  qu’elle permet, elle est vécue par la mystique accomplie…

 …sans que l’âme fasse autre chose que se reposer, sans savoir comme cela se fait, elle s’élève insensiblement au-dessus d’elle-même, et par un renoncement parfait, elle se quitte peu à peu à force de s’élever au-dessus d’elle-même, comme un aigle qui quittant la terre, s’élève si haut qu’il la perd de vue. 36.

Je ne suis ni saint, ni orné, etc., dira cet homme éclairé de la lumière de Dieu, mais Dieu est tout cela pour moi. … Comme Il ne laisse rien pour moi, et que je ne saurais subsister sans rien, Il m’absorbe et me perd en Lui, où Il ne me laisse rien de propre, ni propre justice, ni propre vertu. 37.

On peut trouver des descriptions plus fines 38 ou plus imagées 39 que celle de la division tripartite que nous venons de rappeler. Ainsi selon la succession suivante : (1) attirance en soi où demeure la voie de l’intériorité et sa source 40, (2) laisser faire Dieu plutôt que de s’efforcer à quelque exercice ou ascèse 41, (3) chasser l’amour-propre en ne se recourbant jamais sur soi 42, (4) accepter la purification nécessaire 43 parce qu’on ne peut concilier attachement et amour ; on est obligé de suivre Jésus-Christ par la voie de la foi nue 44 et non des lumières, (5) l’Amour pur rend heureux dans le sans limite 45, (6) vient la nuit ou du moins quelques touches nocturnes qui touchent l’être même et non plus seulement ses vêtements 46, (7) puis un état intermédiaire où l’on est perdu à soi mais où le divin demeure encore caché 47, (8) enfin une recréation divine ; alors suivant Paul « ce n’est plus nous qui agissons 48. »

Mais toute division en étapes présente le danger de substituer un chemin à la diversité permise dans la traversée des zones évoquées précédemment ou dans l’ascension selon la belle comparaison de la montagne qui ouvre les Discours 49.

On rencontrera plusieurs obstacles dans le chemin dont on vient d’évoquer trois ou huit étapes :

Le principal d’entre eux est celui de la volonté propre qui empêche le divin d’être notre principe. En effet l’exercice de la volonté propre conduit souvent à une fausse ascèse à propos de laquelle Mme Guyon n’hésite pas à évoquer les sépulcres blanchis de l’Evangile :

Il y avait alors un certain ordre d’architecture aux tombeaux qui les faisaient paraître très beaux par dehors, quoiqu’ils ne renfermassent que des ossements de morts. … On met toute la perfection dans un certain arrangement extérieur, dans une certaine composition, durant que nous laissons vivre nos passions. Par les passions je n’entends pas seulement la colère et la sensualité grossière, mais la cupidité de l’esprit et tout ce qui nous fait vivre à nous-mêmes…50.

Ensuite le doute auquel tente de remédier le recours à la loi ou aux raisonnements :

Nous parlâmes d’abord des tentations contre la foi, des doutes sur l’éternité et sur l’immortalité de l’âme … Le plus court, le plus assuré, et le plus avantageux est, de n’admettre dans l’esprit nulles raisons mais de vouloir déterminément servir Dieu, et l’aimer indépendamment de tous les événements.51.

Ces obstacles peuvent arrêter l’évolution intérieure :

Etant dans un fort recueillement, il me fut montré deux personnes : l’une qui était toujours exposée aux rayons divins et qui recevait incessamment les influences de la grâce ; et l’autre qui mettant continuellement de nouveaux obstacles, quoique subtils et légers, à la pénétration du Soleil, était cause que le Soleil ne faisait autre chose par son opération, que de dissiper les obstacles. 52

Ils seront surmontés à l’aide des qualités de simplicité et d’humilité, analogue au creux de la pierre, sur lesquelles revient toujours Mme Guyon :

En quoi consiste la simplicité ? C’est dans l’unité : si nous n’avons qu’un regard unique, un amour unique, nous sommes simples. 53.

Il faut savoir qu’on creuse la pierre en proportion que ce qu’on y veut graver a de grandeur, d’épaisseur et d’étendue. Afin que Dieu s’imprime dans notre âme, il faut qu’elle soit dans un néant proportionné au dessin de l’impression que Dieu y veut faire. Ici tout s’opère en vide … L’homme ne voit point ce merveilleux ouvrage : il n’en paraît rien au dehors. Ce n’est point un ouvrage de relief, mais un creux profond, une concavité, que l’âme n’aperçoit que par un vide souvent très pénible. 54.

Finalement se manifestent la pure charité et le pur amour. Ils  absorbent la foi et l’espérance :

La pure charité est si pure, si droite, si grande, si élevée, qu’elle ne peut envisager autre chose que Dieu en Lui-même et pour Lui-même. Elle ne peut se tourner ni à droite ni à gauche, ni se recourber sur nulle choses créées quelque élevées qu’elles soient. … [La foi et l’espérance] sont absorbées dans elle, qui les renferme et les comprend sans les détruire : comme nous voyons la lumière du soleil, lorsqu’il est dans son plein jour, absorber tellement celle des autres astres, qu’on ne les peut plus discerner, quoiqu’ils subsistent réellement. 55.

La volonté embrasse l’amour et se transforme en lui et la foi fait la même chose de la vérité : en sorte que quoique cela paraisse deux actes différents, tout se réduit en unité. 56.

Tout va vers un anéantissement en Dieu que décrit inlassablement Mme Guyon :

L’âme n’éprouvant plus de vicissitudes, n’a plus rien qui la trouble, elle est toujours reposée de toute action, n’en ayant plus d’autre que celle que Dieu lui donne et étant même dans une heureuse impuissance de se soustraire à son domaine, elle est toujours parfaitement tranquille et paisible.57.

Elle sait qu’elle vit et c’est tout, et elle sait que cette vie est étendue, vaste, qu’elle n’est pas comme la première : et c’est tout ainsi que cette âme sait fort bien que Dieu est devenu sa vie.58.

Cet anéantissement n’est pas à confondre avec le néant mais ouvre tout au contraire sur une communication en silence. Aucune dépendance humaine ni matérielle ni psychologique ne doit prend place ici : la grâce seule agit, « utilisant » un canal humain. Madame Guyon découvrit ce lien de cœur à cœur assez tardivement, à l’âge de 44 ans 59, remplissant alors en soumission à l’action divine ou passiveté 60 la fonction de directeur mystique. Elle l’appelle « vie apostolique », se référant à la description imagée des Apôtres compris par tous leurs auditeurs après la descente de l’Esprit Saint lors de la Pentecôte : leur parole « entendue » simultanément en diverses langues incluait ce qui passait de cœur à cœur pendant leurs discours et qui peut aussi bien être transmis en silence.

Il s’agit d’un état spécifique de vide même si Mme Guyon perçoit le passage de la grâce par son canal, en l’absence de toute volonté propre et sans intentionnalité 61. Cette « prière » de caractère surprenant et rare a fait l’objet de sarcasmes, puis a été sujet de curiosité et d’étude 62. En réalité elle a toujours été connue chez les chrétiens orthodoxes, par exemple chez Seraphim de Sarov. On en trouve aussi des indices chez les Pères du désert 63, peut-être dans le Carmel, et chez Monsieur Olier 64. Mais à cause de la clôture des communautés, les catholiques en parlent peu ou l’ignorent. Le témoignage de Mme Guyon est donc particulièrement précieux.

La transmission de la grâce divine se situe bien loin de toute intention qui serait un exercice subtil de la volonté propre, mais dans une extrême soumission à cette « main de Dieu qui donne », dans un vide de soi-même et des créatures 65. Elle vibre alors de la plénitude divine dans la pleine liberté et la « communication » est ressentie par tous dans un état de paix ou parfait repos. L’on note ainsi l’association très étroite du vide à la plénitude 66 :

Quand l’âme a perdu et tout pouvoir propre et toute répugnance à être mue et agie selon la volonté du Seigneur, alors Il la fait agir comme Il veut … Quand Dieu la meut vers un cœur, à moins que ce cœur ne refusât lui-même la grâce que Dieu veut lui communiquer, ou qu’il ne fût mal disposé par trop d’activité, il reçoit immanquablement une paix profonde … Quelquefois plusieurs personnes reçoivent dans le même temps l’écoulement de ces eaux de grâce ; et cela à proportion que leur capacité est plus ou moins étendue, leur activité moindre et leur passiveté plus grande.67

Cette transmission ne dépend que de Dieu seul et s’effectue le plus parfaitement en silence. Elle suppose un accord au niveau du recueillement des personnes qui est souvent favorisé par une proximité physique tandis que le transmetteur est affranchi de toute inclination naturelle :

Vous m’avez demandé comment se faisait l’union du cœur ? Je vous dirai que l’âme étant entièrement affranchie de tout penchant, de toute inclination et de toute amitié naturelle, Dieu remue le cœur comme il Lui plaît; et saisissant l’âme par un plus fort recueillement, Il fait pencher le cœur vers une personne. Si cette personne est disposée, elle doit aussi éprouver au-dedans d’elle-même une espèce de recueillement et quelque chose qui incline son cœur … Cela ne dépend point de notre volonté : mais Dieu seul l’opère dans l’âme, quand et comme il Lui plaît, et souvent lorsqu’on y pense le moins. Tous nos efforts ne pourraient nous donner cette disposition; au contraire notre activité ne servirait qu’à l’empêcher. 68

On trouve de nombreux textes parallèles décrivant les modalités de la transmission dans la Vie par elle-même 69 et dans les Explications des deux Testaments :

Ils se parlent plus du cœur que de la bouche ; et l’éloignement des lieux n’empêche point cette conversation intérieure. Dieu unit ordinairement deux ou trois personnes … dans une si grande unité, qu’ils se trouvent perdus en Dieu … l’esprit demeurant aussi dégagé et aussi vide d’image que s’il n’y en avait point. … Dieu fait aussi des unions de filiations, liant certaines âmes à d’autres comme à leurs parents de grâce. 70

Fénelon fut un des bénéficiaires les plus connus comme en témoigne le début de la lettre de décembre 1689, suivi d’un bel exposé de la transmission cœur à cœur et de la passiveté requise de l’âme exposée au regard divin, que l’on trouvera au Discours 2.25 :

Je me sens depuis hier dans un renouvellement d’union avec vous très intime. Il me fallut hier rester plusieurs heures en silence si remplie que rien plus. Je ne trouvais nul obstacle qui pût empêcher mon cœur de s’écouler dans le vôtre. 

Mme Guyon écrira également à Fénelon un peu plus tard, en avril 1690 :

Je n’aime que Dieu seul et je vous aime en Lui plus que personne du monde, non d’une manière distincte de Dieu, mais du même amour dont je l’aime, et dont Il s’aime en moi … j’ai cette confiance que si vous voulez bien rester uni à mon cœur, vous me trouverez toujours en Dieu et dans votre besoin. … Je vous laisse l’esprit directeur que Dieu m’a donné… 71

A cette confiance Fénelon répond :

« Si vous veniez à manquer, de qui prendrais-je avis ? Ou bien serais-je à l'avenir sans guide ? Vous savez ce que je ne sais point et les états où je puis passer ... Je puis me trouver dans l'embarras ou de reculer sur la voie que vous m'avez ouverte, ou de m'y égarer faute d'expérience et de soutien. Je me jette tête première et les yeux bandés dans l'abîme impénétrable des volontés de Dieu. Lui seul sait ce que vous m'êtes en Lui et je vois bien que je ne le sais pas moi-même, mais je vous perds en Lui comme je m'y perds.72.

C’est à cette mission que Mme Guyon a consacré les dernières années de sa vie : elle réunissait à Blois quelques disciples qui formèrent par la suite des cercles guyonniens dont on peut relever trace sur plus d’un siècle.

Ainsi chez Mme Guyon la prière ouvrit le chemin et surmonta les obstacles au travers d’une longue purification qui dura sept années dont cinq de nuit profonde. Puis l’anéantissement en Dieu n’empêcha pas la « Dame directrice » d’être singulièrement résistante à l’adversité et fort active dans son état apostolique malgré toutes les contraintes 73 . Cette activité eut enfin une influence attestée sur plus d’un siècle, visible en France chez J.-P. de Caussade et à l’étranger chez des Ecossais, des Hollandais et des Suisses.



Le texte

Les Discours présentent l’ensemble des opuscules très divers qui circulait dans le milieu des disciples au début du XVIIIe siècle. Certains sont de petits essais assez amples tandis que d’autres sont des lettres dont on a ôté un paragraphe final jugé trop personnel. Quelques extraits de la préface du premier volume édité par Pierre Poiret des Discours Chrétiens et Spirituels sur divers sujets qui regardent la vie intérieure… nous éclairent sur le traitement que ce pasteur protestant, cartésien reconnu devenu grand éditeur de textes spirituels, a pu faire subir à ses sources. Elles nous sont parvenues assez fidèlement comme l’indiquent les rares Discours dont on possède une source manuscrite 74. Disciple attentif, respectueux et apprécié de Mme Guyon, Poiret explicite ainsi la genèse, le choix et le classement :

Le titre de ce livre ne veut pas dire que ce soient des Discours prononcés de vive voix : ils ont seulement été écrits, soit à la réquisition de quelques âmes pieuses, soit de la simple inclination où l’auteur s’est pu trouver de fois à autres à se décharger de la plénitude de son cœur sur le papier. Ils nous sont venus en main de divers endroits et par divers moyens. C’était des pièces séparées, sans titre ni sans ordre (…) Pour l’ordre des matières, on a fait précéder celles qui regardent le plus les personnes commençantes, et fait suivre le reste à mesure de ce qui se découvre et qui s’expérimente dans le progrès de la vie de l’esprit. Ceux qui aiment en toutes choses des partitions générales, en pourront aisément remarquer trois ou quatre dans le corps de l’ouvrage, s’ils veulent observer, (I.) que dans les treize premiers de ces Discours Spirituels il s’y agit principalement des vérités qui concernent le général, les principes et les commencements des voies intérieures : (II.) Que depuis de Discours XIV jusqu’au XXXVIII, on y trouve des matières convenables à ceux qui sont déjà entrés considérablement dans ces voies de l’esprit. (III.) ces matières-là sont suivies de plusieurs autres qui regardent des âmes encore plus avancées dans la perfection Chrétienne : c’est depuis le Discours XXXIX jusqu’au LXII ; et celui-ci contient comme une espèce de récapitulation de toute cette troisième partie, ou au moins du principal. (IV.) Tout le reste, depuis le Discours LXIII jusqu’à la fin, regarde en gros la constitution soit bonne soit mauvaise, présente ou bien future, du général des Chrétiens aussi bien que de ceux ou qui les ont conduits, ou que Dieu veut leur susciter encore avant la fin du monde selon ses promesses. On ne s’est pas avisé de marquer cette Partition dans le corps de l’ouvrage, mais on la verra dans la table qui suit […] Ce n’était ici, comme on l’a déjà dit, que des pièces séparées, écrites sans relation ni vue des unes sur les autres : il y en a même plusieurs où il s’agit de diverses matières, et qui appartiennent à des états différents. Pour placer celles-ci […] on s’est réglé sur celle des matières qui y régnait le plus…75.

Nous n’avons pas jugé utile de bouleverser l’ordre que Poiret adopte car il reflète très probablement la vision qu’en avait le cercle proche de Mme Guyon ou elle-même, comme nous l’avons déjà signalé 76.

S’ajoutent enfin les 16 Discours en conclusion du quatrième volume des Lettres chrétiennes et spirituelles sur divers sujets qui regardent la vie intérieure… Au-delà de sa nature de complément post-mortem, ce petit ensemble semble constituer un condensé élémentaire et abordable mais complet de la voie mystique, à l’usage probable des disciples de Blois puis des cercles qui leur succédèrent. L’activité d’un tel cercle à Morges près de Lausanne, auquel appartenait Dutoit, second éditeur de l’œuvre, est attestée jusqu’en 1838 77.

La présente édition intégrale contient quelques pièces « faibles » dont l’origine pose des problèmes non résolus à nos yeux. Quinze discours ont été reportés en fin de volume dans un « bas à sable » 78. Par contre on n’a pas opéré de sélection au sein des discours figurant en texte principal malgré des remaniements apparents en début ou fin de pièces.

On trouvera à la fin de ce volume, la table des titres de l’ensemble de ces opuscules. Ils incluent, pour chacun de ceux que nous avons retenus (imprimés en caractères gras) comme particulièrement significatifs – au nombre de quatre-vingt 79 soit un peu plus de la moitié de l’ensemble -, un précis de leur contenu, reprenant dans la mesure du possible des expressions mêmes de Mme Guyon. Le lecteur soucieux d’étudier ou de méditer un thème particulier y trouvera un instrument facilitant leur consultation. Nous avons ici privilégié la synthèse par rapport à l’analyse qui reposerait sur un index étendu du vocabulaire. Le chercheur spécialisé pourra recourir à celui très abondant établi consciencieusement par Poiret. Mais la liste de ses entrées montre le caractère peu technique d’un vocabulaire qui ne prend sa pleine signification que par des associations contextuelles de plusieurs termes autour d’un thème faisant l’objet d’un ou plusieurs paragraphes, voire d’un Discours entier 80.

Un sondage des sources sur le vaste ensemble de l’œuvre n’a pas conduit à de nombreux doubles 81. Dans le choix de quatre-vingt Discours jugés particulièrement significatifs, onze Discours sont des lettres adressées à Fénelon et deux sont des lettres adressées à Bossuet, dont une est reprise dans la Vie 82. Discours en général brefs ce qui limite le volume de ces contributions. Les lettres adressées en 1689 à Fénelon sont toutes différentes : il n’y a pas de doublon ou de lettre scindée entre Discours. A notre surprise, aucune des nombreuses lettres adressées au Duc de Chevreuse ou à d’autres correspondants, tels que la « petite duchesse » de Mortemart, n’est reprise (cependant certains Discours pour lesquels nous n’avons pas trouvé de source parallèle sont visiblement des lettres). On peut penser que les disciples ont été sensibles au caractère illustre de Fénelon, « notre père » ; ou à la forme plus achevée par leur auteur des lettres adressées à Bossuet.

Les très abondantes et assez précoces Explications bibliques de 1683-1684 ne comportent pas les développements propres à certains Discours. Ces derniers, souvent très denses, correspondent probablement à un retour tardif et approfondi de l’auteur sur l’Ecriture.

Nous ne possédons aucun manuscrit couvrant l’ensemble des Discours contrairement au cas de la Vie. Il est donc intéressant de comparer précisément le texte repris des rares manuscrits de lettres parallèles au texte édité par Poiret qui est en générale la seule base possible pour notre édition : nous donnons à cet effet en notes les variantes même mineures que nous avons relevées. Elles ne portent que sur des corrections de style.

L’orthographe et la ponctuation sont modernisées. Nous nous limitons à un seul niveau de soulignement indiqué par des italiques (également utilisées pour les citations bibliques ce qui n’induit guère de doutes). Poiret utilisait des italiques et des petites capitales, mais madame Guyon ne soulignait rien, négligeait de nombreuses majuscules et utilisait de nombreuses abréviations. Si l’on en juge par les nombreux autographes de la Correspondance, elle écrivait par exemple ns pour Notre Seigneur et n’introduisait ponctuation et découpage en paragraphes que très exceptionnellement ! Aussi, à la suite de Poiret, nous avons privilégié le sens. Nous avons délibérément pris le parti de revoir librement ponctuation et découpage du texte en paragraphes de façon à le rendre clair tout en gardant le rythme original et si possible la respiration poétique. Parfois nous - ou Poiret - ajoutons entre crochets un ou quelques mots nécessaires à la compréhension d’un texte peu soucieux de correction grammaticale. Enfin des majuscules sont nécessaires pour éclairer les dialogues fréquents mettant en relation l’homme et Dieu ou Jésus-Christ.

Par fidélité au texte, nous avons laissé inchangées les incorrections de style : elles sont dues en partie au manque d’éducation des filles dans leur jeunesse 83, mais surtout au fait que Mme Guyon ne revenait jamais en arrière pour corriger. Son unique souci était de se laisser conduire à livrer spontanément le seul nécessaire à son correspondant ou lecteur. Au sujet de cette Ecriture sans repentir, on a abusé de l’expression « Ecriture automatique ». Elle s’applique mal ici : il ne s’agit pas chez Mme Guyon de trouver une source d’inspiration poétique dans l’inconscient comme ont tentés nos surréalistes mais seulement de laisser toute la place à l’action de la grâce, en évitant des reprises qui supposent un travail intellectuel de retour sur soi pour améliorer toute expression écrite. Ceci pourrait prêter au reproche d’illusion ou d’ « enthousiasme » si une analyse précise ne révélait chez elle une mystique sobre et très en recul sur les manifestations mystiques sensibles ou sur le prophétisme de son temps84 tel celui des.

Nous reproduisons toutes les notes de Poiret, tenant ainsi compte de la compréhension du sens spirituel par un disciple cher à Mme Guyon et dont l’intelligence fut appréciée par des contemporains (comme en témoignait Leibniz).

Il est utile de compléter certaines références à des textes spirituels par quelques extraits ; ceci est particulièrement important pour Catherine de Gênes très appréciée de Madame Guyon et de Poiret qui signale les passages où cette dernière se réfère à cette grande mystique du Pur Amour. Avec Jean de la Croix et Jean de Saint-Samson, Catherine de Gênes fait en effet partie des trois auteurs les plus cités dans les Justifications qui furent rédigées au moment le plus crucial de la « querelle » quiétiste. Enfin nous avons parfois cité une autre femme, Hadewijch II, connue directement par Ruysbroeck et qui aurait influencée Catherine de Gênes 85. D’autres textes parallèles alourdiraient cette édition.

Il est utile pour mieux comprendre le dialogue permanent entre Mme Guyon et l’Ecriture Sainte, de « doubler » fréquemment la traduction ou l’adaptation figurant dans le texte principal. Nous accompagnons alors par une citation en note, la référence du verset indiqué par le pasteur Poiret, parfois en faisant appel à plusieurs sources qui s’éclairent mutuellement. Les manuscrits et autographes de Mme Guyon ne comportent jamais de références précises et bien rarement une indication de l’origine testamentaire : elle rédigeait de mémoire.

Nous étudions en fin de volume les problèmes de références bibliques, de sources et des traductions que nous utilisons en complément, de l’usage de la Bible par madame Guyon et / ou son éditeur Poiret. Enfin voici en note les abbréviations utilisées dans les notes des Discours 86 .

§§



Le volume livre la totalité de 156 « Discours » attribués à la plume de Madame Guyon. Il prend la suite de plusieurs choix édités antérieurements87. Ces reprises furent multiples pour permettre d’apprécier certaines des plus belles pages oubliées d’une « Dame directrice » parvenue à l’achèvement mystique.

Mais certaines pièces sont médiocres, voire débiles. Elles entachent l’ensemble que l’on attribue avec certitude pour sa plus grande part à la plume de madame Guyon (ou peut-être issues de conversations avec quelques proches, ce qui expliquerait le titre de Discours donné aux pièces ainsi que des faiblesses ou de déformations). Pièces qui furent parfois malicieusement citées - minoritaires en nombre et en volume (moins du quart de l’ensemble).

Que faire ? Les indices qui permettraient de les éliminer avec sûreté du corpus guyonnien manquent. Des pièces pauvres proviendraient de transcriptions effectuées par des dévots aux mémoires défaillantes ou à la pensée un peu courte, appartenant à des cercles « quiétistes » auxquels ne participait pas le premier éditeur Pierre Poiret, pasteur protestant qui ne pouvait voyager en France.

Certains passages, parfois inclus au fil d’un discours par ailleurs honorable, contredisent l’esprit œcuménique de madame Guyon. Ils reflètent l’esprit intolérant de certains piétistes avec un parfum propre au début du XVIIIe siècle. D’autres développements rapportent au moins défectueusement les envols mystiques d’une vieille dame (parfois bavarde, elle ne livre cependant jamais de témoignages trop personnels ou ne se réclame de visions - contrairement à certains inspirés ou « enthousiastes »).

Poiret est un disciple respectueux qui retient toutes ses sources - qu’il soit long ou bref - en donnant à chacune le même niveau et titre de « Discours ». Probablement était-il délicat d’éliminer certaines des sources qui lui furent communiquées par des disciples en invoquant pour seule autorité son jugement; les omettre pouvait être perçu comme un abus de pouvoir de la part d’un disciple étranger, un trans ! On sait que le même Poiret ne put éviter une grave dissension dans les cercles guyoniens à l’occasion de la publication, jugée inopportune par Ramsay, de la Vie par elle-même. Il lui fallait donc « ratisser large » sans refuser une pièce chère au coeur de tel ou telle disciple.

Legs le plus précieux de la « Dame directrice », nous avons décidé de livrer l’ensemble sans le disjoindre, donc « complet en l’état ». Outil de travail utile aux érudits. J’adopte une numérotation couvrant en trois parties les 156 pièces livrées par Poiret88.

Discours chrétiens et spirituels sur divers sujets qui regardent la Vie Intérieure tirés la pluspart de la Ste Ecriture.

Vincenti. A Cologne Chez Jean de la Pierre, 1716.







Préface sur cet ouvrage [Pierre Poiret]

Sommaire89

§ I.

Ceux qui savent le mieux juger de l'excellence des choses, la font ordinairement consister en ce qu'elles ont de plus intérieur et de plus [4] spirituel. Jésus-Christ et ses Apôtres en ont usé de la sorte. Pour nous inculquer la sublimité de la nature divine, et l'excellence du culte que nous lui devons, le Sauveur dit que Dieu est ESPRIT, et qu'il veut un culte qui soit véritablement DANS L’ESPRIT. S. Paul prend à cœur en divers endroits de ses Epîtres de nous faire comprendre que le solide de tout ce qu'il nous annonce, revient à l'union de notre esprit avec l'Esprit de Dieu ; que les vraies bénédictions de Dieu sont les spirituelles ; que le vrai et digne caractère du chrétien est que sa vie soit cachée en Dieu avec Jésus-Christ ; et S. Pierre dit en termes exprès que ce qui est excellent et de grand prix devant Dieu est l'homme caché dans le cœur, ou l'homme intérieur, accompagné de ses qualités les plus essentielles, l'incorruptibilité, la douceur, et la paix de l'esprit90.

On a publié depuis peu en plusieurs petits volumes91 l'ANCIEN et92 le NOUVEAU TESTAMENT avec des Explications et Réflexions qui regardent la vie intérieure, dont l'auteur paraît avoir eu pour but de faire connaître l'excellence de la [5] parole de Dieu par cet endroit-là, je veux dire, par la considération de l'INTERIEUR et du spirituel. A la vérité, il y a peu de commentateurs des divines Ecritures qui ne l'aient aussi fait quelquefois à l'occasion de plusieurs passages qui vont là tout manifestement ; mais je ne sache encore personne que l'auteur dont je parle93 qui ait fait voir comment tout ce qu'il y a dans la parole de Dieu, l'historique et le prophétique, le cérémoniel et le moral, tout soit esprit et vie94, ainsi que Jésus-Christ l’a dit de ses paroles ; et comment tout revient à l'amour divin, selon l'assertion du même Sauveur. Ce que saint Augustin a dit en général, que lorsque l'Ecriture est claire, elle marque clairement l'Amour de Dieu ; et que lorsqu'elle est obscure, elle le marque obscurément ; cet auteur l’a fait voir en détail sur toutes les matières de ces divins livres-là, en nous découvrant dans les sujets même les plus obscurs, des traces évidentes et du divin Amour, et des voies et moyens essentiels qui contribuent à son acquisition et à sa perfection.

Cependant il semble que cet ouvrage-là, quelque complet qu'il soit, avait encore besoin de quelque autre chose pour nous [6] donner toute la satisfaction qu'on pourrait souhaiter sur plus d'un sujet de son contenu. Chacun sait qu'en matière de commentaires ou d'explications sur la Bible, il n'est ni requis ni possible que l'on y expose à fond et un peu largement, je ne dis pas tout le texte de la sainte Ecriture, mais pas même quantité de passages et de sujets qui d'ailleurs mériteraient des expositions plus amples et plus approfondies. De sorte qu'après tout il ne se peut qu'il ne reste toujours plusieurs endroits à expliquer plus particulièrement, et plusieurs matières qui auraient bien besoin d'être traitées encore plus à fond qu'un commentaire général ne pouvait le souffrir. Or c'est à quoi le livre que voici vient manifestement suppléer par le choix et de plusieurs passages de l'Ecriture, et de plusieurs sujets dont elle fait mention, desquels on présente ici des expositions beaucoup plus détaillées, et en même temps toujours revenantes à l'affaire que la parole de Dieu nous recommande comme le but de tout, je veux dire à la vie intérieure, qui est la même chose que l'amour de Dieu et tout ce qui en dépend.

§ II.

Le titre de ce livre ne veut pas dire que ce soit des discours prononcés de vive voix : ils ont été seulement écrits, soit à la réquisition de quelques âmes pieuses, soit de la simple inclination où l'auteur s'est pu trouver de fois à autre à se décharger de la plénitude de son cœur sur le papier. Ils nous sont venus en main de divers endroits et par divers moyens. C'était des pièces séparées, sans titre ni sans ordre95. Nous y avons mis les titres que l'on va voir ensemble dans la table qui suit immédiatement ; et pour l'ordre des matières, on a fait précéder celles qui regardent le plus les personnes commençantes, et fait suivre le reste à mesure de ce qui se découvre et qui s'expérimente dans le progrès de la vie de l'esprit. Ceux qui aiment en toutes choses des partitions générales, en pourront aisément remarquer trois ou quatre dans le corps de l'ouvrage, s'ils veulent observer, (1.) que dans les treize premiers de ces Discours spirituels il s'y agit principalement des vérités qui concernent le général, les principes et les commencements des voies intérieures ; (2.) que depuis le discours XIV jusqu'au XXXVIII, on y trouve des matières convenables à ceux qui sont déjà entrés considérablement dans ces voies de l'esprit ; (3.) ces matières-là sont suivies de [5] plusieurs autres qui regardent des âmes encore plus avancées dans la perfection chrétienne : c'est depuis le discours XXXIX jusqu'au LXII ; et celui-ci contient comme une espèce de récapitulation de toute cette troisième partie, ou au moins du principal. (4.) Tout le reste, depuis le discours LXIII jusqu'à la fin96, regarde en gros la constitution soit bonne soit mauvaise, présente ou bien future, du général des chrétiens, aussi bien que de ceux qui les ont conduits, ou que Dieu veut leur susciter encore avant la fin du monde selon ses promesses97.

On ne s'est pas avisé de marquer cette partition dans le corps de l'ouvrage ; mais on la verra dans la Table qui suit, dans laquelle au reste pour ce qui est de l'arrangement des matières, on doit pas s'attendre à un ordre aussi suivi que celui des traités que l'on compose sur des sujets dont on se fait un dessin régulier auparavant. Ce n'était ici, comme on l'a déjà dit, que des pièces séparées, écrites sans relation ni vue des unes sur les autres : il y en a même plusieurs où il s'agit de diverses matières, et qui appartiennent à des états différents. Pour placer celles-ci dans l'un dans l'autre des rangs où leurs sujets pouvaient se rapporter, on s'est réglé sur celle des matières qui y [9] régnait le plus, ou qui y était le plus considérée. D'autres peut-être les auraient arrangées de quelque autre façon ; mais comme cela est de bien peu d'importance, on espère que les lecteurs usant d'indulgence pour l'ordre où nous les avons disposées de notre mieux, n'occuperont leur attention que de la substance des choses mêmes, qui assurément méritent toute l'application de leur esprit, et principalement de leur cœur.

§ III.

S’ils le font comme il faut avec sincérité et avec humilité, on ne saurait douter que leur cœur n’y ressente vivement l’impression du doigt de Dieu, et que leur esprit n'en doive être fortement frappé de sa divine et brillante lumière. Car Dieu ne manque pas de se faire sentir au cœur de tous ceux qui se rendent à lui en toute simplicité ; il leur ouvre les yeux ; et il leur donne part à l’Esprit de vérité, qu'il refuse et qu'il cache à ceux qui ont des dispositions contraires. Ses déclarations sont trop expresses là-dessus pour en pouvoir douter : Jésus-Christ est ravi de joie de ce que son Père ne révèle ses secrets qu'à ceux qui sont simples et petits98 comme des enfants, et qu'il les cache [10] aux fiers et orgueilleux savants qui font tant les entendus. Il nous assure encore que si quelqu'un veut véritablement faire la volonté de son Père, il connaîtra la vérité de la doctrine qu’il annonce de sa part99. Son apôtre saint Paul nous dit aussi que pour connaître les choses qui viennent de Dieu, il faut avoir un autre esprit que l'esprit de ce monde100; qu'il faut être gratifié de celui de Dieu ; que l'homme naturel ne saurait rien comprendre dans les choses spirituelles, qui dans son opinion ne passeront que pour des folies et pour des rêveries.

S. Jude déclare nettement101 que tout ce que cette sorte de gens connaissent dans les choses divines (dont il s'agit en ce lieu-là) sont des connaissances à la manière de bêtes sans intelligence, et qui ne leur servent qu'à se corrompre de plus en plus ; et que pour ce qu’ils ne comprennent pas, ils le couvrent de blâmes et d'opprobres. S. Pierre et S. Paul n'en disent pas moins102 des docteurs mercenaires ; par où l'on ne doit pas entendre ceux qui mettent en usage les égards aux châtiments ou aux récompenses pour animer la faiblesse des hommes à leurs devoirs envers Dieu, mais ceux qui le font de telle sorte, [11] que de vouloir borner là tout le monde, et d’oser rejeter d'entre les motifs de la vraie et solide piété le noble et pur amour de celui qui mérite d'être aimé et obéi pour l'amour de lui-même, traitant d’extravagants ou d'atrabilaires les écrivains mystiques les plus solides qui font si grand cas de cette charité désintéressée que notre auteur éclairé recommande tant.

Tous ces cœurs mercenaires, qui ne connaissent rien de plus excellent que leur propre intérêt, sont de vrais aveugles dans les choses spirituelles : le serviteur (et à plus forte raison le mercenaire) ne connaît pas, dit Jésus-Christ, ce que fait son Seigneur103 ; et en effet, leur aveuglement est si extrême que de leur ôter à eux-mêmes l’usage du sens commun et de la réflexion sur leur propre conduite envers de simples hommes. Ils auraient honte de dire à leurs semblables que l'amitié qu'ils leur témoignent n’a pour motif que le propre intérêt ; ils rougiraient de soutenir que l'amour conjugal, que l'amour filial, doit être intéressé, uniquement fondé sur l'utilité et le profit qu'on espère d'en retirer ; que personne ne mérite d'être aimé pour les bonnes qualités qu'il a, mais seulement à cause des avantages qui nous regardent [12] nous-mêmes, et que ce serait tendre directement à la ruine du véritable amour que d'en proposer d'autres principes. Et cependant on ne se fait point de honte ni de scrupule de soutenir ces étranges maximes à l'égard de l’Être le plus digne et le plus aimable, du Père de nos esprits, et de celui qui daigne de s’offrir à devenir le sacré et divin Epoux de nos âmes ! On ne s'aperçoit pas, tant on est aveuglé, que de la sorte on le traite en étranger ; qu’on le dégrade de la dignité et qualité d'être la fin souveraine de toutes choses, pour s'arroger à soi-même cette suprême prérogative et ne considérer Dieu que comme un simple entre-deux, un simple moyen d'atteindre à cette fin dernière, qui sera devenue NOUS-MÊMES par un renversement de tout ordre naturel et de toute la substance de la Loi de Dieu, de laquelle il faudra désormais donner à chacun cette belle paraphrase : Tu t’aimeras toi-même de tout ton cœur, de toute ton âme, de toutes tes forces et de toute ta pensée ; et tu aimeras Dieu et ton prochain autant que tu y seras porté par le motif de tout propre intérêt.

Il est bien vrai, comme le fait sonner fort haut le parti mercenaire, que toute créature recherche son bien par un instinct [13] qu'elle a reçu de celui qui l'a créée ; et que du côté de Dieu, elle ne saurait rien faire pour le profit et la félicité essentielle de son Créateur. Mais le même Créateur qui a donné à toutes choses l’instinct de se conserver, ne s'est pas arrêté là : il est allé plus avant, et leur a donné de plus un second instinct, de répandre hors d’elles en faveur des autres tout ce qu'elles ont reçu de lui, jusqu'à s'en épuiser elles-mêmes : c'est là l’inclination ineffaçable et la voie constante de toute la nature, des choses inanimées, des plantes, des animaux, dont on voit tous les jours des effets et des preuves que les plus mercenaires ne sauraient ne point voir.

Mais encore, que ne doit-ce pas être des créatures intelligentes, qui outre ces deux instincts naturels, ont reçu de leur Père, de Dieu, dis-je, le Père des esprits, un troisième et noble instinct qui est tout surnaturel, à savoir une étincelle de son Esprit divin, les prémices de l'Esprit, de l'Esprit Saint, de l'Esprit de liberté, qui n'envisage et qui ne cherche que sa divine origine, et dont tous les soupirs, passant au-delà de tout ce qui est créé, ne vont uniquement qu’à son unique Tout par un continuel Mon Père, mon Père ! Non que ce noble esprit, n’envisageant que Dieu, ait la pensée de lui procurer par là [14] quelque avantage ou d'ajouter quelque chose à sa perfection et à sa félicité essentielle (inconvénient qu'objectent les mercenaires, qui ignorent tout autre motif que la bassesse du leur) ; mais connaissant que la bonté de Dieu veut bien de pure générosité se faire un plaisir de se donner et se communiquer tout à la créature, de se trouver en elle, d'y trouver son Fils, et d'y prendre ses délices avec lui et avec elle comme avec une de ses épouses ; elle aurait honte, cette créature douée de l'esprit libre, de refuser ce sujet de plaisir à l'incomparable générosité et libéralité de cet Être adorable. Les mercenaires les moins indociles qui voudront bien s'étudier à se défaire du motif de leur propre intérêt pour apprendre à agir par ce noble motif, bien loin que de la sorte ils souffrent perte de leur récompense (comme ils le craignent mercenairement), trouveront au contraire qu’ils auront seulement changé le fini en infini, et que d’esclaves ou de serviteurs qu'ils étaient, ils seront devenus vraiment libres et maîtres de toutes choses ; qu'ils se verront devenus fils et filles, et même Epouses bien-aimées du Dieu vivant, qui nous a tous créés et rachetés pour cette même fin.

Mais quoi ! Des vérités si solides, [15] justifiées par l'expérience de tous les plus grands saints, sont si fort au-dessus de la portée de ceux qui se laissent animer par l'esprit mercenaire, que vous feriez plutôt comprendre les démonstrations de l'algèbre les plus abstraites au plus grossier de tous les paysans, que vous ne feriez comprendre des solidités si relevées et si pures à des âmes propriétaires, qui ne connaissent rien que leur propre intérêt.

Ce n'est pas aussi pour ces gens-là qu'on recommande ici la sublime doctrine du pur Amour de Dieu et ce qui en dépend. Tout ce qu'on prétend d’eux, c’est de les prier de laisser là ce qu'il n'entendent pas, de n’en juger ni pour ni contre, et de se contenter de la bonne et louable fonction d'exhorter les pécheurs à s'abstenir du vice et à pratiquer la vertu et la piété par des motifs tirés de la crainte des châtiments de Dieu et des récompenses de sa bonté, sans en venir pourtant à l'exclusion, et encore moins à la condamnation et à la dérision des plus nobles motifs que Dieu fait proposer aux âmes qui, par sa grâce, ont des dispositions à devenir par là les plus tendres objets de ses délices, ne trouvant plus en elle que son Fils bien-aimé.

§ IV.

C'est une chose étrange, qu'on se soit [16] voulu aviser depuis quelque temps de se soulever comme on a fait contre la doctrine de quelques auteurs intérieurs touchant le pur Amour, la contemplation pure, l'oraison continuelle, la patience à soutenir en paix les épreuves et les privations des grâces sensibles, le pur et désintéressé abandon de soi-même entre les mains de Dieu, l'état d'union et de perfection où il est bien possible par la grâce de Dieu d'atteindre en cette vie, etc., sans qu'on se soit aperçu que ces choses-là non seulement sont le sujet et le grand but104 de toute la parole de Dieu, mais que même les écrivains spirituels les plus connus et les plus universellement approuvés sont tout remplis de ces vérités-là. Ce seul mot de Jésus-Christ, qui abrège l'Ecriture : Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme, de toutes tes forces et de toute ta pensée, en dit et en signifie plus que tout ce que toutes les langues en pourraient jamais dire de plus sublime et de plus dilaté.

Un auteur que tous les chrétiens, quelque divisés et quelque corrompus qu'ils soient, ne peuvent s'empêcher de lire et d’admirer depuis deux ou trois siècles, l'auteur du divin livre de [17] l'Imitation de Jésus-Christ, ou Thomas à Kempis, qui parle dans son livre aux personnes de toutes sortes d'états, aux pécheurs non convertis, aux convertis, au commençants, aux avancés, à ceux qui approchent le plus de la perfection chrétienne, fait tellement étonner les uns par la frayeur des jugements de Dieu, et animer les autres par la considération des récompenses divines, qu’il n'insiste pas pourtant ni moins fort ni moins souvent à recommander à ceux à qui il convient le PUR AMOUR DE DIEU sans aucun intérêt ni retour sur soi-même, aussi bien que le pur abandon à sa divine volonté. Je deviendrais trop long s'il me fallait rapporter ici toutes ses paroles sur ce sujet ou seulement une partie un peu considérable : on se contentera de marquer à la marge quelques-uns des endroits où il fait mention de ce sujet105.

Ceux qui ont quelque connaissance des auteurs spirituels les plus respectés et approuvés, savent que de toutes les matières, ce sont celles-là qu’ils prennent le plus à cœur et qu’ils ont traitées avec d'autant plus de soin qu’ils en connaissaient l'importance par leur propre expérience ; et tels ont été entre autres les [18] célèbres Taulére, Jean de la Croix, S. François de Sales, Angèle de Foligni, et surtout la grande et incomparable Ste Catherine de Gênes : à quoi je ne puis que je n'ajoute, pour la pratique des mêmes choses, et pour ce qui regarde l'état de la perfection, l'exemple insigne de ce célèbre solitaire, en qui tout ce qu'il y a de plus divin et de plus sublime dans les voies de l'Esprit, s'est trouvé ratifié avec une plénitude et une fermeté qui donnent de l'étonnement. Je parle du saint homme Grégoire Lopez, dont M. Arnaud d’Andilly a traduit et publié la vie admirable, et qui en parle ainsi dans la préface de sa traduction : Ce grand serviteur de Dieu était non seulement dans une PRESENCE CONTINUELLE de Dieu, mais dans un CONTINUEL ACTE D’AMOUR, sans que rien de tout ce qu'il y a au monde fût capable de l'en divertir (…) tellement que, lorsqu'il recevait la sainte communion, et même a l’heure de sa mort, il ne pouvait s'accuser d'aucun péché, sa conscience ne lui reprochant poinr d'en avoir commis. (C'était aussi l’état de Ste Catherine de Gênes)106. Et ainsi cet homme tout divin «  avant que de communier, (dit le saint prêtre107 son historien, qui [19] avait demeuré dix-huit ans avec lui), se mettant à genoux devant celui qui devait lui donner la communion, il lui disait seulement après s’être frappé la poitrine : « Par la miséricorde de Dieu, je ne me souviens point de l'avoir offensé. Donnez-moi, s'il vous plaît, le très Saint Sacrement ». La même chose se passait lorsqu'il se confessait à moi, (dit le même historien :) car après s'être frappé la poitrine il me disait : Par la miséricorde de Dieu, je ne sais de quoi me confesser. Donnez-moi, s'il vous plaît, le très Saint Sacrement. Et à l’heure de sa mort108, comme le même père lui eût dit de chercher même dans les années précédentes quelque péché pour avoir sujet de lui donner l'absolution, il lui répondit que par la miséricorde de Dieu, sa conscience lui reprochait aucun péché.

Je me persuade que cela doit s'entendre au même sens que le disait de soi Ste Catherine de Gênes, à savoir que depuis le temps de sa conversion, le pur Amour de Dieu avait si pleinement et si parfaitement possédé le fond de son cœur et toutes ses puissances que rien de contraire n’y avait point eu entrée ; ce qui apparemment avait eu lieu dans la personne de Grégoire Lopez dès sa tendre jeunesse, comme le fait assez comprendre [20] celui qui a écrit sa merveilleuse Vie. Quoi qu'il en soit, ces sortes de grands exemples doivent au moins convaincre tous ceux qui ont du respect et de la déférence pour ces saintes âmes, que les grandes choses que les écrivains spirituels disent touchant les voies de Dieu, les états avancés de l'intérieur, et les expériences que l'on y fait, ne sont point des choses imaginaires, et encore moins des effets soit d'un esprit d'orgueil ou d'un esprit d'erreur ; mais que ce sont des réalités les plus fondées de toutes, et même des participations et des prémices très réelles des biens immenses de la vie éternelle.

Voici ce qu'en dit le divin Jean de la Croix109 Ce sont des grâces par lesquelles les âmes qui les possèdent, deviennent véritablement des Dieux par la participation qui leur a été faite de la nature divine. Ce qui a fait dire à S. Pierre110 : Que la plénitude de la grâce et de la paix vous soit donnée par la connaissance de Dieu et de Jésus-Christ notre Seigneur ; selon que sa divine puissance nous a enrichis de toutes les grâces qui regardent la vie et la piété en nous découvrant celui qui nous a appelés par la communication de sa gloire et de sa vertu, par où il nous a donné des choses très [21] grandes et très précieuses qu'il nous avait promises pour nous rendre par elles participant de la nature divine ; comme en effet (poursuit-il) nous avons vu que l'âme participe avec la Sainte Trinité dans l'union dont nous avons parlé : car bien que cela ne se fasse en pleine perfection que dans la vie future, on en obtient néanmoins dès cette vie des prémices et des avant-goûts non médiocres dans l'état des parfaits, au sens que nous l'avons expliqué, quoique la chose soit tout à fait ineffable. Puis il ajoute : Ô âmes, qui êtes créées pour de si sublimes dons, que faites-vous, hélas, et à quoi appliquez-vous vos soins ? Ô aveuglement déplorable des enfants d'Adam, qui tout environnés de tant de lumière, ne voient pas cependant ces choses si divines ! Ô surdité étrange des hommes qui n'entendent pas de si puissantes voix ! 

Les expériences des mêmes choses qu'avait ce grand mystique, allaient jusqu'à un tel point que de lui faire dire qu’il n'y avait plus entre Dieu et lui qu'une petite toile mitoyenne (la vie dans ce corps mortel), laquelle il priait Dieu de rompre si c'était sa volonté, pour jouir sans plus de milieu de ce qu'il lui communiquait déjà d'une manière si vive et toute familière à ce petit entre-deux près111 : Achevez, s'il vous plaît, [22] votre ouvrage, lui dit-il ; rompez la toile de cette douce rencontre ! Et ce saint homme était si plein, pour ainsi dire, de toutes ces merveilles que souhaitant d'en remplir tout le monde, il se disait à lui-même dans l'effusion de son cœur : Ô mon âme, publiez ces choses divines par toute la terre ; et donnez-en la connaissance au monde ! Mais, hélas, la considération de l’indisposition qu'il y rencontrait partout, lui fit bientôt ajouter tristement : Mais non, ne lui en parlez point : il ne sait ce que c'est de ces choses si divines, et ne peut ni les entende ni le sentir ; et quoi que vous puissiez lui dire, il ne vous écoutera pas. Ô mon Dieu et ma vie, ceux-là vous verront et vous sentiront bien qui, se dégageant de tout ce qui est bas et grossier, se disposeront à être spirituels pour recevoir vos divines impressions, le subtil et le sublime ne pouvant s'accorder qu’avec ce qui est de même nature. Mais, ô homme de Dieu, n'est-il pas à espérer que le Seigneur en suscitera enfin de pareils sur la terre selon ses saintes promesses, et qu'alors il sera de saison de publier par tout le monde les merveilleuses opérations de la droite du Très-Haut ? Oui, Seigneur, on l'espère, et cela d'autant plus qu'on voit que votre divine libéralité ne discontinue point à nous communiquer [23] encore les plus précieuses de vos saintes vérités, quelque indigne que le monde en soit.

Quiconque a des yeux pour voir, s'apercevra sans peine qu'elles sont répandues à pleines mains dans les excellents Discours spirituels que l'on rend ici publics en faveur des âmes humbles, simples, enfantines, qui voudront se retirer de tout ce qui n'est pas leur Dieu et leur Père bien-aimé, pour se rendre à lui seul, duquel il leur sera facile de reconnaître la voix par quelque organe qu'il lui plaise de parler à leur cœur ; et on ne saurait douter que toute âme qui voudra se rendre attentive à lui en lisant cet ouvrage, ne se trouve obligée de dire à ce sujet avec Jésus-Christ : Je vous rends grâces, ô Père, Créateur du ciel et la terre, de ce qu'ayant caché ces choses aux sages et aux entendus, vous les avez révélées aux simples et aux petits. Ainsi soit-il, ô Père ! Car tel a été votre bon plaisir. Que votre volonté soit faite en la terre comme au ciel, que votre Règne arrive bientôt, et que pour confondre vos adversaires et l’ennemi, votre louange la plus parfaite soit établie par la bouche des enfants et de ceux qui sont à la mamelle de votre divine sagesse ! Amen !112, 113.





Discours Spirituels Tome I

Sur divers sujets tirés de l’Ecriture et qui regardent la vie intérieure

*1.01114 De deux sortes d’écrivains des choses mystiques ou intérieures.

1. Il me semble que les personnes qui écrivent des choses intérieures, devraient attendre pour écrire que leurs âmes fussent assez avancées pour être dans la lumière divine. Alors elles verraient la lumière dans la lumière même : [elles verraient], - comme une personne qui est sur une montagne élevée, voit les divers chemins qui y conduisent, - le commencement, le progrès [2]115 et la fin où tous les chemins doivent aboutir pour arriver à cette montagne ; on voit avec plaisir que ces chemins si éloignés se rapprochent peu à peu et enfin se joignent en un seul et unique point, comme des lignes fort éloignées se rejoignent dans un point central, se rapprochent insensiblement. On voit aussi [alors], avec douleur, une infinité d’âmes arrêtées, les unes pour ne vouloir point quitter l’entrée de leur chemin, d’autres pour ne vouloir pas franchir certaines barrières qui traversent de temps en temps leur chemin ; que la plupart retournent sur leurs pas faute de courage, et enfin que d’autres, plus courageuses, franchissant tous les obstacles, arrivent au terme tant désiré. On voit avec quelle bonté Dieu leur tend la main et les invite à passer outre, mais que l’Ennemi, les hommes pleins de leur propre esprit, l’amour-propre et le peu de courage les arrêtent presque tous en chemin. Ils aiment mieux suivre les hommes que Dieu, quoiqu’il soit écrit : Malheur à l’homme qui se confie à l’homme116.

2. Ceux qui sont seulement dans le chemin, ne connaissent que le chemin où ils marchent et n’enseignent que celui-là ; comme ils sont bien loin du but, ils condamnent sans miséricorde toutes les autres voies, ne voyant rien de meilleur que la leur. Ils écrivent avec impétuosité sur une voie où ils ne sont qu’à peine, veulent porter tout le monde à y marcher ; et comme ils n’ont point franchi le premier obstacle qu’ils ont trouvé, ils se persuadent qu’on ne peut aller plus loin sans s’égarer. Ils l’écrivent de la sorte ; et comme ces personnes ont souvent de l’autorité, ils entraînent une foule de [3] monde après eux qui croiraient être perdus s’ils outrepassaient la première barrière.

3. Ils s’échauffent même dans la dispute et assurent qu’il n’y a point d’autre voie, qu’il est impossible d’aller plus loin, et brouillent et arrêtent les âmes de bonne volonté qui sont invitées à passer outre. Ceux [au contraire] qui ont franchi les barrières, les invitent de toutes leurs forces, voyant avec douleur qu’ils perdent des biens et des trésors immenses pour ne pas vouloir avancer. Quelques-uns se hasardent et s’en trouvent bien, mais combien de bêtes féroces ne rencontrent-ils pas ? Ces bêtes ne peuvent leur nuire s’ils s’abandonnent à Dieu et s’ils ne craignent rien ; au contraire, ces bêtes les appréhendent. Plus ils avancent, plus ils voient le bonheur d’avoir suivi avec courage leur route, et enfin lorsqu’ils sont arrivés à la montagne, ils s’exhalent en louanges de Dieu et en reconnaissance. Ils entrent dans une humiliation profonde à la vue de leurs misères et des bontés de Dieu, qui leur a donné un secours si puissant. Ils avouent qu’ils se sont rendus mille fois indignes des bontés de Dieu, qu’ils ont tâché plusieurs fois de retourner en arrière, mais que les amoureuses invitations de leur Bien-aimé les en ont empêchés. Lorsqu’ils voient tant de personnes arrêtées en chemin, ils en sont affligés ; ils les invitent de toutes leurs forces de passer outre, de ne rien craindre ; ils écrivent pour les rassurer.

4. Mais on tâche d’étouffer leur voix, et on entortille ces pauvres âmes de quantité de filets qui les retiennent et les empêchent d’avancer un pas, de sorte qu’elles passent toute leur vie à aller et venir dans les avenues du chemin. On [4] leur crie : « Où allez-vous ? Les autres chemins sont bordés de précipices, vous n’y trouverez point de guide, il faudra marcher la nuit et porter le poids du jour ; au lieu qu’ici vous avez des retraites sûres qui vous mettent à couvert du soleil ; et vous ne marchez point de nuit. »

Les autres répondent : « Il est vrai que notre chemin est bordé de précipices, que nous ne nous arrêtons point pour les ténèbres qui nous environnent, que le Soleil de Justice nous fait sentir quelquefois ses rayons ardents et brûlants. Mais nous ne manquons pas de guide : ceux qui sont arrivés au terme nous instruisent. Et nous avons plus que cela : notre Pasteur fidèle nous conduit avec sa houlette ; il nous mène avec une grande droiture et simplicité en sorte que nous ne détournons ni à droite ni à gauche. Et c’est pour nous un grand avantage que notre chemin soit bordé de précipices : cela nous fait toujours marcher droit et nous empêche de gauchir, au lieu que votre chemin est fait en zigzag, comme on dépeint le Méandre117, en sorte que vous ne suivez point le sentier uni. Nous marchons la nuit sans nous reposer et nous arrêter, afin de trouver le repos immuable ; mais outre l’étoile admirable de la foi qui nous conduit sûrement, notre divin Pasteur nous montre une colonne de feu pendant la nuit118, qui n’est autre que son pur Amour, qui fait que, sans nous intéresser pour nous-mêmes, nous courons sans regarder nos pas, nous courons sûrement sans nous méprendre en suivant notre étoile et ne regardant que la colonne.

Mais lorsque la crainte et l’amour-propre nous fait baisser la vue sur nous-mêmes, perdre [5] notre étoile et ne plus envisager la colonne, nous péririons alors sans doute par notre faute, si notre divin Pasteur, toujours attentif à ses brebis et plein de compassion de leur faiblesse, ne nous donnait promptement des coups de houlette pour nous redresser. Alors voyant clairement quelle est notre misère et sa bonté, nous nous haïssons de plus en plus, et notre amour en devient plus pur et plus fort119. Ainsi notre plus grand avantage est de marcher la nuit, car les lumières de la nuit la plus obscure sont mille fois plus sûres que celles du jour dont vous vous vantez et sur lequel vous vous appuyez, car ce sont vos pas qui vous conduisent. Le grand jour n’empêche pas que vous ne vous égariez ; mais notre abandon, la nuit de la foi et le pur amour ont une sûreté infaillible. Si nous nous appuyions sur nos démarches, nous nous égarerions comme vous.

- Il est vrai que vous avez une retraite contre la chaleur piquante : c’est votre vous-même ?

- Nous n’en avons ni n’en voulons point ; au contraire, nous nous exposons aux rayons divins du Soleil de Justice, afin qu’il nous pénètre, nous fonde, nous purifie, nous raréfie et nous change en soi. Nous sommes bien éloignés de l’éviter puisque tout notre désir est d’en être consumés.  

- Mais aussi, dites-vous, vous n’avez plus cette beauté éclatante d’autrefois. 

- Ô que notre beauté a bien changé de nature ! Notre divin Soleil nous a un peu brunis, à la vérité : decoloravit me Sol120 ; mais la beauté de la fille du Roi vient du dedans121, et la vôtre n’est que superficielle. La nôtre est affermie, et notre divin Soleil, en nous parant de sa propre beauté, a rendu notre beauté immuable. » [6]

Ce sont là les disputes de ceux qui, n’ayant jamais passé la voie des commençants, détournent autant qu’ils peuvent les autres de suivre les routes de l’Amour pur et de la foi nue.

6.122 Comme il y a bien plus de commençants que de profitants, aussi, bien plus de gens ont écrit des commencements des voies de Dieu. Tous disent que la crainte est le commencement de la Sagesse ; on reste dans ce commencement, on n’entre pas dans la Sagesse, où, comme dit saint Jean, le parfait amour bannit la crainte123. Il y a donc plus d’écrits, et plus diversifiés, des commençants que des profitants ; mais il y en a plus des profitants que de ceux qui sont arrivés au terme.

Je ne sais si les écrits de ces profitants ne sont point plus dangereux et moins utiles que ceux des commençants. Ceux des commençants seraient bons si on les donnait pour ce qu’ils sont, c’est-à-dire pour une introduction dans la voie de l’Esprit. Le danger qu’ils ont, est lorsqu’on en veut faire la conduite de toute la vie. Les profitants, ayant goûté les prémices de l’intérieur chrétien et n’étant pas encore dégagés des formes et des espèces, font un mélange de ce qu’ils nomment commencement avec ce qu’ils croient être la fin, faute d’expérience ; et se méprenant beaucoup, ils veulent retenir les âmes dans cet état mélangé, ce qui leur nuit infiniment, les arrêtant dans la sphère lumineuse, distincte, pleine de goûts et de sentiments qui flatte beaucoup l’amour-propre, et nuit infiniment aux âmes. Ce qui est de plus déplorable, c’est que ces personnes, se disant spirituelles, font la plus rude guerre aux parfaits mystiques, parlant avec [7] une assurance entière de leurs expériences, et condamnant tout ce qu’ils n’ont pas éprouvé [comme autant] de choses impossibles et forgées par la seule imagination. Comme les degrés de ces profitants sont différents, leurs écrits le sont aussi, et ce sont eux qui s’accordent le moins entre eux et avec les autres.

7. Pour les parfaits mystiques, qui sont ceux que je compare à ceux qui sont arrivés sur la montagne, ils s’accordent très bien entre eux. Etant dans la lumière de Vérité, ils y voient les mêmes choses, ils assurent tous et affirment la bonté de la voie de [la] foi et du pur Amour. Il n’y a point de contestations dans leurs pensées ni dans leurs sentiments (quoique leurs expressions soient diverses124), parce qu’il n’y en a point dans leurs expériences. Dans tous les temps, dans tous les siècles, dans tous les pays, les mystiques parfaits ont écrit les mêmes choses, et c’est une grande consolation de voir que l’Esprit de Dieu est simple et un dans sa multiplicité. Arrêtons-nous à ces grands Maîtres qui ont éprouvé de tout, au Docteur des Gentils, le grand S.Paul, et plus que tout cela à notre divin Maître, qui nous a enseigné la pauvreté d’esprit, le renoncement à nous-mêmes, la mort au vieil homme, l’enfance spirituelle, la régénération en renaissant de nouveau, la foi au-dessus de toute vue (Thomas, tu as cru parce que tu as vu, etc.), l’amour parfait, l’union, l’unité avec lui en son Père, qui est la consommation de tout125. Enfin, l’âme expérimentée qui pénètre l’esprit de l’Evangile, y découvre tout. Dieu nous donne cet esprit ! Amen, Jésus !



*1.02 De la simplicité de l'intérieur, et sa conformité à l'Ecriture Sainte.

§ 1.

Je crois que la difficulté d'entendre les mystiques a fait paraître leur science comme barbare, et a empêché bien des gens d'entrer dans le chemin de l'intérieur. La peine qu'on a eue de les entendre vient de deux causes ; des termes dont ils se sont servis ; et de l'imagination qu'on s'en est formée.

Les termes extraordinaires, et même exagérants, dont quelques-uns se sont servis, viennent de ne pas posséder assez leur matière. Cette matière étant encore au-dessus d'eux, ils ne le l'ont [9] atteint que de bas en haut : c'est ce qui fait qu'ils ont cherché des termes extraordinaires pour se faire entendre ; ils se sont comme guindés126 en haut avec quelques instruments. Mais ceux des mystiques qui ont eu leur matière au-dessous d'eux, ou du moins de niveau, ne se sont pas servi de termes ni extraordinaires ni exagérants. Il en est comme de ceux qui voient un espace d'une étendue au-dessus d'eux ; ils ne peuvent rien discerner qu'en gros et obscurément, et ils rapportent aussi obscurément ce qu'ils ont vu : au lieu que les autres se servent de termes naturels et plus intelligibles. Peut-être Dieu l'a-t-il permis de la sorte pour cacher ses mystères aux yeux profanes, comme on couvrait autrefois d'un rideau les saints mystères lors de la consécration, soit pour les dérober aux yeux des profanes, soit pour les rendre plus respectables. C'est une science secrète et cachée.

Ce qui est déplorable, c'est qu'on blasphème les choses saintes, qu'on n'entend point faute de pureté de cœur et d'être illuminé par la foi. Ces personnes font contre les mystiques ce que faisaient autrefois les païens contre les chrétiens. Il les accusait de mille choses fausses pour les rendre odieux. De quoi n'accusait-on pas les premiers chrétiens, ces saints de l'Antiquité si admirable, et dont la vie était si pure ? On se servait de mille calomnies et contre leurs personnes et contre nos saints mystères, afin de les rendre abominables, et d'attirer sur eux la haine d'un peuple insensé et aveugle. Entre ces païens, les uns qui blâmaient les chrétiens, le faisaient de bonne foi ; parce qu'ignorant la vérité, ils croyaient les mensonges qu'on [10] débitait contre eux. D'autres, dont le cœur était corrompu et malin, les blâmaient par pure malice, et souvent agissaient contre la vérité connue, et s'endurcissaient même contre les témoignages de leur innocence ; plus ils paraissaient innocents incontestablement, plus leur haine se tournait en rage. Pour la multitude, qui n'est que comme l'écho des magistrats, des grands et des docteurs, ils haïssent et blâment non ce qu'ils connaissent, mais ce que les autres blâment. C'est ainsi qu'on a traité les mystiques dans ces derniers siècles : la passion, l'intérêt, la vengeance, l'ignorance et la malice, ont été les bêtes féroces auxquelles ils ont été livrés. Il faudrait respecter ce qui est respectable ; et loin de mépriser ce qu'on entend pas, il faut du moins en laisser à Dieu le jugement.

Pour revenir à ce que j'ai avancé d'abord, je dis que l'obscurité des termes a rendu la théologie mystique de peu d'usage ; que cette obscurité ne vient que d'être surpassé par sa matière et par son objet ; ou peut-être, comme j'ai dit, parce qu'on a cru devoir tenir cette science cachée sous ces termes aux personnes qui n'en étaient pas capables, pendant que les mystiques entre eux s'entendaient fort bien. C'est comme les termes de la médecine et de la pharmacie, qui sont assurément très barbares à qui ne les entend pas. On se sert de termes fort extraordinaires et emphatiques pour nommer les choses les plus simples. Les médecins ont cru par ces noms barbares rendre leur science plus vénérable : les mystiques, pour obéir à Jésus-Christ, qui dit127 de ne pas jeter les choses saintes aux chiens, se sont servis de termes un [11] peu extraordinaires, les uns à dessein, et les autres parce qu'ils n'en trouvaient point d'autres. Ceux dont ils se servaient leur paraissaient tout naturels selon leurs idées. Ceux qui voient leur matière au-dessous d'eux, la voient tout naturellement. Représentez-vous une personne qui voit de loin un feu sur une montagne ; s'il n'avait jamais vu de feu, il serait dans une surprise extrême. Celui qui se chauffe chaque jour n'est point étonné et dit naturellement : « c'est du feu » ; au lieu que celui qui n'en a jamais vu que de loin, emploierait beaucoup de termes pour se faire entendre sans qu'on le comprit.

Jésus-Christ a parlé de toutes les voies mystiques en des termes si naturels, que ceux qui les lisent ne croient pas que ce soit de cela qu'il parle. Cependant nous voyons qu'il n’y a rien dont Jésus-Christ n’ait parlé sans se servir de termes obscurs. Il se servait des paraboles : mais ces paraboles étaient simples, claires, des choses les plus communes, pour donner l'intelligence des plus grands mystères. Nous y voyons d'abord la pénitence prêchée ; et c'est le premier pas. Ensuite Jésus-Christ dans les huit Béatitudes nous fait voir les choses parfaites comme par degrés. Il met à la tête de toutes128 la pauvreté d'esprit, comme la plus sublime. On sait que celui qui est pauvre, n’est réputé tel que parce qu'il ne possède rien en propre ; et que s'il possédait quelque chose, il ne serait pas pauvre. Ce pauvre attend sa subsistance d'autrui. Le pauvre d'esprit, dépouillé de tout ce qu'il a de propre, attend sa subsistance spirituelle de la bonté de Dieu, vide [qu'il est] de tout ; ce qu'on appelle désapproprié. Il est en état [12] d'être illustré de la lumière céleste, qui nous est communiquée par la foi, et qui est si pure, qu'elle ne se mêle point avec les lumières de notre raisonnement : ainsi Jésus-Christ dit tout naturellement : Bienheureux sont les pauvres d'esprit ; car le Royaume des cieux est à eux. Ils le possèdent déjà par leur pauvreté, qui est une entière désappropriation : il ne dit pas, ils le posséderons ; mais ils le possèdent ; puisque sitôt qu'on est quitte des propriétés, c'est-à-dire de ce qu'on possède, quel qu'il soit, par la pauvreté d'esprit, Dieu vient en l'âme pour la perdre en lui ; et c'est le Royaume des cieux. Le mot de perte épouvante ; il est cependant tout naturel. On s'en sert également pour différentes choses : par exemple celui qui a possédé de grands biens, qui ne possède plus rien, à qui on a tout enlevé, ne dit-on pas, il a tout perdu ; c'est donc une perte. Celui qui aime excessivement, on dit qu'il est perdu d'amour. Celui qui en voyageant sur mer, fait naufrage, s'il n'a perdu que ses marchandises, on dit il a tout perdu, il est réduit à la plus extrême pauvreté ; mais s'il s'est noyé lui-même, on dit, il s'est perdu dans la mer. La première perte s'étend sur toutes possessions quelles qu'elles soient ; et la dernière c'est de nous être perdu dans la mer. Pour être pauvre d'esprit, il faut perdre toutes nos richesses spirituelles en tant que nous appartenant, et être détaché de tout.

Mais pourquoi Dieu appauvrit-il ? Pourquoi ôte-t'il les biens qu'il a donnés ? Pour se donner lui-même à nous, et pour nous posséder comme son royaume. Il en est comme d'une pauvre villageoise qu'un grand Roi voudrait épouser : il lui ôte toute ses vieilles robes, il la [13] fait dépouiller, purifier. Si cette villageoise grossière voulait garder les habits qu'elle portait alors, sans s'en laisser dépouiller, elle se rendrait indigne des bontés du Roi. Après qu'on l'a ainsi dépouillée, il faut la nettoyer et purifier des mauvaises odeurs qu'elle avait contractées dans son premier état : ensuite il faut ôter sa grossièreté, la polir ; lui apprendre les manières d'agir avec un grand Roi, la souplesse infinie à toutes ses volontés sans qu'il en ose paraître aucune des siennes, une reconnaissance infinie des bontés du Roi ; et pour conserver la reconnaissance que sa bonté mérite, il faut qu'elle n’oublie jamais sa bassesse à quelque degré d'élévation qu'on la mette, qu'elle ne prenne rien pour elle, qu'elle confesse hardiment que toute gloire, tout honneur appartient à son Roi, quelle est une simple villageoise. Si le roi lui ôte les ornements qu'il lui a donnés, elle laisse faire, sachant que n'étant rien elle ne doit rien prétendre. Elle l’aime si véritablement, qu'elle ne songe qu'à le satisfaire ; elle ne pense pas à ce qu'elle deviendra : s'il la remet dans son état bas et ravalé, elle est contente.

Jésus-Christ nous apprend les moyens d'arriver à cette pauvreté spirituelle que les mystiques appellent désappropriation, en nous disant129 : Renoncez-vous vous-mêmes, portez votre Croix, et me suivez. C'est là toute la voie mystique ; se renoncer sans cesse et sans relâche ; souffrir toutes les croix extérieures et intérieures qui nous arrivent ; et suivre Jésus-Christ, marcher par les chemins qu'il a passé, ne s'en détourner ni à droite ni à gauche. Mais comme l'homme s'aime soi-même, qu'il s'attache à tout ce qu'il rencontre ; [14] que s'il perd une chose, il s'attache plus fortement à celle qu'il rencontrera, il s'attache aussi aux biens spirituels lorsqu'il perd les autres ; et il s'y attache même plus fortement avec plus d'orgueil, se les appropriant davantage que les autres. Il faut donc se renoncer en tous ces biens spirituels pour entrer dans la pauvreté d'esprit. Tout ceci a une enchaînure autant naturelle que divine. Voilà donc le renoncement continuel en toutes choses sans exception, et la pauvreté spirituelle, qui est la désappropriation.

Ensuite Jésus-Christ après le renoncement de tout ce qui est hors de nous et en nous, propose une souffrance ; non une souffrance de choix, mais de porter toutes les croix et les adversités que la Providence nous envoie, et cela130 tous les jours ; non une croix anticipée, mais la croix du moment présent, comme il dit ailleurs131, à chaque jour suffit son mal. Si l'on savait faire usage des croix du moment présent, on serait heureux. Il n'y a que celles-là dont nous puissions faire usage. Les autres sont passées, ou incertaine, ne sachant pas si elles viendront jusqu'à nous. Ce sont donc les présentes dont nous devons faire usage, puisque ce sont celles qui sont en notre disposition. Il y en a, comme dit saint François de Sales, qui s'imaginent qu'ils iraient combattre un monstre en Afrique, lorsqu'ils ne sauraient souffrir une mouche. Et je dis que bien des gens négligent les croix journalières qui se rencontrent dans tous les moments, sans vouloir les souffrir, et qui grossissant dans leur imagination leur force et leur courage, se persuadent qu'ils porteraient de plus grandes afflictions que celles des plus grands [15] saints, et même le martyre : ils sont amusés par là, rempli d'orgueil et de présomption ; pour un bien qui ne subsiste que dans l'imagination, et qu’ils n'auront jamais, ils laissent perdre les biens dont ils pourraient profiter chaque moment, semblables à ceux qui sur l'idée d'une succession imaginaire qu’ils n'auront jamais, laissent perdre tout leur patrimoine.

Jésus-Christ nous dit encore, de le suivre, de pratiquer les maximes évangéliques, le suivre dans la pauvreté, les mépris, les ignominies, les douleurs, les peines corporelles et spirituelles, le suivant en tout pas à pas, et passant par où il a passé.

De plus, il nous apprend à quitter notre volonté propre pour faire celle de Dieu132 : Je ne suis point venu pour faire ma volonté ; mais celles de mon Père. Il est écrit au commencement du livre : je viens pour faire votre volonté. Il nous apprend à ne chercher que la gloire de Dieu, et non la nôtre133 : Je ne cherche point ma gloire ; mais celle de celui qui m'a envoyé.

Il nous instruit de l'abandon intérieur et extérieur134 : Ne soyez pas en souci du lendemain. Celui qui nourrit les oiseaux, qui habille si magnifiquement les lis des champs, ne vous manquera pas. Il reproche sans cesse le défaut de foi, si contraire à l'abandon. Il ne veut point qu'on craigne ; il veut qu'on s'appuie sur celui qui ne peut nous manquer. Ne dit-il pas à ses disciples135 : Lorsque je vous ai envoyé sans besace, sans argent, quelque chose vous a-t-il manqué ? Rien, Seigneur. Sa bonté était si grande, qu'il instruisait ses disciples grossiers en leur faisant faire [16] l'expérience des choses. Il les envoyait à l'aveugle, dépourvus de tout, sans qu'ils y fissent attention ; et dès qu'ils étaient de retour, il leur faisait remarquer comme il avait pourvu à tous leurs besoins, que rien ne leur avait manqué, parce qu'ils s'étaient abandonnés à sa conduite. Il les instruit de136 chercher uniquement le règne de Dieu et sa justice, que tout leur serait donné comme par surcroît ; c'est-à-dire, de procurer le règne de Dieu en nous comme l'unique nécessaire, par la perte de tout le reste ; et la justice de Dieu, c'est-à-dire, qu'il se fasse justice en nous et en toutes les créatures, nous ôtant tous les obstacles qui s'opposent à son règne, restituant les usurpations que nous avons faites : c'est encore ici la désappropriation.

Ensuite il nous apprend à nous abandonner dans les afflictions, les persécutions137 : Lorsqu'on vous mènera devant les juges, ne songez point à ce que vous devez répondre, et ne vous en embarrassez point ; car il vous sera donné des raisons et des réponses auxquelles vos ennemis ne pourront résister ni contredire. Voilà donc encore l'abandon marqué dans les choses les plus extrêmes : car il n'y va pas moins que de la vie de se méprendre dans ses réponses devant les juges.

Voulons-nous des exemples d'abandon dans la prière de silence et de retraite138 ? Lorsque vous voudrez prier, entrez dans votre cabinet. Ne faites pas comme les païens, qui croient que la multitude des paroles les fera exaucer ; mais vous, parlez peu : car votre Père céleste connaît vos besoins avant que vous les lui demandiez. Nous verrons dans la suite ce que saint Paul dit là-dessus. [17]

Pour l'oraison : Jésus-Christ nous exhorte139 à toujours prier : il nous en donne l'exemple, lui qui passait les nuits sur la montagne à faire la prière de Dieu. Il nous fait demander140 son règne, et le parfait accomplissement de sa volonté comme dans le ciel : il veut que nous demandions ce pain qui passe toute substance, qui n'est autre que lui-même, qui comme Verbe est la vie de nos âmes. Quant à cette prière toute spirituelle et toute intérieure, ne l'a-t-il pas enseignée à la Samaritaine lorsqu'il lui dit141, d'adorer le Père en esprit et en vérité. Dieu étant pur esprit, il veut que l'hommage et l'adoration soit proportionnée à ce qu'il est.

Après ces maximes d'abandon et de foi qu’il tâche de nous imprimer, il nous fait comprendre que la meilleure pénitence est celle de l'amour ; que142 plusieurs péchés ont été pardonnés à Madeleine, parce qu'elle a beaucoup aimé. Ne nous fait-il pas voir en sainte Marthe combien l'empressement pour les meilleures choses est nuisible143 ? Marthe, Marthe, vous vous empressez de beaucoup de choses ; Marie a choisi la meilleure part qui ne lui sera point ôtée. Quel était cette meilleure part ? L'amour et le silence aux pieds de Jésus-Christ pour écouter ses paroles. Quels étaient les empressements de Marthe ? C'était pour nourrir Jésus-Christ. N’a-t-il pas dit144, qu'il est la résurrection et la vie même ; et que qui croit en lui ne mourra point ?

Mais revenons à la suite : ne nous dit-il point145, de haïr notre âme pour son amour ? Quelle est cette haine de notre propre âme, [18] sinon la propriété et le moi, qu'il faut haïr en nous, laissant Dieu disposer de notre âme comme il lui plaira, la gouvernant selon sa volonté, qu'il en dispose si absolument que je ne m'informe pas de ce qu'il en fait ? Après m'avoir enseigné qu'il faut146 tout perdre, pour conserver mon âme, qui est le premier degré de la perte, il m'enseigne que je dois même perdre mon âme pour lui147 : Quiconque, dit-il, veut bien la perdre pour moi, la sauve ; et qui croit la sauver, la perdra. Y a-t-il rien de plus positif ? Si je perds tout ce que j'appelle ma propre âme, mon moi, toute propriété, je sauverai mon âme; mais si je m'appuie sur mes œuvres, croyant me mieux sauver moi-même, je me perdrai. Notre Seigneur nous fait voir en beaucoup d'endroits par des paraboles et autrement, le peu de fond que nous devons faire sur nos œuvres : mais il nous apprend encore qu'il faut perdre, comme j’ai dit, ce que l'âme a de propre, le moi, etc. ; et la perdre ensuite en Dieu par l'amour et la foi, où l'on trouve un véritable salut : c'est pourquoi l'Ecriture dit148 : Tous ceux qui sont en vous sont comme des personnes ravies de joie.

Mais pour ne pas quitter l'Évangile, voyons-y les états les plus sublimes des mystiques. C'est dans le sermon et dans la prière de Jésus-Christ après la Cène. Jésus-Christ, dans cette prière, parle d'union, d'unité, de consommation en un149 : Mon Père, qu'ils soient un comme vous et moi sommes un : qu'ils soient tous consommés en unité. Voilà la perte en Dieu. Mon père, je veux que ceux-ci soient où je suis. Consommé en un s'appelle [19] unité, mêmeté, transformation ; comme on verra en S. Paul.

Pour les communications plus intérieures : Saint Jean sur la poitrine de Jésus-Christ ne participait-il pas à ces communications et à l'écoulement du Verbe en lui150 ? Et lorsque la Sainte Vierge approcha de sainte Élisabeth, il se fit une double communication, de Jésus-Christ avec saint Jean, et de la Sainte Vierge à sainte Élisabeth, qui lui donna une pleine connaissance de ce qu'elle était. Jésus-Christ même ne comparait-il pas ce même écoulement du Verbe dans l'âme151 à la sève qui monte en la vigne ? Et comme la sève s'insinue dans tout l'arbre, sans qu’on voie comme cela se fait ; de même cette vie du Verbe se glisse en nous insensiblement par l'évacuation des humeurs impures, par le retranchement du bois superflu. Il devient la vie de notre vie ; s'étendant et se répandant dans toute l'âme.

Ne nous montre-t-il pas l'état passif ? La vigne se laisse travailler et tailler comme il plaît au Père, qui est le vigneron. Jésus-Christ est cette vigne en qui nous sommes entés ; en sorte que nous ne devons plus avoir rien de propre, mais vivre de sa vie. Vivez en moi, comme je vis en mon Père. Saint Paul dit, que152 nous sommes entés en Jésus-Christ, ce qui a rapport à ce que Jésus-Christ dit de la vigne et du vigneron. Tout arbre qui ne porte point de fruit en Jésus-Christ, sera arraché : cela marque toutes les âmes et les œuvres propriétaires : elles ne portent point de fruit en Jésus-Christ ; il n'y a que celles dont Jésus-Christ est le principe, lorsque nous sommes entés en lui, c'est-à-dire tellement [20] unis à lui, que nous ne le faisons qu'une totalité d'arbre : car quoiqu'un arbre ait bien des branches, elles portent toutes le nom de l'arbre ; le fruit est réputé être de l'arbre et venir de lui : on ne fait point de distinction des branches pour attribuer le fruit à l'une ou à l'autre153 : Demeurez en moi, et moi en vous : et comme la branche de la vigne ne peut porter de fruit par elle-même, mais il faut qu'elle demeure attachée au cep; ainsi vous n'en pouvez point porter si vous ne demeurez attachés à moi. Il n'y a point une union plus étroite que celle d'une branche entée au cep, duquel elle reçoit sa vie, sa vigueur, et qui est le principe des fruits qu'elle porte.

Jésus-Christ nous recommande le pur amour lorsqu'il nous dit154 : Vous aimerez le Seigneur de tout votre cœur, de toute votre âme, de toutes vos forces et de tout votre esprit ; qui est la perfection de l'amour. On peut aimer de tout soi-même ; mais hors de soi [ou sans se considérer] S. Paul appelle cet amour pur155, charité ; et S. Jean dit aussi la même chose. Il y aurait bien à dire pour prouver le pur amour. Il suffit de dire que pour être pur il doit être sans propriété ni rapport à soi, qu'il faut aimer Dieu de tout ce que nous sommes, et de toutes nos forces et puissances ; en sorte que nous l'aimions de toute l'étendue et la perfection de l'amour.

L'amour se démontre par un accomplissement entier et sans réserve de toutes les volontés de Dieu, quelques rigoureuses qu'elles paraissent à la nature. Que produit cet amour et cet accomplissement de la volonté de Dieu ? Jésus-Christ nous le dit156 : Si quelqu'un fait ma [21] volonté, mon père l'aimera, nous viendrons à lui, et nous ferons notre demeure en lui ; et ailleurs, nous souperons avec lui.

L'Ecriture ne dit-elle pas, que157 Jésus-Christ est notre Pâque ? Cette Pâque ou passage, avait été dans l'ancienne loi comme une figure de ce passage ici par la manducation de l'agneau et par la manière dont on le devait manger. L'empressement que Jésus-Christ marquait158 pour manger la Pâque avec ses disciples, était bien plus le désir de leur désappropriation pour les faire passer par lui en son Père, les y cacher et perdre ; c'est pourquoi il fit cette prière159 : Père, je désire qu'ils soient où je suis, cachés et perdus en vous. La manducation de la Sainte Eucharistie était comme l'expression de la formation de Jésus-Christ, comme il fut dit à saint Augustin160 : Vous ne me changerez pas sans vous ; mais je vous changerai en moi. Qui mettrait tous les passages qui expriment l'intérieur, on serait étonné de ne l'avoir pas remarqué répandu partout ; on verrait sa folie, d'avoir traité une telle réalité de chimère et de chose forgée à plaisir.

L'Ancien Testament dit161 : Passez en moi ; vous tous qui me désirez avec ardeur. Voilà donc la perte ou le passage de l'âme en Dieu. Or comme Dieu ne souffre rien d'impur sans le rejeter nécessairement à cause de sa nature de Dieu, il faut conclure qu'il faut être purifié radicalement pour passer en Dieu.

Cette purification radicale s'appelle désappropriation entière ; parce que la pureté radicale est la propriété, l'amour-propre, l'esprit propre, [22] le propre jugement, la propre volonté. C'est ce qu'il faut qu'il soit purifié : car il est certain qu'une chose fixée dans sa forme propre, ne peut jamais être informée d'une autre qu'on ne la fonde, c'est-à-dire qu'on ne lui ôte sa fixation, afin qu'elle puisse prendre la nouvelle forme qu'on lui veut donner. Un corps opaque ne peut devenir transparent qu'en changeant sa forme première.

Le caillou, par exemple, à force de feu, est changé en cristal : ainsi l'amour sacré, comme un feu dévorant et véhément, purifie notre esprit par le moyen de la foi, et le fait changer de nature. Or ce caillou étant devenu d'opaque diaphane et transparent, reçoit les purs rayons de la lumière en soi, et est rendu tout lumineux ; ce qui n'aurait pas été s'il était resté dans sa nature de pierre. Notre esprit changeant sa propriété, sa qualité dure, fixe, bornée, rétrécie, est illustré de la lumière divine, il est imprimé de la vérité ; non en manière d'éclairs brillants et lumineux, ce qui ne convient point à l'esprit purgé, mais à celui qu'on veut purifier. Ces éclairs étant des lumières momentanées, ne sont point du ressort de l'esprit purgé, qui se trouve imprimé d'une lumière simple, pur, générale, nue. Tout ce qui ne termine pas la lumière, ne lui donne point de brillant ; mais une clarté simple, pure, générale, indistincte en elle-même, quoiqu'elle serve à [connaître et] distinguer les objets tels qu'ils [23] sont, sans méprise. Une lumière éclatante fait briller les objets, même la boue ; mais la lumière simple la fait voir ce qu'elle est, c'est-à-dire boue. C'est ce qui termine la lumière qui lui donne ce brillant par une certaine réflexion. Notre Seigneur voyant la nécessité de dépouiller notre esprit de toute restriction, afin qu'il soit imprimé de la vérité, recommande la pauvreté d'esprit, qui ne retenant rien et étant nue dans la nudité même, ne bornant point la lumière, ne lui cause point de faux brillants. C'est le Saint Esprit qui étant lumière et chaleur, opère ces choses. C'est pourquoi il est dit : Passez en moi, vous qui me désirez avec ardeur. Quand l'amour est assez ardent pour détruire toutes les propriétés, l'âme passe en Dieu.

On me demandera quelle séparation on peut faire en une chose spirituelle ? C'est la séparer du matériel : or on ne peut nier que les fantômes, espèces, imaginations, ne soient des choses matérielles. Il faut aussi que l'esprit soit séparé de tout ce qui le multiplie et le divise (pour ainsi parler) en plusieurs objets. Car la pureté de l'esprit consiste dans la simplicité et unité, comme dit Jésus-Christ162 : Si votre œil, qui signifie l'Esprit, est simple, tout votre corps sera lumineux. Il faut qu'il soit séparé de tout ce qu'il y a d'opposé à Dieu, qui est, l'élévement et l'amour de la propre excellence. Il faut que le Saint Esprit sépare et purifie ces choses.

Cet Esprit Saint parut aux apôtres comme un163 grand vent, et comme un feu, qui sont deux différentes purifications. Le vent sépare la paille du grain ; et le feu dissout, consume, détruit, dévore ce sujet : le vent augmente son ardeur. [24]

C'est par le feu de l'amour sacré que la volonté est séparée de ce qu'elle a de propre. Or il faut que la volonté devienne si souple et pliable, qu'elle puisse recevoir l'impression de la volonté divine. Tant que nous restons attachés à notre volonté propre, nous avons une opposition entière à être impressionnés de la volonté de Dieu. C'est ce qu'il y a de propre en notre volonté qui doit être séparé d'elle, afin qu'elle passe en Dieu, sa dernière fin.

Il est certain que par l'entière désappropriation nous devenons le royaume de Dieu, et que nous sommes alors mûs et régis par lui. Les actions d’un sujet passif ne lui sont pas attribuées, mais à son agent. Les actions que Dieu opère par l’âme purifiée ne doivent point être attribuées à l'homme, mais à Dieu. Or est-il que toutes les actions qui ne sont point de la chair ni de la propre volonté de l'homme, sont opérés par la volonté de Dieu.

Afin que cette volonté divine soit le principe de nos mouvements, il faut que tout ce qui est de la volonté propre de l'homme soit détruit, et que la volonté, purifiée par la charité, s'écoule en Dieu par la même charité. Alors la volonté de Dieu est le principe de notre vouloir, comme le Saint Esprit est le principe de l'esprit purifié.

Que la volonté puisse passer dans sa fin dès cette vie, le Pater y est formel ; puisque nous devons faire la volonté de Dieu sur terre comme au ciel. Aucun bienheureux ne conserve rien de propre ; car il cesserait d'être au ciel où il n'entre que des êtres purifiés et parfaitement uniformes : ils sont tous plongés en ce Dieu immense comme dans une mer d'amour et de lumière : [25] on peut être de même en cette vie, quoique moins parfaitement qu'au ciel. Il y a eu en cette vie des saints plus parfaits qu’au ciel, comme la sacrée Vierge et d'autres encore. On peut avoir une plus grande étendue d'amour que quelques bienheureux : mais on n'est pas dans toute la perfection de l'amour ; puisqu'il peut toujours augmenter et s'accroître tant que nous vivons, et qu'au ciel il a trouvé le point fixe et invariable de sa perfection.

Que dès cette vie on puisse être uni et transformé en Dieu, c'est de quoi l'Ecriture est pleine de preuves, comme j'espère de le faire voir par S. Paul. Mais de plus, il est aisé de comprendre que tout effet n'a de perfection qu'autant qu'il approche de sa cause, et que tout principe imprime dans les sujets émanés de lui une tendance à être réuni au Tout. Tout centre imprime la même tendance à ses sujets sortis de lui. La pierre tend en bas, le feu en haut, et tend par son activité vers sa sphère. Les fleuves courent avec rapidité dans l'océan, où toutes les eaux se renferment comme dans le centre dont elles partent. Notre corps sortie de la terre, tend à la terre ; et deviendrait terrestre et animal si l'esprit ne le rectifiait : après sa mort ne retourne-t-il pas à la terre dont il est sorti, selon ce que dit l'Ecriture164 : Tu es poudre, et tu retourneras en poudre ? L'esprit est sorti de Dieu ; il est une participation de lui-même : nous sommes créés à son image, qui est son Verbe, qui a été imprimé dans toute notre âme. Cette âme a donc tendance infinie de retourner à sa fin, de s'y plonger, et de s'y perdre ; et elle le ferait sans doute si elle n'était pas arrêtée par des obstacles. [26]

Toutes choses ayant été produites de Dieu et tirées du néant, notre premier centre est le néant, où nous devons rentrer avant que de passer dans notre centre éminent, qui est Dieu. C'est cette humilité entière, cette vacuité de ce que nous sommes appropriés, ce vide de nous-mêmes, qui nous remet dans notre place, qui est le néant ; c'est où nous sommes bien, et en repos, comme le ver dans la terre. Et lorsque nous sommes réduits à ce néant, dont parle le Roi prophète165, J'ai été réduit à néant, c'est alors qu'il arrive ce que dit la Sainte Vierge166 : Quia respexit humilitatem ancillae suae : Il a regardé la bassesse de sa servante. Et ce regard de Dieu sur l'âme ainsi reposée dans son néant, et dégagés des obstacles qui l'empêchaient d'être unis à son Principe (qui l'attire à lui), la fait passer en lui après l'avoir entièrement purifiée ; comme le soleil après avoir attiré à soi une vapeur la purifie au point qu'elle se joint à son rayon et fait corps avec lui. Notre âme attirée de Dieu passe [ainsi] en lui, et devient, selon saint Paul167, un même esprit avec Dieu.

§ 2.

[27] Vous voyez que tout ce chemin est SIMPLE : tout ce qui est dans la nature nous prêche l’INTÉRIEUR. Lorsque les yeux sont illuminés, ils le voient répandu partout, car l’intérieur n’est autre qu’une participation de cet Esprit vivant et vivifiant qui anime toute chose. Rien n’est plus simple que l’intérieur, et si l’on comprenait bien que c’est le propre état de l’âme convertie et tournée vers Dieu, ensuite attirée et purifiée par son amour, on ne s’en ferait pas des chimères. On s’en fait des monstres, pour avoir le plaisir de les combattre, au lieu de comprendre que c’est le propre état de l’âme, la fin de sa création, son lieu de repos. Elle est partout ailleurs dans un état violent ; et là elle trouve une paix parfaite, parce [28] qu’arrivant à son centre et ensuite l’ayant trouvé, elle est hors des agitations de ceux qui y tendent. Elle discerne que son néant, d’un côté, par rapport à ce qu’elle a de propre, est son centre, et que Dieu est le centre de toute l’âme et tout son bonheur.

On m’objectera que les mystiques parlent pourtant de certaines purifications si douloureuses, et de tant de moyens différents et inouïs168 dont Dieu se sert pour purifier l’âme, ce qui est bien éloigné de ce repos heureux dont je parle. A cela je dis que les purifications ne viennent que des impuretés qui sont en nous, de nos attaches et de nos résistances, car Dieu, comme dit l’Ecriture, est un feu dévorant169 : il faut que sa Justice consume et détruise tous les obstacles qui nous empêchent d’être unis à lui. Si elle ne le fait en cette vie, elle le fera en l’autre. La Justice ne fait point souffrir par elle-même. Elle est béatifiante et non crucifiante, puisqu’il est certain que, sans changer de situation, elle béatifie le sujet auquel elle a fait souffrir d’extrêmes douleurs. C’est donc l’impureté qui est en nous qui nous fait souffrir et non pas la Justice, de même que le soleil blesse les yeux malades et réjouit ceux qui se portent bien. Il est vrai que la Justice ne saurait souffrir aucune impureté, qu’elle ne l’attaque vivement pour tâcher de la détruire. Elle est surtout attachée à la propriété, qui est la source des usurpations et la mère de toute impureté. S’il y avait une âme assez simple, souple et fidèle pour la laisser agir, elle ne souffrirait rien, ou presque rien. Mais l’attachement que nous avons pour nous-mêmes, est incroyable. L’amour-propre, [29] l’amour de la propre excellence (péché de Lucifer) est si difficile à détruire que Dieu livre quelquefois à des tentations basses pour guérir cet orgueil, puisqu’il y a bien livré saint Paul, qui le raconte lui-même de lui-même170. Plus on est attaché, plus on souffre. Plus on laisse faire la Justice sans résistance, plus tôt on est délivré de ses peines, car qui a pu résister à Dieu et vivre en paix171 ? Les personnes qui se laissent volontiers dépouiller de tout ce qu’elles ont de propre, souffrent beaucoup moins.

Ce dépouillement est celui du vieil homme. Ce que prétend la divine Justice est de nous faire de nouvelles créatures en Jésus-Christ, afin que tout ce qui est de l’ancien soit passé, que tout soit rendu nouveau172. Cette purification se fait par la connaissance expérimentale de ce que nous sommes, qui nous rend si petits, si rien, que nous sommes comme réduits au néant : Si quelqu’un se croit être quelque chose, n’étant rien, il se trompe173. Quand on parle d’anéantissement, on n’entend jamais un anéantissement physique, car rien ne se détruit dans la nature : quand une chose a été, elle reste et ne change que de forme. Notre corps change de forme lorsque la pourriture l’a réuni à la terre.

Notre esprit est changé lorsque la simplicité l’a rendu si pur et si délié qu’il est en état de se rejoindre à son Tout, comme une petite étincelle qui se perd dans un grand feu174. On remarque tous les jours qu’un petit feu ne saurait subsister auprès d’un grand : il s’amortit et il ne reprend sa vigueur que lorsqu’on l’en éloigne. Si ce petit feu a de la flamme, vous la voyez se courber avec une [30] extrême activité et tout d’un coup s’élancer de ce côté pour s’y réunir. Si ce ne sont que des charbons, ils s’éteignent insensiblement, comme si ce grand feu avait une vertu secrète pour attirer ce qui reste de lumineux et d’ardent dans ce petit feu, afin de se le réunir. C’est ainsi que l’Esprit Saint en use. Il attire à soi ce qu’il y a dans notre âme de lumière et d’ardeur, amortissant en nous ce qui nous est propre et nous faisant passer en lui. C’est ce que dit Jésus-Christ à Nicodème175 : Ce qui est de la chair, est chair ; ce qui est né de l’Esprit, est esprit. […] On entend sa voix, mais on ne sait d’où il vient, ni où il va : il en est de même de tout homme qui est né de l’Esprit.

Lorsque le feu se réunit à un autre feu, il ne reste plus qu’un charbon éteint : le feu paraît mort et anéanti. Il vit cependant bien mieux dans ce plus grand feu qui l’a attiré, et si le feu était immortel et éternel, cette petite portion de feu deviendrait immortelle et éternelle par cette union à son tout. Notre âme, perdant ce qu’elle a de grossier, se réunit en manière de lumière et de feu à ce Tout lumineux et ardent, qui est le Saint-Esprit : elle est séparée de ce qu’elle a de grossier et de propre, comme le feu l’est de la matière qui le retenait lorsqu’il passe dans un feu qui lui est beaucoup supérieur. Le Saint-Esprit sépare notre esprit du grossier de ce que nous avons de propre. Il le fait d’une manière si secrète que l’on ne sait ni d’où il vient, ni où il va, mais enfin il l’attire, le perd et le mélange avec son Tout. Il reçoit cette petite étincelle dans cette mer immense de lumière et d’ardeur. L’esprit passe dans la Vérité immense, qui est la seule lumière ; et la volonté dans l’Amour, [31] qui est son lieu propre, de sorte que cet amour borné et limité, à force de se tourner comme la flamme vers ce Tout immense, se détache insensiblement de ce qui l’arrêtait et se rejoint à son principe, qui est ce Dieu tout amour176.

On voit par là que nous ne serons jamais réunis à ce Tout lumineux et ardent que nous ne perdions ce que nous avons de propre, qui nous retient attachés à nous-mêmes. Cela est naturel et facile ; il n’y a rien là d’étrange ni de barbare. Lorsque Jésus-Christ parle de la simplicité, ne dit-il pas : Si votre œil est simple, tout votre corps sera lumineux177 ? C’est-à-dire, si votre esprit est purifié par le Saint-Esprit, vos actions seront pures ; vos pensées et tout votre extérieur sera purifié par cette simplicité.

Après avoir parlé de la purification et de l’entière désappropriation, il faut voir ce que Jésus-Christ dit à Nicodème sur la nouvelle vie : Si vous ne renaissez de nouveau, vous ne pouvez entrer au Royaume du Ciel, et tout ce que contient cet admirable Évangile où il dit des choses si profondes. Il fait voir que ce qui est né de l’Esprit, est esprit, et ce qui est né de la chair, est chair. Nous sortons de la circonférence de la chair et du monde par la désappropriation, et le Saint-Esprit devenant principe de nos œuvres : elles sont nées de l’Esprit178. De plus, par la régénération ou la nouvelle vie, nous sommes faits spirituels, de charnels que nous étions, et cette opération est du Saint-Esprit qui purifie absolument l’esprit. Lorsqu’il est purifié, l’Esprit Saint nous anime, et Jésus-Christ devient notre vie179, comme saint Jean dit que ceux qui sont [32] les enfants de Dieu sont ceux qui ne sont point nés de la volonté de la chair ni de la volonté de l’homme, mais de la volonté de Dieu180. Saint Pierre ne nous exhorte-t-il pas à devenir enfants et à nous nourrir du lait spirituel, comme des enfants nouvellement nés181 par cette nouvelle naissance dont Jésus-Christ parle à Nicodème et à ses disciples : Si vous ne devenez comme des enfants, vous n’entrerez point au Royaume des Cieux : il est pour ceux qui leur ressemblent ? 182. Jésus-Christ ne se dit-il pas voie, par laquelle nous devons marcher ; vérité, qui doit nous éclairer ; et vie, qui nous doit animer et vivifier183 ? Ailleurs : Je suis le principe qui parle même à vous184 ? C’est comme s’il disait : « Si vous écoutiez mes paroles et que vous les gardiez, je deviendrais moi-même le principe de toutes vos actions et de vos paroles, je parlerais par vous, et je me ferais entendre en vous ; et ensuite, je parlerais par vous aux autres ». Ce qui regarde la vie apostolique185.

Nous disons que le Verbe s’incarne mystiquement en l’âme lorsqu’elle est régénérée. Cette demeure du Verbe dans l’âme et cette union d’unité, (dont Jésus-Christ parle), ne di[sen]t-elle[s] pas toutes ces choses ? Nous viendrons en lui186, etc. Nous verrons ci-dessous ce qu’en dit saint Paul.

L’âme devenue nouvelle créature en Jésus-Christ, passée avec lui en Dieu et transformée en son image187, participe au-dedans au commerce ineffable de la Sainte Trinité. Et comme Dieu est un et multiplié, plus cette âme est [33] une au-dedans, plus elle est multipliée au-dehors pour le bien de ses frères188, s’oubliant de toute elle-même pour leur avantage, et cela par rapport à la gloire de Dieu. J’entends [en] ce qui regarde les choses spirituelles, et non les besoins naturels de la vie. Elle imite la vie apostolique de Jésus-Christ après avoir pratiqué sa vie cachée ; elle est toute employée à procurer leur salut. Alors Dieu devient le principe unique des paroles de cette âme. On ne peut rien faire par soi-même, mais un autre Esprit se sert de la plume et de la langue de ces personnes. Et si cet Esprit ne les anime pas, ils restent dans une pure ignorance. Et lorsqu’on leur parle de ce qu’ils ont écrit, et qu’on veut leur en faire rendre raison, ils sont souvent étonnés qu’ils n’y entendent rien à moins que cet Esprit directeur ne le leur remette dans l’esprit. On fait des hymnes à la louange de Dieu : l’esprit et le cœur sont employés par lui sans savoir comment cela se fait. C’est ce que Jésus-Christ disait à Nicodème : L’esprit souffle où il veut ; on ne sait ni d’où il vient ni où il va189. Son souffle et son impulsion met[tent] tout en mouvement ; s’il se retire, tout reste comme une montre Démontée, qui ne peut aller que par son ressort. J’ai tant écrit sur tout cela que ceci suffit.

Quand Jésus-Christ parle de cette union à Dieu, il parle en même temps de l’unité entre tous ses membres : Père, qu’ils soient comme nous sommes un190. Si les esprits étaient purifiés et désappropriés en pareil degré, il y aurait entre eux une union d’unité admirable. Il est aisé de comprendre que tous les esprits, étant émanés de Dieu, auraient un égal instinct de [34] réunion à leur principe s’ils étaient entièrement dégagés des obstacles qui empêchent cette union. Mais comme les obstacles sont grands dans la plupart, plus les obstacles à la réunion sont grands, plus ils impriment la division ; et plus ces obstacles sont ôtés, plus les esprits ont de liaison. Lorsqu’ils sont dégagés selon leur degré, ils tendent ensemble selon le même degré à leur réunion, mais lorsqu’ils sont parfaitement purifiés, ils se perdent dans l’Unité et deviennent un dans cette perte, avec un rapport et une unité qu’on aurait peine à comprendre. Comme il y a, dit Jésus-Christ, plusieurs demeures dans la maison de mon Père191, il y a différents degrés des esprits purifiés. Les uns le sont éminemment et avec une étendue admirable car, quoiqu’au Ciel tous les esprits soient entièrement purifiés et désappropriés, la perfection et l’étendue n’en est pas pareille. L’entière désappropriation fait que tous les bienheureux sont unis, mais ceux qui sont en pareil degré sont bien plus un, ayant entre eux un rapport entier. Sur la terre, même les esprits purgés éprouvent cette liaison ; et plus Dieu les destine à une même perfection, plus il les rend uniformes. Saint Paul, parlant aux Corinthiens, leur dit : Je suis avec vous en esprit au milieu de vous par la puissance de Dieu192.

Pour revenir à ce que Jésus-Christ dit à Nicodème, après les choses admirables qui sont rapportées dans l’Evangile, il lui fait voir que ce sont là des choses toutes communes et de la terre. Que serait-ce donc, dit Jésus-Christ, si je vous parlais des choses du Ciel193 ? Il y a donc des choses plus élevées qu’il a tues, comme il le [35] dit à la Cène à ses disciples, après leur avoir enseigné les mystères admirables de l’union et de l’unité, qu’il aurait bien d’autres choses à leur dire, mais qu’ils n’étaient pas capables de les porter. Lors, ajoute-t-il, que l’Esprit de vérité sera venu, il vous enseignera toute vérité194 ; vous expérimenterez alors ce que vous ne faites qu’écouter : en ce temps-là vous connaîtrez que je suis en mon Père, et vous en moi, et moi en vous195.

Saint Paul parle aussi des états des plus consommés des mystiques. Et s’il ne se sert point de termes extraordinaires, c’est qu’il en parle en grand maître qui, possédant sa matière, la tourne comme il lui plaît. Car il ne faut pas croire que tous ces grands mots qui sont si durs à entendre, viennent d’un état plus avancé : au contraire, ils viennent ou d’un défaut d’expression, ou d’une expérience trop bornée et qui n’a pas eu toute son étendue, ou à dessein et pour cacher les mystères de Dieu, comme il est dit ci-dessus.

Voyons comme parle saint Paul de la perte en Dieu. Nous sommes morts et notre vie est cachée avec Jésus-Christ en Dieu196, ce qui revient aux paroles de Jésus-Christ : Mon Père, qu’ils soient un comme Vous et Moi sommes un. Vous êtes morts, c’est-à-dire renoncés. Dans un autre endroit, il dit : Tandis que nous vivons, nous sommes sans cesse livrés à la mort pour Jésus, afin que la vie de Jésus se manifeste dans notre chair mortelle. La mort opère en nous, et la vie en vous autres197. Ensuite : Si nous sommes morts avec Jésus-Christ, nous ressusciterons avec lui198, c’est-à-dire, si nous sommes morts par le renoncement et la [36] pauvreté d’esprit, nous ressusciterons avec Jésus-Christ de la résurrection spirituelle et mystique pour n’être plus à nous-mêmes, mais à celui qui nous a rachetés d’un grand prix, qui est mort et ressuscité pour nous199. Nous ne sommes plus à nous-mêmes sitôt que nous sommes désappropriés, que nous avons perdu notre propre âme en Dieu. Nous sommes transformés en l’image de Dieu200 c’est-à-dire transformés en Jésus-Christ, qui est l’image du Père, de sorte, dit-il ailleurs, que je ne vis plus, moi, mais Jésus-Christ vit seul en moi201. Je lui ai cédé par une entière désappropriation la place que je tenais en moi et que j’avais usurpée.

Lorsque les mystiques parlent de l’incarnation mystique, c’est la même chose dont parle saint Paul par le terme de formation de Jésus-Christ en nous202, qu’il appelle aussi révélation de Jésus-Christ203, non une révélation en lumière, mais une connaissance expérimentale du même Jésus-Christ. Il est dit ailleurs : A qui Jésus-Christ a-t-il été révélé ou manifesté204 ? Ce n’est pas une révélation de quelque prérogative particulière, ou de quelque autre chose lumineuse ou sensible, mais de Lui-même, suprême vérité, lorsqu’Il est formé en notre âme tel qu’Il est en justice et sainteté. Car saint Paul faisait une grande différence de l’apparition de Jésus-Christ lors de sa conversion et de cette formation et révélation de Jésus-Christ, qu’il exprime encore par ces paroles : Lorsque Jésus-Christ, qui est notre vie, viendra à paraître205 ; et encore de cette autre [parole] où Jésus-Christ lui-même dit qu’il est [37] la résurrection et la vie206 et [celle où] saint Paul [dit] qu’il ne vit plus, c’est-à-dire en lui-même, le moi étant détruit, mais que Jésus-Christ vit en lui, comme principe vivant et vivifiant.

Pour ce qui est de l’état de mort et de sépulture, saint Paul ne dit-il pas qu’il faut que nous soyons ensevelis avec Jésus Christ207, c’est-à-dire tellement dérobés aux yeux des autres et de nous-mêmes qu’on ne voie ni n’aperçoive plus rien de nous et que nous ne nous voyions plus nous-mêmes ?

Le même Apôtre ne parle-t-il pas de la motion du Saint-Esprit dans la prière, lorsqu’il dit : Nous ne savons pas ce qu’il faut demander, ni le demander comme il faut208 ? Ce qui est conforme à ce que dit Jésus-Christ : Votre Père céleste sait vos besoins avant que vous les lui demandiez209. Saint Paul ajoute : Mais le Saint-Esprit le demande pour nous avec des gémissements ineffables, car l’esprit connaît ce que l’esprit désire, et demande pour les Saints ce qui est bon, ce qui est parfait. Il n’y a rien de bon et de parfait que ce que l’Esprit désire. Il dit encore que l’Esprit prie en nous, que celui qui adhère à Dieu devient un même esprit avec lui210. [Et encore, fort expressément, que les enfants de Dieu sont mûs et agis par l’Esprit de Dieu211.]

Lorsqu’il parle de la foi, avec quelle énergie ne le fait-il pas ? Il fait même voir que la foi fut imputée à justice à Abraham, parce qu’il crut contre toute espérance212 au-dessus de tous les témoignages contraires, ce que nous appelons foi nue et qui a rapport à ce que dit Jésus-Christ : [38] Thomas, tu as cru parce que tu as vu, heureux ceux qui croiront et ne verront pas213 ! Nous appelons foi lumineuse celle qui est fondée sur les témoignages [ou marques extérieures], foi nue celle qui étant destituée de toute sorte de témoignages, s’élève au-dessus de tous les témoignages pour croire au-dessus de ces mêmes témoignages la Vérité en elle-même, et non dans ses effets discernés et connus.

L’oraison passive n’est-elle pas cette adhérence continuelle à Dieu qui nous fait être un même esprit avec Lui214 ? Car il ne faut pas croire que l’oraison passive soit une oraison destituée de vie, comme ce qu’on exerce sur un mort ; mais c’est une adhérence libre, un concours vital, qui laisse faire librement à l’agent ce qu’il lui plaît sans vouloir mettre aucun obstacle à ce qu’il fait et même le regarder, demeurant mort à l’action propre, quoique plein de vie, pour adhérer à Dieu et le laisser faire ce qu’il lui plaît.

Lorsque saint Paul parle des voies secrètes et cachées par lesquelles Dieu conduit les âmes, ne dit-il pas : O altitudo215, etc. Dans un autre endroit, il dit : Nous prêchons la sagesse entre les parfaits : la sagesse de Dieu cachée et renfermée dans un mystère que Dieu nous a révélé par son Esprit, parce que l’esprit pénètre tout, et même ce qu’il y a en Dieu de plus profond et caché216 ? Et Jésus-Christ dans un transport d’esprit dit : Père, je vous rends grâces, de ce que vous avez caché vos secrets aux sages et prudents et les avez révélés aux petits. Oui, mon Père, parce que vous l’avez ainsi voulu217, que les sages et les [39] savants ne présument jamais pénétrer cette science qu’en devenant petits. Jésus-Christ a préféré les enfants et cette simplicité enfantine à tout autre état.

Quand il s’agit d’être destitué de toute force propre pour entrer dans la force du Seigneur, outre ce que dit ailleurs l’Ecriture : L’homme ne sera jamais fort de sa propre force ; j’entrerai dans la puissance du Seigneur218, saint Paul ne dit-il pas : C’est dans ma faiblesse que je trouve ma force219 ?

Outre l’état d’épreuves que nous voyons dans l’Ancien Testament en Job, Tobie, David, les Prophètes, etc., saint Paul ne fait-il pas le dénombrement de celles qu’il a éprouvées en toute manière220? David ne dit-il pas que Dieu a éprouvé son cœur221 ? N’est-il pas dit que Dieu est un feu dévorant et consumant222 ?

S’il s’agit de gloire, saint Paul ne se glorifie que dans la croix de Jésus-Christ223 mais pour la charité ou l’Amour pur, que ne dit-il pas ? Outre David, qui fait voir qu’il n’a rien à désirer au ciel ni en terre que Dieu224, Paul, après Moïse225, veut bien être anathème pour ses frères226. Quoique ce ne soit qu’une charité dérivante, que ne voudrait-il pas faire pour le souverain bien lui-même ? Mais quelle estime de la charité fait celui qui dit : Quand je livrerais mon corps aux flammes, quand je parlerais le langage des Anges, quand je donnerais tout mon bien aux pauvres etc., si je n’ai la charité, je ne suis rien227. Celui qui parle de la sorte, [40] reconnaissait la Charité infiniment au-dessus de tout cela. Il prétend que sans la charité les plus grandes œuvres sont comme un airain résonnant, qui éclatent au-dehors, font du bruit, mais sont vides au-dedans, étant destituées de la charité qui donne la vie et la valeur à tout le reste. Je sais que le motif de la récompense est utile, et même nécessaire pour les commençants, que c’est souvent le plus fort motif de la conversion, mais il ne faut pas en rester là. C’est la porte : qui voudrait toujours rester à la porte parce qu’on y a passé, paraîtrait extravagant. Car le même Jésus-Christ qui nous a assuré qu’il est la porte par où il faut passer, nous apprend en même temps qu’il est la voie qu’il faut suivre après être entré par la porte. Il entrera, dit Jésus-Christ, et sortira par moi228 : passage qui veut aussi marquer qu’on entre par Jésus-Christ en son Père et qu’on sort par lui dans la vie apostolique, et que c’est le même Jésus-Christ qui nous ayant fait passer en son Père, devient le principe de ce que fait l’homme qui est apostolique, non par choix propre, mais par état, comme dit saint Paul, par la vocation et l’appel de Dieu229, sur quoi Jésus-Christ dit à ses Apôtres : Ce n’est pas vous qui m’avez choisi, mais c’est moi qui vous ai choisis et tirés du monde230.

Que ne dit pas saint Paul de cette paix au-dessus de tout sentiment231 qui est la même que Jésus-Christ donne à ses Apôtres lorsqu’il leur dit : Je vous donne ma paix, je ne vous la donne pas comme le monde la donne232. Jésus-Christ dit : L’Esprit consolateur demeurera en vous233. Si l’Esprit consolateur demeure en nous, qui [41] peut nous affliger ? Nous ne nous affligeons pour l’ordinaire que pour notre propre intérêt, mais lorsque le Saint-Esprit a détruit le notre propre, le moi, et qu’il habite en nous, notre joie est alors pleine et parfaite, parce que cette joie n’est pas en nous pour nous, mais en Dieu pour Dieu. C’est ce que disait la sainte Vierge : Et exultavit spiritus meus in Deo salutari meo234. Saint Paul nous dit de nous réjouir sans cesse dans le Seigneur235, et Jésus-Christ nous assure que rien ne nous ravira notre joie236.

Pour ce qui est de la stabilité dans la charité ou Amour pur, nous sommes assurés que les puissances, les principautés, les tourments, la mort même ne nous sépareront pas de la charité de Dieu qui est en Jésus-Christ237. C’est l’assurance que Jésus-Christ donna lorsqu’il dit : Nul ne vous ravira votre joie : cette joie qui vient du pur amour, qui, comme dit S. Jean, bannit toute crainte238 : parce que nous ne craignons que par rapport à nous et que le parfait amour bannissant tout rapport à soi, en bannit toute crainte. Rien n’égale la dignité de l’amour ; c’est pourquoi il est écrit : Quand un homme donnerait tout ce qu’il possède pour l’amour, il compterait tout cela pour rien239 au prix de l’amour. C’est pourquoi il ne faut pas s’étonner si l’amour nous dépouille de tout pour nous posséder pleinement. Il est encore dit dans les Cantiques que la multitude de grandes eaux ne saurait éteindre la charité240. Et pourquoi ne peut-elle s’éteindre ? C’est que celui qui demeure en charité demeure en Dieu : [42] car Dieu est charité241. Dieu, dit l’Apôtre, nous fortifie dans l’homme intérieur par son Esprit ; Jésus-Christ habite par la foi dans nos cœurs. Nous sommes enracinés et fondés dans la charité, afin que nous soyons comblés de toute la plénitude de Dieu ; celui qui par sa puissance agit en nous avec efficace, fait infiniment plus que tout ce que nous demandons et pensons242. Il n’est point parlé ici d’un état passager, mais d’un état affermi (manet, habitat), ce qui se rapporte aux paroles de Jésus-Christ : Nous ferons notre DEMEURE en lui243. Ce n’est donc plus une chose momentanée, mais un état réel. Si celui qui demeure en charité demeure en Dieu, si celui qui adhère à Dieu devient un même esprit avec Lui, si on passe en Dieu, si on est transformé en Lui, qui peut condamner ou censurer ce qu’en disent les mystiques ?

Il y a tant d’autres passages dans le Nouveau Testament, et un si grand nombre dans l’Ancien, que si on voulait les citer, on en ferait un volume. Ceci suffit pour faire remarquer que LA VIE INTÉRIEURE n’est pas une chimère puisqu’elle est fondée en Jésus-Christ et par lui, soutenue par saint Paul et par une infinité de saints ; et aussi, [cela suffit] pour en faire voir la simplicité, (qui est la première chose que je me suis proposée), et [pour faire remarquer244] que les termes extraordinaires ne viennent que parce que nous ne savons pas nous exprimer. Un homme intérieur doit être un Évangile vivant, mais il est caché aux sages et savants et n’est connu que des petits, ses semblables.

Si ceux qui, comme dit saint Jude, blasphèment les choses saintes245 voulaient travailler à en faire l’expérience, ils verraient qu’on leur [43] en dit trop peu. Nul ne demeure en même situation : il faut avancer, ou reculer. Si celui qui n’avance pas recule, celui qui, après une parfaite conversion, ne recule point et tend toujours à sa fin y doit enfin arriver. Si l’on pensait avec David que tout notre bien est d’adhérer à Dieu246, qu’on le cherchât sans cesse, cherchant toujours Sa face247 et adhérant sans cesse à lui par le renoncement continuel, ils en éprouveraient plus qu’on ne peut leur en exprimer. Rien n’est plus simple que ce qu’on déduit ici : c’est pourtant là toute l’économie de l’intérieur.

Esprit Saint, répandez-Vous en nos cœurs, délivrez-nous par votre vérité des erreurs et du mensonge, et faites éprouver à ceux qui combattent vos voies que votre joug est doux et votre fardeau léger248 ! Qu’ils adorent ce qu’ils ont méprisé, qu’ils méprisent ce qu’ils ont adoré, et que ce soit en Vous que nous agissions, puisque c’est en Vous que nous sommes. Amen, Jésus !

*1.03 Lecture, matière, usage des livres intérieurs.

[44] J’avoue que je n’ai aucun talent pour élever ni aider les âmes par la voie de la méditation, quoique j’aie tâché de la faire plusieurs années mais avec peu de succès, Dieu ensuite m’ayant attirée tout d’un coup au silence intérieur249. J’ai même éprouvé en autrui la méditation trop longtemps continuée, peu fructueuse. Lorsque les vérités qu’on médite ont fait l’effet que Dieu en prétend, l’âme se dessèche peu à peu et ne trouvant plus rien dans la méditation, elle a besoin de changer de route. Je crois que si les âmes accompagnaient une méditation courte d’un recueillement intérieur, regardant Dieu en elles, elles avanceraient bien plus vite et acquerraient bientôt un état plus parfait.

Si au lieu de faire de longues lectures, elles lisaient sans précipitation, laissant la lecture sitôt qu’elles se sentent touchées, et la reprenant [45] lorsque la touche est passée, la lecture leur serait un grand profit, et peut-être que cette manière leur servirait beaucoup plus qu’une méditation raisonnée250. Mais il semble qu’on ne lise les livres spirituels que pour étudier et en savoir discourir. Cette précipitation de lecture fait qu’ils profitent à peu, et nuisent à beaucoup. Car comme les livres intérieurs sont faits plus pour recueillir que pour instruire, quoiqu’ils fassent l’un et l’autre, et plutôt pour se faire goûter que pour se faire examiner, ceux qui les lisent ou par curiosité ou par étude, ou pour les examiner, n’en tirent aucun fruit, la précipitation faisant perdre l’onction, qui est le propre caractère de ces livres. Ou on les a à dégoût, ou on regarde ce qui y est dit comme des raisonnements outrés, comme un fanatisme251 qu’on prend plaisir à censurer ; et souvent on se fait une loi de les combattre ouvertement, de les déconseiller comme quelque chose de dangereux. Je m’assure que toute personne qui les lira avec humilité en la manière que j’ai dit et avec un véritable dessein d’en profiter, y trouvera une vie secrète, une onction cachée, et un amour de Dieu qu’il n’avait pas éprouvé auparavant.

J’avoue donc que je n’ai aucun talent pour écrire et parler des voies de la méditation. Peut- être est-ce par la raison que j’ai dite. Peut-être est-ce aussi que, comme il y a une multitude d’auteurs qui ont écrit là-dessus et que je n’ai point écrit ni par choix ni d’une manière préméditée, - le252 besoin de l’intérieur étant plus grand que jamais, cet intérieur étant ignoré et même combattu par des gens qui n’en ont aucune expérience - Dieu a voulu que, toute ignorante que je suis, j’écrivisse sur ces matières. [46] Je l’ai fait comme il est venu. Dieu, peut-être, a permis que je n’aie aucun autre talent, et que toute idée du reste me fût ôtée, parce qu’il ne voulait que cela de moi.

C’est à nous à faire simplement ce que Dieu nous fait faire, sans nous mêler de ce qu’Il ne nous demande pas. Quiconque outrepasse le don du Seigneur ou suit des raisons politiques en écrivant, écrit certainement par son propre esprit et, sortant de l’ordre de Dieu, il ne fait aucun fruit ; et ce qu’on lit, quoique bien raisonné, étant destitué d’esprit et de vie, ne peut que contenter l’esprit et non toucher le cœur. C’est cette fidélité à suivre l’Esprit de Dieu et à ne s’y point mêler soi-même sous quelque prétexte que ce puisse être, qui est seule capable de porter [par ce qu’on écrit] l’esprit de grâce et d’amour, pourvu qu’il soit lu avec la même simplicité et fidélité qu’il a été écrit. Mais comme il y a peu de personnes assez fidèles pour écrire en lumière divine, quoiqu’en ténèbres, il y a aussi peu de personnes assez fidèles pour lire en la manière que je dis. Il y a encore une raison de cette [fructueuse] manière de lire : c’est que les livres intérieurs écrits par l’Esprit de Dieu étant la manne cachée, et cette manne ayant tous les goûts, il arrive de là que chacun les entend selon son goût et sa portée et qu’il en tire infailliblement le profit qu’il doit en tirer.

Au lieu que, les lisant ou par curiosité ou par quelque motif imparfait que ce soit, on les lit souvent à sa ruine : on s’attribue des états, on veut voir et sonder si on est comme il est écrit, on se croit dans un état avancé lorsqu’on n’est que dans le commencement, on fait pour ainsi dire un pot-pourri de tous les états ; on varie [47] autant pour les pensées que pour le désir qu’on a de voir des sentiments différents. Restant ainsi perplexe, sans savoir que s’appliquer, on va à tâtons, ne faisant que faire et défaire ; et voulant suivre non une chose générale mais spécifique, et qui était très propre pour la personne à laquelle elle a été écrite, on n’entre jamais dans ce que Dieu veut de nous ; ou bien on a trop de défiance de sa voie ou trop de présomption. Et c’est en ce sens que la lettre tue et que l’esprit vivifie253.

Ces sortes d’écrits ont plus de rapport qu’aucuns à l’Ecriture sainte : plus on les lit simplement, plus l’âme y trouve cette nourriture foncière qui est l’esprit qui vivifie et non la lettre qui tue. Il faut remarquer qu’outre le propre caractère des livres intérieurs, à l’exclusion des autres, qui est d’entrer par le dedans, par l’intime de l’âme, touchant le même endroit dont ils parlent, en sorte qu’ils semblent passer tout droit au cœur sans l’entremise des sens, et que celui qui les lit semble tirer l’onction de son propre fond et non de la lecture - ce qu’il lit étant si propre à son âme qu’il paraît que la lecture ne fait que remuer ce qu’il avait déjà - outre, dis-je, ce caractère des livres intérieurs et écrits par la motion de l’Esprit Saint, ils ont encore celui-ci que la personne qui les lit simplement ne les entend que selon sa portée : les mêmes choses qu’il entendait d’une façon dans un temps moins avancé, il les entend d’une toute autre manière dans un état plus avancé, et toujours selon son besoin présent. Ce privilège qui semble n’être réservé que pour l’Ecriture sainte, s’étend aussi sur les livres intérieurs qui sont [48] écrits par son Esprit et qui ne sont pas un fruit de l’étude ; de sorte que d’autant plus que les livres intérieurs sont écrits par le mouvement de l’Esprit de Dieu, d’autant plus ont-ils une nourriture cachée. Ce que n’ont pas les autres qui sont les fruits de l’étude : quoiqu’ils semblent dire la même chose, ils sont secs et sans vie, destitués de cet humide radical254 qui entretient la vie de l’âme. Or ces lectures quelque avancées qu’elles soient, ne nuiront point à une âme simple et peuvent lui servir beaucoup. Ces gens qui abusent de ces lectures sont des gens pleins d’orgueil qui abusent aussi de l’Ecriture, ce que l’Apôtre appelle blasphémer contre les choses saintes255.

Il y a dans les livres intérieurs les maximes générales et les spécifiques, ou les routes et les sentiers particuliers par lesquels Dieu conduit. Il y a le renoncement, la mort à soi-même, les épreuves, les humiliations, la foi simple et nue, l’Amour pur, l’abandonnement de tout soi-même entre les mains de Dieu, la candeur, l’innocence, mourir au vieil homme pour se vêtir de nouveau, se quitter soi-même, (ce moi ennemi de Jésus-Christ). Se laisser mener à Dieu à l’aveugle, préférer Son ordre divin sur nous et Sa volonté à toute dévotion particulière - un amour souverain qui nous porte à vouloir Dieu pour Dieu et non pour nous, à préférer Sa gloire et Son bon plaisir à tout intérêt nôtre, quel qu’il soit, en temps et en éternité. Et bien d’autres maximes, voies, sentiers, conseils généraux. Il y a outre cela, dans ce général, un moyen spécifique que Dieu a choisi pour chacun de nous ; et ce moyen est tellement spécifique pour [49] nous, (quoiqu’il ait rapport aux autres dans le général,) que qui voudrait s’en écarter pour suivre celui qui est spécifique pour un autre, se méprendrait assurément et prendrait le change256.

Il faut donc suivre Dieu à chaque pas dans l’état et la condition où Il nous met, et Le suivre selon les conseils qui nous sont donnés ou au-dehors, par quelque personne expérimentée, ou au-dedans, par le mouvement de la grâce ; mais cet ordre divin se déclare assez pour chacun de nous par tous les moments et les événements de la vie.

Cependant au lieu de faire usage du moment divin et de la conduite générale pour tous avec ce qui nous est spécifique pour nous-mêmes, nous voulons suivre les avis spécifiques pour d’autres, et nous nous brouillons incessamment, voulant agir selon la vue présente puisée dans une lecture qui regardait le spécifique d’un autre. Et ainsi on n’entre jamais dans une véritable paix.

Mais, dira-t-on, je crains de me trop avancer, de quitter trop tôt la méditation. Si vous pouvez méditer, faites-le ; si la méditation vous profite, ne la quittez pas. Mais ne troublez point le repos des autres par vos inquiétudes, ni votre propre repos par vos fréquents retours. Si celui qui ne peut méditer ne pouvait prier, il serait fort à plaindre et serait bien éloigné de pouvoir obéir à Jésus-Christ, qui ne dit pas : méditez toujours, - il en connaissait trop l’impossibilité, - mais priez toujours257.

Or on peut donc prier sans méditer, et même sans rien savoir. Et cette prière est la prière du cœur, la prière ineffable, dont la plus parfaite est un fruit de l’amour, et la moins parfaite le sentiment de nos besoins. O que l’indigence est [50] éloquente ! On n’a point besoin de maître qui enseigne à un pauvre ce qu’il faut demander et la manière de le demander. La méditation est une bonne chose, mais ce n’est point une prière. Saint Paul, qui après Jésus-Christ nous dit de prier sans cesse258, ne nous dit point de méditer sans cesse. Mais, dira-t-on, il faut s’inculquer les vérités : cela se fait aussi par la lecture des vérités solides lues comme j’ai dit au commencement. Cependant, je voudrais prendre outre cela un temps pour prier et pour répandre mon âme en la présence de Dieu. Ainsi, on peut contenter tout le monde : lire les grandes vérités de la religion, si respectables d’elles-mêmes, avec cette application de repos et de cessation pour s’en laisser pénétrer, et prier dans le temps destiné pour prier. Or de toutes les prières, celle de foi est la plus glorieuse à Dieu et la plus utile à l’homme, selon le témoignage de Jésus-Christ même, qui assure que tout ce qu’on demandera avec foi, on l’obtiendra259.

Pour ce qui est de certains sentiers de mort et de purification, il est sûr que tous les saints y ont passé, que tous se sont plaints de leurs peines. Les gens du monde n’éprouvent ni peines intérieures ni tentation, parce qu’ils se laissent aller avec une licence effrénée à tout ce que le Démon et la nature corrompue leur inspirent ; bien loin d’en avoir de la peine, ils n’y font pas même attention. Il n’en est pas ainsi des âmes intérieures qui, toujours attentives à ce que Dieu veut d’elles, tâchent de le suivre pas à pas. Elles sentent vivement les obstacles du Démon et de la nature corrompue : elles comprennent qu’il faut mourir à celle-ci et que, pour le faire [51] efficacement, il faut renoncer à tous ses désirs et à toutes ses cupidités, n’en admettant aucune et pour ce qui regarde le Démon, prier et s’abandonner à Dieu afin qu’il nous en délivre.

Mais comme la nature corrompue est plus maligne que le Diable, il faut remarquer que plus on travaille à la dompter par le dehors, plus elle s’enfonce au-dedans ; plus on dompte la chair, plus elle tourne sa malignité du côté de l’esprit. Ainsi ce travail purement extérieur n’étant pas suffisant, quoiqu’il soit presque le seul que nous puissions pratiquer : Dieu, voyant l’usage que nous faisons de la bonne volonté qu’il a mise en nous, vient lui-même combattre cette nature corrompue dans tous ses retranchements. On sent alors que le travail qu’on faisait avec tant de peine et de plaisir tout ensemble, (parce que cette nature maligne se plaisait dans son travail,) on sent, dis-je, que ce travail tombe des mains. Et l’âme ne peut plus faire autre chose, désespérant de toutes ses œuvres de justice, que de se tourner vers son Dieu avec un acquiescement amoureux, et lui dire : Faites donc vous-même cette œuvre, puisque nul autre ne la peut faire ; je sens que je n’y puis rien. Alors le Maître met la main à l’œuvre ; mais combien de coups de marteau, combien de peines et de souffrances ! Or la nature est si maligne que plus on la met à l’étroit, plus elle augmente sa malice, en sorte qu’il semble qu’elle devienne tous les jours plus mauvaise. Le Démon se joint souvent à elle, et la rend toute diabolique260. Dieu la détruirait en un instant si l’âme pouvait porter une opération si forte, mais elle se défend de toutes ses forces, elle regarde comme mal son plus grand bien, de sorte que ce fort et [52] puissant Dieu est comme obligé de ménager la force de l’âme jusqu’à ce qu’Il chasse tout à fait [cette nature maligne].

Lorsqu’elle est plus proche de sa défaite, plus elle augmente en malignité, de sorte que très souvent on retournerait en arrière si Dieu n’assistait l’âme. Plusieurs le font cependant. C’est pourquoi Jésus-Christ dit que celui qui ayant mis la main à la charrue, regarde derrière soi, n’est pas propre pour le royaume de Dieu261 : il veut quitter la conduite de Dieu pour entrer dans sa propre conduite. Non assurément, ô Amour, ces âmes ne sont pas propres pour Votre royaume : Vous ne régnerez jamais parfaitement en elles, puisqu’elles ne Vous laissent pas user de Votre domaine et de Votre souveraineté pour les mettre haut et bas, et en faire ce qu’il Vous plaît en temps et éternité. La défense que l’Ange fit à Loth et à sa famille de ne point regarder derrière soi dans l’embrasement de Sodome262 est bien mystérieuse. La femme, comme faible et curieuse, se retourna et fut changée en statue de sel. Que notre fausse sagesse (dont le sel est la figure) nous est préjudiciable ! Que celui qui sait obéir à Dieu et s’y abandonner est heureux !

Or touchant les moyens de mort, je dis qu’entre les généraux, il y en a de spécifiques qui ne se peuvent diversifier dans les expressions autant que Dieu les diversifie en effet selon l’état, le tempérament et la force de chacun : car la même chose qui ferait mourir l’un ferait vivre l’autre, ce qui est un antidote pour l’un serait un poison pour l’autre et ce qui paraît souvent poison est un antidote merveilleux. Il faut donc que Dieu fournisse à chacun [53] les moyens de mort que Lui-même a choisis. Ce que nous pouvons faire de notre part, est de nous abandonner à Sa conduite, de Le laisser faire, d’acquiescer amoureusement à ce qu’Il ordonne, quelque peine qu’on puisse souffrir, ne point vouloir choisir le moyen, ni être comme un autre, mais comme il plaît à Dieu que nous soyons. Mais, qui est-ce qui a la fidélité de se laisser en la main de Dieu sans se mêler de soi ?

Si je savais, dira-t-on, que ce fût mon bien, je m’y laisserais. - Quoi ? Est-ce à vous de juger de ce qui est votre bien ? C’est à Dieu. - Mais, je n’aperçois plus cette conduite amoureuse de Dieu comme je la voyais au commencement ! - Si vous la voyiez toujours, vous ne mourriez point. - Mais je me persuade alors que c’est moi qui me conduis, je crains de m’égarer ! - Tenez toujours Dieu, pour ainsi dire, par la main, et vous ne vous égarerez pas. Cette main est une soumission totale, un abandon entier, un renoncement à tout intérêt, un amour souverain, une sainte haine de nous-mêmes. Nous ne nous égarerons pas par cette voie. Quand nous nous égarerions, il n’y aurait de perte que pour nous : Dieu serait toujours ce qu’Il est. J’avoue qu’il faut un grand courage, un grand abandon, un entier renoncement de soi-même. C’est aussi à quoi nous sommes exhortés.

On ne veut point s’en fier à Dieu et Le suivre par la voie qu’Il nous a choisie. Tous les conseils généraux font du bien, mais les spécifiques ne nous en feront qu’autant qu’ils seront conformes à la conduite que Dieu tient sur nous. Il faut les lire avec simplicité de cœur, en s’abandonnant totalement à Dieu afin qu’Il fasse en nous et de nous ce qu’il Lui plaira, sans [54] vouloir nous en mêler et y prendre part. Si l’on en usait de la sorte, quel fruit ne tirerait-on pas des livres intérieurs ! Ils seraient esprit et vie pour nous. Je prie Dieu de nous éclairer de Sa véritable lumière. Amen, Jésus !

J’ai oublié de dire que selon les desseins de Dieu sur les âmes, Il leur fournit des moyens conformes, soit en les laissant aller dans des lieux où elles trouvent une conduite conforme à ce que Dieu demande d’elles, soit en faisant rencontrer ou venir exprès des personnes qui leur apprennent la voie pure et droite de l’intérieur. Malheur à ceux qui n’en profitent pas ! Car Dieu ne manque jamais de son côté. Mais l’homme est si amoureux de ses raisonnements et de ses idées qu’il ne peut point suivre Dieu un temps considérable : ce ne sont que variations. Car comme nos pensées sont comme les flots de la mer qui se battent et se choquent les uns les autres, il ne peut y avoir de solidité. Et c’est un dommage irréparable que des personnes qui d’ailleurs ont d’excellentes qualités et que Dieu a appelées par tous les soins de Sa providence, demeurent arrêtées faute de mourir à elles-mêmes et à leurs faux raisonnements, et [parce] qu’elles ne veulent point se laisser conduire à Dieu.

*1.04. Que l’intérieur fait peu d’éclat.

[55] D’où vient que saint Pierre a fait tant de miracles, et qu’il n’est point parlé de ceux de saint Jean ? C’est que le premier devait établir l’extérieur de l’Eglise, et qu’il était nécessaire de contrebalancer, par des prodiges, l’humiliation et la mort infâme de celui qui l’était venu établir. De plus, la loi évangélique étant si opposée aux sentiments et aux inclinations de l’homme charnel, il fallait que les miracles emportassent sur leur volonté ce que la volonté charnelle les dissuadait d’entreprendre. Il fallait que, parmi les Juifs, les merveilles extraordinaires des Apôtres les portassent à quitter une Loi établie par les grands prodiges de Moïse. La bassesse apparente du Législateur des chrétiens devait être levée par des prodiges si incontestables qu’ils en fussent assez frappés pour voir la vérité d’une religion appuyée de cette sorte, qui en détruisait néanmoins une établie de Dieu même par des prodiges inouïs. Il semblait que la mort de Jésus-Christ eût détruit les grandes merveilles qu’il avait faites, qu’elle eût ôté l’efficacité de ses paroles de vie éternelle. Mais voyant ensuite que ses paroles étaient appuyées avec une force invincible par de pauvres pêcheurs ignorants sans aucun talent, et ses miracles relevés par d’autres plus grands encore faits par ces mêmes pêcheurs, cela gagnait les uns et portait les autres à consulter les Ecritures où ils trouvaient les propres caractères du Messie.

2. Saint Jean, quoique disciple bien-aimé du Sauveur, ne paraît point avoir fait des œuvres extérieurement si merveilleuses. Tout son bien, tant [56] que Jésus-Christ a vécu, a été de se reposer sur son sein. Il semblait n’être appliqué qu’à l’intérieur : aussi ses écrits sont-ils tous brûlants de charité, et son Evangile a été justement nommé l’Evangile spirituel263. Enfin il paraît que les autres étaient appliqués à une vie plus ambulante, et lui à une vie plus retirée. Jésus-Christ lui confia sa mère, avec laquelle il continua les communications intérieures qu’il avait eues avec Jésus-Christ.

3. Je conclus que, comme Pierre était la pierre fondamentale de l’Eglise, saint Jean était le fondement de l’intérieur. Il a rapporté ce qu’il y avait de plus divin, de plus intérieur, de plus profond dans les paroles de Jésus-Christ, que les autres avaient omis. Il est rapporté dans son Evangile qu’il précéda Pierre au sépulcre, parce qu’il avait précédé Pierre dans l’intérieur de l’Eglise ; mais il n’entra qu’après lui, parce qu’il fallait que l’extérieur de l’Eglise fût fondé et établi pendant plusieurs siècles avant que l’intérieur fût répandu dans cette même Eglise. L’intérieur s’est caché dans les déserts ; quelques particuliers y ont participé, mais il n’a point été répandu partout comme il le sera ensuite. Aussi Jésus, parlant à saint Pierre de saint Jean, lui dit : Si je veux qu’il reste jusqu’à ce que je vienne, qu’en as-tu à faire ?264 Ce qui voulait dire : « Si je veux que cet Esprit intérieur que j’ai répandu, demeure caché en lui et dans quelques particuliers jusqu’à ce que, par mon second avènement, je le répande partout, que t’importe ? ». Aussi ce renouvellement se doit faire un jour. Et pour saint Jean, Jésus-Christ faisait [57] comprendre à Pierre que [Jean] étant mort à lui-même et passé en Jésus-Christ par la transformation, il ne se devait faire en lui aucun changement, n’étant plus sujet à la variation perpétuelle des personnes [qui sont] encore en elles-mêmes.

4. Je conclus que les personnes intérieures font peu de miracles, si ce n’est des intérieurs, Dieu leur faisant mener une vie cachée parce qu’il les réserve pour lui : il les cache, comme dit l’Ecriture, dans le secret de sa face. Depuis le temps des Apôtres, toutes ou presque toutes les personnes qui ont fait des miracles éclatants, ont été conduites par les voies extraordinaires, et tout se suit en ces âmes : elles sont pour imiter la vie éclatante de Jésus-Christ. Les autres imitent la vie cachée et souffrante. C’est ainsi que chacun porte les états de Jésus-Christ : les uns, le commencement de la vie jusqu’à trente ans et la fin de cette même vie ignominieuse et souffrante, les grandes croix extérieures et intérieures, mais des croix abjectes, au lieu que les croix des autres sont glorieuses.

5. Il y en a de plus qui sont appelés, les uns à imiter la vie simple et enfantine de Jésus-Christ, les autres à la vie purement solitaire et cachée. Mais tous sont appelés à sortir d’eux-mêmes et à mourir véritablement à tout. Les uns sont appelés à de grandes épreuves intérieures, et extérieurement à une vie toute simple et commune ; d’autres ont un don singulier d’aider au prochain. Les uns et les autres excellent dans la pureté de leur amour : leur propre caractère est la charité, qui les perd en leur Etre original, d’où dérive la charité pour le prochain, [58] comme on voit en Moïse et en saint Paul. Que Dieu nous consomme tous en charité ! Amen, Jésus !

1.05. De l’avènement du Royaume de Dieu par l'intérieur.

Sur ces paroles265 : Et cet Evangile du Royaume sera prêché dans toute la terre pour servir de témoignage à toutes les nations, et c’est alors que la fin doit arriver […] Le ciel et la terre passeront, mais mes paroles ne passeront point266.

1. Quel est l'Évangile du royaume ? C'est L'INTÉRIEUR : on n’en peut pas douter après que Jésus-Christ l'a déclaré lui-même267 lorsqu'étant interrogé : où était le royaume de Dieu, il répondit : le Royaume de Dieu n’est ni ici, ni là ; mais le Royaume de Dieu est AU-DEDANS DE VOUS. C'est donc cet Évangile intérieur qui doit être prêché par toute la terre [59] avant le second avènement du Fils de Dieu. De dire comment et par qui il sera prêché, c'est ce qu'on ignore ; mais il le fera infailliblement, et plutôt qu'on ne le pense.

Le Royaume de Dieu est certainement en celui qui cédant à Dieu tous les droits qu'il a sur soi-même, le laisse commander en souverain : car c'est le domaine que Jésus-Christ s'est acquis, que de régner sur toute l’âme, ainsi qu'il le dit à Pilate lorsqu'il lui demanda s'il était Roi268 : C'est pour cela que je suis venu en ce monde. O divin Jésus, régnez, régnez ; c'est ce que je désire passionnément. Mais il ne règne en nous qu’à proportion que nous nous démettons de tout droit sur nous, de tout intérêt pour nous, de toute propre volonté, pour n'en avoir point d'autre que la sienne ; de notre propre esprit, afin qu'il fasse glisser le sien en la place ; enfin de notre propre vie, afin qu'il soit notre résurrection et notre vie. Or il est certain que ce n'est que par le moyen de l'intérieur que Jésus-Christ règne de la sorte. Régnez donc par l'intérieur.

2. Comment cela se fera-t-il ? C'est que dans le temps que Jésus-Christ parle de son règne, il dit qu'il est269 venu enseigner LA VÉRITÉ. C'est par le moyen de la vérité qu'il doit régner. C'est par l'application à l'intérieur que l'âme toute tournée au-dedans est instruite de la vérité. Elle comprend le Tout de Dieu et son rien ; que tout rien qu’elle est, elle est un néant rebelle ; qu'elle a usurpé par son ignorance et par sa malice le règne de Dieu, voulant toujours faire sa propre volonté, et suivant en tout sa propre raison ; que par là Jésus-Christ n'était point obéi ; et que par conséquent il n’était pas Roi en elle, un Roi [60] n’étant Roi qu’autant qu'on lui est soumis ; qu'il faut donc se soumettre et se résigner sans cesse, afin que notre volonté cède la place à la sienne, sans quoi nous restons usurpateurs, et il n'est jamais Roi.

C'est l'amour qui assujettit notre volonté à Dieu, comme c'est la foi qui lui soumet absolument notre esprit. C'est donc cette foi don de Dieu, et cet amour pur qui font régner Dieu en nous. C'est la vérité qui lui prépare son royaume, et qui détruit les obstacles qui empêchent de régner. C'est elle qui éclairant l'âme de ses usurpations, la porte à tout restituer à Dieu. Jésus-Christ vient donc y régner ; et comme, selon que dit saint Paul270, il remettra le royaume à son Père, il règne dans l'âme particulière, puis il remet son royaume à son Père perdant avec lui l'âme en Dieu.

3. Dans le général de l'Eglise, lorsque l'Évangile du royaume sera prêché partout, et que Jésus-Christ aura vraiment régné en tous les cœurs, la fin du monde arrivera : il sera Roi sur la terre ; il ne l’a point encore été ; et puis il remettra son royaume à son Père pour toute l’éternité.

Un Roi non seulement commande en souverain, mais il fait faire à ses sujets pour sa gloire tout ce qu’il lui plaît. N’expose-t-il pas sans cesse leur vie pour cette même gloire ? Il leur prend tel parti qu’il lui plaît de leur bien ; il ne laisse souvent à un pauvre manœuvre qu'une très petite partie de ce qu'il gagne pour se nourrir ; il faut combattre au moindre signal, obéir sans hésitation, sans retardement, et y laisser la vie. Les hommes sont menés à [61] la boucherie ; ils y vont avec joie et tout cela pour la gloire de leur Roi et pour maintenir son royaume. Voilà comme nous devons être pour notre divin Roi : obéir à tout sans résistance, et même sans répugnance, nous laisser enlever nos biens, et lui sacrifier toutes choses, même notre propre vie.

4. Jésus-Christ a régné en quelques cœurs, mais son règne n'a pas été universel ; il faut qu'il le soit, pour accomplir cet autre parole de l'Ecriture271 : Asseyez-vous à ma droite jusqu'à ce que j'ai réduit vos ennemis à être comme l'escabeau de vos pieds. Ce qui ne s'entend pas d'une destruction générale, mais d'un assujettissement universel à l'empire de Jésus-Christ. Dieu détruira sans doute ceux qui ne voudront pas se soumettre ; mais il assujettira tellement les autres, qu'il en fera son marchepied ; et comme le marchepied sert de base au trône royal, ce sera cet assujettissement de toutes les volontés et de tous les esprits qui servira comme de base au trône de notre divin Roi Jésus.

C'est alors qu'il triomphera et que272 le jugement apparaîtra en victoire273. Car le jugement se fera dans l'âme particulière par la restitution totale des usurpations, ensuite par la soumission du propre esprit et de la propre volonté ; ce jugement si juste, qui fait que l'âme ne se regarde plus elle-même ni aucun intérêt, qu'elle aime la justice, qui la dépouille également de tout, ce jugement dis-je tourne en victoire pour Jésus-Christ, qui ayant détruit tous ses ennemis dans l'âme (qui sont aussi les ennemis de l’âme même) il triomphe en conquérant, il use de sa victoire, il ne cède point sa gloire à un autre, comme [62] il dit lui-même274 : Je ne céderai point ma gloire à un autre ; mais il est maître souverain de celui qui n'a plus d'autre gloire que la sienne, abhorrant plus que la mort toute gloire propre.

5. Ce qu'il fait dans l'âme particulière et vraiment intérieure, il le fera dans l'Eglise universelle, qui sera alors dans tout le monde : il triomphera, et son jugement retournera en victoire. Les hommes et tous les Anges et tous les saints en connaîtront l'équité. Ils le béniront pour cette double victoire qu’il a remporté et sur eux et sur leurs ennemis.

Il est donc constant que le royaume intérieur s'étendra partout, qu'il sera prêché partout. Il ne l’a point [encore] été de cette sorte. Les hommes ont regardé cet unique nécessaire comme l'accessoire ; et l'on connaîtra alors que c'était l'unique nécessaire, dont tout le reste dépendait. Car c'est saper le vice dans son fondement que de s'y prendre par l'intérieur, puisque la racine de tout vice est l'amour-propre et la propriété, qui ne se détruisent que par l'intérieur. Ce sont les plus opiniâtres ennemis de Jésus-Christ.

6. Lorsque nous cédons à Jésus-Christ les droits que nous avons sur nous-mêmes, il en est victorieux : lui seul le peut être car nous ne pouvons jamais les détruire : il n'y a que lui qui le puisse faire. O mon divin Roi, régnez en moi et dans tous les cœurs. Venez nous arracher cette propriété qui nous est si funeste, et qui est néanmoins si fort attachée à nous, qu'il semble qu'elle soit comme identifiée à la nature de l'homme. C'est pourquoi Jésus-Christ nous ordonne de nous275 renoncer nous-mêmes, et à [63] ce que nous avons de propre, c'est-à-dire cette propriété. Il la faut renoncer sans cesse car elle produit sans cesse dans notre fonds une infinité de fruits de sa malignité. Si Jésus-Christ ne la détruisait en nous, nous n'en viendrions jamais à bout.

7. Comment fait Jésus-Christ pour la chasser de chez nous ? Il ne fait rien d'autre que de glisser peu à peu la vie sa vie de Verbe en nous : car comme la propriété et la vie du Verbe ne peuvent subsister ensemble, il faut qu'à mesure que la vie du Verbe s'insinue en nous, la propriété se retirent : mais [d'abord] elle s'enfonce toujours plus, jusqu'à ce que la vie du Verbe à force de s'insinuer gagne tous ses retranchements. C'est alors qu'étant obligée de lui céder la place, Jésus-Christ devient la vie de notre âme, et que nous pouvons dire276 : Je ne vis pas moi ; mais Jésus-Christ vit en moi.

8. C'est donc ainsi que Jésus-Christ est ROI, et277 c'est pour cela qu'il est né et qu'il est venu en ce monde. Et aussi voulut-il qu’on mis à l'inscription de sa croix qu'il était le ROI DES JUIFS. O mon divin maître, comment vous dites-vous Roi de ces mêmes Juifs qui vous ont fait mourir ? C'est que278 mon Royaume n'est pas de ce monde. Les Juifs ont cru que je devais régner temporellement ; ils n'ont point cru ni compris que c'était sur les cœurs que je voulais régner, et sur les cœurs de ces Juifs qui ne sont point circoncis selon la chair, mais dont le cœur est circoncis : car279 le vrai Juif est celui qui l’est selon l'esprit. Or ce dont le cœur et l'esprit sont circoncis par une entière [64] désappropriation, ce sont ceux-là en qui je règne pleinement, et pour lesquelles je suis venu. Les Juifs étaient si persuadés que le règne de Jésus-Christ était temporel, que ces apôtres lui demandèrent le temps qu'il viendrait280 rétablir le royaume d'Israël. Il leur dit que pour les temps et les moments, ils étaient dans la puissance de son Père. Ils ne comprenaient point alors qu'il parlait du règne intérieur, où l'âme peut bien se préparer en se tournant intérieurement au-dedans de soi par une adhérence continuelle à Dieu : mais pour le faire régner absolument en nous par une entière désappropriation, il n’y a que Dieu qui le puisse faire par sa toute-puissance.

9. Lorsque Jésus-Christ nous ordonne de demander dans le Pater que son règne arrive, il veut qu'on demande ensuite que votre volonté soit faite en la terre comme au ciel. C'est comme s'il nous faisait dire : afin que vous régniez, ô Dieu, il faut que nous soyons si parfaitement désappropriés, que n'ayant plus de volonté nous ne fassions que votre volonté et jamais la nôtre ; et cela avec la perfection que les bienheureux la font dans le ciel. Ils la font avec d'autant plus de perfection qu'ils sont plus désappropriés. Que le règne de Jésus-Christ doive venir, c'est ce qui ne peut être révoqué en doute et ce règne se fera par la perte de notre volonté en celle de Dieu lorsqu'on aura prêché l'Évangile du royaume. L'Évangile a été prêché par toute la terre mais l'Évangile du royaume n’a été reçu que dans très peu de cœur ; mais lorsqu'on connaîtra ce que c'est de laisser Jésus-Christ être Roi par une entière désappropriation, on tâchera d'entrer dans ce royaume. Ce sera alors que281 [65] le Dragon sera enchaîné. Le Dragon n'est autre que l'amour-propre.

10. Saint Paul dit282, que s'il y a eu une si grande miséricorde au temps que les Juifs ont été rejetés du royaume, combien plus la miséricorde sera-t-elle plus abondante lorsqu'ils y seront admis. Ceci s'entend non seulement de la conversion des Juifs, qui arrivera sans doute ; mais de plus, de l'entrée du peuple de Dieu dans le royaume intérieur, dans ce royaume283 qui est paix et joie au S. Esprit, et que Dieu a voulu exprimer dès le commencement du monde par le repos du septième jour. C'est à quoi les Juifs étaient appelés et c'est la véritable terre promise.

Mais au lieu d'entrer dans l'esprit et la volonté de Dieu, et de comprendre que Dieu parlait de l'intérieur, ils avaient tout tourné en cérémonies légales sans penser que Dieu ne leur avait accordé une infinité de cérémonies qu'à cause de la dureté de leur cœur. C'est pourquoi il est dit en David284 : J'ai juré dans ma colère qu'ils n'entreront point dans mon repos. Et pourquoi jurez-vous cela, ô mon Dieu ? C'est parce qu'ils ne m'ont pas écouté, que leur cœur s'est endurci ; ils n'ont pas entendu cette voix intérieure par laquelle je les appelais à jouir de mon repos ; ils ont suivi le chemin de leur propre volonté ; ils ne m'ont pas obéi ; loin d'adorer mes ordres ils ont murmuré contre ma conduite. J'ai donc juré qu'ils n'entreraient point dans mon repos : aussi285 parce que ce peuple m’honorait des lèvres et que leur cœur était loin de moi, c'est pourquoi ce peuple ne sera [66] plus mon peuple286 : J'appellerai mon peuple un autre peuple qui n'était point mon peuple, et il fera ma volonté ; c'est à cela qu'on connaîtra mon peuple ; car287 les enfants de la Sagesse sont une nation qui n'est qu'obéissance et qu'amour. Ces enfants de la Sagesse sont les âmes intérieures. La Sagesse s'assied à notre porte, afin de rentrer lorsqu'on lui ouvrira. Ouvrons la porte de notre cœur à la Sagesse qui est le Verbe, il entrera et détruira lui-même nos ennemis. Venez Seigneur Jésus ! Oui je viendrai288, je viendrai pour être Roi et régner dans les cœurs.

11. Il est encore dit que ce royaume sera prêché pour servir de témoignages À TOUTES LES NATIONS : [cela nous regarde, aussi bien que tous les autres peuples différents du peuple des juifs :] de sorte que si nous avions bien voulu laisser régner Dieu en nous, il aurait été notre Roi et nous aurait délivré de tous nos ennemis. C'est donc notre faute si nous nous perdons. Je puis dire, que comme les Juifs se sont trompés en croyant que Jésus-Christ devait régner temporellement, nous nous trompons de même en ne voulant et ne connaissant qu’un régime extérieur faute de connaître et de comprendre ce règne de Dieu EN NOUS, qui nous aurait procuré le repos du Seigneur. Nous le cherchons toujours au dehors, comme les Juifs ; et ne trouvant pas ce repos promis, parce que nous le ne cherchons pas où il est, nous le cherchons toujours en multipliant incessamment nos recherches et nos pratiques, et ne le trouvons pas en tout cela ; parce que nous ne rentrons pas dans les tabernacles du dedans, dont [67] David dit289 : Seigneur que vos tabernacles sont désirables : mon cœur brûle du désir d'entrer dans votre maison. Il n'entendait pas par là seulement le tabernacle où était l’arche d’alliance mais ce tabernacle intérieur, ce repos du cœur dans le règne de Jésus-Christ : c'était ce règne, qu'il envisageait de loin, qu'il désirait avec tant de passion. Je dis donc que pour ne pas entrer dans le sanctuaire de notre intérieur, nous entassons pratique sur pratique, multiplicité sur multiplicité, de sorte que nous méritons ce reproche d’Isaïe290 : Ils se sont égarés dans la multiplicité de leurs voies et n'ont jamais dit : demeurons en repos. On se surcharge de pratiques et de prières vocales, on s'en dessèche l'esprit, qui revient de là si fatigué qu'il n'est plus propre à rien. On s'amuse à creuser des citernes rompues qui ne peuvent retenir les eaux291, au lieu d'aller à cette source d'eau vive, Jésus-Christ, qui en nous désaltérant guérirait nos maladies et nos langueurs. Or ce tumulte et cette multiplicité dégénérant en lassitude, on va chercher les amusements du siècle. Il arrive encore pis, après avoir cherché Dieu au dehors avec fatigue sans le trouver, on abandonne tout, on vient même à douter de la vérité. Cette vérité bannie, l'illusion et le mensonge prennent la place, qui font régner ses ennemis au lieu de lui ; car comme la vérité prépare le royaume à Jésus-Christ, le mensonge y fait régner son adversaire.

12. Ce royaume, décrit sous le nom du royaume des cieux, est semblable, dit Jésus-Christ292, à un homme qui ayant découvert un trésor [68] dans un champ, vend tout ce qu'il a pour acheter ce champ. Si nous connaissions le trésor admirable de l'intérieur et du règne de Dieu en nous, nous vendrions par un renoncement parfait et une désappropriation entière tout ce que nous possédons soit au dehors soit au-dedans pour l'acquérir. Il faut que notre divin Roi règne aux dépens de tout le reste, et nous pouvons dire que nous sommes Rois lorsque Jésus-Christ règne en nous ; car jusqu'alors nous sommes tyrannisées par nos passions et par la cupidité de l'amour-propre et le désir d'être quelque chose. Cet amour de la propre excellence enraciné en nous, et la propriété, tout cela étant assujetti à Jésus-Christ, ne nous domine plus ; et c'est en ce sens qu'il est dit : servir Dieu, c'est régner.

13. Il est ajouté [dans le texte de l'Évangile,] que c'est alors que la fin doit arriver. Il est certain que pour le général du monde la fin arrivera après ce règne universel de Jésus-Christ sur les âmes ; et pour le particulier, lorsque Jésus-Christ régnera en nous de la sorte on peut dire que c'est la consommation de tout état et celle de l'âme en Dieu. Il n'est plus alors question d'états ni de degrés, mais d'un moment éternel toujours le même. Ceci est confirmé parce que dit saint Paul293 : lorsque le Père aura assujetti toutes choses à Jésus-Christ, il remettra lui-même son royaume à son Père. Car il est certain que dans le monde général tout sera assujetti à Jésus-Christ par la puissance du Père ; et lorsque toutes les nations et les Juifs verront celui qu'ils ont percé294, ce sera la fin du monde. Il me semble que je vois le Fils d'un grand roi [69] qui va conquérir un royaume avec toutes les forces de son Père : il revient victorieux, mais il remet à son Père ce même royaume qu'il a conquis par les forces qui lui a communiquées. C'est ainsi que Jésus-Christ en usera dans ce royaume temporel. Car comme Verbe, il ne reçoit rien son Père qu'il ne lui rende, recoulant sans cesse dans ce principe dont il dérive : de même il rendra comme homme-Dieu l'empire et la puissance que son Père lui aura donné. Il en fait de même dans nos âmes : lorsque la puissance du Père a vaincue toutes nos résistances, et qu'il a assujetti toutes choses et nous-mêmes au Fils, que notre intérieur est devenu un royaume paisible où il commande en souverain, il remet tout à son Père, perdant l'âme avec lui en Dieu, où elle demeure cachée avec Jésus-Christ, ainsi que le dit saint Paul295 : Vous êtes morts, c'est-à-dire dépouillés de toute vie propre ; et votre vie, (qui est Jésus-Christ, comme il dit ailleurs [qu'il est] notre résurrection et notre vie,) demeure cachée en Dieu, perdue dans cet être originel où elle demeure. Car saint Paul ne dit pas, qu'elle s'y cache pour en sortir et s’y cacher de nouveau, mais qu'elle y demeure cachée, ce qui marque une certaine stabilité que j’ai nommée plus haut moment éternel.

14. Jésus-Christ pour fondement des principes avancés ici, dit296 : En vérité, pour marquer l'assurance de cette doctrine et sa vérité essentielle ; puis il ajoute : Le ciel et la terre passeront mais mes paroles ne passeront point. Comment entendez-vous cela, ô mon divin maître ? Les Évangile, et tout ce qui subsiste, [70] ne sera-t-il pas détruit avec tout le reste ? Mais cette même destruction est une certitude de la vérité de ses paroles. D'ailleurs, tous les Bienheureux ne seront tels que pour avoir gardé les paroles de Jésus-Christ ; et il n’y en entrera pas un qui [selon ses paroles,] ne soient parfaitement déapproprié, et en qui Jésus-Christ ne règne absolument. Ce que notre résistance a empêchée, le purgatoire l’achèvera297, les flammes de la justice le détruiront. C'est pourquoi il est écrit298 parlant de Jésus-Christ : Votre royaume est un royaume de justice. Non, divin Jésus, vous ne régnez que par la justice que vous faites rendre à votre Père en nous dépouillant de toutes nos usurpations pour les lui restituer ; et votre règne est la même justice, puisque vous tenez celui dans lequel vous régnez dans une désappropriation entière et dans un anéantissement total. La première fois que vous ouvrez la bouche pour parler au peuple, vous leur dites299 : Bienheureux les pauvres d'esprit. Et l'Évangéliste remarque que ce furent vos premières paroles de votre premier sermon après être sorti du désert, où vous aviez souffert l'insolente tentation du Prince de ce monde que vous étiez venus subjuguer. Vous nous instruisez par là, qu'il fallait souffrir dans le désert de la foi l'attaque de nos ennemis avant que vous puissiez régner absolument en nous par la pauvreté d'esprit et par l'entière désappropriation. C'est aux pauvres d'esprit que vous dites qu'appartient le royaume des cieux. Vous ne dites pas, ils auront en l'autre vie le royaume des cieux ; vous en parlez comme au présent : le royaume des cieux est [71] à eux. C'est avoir le royaume des cieux que de vous avoir pour Roi, ô divin Jésus. Régnez donc en nous par la perte de tout le reste, vous ne pouvez régner autrement. Les damnés sont les sujets rebelles, qui n’ont point voulu se soumettre à l'empire de Jésus-Christ : le crime et le feu les domineront. Mais les hommes faibles et propriétaires, quoique non rebelles, seront purifiés dans le purgatoire de tous les obstacles au règne de Jésus-Christ. Venez, seigneur Jésus ! Je viens bientôt.

15. On dit, il est vrai, que l'Antéchrist300 doit venir auparavant. Hélas, il n'est que trop venu ! Il est répandu dans toute la terre. Tous ceux qui s'opposent au règne de Jésus-Christ sont des antéchrists. Si saint Jean dit que ceux (I Jean 4, 3) qui nient Jésus-Christ sont des Antéchrists, combien y en a-t-il dans le siècle où nous sommes ? Combien de Sociniens301, de mauvais chrétiens, qui portent sur leur personne le signe de la bête302, son nom etc. ? Ce sont des antéchrists. Ce sont les serviteurs de la bête. Elle domine toutes les nations, elle commande sur la mer et sur la terre ; elle est couronnée car elle se fait obéir en souveraine. Mais elle est pleine de noms de blasphèmes303. Tout ceux qui jurent, qui nient Jésus-Christ, qui ne leur révèrent pas, qui s'opposent à son règne, sont des blasphémateurs. Ceux dont le dérèglement est dans leurs actions, portent son nom imprimé sur toutes les parties de leur corps ; leurs paroles sont pleines d'arrogance. Hélas ! Il n'est que trop vrai que l'Antéchrist est venu. Venez, seigneur Jésus, le [72] détruire. Emitte spiritum tuum, et creabuntur, et renovabis faciem terrae304.

16. Il y a bien de bonnes et vertueuses personnes qui persuadées, comme il est vrai, qu'il doit y avoir un renouvellement dans l'univers, croient que cela se doit faire par quelque chose de bien éclatant et sont en attente de grands événements extraordinaires ; ce qui les empêchent d'entrer dans les desseins de Dieu, et de se laisser mouvoir à son Esprit. Cela les arrête dans la voie, et les empêche d'arriver à leur fin. Ce renouvellement se fera comme le dit l'Ecriture305 : Dieu enverra son esprit, et elles seront créées de nouveau ; et ce sera alors que toute la terre sera renouvelée. Dieu enverra cet esprit intérieur dans les cœurs, qui en se glissant dans ces mêmes cœurs, nous rendra de nouvelles créatures en Jésus-Christ par la destruction du vieil homme. L'homme nouveau deviendra non seulement notre vêtement, comme dit saint Paul306 ; mais aussi notre vie. Ce sera donc par l'esprit intérieur, Esprit Saint, Esprit du Verbe, que nous serons créés de nouveau. Car qu'est-ce d'être créé de nouveau, sinon d'être fait une nouvelle créature en Jésus-Christ ?

17. Le Diable s’est opposé et s’oppose de toutes ses forces à ce que l’esprit intérieur ne se répande sur la terre. Il se sert également à ce sujet des impies, des vertueux non éclairés, des savants, pour s’opposer à l’esprit intérieur, et au renouvellement qui doit arriver par l’intérieur. C’est une chose étonnante, qu’on laisse en repos les plus grands criminels, que les plus grands vices [73] n’épouvantent pas, qu’on fasse des livres abominables, sans qu’on s’en mette en peine. Mais sitôt qu’il paraît quelque livre intérieur, toute la terre est remuée, les gens les plus contraires s’unissent en ce point, de le combattre. C’est que toute la terre a un pressentiment que c’est par l’intérieur que Ninive sera renversée. Aussi malgré les obstacles et les persécutions, l'intérieur se développe plus que jamais ; et si la crainte et l'amour-propre empêchent presque tout le monde d’y entrer, Dieu ne laisse pas de l'insinuer en quantité d'âmes : celles qui sont de bonne volonté et qui ont un désir sincère d'être à Dieu sans réserve, le goûtent ; et Dieu le donne pour récompenser les travaux de la pénitence en ceux qui n'y mettent point d'obstacles. Il y en a que Dieu y introduit d'abord. Or comme le règne de Jésus-Christ dans l'âme ne s'établit que par l'intérieur et par la destruction du vieil homme, il ne s'établira que par là dans toute la terre, et renovabis faciem terrae307. Ceci est aisé à concevoir. Car comme la réforme générale ne se peut faire que par celle des particuliers, ce sera cet esprit intérieur qui, en se répandant en chacun de nous, fera ce renouvellement général.

18. Il y en a plusieurs qui, persuadés du relâchement que les successions du temps amènent, - et que plus l'eau s'éloigne de sa source, plus elle se corrompt, - ont voulu réformer, et se sont trompés ; ils sont sortis de l'unité, et ont fait autant de monstres qu'ils ont fait d’erreurs différentes, parce qu'ils ont divisé la robe de Jésus-Christ. Ils ont fait ce que firent les soldats à sa mort : encore respectèrent-ils cette robe sans couture tissue du haut en bas, ce qui figure très [74] bien l'unité des chrétiens, car Jésus-Christ est venu réunir ce qui était dispersé308 ; et on disperse ce qu'il est venu réunir. C'est ce qui lui a fait dire : Celui qui ne sème pas avec moi, répand309. Quelques personnes zélées pour l'unité ont cru qu'il était facile de réunir extérieurement ce grand corps divisé en tant de parties ; ils y ont travaillé avec bien de la peine sans beaucoup de fruit, faute de bien concevoir que cette union ne se peut faire que par le dedans. L'union de l'âme avec Dieu (qui ne s'opère que par l'oraison), l'intérieur chrétien, la charité réuni[ssen]t toutes choses : car cette charité unissante, qui réunit l'âme à son principe, réunit de même entre eux qui sont remplis de cette charité unissante. Si nous étions tous véritablement intérieurs, nous serions parfaitement unis de cette union d'unité que Jésus-Christ demanda à son Père pour tous les chrétiens lorsqu'il dit310 : Mon Père, qu'ils soient un, comme vous et moi sommes un. Je dis donc que si nous nous appliquions véritablement à l'intérieur, nous serions tous parfaitement unis. Il n'y aurait plus de différence, comme dit saint Paul, entre l'esclave et le libre, entre le Juif et le Gentil, parce que tous seraient un en Jésus-Christ311. Cette union des âmes à Jésus-Christ ferait nécessairement l'union de ces âmes entre elles.

19. Le moyen donc d’être réunis, et de voir renouveler la face de la terre, est de travailler solidement à réformer notre INTÉRIEUR par le dépouillement du vieil homme et la désappropriation entière, ce qui se fait par l'oraison assidue et par l’exercice de la présence de Dieu. Et ceci n'est [75] point contraire aux emplois qui sont d'ordre de Dieu et qui ne sont point criminels par eux-mêmes. Ce qui fait que si peu de personnes se sont adonnées à l'intérieur, c'est qu'on s'est faussement persuadé qu'il fallait quitter toutes sortes d'emplois pour s’adonner à l'intérieur. Il n'y a aucun emploi qui y soit contraire. Saint Jean-Baptiste conseillait à chacun de se perfectionner en son état. Il n'y a guère eu d’homme plus intérieur que David ; cependant y avait-il homme plus occupé ? Lorsqu'il pécha, il n'était point sorti à la tête de ses troupes comme à l'ordinaire : c'est ce que remarque très bien l'Ecriture ; mais il était resté dans sa maison, où s'étant promené sur sa terrasse, il conçut le péché et l'enfanta. L'on dit que tous les grands emplois du Maréchal de Boucicaut ne l'empêchaient pas de faire plusieurs heures d'oraison. Saint Louis, saint Élzéar, tant de grands seigneurs de nos temps ont su allier l’intérieur avec les plus grands emplois. Il n'est donc pas nécessaire d'abandonner ses emplois ni le monde pour être intérieur ; mais il faut tâcher de répandre l'intérieur dans le monde. Il faut être séparé du monde corrompu par un détachement universel ; et c'est ce qui donne l'intérieur. Combien y en a-t-il de portés à l'amour du monde dans les cloîtres, et qui même y sont plus attachés que les personnes qui vivent au milieu du monde ? Ils n'en connaissent pas toute la laideur ; ils s’en sont fait une fausse, mais belle idée, dont ils se remplissent toujours plus, parce qu'ils n'en voient pas tous les désagréments.

20. Celui qui est intérieur et qui tâche d’avoir DIEU présent en soi, porte cette présence de Dieu partout ; et attaché uniquement à ce grand [76] objet, tout le reste lui paraît si petit, si fade qu'il n'en a que du dégoût. Cette présence de Dieu fait remplir les devoirs de l’état d'un chacun avec perfection, parce que l'âme étant bien ordonnée au-dedans et dans une continuelle adhérence à Dieu, Dieu lui fait faire tout bien, et très bien. La flexibilité de l'esprit et de la volonté fait que Dieu l'incline et le remue comme il lui plaît.

21. Salomon connaissait bien cela lorsqu'il disait à Dieu312 : Seigneur, donnez-moi un cœur docile pour gouverner votre peuple, ce peuple innombrable. Et comment demandez-vous, ô Salomon, un cœur docile pour gouverner et commander ? Que ne demandez-vous plutôt un cœur ferme et constant ? - C'est qu'en demandant un cœur docile, je demande que Dieu conduise ce peuple en moi et par moi. Lorsque mon cœur sera docile, je ne serai que comme un faible instrument qu'il maniera à son gré et qu'il conduira sans résistance.

Si tous les magistrats étaient intérieurs, l’injustice serait bannie de dessus la terre. Les rois intérieurs conduiraient leur peuple dans la paix et dans l’équité, tous les sujets leur obéiraient comme à Dieu ; les Grands n’opprimeraient pas les petits et ne les mépriseraient pas ; les petits respecteraient les Grands ; les pères élèveraient leurs enfants dans cet esprit, et ces enfants en étant pleins, le transmettraient à d’autres, et seraient respectés et honorés ; les mariages seraient heureux par l'union des cœurs et des esprits, [il y aurait] au lieu de l'amour sensuel, un amour pur, une chasteté conjugale.

22. Travaillons donc à devenir intérieurs, [77] procurons à nos frères cet esprit autant qu'il nous sera possible ; et nous verrons renouveler la face de la terre ; Jésus-Christ régnant dans tous les cœurs, sera universellement reconnu pour roi. Il ne peut régner que par l'entière désappropriation : nous ne sommes désappropriés que par l'INTÉRIEUR, qui nous mettant dans la vérité, nous éclaire de nos usurpations et nous porte à restituer tout à Dieu, et à laisser Jésus-Christ régner en nous en souverain, commandant ce qu'il lui plaît, et se faisant obéir un cœur qui ne lui résiste plus. C'est ce que Dieu prétend dans ce dernier âge de l’Eglise ; car on trouvera qu'il sera arrivé à l'Eglise universelle ce qui arrive à l'âme particulière, où tant d'états par lesquels Dieu la conduit, aboutissent à l'entière désappropriation et au règne absolu de Jésus-Christ en l'âme. Aussi dans l'universel, tout se terminera par là, et par le règne entier de Jésus-Christ ; après quoi il remettra le Royaume à son père. Venez, ô Esprit Saint, feu sacré, consumer tous les cœurs dans le pur amour ! Emitte Spiritum tuum et creabuntur et renovabis faciem terrae313 ! Amen, Jesus !

1.06. Différence des deux généalogies de Jésus-Christ, et ce qu'elles marquent.

[78] 1. Il n'y a pas la moindre chose314 dans l'Ecriture Sainte qui ne soit pour notre instruction. On est quelquefois en peine de ce que les Évangiles de la génération temporelle de Jésus-Christ sont si différents en saint Matthieu et en saint Luc. Ils diffèrent et dans les noms et dans la manière et l'ordre des patriarches. L'un descend depuis Abraham jusqu'à Jésus-Christ ; et l'autre monte de Jésus-Christ jusqu'à Dieu. Cela est admirablement mystérieux. Premièrement, il ne faut pas simplement regarder dans la différence des noms, que les familles et les personnes avaient divers noms ; mais il y faut voir quelque chose de plus spirituel, que nous ferons voir dans peu. L'Évangile de saint Matthieu marque, comme j'ai dit, les patriarches depuis Abraham jusqu'à Jésus-Christ. Abraham était le père des croyants, et celui à qui la promesse fut faite du Messie ; avant Abraham il n'en est point fait mention dans l'Ecriture. Ce fut par sa foi et son admirable obéissance qu'il mérita d'être choisi de Dieu pour être le père de son peuple, et que Jésus-Christ viendrait de sa race. (Quand je parle de mériter une si grande grâce, je sais que proprement cela est impossible : mais Dieu ayant déterminé de toute éternité d'envoyer son Fils sur la terre racheter l'homme qu'il devait créer, il choisit Abraham auquel il donna des grâces conformes à ce grand dessein ; mais l'homme étant libre, il est certain que la fidélité d'Abraham concourut au dessein de Dieu, et il fut par là père du Messie.) Saint Matthieu raconte la génération de Jésus-Christ selon la chair. Dieu fut si fidèle dans sa promesse, que les infidélités et les crimes de ses descendants n'ont point empêché Jésus-Christ de naître de sa race, semen ejus. [79]

2. Mais après que Jésus-Christ est venu sur la terre pour racheter le genre humain, il a changé non seulement l'ordre des lois et des sacrifices pour en substituer d'autres ; mais de plus, il est venu nous apprendre sa vérité, et nous enseigner une route différente pour rentrer dans notre origine dont nous étions déchus par le péché d'Adam. Ses exemples, ses maximes, ses souffrances, sa mort, ont été les moyens qu'il a employés pour cela. Tout l'Ancien Testament s'est terminé en lui, et tout est venu en descendant et par successions pour venir jusqu'à lui. Notre chute était profonde, et nous nous éloignions de plus en plus de Dieu par le péché actuel joint à l'originel. Et quoique Dieu eut séparé son peuple du reste des nations pour en faire un peuple fidèle et tout à lui, au milieu duquel il devait naître ; ce peuple s'était si fort corrompu, qu’à la réserve de quelques saints et du culte extérieur qu'ils gardaient encore, tout était dans une dépravation générale. Jésus-Christ est venu comme nous ramasser du centre de la corruption où l'orgueil de l'homme l'avait plongé : car l'orgueil de l'homme loin de l'élever, comme il s'imagine, l'abîme dans une abjecte et honteuse corruption ; au lieu que l'humilité en nous abaissant dans notre néant, nous fait arriver jusqu'à Dieu. Comme donc l'homme s'était perdu par l'orgueil, Jésus-Christ est venu dans les plus profonds abaissements et les plus extrêmes humiliations, les mépris, les croix et la mort honteuse qu’il a soufferte, pour nous faire retourner à Dieu. L'orgueil de l'homme l'avait enfoncé dans un abîme de boue, et l'anéantissement de Jésus-Christ l'élève jusqu'à Dieu. Nous ne pouvons aller à Dieu que par l'anéantissement, [80] la croix, le mépris, l'humiliation, la mort continuelle de nous-mêmes : c'est par le désir de n'être rien et par l'anéantissement le plus profond qu'on retourne à son origine. Et c'est pour faire voir qu'après la venue de Jésus-Christ il faut prendre une route contraire à celle qu'on a suivie, que par une providence particulière la généalogie de saint Luc s’est trouvé si différente de celle de saint Matthieu soit [pour] l'ordre, soit pour les noms des Patriarches : [cette gradation qui de la vie de Jésus-Christ remonte jusqu'à Dieu, marque qu'après] qu'Adam est tombé et qu'il a entraîné tous les hommes dans sa chute, Jésus-Christ par son humiliation à relever tous les hommes de cette même chute, et leur apprend le chemin de remonter à Dieu, leur origine. Lorsqu'une balance est chargée, l'autre côté s'élève : notre anéantissement en nous abîmant dans la connaissance de nous-mêmes nous fait sortir de nous et nous unit à Dieu.

3. Saint Luc fait par gradation, en montant, ce que saint Matthieu a fait par succession, en descendant : ainsi il conduit la généalogie de Jésus-Christ jusqu'à Dieu, en remontant toujours. Ce qui me paraît extrêmement mystérieux. L'homme est sorti de Dieu par son péché et s'en est toujours plus éloigné ; et l'homme par Jésus-Christ s'éloigne de soi-même pour remonter à Dieu par le même Jésus-Christ. Ceci a été figuré longtemps auparavant par l'échelle de Jacob. Comprenons donc que pour arriver à Dieu par Jésus-Christ, il faut entrer dans un profond anéantissement, se quitter soi-même pour retrouver ce qu'on a perdu et retourner à notre origine. Amen, Jésus !

1.07 Que le rétablissement de l'image de Dieu en l'homme, est le but de tout.

1. Dieu créa l'homme à son image et ressemblance315. La plus grande grâce que Dieu fît alors en le créant ne fut pas de le tirer du néant ; mais de lui imprimer l'image de son Fils. Comme Dieu aime nécessairement ce Fils, l'objet de toutes ses complaisances, il ne pouvait qu'il n'aimât son image dans le sujet sur lequel elle était imprimée.

Le Démon jaloux de l'avantage que l'homme avait sur lui par l'application de Dieu en l'homme, employa ses ruses pour gâter et biffer autant qu'il était possible cette image adorable. Il y réussit en faisant consentir Adam au péché par le moyen de sa femme. Quelque défigurée que fut cette image, Dieu ne pouvant cesser de l'aimer dans tous les lieux où elle était empreinte, eut pitié de l'homme, qui s'était laissé séduire par le serpent ; et démêlant au travers [82] de ces ombres criminelles que son venin y avait répandu, les caractères ineffaçables de l'image de son Fils, il se résolut, non pour l'homme simplement, mais pour l'amour de ce même Fils, de ramasser les débris épars de cette image, et de la rétablir : ce qu'elle ne pouvait jamais faire par elle-même, ainsi qu'il est dit en Job316 : L'image empreinte se rétablira-t-elle ?

2. Dieu donc envoya son Fils sur la terre pour se réimprimer lui-même de nouveau dans cet homme. Il y avait de grands obstacles. Le premier est, qu'il fallait détruire l'image du Démon, ce que l'apôtre appelle le vieil homme. Tous les saints patriarches, et Adam même, qui ont été sauvés dans l'ancienne loi, ne l'ont pu être que par la destruction de ce vieil homme, et par le moyen des mérites futurs de Jésus-Christ. Ils étaient cependant comme des pierres d'attente, pour ainsi parler, polies et entièrement quittes de l'impression du Démon et du vieil homme ; mais il fallait que Jésus-Christ se réimprima tout de nouveau, et y contretirât tous ces mêmes traits, ce que saint Paul appelle l'homme nouveau, et que le seul Jésus-Christ pouvait faire.

Le second, et le plus grand obstacle qu'il y ait à la réparation de l'image du Fils de Dieu en nous, est notre liberté, qui nous faire retenir malgré les bontés du Créateur et du Rédempteur l'image de son ennemi, sans la vouloir laisser détruire. Comme les dons de Dieu sont sans repentir, il a laissé à l'homme sa liberté, qui, après l'image du Verbe faisait sa principale qualité d'homme. Cet homme pervers ne voulant pas remettre [83] sa liberté entre les mains du Fils, afin qu'il le rendit véritablement libre, (ainsi qu'il le dit lui-même317 : Si le Fils vous met en liberté vous serez véritablement libres) s'en est servi contre Dieu même, [pour se dégrader et se captiver :]. Car il faut savoir, que l'ordre en gâtant et biffant par son péché l'image du Fils, perdit son heureuse liberté, et l'assujettit en quelque manière au Démon : en sorte pourtant, que les péchés que l'homme commet, il les commet [encore] librement et volontairement ; mais son jugement ayant été renversé par sa désobéissance, il a cherché sa liberté dans les plaisirs et dans les péchés, qui n'ont servi qu'à le captiver davantage.

3. Ceux qui sentant le poids de leur esclavage ont eu recours à Dieu, avant même la venue de Jésus-Christ, ont trouvé en eux une capacité et une liberté de faire le bien : parce que le poids de leur iniquité leur devenant insupportable, ils ont crié à Dieu, qui les a tirés de l'esclavage, et leur a rendu en faveur de son Fils la liberté de faire le bien et de retourner à lui de tout leur cœur.

Il y a une belle figure de cela dans le livre des Juges, où il est dit318, que sitôt que le peuple Hébreu se détournait de Dieu, il les laissait assujettir par leurs ennemis ; mais dès qu'ils avaient recours à lui de tout leur cœur, il leur envoyait un libérateur, qui les délivrait du joug que leurs ennemis leur avaient imposé, jusques là même qu'il leur assujettissait les mêmes ennemis qui les avaient dominés.

4. Tout le secret donc de la création de l'homme et de la rédemption de Jésus-Christ n'a [84] été que pour établir et réparer l'image du Verbe, que le Démon s'était efforcé d'effacer. C'est aussi l’essentiel de la religion chrétienne, de laisser Jésus-Christ réparer en nous cette image dans sa première beauté, et lui donner même un nouveau lustre.

Or comme le Démon s'est servi de la révolte et de la désobéissance d'Adam pour imprimer en lui ses malheureux caractères, et couvrir ainsi l'image du Fils de Dieu ; le plus sûr moyen afin que le Fils la rétablisse en nous, est de lui donner notre liberté et notre volonté : c'est là la voie la plus courte. Ce que nous pouvons faire de notre côté avec la grâce, est de nous renoncer nous-mêmes en toutes choses ; afin que notre volonté devenant souple et pliable, elle ne s'oppose point au dessein du Créateur et du Rédempteur.

5. C'est donc là l'essentiel de la religion chrétienne. Tout le reste pourra passer pour l'accessoire ne soit que ce fussent des moyens bons et efficaces pour en venir là. Donnons-nous tous les mouvements que nous voudrons, notre salut dépend de la réparation de l'image du Fils de Dieu en nous ; et ainsi, tous les moyens qui peuvent le plus donner lieu à cette réparation, sont les meilleurs.

Comme le péché de l'homme n'est venu que pour avoir voulu usurper ce qui était à Dieu, les moyens les plus efficaces qui arrachent à la créature ses usurpations pour restituer tout à Dieu, sont incontestablement les meilleurs. Ces moyens sont l'esprit intérieur et l'oraison ; le renoncement continuel à nos vues, à nos idées, à nos préjugés, ce que Jésus-Christ appelle la pauvreté d'esprit ; le renoncement à notre propre [85] volonté, qui est proprement le siège de notre liberté. Le recueillement intérieur, l'occupation de la présence de Dieu, l'abnégation continuelle de nous-mêmes, la résignation et l'abandon parfait entre les mains de Dieu, sont certainement ce qui lui donne plus de lieu de rétablir en nous son image ; de sorte que plus nous nous livrons à lui franchement et librement, plutôt il fait cela dans nous, et avec un très grand agrément.

6. Si cet ouvrage ne se fait pas en cette vie, combien de feux dans l'autre, tant pour ôter les restes de l'image du Démon, que pour réparer pleinement et entièrement celle de Jésus-Christ ? Ceux qui n'auront pas voulu perdre l'image du Démon, seront éternellement avec les Démons, et [seront] leurs esclaves ; parce que c'est là, à proprement parler, porter le caractère de la bête. Comme rien ne plaît tant à Dieu que de voir une âme souple et pliable, qui laisse opérer Jésus-Christ en elle, et qui reçoit l'homme nouveau en la place du vieil homme ; aussi rien n'allume tant sa fureur que ce mépris et ce rejet de l'image de Jésus-Christ, pour conserver celle du Démon. Ce seront là les causes si justes de l'éternelle damnation, et ce sera la source des feux du purgatoire pour ceux qui ne l'auront pas laissé rétablir pleinement.

C'est donc là où git la perfection du christianisme et du chrétien ; et c'est ainsi, qu'au lieu des feux malheureux que le Démon nous avait procurés, l'âme qui laisse rétablir l'image de Jésus-Christ en elle, est remplie des feux de la plus pure charité.

Ce qui fait les divers sentiments des hommes, et qu'ils ne sont pas unis en charité, c'est l'opposition [86] qu'ils ont foncièrement à laisser détruire le vieil homme, ce qui leur donne une qualité dure, opaque, et impénétrable à cette pure charité, qui s'appelle propriété, et qui les divise non seulement entre eux, mais aussi d'avec Dieu. Toutes les âmes en qui image de Jésus-Christ serait réparée, auraient entre elles une union plus étroite que celle de l'âme avec le corps.

Ce qui fait que Dieu aime si fort l'âme dès qu'elle est en grâce, c'est que cette première grâce commence à laisser voir certains vestiges de l'image du Fils de Dieu, quoique cela soit encore bien brouillé et mélangé avec l'amour de nous-mêmes et la propriété, qui est le vieil homme : mais à mesure que cette image se développe, l'amour de Dieu pour l'homme augmente de plus en plus ; parce qu'il ne peut point ne pas aimer l'image de son Fils en quelque lieu qu'elle se trouve. Mais pour ceux en qui elle est entièrement rétablie, ce sont là les objets de sa complaisance, et c'est alors qu'il dit à une telle âme319 : C'est ici mon Fils bien-aimé, en qui je me plais uniquement.

Toutes les croix et les renversements qui arrivent aux bonnes âmes ne sont que pour détruire l'image du Démon, burinée dans le vieil homme. L'amour de Dieu est si grand pour l'image de son Fils, qu'ils mettent tout en usage pour la réparer ; et pour détruire les obstacles qui empêchent cet ouvrage, il se sert également des tentations de toute espèce, et de toutes sortes d'adversités, du Démon même. Ces obstacles sont enracinés dans la propriété, où est gravée l'image du Démon. Or plus il y a de propriété, plus les obstacles sont forts ; et plus cela est ainsi, [87] plus il faut un travail long et douloureux pour en venir à bout.

C'est donc là l'économie de la création et de la rédemption comme j'ai dit c'est l'essentiel de la religion. Tout ce que Jésus-Christ nous enseigne par ses exemples et par sa doctrine et pour en venir là, sans quoi l'homme nouveau ne sera point rétabli en nous. Les sacrements et tout ce que la sainte Eglise nous ordonne, sont des moyens pour faciliter la destruction du vieil homme en nous, et y faire revivre l'homme nouveau.

Une âme en qui le vieil homme est détruit est assurément très agréable à Dieu, et l'objet de ses complaisances ; parce que Dieu ne voit plus en cet homme que l'image de son Fils. Il serait impossible à la charité immense de Dieu de ne s'unir pas et de ne perdre pas en lui cette image renouvelée. C'est à quoi tend toute la voie mystique ; et les expressions diverses dont on se sert pour se faire entendre, ne sont que la même chose : dépouillement, renoncement, pauvreté d'esprit, perte, mort, anéantissement, résurrection, etc. Tout cela n'est que la destruction du vieil homme et de l'image du Démon, et la réparation de l'homme nouveau en nous. Comme je crois avoir déjà écrit320 sur cette matière, je n'en dirai pas davantage.

J'ajouterai seulement, que ce qui fait la plus grande indignation de Dieu contre les réprouvés, est de ce qu'ils n'ont pas voulu laisser rétablir l'image de Dieu en eux. Dieu321 veut certainement que tous les hommes soient sauvés, [88] c'est pourquoi il les a tous appelés à être conforme à l'image de son Fils ; mais il ne peut sauver que ceux en qui l'image de ce Fils est réparée. Il nous donne tous les moyens pour cela ; et nous nous servons de notre malheureuse liberté pour y mettre obstacle. Ô quelle perte ! O quel compte à rendre ! Ô quel châtiment ne nous ont-ils pas du ! Ô mon Dieu, établissez votre image, puisque l'homme ne le peut faire de lui-même ! Qu'il détruise et laisse détruire les obstacles qui sont en lui, et qu'il vous donne lieu de la réparer ! Amen, Jésus !

1.08. De la pénitence, et qu'il y en a de plusieurs sortes.

Sur ces paroles : Faites pénitence car le royaume de Dieu est proche. Matth. 3,2.

Quoique j'ai peu écrit322 de la pénitence extérieure, je ne laisse pas de l'estimer infiniment, et d'être persuadé qu'elle est absolument nécessaire. J'en ai écrit selon l'occurrence des choses, et selon que les matières se sont présentées : mais comme je ne me suis point porté par moi-même à écrire, et que je n'ai fait que suivre le mouvement qui m'était [89] donné, je l'ai suivi sans choix, comme la plume ne choisit pas ce qu'elle écrit, mais suit simplement ce que la personne qui la remue lui fait tracer sur le papier. Ce n'est pas proprement les matières de la pénitence qu’on m’a fait écrire, prenant, comme on fait aujourd'hui, la pénitence pour certaines austérités. Tant de gens de bien en ont écrit, que Notre Seigneur ne m'a pas employée à le faire. Quoiqu'il n'y ait guère de personnes qui en fassent plus, et de plus fortes, que les âmes intérieures, elles en écrivent peu ; car elles ne regardent pas cela comme le principal, mais comme l'accessoire. Elles n'y demeurent pas attachées ; elles ne se fixent pas là, de peur d'empêcher le Saint Esprit d'agir en elles. Elles font les austérités que le Saint Esprit leur inspire, en la manière et autant qu'il leur inspire. Les personnes que Dieu appelle à l'intérieur, ont besoin plutôt d'être retenues dans les austérités, que d'y être poussées ; car leur pénitence est entière, et la mortification de sens si générale, qu'elles ne se donnent aucun relâche, et ne se permettent pas les satisfactions les plus légères et les plus innocentes ; ce que ne font pas les personnes qui se bornent à certaines austérités. Car les âmes intérieures ne se contentent pas de se mortifier simplement, mais elles désirent de mourir universellement à toutes choses, afin que Jésus-Christ vive seul en elles.

J'ai renfermé la pénitence sous le terme de renoncement : car Jésus-Christ a dit323 : Celui qui ne renonce pas à tout ce qu'il possède, ne peut être mon disciple. La première partie du renoncement étant la mortification, il est impossible [90] d'arriver au royaume de Dieu et d'en approcher que par le renoncement, ni d'être renoncé qu'on ne soit mortifié. Le premier renoncement est de renoncer non seulement à tous les plaisirs licites ; mais même aux plus innocents et permis, où est compris la mortification des sens, des goûts, de la vue, de l'ouïe, du toucher, de l'odorat. On mortifiait les sens en deux manières, la première en leur refusant tout ce qu'ils souhaitent ; la seconde en leur donnant ce à quoi ils répugnent. Le vrai mortifié ne se contente pas du jeûne et de retrancher sa nourriture, mais il accompagne ce jeûne de manger les choses pour lesquelles on a le plus de répugnance, jusqu'à ce que tout ce qui se mange soit rendue tellement indifférent, qu'on puisse pratiquer sans peine ce conseil de Jésus-Christ324 : Mangez ce qui sera mis devant vous. Ce n'est pas assez pour une âme intérieure de se priver des plaisirs innocents, si elle l'afflige son corps en mille manières que les plus austères n'imaginent pas, ainsi que le récit qu'ils en font eux-mêmes ou que d'autres font pour eux donne assez à connaître. Il est donc impossible d'être intérieur, qui est, d'avoir le royaume de Dieu en soi, qu'on n'ait passé par cette pénitence ou renoncement. La raison en est claire : c'est qu'on ne peut arriver à Jésus-Christ et le suivre sans se renoncer et porter sa croix. On a vu jusqu'à quel point le renoncement est poussé. Or comme il est impossible de passer d'un lieu à un autre sans passer premièrement par le chemin qui va de ce lieu à l'autre, il est impossible d'entrer dans les renoncements plus avancés qu'on n'ait passé par ceux-là. Je n'ai encore jamais trouvé [91] de personnes vraiment intérieures immortifiées ; j'en ai bien connu à qui la parfaite mortification avais rendu tout indifférent, ne trouvant de goût à rien. Mais il est certain que toute personne qui se dit intérieure et qui n'a pas passé par une forte mortification, se trompe soi-même, et trompe les autres, et n'a d'intérieur que dans son idée. Lorsque j'ai parlé du renoncement, (ainsi que je laisse fait en tant d'endroits) j'ai toujours sous-entendu la parfaite mortification des sens qui est le premier renoncement. Celui qui n'a jamais passé par la porte de la pénitence, loin de se dire intérieur doit appréhender cette sentence de Jésus-Christ325 : Si vous ne vous convertissez, et ne faites pénitence, vous périrez tous.

La pénitence doit être précédée de la conversion, ainsi que je l'ai expliqué ailleurs. Car comme le péché et un détour de Dieu pour se tourner vers la créature, et ensuite s'éloigner plus de Dieu ; la conversion et une aversion ou un détour de la créature pour se tourner vers Dieu, et s'en approcher de plus en plus en s'éloignant de plus en plus de toutes les créatures et de nous-mêmes, lequel nous-mêmes, est de toutes les créatures la plus nuisible. Cette aversion ou ce renoncement de nous-mêmes, et ce qui tient plus au cœur aux personnes intérieures, persuadées qu'elles sont, qu'en renonçant à elles-mêmes elles renoncent à tout le reste.

Or ce qui commence ce renoncement et la privation de tout plaisir est d'affliger sa chair, comme faisait saint Paul326 ; mais ce n'est que le premier pas : car il faut porter327 toute votre vie [92] en nos corps et en nos âmes la mortification de Jésus-Christ ; il faut achever ce qui manque à la passion de Jésus-Christ328 par toutes sortes d'afflictions ; non de choix, mais de providence, portant tous les jours de notre croix329 avec Jésus-Christ, la prenant tel qu'elle nous est donnée, quelque peu sans qu'elle soit ; soit de la part de Dieu, qui appesantit sa main sur vous ; soit de la part des créatures, par toutes sortes de contradictions, d'afflictions, de persécutions ; soit de nos maladies, ou même de nos défauts. Voilà la véritable pénitence, qui loin d'enfler le cœur, nous rend toujours plus humbles, plus petits, plus anéantis.

Et elle produit cette pénitence d'amour, qui fait que quand on souffrirait des tourments intolérables, on croirait toujours de n'avoir rien souffert ; parce que l'amour est un si grand prix, que celui qui le possède compte tout le reste pour rien. Rien ne coûte pour l'amour ; et quand330 on donnerait tout ce qu'on est pour lui, on croirait n'avoir rien donné ; quand on aurait souffert mille martyres, si cela était possible, on ne les compterait pas pour quelque chose en égard à l'amour. Ainsi il ne faut pas s'étonner si les personnes intérieures et s'étend pas sur les austérités, soit celles qu'elles ont pratiquée, soit celles des autres, non plus que sur leurs autres souffrances : cela ne leur paraît rien en comparaison de l'amour ; c'est comme une goutte d'eau comparée à l'océan. C'est donc L'AMOUR qui est le fort des mystiques ; c'est lui qui est leur force et leur vie ; il mérite seul leur attention. Divin-Amour, faites-nous faire cette pénitence, sans laquelle [93] les autres, selon saint Paul331, ne sont rien, et ne sont qu'une timbale résonnante. O, donnant le prix à l'amour ; nous quitterons tout et nous-mêmes pour ce même Amour !

1.09. De la différence des ministères de saint Jean et de Jésus-Christ.

Sur ces paroles : Entre tous ceux qui sont nés de femmes il n'y en a point de plus grand que Jean Baptiste ; toutefois le plus petit au Royaume de Dieu est plus grand que lui. Matth. 11,11.

Il faut regarder Saint Jean en deux manières : comme un grand saint particulier ; et comme précurseur de Jésus-Christ et figure de la pénitence, sous laquelle nous enfermons le renoncement et tout ce qui conduit à Jésus-Christ.

Comme figure de la pénitence, et un homme accomplissant toute œuvre de justice, personne ne l'a poussé plus loin que lui : c'est pourquoi [94] Jésus-Christ lui dit332 : C'est ainsi qu'il faut que nous accomplissions justice ; purifiant extérieurement les âmes, (ce qui est signifié par le baptême de l'eau, qui lave les taches plus grossières ;) et moi je dois les purifier radicalement et foncièrement. Ce que nous pouvons faire avec la grâce par la pénitence est d'amortir les sentiments et les passions.

Mais il faut arriver à Jésus-Christ, afin qu'ils détruisent toute propriété. C'est pour cela que saint Jean envoya ses disciples à Jésus-Christ, et qu'il dit333 : Voilà l'Agneau de Dieu, et celui qui ôte les péchés du monde. C'est comme s'il disait : je puis bien procurer une purification superficielle ; mais je ne puis purifier cette propriété, si fort mélangée avec l'homme, et comme identifiée avec lui. Il n'y a que Jésus, Agneau sans tache, qui puisse le faire, en nous faisant mourir au vieil homme pour trouver une nouvelle renaissance en lui. Car l'homme nouveau ne peut s'incarner, pour ainsi dire, en nous, que toute propriété, exprimée par le vieil homme, ne soit détruite.

Or c'était comme figure de la pénitence, et précurseur de Jésus-Christ, qu'il est dit de saint Jean, que le plus petit dans le royaume de Dieu est plus grand que lui. C'est lui qui introduit, pour ainsi dire, Jésus-Christ dans les âmes, comme l'aiguille introduit la soie dans l'ouvrage ; mais cette soie n’y peut entrer si l'aiguille qui lui a ouvert le passage, ne se retire elle-même. C'est pourquoi saint Jean dit334 : Il faut qu'il croisse, et que je diminue : car à mesure que Jésus-Christ vient lui-même dans un cœur, il s'en rend tellement le maître, qu'il [95] faut que tout ce qui est de propres œuvres de la créature diminue peu à peu ; en sorte qu'elle ne peut plus rien faire d'elle-même, mais il faut qu'elle le laisse faire comme il lui plaît, et ne fasse plus rien que par sa motion. Elle ne peut donc plus faire ce qu'elle faisait, tout son soin étant de laisser Jésus-Christ régner en elle : après quoi, il remet son Royaume à son père, perdant l'âme avec lui en Dieu. C'est en ce sens, comme j'ai dit, que les plus petits dans le royaume de Dieu sont plus grands que saint Jean, selon ce qu'il figurait.

Jésus-Christ dit, les plus petits : car plus l'âme est simple et petite, plus le règne de Dieu est grand en elle et plus elle s'enfonce en Dieu. Jésus-Christ dit en un autre endroit335, que le Royaume de Dieu était et pour ceux qui leur ressemblaient. Plus Dieu règne en nous, plus nous avons de part à son Royaume ; non une part propriétaire, mais une introduction plus profonde et plus étendue : car à mesure que nous devenons plus petits, Dieu règne plus absolument en nous. Ô grandeur, ô sagesse, ô sainteté ! Vous pouvez être agréables au Seigneur pour vos œuvres de justice ; mais il ne règne que par la petitesse et le rien. C'est pourquoi l'Eglise dans la distribution des Évangiles de la messe a mis cet Évangile des petits à la fête de saint Michel, pour marquer que lui, qui est un des premiers Anges, doit nous apprendre qu'on est d'autant plus grand dans le royaume de Dieu qu'on est plus petit : [j'entends] être petit devant Dieu par un entier anéantissement qui nous dérobe tellement à nous-mêmes, et à notre propre vue, que nous ne puissions plus nous apercevoir ; comme il y [96] a des choses si petites, qu'on ne les peut discerner qu'à la faveur de quelque verre : ce verre est la divine lumière, qui nous montrant à nous-mêmes nous fait voir si défectueux et si peu de chose, que nous sommes contraints de nous mépriser nous-mêmes. Alors nous sommes petits à nos propres yeux : cette petitesse nous rend si fort petits devant les hommes, qu'ils méprisent ces petits et n'en font aucun cas. De sorte que cette triple petitesse nous enfonce de plus en plus dans le néant, qui établit le règne de Dieu en nous.

Si nous regardons saint Jean comme un saint particulier, nous remarquerons qu'il a été infiniment grand par son anéantissement et le mépris qu'il fait de lui-même par les trois fois qu'il répète336 : Je ne suis : ce mot exprime la plus entière désappropriation. O je ne suis, que vous renfermez un grand sens ! Je ne suis rien devant Dieu, car je suis tellement anéanti, que je suis comme si je n’étais rien. Je ne trouve rien en moi de moi. Le moi est tellement disparu, que si vous me demandez, ô hommes, de mes nouvelles, je n’ai qu’une chose à vous répondre, Je ne suis : je n'ai plus aucune possession de moi-même ; le Verbe y règne seul sans moi. Je ne suis. Mais dites qui vous êtes ? Je n'ai d’être, de vie, ni de subsistance qu’en Jésus. Voilà ce qui me regarde personnellement, et je ne puis dire que ces paroles, Je ne suis. Mais qui êtes-vous encore comme un précurseur et comme faisant les œuvres que vous faites ? Je suis une voie337, qui ne sert qu'à pousser la parole, comme j'ai été une aiguille pour introduire la soie. Je suis une voix qui [97] pousse la parole : c'est à ma faveur que la parole, qui n'est autre que le Verbe, s'exprime et s'imprime dans les cœurs. La voix n'est rien ; elle ne laisse aucune trace : mais la parole vivante et vivifiante, qui est le Verbe, s'insinue dans l'âme, s'y exprime, et devient sa vie, sa lumière et son salut. Ne vous arrêtez donc pas à moi : vous feriez ce que dit Jésus-Christ338 ; vous vous réjouiriez quelque temps à ma lumière, parce que je suis une lampe ardente et luisante.

Les premiers états de lumière et de consolation sont fort agréables ; on s'y arrête ; on s'y réjouit pour quelque temps à leur lumière ; mais tout cela n'est rien. C'est Jésus-Christ, c'est l'Agneau qui est339 la véritable lumière qui éclaire tout homme venant au monde, c'est-à-dire régénéré par Jésus-Christ, en qui il naît par la destruction du vieil homme. C'est lui, qui est la vérité, et par conséquent la lumière même. Aussi David parlant de Jésus-Christ, dit340 : nous avons vu la lumière dans votre lumière. Voir Jésus-Christ, c'est voir la lumière dans la lumière même ; puisqu'il est la lumière du Père, et la splendeur des saints. Ô divin Jésus-Christ, que nous n'ayons plus d'autre lumière que la vôtre ! Anéantissez toutes les lumières de notre esprit et de notre propre raison, qui s'oppose à votre pure lumière de vérité. Que votre splendeur divine mette nos faibles lumières en ténèbres : car toutes ces lumières de notre esprit ne nous font voir que de faux jours, qui nous conduirait insensiblement dans le précipice si votre pure lumière ne venait nous éclairer, et en nous montrant nos égarements ne nous empêchait de [98] tomber dans le précipice. Venez divine lumière ! Venez, Seigneur Jésus ! Amen !

On peut encore expliquer [les mots de ce passage,] ceux qui sont nés de femmes, de ceux qui avec une bonne volonté aidée de la grâce font des œuvres de justice. De toutes ces œuvres les plus grandes et les plus sublimes sont celles que pratiquait Saint-Jean comme figure de la pénitence et précurseur du Messie. Saint Jean l'évangéliste fait trois différences341 : ceux, dit-il, qui sont nés de la chair ; qui font les œuvres purement humaines, qu'il faut détruire par la pénitence : ceux qui sont nés de la volonté de l'homme ; qui font les œuvres de justice faite avec la grâce : et ceux qui sont nés de la volonté de Dieu ; ce sont les œuvres que Dieu fait faire par une âme anéantie, et qu'il opère en elle, dont il est entièrement le principe, l'âme n'y ayant point d'autre part que de suivre Dieu et se laisser mouvoir à lui comme un simple instrument vivant et animé, qui peut toujours résister à Dieu et mériter punition, comme il peut être fidèle se laissant mouvoir librement. Et comme il s'est donné librement et volontairement à Dieu, les œuvres que Dieu lui fait faire, quoiqu'il ne connaisse pas alors qu'il y ait aucune part, sont souvent des œuvres libres et volontaires, à cause de la donation irrévocable qu'on a faite à Dieu de sa volonté. Or notre volonté passée en Dieu, ayant perdu son propre, a acquis une liberté et une étendue infinie en Dieu, et est remuée par son même mouvement ; comme un fleuve perdu dans la mer acquiert une étendue que rien ne resserre, et étant passé dans la mer, n'ayant plus son mouvement propre, il contracte celui de la mer. [99]

1.10. Pourquoi Jésus-Christ est venu ; et comment on doit le reconnaître.

Sur ces paroles : Il a été circoncis, et appelé Jésus. Luc 2, 21. Et sur celles de saint Paul : Au nom de Jésus tout genoux fléchit au ciel, sur terre et aux enfers. Philippe 2, 10.

Jésus-Christ voulut par sa circoncision terminer l'ancienne loi en l'accomplissant, comme il le dit lui-même342 : Je ne suis point venu détruire la loi, mais l'accomplir. Comment ces paroles s'accordent elle avec ce que dit saint Paul343 : la loi nous a servi comme d'un précepteur pour nous conduire à Jésus-Christ ; Tout le vieux est passé, tout est rendu nouveau ? Ceci s'accorde très bien. Jésus-Christ est venu accomplir la loi dans sa chair ; et en accomplissant cette loi, il l'a perfectionnée : de sorte que la circoncision de la chair a été accomplie par lui et terminée en lui. Voilà ce qui est vieil est passé : tout [100] a été rendu nouveau par Jésus-Christ, qui nous a appris une circoncision spirituelle infiniment plus parfaite que l'autre.

Il nous a appris à circoncire et retrancher nos passions, [circoncision] très bien figurée par cette circoncision dans la chair. Les Juifs accoutumés à une purification légale et à une circoncision charnelle, faisait consister en cela l'essence de la loi. Ils ne connaissaient pas même le retranchement de leur convoitise, qui est le retranchement le plus grossier, si ce n'est les Patriarches et les Prophètes choisis de Dieu comme un argument de la nouvelle Loi. Les Juifs ignoraient donc le retranchement de leur convoitise : mais ils étaient bien éloignés d'imaginer cette circoncision si suréminente, ignorée même des chrétiens344 : Renoncez-vous vous-même, portez votre croix, et me suivez ; marchez après moi dans ces routes, inconnues jusqu'à présent. Il est vrai que je suis venu accomplir la loi en ma chair ; mais je suis venu établir une nouvelle loi toute spirituelle, et une nouvelle circoncision.

Il m'est imposé un nom qui marque ce que je suis venu faire au monde ; et lorsque je prends le nom de Jésus, qui signifie SAUVEUR, je scelle cette qualité de mon sang : je commence à le répandre pour les hommes ; je viens les sauver et les instruire par mes paroles et par mes exemples. Lorsque je dis, Renoncez à l'affection des richesses, je me fais pauvre moi-même, afin que mes exemples soutiennent mes paroles. Quand je dis, qu'on renonce à tout ce qu'on possède ; je ne possède rien. Si je prêche cette maxime si pure, et en même temps si [101] dure à la nature, Renoncez-vous vous-mêmes, ce qui vous compose, votre propre esprit, votre propre volonté ; j'assure que345 je ne suis pas venu faire ma volonté, mais celle de Celui qui m'a envoyé. Si je dis, de haïr mon âme346 ; je me suis abandonné à mon Père, lui remettant entre les mains cette même âme que j'ai reçue de lui. Je n'ai jamais usé un moment de ma liberté, toujours assujetti aux ordres de mon Père. N'ai-je pas enseigné la foi au-dessus de tout sentiment, et la charité parfaite ?

L'homme grossier ne regarde que l'écorce des mystères, et n'en pénètre jamais l'esprit. Il les entend raconter comme une histoire, qui ne contient que ce qu'elle démontre : aussi n’en est-il jamais bien touché ; parce que ce qui émeut les sentiments, n'a qu'une touche momentanée ; et quand les sens ont reçu une certaine impression, ils n'en reçoivent plus guères des mêmes choses. C'est ce qui fait que ce qu'ils ont désiré avec passion leur devient ensuite insipide. Il n'en est pas de même des choses purement spirituelles. La possession en découvre la beauté : ce qu'il y a de profond dans le mystère a une délicatesse infinie, qui se glisse dans toute l'âme. Cette pénétration ne se fait point par la raison ; mais par la foi, qui pénètre la moelle du cèdre, et ce qu'il y a de plus profond dans les mystères : on y découvre une économie admirable de la sagesse de Dieu. L'homme charnel doute de tout ; parce qu'il ne peut rien pénétrer par les sentiments ; mais l'homme spirituel ne doute point ; parce qu'il a été affermi dans la vérité par le moyen de la foi, et que cette même foi sans s'arrêter à l'écorce, pénètre ce qu'il y a de plus [102] caché. La foi en l'affermissant l'âme, lui ôte les doutes et les hésitations qui l'ont battue si longtemps. Elle s'affermit comme le chêne par les vents de la tentation, lorsque les arbres peu enracinés et chargé des feuilles sont renversés.

Saint Paul dit347 : que tous fléchissent le genoux au nom sacré de Jésus, au ciel, en terre, et aux enfers. Ce mot fléchir le genou, ne signifie pas simplement un abaissement corporel ; mais un profond anéantissement dans lequel entrent les bienheureux et le reste des hommes. Les bienheureux dégagés des faiblesses de l'humanité et de tout amour d'eux-mêmes, et affermis dans la vérité, reconnaissent que tout leur bonheur vient de leur SAUVEUR. Ils sont bien éloignés de l'attribuer à leurs propres œuvres ; ils connaissent trop bien ce qu'ils pouvaient faire par eux-mêmes ; et quoique ces mêmes œuvres lorsqu'elles ont été accompagnées de justice, soient un fruit de la grâce de ce même Sauveur, ils reconnaissent qu'ils doivent tout au prix de son sang ; et que ces mêmes œuvres qui sont le fruit de la grâce, ont été si fort mélangé de l'amour-propre et du propre intérêt, qu'ils ont encore eu besoin d'un SAUVEUR, pour ces mêmes œuvres de justice. C'est ce qui les tient dans un profond anéantissement et une reconnaissance toute d'amour. Oui, divin Sauveur, disent-ils dans leur silence plein de respect, nous vous devons toutes nos œuvres, et le rachat de ce qu'il y avait de défectueux dans ces mêmes œuvres, qui était notre propre.

O si nous étions pénétrés de la lumière de vérité, comme les bienheureux, nous penserions et dirions la même chose ! Et bien loin [103] de nous attribuer aucune œuvre bonne et juste, nous reconnaîtrions clairement que nous n'avons fait que gâter l'offre du Seigneur, que nous ne sommes propres qu'à mettre des obstacles à tout le bien qu'il veut faire, et à commettre tout mal. Ce sentiment doit faire fléchir le genou au nom de Jésus à tout homme vivant sur la terre. Oui, nous devons nous anéantir puissamment devant celui auquel nous devons non seulement348 le vouloir et le faire : mais la purification du mélange monstrueux que nous avons fait de notre propriété avec sa grâce.

Nous vous devons tout, ô divin Sauveur ! Et nous devons entrer dans un extrême abaissement à la vue de notre misère, et dans une complaisance infinie d'avoir un tel Sauveur. Ô Amour ! Je dois aimer ma misère qui me donne un tel Sauveur : mais comme c'est par ces mêmes misères que vous portez la qualité de Sauveur, vous devez en avoir compassion. Elles ne vont sont point opposées ; au contraire, elle vous en fait Sauveur. De quoi vous aurez servi cette qualité, s'il n'était point d'iniquité ni de misère ? O Félix culpa ! chante l'Eglise éclairée de la lumière du Saint Esprit. O mes chères misères ! Si je pouvais vous détacher du péché, je vous estimerais plus que toutes les vertus. C'est par vous que je trouve un SAUVEUR. Vous ne m'affligerez plus mais je vous offrirai à lui afin qu'il exerce sur vous le Nom qui lui est imposé aujourd'hui. Ô que je comprends bien votre utilité, pourvu que vous soyez exemptes de malice ! Eh, que vous avez raison, ô Paul, de vous glorifier349 dans vos faiblesses, puisque ce sont elles qui vous font trouver ce puissant Sauveur ! [104] O vous, qui croyez vous sauver par vous-même, et qui regardez votre SAUVEUR comme presque inutile, qui dites que vous opérez votre salut ; je doute que vous ne trouviez pas quelque mécompte !

Pour moi, qui suis dépourvu de tout autre bien que de mon Sauveur, je trouve en lui tout ce qui me manque ; et je suis ravie que tout me manque, pour avoir ce puissant Sauveur. Il sait bien que je n'attends rien de moi, mais de lui seul : et ne trouvant en moi que des sujets de honte et d'aversion, je trouve en lui toute ma gloire et de quoi combler mon amour. Exercez donc sur moi cette qualité de SAUVEUR : vous ne pouvez trouver un sujet plus propre pour cela par l'extrême profondeur de ma misère.

Vous me dites, ô Amour, ma qualité de Sauveur n'a pu me dispenser de payer à la justice de mon Père ce qui lui était dû pour l'iniquité des hommes. On veut profiter du prix de mon sang ; mais on ne veut point satisfaire à la justice de mon Père. Je n'exerce absolument ma qualité de Sauveur que sur ceux qui veulent bien, comme moi, satisfaire à sa justice. J'en ai porté ce qu'il y avait de plus rigoureux. Elle est pleine de douceur à qui la fait connaître. J'ai bu l'amertume et la lie du calice. Que vous rendrai-je350, ô mon Sauveur, pourtant de bien ? Je prendrai cette coupe salutaire de votre main. Oui, je veux vous voir avec vous le calice que votre Père vous a fait voir le premier : lorsque vous dites, Père, s'il est possible que ce calice passe outre, vous vouliez me le transmettre et à tous ceux qui voulaient participer au salut que vous leur méritiez. Lorsque vous donnâtes [105] ce calice à la Cène, vous dites, buvez en tous ; parce que tous doivent participer à vos souffrances comme à l'effusion de votre sang. Oui, mon Jésus, je veux de tout mon cœur satisfaire à la justice. Il y a longtemps que je lui suis dévoué. C'est en vous que j'ai trouvé ce dévouement, comme c'est en vous que je trouve de quoi lui satisfaire. Je m'abandonne à toutes ses rigueurs. Toutes ces pointes se sont émoussées sur vous : elle n'a plus rien que d'aimable. Je m'y livre donc par vous et en vous, en temps et en éternité. Amen, Jésus !

Il reste à voir qu'on fléchit le genou dans les enfers au nom de Jésus. Tous les Patriarches et Prophètes qui y étaient renfermés, n’attendaient leur délivrance que de ce SAUVEUR pour lequel ils soupiraient depuis si longtemps. Toutes les œuvres de justice qu'ils avaient exercées d'une manière si admirable ne pouvaient leur ouvrir le ciel. Il leur fallait ce Sauveur. O qu'ils furent et joyeux et anéantis tout ensemble, lorsque ce Sauveur fut né, et qu'on lui imposa ce nom adorable ! Ils étaient également transportés d'amour, d'étonnement et de joie dans un profond mépris d'eux-mêmes, et dans une sainte impatience de voir ce désiré des Nations. Ô divin Sauveur ! L'amour que vous aviez pour la justice et pour les hommes, vous a fait prolonger votre vie ; mais on peut croire que le désir de ces saints Patriarches vous la fit abréger.

Il y a encore les âmes du purgatoire, qui sont dans une espèce d'enfer, et qui éclairées de la vérité attendent tout du Sauveur, qui exerce encore sa miséricorde sur elles à travers d'une exacte justice. Que tous adorent, bénissent et louent [106] votre nom adorable, ô divin Sauveur ! Amen, Jésus !

*1.11. Des voix secrètes de l'Esprit de Dieu sur les âmes.

Sur ces paroles : O profondeurs des richesses de la science et de la sapience de Dieu ! Que ces voies sont difficiles à connaître ! Etc. Romain 11, 33.

O homme aveugle, qui t'imagines pénétrer les secrets de Dieu, et qui veut poser des bornes à son pouvoir ; qui croit qu'il doit régler sa conduite selon ton petit raisonnement, écoute ces paroles de saint Paul, toi qui blasphèmes contre les choses saintes parce que tu ne les comprends pas, qui condamnes d'erreur ce qui est au-dessus de ta portée : ne vois-tu pas que l'erreur est dans ton esprit, et non dans les voies de Dieu ? Plus les voies de Dieu sont spirituelles, plus elles sont cachées, et par conséquent au-dessus de ta pénétration. Dieu par une sagesse incomparable diversifie les voies de l'esprit, afin que l'homme n'aille pas s'imaginer qu'il y ait des [107] règles sûres dans la conduite de Dieu, et qu'elles doivent être de telle et telle sorte. Dieu veut qu'on respecte sa conduite, et que l'ignorance de ses voies porte à nous abandonner totalement à lui.

Quoique la conduite de Dieu soit si cachée à l'esprit humain, il y a une règle invariable, qui est l'ÉVANGILE, et dans cet Évangile les maximes les plus pures de la perfection chrétienne, comme sont, le renoncement à soi-même ; porter sa croix, et suivre Jésus-Christ ; préférer la gloire de Dieu à tout le reste, la pauvreté d'esprit, l'amour de la souffrance, se réjouir dans la persécution, préférer la pauvreté aux richesses. Tout cela sont des règles générales. Faire la volonté de Dieu sur terre comme au ciel, abhorrer son âme, c'est-à-dire, le moi, adorer le Père en esprit et en vérité, chercher le règne de Dieu et sa justice avant toutes choses, ne se point mettre en souci du lendemain ; ce qui marque l'oubli de soi et l'abandon total ; devenir comme des enfants par la simplicité, la candeur, l'innocence, et la facilité à se laisser conduire ; avoir une foi véritable et qui ne change point.

Ce sont là des maximes générales, dont tous conviennent dans la théorie, mais nul dans la pratique. Comment préfère-t-on l'honneur de Dieu à tout le reste si on se préfère même à Dieu, lorsque nous voulons tout rapporter à nous ? Comment nous renoncerons-nous nous-mêmes, si nous nous aimons, si nous sommes uniquement occupés de nous pour le dehors et pour le dedans ? Qui dit une chose renoncée dit une chose à laquelle on ne prend plus de part, dont on ne se mêle plus, et à laquelle on ne veut [108] pas même penser. Il est clair que par le renoncement il faut bannir le mien et le moi.

Ceci posé, je dis qu'outre ces maximes généralement reçues pour vrai, quoique non pratiquées, il y a des voies et des moyens de renoncements qui ne sont connus que de Dieu et de ceux qui les éprouvent. Ces moyens sont différents selon les personnes ; ce qui afflige les uns, ne ferait pas le même effet aux autres. Ils sont aussi fort cachés, car Dieu a des conduites tout à fait inconnues pour ses élus : c'est pourquoi il défend si fort le jugement téméraire. Mais il ne se contente pas de cacher sa conduite aux autres hommes, il la cache même à celui qu'il conduit : il l'environne de ténèbres, il démonte sa raison, il la mène où elle ne croyait jamais devoir aller, comme il fut dit à Pierre351 : Quand vous étiez jeunes, vous alliez où vous vouliez ; lorsque vous serez devenu vieux, un autre vous ceindra, et vous mènera où vous ne voudriez pas aller.

Et pourquoi fait-il cela, ce Dieu puissant et fort ? C'est pour nous faire renoncer à nous-mêmes, à tout intérêt quel qu'il soit, et rendre notre abandon plus parfait, n'étant fondé sur rien qui nous regarde, mais sur le bon plaisir de Dieu, auquel on se livre sans réserve. Plus la route est obscure, plus elle exerce l'abandon ; plus la foi est dénuée de témoignages, plus elle est pure et parfaite. Porter notre croix est de même nature. Si vous choisissions nos croix, elle ne serait pas croix ; parce que le propre choix, et la propre volonté qui est la mère du propre choix, adouciraient toutes choses. C'est donc Dieu lui-même qui nous choisit nos croix, et qui les dispense d'une manière si propre à chacun nous, [109] que lorsqu'on commence à la faveur de cette même croix d'être éclairé de la vraie lumière, on convient que celle-là seule était capable de nous faire souffrir et mourir à nous-mêmes. Cela est si vrai, que les personnes non éclairées disent dans leur peine : tout autre croix que celle que je souffre, ne me paraîtrait rien. On trouve tout ce qu'on souffre excessif et le plus difficile à porter : de plus, Dieu envoie pour l'ordinaire celles auxquelles on s'attendait le moins, si je les avais prévues, elles me seraient moins pénibles. Ce qui fait voir, que ce que nous prévoyions et choisissions, n'est pas ce qui opère le renoncement à nous-mêmes.

Lorsque Jésus-Christ nous ordonne de le suivre, ce n'est pas seulement en pratiquant certaines maximes évangéliques, mais en passant par où il a passé, par les mépris, les opprobres, les douleurs, l'obéissance la plus parfaite aux volontés de Dieu son Père, et la résignation la plus pure. Toutes ces maximes sont donc essentiellement les maximes chrétiennes, non seulement crues, mais pratiquées en marchant sous la conduite de notre capitaine, qui nous mènera où il lui plaira sans nous dire où il nous mène : et plus ces maximes s'enfoncent dans l'intérieur plus elles deviennent cachées.

L'âme épouvantée de l'adresse de Dieu à trouver des moyens de la faire souffrir et se renoncer, dit : que vos voies sont investigables ? Il n'y a ni trace ni vestige de ce que vous faites éprouver à l'âme ; elle ne trouve personne qui lui soit entièrement semblable, et qui puisse la consoler et l'instruire dans la voie qu'on lui fait tenir. Elle n'en saurait rien dire elle-même, parce qu'il n'y a aucun vestige ni trace qu'elle [110] puisse remarquer pour les exprimer. Tout est donc obscur et caché dans les voies singulières de Dieu ; quoique les maximes en soient déclarées clairement

8. Il y a partout des traces des voies les plus intérieures de Dieu sur les âmes : on les a découvert[es] dans tous les temps, mais comme de loin ; dans tous les pays, dans presque tous les écrits des saints, des savants, des philosophes même ; mais tout cela d'une manière très enveloppée : peu en ont écrit clairement et ceux qui l’ont fait, l'ont fait en peu de paroles. L'esprit intérieur et de désintéressement est donc répandu partout, dans les choses naturelles, même dans les fables. C'est cet Esprit universel répandu partout, quoique d'une manière presque imperceptible, que les yeux illuminés découvrent très bien. La culture des plantes, leur accroissement auquel l'homme ne peut rien contribuer, tout change ; on voit des mutations continuelles : les arbres se couvrent de verdure, puis paraissent comme morts. Mais je laisse cette discussion qui n'est pas mon sujet. Je dirai seulement avec David352 : Toute la terre est remplie du Seigneur, son Esprit est répandu sur toute la terre.

9. Cet Esprit intérieur est l'Esprit universel, comme l’air, ou comme le sel, qui est répandu partout, mais qu'on ne découvre néanmoins qu'en tirant la quintessence des choses. Il n'y a rien dont on ne tire du sel, il n'y a rien non plus dans toute la nature dont on ne puisse tirer cet Esprit intérieur lorsqu'il est une fois découvert à l'âme. Celui qui a trouvé le secret de tirer les sels, en tire de tout. Celui qui est possédé de [111] l'Esprit intérieur, de l'Esprit Saint, le trouve répandu en toutes choses. Ô altitudo ! [ô profondeur !]

10. Il est certain que cet Esprit intérieur et universel est un Esprit vivant et vivifiant ; c'est l'Esprit du Verbe par qui tout a été fait, et sans lequel rien n'a été fait. C'est cet Esprit, principe de tout, qui, circulant, pour ainsi parler, dans notre âme par mille opérations secrètes et cachées, tantôt purifiantes, tantôt dilatantes, anoblissantes, douloureuses et affligeantes par une certaine acrimonie que la nature, qui aime ce qui la flatte, a peine à souffrir, et qui est cependant si nécessaire, que c'est elle qui fait sa pénétration, comme il est écrit353 qu'il atteint de l'un à l'autre bout, et qu'il pénètre ce qu'il y a de plus caché.

11. Comme le sel pénètre les corps et les empêche de se corrompre, cet Esprit pénètre toute l'âme et empêche sa corruption. Lorsque cet Esprit a tout pénétré, il retourne à son principe, et ayant séparé de l'âme ce qu'il y avait de matériel et de grossier, il l'entraîne avec lui, l'ayant subtilisée, et la perd dans sa dernière fin, qui n'est autre que ce principe dont il part. Il faut que les choses terrestres et grossières soient subtilisées pour devenir sel ; il faut de même que l'homme soit entièrement séparé de soi, qui est la matière, pour devenir esprit ; et cet homme, ainsi séparé et subtilisé retourne à son principe. Le feu fait la séparation du sel d'avec les métaux et les plantes : c'est le feu de l'amour divin qui nous sépare de ce que nous avons de grossier.

12. Dieu est esprit : il veut des adorateurs [112] en esprit ; il est vérité, il veut qu'on l’adore en vérité354. Tout ce qui est pur esprit est aussi vérité, de sorte qu’adorer en esprit, c'est proprement s'unir à la suprême Vérité. Il est écrit355 que la vérité est sortie de la terre. Comment en est-elle sortie ? C'est par cette séparation mystique que l'amour sacré fait de ce qui est grossier et matériel. La vérité est sortie et est remontée à son principe, qui est esprit et vie ; ce qui rend l'homme spirituel, vivant en Dieu.

C'est donc cet Esprit vivant et vivifiant qui est envoyé dans nos cœurs356 ; mais il n'y peut rester quand séparant l'esprit des matières grossières ; et comme nous ne voulons pas souffrir cette opération, cela fait qu'il n'y séjourne pas.

13. Qui pourrait comprendre comme le feu fait cette séparation, et comme tout circule avant que de se subtiliser ? L'Esprit Saint fait son opération d'une manière si secrète que les yeux n’en découvrent rien. C'est cet Esprit vivifiant qui donne le prix et la valeur à tout ; mais il n'opère que par la division et la séparation.

C'est donc une nécessité que de souffrir cette division et séparation pour, de matériel, devenir spirituel, et c'est le moyen dont Dieu se sert pour cela, qui est infiniment caché et secret.

14. Ce sont ces voies de la sagesse que l'homme ne peut jamais découvrir. Il n'y a point de trace, si ce n'est le caput mortuum dont on a tiré l'esprit. C'est ce qu'il faut qu'il se passe en nous. C'est la parole vivante et vivifiante et opérante qui fait toutes ces choses. Saint Paul dit357 que la lettre tue quand on ne s'arrête qu'à l’écorce ; mais l'Esprit, caché sous cette lettre, donne [113] la vie. Cette séparation ou division s'appelle mort, renoncement, anéantissement, division, séparation, réunion des esprits séparés de la matière et transformés, changés, purifiés. Si ce corps matériel dont on tire le sel était vivant, que ne souffrirait-il pas dans cette opération si terrible ? On aurait beau lui dire : on va vous donner une qualité infiniment plus noble que celle que vous avez. Ce bien futur ne serait qu'en idée, et n'adoucirait guère son mal présent. Il ne peut être content de son sort que lorsque l'opération est faite, et qu'on ne trouve plus que l'œuvre morte. Ô Amour, c'est ainsi que vous usez dans notre âme ! Vous avez créé Adam avec un esprit pur et dégagé de la matière ; mais Adam ayant répandu l'esprit pur, et l'ayant incorporé avec l'œuvre morte, c'est à l'Esprit Saint à faire cette séparation. Ô Dieu, envoyez votre Esprit et nous serons créés de nouveau358. Amen, Jésus !

*1.12. Économie de la parole intérieure, et de ses effets.

[114] Sur ces paroles : L'homme ne vit pas seulement de pain ; mais de toute parole qui sort de la bouche de Dieu. Matth. 4, 4.

Jésus-Christ entend par le pain toutes les choses nécessaires à la vie et qui sont hors de nous et nous environnent, celles qui servent à la subsistance de notre corps. Ce n'est point de cela que l'homme doit vivre ; c'est ce qui compose l'homme charnel qui semble ne vivre non seulement que par ces choses, mais pour ces choses. L'homme spirituel, au contraire, en use comme n'en usant point359 : il en use par pure nécessité dans l'ordre et la volonté de Dieu. Je dis dans l'ordre, car Dieu, qui a ordonné ces choses pour la subsistance de l'homme, pouvait bien le faire vivre sans tous ces assujettissements ; mais dès qu'il a voulu, pour humilier l'homme, que sa vie naturelle fût assujettie à la nourriture et au sommeil, il doit en user sobrement, en respectant l'ordre de Dieu, qui a voulu l'assujettir à ces choses.

Jésus-Christ pouvait s'en dispenser ; il s'est néanmoins assujetti à la loi commune des hommes, pour leur apprendre également et la modération en satisfaisant au besoin de la nature, et en même temps détruire l'orgueil excessif des jeûneurs immodérés, qui mettent toute la perfection [115] à détruire la nature, ne lui donnant pas ses besoins nécessaires, et qui veulent se mettre au-dessus du commun des chrétiens vertueux par cette abstinence excessive des mêmes choses que Dieu a établies, voulant (pour ainsi dire) combattre l'ordre divin, et se mettre au-dessus. Ils semblent ne connaître que cette seule perfection ; et pourvu qu'ils passent pour grands jeûneurs, le reste ne leur paraît pas nécessaire. Leur âme demeure vide de Dieu, et pleine de l'amour d'eux-mêmes et de leur propre excellence, se préférant à tous comme les pharisiens, que Jésus-Christ avait en abomination. Jésus-Christ est donc venu détruire ces renversements de l'ordre divin que l'orgueil des pharisiens avait établi. D'autres tombent dans d'autres extrémités, qui sont des débauches outrées ; et abusant de leur tempérament, ils le détruisent par l'excès du boire et du manger, plus extravagants que les bêtes brutes, qui ne mangent que ce dont elles ont besoin. Ce n'est point pour ces personnes que j'écris : ils sont bien éloignés d'entendre les paroles de la vérité.

Je dis donc que l'homme ne vit pas seulement de pain matériel, quel qu'il soit, quoiqu'il en ait besoin pour soutenir son corps ; mais de toute parole qui sort de la bouche de Dieu. Il n'est pas dit simplement de toute parole sortie de bouche de Dieu, ce qui s'entendrait simplement des paroles de la sainte Ecriture ou en elle-même ou expliquée par les hommes ; mais de cette Parole qui sort de la bouche de Dieu, qui en sort incessamment de toute éternité. C'est le Verbe-Dieu, qui est cette Parole puissante et opérant dans le fond du cœur. C'est cette Parole qui doit être la vie de nos âmes, qui [116] s'insinue par le centre sans bruit de parole, et qui les anime et les vivifie. Ô Parole incréée, c'est vous seule qui avez le pouvoir de donner la vie, de la conserver, et de la redonner de nouveau. C'est vous qui vous êtes faite dans le temps une parole abrégée, pour vous insinuer non seulement comme Verbe, du dedans au dehors, mais même du dehors au dedans, par vos maximes et par vos exemples.

Cette vie intérieure du Verbe, et cette nourriture substantielle, s'insinue et se distribue dans toute l'âme aussi réellement comme la nourriture s'insinue dans toutes les parties du corps, selon la distribution qui en est faite par la Sagesse. L'Esprit du Verbe entre au commencement par le dehors, et ensuite gagne le cœur ; mais lorsque le cœur est parfaitement gagné, il s'insinue sans l'entremise des sens et des puissances. Cette Parole divine devient une parole muette, une parole tout esprit, qui s'insinue insensiblement partout, et qui étant esprit et vie360, devient l'esprit de notre esprit et la vie de notre vie. C'est cette voix que les seules brebis de l'Agneau sans tache entendent, et que les autres ignorent : je dis les brebis de l'Agneau, qui de Pasteur s'est fait agneau pour sauver ses brebis, ainsi qu'il le dit lui-même : Je suis ce bon Pasteur : les brebis entendent ma voix ; mes brebis me connaissent, et je donne ma vie pour elles361.

C'est donc ce Pasteur admirable qui s'insinue d'une voix muette par un silence profond (quoique d'ailleurs elle soit plus intelligible qu'une voix de tonnerre) : aussi l'Évangile dit-il362 qu'on ne l'entendra point crier dans les places publiques. Cette voix admirable ne s'entend que [117] dans le calme : elle donne une paix profonde à l'âme ; et en s'insinuant ainsi dans la paix et dans le silence, elle y produit tout bien. C'est elle qui produit l'amour pur, la foi nue, et l'abandon parfait. Ceux qui sont agités de l'amour du monde et du trouble des passions ne peuvent l'entendre : il faut que tout soit calme pour cela. Elle est paix et joie au Saint-Esprit. Elle échappe à ceux qui se multiplient sans cesse dans leur voie, et qui ne demeurent point en repos, qui croyant beaucoup glorifier Dieu par cette multiplicité et par ce tumulte du dehors, prennent le change. Dieu, comme dit l'Ecriture363, habite dans l'âme tranquille. Que ceux qui ont commencé à goûter cette paix du dedans, qui est le signal que le Verbe veut parler à l'âme dans le silence, se tiennent heureux, et qu'ils soient fort fidèles à ne point mêler leur activité à cette parole ineffable, sous quelque prétexte que ce soit. Cette Parole est si délicate que l'homme accoutumé à agir par les sentiments en fait peu de cas. Il estime plus un travail aperçu que cette manne cachée ; il éteint peu à peu par son activité cet Esprit simple et insinuant du Verbe. Saint Paul nous avertit de364 ne pas éteindre l'Esprit, c'est-à-dire de le laisser s'insinuer sans obstacle.

Ce simple repos, soit à l'oraison, soit durant le jour, sans donner ni lumière ni connaissance, donne toute connaissance ; car il est vérité, parole, esprit et vie alarme µ. Si on disait à une personne ignorante que le pain qu'elle mange et qu'elle sent descendre dans l'estomac, porte sa substance ensemble au cerveau et à toutes les parties du corps, elle aurait peine à le croire : cela est pourtant certain. Il en est de même de cette [118] Parole muette : elle remédie [de telle sorte] à nos maux, sert de nourriture à notre âme, guérit nos langueurs, apporte tous biens et toute vertu avec elle, nous fait mourir au vieil homme et vivre au nouveau, nous rajeunit comme l'aigle, qu'on aurait de la peine à le comprendre. Cependant cela paraît réellement dans les effets. Cette Parole est le règne de Dieu en nous : elle est comme365 le grain de moutarde, et peu de chose dans les commencements, mais devient grande dans la suite. Cultivons cette Parole par une attention continuelle, par un silence profond ; et sans autre chose nous aurons tout. C'est elle qui nous fait remplir nos devoirs, qui nous instruit, qui fait perdre peu à peu notre vouloir propre pour ne vouloir que la volonté de Dieu, qui nous fait renoncer à nous-mêmes, porter notre croix, suivre Jésus-Christ avec joie, qui donne un mépris effectif des richesses et de tout ce qui n'est point Dieu. C'est elle qui nous fait préférer Dieu à notre propre âme. C'est elle qui donne cette juste médiocrité qui fait qu'on n'excède jamais dans le manger, ni dans le trop ni dans le trop peu. C'est elle qui rend l'âme simple, petite, enfantine ; qui lui fait mépriser la vaine opinion des hommes, la garantit de l'hypocrisie, du mensonge, de la vanité, de l'erreur et de l'ambition, lui donnant une vraie connaissance du tout de Dieu et du rien de tout le reste ; qui lui fait comme à saint Paul366, regarder toutes choses comme de la boue au prix d'appartenir à Jésus-Christ.

C'est cette Parole-Dieu qui s'est faite homme pour faire l'homme-Dieu. Car toute l'ambition de l'Ange et de l'homme était de devenir [119] semblable à Dieu ; et comme cela ne pouvait jamais être, puisque cette pensée est le comble de l'impiété, elle s'est faite homme afin que l'homme pût être semblable à Dieu sans crime. Ô Parole, Parole infiniment éloquente et diserte dans votre silence profond, quand sera-ce qu'on vous écoutera ? Donnez à nos cœurs des oreilles proportionnées à la subtilité de vos paroles.

Quelques-uns ont cru que cette divine Parole se faisait entendre au fond de l'âme par parole articulée. Ce n'est point cela. Toute parole articulée est médiate et par le ministère des anges ; et lorsqu'on les appelle substantielles, c'est à cause de leur efficacité, parce qu'elles donnent dans le moment ce qu'elles sonnent, comme soyez en paix : l'âme éprouve alors une grande paix. Mais quoique ces paroles soient efficaces, elles sont pourtant momentanées, et cette paix peut encore se perdre, puisque cette même parole a été réitérée à plusieurs saints diverses fois. Ce n'est point de celles-là dont je parle. Cette Parole vivante et vivifiante qui s'insinue par toute l'âme, qui est le Verbe, se fait entendre, comme dit le livre de l'Imitation367, sans bruit de paroles. Les autres sont reçues dans les puissances, et celle-ci dans son centre. Lorsqu'elle communique sa vie à l'esprit, cela s'appelle foi nue, parce que, comme cette parole est pure, nue, simple et généralement générale sans rien de distinct ni déterminé, elle donne cette qualité à la foi, qui réside dans l'esprit : c'est ce qui la fait appeler foi simple, nue, générale, parce qu'elle est pure, sans distinction, comme l'Esprit du Verbe qui s'insinue en elle : de sorte que cette parole vivifiante imprime en [120] toute l’âme son propre caractère, et met la raison et l'esprit en silence de tout action propre. Elle fait le même dans la volonté, qu'elle remplit d'un amour nu, surpassant tous sentiments, interdit le langage du cœur, éteint ses désirs pour substituer les siens en la place, fait perdre en la volonté tout l'usage de son propre pour se perdre en celle de Dieu, où cette parole pleine de silence la conduit insensiblement et sans le sû de l'âme.

Car tant que cette divine Parole conduit l'âme, on ne s'aperçoit pas de son effet parce que sa pureté la rend insensible. On ne peut s'apercevoir de quelle manière la sève monte dans un arbre, et s'insinue dans toutes ses parties. On ne s'aperçoit point aussi de cette Parole vivante sinon par une force secrète, par un amortissement des sentiments, par une perte de son propre esprit et de sa propre volonté. Jésus-Christ n'a-t-il pas dit368 : Je suis la vraie vigne, et mon père est le vigneron : celui qui ne porte point de fruit en moi sera retranché ? C'est cette sève divine qui s'insinue et qui fait porter du fruit, mais du fruit qui tire toute sa bonté et sa fraîcheur de cette sève admirable.

L'opération vivifiante de la Parole est simple, et s'insinue comme à l'écart et à l'insu [non seulement] de l'âme, mais aussi de l'amour-propre et du Démon, parce que l'amour-propre est un larron, vole tout ce qu'il aperçoit ; et le Démon le peut contrefaire ; mais dans cette route cachée, cela n'arrive pas. Souvent cette opération vivifiante se retire si fort au-dedans que l'âme en paraît toute desséchée. C'est comme une espèce d'hiver pour l'âme : ses fruits et [121] ses feuilles tombent ; mais dans ce temps la racine s'étend et se fortifie, parce que la sève est comme toute ramassée en elle. C'est dans cet hiver de l'âme qu'elle s'enracine dans la parfaite humilité, qui est la haine de soi-même, le mépris d'une beauté qui dure peu et qui est si fragile.

Lorsque l'âme a fait diverses fois cette expérience, et qu'elle voit ses feuilles renaître et mourir, elle ne fait cas que du principe vivifiant qui est en elle, qui ne la quitte jamais quoique il se retire (pour ainsi dire) dans ses racines, qui est son centre : elle n'estime que ce qu'il est inconnuement, et non ce qui paraît en elle : car l'Amour, Parole incréée, Verbe-Dieu, se fait un jeu de l'orner et de la dépouiller, de l'embellir et de la rendre laide. Il y a des temps qu'elle fait le plaisir de la vue, comme les arbres au printemps ; d'autres, qu'elle fait horreur, comme ces mêmes arbres l'hiver. Tout est glacé au-dehors : la sève du dedans est pourtant toujours la même, et il n'y a que le péché qui la tue.

C'est donc la l'économie de la Parole centrale, de s'insinuer partout, et de faire dans toutes les parties de l'âme un ouvrage conforme à ce qu'elle est. Elle est pure, simple, nue, uniforme en tout ; elle donne ces mêmes qualités à l'âme, et la retire insensiblement de toute multiplicité au-dehors, pour la renfermer dans cet unique, qui ne souffre plus ni distinction ni différence, comme il ne souffre plus de partage.

Remarquez que c'est cette parole vivifiante qui fait toutes ces choses sans la participation de l'homme, lequel est tout passif, et dont tout le soin est de ne mettre point d'obstacle à l'ouvrage [122] merveilleux de cette Parole, mais de la laisser s'insinuer en toutes les parties de notre âme par le don irrévocable que nous lui en faisons, nous abandonnant totalement à son opération vivifiante et crucifiante tout ensemble. Car cette Parole est vie en tout nous-mêmes et en tout le dehors, donnant vie aux croix, peines et humiliations qui nous environnent. Nous sommes taillés, incisés par son amour ; nous pleurons comme la vigne, mais c'est sans perdre notre sève, car la vigne ne jette qu'une eau inutile. Qui verrait la vigne, un bois si sec, rendre tant d'eau, croirait que cela la ferait mourir. Point du tout : c'est la sève elle-même qui lui fait jeter ses humeurs superflues, pour s'insinuer plus abondamment. De même la Parole vivante rejette dehors tout ce qui n'est point d'elle et qui n'est point elle-même, comme des obstacles qui l'empêchent de nous vivifier entièrement. Laissons-la donc faire ; laissons le divin vigneron nous labourer, tailler et faire toutes les façons qu'il juge nécessaires. Laissons-lui couper l'ancien bois, qui est le vieil homme, afin que le nouveau croisse. Les tentations, les sécheresses, amertumes du cœur, croix, contradictions, injures, mépris, pertes de biens, pertes d'honneur, sont les façons qui nous feront fructifier en Jésus-Christ. Qu'il nous en fasse la grâce ! Amen, Jésus !

*1.13. Trois moyens de purification et de mort.

1. Entre plusieurs moyens dont Dieu se sert pour faire mourir les âmes à elles-mêmes il y en a trois : la faim et soif, la douleur, et l'amour. On meurt donc par la faim et la soif, on meurt par la douleur, et enfin on meurt par l'amour.

2. L'âme qui a goûté des amabilités divines et qui s’en voit privée, souffre une faim de Dieu qui passe tout ce qui s'en peut dire : car comme Dieu est infini, il donne une faim proportionnée à ce qu'il est. Cette fin cause un vide presque immense dans l'âme, mais un vide qui n'est point paisible, comme dans l'anéantissement : c'est un vide douloureux, qui sent son besoin et qui voudrait être rempli. Il ne l'est pas cependant, si ce n'est bien tard : l'âme se consume de langueur et d'amertume ; à mesure que sa faim croît, son vide augmente, et par conséquent le désir de la possession de son divin objet. Dans le commencement, la douleur de la [124] faim est plus vive ; ensuite, à mesure que les forces diminuent, cette faim se change en longueur et en défaillance ; et enfin elle cause la mort, comme on voit qu’arrive dans la faim naturelle, où d'abord un feu dévorant met les hommes presque au désespoir, ce feu dévorant se tourne en langueur, et ensuite en défaillance de mort.

3. Il y a encore une autre faim, qui est celle de la Justice ; et celle-ci arrive plus tard, et est moins douloureuse et plus paisible, quoiqu'elle ne soit pas moins étendue et moins profonde : c'est un désir que la Justice s’exerce en nous et en toutes les créatures ; c'est une justice de restitution de gloire et honneur pour Dieu. On désire infiniment que Dieu se fasse justice à lui-même de tous les larcins qu'on lui a faits. Cette âme, loin de craindre le vide [comme dans la faim précédente], le désire infiniment, afin de se voir dépouillée de toutes ses usurpations. Elle sait que tout bien appartient à Dieu : ceux dont elle se voit revêtue lui sont un supplice ; et si elle les pouvait voir en elle, pour elle et rapportant à elle, ce lui serait un enfer. Plus Dieu la dépouille de ses dons et de ses faveurs, plus elle est satisfaite. Elle aime la divine Justice d'un amour très fort et très sincère, parce qu'elle lui ôte ses larcins ; elle désire que Dieu ne cherche que son seul honneur et sa seule gloire en elle et dans toutes les créatures, sans penser à son sort. Son sort est la gloire et la volonté de Dieu, elle n’en connaît point d'autre, tout le reste lui serait un enfer.

4. Il y a aussi la soif : David disait369 qu'il avait une soif ardente du Dieu vivant. Cette soif [125] est égale à la faim et fait le même effet dans l'âme : c'est une ardeur vive et insupportable. C'est pourquoi le même David qui avait éprouvé cette soif du Dieu vivant, voulant décrire un chemin affreux, qui est celui du désert de l'âme, l'appelle370 désert sans chemin et sans eau. Et nous voyons les étranges emportements des Israélites lorsqu'ils manquaient d'eau, ce qui n'était qu'une figure de la soif dont je parle.

5. Un autre moyen de mort, c'est la souffrance. Sous ce terme, qui a une extrême étendue, sont comprises des peines intérieures et extérieures, la croix, les mépris, les contradictions, les maladies et toutes les douleurs corporelles, la pauvreté et les délaissements, sécheresses, dépouillement, mort continuelle à toutes nos vies, un renoncement absolu, les absences de Dieu, l'expérience de nos faiblesses, les incertitudes cruelles, la perte de tout nous-mêmes en Dieu d'une manière inconnue, l'obscurité, les privations de tous les plaisirs, même les plus innocents et les plus permis, et l'assemblage de toutes les peines.

Les sens sont ceux qu'on amortit les premiers par une privation générale des satisfactions et en leur donnant ce qu'ils abhorrent ; et c'est là le travail de la créature dans la vie active. Dieu y aide beaucoup l'âme, surtout quand elle entre dans le passif : il lui inspire mille sortes de mortifications auxquelles on ne penserait jamais ; il ne les lui laisse que jusqu'à ce que la nature n'est plus de répugnance à les faire, et que l'esprit ait pris le dessus. Il les change, les fait laisser et reprendre, afin qu'on ne s'attache à rien. Ensuite, il met l'âme dans un travail bien plus [126] profond, qui est la mortification des puissances ; ce qui se fait par un renoncement continuel du propre esprit et de la propre volonté, laissant même tomber de la mémoire tous les ressouvenirs inutiles, toutes pensées et affections quelles qu'elles soient.

6. Quand Dieu est content du travail de l'âme, et qu'elle a épuisé [ici] toute son activité, pour petite qu'elle soit, Dieu y met la main lui-même, et se sert aussi des créatures pour le faire. Au commencement de cette foi passive, Dieu amortit les désirs de l'âme par un goût continuel de sa présence qui remplissant les vides avec surabondance, ni lui laisse rien à désirer. Mais comme l'amour-propre se trouve partout, et que la propriété se trouve dans tout ce que l'âme reçoit et possède en soi et dans sa propre capacité, Dieu se sert du contraire pour détruire foncièrement ce qu'il n'avait détruit que passagèrement et superficiellement. La différence de ces deux opérations est semblable à ce qu’éprouverait une personne qui premièrement n'aurait point d’appétit, parce qu'elle a mangé sa suffisance et même au-delà, et puis qu'après ce repas étant longtemps sans manger, elle éprouvât de nouveau la faim. Ou bien il en est comme d'une personne à qui on ôterait seulement l'appétit pour un temps après l'avoir rassasiée, mais à laquelle ensuite on ôte également et l'appétit et le besoin de manger, sans qu'il lui soit nécessaire de prendre nourriture pour réparer ses forces et se délivrer de la faim, parce que ses besoins lui sont ôtés.

Dieu donc commence par détruire les puissances par les contraires, afin que leur mort soit durable : ce n'est plus par ce coup paisible de la volonté, mais par une [127] contradiction de tous ses vouloirs, soit au-dehors par les créatures, soit au-dedans par Dieu même. Il suffit qu'un désir s'élève dans le cœur pour que le contraire lui soit donné. L'esprit, loin de jouir de ce recueillement qui le réunissait à sa volonté, est dans un égarement effroyable, une divagation continuelle, une agitation de pensées, un trouble, une privation de Dieu apparente et de tous sentiers perceptibles, une facilité à se laisser émouvoir. La promptitude, la vivacité, des fautes inopinées, tout cela renverse l'âme de fond en comble, et fait, pour ainsi dire, tourner tout le vaisseau : on en voit le fond qui avait été jusqu'alors caché dans les eaux. Tout se découvre : l'âme se croit plus imparfaite que jamais, quoiqu'en vérité cela ne soit pas ; mais on voit le fond du vaisseau, et la bourbe qui s'y était attachée. Dieu fait voir à l'âme le fond immense de sa corruption, qu'il ne montre que pour le nettoyer.

7. Mais l'œuvre de Dieu ne paraît point à l'âme : elle ne voit que sa misère et sa pauvreté, elle combat tant qu'elle peut contre Dieu, croyant remédier elle-même à son mal ; ce qui ne se peut : elles augmentent plutôt. C'est l'ouvrage du Seigneur ; il n'appartient qu'à lui de créer de nouveau ; car ceci est une purgation qui fait sortir toutes les ordures, et Dieu purifie l'âme radicalement, et lui seul le peut faire. La résistance de l'âme rend la purification et plus longue et plus forte, parce que plus on met d'obstacles à la pénétration du feu, plus il est longtemps à consumer. Car il en est du feu de la charité comme du feu matériel. Mouillez sans cesse le bois, le feu ne le pénètre pas : il s'éteint plutôt, à moins que faisant un feu bien plus [128] grand, la grandeur du feu et le long temps fassent l'effet qu’il aurait fait en fort peu de temps sans les obstacles qu'il a trouvés. Dieu en use de même à l'égard de notre âme ; les purifications sont d'autant plus longues, plus dures, plus fortes, qu'il y a plus d'obstacles à vaincre en nous.

La purification se mesure non seulement à la grandeur des obstacles, qui sont nos difformités et nos attaches, même à des choses qui nous paraissent bonnes, utiles et souvent nécessaires, faute de lumière ; mais aussi selon le degré de perfection auquel Dieu nous destine : car quoique Dieu veuille sincèrement le salut de tous, et qu'il soit mort pour nous le mériter, il ne veut pas une égale perfection de tous, comme l'orfèvre qui emploie l’or à divers ouvrages, donne une purification plus forte à celui qu'il doit employer pour des ouvrages exquis, ce qu'il ne fait pas pour des ouvrages plus grossiers. Or les purifications sont longues pour l’or très fin : on le met plus de fois dans le creuset, on lui donne le feu plus ardent. Ainsi l'âme est donc purifiée non seulement selon son impureté et les obstacles qui sont en elle, mais conformément au dessein de Dieu et au degré de perfection qu'il lui destine. L'âme souffre au-dedans des tourments d'autant plus grands par les privations et obstacles, que son amour commence d'être plus épuré.

8. Lorsque Dieu a des desseins sur une âme, il joint les croix extérieures aux intérieures ; il semble que toutes les créatures sans savoir pourquoi s'élèvent contre une telle personne ; on cherche toutes sortes d'inventions pour la persécuter : cette âme affligée, qui a de si bas [129] sentiments d'elle-même, croit alors que toutes les créatures prennent le parti de leur Créateur ; et loin de leur en vouloir du mal, elle les regarde comme les exécuteurs de la Justice de Dieu, qui la remplit une confusion qu'on ne peut exprimer. Toutes ces choses jointes ensemble causent la mort, et cette mort est d'autant plus profonde que Dieu emploie plus de moyens pour l'exécuter. Heureuse vie qui est produite [ensuite] par une telle mort ! Cette vie sera d'autant plus abondante que la mort aura été plus profonde. Une mort légère ne produit qu'une vie légère ; et c'est plutôt une ombre de vie qu'une vie véritable. Mais que les hommes sont rares qui veulent bien seulement souffrir une légère mort ! Pour conserver la vie propre, on perd une vie divine et durable, et un bonheur ineffable. Ce qui n'empêche pas qu'après la vie nouvelle, Dieu n'envoie quantité de croix extérieures pour rendre plus conforme à Jésus-Christ : car après avoir porté les croix par conformité avec Jésus-Christ, après avoir porté la croix de Jésus-Christ, on porte le même Jésus-Christ dans son état crucifié et glorieux au milieu des opprobres extérieurs. Mais il n'est pas question de cela ici.

9. Il y a un troisième moyen de mort, c'est l'amour, qui, comme un feu caché et très dévorant, consume peu à peu la vigueur de l'âme, la dessèche et la fait mourir. C'est l'amour seul qui purifie l'âme au-dedans. Le feu de l'amour est plus intense, et fait une purification plus parfaite que toutes les autres ; et c'est la dernière. Dieu donne à cette âme un amour si pur, si net, si droit, si dégagé de tout, qu'elle ne vit que d'amour et par l'amour. Cet amour lui est [130] toute chose. Il est d'abord très gratifiant, ensuite il devient crucifiant, purifiant radicalement et détruisant absolument la créature ; car il veut rester seul ; il ne souffre ni obstacles ni compagnons ; il ne veut rien que lui-même. C'est l'amour qui emploie la divine Justice pour lui préparer la voie, il est impitoyablement jaloux. Une âme dans laquelle il habite, ne saurait souffrir que lui ; elle se hait elle-même ; elle abhorre toute autre gloire que la sienne.

10. Cet amour est si pur, si net, si droit, si désintéressé, qu'il ne pense à nul intérêt soit temporel soit éternel ; et il n'a que le seul égard à son objet, sans penser à son sujet. Ce sujet demeure tellement en la main de l'amour qu'il en dispose comme de son propre bien, sans qu'on lui en demande compte : qu'il en fasse en temps et en éternité ce qu'il lui plaît. La seule gloire du sujet est d'être employé uniquement en temps et en éternité au bon plaisir de l'amour, c'est de ne jamais sortir de sa main, c'est d'aimer ses décrets justes éternels, soit qu’ils crucifient ou vivifient, soit qu'ils perdent ou qu'ils sauvent. Dans l'amour, tout intérêt est pour l'amour même ; la perte est salut dans l'amour. Son feu a fait une dissolution si parfaite de tout ce qui lui était contraire, et a tellement perdu en lui son sujet, qu'il n'a plus d'autre mouvement que le sien : il frappe avec lui sur soi-même ; c'est comme une eau écoulée dans la mer, qui a les mêmes vagues que la mer, son flux et reflux ; si la mer se jouant de cette eau la jette contre un rocher, tout est de la mer et avec la mer.

Ô divin Amour, qu'une âme est heureuse lorsqu'elle est assez disparue pour n'avoir plus que vous, ne voir que vous, n'agir que par vous et en vous, [131] sans elle ni pour elle ! Ô temps, ô éternité, tu es à l'amour pour l'amour ; le reste n'est rien et moins que rien. C'est à toi, Amour, qu'il appartient de consumer les âmes, tes amantes : tu rejettes dehors le superflu, et cela rend l'extérieur moins composé ; mais, rejette toujours tout de la sorte sans rien épargner. Madeleine, cette parfaite amante, va les cheveux épars comme une folle chez les Pharisiens ; elle rompt, perd, dissipe un parfum de grand prix ; on la reconnaît partout par son caractère, au pied de la croix, lorsqu'elle cherche Jésus, qu'elle le demande à lui-même déguisé en jardinier, qu'elle lui dit qu'elle l’emportera. Mais, Madeleine, comment votre cœur ne discerna-t-il [pas] d'abord le cœur de Jésus ? C'est qu'il l'avait changé, ce cœur, en exprimant toute sa substance en faveur des hommes. Elle le reconnut à la voix, et aussitôt elle va sans égard ni considération lui embrasser les pieds. Ce sont là les effets de l'amour au-dehors. Qui peut décrire ceux qu'il opère au-dedans ? Ils sont gravés en caractères de feu dans le fond de l'âme, mais ils sont inexplicables. Dieu nous les fasse éprouver, si c'est pour sa gloire ! Amen, Jésus !

*1.14 De trois voies imperceptibles de l’intérieur.

Sur les paroles de Salomon, Prov. 30 v. 19.371.

Il est dit dans l’Ecriture trois choses qui sont excellentes au sujet de l’Intérieur. Il ne peut être mieux comparé qu’à la voie du serpent dans la pierre, à celle d’un vaisseau sur la mer, mais, comme dit Job un vaisseau chargé de pommes372, et à la voie de l’aigle en l’air373. Il ne reste aucun vestige de ces trois sortes de voies.

La première est des personnes déjà avancées, mais qui sont encore loin de la perfection. Quoique le serpent laisse peu de vestiges du lieu où il a été sous la pierre, on ne laisse pas d’apercevoir un sentier limoneux et luisant. Ce sont les premières âmes, en qui il reste quelques traces de certaines lumières, goûts, sentiments ; ces traces sont même presque imperceptibles. Ce qui se discerne le mieux, c’est la vieille peau du serpent qui reste sous la pierre. Cette peau marque que cette personne a travaillé à mortifier ses sens et ses passions d’une telle manière qu’elle en est dépouillée et revêtue de nouveaux sentiments et des vertus opposées à ses passions dominantes.

Le vaisseau laisse bien moins de traces sur les ondes que le serpent sous la pierre ; néanmoins on voit quelque temps comme un sillon sur les flots, qui est la trace qui ne dure guère. Si pourtant ce vaisseau était chargé de marchandises de garde, ces marchandises seraient une marque et une assurance des lieux où il a voyagé ; mais n’étant chargé que de pommes, que l’eau [133] de la mer corrompt, on est obligé à mesure qu’elles pourrissent de les jeter dans la mer, de sorte que le vaisseau arrivant vide, il ne reste ni trace de son passage, ni vestige de ses marchandises. C’est la figure du parfait dénuement de l’âme ; il ne reste point de trace de son marcher qui puisse servir d’appui et d’assurance qu’il ait tenu la route de ces vastes mers et qu’il ait passé ce chemin ; il ne paraît rien de sa charge, qui s’est corrompue peu à peu, et c’est cette corruption qui a obligé le divin pilote de jeter la marchandise dans la mer ; enfin cette corruption devient si grande qu’on est obligé de décharger le vaisseau de tout ce qu’il portait. Il est vrai que la misère que l’âme éprouve, est quelque chose de triste pour elle. Mais elle éprouve en même temps une chose à laquelle elle ne faisait pas d’abord attention : c’est que plus elle devient misérable, plus elle devient légère, elle se trouve peu à peu dégagée du poids d’elle-même ; enfin plus sa misère augmente, plus elle devient vide. L’âme ne se trouve plus chargée ni embarrassée ; au contraire, elle éprouve un certain vide qui lui a donné de l’étendue et de la largeur. Le vaisseau vide se trouve en état d’être rempli des plus exquises marchandises. Notre âme vide est propre à tout ce que Dieu veut en faire. Heureux vaisseau ! Tu te croyais méprisable et tout honteux de ta charge, tu en rougissais dans le secret ; c’est néanmoins cette charge pleine de pourriture qui t’a vidé de tout ce qui t’appartenait et de ce qu’il y avait de plus fort et plus intime dans l’amour de toi-même. Le fond de cale a été vidé, c’est-à-dire que tu es délivré de la propriété qui te corrompait profondément : ainsi tu es entièrement vide, net [134] et balayé de ta pourriture. On a cherché dans les endroits les plus reculés s’il ne restait point quelque pourriture, pour la jeter dans la mer. Te voilà parvenu à une nudité entière !

La troisième est la trace de l’aigle dans l’air. Quel est l’œil assez perçant pour en découvrir les vestiges ? Qui peut discerner les voies d’une âme qui se perd dans les airs de la divinité ? Nuls yeux, si ce n’est ceux de l’aigle même. Mais que voit cette aigle ? Ce qui est devant elle374, et nullement ce qu’elle a laissé. Il n’y a point de sentier, point de trace dans son chemin ; cependant elle ne s’égare jamais. Où loge-t-elle, cette aigle fortunée ? Où se repose-t-elle après son vol ? Sur les rochers : elle fait son nid sur les roches rompues, comme dit un autre endroit de l’Ecriture, dans les trous de la pierre375. Quelle est cette pierre vive et vivante, sinon Jésus-Christ ? Elle se repose en lui. Ceux qui considèrent cette aigle merveilleuse et qui ne voient que des roches rompues, une espèce de débris de cette pierre vive, croient qu’il n’y a rien de bon dans l’aigle, qu’elle n’habite point la pierre vive, puisqu’elle fait son séjour dans les roches rompues. Cependant c’est en Jésus-Christ qu’elle est à couvert, c’est dans son cœur, c’est dans ses plaies, qui sont comme les trous de la pierre, c’est Lui-même qui la porte et la cache avec lui dans le sein de Son Père.

Dites-nous encore, Aigle merveilleux, d’où vient que les roches où vous habitez sont si rompues ? C’est qu’elles me cachent mieux à l’oiseleur. Ces ruptures sont les croix, les confusions, les calomnies, certaines misères [135] propres à ma condition : cela me met à couvert de l’oiseleur. Et quel est cet oiseleur qui vous tend des filets ? C’est le Diable, et encore plus moi-même. L’amour-propre et la propriété sont les filets qui peuvent me perdre et me tirer de mon fort et de mon lieu de sûreté. C’est pourquoi loin de faire mon nid, comme les autres, dans les pierres polies, je cherche les roches rompues où je suis à couvert de la présomption, de l’appui en la beauté de ma demeure, de l’assurance dans la force d’un grand rocher escarpé et inaccessible. Je suis là sans défense, et c’est ce qui fait ma sûreté. De là je regarde ma proie, je tâche de l’attraper, non pour m’en nourrir, mais pour en faire un sacrifice à celui dont je suis l’oiseau favori. Quelle est cette proie que vous envisagez, aigle admirable ? Ce sont les âmes des petits que je tâche de prendre pour les présenter à mon Souverain. Mais hélas ! que j’en trouve peu de propres à Lui être offertes ! Il s’en préparera, Il s’en fera. Mais qu’il t’en a déjà coûté, et qu’il t’en coûtera ! N’importe pourvu qu’Il règne, et que je Lui fournisse une nourriture convenable. Amen, Jésus !

Il y a un autre endroit de l'Ecriture qui dit376, que l'aigle excite les aiglons à voler ; elle le leur apprend elle-même, elle s'abaisse pour les instruire ; elle voltige sur eux, étendant ses ailes et se balançant en l'air afin de leur donner l'envie de voler et de la suivre, puis s'élevant peu à peu insensiblement à mesure qu'ils se fortifient. Si quelqu'un des aiglons et trop petit, elle le prend, elle s'en charge. Mais avant de leur apprendre à voler ainsi, elle les nourrit dans le repos de leur nid. Ils sont là sans soin [136] ni souci de ce qui les concerne ; ils attendent que leur mère leur apporte leur nourriture dans le temps ordonné. C'est ainsi que cette Aigle mystérieuse, qui n'est autre que la Sainte Humanité de Jésus-Christ, nous a appris de demeurer en repos et dans le sein de la Providence, qui est le nid de notre âme, attendant d'elle sans empressement ce qu'elle voudra bien nous donner, et dans le temps qu'elle veut nous le donner. Ces petits aiglons ne pensent pas à voler sans ailes ; ils ne volent point d'eux-mêmes : mais attendent que leur mère les y excite. On dit qu'elle les porte sur son dos pour éprouver s'ils peuvent regarder fixement le soleil. Oui, c'est à cela que cet Aigle admirable reconnaît ses enfants, lorsqu'ils ne se détournent pas de la lumière ; leurs yeux demeurant fixés sur ce bel astre ne se détournent d'aucun côté. O quand sera-ce, ô mon divin Maître, que mes enfants portés sur les ailes de votre Providence ne pourront plus se regarder eux-mêmes, mais vous seul ? Quand sera-ce que ne tournant point leurs yeux vers la terre que pour y découvrir quelque proie, c'est-à-dire quelques âmes pour vous les gagner, ils ne sortiront plus des airs sacrés, qui ne sont autres que vous-même ? Que je crains bien qu'après les avoir porté par le soin de votre providence, qu'après les avoir éprouvé sur ce regard fixe (qui n'est autre que votre pur amour,) les trouvant incapables de soutenir votre pure lumière et vos rayons pénétrants, que je crains, dis-je, que vous ne les précipitiez pour toujours sur la terre d'eux-mêmes et de leur propre conduite, où se croyant plus assurés que dans les airs, ils y demeureront contents, sans pouvoir jamais reprendre leur [137] effort ! Ainsi au lieu de devenir des aigles, à quoi ils étaient appelés, ils seront transformés en des animaux amphibies, qui nageant quelques moments dans les eaux, retournent ensuite sur la terre où ils font leur séjour. Préservez-les de cela, Seigneur, et faites entendre à ceux qui sont appelés à un si grand avantage, et que je connais fort bien, que sans écouter leur raison, sans égard à leur sûreté, il se laissent porter par leur mère, qui les conduira au pur amour, qui est ce feu sacré, cette lumière unique qu'ils doivent seul envisager, qui les conduira à vous-même.

Source de lumière et d'ardeur,

Pénétrez le fond de leur âme ;

Et que votre céleste flamme

Vienne leur consumer le cœur !

Que tirerons-nous de cette métaphore pour la conclusion, sinon, qu'il faut commencer par une vive et forte mortification des sens ; combattre les passions les plus enracinées, par la pratique des vertus qui leur sont le plus contraires ; quitter la vieille peau quant à ce qui est extérieur, pour nous revêtir de la nouvelle peau, qui est l'homme nouveau en Jésus-Christ ? Le vaisseau chargé de pommes représente une purification plus foncière, que l'homme ne peut opérer par lui-même ; ce qui se fait par l'expérience de ses propres misères, par les tentations, les peines, les croix, les renversements, qui nous vidant peu à peu de nous-mêmes, nous vide en même temps de la corruption la plus foncière. Ce qui nous rend propre non seulement à être vêtus de Jésus-Christ ; mais à être vivifiés par lui ; étant morts à tout, et vides de tout, il devient lui-même notre résurrection et notre vie. C'est [138] alors que l'âme revivifiée en Jésus-Christ devient comme cette aigle dont il a été parlé, qui n'habite plus d'autre séjour que le sein de la Divinité.

On peut voir par ce peu de mots les routes par lesquelles il faut passer. Celui qui ne remplit pas le premier degré n'aura pas de part au second ; et celui qui ne remplit pas le second, qui est d'une étendue presque immense, n'aura pas de part au troisième, qui est infini dans l'infinité même.

*1.15. Des voies et degrés de la FOI, jusqu'au pur Amour.

Sur ces paroles : Thomas, tu as cru parce que tu as vu. Bien heureux sont ceux qui croient et ne voient pas ! Jean 20, 29.

Jésus-Christ nous donne en ce peu de paroles une leçon bien utile, et nous fait voir les qualités que doit avoir LA FOI pour être pure, et porter véritablement le nom de foi : c'est qu'elle doit être sans aucune évidence. [139] Il y a un état de lumière et de manifestation, comme sont non seulement les extases, visions, etc., mais encore certaines vues, connaissances, certitudes, que quelques-uns ont appelé foi lumineuse. Je ne sais si cela se peut proprement appeler foi. J'appellerai plutôt cela, une voie de certitude, de goût, de lumière et d'assurance. Ces personnes croient ce qu'elles voient, et non ce qui est ; car tous ces témoignages sont fautifs et sujets à méprise. Ces personnes s'appuient sur certaines vues, connaissances objectives, auquelles elles demeurent attachées, et souvent prennent le change, le renoncement au propre esprit étant bien éloigné d'eux. Le Démon les voyant si fort attachées aux manifestations, à l'apparence, se transforme en ange de lumière377, et les trompe en cent façons : elles croient néanmoins voir la vérité, quoiqu'ils en soient infiniment éloignés ; et quand ils auraient des illustrations vraies, cela n'est pas le mérite de la foi, car Thomas voyait et touchait réellement les plaies de Jésus-Christ ; mais parce qu'il voulait une manifestation, Jésus le reprend de son incrédulité.

On me demandera : qu'est-ce donc que la [pure] FOI ? C'est une foi au-dessus de tout témoignage, de toute manifestation, la foi étant entièrement opposée à la manifestation. Plus la foi est au-dessus de tout témoignage de manifestation, plus elle est pure. Cette foi si pure s'appelle nue, car elle est entièrement dénuée de toute certitude. La foi est d'autant plus certaine en elle-même qu'elle est plus obscure en son sujet. C'est donc cette foi nue, pure, ténébreuse dont le juste doit vivre. Justus fide vivit378. [140] Toute lumière distincte et particulière n'est point la foi.

Je n'entends point parler ici de la foi commune à tous les chrétiens, qui est une foi objective, quoique l'objet qu'elle embrasse soit au-dessus de la raison, et que par conséquent ce qui est au-dessus de la raison soit une espèce de ténèbre pour l'esprit, qui ne peut atteindre la totalité de son objet qu’en se surpassant lui-même et en s'aveuglant, car plus l'objet est grand, immense, infini, plus il est éloigné de le comprendre. Il faut donc même que pour la foi, vertu théologale, qui est la foi commune des chrétiens, l'esprit obscurcisse les lumières de son entendement ; et que cette foi impérieuse domine sa raison, sans quoi on irait d’égarement en d'égarement, d’erreur en erreur. Mais il y a une manifestation pour cette foi, qui est la Sainte Ecriture, et les dogmes ou mystères qui lui sont proposés.

Ce n'est pas d'elle dont je veux parler, mais du don de la foi qui fait l'intérieur chrétien379, de cette oraison de foi, de cet esprit de foi si peu connu, et dont Jésus-Christ a parlé à saint Thomas lorsqu'il a dit : Bienheureux ceux qui croiront, et ne verront pas. Car il est certain que pour la foi générale des chrétiens, l'incrédulité de saint Thomas a été plus utile à l'Eglise qu'une foi aveugle n’aurait été pour établir la croyance d'un aussi grand mystère qu’est celui de la Résurrection, puisque saint Thomas, en touchant les plaies du Sauveur, nous a donné une plus grande certitude de ce mystère que tous les autres apôtres. De plus, il a fait voir que le corps de Jésus-Christ était un corps réel, et le même qui avait souffert sur la croix ; et que comme il a ressuscité en sa propre chair, [141] nous ressusciterons dans la nôtre. Il est certain que tous les mystères, les dogmes, les Ecritures, non seulement ont une certitude en eux-mêmes, qui est le fondement et l'appui de notre foi ; mais ces mêmes choses ont des objets distincts et divers. Il n'en est pas de même du don de la foi qui fait toute la route de l'intérieur.

Dans le commencement, cette foi est accompagnée de lumière, parce qu'elle n'est pas encore purifiée : elle prend l'âme dans son égarement, le lui montre dans toute son horreur et dans toute son étendue, la porte à se tourner vers Dieu, à implorer son assistance, parce que cette foi lui imprime dans le fond du cœur qu’il n'y a que Dieu qui la puisse aider dans l'état déplorable où elle se trouve. Elle se sent portée à retourner vers lui de tout son cœur, et à quitter les amusements du siècle. Cette foi lui apprend en même temps qu’elle a au-dedans de soi le médecin qui la peut guérir ; que c'est où elle doit le chercher ; que non seulement il la guérira de ses vieilles plaies, mais qu'il la préservera des nouvelles. Mais afin de lui rendre cette recherche plus facile, elle lui fait goûter dans son fond une certaine consolation qui la dédommage des fausses douceurs du siècle [qu’elle a quittées ;] ; elle l’éclaire même de ses devoirs et de tout ce qu'elle doit faire, tant pour réparer des péchés passés que pour se rendre agréable à Dieu. C'est alors que les larmes de la pénitence et les austérités ont un grand goût ; c'est alors que l'âme se voudrait mettre en pièces pour satisfaire à Dieu. Elle est affamée des croix et des souffrances, supposé sa fidélité à correspondre à la lumière de la foi, car plus on lui est fidèle, plus elle est fidèle elle-même à [142] découvrir jusqu'aux moindres défauts ; mais néanmoins défauts extérieurs et grossiers car, quelque lumineux que paraît ce degré, il ne pénètre point ni les propriétés, ni les usurpations, ni les plis et replis de l'amour-propre : au contraire, l'âme se repose avec tous ses défauts dans un travail purement extérieur.

Ce travail la satisfait beaucoup, car outre le soutien intérieur que les goûts et les sentiments lui donnent, elle voit son ouvrage fort en détail, et la correction de ses défauts superficiels ; de sorte qu'elle ne peut s'imaginer qu'elle doit aller plus outre, et elle se contente de ce degré, disant avec Job : Je mourrai dans mon petit nid380. La plupart meurent dans ce degré faute de fidélité et de courage ; et cependant ceux qui meurent en ce degré, passent pour saints et font l'admiration des personnes qui n'ont pas une lumière plus profonde.

Ce degré, que je n'explique qu’en gros pour raccourcir, en comprend beaucoup d'autres. Car au commencement tout se passe en douleur et amertume pour le souvenir des péchés et le désir de satisfaire à Dieu. Les austérités néanmoins sont modérées ; mais à mesure que la lumière croit et que le sentiment de l'amour augmente (je dis le sentiment de l'amour car c'est alors ce qui conduit, et il n'est pas question ici de l'Amour pur, qui n'est que dans la foi nue), ce sentiment d'amour excite quantité d'affections tendres et passionnées qui semblent sortir d'une fournaise ardente ; cependant ce n'est point encore l'amour réel, quoique ce soit l'amour d'espérance. Les austérités augmentent et la confiance est entière : on possède un trésor dont on se [143] croit assuré, et qu'on se persuade ne devoir jamais perdre. On croit pouvoir tout entreprendre. On fait même des choses miraculeuses, et rien ne paraît impossible.

On sent un commencement de pureté d'amour, qui fait comprendre que tous ces dons si éminents ne sont rien. On aspire à la possession de Dieu même. Ce sont ceux qui sont appelés à plus qui sentent ce premier désintéressement, et de mille un [sic] ne passe pas ce degré, faute de fidélité et de courage. Tout se passe en douceur et suavité. S'il y a des sécheresses et des tentations, elles sont courtes et rares ; cependant on regarde cela comme des peines intolérables et des souffrances extraordinaires. Vous voyez que jusqu'ici la foi est pleine de lumière ; c'est une foi savoureuse ; tout dans l'âme lui rend témoignage. Qui ne la suivrait pas dans ce pays uni, semé de roses sans presque d'épines ? Mais qu'arrive-t-il ?

C’est que, lorsque la foi a conduit un temps considérable l’âme de cette sorte, et que Dieu a de grands desseins sur elle, il la fait entrer dans la foi passive. Plusieurs donnent le nom de passif au degré de foi dont je viens de parler, parce que l'opération de l’âme est si douce, si aidée et si soutenue qu'elle ne s'aperçoit pas de son opérer, quoiqu'il y en ait un très réel. Ces lampes sont de feux et de flammes, mais ce sont des lampes faciles à éteindre. Lors donc que Dieu veut faire, comme j'ai dit, avancer une âme, il lui ôte ces soutiens et ces douceurs de la foi pour la mettre dans la foi réelle. Alors l'âme perd peu à peu cet état si doux et si suave : ses roses tombent, il ne reste que les épines. Cette oraison si douce lui devient insipide, et ensuite [144] insupportable ; tout se dessèche et s'amortit peu à peu, comme l'hiver vient amortir les fleurs.

Au commencement, l'âme instruite par la foi de préférer Dieu à ses dons, lui fait un sacrifice de ces mêmes dons : « C'est vous seul, ô mon Dieu, Amour pur et divin, que je veux, que je cherche, auquel je tends : ce n'est point vos dons que je désire. Je sens que vous avez créé l’âme d'une noblesse si grande qu'elle n'a point de repos qu'elle n’outrepasse tout pour se joindre à vous. Je commence à comprendre que l’amour a une délicatesse que je n'avais point connue jusqu'alors. Ces lumières et ces sentiments que je trouvais si admirables, et que je trouve à présent si grossiers, ne font plus le bonheur de ma vie comme autrefois : j'aspire et je tends à un je ne sais quoi que je ne comprends pas encore, et qui peut seul me satisfaire. Je comprends même, à la faveur de la foi qui me conduit, que toutes ces choses si belles en apparence, ne sont point vous. Vous m'appelez à l'écart, et à une solitude entière. - Mais que dites-vous, âme fortunée ? Vous vivez dans une séparation continuelle de toutes les créatures, vous avez retranché à vos sens et à vos passions tout ce qui pouvait les amuser et les faire vivre : vous êtes donc entièrement solitaire. - Non, dit cette âme, je ne me sais comme cela se fait, mais je ne me trouve plus seule : je sens que je suis appelée à cette admirable solitude que Dieu a en lui-même de toute éternité. Je comprends par un goût secret que je ne puis y arriver sans passer381 des déserts affreux, des routes sans chemin, sans sentier, sans eau et sans aucune nourriture. [145] Lorsque j'aurai passé ces déserts affreux, ô Foi, tu me conduiras en Dieu même. - Tu te trompes, dit la Foi : je te conduirai bien dans ces sentiers affreux d'une manière secrète, il ne te sera pas permis de me voir ; mais je ne puis te conduire en Dieu : il faut te quitter toi-même pour y arriver ; car c'est peu de quitter toutes choses si tu ne te quittes toi-même. Tu aspires à cette solitude de Dieu en lui-même : il n'y peut rien entrer que lui-même. Il faut donc que tu te quittes pour y arriver. Le premier pas est le renoncement. Dans le chemin que tu vas faire, il ne s'agit plus de confiance, mais de l'abandonnement de tout toi-même. Commençons donc ce voyage. »

L'âme se sent peut à peu abandonnée de tous ces premiers soutiens ; elle marche néanmoins avec une lumière semblable au crépuscule : plus elle avance, moins elle voit ; et ce qui est de triste, c'est qu'en perdant la lumière et les soutiens, elle perd aussi son sentier : elle veut retourner en arrière pour reprendre sa première route, mais elle trouve son chemin bouché de pierres carrées ; il faut qu'elle fasse de son mieux. Qu'est devenue cette douce fontaine, cette eau claire et jaillissante ? Tout est desséché. Ce dessèchement vient peu à peu, et à mesure que le jour se passe et que la nuit approche. Mais que ce temps est long et pénible ! [Ici on se trouve dans] l'impuissance de faire le bien qu'on faisait auparavant : les austérités deviennent presque impossibles. La nuit avance toujours, et le désespoir de l'âme avance [aussi,], ne trouvant plus son premier chemin ni cette foi amoureuse qui l’avait conduite jusqu'alors.

C'est ici qu'il faut qu'elle s'abandonne [146] entièrement à Dieu sans soutien, et sans raison de s'abandonner. C'est alors qu'elle entre dans le désert aride et obscur de la foi. C'est à présent que la foi s'exerce réellement, croyant au milieu de mille raisons de douter. La foi ne fut jamais plus lumineuse qu'elle l’est alors ; mais la faiblesse de la créature est si grande qu'elle en est aveuglée, et ne peut discerner sa lumière. Cette lumière est même âpre et dure à cette âme faible, comme le soleil est insupportable aux yeux malades. Elle est donc appelée alors foi obscure, parce que l'âme marche à tâtons, sans savoir où elle va : tout lui paraît abîme et précipice ; elle croit se perdre. C'est alors qu'elle entre dans le parfait abandon et dans une entière obscurité à son égard : elle se perd à elle-même pour suivre cet inconnu qui la mène, et qu'elle ne croit pas qu'il la mène. Cette route est néanmoins très certaine, quoiqu'elle croit s'y perdre, parce qu'elle s'abandonne à Dieu au-dessus de tout sentiment, et même de tout intérêt. La foi, comme la vérité, est toute nue : c'est ce qui fait sa pureté ; mais c'est ce qui fait aussi qu'elle ne peut ni la connaître ni l'atteindre.

Si les tentations se mettent la partie, comme c'est l'ordinaire, elle entre dans des désolations affreuses. Elle a au-dedans d'elle un instinct aussi sûr qu'il est caché, qu'il faut tout sacrifier à Dieu, qu'il mérite tout ; et que n'étant rien, nous ne devons point nous embarrasser de nous-mêmes. Mais ce fond, qui dit cela, parle si bas et si rarement que l’âme n'en souffre pas moins. C'est ce je ne sais quoi de caché qui l'empêche de se désespérer et de retourner en arrière.

[147] Les croix fondent de toutes parts382 : les hommes qui l'ont estimée, la méprisent, et se joignent aux Démons pour la tourmenter et pour faire retourner en arrière cette faible créature, destituée de son soutien et de sa nourriture. Ce tourment est presque intolérable ; et la nature abandonnée à elle-même semble plus mauvaise et plus ennemie de nous-mêmes que le Démon. Lorsqu'on travaille à remédier d'un côté, on va encore plus de l'autre ; enfin l'âme est comme contrainte d'abandonner le travail, et de demeurer en repos dans sa douleur la plus amère, mais ce repos est plus douloureux que la douleur même.

Elle commence à se connaître, à se haïr, à avoir horreur d'elle-même. Hélas ! Qu'elle était bien éloignée de se connaître dans le temps de son abondance ! Elle se quitte insensiblement. C'est cette foi douloureuse et obscure qui l’éclaire, et qui lui imprime si avant la vérité de son néant, de sa faiblesse et de sa misère, que quand les hommes et les Démons se joindraient ensemble pour lui donner de la vanité, ils n’en pourraient venir à bout. Elle comprend si clairement le tout de Dieu et le néant de la créature, qu'elle ne voudrait parler d'autre chose. Ce n'est point une lumière illustrante, mais une expérience foncière, et qui est si fort enracinée dans l'âme que rien ne l'en peut effacer. Cette expérience a pris la place de l'orgueil en l'âme, elle l’en a chassé absolument. Ce n'est pas une humilité-vertu, qui s'abaisse au milieu des faveurs, mais une réelle expérience de ce qu'on est, qui fait désespérer absolument de tout soi-même pour s'abandonner à Dieu, qui étant tout, mérite tout. [148]

C'est cette foi sombre et nue qui produit le pur amour, car à mesure que l'âme se hait et désespère de soi, elle aime Dieu en Dieu par rapport à lui-même, sans retour sur ce néant qu'elle abhorre : elle connaît que Dieu étant tout et méritant tout, on doit non seulement lui sacrifier tout, mais soi-même. L'âme demeure donc sacrifiée, et tous ses intérêts, au pur amour et à la seule gloire de Dieu en lui-même et pour lui-même.

C'est alors que l’âme croit contre toute apparence, qu'elle croit sans voir, comme Jésus-Christ le demandait de saint Thomas, qu'il crût sans voir.

O foi vraiment digne de Dieu ! C'est toi seule qui fais naître le pur amour dans notre âme, et c'est où tu la conduis immanquablement. Mais lorsqu'elle conduit l'âme au pur amour, elle se perd avec cette âme dans le pur amour, et le pur amour la perd en Dieu, car Dieu est charité383. Donnez-nous, Seigneur, cet esprit de foi, et nous dites souvent au fond du cœur : Heureux ceux qui croient, et ne voient pas ! Car l'esprit de l'homme préfère toujours sa raison faillible, flottante et pleine d'erreur, à cette foi admirable et parfaitement sûre en elle-même. Ne préférez pas vos sens trompeurs à la vérité, perdez-vous à votre propre conduite et à vos idées ; perdez-vous vous-même, et toutes vos idées, dans l'abîme sans fond de la Vérité divine ; et vous marcherez sûrement au travers des hésitations et des doutes. Mais, direz-vous, si je savais que Dieu me conduisît ? Si vous le saviez, vous ne seriez plus conduite par la foi, mais par la certitude. Remarquez que la foi est toujours certaine en elle-même, quoiqu'elle ne soit pas telle en nous à cause de notre hésitation et faiblesse. Croyons sans voir ; et nous aimerons Dieu comme il veut être aimé. Dieu nous en fasse la grâce ! Amen, Jésus !

J'ai déjà tant écrit de ces matières, de cette voie, de ce qui la suit, que ce petit crayon suffit pour en renouveler l'idée.

*1.16. Obscurité de la lumière de la foi et de la vérité.

Sur ces paroles : La lumière luit dans les ténèbres ; et les ténèbres ne l'ont point comprise. Jean 1, 5.

Comment ceci se doit-il entendre ? C'est que plus la foi est obscure, plus la lumière est profonde et abondante ; plus la lumière est grande, plus elle est ténèbre à notre égard ; et ces ténèbres ne viennent que de notre faiblesse ; parce qu'elles excèdent de beaucoup notre capacité, et que la surpassant elles semblent nous [150] aveugler. On n’a rien en cette vie que par cette foi ténébreuse, qu'on appelle aussi foi nue, parce qu'elle est dénuée de toutes formes et de toute espèce, de tout terme et de toute borne qui pourraient la faire discerner. Comme c'est son excessive lumière et son étendue qui la rend et obscure et incompréhensible aux yeux de la raison, ainsi plus on est en ténèbres, plus on est bien ; plus ce qu'on possède est éloigné des sens et la raison, plus tout va bien pour nous. Mais comme l'homme grossier n'agit que par les sentiments, et l'homme raisonnable par la raison, c'est ce qui fait que les uns et les autres sont privés de cette admirable lumière. Celui qui la possède ne la comprend pas ; car loin de se laisser comprendre, elle comprend elle-même celui qui la possède, et elle l’investit de telle sorte, qu'elle ne lui laisse rien voir de ce qu'elle est.

Elle est douloureuse à cause de notre impureté ; non qu'elle puisse causer aucune douleur par elle-même ; mais le cœur impur ni les yeux malades ne la peuvent supporter. Lorsque le cœur, c'est-à-dire la volonté, est purifié de toute attache, pour petite qu'elle soit ; lorsque les yeux de l'esprit sont guéris, (c'est-à-dire, le raisonnement, la compréhension bornée et rétrécie ;) alors cette lumière ténébreuse et douloureuse devient claire, douce, sauve, insinuante, bienfaisante, perfectionnant son sujet. Non que la créature la puisse [alors] discerner en soi ; mais en sortant de soi-même on la goûte non sensiblement, on la voit non en distinction, mais en vérité.

C'est elle qui éclaire tout homme venant au monde384, c'est-à-dire régénéré en Jésus-Christ. [151] C'est elle qui le met en vérité, étant elle-même vérité, et d'autant plus vérité (s'il m'est permis de parler ainsi) qu'elle est plus simple, plus nue, plus une, plus générale, plus séparée des sentiments, des connaissances spéculatives, plus indistincte en elle-même, plus étendue et sans bornes ni limites ; et c'est ce qui fait également et son incompréhensibilité et sa pureté. Ceux qui veulent voir et comprendre tournent le dos à cette divine lumière ; ils y mettent un obstacle presque invincible : ils veulent en avoir des idées et des images, et cela lui est manifestement opposé. Pour comprendre une chose, il faut qu'elle soit renfermée dans notre compréhension, et par conséquent plus petite qu'elle ; il faut qu'elle ait une forme pour entrer dans nos idées ; il faut qu'elle ait quelque chose de palpable pour satisfaire à nos sens. La lumière de la foi n'a rien de tout cela, excédant tout raisonnement : l'homme ne peut l'atteindre ni la comprendre par là. Ce qui est matériel peut être à la portée du raisonnement de l'homme, et non ce qui est immatériel. Cette divine lumière, incompréhensible en elle-même, éclaire l'âme de telle sorte que cette âme en ne connaissant rien, sait tout sans l'avoir jamais appris : son discernement sur la vérité est très juste, parce qu'elle voit sans voir les choses, non par la fausse lumière de la raison, mais par la vérité même.

Tous les hommes s'opposent à la vérité parce qu'ils aiment le mensonge. Ils veulent voir, sentir et connaître ; et ils n'atteindront jamais par là à la vérité. Les sciences qui leur paraissent les plus sûres, parce qu'ils les démontrent, disent-ils, ne sont que des choses matérielles, qui les enfonçant toujours plus dans la [152] matière, les éloignent davantage de cette pure et simple lumière, et les tiennent dans le faux en les tenant dans le sensible, le perceptible et le matériel. On me dira que ces choses que j'appelle matérielles, satisfont l'homme parce qu'elles sont à sa portée. Ce n'est point la satisfaction de l'homme que nous cherchons, comme satisfaction propre ; mais son bonheur immense hors de lui et sa vraie et solide félicité, qu'il ne peut trouver que dans la vérité et non dans le mensonge et l'illusion.

L'homme né pour la vérité se fait des vérités du mensonge même : il se séduit agréablement par là ; mais il n'approche point de la vérité. C'est ce désir de trouver la vérité où elle n'est pas, qui a fait les schismes, les hérésies, les idolâtries même, mais tout était mensonge habillé en vérité. C'est ce qui fait encore aujourd'hui toutes les disputes et les contestations, chacun croyant avoir la vérité de son côté. Cependant elle ne se trouve que dans cette lumière ténébreuse, incompréhensible à l'esprit humain : elle ne se trouve que dans le centre de notre âme cette vérité, lorsque la lumière ténébreuse de la foi nous a conduit en Dieu même. Ainsi on peut dire en tous sens, que la lumière luit dans les ténèbres, et que les ténèbres ne l'ont point comprise.

À qui se manifeste donc cette admirable lumière ? Écoutez l'Ecriture385 : La lumière s'est levée sur ceux qui reposaient dans les ténèbres ; et ceux qui reposaient dans la région de l'ombre de la mort ont vu une grande lumière. Ceux qui se reposent dans les ténèbres de la foi nue, qui savent s'en contenter, qui souffrent avec plaisir [153] d'être privés de tout ce qui peut satisfaire leur sens et leur raison, qui après s'être longtemps affligés de ne point voir, sentir ni connaître, trouvent leur repos dans leurs ténèbres, ceux-là aperçoivent enfin que cette admirable lumière se lève en eux comme une belle aurore qui sort du sein de la nuit. Elle ne fait néanmoins que se lever pour cela : mais pour ceux qui sont couchés dans les ténèbres de l'ombre de la mort, ô pour ceux-là, ils voient une grande lumière. Ce sont ceux qui ayant voulu se renoncer et mourir à eux-mêmes selon toute l'étendue des desseins de Dieu sur eux, ont passé par mille morts selon la nature que selon la grâce ; qui sont couchés comme dans un sépulcre où ils se reposent dans la volonté de Dieu, et dans la privation de toutes choses, et dans leur néant : ce sont ceux-là, dis-je, qui ont vu une grande lumière. Quelle est cette lumière ? Sinon Jésus-Christ, engendré dans l'âme du juste, ce que saint Paul appelle386, la révélation ou manifestation de Jésus-Christ.

Il faut remarquer que l'Evangéliste ne dit pas à ceux qui sont entièrement morts, mais à ceux qui sont couchés dans la région de l'ombre de la mort. L'âme se sentant privée de toute vie se croit véritablement morte ; mais elle n'est que dans les ténèbres de l'ombre de la mort. C'est une ombre de mort, qui paraît plus obscure que la mort même : car l'on pourrait toujours plus obscure que le corps qui la produit. C'est donc l'ombre de la mort. Mais comme l'ombre n'est causée que par la lumière, et qu'où il n'y a pas lumière il n'y a pas d'ombre ; de même cette ombre de mort ne paraît que parce que [154] Jésus-Christ, lumière éternelle, s'est levé dans l'âme. Et de même qu'à mesure que le soleil s'avance et que son midi approche, plus l'ombre diminue ; aussi plus Jésus-Christ croît dans une âme, plus l'ombre diminue, et la lumière de vérité augmente jusqu'au jour parfait, qui est le midi de la gloire. Mais ainsi que nous n'avons eu la mort qu'en ombre, nous n'avons en cette vie la lumière de vérité, ni la lumière Jésus-Christ, qu'en ombre. Mais comme l'ombre du Roi manifeste que le Roi est là aussi, cette ombre de Jésus-Christ et de la vérité marque que Jésus-Christ est venu pour être la vie et la lumière de l'âme.

Il faut donc que l'obscurité commence, continue et achève la voie. C'est au commencement, d'épaisses ténèbres comme celle du minuit : ensuite, à mesure du dénuement et de la mort, ces ténèbres s'éclaircissent peut à peu jusqu'au jour commencé, où il n'est plus question de ténèbres, mais d'ombres, qui cachent à l'âme et aux autres ce qui est dans son centre : tout est couvert d'ombre, jusqu'au jour parfait ou l'ombre cesse entièrement.

Les vérités découvertes sont certaines ; mais ce n'est qu'en ombre. Jésus-Christ est réellement manifesté, et les opérations de la très Sainte Trinité, mais en ombre. C'est pourquoi lorsque le Verbe s'incarna dans le sein de la Sainte vierge, l'ange dit à Marie387 : Le Saint Esprit vous couvrira de son ombre, et ce qui naîtra de vous sera saint. Quoique la Sainte Vierge ait eu Jésus-Christ en elle d'une manière bien différente de celle de toutes les autres créatures, l'ayant eu par l'incarnation réelle et mystique en même [155] temps, les autres ne l'ayant que mystiquement ; elle l'a eu cependant par l'ombre du Saint Esprit, comme dit l'Ange. Ainsi en cette vie, tout se passe en ombre. Toute personne d'expérience m'entendra.

Or la foi obscure est comme les ténèbres, jusqu'à ce qu'elle devienne peu à peu en ombre. Cette ombre couvre davantage au commencement : elle diminue ensuite ; jusqu'à ce que tout ombre soit passée, que tout voile soit levé.

Ceci veut encore dire qu'il paraît quelquefois des éclairés brillants de lumière au milieu des ténèbres ; mais que Jésus-Christ, lumière éternelle, ne se lève que sur ceux qui ont été couchés dans les ténèbres de l'ombre de la mort ; il s’y lève pour être leur résurrection et leur vie, afin qu'ils ne vivent plus en eux-mêmes, et qu’ils puissent dire avec saint Paul388 : Je vis ; non plus moi, mais Jésus-Christ vit en moi.

Il y a encore un passage qui dit389 : La nuit est mon illumination dans mes délices: ce qui confirme que toute véritable lumière est renfermée dans l'obscurité et la nudité. L'âme arrivée dans sa fin trouve que cette obscurité, qui lui étaient au commencement si pénible, devient à la fin ses délices ; parce qu'elle l'a conduit en son principe original, qui seul peut contenter l'âme. C'est ce que dit le bienheureux Jean de la Croix390 : A l'obscur ; mais sans nul danger : car plus Dieu nous conduit par une voie obscure, plus il vous dérobe à notre propre vue qui empoisonne tout ce qu'elle regarde, ainsi qu'on le dit du basilic. Ces ténèbres nous cachent du Démon, qui ne voyant pas ce que Dieu opère en nous dans cette obscurité, ne peut s'y introduire : il [156] vole tout ce qu'il aperçoit, il est comme un oiseau de proie attentif à regarder ce qu'il peut emporter. Cette sombre nuit nous tient à couvert, et l'empêche de découvrir ce qui se passe dans le fond de l’âme. Il n’y a donc nul danger par cette voie quoique pleine de doutes et d’hésitations qui l'environnent à cause de son obscurité, comme une personne qui marche la nuit tâtonne, hésite où elle mettra le pied, parce qu'elle n'aperçoit pas un guide sûr et fidèle qui la conduit et la soutient dans le secret. L'Ecriture dite encore que391 le Seigneur a pris les ténèbres pour sa cachette, c'est-à-dire qu'il se cache dans cette obscurité ténébreuse de la foi ; quoique l'âme n'aperçoive que ces ténèbres, c’est là néanmoins qu'elle trouve son Dieu ; elle le possède dans sa cachette ténébreuse à couvert de l'insulte des Démons et des hommes.

1.17 Effets de la Foi et de l’Humiliation.

Sur ces paroles de David : J’ai cru ; c’est pourquoi j’ai parlé : j’ai été humilié jusques dans l’excès ; j’ai dit dans mon transport, Tout homme est menteur. Ps. 115, 10,11.

[157] J’ai cru ; c’est pourquoi j’ai parlé. Ces paroles de David semblent contraires à celles qui furent dites à saint Arsène : fuyez, taisez-vous, et vous reposez ; et à cet autre : reposez-vous dans un lieu solitaire ; et vous élevez au-dessus de vous-même392. La même foi qui nous fait parler, nous fait taire. Il y a deux temps où la foi fait parler : dans les commencements, où cette même foi semble s’exhaler en paroles d’amour, de confiance et mille actes ; et à la fin, la foi, à force d’avoir parlé pour exprimer ce qu’elle sent et n’ayant plus de paroles, est comme obligée de se taire et d’entrer dans un silence d’admiration qui est comme un épuisement de parole, en sorte que la bouche se tait d’abord, mais c’est pour laisser parler le cœur, qui a son langage aussi bien que la bouche.

Plus la foi augmente, plus l’un et l’autre se taisent, jusqu’à ce que la foi soit tellement accrue qu’elle n’ait plus d’autre parole que le silence, qui parle très éloquemment dans un repos parfait.

Au commencement ce repos est très doux et suave, et l’âme le goûte fort bien. Dans la suite il devient plus profond et plus insensible, et se simplifie tellement que l’âme ne le discerne que par un non-trouble. Dans le temps qu’il est le plus goûté, il n’est pas si stable, et il s’altère facilement ; mais lorsqu’il devient enfoncé, il est plus ferme et il y a peu de choses qui le puissent altérer.

C’est alors que l’âme s’assied dans son repos, ce qui marque un repos plus ferme, plus établi, que se reposer simplement. Que produit [158] ce repos central et affermi ? C’est que sans que l’âme fasse autre chose que se reposer, sans savoir comme cela se fait, elle s’élève insensiblement au-dessus d’elle-même, et par un renoncement parfait, elle se quitte peu à peu à force de s’élever au-dessus d’elle-même, comme un aigle, qui quittant la terre, s’élève si haut, qu’il la perd de vue. C’est ainsi que l’âme à force de s’élever au-dessus de soi, se perd aussi de vue ; et lorsqu’elle ne s’aperçoit plus, c’est alors qu’elle entre dans les airs sacrés de la Divinité. C’est où son repos devient invariable, n’étant plus en soi, ni en rien qui la regarde, mais en Dieu, centre de tout repos. C’est là qu’elle entre dans ce Sabbat éternel que Dieu possède de toute éternité en lui-même.

Tant que notre repos dépend de quelque chose de créé, quelque grand qu’il paraisse et quelque sublime que puisse être l’objet créé, il est sujet à la variation. Mais lorsqu’il passe en Dieu, il devient immuable comme Dieu parce qu’il ne dépend d’aucune chose créée. Je n’en excepte aucune, quelle qu’elle puisse être.

Or toute la voie s’opère par la foi. Dieu a juré aux Israélites qu’ils n’entreraient point dans son repos, parce qu’ils l’avaient tenté dans le désert par leur incrédulité393 et que ce sacré repos est plus de la nouvelle loi que de l’ancienne. Je dis donc que c’est la foi qui nous introduit dans le repos. Mais pour nous faire entrer dans celui de Dieu même par l’élévation au-dessus de nous-mêmes, il n’y a que le pur amour qui le puisse faire. Dieu est charité394 : Il est un feu consumant395 qui consume et détruit tous les obstacles qui empêchent l’âme de sortir de soi [159] pour se perdre en Lui. Son trône est de feu396, ses esprits sont des flammes de feu tant pour s’enfoncer de plus en plus en Dieu que pour suivre ses ordres.

La foi fait donc parler et se taire, mais si elle se tait longtemps, elle parle dans sa fin : Credidi, propter quod locutus sum. Mais avant que de poursuivre les paroles de la foi dans sa fin, voyons ce que dit le Roi-Prophète : J’ai cru, c’est pourquoi j’ai parlé. Ego autem humiliatus sum nimis : mais j’ai été humilié jusque dans l’excès. Vous avez été humilié jusque dans l’excès avant que de dire vos dernières paroles et après avoir dit les premières ! La route de l’humiliation est donc celle qui nous fait élever au-dessus de nous-mêmes. Nul n’est monté que celui qui était auparavant descendu. Ne nous trompons point : ce n’est pas en montant qu’on s’élève au-dessus de soi, mais en entrant dans la plus profonde humiliation. Il faut être abaissé jusqu’au fond de la terre, y être caché et enseveli avec Jésus-Christ, pour ressusciter avec lui. Car si le grain de froment étant en terre non seulement n’y demeure caché, mais s’il ne pourrit, il demeure seul et n’apporte point de fruit397. Ainsi il faut que l’humiliation, l’abjection, et la pourriture, qui n’est autre que l’expérience de nos misères, nous fasse porter du fruit digne de Dieu398. Aussi David ne dit-il pas qu’il a été un peu humilié, mais qu’il l’a été dans l’excès : c’est cette extrême humiliation qui a été la source de son bonheur car la mesure du bonheur est celle de l’humiliation.

[160] Qu’est-il dit de Jésus-Christ ? qu’il s’est anéanti lui-même399. L’anéantissement est la consommation de l’humiliation. C’est pourquoi Dieu lui a donné un Nom au-dessus de tout nom. Il ne pouvait pas comme nous, être humilié par l’expérience réelle de la misère, mais il a pris la forme de serviteur ; comme qui dirait, Il a pris la forme de la misère, Il a porté le péché de son peuple, Il s’est revêtu de nos langueurs400; et comme nous ne sommes que misère depuis la tête jusqu’aux pieds, Il a été couvert de plaies depuis la tête jusqu’aux pieds, se revêtant de nos misères pour nous en délivrer. Il nous a délivré du péché, et non pas de l’humiliation du péché. Il a pris la forme de la misère, mais nous sommes réellement misérables ; et cette misère est comme le fumier qui sert à faire pourrir le froment, et le faire fructifier.

Ce n’est donc pas par une élévation sublime qu’on arrive au repos de Dieu, mais par une profonde humiliation. Nul n’est monté que celui qui était premièrement descendu401 dit saint Paul, parlant du Fils de Dieu, car il n’y a que Lui qui puisse descendre. Quelque humiliés, quelque misérables que nous soyons, nous restons en notre place : c’est notre propre misère. Mais si nous montons par cette descente, c’est que Dieu, qui se plaît à regarder les choses basses402, nous attire par Ses regards, lorsque notre pourriture et notre anéantissement nous ont rendus comme une vapeur que ce divin Soleil attire pour la purifier et Se l’unir. Mais il est à remarquer que Dieu s’éloigne des choses hautes et ne regarde [161] que les basses ; par conséquent il n’attire que les basses et c’est ainsi que l’homme est élevé au-dessus de soi.

Car il est impossible de toute impossibilité que l’homme s’élève au-dessus de lui-même autrement que par ce regard de Dieu qui l’attire hors de lui pour Se l’unir et le changer en Soi, c’est-à-dire le transformer en Sa pure et nue lumière. Car il ne faut pas croire que lorsque saint Paul dit : Nous sommes transformés de clarté en clarté403, il entende parler de lumière objective et distincte, mais bien de celle dont je parle : comme lorsque le soleil attire les vapeurs de la terre, plus il les tire hors de la moyenne région de l’air où sa chaleur les avait fait remonter, plus elles deviennent pures, claires et lumineuses jusqu’à ce qu’il les ait assez purifiées pour les faire passer en lui ; cette approche les fait passer de clarté en clarté jusqu’à ce qu’elles soient faites semblables aux rayons. Il en est ainsi de nos âmes : lorsque le Soleil de justice les regarde dans leur humiliation, Il les purifie et les fait passer de clarté en clarté en Lui-même. Et c’est là qu’a lieu ce qui reste à dire [ou à parler de la foi : Credidi, propter quod locutus sum.

Pour moi, j’ai dit dans mon transport : Tout homme est menteur. Quel est ce transport, ô David, qui vous fait dire que tout homme est menteur ? C’est et ce sera ma dernière parole : à mesure que Dieu par Sa chaleur vivante et vivifiante qui est Son amour, me transporte hors de moi comme une petite vapeur droite de fumée et qu’Il me transforme en clarté, Il m’apprend alors que tout homme est menteur ; parce qu’Il me met dans la vérité et que cette vérité me fait comprendre [162] que l’homme n’est qu’erreur, illusion, mensonge : qu’il n’y a que deux choses subsistantes, le Tout et le Rien. La connaissance de cette vérité que Dieu ne donne réellement que par le passage de l’âme en Lui, lui fait voir tout le reste comme des fantômes, des ombres et des vapeurs, qui n’ont rien de réel que leur impureté, leur légèreté et leur inconstance. J’ai cru ; c’est pourquoi j’ai parlé. Et que direz-vous ? Je dirai la vérité du tout de Dieu, et la fausseté de tout le reste.

C’est en cet état que l’âme est portée à parler et à écrire après un long et profond silence, pour dire la vérité : que la grandeur, la gloire et la louange appartiennent au Seigneur, et l’empire aux siècles des siècles. Je pousserai une bonne parole : Eructabit cor meum404, etc. pour dire : Rendez au Seigneur la gloire qui lui est due405, restituez vos usurpations, soyez nus devant Lui, sacrifiez-vous à Son honneur en sortant de vous-même et de tout propre intérêt, quittez les attributions que vous vous faites, qui sont des larcins, quittez-vous vous-même par hommage à ce grand Tout, ne faites non plus de cas de tous vos intérêts, que d’une fourmi, mourez, renoncez-vous, ne soyez rien ; que Dieu soit tout en vous pour vous, en Lui et pour Lui. Néant, néant, demeure néant ! O Tout, ô Tout, demeurez Tout. Amen, Jésus. [163]

*1.18. Comment on doit chercher et trouver Jésus-Christ intérieurement.

Sur ces paroles : Les Mages ayant suivi l’étoile qui les conduisit en Bethléem, ils trouvèrent l'Enfant et Marie sa mère : et s’étant prosternés en terre, ils l'adorèrent et lui offrirent de l’or, de la myrrhe et de l’encens. Et ils furent avertis en songe de s'en retourner par un autre chemin. Matth. 2, 11-12.

L’étoile qui conduit les Mages après les avoir fait sortir de leur pays, nous représente parfaitement bien la foi lumineuse et savoureuse. C'est elle qui éclaire l'âme d'abord par un petit rayon de sa lumière, et qui lui fait comprendre qu'il y a autre chose que la possession de soi-même accompagnée d'une certaine sagesse naturelle, car ces Mages étaient les sages de ce temps-là. Dès qu'ils ont appris que [164] le lieu qu'ils habitent n'est rien, et qu'il y a quelque chose de plus qu'ils ne connaissent que par cette lumière, qui paraît à l'esprit comme une petite étoile, frappés de la nouveauté de ce qu'ils découvrent, ils prennent la résolution de sortir de leur demeure et de suivre cette lumière, qu’ils prennent pour leur guide sûre et fidèle. Ils se mettent donc en chemin, et la suivent avec tant de fidélité qu'ils ne s'en éloignent jamais soit pour la vouloir précéder, soit pour ne la pas laisser trop avancer. C'est ainsi qu'on en doit user pour se servir efficacement de la lumière que Dieu donne. Il ne faut point précéder cette lumière par un faux zèle, car elle serait rendue inutile. C'est pourquoi il est écrit406 : C'est en vain que vous vous levez devant le jour.

2. Deux sortes de personnes s'égarent facilement : les premières sont celles qui, faute de courage, ne veulent point quitter leurs premières manières d'agir, et ainsi perdent peu à peu cette divine lumière qui s'était levée sur elles ; les autres, par un zèle indiscret voulant la précéder au lieu de la suivre, se précipitent d'eux-mêmes dans des états plus avancés que ne le porte la disposition de leur âme ; et comme ils ne sont pas appelés de Dieu à un état plus avancé pour le temps présent, parce qu'ils ont voulu passer d'un endroit à l'autre sans suivre le chemin qui y conduit, ils demeurent toute leur vie dans une obscurité infructueuse, qui ne leur fera jamais trouver le divin Enfant pour être la vie de leurs âmes.

Mais ceux qui suivent cette admirable étoile de la foi savoureuse et lumineuse, découvrent enfin à la faveur de sa lumière le Verbe fait [165] Enfant. C'est alors que la vue et la connaissance des Mystères de Jésus-Christ sont d'un grand goût : non par le raisonnement, mais par une foi amoureuse, qui les embrasse sans distinction et les goûte sans examen. L'oraison devient très facile, et cette route est très délicieuse : on fait beaucoup de chemin sans s'en apercevoir. La solitude est nécessaire dans cet état : le trouble du monde, se charger d’affaires et d’emplois que Dieu ne demande pas, font disparaître cette étoile.

Il y a encore un écueil terrible : c'est que l'âme éclairée de cette nouvelle lumière qui lui fait tant de plaisir, au lieu de la suivre dans le secret (se contentant d'en parler avec ceux qui la connaissent, parce qu'ils l’ont suivie et qu'elle leur a fait trouver l'objet de leurs désirs), elle va en parler à ceux qui ne la connaissent pas, qui la brouillent, lui en donnent de la défiance et la lui font perdre à la fin. Lorsqu'on a cette belle et agréable lumière, on est si charmé qu'on en parle à plusieurs sous prétexte de consulter ; et l'on ne voit pas que c'est l'amour-propre qui porte à se répandre. On se croit au sommet de la perfection, quoiqu'en vérité on ne fasse que de commencer.

5. Il y a deux voies dans cette lumière savoureuse : l'une qui n'est qu'une certaine présence intime, un goût savoureux de la Divinité sans distinction ni espèce ; et c'est là proprement la foi, plus savoureuse que lumineuse : c'est le chemin le plus court et le plus sûr. Il y a une autre route plus lumineuse que savoureuse : la lumière surpasse l’ardeur ; et c'est celle des visions, révélations, extases, ravissements etc. car c'est en ce temps que ces choses arrivent ; et ce [166] sont ces mêmes choses qui, étant données pour avancer, arrêtent certainement l'âme si elle s'y amuse, et lui font un dommage irréparable. Je dis que l'amour des belles choses, l'envie de les faire connaître aux autres sous prétexte de s'assurer dans sa voie, font perdre l’étoile. Il faut un seul guide, et garder le silence à tout le reste.

6. Ceux qui sont conduits par l'extraordinaire, comme extases, etc., perdent leur trésor à force de le découvrir ; et souvent par l’attache qu'ils ont à ces choses, l’Ange des ténèbres se transforme en Ange de lumière, et les ballote toute leur vie, surtout s'il rencontre des directeurs qui fassent cas de ces choses. Les âmes dont la foi est plus savoureuse que lumineuse, ont quelque chose de plus intime : c'est un chemin raccourci, qui n'a point le long circuit de visions, etc. Cependant ces personnes perdent souvent leur étoile pour vouloir trop consulter et trop s'assurer, comme firent les Mages, qui la perdirent en Jérusalem.

7. On se persuade presque toujours que le Roi de gloire veut des choses élevées et magnifiques. Les Mages étaient dans cet abus : c'est pourquoi ils le cherchèrent en Jérusalem, qui était la magnifique capitale de l'empire des Juifs où leur roi devait naturellement être né. Qu’on se trompe ! Il ne cherche point les lieux magnifiques, ni le tumulte du monde, ni les choses élevées, comme on s'imagine : il choisit au contraire les choses basses et petites, la pauvreté et la retraite. Que fîtes-vous, ô saints rois, d'aller en Jérusalem ? C'est que vous aviez encore le goût du grand et du magnifique. Vous suscitez une sanglante persécution [167] à celui que vous cherchez. Nous faisons tout de même : pour trop se découvrir et consulter, non seulement on perd son étoile, mais on suscite une terrible persécution contre ce divin Enfant, qui ne naît dans notre âme que pour y être roi. Si les Mages eussent suivi simplement leur étoile, sans entrer dans le tumulte de la ville, elle les aurait conduits tout droit. Les pasteurs peuvent nous enseigner en général que Jésus-Christ naît en Bethléem, ils nous instruisent des saintes Ecritures, de ce qu'il faut faire pour aller à Jésus-Christ ; mais lorsque Jésus-Christ envoie lui-même son étoile, il n'y a qu'à la suivre.

8. Les Mages reconnurent leur méprise : ils quittèrent promptement Jérusalem ; et ils n'en furent pas plutôt dehors qu’ils revirent leur charmante étoile, qui les conduisit droit en Bethléem. Alors elle leur devint inutile : ils entrèrent dans une pauvre étable ; ils virent ce Roi, Enfant et Dieu, couché sur du foin entre deux animaux dans cette pauvre étable ouverte de toutes parts. Ils comprirent alors ce qu'ils n'avaient jamais imaginé, que le Roi de gloire, le Dieu tout-puissant, n'avait que du mépris pour le faste, la vanité et l’éclatant ; qu'il était venu par son exemple enseigner que la richesse est dans la pauvreté, la force dans la faiblesse, la grandeur dans la bassesse ; que la pompe et l’éclat étai[en]t pour les rois de la terre, qui, n'ayant rien de recommandable par eux-mêmes, se font admirer et craindre par la pompe qui les environne. Mais ce petit Roi se fait aimer par tout ce qu'il a d'abject, parce qu'il ne s'insinue pas par le faste extérieur, mais par son humilité ; qu'il ne s'arrête pas au-dehors, mais s'insinue [168] par le dedans.

C'est alors qu'ils passèrent de la foi lumineuse dans la foi nue, car perdant tout les témoignages en trouvant un enfant qui en était absolument dépourvu, ils adorent au-dessus de tout témoignage. Et, se prosternant, c'est-à-dire entrant dans un profond anéantissement par la perte de la certitude et des témoignages, ils adoraient ce qu'ils ne pouvaient ni ne voulaient pas comprendre. L'Ecriture dit qu'ils se prosternèrent, qui est la manière la plus profonde dont on puisse adorer. Ils ne songèrent qu'à s'anéantir devant celui qui leur imprimait au-dedans d'autant plus sa grandeur qu’il en paraissait plus dépourvu. Ils l'adorent en esprit et en vérité, dans un silence profond, qui dit tout sans rien exprimer.

9. C'est là le progrès de la foi, qui de lumineuse devenant obscure, met l'âme dans un profond silence. Jusqu'alors, quelques faveurs qu'on eût reçues, ce profond silence était ignoré ; mais il se trouve infus dans leurs cœurs sitôt qu'ils perdent tous les témoignages. Nous voyons peu à peu dans ce mystère le progrès de la foi : ce silence mêlé d'admiration les jetait dans un profond anéantissement et dans une extinction de toute parole, pour entrer dans ce silence ineffable, qui dit tout en se taisant. On entend point dans l’étable le murmure confus des voix, tout y est muet ; et le Verbe, s'insinuant dans leurs cœurs, leur apprend un autre langage que celui de la parole.

10. Ô divin Verbe, lorsque vous vous insinuez dans une âme, vous lui apprenez votre propre langage, qui n'a point d'articulation comme il n'a point de succession. Il est toujours le même, toujours un et unique sans multiplication, [169] toujours présent, toujours éloquent sans bruit de discours. Ô Parole toujours expressive et efficace, qui exprimez ce que vous dites, et qui ne parlez que par votre opération ! Votre qualité de Verbe vous donne d'en user de la sorte ; il faut un langage proportionné au vôtre. Vous êtes l'image vivante de votre Père, et votre génération éternelle est une parole éternelle : ainsi votre parole dans l'âme est l'expression de tout vous-même, ce qui la rend muette, interdite et immobile. Vous la mettez dans un saint loisir afin qu'elle ne vous empêche pas par son activité de vous exprimer en elle. Le mouvement propre vous est contraire, et vous voulez que l'âme n’en ait aucun que celui que vous lui donnez. Toute agitation empêche votre opération délicate : toute vie propre empêche votre vie de s'insinuer en nous. Vous nous dénuez de tout, afin que nous n'ayons point d'autre impression que de vous-même. Toute vue empêche votre manifestation. Que nous n'ayons donc plus de vie que la vôtre, plus de paroles que la vôtre, plus de mouvement que le vôtre, plus de vue, plus de connaissance que vous-même ; plus d'amour, de goût, d'intérêt que le vôtre ! C'était ce que le Verbe imprimait dans les cœurs des Mages, et qu'il imprime de même dans tous ceux qui entrent dans la foi nue et qui veulent bien se laisser détruire afin qu'il règne seul en eux.

11. Après cette adoration profonde, l'Ecriture dite qu’ils ouvrirent leurs trésors et qu’ils offrirent des présents : c'est ce que l'on doit faire lorsqu'on est arrivé ici. Quels sont nos trésors ? C'est notre liberté, notre volonté, notre nous-mêmes, que nous avons reçu de Dieu non pour en [170] abuser, mais pour les lui mettre entre les mains. C'est le don irrévocable que nous devons lui faire. Dieu ne manque point de le recevoir ; et cette acceptation est le plus grand avantage que l'âme puisse recevoir.

1). Les mages présentèrent au saint Enfant de la myrrhe, ce qui fit voir qu'ils comprirent que, pour appartenir à ce divin Roi, il faut vivre dans une mortification et un renoncement continuels : si nous donnons notre moi, nous devons le renoncer si absolument que nous n'y pensions plus. Il n'est pas seulement question d'ici des mortifications extérieures : elles ont été faites auparavant dans toute l'étendue des desseins de Dieu, de la lumière présente et des forces corporelles. Mais c'est ici une mortification, ou mort intérieure, sans relâche, de toutes lumières, goûts, sentiments, de toute vie propre, de toute volonté, choix, raisonnement, [une mort] de croix extérieures et intérieures, et des amertumes les plus fortes. C'est ce qu'on appelle renoncement continuel, ne se pardonnant rien. Ensuite Dieu dépouille et dénue l'âme de tout ce qui n'est point lui-même, quelque grand et relevé qu'il puisse être, de tout ce qu'elle croit posséder même dans le bien, en tant que ce bien est regardé comme à elle ou d’elle. Toute pratique de choix, en un mot tout ce qui appartient à l'esprit et qui semble l'orner, et tout ce qui appartient la volonté, comme désirs, choix, penchant et répugnance : c'est l'offrande de la myrrhe.

2). Les Mages offrirent encore de l’or, qui marque l'amour le plus épuré, et c'est par ce renoncement et cette mort qu'on parvient au pur et parfait amour. Car l'âme ayant renoncé tout [171] son propre, elle a perdu tout amour intéressé, tout propre intérêt dans son amour : alors le pur amour lui est infus, mais un amour si net et si droit qu'il ne se recourbe pas sur lui-même un instant. Jusqu'alors on avait bien connu l'amour d'espérance, la confiance, même l'abandon ; mais on n’avait compris que comme de loin la pure délicatesse de l'amour sacré. C'est alors qu'on connaît comment Dieu veut être aimé, et comment il mérite de l’être à nos dépens, sans vue ni retour sur notre intérêt, mais [que nous soyons] livrés totalement au divin Amour sans soin ni souci de ce qui nous concerne. Lorsque cet amour est parvenu ici, il ne varie plus, parce que la connaissance de ce que Dieu mérite, et la volonté unie à Dieu, n’ont plus d'autre amour que l'amour de Dieu en lui-même et pour lui-même. C'est cet amour qui compose les couronnes d'or407 de ces Vieillards de l'Apocalypse qui les posent toutes aux pieds de l'Agneau. Cet amour est exempt de toute crainte408, parce qu'il est exempt de tout intérêt, et qu'on ne craint que pour ce qu'on possède en propre. Il y aurait beaucoup de choses à dire de cet amour pur, net, droit, nu, élevé au-dessus de tout et de nous-mêmes ; mais cela suffit.

3). Il y a encore un troisième présent qui est l’encens. Cet encens est cette prière pure, simple, qui vient de l'encens fondu. C'est l'amour sacré qui le fond et dissout, et le consume. Cet encens donne une odeur admirable, qui va jusqu'au trône de l'Agneau très bien représenté par les coupes d'or pleines de parfums409 que les vieillards tenaient devant le trône de l'Agneau où étaient les prières des saints. Ce sont alors les [172] louanges véritables : c'est ici que le seul honneur et la seule gloire de Dieu habite[nt] ès les siècles des siècles. Je dis donc que la prière de ce degré est comme une fonte de l'âme, qui l'anéantit de plus en plus, et l’enfonce davantage en Dieu.

12. L'Ecriture nous assure que les Mages eurent ordre de retourner par un autre chemin. Ils sont venus à Jésus-Christ par la voie de la lumière, ils sont venus pleins d’eux-mêmes avec une bonne volonté, ils sont arrivés à Jésus-Christ, où ils ont tout perdu : il faut qu'ils s’en retournent par la foi nue et obscure, non pour retourner en eux-mêmes, mais pour se perdre en Dieu de plus en plus. C'est par ce chemin qu'ils entrent dans la vie apostolique par état, où l'on n’entre véritablement qu'après s'être quitté soi-même, être perdu en Dieu, et avoir la mission du Saint- Esprit. Cette voie est bien différente de celle où on a marché pour arriver à Jésus-Christ. Il n'est plus ici question d'étoile, mais de se laisser conduire aveuglément par une motion secrète, d'autant plus pure et plus assurée qu'elle est plus imperceptible.

Je prie ce divin Roi de nous attirer à lui de telle sorte que rien ne nous empêche d’y arriver, et qu'il nous cache avec lui dans le sein de son Père, d’où, ne sortant, comme lui, que pour le salut de nos frères, nous nous y employions comme lui aux dépens de notre propre vie, et le tout pour sa seule gloire, sans autre vue ni intérêt. Amen, Jésus ! [173]

1.19 Comment on doit porter les croix pour être intérieur.

Toutes les personnes que Dieu appelle à l’état passif reçoivent avec facilité les lumières et les goûts en manière passive, et il leur serait souvent difficile de faire autrement. Mais lorsque les croix viennent abondamment, soit intérieurement de la part de Dieu ou même de nos défauts, soit par la persécution et la contradiction des hommes, on se multiplie : soit par résignation, offrande, soumission, soit pour remédier activement à ses défauts, soit pour s’en purifier soi-même, s’humilier, s’anéantir, soit par d’autres moyens que la nature fine et adroite nous fournit sous de bons prétextes, mais qui ne servent néanmoins qu’à diminuer la croix, ou nous l’ôter tout à fait. Si nous sommes exercés intérieurement ou par sécheresses et distractions, nous tâchons, avec effort, quelquefois léger, de nous procurer quelque goût sensible. S’il vient certains petits troubles qui causent certains malaises dont on ignore la cause et qui sont très souvent des peines purifiantes, [174] lorsqu’elles ne sont pas causées par quelque chose d’extérieur ou par nos réflexions, nous travaillons adroitement à nous pacifier par mille moyens.

Lorsque nous éprouvons le poids de Dieu, qu’Il nous paraît irrité contre nous, qu’Il semble s’en éloigner tout à fait selon nos idées, nous nous mettons en mille postures différentes pour nous décharger de ce poids, nous essayons ou par nos pratiques ou par des moyens plus cachés de Le rappeler : ce qui s’appelle recevoir activement la croix.

Pour recevoir passivement cette croix, la plus pesante de toutes, et quasi la plus ordinaire, il faut se laisser écraser et dévorer à la peine, sans aucun mouvement de sa part, laissant tomber sur soi la grêle et l’orage sans sortir de sa place, et sans la vouloir divertir. J’ai connu une personne qui se tenait, (lorsqu’elle le pouvait sans incommoder le prochain,) tout le jour cachée dans un coin, se laissant dévorer à la peine et donnant par là toute liberté à Dieu d’exercer sur elle sa justice410. Ces sortes de peines durent quelquefois plusieurs jours et détruisent les forces extérieures et intérieures, mais il les faut porter dans toute leur étendue et jusqu’à la fin, sans changer de manière d’agir. C’est porter le poids du jour et l’appesantissement de la main de Dieu, qui est de toute la vie spirituelle la peine la plus forte, la plus intense, la plus profonde, car c’est une peine immédiate ; et la justice de Dieu est alors appliquée par elle-même sur son sujet pour le purifier et le détruire.

C’est le passage le plus douloureux, qui revient souvent et qui dure longtemps. L’âme est très souvent tentée de se remuer, de faire des [175] actes d’humilité, d’abandon ou de prière, pour en être délivrée ; on fait des examens pour voir ce qui a pu donner lieu à cela, et comme on se retire par là de cet état passif, qui est la manière de porter le poids de Dieu, cette infidélité fait retirer l’application de la justice sur nous, qui suspend pour un temps son opération purifiante. On croit alors avoir beaucoup gagné, quoiqu’en effet on ait beaucoup perdu. Cela augmente le désir d’agir ; et plus on agit, plus on empêche la purification. Il faut donc se laisser dévorer à la peine dans toute l’étendue des desseins de Dieu, demeurer passif, mort, anéanti sous la puissante main de Dieu, comme saint Pierre le conseille411.

La seconde croix intérieure sont les sécheresses, les distractions, privations de la présence de Dieu, une amertume du cœur au lieu de cette occupation amoureuse de la volonté si pleine de douceur. Une divagation importune au lieu de ce recueillement aisé, [et] au lieu de souffrir, comme dit le Sage, les suspensions et les retardements des consolations, porter en paix notre douleur, afin que notre vie croisse et se renouvelle412. Par la purification, notre vie se renouvelle en Jésus-Christ. Et comme tout ce qui arrache notre propre vie s’appelle mort, tout ce qui sépare s’appelle purification ; or rien ne nous sépare tant de nous-mêmes que ces privations de ce qui faisait toutes les douceurs de la vie spirituelle. L’esprit étant séparé des lumières qui le nourrissaient agréablement, et la volonté de cet amour savoureux qui faisait sa nourriture, ils meurent insensiblement. Il faut, non travailler à nous rappeler les lumières et les consolations, mais porter cet état passivement, comme [176] une personne qu’un chirurgien incise le porte sans rien faire de sa part que de porter avec patience le mal qu’il lui fait souffrir. Mais on ne peut porter cet état sans faire ce qu’on peut pour s’en délivrer.

Notez que je ne parle ici que pour une personne qui est dans l’état passif et accoutumée à porter passivement les consolations et les lumières célestes, car pour les états inférieurs à celui-ci et [pour une personne] qui est encore dans l’actif, quoique déjà un peu simplifié, il faut agir activement pour faire revenir cette divine lumière et cette douce correspondance de notre cœur ; et ceci plus ou moins activement, [selon] que notre état intérieur est plus ou moins actif. Quand l’oraison tient encore un peu de la considération, il faut nous rappeler par quelque considération. Quand elle est plus simple et que ce n’est qu’un simple envisagement d’une vérité, un simple regard de cette vérité réveille l’attention. Lorsque l’oraison est d’affection plus multipliée, ainsi que je l’ai écrit en tant d’endroits, une simple aspiration comme « Mon Dieu, mon tout, etc. » [nous] rappelle. Quand l’affection est plus simple, un simple retour au-dedans suffit. Mais lorsque l’oraison a été passive, il faut rester passivement dans les sécheresses, divagations, les portant en renoncement et mort, non en cherchant à s’en délivrer, mais en les soutenant simplement.

Or il faut remarquer de plus que cet état que je suppose être pour l’oraison, doit persévérer de même manière durant le jour. Ceci souvent se souffre alternativement, tantôt lumière, goût passif, tantôt ténèbres, privations passives, distractions passives, jusqu’à ce que l’âme soit entrée dans la privation [177] totale, où tous ces efforts sont rendus inutiles.

Jusqu’alors elle s’accommode ou à la lumière ou à la peine, selon son état, tâchant de correspondre à l’un ou à l’autre ; mais dans la privation totale elle ne peut s’ajuster à rien, tout lui étant ôté, et tout discernement d’actif et de passif. Ce n’est plus ni une activité, ni une passiveté de correspondance, mais de mort, en sorte qu’on fait tout ce qu’on peut pour entretenir sa vie jusqu’à ce qu’elle soit ôtée, ainsi que je l’ai écrit en tant d’endroits.

Pour ce qui regarde les défauts, misères, pauvretés, c’est ce qui est le plus difficile à porter passivement, à cause de l’amour de la propre excellence, qui ne saurait souffrir de se voir imparfait et de sentir sa misère.

Il faut remédier aux défauts selon l’état de l’âme, activement dans l’actif, passivement dans le passif, se laissant dévorer à la peine qu’ils nous causent, sans vouloir y remédier par une humilité vertueuse, ou active, comme dans les premiers degrés, où l’âme dit à Dieu : « Voilà ce dont je suis capable ; voilà la production de mon mauvais fond. Je voudrais me cacher jusqu’au centre de la terre pour ne pas paraître devant vous, ô pureté infinie ! avec cette impureté ; lavez-moi d’hysope, et je deviendrai blanc comme la neige. Seigneur, punissez vous-même mes péchés et les purifiez en même temps ; je suis content d’éprouver ce que je suis, et que vous me laissiez longtemps sentir la puanteur du bourbier où je me suis laissé tomber ». Voilà faire un usage vertueux de nos défauts et de nos chutes. Mais dans l’état passif il ne faut pas faire cela, mais porter avec fermeté un certain brûlement intérieur que [178] le défaut cause, une secrète agitation du dedans très difficile à porter, une douleur sourde, mais profonde, qui est l’application de la justice de Dieu sur l’âme, qui la purifie réellement.

Pourquoi est-il de conséquence de porter ses défauts et ses misères passivement dans l’état passif ? C’est que lorsque nous voulons nous purifier nous-mêmes, nous nous dérobons à la justice et à son application, qui est une purification foncière, au lieu que celle que nous faisons n’est que superficielle. Et pourquoi nous y dérobons-nous ? C’est que toute action et mouvement propre en cet état nous dérobe à l’action et à l’opération de Dieu, comme une toile qui voudrait toujours se remuer empêcherait un peintre d’y tirer un portrait.

Il faut savoir que la nature se met en mille pièces pour remédier à son défaut, dans la peine terrible qu’elle a de supporter l’application de la justice, par l’amour de la propre excellence qui veut toujours voir et sentir qu’on s’est purifié. Parce que souvent cette purification de la justice nous paraît un défaut, parce qu’elle trouble un peu ce fond et l’agite, ôtant le calme superficiel, comme une eau qu’on veut purifier ou un métal qui bout dans le feu. La justice fait le même effet. Mais si l’on ôte le métal de dessus le feu lorsqu’il bout, il ne se purifie pas. Toute chose qu’on veut séparer, fait une certaine fermentation et bouillonnement causée par l’impureté. Il faut laisser la justice purifier et séparer elle-même.

Mais pourquoi faut-il rester immobile ? C’est qu’il ne s’agit de rien moins que de réparer en nous l’image de Dieu que le péché a si fort défigurée. Il faut être immobile afin que ce beau Soleil se peigne lui-même dans notre âme, comme [179] le Soleil se peint sur la surface d’une eau claire et tranquille et non sur celle qui est troublée. Demeurons donc passifs, aussi bien dans les peines purifiantes, dans nos défauts, comme nous y avons resté dans les lumières et consolations, jusqu’à ce que nous les portions en mort, qui est un état bien plus terrible et bien plus séparé. Mais comme je ne traite ici que de ce qui regarde l’état passif, et que j’ai tant écrit ailleurs des autres états, je me contente de ce que j’en ai dit.

Il y a encore les différentes croix des pertes de biens, maladies, contradictions, persécutions, calomnies et mille sortes d’adversités, que nous devons porter selon le degré où nous sommes, activement au commencement, puis vertueusement, en faisant usage par résignation, soumission à la volonté de Dieu en union des souffrances de Jésus-Christ. Mais dans l’état passif et de mort, il faut les recevoir passivement et en mort, sans donner à la nature cette pâture de voir et de sentir l’usage qu’elle fait des croix. Elle demeure alors abandonnée aux diverses douleurs qui la travaillent sans se remuer et agir, sans examiner si sa résignation est entière, comme un sujet demeure sous son agent qui le travaille et le traite comme il lui plaît, sans qu’il se remue ni pour l’empêcher d’agir, ni pour lui témoigner qu’il trouve bon ce qu’il fait. Laisser faire pouvant l’empêcher, dit tout cela sans rien dire413

Il s’ensuit de là de ne point chercher la justification personnelle des calomnies qu’on fait contre nous, ne point repousser l’injure par l’injure, ne se point venger des torts, mais se laisser en la main de Dieu et de toute créature pour l’amour de Dieu : se laisser à Dieu, qui se [180] sert de tous ces instruments pour nous faire souffrir.

« Mais si je ne me défends pas, si je ne fais pas voir mon innocence, je passerai toujours pour coupable, je ferai tort à la piété. » Ce sont là des prétextes de la nature pour ne pas mourir à soi-même. Si la patience n’édifie pas, les disputes et les justifications le feront-elles ? Jésus-Christ a souffert, et a laissé tout le reste à son Père. 

Ce qu’il y a de plus difficile, c’est que dans ce temps d’épreuves, de calomnies, de contradictions des hommes, tout paraît brouillé, à cause des différents moyens et calomnies qu’on emploie pour faire souffrir. Dieu paraît souvent être de la partie. Vous êtes exposé à tout ce que peut la malice des hommes jointe à l’autorité, sans conseil ni défense ; on est quelquefois perplexe414, pour avoir perdu l’équilibre. Il faut porter tout cela. Les défauts que vous commettez dans ces temps, vous enfoncent jusqu’au centre de la terre, et vous font encore plus mépriser des hommes. Ces défauts ne viennent que parce qu’on a voulu agir en quelque sorte ; mais il faut porter tout cela, et souffrir de Dieu, des hommes et de nous-mêmes.

« Mais il faut répondre à mille questions que j’ignore, et où l’on ne travaille qu’à me surprendre - N’importe415 : demeurez passif, ou mort, selon votre état, et tout ira bien. »

« Mais mon esprit est obscurci, je me sens troublé, que ferai-je ? Que dirai-je ? Dieu parait fâché contre moi - Demeurez passif ou mort - Mais ce sont des choses où il faut remédier ? - Plus vous y travaillez, plus vous vous troublez - Mais il faut que je fasse des sacrifices de tout cela ? - Il n’est pas question pour vous de faire des sacrifices, mais de demeurer [181] en sacrifice ; c’est le Grand-Prêtre qui sacrifie, demeurez sous le couteau comme une victime - Mais ne faut-il pas que j’offre mes peines à Dieu, que je lui proteste que je souffre tout cela pour son amour, que mes péchés en ont bien mérité d’autres, ou bien que je suis indigne de ces croix ? - Qu’est-il nécessaire de dire toutes ces choses ? Dieu ne voit-Il pas tout cela ? Ne connaît-Il pas mieux que vous la disposition de votre cœur ? Tout cela sont des faux-fuyants de la nature pour ne point mourir ; si elle perd la vie d’un côté, elle tâche de la retrouver de l’autre et se sert pour cela de prétextes spécieux. Il faut donc rester passif, quoi qu’il arrive. »

Il y a les maladies et les douleurs violentes où il faut souffrir de même, prenant ce qu’on vous donne comme on vous le donne, essuyant non seulement la douleur de la maladie, mais les incommodités de cette maladie. La nature et l’amour-propre disent quelquefois : « ce n’est pas la maladie qui me fait de la peine, mais celle que je donne aux autres », la nature couvrant ainsi son impatience du voile de charité. L’homme patient donne bien moins de peine qu’un autre : se passant de mille choses et songeant peu à lui, il n’incommode guère ordinairement dans la maladie. La nature exagère les maux, et d’un autre côté elle est bien aise qu’on remarque sa patience. C’est une chose incroyable que les replis de ce serpent de la nature corrompue et du vieil homme qui, lorsqu’il ne peut mordre, donne des coups de sa queue.

Il y a deux choses dans les maladies, surtout dans les douleurs violentes : l’impatience et une certaine plainte, comme mon Dieu ! que la douleur tire de notre faiblesse. L’impatience doit [182] toujours être bannie de la maladie ; mais pour la plainte dont je parle, elle est utile à couvrir notre patience aux yeux des hommes et à ceux de la nature. Ces plaintes sont plus simples, sentent plus l’enfant que l’homme fort ; ce ne sont point des plaintes éclatantes, mais sourdes, ainsi que Job les décrit : Ma chair est-elle de l’airain416 ? L’airain est insensible, et cependant résonne fort haut, lorsqu’on le frappe. La chair est sensible, mais les coups font un bruit sourd qui ne résonne pas. Il faut être simple, passif, et petit dans les maladies et dans toutes les croix imaginables, les portant selon le degré où on est, les laissant tailler à la Providence.

L’amour-propre se cache dans tout ce qui est bon et excellent, il se cache ordinairement dans les croix de propre choix, qui nous donnent un grand relief417 dans notre esprit et dans celui des autres. Il se cache moins dans les croix de Providence ; il ne laisse pas de le faire si nous n’y prenons garde, surtout dans celles qui paraissent croix aux yeux des hommes, comme maladies, perte de biens, etc. Il se cache aussi, mais beaucoup moins, dans les persécutions et calomnies, surtout si nous avons des amis qui nous plaignent et qui prennent part à notre douleur. Mais lorsque nous sommes calomniés de tous, que nos amis même nous accusent d’imprudence, que Dieu appesantit sa main, que tout est brouillé au-dedans, les actes et les appuis interdits, qu’on aperçoit qu’on a été même infidèle à la manière de porter la croix, qu’une petite échappée vous ôte à vos yeux et à ceux des autres tout le mérite des croix, qu’on croit même [183] que ces croix, par un mauvais usage, nous ont rendus plus criminels, - car le moindre défaut dans la croix fait voir cela à l’âme, et ne lui laisse aucune ressource pour se soutenir ni pour s’appuyer - c’est alors que la nature est au désespoir de n’y rien prendre. Elle voudrait se mettre en mille pièces pour trouver quelque chose dont elle puisse se repaître ; mais en prenant tout en mort, et même les défauts qu’on y commet, elle ne trouve rien pour elle, elle crève418 de dépit, fait des échappées, porte l’âme à se multiplier en actes aperçus, afin que du moins elle attrape quelque chose ! Car rien n’est si excellent que la croix, elle veut remarquer cette excellence dans la pratique des vertus distinctes et connues ! Si l’âme était passive, elle n’y prendrait rien. Et c’est ce qu’il y a de plus difficile, surtout à y persévérer longtemps ; et c’est l’écueil de la plupart des bonnes âmes sous bon prétexte.

Je ne crois pas que, hors Jésus-Christ, personne ait jamais porté sa croix dans une parfaite pureté. Quelques saints en ont approché. Mais quand toutes les croix sont jointes ensemble, que ce ne sont point des croix glorieuses, mais humiliantes et confusibles419, de longue durée, cela est très difficile. Il y en a peu qui ne fassent des fautes. Il ne s’en faut point décourager puisque ces fautes mêmes sont une des meilleures parties de la croix, et une invention de la Sagesse, qui le permet pour cacher à l’âme et aux autres ce que la croix opère dans le fond de l’âme. O mon Sauveur ! faites-nous la grâce de porter la croix, non selon nos idées, mais en la manière qui vous est la plus glorieuse et plus conforme à Jésus-Christ ! Amen, Jésus ! [184]

1.20. De la manière de bien souffrir ; ou du bon usage des croix.

Sur ces paroles de David : quid retribuam domino ? Calicem salutaris accipiam. Que rendrai-je au seigneur ? Je prendrai le calice du salut. Ps. 115, 12,13.

Oui Seigneur420, vous m'avez comblé de mille biens en toutes manières, ma reconnaissance est entière dans le fond de mon cœur : mais que peut faire un néant comme moi pour vous en donner des preuves ? Je vous dois tout, et je n'ai rien qui ne soit à vous, même la reconnaissance que vous m'inspirez. Mais le Roi prophète m'enseigne un moyen de reconnaître vos bontés, qui est, de prendre de votre main le calice de salut.

Quel est ce calice, sinon toutes les croix, les amertumes, les douleurs, les mépris, les confusions, les dépouillements, les privations intérieures et extérieures, vos absences, les [185] agonies, les morts continuelles, la perte de ces mêmes biens dont je veux vous marquer ma reconnaissance ? Il est certain, ô Amour, que vos bienfaits sont comme un argument de ce qu'on doit souffrir : plus vous faites de grâces, plus vous accablez de croix : il semble que vous ne combliez de faveurs que pour nous combler d'amertume.

C'est ainsi que Dieu tempère toutes choses, sitôt qu'une âme est favorisée de Dieu, et qui lui donne les prémices de son pur amour, elle sent au fond du cœur un goût secret pour la croix, elle discerne avec une délicatesse infinie qu'il y a un goût dans la croix infiniment plus piquant que toutes les douceurs : elle sent un attrait et un penchant très grand pour la croix ; elle en est comme affamée ; et plus les faveurs sont grandes, plus ce goût augmente, en sorte qu'on en est tout languissant. Que ne souffrirait-on point alors ? Les plus grandes austérités qu'on pratique ne paraissent rien, et ne peuvent satisfaire cette faim insatiable de souffrance. Le martyre alors coûterait peu.

Mais ces souffrances, soutenues de tant de consolations, ne sont rien en comparaison de celles qui viennent ensuite. Dieu change ses douceurs en amertume : il fuit, et augmente les croix en fuyant. Alors ces croix tant défigurées devient insupportable : on les souffre si faiblement, qu'on croit de les souffrir pas, et en être surchargé ; et lorsqu'on croit tout perdu, c'est alors qu'une petite lumière au milieu de la nuit rend la vie et le courage. C'est ce mélange continuel d'amertume, de douleurs, et d'une petite lumière à propos, qui fait comprendre qu'on ne doit s'attendre qu'à souffrir en [186] cette vie, qui soutient pour un temps l'âme suspendue sur les flots mutinés, jusqu'à ce qu'un coup de vent l'abîme dans l'océan sacré pour n'en plus sortir : c'est là qu'elle meurt et expire véritablement.

On se persuade peut-être il n'y a plus rien à souffrir alors. C'est tout le contraire : c'est alors les grandes croix. Mais quoique l'âme les souffre sans soutien perceptible, et qu'au contraire tout soit perdu pour elle, étant perdue elle-même dans ce grand Tout, où elle ne se voit plus ; il ne laisse pas d'y avoir un fond de stabilité qui fait porter les plus grandes croix sans varier, et l'âme demeure à sa place quoique sans rien d'aperçu. On ne s'aperçoit pas alors qu’on porte la croix ni avec dégoût, ni avec résignation, ni aussi avec répugnance ; mais comme un enfant, qui en jouant porte un fardeau plus pesant que lui. Comme l'âme n'a plus de volonté ni à résigner, ni à soumettre, ni à conformer, elle ne peut apercevoir l'usage qu'elle en fait comme autrefois, où la volonté paraissait se soumettre tout d'un coup : mais ici, l'âme n'en trouve point pour en faire usage, ce qui l’étonne beaucoup dans le commencement, et qui lui persuade qu'elle n'a plus ni la résignation ni l'abandon d'autrefois. Mais cela n'est pas : Dieu lui ayant ravi son propre, elle ne trouve plus rien qui lui appartienne dont elle puisse faire usage : ainsi elle demeure morte, crucifiée, et comme on la fait être.

Comme tous les traits de la vie de Jésus-Christ doivent être exprimés (quoique bien imparfaitement) dans l'âme du Chrétien, et que nous voyons qu'il est dit de lui421 : proposito sibi [187] gaudio, sustinuit crucem422 : il semble qu'avant que l'âme soit perdue en Dieu, il lui soit comme proposé les grandes croix, et celui qui les propose les fait accepter avec joie. Il est écrit, dit cette âme, que je ferai votre volonté423 ; je trouve cela écrit, gravé, imprimé dans le fond de mon âme ; ainsi donc, faites de moi ce qu'il vous plaira. Ensuite l'âme trouve que toute la nature est unie à la croix. Elle ne laisse pas de l'accepter de son mieux, sans goût, sans soutien ; elle dit424 : Non ma volonté, mais la vôtre ; et ceci dans les grandes croix. Ensuite elle ne peut plus rien dire, elle demeure sans répugnance forte, et sans acceptation, comme ce qui n'est plus.

On me dira, que Jésus-Christ, source de modèle de toute perfection, a eu des répugnances naturelles, et une résignation marquée peu de temps avant sa mort. À cela je réponds, que Jésus-Christ a voulu apprendre à tous les chrétiens l'usage qu'on doit faire des grandes croix. Secondement, cette répugnance et résignation apparente était tout à fait nécessaire à l'Eglise, pour lui faire connaître qu'il y avait deux natures en Jésus-Christ, et par conséquent deux volontés, l'une divine et l'autre humaine. Il était Dieu et homme tout ensemble. D'ailleurs il était alors question de l'extension de la passion sur tous ses membres. Il voyait clairement le peu d’hommes qui profiteraient de sa mort. Il aurait voulu étendre sur tous efficacement et le prix de son sens et la participation de son calice, où tous les prédestinés doivent boire pour avoir part à sa gloire. Jésus-Christ [188] ne souffrant pas pour lui, mais pour les hommes, renfermait en lui la volonté de ses enfants, et faisait pour eux cette acceptation ; afin que, comme dit saint Paul425, tous ayant péché en un seul, tous fussent rachetés et sanctifiés en un seul.

Mais comme la liberté de l'homme lui laisse toujours le pouvoir de pécher, Jésus-Christ ayant renfermé en sa mort le salut de tous, a laissé à tous la liberté d'en profiter. Il a mérité pour tous, et obtenu [pour eux] les grâces nécessaires au salut ; mais comme il a créé l'homme libre, (qui est ce qui fait essentiellement la qualité de l'homme,) il s’est contenté de lui mériter et de lui donner en même temps tous les moyens de salut. Le feu et l'eau sont entre tes mains, c'est à toi de choisir426. Il nous a donc donné tous les moyens d'obtenir le salut qu'il nous a mérité : mais comme ce moyen est la croix, on le rejette, on ne veut rien souffrir, on se laisse emporter aux passions et au sens, et on rejette tout moyen de salut. Une des raisons de la résignation formée de Jésus-Christ, était, comme j'ai dit, qu’étant notre modèle, il devait nous l’apprendre, et aussi, parce qu'il portait nos langueurs, et qu'il souffrait pour nous.

En quelque état de mort et de perte que soit une âme, lorsqu'elle doit souffrir pour autrui elle en a des vues anticipées, et Dieu lui demande son consentement, quoiqu'il ne le lui demande plus pour ses souffrances propres : et c’est là souvent le sujet d’une résignation formée, quoique l'âme n'en forme plus pour elle-même. Il semble que cette résignation renferme [189] la volonté de celui pour lequel on souffre, qui en profite souvent sans le connaître. La Sainte vierge, sans comparaison, renfermait la volonté de toute la nature humaine dans le consentement qu'elle donna à l'incarnation du Verbe. L'Ambassadeur céleste lui exprime en peu de paroles le sujet de son ambassade : elle ne dit que ces mots427 : Qu'il me soit fait selon votre parole ; et cette parole eut son effet. Jésus-Christ s'incarna aussitôt en elle pour sauver tous les hommes, dont la volonté se trouva alors renfermée dans le consentement de la Sainte vierge. Le Saint Esprit épousa en elle cette nature humaine, préparant le sein de Marie pour recevoir le Verbe, dont il forma le corps du pur sang de la sainte Vierge ; pour tout le reste, la sainte Vierge ne souffrant point personnellement pour les hommes, mais bien en son Fils, et par son Fils : nous ne voyons pas d'autre acte de résignation : elle demeure muette au pied de la croix ; elle y était debout comme une prêtresse qui assistait au grand sacrifice que le Père faisait son Fils, et que le Fils faisait de lui-même ; et quoique son cœur fut percé de la plus vive douleur, cette douleur fut toujours muette.

C'est donc la l'économie de la sagesse dans l'usage de notre volonté, qu'elle fait toujours se résigner, jusqu'à ce qu'ayant perdu cette volonté dans celle de Dieu, elle ne trouve plus cette volonté pour la soumettre. Notre volonté, à parler physiquement, est toujours en nous ; mais mystiquement, à force de la résigner et de la soumettre, elle devient si conforme [à celle de Dieu,] et ensuite si uniforme, qu'elle s'écoule et s'abîme dans la volonté de Dieu, à laquelle [190] elle s’est si fort conformée, que Dieu voyant cette conformité entière, il la débarrasse de sa propriété et l'abîme en lui-même.

Pour revenir à ce que j'ai avancé, je dis que la plus grande marque de reconnaissance pour les bontés de Dieu, est de prendre le calice de salut, qui est la croix ; et (ajoute David,) d'invoquer le nom de Dieu, de le louer et le bénir également pour ses grâces d'amertume comme on le bénit dans les consolations ; et même encore plus.

Oui mon Dieu, vous m'êtes toujours adorable : les coups de votre main ne sont que des coups de grâce, qui font mourir dans nous le vieil homme pour nous faire revivre dans l'homme nouveau. O bienheureuse croix, qui avez été sanctifiée par mon Sauveur ! Vous n'avez plus de dureté ; il l'a toute épuisée ; vous rendez pour nous vos rameaux flexibles ; portez-nous à celui qui est mort entre vos bras. Amen, Jésus !

*1.21. Qu'il faut souffrir le retardement des consolations divines.

Sur ces paroles du Sage : Attendez le Seigneur, souffrez les suspensions et les retardements des consolations ; demeurez uni à lui, [191] afin que votre vie croisse et se renouvelle. (Ecclésiastique, 2,3).

1. Ce conseil est extrêmement nécessaire pour ceux qui veulent être à Dieu véritablement ; mais il est très difficile dans son exécution, car les hommes désirent naturellement la consolation. Ils en cherchent avec empressement dans les créatures ; mais, comme souvent ils n'en trouvent point, cela leur sert comme d'un coup de houlette pour les faire retourner à Dieu.

2. Il y a des personnes qui éprouvent de grandes consolations après leur conversion. Dieu, qui connaît le cœur de l'homme, voit bien qu'ils ne persévèreraient pas sans ce témoignage de sa bonté : il leur en donne beaucoup, et les retient par là dans son service. Mais ils s'attachent si fort à ces douceurs-là que, s'ils manquent d’un jour d'être consolés, ils s'affligent démesurément : ils se plaignent à notre Seigneur, ils se croient les plus malheureux du monde. Dieu, qui est plein de compassion, prend pitié de leur faiblesse : il les console dans leur douleur, et leur donne abondamment ces faveurs qu'ils désirent. Ils se croient alors au faîte de la perfection, et certains directeurs non expérimentés le croient de même : cependant il s'en faut de beaucoup qu'ils ne soient tels qu'ils s'imaginent.

3. Mais lorsque Dieu voit une âme déterminée à être à lui sans réserve, il la traite bien d'une autre manière : il lui fait trouver sa consolation dans l'amertume de la croix, soit extérieure soit intérieure ; tout ce tourne en croix et en désolation. Ce sont là les vrais amis de Dieu, et ceux qui sont le plus conformes à Jésus-Christ. [192] C'est à ces personnes que l'Ecriture parle lorsqu'elle leur dit de souffrir en paix les suspensions et les retardements des consolations, parce que Dieu prend plaisir de les éprouver par de longues et ennuyeuses sécheresses. Il ne retire pas ses grâces : il les suspend, comme Jésus-Christ suspendit à la croix la consolation que la Divinité devait verser sur l'humanité.

4. Cette suspension leur est d'autant plus pénible que toutes leurs croix sont sans mélange de consolations et leurs sécheresses sans aucune goutte d’eau. Néanmoins Dieu, qui se cache si fort, leur donne un goût secret pour la croix : ils y trouvent une délicatesse qui n'est point dans les douceurs. Il faut donc porter avec soi et avec courage la suspension et le retardement des consolations : c'est un détroit des plus importants de la vie spirituelle.

5. Il faut attendre le Seigneur428, et ne [se] lasser jamais d'attendre. Mais, ce dira-t-on, s'il n'y avait que d'attendre Dieu, cela ne me serait pas difficile. Mon imagination fourmille de mille pensées qui ne viennent pas dans un autre temps, et m'accablent par leur multitude. Il faut souffrir cela, et c'est une suite nécessaire de votre état sec et pénible. Attendez, souffrez en patience selon cet autre passage de l'Ecriture429 : J'ai attendu le Seigneur avec une grande patience ; il s'est enfin abaissé à moi.

Dieu ne manque pas d'en user de la sorte après qu'il a éprouvé et épuré l'âme : car cet état est très humiliant, surtout si les croix extérieures s’y joignent, ce qui ne manque guère, non plus que les tentations, l’ennui, l'envie de tout quitter et de retourner en arrière. Mais quand on [193] a souffert cet état, qui est préférable à tout autre, Dieu s'abaisse à nous, d'où vient que David dit : Dieu s’est enfin abaissé à moi. C'est que cet état humiliant beaucoup l'âme, et la faisant entrer dans son néant, se croyant si misérable et si peu de chose, Dieu s'abaisse d'autant plus vers elle qu'elle s'anéantit davantage.

6. Si on savait le bien qui revient à l'âme de cet état de pauvreté et de sécheresse, on le préférerait à tout autre. Mais Dieu ne permet pas que l'âme le connaisse qu'elle ne soit beaucoup avancée, car430 elle ne mourrait pas à elle-même. Quelque chose qu'on lui dise sur cela, elle croit avoir perdu le temps qu'elle a employé à faire l'oraison si elle n'a rien et que l'on ne lui donne quelque chose. Le vide n’accommode personne. Mais il faut attendre le Seigneur, et demeurer en paix dans sa douleur, la souffrir comme on souffre un mal de tête, faire une oraison de patience quand on ne peut la faire autrement. Cette oraison de patience est extrêmement utile pour faire comprendre à l'âme l'inutilité de ses efforts, qu'elle ne peut rien par elle-même, qu'il faut qu'elle attende le Seigneur, sans lequel elle ne peut rien ; que donc elle demeure unie à lui.

7. Mais comment demeurerais-je unie à lui si je ne l'aperçois pas, et s'il paraît qu'il m'a entièrement abandonnée ? Demeurez unie à sa volonté, qui veut que vous soyez de la sorte : préférez cette divine volonté à toutes les consolations et assurances possibles ; car Dieu ne vous envoie ces afflictions spirituelles qu'afin que demeurant [194] en paix dans votre douleur, votre vie croisse et se renouvelle. Mais comment, direz-vous, ma vie peut-elle croître dans une mort continuelle ? Vous apercevez-vous comment un enfant croît ? Point du tout. Il croît insensiblement et [de] malade en santé : ainsi votre vie croît insensiblement, comme un arbre pendant l'hiver.

8. Il est ajouté : afin que votre vie se renouvelle. Hélas ! Je ne sens point que la vie se renouvelle ! Je deviens de jour en jour plus misérable, ma mort augmente chaque jour ! - C'est cette misère, cette mort, cette perte de tous les appuis, qui vous donnera une nouvelle vie. Tout ce que vous souffrez sert à faire mourir le vieil homme ; il le faut poursuivre jusqu'à la mort ; il n'y a que Dieu qui le puisse faire. Et431 si vous mourrez avec Jésus-Christ, vous ressusciterez avec lui. A mesure que le vieil homme se détruit, le nouveau prend sa place432. On renaît, pour ainsi dire, de nouveau. Alors toutes choses sont rendues nouvelles433. Ainsi que dit saint Paul : tout est rendu nouveau. C'est un pays différent de celui où l'on a marché. Pour la privation de lumière, vous avez la lumière de Vérité, non pour vous satisfaire ni en être propriétaire, mais pour vous en servir au besoin. L'âme conserve une très grande délicatesse, qui l’a dégoûtée de tout sensible, distinct et aperçu, de tout amour d'elle-même, pour la faire passer avec Jésus-Christ, sa lumière et sa vie, en Dieu. Amen, Jésus !

1.22. Caractères singuliers des voies de Dieu.

Sur quelques paroles de saint François-Xavier434.

C'est assez Seigneur ! Et ensuite : Encore plus ! Ce sont les paroles de saint François-Xavier. Lorsque le seigneur comble Xavier de consolations, qu'il le favorise de ses grâces les plus abondantes, qu’il lui donne des témoignages sensibles de son amour, ce saint dit : C'est assez seigneur ! C'est assez, et plus que je ne mérite. Ce n'est point ses douceurs et ses consolations que je cherche ; c'est vous-même, c'est votre gloire, c'est pour vos seuls intérêts que je soupire : mon amour serait bien faible et bien indigne de vous, si je m'arrêtais à ces bagatelles. Je dis bagatelles, quoique j'en sois surcomblé, et que je m'en trouve tout à fait indigne. La moindre de vos faveurs est trop pour ce que je vaux : mais c'est trop peu pour l'amour que vous m'avez inspiré, et pour ce que vous méritez. Attirez par ces dons et ces grâces sensibles ceux qui ne vous connaissent pas encore, et qui ne vous aiment pas autant que je désire vous aimer. Répandez-les sur une infinité de peuples qui viendront à vous : ne les prodiguez pas sur votre serviteur, qui préfère la pauvreté et la nudité à tout le reste : ainsi, Satis est [196].

Mais lorsque Dieu le voulut rendre conforme à son Fils, après s'être assuré de son cœur par un déluge de grâce ; il lui retire sa consolation, l'accable de croix de toutes manières, [comme] la lassitude, la faim, la nudité ; il l'emploie au salut du prochain et il ne lui laisse rien pour lui-même : plus de consolations il lui a donné, plus il lui donne d'amertume. Xavier dit-il alors : Seigneur, c'est assez de croix intérieures et extérieures ? Point du tout. Il dit : Encore plus de croix, d'amertume, de délaissement ! Encore plus ! Peut-être, au Xavier, quand serez-vous rassasiés est comblée ? Encore plus ! Il n'y a plus à désirer pour vous que le martyre ; c'est ce qui doit couronner vos travaux. Je suis indigne, dit Xavier, du martyre ; c'est un morceau trop friand et trop glorieux pour moi. Encore plus !

Eh quoi Xavier, y a-t-il quelque chose de plus que le martyre ? Oui, c'est de mourir dans une ville déserte, abandonnée de Dieu et des hommes, manquant de toutes les choses nécessaires à la vie et pour la nourriture, et pour être à l'abri des injures des temps, mourir sous un arbre dans une île inhabitée : après avoir souffert tout ce qui se peut dire, souffrir la grossièreté des mariniers qui le haïssaient, et qui n'avaient rien à lui donner : un seul lui apporte quelques amandes, dont il ne pouvait faire nul usage à cause de l'extrémité où il était. Vous êtes, ô Xavier, plus que martyr, sans en avoir la gloire. Ô qu'une telle mort est désirable, et qu'elle renferme de grandes choses pour celui qui a le goût un peu affiné ! Ne serais-je pas blâmé si je dis que je trouve cet état préférable au martyre ? Ô qu'il est digne de notre grand Dieu, et du pauvre [197] Jésus ! Il ne vous restait un désir, ô Xavier, que vous n'aviez que pour glorifier Dieu, et pour étendre l'empire de Jésus-Christ, pour le faire connaître aux peuples innombrables de la Chine. Mais, qui le croirait, que mourir à ces désirs, et plus glorieux à Dieu que l'effet du désir même ?

O Dieu, que vos voies sont différentes de celles des hommes, et que ces mêmes hommes sont éloignés de les comprendre ! Vous vous glorifiez dans le renversement et la destruction. Vous préférez dans votre serviteur la mort à des désirs si grands, à des conversions apparemment nombreuses. L'anéantissement et la mort à tout dans un si grand saint vous rendent une gloire digne de vous. Vous enlevez du monde ceux qui sont les plus capables de soutenir le bien ! Vous enfermez dans les cachots ceux à qui vous aviez donné les paroles de vie, et qui faisaient des conversions si nombreuses ! O sagesse, qui paraît imprudente à l'homme charnel, et qui est plus sage que toute sagesse ! Vous vous faites des instruments ; vous êtes des siècles à les faire ; et lorsqu'ils sont le plus en état de vous enlever des cœurs, vous les ôtez ! C'est ainsi que vous avez fait à la source de la vie ; vous l'enlevez à trente-trois ans, vous l'avez prêté, lui qui avait les paroles de la vie éternelle, puisqu'il était votre Verbe. Ô indépendance de tous moyens, vous n'avez besoin d'aucun ! Vous vous glissez par vous-mêmes dans les cœurs. Vous vous servez peu de temps de grands hommes ; vous les enlevez, et vous vous servez de ce qui est le plus faible pour confondre les choses fortes435 et pour vous servir d'instrument ; afin [198] que la force dont soit point attribué à l'homme, mais à vous Seigneur, dont la gloire et la puissance dureront les siècles des siècles. Amen, Jésus !

1.23. De l'aveuglement originel ; et de sa guérison.

Sur ces paroles de saint Jean et de Jésus-Christ : Jésus-Christ prit de la boue et en frotta les yeux de l'aveugle né. Et il lui dit : Allez au lavoir de Siloe. Jean 9 6,7.

Nous sommes tous des aveugles-nés. Nous avons apporté cet aveuglement en naissant ; nous le tirons d’Adam, qui voulut être semblable à Dieu : Si vous mangez ce fruit, lui dit le Démon, vous serez comme Dieu, discernant le bien et le mal436. La parfaite innocence ne discerne ni le mal, ni le bien : elle ignore le premier, et elle ne voit point le bien en soi. Mais il arriva à Adam tout le contraire de ce que le Démon lui avait dit : il ne discerna plus la vérité, il prit le mal pour le bien, et le bien pour le mal. C'est donc cet aveuglement que nous apportons en naissant que Jésus-Christ est venu guérir, lui qui est la lumière du monde. Il a renversé la propre excellence et [199] l'orgueil par l'état pauvre et ravalé qu'il a voulu embrasser : mais il nous a appris surtout dans la guérison de l'aveugle-né, quelle est notre maladie, et le moyen de la guérir.

Notre aveuglement est venu de vouloir être semblable au très haut. Jésus-Christ guérit cet aveuglement par la boue, qu'il applique sur les yeux malades. C'est donc cette boue qui les éclaire. De quoi cette boue et elle composée ? De la terre dont nous sommes formés, et de la salive de Jésus-Christ, qui représente la Sagesse. C'est par une économie admirable de la Sagesse que nous sommes éclairés : mais il n'y a que la boue qui le puisse faire. Il faut que cette Sagesse détrempe, pour ainsi dire, la terre dont nous sommes formés, et qu'elle en fasse une boue salutaire.

O mystère, mystère de la Sagesse toute-puissante de Dieu ! C'est cette boue qui doit guérir l'orgueil qui nous aveugle. Mais cette boue n'est que passagère ; elle ne doit pas être toujours appliquée sur les yeux de l'aveugle ; il faut qu'il aille au lavoir de Siloe. Les eaux du lavoir de Siloe étaient des eaux calmes et tranquilles. Il faut que pour être éclairé par la boue nous joignons le calme et la tranquillité du dedans à la confusion et à l'humiliation du dehors ; et c'est la boue et l'eau de Siloe, qui éclairent et qui purifient. [200]



*1.24. Des renoncements de plusieurs sortes exigés de Jésus-Christ.

Sur ces paroles : Celui qui ne renonce pas à tout ce qu'il possède, n'est pas digne d'être mon disciple, dit Jésus-Christ. Luc 14, 33.

Presque tous les hommes ont pris cela matériellement, et ont cru, qu'il suffisait de quitter les biens temporels, les honneurs, les dignités : mais tout cela étant hors de nous, et nous pouvant être ôté par les puissances et par les accidents, ne sont pas proprement des choses que nous possédons ; puisque nous ne possédons point ce qui est hors de nous. Il y a encore la beauté, la réputation, etc. Tout cela peut nous être enlevé, et ne fait par conséquent que la moindre partie du renoncement, et du plus grossier. Il y a de plus les dons de Dieu, et les vertus, pris en la manière de la créature. Je mets au rang des dons de Dieu les grâces gratifiées, les visions, révélations, extases, ravissements, paroles intérieures, don de prophétie ; et au rang des vertus, toutes celles que [201] nous avons tâché d'acquérir par la force active aidée de la grâce. Ce sont proprement ces choses que nous possédons, que nous regardons comme notre bien propre ; et qui sont d'autant plus à nous, que nous les possédons au-dedans, que nulle créature ne nous les peut ôter si nous ne voulons.

Or je dis, que ce sont ces choses que nous devons renoncer en ce qu'elles ont qui nous appartient, et que nous regardons comme notre propre. Il n'y a que Dieu qui puisse nous enlever ces biens. Il le fait, et nous en ôte la propriété. C'est où gît le parfait renoncement, étant ce à quoi nous tenons le plus. Il faut nous laisser dépouiller de toutes ces choses, afin que Dieu reprenne ce qui est à lui : nous les retrouverons en lui sans rien de propre pour nous : et nous ne pouvons être vrais disciples de Jésus-Christ sans ce renoncement, j'entends de ces disciples dont il parle lorsqu'il dit437 : Nous viendrons à lui, nous ferons notre demeure en lui. Et ailleurs438 : Je souperai avec lui. Le souper est la persévérance finale, qui conduit à la gloire éternelle pourvu que nous renoncions même à ce que nous avons de propre et d'intérêt particulier dans les biens de la gloire.

Il y a encore le renoncement du propre esprit et du raisonnement, pour l'assujettir à la foi. Il y a encore le renoncement de notre liberté, qu'il faut donner à Dieu comme à notre roi, afin qu'il ne nous en laisse plus faire usage ; mais qu'il en dispose en souverain : c'est ce qui nous fait demander, adveniat regnum tuum, [votre Royaume vienne.] C'est là le grand renoncement dès qu'il est accompagné [202] de celui de la volonté propre, laquelle il faut quitter si absolument, qu'il ne nous en reste plus d'usage. C'est pour cela que Jésus-Christ, outre la demande qu'il nous fait faire au Pater, Fiat voluntas etc. [votre volonté soit faite,] a dit ces paroles : Si quelqu'un fait ma volonté, mon Père l'aimera ; nous viendrons à lui, et nous ferons notre demeure en lui. Cette faveur la plus grande de toutes ne peut s'obtenir que par la perte de toute volonté. C'est ce renoncement qui est le plus parfait ; et qui faisant écouler la volonté de l'homme en celle de Dieu, où Dieu la change en la sienne, fait aussi passer et perdre l'âme en Dieu, ce qui est la consommation de tous les biens dans leur fin ; où l'âme perdue dans cette même fin trouve toutes les vertus dans leur principe, où elles ne sont plus sujettes au changement et à la corruption, comme elles sont sujettes lorsqu'elles sont en nous-mêmes et que nous les possédons propriétairement.

En Dieu, toutes les vertus attribuées à Dieu sont Dieu, faisant en Dieu un tout indivisible : mais lorsqu'elles sont reçues dans la créature, elle deviennent un don créé, que la malignité de la créature peut corrompre. De plus, il y a des vertus qui sont incompatibles ensemble tant qu'elles sont dans la créature : en Dieu elles y sont toutes sans incompatibilité et sans confusion. C'est donc par leur perte en manière créée, qu'on les retrouve dans leur source et dans toute leur pureté : l'âme en jouit en Dieu ; non en se les appropriant, mais en les laissant où elles doivent être avec une extrême complaisance, les trouvant pour s'en servir lorsqu'elle en a besoin. [203]

Pour faire comprendre la différence des vertus prises en Dieu même, ou de celles qui sont reçues dans la créature, et qu'elle possède propriétairement, je me servirai de la comparaison de la pluie. Vers le ciel et dans la nuée la pluie est pure et nette ; mais elle ne tombe pas plutôt sur la poussière, qu'elle en fait de la boue. Tous les dons et toutes les vertus en Dieu, sont toutes pures : mais elles ne sont pas plus tôt tombées en nous, que la propriété les gâte et les salit ; de sorte qu'il n'y a que le feu de la divine justice qui les puisse purifier. Ce feu agissant sur cette boue, en tire, comme par un alambic, l'eau pure des dons de Dieu et des vertus, et les fait retourner au lieu dont elles sont parties ; et c'est où l'âme en jouit en manière divine.

*1.25. Que Dieu se trouve par le délaissement et la désappropriation.

Taulère demandait au mendiant où il avait trouvé Dieu ; qui lui répondit : où je me suis quitté moi-même. Ô les admirables [204] paroles ! On se plaint qu'il y a longtemps qu'on cherche Dieu sans le pouvoir trouver, quoique notre Seigneur nous ait assuré que qui cherche, trouve439. C’est que nous voulons trouver Dieu sans nous quitter nous-mêmes. Dieu ne se donne qu'à celui qui se renonce soi-même. Les amateurs d'eux-mêmes disent que c'est une chimère et une imagination qui nous porte à croire qu'on peut trouver Dieu et le posséder en cette vie. Ils assurent qu'on n'en jouira que dans la gloire. Ils nient tout ce qu’ils n'ont pas éprouvé. Et comment l’éprouveraient-ils, eux qui se conservent avec tant de soin, eux qui s'aiment plus que Dieu, et qui avouent qu'ils n'aiment Dieu que par rapport à eux et aux biens qu'ils en attendent ? Qu’ils se renoncent eux-mêmes, qu’ils laissent leur propre intérêt et tout ce qui a rapport au moi, qu'ils se résignent en temps et en éternité : alors ils trouveront Dieu, et ils avoueront qu'ils ont trouvé là où ils se sont quittés eux-mêmes, et non en tous leurs autres exercices, quelque sublimes qu'ils leur paraissent.

Si on savait le bonheur de l'entière désappropriation, qui est se quitter soi-même et tous les apanages du moi, on serait dans un empressement de se défaire de soi-même ; on ne voudrait plus avoir d'autre intérêt que celui de Dieu ni d'autre gloire que la sienne ; on ne ferait non plus de cas de soi que d’un ver de terre : quand on nous écraserait, qu'on nous foulerait aux pieds, quand on nous ferait toutes sortes de mauvais traitements, on ne s'en affligerait pas, ne prenant non plus d'intérêt pour soi-même qu'on en prend pour un ver qu'un [205] jardinier écrase ou fend avec sa bêche. Mais nous prenons un intérêt infini pour nous-mêmes ; et c'est la cause des haines, des querelles, des meurtres, empoisonnements, etc., ce qui fait voir que la propriété est la source de tous les crimes, comme l'entière désappropriation en est l'extinction.

On regarde la désappropriation comme une œuvre de surérogation440 ; et c'est ce qui est le plus nécessaire, et même le seul nécessaire. Quittez-vous, vous quittez tous les vices, et vous trouvez Dieu qui est la source de toutes les vertus. On passe sa vie, je dis les meilleurs, à combattre les vices sans en pouvoir entièrement déraciner un seul, et ainsi, sans acquérir la vertu contraire (car la destruction entière d’un vice donne la vertu contraire au vice détruit : par exemple, une personne en qui l'orgueil serait parfaitement détruit, aurait une parfaite humilité). Quittez-vous, renoncez-vous, mourez à vous-même ; et par là vous trouverez tout, non en vous, mais en Dieu, où les vertus sont toutes parfaites. Si vous êtes morts, comme dit saint Paul441, votre vie est cachée avec Jésus-Christ en Dieu.

Le mort laisse faire de lui tout ce qu'on veut : si on le met dans un trône élevé, il ne le sent pas ; si on le jette dans la boue, de même ; si on l'enterre, ou que les bêtes le dévorent, il n'y pense pas ; si on lui dit des injures ou des louanges, il ne l'écoute pas : c'est ainsi que doit être le mort et le renoncé ; car se renoncer soi-même, se quitter, et mourir à soi est la même chose. Pour être parfaitement renoncé, il faut mourir tous les moments de la vie, [206] souffrant à chaque instant tout ce qui se présente à souffrir, soit de la contradiction des hommes, de leur naturels divers et opposés, soit ce que nos imprudences, nos faiblesses, nos misères nous font souffrir ; et cela continuellement et sans relâche. Il faut renoncer absolument à soi-même par une résignation parfaite entre les mains de Dieu, sans nous mettre en peine de ce qu'il fera de nous en temps et en éternité ; le laisser faire en nous sa sainte volonté et nous traiter à son plaisir, songeant que nous ne sommes plus à nous-mêmes, mais à lui442. Ainsi, plus Dieu nous est rigoureux, plus les hommes nous méprisent et nous maltraitent, plus nos misères nous accablent, plus la pauvreté et les maladies nous affligent, plus aussi devons-nous être contents, parce que cela nous fait plus promptement abandonner ce moi-même, que je dois haïr infiniment et à proportion de ce que je dois aimer Dieu. Si on nous disait que sitôt que nous quitterons une maison où nous sommes renfermés, nous aurons un empire, quelle joie de voir détruire cette maison ! Et ne bénirions-nous pas tous les coups de marteau qu'on donnerait pour la démolir ? Nous serions ravis qu'on la dépouille de tous ses ornements pour la voir réduite en cendres.

Dieu aime l'homme d'un amour proportionné à ce qu'il est; il ne veut point nous faire souffrir : lorsqu'il nous afflige, qu'il paraît nous rebuter, s'éloigner toujours plus de nous, c'est pour nous porter à nous haïr et nous quitter nous-mêmes ; car il est impossible que Dieu habite avec la propriété, source de tout maux. Plus nous avons de propriété, plus nous sommes mauvais. Notre malice diminue à proportion que notre propriété se détruit : c'est pourquoi il est écrit que Dieu ne demeurera jamais dans une âme maligne et assujettie au péché443. Celui qui est sous la propriété est assujetti au péché, puisqu’elle est la mère et la source du péché. Si Adam n'avait pas voulu être semblable à Dieu, qui est la plus forte propriété, il n'aurait point été propriétaire ni ses enfants, et le péché ne serait point venu habiter en nous. Toutes nos usurpations sont les fruits de la propriété. Quittons-nous, et nous quitterons toutes les usurpations en quittant tout intérêt pour nous-mêmes.

On nous apprend que la conversion est un détour de la créature et un retour vers Dieu. Or de toutes les créatures, la plus dangereuse c'est nous-mêmes : quittons ce nous-mêmes, et toutes les autres créatures ne nous pourront nuire. Pour nous convertir comme il faut, il faut nous détourner absolument de nous, pour nous approcher de Dieu. À mesure que nous nous renonçons, nous approchons plus de Dieu, jusqu'à ce que nous étant quittés nous-mêmes, nous le trouvions absolument. La conversion qui n'est que superficielle, est peu de chose, et de peu de durée. Il faut chercher Dieu de tout le cœur, et où le chercher ? Dans son royaume. Où est son royaume ? Il nous l'apprend lui-même : Le royaume de Dieu est au-dedans de vous444. Il faut nous séparer de tout ce qui est hors de nous ; et enfin, après nous être fort enfoncés en nous par un fort recueillement, il faut nous outrepasser nous-mêmes par un renoncement parfait ; alors nous passons en lui, nous ne cherchons plus son royaume en nous, mais nous sommes [208] transportés en lui par l'entière désappropriation et la charité parfaite, qui est l'amour pur. L'amour nous chasse insensiblement de nous-mêmes, et nous perd en notre fin dernière. À mesure que la propriété diminue, la charité, ce feu dévorant et consumant, croît en nous ; et son accroissement détruit insensiblement la propriété, comme le feu croît à mesure qu'il détruit les obstacles qui l'empêchent de s'étendre. Or comme la propriété le tient resserré, il faut qu'il la détruise pour s'étendre : il faut que notre nous-même cède la place à Dieu, et alors, nous trouvons Dieu dans le même endroit où nous nous sommes quittés nous-mêmes. Heureux celui qui suit la route du renoncement, car il trouvera la vérité, et il sera éclairé de sa lumière.

Ce chemin est long. Celui qui ne veut qu’essuyer le dehors du vase, paraît parfait à ses yeux en peu de temps et à ceux d'autrui ; mais celui qui veut bien perdre sa propriété et être purifié radicalement, est bien éloigné de paraître parfait : ce n'est pas où il tend, mais à être entièrement détruit afin que Dieu règne seul en lui. Lorsqu'on abat une maison pour en bâtir une nouvelle, on fait bien de la poussière, bien du fracas ; mais lorsqu'on ne fait que reblanchir une maison, cela est bientôt fait. On a beau blanchir une vieille masure, elle est toujours vieille. On a beau orner le vieil homme, c'est toujours le vieil homme : il faut qu'il soit détruit, afin que l'homme nouveau prenne la place. Tout ceci ne se peut opérer que par un véritable intérieur qui soit passif sous la main de Dieu. Nous nous aimons trop pour nous détruire : il faut que Dieu le fasse lui-même. Il le fait et par lui-même, et par les créatures qu’il emploie, qui [209] avec bien des coups de marteau détruisent l'édifice. Nos misères, nos défauts, nos faiblesses, sont la poussière qu'il faut essuyer. Ne nous amusons pas à reblanchir notre vieille maison : elle menace ruine, et peut nous écraser dans sa chute ; mais laissons-nous détruire par le divin Architecte, qui en fera une nouvelle qui ne sera point construite par la main des hommes445. Si nous agissons autrement, nous méritons le reproche que Jésus-Christ faisait aux Juifs, les appelant des sépulcres blanchis446. Laissons-nous dépouiller du vieil homme pour nous revêtir du nouveau.

Il y a deux degrés de dépouillement, de mort et de renoncement. Les uns se dépouillent du vieil homme et se revêtent du nouveau, mais ce n'est que comme d’un vêtement : ils changent d'habits, quittant les manières du monde et du vieil Adam pécheur. Ce n'est pas assez que cela ; il faut mourir entièrement au vieil homme, afin que Jésus-Christ soit notre résurrection et notre vie. Il faut renoncer si absolument à nous-mêmes, nous quitter si entièrement, que nous puissions dire avec saint Paul : Je ne vis plus, moi ; mais Jésus-Christ vit en moi447. Il faut avoir dit efficacement auparavant : A Dieu ne plaise que je me glorifie en autre chose qu’en la croix de notre Seigneur Jésus-Christ448. Il s'est anéanti soi-même ; il faut nous anéantir.

Ce mot d'anéantissement ne signifie autre chose que l'entière destruction du vieil homme par la désappropriation. Tout âme désappropriée est régénérée, et est faite nouvelle créature en Jésus-Christ. Alors le même Jésus-Christ étant [210] (pour ainsi dire) formé en nous, comme dit saint Paul449, il nous entraîne avec lui dans l'unité, nous faisant recouler en notre principe, où nous demeurons cachés avec Jésus-Christ en Dieu450. Tout ceci ne se fait que par le délaissement de nous-mêmes. Ce n'est pas assez de nous quitter, il faut nous oublier comme ce qui n'a jamais été ; il faut être si fort étranger à nous-mêmes que nous ignorions si nous avons été. Mais qui est-ce qui arrive là ? Je le vois de loin. Dieu nous fasse la grâce d'y arriver tous ! Amen, Jésus !

*1.26. Le vrai et le faux dénuement

1. Comme je ne doute point que Dieu ne vous appelle dans la suite à aider les âmes, je suis bien aise de vous précautionner sur deux inconvénients, ou plutôt deux écueils, qui arrivent en la vie spirituelle.

Il y a des âmes si fort attachées à leurs pratiques qu'elles ne veulent jamais les quitter lorsque [211] Dieu veut agir en elles, ce qui fait qu'elles restent toujours en elles-mêmes, qu'elles n'avancent point dans la vie de Dieu, et qu'elles sont les mêmes au bout de trente ans qu'elles étaient au commencement, suivant toujours leur route et leur méthode particulière. D'autres au contraire, ayant ouï estimer l'état de dénuement, s'y mettent d’elles-mêmes et s'y précipitent avant que d'avoir passé par une bonne mortification et une pratique solide de toutes les vertus chrétiennes, ces personnes ignorant même les principaux mystères de notre religion, et ne s'étant jamais appliquées à les pénétrer profondément.

Les uns et les autres se méprennent beaucoup : les premiers, par trop d'arrêt à leur pratique ; et les seconds, pour avoir quitté sans vocation ces mêmes pratiques.

2. Il faut, pour éviter ces écueils, que les premiers se laissent dénuer lorsque Dieu le leur demande ; et que les seconds comprennent qu'il ne se faut jamais dénuer par soi-même. Il faut essayer de monter de vertu en vertu, tantôt, au commencement, [en manière] active, ensuite plus simple, puis passive. Celui qui n'a jamais rien acquis, comment peut-il perdre et être dénué ?

Le dénuement n'est pas, comme j'ai dit, l'ouvrage de l'homme, mais celui de Dieu. Quand Dieu voit une âme fidèle à le chercher de tout son cœur dans les commencements (ainsi que j'ai dit) par des pratiques plus multipliées, ensuite par une voie plus simple, mais pleine d'affection et d'amour, éprouvant au fond de son âme une certaine tendance amoureuse, mais simple, vers son Dieu, Dieu lui envoie alors [212] des grâces qu'elle reçoit passivement. Elle ne peut plus faire les actes qu'elle faisait autrefois : l'amour lui ferme la bouche. Elle sentirait bien que si elle en voulait faire, elle se ferait violence, qu'elle se distrairait, qu'elle empêcherait l'opération de Dieu ; elle éprouverait en voulant se multiplier, qu'elle perdrait insensiblement cet amour simple, doux et tranquille. Elle se nuirait infiniment, et perdrait par là peu à peu le don de la foi, qui commence à lui être donné en cet état non pour agir, mais pour suivre Dieu pas à pas, et se laisser conduire où il la veut mener. Ce degré s'appelle celui de foi savoureuse, qui précède la foi nue ou l'état de dénuement.

3. Il est aisé de voir par le peu que je viens de dire, que l'âme ne doit point se dénuer par elle-même, mais suivre Dieu, et s’en rapporter aux personnes d'expérience lorsque l'on en a quelques-unes : on ne peut se méprendre par cette conduite.

Dieu ayant conduit l'âme quelque temps par cette foi savoureuse, il l'invite amoureusement à lui faire une remise et un abandon total de tout ce qu'elle est, à lui faire un don irrévocable de sa liberté : alors il prend possession de cette âme, il la vide, il la dénue de tout ce qui n'est point lui, de tout ce qui paraît bon et grand à ses yeux, de tous les appuis qu'elle avait dans les dons créés, etc. Il ne la vide pas cependant pour la laisser vide, mais pour la remplir de lui-même. Il ne la vide de bonnes et saintes pratiques que pour la vider en même temps de son amour-propre, de l'attache qu'elle avait à ces choses et des appropriations qu'elle s'était faite des dons de Dieu, de l'appui qu'elle avait pris dans les [213] pratiques des vertus, d'un certain mérite qu'elle croyait avoir acquis, d'une certaine enflure secrète qu'elle ne connaissait pas. Dieu sape tout jusqu'au fondement ; et afin de lui faire sentir que c'est lui qui est son Sauveur, et qu'elle n'avait rien qui ne lui appartînt, il reprend ce qui est sien. Alors l'âme, sans aucun effort ni sans qu'elle sache comment, se trouve privée de tous ces biens qu'elle possédait propriétairement, sans qu'elle puisse s'en donner aucun par tous ses efforts. Elle comprend alors qu'elle n'est que misère et pauvreté, que Dieu ne lui a fait aucun tort, qu'il la fait que reprendre ce qui était à lui, et qu'elle est restée dans la nudité, la faiblesse, l'impuissance et l'appauvrissement de tout bien.

4. Avant que l'âme puisse comprendre cela et en faire usage, combien de peines, combien de douleurs ? Elle fait tous ses efforts pour retenir ses biens, qui lui sont enlevés comme malgré elle. Elle ne cesse de combattre et de se défendre que par l’impuissance où elle se trouve de le pouvoir faire. Que de pleurs ! Que de gémissements ! Une âme est heureuse en cet état si elle trouve quelqu'un qui la porte à se laisser entre les mains de Dieu afin qu'il se fasse justice à lui-même. Car c'est alors que Dieu fait comme le jugement que l'âme : il lui ôte tout sans miséricorde, il lui fait voir jusqu'au fond de ses propriétés et de ses larcins. Alors l'âme, toute confuse, entre contre elle-même dans le parti de Dieu, et veut bien qu'il se fasse justice à soi-même : elle comprend que tous les riches meubles dont elle était ornée, n'étaient que451 des rapines. Alors elle se contente d’être dépouillée de tout, et demeure [214] tranquille dans son néant comme le lieu qui lui appartient. Et c'est alors qu'étant comme Dieu la veut, il vient en elle en magnificence, non pour la satisfaire elle-même, mais pour se contenter. Elle demeure comme à l'écart, honteuse d'avoir cru posséder quelque bien et pouvoir quelque chose ; elle laisse Dieu agir en Dieu, elle n'y prétend rien, son néant est tout ce qu'il lui faut. Et c'est le dessein de Dieu d'agir en maître dans une âme lorsqu'il la dépouille des biens qu’il lui avait donnés. Cet état est très long, et on lui donne divers noms : dépouillement, mort, anéantissement.

5. Le dépouillement commence l'état, parce que Dieu dépouille l’âme peu à peu, et parce qu'elle ne pourrait porter d'abord un dénuement trop fort. Ce qu'on appelle dépouillement, est seulement des choses qui sont ou comme étrangères à l'âme ou comme hors d’elle dans les sens et les puissances, enfin tout ce qui n'est pas essentiel pour elle, comme les dons, grâces, faveurs, vertus comprises et pratiquées avec facilité.

Ensuite on la prive de quantité de vies qu'elle avait en toutes choses, et cette privation s'appelle mort, au commencement plus légère, et ensuite plus profonde, en sorte que Dieu ne laisse pas à l'âme un respir propre, ni rien qu’elle puisse faire par elle-même, et en quoi elle était vivante. Une personne qui n'a plus de biens, ne laisse pas de vivre encore, et elle peut avoir une santé fort robuste ; mais quand on la prive des aliments nécessaires à sa santé, elle s'affaiblit peu à peu, et elle tombe dans une langueur mortelle ; ensuite la privation des choses les plus nécessaires à la vie lui cause la mort. Ainsi il y a une très grande différence [215] entre le dépouillement et la mort puisque le dépouillement ne nous ôte que ce qui est au-dehors et superficiel ; mais la mort non seulement nous arrache ce qui est de plus foncier, mais elle sépare et divise tout : non seulement toutes les inclinations, toutes les attaches, mais jusqu'à la moindre tendance à avoir et à posséder ce que l'on a perdu. Ce n'est pas assez : elle divise l'âme d'elle-même, ne lui laissant rien où elle puisse s'appuyer, ni la moindre chose en quoi se repaître. Elle fait plus : elle semble diviser l’âme d'avec son Dieu, ce qui pourtant n'est point en vérité (car l'âme n'en fut jamais plus proche qu’en cet état de mort), mais il n'y a rien pour elle qu'elle puisse voir et connaître, puisque si elle pouvait en discerner quelque chose, elle ne mourrait pas. Comme Marthe dit au Seigneur452 : Si vous aviez été ici, mon frère ne serait pas mort. Il faut donc qu’il ne reste à l'âme aucune vie, quelque petite qu'elle soit, afin que Jésus-Christ devienne sa résurrection et sa vie.

Tant que l'âme vit encore, elle sent douloureusement sa mort ; mais lorsqu'elle est morte, elle ne sent plus rien. Il lui reste néanmoins des yeux pour voir l'état où elle se trouve et celui dont elle est déchue, qui était sa vie ; mais il ne lui en reste point pour pleurer son état : à force d'avoir répandu des larmes dans tout le temps de la mort, il ne lui en reste plus à répandre. Elle devient dure et insensible, il semble qu'elle ait perdu tout être et toute subsistance, et c'est ce qu'on appelle anéantissement.

6. Vous voyez, par tout ce que je viens de dire, de quelle conséquence il est de ne se point [216] dénuer par soi-même. [Le faire par soi-même] n'est pas proprement un dénuement, puisque qui n'a rien possédé, n’a rien à perdre : c'est plutôt un état de stupidité et de fainéantise, où l'on se met soi-même, parce qu'il est plus facile à cause de la paresse naturelle, et parce que la nature craint toujours de se combattre, de se vaincre et de se surmonter. On n’aime point aller contre ses propres sentiments : la violence qu'il se faut faire n'accommode guère ; on aime une perfection aisée, qui en porte le nom sans en avoir l'effet. D'ailleurs, l'amour de la propre excellence fait qu'on se jette volontiers dans les états que tous les auteurs mystiques relèvent si fort.

7. Mais que ces personnes considèrent à quel prix on les acquiert, et ce qu'il coûte à ceux à qui Dieu les donne. Combien de croix, de douleurs et d'amertumes ? Ceux qui se mettent là par eux-mêmes, s'y trouvent bien : rien ne les combat ni les traverse. Comme ce n'est point Dieu qui les conduit, mais bien leur caprice, ils n'ont ni les douceurs de la grâce, ni ses amertumes. Ces gens-là se croient fort bien, ils sont très contents d'eux-mêmes ; ils sont enflés d'un état qu'ils regardent comme sublime, quoiqu'ils ne soient pas encore au premier alphabet de la vie spirituelle ; ils méprisent même ceux qui tâchent de trouver Dieu par les bonnes pratiques, et qui le cherchent de tout leur cœur. Ils s'érigent en censeurs de tout le monde : ils n’estiment qu’eux et ce qui vient d’eux. Au lieu que les personnes appelées de Dieu au dénuement n’ont d’yeux que pour se regarder de travers : ils ont un mépris infini pour toutes leurs œuvres ; quoi qu'ils fassent et quoi qu'ils souffrent, ils [217] ne sont jamais contents d'eux-mêmes ; quand ils souffriraient les plus grands tourments, il croirait encore n'avoir rien souffert ; ils ne croient mériter que des châtiments ; ils estiment les autres bien meilleurs qu’eux ; ils se voient si bas et si petits qu’ils ont honte d'eux-mêmes. Les autres au contraire, en se nourrissant d’une vaine idée d'état sublime, ne croient pas que Dieu ait assez de récompense pour eux, quoiqu'il y ait bien à craindre pour leur salut. Cette différence, ce me semble, dans le peu que j'en ai dit, est assez pour vous guider et ne pas vous laisser méprendre. Vous avez déjà tant d'autres lumières qu'il vous sera aisé de ne vous pas tromper. Je prie Dieu qu'il vous comble de ses grâces et de son amour.

*1.27. Le dénuement d'images, ou d'idées, renferme la réalité d'elles toutes.

On parle453 avec étonnement des images qui se sont trouvées représentées sur les [218] reliques du corps454 du Bienheureux Jean de la Croix quelque temps après sa mort, ce qu'on n'a jamais ouï dire d'aucun saint. Il est à remarquer que tous les écrits du bienheureux Jean de la Croix sont une doctrine mystique très profonde, qui fait voir que l'âme doit être dégagée de tout ce qui est sensible et matériel, de toutes images, même les plus sublimes, comme visions, révélations, etc., pour s'élever au-dessus de tout cela par la foi pure, nue, et dégagée d’espèces, ce qu’il appelle Nuit obscure, qu'il décrit parfaitement bien. Dieu a voulu faire voir que le détachement et l'outrepassement de toutes ces choses par la foi n’ôtait point à l'âme leur réalité ; mais seulement ce qu'elles ont de grossier et de matériel, en tant qu'elles sont à l'âme un obstacle qui l'empêche d’arriver en Dieu, notre principe et notre dernière fin. Car ces choses tenant l'âme fixée en elle-même, et embarrassée par leur multiplicité, elle ne peut voler à lui si elle n'en est séparée ; parce que Dieu est esprit, et qu'il veut des adorateurs en esprit. Dieu donc a permis que le corps du bienheureux Jean de la Croix fut imprimé au dehors de ces mêmes images, pour convaincre tous ceux qui en furent témoins et qui en ont ouï le récit, que l'impression des mêmes images sans images reste en réalité dans l'âme.

Par exemple : une personne ne se peut faire d'images de Jésus-Christ crucifié, ni enfant, etc., parce que le propre de la foi est de dérober [à l'âme] toutes espèces, images, distinction, multiplicité, pour la porter à agir avec Dieu purement et d'une manière proportionnée à ce qu'il est, (avec toutes les différence pourtant [219] qu'on y doit mettre ;) cela n'empêche pas que l'âme ne porte réellement les états de Jésus-Christ ; mais c'est sans images. C'est non seulement un goût et une inclination pour tout ce qui est des états de Jésus-Christ ; mais une réalité si grande, qu'on est incessamment crucifié dehors et dedans, portant au dehors, comme dit saint Paul455, les marques de Jésus-Christ ; et au-dedans, la participation de son calice : et ce qui est autant surprenant qu'il est certain, c'est qu'une telle âme sans savoir comment cela se fait est beaucoup plus éclairée de Jésus-Christ, que ceux qui passent leur vie à raisonner sur Jésus-Christ, qui ont des visions et s’en font des images.

Les inclinations de Jésus-Christ sont imprimées profondément en cette âme, comme l'amour de la pauvreté, des souffrances, une simplicité enfantine. Quand une telle âme n'aurait jamais été instruite en détail des pures maximes de l'Évangile, elle serait imprimée en son fond comme un cachet sur la cire. C'est ce que voulait dire l'Epoux à son Epouse dans les Cantiques456 : Mets moi comme un cachet sur ton cœur et sur ton bras ; sur ton cœur, par les mêmes inclinations que j'ai eues. Je n'ai point cherché ma propre gloire, mais celle de mon Père qui m'a envoyé : aussi une telle âme abhorre sa propre gloire plus que la mort, elle ne veut que la gloire de Dieu même à ses propres dépens. Elle apprend dans ces sacrées ténèbres457 ce que c'est que l'entière désappropriation, signifié par la pauvreté spirituelle, et le renoncement [220] à soi-même, haïr sa propre âme. L'amour pur, produit par la haine de soi-même, est infus en l'âme. L'enfance sainte de Jésus-Christ, y est de même et dehors et dedans, l'âme étant d'autant plus simple au dehors qu'elle est davantage au-dedans. Et il ne faut pas croire que cette simplicité enfantine empêche la souffrance de Jésus-Christ : nullement ; mais cette croix est portée en enfant : on n’en fait pas un grand cas en l'exprimant ; on n’en parle plus avec emphase ; mais elle est regardée comme rien de celui qui souffre, à cause de l'impression des souffrances réelles de Jésus-Christ : non en comparant les nôtres aux siennes par réflexion, mais cela est réellement imprimé dans l'âme. Il est certain que ce qu'on appelle de grandes croix, sont pour l'âme régénérée ; mais elle n'y pense pas, elle n'y fait presque point d'attention. L'impression de Jésus-Christ en elle est telle et si profonde, qu'elle ne laisse nulle place à toute autre impression : mais remarquez que ceci est sans pensée ni images.

L'Epoux dit encore à l'Epouse (dans le passage que l'on vient d'alléguer du Cantique,) de le mettre comme un cachet sur son bras ; car les impressions de Jésus-Christ par dedans passent sur les actions du dehors.

Dieu voulant donner à connaître que la voie de la foi, dont le bienheureux Jean de la Croix a tant écrit, donnait en réalité ce que les autres ont en image, permit qu'après sa mort ces mêmes images ou espèces, dont il avait été si fort dégagé lui-même, et dont il avait enseigné le détachement, fussent vues imprimées après sa mort dans toutes les parties de son corps, pour un témoignage de la bonté de la voie qu'il avait [221] enseignée lui-même, fermant par là la bouche à ceux qui s'imaginent, que pour être imprimé de Jésus-Christ et pour l'exprimer au dehors, il faille raisonner beaucoup, et étudier ces matières. Ils sont comme un peintre qui fait dans son imagination le portrait d'un grand personnage dont il a ouï parler ; ce qui a très peu de rapport et de ressemblance à lui : au lieu que la voie de la foi fait le même effet que si ce grand personnage formait lui-même son effigie dans la cire, tous les traits y seraient représentés au naturel. Je sais que tant que l'opération dure, on n'y discerne rien, mais lorsque l'ouvrage est accompli, on le voit très ressemblant, et c'est un portrait achevé. Il en est de même de la sainte Vierge et des saints : perdant les images et pensées d'eux, on éprouve une union très étroite, un goût d'inclination sans espèce, et surtout, pour ceux avec qui on a plus de conformité. De dire comment cela est, quoique sans images, c'est ce qui ne se peut ; mais on ignore pas le saint auquel on est uni de la sorte. Une simple pensée de la Vierge ou de ce saint soit comme étant au ciel, soit comme étant sur terre, réveille cela. Mais il faut être fort avancé pour que cela soit de la sorte ; car dans tout le temps de la voie on n'éprouve rien de semblable ; parce que l'âme serait arrêtée par ces choses : au lieu que l'âme arrivée en Dieu, trouve en lui sans multiplicité ce qu'elle a perdu pour le trouver seul et à l'écart : elle est en lui avec ceux qui sont passés en lui ; c'est où tout se trouve en unité. On éprouve en cet état, que la vue d'un tableau de Jésus-Christ fait l'effet du vif ; c'est-à-dire, que c'est comme toucher une corde qui est dans le plus [222] intime de l'âme, et cette corde répond, mais en manière très pure et réelle.

O si on voulait bien ne pas agir selon ses idées, ou selon celle des personnes sans expérience et qui ne sont jamais sortis de la sphère de leur propre raisonnement, quel progrès ne ferait-on pas ? Goûtez ; et vous verrez458. Si vous voulez voir avant de goûter, c'est-à-dire avant l'expérience, vous n'aurez jamais rien, et vous perdrez des biens infinis. Des gens qui n'ont jamais été en un endroit, vous assurent qu'il n'y a point de trésor en cet endroit : une multitude d'autres qui y ont été, vous assurent qu'il y en a un inépuisable, et qu'ils y ont puisé des trésors immenses ; on vous invite d'y venir et d'en faire l'expérience : vous ne voulez pas faire un pas pour cela, et vous aimez mieux mourir de faim que de vous enrichir ! On ne veut point vous tromper : Goûtez ; et vous verrez : entrez dans la proposition qui vous est faite, suivez le chemin qu'on vous montre ; et vous trouverez le ce trésor caché, qui est la perte Evangélique. Je prie Dieu de tout mon cœur de nous éclairer de ses lumières. Emitte Spiritum tuum, et creabuntur, et renovabis faciem terrae !459

Je ne pourrais encore dire comment dans cet état en Dieu on discerne les âmes et leur degré, leur fidélité ou infidélité, non par une vue objective, mais par ce goût intime, où Dieu, soulage l'âme, la remue et l'incline vers cette âme, où l'en divise et sépare. Cette inclination pour l'âme à laquelle Dieu unit, est [223] plus ou moins aperçue selon que l'âme est plus ou moins avancée. Car lorsque l'âme est perdue en Dieu avec nous, ce n'est plus un penchant ; mais un goût simple. Lorsque Dieu a beaucoup de desseins sur une âme, et qu'il veut l'avancer, il donne à celle dont il se sert pour l'attirer à lui un plus fort penchant et une tendance plus marquée, avec un instinct de se répandre en cette âme, ou plutôt d’y répandre ce que Dieu donne pour elle.

Il y a des gens à qui la communication des esprits paraît quelque chose de fort extraordinaire, cependant rien n'est plus naturel à ceux qui sont devenus esprit par la grâce de Jésus-Christ. De dire comment Dieu se fait entendre des bienheureux en manière du Verbe, et comment les pures intelligences s’entendent entre elles, c'est ce qui ne se peut ? Si deux Anges étaient à cent mille lieues l'un de l'autre, ils s'entendraient bien en un clin d'œil ; et si les esprits sur terre étaient purifiés, ils se communiqueraient de même, quoique moins parfaitement. Ce n'est point la distance des lieux qui interrompt cette communication, mais la fidélité, l'inapplication, et surtout la propriété, qui l'empêche tout à fait. Que Dieu nous purifie par son amour, et nous en rende tellement épris en lui, que nous puissions faire une expérience de ces choses plus forte que tout ce qu'on en peut dire. [224]

1.28. Rareté des Imitateurs de Jésus-Christ nu.

Jésus-Christ n'a pour tout ornement sur sa croix que sa nudité et son sang : en vain voudrait-on lui trouver un vêtement de gloire ; on ne lui en verra qu'un d'ignominie. On ne trouvera non plus en ses Epouses les plus conformes nul vêtement orné ; c'est la nudité, la souffrance et l'opprobre qui sont leur parure. Celles qui ne sont que fiancées ont des ornements d'une merveilleuse variété.

Cela se fait par théorie : on la trouve belle ; mais nul ne veut entrer dans la pratique. Sitôt que Dieu nous veut ôter notre manteau, au lieu de lui céder notre robe nous retenons ce manteau de toutes nos forces, et nous ne voulons pas qu'on nous ôte rien. Je désespère de trouver des âmes conformes à Jésus-Christ, puisque celles qu’il choisit particulièrement pour cela, ne le peuvent souffrir. S'il fallait quitter notre peau, que serait-ce ? Il nous ménage. Nous voulons bien le suivre nu, disons-nous ; dès qu'il nous ôte un bouton, nous crions. Ô si la lumière nous était donnée, nous verrions bien les fausses idées que nous avons prises, et que les voies de Dieu ne sont pas nos voies ! Mais de quoi me servirait de parler ? La voix des petits lions est étouffée, ils ne peuvent plus se faire entendre : celle du lion de Juda l'est aussi. [225]

*1.29. Touchant l'obscurité des plus grandes opérations de Dieu.

Sur ces paroles : « Je vous salue, pleine de grâce. Le Saint-Esprit vous couvrira de son ombre ; ce qui naîtra de vous sera très saint. Il possédera le trône de David son père. » - Et Marie dit : « Qu'il me soit fait selon votre parole. » (Luc I, 28, 32, 35, 38).

1. Il est question ici de la plus glorieuse ambassade qui fut jamais pour réconcilier le ciel avec la terre. Il est question du plus grand et du plus étonnant mystère qui fut jamais. Un Dieu venir épouser la nature humaine, la prendre pauvre, misérable, toute défigurée, se charger de ses dettes et épouser sa laideur, toutes ses difformités, prendre ses pauvretés et lui communiquer ses richesses, se vêtir de se laideur pour la rendre belle de sa propre beauté. Ce prodige de charité d'un Dieu s'exécute avec des paroles simples. L'ambassadeur céleste salue Marie pleine de grâce, et lui apprend le choix que le Père éternel a fait d’elle pour la rendre mère de ce Fils qu'il engendre de toute éternité. La Vierge [226] demande simplement comment un si grand mystère doit s'accomplir ? Est-ce parmi les tonnerres, les éclats, les brillants, les prodiges qui étonnent toute la nature et ne laissent douter à qui que ce soit de la vérité de ce mystère admirable? Nullement. Le Saint-Esprit vous couvrira de son ombre. Ce qui marque que tout ce qu'il y a de plus grand en cette vie est couvert et enveloppé d’ombres et de ténèbres. Dans l'ancienne Loi, Dieu couvrait le Tabernacle de nuées, et c'était la marque de sa présence. Il est écrit que Dieu a choisi les ténèbres pour sa cachette : il habite dans la nuée460.

Tout ce qu'il y a donc de plus grand n'est pas ce qui brille, mais il se passe dans l'obscurité. Ce ne sont point les visions, révélations, [les dons] brillants et le reste, qui nous donnent Dieu, mais les ténèbres sacrées de la foi, que Dieu opère lui-même. Cela se fait d'une manière si cachée que l’œil humain n’en découvre rien. La foi lumineuse cause les brillants ; mais elle ne donne pas Dieu. Il n'y a que la foi obscure, pure et nue, qui le communique. Ce qui brille aux yeux des hommes, est ce dont ils font cas ; mais que c'est bien peu de chose au prix des sacrées ténèbres de la foi !

Ceux qui ont des lumières et illustrations se croient les plus favorisés de Dieu ; et les hommes non éclairés en jugent ainsi. Ceux au contraire qui sont conduits par une voie obscure, se croient les plus misérables ; et les hommes en jugent de même. Cependant c'est tout le contraire. Convainquons-nous une bonne fois que Dieu habite dans la nuée et se communique dans les ténèbres. C'est pourquoi il a [227] voulu s'incarner, naître et ressusciter dans la nuit. Il a voulu mourir en plein jour afin que sa croix, sa honte et son ignominie fussent connues de tous ; mais le ciel ne laissa pas de se couvrir de ténèbres, le soleil éteignit tous ses brillants pour ne pas éclairer un si effroyable parricide, et en même temps pour couvrir la mort de cet homme-Dieu. Ce qu'il y a de plus grand est couvert de ténèbres ; pendant que le dehors est défiguré par les croix, le dedans est plein de Dieu, mais en ténèbres. Les croix et les amertumes de toutes manières augmentent les ténèbres de l'âme et la cachent à ses yeux et à ceux des autres. Mais quoique l'âme soit environnée de ténèbres, elle éprouve, lorsque Dieu la montre à elle-même, une grandeur, une étendue, une largeur immense quoiqu'en ténèbres. Tout ne se passe ici qu’en ombres : ce sont ombres divines qui environnent toute l'âme.

Et que produit cette ombre ? L'incarnation mystique, comme l'ombre du Saint-Esprit produisit en Marie l'incarnation réelle du Verbe. C'est dans cette ombre que nous sommes revêtus de Jésus-Christ. C'est dans cette ombre que nous sommes faits de nouvelles créatures en Jésus-Christ. C'est dans cette ombre que Jésus-Christ s'incarne mystiquement en l'âme pour être sa vie après avoir évacué la vie d’Adam. C'est dans cette ombre que la Sainte Trinité habite en l'âme. C'est dans cette ombre que nous sommes transformés en Jésus-Christ, qui est l'image du Père, selon que l'explique saint Paul461. C'est en cette ombre que, la vie propre étant évacuée, nous ne vivons plus nous, mais Jésus-Christ vit en nous : enfin la résurrection [227] mystique se fait dans cette ombre. Soyons contents de nos ténèbres et ne cherchons pas la lumière : L'Ange de ténèbres se transfigure en Ange de lumière462. Mais il n'a point d'accès dans cette ombre : l'âme y est à couvert de ses ruses et de ses artifices ; la nature n’y trouve ni appui ni nourriture : c'est ce qui la fait mourir à tout et à soi-même.

2. Qu'est-ce que la Sainte Vierge répondit à l’Ange ? Qu'il me qu'il me soit fait selon votre parole. Dans la Création, un Fiat fit toutes choses ; et dans la Rédemption, un seul Fiat a tout son effet. Le Fiat de Dieu était un Fiat d’autorité, et le Fiat de Marie marque une soumission parfaite au vouloir divin. L'âme dans ces sacrées ténèbres contracte une souplesse infinie, et est tellement dépouillée de toute volonté propre qu'elle n'a plus d'autre volonté que celle de Dieu : il se fait en cette âme un Fiat continuel, car elle est toujours soumise et prête à tout, ne refuse rien, obéit à tout ce que Dieu veut. Ce Fiat est comme dans l’essence de l'âme ; il ne se prononce plus, mais il est réel. L'âme, par la démission de son franc arbitre entre les mains de Dieu, a prononcé le Fiat de tout elle-même. Elle demeure dans son acquiescement sans le rétracter, comme Marie se contenta de ce Fiat qu'elle ne rétracta jamais : elle en accepta toutes les suites, et resta dans ce profond anéantissement où elle était lorsque le Saint-Esprit la couvrit de son nombre ; son néant augmenta toujours dans son étendue, et sa plénitude [229] de Dieu à proportion. Car ces ombres produisent l’anéantissement et l’augmentent sans cesse, aussi bien que le vide, afin que la plénitude de Dieu devienne plus abondante. Car cette plénitude est proportionnée au vide qui se fait en nous.

3. Il y a encore une chose à remarquer dans les paroles de l'Ange, pour faire voir qu'il ne faut pas s'arrêter au son des paroles intérieures et articulées, ni les prendre à la lettre. Ceux qui les auraient pris de cette manière, n'auraient point douté que Jésus-Christ n’eut dû rétablir le royaume d'Israël, et être longtemps assis sur le trône de David ; et n'en voyant pas l'effet, ils auraient regardé ces paroles comme une tromperie. Il faut voir de quelle manière la Sainte Vierge les reçoit : dans une mort entière et un anéantissement parfait. Elle laisse à Dieu le soin de l'interprétation. Elle croit d’une foi aveugle ce qu'on lui dit, laissant tout en la main de Dieu. C'est comme doivent faire les personne qui ont des paroles intérieures : elles veulent voir l'effet entier de ces paroles selon la lettre, et se trompent beaucoup, au lieu de laisser tout entre les mains de Dieu. De plus, il ne faut pas travailler à leur exécution, comme font la plupart des personnes qui en ont, ce qui fait qu'elles prennent le change. Il faut laisser à Dieu l'exécution de toutes choses : il fera réussir ce qu'il a voulu exprimer, selon sa volonté, quoique dans un sens très caché. C'est là qu'il n'y a point de tromperie ni de méprises. Les paroles intérieures prises ainsi ne nuisent point : le Démon ne se mêle point de les contrefaire, parce qu'il voit qu'il y perdrait ses peines, à cause que l'âme, ne s'y arrêtant point, reste dans la volonté de Dieu ; au lieu que, lorsqu'on s'y arrête, le Démon se joue de ces personnes, leur fournit de quoi s'exercer, se tromper et [230] tromper les autres. Ceci est d'une extrême conséquence. Je prie Dieu d'éclairer ceux qui s'y arrêtent, et qu’ils suivent l'exemple de la Sainte Vierge. Amen, Jésus !

*1.30 Avantages de la bassesse et du rien.

Sur ces paroles : quia respexit humilitatem ancillæ suæ : car il a regardé la bassesse de sa servante. Luc 1, 48.

Dieu le Père regarde Marie, et ce regard produit le Verbe dans son sein. Ce Dieu qui regarde les choses basses, comme dit l’Ecriture463, ayant vu Marie la plus anéantie des pures créatures, Il la regarde avec complaisance dans cet état bas et ravalé, et ce regard de complaisance et d’amour produit l’incarnation réelle du Verbe en elle. La disposition la plus propre à l’Incarnation mystique est donc l’anéantissement. Dieu regarde avec complaisance une âme anéantie, et ce regard produit l’incarnation mystique, ou comme dit Saint Paul, la formation de Jésus-Christ en nous464. C’est pourquoi l’Ecriture dit encore : Toute colline sera abaissée, et toute vallée sera remplie465. Dieu prend plaisir d’abattre ce qui est élevé, de quelque élévation que ce puisse être, soit dans la nature, soit dans [231] la grâce, mais Il remplit de Lui-même ce qui est humble, ravalé et vide.

Toute voie qui nous déprend de nous-mêmes, qui nous vide de notre plénitude, soit selon la nature, soit selon la grâce, est donc la meilleure et la plus agréable à Dieu. Ce qui nous anéantit devant Dieu, devant les hommes, et à nos propres yeux, est la plus sûre voie, quoique non pas la plus agréable à l’homme, qui veut toujours subsister en quelque chose, soit en soi, ou dans les autres, d’une manière ou d’une autre. S’il renonce à la nature, soit par la pénitence, soit d’une autre manière, c’est pour mieux subsister dans la grâce. Nul ne veut n’être rien, rien, rien, et cependant c’est sur le rien que Dieu fait les plus grandes choses, parce qu’il en a toute la gloire. Le rien ne dérobe rien, ne s’attribue rien, n’usurpe rien, ne prétend rien ; il ne croit rien mériter. Le rien n’attend rien de soi, n’en espère rien. Le rien reste dans son rien, non pour être quelque chose, mais pour rester dans le rien. C’est ici où le seul honneur et la seule gloire de Dieu habite.

*1.31 Vicissitude d’élévation et d’abaissement.

Sur ces paroles : Vous m’avez élevé jusqu’au nues ; puis vous m’avez brisé tout [232] entier. Job 30, 22. Et ces autres : Il s’assiera solitaire, et s’élèvera au-dessu de soi. Lam. de Jer. 3, 28.

Dieu commence par combler l’âme de grâces : ce ne sont que lumières et ardeurs, on monte incessamment de grâce en grâce, de vertus en vertus, de faveurs en faveurs. Ce sont tous les jours de nouvelles élévations et de nouvelles lumières. Mais lorsque l’âme a monté jusqu’à une certaine période, qui est bien exprimée par les nues - car cette élévation n’est point au ciel, puisque nul n’y est monté que celui qui est premièrement descendu466 -, lors donc qu’elle est élevée jusqu’aux nues, l’obscurité se présente, et la lumière disparaît.

Or il est à remarquer, que plus l’âme a été élevée, plus sa chute est profonde : l’une se mesure par l’autre. Lors donc qu’elle a rencontré l’obscurité de la nuée, son élévation est arrêtée : ascendit et descendit467. Les uns descendent insensiblement. Mais il y en a que Dieu semble précipiter du haut en bas et briser tout entier comme Job, dont les disgrâces furent si précipitées qu’il n’y avait aucun intervalle entre l’une et l’autre de sorte que ces personnes peuvent dire avec le Prophète : « Il n’y a pas une partie saine en moi, tout mon corps n’est qu’une plaie, mes os sont brisés et fracassés de ma chute, je ne puis me relever ni faire un pas468»

Que dois-je donc faire en cet état? Demeurer dans l’état déplorable où je suis, jusqu’à ce qu’une main secourable m’en retire. Toute ma force m’a abandonnée. Au commencement de [233] ma chute, j’ai fait des efforts pour me relever ; mais voyant que cela m’était impossible, et que mes efforts ne servaient qu’à m’affaiblir davantage, je suis resté en paix dans ma douleur, attendant avec grande patience ; et le Seigneur s’est enfin rabaissé jusqu’à moi469.

Il y a cette différence entre le pécheur et le juste que Dieu exerce par des tentations, des peines, des expériences de sa misère : que le premier, quoique pécheur, retournant à Dieu de tout son cœur, est exaucé ; Dieu lui pardonne tous ses péchés et l’en délivre en même temps. Mais le juste exercé éprouve que plus il prie et se donne à Dieu du fond de son cœur, plus ses maux croissent. Saint Paul dit à cet affligé pour sa consolation : J’ai prié trois fois et il m’a été dit : ma grâce te suffit470. Si cet affligé entendait cette même parole, il ne serait point affligé, mais quoique Dieu l’ait dite à saint Paul et qu’il ait porté saint Paul à l’écrire pour notre consolation, il ne la dit point à l’âme. Ses maux croissent chaque jour, ses plaies semblent devenir des ulcères incurables ; ce sont des plaies qui ne sont point bandées, où la pourriture se met, parce qu’on n’y apporte point de remède ; elles ne sont point pansées, Celui qui seul le peut faire en détourne les yeux. Que faire donc en cet état ? Si je pense remonter au lieu d’où je suis descendu, une main puissante me précipite plus fortement : je tombe de précipice en précipice, d’abîme en abîme, un abîme en attire un autre.

Que fera donc ce juste affligé ? Il fera ce que dit le prophète : il s’assiéra solitaire, il s’élèvera au-dessus de soi : sedebit solitarius et elevabit [234] super se471. C’est-à-dire qu’il se reposera dans la douleur et s’y assiéra par un abandon de tout lui-même entre les mains de Dieu. On peut bien dire qu’il est solitaire, puisqu’il est privé au-dehors et en apparence des divines vertus, qui étaient ses fidèles compagnes : il est privé de tout bien apparent, séparé de tout. Et enfin il devient tellement solitaire qu’il se sépare de soi-même. Il s’élève aussi de soi en bien des manières, ne se laissant point aller à la réflexion, à l’agitation, au trouble.

On s’élève au-dessus de soi, abandonnant tous ses propres intérêts pour entrer dans ceux de Dieu, ne voulant plus que Sa gloire et l’intérêt de Sa divine justice. On s’élève au-dessus de soi en se quittant soi-même par un désespoir absolu de trouver aucun bien en soi. On n’y en cherche plus, on trouve en Dieu tout ce qui nous manque : ainsi on s’élève au-dessus de soi par un amour de Dieu très épuré et par une sainte haine de soi-même. On s’élève au-dessus de soi en se perdant en Dieu, après s’être quitté soi-même. Ainsi on peut dire que nul n’est monté, que celui qui est auparavant descendu. Au lieu de cette première montée jusqu’aux nues, on monte en Dieu même et, de même qu’on était descendu à proportion de ce qu’on était monté, on monte ici à proportion de ce qu’on était descendu.

Ne croyez pas, mes chers enfants, que vous puissiez atteindre Dieu par l’élévation, mais bien par les plus extrêmes abaissements. Le Fils de Dieu s’est anéanti soi-même, prenant la forme de serviteur472, Il a passé par les plus extrêmes souffrances, par les plus étranges opprobres et ignominies, [235] pour nous apprendre la route que nous devons tenir pour arriver à Lui. Il s’est anéanti pour venir à nous. Il n’y a que le plus profond anéantissement qui puisse nous faire retourner à Lui. Ne nous flattons point, ne nous flattons point : toute autre route nous égare, tout autre sentier nous abuse. Ne tendons qu’à n’être rien et par la tendance à être anéanti, nous tendrons véritablement à Dieu. Dieu résiste aux superbes473. Elevez-vous tant qu’il vous plaira, Dieu sera infiniment élevé au-dessus de vous. Mais si vous êtes bien petits, bien simples, bien anéantis, bien rien, Il se précipitera, pour ainsi dire, en vous : plus vous serez abaissés, plus tôt vous Le trouverez. Laissez-vous entraîner à la pente rapide de l’humiliation, c’est où vous trouverez Dieu. Pour vous élever au-dessus de vous-mêmes, il faut vous abaisser en-dessous de tout. Vous trouverez certainement Dieu où vous vous serez quittés vous-mêmes.

Que ce langage est barbare aux amateurs d’eux-mêmes ! Qu’il est peu entendu, et peu goûté ! Mais qu’il est naturel, doux et suave à ceux qui aiment Dieu comme Il veut être aimé, et comme Il mérite de l’être ! Je ne dis pas autant qu’Il le mérite ; car il faudrait être Dieu pour L’aimer de la sorte. Mais L’aimer de Son amour même : d’un Amour pur, net, droit, dégagé de tout propre intérêt, de tout retour sur soi et de rapport à soi. C’est où je vous désire, mes enfants. Dieu nous en fasse la grâce ! Amen, Jésus !

1.32. Dieu glorifié par Jésus-Christ. Paix à la bonne volonté de l'homme.

Sur ces paroles : Gloria in excelsis Deo, et in terra pax hominibus bonae voluntatis ! Gloire à Dieu au plus haut des cieux ; et paix sur la terre aux hommes de bonne volonté. Luc 2,14.

À la naissance de Jésus-Christ les Anges annoncent la gloire du Dieu très haut. Il est certain que Dieu, tout Dieu qu'il est, ne pouvait avoir une plus grande gloire que l’extrême abaissement où le Verbe Jésus-Christ, s'était réduit se faisant homme. Mais, ô divin Verbe, votre Père n’était-il pas autant glorifié en vous lorsque vous étiez dans son sein ; et cette génération éternelle n'est-elle pas la plus grande gloire de Dieu en Dieu ? Oui ; mais cette gloire était égale entre lui et moi. Il ne commandait qu'à des hommes et à des Anges, créature si infiniment disproportionnées à leur Créateur ; mais après que je me suis fait homme, un Dieu a obéi à un Dieu, et lui a été assujetti, un Dieu est fait homme petit, pauvre et [237] souffrant, un Dieu est abaissé jusqu'à l'excès devant un auquel il était égal en toutes choses. C'est une économie de la Sagesse d'autant plus admirable, qu'elle est plus incompréhensible. C'est cet abaissement d'un Dieu fait homme, qui a élevé l'homme jusqu'à Dieu. S'il a fallu l'abaissement d'un Dieu pour rendre une gloire infinie à Dieu, il faut que l'homme s'abaisse au-dessous du néant pour ne le point déshonorer, et pour lui rendre l'hommage qui lui est dû selon notre portée.

Or c'est cette gloire admirable que Dieu possède en lui-même de toute éternité, et qu'il trouve uniquement dans le Verbe fait chair, qui donne la paix aux âmes de bonne volonté. Qui sont ces âmes de bonne volonté ? Ce sont celles qui n'ont point d'autre volonté que celle de Dieu, étant certain qu'il n'y a point d'autre volonté qui soit bonne que celle-là. Ce sont les âmes qui ont perdu leur propre. Et comment ont-elles la paix ? C'est que rien ne cause tant de paix à une âme que la destruction de la propre volonté. Dès qu’il n’y a plus de propre volonté, il n'y a plus de propre intérêt : ainsi le seul intérêt de Dieu seul, sa gloire infinie, son bonheur, son bon plaisir, devient l’unique intérêt de l'homme qui a perdu son propre dans la volonté de Dieu, et son âme même par un écoulement mystique dans son Etre original.

C'est donc là l'homme de bonne volonté et à qui Jésus-Christ en venant sur la terre a apporté la paix. Si l'homme dit qu'il est homme de bonne volonté, et qu'il ait encore quelque intérêt propre, quel qu'il soit, il se trompe ; car il possède encore sa volonté. Et comme il n'y a que la volonté de Dieu qui soit bonne, tant [238] que la nôtre subsiste elle est dépravée, et l'est plus ou moins qu'elle est plus éloignée de celle de Dieu. Elle commence à participer en quelque manière à celle de Dieu quand elle commence à se résigner et à se soumettre : elle devient meilleure lorsqu'elle lui devient conforme et uniforme ; et elle est rendue parfaite et bonne lorsqu'elle s'est écoulée avec tout son propre dans la volonté divine et souveraine, en sorte que la volonté de Dieu semble subsister seule dans cette âme. C'est cette volonté réelle et substantielle dont je parle ; et non de cette volonté animale, qui est plutôt un instinct qu'une volonté.

Ce sont ces personnes qui sont vraiment pacifiques. Elles ont la paix avec Dieu et en elles-mêmes, ou plutôt, par la destruction du moi leur paix est en Dieu ; elle l’ont autant qu'il est en elles avec le prochain. Mais comme les volontés des hommes sont diverses, il ne dépend pas de soi de l'avoir avec des gens si opposés.

Pour ceux qui sont dans leur Etre original, où qui en approchent de près, leur paix et leur union est entière : plus ils approchent de leur fin, plus leur union croit, jusqu'à ce qu'étant perdu dans cette fin ils ne font plus qu'une seule et même chose. Il n'y a plus de propriété, il ne peut y avoir de division, mais mêmeté [et unité,] comme l'océan est un contenu de gouttes d'eau qui font un tout immense.

C'est ce qui faisait dire à Jésus-Christ474 : On connaîtra que vous êtes les disciples si vous ne vous aimez les uns les autres ; et au disciple bien-aimé475 : Mes petits-enfants, aimez-vous les uns les autres, de cette charité unissante qui exclut [239] toute propriété. Plusieurs âmes bien désappropriées, seraient dans une union admirable, comme dans le ciel. C'est pourquoi Jésus-Christ, après avoir ordonné de s'aimer les uns les autres, fait cette admirable prière476 : Mon père, qu'ils soient un comme nous, et que tout soit consommé dans l'unité.

C'est à quoi cette charité, qui est le fruit d'une entière désappropriation, nous conduit tous. Remarquer que saint Jean dit477 : Mes petits enfants. Être enfant, et petits-enfants, c'est la plus grande disposition à l'humilité. Les enfants s'aiment, et n’ont rien de propre. Gloire donc au plus haut des cieux ; paix aux hommes de bonne volonté ! Amen, Jésus !

*1.33. Jésus-Christ libérateur de la mort et de l'enfer intérieurement.

Sur ces paroles : Ô mort je serais ta mort ; ô enfer, je serais ta morsure. Osée 13,14.

Comment l'Ecriture parlant de Jésus-Christ dit-elle ces paroles, et comment doivent-elles être entendu ? Jésus-Christ a été la mort de la mort même, lorsqu'après avoir resté trois jours dans son sein, il tire une nouvelle [240] vie de la mort même. Comme la mort arrache nécessairement la vie pour être appelée mort ; on peut dire très véritablement que la vie, qui est sortie de la mort, est la mort de la mort : car la mort perd sa qualité de mort par la vie nouvelle que Jésus-Christ a reprise dans son sein ; comme la vie perd sa qualité de vie lorsqu'elle se trouve absorbée par la mort, et qu’elle n’est et ne peut plus être vivante que par la résurrection. Il en est de même en nous : lorsque nous sommes assez heureux pour nous livrer à une mort entière ; cette mort nous ôte peu à peu notre vie prise en Adam, l'éteint, et nous en sépare.

Or comme il n'y a que Dieu qui nous puisse faire mourir à nous-mêmes, et par des moyens entièrement opposés à nos idées de mort ; il vient être la mort de la mort en deux manières, et en deux temps différents.

La première est, lorsque nous travaillons à nous mortifier nous-mêmes par des règles que nous nous imposons, et par certaines pratiques, qui ne peuvent avoir plus de valeur que la source dont elles partent, qui est la volonté de l'homme. Or comme cette mortification est formée par notre propre esprit, et qu'elle est effectuée par notre propre volonté, loin de faire mourir l'un et l'autre, elle leur sert de nourriture, augmentent leur vie, et met par là un très grand obstacle à la destruction du vieil homme ; quoique l'homme qui la pratique s'imagine tout le contraire. Que fait Jésus-Christ ? Il vient être la mort de cette mort ou mortification : il détruit ces mortifications de choix, pour nous faire entrer dans la volonté de Dieu, qui nous mortifie à sa mode, et nous fait mourir efficacement à [241] la vie d'Adam, que nous ne pouvons jamais détruire d'une autre sorte qu'en laissant opérer alors la destruction du vieil homme. Pour cela il faut donc nous abandonner absolument à sa conduite.

Nous appelons cet abandon perte, parce que nous nous perdons à notre propre conduite pour entrer dans la conduite de Jésus-Christ, qui est si différente de la nôtre, que nous en perdons même les traces, comme nous n’en avions jamais conçu les idées. Tout ce qui surpasse l'esprit de l'homme, le déroute et l'étourdit : il ne peut y atteindre par aucun raisonnement. Il n'y a que la foi qui en découvre quelque chose. Elle fait, qu'il s'abandonne d'une manière cachée à cette conduite adorable, qu'il ne peut ni ne veut pénétrer ; et de cette sorte il meurt peu à peu par tout ce que la providence permet lui arriver.

Lorsqu'il est dans l'entier abandon, dans la nudité [et mort] totale de toutes vues et opérations propres, perdu sans réserve à toute propre conduite ; Jésus-Christ vient en la seconde manière être la mort de la mort. C'est que cette âme étant arrivée à une mort entière, sans espérance de revivre jamais, couchée pour ainsi dire, dans son sépulcre, Jésus-Christ vient être la mort de la mort, lui rendant une nouvelle vie en lui.

Vous remarquerez que Jésus-Christ doit être et doit faire tout cela, et que nous ne devons pas être si hardis que de mettre une main grossière à son ouvrage. C'est pourtant ce que l'on fait chaque jour. On se reprend ; on croit mieux faire que Dieu ; on ne s'abandonne point à lui ; on veut voir où il conduit ; et il veut que [242] sa conduite soit cachée à l'esprit humain. Il fait semblant de nous égarer de toute route, de tout sentier, pour éprouver notre fidélité et si nous ne prendrons point intérêt pour nous-mêmes ; il nous mène par des précipices où nous semblons rouler, parce que nous ne voyons pas sa main cachée autant que secourable, qui empêche que nous ne nous blessions, comme il est dit dans l'Ecriture478, qu'il met sa main sous nous, afin que notre pied ne se blesse point contre la pierre.

Comment notre pied peut-il se blesser contre la pierre ? C'est lorsque nous détournant de la conduite de Dieu, nous nous attachons aux choses de la terre. Ce qui est d'autant plus facile, que dans le chemin de la mort il n'y a que des douleurs sans consolation, que la révolte des passions ; on a peur ; et l'on se tire de la conduite de Jésus-Christ pour se conduire soi-même ; il retire sa main, et alors on tombe, on se brise. En effet, on n'arrive jamais alors à la mort de soi-même, et Jésus-Christ ne devient pas notre vie. Nous passons notre vie à faire et défaire ce que nous avons fait. L'homme est si amoureux de sa propre opération, qu’il ne voit comme bon que ce qu'il fait ; quoique ce ne soit que comme une toile d'araignée auprès des ouvrages admirables de la divine Sagesse.

Rien ne blesse plus le cœur de Dieu que de voir que lorsqu'il a donné à l'âme un avant-goût de l'abandon et les prémices de cette lumière, elle veut néanmoins rentrer dans sa propre conduite. C'est alors que Jésus-Christ dit : Ô enfer, je suis ta morsure ; puisque tu veux me faire servir à tes desseins. Ce terme à la lettre [243] s'entend de Jésus-Christ, lorsqu'il descendit au limbes. Il s'entend aussi de la conduite de Jésus-Christ sur l'âme, qu'il prend plaisir à conduire comme son Créateur et Rédempteur, et que lui seul peut conduire efficacement. Lorsque cette âme se retire de la conduite de Jésus-Christ sous bon prétexte, elle entre dans une espèce d'enfer, dont Jésus-Christ la retire ; sans quoi, elle y resterait toujours.

Ce qui est étonnant, c'est que l’âme conduite par Jésus-Christ trouve une profonde paix dans les précipices ; mais que dans sa conduite propre, dans ses réflexions, quand bien même elle ferait les plus grandes œuvres, elle n'a point cette paix que Jésus-Christ promit à ses apôtres ; mais plutôt une certaine agitation profonde et cachée, qu'elle tâche d'étourdir par d'autres œuvres, et par une plus forte activité. Je prie Dieu de faire entendre à ceux pour qui j'écris cela ce que je veux dire.

1.34 le principe du Dragon est l'élévation ; celui de l'Agneau, l'anéantissement.

Le Dragon prend souvent479 les cornes de l'Agneau : on ne le connaît qu'à la voix. [244] le Dragon dit480 : Je serais semblable au Très-haut); l'Agneau dit481 : Je ne cherche point ma propre gloire ; mais celle de celui qui m'a envoyé.

Le Dragon dit482 : J'établirai mon trône dans le ciel ; l'Agneau, [par saint Paul483] qu'il s'est anéanti soi-même, prenant la forme de serviteur.

Le Dragon : Je dominerai par tout ; l'Agneau, qu'il s'est rendu obéissant jusqu'à la mort, et à la mort de la croix.

Le Dragon : Je suis le Prince, si tu veux m'adorer je te donnerai ce que tu vois484 ; l'Agneau : Je suis un ver, non un homme ; mais l'opprobre des hommes, et le mépris du peuple485.

Celui486 qui s'estime quelque chose n'étant rien, celui qui aspire d'être quelque chose, tient le langage du Dragon, quand même il paraîtrait avoir les corps de l'Agneau. Celui qui demeure dans son néant, qui ne veut et ne prétend rien pour soi, parle comme l'Agneau. Celui qui n'a point d'autre contentement que le contentement de Dieu en lui-même et pour lui-même, est de l'Agneau ; celui qui aime sa misère, et qui glorifie Dieu par sa propre destruction, est de l'Agneau.

On en voit qui quittent facilement les grandeurs de la terre ; mais c'est pour être grands devant Dieu ; pour être spirituels : c'est pour établir plus finement l'amour-propre, comme ce philosophe qui foulait aux pieds la vanité par un excès de vanité. D'autres plus simples, veulent être saint, et pense glorifier Dieu par leur sainteté. Les enfants de l'Agneau font hommage à la sainteté de Dieu, et chantent, [245] Tu solus sanctus487 ; Non nobis Domine, non nobis : [vous seul êtes saint : non à nous, seigneur, non à nous ; mais à vous la gloire.]488. Les premiers montent de vertu en vertu. Les enfants de l'Agneau descendent jusques dans l'abîme de leur néant : ils savent que nul n'est monté que celui qui était auparavant descendu489. Qui est-ce qui est descendu ? L'Agneau, qui est descendu du ciel en terre. Les créatures ne peuvent descendre : elles sont sorties de la terre. Disons donc premièrement, Gloria in excelcis Deo490 ! Et nous pourrons dire ensuite, Paix aux hommes de bonne volonté.

Oui, les hommes de bonne volonté ont toujours la paix. Qu'est-ce qui rend nos volontés bonnes ? C'est lorsque n'étant plus en nous par nulle propriété, elles sont passées en Dieu. Or c'est une suite nécessaire, que lorsque nous chantons efficacement, Gloria in excelcis Deo, ne voulant rien que la seule gloire de Dieu, sans nous regarder nous-mêmes, nos volontés, comme dit David491, sont devenus merveilleuses. Ces âmes ont certainement une paix ferme, exempt de tout trouble. Qui est-ce qui trouble, qui est triste, qui rétrécit le cœur ? C'est la volonté ; c'est lorsque nous voulons ce que nous n'avons pas, même dans le bien-être ; ou que nous ne voulons pas ce que nous avons, même nos défauts.

Pour que notre volonté soit bonne, il faut que tout cela soit banni, et que nous venions à perdre notre volonté dans celle de l'Agneau, qui venant sur terre a dit pour lui et pour tous ses enfants492 : Il est écrit, à la tête du livre, que [246] je serais votre volonté. C'est le principe de tout, que l'assujettissement à la volonté de Dieu. Qu'est-il dit ensuite ? Les victimes ne vous sont plus agréables, ces œuvres propriétaires ; mais vous m'avez donné un corps pour être la victime de votre justice. J’ai dis : me voici, et ceux que vous avez donnés. Je les instruirai à faire votre volonté sur terre, comme elle est faite au ciel ; et je les rendrai en moi victimes de votre justice. C'est ainsi que se fera le sacrifice du matin et du soir ; du matin, par la perte de toutes leurs volontés avec la mienne en vous ; du soir par la souffrance tant intérieure qu'extérieure que je leur enverrai, par une entière destruction de tout eux-mêmes : car le sacrifice n'est pas parfait lorsque la victime n'est pas entièrement détruite. C'est seulement ce sacrifice qui peut être perpétuel ; ainsi qu'il est parlé tant de fois dans l'Ecriture du sacrifice perpétuel. Tous les autres, soit de l'ancien ou du nouveau Testament, ont eu des intervalles ; mais celui-là n'en peut avoir en Jésus-Christ. C'est cet Pâque et passage de notre volonté en lui, qu'il désirait493 si fort de manger avec ses disciples : c'est ce qu'il désire de tous.

Lorsque l'âme est arrivée au sacrifice perpétuel par la perte et l'entière destruction de tout elle-même, elle trouve le sabbat éternel, dont l'autre sabbat n’est que la figure. Car croyons-nous que Dieu se contente de la cessation d’un ouvrage extérieur ? C'est la cessation de toutes nos œuvres qu'il veut, afin d'entrer dans son domaine sur nous, notre propre action étant un obstacle à la sienne. Il faut entrer dans ce sabbat éternel, par la cessation de toutes [247] nos œuvres, et la destruction de tout ce que nous sommes.

1.35. L'orgueil est le caractère du Démon et des siens ; l'humilité, celui de Jésus-Christ.

Sur ces paroles : Il est le père des enfants d'orgueil. Job 41,25.

Si le Démon est le père des enfants d'orgueil, et si Jésus-Christ est le père de ceux qui sont petits et humbles de cœur, il est aisé de voir à qui nous appartenons. Ce qui donne le plus de prise au Démon c’est l'orgueil et la superbe. Le Démon est continent, il souffre, il jeûne ; mais il ne saurait être humble ; il ne peut aimer Dieu ; parce que l'amour est la fille et la mère de l'humilité. Toutes les personnes superbes sont certainement possédées de l'Esprit malin ; mais la superbe qui fait le plus ressembler au Démon, et qui lui donne plus de prise sur nous, est la superbe spirituelle.

Le Démon n'a pas l'orgueil fade de la plupart des hommes ; mais cette superbe d'esprit qui a voulu s'égaler à Dieu. C'est la source de la vaine gloire et des usurpations ; car tout le [248] soin de ce père des enfants d'orgueil est, de l'inspirer aux hommes. L'ambition, l'avarice, etc., sont les causes pour lesquelles on s’unit à ce père malheureux : c'est l'élèvement qui nous perd, et qui lui donne tant de pouvoir sur les hommes.

C'est pourquoi Jésus-Christ, père des simples et des petits, est venu dans l'humilité, la pauvreté et la bassesse, pour détruire ce père des enfants d'orgueil, et apprendre à ses petits enfants les caractères qu'ils doivent avoir pour lui appartenir. Or pour porter le caractère de ses enfants, l'humilité, la petitesse, la simplicité est nécessaire : c'est ce qui distingue les enfants de Dieu d'avec ceux du Démon. Si nous voulons que le Démon n'ait point de prise sur nous, demeurons en notre place ; et nous ne le craindrons pas ; mais pour peu que nous nous en retirions, et que nous voulions être quelque chose, il prend sur nous un pouvoir tyrannique, il nous assujettit, il nous fait faire ce qu'il lui plaît, il nous retire du domaine de Jésus-Christ ; et c'est ce qu'il essaie d'abord.

La puissance du Démon et très étendue : mais il ne peut rien sur l'âme humble et petite ; parce qu'il ne peut avoir aucun pouvoir sur l'homme assujetti à Jésus-Christ. C'est nous qui lui donnons tout le pouvoir qu'il a sur nous. Il y a des malheureux sur lesquels il a un entier pouvoir parce qu'ils se sont donnés entièrement et volontairement à lui. Ce ne sont pas de ceux-là dont je veux parler, ni des possédés, dont il peut assujettir le corps sans nuire à l'âme ; mais des pécheurs, et surtout des superbes, qui deviennent souvent le jouet du Démon pendant que les hommes les admirent. Évitons toutes [249] hauteur, toute ambition ; et le Démon n'aura aucune prise sur nous : lorsque nous serons véritablement assujettis à Jésus-Christ par un profond anéantissement, nous ne craindrons pas cet adversaire.

Ô Jésus, lumière de mon cœur et sources de ma vie ! Rendez-moi si petit, si rien, que le Démon ne m’aperçoive même pas. C'est l'avantage qu'il y a de marcher par le petit sentier de la foi. Sa petitesse fait que l’ennemi n’en fait pas de compte ; il est si obscur qui ne le discerne point. Il discerne ce qui brille et ce qui est élevé ; il ne remarque pas ce qui est insensible, impalpable, ce qui ne laisse point de trace ; A l'obscur ; mais hors de danger, dit le bienheureux Jean de la Croix. Ô aimable petitesse, avec toi je ne crains rien ! Heureux néant, en toi je suis à couvert de toute attaque ! Je suis en sûreté, je t'ai choisi pour ma demeure : haec requies mea494, c'est mon lieu de repos, ma consolation. Ô obscurité, tu es ma lumière ! O nuit, tu es mon guide et mon flambeau ! Ô petitesse, ô faiblesse, vous êtes ma force ! C'est vous qui me garantissez de l'élévation, et m'empêchez d'appartenir au père des enfants d'orgueil, et vous me faites appartenir au petit et humble Jésus !

Jésus a témoigné toute sa vie une extrême opposition pour la superbe. Dans le temps qu'il reçoit les pécheurs avec bonté, son zèle est toujours allumé contre les Pharisiens, qui gagnaient tout le monde par un extérieur affecté : dans le temps qu'il dit495, Bienheureux sont les pauvres d'esprit, il dit496 : Malheur à vous, scribes et pharisiens, hypocrites ; qui nettoyez le dehors du [250] plat ou de la coupe tandis que le dedans est plein de rapines. Malheur à vous, qui imposez aux autres un fardeau que vous ne voulez pas toucher du doigt ; qui dites497 à votre frère : venez, que je vous ôte le fétu que vous avez dans l'œil, tandis que vous avez une poutre dans le vôtre, ôtez premièrement cette poutre, et puis vous ôterez le fétu de l'œil de votre frère. Quelle est cette poutre sinon l'orgueil ? Quel est le fétu sinon les défauts extérieurs ?

Entrons dans les vues de Jésus-Christ, marchons par le renoncement et les croix de chaque jour que sa main nous prépare, et nous serons à couvert de cette épouvantable vae [malheur] qui remplit l'âme de terreur. Soyons aussi petits, que nous parvenions jusqu'à la qualité de ses enfants. Dieu nous en fasse la grâce ! Amen, Jésus !

*1.36 Perte de tout pour passer en Dieu et y trouver tout.

[251] Vous désirez que je vous explique quelle est cette perte dont je parle en tant d’endroits. Il y en a deux : la première conduit nécessairement à la seconde, et la seconde est une suite de la première et en dépend si absolument qu’elle ne peut arriver en cette vie sans elle. Il y a plusieurs degrés dans la première perte, où il faut nécessairement passer pour se perdre en Dieu, qui est la seconde.

L’ordre de la première commence par un détachement général de tout ce qui est hors de nous, sans rien excepter. Et c’est le premier pas qui est connu de tout le monde, et dont tous conviennent. Peu le pratiquent néanmoins, et ceux qui le pratiquent passent pour des saints et se croient souvent eux-mêmes au sommet de la perfection. Plût à Dieu qu’il y en eût bien de cette sorte ! Par les choses hors de nous, j’entends les biens, les honneurs temporels, la faveur des amis, la magnificence, le faste, la réputation même d’homme vertueux, enfin tout ce qui n’est pas nous-mêmes. Une autre perte est quand non seulement on est détaché de ces choses en les possédant, mais lorsqu’on en est dépouillé réellement : on connaît alors le détachement par le plus ou moins de peine qu’on a dans leur perte réelle, car celui qui y tient beaucoup, en souffre beaucoup. Celui qui y [252] tient peu, en souffre peu, mais celui qui en est parfaitement détaché, n’en souffre rien du tout : c’est un gant qu’on lui ôte au lieu qu’on arrache la peau aux premiers.

Comme nous sommes composés de corps et d’esprit, de partie supérieure et d’inférieure, il y a aussi des pertes conformes à ces choses. La perte de la beauté, de la santé, mille choses qui défigurent la première et qui dérangent l’autre. Il y a des femmes si attachées à leur beauté, à leurs grâces extérieures, qu’elles aimeraient autant perdre la vie que la beauté. Il y a des personnes qui paraissent en être détachées, mais qui en souffrent infiniment lorsque quelque accident la leur enlève ; d’autres qui l’ayant regardée comme un obstacle et un sujet de tentation, la perdent non seulement sans peine, lorsque Dieu la leur ôte, mais aussi avec joie. Par rapport à la beauté, on entend aussi les attaches aux parures, à l’ornement, être bien mise. On entre en chagrin lorsqu’on ne se croit pas si bien à son avantage qu’on le désire. Mais celui qui ne tient point à la beauté, ne tient point à ces choses, et s’en met fort peu en peine. Ce détachement empêche les dépenses excessives, et met en état d’assister les pauvres. Il y a des personnes qui ont une négligence affectée, qui, sous un habit de serge, couvrent une vanité bien plus raffinée que cette vanité extérieure : ce ne sont pas ces personnes qui entreront dans la voie de la perte, et je ne parle pas pour elles. Une troisième perte est pour la santé, et même pour la vie. On remarque que les personnes dévotes ont plus d’inquiétude, de précaution, d’attention sur leur santé que les autres, et qu’ils craignent plus la mort. Il faut être détaché [253] de tout cela. Ce détachement s’appelle mort et perte, l’âme se laissant entre les mains de Dieu pour toutes ces choses. Il y a aussi, pour ce qui regarde le corps, la privation des aises, des commodités, des plaisirs que les hommes appellent permis ; une mort entière sur tout cela et sans relâche. Il faut aussi mortifier tous les sens, le goût, la vue, etc.

Il y a le détachement de tout ce qui appartient à l’esprit, qui fait le quatrième ; et de celui-là il y en a de deux sortes. Le premier est le détachement des vaines sciences, vaines occupations, faux raisonnements, mille curiosités, raisonnements inutiles ; être détaché de tout ce qui orne l’esprit et le fait briller, être content que Dieu fasse perdre toutes choses, être méprisé des beaux esprits du siècle, dont toutes les conversations les plus spirituelles sont de vrais riens. La seconde chose est d’être détaché des lumières sublimes, des hautes connaissances, de tout ce qui brille et satisfait l’esprit humain, lumière, visions, illustrations, etc. pour entrer dans la pauvreté d’esprit : ce qui s’appelle perte, dépouillement, nudité ; et c’est la foi qui sape ces choses, et les fait perdre à l’âme. Elle perd jusqu’à la facilité d’appliquer son esprit à Dieu ; il faut qu’elle meure, et qu’elle laisse la foi opérer dans son esprit, ce qui produit la suprême vérité, qui étant simple, pure et générale, est sans nul brillant. Mais il faut parler à présent de la perte de ces choses, sans en venir encore à ce que cette perte opère. Au lieu de ces lumières qui consolaient l’esprit, l’âme est accablée par des distractions de fantômes importuns ; et cette perte compte plus à l’âme que les précédentes.

On perd aussi tout souvenir, même de [254] bonnes choses, ce qui afflige beaucoup l’âme et qui s’appelle perte de la mémoire. Mais celle des puissances qui coûte le plus à perdre, c’est la volonté. Dieu retire de l’âme ses goûts, ses sentiments qui faisaient ses délices ; l’oraison, qui lui était si douce et si facile qu’elle était continuelle, en sorte qu’il lui semblait qu’elle ne pouvait ne la point faire, lui est ôtée quant à l’aperçu, mais non quant à la réalité ; l’ennui, la peine, le dégoût ont pris la place de la joie, du goût et de la facilité. Il en est de même à la sainte communion, où l’âme éprouvait un goût divin, en sorte qu’elle aurait discerné une hostie consacrée d’une qui ne l’était pas. Ses désirs fervents s’amortissent peu à peu. Enfin l’âme se trouve dans une nudité étonnante.

Pourquoi Dieu en use-t-il de la sorte ? C’est afin de dérober aux ennemis de l’âme la connaissance de ce qu’Il fait en elle. Ces ennemis sont l’amour-propre et le diable. Le premier vole ce qui est à Dieu, se nourrit d’usurpations, et s’approprie ce qui est à Dieu. Le diable mêle ses fausses lumières et ses goûts contrefaits, afin de tromper l’âme et c’est pourquoi Dieu en use de la sorte. Comme Il veut se rendre paisible possesseur de notre âme, Il l’assiège de toutes parts, afin qu’il ne lui reste aucuns faux-fuyants par où elle puisse s’échapper. Il fait les choses à petit bruit, semblable à ceux qui attachent le mineur à une place : ils le font le plus secrètement qu’ils peuvent, de peur que l’ennemi ne fasse une contre-mine et qu’il n’évente et ne découvre le travail du mineur ; on fait diversion par un grand bruit qui se fait dans un autre endroit, pour attirer en cet endroit toute l’attention [255] des assiégés. Dieu en use de même ; il permet les distractions, une foule d’imaginations, un tumulte au lieu de cette paix si goûtée. Alors toute l’attention de l’âme se tourne là par la peine et l’angoisse qu’elle a du tumulte de son imagination. C’est dans ce temps que Dieu ruine insensiblement tout ce qui s’oppose à sa conquête. On ne l’aperçoit que lorsqu’Il est entré dans la place, comme un conquérant victorieux. Le diable et l’amour-propre ne s’apercevant de rien, ne se mêlent point en cet ouvrage : c’est pourquoi Dieu nous conduit par cette voie de la perte et de toutes nos opérations et des siennes aperçues, pour se rendre maître absolu de notre âme.

Ensuite de cela, Dieu attaque la forteresse, qui est comme le centre de la place. Cette forteresse est la propriété. Il ôte tous les retranchements. L’âme ne peut plus faire le bien qu’elle faisait ; non seulement cela, mais il lui semble qu’elle est pétrie de tout mal, tant elle est attaquée par les tentations de toute espèce. Sa désolation passe tout ce qu’on en peut dire, l’affliction la pénètre jusqu’aux os ; elle se dit à elle-même : Lucifer, d’où es-tu tombé498 ? Tu étais d’une beauté si admirable, et tu paraissais tel à tes yeux et à ceux d’autrui ! Elle se défend tant qu’elle peut ; elle tâche de retrouver ce qu’elle a perdu ; mais tout cela inutilement, jusqu’à ce que voyant son impuissance et la force dont elle est poursuivie, elle s’abandonne totalement et sans réserve à Dieu son vainqueur. Que fera-t-elle ? Elle n’a plus d’armes ni offensives ni défensives, plus de munition de guerre et de bouche, elle tâche de composer et de [256] conserver ce qu’elle peut ; mais ce Dieu fort et puissant ne veut faire aucune composition, Il ne veut rien laisser, Il veut qu’on se rende à discrétion ; il faut bien en venir là. Enfin on se remet à Sa discrétion, faisant entendre à ce Victorieux qu’on espère tout de Sa générosité ; Il n’écoute point, Il fait dépouiller cette pauvre âme toute nue, Il ne lui laisse pas un cheveu dont elle puisse disposer, Il n’est pas content des blessures qu’elle a reçues en se défendant, Il ne fait point bander ses plaies, Il la met dans un cachot ténébreux, où on lui fait entendre qu’elle doit finir ses jours. Elle s’afflige d’abord extraordinairement d’être nue, couverte de plaies qui saignent encore, auxquelles on ne met point d’appareil. « Je vois bien, dit-elle, qu’après avoir tout perdu, il faut que je me perde aussi moi-même, et je n’attends plus que la mort ».

Elle demeure enfin en paix dans sa douleur la plus amère, par impuissance de faire autrement. La source de ses larmes est tarie. Elle n’a plus de force de crier ; elle a dit comme Job : « Je suis perdue, tout espoir m’est ôté499 ; il faut donc que je reste comme les morts éternels. Celui en qui je mettais toute ma confiance, m’a abandonnée. Je ne m’étais point soucié de la perte de ma beauté, de mon bien, et de tout le reste que j’ai perdu. Je trouvais en lui un ami fidèle, un refuge assuré ; mais c’est cet ami fidèle, ce Dieu auquel j’ai tout sacrifié, et pour lequel j’ai tout perdu, qui se déclare contre moi : ô douleur qui passe toute douleur ! mais ma douleur est venue à tel excès que je ne la sens plus. Si on me demande ce que je veux, je ne désire plus rien. J’ai perdu celui en qui [257] tous mes désirs sont renfermés. Je ne trouve ni esprit, ni mémoire, ni volonté. Il ne me reste qu’un seul et unique désir, qui est, que celui qui a commencé, achève de me briser, qu’il ne m’épargne pas, c’est l’unique consolation que je puis prétendre500, qu’il achève de me détruire sans m’épargner. Hélas, que n’eussé-je pas fait pour lui s’il l’eût exigé de moi ! Lorsqu’Il a attaqué la place où j’étais réfugiée, Il s’est servi des armes de mes ennemis, Il a pris leur livrée ; je ne pouvais pas Le reconnaître ; je Lui aurais tout cédé d’abord, je me serais rendue. O qu’il me fait payer chèrement la résistance que j’ai faite ! Je croyais combattre ses ennemis et les miens, et je combattais ses soldats. »

« Mais, divin Amour, pourquoi m’avez-vous fait ces choses ? - C’est à cause de ta propriété : tu m’avais volé tous les biens que Je t’avais prêtés ; tu te les étais appropriés - Mais ne Vous les ai-je pas rendus ? - Tu t’appropriais encore le don que tu m’en faisais, et tu t’en estimais davantage ; tu croyais que Je te devais beaucoup, parce que tu me laissais prendre ce qui M’appartenait. Il faut que tu rendes jusqu’au dernier denier, et que cette propriété soit entièrement détruite, qu’il n’en reste plus rien, car elle volera tant qu’elle subsistera ».

L’âme voit alors que l’Amour a raison, elle ne demande plus rien, elle n’espère plus rien, elle demeure muette et morte à tout, abandonnée à toutes les rigueurs que l’Amour voudra exercer sur elle : elle les trouve justes et équitables. Elle voit bien qu’elle a eu tort de se plaindre, et que l’Amour fait tout justement. Elle vient jusqu’au point de vouloir bien qu’il [258] se venge sur elle de tout ce qui lui a déplu. Elle commence à entrer dans les intérêts de Dieu contre elle-même, elle aime et bénit cette justice, qui en lui ôtant tout, a restitué à Dieu ses usurpations. Elle tourne toute son indignation contre elle-même, et c’est le dernier degré de cette perte. Alors l’amour, comme un feu dévorant, vient dissoudre tout ce qui reste de consistant en cette âme, et qui lui est propre. Alors arrive la dernière perte, mais perte heureuse et fortunée, où l’âme dépouillée de tout, fondue, (s’il est permis de parler ainsi,) s’écoule et se perd avec Jésus-Christ en Dieu501.

C’est en Dieu qu’elle retrouve tout ce qu’elle a perdu, non pour en jouir propriétairement, mais pour le voir en Dieu et pour Dieu avec une complaisance infinie. Les biens temporels, et tout ce dont on a parlé, qui sont des biens hors de nous, ne sont point rendus ; mais il est donné une aisance à l’âme pour se passer de ce qu’elle n’a pas, et Dieu ne manque pas au nécessaire.

Pour les puissances, leur perte a fait leur gain, Dieu leur donnant ce qui leur est nécessaire dans le moment présent, et non par anticipation. Par exemple, cette personne qui se croit une bête, toute lumière de son esprit propre étant éteinte, trouve dans l’occasion que l’esprit lui fournit de tout ce qu’il lui faut, mais s’il fallait fonder son esprit par anticipation, elle n’y trouverait rien du tout. Mille choses lui paraissent impossibles, qu’elle fait parfaitement bien dans l’occasion. La mémoire lui fournit à point nommé ce dont on a besoin, et non plus tôt, car si on voulait chercher quelque chose, on ne le trouverait pas ; mais dans le besoin il est remis tout [259] d’un coup, ce qui fait que l’esprit est dans un grand repos, ne cherchant point ce qu’il n’a pas, et recevant de moment à autre ce qui lui est donné. Et elle est surprise qu’elle trouve mille choses divines et admirables qu’elle ne croit pas avoir. Elle ne les a point à la vérité en elle pour en jouir, mais en Dieu pour Dieu, qui lui fournit dans le besoin ce qui lui est nécessaire, même pour les choses extérieures qui regardent les conversations non recherchées, mais celles qui viennent par providence. La mémoire fournit à point nommé les choses nécessaires, les passages de l’Ecriture etc. quoiqu’on s’en croie entièrement vide.

Pour la volonté, Dieu ne lui en rend jamais l’usage. Mais Sa sainte volonté supplée à tout dans l’âme ; c’est pourquoi cette âme ne retrouve plus ni choix, ni désirs, ni volonté. Tout cela s’est écoulé en Dieu. L’âme trouve en elle une souplesse presque infinie, ne trouvant aucun usage de sa volonté, mais Dieu lui faisant faire et souffrir tout ce qu’il Lui plaît et comme il Lui plaît, sans répugnance de sa part.

Or comme la volonté est la souveraine des puissances, c’est par elle que Dieu perd les autres en lui. Il se sert d’elle d’abord pour tout réunir dans le centre, et c’est elle qui produit le fort recueillement.

C’est ce qui fait que ceux qui vont par le recueillement et par le simple goût de la volonté, prennent le plus court chemin. Les autres puissances peuvent bien attirer la volonté pour des moments et la distraire, mais non l’entraîner avec elles : c’est elle qui a ce pouvoir, et qui les perd en Dieu par une heureuse extase d’autant plus réelle qu’elle s’aperçoit moins dans502 [260] l’extérieur, auquel il n’arrive aucun changement, ni rien d’aperçu, cette extase se faisant par un écoulement simple et mystique en Dieu, d’autant plus admirable qu’il est plus simple et plus naturel.

C’est elle [encore, la volonté] qui fait écouler tout dans le centre, et le centre même en Dieu. Or comme les choses tendent naturellement à leur centre, et qu’elles ne font d’effort pour y arriver qu’afin de détruire les obstacles qui les retiennent hors de leur centre, de là vient que la volonté ne pouvant se perdre en Dieu sans obstacles qu’après les pertes susdites, elle s’y perd alors sans effort, et comme naturellement. Or comme toutes les puissances réunies se trouvent dans ce centre où la volonté les a entraînées en s’y écoulant et où elles se sont perdues peu à peu, et que ce centre est Dieu et la vie de la volonté, c’est alors véritablement que l’âme est et vit en Dieu comme en son lieu propre, ainsi que l’exprime saint Paul : C’est en Dieu que nous agissons, que nous nous remuons, que nous vivons, et que nous sommes503.

C’est là que l’âme est peu à peu transformée en son divin objet504 parce que l’âme n’ayant plus d’usage de sa propre volonté, cette volonté passée en Dieu, Dieu la change en la Sienne.

C’est cette perte qui nous ayant fait mourir au vieil homme, nous donne l’homme nouveau. On peut dire alors : Je vis, non pas moi, mais Jésus-Christ vit en moi505. J’ai tant écrit de ces choses, que cela suffit.

L’homme animal ne comprend point les choses de l’esprit ; l’homme spirituel juge de tout506. L’homme est tellement enveloppé dans les sentiments, [261] qu’il ne peut ni agir ni juger que par ces mêmes sentiments. Ce qu’il ne sent pas ou extérieurement ou intérieurement, lui paraît une chimère. Il veut juger de tout par des idées bornées, il veut soumettre tout à ces mêmes idées et ne s’élevant jamais au-dessus de lui-même par le désembarrassement de tout ce qui tombe sous les sens, il ne peut point comprendre les choses de l’esprit.

Il n’en est pas ainsi de l’homme spirituel, qui dégagé de tous préjugés, de toutes idées, de tous fantômes, imaginations, et de tous sentiments, s’élève au-dessus de lui-même pour contempler les beautés éternelles. Alors il juge des choses comme Dieu en juge : il commence à comprendre ce que Dieu est et ce qu’il mérite, qu’Il est Tout, que tout le reste n’est rien, que le Tout mérite tout et que le rien ne mérite rien. Il entre dans les intérêts de ce Tout, il compte le rien pour rien. Ce Tout doit tout exiger de ce rien, parce qu’il lui doit toutes choses. Et la plus grande de ses dettes est qu’il l’a rendu capable de L’adorer, glorifier, et aimer : Il doit donc employer tout ce qu’il est à ces trois fonctions. Il faut que le rien soit prêt à rendre au Tout, tout ce qu’il a reçu de Lui. Le Tout a droit de disposer du néant pour le temps et l’éternité ; le néant doit se compter pour rien, n’étant rien. Que Dieu se glorifie en lui ou par justice ou par miséricorde, tout lui doit être égal. Il n’y a qu’une justice, c’est ce que Dieu fait, et tout ce qu’Il fait est juste. Il n’y a ni ne doit [y] avoir qu’une seule gloire : c’est celle de Dieu ; il ne doit par conséquent [y] avoir qu’un amour, qui est celui de Dieu en Lui-même et pour Lui-même. Voilà ce que connaît l’homme spirituel. [262]

Cette connaissance que l’homme spirituel a puisée dans la vérité éternelle, fait qu’il juge de tout, et de l’aveuglement des amateurs d’eux-mêmes qui se rapportent toutes choses et Dieu même - eux qui devraient s’immoler sans cesse à ce seul et souverain Être. Les hommes spirituels ayant le goût très délicat, très purifié, très subtilisé, jugent des choses par ce même goût. J’entends des choses spirituelles et intérieures, car il ne faut pas s’imaginer que l’esprit purifié doive juger de toutes les choses temporelles : c’est de celles là qu’il faut juger par la droite raison. Mais le discernement des esprits s’étend sur toutes choses spirituelles, et sur l’esprit même. Il est vrai que pour le conseil qu’on leur demande, même en choses temporelles, ils ont une assistance plus particulière de Dieu, qui fait qu’ils rencontrent507 assez bien ; il ne faut pas les croire infaillibles pour cela. Ces choses matérielles ne sont guère de leur ressort, ils s’en dispensent autant qu’ils peuvent, mais leur fort est sur les choses de l’esprit : ils ont un goût très délicat pour la vérité qui leur fait discerner la fausseté du premier coup d’œil. La contrariété que fournit le faux raisonnement les blesse jusqu’au fond du cœur, mais à moins qu’ils n’aient mouvement de combattre cette fausseté, ils demeurent dans leur silence.

Ils voient avec douleur que des hommes choisis et dont Dieu ferait ses délices, demeurent arrêtés et ne répondent pas aux desseins de Dieu, par la fixation de leur pensée. Quelque pratique que l’on propose à l’homme, il y entre volontiers parce que cela est de sa compétence, qu’il y a de quoi exercer son action, et qu’il voit son travail devant soi ; tout ce qui est objectif [263] lui plaît assez parce qu’il a de quoi exercer son raisonnement, de quoi comparer, de quoi choisir. Il n’en est pas de même des vérités abstraites et purement spirituelles parce qu’il faut que l’homme s’élève au-dessus de soi, sorte de soi par une mort et un renoncement continuel général et sans exception. Il ne trouve rien là qui lui puisse servir de pâture, qu’il puisse comparer, qu’il puisse choisir. C’est une longue mort, c’est un retranchement de toutes les vies de l’esprit et du cœur desquelles l’homme fait ses délices, et qui font d’autant plus ses délices qu’étant éloignées de la région de la sensualité, il ne voit rien de plus innocent que de s’y livrer, parce qu’il n’en connaît pas le dommage, qui devient si grand que Dieu le livre quelquefois aux passions basses et honteuses pour guérir l’esprit. Celui qui ne marche pas par le renoncement et la mort de l’esprit ne deviendra jamais spirituel et ne sortira point de sa propre sphère pour passer en Dieu.

Amour pur, feu sacré, purifie, prépare, dissous cette fixation, fonds, détruis, afin que cette âme changeant de nature, d’usage, de pensée, soit propre à passer en Toi ! Fais cette fonte merveilleuse qui la perde, la change, la transforme en Toi. Ton seul divin amour le peut faire. Tu le feras sans doute, si ton sujet te laisse agir dans toute ta force et selon toute l’étendue de ta pureté. Qu’ils sont rares les sujets qui se laissent à Toi sans réserve, qu’ils sont rares ! Quand est-ce que Tu forgeras des cœurs dignes de toi ? C’est où tendent tous mes soupirs, et les gémissements de mon cœur ne te sont point cachés. Jésu infanti laus, honor et gloria ! [264]

*1.37 Fuite, silence et repos en Dieu.

Sur ces paroles qui furent dites à saint Arsène : fuge, tace, quiesce : fuyez, taisez-vous et soyez en repos508.

Il faut remarquer qu’on doit fuir toutes les créatures, non tant par la séparation extérieure, qui n’est pas toujours en notre pouvoir, que par la division du cœur. Cela ne se peut faire que par un retour sincère et véritable vers Dieu : en s’approchant continuellement de Lui, on s’éloigne insensiblement des créatures, c’est pourquoi la conversion est un retour à Dieu et un détour de la créature. La perfection consiste à être uni étroitement à Dieu et entièrement séparé des créatures.

L’exercice de la présence de Dieu est le [265] plus assuré moyen d’y parvenir, joint à la retraite intérieure : rentrer souvent en soi-même, où Dieu habite, lier avec lui une conversation de cœur. La conversation de cœur doit être conforme à l’opération de Dieu dans notre âme ; elle doit être simple comme Dieu est simple. L’acte de la créature vers Dieu doit être simple, comme l’action de Dieu sur la créature est très simple. Cet acte doit être un écoulement de notre âme en Dieu, comme le Verbe s’écoule, (pour ainsi parler,) dans notre âme ; et cela s’opère peu à peu, par retours fréquents de la volonté vers Dieu, ensuite par une simple tendance de cette même volonté vers son divin Objet. Cette tendance se simplifie chaque jour, et enfin devient unité. Parce qu’à mesure que la créature se convertit à son Dieu, ce Dieu de bonté demeure tourné vers Sa créature, laquelle tendant continuellement à Lui et Lui la gratifiant continuellement des infusions divines, Il la dispose à recevoir passivement ces mêmes infusions. Par la réception desquelles elle est peu à peu disposée à l’union divine, ce qui n’est pas plutôt fait que Dieu S’unit à cette âme. Et en S’unissant, Il s’écoule en elle par sa vertu secrète et divine, et la fait passer en Lui - pourvu toutefois qu’après avoir fui et quitté toutes les créatures, elle se quitte aussi elle-même, perdant toute propriété, toute dissemblance, tout ce qui est d’elle et à elle, pour passer en Dieu - où tout ce qui est de la créature se trouve anéanti moralement en ce qu’elle a de propriétaire et passe en Dieu très véritablement, où elle perd toute dissemblance, et par là est une même chose avec son Dieu509, étant entrée dans son [266] être original, où l’être particulier de cette créature se perd et confond comme une goutte d’eau se perd dans la mer et se change en elle.

Ce serait peu de quitter toutes les créatures et aller dans les déserts, si on ne se quittait pas soi-même. Se porter dans la retraite, ce n’est point fuir ; être séparé de soi-même au milieu même du monde, c’est fuir. C’est pourquoi Notre Seigneur ne nous a pas dit de fuir absolument dans les déserts, mais bien de nous renoncer nous-mêmes510, cette renonciation faisant une âme parfaitement solitaire puisque se quittant soi-même, Dieu habite seul en elle, et elle participe à la solitude éternelle de Dieu avant la création du monde. Non que cela empêche qu’elle ne s’applique aux choses et aux personnes auxquelles Dieu l’applique, mais cela se fait en Dieu même, qui la meut de ce côté-là et l’applique à qui il Lui plaît - ce qui n’interrompt point sa solitude, non plus que celle de Dieu n’est point interrompue par son application continuelle sur les enfants des hommes. Cela (cette interruption de solitude avec Dieu) est511 entièrement impossible à une âme ainsi perdue dans son Être original, où elle n’a plus de possession de soi-même, parce que Dieu n’est plus distinct d’elle, à cause du parfait mélange qu’il y a entre Dieu et cette créature512.

Elle ne peut donc, par nul effort, ni prier, ni s’appliquer pour aucune personne, quelque proche et chère qu’elle lui soit, que Dieu ne l’y applique. Mais elle ne [267] peut non plus se distraire de l’application où Dieu la met pour certaines personnes, ni ne point faire ce que Dieu veut qu’elle fasse. Parce qu’ayant fait une démission de tout elle-même entre les mains de Dieu, Dieu par l’acceptation qu’Il en a faite s’est emparé de sa liberté, en sorte qu’autant qu’elle était autrefois captive, quoique avec tous les droits de sa liberté, elle est à présent libre par la perte de toute liberté, tant qu’elle suit aveuglément le Maître qui la gouverne. Et elle cesse d’être libre sitôt qu’elle pense user d’elle-même en quelque chose, car alors sortant de son état naturel, elle entre dans un état violent513.

Pour me faire mieux entendre, il faut savoir que lorsque l’âme est passée en Dieu par la perte de toute volonté propre et de toute propriété, Dieu devient son propre bien, et la volonté de Dieu sa parfaite liberté. De manière que tant qu’elle subsiste en Dieu et qu’elle fait aveuglément et sans retour ce qu’Il lui fait faire, elle est dans un état tout naturel. Rien n’est sensible, ni distinct, ni aperçu. Elle vit continuellement sans retour et fait continuellement la volonté de Dieu sans penser qu’elle la fasse, comme une personne respire continuellement l’air qui lui est propre et naturel, sans penser qu’elle respire. Ou, si vous voulez, comme un poisson qui vit dans la mer parce que c’est son élément, et qui suit le mouvement de cette mer d’une manière toute naturelle ; mais on ne le tire pas plutôt de l’eau qu’il entre dans un état violent. De même l’âme perdue en Dieu n’entre pas plutôt en possession d’elle-même pour se conduire par le sens et la raison, sous quelque prétexte que ce puisse être, qu’elle entre dans un état violent. Elle n’est pas alors dans cet état [268] d’aisance qui lui est tout naturel, si bien que ne pouvant vivre longtemps de cette sorte, il faut qu’elle retourne dans son premier état simple, qui est devenu son état naturel.

Ceci supposé, une âme fort perdue en Dieu et établie dans cet état de perte, d’impuissance de se posséder soi-même et d’user de sa liberté, est [dans] la plus sûre marque de l’anéantissement. Et l’anéantissement est vraiment fuir de soi-même après avoir fui de tout le reste puisque effectivement l’homme anéanti s’est véritablement quitté soi-même pour passer à sa dernière fin.

La seconde parole qui fut dite à saint Arsène, c’est Tace : tenez-vous dans le silence. Il y a le silence extérieur de la bouche ; il y a le silence intérieur du cœur. Il faut commencer par se taire de bouche, se taisant à toutes les créatures et de toutes les créatures, afin que le cœur parle, suivant ce beau passage de saint Augustin, que contre ma coutume, je dirai en latin, pour ne le savoir d’une autre façon : silentium est oris otium, propter cordis negotium : ideo enim otiatur homo exterior, ut liberius negotietur interior ; et ideo clauditur oris ostium, ut plenius impleatur cordis officium514. Il faut donc se taire de la bouche pour laisser parler le cœur. Et quel est le langage du cœur ? C’est une effusion de lui-même par l’amour dans l’objet aimé : c’est ce qui s’appelle répandre son cœur en la présence de Dieu515. C’est le silence de la parole qui opère ce parler du cœur, qui n’est autre qu’une tendance ou saillie tranquille de ce même cœur vers son Dieu.

Mais il y a encore le silence du cœur, qui retranche même au cœur ce langage expressif, cet écoulement actif, quoique tranquille, cette tendance qui est un acte simple du cœur, pour mettre ce même cœur dans un parfait silence. Et c’est là la pure passivité, où le cœur ne fait que recevoir ce qui lui est donné, sans faire d’actes quelques simples qu’ils soient, j’entends, actes d’opération ; car il y a toujours un acte de vie par lequel il reçoit vitalement et avec agrément ce qui lui est donné sans rien apporter de son côté ni pour se préparer, ni pour le recevoir, ni pour le conserver. Mais de même que le poisson vit dans l’eau sans rien retenir de cet élément, qui est la source de sa vie, le laissant entrer en lui et sortir de lui comme il lui plaît, de même l’âme arrivée à la parfaite passivité, non seulement pour l’oraison, mais aussi pour l’action, laisse Dieu opérer comme il Lui plaît, sans en rien retenir. Et de même que le poisson se noie, lorsqu’il ne peut rendre l’eau qu’il reçoit, de même l’âme qui retient quelque chose des opérations de Dieu, en est quelquefois noyée et submergée de telle sorte qu’on a vu des saints tomber dans des extases, et d’autres mourir de la violence de l’opération de la grâce. Mais les âmes anéanties reçoivent les communications continuelles de Dieu sans altération, parce qu’elles ne retiennent rien, et qu’étant parfaitement passives, elles516 leur sont naturelles, comme l’air que l’on respire aisément est naturel. Mais quoique l’air soit absolument nécessaire à la vie, un air violemment poussé dans une personne la ferait aussi bien mourir qu’un air supprimé. [270]

Je dis donc que le silence de la bouche est le premier. Qu’il opère une oraison de recueillement, de foi lumineuse et savoureuse dans laquelle le cœur se répand devant Dieu. Mais le silence du cœur suppose la parfaite passivité, qui exclut du cœur la plus simple action procédant de ce même cœur, quoiqu’elle n’exclut pas l’action de Dieu dans le cœur, au contraire, qu’elle y donne un plein lieu. Elle n’ôte pas non plus l’action de ce même cœur mû et agi par Dieu, ce qui au contraire est un état très parfait et le fruit de l’anéantissement. Mais elle exclut toute action propre au cœur et dont il est le principe, quoique accompagné de la grâce, quelque simple et petite que soit cette propre action. Ces paroles ont bien de la convenance avec celles de Jérémie : il s’assiéra, se taira, et s’élèvera au-dessus de soi517. La cessation de nos propres opérations nous porte à nous taire de bouche et de cœur. La fuite de toutes les créatures et de nous-mêmes nous élève au-dessus de nous-mêmes pour nous perdre en Dieu.

Le quiesce, qui est la dernière parole qui fut dite à saint Arsène, est un repos en Dieu, repos commencé en cette vie et qui se consomme dans l’éternité. C’est comme s’il lui avait été dit : En fuyant et vous taisant, vous parviendrez au parfait repos qui ne se trouve qu’en Dieu même, qui étant notre premier principe est aussi notre dernière fin. L’âme perdue en Dieu et établie en Lui trouve partout et en tout son repos, parce qu’elle est possédée de Dieu sans interruption. C’est le sabbat éternel où l’âme n’éprouvant plus de vicissitudes, n’a plus rien qui la trouble : elle est toujours reposée de [271] toute action, n’en ayant plus d’autre que celle que Dieu lui donne ; et étant même dans une heureuse impuissance de se soustraire à son domaine, elle est toujours parfaitement tranquille et paisible. Mais cet état, surtout lorsqu’il est fort avancé, est tellement naturel à l’âme, qu’elle ne peut plus rien distinguer. Elle518 ne connaît point faire la volonté de Dieu en la faisant, car faire continuellement la volonté de Dieu est un état qui lui est tout naturel.

Mais elle la connaît, lorsqu’il lui paraît qu’elle ne la fait point et qu’elle suit la raison ou le train ordinaire des choses. Parce qu’alors elle est mise dans un état violent, qui lui fait comprendre qu’en suivant en cette occasion la loi de la raison elle s’écarte de la loi de la volonté sur elle, qui est sa loi particulière, loi d’amour, qui est gravée dans le fond de son cœur - du cœur de l’homme abîmé et perdu dans son Dieu. A moins que l’homme [qui est ainsi] en Dieu, ne sorte de cet état (qui lui est tout naturel) soit par la réflexion, soit pour suivre des conseils extérieurs, soit pour faire dans l’ordre naturel ou raisonnable quelque chose que Dieu ne veut pas, ou pour ne pas faire ce que Dieu veut, à moins de cela, dis-je, il est dans un état simple, pur, qui semble tout naturel, et dans un repos parfait, étant dans l’ordre et la disposition divine, qui fait tout le repos du temps et de l’éternité. Et aussi [il est] dans sa fin.

Mais comme il arrive souvent qu’à cause de la faiblesse de la créature et des différentes choses que Dieu exige d’elle, elle sorte en quelque [272] façon519 (sans sortir cependant) de cette disposition divine, où il faut qu’elle rentre tout-à-l’heure520, sans quoi elle ne pourrait vivre, à cause de l’extrême violence qu’elle ressent, on peut bien dire, que quelque sublime que soit le repos de cette vie, ce n’est qu’un repos commencé, qui ne se consommera que dans l’éternité, où n’ayant à faire à nulles créatures qui ne soient parfaitement anéanties, il n’y a nulle raison de rien craindre, d’hésiter, et par conséquent d’altérer ce repos pour peu que ce soit.

*1.38 De la Prière parfaite, ou de la contemplation pure.

Sur ces paroles : Priez sans cesse, dit Jésus-Christ, et saint Paul : Priez sans intermission521.

Lorsque Notre Seigneur nous commande de prier sans cesse, il n’a pas voulu nous commander une chose impossible, non plus que saint Paul nous le conseillait. Il faut voir quelle sorte de prière peut être continuelle.

La prière vocale, quoique bonne selon la manière dont elle est faite, ne peut être continuelle : mille choses l’interrompent ; et c’est une chose connue de tout le monde qu’il est impossible que la prière vocale soit sans interruption. Quelques personnes peu éclairées sur la véritable prière, ont dit que Jésus-Christ parlait à l’Eglise en général et non à une personne particulière, et qu’ainsi la distribution des offices fait que toute l’Église ensemble fait une prière continuelle. Qui ne voit que Jésus-Christ et saint Paul ne parlaient point de la distribution des heures canoniales, puisqu’il n’en a été question que longtemps après, et que d’ailleurs ce qui se passerait dans l’Église générale se doit passer dans l’Église particulière, c’est-à-dire dans [274] l’âme ? D’ailleurs le même Jésus-Christ, qui nous commande de prier sans cesse, nous ordonne aussi de parler peu dans nos prières, parce que notre Père céleste connaît nos besoins, et qu’Il sait ce que nous devons Lui demander avant que nous le Lui demandions522. L’Ecriture dit qu’il exauce la préparation du cœur du pauvre523, de celui qui ne sait rien demander et qui ne connaît pas même ses besoins. Saint Paul ne dit-il pas : L’Esprit nous aide dans nos faiblesses ; parce que nous ne savons ce que nous devons demander, ni le demander comme il faut524. D’ailleurs Jésus-Christ veut que nous adorions le Père en esprit et vérité, qu’il est esprit, et qu’il lui faut des adorateurs en esprit525. Le chant est plutôt des Cantiques de louange ou des relations de ce que Dieu a fait en faveur des Juifs, qu’une prière perpétuelle. Il y a d’excellentes prières dans les Ps.s, mais ces prières ne sont pas continuelles.

La méditation ne peut être non plus une prière perpétuelle. Outre la difficulté de toujours méditer, c’est que la méditation dans toutes ses parties n’est pas une prière ; et que d’ailleurs tout ce qui se passe dans l’esprit d’une manière raisonnée ne peut pas être perpétuel, à cause de la faiblesse de l’esprit de l’homme et de sa volonté et légèreté.

Les oraisons qu’on appelle jaculatoires, quoique les plus excellentes, parce qu’elles viennent du souvenir de Dieu, et d’affection, ne peuvent pas non plus être continuelles.

Toutes ces prières, pourvu qu’on ne s’en surcharge pas, sont très bonnes, pour introduire [275] dans la prière sans intermission, comme les anciens sacrifices étaient une disposition au sacrifice perpétuel.

Il reste à faire voir qu’il y a une prière qui se peut faire en tout temps et en tous lieux, que rien ne peut interrompre que le péché et l’infidélité. Cette prière est une tendance perpétuelle du cœur vers Dieu, laquelle vient de l’amour. Cet amour attire la présence de Dieu en nous, et on éprouve souvent que cette prière se fait en nous sans nous. Elle se fait dans l’esprit par la foi.

Cette prière de Foi est simple, pure, générale, indistincte ; et comme rien ne la termine à cause de sa vastitude et de son étendue, aussi rien ne l’interrompt ni ne la finit. La prière de la volonté qui se fait par tout le penchant du cœur vers son souverain objet, ne peut non plus être interrompue, parce que le cœur ne se lasse point d’aimer, comme il est écrit que l’œil ne se lasse point de voir526, et le cœur de comprendre.

Cette vue simple, pure, générale, indistincte, ne lasse jamais ; ni l’Amour pur, simple et nu. Plus l’amour est grossier, plus il se lasse, car ce qui est sensible ne peut être de durée. Parce que plus les choses sont grossières et matérielles, plus elles sont sujettes au changement. Plus au contraire elles sont simples et pures, plus elles sont invariables. Il y a dans les choses simples une continuité sans effort, qui est si naturelle que la continuité en fait toute l’aisance, au lieu que les choses matérielles tiraillent et s’affaiblissent par leur continuité. Les choses spirituelles, plus elles sont simples, plus elles sont de durée.

Toutes les créatures gémissent527 et sont dans [276] un état violent jusqu’à ce que leur changement arrive, c’est à dire qu’elles soient délivrées des obstacles qui les empêchent de retourner à leur principe, ou de retourner à leur centre, suivant leur nature. Une muraille composée de pierres liées ensemble et qui font une continuité, ne peut subsister toujours de la même manière à moins qu’on n’y travaille souvent : le temps détruit les plus grands et superbes édifices. Mais lorsque les pierres sont détachées de cette continuité qui les retenait avec violence, elles retombent dans leur centre, elles y subsistent sans effort, elles y restent sans soin de personne, elles ne s’usent ni se fatiguent. Il en est ainsi de notre esprit : la foi le retire de la multiplicité et de l’état violent pour le réduire à l’unité ou à l’état simple, qui est son centre. Il est sorti pur et simple des mains de Dieu ; c’est où il doit retourner pour retrouver son principe, son centre, sa fin, le lieu dont il est sorti, où il tend sans cesse.

Cette tendance est la prière propre à l’esprit, qui se fait sans interruption parce que Dieu étant Esprit, et notre esprit [étant] émané du Sien, il a une tendance à se rejoindre à son tout. Et lorsqu’il est arrivé à son centre, qui est Dieu, il n’a plus de tendance, parce qu’il a trouvé le lieu de son repos, où il demeure tranquille et paisible, sans se donner d’autre mouvement que celui que lui donne son centre même, où il est parvenu. Il faut penser de la volonté comme de l’esprit.

Le centre de l’esprit est la foi, qui le purge pour le faire passer en Dieu, son plus profond centre. Le centre de la volonté est l’amour, qui la purifie assez pour la faire passer en Dieu, où elle [277] perd toutes les agitations d’un feu éloigné de sa sphère et toutes les tendances de celui qui approche de son centre, pour se reposer dans ce même centre, où il est arrivé.

Or il faut raisonner de l’oraison, de son commencement, de son progrès et de sa perfection selon ce que nous avons dit de l’esprit et de la volonté : car la prière intérieure est un assemblage de ces deux puissances, et un composé de foi et d’amour.

Plus l’esprit et la volonté sont éloignés de leur centre, plus la foi est multipliée en différents objets, et plus l’amour a d’agitations et d’élans marqués. Mais à mesure que l’esprit et la volonté approchent de leur centre, ce qui est multiplié se simplifie, et enfin se réunit, et devient esprit purgé dans une entière simplicité. Les élancements de la volonté se perdent de même ; elle devient peu à peu tranquille et reposée, jusqu’à ce qu’elle arrive à son centre, où toute agitation et la tendance même cessent par un entier repos. Au commencement l’agitation est plus forte ; ensuite elle devient une tendance, qui se simplifie chaque jour, et qui devient peu à peu plus imperceptible, jusqu’à ce que l’âme étant parvenue à son centre, ait atteint un parfait repos.

De sorte qu’il est aisé de remarquer, que ceux qui croient que le multiplié et le distinct dans l’esprit, et le véhément dans l’amour, sont le plus parfait, se trompent beaucoup. Tout le distinct lumineux, et l’amour ardent et impétueux, ne viennent que de leur défaut et de l’éloignement de leur centre, dont l’un est Dieu-vérité pour l’esprit, et Dieu-charité pour la volonté. C’est pourtant ce dont on fait [278] le plus de cas aujourd’hui : on étale à nos yeux, comme quelque chose de bien grand ces brillants, ces ardeurs, ces véhémences, cette multitude d’objets, visions etc., quoique cela soit en vérité très faible et très petit au prix de la révélation de Jésus-Christ, que l’âme trouve dans son centre (lorsqu’elle y est arrivée) sans images, formes, ni espèces. Cet amour agité et de tendance est bien différent de cet amour reposé dans son centre.

On commence donc par l’agitation, qui s’apaise et tombe insensiblement dans une certaine tendance, qui est bien plus parfaite. Et cette tendance nous conduit dans le centre, où elle se perd elle-même avec nous. Il n’est pas surprenant que l’homme ne fasse cas que de ce qui est de sa portée, de ce qu’il peut distinguer et nommer.

Aussi ce qu’on écrit dans les Vies des saints est la moindre partie de ce qu’ils sont. Ceux qui ont écrit les vies des saints n’ont pu écrire que les choses extérieures et qui tombent sous les sens. Ceux des saints qui ont écrit leur propre vie, quoi qu’ils aient écrit des choses plus intérieures et des dispositions qui paraissent très parfaites, n’ont pu écrire que l’aperçu et les choses nominables. Mais lorsque l’amour et la foi ont atteint à peu près la perfection qu’elles doivent avoir en cette vie, ils ne peuvent plus rien dire d’eux-mêmes, puisque la tendance, qui était la seule chose exprimable, est tombée dans le centre, où l’âme étant toute anéantie à elle-même, ne pense rien de soi, ne voit rien de soi, se perd elle-même avec son amour et sa foi dans son être original, où elle ne voit rien que Dieu sans rien discerner en Lui, comme une personne [279] tombée dans la mer ne voit plus que la même mer, sans rien discerner de cette mer, ni couleur, ni odeur etc. Il en est ainsi de l’âme perdue en Dieu : elle ne peut plus rien dire de ses dispositions présentes, elle peut parler du passé, et écrire dans le général ce qu’on lui fait écrire de la vie intérieure ; mais lorsqu’on lui demande sa disposition, elle est interdite et étonnée, n’en connaissant aucune et [ne] sachant ce qu’on lui veut dire, non plus qu’un petit enfant ignorant.

C’est en parlant de cette prière, qui devient un état de prière, et par conséquent sans interruption, que saint Antoine, ce premier homme connu des déserts, a dit que la prière de celui qui prie, n’est pas parfaite, lorsqu’il connaît qu’il prie528. Il ne faut pas douter que ces Pères des déserts fussent des gens très intérieurs, très éclairés, et très parfaits. On ne nous écrit que de leur abstinence, qui est la moindre partie d’eux-mêmes. De ces grands solitaires il y en avait de plus intérieurs les uns que les autres. Je crois que ces derniers, sans rien affecter, mangeaient simplement ce que la Providence leur fournissait. Comment celui qui ne discernait plus sa prière, aurait-il été dans cette attention perpétuelle pour le boire et le manger ? Ils étaient par la nécessité de leur état dans une abstinence perpétuelle et générale de toutes choses, sans toutes ces attentions entièrement opposées à l’état d’un homme qui ne discerne ni sa prière ni lui-même. Mais chacun écrit selon sa disposition particulière, et non celle du saint, [280] relevant beaucoup ce qu’on estime, et passant légèrement ou taisant tout à fait ce qu’on n’estime pas, parce qu’on ne le connaît pas.

Qu’auraient-ils fait ces grands hommes dans les déserts sans l’oraison, les Paul ermites529, qui n’avaient ni livres, ni ouvrage, ni amusement, et qui étaient si accoutumés à prier que saint Antoine530 dit, que son corps priait même après sa mort ? C’est l’oraison qui fit persévérer saint Antoine plusieurs années dans un sépulcre, et vingt années dans un château ruiné où il était seul. C’est l’oraison qui a dérobé tant de grands hommes à la connaissance des autres hommes, car je ne doute pas qu’il n’en soit bien mort d’inconnus à toute la terre. Dieu nous en a montré un exemple en saint Paul l’ermite, qu’il a manifesté à saint Antoine, pour marquer qu’il y en avait d’inconnus à toute la terre qui ne seraient connus que dans l’éternité. C’était donc cette prière continuelle, dont j’ai parlé, qui était leur nourriture et leur occupation perpétuelle. Comme Dieu a fait voir en Paul qu’il pouvait y avoir un grand nombre de ses serviteurs inconnus, il a fait aussi comprendre par ce peu de paroles de saint Antoine quelle était la prière de ces grands hommes. L’oraison n’est pas parfaite de celui qui connaît qu’il prie. O oraison, qui faisiez qu’Antoine531 craignait le retour du soleil, combien étiez-vous pure, simple et facile dans votre continuité !

On sait bien que tous n’étaient pas également parfaits ; mais ceux qui aspiraient à le devenir, faisaient leur principale étude de l’oraison. [281] Qu’auraient-ils fait sans elle dans ces déserts inhabités ? Elle était toute leur ressource, leur compagne fidèle, c’est elle qui combattait leurs ennemis. Aussi les hommes bien éclairés ne voulaient pas qu’on fut solitaire, séparé de tous, qu’on ne fut avancé en l’oraison, de crainte des embûches du Démon.

O mon Seigneur Jésus-Christ, vous qui me commandez de prier sans cesse, donnez-moi la grâce de le faire, accordez-moi cette même faveur pour ceux que vous m’avez donnés. C’est vous, ô divin Verbe, qui êtes en nous cette prière perpétuelle et sans interruption. C’est vous, ô divin Agneau, qui êtes la lampe qui éclaire tout le ciel de notre âme. Que nous n’ayons jamais d’autre prière que la vôtre, d’autre lumière que la vôtre, d’autre amour que le vôtre !

J’ai fait cette nuit un songe admirable. Il me semblait que m’étant cachée dans le coin d’un lit pour prier, on m’a appris comme les Anges contemplent. C’est quelque chose de si vaste et de si grand, que je ne le puis exprimer. J’ai compris que les Anges ne pensent point532, et dans tout ce temps il n’a pas été admis une pensée. L’âme élevée au-dessus de tout ce qui est possible n’admet ni vue distincte ni objet, mais elle est abîmée dans ce Dieu surressentiel. C’est quelque chose qui surpasse toute intelligence. J’ai compris la nécessité de n’admettre aucune pensée quelle qu’elle soit, ni bonne ni mauvaise, et comment il faut être dégagé de toute espèce pour une pure oraison. Il y avait longtemps que je l’avais compris, mais non pas de cette manière. [282]

Ce que nous pouvons et devons faire de notre part est de nous défaire de toutes pensées, de tout raisonnement, de toutes espèces, n’en admettant aucune volontairement, non seulement en priant, mais durant le jour, les laissant tomber dès qu’elles paraissent, sans les admettre, et nous aurons cette Contemplation suressentielle, qui ne peut être donnée qu’à l’esprit purgé.

Cette purification de l’esprit s’appelle mort. Or, comme la mort, ou la mortification de la volonté, consiste non seulement à n’admettre aucune volonté, quelle qu’elle soit, pour ne vouloir que la volonté de Dieu mais aussi tout désir, tout penchant, toute inclination, en sorte que cette âme n’aime plus par choix, mais que Dieu la lie à qui il Lui plaît, et comme il Lui plaît : aussi la purification de l’esprit consiste à n’admettre ni raisonnement, ni pensée, ni espèce - afin que l’esprit nu et dégagé soit imprimé de ce qu’il plaît à Dieu, ou plutôt qu’il demeure dans cette immense vacuité. Si l’homme pouvait être dans ce dégagement absolu de toute idée, pensée, espèce, raison, ressouvenir, et y persévérer comme il persévère dans l’extinction de tout désir, il serait parfait en Dieu, quoique Dieu le couvrit au-dehors de certains défauts apparents pour le dérober à la connaissance des hommes, comme Son Sanctuaire et le tabernacle de ses complaisances. Mais on retombe à la manière de penser, et on ne reste pas fidèle, parce que l’homme veut agir en la manière de l’homme, et non en celle de Dieu.

Cette mort de l’esprit est bien plus longue, plus dure, plus difficile que toute autre mort. [283] Mais si l’homme voulait travailler de bonne heure et avec une fidélité exacte et perpétuelle à se défaire de tous ses embarras de l’esprit, cet esprit se purgerait, et il adorerait véritablement en esprit purgé le pur et sublime Esprit. Si mes enfants prenaient un nouveau courage, et qu’ils voulussent bien sans discontinuation travailler à ne laisser entrer chez eux volontairement aucune des choses que j’ai dites, ils entreraient dans un pays nouveau, ils se délivreraient des fantômes et de mille croix que l’imagination fournit. Commençons, je vous conjure, à travailler avec courage. Dieu nous aidera lui-même dans notre travail, et accomplira enfin en nous toutes nos œuvres533. O mon Dieu ! Est-ce par les défauts apparents que j’ai portés depuis quelques jours, par cette suite d’humiliations, et surtout dans le temps que je croyais que Vous m’aviez rejetée et que je ne me trouvais plus la même, est-ce, dis-je par ces contraires que vous prépariez mon âme à une si haute intelligence ? Vous me faites comprendre, ô Amour, Esprit saint, que par cette voie de mort on prévient ou évite toutes hérésies, toutes disputes, toutes dissensions, tout ce qui excite les passions, tout entêtement, pour entrer dans la nue et pure Vérité ? O Dieu, faites comprendre ceci, et encore plus le pratiquer, à ceux que vous avez choisis, et pour lesquels vous m’intéressez si fort !

Il est dit que Jésus allait la nuit sur la montagne pour faire la prière de Dieu534. Qu’est-ce que la prière de Dieu ? Contempler et aimer. Dieu Se contemplant Soi-même, produit par Sa [284] fécondité divine une Image vivante de tout Lui-même, si conforme et si égale à Lui, qu’il ne peut y avoir de différence. Il a une complaisance infinie dans cette Image vivante de tout Lui-même ; et cette image vivante, qui est Son Verbe, a aussi une complaisance autant infinie qu’elle est réciproque dans le Père qui L’engendre sans cesse. Cette complaisance réciproque produit un Amour infini et égal au Père et au Fils. Une complaisance infinie ne peut produire qu’un amour infini. C’est donc la contemplation et l’amour qui est la prière de Dieu.

C’est celle qu’Il faisait sur la montagne la nuit, et c’est celle que nous devons faire, comme Jésus-Christ n’a rien fait que nous ne devions tâcher d’imiter, autant que notre faiblesse et la bassesse de ce que nous sommes nous le peut permettre. Examinons les circonstances de cette prière.

Premièrement, Jésus-Christ se retire à l’écart, pour nous apprendre que nous devons nous séparer de toutes les créatures, de pensée et d’affection. L’affection produit ordinairement la pensée. Si nous nous aimons beaucoup nous-mêmes, les pensées et les retours sur nous-mêmes nous distrairont souvent, l’amour, la haine, les désirs des richesses ou honneurs, des sciences, de l’esprit etc. Il faut donc nous séparer de toutes ces choses. Il faut encore se retirer sur la montagne, nous outrepassant nous-mêmes, nous oubliant, pour ne nous laisser occuper que de cet Etre simple et immuable : là, vides de tout ce qui n’est pas Lui, nous serons en état de recevoir Son image, qui est Son Verbe en nous. Car partout où il n’y a que Dieu par la séparation de nous-mêmes et de tout le [285] créé, Dieu y produit son Verbe, et S’y aime Soi-même ; de sorte que cette âme ainsi séparée, participe au commerce ineffable de la très sainte Trinité. Il faut de plus que pour imiter Jésus-Christ, notre retraite sur la montagne se fasse de nuit, pour nous apprendre que quelque haute que soit la contemplation en cette vie, c’est toujours une nuit à l’égard de l’éternité ; et aussi pour nous enseigner que la contemplation véritable se doit faire dans la nuit de la foi.

C’est cette admirable obscurité que saint Denis appelle brouillard caligineux535, et qui était figuré par la nuée qui était sur le Tabernacle sitôt que la présence de Dieu remplissait le Tabernacle. O nuit, plus admirable que le plus beau jour! O obscurité, plus lumineuse que la lumière même ! Tu parais obscure à la faiblesse de notre esprit, quoique tu sois la même lumière. L’homme ne peut se contenter de toi, parce qu’il ne te connaît pas : cependant cette foi ténébreuse est si absolument nécessaire que sans elle on ne parviendra jamais en cette vie à la parfaite contemplation.

Cette contemplation doit être nue et simple parce qu’elle doit être pure. Tout ce qui la détermine, la termine et l’empêche, parce que Dieu étant un être pur et simple, on ne peut contempler ce qu’Il est que selon ce qu’Il est. Or il n’y a que la foi obscure et nue qui puisse nous donner cette contemplation pure et générale, qui n’ayant aucun objet formel, ne peut avoir aucune distinction ; et c’est la source de l’Amour pur. Car comme la contemplation n’a nul objet que ce Tout immense, où n’y ayant rien de distinct, elle ne peut rien discerner, elle [286] n’a aussi qu’un amour simple, qui ne peut admettre aucun objet ni aucune distinction, ni par conséquent aucun retour sur soi. Toute lumière particulière est comme une réverbération, qui ne donne jamais la chose telle qu’elle est en soi, mais en image grossière, qui ne peut ressembler au simple et immense Tout. 

Comme donc la prière de Dieu, ou la contemplation, n’est qu’un seul acte qui est contempler et aimer, l’âme absorbée dans ces ténèbres divines ne voit rien, ne connaît rien, tout lui paraît amour, elle ne croit faire autre chose qu’aimer. Et comme son amour est nu, proportionnellement à sa foi, elle ne discerne point son amour ni sa connaissance que par une chose, qui est l’amour surpassant et toute chose et soi-même.

Dès que l’amour n’a plus de retour sur soi, il est censé pur, quoiqu’il ne soit pas tout parfait. Lorsque l’amour ne veut rien pour soi, qu’il n’a que l’honneur, la gloire et le seul intérêt de Dieu, sans aucun rapport à soi, quel qu’il puisse être, il est censé plus parfait, car la perfection de l’amour consiste dans la ressemblance qu’il a avec celui de Dieu. Dieu comme Dieu, souverain principe et dernière fin, ne peut aimer que Lui ; et ce qu’il Lui plaît d’aimer, il faut nécessairement qu’Il l’aime par rapport à Lui ; et c’est ce que lui donne la qualité de Dieu. Il n’en est pas de même des êtres créés et émanés de ce Tout ; ils ne doivent aimer que ce Tout, et référer tout au Tout. S’ils aiment par rapport à eux, ils usurpent la qualité de Dieu, ils anticipent sur ses droits, ils contrarient ce qu’ils sont, qui est d’être créatures. De sorte que d’aimer Dieu par rapport à soi, loin d’être [287] un bien, est un défaut. Dieu en nous donnant cette émanation de lui-même, nous a donné cette qualité d’amour contemplant, et de pouvoir L’aimer comme il S’aime, sans retour ni rapport qu’à Lui-même.

Cette contemplation, qui n’admet rien, ne fait rien perdre à Dieu de ce qu’Il est ; car elle n’admet ni pensée, ni figure, ni rien de nominable, qui ne se pourrait trouver en Dieu et qui nous ferait nous forger de Lui quelque chose qui n’est pas. C’est pourquoi la foi obscure et nue est la parfaite contemplation de Dieu en Lui tel qu’Il est, laquelle ne Lui attribuant rien, ne Lui ôte rien. L’amour nu suit nécessairement la contemplation nue. Or cet amour est appelé nu et pur parce qu’il n’admet que Dieu sans rapport à soi-même, et que le moindre rapport à quelque bien que ce puisse être qui n’est pas Dieu même, empêcherait sa pureté, parce qu’il l’éloignerait de sa fin, qui est Dieu seul en lui et pour lui.

C’est cette contemplation parfaite et cet Amour pur qui fait la félicité des Anges et des saints dans le ciel, d’où tout propre intérêt, quel qu’il soit, est banni, et c’est aussi la félicité de cette vie, quoique d’une manière bien moins parfaite. Ce qui fait nos peines et nos souffrances intérieures, si nous l’examinons bien, ne vient que du rapport à nous-mêmes, de quelque beau prétexte que nous voulions nous couvrir. Prions avec Jésus-Christ sur la montagne. Prions comme lui ; contemplons, aimons, nous ferons la prière de Dieu. O divin Jésus ! Je m’unis à cette prière que vous faisiez la nuit à l’écart sur la montagne, à cette prière de Dieu ; faites que nous n’en fassions jamais d’autre ! [288]

Quoique cet amour ne regarde que Dieu-même, il influe ou il coule sur le prochain de ce même amour en Dieu ce que Dieu même veut et a voulu de toute éternité536. Or cela se fait ainsi. L’Amour pur ayant ôté tout amour particulier de la créature et toute inclination naturelle, Dieu lui influe, comme en Jésus-Christ, un amour si grand pour les hommes, pour le rachat desquels il a donné sa vie. Dieu, dis-je, influe dans l’âme un amour si grand que c’est comme celui de Jésus-Christ, avec toute la disproportion néanmoins qu’on y doit mettre, en sorte que cette personne donnerait mille vies pour le salut de ses frères. Et comme ce cœur tout en Dieu, tout pénétré de son amour, ne se donne aucun mouvement par soi-même, Dieu incline ce même cœur pour prier ou s’intéresser pour qui Il lui plaît, plus ou moins fortement, selon Ses desseins éternels sur ces âmes, de sorte que cela n’est point au choix de l’homme, mais de la volonté de Dieu. Il donne particulièrement certaines âmes, dont on ne pourrait pas se décharger quand on le voudrait. La chair, le sang, les proches, les amis ne sont point considérés. Dieu fait cela comme il Lui plaît, et pour qui il Lui plaît. Nous voyons un exemple de cela en saint Paul537 qui pensant aller d’un autre côté, fut envoyé dans la Macédoine. Ce qui s’est fait plus sensiblement en cet Apôtre pour nous être un témoignage, se fait plus intimement dans les âmes dont je parle. Cela se fait aussi très purement, sans images ni espèces.

Je ne puis mieux, ce me semble, expliquer cette contemplation amoureuse dont j’ai [289] parlé, que par ces paroles de saint Jean : J’ai vu la nouvelle Jérusalem descendant du ciel, etc. Il dit qu’il n’y a là ni clameurs, ni douleurs, qu’il n’y a point d’autre lumière que l’Agneau, qui en est la lampe538. Il est certain que dans l’amour unissant et contemplant, qui est cette Jérusalem céleste descendue dans l’âme pure, il n’y a rien de nominable. Les cris de douleurs, même des péchés, en sont bannis parce qu’ils les supposent effacés par la pénitence, et que ce séjour n’est point fait pour ceux qui les pleurent encore. Comme les anciens pénitents demeuraient à la porte de l’Église, que ces personnes restent à la porte de ce Sanctuaire et ne présument pas d’y entrer. Il n’y a là nulle douleur, parce qu’aucune n’y peut être admise. Si Dieu en inflige quelques-unes, comme à Jésus-Christ, tout le Sanctuaire en est environné, mais elle n’entre pas ; on porte pour autrui des peines, mais elles ne pénètrent pas ce saint lieu. Il n’y peut avoir là aucune lumière particulière, il n’y a point d’autre lumière que l’Agneau lui-même. Comment éclaire-t-il ce lieu ? Le dehors est éclairé par ses exemples, et par ses paroles, et le dedans est illuminé par l’impression de tout Lui-même. Il ne faut donc point prétendre là d’autre lumière que ce divin Agneau ; ceux qui en veulent d’autres n’y seront point admis.

O céleste Jérusalem ! séjour de paix, quand descendrez-vous sur la terre universelle ? Vous descendez dans quelques cœurs, qui vous béniront à jamais ; mais qu’ils sont rares, ces cœurs ! parce que nul ne veut mourir parfaitement à soi-même, et qu’on résiste à vos bontés ! Donnez-nous des cœurs nouveaux ! Amen, Jésus ! [290]

*1.39. Le vrai don de Dieu.

Sur ces paroles : Si tu savais le don de Dieu. Jean 4, 10.

Qu'est-ce que le don de Dieu ? C'est un don digne de sa magnificence : c'est son Verbe. Il nous en a donné l'esprit dès le moment de notre création. Il s'est incarné, rendant par là ce don visible et palpable. Il s'est donné à la Cène, pour être avec nous jusqu'à la consommation des siècles. On ne peut plus ni le voir ni le toucher comme homme, on ne peut le recevoir sans cesse corporellement. Il s'est voulu donner d'une manière permanente étant en nous Esprit et vie539. C'est cette vie du Verbe que nous pouvons toujours posséder : il ne demande qu'à se communiquer pourvu que nous le laissions entièrement être esprit et vie en nous.

L'esprit et la vie est ce qui est le principe de toute action vitale. On dit également lorsqu'une personne meurt, qu'elle a perdu la vie et qu'elle a rendu l'esprit. Jésus-Christ comme Esprit vivifiant540 doit être la vie des hommes. [291] or comme l'homme ne fait les actions d'un homme vivant que par ce qu'il est animé d'un esprit vivifiant, de même nous ne saurions faire des actions vivantes spirituellement autant que le Verbe est le principe de tout nous manque. Tout ainsi que l'âme commando corps, et qu'elle lui fait faire ce qu'il lui plaît sans qu'il lui résiste en rien ; il faut de même que le Verbe nous fasse agir sans résistance, et qu'il exerce son domaine absolu sur nous.

C'est pour cela qu'il fait cent sortes d'opérations jusqu'à ce qu'il nous anime si parfaitement que l'âme fait le corps. Ô si nous savions le don de Dieu, et que nous puissions comprendre ce que c'est que d'être animés et vivifiés par l'Esprit du Verbe, nous nous livrerions entièrement à lui, et nous ne voudrions pas disposer de nous en la moindre chose.

Ce don est si grand, si admirable, que Dieu, tout Dieu qu'il est, ne peut nous rien donner de plus. Il a épuisé en nous le donnant tous dons possibles : car tous ces dons sont renfermés en lui. Si l'on comprenait la beauté de la vie de l'esprit, et ce que c'est que de profiter de ce don, de vivre par son Esprit, toutes les plus grandes actions nous paraîtraient de la boue en comparaison de se laisser animer par cet esprit et d’en vivre. Ô que ceux qui commencent à goûter de ce don ont besoin d'un saint loisir pour le laisser prendre possession de tout eux-mêmes, surtout dans les commencements. Aussi Jésus-Christ l’explique-t-il541 en peu de mots à la Samaritaine : si tu avais reçu ce don, dit-il, tu n'aurais plus soif ; parce que tu serais désaltéré et revivifié par [292] lui : si tu l'avais connu, tu m'aurais demandé à boire ; faisant voir, que comme le breuvage se glisse et s'écoule en nous, aussi cet Esprit vivifiant se glisse en notre âme pour l'animer.

Il ne se contente pas en nous vivifiant de nous ôter toutes sortes d'altération ; il fait rejaillir de nos entrailles un fleuve d'eau vive. Qu'est-ce que cela veut dire, sinon que celui qui a donné lieu à cet Esprit, et qui l'a reçu avec surabondance, ne le garde pas en soi pour en être propriétaire, mais le laisse jaillir et monter à sa source, tout comme on voit ces bassins jeter par des tuyaux l'eau à la même hauteur que leur source, et recevoir dans leur sein l'eau qu'ils ont fait remonter en haut. C'est ce que fait l'Esprit du Verbe en nous : il faut que n'étant propriétaire de rien, nous lui rendons ce qu’il nous donne, et méritons par là d’en recevoir incessamment. Ce don, qui est sorti de Dieu, veut que tout retourne à Dieu. Il est encore en nous un fleuve d'eau vive542 pour abreuver nos frères de ces eaux divines.

Il apprend ensuite à cette femme l'usage qu'elle doit faire de ce don, qui est d'adorer le père en esprit et en vérité543. Ce don est pur esprit vivant et vivifiant ; lui seul nous peut faire adorer en esprit le Père, qui étant pur Esprit, veut une adoration proportionnée à ce qu'il est. Quoique les autres manières d'adorer soient bonnes et saintes, elles ne conviennent pas si proprement à Dieu, et non pas ainsi rapport à ce qu'il est : comme Esprit, il lui faut une adoration d'esprit ; et c'est cette adoration que le Verbe fait en nous, comme le prouve saint Paul lorsqu'il dit, que l'Esprit prie en nous544. L'esprit [293] ne prie en nous que selon ce qu'il est, c'est-à-dire d'une manière purement spirituelle.

Il est ajouté [dans les paroles de Jésus-Christ à la Samaritaine, que Dieu doit être adoré] en vérité. On ne peut adorer en esprit qu'on n’adore en vérité ; parce que l'Esprit du Verbe est vérité, et aussi parce que tout autre manière de l'adorer tient de la créature, et est souvent guidé par le propre intérêt, et enfin, sortant de nous, ne peut avoir plus de vérité que nous, qui ne sommes que mensonges et qu’erreur. Nous nous trompons dans nos idées et dans les conceptions que nous avons de Dieu ; et l'adoration conforme à nos idées ne peut jamais être proportionnée à ce qu'il est. Convenons qu'il n'y a que l'adoration en esprit et en vérité qui soit digne de Dieu.

On peut faire extérieurement ce qui est de l'état et de la vocation d'un chacun, et toutes les actions ordonnées, sans sortir de cette adoration d'esprit et de vérité.

Le Verbe étant le principe de toutes nos adorations et lui ayant remis tous les droits que nous avons sur nous-mêmes, tout ce qui se fait par ce principe vient de sa source, et est esprit et vie : et comme la vie donne la faculté d'agir et de se mouvoir, saint Paul dit, que c'est en lui que nous vivons, que nous agissons et que nous sommes545. L'homme par un amour propre, qui est comme identifiée dans sa nature, n’aime et ne fait cas que de ce qu'il fait ; une vie renonçée ne lui plaît pas, il veut voir son travail devant soi, et ne se laisse point posséder, mouvoir et agir par le Verbe. Ce travail, qui est tout au plus une toile d'araignée546, lui plaît plus que [294] tous les ouvrages de la Sagesse, quelque merveilleux qu'ils soient ; parce qu'il n'en est pas le principe. Le travail de la créature, quoique pénible et de peu de valeur, lui plaît beaucoup davantage ; parce qu'il part du moi, et que l'on distingue l'action du moi, parce qu'elle est toute au-dehors : mais l'ouvrage de la Sagesse est tout intérieur, et n'a rien qui se produise au-dehors. C'est une œuvre secrète et cachée. Les métaux les moins précieux sont presque sur la surface de la terre ; elle ne les cache point à la vue des hommes : mais l’or, ce précieux métal, est caché dans le fond de ses entrailles. Il en est ainsi des œuvres de la Sagesse et de ce don de Dieu. Il est si profondément caché dans le centre de notre âme, que les yeux n'en découvrent rien : c'est ce qui fait et son prix et sa sûreté ; il est caché à l'avarice et à l'ambition des hommes, les voleurs ne peuvent l’enlever; c'est le trésor de l'Évangile que ce don, trésor que la teigne ni la rouille ne peuvent endommager547. Tout ce que nous recevons en nous, tout ce que nous sentons et connaissons, est sujet à la corruption ; mais ce don est d'autant plus incorruptible, qu'il est plus impalpable et plus éloigné de la matière.

Donnez-nous ce don, Seigneur, que vous avez caché aux grands et aux savants548, et révélé aux petits. Mais apprenons, que nous ne pouvons avoir ce don que par la perte de tout le reste. Celui qui l’a une fois trouvé, vend tout ce qu'il a pour s'en rendre possesseur549 ; il ne fait cas que de ce don, tout le reste lui paraît de la boue ; et quoiqu'il ne paraisse au-dehors qu'une [295] terre aride et desséchée, il renferme ce qu'il y a de plus grand. Amen, Jésus.

*1.40 La vraie simplicité et ses avantages.

Sur ces paroles : soyez simples comme des colombes, et prudents comme des serpents. Matth. 10, 16.

En quoi consiste la simplicité ? C’est dans l’unité : si nous n’avons qu’un regard unique, un amour unique, nous sommes simples. Celui qui n’a que Dieu pour objet, qui ne voit que Lui, qui n’aime que Lui, est véritablement simple. Celui au contraire qui se regarde soi-même ou quelque chose de créé, qui s’aime soi-même, qui a beaucoup de rapport à soi, qui cherche son propre intérêt en temps et en éternité, qui suit son amour propre, sa cupidité, en est infiniment loin.

Notre Seigneur a dit : Si votre œil est [296] simple, tout votre corps sera lumineux550, car la simplicité renferme la droite intention, nulle intention ne pouvant passer pour droite, si ce n’est celle d’un homme qui ne regardant que Dieu seul, ne se recourbe jamais ni sur soi ni sur aucune créature par amour propre et par le propre intérêt. Aussi est-il écrit : quand je serais simple, je ne le saurais pas moi-même551. On connaît plus facilement les autres vertus ; mais celui qui est simple, ne connaît ni la simplicité, ni les autres vertus qu’il possède, parce que la simplicité ne souffrant aucun retour sur soi, ne laisse discerner aucune vertu, comme elle ne pense à aucun mal ; ainsi la simplicité est l’ignorance du bien et du mal. Dieu a dit de son fidèle serviteur Job, qu’il était un homme simple et droit, éloigné de tout mal552. Aussi cette simplicité qui rend le corps lumineux, suppose que tout l’homme, par ce simple regard, est perfectionné et exempt de toute malice, car, comme dit Jésus-Christ, c’est du cœur que sort tout ce qu’il y a de mauvais553.

Le cœur n’est corrompu que par la multitude des pensées qui le remuent. Lorsque le regard est unique en Dieu, l’amour est rendu pur et unique. Alors le cœur ne pense et ne conçoit aucun mal et comme il n’est attaché à aucune créature ni à lui-même, il n’est point ému par les passions, ni incliné d’aucun côté. Sa droiture l’empêche de tourner ni à droite ni à gauche. Aussi est-il dit dans le Cantique : Ma sœur, mon Épouse, vous m’avez blessé par un de vos yeux et par un de vos cheveux554. Les cheveux représentent les pensées qui étant réunies dans un seul [297] et même objet, sont le regard fixe en ce même objet et causent la pureté de l’amour.

Dieu avait créé l’homme dans cette pureté et dans cette ignorance du bien et du mal, quoiqu’il fut dans la consommation de tout bien, qui est l’innocence et la parfaite droiture ; il l’ignorait cependant, par l’impuissance où il était de se regarder soi-même. Il savait tout bien être en Dieu : cela lui suffisait. Il ne voyait que ce grand objet, il n’aimait que lui, il ne connaissait aucun mal, ne connaissant que Dieu, source de tout bien. Cette ignorance de tout mal l’aurait mis dans l’impuissance de le commettre, et nous aussi, si Adam n’avait pas désobéi. Son premier péché, et la source du second, fut le retour sur lui-même et de d’être retiré de ce regard simple et unique en Dieu. Le Démon prit Eve par son faible : Si vous mangez de ce fruit, vous serez semblables à Dieu, discernant le bien et le mal555. Il n’y a que Dieu certainement qui puisse discerner le bien et le mal. Les hommes appellent le bien mal, et le mal bien et c’est le fruit du renversement de l’homme et de sa chute. Vous serez semblables au Très-haut : c’est faire voir qu’on est ce qu’on est et ce qu’on peut devenir. Quoi ! tu es un être subsistant, et tu t’ignores toi-même ! [ce] qui est pourtant cette grande qualité de l’Épouse des Cantiques : Si vous vous ignorez, ô la plus belle des femmes556. C’est votre ignorance qui fait [298] votre beauté. O Eve, cette même ignorance aurait conservé la vôtre ! Vous êtes : voilà la première réflexion. Mais vous êtes dissemblable au Très haut en ce que vous êtes créature : voilà la seconde. Mais vous pouvez lui devenir semblable : voilà la troisième, et qui est le comble de l’amour de soi-même et de sa propre excellence. Non seulement vous serez semblable au Très-haut, mais vous discernerez le bien et le mal.

Cette simplicité tenait Adam et Eve ignorants de tout bien en eux, ne pouvant voir que Dieu en Lui-même et tout bien dans son origine ; l’ignorance du mal les empêchait de le discerner et de le commettre, mais après la désobéissance d’Adam et qu’il eût mangé du fruit défendu, il se vit, et se vit nu557. Il vit un mal et un sujet de honte dans sa nudité. La première réflexion, sur soi ; la seconde, sur son état ; la troisième, de comparaison du créé à l’incréé, produisirent l’amour de la propre excellence, source de tout péché ; et de là s’ensuit la désobéissance. Car comme, par le regard direct, l’amour est toujours direct, aussi la volonté, qui suit l’amour, demeure toujours soumise, obéissante et assujettie à l’amour ; elle s’écoule et passe dans ce même amour. Il n’en est pas ainsi lorsqu’elle est dépravée, et elle ne devient dépravée que par l’amour-propre, qui la rend indocile et inflexible.

C’est donc la perte de la simplicité qui est la source de tous les maux, comme cette même simplicité est la source de tout bien, puisque, comme nous l’avons vu, la simplicité de l’esprit produit le pur amour. Soyons simples et nous ignorerons tout mal. Comme Adam n’a [299] perdu son innocence qu’en perdant sa simplicité, nous ne pouvons retrouver l’innocence que par la simplicité. Ce qui fait la corruption du monde est que s’étant éloigné de la simplicité par laquelle on rentre dans la vérité, il entre dans l’erreur et dans le mensonge. La multiplicité des idées cause l’erreur de l’esprit parce qu’adhérant à ces mêmes pensées qui se combattent et détruisent les unes les autres, on devient perplexe et incertain, et l’on tombe dans l’erreur, cette multiplicité faisant celle des vouloirs. On se porte au mensonge, séduit qu’on est par la fausseté de l’esprit : ce que l’esprit embrasse fortement, la volonté s’y attache avec fermeté et inflexibilité et par conséquent perd sa souplesse.

La démission d’esprit fait la soumission de la volonté. C’est pourquoi Jésus-Christ a dit : Renoncez-vous vous-mêmes558, c’est-à-dire quittez l’entêtement de votre propre esprit et la fixation de votre volonté, quittez tout et vous trouverez tout ; mais surtout, soyez pauvres d’esprit et vous posséderez le Royaume de Dieu. Devenez simples et petits comme des enfants559, sans quoi vous n’y entrerez point.

Soyez aussi prudents comme des serpents. Ce second article semble contredire le précédent car le Démon prit la figure du serpent pour tenter l’homme. Le serpent est plein de détours, de finesses, de replis, de mensonges : ce n’est pas cela que Jésus-Christ veut que nous imitions puisque c’est ce qui est cause de notre perte. Ce que Dieu demande de nous, c’est que nous quittions, comme fait le serpent, notre vieille peau, c’est-à-dire le vieil-homme pour nous [300] revêtir du nouveau, que nous exposions tout notre corps pour conserver notre tête. Jésus-Christ est le chef de l’homme560, comme dit saint Paul. Perdons tout pour gagner Jésus-Christ. Mais comme j’ai écrit ailleurs et de la prudence et de la simplicité, je ne le répète pas ici.

Ce que je désire, mes enfants, est que vous soyez simples à l’oraison, sans multiplicité de discours, afin que Dieu, qui verse Son esprit sur le simple, soit Lui-même votre prière : simples de pensée, - les laissant tomber et ne les admettant point - simples d’esprit - n’ayant qu’un seul regard en Dieu. Cette oraison de simple regard s’appelle quelquefois contemplation lorsqu’elle a un objet ; oraison simple lorsqu’elle perd peu à peu cet objet distinct pour se perdre dans cet objet unique, qui renferme tous objets distincts sans les laisser voir à l’âme. Et lorsque cette oraison de simple regard est plus avancée, nous l’appelons oraison de foi, qui se perd dans ce qu’elle ne peut discerner ni comprendre, ne voulant ni le discernement, ni la compréhension, sachant trop bien que ce qui se discerne et comprend, est moindre que nous et que Dieu étant un Etre infini, ne peut s’atteindre que par la foi simple qui n’a ni bornes ni mesures. Plus une chose est simple, plus elle a d’étendue. Et cette simplicité se perd dans le Tout immense où elle demeure mélangée, parce que n’ayant ni qualité, ni rien de subsistant en soi, ni terminaison, ni couleur, elle prend cette forme sans forme de l’immensité.

Mais pour en venir à bout, quittons notre forme propre, c’est-à-dire notre manière de concevoir, de voir et d’entendre. C’est ce qui dépend [301] de nous avec la grâce, comme l’explique le précepte du renoncement et comme disaient saint Jean561 : Rendez droite la voie, aplanissez les montagnes etc. et David562 : ouvrez-vous portes éternelles et le roi de gloire y entrera. Ce sont notre esprit et notre volonté qui sont les portes éternelles, parce que Dieu nous a créés pour le connaître et l’aimer éternellement. Ouvrons la porte de notre esprit par cette simplicité qui cause une démission parfaite ; ouvrons notre volonté par cette simplicité, qui ne lui laissant rien de propre, la fait écouler dans son principe. Notre amour deviendra simple et pur, il n’aura que Dieu pour objet et pour fin.

Il nous reste la simplicité des actions qui dérive des principes établis. Celui qui ne connaît plus la duplicité, ignore la tromperie et l’hypocrisie, il paraît ce qu’il est. Or les personnes ainsi simplifiées, n’ont qu’une action simple. Elles ne sont multipliées ni dans leurs dévotions, ni dans leurs pratiques. Comme la simplicité conduit à l’unité, leur action est toujours la même, quoique diversifiée par tous les emplois de la vie.

Ainsi la simplicité nous rapproche de la création et de la ressemblance de Dieu car Dieu est simple et multiplié sans sortir de Son unité : nous sommes simples et uns, lorsque nous sommes arrivés à ce point unique où nous conduit la simplicité. Toutes les œuvres diverses de notre état et condition ne nous multiplient point. Nous n’avons que ce moment divin, qui est un moment éternel, toujours moment présent et toujours éternité parce que ce point est indivisible. L’œil simple ne regarde que le moment [302] présent, il ne regarde ni le passé ni l’avenir. L’amour simple n’a qu’un objet, sans rapport à soi, sans regard sur soi. Simplicité de vue, simplicité d’amour, simplicité d’action. C’est ce qui nous rend semblables à Dieu par la complaisance qu’Il prend en nous par Jésus-Christ notre Seigneur.

*1.41 Avantages de la simplicité

Sur ces paroles : Avec le simple, [ô Dieu], vous serez simple ; avec le juste, vous serez juste ; avec le méchant vous serez [comme] méchant563,564.

O avantage de la simplicité ! Celui qui agit avec un cœur droit et simple, qui ne pense point à mal, Dieu ne l’examine point avec rigueur. Il agit simplement avec lui, passant par dessus les petits défauts que sa simplicité lui fait commettre. Dieu aime même ce cœur simple et enfantin qui ne se détourne pas du mal, parce qu’il ignore même tout mal. Son soin n’est pas de combattre les vices et les passions : il les ignore, les ayant surpassés de très loin, et il vit dans un état d’innocence qui l’éloigne de [303] tout le reste. Dieu prend le simple dans sa simplicité, agit simplement avec lui : c’est pourquoi il est écrit que les yeux du Seigneur sont attachés sur le simple. Ce regard de Dieu sur l’âme simple marque que c’est dans cette âme que Dieu engendre son Verbe. Il est dit ailleurs ses yeux565 et son cœur566 pour faire voir que le Saint Esprit y est aussi produit et que Dieu aime singulièrement l’âme simple. Il est encore écrit : Si votre œil est simple, tout votre corps sera lumineux567 pour montrer que c’est ce simple regard de l’âme vers son Dieu et de Dieu sur l’âme qui fait la parfaite pureté.

Le simple a une intention toujours pure et droite, il n’envisage que son divin objet, sans se recourber sur soi-même, (les retours sur soi, de quelque prétexte qu’on se serve, étant entièrement contraires à la simplicité, qui n’en peut admettre aucun). C’est pourquoi l’Époux dit à l’Épouse : Vous m’avez blessé par un de vos yeux568, parce que ce regard simple et unique de l’Épouse attire un regard de complaisance et d’amour de l’Époux sur elle.

Quiconque est simple, qu’il vienne à moi569 ! c’est celui-là que je reçois des bras de mon amour, je ne le rejetterai point. Celui qui marche simplement, marche confidemment570, sans crainte et sans défiance, ces deux choses étant entièrement contraires à la simplicité. On ne craint, on ne se défie, que parce qu’on se regarde soi-même. L’âme simple est incapable de ce retour : son œil épuré est toujours simple et droit. Dieu ne loue ses amis dans l’Ecriture [304] sainte que de leur droiture et de leur simplicité. C’est donc le chemin qu’il faut suivre pour être agréable à Dieu et pour marcher en assurance.

Dieu dit : avec le juste, je serai juste, c’est à dire : avec celui qui s’appuie sur sa justice, Dieu se fera sentir si juste que tout ce qui nous a paru justice et vertu, paraîtra devant ses yeux divins comme des linges souillés. Celui qui se fonde sur sa pureté se trouvera si sale devant cette pureté infinie qu’il en sera rempli de frayeur et de confusion. Il dit qu’il examinera nos justices571 : il les épluchera, les considérera de si près qu’il les fera voir pleines d’injustices, d’usurpations, de rapines. Il fera connaître que nous avons été notre objet à nous-mêmes, que dans cette justice apparente nous avons été notre fin. Il fera voir dans cette fausse justice mille détours que nous n’avons jamais connus nous-mêmes. C’est pourquoi Job dit : Quand mes mains, qui sont mes œuvres, me paraîtraient aussi blanches que la neige, vous me les feriez voir toutes sales572 et je ne pourrais me soutenir devant vous.

Celui qui est juste connaît qu’il fait des œuvres de justice, mais celui qui est simple ignore toutes choses. C’est pourquoi Job dit : Quand je serais simple, je ne le saurais pas moi-même573. Quand je serais parvenu à cette bienheureuse simplicité, je ne le saurais pas, parce que je m’ignore moi-même et que c’est le propre de la simplicité enfantine de nous tenir dans l’ignorance de ce que nous sommes. C’est la source de l’abandon et du pur amour. Celui qui ne se voit point s’abandonne à son guide, celui qui ne se regarde point, ne s’aime point. Comme [305] il n’a d’yeux que pour son objet unique, il n’a aussi d’amour que pour lui. O homme ! qui que vous soyez, examinez le juste tant qu’il vous plaira puisque même Dieu l’examinera avec rigueur, mais n’examinez pas le simple. Dieu le garde dans le secret de Sa face : il le protège par tous les soins de Sa providence. Lorsque Jésus-Christ caresse les enfants, il ne fait voir que de l’indignation contre les faux justes.

Dieu ajoute qu’il sera méchant avec les méchants, en faisant voir par Sa divine lumière leur malice beaucoup plus étendue qu’ils ne le croyaient eux-mêmes. Il fera voir en eux les profondeurs de Satan, mille tours et retours dans leur méchanceté, une noirceur affreuse souvent couverte du voile de l’hypocrisie. Il est vrai que la manière dont leur conscience sera épluchée ferait paraître Dieu méchant, si la propre malice de l’homme découvert ne rendait Dieu victorieux dans ses jugements574, faisant voir l’équité de sa justice et comment la grâce n’a pas manqué aux plus méchants, non plus que les moyens de salut. O Dieu ! soyez toujours victorieux dans vos jugements ! Ce sera alors que les hommes qui ont osé se rendre les juges de Dieu même, qui ont posé des bornes à la conduite, qui lui ont attribué une réprobation gratuite, seront confondus dans la malignité de leurs pensées et dans leurs intentions perverses ; leur orgueil sera confondu.

Le simple ne peut avoir d’orgueil, car il ne veut rien pour soi. Il ne s’attribue rien : Dieu seul est son amour, sa foi, sa justice. Il ne regarde que Lui. Le simple à force de se renoncer s’est enfin quitté soi-même et s’est tellement [306] éloigné de soi qu’il est comme étranger à lui-même. Il ne s’intéresse plus pour soi, le moi est absolument mis en oubli. Mais comment parvenir là ? C’est en se renonçant incessamment, n’admettant aucune pensée pour soi, aucun retour volontaire, les laissant tous tomber dès leur naissance, ce qui est très aisé ; au lieu que lorsque la réflexion est jointe à la pensée, il est difficile d’empêcher qu’elle ne gagne tout. Renoncez absolument et entièrement le moi. Qui est ce qui fait la matière de nos réflexions ? le moi ; la crainte de perdre et ne pas acquérir ? le moi. Dieu ne saurait rien perdre ni rien acquérir : Son immobilité parfaite, Son immensité, Sa suprême félicité, Son éternité, Ses perfections infinies ne sauraient avoir d’altération. C’est donc le moi que je pleure, c’est pour lui que je m’inquiète et que je m’afflige, c’est lui qui cause tous mes mésaises, toutes mes réflexions et tous mes retours ; c’est lui qui me dérobe à la parfaite simplicité, au pur amour, enfin à Dieu même ; c’est lui qui me rend misérable, lorsque je ne travaille qu’à le rendre heureux. O Dieu, rendez-nous simples par le renoncement perpétuel de nous-mêmes ! Faites-nous porter notre croix, et marcher à votre suite ! Amen, Jésus !

1.42. L'amour et la présence de Dieu chasse de l'âme les dominateurs étrangers.

[307]. Sur ces paroles : Seigneur, des maîtres étrangers nous en possédaient sans vous ; et qu'étant en vous nous ne nous souvenions que de vous. Isaïe 26,13.

Quels sont575 ces maîtres étrangers qui nous ont possédés et dominés ; et quand avons-nous été sans Dieu ? Les maîtres étrangers sont l'amour-propre, la propriété, les passions, et le Démon. Comment sont-ils étrangers, puisqu'à la réserve du Démon, ils sont en nous, ils y habitent comme dans leur propre maison ? C'est que Dieu en nous créant, nous avait assujetti toutes ces choses ; mais l'homme par son péché, de ses esclaves il en a fait ses maîtres. Dieu avait créé l'homme innocent et dans une admirable subordination à Sa sainte volonté ; il était exempt d'amour-propre et de propriété ; ses passions étaient ses esclaves, et le Démon n’aurait eu nulle prise sur lui. Mais sitôt que par sa désobéissance il eut retiré sa volonté de cette subordination admirable qu'elle avait à celle de Dieu, ses esclaves devinrent ses maîtres ; le Démon qui l’avait trompé devint son tyran ; il fut accompagné de l'amour-propre et de la propriété, qui sont les fruits de la domination du Démon.

Adam avait été créé avec un amour droit et pur dont Dieu était l'unique et le souverain objet. Le Démon y fit entrer l'amour de soi-même, le désir de son propre bien, qu'on préfère [308] au bien souverain, assujettissant même ce bien souverain (qui ne doit avoir de rapport qu'à lui-même) à notre propre bien en tant qu'il est notre bien. Ainsi on a renversé l'ordre et de principe et de fin dernière, que Dieu avait établi dans le cœur de l'homme. Il l’avait créé juste et droit, exempt des usurpations de la propriété ; et le Démon y a établi cette propriété après avoir essayé en vain de la fait rentrer dans le ciel. Ce sont là ces maîtres étrangers, qui nous ont possédés nous assujettissant sous leur tyrannie.

Mais comment nous ont-ils possédés sans Dieu, puisque Dieu étant un Etre infini, il n'y a point de lieu qu'il ne remplisse de sa présence, ni qui puisse se dérober à sa lumière ? C'est que quoique Dieu soit présent partout par son immensité, il n'était point présent à l'esprit de l'homme, qui l’avait mis en oubli ; ni à son cœur, privé d'amour. Il faut donc que la présence de Dieu et son amour nous retire de cette domination étrangère, pour nous conduire en Dieu même.

Mais comme les passions nous ont dominé longtemps, il faut les combattre avec force pour nous en faciliter la domination. Comme elles ont ouvert les portes des sens, par où elles se sont répandues au-dehors ; il est maintenant besoin d'une forte mortification des sens, et qu'on ne leur donne aucun relâche. C'est cette vie [des passions échappées par les sens] que le Démon a glissé en Adam comme un venin mortel qui s'est répandu dans toutes ses parties après en avoir chassé la vie du Verbe, c'est dis-je cette vie empoisonnée qu'il faut détruire par une mort continuelle à toutes choses. Ce qui paraît difficile à la nature corrompue est très facile par le secours [309] de la présence de Dieu et de l'amour. La présence de Dieu nous dégage peu à peu de ces ennemis qui nous ont dominés sans lui ; et l'amour rend tout aisé : c'est lui qui rétablit peu à peu la volonté dans l'ordre de sa création ; c'est lui enfin qui par la perte des appropriations et de l'amour de nous-mêmes, qu'il détruit absolument, nous fait passer, écouler et perdre en Dieu.

Et c'est alors que nous disons après l'Ecriture : Faites qu'étant en vous, nous ne nous souvenions que de vous ; que puisque par votre amour vous nous avez séparé de tout le reste, nous demeurions toujours en vous, et que nous ne soyons jamais absents de vous. Vous êtes présent partout, et cependant nous nous éloignons de vous par le péché et par l'amour de nous-mêmes. C'est parce que nous vous avons oublié que nous sommes tombés dans toutes sortes de maux : faites, ô Dieu, que votre divine présence répare les désordres que votre absence avait causés ; que nous ne la perdions plus, à présent que nous sommes en vous. Dans l'état d'innocence Adam était en vous ; il a écouté un autre amour que le vôtre, il a perdu votre divine présence, et il est tombé dans tous les maux : c'est pourquoi vous lui dites : Adam ubi es ?576 Qu'est-tu devenu ? Tu n'es plus en la place où je t'avais mis ; je ne te le trouve plus ; je ne te connais plus.

Ne nous dit que jamais, ô mon Dieu, ces cruelles paroles ; mais dites à mon cœur : Demeurez en mon amour577 ; car votre dire est faire. Dites-moi, ou plutôt dites-nous, ô Amour, qui savez pour qui je m'intéresse ; vous êtes en moi comme je suis en mon Père578 ; ce sera une assurance que nous ne serons jamais divisés. O [310] vous, qui rassemblez ceux qui sont dispersés, qui les unissez et les rendez un, faites cette réunion en vous-même, afin que rien ne nous sépare de vous, être de tous les êtres, et leur dernière fin !

*1.43 Contemplations de plusieurs sortes ; et quelle est la meilleure.

Il y a deux sortes de simples regards, l’un bon et l’autre dangereux. Le dangereux est de s’abstraire de toutes sortes d’objets sans en avoir aucun, et cela activement, en sorte que, quoique l’âme ne soit point intérieure ou très peu, étant encore dans l’activité, elle s’abstrait à la manière des Philosophes de tous les objets, fantômes, imaginations qui empêchent une certaine recherche naturelle de la vérité. Ceux qui se sont abstraits de la sorte ont eu à la vérité quelque connaissance d’un Souverain Etre supérieur à tout autre, et cela par une tension surprenante de leur esprit et une abstraction de tout le reste. Ce n’est point là un état d’oraison.

Il y a un autre simple regard, qui envisage [311] Dieu tel qu’Il est, s’abstrayant avec effort de tout le reste pour tendre plus purement à ce pur et sublime objet. Cet état est bon, mais ce n’est ni le meilleur, ni le plus court pour arriver à Dieu.

Le meilleur de tous les états est de recueillir au dedans l’esprit par le moyen de la volonté amoureuse de son Dieu, qui rassemble autour d’elle les puissances et semble se les réunir. C’est une contemplation amoureuse qui n’envisage rien de distinct en Dieu, mais qui l’aime d’autant plus que l’esprit s’abîme dans une foi implicite, non par effort, ni par contention d’esprit, mais par amour. On ne fait nul effort d’esprit pour s’abstraire, mais l’âme s’enfonçant de plus en plus dans l’amour, accoutume l’esprit à laisser tomber toutes les pensées, non par effort ou raisonnement : mais cessant de les retenir, elles tombent d’elles-mêmes. Alors l’âme prend la véritable voie qui est le recueillement intime, où elle trouve la présence de Dieu et un concours merveilleux de sa bonté qui fait tomber insensiblement toute multiplicité, tout acte, toute parole, et met l’âme dans un silence goûté.

Par cette voie, l’âme trouve en peu [de temps] son centre, ce qui n’arrive pas par la simple abstraction de l’esprit : car quoique l’âme y ait une certaine paix qui vient de l’abstraction des objets multipliés, cette paix n’est ni savoureuse ni si profonde que par la voie de la volonté. De plus, l’homme faisant lui-même par effort cette abstraction, il en est le principe et par conséquence l’agent, en sorte que Dieu n’est ni principe de son oraison, ni son moteur. Il n’en est pas ainsi de celle qui se fait par le recueillement [312] intérieur où la volonté commande et attire les autres puissances. L’amour sacré s’emparant de la volonté de l’homme, devient son principe, son moteur, son agent. L’âme devient passive par ce moyen et la volonté perdant peu à peu toute force active, sent qu’une autre volonté, qui est celle de Dieu, prend insensiblement la place de la sienne, de sorte qu’enfin elle n’en trouve plus. Ses désirs aussi s’amortissent insensiblement jusqu’à ce qu’ils s’écoulent avec la volonté en Dieu. Ne nous trompons point, on ne se perd en Dieu que par la volonté ; et c’est cet écoulement de la volonté en Dieu, l’esprit étant simplifié par la foi et ne retenant nul objet ni pensée volontaire, qui fait cette extase permanente qui est le passage de la volonté en Dieu.

C’est l’abstraction de la volonté qui est l’essentiel car n’étant plus retenue par rien, elle retourne en son principe, entraînant avec elle l’esprit, dont elle est supérieure. Toute autre voie, quelque sublime qu’elle paraisse, arrête l’âme, et ne la perd jamais dans son principe originel. Adam aurait eu beau considérer le fruit défendu : si sa volonté n’avait point consenti à le manger, il serait resté innocent et nous aussi. Il faut que comme le péché d’Adam est entré en lui et en nous par sa volonté, l’homme Adam soit détruit en nous par l’écoulement de cette même volonté en Dieu : alors le nouvel Adam prend la place du vieil homme et nous communique sa vie et son esprit. Ce trépas et mort mystique ne se fait qu’en perdant peu à peu la propre volonté. Toute la propriété est renfermée en elle. Quand la volonté perd ses propriétés par la charité, l’esprit perd aussi les siennes. Si par impossible, l’esprit était désapproprié sans que [313] la volonté le fut, la volonté lui communiquerait plutôt sa propriété qu’il ne lui communiquerait sa désappropriation.

Il faut donc aller par cette voie, c’est le chemin le plus court et le plus facile. Si la purification est si forte et si longue, c’est que nous conservons des volontés sous de bons prétextes. Marchons donc par la foi pour l’esprit, une foi générale et implicite, qui le dénue peu à peu. Le dénuement est mille fois plus excellent que l’abstraction. Il est permanent et durable, c’est la pauvreté d’esprit. Au lieu qu’il faut renouveler l’abstraction toutes les fois qu’on fait oraison, se servir par conséquent de ses propres efforts, n’être jamais parfaitement passif et assujetti à Dieu, quelque suspension ou abstraction que nous puissions donner à notre esprit. Ceci est d’une extrême conséquence pour ne pas prendre le change et pour entrer dans la pure et nue lumière de la foi et dans la mort entière de la volonté. Persévérons par cette voie, et nous arriverons en Dieu même. L’Ecriture ne dit pas : voyez et vous goûterez ; mais bien : goûtez, et voyez579. Car il est certain que les lumières qui viennent par le goût de la volonté, qui est comme la bouche de l’âme et seule capable de goûter les choses divines, sont la véritable lumière. Cela est si vrai que les âmes à qui Dieu communique les plus assurées lumières, n’ont rien dans l’esprit, et elles éprouvent qu’il ne leur passe rien ou presque rien par la tête, ce qui les étonne beaucoup dans les commencements. Mourons, perdons toute propriété, marchons par la volonté580, nous en expérimenterons plus qu’on ne peut nous en dire, [314] et nous avancerons bien davantage. C’est par là qu’on a une véritable humilité : c’est par la perte de la volonté qu’on tombe dans le néant, et par conséquent en Dieu.

*1.44 La pente du cœur, et l’attrait de Dieu par l’union représentée dans les créatures.Opposition de la part de l’homme.

Il y a dans la pente des rivières pour se perdre dans la mer non seulement le penchant naturel à toutes les choses fluides qui suivent nécessairement ce qui est en penchant et ne peuvent rester sur un penchant, comme les corps solides, sans s’écouler, il y a de plus l’attrait de l’eau même où une eau plus profonde et plus considérable en attire une moindre : c’est une Démonstration qui se fait chaque jour. Mettez de l’eau sur une assiette, d’un côté une quantité plus abondante, et de l’autre quelques gouttes - ces gouttes, quoiqu’il n’y ait aucune pente à l’assiette étant dans un parfait niveau - ces gouttes, dis-je, tâchent de se joindre à cette plus grande quantité d’eau, et lorsqu’elles en sont plus proches, elles semblent s’y élancer avec promptitude et sans toucher au petit espace qui reste de l’assiette.

Dieu a donné à notre cœur ces deux qualités : il a une pente naturelle vers Dieu, mais il a de plus cet attrait de Dieu qui l’attire à soi par une certaine sympathie inexprimable, si on peut se servir de ce terme. De sorte que l’attrait de Dieu d’un côté et la pente naturelle de notre [315] cœur vers Lui feraient que nous nous perdrions bien vite dans notre dernière fin, si nous n’en étions empêchés par les obstacles de nos impuretés. Mettez quelque poussière entre les deux eaux qui sont sur l’assiette, l’attrait de l’eau est arrêté : aussi l’imperfection de l’amour empêche et le penchant du cœur et l’attrait de Dieu pour perdre ce cœur en Lui. Quand je parle de cœur, j’entends la volonté qui est le cœur de l’âme. Il n’y a qu’un amour parfaitement épuré qui ôte cette sale poussière et tous les entre-deux qui empêchent la parfaite réunion de l’amant et de l’aimé. Le plus petit obstacle empêche cette réunion. Il faut que l’amour soit extrêmement pur et droit pour que se fasse cette réunion de la partie au tout. Un seul cheveu empêche l’aimant d’attirer le fer et le fer de se rendre à l’aimant. Nous voyons un feu qui est presque éteint se rallumer tout d’un coup à l’approche d’un autre feu, et la flamme semble se détacher d’elle-même et sauter sur la mèche demi éteinte ; cette mèche demi éteinte n’a aucune action de sa part qu’un reste de chaleur qui attire la flamme, la flamme semble tout faire, et il paraît en cela quelque chose de différent de l’eau : c’est pourtant le même effet de sympathie. C’est la figure de l’amour sacré, qui se précipite dans le cœur de l’homme pour l’attirer à soi.

Toutes les créatures, animées et inanimées, portent le caractère de l’amour sacré et le figurent ; il n’y a que le cœur de l’homme ingrat qui s’y oppose. Le rocher même dans sa concavité reçoit la voix et repère les paroles de la voix ; et notre cœur, qui est fait pour recevoir l’expression de la parole du Verbe incarné, ne la [316] rend point parce qu’il ne la reçoit point. Celui qui est assez heureux pour recevoir le Verbe en soi, est comme un écho qui rend cette parole pour le bien des autres, non entièrement (ce qui ne se peut, cette parole étant infinie) mais seulement en partie. L’écho ne rend la parole et ne la reçoit que dans les concavités du rocher : nous ne pouvons recevoir la parole ni la rendre que notre cœur ne soit entièrement vide de tout, et surtout de nous-mêmes, de notre propre vouloir.

*1.45 l'Amour pur, et l'amour d'espérance.

Sur ces paroles : Quand je parlerais le langage des anges, si je n'ai point la charité, je ne suis rien […]. Quand je livrerais mon corps aux flammes […], je ne serais que comme un airain qui résonne. I Corinthiens 13,1, etc.

Nous voyons par ces paroles de saint Paul, que c'est la charité qui doit être le principe de toutes nos actions, et que c’est elle qui leur donne le prix. La charité ne regarde que Dieu. Il y en a qui donnent ce nom à l'aumône : ils se trompent bien lourdement ; puisque l'Apôtre dit encore, quand je donnerais [317] tout mon bien aux pauvres, si je n'ai la charité je ne suis rien.

Cette charité est un amour pur et souverain qui n'a que Dieu pour objet ; qui l’aime si fort pour lui-même, qu'elle n'admet aucun détour de Dieu pour se recourber vers la créature par aucun propre intérêt. Celui qui aime Dieu pour la récompense, est bien éloigné de cet amour parfait, quoique son amour ne laisse pas de mériter la récompense qui est son but. L'amour pour la récompense est digne de la récompense lorsqu'il est mélangé d'un amour pour Dieu objectif, mais il est indigne de Dieu, et ne peut passer pour charité. Ces admirables vertus théologale, qui renferme toutes les autres, qui les suppose, qu'il est comment, ne peut envisager que Dieu en lui-même et pour lui-même, sans relation sur soi.

L’autre amour, quoique bon, n'est point la charité, et en est infiniment éloignée. J'appelle cet amour un amour d'espérance ; puisque l'espérance, vertu théologale, pour être bonne et méritoire, doit être accompagnée de quelque amour ; mais ce n'est pas l'amour parfait, il s'en faut bien. La charité parfaite suppose toujours l'espérance ; car où cette vertu ne serait point, la charité ne serait point ; puisqu'elle renferme absolument l'espérance. L'espérance peut être outrepassée par la charité, et c'est le point de sa perfection : mais elle ne peut pas en être exclue. C'est comme un fleuve perdu dans la mer, qui est sa fin : il n'est point exclu de la mer, puisqu'il y est réellement renfermé ; mais bien changé de nature pour en prendre une plus parfaite : il fait parti de la mer ; il ne lui donne pas sa qualité ; au contraire, [318] il contracte celle de la mer, le plus renfermant le moins sans l'exclure. Je dis donc que lorsque l'espérance a atteint son point de perfection, elle est transformée en charité ; mais elle y est aussi renfermée. Or l'amour d'espérance est bien accompagné de charité mais il ne peut la renfermer ; comme ce fleuve peut bien se perdre dans la mer qui est sa fin, et que sa nature est si tendre, [sans pourtant la renfermer, bien qu'il commence à y participer.]. Et comme nous voyons un fleuve tout proche de la mer recevoir dans son sein une petite partie des eaux de la mer, qui semble l'inviter à se perdre en elle ; de même l'espérance dans sa consommation et proche de sa fin, reçoit bien plus d'écoulement de la charité, et cet écoulement de la charité est comme une invitation de se perdre en elle. Alors l'amour d'espérance change de nom, son être n'est point anéanti : mais il est absorbé et perdu par la pure charité ; et où il trouve sa perte, c'est où il trouve sa perfection.

Je dis donc que l'amour de Dieu pour la récompense est un amour d'espérance, une espérance amoureuse, mais ce n'est point la pure charité ; qu'elle en est encore fort éloignée, puisque le propre caractère de la charité est de n'envisager que Dieu en lui-même et pour lui-même ; si elle regarde quelque autre chose, elle perd sa nature de pure charité, et devient un amour d'espérance, qui souvent dégénèrent en amour-propre. Et si j'osais, je dirais que l'amour d'espérance dans son imperfection, et non dans sa fin, est un amour-propre spiritualisé ; comme l'amour d'espérance dans sa consommation est un commencement [319] d'amour pur. Et de même que le commencement de l'amour d'espérance est bien près de l'amour-propre, et tient encore de sa nature : aussi l'amour d'espérance dans sa consommation tient beaucoup de l'Amour pur, et s'en approche si fort qu'il passe en ce pur et chaste amour, qui ne peut rien voir que Dieu en lui-même pour lui-même, sans relation ni rapport à nous-mêmes.

Si le propre caractère de la pure charité est de n'avoir qu'un seul et unique objet, qui est Dieu et sa seule gloire, sans rapport à nous, ni relation vers nous, ces rapports et relations étant absolument exclus de la pure charité ; il est aisé de conclure que quelque amour qui ait rapport à nous, relation à nous, et quelque étendue que nous puissions lui donner, ce n'est pas la pure charité. Il peut avoir quelque bonté en soi, qui mérite la récompense ; mais il ne peut mériter Dieu même, qui étant charité581, ne se donne qu'à la charité.

C'est ici la pierre de touche de la charité. Quiconque aime quelque chose avec Dieu, ou même pour Dieu en tant qu'il y a du rapport à soi, quiconque l’aime pour son éternité de biens, pour la gloire du ciel et le bonheur qu'il y doit avoir, rend la charité servante du propre bonheur, et par conséquent ne la possède pas. Elle est une Reine absolue, qui ne souffre ni concurrent, ni partage. Sa noblesse est si grande qu'elle outrepasse tout ; elle monte au-dessus de tout pour atteindre son objet unique. Comme elle est un feu pur, elle traverse tout avec une légèreté infinie, elle dédaigne et méprise tout ce qui n'est point Dieu. C'est une [320] maîtresse impérieuse, qui veut commander absolument, et qui ne peut souffrir aucune sujétion. Celui qui la veut assujettir à quelque intérêt sien, et la veut mettre en servitude, la perd, elle s'enfuit de lui ; elle lui laisse souvent par bonté quelques-uns de ses dons ; mais pour elle, elle vole en son principe, et n’en peut être détachée. Celui en qui elle subsiste est aussi dans son principe, et perd absolument tout propre intérêt, et n'en admet aucun ; s’il en admettait le moins du monde, il cesserait d'être possédé d'elle.

Tout amour bon qui n'est pas la pure charité, est donc un amour d'espérance. Toute espérance qui n'est pas accompagnée d'amour, est un amour-propre.

L'amour pur est de si grand prix, que quand je donnerais tout ce que je possède et tout ce que je suis, tout cela ne serait rien [au prix de lui] tant sa dignité est grande : elle renferme tout bien et exclut tout mal. Quand je livrerais mon corps aux flammes, si je n'ai la charité je ne suis rien. Quoi ? Le martyre même, et le martyre le plus rigoureux, n'est rien sans la charité ? La charité et l'amour pur est donc au-dessus du martyre si ce martyre n’est produit par cette pure charité, et n'en est accompagné ; le martyre lui peut donner un accroissement dans sa fin, mais il ne peut rien ajouter à sa nature. Elle fait elle-même toute la perfection de son sujet, elle peut croître dans ses effets, elle se découvre dans ses fruits ; mais elle est toujours la même, elle donne à tout le prix et la valeur, et elle n'en reçoit d’aucune chose. Saint Paul fait une énumération de toutes les plus grandes œuvres que le monde estime si fort, et dit, [321] qu'elles ne sont rien sans la charité ; et l'expression dont il se sert est admirable. Il dit que ce ne sont que comme un airain qui résonne. L'airain résonne beaucoup, il fait un grand bruit dès qu'on le frappe. Les œuvres des personnes destituées de charité font plus de bruit que les autres ; c'est un son fort éclatant, à cause du vide qui est dans l'airain. La vraie charité fait peu de bruit ; elle est vide de tout ce qui n'est pas Dieu, mais infiniment pleine de Dieu. La charité couvre ses œuvres du silence ; parce que celui qui possède cette divine charité ne faisant aucun cas de tout le reste, ne le compte pas, n'y pense pas : il n'y a point de voix résonnante dans la pure charité, mais des souffrances sourdes et muettes.

Saint Paul explique ensuite tout au long les traits de cette même charité : elle est patiente, bénigne, elle ne cherche point son propre intérêt ; or celui qui cherche la récompense, cherche son propre intérêt, donc il n'a pas la pure charité. Elle souffre tout ce qu'on lui fait ; elle croit tout ; foi nue, simple, implicite. Il ajoute ensuite : la charité ne déchet jamais. O charité vraiment pure et incorruptible, comment pourriez-vous déchoir, puisque tout déchet vient de corruption ? Non, vous êtes toujours la même, toujours immuable, toujours toute-puissante. Consumez nos cœurs en vous. Amen, Jésus.

Je ne parle jusqu'ici que de la charité objective, et non de la charité dérivante de ce seul et unique objet, laquelle est l'amour du prochain. Si je dois préférer la gloire de Dieu à mon propre bonheur, je la dois préférer au bonheur de tous les hommes ; or si je préfère la gloire de Dieu au bonheur de tous les hommes, je n'aime donc [322] mon prochain que pour Dieu, et pour la gloire que Dieu en retire : c'est donc un amour dérivé et secondaire, comme l'amour que j'ai pour moi dois être un amour dérivé et secondaire ; aussi dans le second commandement de la charité, lorsque Jésus-Christ a parlé du premier commandement, il dit582 ; Tu aimeras ton prochain comme toi-même. Cet amour du prochain suit l'amour que nous avons pour nous-mêmes. Si nous nous aimons par rapport à nous, nous aimons notre prochain par rapport à nous ou à lui : c'est un amour mélangé, qui est souvent un amour naturel ou de compassion : mais lorsque nous aimons le prochain d'une charité dérivante, nous l'aimons uniquement pour Dieu, comme nous ne nous aimons nous-mêmes que par rapport à Dieu, en sorte que nous ne voulons que sa gloire sans rapport à nous. C'est cette gloire que nous aimons et en nous, et en nos frères : et plus les personnes que nous aimons en Dieu approchent de notre état, plus nous les aimons.

Or cet amour est exempt de sensibilité, et on ne sait quel nom lui donner. C'est une conformité d'amour pour Dieu, qui fait une union parfaite, que rien ne peut altérer ni détruire que nos infidélités.

L'âme infidèle en se retirant de la charité, se retirent de cette âme à laquelle elle était unie en charité. Si elle venait à perdre la charité, elle s'en séparerait tout à fait : mais si elle est fidèle, plus elle avance plus cela devient union et unité. Il y a un amour unitif entre les prochains, qui fait, que tous ces cœurs brûlants d’un même feu (qui est la charité,) et [323] n'ayant qu'une seule et même flamme, sont rendus un sans distinction ni partage, semblables à plusieurs gouttes d'eau qui ne font qu'une seule rivière, et concourent ensemble à sa rapidité pour se perdre [en la mer : c'est ainsi que ces cœurs unis vont se perdre en Dieu, où ils] deviennent un tout indivisible. C'est là l'amour d'unité, qui émane de la charité parfaite, et qui en fait partie sans division. Il serait plus difficile que ces âmes unies en charité fussent divisées entre elles, que [de faire que] l'âme fut divisée d'elle-même : car c'est un tout aussi indivisible que Dieu même.

1.46 Qu’aimer et regarder Dieu purement, est le but de tout, et l’Évangile éternel.

Le pur amour est l’Évangile éternel583. Dieu de toute éternité S’est aimé infiniment, c’est-à-dire autant qu’Il est aimable, renfermant toutes les perfections possibles ; et cet amour est Dieu comme Lui, car il fallait un amour infini pour un bien infini. [324] Il n’y a que Dieu qui Se puisse aimer de la sorte infiniment par un tout égal à Lui, différent de Lui, et qui est pourtant Lui-même. Et ce tout infini, aimant un tout infini, s’appelle le Saint Esprit, Esprit d’amour et de vérité, car cet amour, infini et Dieu, montre un Dieu totalement et infiniment parfait. C’est donc cet amour unique, immense, infini, cet Amour-Dieu, qui est éternel, qui a été de toute éternité, et qui sera éternellement dans les siècles des siècles et au-delà.

Dieu ayant voulu créer des êtres intelligents, leur a donné une capacité de L’aimer uniquement dans la totalité de ce qu’Il est et non infiniment, étant des êtres fort bornés et limités. Mais [ces êtres] ne Le pouvant aimer infiniment dans la totalité de Son infinité et de tout ce qu’Il est parce qu’il faudrait être Dieu pour L’aimer de la sorte, Il leur a donné dans leur petite capacité un pouvoir de l’aimer de tout ce qu’ils sont comme leur objet unique et infiniment parfait. Ils l’aiment dans la totalité de ce qu’Il est, selon leur petite totalité : tout ce qu’ils sont est employé en cet amour d’un Tout qui les surpassant infiniment, les abîme dans Sa totalité, leur communiquant une petite goutte de cet Amour-Dieu dont Il s’aime, s’il est permis de se servir de cette expression. Cet amour est pur, droit, net, sans retour, sans rapport à eux, sans détour, toujours appliqué à cet Être suprême, sans distraction ni partage, ne voyant que Lui, et voyant tout en Lui.

Dieu a créé ensuite les hommes à qui Il a donné de l’intelligence et un cœur ou une volonté capable de L’aimer, selon ce qu’ils sont, et dans la totalité de ce qu’ils sont. Cet amour était [325] gravé et buriné dans le cœur de l’homme, dans son essence, dans sa volonté. Dieu ne l’écrivit point dans le Décalogue, parce qu’Il avait été écrit dans le cœur de l’homme avant le Décalogue ainsi que Moïse le dit aux Juifs : Vous aimerez le Seigneur votre Dieu de toute votre âme, de toutes vos forces, de toute votre puissance584 ; et c’est la loi du cœur. Si Adam n’avait point péché, son amour ne se serait point retiré de son Dieu ; son regard et son amour auraient été directs. Mais il se retira de ce regard pour considérer le fruit défendu. La convoitise et l’orgueil renversèrent cet ordre admirable de la charité que Dieu avait établi en lui. La convoitise changea cet amour épuré en concupiscence et l’orgueil changea ce regard direct en amour-propre, en retour sur soi, rapport à soi, ambition, et le reste, qui sont les apanages du regard propre : son orgueil monta au point de vouloir être semblable à Dieu, d’usurper ce qui était à Lui. Il cessa de L’aimer dès lors, parce qu’il ne pouvait plus retrouver ni son regard direct, ni son Amour pur et désintéressé.

Il se vit nu, il s’intéressa pour soi, il fuyait la présence de Dieu. Dieu le cherche avec bonté, Il lui demande où il est, « Adam, ubi es585 ? » C’est comme si Dieu lui avait dit : « Je cherche Adam dans Adam même. Qu’est devenu cet homme que J’avais créé à Mon image, qui ne pouvait regarder que Moi, comme Je ne puis regarder que Moi-même et par ce regard immense et infini produire mon Verbe, qui est Mon image, égale à Moi en toutes choses, et Dieu comme Moi ? » Voulant créer des images raccourcies de ce que Je suis, Je t’avais donné une [326] âme capable de ne regarder que Moi, sans te distraire et recourber sur toi-même. Tu te serais vu en Moi sans cesser de Me voir, et sans te détourner de Moi. Je t’avais rendu capable de M’aimer, non autant que Je le mérite, mais dans la totalité et l’étendue de tout ce que tu es, sans division, partage, distraction, rapport à toi, retour vers toi ; mais d’un Amour pur, nu, net, droit, rapportant à Moi seul. Ton péché t’a retiré de là, et t’a rendu incapable de rentrer, sans un Sauveur, dans ce premier état. »

L’économie de la création et sa fin, aussi bien que de la rédemption, est donc de nous rendre capables de ce regard et de cet amour direct, sans retour et rapport à nous-mêmes, sans nous regarder en quoi que ce soit, sans nul intérêt nôtre, mais pour la seule gloire et le seul intérêt de Dieu seul. Jésus-Christ est venu au monde pour nous en montrer l’exemple et nous l’enseigner. Je ne cherche point, dit-il, ma propre gloire586; Il est écrit à la tête du livre de ma génération temporelle que je ferai votre volonté587. Il nous répète ce premier commandement de la charité et nous assure que toute la loi est renfermée en ce précepte de charité et les Prophètes588 parce que tous ces grands hommes ont obéi sans se regarder eux-mêmes et qu’ils ont tous enseigné Jésus-Christ, réparateur de la gloire de Son Père et de la charité parfaite.

L’amour parfait enferme une charité immense pour nos frères, mais c’est une charité dérivante de l’Amour pur et non une charité objective, Dieu étant l’unique objet de l’Amour pur. [327]

Jésus-Christ dit que quiconque parlera contre le Fils, il lui sera remis : mais qui blasphème contre le Saint Esprit, il ne lui sera remis ni en ce monde ni en l’autre589. On pourrait dire, sur ceci, en passant, qu’il y a donc des péchés qui se remettent en l’autre siècle par l’expiation qui est le Purgatoire, mais cela ne fait rien à mon sujet. Je dis seulement sur ce passage que le blasphème contre le Saint Esprit est nier la vérité de l’Amour pur, de sa motion divine etc. Le Saint Esprit est descendu sur les Apôtres pour les confirmer dans cet Amour pur et désintéressé, Il leur a appris à chercher la gloire de Dieu et Son règne aux dépens de tout le reste. Qu’ont-ils ménagé590 ? Et n’ont-ils pas donné leur vie pour Dieu ? Il est dit dans les Cantiques que l’amour est d’une si grande dignité que quand l’homme donnerait tout ce qu’il a pour l’amour, il le compterait pour rien591. Il est dit encore que les plus grandes eaux ne sauraient éteindre la charité car elle consume et absorbe tout. C’est le règne de Dieu, c’est le trésor évangélique caché dans l’intime de nous-mêmes, et qui ne se développe qu’à mesure que nous perdons la propriété. C’est pour la guérir que Jésus-Christ nous a enseigné la pauvreté spirituelle, la haine de nous ; et saint Paul, le dépouillement du vieil homme pour être revêtu du nouveau, la régénération. C’est de cette charité que parle saint Paul, lorsqu’il dit : Quand je livrerais mon corps aux flammes etc., si je n’ai la charité, je ne suis rien592.

Nous sommes donc appelés à rentrer dans l’ordre de la Création, qui est l’Amour pur : c’est le dessein de la Rédemption, c’est ce que [328] nous devons faire éternellement que d’aimer Dieu purement. Il faut aimer gratuitement Celui qui nous a aimés d’une charité gratuite. Cependant, ce ne sera jamais gratuitement que nous L’aimerons, quand nous L’aimerions de l’amour le plus désintéressé, puisque nous Lui devons toutes choses. Aimons-Le du moins autant qu’il est en nous d’un Amour pur, droit, net, désintéressé, qui nous fasse oublier toutes choses et nous-mêmes. O Amour, vous êtes au-dessus de toutes lois, vous les renfermez toutes, vous les commandez, vous les observez seul toutes ! O divin Amour, vous êtes avant toutes choses, et vous subsisterez après la consommation de toutes choses ! Qui peut donc s’opposer à Vous et Vous être contraires, sinon ces âmes adultères dont il est parlé dans l’Ecriture593, qui se sont éloignées de Vous en Vous quittant pour des objets trompeurs, qui partagent leur cœur, qui Vous l’ôtent tout entier, ces amateurs d’eux-mêmes qui s’idolâtrent et qui s’aiment plus que Vous ? On adore ce qu’on aime, et on aime ce qu’on adore en vérité. Celui qui ne Vous aime pas uniquement et purement est un adultère. O divin Amour, vous êtes la source de tout bien ; et celui que vous ne possédez pas possède tous les maux, quoiqu’il s’imagine le contraire ! [329]


O lux beatissima,

Reple cordis intima

Tuorum fidelium !

Sine tuo Numine

Nihil est in homine,

Nihil est innoxium594.

§

Soleil de splendeurs immortelles,

Qui faites les jours bienheureux,

Remplissez de vos divins feux

Le fond du cœur de vos fidèles !

Vous nous faites ce que nous sommes,

Notre mérite est votre don,

Sans vous on ne voit rien de bon

Ni d’innocent parmi les hommes.

1.47. Force et jalousie de l'Amour contre toute propriété.

Sur ces paroles : L'amour est fort comme la mort, et sa jalousie est dure comme l'enfer. Cantique 8,6.

Quelle est la force de l'amour sacré ? C'est qu'il enlève le cœur de son amant avec une puissance absolue. Il se montre d'abord avec tous ses charmes ; qui pourrait ne se pas rendre ? Lorsqu'il s'est insinué dans le [330] cœur qu'il a gagné absolument par sa douceur charmante, il use de sa force toute-puissante. Il sait trop bien, ce divin amour, qu'avec quelque rigueur qu'il traite son amant, il est pris trop fortement pour vouloir s'en dédire. Il lui fait comprendre qu'il est fort comme la mort. La force de la mort consiste en ce que rien ne peut lui résister ni lui échapper, et en ce qu'elle sépare impitoyablement de toutes choses celui qu'elle enlève, sans lui rien laisser du tout. L'amour divin est tout de même, à la réserve que l'homme libre et méchant lui résiste par sa malice. Mais ce n'est pas des pervers dont je parle ; c'est de ceux qui ont été assez heureux pour connaître la dignité de l'amour et l'avantage qu'il y a de lui être assujetti.

Lorsqu'il a une fois gagné le cœur, rien ne lui résiste : il est si clairvoyant que rien ne lui échappe ; il pénètre partout, il connaît les plis et replis du cœur, on ne peut tromper, il ôte tout impitoyablement à ses amants, il ne leur laisse rien, il cherche dans tous les endroits pour voir si l'on ne fait point quelque réserve. Après leur avoir ôté tous les appuis extérieurs, tous les objets de leur complaisance, il leur ôte ce qui leur paraît le plus nécessaire et dont ils croyaient ne pouvoir se passer. Il a un couteau de division qui divise et sépare tout. Mais hélas, que ce serait peu s'il se contentait d'enlever ce qui est extérieur, et qu'il laissât le dedans ! Non ; Il ôte encore avec plus de rigueur ce qui fait le bien-être et la consolation de l'homme intérieur, toute joie, toute assurance, tout bien propre à l'âme qu'elle a tâchée d'acquérir par la perte de tout le reste.

L'amour n'est pas encore content, il voit [331] que son amant semble se contenter de la perte de toutes choses, et qu'il se dit à lui-même : il est vrai que j'ai beaucoup souffert en perdant tous mes biens extérieurs et intérieurs, mais j'ai le contentement qu'ils m'ont été enlevés par la main de l'Amour ; je lui en ai fait le sacrifice ; il méritait plus que tout cela. Est-ce perdre quelque chose que de la perdre pour posséder l'amour ? Je ne me plains que de mes résistances, et ensuite des répugnances, qui ont allongé mon supplice et retardé mon bonheur. Hélas ! Quel mal ai-je commis ? Et comment ai-je été si aveugle que de refuser quelque chose à mon Amour ? J'avais mille choses sans réserve que je croyais dérober à ses yeux divins : quel était mon aveuglement ? Présentement que je n'ai plus rien, je posséderai l'Amour sans division ni partage.

L'Amour paraît content de l'amour ; mais il découvre mille choses que l'amant ne vois pas lui-même, il les lui ravit encore.

-Divin amour, je suis pauvre, nu, vide de tout, viens afin que je te possède.

-De quoi servirait ta pauvreté ? En me possédant, dit l'Amour, tu deviendras plus riche595 que tu n'as jamais été. Comment me posséderais-tu ? Je suis immense et tu as des bornes si étroites ? Peux-tu mettre toutes les eaux de l'océan dans un petit vase ? Tu en viendrais plutôt à bout.

-Amour, que faut-il donc faire ?

-Il faut passer en moi, ainsi qu'il est écrit596 : Passez en moi, vous tous qui me désirez avec ardeur.

-O Amour, tôt, tôt, faites-moi passer en vous. [332]

-Et comment passerait tu en moi ? Tu conserves toute ta consistance. Il faut perdre tout cela, changer de forme, et n’être plus ce que tu es. Il faut bien d'autres épreuves : tu n'as pas passé par le feu : et ne sais-tu pas que la jalousie de l'amour est dure comme l'enfer ? C'est ma jalousie qui fait que je veux être seul dans ton cœur.

-Oh, Amour, n'y êtes-vous pas seul ? Je n'aime que vous, et je ne puis rien aimer que vous.

-Ce n'est pas assez, tu habites encore chez toi, il faut que je t'en chasse et t'en bannisse pour jamais.

-Hélas ! Je te perdrai donc, Amour ! Si je me quitte que deviendrais-je ?

-Il faut qu'il ne reste plus rien de toi-même. Ce n'est pas assez d'avoir tout perdu, si tu ne te perds toi-même. Je suis un amour jaloux, et jaloux de mon amour même.

-Que deviendrais-je donc ? Je te mettrai entre les mains de ma Justice, qui te fera voir jusqu'où va ma jalousie ; elle est dure, et plus dure que l'enfer. Non seulement on est privé et séparé de tout dans l'enfer, mais on y souffre des maux énormes. Il faut que tu apprennes à souffrir ; que mon feu te pénètre jusqu'à la moelle, jusqu'aux parties les plus secrètes de ton âme.

-O Amour que me dites-vous ? Quel cruel opération ? Qui peut la supporter ? Mais sans doute vous serez avec moi pour me consoler : je verrai votre aimable visage ; il n'y a rien que je ne serais prêt à souffrir dans votre compagnie.

-Tu te trompes : je ne serai point auprès de toi ; tu ne me verras plus ; je fuirai.

-O Amour, je ne puis supporter ce tourment sans pouvoir et sans que vous deveniez ma consolation. [333] .

-C'est encore ce que je veux arracher que ce désir de la possession pour toi : Il ne faut plus que tu subsistes en quoi que ce soit ; ainsi, plus de consolation, plus de possession pour toi.

Alors la justice s'empare de l'amant, le brûle, le noircit, l’illumine, le fond, le dissout. Ô l'admirable dissolvant que l'Amour sacré ! Ô Amour, vous m'aviez donné une beauté sans pareille ; je cachais de m’embellir davantage pour vous plaire ; encore je me persuadais que vous ajouteriez de nouvelles beautés à celle que vous m'aviez données : mais vous avez fait tout le contraire ; vous avez changé ma beauté en laideur, et je ne suis plus reconnaissable. Vos amis branlent la tête en me voyant, et disent : Est-ce là cet amant si cher et si beau dont on nous avait fait tant le récit ? Il ne reste aucune trace de sa beauté ; il est fait comme un lépreux, et nous ne le voyons qu'avec horreur. C'est moi-même, leur répond cet amant affligé ; comment ne vous ferais-je pas horreur, puisque je m'en fais à moi-même ? Mais de grâce Ne me considérez pas par ma couleur brune ; car c'est mon soleil597, qui est l'amour, qui m’a noirci comme vous voyez. Ne me considérez plus ; mais regardez-le lui-même, vous verrez que toute la beauté est en lui.

Il est devenu jaloux de la beauté qu'il avait mise en moi, parce qu'on ne considérait dans ma beauté. Avec elle, je vous aurais plu ; et vous vous seriez amusés à moi. À présent que je suis un objet d'horreur et de mépris, vous détournerez votre vue de moi pour ne vous attacher qu'à lui. Considérez-le donc en lui-même, et vous y trouverez tous les trésors de la sagesse et [334] de la beauté. Vous ne me verrez plus ni beau ni laid ; car lorsque vous me chercherez, je ne serai plus en être. O mort, dit l'amour, je serai ta mort. O enfer je serai ta morsure598. Achève donc, enfer, de me dévorer. Je suis enfermé dans ton sein affreux ; des flammes me consument peu à peu, et cependant je subsiste encore ! Redouble ton feu, divine justice, afin de me dissoudre tout à fait ; achève ton opération ; puisque toi seul la peux faire. Qu'ayant perdu toute consistance, je m'écoule, m'abîme et me perde en toi ! C'est là où je me retrouverai changée et transformée en ton divin amour. Que je serai beau dans ta beauté !

-Amour, tu ris de ce discours. Y a-t-il encore quelque chose à faire que je ne devine pas ?

-Comment veux-tu, dit l'amour, te retrouver en moi, pauvre goutte d'eau, qui croit se démêler encore dans cette mer immense de flamme ! Tu en seras une si petite partie, que tu seras entièrement imperceptible. D'ailleurs je t'avertis, que si, (ce qui est presque impossible mais qui peut cependant arriver,) tu venais à te démêler, à te reconnaître, à te voir toi-même, tu serais dans le moment rejeté de mon sein ; je te vomirais, et tu serais une goutte exposée seule au soleil, qui serait en un moment desséchée. Où te trouveras-tu alors?

J'étais tout effrayé des discours si étranges, et toutefois si sublime de l'Amour. Je n'osais dire une seule parole ; mais je voyais bien que sa jalousie plus dure que l'enfer ne voulais me laisser aucune subsistance propre. Désespérée, et confuse, je [lui] dis : Amour, fais ce que tu voudras ; je ne veux ni me mêler de moi ni y [335] penser ; je consens que ce moi sois si fort anéanti, qu'on ne puisse pas même discerner qu'il ait jamais été.

L'Amour fut content ; mais il ne m'en fit pas meilleur accueil. Il s'enfuit ; et je compris que tant que je l'apercevrais lui-même, je ne serai pas détruite, puisque cette vue ferait que je serai quelque chose, et quelque chose distincte de lui.

L'Amour demeure seul, il consume par sa chaleur pleine d'activité ce qui restait de cette petite goutte. C'est alors qu'on peut dire avec l'épouse599 : La multitude des grandes eaux ne peuvent éteindre la charité, puisqu'elle est réunie à sa source. C'est alors qu'on peut dire avec l'Apôtre600 : Qui nous séparera de la charité ? Ce qui n'est qu'uni, se peut séparer ; mais ce qui est perdu dans l'indivisible, et qui ne subsiste plus en soi, ne saurait être divisé.

C'est toi, ô jalousie de l'amour sacré, qui fait ces choses ! Mais ce que notre amour-propre empêche d'exécuter en cette vie, quel feu dans l'autre faudra-t-il pour l'achever ! Emploie maintenant ta force, ô Amour, et exerce ta jalousie ! Amen, Jésus !



*1.48 De l’amour intéressé, et du désintéressé.

[336] Il est dit en divers endroits [de plusieurs livres spirituels] qu’il faut sacrifier à Dieu Dieu même. Comment cela se doit-il entendre ? C’est qu’il faut sacrifier le goût de Dieu, et le désir de faire quelque chose pour Lui, à Sa volonté. Par exemple je désire de faire oraison, d’aller à l’Église, de faire telle ou telle œuvre : je dois sacrifier ces choses aux devoirs de mon état et m’en priver pour suivre une volonté connue dans l’état et la condition où Dieu m’a mis. Ainsi, c’est quitter l’envie que j’ai de servir Dieu pour faire sa volonté dans l’ordre où sa Providence m’a mis. C’est préférer nos devoirs à toute dévotion particulière.

Il y a des personnes qui disent qu’il faut sacrifier même l’amour de Dieu. Cela ne peut jamais être pris en un certain sens, comme serait de sacrifier l’amour de Dieu pour Le haïr, ou pour quelque satisfaction propre. On doit sacrifier dans son amour tout intérêt propre, soit pour le temps ou pour l’éternité, tout goût, tout sentiment d’amour, tout ce qui nous le fait discerner en nous, à l’amour même. Il faut préférer l’amour mourant à l’amour vivant ; l’amour souffrant au jouissant en cette vie, tout ce qui a rapport à nous, quel qu’il soit, à l’Amour pur et nu, dépouillé de récompense.

Ce sacrifice de l’amour, tel que je le décris, [337] est la plus forte preuve de l’amour, mais d’un amour essentiel, qui aime Dieu au dessus de soi, comme Dieu veut qu’on L’aime, et comme Il mérite d’être aimé, c’est-à-dire en Dieu, et non d’un amour mercenaire ou rapportant à soi. C’est aimer l’Être souverain d’un amour souverain, qui est le seul amour digne de Lui. Quiconque ne L’aime pas de la sorte, ne connaît ni Dieu, ni la perfection de l’amour. Sacrifier tout intérêt dans l’amour par un amour suréminent n’est pas vouloir haïr Dieu, puisque l’amour parfait est plus éloigné de la haine de Dieu que le ciel de l’enfer. C’est la quintessence de l’amour, c’est cette charité que Dieu a pour soi-même, qui ne peut rien aimer que par rapport à soi. Il n’y a que Dieu qui Se puisse aimer souverainement, et c’est le privilège de la qualité de Dieu. Cet amour est le comble de l’humilité, de l’entière désappropriation.

O homme, qui que tu sois, qui te rends toi-même la fin de ton amour en aimant Dieu par rapport à toi, tu anticipes sur les droits de la Divinité. Tu aimes Dieu pour ton intérêt ; et ton intérêt devenant la fin de ton amour, c’est un amour servile, qui n’a rien de la noblesse de la charité, laquelle fait tout céder à l’amour, tout notre intérêt601, tout nous-mêmes, et c’est alors qu’on aime Dieu comme Dieu S’aime. C’est L’aimer par Son amour même, que L’aimer de la sorte en réalité et non en idée ; c’est être arrivé dans sa fin, c’est demeurer en charité : Or celui qui demeure en charité, demeure en Dieu ; car Dieu est charité602. C’est cet amour invariable [338] qui a trouvé son terme, quoiqu’il puisse toujours croître en sa fin même qui est infinie. Il est moralement invariable, mais non physiquement, puisque l’on peut toujours décroître en son amour, et même en déchoir, à parler en rigueur, comme on y peut croître jusqu’à ce qu’on soit arrivé au point fixe de l’éternité, où l’amour ne peut croître ni déchoir.

Quand l’amour est parfaitement désintéressé, il ne déchoit guère ; et c’est une chose si rare, que je doute qu’il y en ait des exemples. L’Ange est déchu dans le moment de sa liberté : c’est que son amour cessa d’être pur. Il se préféra à Dieu, son amour devint intéressé, l’ambition et l’orgueil s’emparèrent de son esprit car, comme l’amour désintéressé et l’absolue préférence de Dieu à nous est le comble de l’humilité, vouloir se préférer à Dieu est le comble de l’orgueil. C’est ce qui fit la révolte de Lucifer et que saint Michel lui dit : Qui est comme Dieu ? C’est le défaut de notre amour qui est cause ou de notre révolte, ou de nos résistances : de notre révolte, lorsque l’amour est entièrement banni de notre cœur ; et de nos résistances, lorsque notre amour est intéressé ; et ces résistances sont plus ou moins fortes, [selon] qu’il y a plus ou moins d’intérêt dans notre amour. Le parfait amour donne une souplesse si grande à notre volonté qu’elle est mue par l’amour comme il plaît à l’amour, en sorte que cette facilité de se laisser remuer par son agent est si grande que notre volonté ne se discerne plus. Il en est comme d’une roue fortement agitée, qui ne laisse discerner aucune de ses parties et ne laisse voir qu’un continu qui tourne avec [339] une vitesse incroyable : de même notre volonté remuée par l’amour ne se discerne plus, et c’est la perfection de la volonté que d’être de la sorte.

Car [au reste], lorsqu’on dit que la volonté est perdue, cela ne s’entend point d’une autre manière, sinon qu’elle a perdu son mouvement propre pour être mue par un vouloir infiniment supérieur et qui l’emporte dans un tourbillon immense et infini avec une rapidité presque infinie. L’âme ainsi perdue par la volonté dans l’amour n’a plus de répugnance, de choix, de désir, (car ces choses viennent d’une détermination, après avoir comparé une chose dans son esprit ;) et Dieu qui entraîne rapidement la volonté ne lui laisse rien à délibérer, rejeter ou choisir : ainsi tout désir et toute répugnance lui sont ôtées. Elle ne discerne plus rien en soi ni hors de soi ; tout ce qui lui arrive est la même chose pour elle ; prospérité, adversité, peines, croix, mort, vie, désolation, abandon, calomnie, tout cela ne tombe plus sous sa répugnance, parce qu’il ne tombe plus sous son discernement.

On dira que si l’amour entraîne la volonté avec tant de rapidité, l’âme ne mérite donc rien. Ce n’est pas le mérite qu’elle cherche. Cependant elle mérite beaucoup plus, n’étant arrivée là qu’après un renoncement et une mort continuelle à toutes choses, qu’après avoir fait à Dieu un don irrévocable de cette même volonté pour en disposer comme il lui plaira. Par le renoncement continuel et la mort à toutes choses, l’âme a contracté une certaine souplesse qui l’a rendue propre à être mue de la sorte, ayant perdu toute consistance en elle-même, [340] toute raideur, fixation et rétrécissement. C’est le comble de la perfection de la volonté.

On lit cela, on croit le comprendre. Néanmoins les personnes qui croient le comprendre le mieux, à moins d’expérience, cherchent toujours soit en eux-mêmes soit en autrui une perfection particulière, distincte, marquée, extérieure, matérielle, et non la perfection de la volonté dans sa souplesse et son amour, parce que cette sorte de perfection ne tombe point sous les sens et ne peut être discernée par aucun des sens ni par notre jugement propre. On peut dire de ces personnes ce que dit saint Paul : Qui accusera les élus de Dieu ? c’est Dieu même qui les justifie603. Aussi peut-on dire que ces personnes vivent inconnues sur la terre. Il n’y a que ceux qui leur ressemblent qui les connaissent, ou ceux qui du moins sont assez dociles pour croire au-dessus des sens et pour éprouver dans leur fond la vérité, après avoir détruit avec la grâce toute propre suffisance et tout propre raisonnement. Les Pharisiens ne reconnurent point Jésus-Christ lorsqu’Il vivait sur la terre : leur orgueil, leur fausse sagesse, leur propre raison Le dérobèrent toujours à leur connaissance. Les petits Le connurent. Il en est ainsi de ces serviteurs de choix : ils sont entièrement inconnus aux grands et aux sages du monde, ou à ceux qui cherchent une perfection purement extérieure et distincte, selon leur idée de perfection.

Mourons entièrement à nous-mêmes, et nous les connaîtrons par expérience ; mais tant que nous resterons fixés dans nos propres limites, nous ne les connaîtrons pas et nous nous [341] en éloignerons de plus en plus. O Seigneur, détruisez toute hauteur, toute fixation, toute fausse sagesse, et nous rendez conformes à Votre divine volonté ! Amen, Jésus !

*1.49 Divers effets de l’amour.

Sur ces paroles de saint Augustin : Pondus meum amor meus. Mon poids est mon amour604.

C’est ici toute l’économie de la voie du pur amour. L’amour est un poids qui enfonce continuellement dans le Tout immense.

Au commencement cet amour est plus sensible parce qu’étant plus éloigné du centre qui est Dieu, il fait, pour atteindre la pente centrale, certains efforts qui sont comme des élans et ces élans rendent lumière et chaleur sensibles, qui est ce qu’on estime le plus lorsqu’on n’a pas une lumière plus profonde. Ces personnes paraissent toutes éclatantes de lumière, et toutes brûlantes d’ardeur ; plusieurs néanmoins meurent sans avoir atteint la pente de la montagne, ou plutôt, le commencement de la vallée. Il ne faut [342] pas croire que pour trouver Dieu il faille monter. Il est partout, Il environne tout, et Il se donne volontiers à celui à qui la plus profonde humilité a fait trouver la pente, car il faut être persuadé que nous ne trouvons Dieu Lui-même que dans le plus profond anéantissement.

C’est ce plus profond anéantissement qui, étant notre lieu propre, nous fait trouver infailliblement notre centre éminent et invariable qui est Dieu. Car comme Dieu, par sa toute-puissance, a tiré toutes choses du néant lorsqu’Il nous a créés, c’est dans ce même néant qu’Il nous prend pour nous faire de nouvelles créatures. Emittes Spiritum, etc.605 C’est cet Esprit saint, cet Amour-Dieu qui nous fait cette nouvelle création, lorsqu’Il nous a réduits à néant et qu’Il nous a fait rentrer par Sa lumière de vérité dans l’état bas et ravalé d’où nous étions tirés par notre orgueil. Il faut donc savoir en cela l’économie de la Sagesse. L’âme ayant passé ces élans d’amour dont nous avons parlé, ce même amour actif et par secousse est premièrement ralenti et devient plus tempéré ; ensuite l’âme ne le sent plus que comme un poids qui l’entraîne insensiblement en bas. C’est un poids qui enfonce peu à peu l’âme en son rien, et qui est comme tout naturel, jusqu’à ce que par cette pente insensible et ce poids d’amour, l’âme tombe dans le plus profond de la vallée, qui est son néant. Ceci se fait tout naturellement, sans effort, et d’une manière presque imperceptible, jusqu’à ce que l’âme étant éloignée de toute hauteur, retombe dans cette profonde humilité [343] qui la réduit à néant, c’est-à-dire dans son rien. Alors ce poids d’amour la faisant outrepasser elle-même, elle trouve Dieu en manière de centre plus profond ; et par cette même pente d’amour qui entraîne tout avec soi, volonté, esprit et tous leurs apanages, elle tombe en Lui où elle se perd et s’abîme toujours de plus en plus par ce même poids de l’amour606. Or comme Dieu est immense et infini, ce poids l’enfonce toujours plus en Dieu.

Elle est alors faite une nouvelle créature : tout ce qui est de l’ancienne est passé et tout est rendu nouveau, parce que le vieil homme ne peut entrer en Dieu. Il faut mourir absolument à ce vieil homme pour être changé en l’homme nouveau, pour être fait une nouvelle créature en Jésus-Christ, et être transformé en son image. Si une pierre qu’on jette dans la mer trouvait une profondeur infinie, elle s’enfoncerait toujours plus par son propre poids, sans s’arrêter un seul instant et sans pouvoir être arrêtée : plus la pierre serait pesante, plus elle enfoncerait , au lieu qu’une chose légère nagerait sur la surface de l’eau. Il en est de même de l’amour : lorsqu’il est faible et léger, il reste pour ainsi dire sur la surface, il se voit, se discerne fort bien ; mais lorsque son poids est grand, il s’enfonce, s’abîme et se perd dans cette mer d’amour qui est Dieu même. Deus charitas est607. Or cette pente ou ce poids d’amour humilie toujours plus l’âme en l’enfonçant en Dieu. Ne nous trompons pas, nous ne pouvons arriver en Dieu que nous ne soyons faits une nouvelle [344] créature en Jésus-Christ, et nous ne pouvons être faits une nouvelle créature en Jésus-Christ que tout ce qui est de l’ancienne ne soit passé. Pour peu que nous soyons encore assujettis au vieil homme, l’homme nouveau ne sera point en nous. Il ne s’établit que sur les débris d’Adam pécheur, car, comme dit saint Paul, pour être fait une nouvelle créature en Jésus-Christ, il faut que tout ce qui est de l’ancienne soit passé, que tout soit rendu nouveau608. Il n’y a que l’amour sacré qui puisse faire cette division du vieil homme. C’est l’amour qui, comme un admirable dissolvant, [dissout et] change le fer de notre nous-mêmes en or pur de la charité.

Plus il y a de charité dans une âme, plus il y a d’humilité - de cette humilité profonde qui, causée par la réelle expérience de ce que nous sommes, fait que, quand nous le voudrions, nous ne pourrions nous attribuer aucun bien. Car l’esprit d’amour est aussi un esprit de vérité. En sorte que l’amour fait ces deux fonctions, qui n’en sont qu’une, qui est de nous mettre en vérité sitôt que nous sommes en charité, car l’amour est vérité. Plus l’amour devient fort, pur, étendu, plus il nous fait approfondir notre bassesse. C’est comme une balance : plus vous la chargez, plus elle s’abaisse et plus elle s’abaisse d’un côté, plus elle s’élève de l’autre. Plus le poids de l’amour est grand, plus elle s’abaisse au-dessous de tout et plus l’autre côté de la balance s’élève vers cet amour-vérité qui fait connaître ce que Dieu est et ce qu’Il mérite. Tout s’élève pour rendre gloire à Dieu et pour L’aimer au-dessus de tout, à mesure que nous sommes plus rabaissés.

O Néant ! tu n’es rien et cependant tu portes [345] tout le poids de l’amour ! Cet amour t’anéantit toujours plus par son poids et nous fait voir Dieu d’autant plus grand et plus élevé que nous sommes plus petits et plus rien. C’est ce poids d’amour qui, à force de nous enfoncer en Dieu, nous dérobe aux yeux de toutes les créatures et de nous-mêmes. Ah ! quand serons-nous si bien perdus que nous ne nous retrouvions jamais ! O homme, si tu savais combien ta bassesse est lumineuse ! Tu ne peux être éclairé que par elle, car c’est où la vérité habite ; et où la vérité habite, la charité y habite aussi comme compagne inséparable. O Dieu, donnez-nous cet Esprit-Amour et Vérité dont le poids, en nous anéantissant toujours plus, nous enfonce davantage en Vous ! Amen, Jésus !

1.50. L'abaissement et l'élévation sont des effets éternels de l'amour parfait.

[346]. Sur ces mêmes paroles de saint Augustin : Pondus meum Amor meus. Monpoids est mon amour.

Le poids fait deux effets tout contraires : à mesure que la balance s'abaisse [d'un côté] plus profondément, l'autre côté s'élève plus fortement. Il en est ainsi de notre âme : plus l'amour, qui est son poids, l'enfonce dans l'abîme du néant, plus elle se trouve d'un autre côté élevé dans l'Etre original : elle se trouve élevée dans cette mer immense de la Divinité d'autant plus que plus elle est abaissée dans l'abîme du néant. Les humiliations, les croix, les persécutions, les calomnies, augmente ce poids d'amour, qui anéantit l'âme ; et ce sont comme autant d'autre poids ajoutés à ce premier poids d'amour qui l'enfonce presque à l’infini dans le néant, et qui d'un autre côté l’élèvent infiniment au-dessus d'elle-même et de tout le créé pour la perdre davantage en Dieu.

L'élévation et la perte en Dieu se mesure à ce poids du profond néant : Nul ne comptait, que celui qui est premièrement descendu609. Ô divin Verbe, vous avez fait cette démarche infinie que nul n'a pu faire comme vous. Vous étiez Dieu lorsque vous vous êtes anéanti vous-même610 ; et ce néant a été d'autant plus profond, que votre grandeur était immense, infiniment élevée ; enfin, vous étiez Dieu, et vous vous [347] êtes précipité du haut faîte de la Divinité jusqu'à notre néant ; et d'un autre côté, plus vous vous s'est anéanti vous-même, plus vous avez été élevé à une immensité de grandeur inexprimable : c'est pourquoi votre Père611 vous a donné un nom au-dessus de tout nom, c'est-à-dire, une gloire au-dessus de toute gloire, et où nulle gloire ne pouvait atteindre. Je sais que vous ne pouviez quitter votre gloire, étant Dieu ; et que vous avez possédé ce que vous possédiez de toute éternité, mais ayant avili cette gloire jusqu'à la bassesse de l'humanité, vous avez élevé en votre personne divine et humaine cette humanité à une gloire inexplicable et supérieure à tout, à laquelle nul ne peut atteindre que d'infiniment loin.

Mais qui a fait cette chute précipitée est inconcevable, d'un Dieu dans le sein d'une vierge ? C'est ce même poids d'amour, ô Jésus, qui vous ayons anéanti infiniment par rapport à ce que vous étiez, vous a relevé et rehaussé infiniment.

Il n'en est pas ainsi de nous, qui ne sommes par nous-mêmes que des néants, que vous avez élevé et anobli par une bonté infinie. De ces néants il y en a des rebelles, qui vous résistent, et que vous domptez dans votre colère n'ayant pu les soumettre par amour. Il y en a des superbes, qui s'élèvent eux-mêmes se croyant quelque chose lorsqu'en vérité ils ne sont rien : vous les précipiterez comme d'autres Lucifers dans l'abîme, où votre fureur les écrasera de son poids, et dont ils ne se retireront jamais, parce qu'ils ont méprisé le poids de l'amour. Mais il y a des néants soumis, que j'ose appeler des néants d'amour, que l'amour plonge, enfonce, abîme de plus en plus par son poids dans la plus [348] extrême bassesse. Ce sont ceux qui (pour ainsi parler) étant rabaissés au-dessus d'eux-mêmes et de tout le créé, sont élevés par le contrepoids de ce même amour jusqu'en Dieu même, où ils sont cachés612, abîmés et perdus avec Jésus-Christ, qui leur a mérité cette grâce par son abaissement : et plus l'anéantissement est profond, plus l'élévation est grande. L'âme éprouve ces deux contrepoids, l'un qui l'abaisse de plus en plus, et l'autre qui l'élève toujours davantage, jusqu'à ce que perdue en Dieu elle ait outrepassé les limites d'elle-même et de tout le créé.

Il ne faut pas croire que l'âme arrivée en Dieu n’éprouve plus ces deux contrepoids de l'amour élevant et anéantissant : c'est tout le contraire. C'est alors que ce sacré poids ne trouve plus d'obstacles ni à rabaisser l'âme ni à la rehausser ; parce qu'il a détruit lui-même les terribles obstacles qu'elle avait à l'abaissement, et par conséquent il n'y en a plus à son élévation ; car tant qu'il reste quelque obstacle à notre anéantissement, il y en a à notre élévation.

Il faut remarquer que l'homme par le malheureux commerce d’Eve et du serpent, que l'Ecriture appelle613 fornication, a fait glisser en sa nature ce venin empoisonné du diable, qui est l'orgueil, la superbe et l'amour de la propre excellence, qui sont614 les profondeurs de Satan, comme parle l'Ecriture. L'homme par ce venin d'orgueil qui l'a tiré du serpent est tellement enclin à la superbe, qu'il a une répugnance infinie à l'abaissement. C'est pourquoi Jésus-Christ est venu sur terre dans l'humiliation et [349] dans toutes les qualités opposées à l'orgueil : il nous a rendu capable par son sang et par son exemple de connaître la nécessité de l'abaissement, non seulement de le connaître, mais de le désirer. Tout le soin de Jésus-Christ est donc de se conformer les âmes par son abaissement prodigieux, et de les arracher au Démon, qui se fourre partout, mais qui ne saurait supporter l'abaissement. Le Diable peut faire des miracles, comme les magiciens de pharaon ; mais il ne peut s'humilier. Lorsque l'amour vient dans un cœur il le revêt des inclinations de Jésus-Christ, qui sont l'amour de la croix, de l'humiliation, et du mépris : il lui donne une pente secrète pour n'être rien ; mais la nature corrompue, appuyée de l'amour-propre et du diable, met à cela de continuelles obstacles, jusqu'à ce que l'humble et pauvre Jésus surmonte en nous tous ces obstacles en détruisant l'empire de Satan. Alors l'âme éprouve qu'il se développe en elle une certaine pente à n'être rien, qui devient toujours plus forte et plus rapide ; elle ne trouve presque plus rien qui l'arrête. Mais comme le penchant de tout l'homme est l'orgueil, cette âme s'abaisserait lentement et se relèverait souvent sans le poids de l'amour, qui l’enfonce dans un certain néant profond et ténébreux ; et alors, par un contraire effet, elle éprouve en même temps, qu'une autre partie d'elle-même est élevée dans un tout ténébreux, qui devient tous les jours d'autant plus vaste et étendu, que la pente à n'être rien est plus forte. C'est comme deux infinis qui tirent un tout fini, mais qui se divisent en deux parts sans cesser d'être uni d'une certaine manière qui les rend indivisibles ; l'un abaisse, et l'autre élève à un point, que l'âme [350] ainsi abaissée et rehaussée se perd en Dieu, et est transformée en ce même Dieu d'une manière ineffable, mais néanmoins proportionnée à sa qualité de créature. Nul n'est donc monté, et ne montera jamais, que celui qui est premièrement descendu par ce poids d'amour.

C'est le dessein et l'économie de l'Incarnation du Fils de Dieu, de nous rendre capable de porter ce poids d'amour dans ces deux effets si contraires en apparence, et néanmoins si nécessairement attachés l'un à l'autre, que l'un ne peut être sans l'autre. Aucun ne montera qu'il ne soit premièrement descendu. Qu'on mette la perfection à tout ce qu'on voudra, c’est là son point essentiel : c'est pour en venir ici qu'on souffre tant de peines, d'épreuves et d'humiliations. Dieu emploie tout pour nous y réduire, jusqu'aux défauts et aux péchés mêmes. L'orgueil et la propre excellence sont tellement enracinés dans le cœur de l'homme, qu'il faut un feu étrange pour les détruire : ce feu sont les peines de toute espèce et ce poids d'amour.

O Amour, ma chère vie, soyez un poids immense d'amour ou de justice ; d'amour, pour ceux qui vous reçoivent et se laissent détruire et anéantir ; de justice, pour les superbes et ceux qui ne vous reçoivent pas. Ô Amour, je souffre en cette vie ; je languis ; je ne trouve personne pour correspondre à mon cœur, ou, ceux qui y correspondent sont si rares qu'on les compte facilement ! Ô Amour, je suis étrangère sur la terre ! Tu m'as réduite au néant, et je suis un objet de mépris. Je suis un enfant simple qui ne connaît plus que l'amour, parce que mon Amour me fait participante de son enfance, qui est l'état le plus abject de sa vie. Il me fait enfant [351] pour vivre avec des hommes ; les bêtes me conviendraient davantage, car je ne puis me contraindre. Certains hommes présument être saints, lorsque l'amour-propre les domine et qu'ils sont ennemis de la croix. Que faire avec ces sortes de saints, en qui je vois les profondeurs de Satan ? Ayez pitié, Amour, ayez pitié d'un enfant faible et languissant en qui vous avez caché votre divine sagesse, si opposée à cette sagesse humaine qui vous a été si fort en horreur, que vous avez remercié votre Père de leur avoir caché ses secrets. Oserais-je dire que les profondeurs du cœur de l'homme égalent et même surpassent les profondeurs de Satan ? Mais que dis-je ? Ce sont ces mêmes profondeurs étendues et repliées. Ce cœur de l'homme est plein de plis et replis ; il se cache à lui-même sa laideur ; il ne regarde que le pli sans penser à ce qu'il renferme, et sans le vouloir connaître. L'orgueil lui en fait paraître la superficie assez belle, parce qu'il appelle la laideur beauté ; mais le reste est plein de détours, d'amour-propre, de finesse. Enfin, le dehors paraît être à Dieu, et le fond est au Démon. Délivrez, Seigneur, vos enfants de cet ancien serpent qui s’est glissé partout : détruisez-le par l'anéantissement de vos petits enfants, que vous avez choisis vous-même par votre enfance. Vous êtes, Jésus, le destructeur de ces profondeurs de Satan par vos profonds abaissements. Triomphez, commandez, régnez, ô Jésus mon Amour et ma vie. Amen, Jésus ! [352]

*1.51. L’obéissance parfaite, fruit de l’amour.

Sur ces paroles de l’Ecclésiastique 3, 1 : C’est une nation qui n’est qu’obéissance et amour.

1. L’obéissance suit toujours l’amour : plus l’amour est pur, plus l’obéissance est parfaite. Dès que l’amour vient dans un cœur, il apporte avec soi un désir de se soumettre à tout. A mesure que l’amour augmente, on se résigne davantage ; enfin on s’abandonne à cette divine volonté, on la suit sans résistance, et même enfin sans répugnance : au moindre signal, Dieu est obéi. On obéit même à toute créature pour l’amour de lui615, et cela avec une facilité et une promptitude admirables. L’amour devient si pur que l’âme ne trouve plus de volonté : elle trouve que la volonté de l’Aimé a passé dans celle de l’amante, en sorte que c’est la volonté de l’Aimé qui lui sert de volonté à elle-même, ou plutôt la volonté de l’amante s’est écoulée et perdue en [353] celle de l’Aimé. Ce sont là les caractères du véritable amour.

2. Je ne comprends pas certaines personnes qui se vantent d’aimer beaucoup, et qui conservent néanmoins toutes leurs volontés. Cet amour m’est inconnu. Je connais des personnes qui apportent des raisons sur tout ce qu’on leur dit, qui commencent par contrarier le commandement : si on ne leur cède pas, ils obéissent en murmurant. Saint Pierre dit que nous devons avoir une obéissance d’amour, parce que c’est l’amour qui rend obéissant. Dieu aime ceux qui lui obéissent de la sorte : il fait son plaisir de leur commander sans cesse. Ils entendent sa voix secrète, ils obéissent au moindre signal. Dieu aime ces personnes. Plus il exerce leur obéissance, plus il leur donne des preuves de son amour, et c’est de cette sorte qu’il désire des témoignages du nôtre. Au contraire, il ne commande rien à ceux qui obéissent avec chagrin, de peur d’augmenter leur infidélité et leur désobéissance en multipliant ses commandements.

3. Samuel dit à Saül que c’était comme le péché d’enchantement que de répugner, et comme celui d’idolâtrie que de ne vouloir pas se soumettre616. Il est vrai que l’homme est comme enchanté par l’amour de lui-même et par l’attache à sa propre volonté. L’un produit nécessairement l’autre. Il idolâtre ses propres pensées, ses propres vouloirs : c’est pourquoi il dispute et ne veut pas se soumettre, il répugne à tout ce qu’il n’a pas voulu le premier. Il se sert même, comme Saül, du prétexte de la piété pour couvrir le dérèglement de sa propre volonté : C’est pour sacrifier au Seigneur que nous avons réservé ces choses617. [354] Il fait voir que la multitude a fait de même : Le peuple a réservé ce qu’il y avait de meilleur dans les troupeaux pour en faire des sacrifices. Dieu se soucie bien de ces sacrifices faits par la propre volonté ! Et l’obéissance, dit Samuel, ne vaut-elle pas mieux que le sacrifice ? Obéir n’est-il pas plus agréable à Dieu que de lui offrir la graisse des moutons ? C’est-à-dire ce qu’il y a de plus parfait et de plus exquis dans les sacrifices offerts par la propre volonté ? N’est-il pas dit de Jésus-Christ, notre divin modèle, en qui toute la perfection était renfermée : Il a été fait obéissant jusqu’à la mort, et la mort de la croix618 ?

4. La perfection de l’obéissance consiste en ce qu’elle soit continuelle et sans interruptions, et sans bornes ni mesures, obéissant dans les choses les plus fâcheuses et qui répugnent à la nature comme dans les plus agréables : ne se lasser jamais d’obéir. Il faut de plus que l’obéissance que l’on rend à Dieu, soit sans discernement d’une chose ou d’une autre : elle doit s’étendre en toute manière et en autant de différentes choses qu’il plaît à Dieu de nous commander. Celui qui par l’amour a perdu sa volonté dans celle de son Dieu, ne se donne pas un mouvement propre, mais est mû et plié par la volonté de Dieu, qui l’absorbe, comme une goutte d’eau dans la mer ne peut plus avoir de mouvement propre, mais seulement celui que lui donnent les immenses eaux, en sorte qu’elle est comme disparue, quoiqu’elle subsiste réellement.

L’âme qui est de la sorte, obéit dans l’amour et par l’amour. Elle obéit si naturellement qu’elle ne songe plus à obéir, comme la goutte d’eau ne songe plus à se donner du mouvement : cela serait inutile, étant [355] emportée par l’unité des eaux et leur continuité. Mais si quelqu’un pouvait la puiser et la séparer, ce ne serait plus la même chose : la désunion et la rupture de la continuité la rendrait une misérable gouttelette d’eau comme auparavant ; et si elle voulait se mouvoir, la faiblesse l’en empêcherait, et elle se dessècherait peu à peu et périrait enfin. Il en est ainsi de notre âme unie à Dieu que de la mer même, et lorsqu’elle est désunie de son Dieu, elle devient comme la petite gouttelette. Obéissons donc sans répugnance, et d’une obéissance d’amour, et nous ferons comme Dieu veut !

*1.52. De la paix de Dieu.

Sur ces paroles : Je vous donne ma paix. Je ne vous la donne pas comme le monde la donne. Jean 14, 27.

1. Les personnes du monde croient avoir la paix en se donnant toutes les satisfactions possibles : ils contentent tous leurs désirs ; ils tâchent d'assouvir toutes leurs passions ; ils ont des richesses immenses ; ils sont comblés d'honneurs ; on les appelle les heureux du siècle. Le dehors de ces personnes attire la jalousie des [356] autres, mais si on les examine de près, si on leur demande à eux-mêmes leurs dispositions, ils avoueront qu'ils n'ont point de paix, et que par conséquent ils ne sont pas contents. Ils désirent encore : plus ils sont comblés de biens, plus ils en souhaitent ; ils sont toujours agités, les plaisirs dont ils sont comblés les soûlent, les dégoûtent sans les satisfaire.

2. D'où vient cela ? C'est qu'ils n'ont pas la paix en ces choses, et qu’ils ne la peuvent avoir. Et d'où vient qu'ils ne peuvent avoir la paix en ces choses ? C'est que leur cœur n'étant pas fait pour elles, et étant incomparablement plus grand, il reste un vide dans ce cœur ; et ce vide est si grand qu'il ne s'aperçoit pas de tout ce qu'ils y mettent pour le remplir. Comme le vide est presque immense, ils ne sentent que la peine du vide sans sentir sa plénitude. C'est ce qui les rend agités et inconstants : ils cherchent toujours de nouveaux plaisirs, ils les désirent avec ardeur, ils en jouissent, sans y trouver ce qu'ils s'étaient promis, ils en restent dégoûtés ; et comme ils éprouvent toujours le même vide, ils passent toute leur vie à chercher ce qu'ils ne peuvent trouver, qui est : la paix, qui peut seule remplir leur vie ; et comme elle n'est point en ces choses, ils ne l'ont jamais.

3. Voyons d'une autre côté une personne à qui tout manque, qui ignore tous les plaisirs, pauvre, persécutée des hommes, privée même de sa liberté, de tout ceux qu'elle aime selon Dieu et qu'elle doit aimer, méprisée, décriée, etc. On la regarde comme la plus malheureuse du monde, son état fait horreur ; cependant on est surpris de ne remarquer au-dehors ni agitation ni impatience. Approchez-vous de cette personne, [357] demandez-lui ce qu'elle désire ; elle, qui aurait tant de choses à désirer, vous répondra qu'elle est parfaitement contente et qu'elle ne désire rien. Quoi ! Tout vous manque au-dehors, et vous ne désirez rien ! Non, je ne désire rien parce que je ne trouve point de vide en moi. La privation de toutes les choses qui me manquent, ne me fait point de peine, parce qu'elle ne me cause point de vide. La paix que je goûte au-dedans remplit tout le vide de mon cœur avec surabondance. Cette paix vient de ce qu'un Objet infiniment plus vaste que lui, le possède. La privation de tout ne m'ôte rien, comme la possession de toutes ces mêmes choses ne me donne rien : au contraire, si cette possession m'ôtait cette paix que je goûte dans la privation, je serai inquiète comme vous, parce que je serais vide comme vous. Tout ce que vous possédez, dont vous faites tant de cas, serait pour moi comme un brin de paille, qui ne peut ni me nourrir ni m'appuyer. Je suis contente et satisfaite, parce que j'ai la paix.

4. Je n'ai pas simplement la paix parce que je suis privée de tous les biens que le monde estime, mais c'est l'extinction de tous les désirs qui cause ma paix. Le pauvre qui désire des richesses, n'a point de paix : sa cupidité le dévore, il est altéré et affamé de tout ce qu'il n'a pas. Je n'ai de faim ni de soif que de la justice : plus Dieu m'appauvrit et me rend misérable, plus il satisfait ma faim et ma soif, parce qu'il se rend justice à lui-même, en m’ôtant tout ce qui ne m'appartient pas. Il me fait aussi justice en ne laissant que ce qui est à moi. Peut-être croyez-vous que j'abonde des biens intérieurs ? Vous vous trompez, et j'en suis encore plus pauvre que des extérieurs. [358] O si cela est, comment pouvez-vous rester en paix ? Cette privation, non plus que l'autre, n'altère point ma paix, parce que je ne puis désirer ce que je n'ai pas, et que je veux tout ce que j'ai : misère, pauvreté, etc. L'extinction de tous désirs me rend heureuse au milieu de tous les déplaisirs apparents, parce que, comme je l'ai dit, je n'ai ni faim ni soif que de la justice, et je trouve par cet état la justice dont je suis affamée.

5. Aussi Jésus-Christ a-t-il dit : Bienheureux sont les pauvres d'esprit ; car le Royaume de Dieu est à eux619. Jésus-Christ ne dit pas simplement : Bienheureux sont les pauvres ; mais, Bienheureux sont les pauvres d'esprit, parce que celui qui n'a pas de biens et qui en désire, n'est pas pauvre d'esprit : il est riche en désirs ; mais celui qui ne désire point ce qu'il n'a pas, est le vrai pauvre d'esprit, en qui Dieu règne ; il a véritablement le Royaume de Dieu, puisque Dieu règne en son âme, qu'il y a placé son trône et l'a prise pour le lieu de sa demeure.

Celui qui ne désire plus, n'a plus de volonté. Et, puisque Jésus-Christ a dit620 : Si quelqu'un fait ma volonté, nous viendrons à lui, et nous ferons notre demeure en lui, et qu'il est constant que celui qui ne désire plus parce qu'il n'a plus de volonté propre, fait la volonté de Dieu, il s'ensuit qu'il devient sa demeure, son royaume, et ainsi que le vrai pauvre d'esprit jouit par conséquent d'une véritable paix, non en lui, mais hors de lui, en Dieu, où la paix devient invariable et inaltérable. Tant que notre paix est en nous-mêmes, quoiqu'elle soit le don de Dieu, elle peut toujours se perdre, et elle s'altère souvent ; mais lorsqu'elle est retournée à sa [359] source, et qu'elle est recoulée avec nous en Dieu, elle devient inaltérable.

6. Il faut expliquer, avec la grâce de Dieu, les différentes sortes de paix. Nous avons vu que le monde ne peut donner la paix : ainsi nous ne parlerons plus de celle que le monde donne. Sitôt qu'une âme est véritablement retournée à Dieu par une conversion entière, elle commence à trouver en elle un commencement de paix, que le péché lui avait ravie, et c'est la plus grande marque de la réconciliation de l'âme avec Dieu que cette paix qu'elle goûte au-dedans. Ensuite sa conversion se perfectionnant, sa paix augmente : elle commence à goûter au-dedans d'elle-même un je ne sais quoi qu'elle ne goûtait pas auparavant, ce qui la porte à se détourner absolument du monde pour se tourner de ce côté-là. Elle rentre en elle-même, elle s'y enfonce pour jouir davantage de cette paix. Plus elle en jouit en son fond, plus sa paix augmente, bien différente de la paix que donne le monde, dont la possession lasse et fatigue et dégoûte. Par conséquent, l'âme ne voudrait faire autre chose que de goûter cette paix qui la charme. « O paix, s'écrie-t-elle, c'est en toi qu'est renfermé tout mon bien, c'est toi qui me donnes Dieu ». Vous vous trompez, ô âme, c'est Dieu qui vous donne cette paix, et non la paix qui vous donne Dieu. Dieu, étant un Dieu de paix, ne saurait venir dans une âme sans apporter la paix. Si l'âme est alors fidèle et attentive, elle remarquera qu'au travers de cette paix, qui est alors très suave, elle éprouve une certaine présence de Dieu dans elle, qui l'occupe sans cesse et qui la comble d'une joie intime. C'est là le premier don que Dieu fait de sa paix. [360]

7. L'âme éprouve dans cette première paix une grande facilité à se résigner, un goût de la croix, une volonté souple et pliable, qui ne se roidit plus contre les événements. Alors Dieu lui fait un don de paix plus grand, quoiqu'il ne paraisse pas tel à l'âme : il ôte de la paix ce qu'il y a d'onctueux et de goûté, parce que cette paix, étant reçue dans la capacité de la créature, était encore bornée et limitée, elle s'altérait souvent ; d'ailleurs l'âme s'y attachait et s'arrêtait insensiblement. Ce n'est plus maintenant cette paix douce et suave, mais une paix sèche et desséchant toute l'âme, parce qu'alors Dieu la prive peu à peu des biens intérieurs afin de lui donner une paix invariable. Tant que l'opération de la perte des biens intérieurs dure, l'âme ne goûte plus la paix savoureuse, comme j'ai dit, mais une paix sèche, qu'elle ne peut exprimer que par un non-trouble. Si alors elle résiste à Dieu et qu'elle ne se laisse pas dénuer, appauvrir et perdre selon l'étendue des desseins de Dieu, elle perd cette paix sèche, et entre dans le trouble et l'agitation car qui a pu résister à Dieu et vivre en paix621 ? Ces troubles durent autant que sa résistance ; et si la résistance dure toute la vie, le trouble dure toute la vie.

Les personnes qui ne sont pas en lumière divine, prennent ces troubles pour de grandes épreuves, le disent de même, et en font des états merveilleux, qu'ils nomment croix intérieures. Ce sont véritablement les plus grandes, puisqu'elles ôtent la paix ; mais ils ne la perdent que par leur résistance car, dans quelque croix intérieure ou extérieure que l'âme soit plongée, quelques misères, pauvretés et faiblesses qu'elle [361] puisse éprouver, cet paix sèche lui demeure : ainsi qu'il est exprimé en Isaïe622 : J'ai trouvé ma paix dans ma douleur la plus amère. La raison en est, qu'elle ne reprend pour cela ni sa volonté ni la possession d'elle-même, qu'elle ne fait plus d'usage de l'une ni de l'autre, ni par conséquent de ses désirs, qui [seuls] peuvent lui ôter la paix. Elle trouve, sans savoir comment, que sa volonté se perd chaque jour et que ses désirs s'amortissent toujours plus ; car l'un suit nécessairement l'autre. Cela lui fait penser quelquefois qu'elle est dans l'endurcissement ; mais elle n'entre pas pour cela dans le trouble.

8. On m'objectera que Jésus-Christ dit cependant623 : J'ai l'âme troublée. Jésus-Christ ne souffrait pas pour lui, mais pour les autres : ainsi les peines et les troubles étaient infligés de Dieu sur son humanité, et ces troubles, qui étaient passagers, il les accepta lui-même volontairement pour porter nos langueurs et nos faiblesses. En quelque état de consommation que puisse être une âme, lorsque qu'elle est pour aider aux autres et qu'elle souffre pour eux, Dieu lui inflige des peines et des troubles passagers, conformes à l'état de l'âme pour qui on souffre ; mais ce trouble est court et ne cause point d'inquiétude comme celui qui est causé par [sa propre] infidélité. Ceci est d'une extrême conséquence, et bien à remarquer. Que celui qui est troublé, au lieu de regarder son trouble comme un état purifiant et de grande souffrance, examine plutôt ce que Dieu a pu exiger de lui et qu’il lui ait refusé, ce qu'il a quelquefois éprouvé [et senti] que Dieu [362] demandait de lui, quel dépouillement Dieu en a voulu, auquel cependant il a résisté. Alors, qu'il se sacrifie à Dieu tout de nouveau, et il retrouvera la paix qu'il avait perdue. Ceci est une règle [et une marque] infaillible de fidélité ou d'infidélité.

9. Lorsque Dieu a éprouvé, épuré, ballotté une âme autant qu'il lui a plu, qu'il l'a rendue souple à tous ses vouloirs, il perd peu à peu sa volonté et tout elle-même en lui, comme il a été dit tant de fois. C'est alors qu'elle trouve cette paix parfaite, invariable, inaltérable, non en elle (où elle ne serait jamais de cette sorte), mais en Dieu même, où elle est dans toute sa perfection, où elle est Dieu, car en Dieu tout ce qui est de lui est lui-même.

Or cette paix est bien différente de la première dont nous avons parlé : elle n'a point cette douceur et ce goût sensible de la première ; elle n'a point la sécheresse de la seconde. Elle n'a pas non plus cette altération qui se trouve dans la première : quoique plus douce et plus sensible, elle ne varie pas de même. Elle n'a pas aussi une certaine langueur, pénible quoique non troublante, comme dans la seconde : cette âme a une certaine fermeté, une impuissance de trouver aucune volonté, et par conséquent de rien désirer. Quelque renversement qui arrive au-dehors, rien ne pénètre jusqu'à elle ; elle ne se repose, ni ne s'appuie, ni ne se réjouit point en cette paix comme au commencement, car elle n'en jouit pas, n'étant point en elle, mais en Dieu.

10. Il faut savoir, que la paix qui est en nous, quoique très savoureuse, a quelque chose de rétréci, parce que notre nous-même borne ce [363] qu'il renferme, et c'est même son peu d'étendue qui rend cette paix si sensible. Mais en Dieu, comme rien ne la borne, elle a une étendue immense, et ne se distingue que par sa fermeté et son invariabilité. Cette paix se peut appeler la Paix-Dieu, puisqu'elle n'est point en l'âme même, mais en Dieu, en qui cette âme est perdue. Elle est immobile avec Dieu ; et comme elle ne dépend de rien de créé, quelque grand et sublime qu'il soit, rien de créé ne la peut altérer. Si l'âme était rejetée de Dieu comme un autre Lucifer, elle tomberait dans un trouble d'enfer d'autant plus pénible qu'elle aurait éprouvé en quelque sorte l'immobilité divine et cette paix imperturbable. Nous ne pouvons avoir cette paix que nous ne soyons passés en Dieu par la perte de tout le reste. Dieu nous la donne pour sa gloire. Amen, Jésus !

*1.53 Du repos en Dieu.

Sur ces paroles : Le septième jour, le Seigneur se reposa de toutes ses œuvres. Gen. 2, 2.

[364] Dieu de toute éternité avait eu un repos parfait en Lui-même. Ce repos, qui vient de l’assemblage de toutes perfections, et perfections infinies, auxquelles rien ne manque, qui ne peuvent croître ni diminuer, n’ayant point d’autres bornes que l’infinité même, est un point fixe dans Son immensité éternelle, surcomblé de tous les plaisirs invariables qu’Il trouve dans la contemplation de Sa beauté et dans la complaisance de cette même beauté si grande, si étendue, si fort au-dessus de toute compréhension, que l’intelligence de tous les Anges et de tous les saints n’en peuvent comprendre qu’une petite partie624.

Ce Dieu de beauté, qui Se connaît Soi-même infiniment et qui ne peut être parfaitement connu que de Soi, S’aime aussi infiniment  et Il ne peut être aimé comme et autant qu’Il le mérite que de Soi-même.

Si Dieu ne peut être connu, même dans l’autre vie, qu’imparfaitement et non dans toute l’étendue de ce qu’Il est parce qu’il faudrait être Dieu comme Lui pour Le connaître de la sorte, Il ne peut non plus être aimé dans l’étendue de ce qu’Il est par des créatures bornées et limitées, quelques grandes et parfaites qu’elles puissent être. Il n’y a donc que Dieu qui Se connaisse et qui S’aime Soi-même dans toute l’étendue de la perfection de ce qu’Il est ; et cette connaissance et cet amour Lui donnent un repos immense et infini que rien ne peut altérer ni diminuer. [365]

Pour ce qui est de nous, nous pouvons encore moins connaître Dieu en cette vie que dans l’autre : nous ne Le connaissons ici que par la foi, qui est une lumière d’autant plus obscure qu’elle est plus étendue, parce que rien ne la borne. Elle croit Dieu, ce qu’Il est dans sa totalité ; et ce que la connaissance ne peut atteindre, la foi l’embrasse sans distinction de ce qu’Il est.

Représentez-vous par manière de comparaison trois différentes personnes : l’une qui, ayant ouï parler de la mer sans avoir jamais rien vu qui en approche, croit ce qu’on lui en dit sans rien examiner ; une autre qui, ayant vu un petit amas d’eaux, croit avoir vu toute la mer et l’assure de la sorte ; et une autre enfin qui, vivant dans la mer, en connaît des beautés et des richesses que les premiers ne voient ni n’imaginent pas . Mais cependant cet habitant de la mer n’en peut voir qu’une très petite partie, surtout si la mer est infinie.

Les bienheureux sont comme ce dernier. Le second marque ceux qui vont par la voie des lumières distinctes. Et ceux qui marchent par la foi croient, comme le premier, la totalité de ce qu’est la mer sans s’en former d’idée, ni rien imaginer , et leur foi est d’autant plus pure et plus étendue qu’ils ne s’en forment aucune espèce. Croire Dieu dans la totalité de ce qu’Il est, sans rien se figurer ou imaginer, perdre toute idée et distinction pour se perdre dans cette foi, qui est d’autant plus pure qu’elle est plus obscure et plus dégagée de témoignages et de tout ce qui est distinct et spécifique, approche plus que toute autre chose de la vérité. [366]

Les bienheureux sont si ravis de ce qu’ils voient de Dieu qu’ils sont hors d’eux-mêmes en cette mer immense de beauté, quoiqu’ils ne puissent découvrir que la moindre partie de sa totalité, (chacun selon ce qu’ils sont,) qu’ils s’y abîment et s’y perdent sans cesse.

La meilleure manière de connaître Dieu en cette vie et la seule sûre est de croire dans sa totalité ce qu’Il est et de s’abîmer dans cette foi ténébreuse et générale car, comme elle n’attribue rien à Dieu en distinction et qu’elle le croit ce qu’Il est, elle ne Lui ôte rien non plus : elle est par là à couvert de toute méprise. 

Il n’en est pas de même de ces autres âmes dont j’ai parlé qui, prenant un petit amas d’eaux pour la mer elle-même, sont la figure des âmes conduites par les lumières, les visions, les révélations etc. Ce que Dieu leur manifeste de Lui-même est si peu de chose qu’on oserait quasi dire que, si elles croient de Dieu ce qu’elles voient ou s’imaginent de voir, elles sont dans l’erreur et sont comme la mère de Samson qui croyait avoir vu Dieu, quoique ce ne fut qu’un Ange. Toutes ces visions, quand elles seraient vraies, ne sont que quelques manifestations par le moyen des bons Anges, et ce n’est nullement Dieu.

Il faut expliquer quelle est la nature de l’amour que nous devons avoir pour ce Dieu si infiniment aimable et si infiniment digne d’être aimé. Pour aimer Dieu comme Il mérite de l’être, il faudrait être Dieu . Mais il y a un amour qui n’est pas indigne de Lui, quoiqu’il n’ait pas une étendue infinie : c’est un amour répondant à la foi, qui aime Dieu dans la totalité de ce qu’Il est, et avec toute la pureté dont une créature [367] bornée et limitée est capable. C’est d’aimer Dieu du même amour dont Il S’aime Soi-même, quoique non pas autant qu’Il S’aime, ce qui est impossible. Dieu S’aime tellement pour Lui-même qu’Il ne peut aimer que par rapport à Lui ce qu’il aime hors de Lui et qu’il n’aime en Lui que Lui-même. Il ne serait pas Dieu s’il pouvait S’aimer d’une autre manière.

Pour aimer Dieu comme Il le mérite, et non autant qu’Il le mérite (ce qui est impossible), il faut L’aimer d’un Amour pur, net, droit, qui ne regarde que Lui-même : il faut que cet amour surpasse toutes choses et soi-même, sans qu’il lui soit permis d’avoir d’autre regard ni retour sur aucun objet que sur Dieu même en Lui-même, pour lui-même. Toute autre vue ou motif est indigne de Dieu et n’est pas le pur amour, qui est seul proportionné, sans proportion, à ce que Dieu est. Il aime Dieu dans la totalité de ce qu’Il est : il aime, comme dit saint Denis, le beau pour le beau625. L’âme se plonge et s’abîme dans cet amour qui la surpasse infiniment. Lorsqu’elle est plongée dans cette mer d’amour, elle ne voit qu’amour, elle est bien éloignée de se voir ni de se regarder soi-même ni quelque avantage rapportant à soi, quel qu’il soit. Elle ne voit qu’amour : elle se promène, pour ainsi dire, dans l’amour sans voir autre chose quelle qu’elle soit, comme les enfants dans la fournaise ne voyaient que flammes, quoiqu’ils n’en sentissent pas l’ardeur. L’âme est donc abîmée dans l’amour, sans rien distinguer ni discerner dans l’amour que l’amour même, ni motif, ni raison d’aimer : l’amour tient lieu de tout cela. C’est ainsi qu’on aime Dieu dans le ciel, sans [368] retour ni raison d’aimer. L’amour est la seule raison d’aimer, l’amour est la récompense de l’amour. Et comme la foi ne discerne rien en Dieu et croit ce qu’Il est dans Sa totalité, l’amour ne discerne rien, mais il aime Dieu dans Sa totalité. Il aime Dieu tellement pour Lui-même et si fort au-dessus et hors de soi que, dans cet amour, tout autre motif que Dieu même lui serait un enfer.

Les âmes de lumière distincte ont aussi des distinctions et des motifs en leur amour, mais comme je ne parle de cela que par accident, je n’en dirai pas davantage.

Les âmes ainsi bien ordonnées dans leur amour et dans leur foi, goûtent sans goût un repos très grand, qui est une participation de ce repos que Dieu goûte en Lui-même car comme leur amour n’est pas en elles, ni rapportant à elles, leur repos est de même invariable, parce qu’il n’est ni en elles, ni rapportant à elles.

Il est dit, que Dieu se reposa le septième jour de toute œuvre qu’il avait faite, c’est-à-dire, qu’ayant créé tout ce qu’Il voulait créer, Il cessa la création. Car la puissance de Dieu étant sans bornes, Il ne peut se fatiguer ni se lasser. De plus la création de ce grand Univers et de tout ce qu’il contient, ne Lui coûta qu’un Fiat : l’homme, le plus parfait de tous ses ouvrages, fut créé d’un peu de boue, et un souffle l’anima. D’où vient donc que l’Ecriture parle de ce repos du septième jour que la suite de tous les âges ont imité, soit dans l’ancien soit dans le nouveau Testament ? C’est pour nous faire connaître qu’il y a un repos de toute œuvre, auquel repos Dieu nous invite. Ce repos est une cessation de toute œuvre comme j’espère le faire voir, et il tend au repos du [369] Seigneur qui est invariable, dans la cessation générale et universelle de toutes choses par un état tout passif et tout anéanti. Si cela n’était pas, Dieu n’aurait pas dit : J’ai juré dans ma colère qu’ils n’entreront point dans mon repos626 puisque, pour ce qui est du repos ou sabbat Judaïque, il est certain que les Israélites observaient très rigoureusement ce sabbat.

Jésus-Christ dit, lorsqu’il justifiait ses disciples d’avoir rompu des épis au jour du sabbat627, qu’il était lui-même le Seigneur du sabbat628. Car les Juifs avaient pris les paroles de garder le sabbat d’une manière toute grossière, matérielle et extérieure, au lieu que Dieu ne faisait observer si rigoureusement le sabbat que pour nous instruire de quelques autres sortes de sabbat où nous sommes invités.

Le premier sabbat est de cesser toutes les œuvres d’iniquité pour embrasser les voies de la justice, ce que les Juifs n’entendaient pas lorsqu’ils reprenaient Jésus-Christ de faire des guérisons le jour du sabbat. Il leur dit : Est-il permis de faire du bien ou du mal ? Et leur fit voir que lorsqu’ils le blâment du bien qu’il faisait le jour du sabbat, ils ne faisaient point de scrupule de retirer un bœuf ou un âne de la fosse où il était tombé.

Il leur enseigne ailleurs un autre sabbat, qui est de cesser toute convoitise et avarice629, et c’est le second sabbat. Car ce n’est pas assez de s’abstenir de commettre le péché, si on ne cesse toute convoitise, toute avarice - comme ce n’est pas assez de se priver des biens extérieurs, si on en conserve l’amour et l’affection. [370]

La cessation de l’affection de toutes choses de la terre, de tout ce qui regarde ce qui est hors de nous comme  biens, honneurs, grandeurs, dignités, renommée, etc. c’est le troisième sabbat.

Le quatrième est de cesser par la pauvreté d’esprit tout raisonnement, de faire cesser toute lumière propre, tout ce qui appartient à l’esprit, pour l’assujettir à la foi. Et ce sabbat est bien plus parfait que tous ceux qui l’ont précédé.

Il faut aussi cesser toutes sortes d’affections hors de nous, en nous et rapportant à nous, tout amour-propre, toute propre volonté, tous désirs, enfin tout ce qui appartient à la volonté, afin de la soumettre à Dieu par l’amour, et que ce même amour la perde en soi. C’est le cinquième sabbat, plus parfait que les autres. L’âme y goûte déjà un très grand repos et tel qu’on aurait peine à l’exprimer.

Le sixième repos ou sabbat, qui est le plus proche du sabbat du Seigneur et en comparaison duquel les autres peuvent passer pour des jours de travail, c’est l’entière désappropriation, qui fait tomber, pour ainsi dire, l’âme dans le repos du néant. Elle est là, non dans un repos goûté et aperçu comme auparavant, mais dans un repos de mort et de néant, qui est un repos plus grand que tous les autres quoiqu’il ne soit pas aperçu ni goûté comme les autres. Mais avant que de parler du septième Repos, il faut dire comment, ainsi que dans les autres sabbats, il y a ici, et surtout vers la fin, diverses cessations d’œuvres.

L’âme commence à sortir par la simplicité de la multiplicité de voies et d’actions pour devenir simple et reposée, car auparavant [371] l’âme était si fort multipliée en toutes choses qu’on pouvait dire d’elle ce que dit le Prophète : Ils se sont fatigués dans la multiplicité de leurs voies, sans dire jamais ; demeurons en repos630.

L’âme ainsi simplifiée se ramasse pour ainsi dire et se réunit dans tous les endroits où elle était éparse et dispersée. Elle cesse son action vive, multipliée et turbulente pour donner lieu au repos ou sabbat qu’elle commence à goûter.

Ensuite elle devient passive, recevant les pures lumières de l’Esprit de Dieu sans y rien ajouter, faisant cesser les lumières du propre esprit. Puis la lumière de Dieu qui devient plus abondante, fait cesser nos propres limites, les mettant en obscurité, comme la lumière du soleil fait disparaître celle des étoiles. Et c’est alors que la foi pure et nue, que la lumière de vérité s’empare de l’esprit, le fait défaillir et mourir à toute lumière et action propre pour recevoir passivement la vérité telle qu’elle est en elle-même et non en image. La volonté est ensuite privée de toute action propre, d’amour, d’affections, de toute action quelle qu’elle soit, pour recevoir purement l’action de Dieu, soit qu’Il la purifie ou qu’Il la vivifie. Et c’est l’amour qui fait toutes ces choses, pour être lui-même l’action de la volonté.

Ainsi l’âme privée de toutes ses plus nobles fonctions, laissant la place au fort et puissant Dieu, entre dans le repos du néant où tout le propre est ôté, propre vie, propre action. L’âme étant ainsi rentrée dans ce repos du néant dont Dieu l’avait tirée, c’est alors que Dieu [372] la crée de nouveau par une nouvelle régénération, la faisant une nouvelle créature en lui. Il la tire du chaos, sépare l’humide du sec, c’est-à-dire qu’Il sépare ce qui est pur, simple, fluide, de ce qui est matériel et grossier. C’est alors que l’esprit de Dieu se promène sur les eaux pour les rendre fécondes en Jésus-Christ. Il crée un nouveau ciel de nouvelle lumière, non pour être propre à la créature631. C’est-à-dire qu’Il lui communique l’esprit de vérité, dont elle est investie et remplie - cet esprit d’amour, qui est lumière et ardeur, qui est le grand luminaire qui éclaire le nouveau ciel de l’âme.

Ensuite de quoi, l’âme entre dans le sabbat éternel, dans ce repos de Dieu en lui-même, qui n’est plus un repos goûté, ni un repos comme celui du néant, ni un repos en soi, mais le repos du Seigneur, promis dès le commencement et dont notre Seigneur parle lorsqu’il dit : bon et fidèle serviteur, entrez dans le repos ou la joie de votre Seigneur632 car c’est la même chose633.

C’est ce repos qui n’étant plus en nous ni pour nous mais en Dieu pour Dieu même, ne varie plus. Il n’y a point d’état permanent en cette vie tant que nous sommes à nous-mêmes, car tout ce qui est en nous est sujet au changement. Mais lorsque nous sommes vides de tout et que nous avons transporté tout en Dieu parce que nous nous y sommes perdus nous-mêmes, le repos trouve alors en Dieu cette permanence que l’on ne peut jamais trouver en soi-même ni en aucune créature.

Dieu nous fasse la grâce de bien connaître, comprendre et pratiquer les sabbats, pour être [373] introduits dans le Sabbat éternel où est le parfait repos634. Amen, Jésus !

*1.54. Bassesse et simplicité choisie de Dieu.

Sur ces paroles : Dieu a choisi les choses basses pour détruire les choses hautes ; il a choisi les choses faibles pour confondre les fortes. I Corinthiens 1,27. C'est pourquoi il est écrit : toute hauteur sera détruite ; toute colline abaissée. Luc 3,5.

Rien n'est si opposé à la Majesté de Dieu que de voir un néant élevé : c'est pourquoi dans tous les temps Dieu prend plaisir à abaisser jusqu'au centre de la terre ce qui paraissait le plus élevé. Salomon, dont la sagesse était admirée et recherchée de toute la terre, est devenu le plus fou des hommes. Dieu permet des chutes en David son serviteur, afin que la force ne soit pas attribuée à l'homme, mais à Dieu635. S'il y a quelque grand serviteur de Dieu qui semble faire de grands biens, et qui soit comme l'attente des nations, il l'enlève du monde par la mort ou par quelque autre voie. Il semble, ô Dieu, que vous ne montriez les grands hommes à la terre que pour faire voir un échantillon de [374] votre toute-puissance. Dieu fait voir en cela son indépendance. Il se servira d'une petite femmelette plutôt que de ces grands hommes, afin que la force et la puissance ne soit pas attribuée à l'homme mais à Dieu.

Nous voyons dans le particulier qui semble que Dieu après avoir pris plaisir à orner une âme de ses grâces et de ses faveurs, après l'avoir rendu parfait en apparence, la dépouille de tous les biens qu'il lui avait donné ; non seulement afin qu'elle ne s'élevât pas pour ses faveurs, mais aussi afin qu'elle reconnaisse que cela appartenait à Dieu : car nous n'avons en partage que la misère ; et lorsque Dieu nous abîme dans notre néant, il ne fait que reprendre ce qui était à lui. Tout le soin de Dieu dans une âme lorsqu'elle s'est donné à lui sans réserve, est de la rabaisser, de la détruire jusqu'à la poussière par les peines, par les tentations, par l'expérience de ses faiblesses. Saint Paul ne dit-il pas636 : Afin que je ne m'élevasse pas pour mes grandes révélations, il m'a donné un ange de Satan, qui me souflette ? Et encore : C'est dans ma faiblesse que je trouve ma force. Ne cherchons point à être forts en Dieu ; mais que Dieu soit fort en nous au milieu de nos faiblesses, misères et pauvretés.

Dieu a mis, comme dit saint Paul637 son trésor dans des vases de terre, afin que la force ne soit pas attribuée à l'homme, mais à lui. Dieu prend plaisir à se servir d'instruments très méprisables : il les couvre même aux yeux des hommes, afin qu'on reçoive le pur lait de la parole sans s'amuser au canal par où elle passe ; et on remarque fort bien que les ouvrages des simples et idiots, même des femmes, ont beaucoup plus d'onction [375] que ceux des hommes ; parce qu'ils ne sont point mélangés de la science humaine, mais produit par le pur Esprit de Dieu. Ce n'est pas que les gens savants ne puissent devenir assez petits, ne pas avoir égard à leur science, et se laisser tellement à l'Esprit de Dieu qu'ils se rendent ignorants, (pour ainsi dire,) afin de ne rien mélanger avec la pure lumière du Saint Esprit ; mais cela est très rare ; et je crois qu’un tel savant ferait de très grands biens, étant devenu si petit et si humble, si dénué de toutes sortes d'espèces.

Mais où sont ces hommes devenus enfant ? Jésus-Christ n'a choisi que de pauvres pêcheurs, afin de les instruire par son Esprit, et qu’ils le reçussent et le répandissent sans mélange. On ne ne saurait croire combien le propre esprit et le raisonnement mettent obstacle à l'Esprit de Dieu si on ne le soumet sans cesse à la foi, et si on ne le sacrifie sans cesse à Dieu. Il y a de tels gens, qui sacrifierait plutôt leur vie que leur opinion. Aimons notre faiblesse ; que toute hauteur soit détruite, afin que celui qui règne absolument sur les petits, règne en nous et par nous ! Amen, Jésus !

1.55 Le néant de l’homme devant le Tout de Dieu.

Sur ces paroles : Quiconque s’exalte sera humilié ; et qui s’humilie sera exalté. Matth. 23, 12.

L’homme ne comprend point sa véritable gloire. Il la met où elle n’est pas et ne la met pas où elle est. Il se fait une élévation chimérique qui ne subsiste que dans son imagination. Lorsqu’il s’enfle en son cœur et qu’il le fait paraître dans ses paroles, il se rend méprisable à Dieu et aux hommes, qui le flattent souvent de paroles lorsqu’ils le détestent dans leur cœur. Toute gloire humaine est méprisable, soit qu’elle soit dans notre idée ou dans la vaine opinion des hommes. Toute vaine gloire vient d’ignorance : lorsque nous nous enflons, c’est que nous nous ignorons nous-mêmes. Ceux qui nous louent, ou le font pour nous flatter et nous disent le contraire de ce qu’ils pensent ou, s’ils nous estiment en effet c’est qu’ils ne nous connaissent pas. Dieu seul mérite toute gloire et tout honneur aux siècles des siècles.

La vraie gloire pour l’homme est de se bien connaître soi-même pour n’être point trompé dans ce qui le regarde et c’est la véritable gloire. Un homme qui se dit et se croit très savant, est un ignorant s’il ne se connaît pas lui-même. De quoi me peut servir de connaître les choses [377] passées et qui ne reviendront jamais ? En quoi me peut-il être utile de connaître ce qui est hors de moi et ne pas connaître ce qui est en moi ? De connaître ce qui regarde autrui et jamais ce qui me regarde ? Je dois donc apprendre à me connaître.

Comment puis-je apprendre à me connaître ? Il y a plusieurs manières. La principale est de connaître Dieu, ce qu’il mérite, ce qu’il est ; et alors nous nous trouverons si petits, si rien, que nous aurons honte de nous-mêmes. C’est nous connaître par comparaison. C’est pourquoi saint Augustin disait : Que je vous connaisse et que je me connaisse ! Pour nous connaître il faut connaître Dieu et pour connaître Dieu il faut nous connaître. Nous nous connaissons lorsque nous restons en notre place qui est le néant, où nous serions encore si Dieu ne nous en avait tirés. Le vrai néant consiste à rester en notre place au-dessous de tout. Il ne faut pas croire que pour s’anéantir il faille faire un effort. Il n’y a qu’à rester en notre place, le moindre élèvement nous en tire. Toute la pente d’une âme bien ordonnée est de rester dans son néant : Quia respexit humilitatem ancillae tuae. Car il a regarde la bassesse de sa servante638. Il est dit de Jésus-Christ qu’il s’est anéanti soi-même prenant la forme de serviteur639. Le plus grand anéantissement qui a jamais été est celui du Fils de Dieu, lorsqu’il s’est revêtu de la nature humaine. Il nous a montré par là que notre place est le néant. Humilions-nous tant que nous voudrons, nous serons toujours au-dessus de ce que nous sommes car en vérité nous ne sommes rien.

Or ceci ne se sait ni par considération, ni [378] par raisonnement, comparaison, illustration, mais par une réelle expérience de ce que nous sommes. La foi commence l’ouvrage car sans avoir ni distinction, ni espèce, ni idée formelle, elle imprime la vérité au fond de l’âme. Cette vérité a deux principaux objets en elle-même640, c’est le tout de Dieu et le rien de la créature. Ceci n’est point tracé dans notre mémoire ni dans notre imagination comme le sont les objets, mais il est imprimé et buriné pour ainsi dire dans l’essence de notre âme, en sorte que cela devient comme notre propre âme, le tout de Dieu et le rien de la créature. Comme ceci ne fait point d’espèce641 en nous, mais que cette vérité est simple et nue, nous ne l’avons point par idée ni par pensée, mais cela est comme essentiel à l’âme qui est régénérée dans la vérité comme elle y a été créée. Cette vérité est plus certaine à l’âme qu’elle n’est certaine qu’elle est, car elle douterait plutôt de son existence que de la vérité.

Cette foi ou vérité, imprimée sans forme ni espèce dans le centre de l’âme, fait qu’elle n’aime que Dieu, qu’elle ne fait cas que de lui, qu’elle se méprise autant que le rien est méprisable ; enfin elle demeure en sa place, et en vient même jusqu’à ce point, que de ne plus se mépriser ni se haïr. Car il faut être quelque chose pour être un objet et un objet de haine et de mépris. Or le rien n’étant rien n’est objet ni haïssable ni méprisable, mais c’est une chose oubliée, à laquelle on ne pense plus, pour laquelle on ne s’intéresse plus.

Il y a un Objet immense, si on peut appeler Objet ce qui n’en peut être [un] à cause de sa totale [379] simplicité et pureté. Mais on s’exprime comme on peut. Car un objet a en soi quelque chose de limité auquel l’esprit peut s’attacher, mais la vastitude immense de ce grand Tout ne peut être proprement un objet réel à l’esprit. Il [ce Tout] peut le perdre et l’abîmer dans sa totalité, et non lui être un objet dans la totale vérité de ce qu’Il est. Mais pour se faire entendre, il faut s’exprimer en quelque manière. C’est donc cet Objet immense infiniment parfait, qui mérite toute l’attention de l’âme, sans attention aperçue pourtant parce qu’elle n’a rien de distinct [à percevoir]. Toute la totalité de l’âme dans sa petite capacité est appliquée à la totalité de ce Tout, sans distinction ni discernement.

Et comment est-elle appliquée à la totalité de ce Tout, puisqu’elle n’est rien ? Cette application de la totalité de l’âme au Tout de Dieu s’appelle union - mais union d’esprit à esprit, qui n’ayant rien de matériel n’a rien de distinguible. Cet esprit ou âme spirituelle, étant une participation de la Divinité, s’y écoule - pour ainsi dire se perd et retourne en son origine pour être faite une même chose642 dans sa petite totalité avec ce Tout immense. Cette union s’appelle essentielle parce qu’elle n’est ni en partie, ni momentanée, mais du tout au Tout, par perte et mélange de cette petite goutte émanée de l’Esprit divin dans la totalité du Tout immense, où elle disparaît comme une goutte d’eau ou de vin disparaît dans la mer.

C’est alors que nous disons que l’âme est anéantie : lorsqu’elle ne se connaît plus ni pour s’aimer ni pour se haïr. Mais comme on ne vient là que par degrés, la foi nous y conduit insensiblement. [380] Elle commence à nous attacher à Dieu et cet attachement simple à ce souverain Objet nous détache insensiblement de tout le reste. Cet attachement devenant plus fort et plus continuel, devient une adhérence à Dieu, comme l’exprime le Roi-Prophète : il m’est bon d’adhérer à Dieu643, etc. Cette adhérence devient toujours plus intime et plus serrée : plus on se serre et colle à Dieu, plus on s’éloigne nécessairement de tout le reste et de soi-même, plus on s’éloigne de tout, plus on s’attache à Dieu. Or il est impossible de s’attacher à Dieu sans l’aimer et sans l’aimer purement, car la foi nous en donne une connaissance nue et simple qui attire un amour simple, nu, et par conséquent pur.

On ne peut avoir une connaissance de Dieu plus parfaite en cette vie que cette connaissance simple et nue que la foi nous donne. Car toutes les lumières de la raison, même celles des visions, révélations, extases etc. ne nous en peuvent donner qu’une faible idée, souvent très fausse. Au lieu que la foi simple et nue, croyant la totalité de ce que Dieu est, ne se trompe point : elle le croit ce qu’il est et ne s’en forme point d’idée. L’amour suit la foi. Cet amour ne s’attache en Dieu à aucune de ses perfections particulières mais à la totalité de ce qu’il est. C’est ainsi que cette foi simple se perd dans la vérité simple qui est Dieu et s’éloigne de tout mensonge, comme cet Amour pur et simple se perd dans la totalité de ce même amour qui est Dieu. Deus charitas est644.

L’âme en adhérant à Dieu, comme j’ai dit, s’éloigne de soi. Plus son attachement d’estime et d’amour l’unit à Dieu, plus elle se méprise [381] et se hait soi-même ne trouvant que Dieu seul digne de son amour. Or comme l’amour de nous-mêmes qu’on appelle amour-propre est entièrement opposé à l’amour de Dieu, plus elle aime Dieu, plus elle hait ce qui compose le moi. Elle le méprise jusqu’à ce que l’amour et la foi ayant perdu l’âme en Dieu, elle ne voit plus le moi pour le mépriser ou haïr mais elle l’oublie totalement. L’oubli est un mépris plus grand que le mépris même, et la haine de nous-mêmes est encore quelque chose qui se perd dans l’oubli entier.

C’est par ces degrés que l’âme descend à sa place, qui est le néant et c’est par cette descente qu’elle passe en Dieu, qui est la plus grande gloire pour l’âme qu’elle puisse avoir. Cette humilité du néant n’est pas d’action ni de parole, mais réelle et essentielle. Celui qui paraît se mépriser soi-même et dire des paroles d’humilité s’élève par cela même, mais celui qui se méprise assez pour s’oublier ne dit guère des paroles d’humilité. Quelquefois une louange lui réveille la haine de soi-même, comme une corde qu’on touche et qui résonne, mais ce n’est que par surprise et comme un subit réveil. On racontera, lorsqu’il est utile pour autrui ou lorsque Dieu y porte, les miséricordes du Seigneur - et cela parce qu’on n’y prend rien, s’estimant moins que rien.

La profonde expérience qu’on a de ses propres misères éloigne bien de l’orgueil, car la meilleure connaissance de nous-mêmes est la réelle expérience de ce que nous sommes et c’est elle qui nous fait tomber dans le mépris et la haine de nous-mêmes, ensuite dans le rien et l’oubli entier de nous-mêmes. C’est pour en venir là que [382] Dieu permet les peines, les tentations, toutes sortes d’afflictions, la haine, les persécutions des hommes, le dépouillement, le renoncement et le reste.

L’amour n’est pas parfait jusqu’à ce qu’on en soit là, car étant encore renfermé dans la créature, il est borné en elle, il a des rapports et des retours sur nous-mêmes. Mais lorsqu’il est retourné à sa sphère, par la perte de l’âme en cette mer d’amour, il devient pur, net , nu, droit. Il ne se recourbe plus sur ce qui ne paraît plus, sur ce qui est perdu et oublié. Une chose est perdue quelque temps avant que d’être oubliée : on se souvient de temps en temps de sa perte, ensuite on l’oublie entièrement. L’amour n’a plus de retours : lorsqu’il est de la sorte perdu dans sa source, il a atteint le degré de perfection où Dieu le veut et l’homme celui de bassesse où Dieu le demande, ce qui n’empêche pas, ni le même amour de croître dans cette fin où il est arrivé, ni l’anéantissement d’approfondir toujours de plus en plus. Ainsi celui qui s’est humilié a été exalté, comme celui qui s’était élevé, se cherchant en tout et son bien être, a été humilié et réduit dans son néant.

Comprenons une bonne fois que nous ne trouverons de véritable élévation que dans cette humilité réelle et que lorsque nous nous élevons, nous méritons que Dieu nous abaisse par quelque chute, que la vraie science est dans l’humiliation, ainsi que dit le Roi-Prophète : Vous m’avez humilié pour m’apprendre vos justifications645 et ailleurs : J’ai été abaissé jusque dans l’excès et c’est alors que j’ai dit dans un saint [383] transport « tout homme est menteur646 ». C’est comme s’il disait : Tout homme qui se croit quelque chose n’étant rien, est le même mensonge puisqu’il est plein de vanité, ainsi qu’il est écrit : Tout homme vivant est un abîme de vanité647. Tout homme qui vit encore en soi et pour soi, de quelque prétexte qu’il se couvre, est un abîme profond et impénétrable de vanité. Un tel homme, quoiqu’il se dise véritable est essentiellement menteur, car le mensonge ne consiste pas simplement dans les paroles mais dans les actions et les fausses idées. Or celui qui se croit être quelque chose n’étant rien, est dans le mensonge et l’erreur, celui qui s’estime, [est] tout de même.

La vérité se trouve uniquement dans l’anéantissement tel que je le décris. Nous nous croyons alors ce que nous sommes, c’est-à-dire rien. Nous ne nous offensons et ne nous blessons de rien. Nous souffrons en paix les injures et les contradictions des hommes, leurs mépris, leurs calomnies, leurs persécutions. Tout est égal : le rien ne craint rien et ne se blesse de rien. On ne craint que pour soi et quand on aime bien Dieu, on est ravi qu’on nous venge de ses ennemis et des nôtres. Or notre plus grand ennemi ayant été notre nous-mêmes, nous sommes ravis qu’on nous venge de lui et qu’on lui donne le double du mal qu’il nous a fait : O Babylone! Babylone qui te rendra le mal que tu m’as fait ? celui qui te détruira, sera béni du Seigneur648. Combien de temps m’as-tu retenu captif ? Que ne m’as-tu pas fait souffrir lorsque tu m’as dominé ? Qui te rendra le mal que tu m’as fait ? Ainsi, que ceux qui seront employés à te détruire soient bénis du Seigneur. Amen, Jésus !

1.56 Que la gloire et la louange n’appartiennent qu’à Dieu.

Sur ces paroles : Non nobis Domine, non nobis, sed Nomini tuo da gloriam. C’est-à-dire : Ne nous donnez point de gloire Seigneur, ne nous en donnez point, donnez seulement gloire à votre Nom649.

O mon Dieu ! Qu’il n’y ait plus que votre seule gloire ! Quand dirons-nous avec vérité ce que disait Jésus-Christ : Je ne cherche point ma propre gloire650 mais celle de celui qui m’a envoyé651 ? O ! qu’un seul retour sur soi est un crime, Amour, digne de Ta colère ! Un regard dérobé, une pensée précipitée et involontaire, une légère complaisance plutôt avortée qu’elle n’est conçue, est un sujet d’une douleur pleine de confusion. Sitôt que l’âme peut l’apercevoir, elle s’écrie : « O Amour juste et vengeur, que ne Te venges-tu pleinement ? » Venge non seulement les usurpations, non seulement la convoitise, mais le moindre coup d’œil sur [385] les biens qui n’appartiennent qu’à Dieu. Que j’ai d’horreur, quand je vois attribuer quelque chose à la créature et s’attacher à cette créature et dire comme les nouveaux Chrétiens d’autrefois : Je suis à Paul - et moi, à Apollos652 ! Ne soyons qu’à Jésus-Christ, ne regardons les créatures que comme de vils instruments dont Il se sert pour ses plus grands ouvrages, et qu’Il peut ensuite jeter au feu, ou les mettre en réserve pour les garder comme Il lui plaît.

La seule gloire de l’instrument est d’être souple et pliable sous la main de celui qui l’emploie, sans lui faire de résistance. S’il résistait, il ferait faire de faux traits à la main qui l’emploie. Alors le divin Ouvrier le briserait dans sa fureur et cette fureur serait une véritable justice. Il se sert de différents instruments, les uns ne servent qu’à ébaucher l’ouvrage, d’autres à lui donner certaines formes, d’autres à faire des traits plus délicats. Et lorsque l’ouvrage est presque achevé, cet admirable Sculpteur se sert d’autres instruments pour lui donner sa perfection. Tant que le monde durera et qu’il y aura des hommes, Dieu fera écrire selon le temps, pour perfectionner toutes choses. Il viendra après nous des personnes dont Dieu se servira pour perfectionner son ouvrage, dont les lumières paraîtront nouvelles à cause de leur profondeur. La main de Dieu n’est point abrégée653, sa puissance est égale à ce qu’il est. Et quand on écrirait toute l’éternité, ce ne serait, comme a dit quelque saint, qu’une petite gouttelette de ce qu’on pourrait dire de lui.

D’attribuer quelque bien à une créature, parce que Dieu s’en sert, c’est la même folie que [386] d’attribuer à un petit ver la perfection de la plus belle statue. C’est une étrange habitude que l’homme a contractée, que d’attribuer à soi-même ou aux autres ce qui n’est dû qu’à Dieu. Il est si fort accoutumé à penser grossièrement et matériellement, qu’il ne s’élève point au souverain Moteur et Modérateur de toutes choses, et s’il le fait ce n’est que secondairement. Il jette d’abord la vue sur l’instrument pour l’admirer. Il regarde Dieu ensuite pour l’en bénir - et ce sont les meilleurs qui en usent de la sorte. Mais si nous étions accoutumés à ne regarder que Dieu en toutes choses, nous ne jetterions jamais l’œil sur l’instrument. Nous le trouverions digne de mépris et nous admirerions cette main savante, qui avec des choses si viles fait des chef-d’œuvres si admirables. Si cet instrument pouvait parler et qu’il se vit estimer en quelque sorte, il s’écrierait : Non nobis, domine, etc.

Il y a des personnes qui s’attachent même si fort aux instruments, qu’elles semblent ne voir Dieu que par rapport à eux au lieu de ne regarder l’instrument qu’en Dieu. Il y en a d’autres qui, pour s’être bien trouvés d’une chose, y veulent rester sans passer outre. Ils s’attachent à ce premier instrument d’ébauche, semblables à un ignorant qui voudrait que, parce que le statuaire s’est servi d’un instrument pour ébaucher un ouvrage, il se servit du même instrument pour l’achever, ne pouvant souffrir qu’il en emploie d’autre, ne croyant pas qu’il puisse rien faire de mieux que l’ébauche qu’il a faite.

« O ignorant ! répondrait l’habile Ouvrier654, cette ébauche te paraît admirable, parce que tu ne sais pas et Ma capacité et Mon pouvoir ; et que n’étant accoutumé qu’à des ouvrages grossiers, tu admires [387] celui-ci, quoique ce ne soit qu’une ébauche de Ma main. Je Me servirai de nouveaux instruments, et Je rendrai par ces autres instruments Mon ouvrage plus exquis. Si ta compréhension était plus développée, tu trouverais tous les jours de nouvelles beautés en ce que Je ferai par de nouveaux instruments, jusqu’à ce que J’ai mis la dernière main à Mon ouvrage. Et cet ouvrage, l’admiration des siècles à venir, ne sera encore rien auprès de ce que Je pourrais faire. Mais cette œuvre est parfaite, proportionnellement à l’homme, et non à ce que Je puis. Une œuvre parfaite, selon Moi, serait Dieu, comme Moi.

« La perfection de toutes Mes œuvres est d’engendrer Mon Verbe et spirer Mon Saint Esprit, et ces œuvres sont Moi-même, égales à Moi et parfaites comme Moi. Mais pour les œuvres hors de Moi, Je les mettrai dans une perfection telle qu’une créature finie et bornée la peut porter, et non autrement. Néanmoins ce que tu admires aujourd’hui n’est rien au prix de ce que Je ferai dire ci-après. Ne sois pas plus jaloux de Mon instrument qu’il ne le doit être lui-même de lui-même. Car s’il était assez malheureux pour vouloir être préféré aux autres, sinon en tant qu’il croit utile pour Ma gloire ce que J’ai fait par lui, Je l’aurais en horreur, Je lui ôterais la vie. »

« - Quelle est cette vie, Seigneur, dans vos œuvres ?

« - C’est la persuasion655, l’onction et l’esprit vivifiant. C’est un vrai éclaircissement de la vérité qui ne peut être démentie que par l’aveuglement, le mensonge et l’entêtement. Ma parole est opérante selon que le degré et l’état de l’âme l’exige[nt]. »

Ce qui a été si utile [388] dans le commencement, ne l’est plus dans un état avancé, ne l’est plus dans un état de plus grande perfection. Dieu même change nos goûts de telle sorte qu’en avançant nous ne trouvons plus dans les premiers moyens ce que nous y trouvions auparavant. Une nouvelle lumière qui s’élève sur notre âme nous fait faire un discernement plus juste. Ceux qui disent qu’ils sont autrement et qu’ils trouvent toujours les mêmes goûts et les mêmes lumières dans les premiers moyens, qu’ils soient assurés qu’ils sont arrêtés à ces premiers moyens et qu’ils se sont fixés là, semblables à ceux qui, pour avoir trouvé une bonne hôtellerie, ne veulent pas continuer leur chemin.

Ceci, que Dieu se sert d’instruments différents, est si vrai que ceux que Dieu emploie pour nous donner la connaissance des premiers moyens n’écrivent que sur cela, n’ayant pas de lumière pour les états suivants - ou s’ils l’ont, ils n’ont point la faculté de l’exprimer. Le service que Dieu a prétendu de cet instrument est borné à cette ébauche. Au contraire, ceux dont Dieu se sert pour les états avancés et pour conduire l’âme à la perfection n’ont point ou presque point de talent pour écrire pour les commençants - s’ils le font pour la nécessité, c’est en courant rapidement.

Dieu, par une sagesse admirable, a ainsi distribué ses grâces et ses talents, afin que ce service mutuel des uns et des autres nous unisse dans notre divin Moteur, afin qu’étant utiles les uns aux autres et admirant cette variété, nous ne nous attachions qu’au Principe de qui tout dérive, et que nous ne regardions que Lui dans la variété de ses opérations. O si nous étions accoutumés à voir Dieu en toutes [389] choses et toutes choses en Dieu, nous changerions bien de langage ! Je trouve que c’est un grand mal que de louer la créature : celui qui la loue, pèche et celui qui entend la louange sans horreur déplaît beaucoup à Dieu.

« O Amour656 ! Quand vous rendra-t-on justice ? Quand reprendrez-vous vos droits ? Quand nous délivrerez-vous des usurpations ?

- L’âme anéantie, étant exempte de ces crimes657 l’est aussi des usurpations et en même temps de Ma colère. Celui qui se délecte en la louange est déjà condamné.

O mon Seigneur ! Quand est-ce qu’on vous rendra la gloire de toutes choses ?

- Ce sera lorsque l’homme aura perdu toute propriété.

Et quand aura-t-il perdu toute propriété ?

- Ce sera lorsque Mon pur Amour régnera dans leur cœur.

Quand sera-ce que l’amour régnera dans leur cœur ?

- Ce sera lorsqu’ils se seront quittés eux-mêmes.

Quand se seront-ils quittés eux-mêmes ?

- Quand ayant renoncé à leur propre gloire, ils n’auront plus d’autre gloire que la Mienne. Ce sera lorsque après s’être parfaitement renoncés, ils auront perdu leur propre âme. »

Et comment perdre notre propre âme ? C’est lorsque la vie du Verbe se glissant en nous, il en bannira toute propre vie pour être lui-même notre vie et notre amour. Alors nous ne vivrons plus, mais Jésus-Christ vivra en nous.

O gloire de Dieu, qui dois faire notre félicité éternelle, pourquoi ne fais-tu pas notre bonheur temporel ? Nous ne traitons pas Dieu [390] en Dieu, nous traitons Dieu comme s’il était homme et que nous fussions des dieux. Non nobis Domine, etc. O, jamais de gloire ni d’honneur que pour lui ! Il mérite tout, Il nous a créés pour le glorifier et nous usurpons ses droits, nous cherchons la gloire et notre vanité n’a point de bornes ! O Amour ! Dissipez tous vos ennemis et vous dissiperez les superbes. Ce sont eux qui vous sont opposés et non pas les pécheurs, qui sont faibles et plient lorsque l’orgueil ne les domine pas. Mais l’orgueil résiste à Dieu, c’est pourquoi Dieu résiste aux superbes et donne sa grâce aux humbles658. Dieu résiste en Dieu à celui qui résiste en homme, comme le ver tâche de résister et se fait écraser : s’il s’enfonçait dans la terre, il serait à l’abri de tout. Demeurons dans la terre de notre néant, et nous chanterons avec le Roi-prophète : Non nobis Domine, non nobis ; sed Nomini tuo da gloriam. Amen, Jésus !

1.57. Gloire, empire, force et puissance à Dieu seul.

[391] Sur ces paroles : A Dieu seul soit la gloire, empire, la force et la puissance dans tous les siècles des siècles. Amen ! Jude 25.

C'est659 à vous seul, ô Dieu, qu’il faut rendre gloire de toutes choses : vous méritez seul cette loi ; et celui qui l'usurpe est digne de l'enfer.

L'homme, qui n'est qu'un néant, ambitionne tellement la gloire, que la vie ne lui est rien comparaison ; et s'il pouvait ôter à Dieu sa gloire pour se l'approprier, il le ferait. C'est pourquoi la propriété est si dangereuse et si opposée à Dieu, qu'il n'y a rien qu'il n'emploie pour la détruire.

O gloire de mon Dieu, je ne désire que vous, mais pour lui seul ! O néant, que tu es heureux, et infiniment heureux ! Dieu ne lui dérobe point cette gloire. Tous les hommes qui tâchent d'en usurper quelque chose, sont des voleurs. Il n'y a que le néant qui ne dérobe et n'usurpe rien en Dieu. Soyez glorifié dans tous les siècles, dans tous les temps, et par toutes les créatures. Que ne puis-je être immolé à votre gloire ! Ô faites, faites de moi ce qu'il vous plaira en temps et en éternité ! Pourvu que vous soyez glorifié, il ne m'importe.

Il est vrai, ô mon Dieu, que vous m'avez donné un grand amour pour les frères ; mais il n'en sont point l'objet quoi qu'ils en soient le sujet. C'est vous, c'est votre seule gloire que je désire en eux ; et quoique je donnasse pour [392] eux mille vies si je les avais, et même quelque chose de plus, ce n'est point par rapport à eux, mais à vous seul, dont je passionne la gloire. Vous ne pouvez regarder que vous-même dans leur salut. Vous êtes l'unique objet pour lequel vous regardez tous les autres : et quoique vous aimiez les hommes avec une charité infinie, vous ne pouvez regarder que vous-même ; et vous ne seriez pas Dieu si cela était autrement.

O principe de toutes choses, vous en êtes nécessairement la fin. Vous avez répondu dans l'homme certains caractères de la divinité, vous l'avez créé à votre image, et vous avez un plaisir infini, (s'il est permis de parler ainsi d'un Dieu qui ne peut souffrir aucune passion,) vous avez dis-je un désir infini que ces divins caractères répandus dans l'homme, que cette image de la divinité, ne soit point profanée : c'est pourquoi vous avez tout fait pour le sauver ; et vous aimez ceux, comme vous, s'emploient au salut de leurs frères. Vous avez donné à l'homme tout ce que vous pouviez lui donner lui donnant ces caractères ; car c'est en faveur de ces caractères que vous lui avez donné un Sauveur, pour rétablir ces divins caractères défigurés et presque effacés par le péché ; vous le comblez de grâces pour les conserver. C'est pourquoi l'homme qui les efface autant qu'il est en lui, mérite des châtiments incroyables. Il porte avec lui dans l'enfer même ces caractères, qu'il a biffés, mais qu'il n'a pu ôter ; parce qu'ils sont ineffaçables.

On est étonné de voir la conduite de Dieu sur les zones dans lesquelles il est glorifié ; les souffrances, les humiliations tant intérieures qu'extérieures [393] qu'il leur fait porter. Il en use de la sorte que parce qu'il est nécessairement jaloux de sa propre gloire. L'orgueil de l'homme étant l'ennemi capital de cette même gloire, Dieu emploie tous les moyens possibles pour détruire en nous cet orgueil, jusques aux chutes et aux péchés mêmes, témoin l'exemple de David et de saint Pierre, etc. Il ôte à l'âme tous les endroits par où elle pourrait se glorifier, même dans le bien et la vertu : car c'est où se cache le mieux la propre gloire. Il la cache si bien [la vertu de l'âme] et aux yeux des hommes et à ses propres yeux, que très souvent on ne voit que la laideur, et non de la beauté. L'âme que Dieu désapproprie est bien éloigné de lui dérober alors sa gloire ; car elle se voit si laide, qu'elle se fait horreur : et lorsque Dieu s'est servi de tout moyen pour la désapproprier, il la cache si fort à elle-même, qu'elle ne se voit plus ; il lui imprime au fond de l'âme un tel amour de la gloire de son Dieu, une telle haine d'elle-même en ce qu'elle voit en elle lui être propre, qu'elle voudrait être consumée pour la gloire de Dieu.

Mais comme ce désir, quelque excellent qu'il soit, s'il était sensible et aperçu serait encore un bien qui paraît très propre à l'âme, et qui la glorifierait, quoique d'une manière cachée ; ce désir sensible et aperçu se perd, et l'âme demeure morte et anéanti, en sorte qu'elle n'ose plus prendre part à rien. Dieu se glorifie en elle et par elle comme il lui plaît, quand et autant qu'il lui plaît : mais cette âme ne doit prendre part à rien ; car la moindre part qu'elle prendrait, attirerait une nouvelle purification.

Cet état, de ne prendre part à rien, qui est [394] celui du pur néant et le simple instrument uni et agi par l'Esprit de Dieu, est dans sa bassesse le plus parfait, et bien autre que celui des plus grandes choses, que le monde, et même de grands serviteurs de Dieu, admire et étale avec pompe devant nos yeux. Les états d'épreuves, de peines, de dépouillement, de nudité, d'abjection, de misères, de croix de toute manière, ne sont que pour en venir là.

O gloire, gloire de mon Dieu, qui est-ce qui vous aime ? Qui est-ce qui vous recherche ? Je n'en sais rien. La source du peu de foi et du peu d'amour vient de ce qu'on recherche sa propre gloire et celle qui nous vient de la part des hommes, comme le Fils de Dieu le dit lui-même660 : Comment pourriez-vous croire, vous qui recherchez la gloire les uns des autres. Ne chercher que la seule gloire et le seul honneur de Dieu, est la preuve d'une grande foi et d'un grand amour.

C'est aussi à Dieu qu’est dû l'empire. Ô mon Seigneur, qu'il y a peu de cœurs en qui vous régnez absolument ! Vous ne régnez parfaitement qu’en ceux qui n'ont plus de gloire que la vôtre ; plus d'honneur, que le vôtre ; plus d'intérêt, que le vôtre ; plus de volonté, que la vôtre. Régnez absolument en nous ; mais vous ne pouvez y régner que Dieu le Père n’ait détruit vos ennemis, et ne les ait rendu comme l'escabeau de vos pieds. Qui sont ces ennemis ? L'amour-propre, le propre intérêt, la propre gloire, la propre volonté ; quand ceux-là sont détruits, le diable, le monde et la chair le sont aussi.

C'est à vous qu'appartient aussi la force : c'est [395] pourquoi vous terrassez tout force propre, ainsi que vous le dites661 dans vos Ecritures ; et en un autre endroit662 : l'homme ne sera jamais fort de sa propre force. Dieu prend plaisir à nous affaiblir par hommage à sa force. Paul, qui étaient éclairé de la lumière de la vérité, s'écrie663 : Pour moi, je ne me glorifie que de mes faiblesses. O mes chères faiblesses, que je vous aime, et que vous m'êtes délicieuses ! Je ne puis honorer que par vous la force de mon Dieu. C'est véritablement dans ma faiblesse que je trouve ma force ; car plus je suis faible et anéanti en moi, plus la force est en mon Dieu. C'est en vous, mon Dieu, que toute ma force est renfermée. Ô force propre, tu n'es que faiblesse. Ô faiblesse, faiblesse ! Par l'hommage que tu rends à la force de mon Dieu sa force se transporte en toi, et il devient ta force et ton soutien, non en toi pour en jouir ; mais en lui, pour sa seule gloire.

O gloire, ô force, ô puissance, lorsque vous êtes en mon Dieu, vous êtes dans le lieu qui vous appartient. Ô faiblesse, ô misère, ô pauvreté, ô bassesse, ô rien, ô néant, lorsque vous êtes en moi, vous êtes dans votre propre lieu. Vous êtes les richesses, des délices ; vous êtes pures et sans tâche de toute usurpation ; vous rendez mon âme vierge, et de ces vierges qui suive l'Agneau quelque part qu'il aille664. Car tout mon bien, mon trésor et tout moi-même étant en lui, il m'entraîne nécessairement avec lui. Je n'ai point de demeure hors de lui ; ma pauvreté m'a dépouillée de toute habitation en m'ôtant tout le reste. Je ne [396] puis ni marcher ni me soutenir hors de lui ; sa force m'a enlevé tout la mienne, et ne me laisse que ma faiblesse. Je ne puis vivre sans lui ; puisque l'amour me ravit ma propre vie pour ne me laisser que la sienne. Je n'ai point de subsistance hors de lui, le néant n'en ayant point que celle que Dieu possède en lui et pour lui. Le néant étant vide de tout, séparé de tout, dépouillé de tout, suit nécessairement ce tout qui possède tout.

Il y a encore la puissance du Seigneur. L'Ecriture me dit665, d'entrer dans la puissance du Seigneur, et la divine Marie m'apprend le moyen d'y entrer. Deposuit potentes de fede, et exaltavit humiles666 [il a renversé les grands de leur trône ; et il a élevé les simples.] Il faut que toute puissance soit renversée. O homme, qui te croit quelque chose n'étant rien, il faut que tu sois renversé ; toi qui t'attribue tant de puissance, soit dans le bien, soit dans le mal, tu seras renversé. Ô mon impuissance, que je vous sait gré ! Vous êtes cause que toute la puissance étant retournée en Dieu, je suis entré par mon impuissance dans la puissance du Seigneur : et c'est de cette sorte que ce qui est bas est exalté, et que nous entrons dans la puissance du Seigneur. Si je n'ai ni force, ni puissance, j'entre dans celui qui est Tout-puissant par une perte entière de moi-même. Dieu nous en fasse la grâce ! Amen, Jésus ! [397]

*1.58. Que toute sainteté est à Dieu.

Sur ces paroles : La sainteté est à celui qui est. (Exode 28, 36)

Il est certain qu'il n'y a que Dieu seul de saint, et que tout le reste n'est que mensonge, erreur, misère et péché.

Dieu nous apprend par ce passage à ne nous point attribuer, ni aux autres, aucune sainteté. C'est usurper sur ses droits ; et si la sainteté appartient seulement à Celui qui est, - qui est le Nom qu’il a toujours pris, ayant dit à Moïse qui lui demandait son nom : Ego sum qui sum667, - nous devons croire que, comme Dieu est infiniment jaloux de son être et que quiconque voudrait se l’attribuer, attirerait toute sa colère, de même est-il jaloux de sa sainteté, et qui voudrait s’attribuer quelque sainteté, ou aux autres, attirerait toute son indignation. Nous devons dire aussi que si la sainteté est à celui qui est, celui qui n'est rien ne peut être réputé saint ; et chercher de la sainteté dans le néant, c'est une [398] tromperie manifeste. Ne cherchons donc la sainteté qu’en Dieu seul. C'est uniquement où nous la trouverons, et jamais ailleurs.

On m'objectera qu'il y a quantité de saints dans l'ancienne et dans la nouvelle Loi. Je soutiens qu'ils ne sont point saints en eux et par eux, mais que Dieu leur ayant donné quelque écoulement de sa sainteté, c'est cette sainteté de Dieu que nous honorons dans les saints : aussi David ne dit-il pas que les saints sont admirables, mais que Dieu est admirable en ses saints668, et d'autant plus admirable en eux qu’ils sont plus abjects et faibles en eux-mêmes. C'est pourquoi saint Paul dit669 que nous portons ce trésor dans des vases d'argile, c'est-à-dire cet écoulement de la sainteté de Dieu, afin que la force n'en soit pas attribuée à l'homme, mais à Dieu ; c'est comme si saint Paul disait : afin que la sainteté ne soit pas attribuée à l'homme mais à Dieu. Un petit rayon qui sort du soleil n'est point le soleil. Jésus-Christ ne dit pas en priant pour ses disciples : « Père, qu'ils soient saints comme nous », mais bien : qu'ils soient un670 avec nous, par cette participation du rayon divin. Il dit au contraire : Je me suis sanctifié moi-même pour eux671. C'est comme s'il disait : « Père saint, et seul saint, connaissant que la sainteté vous appartient, et ne peut appartenir à d'autres, je me suis sanctifié moi-même pour eux, ayant sanctifié l'homme en moi, et m’étant sanctifié pour lui, afin qu'il participe à ma sainteté ; qu’il ne cherche point la sainteté en lui, mais en moi que vous avez sanctifié comme votre Verbe saint, que vous avez, dis-je, sanctifié comme vous en vous et hors de vous. »

On me dira qu'il est écrit : Soyez saints, parce que je suis saint672. C'est-à-dire : regardez-moi comme un Dieu si saint que vous n’approchiez de moi avec aucune impureté. Or comme avant la venue de Jésus-Christ, la pureté n'était qu'extérieure, à la réserve de quelques justes choisis, aussi toute la purification était extérieure, et c'est ce qui faisait qu'on se purifiait sans cesse, lavant jusqu'aux habits : certaines taches aux habits étaient une impureté légale ; tout consistait en cérémonie et en ablution, la purification était rapportante aux victimes qu'on offrait. Mais depuis l'Incarnation du Verbe, ces anciennes victimes ayant cessé et ces sacrifices n'ayant plus de valeur, il en est comme l'exprime David parlant en la personne de Jésus-Christ : Les holocaustes ne vous sont plus agréables : c'est pourquoi je dis, me voici673, c'est moi qui viens vous offrir une victime digne de vous ; je dis : « Me voici », pour détruire des sacrifices qui n'avaient de valeur que celle qu'ils empruntaient de mon sacrifice futur. Me voici donc, et il est écrit à la tête du livre que je ferai votre volonté : c'est ce sacrifice d’expiation que je viens enseigner après que je l'aurai sanctifié moi-même.

Jésus-Christ étant donc venu s'immoler pour nos péchés, et nous enseigner non une purification légale, mais une purification sincère du cœur, il nous en a appris tous les moyens, qui sont de faire toujours sans cesse la volonté de Dieu par le dépouillement de la nôtre : il nous enseigne la pauvreté d'esprit, la haine de nous-mêmes, le mépris des richesses et des honneurs du monde, mais surtout de haïr notre [400] âme en tout ce qu'elle a de propre et comme nous appartenant, afin que n'ayant rien en elle pour nous, nous la sacrifiions tout entière à Dieu ; que nous ne nous voulions plus nous-mêmes pour nous sanctifier, mais que Dieu soit seul saint en nous, et Jésus-Christ, qui s'est sanctifié lui-même pour nous.

Cette haine de notre propre âme nous apprend à la renoncer et quitter, afin que Dieu saint demeure seul saint en elle, sans qu'elle s'en attribue la moindre chose. C'est à présent une purification foncière que Dieu veut, et un renoncement entier.

Lorsque le sacrifice, et la purification légale, a changé, la manière de prier a aussi changé, car tout cela se rapporte. Le sacrifice est purement intérieur, et de notre volonté ; la purification est toute intérieure par le renoncement à nous-mêmes ; et l'adoration est en esprit et en vérité674.

Or comme les juifs ne faisait cas que d'une purification légale, les Pharisiens, les plus zélés d’entre eux, ne faisaient cas que d'un extérieur affecté, comme Jésus-Christ le leur reproche lorsqu'il leur dit qu'ils se contentent d'essuyer le dehors de la coupe pendant que le dedans est plein de rapines675. Qui sont ces rapines, sinon ces usurpations de la sainteté de Dieu, voulant passer pour les saints et les merveilleux de la terre.

On ne fait encore cas à présent que de cette sainteté pharisaïque. Or comme cette purification extérieure enfermait l'impureté au-dedans, la purification du dedans semble négliger les dehors, quoique véritablement ce dehors [401] qui paraît défectueux aux fausses idées, soit même plus pur que cette pureté affectée. Dieu vide la sentine de notre cœur ; il ne paraît au-dehors que la faiblesse. Dans le temps que Jésus-Christ rejette les Pharisiens, il fait venir des enfants, les caresse, les embrasse malgré leurs petits défauts ; parce que Dieu étant infiniment jaloux de sa sainteté, il a en horreur toutes les usurpations.

Et pour marquer combien Dieu est jaloux de sa sainteté, et combien on est éloigné, même dans le Ciel, de se croire saint, l'Ecriture dit676, que les vingt-quatre vieillards se prosternent devant le trône de l'Agneau, et que les séraphins crient sans cesse : Sanctus, Sanctus, Sanctus677.

O Dieu, soyez saint en vous-même ; je ne connais point d'autre sainteté que la vôtre. Dieu saint et immortel, Dieu saint et fort, que toute gloire, toute puissance vous soit rendue és siècles des siècles ! Aussi est-il écrit : Rendez gloire à la sainteté de Dieu678. Il n'est honoré que des humbles679, car les humbles sont bien éloignés de lui vouloir usurper sa sainteté. C'est encore pour cela qu'il est écrit : Dieu tire une louange parfaite de la bouche des enfants, et de ceux qui sont à la mamelle680 ; parce qu'ils ne s'attribuent aucun bien, et qu'un enfant vit dans son innocence sans penser s’il est innocent.

C'est donc Dieu qui est seul saint, et notre Seigneur Jésus-Christ qui s'est sanctifié pour nous. Laissons-lui la gloire de toute sainteté. Demeurons dans notre néant et notre bassesse : c'est notre place, il n'y a que [402] celle-là qui soit exempte de toute usurpation. Donnons-nous à la sainteté de Jésus-Christ, afin qu'il se sanctifie en nous et pour nous. Notre néant nous doit suffire. Si la sainteté est à Celui qui est, combien celui qui n'est rien en est-il éloigné ? O tu solus sanctus, tu solus Dominus, tu solus altissimus Jesu Christe681 ! Dieu saint, Dieu fort et immortel, je te consacre mon hommage.

*1.59. De la désappropriation de la sainteté.

Sur ces paroles : Je me sanctifie moi-même pour eux. Jean 17, 19.

Jésus-Christ sachant la conséquence de laisser à Dieu la gloire de toutes choses, afin que les Apôtres ne prétendissent pas à une sainteté propriétaire, dit devant eux, peu de moments avant sa mort : Je me sanctifie moi-même pour eux, afin que cette parole leur restant imprimée dans l'esprit, ils ne pensent pas à s'approprier la sainteté, qui n'est dûe qu'à mon Dieu. Il leur enseigne par là à le laisser être toutes choses en eux, surtout, à être saints pour eux et en eux, parce que Dieu est aussi jaloux de sa Sainteté que son Etre. C'est ce qui lui a fait dire dans les saintes Ecritures682 : La sainteté est à celui qui est, mettant et son essence et sa sainteté ensemble, comme s'il disait : « Il est aussi essentiel à ma nature d'être saint que d'exister ». Les Apôtres profitèrent si bien de cette leçon qu'ils se défendirent jusqu'à la mort de toute sorte d'attribution. Lorsque saint Pierre faisait des miracles, il les faisait au nom de Jésus683. Nous ne faisons pas cela de nous-mêmes, disait-il, mais au nom de Jésus que le Père a sanctifié. Il a sanctifié l'homme en Jésus-Christ par l'union hypostatique : il l’a sanctifié non seulement pour lui-même, mais encore pour nous, qui ne voulons point de sainteté qui nous soit propre, mais qu'il soit seul saint en nous. Saint Paul disait aussi : Nous sommes des hommes comme vous684 ; et en un autre endroit685 : Avez-vous été baptisé au nom de Paul ? N'est-ce pas au nom de Jésus-Christ ? Je rends grâce à Dieu de n'avoir baptisé personne.

Dieu a la bonté de vouloir bien que nous soyons un en lui ; mais il se réserve sa sainteté, comme son existence. Dieu étant le seul et souverain Etre, qui existe par soi-même, et dont tous les autres êtres dérivent ; si, par impossible, Dieu venait à être détruit, il faudrait nécessairement que tous les autres êtres fussent détruits et absolument anéantis. Or Dieu est celui qui est, tout le reste n'étant rien, et, comme dit l'Ecriture686 : Retirez votre main, elles tomberont dans le néant ; et ensuite : avancez votre main, (qui est votre toute-puissance) et elles seront [404] créées de nouveau. Je dis donc que la sainteté étant à Celui qui est, Dieu est aussi jaloux de sa sainteté que de son existence. La moindre attribution que nous nous ferions de la sainteté de Dieu, détruirait en nous dans un instant toute la justice et toute la sainteté de Dieu qui serait en nous.

Le moyen le plus efficace, et j'ose dire le seul efficace, que Dieu soit saint en nous, c'est de le laisser maître absolu de toutes nos œuvres, de tous nos mouvements, de tout nous-mêmes, demeurant dans l'anéantissement et dans le vide dont nous avons parlé. Car Dieu étant un être immense et infini, qui n'occupe aucun lieu parce qu'il remplit toutes choses, tout est renfermé en lui, et tout est rempli de lui, ainsi qu'il est écrit687 : Toute la terre est remplie de la Majesté de Dieu. Mais il ne remplit que les vides ; plus nous sommes vides de nous-mêmes et de toutes les créatures, plus nous sommes pleins de Dieu. Or si l'immensité de Dieu remplit tout, lui saint doit remplir tous nos vides, car il est aussi vrai qu'il est saint, comme il est vrai qu'il est. Rendons-lui donc la gloire de toute sainteté. Nous n'avons qu'une chose à faire, qui est de nous vider autant qu'il est en nous : alors la majesté, la sainteté, et la puissance de Dieu font tout le reste.

Il faut savoir par une comparaison, quoique grossière, comment Dieu nous vide de nous-mêmes. Imaginez-vous un verre plein de liqueur : mettez quelque chose dedans, la liqueur se répand ; et plus vous mettez de choses dans le verre, plus cette liqueur se répand, et diminue par conséquent. Aussi à mesure que [405] Dieu vient dans une âme, il la vide de cette liqueur empoisonnée d'elle-même, jusqu'à ce que Dieu nous ait chassés de nous, et ait pris la place de notre moi. Cette opération ne se fait que peu à peu ; mais Dieu remplit la place du vide qu’il fait. Cependant comme nous sommes libres, et qu’une liqueur ne l’est pas, nous nous opposons à Dieu, et nous mettons des obstacles à son œuvre en nous. Enfin, pour vouloir conserver notre liqueur, nous empêchons Dieu de prendre une entière possession de nous-mêmes, de détruire le vieil homme Adam, qui est cette liqueur funeste, et que l'homme nouveau ne prenne sa place. Mais lorsque l'âme, par un abandon entier, laisse faire à Dieu en elle ce qu'il lui plaît, il la vide, ainsi que je l'ai dit, d'elle-même, et prend sa place. Or Dieu étant pleinement dans une âme, il exerce en elle tout ce qu'il est, sa puissance, sa justice, etc., et par conséquent sa sainteté. Alors Dieu étant tout Dieu en elle, il est aussi saint en elle ; et ceci ne s'opère que par le vide : plus le vide est profond, plus Dieu est éminemment dans une âme. Dieu proportionne le don qu'il fait de lui-même au vide et à l'anéantissement : Quia respexit humilitatem ancilae suae688, et ce fut ce profond vide qui attira le Verbe dans le sein de Marie. Tous ceux qui pensent être à Dieu autrement que par un profond anéantissement, se trompent et se méprennent beaucoup. Ils verront un jour ce qui est dit, que toutes leurs œuvres de justice sont comme des linges souillés689.

On dira que Dieu pourrait anéantir l'âme tout d'un coup. Dieu peut tout ce qu'il veut ; [406] mais pour l'ordinaire il s'accommode à l'âme, et se mesure à sa faiblesse. L'âme est comme fixée par la propriété : il faut que le feu de l'Amour sacré fonde cette place, ou ce métal, et le dispose à s'évacuer insensiblement. O divin Amour, fondez nos glaces, anéantissez-nous afin que Dieu règne !

Il me semble que les personnes vertueuses, mais propriétaires, sont comme une masse de métal, fort poli et ornée par dehors, mais c'est une masse pleine ; au lieu que les personnes enfoncées dans leur néant sont comme une certaine statue dont on parle dans l'histoire, fort grossière par dehors, dont le dedans était un ouvrage exquis et tout admirable. Aussi David dit que toute la beauté de la fille du Roi vient du dedans690. « O mon Dieu, s'écrie cette fille du Roi, vous êtes ma beauté ; je n'en ai point d'autre que la vôtre ; toute beauté m’est à dégoût ; il n'y a que la vôtre qui fait ma gloire. En quoi avez-vous mis votre beauté, le plus beau des enfants des hommes, lorsque vous étiez sur terre ? - Je l'ai mise dans mes souffrances, les opprobres, mes ignominies. J'étais au-dehors comme un lépreux, tant parce que j'étais couvert de vos péchés, que par les plaies que j'avais reçues. Il n'y avait rien de sain en moi ; mais vous avez été sauvés par mes meurtrissures ; plus j'étais défiguré au-dehors, plus j'étais beau par le dedans ; toute ma Divinité était comme renfermée en moi, et cachée sous la multitude des plaies. Si tu veux que je me glorifie en toi, je te glorifie, comme mon Apôtre, qu’en ma croix et dans mes opprobres : alors plus tu seras défigurée comme moi au-dehors, plus tu seras [407] belle au-dedans, de ma beauté. Ce n'est ni ta beauté extérieure ni tes ornements qui peuvent me plaire, mais ma beauté en toi : c'est cette beauté qui me glorifie. Plus tu seras belle de la sorte, plus mes yeux et mon cœur sont attachés sur toi. »

Qui sont les yeux de Dieu ? C'est son Verbe. Quel est son cœur ? C'est son Esprit Saint. C'est donc alors que le Verbe s'incarne mystiquement en l'âme : c'est alors que cette charité parfaite, qui est Dieu (Deus charitas est691), est imprimée dans l'âme, ou plutôt, qu'elle est transformée en charité ; ce qui ne paraît au-dehors que par les croix, les opprobres, et les ignominies. C'est là la belle robe variée de toutes couleurs dont parle David692. La confusion fait l’écarlate, les opprobres, croix, etc., font une variété d'ornements qui plaît infiniment au Roi. Ne cherchons point une parure extérieure ; mais la gloire de notre Roi : gardons-lui les fruits ou pommes vieilles et nouvelles693, la gloire de toutes les œuvres qu’il a fait par nous, et qu'il fera en nous. Amen, Jésus !

*1.60 Différence de la sainteté propriétaire et de la sainteté en Dieu.

[408] Vous me demandez la différence de ceux qui sont saints en eux-mêmes et de ceux en qui Dieu seul est saint. Quoique j’aie expliqué diverses fois cette différence, je vous en dirai quelques mots. Les premiers sentent et connaissent leur sainteté, elle leur sert d’appui et d’assurance. Leurs œuvres leur paraissent des œuvres de justice, dont ils attendent des récompenses et des couronnes. Leur sainteté est connue parce qu’elle est en relief et qu’étant fort au-dehors, elle paraît aux yeux de tous et attire l’estime des hommes. Cette sainteté n’est pas exempte de la rouille de la propriété, il s’en faut de beaucoup. Ces saints ont une gloire et un intérêt particulier : ils sont représentés dans le Bienheureux Jean de la Croix par la figure qui est à main droite de la montagne694 dans son livre, où il met la sûreté comme un de leurs principaux caractères, de manière qu’ils sortent de ce monde appuyés de leurs mérites. Je ne sais s’il n’y a point quelque flamme purifiante pour eux. Je le laisse au jugement de Dieu, n’osant dire ce que j’en pense.

Ceux en qui Dieu est saint, ne sont pas des pierres ou médailles de relief, mais des pierres gravées profondément, comme celle des cachets. C’est Dieu qui S’imprime profondément en eux, qui est leur véritable sainteté. Il ne paraît au dehors de ceux-là qu’une concavité. On n’en peut discerner la beauté qu’en les imprimant sur la cire, c’est-à-dire qu’on ne les connaît qu’à leur souplesse et à la perte de toute leur [409] propriété et de tous les apanages de la volonté propre, au lieu que les premiers ont des volontés fortes et puissantes et un jugement raide. Ceux en qui Dieu est saint n’ont aucun appui en eux-mêmes parce qu’ils n’ont aucune consistance propre : ils n’ont d’appui qu’en Dieu seul. Quand ils feraient toutes les œuvres de justice qu’on fait tous les saints, ils ne les regarderaient pas comme telles. Leur espérance n’est point en ces choses, mais en leur Sauveur, qu’ils portent comme il est dit dans le Cantique des Cantiques, sur leur cœur et sur leur bras comme un cachet695. Parce que leur amour, leur volonté, tout eux-mêmes ne sont imprimés que de Jésus-Christ, non plus que leurs œuvres, représentées par leurs bras. Ils ne s’appuient en rien de cela. Ils ne croient pas avoir jamais rien fait pour Dieu, ni qui soit digne de Lui, parce qu’ils sont imprimés de Lui, de ce qu’Il est, de ce qu’Il mérite. Leurs œuvres leur paraissent des souillures en comparaison de la pureté de Dieu. Ils n’ont point de relief comme les premiers, mais une profonde concavité, qui est leur néant.

Or il faut savoir qu’on creuse la pierre en proportion que ce qu’on y veut graver a de grandeur, d’épaisseur et d’étendue. Afin que Dieu S’imprime dans notre âme, il faut qu’elle soit dans un néant proportionné au dessin de l’impression que Dieu y veut faire. Ici tout s’opère en vide : c’est une profondeur qui ne paraît qu’aux yeux de Celui qui fait ces concavités par l’impression de tout Lui-même. Car Dieu prépare l’âme par le vide pour y graver Ses caractères et, y venant Lui-même, Il augmente ce vide presqu’à l’infini, proportionnellement [410] à ce qu’Il veut faire. L’homme ne voit point ce merveilleux ouvrage : il n’en paraît rien au dehors. Ce n’est point un ouvrage de relief, mais un creux profond, une concavité que l’âme n’aperçoit que par un vide souvent très pénible.

Il me semble que les premiers saints dont j’ai parlé sont comme des images de relief, mais les personnes dont je parle ici sont comme ceux en qui Dieu même S’imprime profondément. Dieu est tout leur relief. Si Dieu Se retirait, il n’y aurait plus qu’un vide, mais Dieu ne Se retirant pas, ce vide - qui ne paraît que comme une profonde vacuité - est imprimé de Dieu même. Dieu est tellement saint en ces âmes qu’elles n’ont plus aucune gloire qui leur soit propre, mais le seul honneur et la seule gloire de Dieu habitent sur cette montagne, ou plutôt dans cette profonde concavité qui est leur néant. Comme ils n’ont ni forme ni vertu qui leur soit propre, ils n’ont point un amour intéressé. Leur amour est pur, sans retour sur soi et sans rapport à soi. Celui qui s’imprime en eux ne peut imprimer que ce qu’Il est et non une figure étrangère. Il est Vérité et Charité. La Vérité fait qu’ils ne peuvent voir aucun bien qui leur appartienne ni qui soit à eux : ils ne voient que par les yeux de Dieu, devant qui tout n’est qu’un néant. Ils ne peuvent avoir que l’Amour que Dieu leur imprime, qui est l’Amour de Dieu en Lui-même pour Lui-même, Amour dégagé de tout autre objet que Dieu, d’autre intérêt que celui de Dieu. Enfin Dieu vit en ces âmes vides de tout le reste, Il y agit et opère comme Il lui plaît. Il a là toute aisance, toutes les dimensions comme dit saint Paul696 : la hauteur, l’étendue [411] et la profondeur de Dieu. Ils sont particulièrement dévoués à l’honneur et à la gloire de Dieu. Les premiers combattent pour eux-mêmes contre leurs ennemis, ceux-ci ne combattent que pour Dieu, sans espérer autre récompense que le bien de Le servir pour Son souverain mérite.

Vous me dites : mais puisque tous deux seront au ciel, qu’importe qu’ils soient saints pour eux ou que Dieu soit saint en eux ? O qu’importe ! Cela se peut-il entendre ? Il n’y a rien de nécessaire et qui puisse importer que Dieu : tout le reste n’est rien et moins que rien ! Dieu a promis des récompenses à la vertu, Il les donne. Mais il y a plus de différence entre celui en qui Dieu est saint et celui qui est saint en soi, qu’entre le ciel et la terre. O qu’importe, direz-vous ? Mais il importe à la gloire de Dieu le Père de trouver des âmes en qui Il Se glorifie pleinement et qui n’envisagent que Lui dans la gloire qu’ils Lui rendent ! Il importe au Fils d’exercer Sa qualité de Sauveur sur des cœurs qui veulent Lui devoir toutes choses ! Il importe au Saint-Esprit que Sa sainteté Lui soit rendue, qu’elle retourne à sa source aussi pure qu’elle en est partie !

Il me semble que je vois cette sainteté de Dieu comme un fleuve immense qui se divise en divers petits rameaux. Les uns pour n’avoir pas assez de pente, séjournent sur la terre, ils y contractent certain mélange qui représente bien la propriété. Les autres au contraire, mais en petit nombre, ayant la pente de leur anéantissement, retournent à leur Source avec une vitesse incroyable et rendent l’eau presque aussi pure qu’ils l’ont reçue, ils n’en retiennent pas une goutte, ils trouvent l’eau incomparablement mieux dans la Source qu’en eux-mêmes. O qu’ils [412] sont éloignés de l’usurpation, de l’assurance, de la vaine complaisance, de la propriété ! Cette eau recoule si rapidement qu’on ne s’aperçoit pas qu’elle ait passé par ces lieux. Cependant elle y coule sans cesse car rien ne l’arrête, elle a rejoint cette branche à son lit. Il ne paraît pas même que le fleuve ait eu un passage par cet endroit. O gloire de Dieu, gloire de Dieu ! Il n’y a que vous de nécessaire, tout le reste est accessoire et par conséquent n’est rien. O seul, seul intérêt de Dieu seul ! C’est vous qui devez attirer notre attention, tout le reste n’est rien et moins que rien. Il en faudra toujours venir là pour être au Ciel. Eh, qu’on sera alors étonné de voir que ce néant, que cette caverne profonde faisait les délices de Dieu et qu’Il avait choisi, comme dit l’Ecriture, ces ténèbres pour Sa cachette697 ! O Amour, faites-vous des cœurs qui n’aient plus d’autre gloire que la Vôtre, d’autre intérêt que le Vôtre, d’autre sainteté que la Vôtre, qui comprennent que la sainteté est à Celui qui est698, qui chantent avec l’Eglise : Tu solus sanctus !

Mais l’homme est si enivré de l’amour de lui-même, il a une passion si forte pour sa propre excellence que tout ce qui n’est pas lui ou pour lui, lui paraît une folie. Il a en horreur la doctrine de la désappropriation enseignée par Jésus-Christ : plus il s’aime soi-même, plus il la combat avec chaleur. Cette doctrine ne sera jamais combattue que par les amateurs d’eux-mêmes qui, comme des hiboux, ne sauraient supporter la lumière de la Vérité. Ils se plaisent dans les ténèbres de leur propriété. La Vérité leur est insupportable, leurs yeux malades de l’amour-propre [413] ne sauraient La souffrir. O divine lumière, toute douce et suave pour celui qui, selon le précepte de Jésus-Christ699, s’est renoncé soi-même jusqu’au point de se haïr ! Celui qui est parvenu à cette sainte haine de soi-même, vous regarde avec plaisir sans baisser la paupière sur son propre intérêt. Divin Verbe qui êtes la lumière du monde, éclairez les hommes de Votre Vérité ! Qu’ils L’adorent et L’aiment puisqu’Elle seule mérite tout notre amour ! Amen, Jésus !

*1.61 De la mauvaise et de la bonne indifférence.

Il y a deux sortes d’indifférences, l’une bonne, l’autre mauvaise ; l’une qui vient d’amour-propre, l’autre qui vient de l’amour de Dieu.

La première est plutôt une certaine indolence naturelle qu’une indifférence. C’est une habitude de ne rien aimer ou de l’aimer par rapport à nous, quoique nous ne démêlions pas toujours en nous [414] cet amour recourbé sur nous-mêmes, parce que ou l’on réfléchit trop ou cette habitude de n’aimer que nous est presque tournée en nature. Ces personnes sont rudes, dures, roides, ont peine à plier, ont peu de docilité, quoiqu’elles s’imaginent d’en avoir. Elles ont cependant certain manège pour faire réussir les choses qui leur plaisent, ou parce qu’elles leur paraissent leur être avantageuses ou parce qu’elles sont conformes et à leurs idées et à leurs désirs. Et quoique leur fond d’indolence leur persuade le contraire de ce qu’elles veulent, elles veulent pourtant plus fortement et avec plus d’âpreté que celles qui paraissent plus vives. Elles se cachent à elles-mêmes cette disposition. Elles la croient juste et raisonnable en se cachant à elles-mêmes et aux autres qu’elles sont ainsi. Elles sont peu éclairées de leurs défauts, surtout des essentiels, et si on leur en fait connaître quelques-uns, elles mettent tout en usage pour se justifier : leur justification est dure et âpre, comme leur tempérament. Elles voient très bien les moindres défauts des autres, surtout s’ils ne sont pas prévenus d’affection. Car elles ont des oppositions et des sympathies et elles voient dans les autres les défauts, selon qu’elles sont impressionnées de l’une ou de l’autre de ces passions, excusant les uns, diminuant leurs défauts, et se grossissant ceux des autres. Ces personnes aiment le particulier, ont peu de société avec ceux qui ne leur plaisent pas. Quoique ces personnes aient une indolence naturelle, elles sont ardentes pour ce qu’elles veulent et elles le veulent fortement, croyant avoir raison : elles sont peu ployables.

L’oraison de ces personnes, si elles en ont, est selon leur tempérament une oraison stupide qui n’a rien de vivant et d’animé : c’est plutôt [415] une continuation d’indolence qu’une prière, un amour du repos et de la fainéantise qu’une véritable oraison. Aussi ne voit-on pas qu’elles fassent grand progrès : après plusieurs années elles sont toujours les mêmes et l’amour d’elles-mêmes augmente par cette sorte d’oraison, loin de diminuer. Il est plus facile de tirer un grand pécheur de ses désordres que de changer ces personnes. La raison de cela est qu’un grand pécheur connaît bien qu’il est pécheur et lorsqu’il se convertit, il le fait de tout son cœur. Ceux-ci au contraire ont une certaine sécurité, ils ne voient rien à corriger en eux, ils se sont tellement familiarisés avec leur amour-propre et leur indolence, qu’ils vivent fort en repos ensemble. L’âme en qui Dieu opère pour corriger les défauts, a une certaine agitation foncière, parce que l’âme ne peut trouver de repos que dans la perfection de Son Amour divin auquel elle tend sans cesse. Elle a des sécheresses à la vérité, mais elles sont souvent précédées et suivies d’un fort recueillement et ce n’est pas toujours la même chose . Au lieu que les personnes indolentes seront un grand nombre d’années dans les mêmes dispositions. C’est un vide infructueux car c’est un vide de Dieu, qui ne vient que par la plénitude d’elles-mêmes ; et c’est ce vide ou oisiveté indolente contre laquelle tous les mystiques ont écrit dans le commencement pour en précautionner700.

Lorsqu’on trouve de ces personnes, il les faut tenir longtemps dans les bonnes activités, si contraires à leur tempérament. Elles paraissent plus propres à l’oraison simple que les personnes vives et actives, et c’est tout le contraire. Quand une personne active et vive se simplifie [416] peu à peu, on voit bien que c’est une bonne simplicité, qui va contre le naturel et qui travaille à le détruire, mais les indolents prennent pour simplicité et silence ce qui favorise leur tempérament. Leur oraison simple est précisément leur naturel qui n’ayant rien de surnaturel les tient enfoncés dans leur tempérament, dont ils ne sortent jamais sans méthode – ce [cette sortie ] qui ne pourrait se faire que par une grande docilité et se mettre entre les mains d’une personne éclairée, [ce] qui serait ce qui est dit dans l’Ecriture : vous avez remué mon lit dans ma maladie701, c’est-à-dire vous avez remué ce repos d’indolence dans lequel je vivais dans la maladie de mon amour-propre. Car il faut exciter ces personnes autant qu’on prend soin d’amortir les autres.

Il faut remarquer que quelque indolentes que soient ces personnes, elles sont plus excitées et plus vives que les autres dans les choses qu’elles souhaitent. Elles paraissent sages, tempérées au-dehors, et cette fausse sagesse, qui ne vient que de tempérament, les soutient encore. Cet état est d’autant plus dangereux que n’y voyant pas des péchés considérables, il tient l’âme dans l’assoupissement sur tout le reste d’où s’ensuit que ne se corrigeant point, ils sont toutes leur vie amateurs d’eux-mêmes et indifférents pour toute autre chose. C’est là l’indifférence que j’ai appelée mauvaise.

Il y a une autre indifférence qui vient de la perfection de l’amour, parce que l’âme est tenue par l’Amour dans un parfait équilibre, n’ayant plus de volonté propre, l’Amour l’ayant fait passer en Dieu. Je parle des opérations de la Volonté et non de la volonté humaine, qui ne se [417] perd point quant à son essence et qui fait partie de la qualité d’homme. Mais ici toutes les opérations de la volonté sont tellement détruites par la mort à toutes choses et passées en Dieu que c’est Dieu qui veut et qui opère et désire en cette âme, en sorte que si on l’écrasait, il ne pourrait sortir d’elle qu’Amour et Volonté de Dieu, sans le moindre désir ni vouloir pour elle-même, parce que tout cela a été anéanti en elle et pour elle et passé en Dieu. Je parle des désirs de la volonté et non des appétits animaux. Car, au reste, cette personne, comme un enfant, a des dégoûts de certaines viandes et l’estomac en appète702 d’autres, ce qui ne vient point d’immortification car ces personnes ont travaillé à une mortification sans relâche qui a éteint le goût et l’appétit. Ce sont des choses contraires au tempérament naturel. Mais pour ce qui s’appelle choix délibéré de la volonté, il leur est impossible d’en trouver parce que l’Amour sacré a dévoré toutes ces choses.

Ces âmes sont indifférentes et d’une indifférence absolue pour tout ce qui a rapport à elles en tant que rapportant à elles, biens, honneurs, santé, beauté, persécutions, calomnies, maladies, infirmités, pour être d’une façon ou d’une autre dans un lieu ou un autre. Il n’y a point de lieux pour ces âmes, tous les lieux sont leur pays natal parce que Dieu est partout. Tous les états intérieurs leur sont égaux : sécheresse, abondance, facilité, impuissance, force ou faiblesse. Elles ne font plus même ce discernement parce que n’ayant ni retour ni rapport à elles, tout leur est égal et tout est également bien reçu de l’Amour qui dispose de cette âme comme il Lui plaît.

[418] La mort et la vie lui sont égales et si elle ne portait pas ses frères dans son sein, la vie ne lui serait jamais ennuyeuse. Mais elle dit quelquefois à Dieu : « Ai-je porté ce peuple dans mon sein que vous m’affligez pour lui ? Je vois que ce peuple n’entre point parfaitement dans Votre conduite, qu’il est indocile, fixé en lui-même, qu’il n’avance point selon Vos desseins, et c’est ce qui me tue703 ». Il ne faut pas croire que cette peine vienne du propre choix de l’âme ni de quelque désir particulier, mais de Dieu même qui, l’ayant chargée du poids qu’elle n’a ni voulu ni désiré, lui inflige des peines proportionnées à Ses desseins sur les âmes. Mais lorsque ces mêmes âmes par une longue suite d’infidélités ont mérité d’être rejetées de Dieu, Il en décharge cette âme. Ce rejet des âmes n’est pas pour le salut, mais pour le don de l’oraison de Foi et de l’Amour pur. Dieu jure dans Sa colère que ces âmes n’entreront point dans Son repos éternel, comme Il l’avait promis704.

Il y a une figure et une réalité en Moïse de la manière dont Dieu charge l’homme apostolique du soin de ses frères. Premièrement Moïse était sur la montagne, conduisant comme par commission et obéissance les brebis de son beau-père. Il vit un buisson ardent, qui brûlait sans se consumer705 : ce buisson hérissé d’épines marque ce qu’il y a à souffrir dans la vie apostolique par état. Cette ardeur qui ne consume point marque ce feu de l’Amour pur qui fait qu’on aide à ses frères sans intérêt. On n’est point consumé parce qu’on a été consumé [419] pour soi-même dans le même Amour avant que d’être employé pour aider aux autres. Dieu commande à Moïse de se déchausser, ce qui marque que le vrai Apôtre doit être dégagé de toute affection singulière pour se laisser incliner selon ce que Dieu veut. La verge que Moïse tenait en la main signifie l’extrême droiture qu’on doit avoir dans la conduite des âmes, et que Dieu donne en effet. Lorsque la verge est jetée par terre elle se change en serpent, ce qui marque que les âmes ne sont rejetées de Dieu et de son Apôtre choisi que pour leur défaut de droiture, certaines ruses à se cacher et à se replier en soi-même, enfin l’amour-propre - qui est ce rusé serpent qui a séduit l’homme dès le commencement. Moïse le reprend ensuite, pour marquer que Jésus-Christ, dont Moïse était la figure, rendrait par Sa mort la droiture à l’homme. Car Dieu avait créé l’homme dans une droiture parfaite, mais le Diable par ses ruses l’ayant rendu semblable à lui, Jésus-Christ est venu sur la terre lui rendre sa première droiture. C’est ce qu’Il fait encore aujourd’hui par Ses ministres qu’Il choisit pour l’état apostolique. Ensuite, Il les charge, comme Moïse, de ces âmes, mais après avoir assuré Moïse qu’Il est celui qui est706 pour lui faire comprendre qu’Il ne le choisissait que comme un simple instrument et non comme principe d’aucun bien qu’il put faire. C’est ainsi que Dieu choisit ceux à qui Il confie son peuple.

Pour revenir à l’indifférence, je dis que Dieu, ayant consommé l’âme dans Son Amour, la met dans une indifférence sans égale et dans un équilibre perpétuel sans pouvoir pencher d’aucun [420] côté. C’est cet équilibre qui fait que Dieu penche et incline l’âme comme Il Lui plaît, cela n’étant point du choix de l’âme, qui demeure morte à tout choix et à tout penchant propre. Mais pour que Dieu incline l’âme, il faut que le pur Amour ait détruit en elle toute inclination particulière, tout amour de soi, enfin tout son soi-même. L’âme étant de la sorte est dans une indifférence parfaite, il ne faut pas craindre qu’elle excède dans cette indifférence, qui est réglée par l’Amour même et qui est un effet de la plus pure Charité. L’âme en cet état vit contente sans contentement, elle vit comme hors d’elle et dans une grande séparation de tout et d’elle-même. Il lui semble qu’elle soit étrangère à elle-même, qu’elle soit comme une machine qu’on remue par ressorts, tant elle est séparée de ce qu’on lui fait faire, ne prenant rien à rien, ne s’attribuant rien, ne pouvant rien. Il faut que son Moteur la remue comme il Lui plaît et quand il Lui plaît, lui étant absolument impossible de rien faire par soi-même. A-t-elle fait ce que Dieu veut ? elle reste dans une ignorance entière, sans se souvenir de rien, sans y prendre part, elle agit sans agir, sans empressement, sans envie que Dieu Se serve d’elle ou d’un autre pour ses frères, prête à les remettre en d’autres mains au moindre signal et à le faire avec joie. Enfin, l’âme venue ici ne se possède plus et est devenue un enfant.

Pasteur-Enfant, qui conduisez Israël707, faites-Vous des cœurs capables de Vous aimer purement ! Détruisez les amateurs d’eux-mêmes, les faux Sages, et faites-Vous des petits enfants ! Amen, Jésus ! [421]

*1.62 De la Foi pure et passive, et de ses effets.

La foi passive, autant que je le puis comprendre, est une lumière obscure par laquelle nous croyons sans aucune évidence et certitude et sans vouloir en avoir, car qui dit croire dit ignorer, j’entends : ignorer quant à la connaissance expérimentale et non quant à la certitude de la foi. Tout ce qui est aperçu, sensible et connu n’est pas la Foi mais au contraire lui est opposé, la Foi n’étant que pour les choses que nous ne voyons ni ne connaissons.

La Foi produit l’abandon, et l’abandon nourrit et augmente la Foi, et je crois qu’il n’y a de véritable abandon que par cette voie. Car s’imaginerait-on être bien abandonné à un [422] conducteur qui nous ferait connaître à tous moments les endroits par lesquels il nous ferait passer ? Le vrai abandonné ne veut rien savoir, rien connaître, il ne veut pas même être assuré ni de sa voie ni de son salut, il s’abandonne sans vue ni raison, faisant sa voie de n’avoir point de voie. Plus il se croit perdu, plus il est content, plus tout est désespéré, plus il est fort. Et s’il pouvait vouloir quelque chose, ce serait de n’avoir jamais d’assurance et de vivre dans une incertitude continuelle, et même dans le désespoir de soi-même pour ainsi dire, afin de mieux faire connaître à Dieu son abandon et la force de son amour dont la pureté exclut tout intérêt. Que dis-je? Il ne se soucie pas même que Dieu regarde son abandon, il lui suffit d’être abandonné. Il ne veut que faire la Volonté de Dieu sans certitude même qu’il La fasse, content même d’être trompé et de prendre le change si c’était l’ordre de Dieu, ce qui pourtant ne sera jamais car celui qui se confie en Dieu ne peut être trompé. La Foi l’assure, sans assurance qui puisse soutenir, que Dieu ne permettra pas qu’il s’égare et que quand Il le permettrait, il en tirerait Sa gloire. Il ne se fait une voie ni d’une chose ni d’une autre. Mais que fait-il donc ? Il suit pas à pas la Providence qui fait toute sa conduite.

L’Ecriture dit, parlant de Jésus-Christ, qu’il était hier et qu’il est aujourd’hui708. C’est là la vie de la Foi : prendre les temps, les heures et les moments comme ils sont marqués par la Providence, et ne faire choix ni élection de quoi que ce soit. Car les providences journalières nous sont au commencement des marques de la Volonté de [423] Dieu, à la suite elles nous donnent Dieu, et enfin elles nous sont Dieu même. Ainsi une âme abandonnée à la Providence vit en Foi et de Foi, ainsi qu’il est écrit : le juste vit de la foi709. Aussi ne veut-elle rien savoir, rien connaître, elle ne s’appuie que sur l’infaillible qui est le moment présent que la Providence de Dieu lui donne710.

Il me semble, selon la lumière qui m’en est donnée, que les voies toutes fleuries de dons, de lumières, de certitudes, de paroles intérieures etc., sont des voies saintes et des voies de saints. Mais ce n’est pas la voie des petits, parfaits imitateurs de l’anéantissement de Jésus-Christ. Car qui dit lumière ne dit pas obscurité. Qui dit certitude ne dit pas abandon. Qui dit connaissance ne dit pas Foi. Qui dit paroles intérieures, visions, extases etc. ne dit pas ne rien voir, ne rien savoir, ni être conduit par la Providence journalière. Il est aisé de s’abandonner dans l’assurance, mais la Foi ne fait connaître sa force que dans le désespoir, espérant711 comme Abraham contre l’espérance même. Et je crois que lorsque Dieu veut conduire une âme purement à Lui, Il la conduit par là, car pour se perdre il faut ne tenir à rien. Une personne qui serait suspendue en l’air au dessus de la mer, quand ce ne serait qu’avec un fil, ne se noierait pas si le fil ne se rompait. Mais si une main secourable coupait le fil, elle se perdrait dans la mer, s’y enfoncerait, et si cette mer n’avait point de fond elle s’abîmerait toujours de plus en plus. Je ne comprends pas que l’on puisse se dire perdu en Dieu tant que l’on a quelqu’un de Ses dons distincts et aperçus. [424] On est bien absorbé dans Ses dons et comme enivré de Ses faveurs, mais nullement perdu en Lui - car pour se perdre en Dieu, il faut perdre tout appui quel qu’il soit.

Aussi est-ce la conduite de Dieu que nous pouvons voir pas à pas. Dieu ôte à l’âme tout appui extérieur pour la perdre dans l’intérieur. Ensuite il lui ôte la pratique des bonnes choses extérieures pour la perdre davantage. Puis il lui ôte l’usage des vertus pour l’arracher à elle-même. Il lui fait enfin éprouver les plus extrêmes faiblesses et misères qui sont des coups de grâce, et par là Il la perd en Lui. Au commencement de l’expérience des misères, l’âme se perd dans l’abandon, dans la confiance et le sacrifice. Mais comme [ce sacrifice], cet abandon etc. sont encore comme des Fils subtils, Dieu lui ôte tout abandon aperçu, tout espoir de salut connu, en sorte qu’elle est contrainte comme malgré elle de se perdre. Mais où se perdre ? Encore si c’était en Dieu aperçu, elle serait trop heureuse. C’est dans l’abîme où elle ne voit rien ni ne connaît rien. Et après enfin elle tombe en Dieu, non pour jouir de Dieu pour elle, mais elle pour Dieu et Dieu pour Lui-même. Après quoi elle ne doit pas regarder si elle est en Dieu : ce serait un retour propriétaire qui la retirerait, qui la salirait. Que faire donc ? Il faut demeurer dans sa perte sans rien vouloir ni connaître, sans rien désirer, ni perte, ni abandon, ni foi, ni amour, ni martyre, ni souffrance, ni sacrifice, je dis plus : ni Dieu pour soi, ni être ou n’être pas, mais vivre en enfant sans aucun souci, pas même d’accomplir la volonté de Dieu d’une manière distinguée ou aperçue - ce que nous ne devons [425] plus même rechercher -, mais nous laisser conduire par cette même Volonté qui Se fera accomplir par nous sans que nous nous en mêlions. Car vouloir savoir la Volonté de Dieu pour La suivre, c’est encore faire, pouvoir et vouloir. C’est vertu, c’est opérer. Mais se laisser conduire par cette même Volonté où Elle veut nous conduire avec les soins de Sa Providence, c’est La porter passivement. Et je crois qu’il n’y a point de vraie passivité de conduite que celle de se laisser mouvoir au gré de la Providence ; autrement c’est action, c’est pratique de vertu, c’est faire, mais ce n’est pas pâtir. L’âme peut bien croire qu’elle fait la Volonté de Dieu, mais elle ne peut jamais dire « je suis faite Volonté de Dieu » que dans cet état. Car l’âme est vraiment faite Volonté de Dieu lorsqu’elle ne fait plus chose au monde par elle-même, qu’elle se laisse purement conduire par la main de l’Amour veillant à elle et pour elle, sans voir cette main qui la conduit, et qu’elle n’a nulle propriété que celle de se laisser agir et mouvoir dans cette même Volonté. Et je crois que c’est pour cette raison que Dieu ôte à l’âme la pratique de toutes les vertus, après qu’il lui a imprimé les mêmes vertus, non comme vertus pratiquées mais comme un état propre à l’âme. Et ces mêmes vertus dans la suite sont un écoulement de Jésus-Christ, non comme autrefois mais pour nous rendre semblables à Lui dans Sa vie. Ce qui fait que l’on ne peut plus pratiquer les vertus, quelles qu’elles soient, par soin ni élection, mais par Providence et à mesure que la Providence en fournit les occasions, ce qui se fait comme naturellement. [426]

Et cela paraît tant en ce qui regarde l’occasion de Providence qui fournit la pratique, qu’en la pratique même. Comme dans la vie de Jésus-Christ toute la conduite de Son Père sur Lui paraissait être des choses arrivées comme naturellement et Il s’y laissait [mener] de même. Il nous arrive par exemple des renversements, souvent par notre imprudence, par notre faute : cela paraît naturel, on les porte aussi naturellement et sans réflexion. Vous rencontrez par hasard, ce semble, un objet digne d’exercer la charité : ce qui paraît de hasard est une providence admirable. Et l’âme qui a le goût de la Foi et de la Providence, ne peut plus pratiquer la vertu d’une autre manière, elle ne peut plus rechercher les pauvres, elle ne peut plus se crucifier elle-même, elle voit clairement qu’elle n’en pourrait venir à bout. Il n’y a que la Providence qui nous puisse ménager des croix propres à nous faire souffrir et mourir. Jésus-Christ ne Se crucifia pas, Il Se laissa crucifier à Son Père : l’âme établie dans la Foi n’en peut user d’une autre manière et la Providence lui en fournit de si divines et de si admirables qu’elle voit qu’elles lui sont appropriées selon son besoin et que toute l’industrie des créatures ne peut parvenir là. Il n’y a donc rien à faire que de se laisser conduire de moment en moment par la Providence, sans vouloir rien savoir et connaître de l’avenir. Laissons-nous conduire en enfants, et abandonnons à Dieu toutes nos entreprises sans vouloir avoir aucune assurance du succès. Car lorsque l’âme est bien abandonnée, Dieu fait des miracles de Providence, mais lorsque l’on veut des certitudes, on est souvent trompé.

Quittons donc l’assuré et l’aperçu pour être [427] très assuré par la Foi. Allons sans hésiter et sans voir où nous allons. Si Dieu permet que nous nous égarions, c’est assurément parce que nous avons hésité et que nous avons voulu voir où nous allions. Il faut aller ici comme le navire sur les eaux : il n’a point de trace devant lui et il n’en laisse point après lui. Il ne faut ni rien voir avant que de marcher ni rien retenir du lieu où nous avons marché pour nous en faire une voie. La Providence nous fera tous les jours une nouvelle voie, à la vérité inconnue mais très sûre. Nous ne saurions mieux marquer à Dieu notre foi et notre abandon qu’en ne voulant pas même nous assurer de Sa Volonté, oubliant tout le passé pour nous laisser à l’avenir conduire en enfants de Providence : le salut vient d’en haut, ne songeons plus à l’assurer et il sera très assuré, non en nous, mais en Dieu. Je crois qu’une âme [qui serait] fidèle ne pourrait plus rien perdre. Car ne possédant rien et ayant déjà tout perdu, que pourrait-elle perdre ? Son salut n’est ni en elle, ni à elle, ni en aucun bien, mais en Dieu à qui elle se laisse sans soin ni souci d’elle-même.

Il faut suivre aveuglément la conduite de la Foi dans les providences. Par exemple, dans les crucifiantes, les croix viennent en foule par le moyen des créatures, qui le font contre toute raison. On ne voit en leurs manières d’agir que passion, qu’aveuglement, et cependant la foi fait voir et goûter Dieu là-dedans. De sorte que ce qui paraît si peu raisonnable aux yeux charnels, paraît aux âmes de foi, si divin et une conduite si sage et si admirable de la Providence qu’elles en sont charmées712. Elles voient non les créatures qui leur font les croix mais Dieu [428] dans les créatures. De sorte qu’elles sont fort éloignées d’avoir de la peine contre elles, ni de les taxer de mauvaise conduite, puisqu’elles ne les regardent que comme des instruments dont Dieu Se sert pour les crucifier, tout cela par un goût caché et profond, sans goût à ce qu’il paraît, au milieu des plus épaisses ténèbres, sans vue et sans lumière distincte, mais par une disposition foncière où cela se passe très réellement, non en vue et connaissance mais en réalité.

Il y a des âmes par exemple, à qui Dieu fait connaître d’une manière distincte, par paroles prévenantes, qu’Il veut qu’elles souffrent telles et telles croix pour Son amour ou pour la conversion de telles âmes ou bien aussi pour Lui être conformes et Il leur fait même remarquer alors les endroits dans lesquels elles Lui sont conformées. Elles savent encore que leurs souffrances plaisent à Dieu, qu’elles Le glorifient (il faut comprendre que je ne parle pas ici des âmes perdues en Dieu, mortes et ressuscitées, à qui les mêmes choses ne font plus de dommage, sortant d’un principe divin et étant véritablement mortes par l’obscurité et la perte de tout : je parle des âmes vivantes et en voie). Si elles ont quelque abjection ou anéantissement, Dieu leur fait connaître combien cet état Lui est plus glorieux et leur est plus utile que tous les autres. Tout cela est grand et saint, je l’avoue, mais ce n’est point la voie de la Foi.

La Foi reçoit également toutes les croix, petites et grandes, sans en être prévenue, sans vue ni motifs, sans savoir les desseins de Dieu ni comme elle souffre, sans vouloir même le savoir ni connaître si ses souffrances sont agréables à Dieu ou non, s’Il en tirera Sa gloire ou [429] non. Il lui suffit qu’elles lui viennent pour qu’elle les souffre avec la même égalité. L’âme ne se met pas en peine si ce sont ses imprudences et ses sottises même qui les lui causent. A tout cela elle demeure également contente, sa foi l’élevant au-dessus de toute connaissance et au dessus de tout désir de savoir si Dieu en est glorifié et la nature de la gloire qu’Il en tire. Elle le Lui laisse savoir pour elle : elle souffre, et c’est assez. On lui ôte les croix, puis on les lui rend : tout cela est dans la conduite de la Providence sur laquelle elle n’a aucune vue distincte. C’est assez et c’est trop pour elle de savoir que tout se fait par la Providence, sans vouloir pénétrer les desseins de Dieu. Lorsque les choses sont passées, elle est ravie de voir, sans voir autrement qu’en soi, comment la sage Providence a conduit toutes choses. Elle s’écrie alors : Bene omnia fecit 713.

L’anéantissement ne peut point être véritable tant que l’âme voit et connaît qu’on l’anéantit, que son état est glorieux à Dieu et qu’il lui est utile à elle-même, parce que tout cela sont des soutiens qui la font être et subsister en quelque chose. On s’anéantit bien par ces voies si on prend l’anéantissement en manière active, qui est plutôt une élévation qu’un anéantissement, mais on n’est pas pour cela anéanti. Pour être anéanti il ne faut aucun soutien ni appui, ni même voir son néant, mais bien l’expérimenter (parce que l’on est en vérité pécheur, méchant, indigne de Dieu) et cela par une expérience si réelle et foncière de la malignité qui est en nous que de tous côtés on ne voie que néant et péché. Néant à l’égard [430] de Dieu, ne sentant qu’impuissance à tout bien et entraînement à tout mal : on croit avoir perdu son Dieu, L’avoir perdu par notre faute et pour toujours. Néant de toutes vertus, de tous dons, de la confiance et de la foi même, de toute assurance, de tout abandon, de toute paix, de toute pratique, de toute sainteté, de toutes bonnes œuvres, de toutes créatures et de soi-même. Puis après toutes ces pertes on entre encore dans le désespoir de soi-même, sans espérance d’être jamais regardé de Dieu que comme une personne qui ne mérite que Sa disgrâce et qui L’a perdu par sa faute, car si elle croyait que ce fut un éloignement, une feinte, une épreuve, elle ne serait pas anéantie.

Lorsque Dieu met beaucoup de Soi dans une âme et qu’Il la veut beaucoup avancer, Il permet que le Directeur doute d’elle. Elle ne trouve auprès de lui qu’une plus forte certitude de sa perte. Et c’est une conduite de Dieu autant rare qu’elle est terrible à porter, car s’Il assurait cette âme consumée d’amour sans qu’elle se connaisse ni se croie, elle se croirait en bonne voie ; et comme il ne lui importerait pas à quel prix elle pût obtenir ce qu’elle aime [sciemment et sûrement,] en secret elle serait contente. Mais tout lui est ôté, il ne lui reste que le rayon ténébreux de la Foi qui lui fait apercevoir que Dieu est toujours Dieu et qu’Il n’est pas moins glorifié dans sa perte que dans son salut. Ainsi elle demeure en paix sans paix, résignée sans résignation, sans vouloir cependant nulle grâce pour elle qui s’en reconnaît trop indigne. Tout ce qu’elle désire est de ne plus pécher ou faire de fautes. Mais plus elle le désire, moins elle y réussit à ce qu’elle croit ; [431] encore le veut-elle si faiblement qu’elle doute souvent si elle voudrait bien ne point pécher ou faillir. Sa faiblesse lui paraît un péché tout volontaire.

Cependant la foi relève quelquefois son courage abattu. Elle espère par le désespoir même. Mais que croit-elle ? Qu’espère-t-elle ? Elle ne le sait pas. Tout ce qu’elle éprouve est qu’elle est enfoncée dans un abîme de boue et de corruption dont elle ne peut même vouloir sortir d’une volonté absolue, ne trouvant plus de volonté. Enfin, elle entre en complaisance de se voir ainsi perdue, et la haine qu’elle a pour elle-même devient si forte qu’elle ne peut se vouloir aucun bien ni aucun avantage, elle veut bien que Dieu la punisse et ne revienne jamais à elle. Cet état l’éloigne fort d’elle-même.

Cet état dure quelquefois bien des années et exerce beaucoup la foi, car l’âme n’a point d’envie de chercher aucun appui ni au ciel ni sur la terre ni dans aucune créature : elle se cache et se repose dans sa boue comme dans un lieu qui lui est propre, n’en pouvant espérer d’autre. Elle se console quelquefois dans la pensée que si elle ne peut aimer Celui qu’elle croit seul aimable, du moins d’autres L’aiment. Elle demeure plongée dans sa misère et abîmée dans son néant, espérant qu’il se trouvera quelque âme moins ingrate que la sienne qui paiera son Dieu d’un amoureux retour.

O état le plus difficile de tous à porter, que tu es grand ! Que tu es ineffable ! Que tu es glorieux à mon Dieu ! C’est toi qui arraches tout à la créature et qui la dépouilles de ses usurpations pour rendre à mon Dieu la justice qu’elle [432] lui doit ! Tout autre état que celui-là est un état de mensonge et l’on ne se connaît véritablement que dans la plus extrême nudité. On se croit toujours quelque chose, on usurpe et on s’attribue au travers même de la plus grande humilité le bien que Dieu fait en nous. C’est l’état de la parfaite désappropriation qui fait passer l’âme en Dieu. Job, ce patient éclairé dit : je suis sorti nu du ventre de ma mère, c’est-à-dire de mon néant, et j’y rentrerai nu714.

Dans le fort de ce néant, Dieu commence à reparaître peu à peu, mais toujours en lumières confuses et peu distinctes. C’est plutôt une nuée ténébreuse qui cache Dieu qu’une vue de Dieu. Mais que dis-je ? C’est Dieu Lui-même, caché et environné de ténèbres715. N’est-il pas dit qu’Il a choisi les ténèbres pour Sa cachette716 ? Cependant la foi est alors si certaine que c’est Lui qu’il ne lui en reste aucun doute. Il l’attire et la renouvelle. Change-t-Il pour cela de conduite sur elle ? Non : Il la remet dans une paix si grande, si universelle, si étendue qu’elle est incompréhensible à qui ne l’a pas éprouvée. Mais que voit-elle ? Rien, un très long temps, et elle ne veut rien voir, non par volonté et par choix mais par état d’anéantissement. L’âme est éclairée sans distinction. Ce qu’elle connaît est cru pour ainsi dire sans être vu. Elle trouve qu’elle n’ignore rien et que rien ne lui manque pour sa conduite, et elle ne sait comme cela se fait. Elle sent bien sans sentir qu’il y a un Maître chez elle qui Se fait bien obéir, qui commande en Souverain, qui lui fait faire toutes Ses volontés - mais sans parole, sans distinction, [433] sans connaissance, comme naturellement et par entraînement. Elle est comme un fou et un égaré qui ne sait où il va, comme un aveugle qui sent bien qu’on le mène, mais qui ne sait pas où on le mène et qui ne veut pas même le savoir. Il n’y a pour une telle âme rien d’évident ni d’assuré et cependant rien de douteux.

O Amour ! Qui faites ces choses, vous savez que Vous les faites et Vous savez pourquoi Vous les faites ! O le grand plaisir que d’être ainsi abandonné, aveuglé, perdu et noyé ! O Amour ! sous Votre conduite on aime mieux s’égarer et ne pas voir que de s’assurer en voyant ! O foi ! que vous renfermez de pureté et de biens et que vous rendez un cœur heureux lorsque vous vous emparez de lui ! La foi est si pure et si nue que lorsque l’on entend parler de ces choses, quoiqu’on les possède, l’âme ne peut s’en faire d’application à moins que Dieu ne les lui applique par Lui-même. Il lui semble qu’elle dort et que c’est un songe. Mais lorsque Dieu veut qu’elle en parle ou écrive, les choses lui paraissent très réelles dans ce moment, je dis dans ce moment, car hors de là il ne lui reste aucune idée, non plus qu’à ceux qui n’ont jamais rien vu ni rien su. Lorsqu’elle écrit un mot, elle ne sait pas pour l’ordinaire celui qui doit suivre, et elle oublie aussitôt ce qui est écrit. Elle écrit ce que l’Amour veut, et autant qu’Il veut. Hors de là elle demeure à sec, sans pouvoir rien ajouter d’elle-même. O Foi ! Qui Vous connaît est charmé de Vous et ne peut plus trouver de goût aux choses les plus admirables de la vie spirituelle ! Ce qui ravit les autres d’admiration ne peut toucher une âme qui Vous possède. Les communications les plus extraordinaires en lumières médiates [434] paraissent des ombres et des impuretés auprès de Vous. La grâce des grâces la plus grande et la plus signalée, c’est de posséder Dieu en soi, c’est le posséder Lui-même pour Lui-même tout entier et non en partie : c’est Le posséder comme les Bienheureux, à la réserve de la vision béatifique. Dieu est vu en l’autre vie, mais Dieu est cru en celle-ci.

Il y a deux voies passives très différentes l’une de l’autre pour les moyens, la pureté et la fin. La première voie est toute en lumières, dons, touches aperçues, connaissances, pureté possédée, et tout ce qui se peut dire, connaître, exprimer et distinguer. L’autre voie passive est en foi, où l’âme va sans connaissance, sans lumière, même souvent sans goût, abandonnée à la Providence divine, portée pour ainsi dire sur les bras sans voir le chemin par où elle va ni le sentier qu’elle suit dans l’obscurité de la foi. Cette dernière voie est la voie des enfants, qui se laissent porter sans savoir où ils vont comme un enfant qui se laisse porter à [par] sa mère sans autre soin que de la regarder, et même très souvent sans la regarder, se reposant et dormant sur elle. Demandez à cet enfant où il a été et par quel chemin ? Il vous dira qu’il a été où sa mère l’a porté sans s’être informé du chemin, et qu’il n’a que faire de le savoir.

O abandon ! Que vous êtes pur, vous pouvez seul donner un repos assuré et une parfaite pureté à l’âme. Tous les dons remplissent mais la Foi nue ne tient point de place, au contraire Elle vide et donne lieu à Dieu d’être tout en l’âme. Toute autre voie cause propriété, vue, distinction et appui, mais cette voie est pure, [435] simple et droite, quoique dépouillée de tout soutien et affreuse717 à la nature.

Je crois qu’il y aurait bien des âmes qui marcheraient par cette voie si les Directeurs leur faisaient outrepasser tous les dons auxquels elles s’arrêtent sous prétexte de connaître s’ils sont de Dieu. Qu’est-il nécessaire de connaître ce qu’il faut perdre ? Et si l’âme s’efforce de les outrepasser sans les examiner, elle ne les perdrait que pour elle-même et comme lui étant appropriés, mais elle les retrouverait en Dieu d’une toute autre manière. Il est d’une extrême conséquence que les âmes soient instruites non à connaître et distinguer les dons gratuits mais à les outrepasser. Dieu ne laissera pas de faire par impression ce qu’Il aurait fait par l’autre voie. Je ne saurais dire ce que je conçois de la pureté de la Foi nue et comment Elle fait marcher non par nos pas, mais par les démarches de Dieu, appuyée sur Lui-même. La voie de Jésus, Marie et Joseph était celle-là : il n’y avait rien d’extraordinaire, mais tout était en Foi, ils se parlaient sans paroles en Foi nue. O que cela me paraît grand ! Les âmes chargées de dons ne laissent pas d’aller en Purgatoire, quoiqu’elles paraissent posséder Dieu d’une manière éminente. Il n’y a que la Foi nue en degré éminent qui est sagesse éternelle, qui ne laisse point de tache ni de propriété. Il ne peut y avoir de pureté d’enfance que par cette voie, qui est véritablement la voie de mort et d’anéantissement. Tout ce qui se sent et distingue n’est point Dieu : Il est trop pur. C’est bien quelque chose de Lui, les visions les plus admirables ne sont rien moins que Lui. Ce sont des figures et des images mais non pas Lui, et les [436] images s’imprimant dans nos esprits, elles empêchent de Le contempler en Lui-même - et la figure occupe la place de la Vérité. Dieu n’a point de figure : il faut laisser tous ces portraits pour courir à l’Original par la perte et l’oubli de tout. Et la nature ne trouvant plus de nourriture est obligée d’expirer.

Il y a divers degrés de mort et d’inaction qui paraissent les mêmes quant à leurs expressions, mais qui dans la vérité sont bien différents. Les âmes qui ont passé par les affections et par le goût de la présence de Dieu et qui ensuite sont mises en sécheresses et en privation et après cela qui retrouvent le calme, croient avoir tout passé et les personnes qui les conduisent, le croient aussi. Comme elles ont passé et éprouvé des privations et des pertes semblables à celles que l’on décrit des états plus avancés, elles croient y être arrivée. Et à moins d’une lumière surnaturelle on a de la peine de les désabuser, cependant, il est certain qu’il y a une différence très grande. Il y a des morts à passer sans nombre. Lorsque l’on veut mettre l’or en œuvre, il y a deux moyens : ou de le battre ou de le fondre. En le battant, on lui fait prendre une autre figure que celle qu’il avait, mais il n’est pas pour cela purifié. Au lieu qu’en le mettant au feu, il se purifie et est encore plus propre à prendre une autre figure. La première fois qu’il est mis dans le creuset, il perd et son impureté grossière et sa forme, et il est propre à faire de certains ouvrages comme monnaie etc. qui sont fort grossiers. Il est vrai que l’or a été fondu, qu’il a été purifié, qu’il a même changé de forme. Mais pour savoir le degré de sa pureté, il n’y a que l’orfèvre qui le puisse, encore [437] souvent faut-il le mettre à l’épreuve. On peut purifier l’or jusqu’à vingt-trois carats, le mettant autant de fois dans le creuset et lui faisant perdre autant de fois sa forme pour en prendre une nouvelle. Chaque degré qui purifie l’or se fait par la même voie : il est mis au feu, ensuite fondu, puis l’or change de forme. Toute la différence de ces degrés est qu’à mesure qu’il est fondu, il est toujours purifié, et plus il est purifié, plus il a besoin d’un feu plus ardent et subtil pour le purifier davantage. Et que plus il est fondu de fois, plus il est propre à être mis en œuvre pour les ouvrages les plus délicats, et sa pureté vient après à un tel degré que le feu ne peut plus l’altérer ni le diminuer, ni même le rendre plus pur.

Je crois qu’il est ainsi des âmes. Il y en a de différents degrés de purifications. Elles ont toutes passées par le feu, au moins celles dont je parle, cependant parlez-leur des voies de purification et comment il faut qu’après que notre terre est devenue or - c’est-à-dire que notre nous-mêmes a été changé par grâce en or - qu’après cela il faut le purifier dans le creuset et le faire changer de nature : elles vous diront qu’elles ont passé ces degrés, que de terre qu’elles étaient, elles sont devenues or, qu’après cela le divin Orfèvre les a mises dans le creuset de la sécheresse, de l’affliction et de l’abjection, qu’ensuite elles ont été toutes fondues et comme anéanties par la force de son amour, après quoi Il leur a donné une autre forme telle qu’il Lui a plu, et qu’elles sont renouvelées en Lui. Tout cela est si vrai, quoiqu’en bas degré et que cet or soit de bas aloi et bien grossier, qui n’est pas propre à faire des ouvrages et l’orfèvre le mettra à un prix bas. Il en est de même des âmes de [438] grâce. Toutes passent par le feu, mais selon les desseins de Dieu sur une âme, et plus Il la destine à son intime union, plus Il la purifie en cette manière.

Ce ne sont point, autant que je le puisse comprendre, les mêmes degrés qu’on lui fait encore passer, comme on se l’imagine faute de lumière ; car il est impossible que ce qui a été une fois purifié et séparé de l’or s’en sépare encore. Mais c’est une nouvelle impureté, qui paraît tenir quelque chose de la première. Et comme Dieu, pour l’ôter à l’âme, tient la même conduite qu’Il avait tenue auparavant, et qu’il se sert des mêmes moyens de purification, on croit repasser les mêmes états. Mais c’en sont d’autres et de bien différents, non dans leurs manières mais dans leurs effets.

Chaque degré a sa purification, et chaque changement d’état a son feu et son degré de purification, son anéantissement et la perte de sa première forme. Il est anéanti quant à sa forme mais non quant à sa substance. Chaque fois que l’âme quitte sa forme pour en prendre une autre, elle est anéantie quant à sa forme, car elle ne le peut pas être quant à sa substance. Mais jusqu’à ce qu’elle ait été purifiée radicalement, elle est toujours impure, plus ou moins, selon son degré, et elle est toujours propriétaire.

Mais lorsqu’elle a éprouvé le dernier degré du feu, elle n’a plus d’impureté ni de propriété et ce dernier degré ne s’éprouve pour l’ordinaire que dans l’autre vie - mais lorsque Dieu a de grands desseins sur une âme, il la purifie à un degré conforme à ses desseins en sorte qu’elle est vraiment changée et transformée en Lui, mais plus ou moins, selon le degré de pureté. Et ce degré de pureté est [439] communiqué selon le dessein de Dieu, qui comme un excellent orfèvre, fait de cet or des ouvrages admirables mais différents, s’en sert et l’emploie, mais différemment, aussi est-il de différent prix.

Voilà à peu près les degrés de ces âmes de foi en lumières passives qui, après que le soleil de justice les a fait devenir or de terre qu’elles étaient, sont encore lavées et purifiées par leurs larmes et activités. Mais comme la terre peut être mêlée et comme identifiée avec l’or, l’eau n’en a ôté que la superficie : on découvre cependant que c’est de bon or, et c’est assez. Mais il faut, outre le lavement de l’eau, que la main de Dieu sépare la terre grossière de l’or : c’est pourquoi il met l’âme dans le creuset de l’affliction et de l’humiliation, et c’est une opération que l’âme souffre passivement. Ensuite elle est vraiment fondue : et voilà l’anéantissement. Tout cela se fait dès le premier degré de pureté. Mais je vous prie de voir l’extrême différence de la pureté, de l’anéantissement et de la transformation du premier degré, à celle du dernier. Ceci me paraît fort clair, et cependant, à moins d’une forte épreuve et d’une longue expérience et d’une grande lumière, le Directeur aura bien de la peine à en discerner le degré. Il voit bien que cette âme est de bon or, qu’elle a été éprouvée, anéantie et changée - mais en quel degré, c’est le difficile. Il n’y a que le Seigneur par lui-même ou par des personnes animées de Son Esprit qui le puisse faire.

Ce ne sont donc point les mêmes degrés que l’on repasse, ce qui serait aussi difficile que de rentrer dans le ventre de sa mère : mais de nouveaux [440] degrés, qui paraissent les mêmes, quoiqu’ils soient très différents.

Quand tous les degrés sont passés, il n’y a plus de purgation ni de purgatoire pour cette âme : elle n’y souffrirait plus, parce qu’il n’y aurait plus rien à purifier. Lorsque l’or est remis dans le creuset après la première purgation, ce qui se purifie n’est pas de même nature ni de même qualité que ce qui a été purifié. C’est toujours quelque chose de plus subtil et de moins grossier, et plus il est remis dans le creuset, plus l’impureté qui reste à détruire est délicate, et difficile à connaître. Cela vient à un tel point, que l’orfèvre ne connaît plus l’impureté : pour en juger, il faut qu’il remette l’or dans le feu, et alors il en juge par le déchet. Il en est à peu près de même de l’âme : toutes les purgations lui ôtent toujours de nouvelles impuretés, qui deviennent de jour en jour plus délicates et subtiles, en sorte que l’on ne connaît plus l’impureté que par de nouvelles épreuves, tant elles sont subtiles.

Il y a encore une autre épreuve et manière de purifier l’or, qui se fait à moins de reprises. C’est lorsqu’on le laisse plus longtemps dans le feu et qu’on augmente le feu par degrés, c’est-à-dire le rendant plus fort de temps en temps, par certains degrés presque imperceptibles. L’or est plus purifié, plus il reste dans le feu et plus le feu est ardent. Il en est ainsi de l’âme : plus elle est dans l’épreuve, et plus l’épreuve est forte et longue, plus elle est purifiée. [441]

*1.63. Prédicateurs de la paix intérieure.

Sur ces paroles : Que les pas de ce qui annonce l'Évangile de paix, sont beaux ! Romains 10, 15.

Il y a deux sortes de prédicateurs ; les uns, que Dieu a destiné pour la conversion des pécheurs ; et les autres, que Dieu a choisi pour faire entrer les âmes dans la voie de l'intérieur. Les premiers, ainsi que l'Ange718, troublent l'eau de la piscine pour guérir de toutes sortes de maladies. Ces prédicateurs, lorsqu'ils sont serviteurs de Dieu, troublent efficacement le fond des consciences ; et alors le pécheur qui s'était comme assoupi dans son péché, se réveille, ouvre les yeux, se sens troublé de remords qu'il n'avait point auparavant. Il sent et connaît la grandeur de son mal, qu'une terrible léthargie lui empêchait de sentir ; il a recours au remède ; il tâche de prendre les plus spécifiques. Et ces prédicateurs font beaucoup de fruit, soit dans les missions, soit d'une autre manière.

Il y a d'autres prédicateurs, (qui sont ceux dont je veux parler,) qu'il semble que Dieu n'ait choisis que pour mettre le baume sur les [442] plaies, et que pour pacifier les âmes. Ces personnes, ainsi que les Anges qui apparurent aux pasteurs lorsque Jésus-Christ fut né, semblent n'être venues au monde que pour annoncer la paix aux âmes de bonne volonté719 : car ils apprennent à ces pécheurs convertis le chemin de la paix, qui est, de leur enseigner la route de l'Intérieur. L'âme, qui commence à goûter une certaine paix au-dedans, est si charmée de ce qu'elle expérimente, qu'elle s'écrie : Ô que les pieds, ou les démarches de ceux qui annoncent la paix sont belles ! J'aurais langui toute ma vie sans avancer : mais je trouve que cette paix me fait plutôt voler que marcher. Que ce sentier est doux à mon cœur ; et que cette paix, que je n'avais pas goûtée auparavant, me paraît délicieuse ! Je la choisis pour mon partage.

Lorsqu'on a une fois goûtée cet Évangile de paix, tout le reste devient insipide. Hélas, dit cette pauvre âme, je combattais souvent contre mes ennemis, j'étais toujours en agitation et en trouble ; si j'en blessais quelqu'un, je recevais mille blessures, sans pouvoir presque me défendre ni leur résister ; mais depuis que j'ai goûtée la paix, ma paix les combat et les renverse sans que je m'en mêle. Je trouve en cette paix une force secrète, un amour pour Dieu que je n'avais jamais éprouvé, un je ne sais quoi dans mon fond qui me fait comprendre que Dieu le remplit de sa présence. Il me semble que je suis changé en un autre homme. Je trouve que le calme est dans mes passions ; je n'ai plus à arrêter leur impétuosité. Je n'ai qu'à conserver cette paix qu'il me semble ne pouvoir être altérée que par le péché. [443].

Il est vrai que ces derniers prédicateurs ont un don particulier de pacifier les âmes, tant des personnes dont je viens de parler, que de celles qui étant plus avancées, sont retournées en arrière faute de guide, ou qui se sont arrêtées en chemin par des doutes, des hésitations et faute de courage. Ces personnes sont dans une grande peine et perplexité, ne pouvant reprendre leur premier chemin, qui leur est devenu insipide, leur goût étant accoutumé à la délicatesse de la paix. Ils ont tellement outrepassé leurs premiers moyens, qu'ils leur sont rendus inutiles. Ils restent là, comme dit Déborah, entre deux termes, à écouter les sifflements des troupeaux720. Ils sont véritablement entre deux termes, ne pouvant retourner où ils ont été, ni avancer vers Dieu, ayant perdu la route de la paix. Ils ne trouvent pas plutôt un de ces prédicateurs de l'Évangile de paix, que retrouvant leur premier chemin, charmés qu'ils en sont, ils s'écrient : Ô que vos démarches, que vos pieds sont bons ! Ils sont venus nous remettre dans ce sentier charmant de la paix. Nous entendons de nouveau dans le fond de nous-mêmes cette voie muette du Verbe, au lieu des sifflements des troupeaux, qui sont nos imaginations, le tumulte de nos pensées, qui pouvaient bien nous agiter par la réflexion, et non nous donner la paix.

Il y a encore un autre temps où ces messagers de la paix sont d'une grande utilité et consolation à l'âme. C'est lorsque Dieu la tenant dans les épreuves et dans un dénuement entier, dans la mort et dans le sépulcre, où elle est sans espoir d'en sortir jamais, après avoir passé plusieurs années dans les douleurs et les gémissements, après [444] en avoir passé dans des étranges agonies qui ne se terminent que par la mort, après avoir été couchée dans le sépulcre, y souffrir une pourriture, une dissolution de toutes les parties, et enfin après être réduit au néant, Dieu envoie ces prédicateurs de la paix qui, comme à l'autre Jésus-Christ, crient : Lazare, sortez dehors ; et alors ils retrouvent une nouvelle vie, qui vient peu à peu. Dieu se sert d'ordinaire de ces hommes apostoliques pour tirer l'âme de son sépulcre. Elle est étonnée de la nouvelle vie qu'elle reçoit, bien différente de la première. Elle éprouve non le repos d'un mort ; mais une paix pure, large, étendue, une vie sans défaillance, un jour sans ennui.

C'est bien alors qu'elle trouve des démarches dans cette nouvelle paix presque infiniment plus grandes que les premières. Que leurs pieds sont beaux, leurs affections qui ne sont produites que par la pure charité ! Elle ne peut s'empêcher d'admirer les bontés de Dieu, qui se sont répandues sur elle lorsqu'elle s'en croyait le plus indigne. Cet amour gratuit de Dieu pour elle, lui découvre qu'elle lui doit un amour pur et sans intérêt, qu'elle doit être toute consacrée à la volonté de Dieu et à sa seule gloire. Heureux ceux qui écoutent cet Évangile de paix ! Plus heureux ceux qui le gardent et le pratiquent ! Dieu nous en fasse la grâce ! Amen, Jésus !

1.64. Désolation et rétablissement de la bergerie du Seigneur.

Jusques à quand, Seigneur, serez-vous en colère contre le troupeau de votre bergerie721 ? Jusques à quand722 le laisserez-vous errant et vagabond ? Chacun suit sa propre volonté : le troupeau est dispersé ça et là ; vous ne le rappelez plus de son égarement. Autrefois vous le rameniez d'un coup de sifflet : ce n'est plus la même chose.

Comment le rappellerai-je ? Il a oublié le son de ma voix ; il ne l'entend plus ; il se disperse de tous côtés. Ils suivent avec fureur un chemin égaré ; ils bondissent au bord des précipices comme s'ils suivaient un chemin sûr ; ils vont d'égarement en égarement, d'abîme en abîme : et si je leur donne un coup de houlette pour les rappeler, ils fuient encore plus fort. Ils se révoltent contre moi ; et loin de me dire, comme autrefois l'excellent pasteur d'Israël723 : Votre houlette et votre bâton m'ont consolé, parce qu'ils m'ont ramené dans le chemin que j'avais quitté par mon égarement ; ils s'élèvent contre la verge qui les frappe ; et les chiens du troupeau loin de les ramener au bercail, leur apprennent à fuir [446] ma présence. Si quelques-uns veulent retourner à moi, et suivre leur première voie, s'ils écoutent encore ma voix, s'ils se reposent pour l'entendre, s'ils la veulent suivre et retourner à moi, ces chiens aboient si fort après, ils les houspillent et les tourmentent de telle sorte qu'ils les empêchent de m'entendre et de me suivre, et les mènent dans l'égarement des autres.

O pasteurs, pasteurs ! Je romprai la houlette que j'avais mise entre vos mains ; parce que vous en avez abusé. Vous avez battu avec fureur les brebis qui étaient faibles, malades, ou celles qui ne voulait pas suivre l'égarement des autres ; vous avez flatté celles qui suivaient le chemin égaré que vous leur montriez. Je viendrai, moi qui suis le pasteur d'Israël, et qui ne suis venu que pour sauver les brebis perdues de la maison d'Israël ; je viendrai bientôt ; et j'aborderai celles que vous avez brisées dans votre fureur ; je prendrai celles qui n'ont pu vous suivre ; je les emporterai dans une autre bergerie ; là je les instruirai moi-même, je les conduirai dans d'excellents pâturages ; elles entendront ma voix ; mon amour les conduira, je les mènerai où il me plaira, et je les ramènerai moi-même. Elles me suivront avec plaisir ; je les arracherai d'entre vos mains ; vous ne vous nourrirez plus de leur chair.

Mon indignation est tombée sur mon troupeau à cause de vous ; j'exterminerai avec vous celles que vous avez séduites. J'amènerai de toutes parts des brebis qui ne sont pas de votre bergerie ; je me ferai un troupeau qui fera mes délices ; je les reposerai sur mon sein, et je me reposerai au milieu d'elles. Je ferai entendre ma [447] voix des quatre coins de la terre. Cette voix, qui renverse les cèdres, n'épouvantera point mes brebis ; parce qu'elle sera pour elle une voix douce et insinuante ; je parlerai au milieu d'elles, je parlerai en elles. Elles ne me suivront point par la crainte du châtiment, mais par l'amour ; elles me prieront elles-mêmes de ne les point laisser égarer, de les ramener par un coup de houlette sitôt qu'elles s'échappent le moins du monde. Toujours attentives à moi elles s'ouvriront elles-mêmes ; plus elles s'oublieront pour moi, plus j'aurai soin d'elles, et plus les pâturages que je leur donnerai seront excellents. Je porterai moi-même les faibles et les lassées : les loups n'en approcheront point. Si je les tonds sans regarder les ciseaux elles tourneront leur regard amoureux sur moi et me diront : O notre divin Pasteur, faites de nous ce qu'il vous plaira, nous sommes à vous sans réserve, nous ne vous demandons qu'une grâce ; c'est que nous ne nous écartions jamais de vous. Hélas ! Divin Pasteur, des maîtres étrangers nous ont dominé sans vous : fait qu'étant en vous, nous ne nous souvenions que de vous724 ; que nous nous oublions si fort nous-mêmes, que nous ne sachions point ni où vous nous conduisez, ni par où vous nous conduisez. Ce sera là le troupeau du Seigneur lorsqu'il aura rassemblé les brebis égarées et perdues du troupeau d'Israël qu'il conduira lui-même.

Mais, Seigneur mon Dieu, n'avez-vous pas dit725 que le lion et l'agneau vivraient ensemble, que le loup ne leur serait plus contraire ? Oui, moi qui suis la vérité, je l'ai dit, et je le répète encore : mais ils ont rompu les dents des [448] petits lionceaux, de ceux qui appelaient les autres à la suite. Je les panserai, je les guérirai et je leur donnerai une voix éclatante : ils seront aussi de mon troupeau et mes bien-aimés ; leur férocité sera changée en douceur ; mais ils s'élèveront avec un grand courage contre ceux qui feront la guerre à mes brebis : après deux temps, un temps et la moitié d'un temps ils les vaincront, et les réduiront comme la poussière. Je ne veux plus d'hommes pour conduire mon troupeau : les Enfants les conduiront : et un enfant726 sera le pasteur de ces petits pasteurs qui ne seront rien d'eux-mêmes ni par eux-mêmes, mais se laisseront conduire comme des brebis.

O quand sera-ce, seigneur ? Mesure le temps si tu peux. Mais Seigneur il est innumérable, puisque ce temps est celui de votre Sagesse, devant qui bilans sont comme le jour d'hier. Non, non, ce temps est proche, annonce-le à tes frères. Mais, Seigneur, les frères ne m’écoutent pas ; ils ne me croient pas ; ils font des paroles que vous me dites, comme faisaient les Juifs de celle de saint Jean727 : ils se réjouissent pour des moments à la lumière de ce que je leur annonce, parce que la nouveauté leur plait ; l'ont-ils lu avec hâte, ils n'y pensent plus ; ils oublient comme si cela ne les regardait pas. Ils entassent matériaux sur matériaux ; et content de cela ils ne travaillent point à leur édifice, et ne m’y laissent pas travailler moi-même. J'ai crié, j'ai parlé inutilement, je me suis même souvent attiré l'indignation de ceux auxquels vous m'avez ordonné de dire la vérité ; et loin d'en profiter ils se sont tournés contre moi avec indignation ; ils ont décriés votre Esprit en moi ; ils [449] ont voulu, comme les Juifs, me surprendre en paroles pour ne point obéir à votre voix, et poursuivre leurs manières de vie. D'autres se sont égarés tout à fait, parce qu'ils s'appuyaient sur leurs propres forces ; ils m'ont caché leurs plaies, elles se sont envieillies, elles sont devenues incurables ; ils n'ont pas voulu être pansés, ils ont rejeté les remèdes salutaires ; vous les avez livrés à l'égarement de leur cœur. Que ferai-je donc ?

Demeure en repos ; je ne te demanderai plus ces brebis qui ne veulent point que leurs plaies soient bandées ; je les laisserai à l'égarement de leur cœur ; elles goûteront le miel de l'aconit et la douceur de ce poison les ennivrera ; elles ont rejeté le pain ; si elles s'empoisonnent elles-mêmes par une fausse douceur, tu n'en es plus responsable, et je les séparerai du reste du troupeau ; elle n'auront plus que du dégoût pour la nourriture solide ; et courant après la douceur, elle me rejetterons en toi, moi qui suis le Seigneur tout-puissant.

Je t'ai donné de n'avoir exception de personnes, de dire la vérité sans ménagement : Ceux qui te rejettent, me rejettent ; ceux qui te reçoivent, me reçoivent et celui qui t'a envoyé728. Je ne me laisserai gagner ni par promesse, ni par menace ; le berger m'est autant que le plus grand monarque. Je porte en mes mains les âmes des petits, dit le Seigneur tout-puissant. Amen, Jésus ! [450]

1.65. Dégât et rétablissement de l'Église.

Sur ces paroles : J'appellerai mon peuple un peuple qui n'était point mon peuple. Et je rejetterai mon héritage ; parce qu'il m'a rejeté, moi, qui était son Sauveur. Osée 2, 24. Jérémie 12, 7. Isaïe 17, 10.

Sion, pleure tes voies. On ne verra plus personne dans tes sentiers ; on ne solemnisera plus tes sabbats ; parce que tu as rejeté toi-même mes sabbats. Tes enfants se sont détournés de moi. Il n'y a plus personne qui me suive. Chacun suit sa fantaisie et sa propre volonté. Tu n'as point repris tes enfants de leurs adultères et de leur avarice. Jérusalem, qui fait mourir ceux qui te sont envoyés, ta nudité va paraître, et les jours de ton deuil sont bien proches. Tu seras renversée à cause des adultères de tes enfants. Mais après ces jours de douleurs et d'affliction, tu seras rebâtie de nouveau ; tes murs seront des saphirs ; on n'entendra plus en toi que des chants d'allégresse. Lors le sabbat du Seigneur sera établi. Le Seigneur se reposera lui-même dans le cœur de tes enfants lorsqu'ils garderont ses sabbats. [451]

Malheur à la terre qui ne s'est point reposée, qui a quitté le repos du Seigneur pour suivre ses propres inventions ! Si tu t'étais reposée, ô terre, je t'aurais comblée d'huile, de vin et de froment ; mais parce que tu n'as pas voulu entrer dans mon repos, Dieu ne produira plus que des chardons. Je retirerai mes enfants du milieu de toi. Mes enfants, dis-je, qui m'ont regardé comme leur Seigneur et qui ont gardé mes sabbats, qui m'ont aimé et pour lesquels je conserve un amour de père et de nourrice ; je les porte dans mon sein, je leur fais entendre ma voix. Mais vous, enfants de la terre, qui n'avez point écouté ma voix, qui dites : le Seigneur n'a point parlé à nous ; quoique j'ai crié de toutes mes forces ; qui avez fait les sourds et qui avez endurci votre cœur comme la pierre, j'ai juré dans ma colère que vous n'entreriez point dans mon repos. Les passants diront : qu'est devenue cette belle ville ? Où sont ces tours magnifiques ? Ils n'en reste plus de trace. On répondra: c'est l'effet de la colère du seigneur.

La nation chérie ne sera plus la nation chérie. Je ferai venir des peuples de tous les endroits de la terre qui me croiront ce que je suis, qui m'adoreront comme je veux être adoré, qui m'aimerons comme je veux être aimé. Non, je ne donnerai point ma gloire à un autre. J'en suis jaloux, moi qui suis le Seigneur et le dominateur de toutes choses. Toute la terre sera remplie de ma Majesté. On ne dira plus alors : allons écouter le, allons le consulter ; car mon esprit se répandra sur toute chair. J'enseignerai moi-même mes enfants ; ils me reconnaîtront pour le pasteur et l'évêque de leurs âmes [452].

Vous, pasteurs idoles, qui vous dites les prêtres du très Haut, et qui vous rendez comme les Dieu de mon peuple ; qui vous regardez comme son Sauveur, qui anticipez sur mes droits, et qui empêchez mes enfants de venir à moi ; qui dites : Paix, paix où il n'y a point de paix, qui vous dites les ministres de la vérité : chacun dit: C'est moi qui ait la vérité, venez à moi, les autres vous enseignent le mensonge. Vous êtes tous menteurs, et la vérité n'est point en vous. C'est moi qui enseigne la vérité par le dedans ; et sans bruit de paroles je me fais entendre à mes brebis. Ô vous, qui mangez leur chair, qui buvez leur lait et vous vêtez de leur laine, pourquoi les empêchez-vous de venir dans ces pâturages gras que je leur ai préparés et auxquels je les invite ? Pourquoi les empêchez-vous devenir se désaltérer à cette source d'eau vive, que je leur ai promise et que je leur veux donner ? Vous ne leur donnez que des eaux bourbeuses, qui loin de les désaltérer les altèrent encore davantage. Lorsqu'elles sont blessées vous augmentez leurs plaies, afin qu'on ait toujours recours à vous, qui ne les pouvez guérir ; vous ne bandez par leurs ruptures ; et lorsqu'elles sont boiteuses, vous les faites clocher des deux côtés. Pourquoi en usez-vous de la sorte ? Je vais venir dans ma fureur ; je vous redemanderai jusqu'à l'ongle de celles que vous avez égarées et perdues. C'est moi qui suis le Seigneur tout-puissant, qui fait des choses merveilleuses et sans nombre : c'est moi qui suis le Dieu des vengeances. Je fais miséricorde à ceux qui me craignent ; mais je fais des miséricordes à milliers de ceux qui m'aiment, dit le Seigneur tout-puissant.[453]

1.66. Le vrai Pasteur, son entrée, sa voix, ses brebis.

Sur ces paroles : En vérité, en vérité, je vous dis que celui qui n'entre point par la porte dans la bergerie, et qui y entre par un autre endroit, est un larron et un voleur. Jean 10, 1.

Il n'y a que le Verbe, qui étant le vrai Pasteur, entre par la porte. Quelle est cette porte sinon le centre de l'âme ? Tous ceux qui entrent par les sens, et même par les puissances, en un bon sens, sont des voleurs. Les voleurs ne viennent que pour attraper et pour perdre729. Tout ce qui entre par les sens, sont comme des oiseaux de proie, qui ne vivent que de rapines ; ils nous ôtent notre liberté, nous captivent par les choses créées, qui sont la pâture des sens. Ceux qui entrent par les puissances, sont des voleurs plus subtils, qui ne vivent que d'usurpations et d'appropriations. Le Verbe seul entre par l'intime de l'âme : il se fait aimer et entendre du cœur. [454].

Ce sont ses vraies brebis qui entendent sa voix muette et infiniment expressive : ceux qui ne sont pas de sa bergerie, n'entendent pas cette voie adorable ; quoiqu'il crie de toutes ses forces, Quiconque est simple, vienne à moi730. D'où vient que vous criez si fort, ô mon Dieu, et que cependant nul ne vient à vous ? C'est que nul n'est simple : car s'ils étaient simples vous n'auriez que faire de crier : ils entendraient cette voie muette autant qu'éloquente : vous les feriez venir à vous d'un coup de sifflet. Vos brebis vous connaissent ; elles vous aiment. S'il s'en écarte quelqu'une, vous la faite revenir d'un coup de houlette ; si elles sont boiteuses, vous les portez au bercail. Il n'y a donc que vos brebis qui entendent votre voix. Comment les autres l'entendraient-ils ? eux qui parlent sans cesse, et qui font un si grand bruit que lorsque vous criez de toutes vos forces, ils disent que vous ne leur dites rien : pendant que vos brebis vous entendent au moindre signal. Ces vrai brebis n'ont garde de se plaindre de votre silence : elles savent trop que vous n'êtes point un moment sans parler ; que moins votre voix est intelligible aux sens et à l'esprit humain, plus elle est profonde et efficace. Que les autres se plaignent de votre silence, je n'en suis point surprise : c'est que n'étant pas de vos brebis, ils n'entendent point la délicatesse de ce parler adorable.

Mais, cher Amour, ne vous fâcherait-je point si je vous dis, que quoique vous soyez le véritable Pasteur, et que vous entriez par la porte, vous êtes cependant le plus grand de tous les voleurs ? Vous arrachez tout à vos brebis ; et quand il ne leur reste plus rien, vous les détruisez [455] et les perdez encore. Mais non ; non, Amour ; vous n'enlevez que ce qui n'est pas vous et à vous ; vous ne détruisez que ce qui vous est contraire ; vous les perdez (il est vrai) sans ressource ; mais où ? En vous-même ; vous leur donnez d'excellents pâturages, plus que vous les nourrissez de vous-même ; vous de vous engraisser pas de leur chair ; mais ne vous les engraisser de la vôtre ; vous les abreuvez de votre sang ; vous les menez dans des lieux spacieux, qui sont les saints immenses de votre Père. Là vous en faites vos délices, comme vous faites les leurs.

O Amour, quand sera-ce qu'il n'y aura plus qu'un seul Pasteur, et un seul troupeau 731? Vous en avez donné votre parole. Quand l'exécuterez-vous ? Quand sera-ce que toutes ces brebis se rassembleront auprès de vous, qu'elles ne seront plus vagabondes ni dispersées ? Ce sera alors qu'elles entendront votre voie, vous n'aurez plus que faire de crier dans les places publiques. Car il faut que cet autre passage s'accomplisse, où vous dites732 : On ne l'entendra point crier dans les places publiques ; on n'entendra point le bruit de sa voix. Vous criez pour amener les brebis au bercail. Elles n'y sont pas plus tôt, qu'on n'entend plus de bruit : tout est calme et en silence. O Pasteur adorable ! Accomplissez vos promesses, vous qui avez dit733, qu'il ne se perdrait aucune de vos paroles, et qu'elles seraient accomplies. Car vous avez parlé par votre Prophète ; et il faut que cette paroles soient accomplie ; vous avez parlé par vous-même étant sur terre ; et vous parlez incessamment dans nos cœurs. Comment pourriez-vous ne point parler, ô divin Verbe, vous qui êtes la Parole éternelle que [456] le Père a toujours parlé, qu'il parle sans cesse, et qu'il parlera éternellement ? N'endurcissons point nos cœurs comme les Israélites dans le désert734, qui ne voulurent point entendre sa voix. Hélas ! À présent le monde est un désert ; parce que Dieu n'y habite pas ; et autrefois les déserts n'étaient point déserts parce qu'ils étaient pleins de Dieu.

1.67. Le fidèle ami.

Sur ces paroles : Celui qui a trouvé un ami fidèle, a trouvé un trésor. Ecclésiastique 6,14.

Presque personne735 ne peut dire avoir trouvé cet ami fidèle. On s'aime et on se cherche trop soi-même pour être fidèle dans son amitié. Quelque protestation qu'on fasse, le temps ou les afflictions dissipent ces amis. Sitôt qu'on est dans l'adversité, dans la disgrâce, dans l'humiliation, on rougit du nom de cet ami, et on ne le veut plus le connaître. Un petit défaut dans la vie nous blesse et nous irrite : enfin on ne trouve point de véritables amis sur la terre. Mille réserves: si on dit la vérité à son ami il devient froid et de glace. [457]

il n'y a qu'un véritable ami, qui ne se rebute jamais dit de nos défauts et de nos misères. La vérité habite en lui. Plus nous sommes faibles, abattu, disgraciés, plus il nous chérit. Il est avec nous dans l'adversité736 : (cum ipso sum in tribulatione). Il ne nous abandonne point. Il panse nos plaies ; il porte nos langueurs. Si nous tombons, il nous relève, il nous soutient. Il nous pardonne les offenses que nous commettons contre lui ; il nous comble de bienfaits malgré nos ingratitudes ; non seulement il remet nos dettes, mais il les paie de tout lui-même. Nous ne devons pas craindre que l'absence le refroidisse ; il demeure toujours avec vous ; il nous accompagne dans tous nos voyages, nous montre le chemin, nous défend de tous nos ennemis. Il ne varie jamais ; notre inconstance ne le rend point inconstant ; si nous nous éloignons de lui, il nous rappelle ; si nous le fuyons, il nous cherche ; si en nous éloignant nous nous égarons, il nous ramène dans le droit chemin ; si nous sommes faibles ou lassés, il nous porte ; il ne se rebute jamais, il ne se dégoûte point de nos bassesses et saletés. Si nous tombons, il nous relève ; si nous nous salissons, il nous lave, il nous purifie ; il nous donne sans cesse des marques de sa fidélité quoique notre cœur ingrat l'oublie et lui fasse souvent d'indignes préférences.

C'est là l'ami véritablement fidèle auquel nous devons nous attacher : il ne nous manquera pas. Si nous lui fermons la porte de notre maison, il s'assied à la porte737, jusqu'à ce que nous la lui ouvrions ; mais sitôt que nous l'ouvrons, il entre, il nous pardonne, il ne nous fait point [458] de reproches, il agit envers nous avec la même cordialité que si nous ne l'avions pas offensé ; il nous ouvre ce trésor, nous en laisse la disposition jusqu'à se rendre pauvre pour nous738.

O fidélité, fidélité peu reconnue ! Ô ludique et véritable ami ! C'est vous que je choisis pour jamais. Je veux que vous êtes plus : je veux vous suivre parmi les ronces et les épines ; je veux, comme vous, porter le poids du jour : puisque vous vous êtes appauvri pour moi, je veux être pauvre avec vous ; je veux souffrir avec vous et mourir pour vous. Que ne m'avez-vous point donné, et que puis-je vous rendre ? Vous êtes mon trésor. Je vous ai trouvé, ô trop aimable et très cher ami ; je ne vous laisserai point aller739. Que je perde toute chose, et moi-même, plutôt que de vous perdre ! Ôtez-moi tout, laissez-moi ce seul bien, et j'aurais tout, quoique dépouillé de tout le reste. Ôtez-moi encore à moi-même, afin que je vous aime plus purement. Unissez-moi à vous, afin que je n'en sois jamais séparé ; faites plus ; faites-moi passer en vous ; changez-moi, transformez-moi en vous ; qu’il n’y ait plus que vous sans moi, qu’il n'y ait plus de dissemblance, plus deux, mais un seul, qui est vous. Cachez-moi, anéantissez-moi, détruisez moi. Que non seulement je rende amour pour amour ; c'est trop peu ; mais que je m'abîme et me perde dans votre amour, sans qu'il soit jamais fait mention de moi. Ô si le feu n'est pas assez ardent, augmenter son ardeur, afin qu'il me détruise plus promptement et me change en vous ! Ô feu sacré, vous êtes ma seule ressource pour reconnaître un ami si fidèle : achevez de me consumer. [459]

Je languis dans cette terre déserte et sans eau740 : et quoique vous soyez si proches, que vous soyez en moi et moi en vous, je demande à tous ceux que je rencontre des nouvelles de mon Bien-aimé. Hélas, ils ne savent qui vous est ! Quelques-uns vous connaissent et vous aiment : mais ils aiment tant de choses avec vous, qu'ils ne peuvent passer pour vos amis. D'autres protestent qu'ils en veulent être ; mais sitôt qu'on parle de se renoncer, de se quitter soi-même, ils deviennent froid et insensibles ; ils aiment vos biens et non vous-même ; sitôt que vous retirez vos faveurs pour éprouver leur amour, ils cherchent de vains amusements. Je ne vois personne à votre suite sitôt que la douleur, les peines, les renversements commencent à paraître.

Ô ami fidèle, faites-vous des cœurs fidèles et dignes de vous. Et comme vous ne vous rebutez pas de nos misères, fait que nous n'ayons jamais de dégoût de vos opprobres ! Ô croix ! Ô confusion ! Ô ignominies ! Ô douleur ! Ô privation ! Ô dépouillement entier ! Ô nuit ! Ô mort ! Je veux vous aimer puisque vous plaisez à mon ami. Je ne dois estimer que ce qu'il estime, haïr ce qu'il est, mépriser ce qu'il méprise. Non, non, rien hors de lui ne sera le sujet de ma complaisance. Je ne veux d'autre gloire que la sienne, d'autre amour que le sien. La confusion sera ma gloire, puisqu'il en est glorifié. Mais que dis-je ? Plus de gloire, de confusion, de joie, de bonheur ! Que tout s'écoule et se perde avec moi en lui pour jamais ! Amen, Jésus ! [460]

*1.68. Qualités des vrais envoyés de Dieu.

Sur ces paroles : Ne portez ni souliers, ni bâton, ni or, ni argent, ni besace, etc. Matth. 10, 9-10.

1. Lorsque Jésus-Christ envoie ses disciples à la conquête de âmes, il semble établir deux choses opposées, car il leur dit741 : Donnez gratuitement ce que vous avez reçu gratuitement, et peu après : Tout ouvrier mérite salaire.

C’est qu’il y a deux sortes de personnes : des imparfaits et des parfaits. Il permet aux imparfaits de travailler pour la récompense : ils ont encore besoin de ces motifs pour agir, sans quoi ils auraient de la peine à faire quelque chose ; le désir de la récompense leur sert comme de véhicule pour les faire marcher et Dieu ne leur donne pas même la lumière d’une disposition plus épurée. Mais lorsqu’il parle aux parfaits, il leur dit : Donnez gratuitement comme vous avez reçu gratuitement : c’est mon amour qui vous a choisi sans aucun mérite de votre part, faites tout aussi pour mon amour et pour la seule gloire de [461] celui à qui vous devez tout, faites-le gratuitement, que le souvenir de la récompense ne se présente pas même à vous dans tout ce que vous faites.

2. Il apprend ensuite à ces parfaits l’état où ils doivent être pour faire des conversions efficaces. Ne portez point de souliers, c’est-à-dire soyez entièrement dépouillés de toute affection, quelle qu’elle soit, de toute partialité, car l’affection jette de la poudre aux yeux, empêche de connaître la vérité et de la dire telle qu’elle est : elle fait faire des préférences naturelles, au lieu qu’étant dégagés de toute affection, j’inclinerai moi-même vos cœurs selon le besoin et selon le dessein que j’ai sur les âmes. C’est moi qui dois faire les unions, qui seront d’autant plus pures et plus fortes que vous ne vous y porterez point par vous-mêmes. Vous serez en état de discerner les esprits parce que vous les discernerez par moi et un goût secret que je vous donnerai, et non par les inclinations naturelles, car je ne m’arrête pas à l’apparence, mais je vois le fond du cœur. Lorsque je commandais à Samuel d’aller sacrer un des Fils d’Isaïe, ce Prophète742 en voyant un parfaitement bien fait, son extérieur l’inclina d’abord et il l’aurait sacré contre ma volonté si mon Esprit, auquel il était toujours attentif, ne l’en eut dissuadé. C’est donc le dépouillement de toute affection, de tout goût, de tout choix, de tout ce qui paraît au-dehors, que je veux dans mon Apôtre, afin qu’il soit en état de suivre ma pure motion, et non simplement le dépouillement extérieur de souliers.

Mais il est arrivé par un renversement étrange qu’on a pris toutes mes paroles à la lettre, ne [462] regardant que ce qu’elles ont d’extérieur, sans en pénétrer l’esprit : on en prend le moins, on en laisse le plus. Je n’empêche pas qu’on n’observe l’un et l’autre, mais il ne faut pas s’arrêter simplement à une chaussure extérieure si on ne dépouille absolument de toutes choses, quelles qu’elles soient. Les saints fondateurs des ordres déchaussés ont plutôt donné cela à leurs enfants pour leur être un signe et un souvenir perpétuel du dépouillement de toutes choses : aussi ont-ils ajouté à cela les trois vœux de pauvreté, de chasteté et d’obéissance, marquant par la pauvreté une entière désappropriation intérieure et extérieure ; et par ce premier vœu, ils consacrent leur esprit. La chasteté marque un détachement de toute affection et de tous plaisirs ; et par là, ils consacrent leur corps. De même qu’ils consacrent leur volonté par l’obéissance qui ne doit leur en laisser aucun usage, les privant de choix, de désirs et de tout ce qui appartient à la volonté. C’est là marcher sans souliers.

3. Lorsque Notre Seigneur leur dit [aux parfaits] de ne porter point de bâton, il leur enseigne le dépouillement de tout appui, quel qu’il soit, hors de lui : il ne veut point qu’ils en aient en aucune de leurs œuvres ni pour quelque chose qu’il veuille faire par eux et en eux. Rien ne doit appuyer le vrai serviteur de Dieu, mais il doit marcher dénué de tout appui. Le bâton appuie, mais il embarrasse quelquefois : il en est ainsi de l’appui qu’on prend dans les choses créées.

4. Lorsqu’il leur dit de ne porter ni or, ni argent, il leur enseigne la pauvreté spirituelle. Il leur défend d’amasser aucuns trésors et de faire des réserves des vertus qu’ils pratiquent dans les grands emplois : c’est une charge dont il [463] faut se dépouiller et remettre à Dieu toutes les richesses spirituelles, ce qui est bien représenté par l’argent. Ils doivent même être dépouillés de la charité (représentée par l’or) en tant que la regardant en eux et à eux ; ils ne réfèrent pas tout entière à Dieu pour ne l’aimer que par son amour même, s’en rendant propriétaires. Ils en font aussi de même de cette charité dérivante qui leur fait exposer leur vie pour le salut de leurs frères : ils ne doivent regarder en cela que la seule gloire de Dieu, sans vouloir amasser des trésors de mérites.

Ô Seigneur, dit un véritable Apôtre, quand j’aurais le mérite de tous les saints, quand j’endurerais tous les martyres qu’ils ont endurés, je vous ferais présent de tous ces mérites et je n’en voudrais retenir pas un seul pour moi. Je voudrais me livrer en vos mains comme le plus grand pêcheur, afin que vous disposassiez de moi en temps et en éternité selon votre sainte volonté. Je voudrais rester dans mon néant. Je ne crains point la perte de toutes les récompenses, mais je crains la moindre usurpation et la moindre appropriation plus que l’enfer.

5. Jésus-Christ leur dit de ne point porter de besace, c’est-à-dire de provision, parce que l’Apôtre doit vivre extérieurement et intérieurement abandonné à la divine Providence, sans prévoyance, sans soin ni souci de l’avenir. L’abandon au moment divin est une des qualités les plus nécessaires à un Apôtre. Dieu prend d’autant plus de soin de lui qu’il s’oublie davantage pour Dieu. Cet abandon doit être sans réserve et doit s’étendre sur tout, sans jamais se démentir ni se reprendre. Dieu nous fasse la grâce qu’il y ait bien de tels Apôtres !

1.69. Instruments de Dieu, inconnus et rejetés.

Sur ces paroles : Je suis étranger à des frères, et inconnue aux enfants dans la mer. Je suis comme le pélican des déserts. Ps. 68,9 et Ps. 101, 7.

Il est vrai, mon Amour, que mon cœur est entièrement solitaire quoiqu'au milieu du monde ; personne ne lui correspond ; vous éloignez de moi ceux que vous obligez d'aimer et auquel vous m’unissez si étroitement. Mais que dis-je, ô Amour ? Vous n'êtes point contraire à vous-même. Ce sont eux qui s'éloignent contre votre volonté, qui refuse les grâces que vous leur voulez faire. Je suis au milieu de comme étrangère. Vos enfants ne me connaissent point ; parce qu'ils ne peuvent me connaître que par votre cœur. Vous m'avez rendu comme un pélican, qui perçait moi-même mon sein pour leur fournir la nourriture. Ils ont méprisé cette nourriture ; elle leur est devenue insipide. Je suis donc retirée dans ces déserts, où je vous trouve seul, ô Jésus, vous qui êtes ce divin pélican, qui non content de [465] faire ouvrir votre cœur pour nourrir vos enfants, vous êtes faits vous-même leur nourriture. Vous leur avez donné et vous leur donnez encore votre chair pour être leur nourriture. Cependant loin de reconnaître tant de bienfaits, il voulait seul dans ce lieu désert, vous vivez avec les cœurs déserts et séparés de toutes choses et d'eux-mêmes.

Ce sont ces cœurs que vous avez choisis pour votre retraite : mais qu'ils sont rares ! Ceux qui ne vous aiment pas les haïssent ; ceux qui vous méprise les méprisent. Il y a que ceux qui vous aiment qui les aiment, parce qu'ils ne sont connus que de vous et de ceux qui vous connaissent. Ô sacré désert, où n'habitent que des cœurs déserts ! Ô Amour, vous vous promenez dans ces vastes solitudes où vous ne rencontrez que vous quelque part que vous alliez ; vous attirez l'âme à cette solitude que vous gardez en vous-même de toute éternité ; et lorsque vous l'avez affermi dans cette admirable solitude, vous [lui] faites comme vous avez fait vous-mêmes ; vous lui donnez des ailes comme à un pélican, vous l'envoyez avec ses frères, qui sont vos enfants, afin de les instruire de ces paroles de vie, dont elle est que l'organe, puisque c'est vous qui en est le Principe. Vous fait couler par elle cette nourriture substantielle, que vous désirez avec ardeur de donner à vos enfants. Mais comme presque tous les hommes ont été sourds à votre voix émanée de vous-même, ils sont encore sourds à cette parole que vous poussez par sa voix. S'il y en a si peu qui vous écoutent, ô divine Parole, il y en a encore moins qui vous reçoivent en nourriture substantielle, et il n'y en a [466] presque point qui en veulent lorsque vous la faites passer par un canal si pauvre et si misérable.

Que ferai-je donc, divin Amour ? Vous me dites toujours : patience ; et vous m'assurez que, quoique vos disciples écoutassent et reçussent avec plaisir votre divine parole, le seul saint Jean, disciple de la dilection, recevait en se reposant sur votre poitrine sacrée cette substance ineffable que vous lui communiquiez. Vous l’attiriez à la solitude de votre cœur, et par celle-là à celle dont vous avez joui toute éternité dans le sein de votre Père. C'est sur cet admirable cœur qui le puisse faire cette admirable parole : In principio erat Verbum743, etc. de cet Evangile divin. C'est de lui sans doute que David parlait lorsqu'il a dit744 : Éructavit cor meum verbum bonum ; ou plutôt, c'est de votre cœur même, qui par la voie de saint Jean a poussé ces admirables paroles. Ce sont plusieurs mots expressifs qui ne sont qu'une seule parole ; et cette parole est vous-même, Verbe-Dieu, qui avez été parlé de toute éternité dans le sein de votre Père, qui l’êtes incessamment, et qui êtes venu dans la plénitude des temps pour nous imprimer cette parole745 : Et verbum caro factum est, et habitavit in nobis.

Oui, cette parole, ce Verbe éternel est venu habiter parmi nous et en nous : Mais les [467] siens746 ne l’on point connu ; c'est pourquoi ils ne l’ont point reçu : et pourquoi ? C'est qu'il était étranger à ses frères, inconnue aux enfants de sa mère. Qui est-ce donc qui vous a reçu, ô divine Parole ? Ce sont ceux à qui il a été donné d'être fait enfants de Dieu, qui ne sont point nés de la chair, ni de la volonté de l'homme ; mais de la volonté de Dieu. Il n’y en a presque point à présent, ô divin Verbe, parole éternelle et substantielle, qui vous reçoivent.

Qu'est-ce être né de la volonté de Dieu ? C'est avoir perdu tout ce qui est de la volonté de la chair et de l’homme. Dans la volonté de Dieu on perd premièrement la volonté de la chair, par le combat et l'extinction des passions déréglées ; ce qui saint Paul appelle l'homme animal747 ; et on perd ensuite cette volonté propre de l'homme ; qui lorsqu'elle n'est pas soumise, conforme et uniforme, reste toujours propriétaire ; mais lorsqu'elle est devenue uniforme, elle s'unit, se perd et se mélange si fort en celle de Dieu, qu'elle est faite volonté de Dieu, pour ainsi dire. C'est alors que le vieil homme étant détruit, on est régénérée par cette nouvelle naissance748 dont parlait Jésus-Christ à Nicodème ; on est alors véritablement né de la volonté de Dieu.

Ce sont ceux qui sont régénérés de la sorte en qui vous habitez, ô divin Verbe ; mais les autres ne vous connaissent ni en vous-même ni en vos instruments. La source de toute méprise est, parce que vous avez pris une chair semblable à la nôtre. On aurait donné la qualité de Messie à votre précurseur s'il avait voulu l'usurper ; parce que sa vie était plus [468] extraordinaire que la vôtre, et qu'on ne fait cas que de ce qu'il y a d'extraordinaire dans les hommes. Ils furent moins frappés de vos miracles que de l'extrême pénitence de saint Jean, et ces mêmes miracles semblent être effacés par ce dehors commun.

Ce seront jamais, ô divin Verbe, ceux qui sont nés de la chair ni de la volonté de l'homme qui vous reconnaîtront ni en vous-même ni en vos instruments choisis ; mais ceux qui sont nés de Dieu, et qui sont appelés dans ce désert d’eux-mêmes où ils ne trouvent que vous seul. Hélas, Amour ! Celui que vous avez rendu pélican pour voler vers les hommes et pour les nourrir, vous y voyant étranger et inconnu, celui-là, dis-je, n'est-il pas tenté de vous demander de nouveau les ailes de la colombe afin de voler749 en vous, et de s'y reposer à jamais ? Mais comme ce pélican n'a plus de volonté, il attend que vous rompiez vous-même ces liens afin de vous offrir une hostie de louange750. Il a pris le calice de salut que vous lui avez donné à boire, les croix, les mépris, les renversements, les humiliations, etc. Il ne lui reste donc plus qu'à vous offrir ce sacrifice de louange. Je ne refuse pas d'être le Pélican du désert tant qu'il vous plaira, si je puis être utile à vos enfants ; mais lorsque vous aurez brisé mes liens, et que vous m'aurez donné les ailes de la colombe, je vous offrirai un sacrifice de louanges immortelles. Amen, Jésus ! [469]

1.70. Complainte sur ce qu'il se trouve si peu d'âmes qui correspondent à l'appel et aux desseins de Dieu.

O Amour, que ferai-je à présent sur la terre ? Je ne trouve personne qui me corresponde. Je ne trouve que des cœurs sauvages. Ce sont des cœurs pleins d'eux-mêmes, et vide de vous. Jusqu'à quand me laisserez-vous dans cette vallée de larmes ? Presque tout ce que je vois m’est un supplice. Des gens qui veulent passer pour vos enfants et qui sont si éloignés de l’être, des gens durs de cœur, en qui la simplicité et la vérité n'a point d'accès ; ces cœurs sont pour moi comme des buissons hérissés d'épines, qui piquent et repoussent mon cœur, qui est le cœur de mon divin petit maître751. Ayez pitié de moi, ô mon fidèle Ami, ayez pitié de moi. Ou que je ne me voie plus personne, ou donnez-moi des cœurs qui correspondent. Délivrez-moi de tous les amateurs d'eux-mêmes, qui se disent vos enfants et qui sont infiniment loin d'être de ce nombre. Hélas ! Je soupire dans cette vallée de larmes, je souffre auprès de ces personnes un tourment inexplicable.

O amateurs de vous-mêmes, que vous êtes éloignés du petit et humble Jésus-Christ ! Vous qui fait qui vous faites une gloire de votre dureté, qui regardez vos défauts comme des vertus et les vertus des autres comme des défauts, vous qui [470] vous recherchez en tout ce que vous faites, Jésus-Christ a bien besoin d'un instrument comme vous ! Il n'en veut point. Vous êtes vous-même l'agent qui voulez remuer le seigneur et le maître. Vous voulez le conduire, et non qu'il vous conduise. Je ne puis supporter ces personnes ; O mon seigneur Jésus. Délivrez-moi, seigneur, pour la gloire de votre nom ! Amen, Jésus !

§

[Ce tome I est suivi d’une « Table des matières principales » utile pour rechercher des thèmes, pages 471 à 488, puis d’une « Table des passages de l’Ecriture qui ont servi de sujets à la plupart des Discours spirituels », pages 489-490, enfin d’un Errata, page non numérotée.

Pour le tome II nous avons eu recours à la réédition par Dutoit-Membrini, strictement identique - respectant la pagination même - parue en 1790 752.]

Discours, Tome second

*2.01. Abrégé des principes et de la voie chrétienne et intérieure.

Le principe fondamental est celui-ci : que Dieu est notre principe, et qu'il est aussi notre dernière fin ; qu'il nous a créés comme principe, pour nous faire entrer dans lui-même, puisqu'il est notre fin ; que le premier dessein qu'il a eu en nous créant, a été de nous unir à lui ; c'est pourquoi il nous a créé à son image et ressemblance, nous formant d'une manière propre à être faits une même chose avec lui ; ce dont notre Seigneur a demandé pour nous [2] l'accomplissement lorsqu'il a dit753, Mon père, qu'ils soient un comme nous sommes un ; et que tout soit consommé en l'unité. Tous les saints dans le ciel seront consommées dans l'unité, et il n'y entrera aucun qui ne soit uni à Dieu par grâce et amour très épuré.

On peut être uni à Dieu dès cette vie, quoique moins parfaitement ; et cette union se fait par l'exercice continuel des trois vertus théologales, qui se trouve enfermées dans ces demandes : que votre règne arrive, et que votre volonté soit faite dans la terre comme au ciel ! Que votre règne arrive ; c'est l'exercice de la foi et l'espérance ; que votre volonté soit faite ; c'est l'exercice de l'amour, qui rend l'âme conforme à Dieu en lui donnant une volonté souple et pliable à tous ses vouloirs : et l’âme à force de se conformer à Dieu par amour, et par union continuelle à toutes ses volontés, lui est fait peu à peu conforme, et enfin est unie à lui.

Au commencement cela se fait par la résignation à la volonté de Dieu par amour : l'amour devenant plus fort, la volonté plus assujettie se conforme à Dieu ; et l'amour devenant toujours plus excellent, elle est faite une avec Dieu par participation. Que cela puisse être dès cette vie, la demande que Jésus-Christ nous fait faire dans le Pater, et celle qu’il fait lui-même pour nous après la Cène, nous le marquent.

Ceci supposé, je dis qu'il y a des moyens pour arriver à cette fin, qui n'est autre que l'union à notre premier principe. Ces moyens ne sont point autres que Jésus-Christ lui-même : car nul n'ira jamais à son père que par lui754 ; [3] mais aussi, nul ne peut aller à lui, si son Père ne l'attire755.

Cet attrait du père est la parfaite conversion, qui fait que l'homme qui s'était détourné de Dieu, qui est son premier principe, se tourne vers son origine qui l'attire pour le rendre de nouveau conforme à l'image de son Fils, comme il l'avait créé.

Lorsque le Père a attiré et converti l'âme de cette sorte à lui, si elle lui est fidèle, et qu'elle ne se détourne plus de lui par de nouveau péché mortel, car tout autant qu'elle en commet, tout autant elle a besoin de conversion ; lors, dis-je, que par une bonté singulière de Dieu, elle ne retourne plus à ses premiers désordres, Jésus-Christ qui se l’est rendue conforme, la prend lui-même et la conduit jusqu'en sa fin, où il la cache avec lui en Dieu, comme dit saint Paul756. Il la prend, dis-je, et il la conduit premièrement, comme voie757, il l'instruit comme vérité, et l'anime comme vie ; et ce dernier fait l'union à sa fin, où l'âme étant arrivée ce n'est plus elle qui vit, mais Jésus-Christ vit en elle758. Tout roule là-dessus ; et ce qui n'est point cela, est une spiritualité que je proteste d'ignorer. Il est vrai que Jésus-Christ prend ces trois termes à l'égard de l’âme qu'il conduit ; et c'est ce qui fait toute la voie intérieure, et les différentes routes par où il la conduit.

Jésus-Christ comme voie mène l'âme par la pratique de toutes les vertus, et la fait marcher par où il a passé tant intérieurement qu'extérieurement. Il conduit l'âme par le renoncement [4] continuel, la meut à tout, il la crucifie continuellement ; et c'est de cette sorte qu'il se fait suivre d'elle. Mais comme il y a bien peu d'âmes assez généreuses pour vouloir aller avec lui par une voie si opposée à la vie de la nature, c'est ce qui fait que peu d'âmes passent outre, et parviennent à est instruite de lui comme vérité, et encore moins à être animé de lui comme vie. La raison de cela est, que pour être instruite de Jésus-Christ comme vérité, il faut se laisser détromper de la fausse lueur des maximes du siècle, qui trouble notre raison ; et c'est ce qui s'opère par l'exercice continuel de la foi et l'espérance. On ne peut non plus se laisser animer de Jésus-Christ comme vie ; parce que pour cela, il faut mourir entièrement à la vie d'Adam, et détruire entièrement ce qui est du vieil homme, sans quoi l'homme nouveau ne viendra point être notre vie.

Lorsque Jésus-Christ nous instruit comme vérité, il est certain qu'il se fait écouter de l’âme. Il la met pour cela dans un certain silence des puissances où la raison se tait, afin de donner lieu à la foi de prendre le dessus ; la mémoire semble être comme absorbée dans l'espérance ; et la volonté par l'amour.

Jésus-Christ comme vérité n’instruit l'âme que de la vérité. Et quelle est cette vérité ? Car il ne s'agit point ici de brillants extraordinaires, de visions, révélations, extases et le reste, qui ne sont point de la voie dont je parle, quoique Dieu en puis gratifier quelqu'un ; mais il ne s'agit pas de cela ici. Quelle est cette vérité dont il instruit l’âme? C'est du Tout de Dieu, et du rien de la créature ; ce qui fait que ne pouvant se rien attribuer que le mal, [5] et voyant Tout être de Dieu est à Dieu, elle demeure autant humiliée à son égard, quelques grandes choses que Dieu puisse faire en elle et par elle, qu'elle demeure souple et pliable sous ses divins vouloirs, lesquels elle trouve justes, quelque rigoureux qu'ils lui paraissent. Elle ne croit pas alors qu'on lui fasse de tort quelque mépris que l'on ait pour elle ; parce que le rien ne mérite aucune estime. Ainsi, par cette vérité, elle demeure soumise, résignée à son Dieu, sans nul appui sur soi, comprenant qu'elle n’a de propre que le néant et le péché.

C'est cette vérité qui la porte à se laisser détruire en toute manière par les croix et les renversements ; c'est elle qui la fait aimer Dieu souverainement, et espérer en lui contre l'espérance même, croire et se confier en lui au-dessus de tout ; et c'est par là que peu à peu Dieu détruit cette vie d'Adam pour y substituer la vie de Jésus-Christ. Et comme l’âme lui a été conforme dans sa mort, elle lui est conforme dans sa résurrection, jouissant, même ici-bas, des fruits de la nouvelle vie en Jésus-Christ où elle demeure cachée avec lui en Dieu, perdue et abîmée dans ce souverain être.

2.02. Avis généraux pour une personne qui veut se donner à Dieu sincèrement.

[6] 1. Je veux de tout mon cœur seconder le dessein que vous avez de vous donner à Dieu, et vous aider dans un chemin si contraire à celui que vous avez tenu jusqu'à présent. Saint Paul voulait que les chrétiens s’aidassent les uns les autres. C'était la coutume des premiers chrétiens de mettre tous leurs biens en commun et de participer à leurs travaux mutuels : pourquoi ne le ferions-nous pas dans ce siècle ? Si notre Seigneur m'a fait quelques miséricordes, avec quel plaisir vous en ferais-je transport non seulement à vous, qui m’êtes singulièrement chère, mais à toutes les personnes qui, voulant s'embarquer dans le chemin du salut, ont besoin d'un vent favorable pour s'éloigner des vanités du siècle ? Que je partagerais volontiers avec vous et avec eux les travaux de la pénitence qu'ils doivent faire !

2. Tout chrétien pécheur est obligé, s'il veut être admis dans le chemin du salut, de se convertir à Dieu et d'embrasser les travaux de la pénitence. La conversion et la pénitence sont inséparables l'une de l'autre. Il faut qu'elles soient conformes à la nature du dérèglement dans lequel on a vécu : celui qui s'est égaré longtemps dans le chemin de l'iniquité, suivant la voie de l’injustice, a besoin, selon les règles ordinaires, d'un plus long chemin pour revenir à Dieu. [7]

3. La conversion s'opère en deux manières. L'une se fait tout d'un coup. C'est une touche vive et profonde, qui ayant blessé le cœur de l'homme d'une douleur autant véhémente qu'elle est sincère, fond et dissout, pour ainsi dire, le cœur du pécheur par sa vivacité, et le change en un moment de telle sorte qu'il se trouve de l'aversion pour ce qu'il aimait ardemment, et de l'amour pour ce qu'il haïssait. Le vent du Saint-Esprit le pousse avec tant d'impétuosité qu’il semble faire en un moment le chemin de plusieurs années. Ô que ceux qui sont pris de cette sorte sont heureux, mais qu'ils sont rares ! Ce fut la conversion de Madeleine, de saint Paul et de bien d'autres saints.

Ce sont des conversions toutes d'amour, où la crainte n'a aucune part. L'amour, comme un feu consumant, détruit en un instant toutes les impuretés de cette âme, comme nous voyons un fort incendie consumer en un moment le bois avec toutes ses humidités, au lieu qu’un feu médiocre les combat longtemps avant de les surmonter. Le feu sacré de l'amour brûle, purifie et dissout le cœur de telle sorte que ce cœur semble se convertir en eau par l'abondance des larmes qu’il fait répandre, mais larmes pleines de douceurs et d'amour. Tout l'intérêt de la créature se trouve bannis dès ce moment, et la douleur, la plus vive qui fut jamais, n'est point causée par la crainte des châtiments que les péchés méritent, mais par la douleur d'avoir offensé une bonté infinie, et par l'impuissance de ne pouvoir aimer autant qu'on souhaite. On craint bien plus de ne souffrir pas que de craindre la punition. Ô amour, vous ne punissez ces sortes de cœurs qu’en ne les punissant point ! C'est [8] l’excès de l'amour, et non les châtiments qui font leur martyre. Mais comment pourrait-on s'imaginer que l'amour fût le plus rigoureux tourment ? Cela est impossible à qui n'en a pas l'expérience ; cependant rien de plus vrai que les plus étranges tourments sont des soulagements pour l'amour.

Ce ne sont point de ces sortes de conversions dont je veux parler. Ceux-là n'ont pas besoin d'autre règle, d'autres tourments, d'autre voie que l'amour même. Ils sont frappés au cœur d'une douleur mortelle. Mais que dis-je ? C'est une douleur plus douloureuse que la mort même. C'est une douleur plus délicieuse que la plus grande douceur. Ce sont des blessures d'amours qui sont toujours réciproques : si l'âme est blessée d'amour, celui qui l’a blessée l’est lui-même du même amour. À quel excès l'a-t-il été lorsqu'il a quitté les délices du ciel et le sein de son Père pour prendre les amertumes, les douleurs, la pauvreté, la confusion et la mort que le péché avait introduits dans le monde, afin de délivrer l'homme des tourments et de la mort ? Les preuve de l'amour se donnent mutuellement par un désir réciproque de souffrir pour ce que l'on aime : les douleurs ne sont plus douleurs, lorsqu'on aime infiniment celui pour lequel on les souffre.

4. Ce ne sont point, dis-je, de ces âmes dont je veux parler, mais de celles qui se convertissent une manière toute ordinaire, que Dieu appelle longtemps, qui ressentent tous les combats d'une résistance ou volontaire ou formée seulement par une longue habitude. Ce sont celles-là qui ont besoin de secours. Quel secours ne leur donnez-vous pas, ô mon Amour ! [9] Vous qui êtes assis759 à la porte de leurs cœurs, ne cessant de frapper jusqu'à ce qu'ils vous l’ouvrent, et qui semblez faire votre bonheur d'y être reçu, vous qui criez incessamment760: Mon Fils, donne-moi ton cœur, c'est à ton cœur à qui j'en veux, c'est lui seul que je demande. Ne dit-il pas, ce Dieu d'amour, qu'il parlera au cœur de Jérusalem761: il invite le pécheur de retourner à son cœur762. Et pourquoi en use-t-il de la sorte ? C'est pour nous faire voir que, comme le cœur est le siège de l'amour, il est la source du dérèglement. Il y a donc point de véritable conversion si le cœur n'est touché, et si ce même cœur n’est entièrement à Dieu. Et c'est ici tout le secret de la conversion : point de véritable conversion si le cœur n'est gagné.

5. La conversion la plus commune se fait ou par quelque chose d'extérieur qui, frappant les sentiments, émeut les passions et les étonne : une crainte causée par quelque spectacle nouveau vient frapper le cœur ; mais quoique l’émotion commence par le dehors, elle ne laisse pas de venir frapper le cœur, qui se trouve blessé de crainte ou d'étonnement. Mais comme il est lié de quantité de chaînes qui le retiennent dans toutes les objets où il s'est répandu, il demeure du temps dans un certain assoupissement, comme une personne endormie qui entend bien le bruit que l'on fait autour d'elle, mais qui n'a pas la force de parler ni de faire connaître qu'elle entend, parce que ce doux enchanteur la retient malgré elle. Le cœur de l'homme se sent frapper par les passions que la crainte a émues : cependant enchanté qu’il est par [10] les plaisirs et les vanités, il demeure dans son assoupissement léthargique, et il demeurerait toujours sans en sortir jamais, si Dieu ne revenait à charge par des coups redoublés, tirant une infinité de flèches contre ce cœur endurci. Ô divin Sauveur, combien de fois vos flèches s’émoussent-elles contre ce cœur ingrat, sans lui faire aucune brèche ? À peine effleurent-elles seulement la peau. Quelles sont ces flèches aiguës que vous décochez sans cesse ? N'est-ce pas votre parole, qui, du milieu de ce cœur ingrat et perfide, se plaint et lui reproche son ingratitude ? Ne tâche-t-il pas d'étouffer cette voix, qu'on appelle communément remords de conscience, quoique le Saint-Esprit lui dise par son Prophète763: Si vous entendez aujourd'hui sa voix, n'endurcissez point vos cœurs ? Il combat donc ce cœur, comme l'on voit dans un sujet le froid combattre le chaud, jusqu'à ce que l'un de ces éléments ait surmonté l'autre. Notre cœur tout glacé, et d'une glace d'autant plus forte qu'il a été plus longtemps éloigné de son Dieu, combat le feu de l'amour divin. Ô quel malheur pour nous, si cette glace, devenu pierre, s'endurcit contre ce beau feu ! Mais bonheur le plus grand de tous, si elle se laisse fondre !

6. Lors donc que l'amour combat notre dureté, l'on sent des symptômes étonnants, des désirs, des volontés de sortir de son état : d'un autre côté, le goût du monde, l'amour et la pente pour les plaisirs, semblent entraîner. Il se fait comme un combat. Lorsque l’ennemi est presque terrassé, il se relève et semble être devenu victorieux en un instant de celui dont il était vaincu. Cela se fait tant et si longtemps qu'enfin le cœur surmonté par la charité divine rend les armes, et veut tout de bon se convertir. [11]

7. Lorsque cette volonté est affermie dans le cœur, il faut prendre les moyens efficaces pour cela, car ce qui empêche la parfaite conversion du cœur, même après qu'on a rendu les armes, est la longue habitude qu'on a contractée dans le péché. Or il est difficile qu'un arbre déjà vieux et penché d’un côté se redresse si on ne lui donne une pente contraire à celle qu'il a prise. Ceux qui n'ont pas vieilli dans le péché, sont comme des arbres nouvellement plantés que l'on plie facilement ; pour les autres, il faut des cordages et des machines pour les recourber d'un autre côté.

Le pécheur s'est éloigné de son Dieu par son péché : il faut qu'il retourne à son Dieu. Le pécheur s'est éloigné de son cœur par son péché : il faut qu'il retourne à son cœur. Aussi l'Ecriture lui dit-elle de retourner à son cœur764 selon qu'il s'en était éloigné. Dieu a créé l’homme afin d'en faire765 son temple saint : il choisit son cœur pour y demeurer. L'homme qui habite dans son propre cœur, demeure proche de Dieu ; mais celui qui abandonne son cœur, abandonne Dieu, et l’oblige de quitter cette même cœur. Il n'y a que deux chemins selon l'Ecriture : l'un de la vie, et l'autre de la mort ; ils sont entièrement opposés l'un à l'autre ; il y a une infinité de sentiers qui aboutissent tous à l'un ou à l'autre de ces deux chemins. Celui qui marche dans l’un, s’éloigne nécessairement de l'autre ; s'il veut revenir à celui qu'il a quitté, il faut qu'il se retourne entièrement, et qu'il prenne une route contraire à celle qu'il a tenue. Celui qui s'est éloigné de son cœur, doit donc retourner à son cœur ; et c'est là la véritable [12] conversion et la source de la solide pénitence.

8. Si, dès que le cœur est remué par la crainte ou la douleur, l'homme, suivant la pente qui lui est alors donnée, s’appliquait de cœur à Dieu, criant à lui de toutes ses forces, il serait bientôt secouru, comme le peuple juif, qui criait au Seigneur, lorsqu'il était captif, plus de l'iniquité que par des rois qui le dominaient : il était d'abord exaucé, et Dieu le délivrait de la main de ses ennemis. Retournons donc à notre cœur sitôt que nous sommes touchés de Dieu, et comme c'est le lieu que Dieu s’est choisi pour sa demeure, prenons la résolution de l'habiter le plus que nous pourrons.

Cela se fait au commencement par des gémissements continuels. Le Saint-Esprit est descendu en forme de colombe sur Jésus-Christ lorsqu'il fut baptisé, pour nous apprendre que le pécheur, dont Jésus-Christ, chargé de tous les crimes des hommes, était alors la figure, quoiqu'il fût le Fils bien-aimé du Très-haut, pour nous apprendre, dis-je, que, comme la colombe gémit incessamment, la première partie de la pénitence véritable est le gémissement766, qui est la prière que le Saint-Esprit fait lui-même en nous767, et que saint Paul appelle un gémissement ineffable. En effet, le cœur gémit parce qu'il est infligé d'avoir offensé son Dieu ; ensuite l'Esprit gémit en lui, et ce gémissement est d'autant plus ineffable qu’étant un effet de l'amour, il remplit l'âme de consolations, rendant sa douleur délicieuse et ses délices douloureuses, comme l'on voit une personne soupirer dans le fort du plaisir par quelque souvenir douloureux, ou plutôt par une impression foncière de la douleur qui subsiste dans le plaisir même ; ou un [13] autre rire dans les tourments par une impression foncière de joie que l'excès de la douleur n'étouffe point. Gémissons, mais gémissons de cœur devant Dieu. Accoutumons-nous à lui parler de cœur. La douleur fait parler, mais la même douleur impose le silence. La douleur excessive, aussi bien que l'amour violent, ferme la bouche. Que le pécheur converti ne craigne pas de demeurer dans le silence qu'un amour douloureux lui impose. Qu'il regarde en cet état, sans sortir de son cœur, que l'excès de la douleur et de l'amour a fermé la bouche à la Parole éternelle. Qu'il ferme donc hautement la bouche et que, se tenant en posture de criminel, il ouvre son cœur à Dieu768 afin que le Roi de gloire y entre. Le cœur de l'homme est cette porte éternelle, et Dieu le choisit pour son tabernacle, lui faisant part de son immortalité.

9. Voilà donc quelle doit être la disposition du pécheur dès le moment de sa conversion : gémir de cœur, occuper son cœur, ne s'en éloigner point, ouvrir ce cœur à Dieu continuellement ; parler et se taire, être affligé et content, demander miséricorde et vouloir bien ne recevoir point de miséricorde. Serait-il possible que le pécheur pût faire ce que je viens de dire sans cesser d'être pécheur ? Ô qu’il ne l'aurait pas fait longtemps sans entendre cette douce parole769: Ses péchés lui sont pardonnés parce qu'elle a beaucoup aimé. Rien ne résiste à l'amour. Ô qu'une douleur que l'amour produit, est bien une autre douleur que celle que la crainte excite ! Celle-ci ne fait que troubler, et ce trouble ne laisse pas d'être avantageux ; elle effraie, et cet effroi [14] suspend le péché, cause quelque repentir de l'avoir commis. Mais la vraie douleur ne peut venir que de l'amour. Aussi l'amour tout seul a-t-il l'avantage de produire la conversion parfaite. Le serviteur sert son maître parce qu'il craint ses châtiments et qu'il attend des récompenses ; et son service ne laisse pas d'être reçu favorablement. Mais l'enfant sert parce qu'il aime : il se reprend, il s'afflige de n'avoir pas bien fait, non de peur d'être châtié, mais parce qu'il craint plus que la mort de déplaire à son père. Aussi la faute d'un enfant est-elle infiniment plus sensible à un bon père, que le dérèglement de tous ses domestiques. Heureux ceux que Dieu corrige dans leurs chutes ! C'est une marque qu'il les aime et qu'il veut les garder pour lui. On chasse un domestique dont on n’est pas satisfait, et ce châtiment est un châtiment de fureur. Aussi le Roi Prophète demandait-il770 de n'être pas châtié dans la fureur de Dieu : mais un bon père châtie son enfant, parce qu'il l'aime.

10. Il faut encore, pour rendre la conversion complète, faire prendre à l'homme pécheur une habitude contraire à celle qu'il avait auparavant. Il a aimé le plaisir, il faut qu'il commence à fuir ce même plaisir, jusqu'à ce que, sa conversion étant parfaite, il aime la douleur comme il a aimé le plaisir. Il est de conséquence, comme le dit l'Apôtre771 de faire servir les membres de l'iniquité à la justice.

Que les yeux, source d'une infinité de péchés, soient punis. Il y a deux manières de les punir : par les larmes, ce qui n'est pas pour tout le monde, car les âmes qui ne sont pas produites [15] par la chaleur véhémente de l'amour, et qui ne viennent que d'attendrissement sur soi-même, ne sont pas celles que Dieu demande ; il faut qu'il allume le feu dans le cœur avant que cette chaleur sacrée s'évapore par les yeux ; mais comme ces larmes ne sont point nécessaires à la pénitence (quoiqu'elles soient une preuve de la même pénitence) et comme elles ne dépendent point de nous, ce n'est pas à nous d'en faire un précepte. L'autre manière de mortifier la vue, se fait par le recueillement dans la prière, les fermant pour tous les objets extérieurs, afin que toute la force de l'âme soit pour Dieu. Les sens sont des portes funestes par lesquels les objets séducteurs entrent dans notre âme : il faut donc fermer ces portes, afin de donner lieu à la grâce de nous détromper des fausses maximes dans lesquelles nous avons vécu. Il faut de plus les mortifier de toute curiosité, les privant de voir une infinité de choses. Cette mortification ne nuit point à la santé, et elle est fort utile.

11. La langue, qui s'est employée à pécher par la médisance, doit être mortifiée en se privant de dire certaines choses qui servent souvent autant à la vanité de l'esprit qu'à satisfaire l'antipathie que nous avons contre certaines personnes qui n'ont point d'autre faute à notre égard que celle de leur propre mérite qui nous fait ombrage.

Il faut mortifier le goût, en le privant de ce qui lui plaît le plus, et en lui donnant ce qui lui répugne davantage : cela se peut faire sans qu'il en paraisse rien et sans intéresser la santé. Il faut se priver d'entendre les discours flatteurs et empoisonnés, et se plaire [16] à écouter la parole du Seigneur, non seulement celle qui frappe l'oreille du corps, mais celle qui se dit au-dedans de nous, comme le pratiquait le Roi Prophète, lorsqu'il dit772: J’écouterai ce que le Seigneur mon Dieu me dira au-dedans de moi.

12. Il faut vaincre et mortifier la mollesse du corps, le laissant moins dormir : il est bien juste de dérober quelques moments sur notre sommeil pour les consacrer à Dieu. Il faut de plus se défaire de mille autres petites délicatesses. Il y a deux manières de châtier le corps : l'une, de lui imposer quelque pénitence douloureuse ; et l'autre, qui est celle qui se peut et se doit toujours faire en tout temps et lieu, est de souffrir pour l'amour de Dieu toutes ces incommodités de la vie qui nous arrive par la Providence : le froid, le chaud, un mauvais lit, une insomnie, le peu de santé, les inconsidérations des personnes avec lesquelles on vit, le peu d’adresse des domestiques, les mauvaises volontés des hommes, leurs calomnies, leurs railleries piquantes, enfin, nos propres défauts, et la peine que nous avons de vaincre nos habitudes déréglées.

13. Il est de conséquence de régler d'abord sa vie. Si l'on ne s'impose pas à soi-même une loi, l'esprit et le cœur accoutumés à être volages ne se fixeront jamais dans le bien. Il faut donc se faire une loi, se punir d’y avoir manqué, et la suivre avec une extrême fidélité. Il faut fuir avec fermeté les occasions qui nous ont engagés dans le péché. Il est important de se déclarer pour Dieu, et qu'une mauvaise honte ne nous arrête pas, car quiconque rougit de [17] l'Évangile, Jésus-Christ rougira de lui773. Lorsque l'on s’est déclaré pour le bien, on ne retourne pas si facilement au mal ; et dans le temps que l'on combat contre la tentation de se dédire de ce que l'on a entrepris, le cœur, touché de nouveau par la grâce, se trouve fortifié dans sa première résolution, ce qui n'arrive pas lorsque, ne s'étant pas déclaré, on continue de faire les mêmes choses que l'on faisait auparavant : on est alors terrassé dès la première tentation, et l'on passe toute sa vie à vouloir se convertir sans le faire effectivement.

Ce serait peu de prier, de gémir devant Dieu, si on ne quittait pas les occasions de l'offenser et les amusements du siècle. Il serait même impossible d’être parfaitement détaché de ces choses, quoique l'on s'en séparât entièrement, si on ne priait, si on ne gémissait, si on ne donnait son cœur à Dieu.

14. Mais comme l'on ne peut pas toujours prier, gémir, se mortifier, et que souvent l'engagement d'un état oblige d'agir et de converser continuellement, il faut pour se conserver sans tache dans le commerce du monde, tenir notre cœur attaché à Dieu. Et la prière du cœur se peut faire en tout temps, quoique le cœur ne puisse pas parler et gémir en tout temps. Cette prière, qui se fait dans les occupations extérieures, est un fruit de l'oraison. C'est comme la chaleur du poêle qui se conserve encore longtemps, quoique l'on cesse d’y mettre du bois : c'est l'onction de la prière, c'est l'odeur du parfum qui s'y est répandu, c'est un goût caché de la manne dont on a été nourri ; c'est une fraîcheur de l'eau que l’on a bue. C'est une impression, [18] dans le cœur même, de l'amour et de la présence de Dieu, qui se conserve dans les occupations, et qui sert à rappeler l'homme au-dedans de lui-même lorsqu'il se dissipe dans les emplois extérieurs. C'est une invitation secrète de l'Epoux sacré qui rappelle au-dedans, et qui dit774: Ouvrez-moi, ma soeur, mon épouse, ouvrez-moi ; je suis tout trempé des gouttes de la nuit de ma Passion, où j'ai exprimé pour vous tout le sang de mes veines.

15. Mais pour être en état d’ouvrir à l'Epoux sacré et de conserver sa présence, il faut tâcher de l'acquérir. Cela se fait en entrant souvent en soi-même, en s'accoutumant de chercher Dieu incessamment, comme David nous y invite775: Cherchez le Seigneur, dit-il, cherchez sans cesse son visage. Après l'avoir cherché, on le trouve ; et après qu'on l'a trouvé, il est aisé de conserver cette divine présence et de dire avec l'épouse776: Je l’ai trouvé, et je ne le laisserai point aller.

La présence de Dieu est la source de toute perfection : car comment celui qui sent Dieu en soi qui lui donne mille preuves de son amour, pourra-t-il volontairement lui déplaire ? Cette présence de Dieu rend l'âme extrêmement forte contre l'attaque de ses ennemis. Elle est alors777 comme une fontaine scellée : son cœur lui sert de fort et de citadelle. Aussi l’Epoux lui dit-il dans le Cantique778 de le mettre comme un cachet sur son cœur et sur son bras, voulant lui apprendre que le moyen de consacrer toutes ses actions, c'est que Dieu présent dans le fond du cœur en soit le principe ; que ce cœur scellé et fermé à tout autre objet que Dieu seul, l’ait pour fin unique de toutes nos œuvres. L'épouse assure aussi que son Epoux divin est pour elle779 comme un bouquet de myrrhe, qu'elle met sur son cœur, marquant par là que, si Dieu la console par sa divine présence, elle sait tempérer ses douceurs par une mortification sans relâche. Il faut donc prier, marcher en la présence du Seigneur, ne point se répandre dans les objets extérieurs, se mortifier, renoncer à soi-même et à ses inclinations déréglées, pour être vraiment converti.

16. Il faut observer, comme je l'ai dit, de se lever à une heure réglée autant qu'on le peut, donnant les prémices du jour au Seigneur, lui consacrant nos premières pensées. Le temps du matin est plus propre que nul autre pour faire l'oraison, parce que l'esprit est tranquillisé par le sommeil, et que le cœur n'est point agité de mille pensées que les objets présents forment. Après s'être levé, s'enfermer quelque temps pour prier, pour se consacrer à Dieu, pour gémir en sa présence, pour lui demander son secours, afin de faire le bien et d’éviter le mal durant tout ce jour, exposer notre cœur à la chaleur divine, afin qu'elle lui soit un préservatif µ contre la glace mortelle du péché. Il serait bon de lire quelque moment d’un livre spirituel, comme de l’Imitation de Jésus-Christ, des œuvres de saint François de Sales, et quantité d'autres excellents livres ; les lire posément, afin de se nourrir de ce qu'on lit ; et loin de s'évaporer ou sortir de l'oraison, il faut conserver ce que l'on y a reçu comme une liqueur précieuse que l'on appréhende d’évaporer. Le feu s'allume dans la prière, mais il s'éteint aisément s'il n'est entretenu [20] durant le jour. L'aliment que l'on doit lui donner est les retours fréquents au-dedans de soi, des actes d'amour, de reconnaissance, d'offrande de soi-même, des expressions de douleur sur les péchés passés et sur le temps que l'on a demeuré privé de connaissance et d'amour. Il faut dire avec saint Augustin780: « Ô beauté ancienne et nouvelle, comment ai-je vécu si longtemps sans vous aimer ? Est-il possible que je vous aie connue si tard, vous qui êtes ma suprême félicité ? Hélas ! C'est que je vous cherchais dans tous les objets où vous n’étiez pas pour moi, et je ne vous cherchais pas au-dedans de moi-même où vous vous vouliez que je vous trouvasse. »

17. Sitôt que l'on commence de marcher dans la voie de salut, il est d'une extrême conséquence de soumettre incessamment sa volonté à celle de Dieu, se résignant dans tous les contretemps de la vie, préférant la volonté de Dieu à la nôtre. Il y a deux choses en nous dont nous sommes idolâtres, et que nous avons toutes les peines du monde à captiver781, c'est l'esprit et la volonté. Celui-là se captive par la foi, et celle-ci par la résignation, préférant les volontés de Dieu aux nôtres. Les personnes du monde vivent toujours occupées d'elles-mêmes, mais celui qui veut servir Jésus-Christ, doit se vider de soi-même, soumettre sa raison, ne se point entêter de ses propres pensées. Les préventions sont des obstacles invincibles au règne de Jésus-Christ. C'est ce règne qu'il lui faut demander sans cesse : qu'il commande absolument chez nous, qu'il nous conduise selon sa volonté, et qu'il nous fasse suivre ses voies. [21]

Je crois que si vous voulez vous donner solidement à Dieu, il faut vous appliquer les choses générales que je viens de vous dire. Je prie notre Seigneur qu'il vous comble de ses grâces, afin de vous faire marcher sûrement en lui, qui est notre chemin, notre vérité, et notre vie.

2.03 L’intérieur marqué par tout, aussi bien que les oppositions qu’on lui fait, mais en vain.

Il n’y a rien dans l’ordre de la nature, non plus que dans celui de la grâce, qui ne prouve très clairement la vérité de l’intérieur. Cette vérité est tellement répandue dans tout ce qui subsiste qu’une personne éclairée la découvre en toutes choses. Et quoiqu’il n’y ait point de vérité parmi les hommes, qu’ils soient tous menteurs parce qu’ils sont tous coupables, on ne laisse pas au travers de mille faux traits que le Démon a gravés sur eux de découvrir cette Vérité qui est une émanation de la Divinité, répandue nécessairement [22] dans toutes les créatures qui ont été produites par la Volonté et la Puissance de Dieu.

Il n’y a rien dans la nature, soit plantes, éléments, pierres qui n’ait un esprit et un sel. C’est le fond de leur subsistance, et la cause de leur incorruption : dans leur corruption même ce sel et cet esprit se conservent, mais pour les découvrir il faut détruire la forme naturelle de la chose dont on veut tirer l’esprit et le sel. L’air, la terre, les plantes et les métaux mêmes laissent découvrir en eux ce principe universel. Ce sel signifie la divine Sagesse, et l’esprit cet Esprit vivifiant. La vérité de l’intérieur se découvre dans tout ce qui est et subsiste. Il n’y a aucune créature qui, en devenant incorruptible par sa propre destruction, ne nous apprenne que notre anéantissement et notre destruction est ce qui nous rend incorruptible, nous réunissant à notre Tout et nous mettant dans la vérité de la Sagesse et de l’Esprit vivifiant. Il n’y a pas une fleur qui ne nous enseigne que, quelque agréable qu’elle paraisse à nos yeux, elle serait comptée pour rien si elle ne se perpétuait par sa mort et sa pourriture. Les plantes, les fruits et tout ce qui est ne s’éternisent que par leur destruction, comme si Dieu avait voulu nous donner une plus grande idée de son Tout par la destruction de tout ce qui subsiste que par leur création, puisqu’il est vrai que leur destruction même en nous faisant voir le peu de durée des choses du monde, nous découvre leur principe par leur incorruption dans la corruption même.

Si toutes les choses naturelles subsistent même dans leur destruction apparente, c’est un grand argument pour l’immortalité de l’âme. [23] Mais ce n’est pas ce que je prétends prouver puisque tout homme raisonnable n’en doutera jamais. Ce que j’avance est que dans tout cela l’Esprit de Vérité Se découvre et [aussi] une souveraine raison de la conduite de Dieu sur l’âme. Il n’y a pas un endroit de l’Ecriture, pas une histoire sacrée ou profane, pas une fable même, où l’on ne découvre cette vérité, pas un événement dans l’ordre de la nature et de la grâce. Nous voyons les fortunes des hommes être comme une assurance de leurs infortunes. La jeunesse est imparfaite quoiqu’elle soit la perfection de la beauté de l’homme. L’homme subsiste peu dans son état parfait. Il croît et augmente jusqu’à la perfection de son état, après quoi il vieillit et éprouve en lui que les mêmes choses qui l’ont fait venir à la perfection de la jeunesse, de la beauté, de l’esprit et de la santé, le quittent peu à peu et qu’il n’en éprouve plus qu’un triste débris. Ensuite de quoi, après la destruction des parties, la totalité se perd, pour ainsi parler, par la mort. Mais cette destruction apparente fait toute son incorruption et son immortalité. L’esprit se cultive par les sciences, mais ce qui fait son ornement l’use et le détruit dans la suite. Les plaisirs, qui semblent être la fin des désirs de l’homme, sont la mort de ces mêmes désirs, et à force de vouloir se livrer au plaisir, tout plaisir le quitte et rien ne lui en cause plus, de sorte qu’il est puni par son dérèglement même. Il n’y a pas une histoire où nous ne voyons, après une fortune excessive, une décadence surprenante : la gloire d’un royaume nous signifie sa prochaine destruction, le calme marque la tempête etc.

Tous les commencements de la vie spirituelle sont pleins de douceurs, quoique accompagnés de [24] pénitences. C’est ce mélange de délices spirituels et d’austérités corporelles qui rend le plaisir intérieur plus piquant. Ces commencements sont comme une belle fleur qu’un enfant admire et cueille, mais qu’un excellent jardinier laisse flétrir pour la perpétrer par sa semence. Si cet état ne changeait point, il périrait en ne périssant pas. C’est ce qui fait que Dieu conduit l’âme par de si étranges renversements qui ne sont que comme une flétrissure à cette fleur, [flétrissure] qui augmente à mesure que sa graine mûrit. Quoique cette graine paraisse mûre, elle n’apporte du fruit qu’après qu’on l’a jetée dans la terre où elle pourrit, selon le témoignage de Jésus-Christ même.

La conduite que Dieu tient sur l’homme est une conduite universelle, car quoiqu’il y ait l’ordre particulier qui regarde chacun de nous, il est néanmoins tellement dépendant de cet ordre général, que pour peu qu’il s’en éloignât il mettrait tout dans le désordre. Les désordres, les renversements des Empires sont une suite de cet ordre général et ce qui nous paraît désordre à cause de notre manière de voir les choses, est un ordre admirable selon la divine Sagesse, de sorte que ce désordre particulier est ce qui conserve l’ordre général.

Il est donc certain que c’est là la conduite de Dieu. On estime une fleur heureuse parce qu’elle est cueillie dans sa beauté par la main du Roi et qu’elle lui a causé un instant de plaisir. Une personne qui meurt dans les prémices de l’esprit, dans toute sa beauté intérieure, est comme cette agréable fleur. Personne ne doute du plaisir qu’elle a fait. Mais pour ces fleurs rares qu’on ne cueille point, qui sèchent et sont serrées782 par le jardinier, on n’y fait pas d’attention. Cependant elles s’immortalisent [25] par leur mort, qui pourtant les fait paraître vilaines aux yeux des hommes, dans les mêmes parterres dont elles avaient peu de jours auparavant fait tout l’ornement.

L’ordre donc général est  que Dieu établit, qu’il détruit ce qu’Il a établi et qu’Il perpétue les choses par cette destruction. Et c’est ce qu’Il fait dans l’ordre de la grâce : Il établit d’abord les vertus. Mais comme elles seraient semblables à la beauté d’une fleur que le vent et la chaleur gâtent, Il tire de cette vertu l’esprit, Il en ôte tout l’éclat au dehors, de peur qu’elle ne soit corrompue par la vanité, mais Il en laisse l’esprit et le sel, c’est-à-dire qu’Il en laisse l’essentiel et la vérité, et qu’Il n’en ôte que l’éclat - et c’est de cette manière qu’Il la rend immortelle. Il en est de même de ses faveurs : Il ôte, après les avoir faites, tout ce qu’il y a d’éblouissant et par conséquent d’amusant783, et Il n’en laisse que la substance, c’est-à-dire que Dieu donne à l’âme les qualités propres pour attirer ses faveurs, en lui ôtant la faveur apparente. Plus Dieu prend de soin de détruire une chose, plus elle lui est chère. Les hommes n’envisagent les choses que superficiellement de sorte qu’ils ont horreur de toute sorte de destruction, ne comprenant point assez que Dieu ne détruit qu’un éclat trompeur et qu’il laisse le solide. La mort, qui est la destruction d’une vie pleine de douleur, n’est-elle pas le berceau de la véritable vie ? Dieu met Son plaisir dans la Vérité de Son Esprit et de Sa Sagesse en tous les êtres, parce que cet Esprit et cette Sagesse sont la même Vérité qui n’est autre que Lui-même - et il n’y a rien dans toutes les créatures qui soit proprement sien ni une émanation de Lui-même que cet Esprit et cette Sagesse. [26]

Le Démon a travaillé à détruire par des dehors trompeurs et éclatants l’essence de la Vérité, mais tout ce qu’il a pu faire a été de La couvrir. Les hommes l’ont secondé en cela de sorte que s’attachant désordonnément à l’extérieur de toutes choses, ils n’ont pas pénétré son esprit. Un petit nombre d’hommes ont découvert dans les choses naturelles leur quintessence, qui est cet esprit et ce sel ; encore n’en ont-ils pas pénétré tous les usages. Un petit nombre d’hommes spirituels ont pénétré l’Esprit de Sagesse et de Vérité, répandu dans toutes sortes de biens, ce qui en fait l’essence et ce tout incorruptible. Cette connaissance de la Vérité cachée dans l’essence des choses a fait qu’ils ne se sont point attachés scrupuleusement à mille petits brillants dans le bien que le vulgaire estime, parce qu’il ne pénètre pas plus avant. Au lieu qu’au contraire, eux, en avouant qu’une fleur a tout l’agrément qu’elle peut avoir, ont fait plus de cas de sa semence et de sa racine que de son éclat. Le vulgaire amusé ou par l’éclat du dehors ou par une habitude de n’agir que par ce qui frappe les sentiments ne s’est attaché qu’au dehors et au brillant, sans pénétrer le solide, poussé qu’il est d’ailleurs à cela par l’Esprit de ténèbres, lequel, craignant que l’homme, sans s’amuser à l’appas trompeur ni même au brillant de la Vérité, ne passe jusqu’à la substance de cette même Vérité, fait tous ses efforts pour l’empêcher. Les hommes mêmes et aussi la nature semblent s’y opposer. Les renversements, les ténèbres, les tremblements de terre qui arrivèrent à la mort de Jésus-Christ marquaient l’état violent de la nature, non seulement parce que l’Auteur de la nature souffrait, mais de plus parce qu’en mourant pour les hommes, [27] Il leur laissait son Esprit de Vérité. Et afin qu’ils pénétrassent la Vérité cachée dans le mystère, Il fit ouvrir Son cœur, comme pour nous enseigner à pénétrer jusqu’au fond de la Vérité.

Je ne suis point étonnée de tout ce qui s’élève pour empêcher la Vérité de paraître dans Sa substance et ce sera ce désordre de toutes choses qui en rétablira tout l’ordre. La pente à agir par les sentiments et à préférer l’extérieur à l’intérieur est une suite du péché. Cependant quand l’Esprit de vérité784 est dans un cœur, il lui découvre cette Vérité en toutes choses. Il n’y a pas, comme j’ai dit, une histoire, une fable, un événement, même dans la foi ridicule des païens, ni dans les hérésies, où l’on ne voit un caractère de la Vérité, et ce qui les a fait écarter de cette même Vérité en quittant l’ordre général. Dans les lois, les coutumes même les plus barbares, vous voyez partout cette Vérité. Dans la fable des Anciens, dans la multiplicité de leurs dieux, ce qu’ils leur attribuent, tous leurs égarements et leurs erreurs, me sont un si fort argument de la vérité de notre Religion et de l’Esprit de Religion, qui est l’Esprit intérieur, que par ces mêmes choses on pourrait leur enseigner la Vérité. Que le monde se déchaîne, que les hommes et les Démons se joignent : ils peuvent causer quelque mal de peine extérieure mais ils retomberont infailliblement dans l’ordre de Dieu. Ils serviront même à l’établir en paraissant le détruire, et mon Dieu règnera par la destruction. [28]

*2.04 La Volonté de Dieu est la voie et l’essence de la perfection.

Quoiqu’il me soit785 très difficile de répondre aux questions de la personne qui me fait l’honneur de m’écrire, tant parce que ce sont des choses auxquelles je ne m’embarque pas volontiers que parce qu’il faudrait des volumes pour éclaircir à fond ce qu’on me demande, je ne laisserai pas de dire simplement sur quelques-uns des articles ce que je pense.

Le premier article est que tous les hommes sont appelés à la perfection dont nous avons parlé, comme ils sont appelés au salut. Mais loin que tous y arrivent, très peu même entrent dans la voie solide de la vertu, et de ceux qui y entrent peu y persévèrent jusqu’à la fin ; et presque personne n’arrive à la perfection, faute d’en prendre la véritable voie.

La perfection, selon que je le conçois et de la manière que nous en parlâmes, n’est autre chose que l’union à la Volonté de Dieu et l’accomplissement fidèle de cette même Volonté. Plus l’âme est parfaite, plus elle y est unie et L’accomplit parfaitement. Cette divine Volonté se manifeste par [29] la fidélité à la pratique : plus on La pratique, plus on La découvre.

Le chemin de la perfection consiste donc à détruire ou à laisser détruire les obstacles qui empêchent que la Volonté de Dieu ne S’accomplisse en nous. Au commencement nous travaillons activement à détruire les plus grossières oppositions à cette Volonté divine.

Mais comme la destruction de ces empêchements grossiers nous purifie et nous éclaire, nous sommes conduits peu à peu à un état plus simple, où les obstacles étant plus subtils, quoique plus forts et plus dangereux, nous connaissons que Dieu seul les peut détruire et nous comprenons en même temps que Sa divine volonté est que nous les Lui laissions consumer par l’activité de Son Amour. Il faut que ce même Amour consume même l’activité de la créature, comme étant un empêchement à la perfection de Sa volonté en nous qui ne peut être souveraine qu’en détruisant la propre volonté de la créature et par conséquent sa propre action.

Mais comme il ne s’agit à présent que de faire voir que tous les hommes sont appelés à cette perfection comme ils sont appelés au salut, c’est à quoi je me restreint.

Il est certain que nul ne saurait entrer au Ciel qu’il ne soit entièrement conforme et uni à la Volonté de Dieu, puisqu’il est d’une incompatibilité absolue qu’une personne dont la volonté serait différente de celle de Dieu pût Lui être unie. Il est aussi constamment vrai que nous ne lui sommes unis que par la volonté, et il ne l’est pas moins que nul ne peut entrer au Ciel qu’il ne Lui soit uni. Il y a des degrés de gloire dans le Ciel [30] qui marquent qu’il y a des âmes plus parfaites les unes que les autres, mais généralement il est certain que, soit en cette vie soit en l’autre, il faut être uni à la Volonté de Dieu pour entrer au Ciel. J’avoue qu’il y a quantité d’âmes qui demeurent toute leur vie dans la rébellion à la Volonté de Dieu (qui est péché mortel) et qui se convertissent à la mort. Mais il suffit qu’elles se convertissent pour de rebelles à la Volonté de Dieu y devenir conformes, sans quoi elles ne seraient jamais converties. Et afin de perfectionner en elles cette Volonté divine, selon leur capacité de jouissance divine (car c’est la mesure de la perfection de la volonté de Dieu en nous qui fait le plus ou le moins d’étendue de béatitude), il faut que le Purgatoire consume tous les obstacles qui empêchent l’unité de notre volonté à Celle de Dieu.

Que toute la perfection consiste dans l’union de notre volonté à Celle de Dieu et que cette union soit le fondement de notre béatitude, il est aisé de le prouver.

Pour le premier, notre Seigneur ne dit-Il pas : si quelqu’un fait ma volonté, nous viendrons à lui, et nous ferons notre demeure en lui786 ? Or il est certain que Dieu ne demeure (car qui dit demeurer dit permanence), Dieu, dis-je, ne demeure point dans une âme maligne et assujettie au péché787. Il faut donc que celui qui fait la Volonté de Dieu soit dans un état de perfection pour être le temple de Dieu. De plus, lorsque notre Seigneur parle de ceux qui lui sont le plus unis, ne dit-Il pas que ceux-là seulement qui font la volonté de son Père, sont sa Mère et ses Frères788 etc. ? Et en mille [31] autres passages de l’Ecriture Il exprime que l’accomplissement de sa Volonté est ce qui Lui est le plus agréable789 : obéir à Dieu vaut mieux que d’offrir la graisse des moutons790. Que nous fait-Il demander de plus précis, si ce n’est l’accomplissement de Sa sainte Volonté sur la terre comme Elle s’accomplit dans le ciel791 ? On peut donc L’accomplir parfaitement sur la terre en quelque sorte, quoique moins parfaitement que dans le ciel, car Dieu ne nous aurait pas fait demander une chimère. On peut donc voir que la perfection consiste dans l’accomplissement de la Volonté de Dieu.

Que la Volonté de Dieu soit le fondement de la béatitude il est aisé de le faire voir. Nous sommes plus ou moins heureux selon que nous sommes plus ou moins établis dans l’ordre et la disposition divine. La rébellion à la Volonté de Dieu nous fait sortir entièrement de cet ordre et disposition divine et, nous inspirant l’esprit de révolte qui est le caractère de l’enfer et le fruit du péché mortel, elle nous conduit insensiblement dans l’Enfer. Or l’Enfer et ce qui en fait le principal tourment, c’est que l’homme créé pour être uni à Dieu comme à son principe et à sa dernière fin et qui ne peut avoir de paix ni être heureux qu’il ne soit dans cette union (puisque c’est la place qui lui est propre) - que l’homme, dis-je, étant hors de sa place et de son centre, se trouve dans un état violent et qui lui est insupportable. De sorte que ne pouvant jamais ni cesser d’être révolté et dans cet état violent, ni cesser d’avoir la pente imprimée nécessairement en sa nature (qui est de réunion à son Centre), il entre dans des désespoirs et des rages étranges. Sa rage et son désespoir augmentent sa [32] révolte, et sa révolte augmente son désespoir, en sorte que les tourments de ces âmes passent toute imagination et ne peuvent être conçus que de ceux qui, étant arrivés à un haut degré d’union de leur volonté à celle de Dieu, comprennent parce que leur fait souffrir la moindre résistance ce que c’est que le tourment de cette rébellion.

On me dira : si cela est de la sorte, d’où vient que les pécheurs ne souffrent pas ici plus qu’ils ne souffrent ? A cela je réponds que leur âme étant ici comme ensevelie dans les sens, elle a perdu les sentiments spirituels et n’est capable que de l’entraînement des sentiments corporels, qu’en cette vie les fonctions du corps emportant presque toute l’âme, font diversion, amusent sa douleur, et l’empêchent de sentir son malheur. Cependant, quoique les pécheurs étourdissent la douleur de leurs âmes par les plaisirs, il est certain qu’ils ne laissent pas d’être très malheureux parce qu’étant hors de l’ordre de Dieu et déplacés, ils sont toujours dans l’agitation et le trouble. Ce qui est un tourment très grand parce qu’étant créés pour des plaisirs plus solides et plus étendus, ils sont toujours affamés et ne trouvent rien qui les satisfasse. C’est pourquoi ils ne peuvent jamais passer pour heureux, quoique regorgeant de tout ce que les hommes appellent bonheur.

Il est donc certain que c’est la rébellion à Dieu qui fait le plus grand de tous les malheurs. Si la rébellion à Dieu est le malheur et la peine de l’Enfer, il faut conclure que l’union à la Volonté de Dieu qui met l’homme dans l’ordre et la disposition divine, dans la fin de sa création, le rend heureux et d’autant plus heureux qu’étant dans son Centre, il est par conséquent dans une parfaite paix. [33]

Comme le péché mortel fait le malheur et la révolte de l’homme, il est entièrement opposé à la béatitude qui le mettrait dans l’union avec Dieu, dans la conformité à Sa volonté et dans une paix parfaite. Il faut donc que l’homme qui veut se convertir véritablement sorte de la rébellion à la Volonté de Dieu, pour se tourner vers cette divine Volonté par un acte de conformité. Le premier pas de la conversion doit donc être un acte de conformité à la Volonté de Dieu qui fait sortir de la rébellion et qui incline le cœur de l’homme vers ce que Dieu veut de ce pécheur converti.

Comme le chemin pour revenir de la révolte contre Dieu à l’union parfaite de notre volonté à celle de Dieu, est d’une très grande étendue et d’autant plus difficile que notre volonté a été plus longtemps dans l’habitude de sa rébellion, il est certain qu’il y a des degrés de conformité à la Volonté de Dieu qui nous approchent peu à peu de l’union à cette divine Volonté.

Mais quelque éloignement qu’il y ait entre la rébellion de notre volonté contre celle de Dieu et la parfaite conformité de notre volonté à celle de Dieu, on y arriverait facilement à cause de la pente qui est gravée dans l’intime de notre âme pour être réunis à notre dernière fin, si ce n’était les obstacles qui retiennent notre âme captive dans la propre volonté, laquelle cessant d’être rebelle, ne perd pas pour cela toutes ses dissemblances, ses répugnances, et ses résistances qui l’empêchent de se perdre dans sa dernière fin, qui est le dernier degré de conformité à la Volonté de Dieu.

Il faut donc nécessairement que le premier [34] travail de l’âme aidée de la grâce soit pour détruire ce qui empêche sa conformité, pour détruire la pente qu’elle a contractée par le péché à faire sa propre volonté et à le préférer par penchant et entraînement à la volonté de Dieu : (préférence d’entraînement) qui est péché véniel, mais qui conduit insensiblement dans la révolte que nous avons fait voir être péché mortel.

Comme Dieu est un Dieu d’ordre, ennemi de la confusion, si contraire à la paix que l’ordre communique nécessairement, Il commence par détruire les obstacles les plus extérieurs et les plus grossiers qui empêchent notre volonté de se conformer à la Sienne et Il l’arrête dans son entraînement à la rébellion. La destruction de ces premiers obstacles extérieurs s’appelle mortification, mais mortification extérieure, absolument nécessaire dans ces commencements. La raison de sa nécessité est prise de ce que l’homme devenu charnel par la rébellion de sa volonté est emporté par la chair. Son esprit, issu de Dieu, créé pour dominer sur lui-même et sur ses passions, et qui en fut effectivement le maître autant de temps qu’il fut dans l’union à la Volonté de Dieu dans la soumission à son Souverain, et par conséquent dans l’ordre et la disposition divine et dans la fin de Sa Création - cet esprit, dis-je, ne sortit pas plutôt de l’obéissance due à son Dieu, qui le rendait véritablement roi, [qu’] il devint esclave de sa chair : car la révolte de l’esprit contre Dieu fit la révolte de la chair de l’homme contre son esprit. Et ainsi celui qui, étant créé souverain, ne voyait au dessus de lui que cet Être [35] souverain et indépendant, qui était son premier principe et qui le rendait heureux et libre par sa dépendance, se voit tout à coup assujetti à la chair qui use sur lui de son pouvoir tyrannique.

Il a donc fallu que pour restituer l’homme dans son premier bonheur, Dieu l’affranchit de l’esclavage de la chair. Mais, comme il n’a été captivé par la chair qu’en retirant son esprit de la soumission à Dieu, il faut que Dieu délivre l’esprit de la captivité de la chair en S’assujettissant cet esprit. Et comment s’assujettit-Il cet esprit ? En retirant notre volonté de sa rébellion, en Se la rendant conforme, et enfin uniforme.

La rébellion de notre volonté contre Dieu a retiré notre esprit de l’assujettissement à Dieu et à mesure que notre propre volonté est devenue plus forte, la chair a dominé l’esprit. Il faut donc que Dieu remédie à ce désordre par son contraire, et ainsi il faut nécessairement en assujettissant l’esprit à Dieu, réprimer la domination de la chair et retirer la volonté de la rébellion. Ceci est tout le travail de la créature aidée de la grâce et tout l’ouvrage de Dieu dans Sa créature. Cherchons tant que nous voudrons : tout ce qui n’est point cela est un fantôme de conversion, une idée de perfection et non une perfection véritable.

Tout se réduit à ce point et ce sont là les principes de la Religion chrétienne. Car tous les péchés et les désordres ne viennent que du défaut de conformité de notre volonté à celle de Dieu. Il faut donc faire consister la vertu dans la destruction des obstacles qui empêchent notre volonté d’être unie à Dieu. Et comme il n’y a personne au monde qui puisse unir sa volonté à celle de Dieu, mais qu’il faut que Dieu le fasse, [36] c’est ici toute l’économie de la Sagesse de Dieu pour le salut de Ses créatures et ce qui les nécessite de se laisser conduire à Dieu et de perdre peu à peu toute leur activité pour devenir simples. Car de même que l’union à la volonté de Dieu met l’homme dans l’unité, réunissant tout ce qu’il est dans sa dernière fin, et que le péché au contraire et la révolte lui a donné une opposition étrange à l’unité et l’a mis dans une multiplicité inconcevable, aussi tout le premier travail de la grâce dans l’homme qui correspond activement à ces premières démarches est d’assujettir la chair et de simplifier l’esprit. Voilà ce à quoi nous sommes tous appelés, et l’un n’est pas moins nécessaire que l’autre.

La désunion de ces deux remèdes généraux et spécifiques empêche toutes les âmes d’arriver à la perfection et fait presque toutes les contestations qui arrivent sur ces matières. Les uns font tout consister dans la mortification de la chair sans travailler ni à la conformité de leur volonté ni à simplifier leur esprit, et passent toute leur vie à se donner beaucoup de peine et peu de succès. Les autres voulant simplifier l’esprit sans mortifier la chair et sans conformer en tout leur volonté à celle de Dieu, loin de se simplifier, sont multipliés et n’ont que stupidité et mollesse. De ceci dépend toute notre perfection.

Dieu commence par toucher le cœur de l’homme et lui donner un véritable désir de se convertir. D’où naît ce désir ? C’est que Dieu réveille un certain instinct caché dans le plus intime de l’âme qui la fait tendre à Dieu, et cet instinct réveille le pécheur. Tant qu’il est déplacé, ce sentiment lui donne de l’inquiétude et le porte à [37] suivre ce je ne sais quoi qu’il sent en lui qui fait comme une touche à son cœur. Si cette touche est suivie (comme elle l’est d’ordinaire) d’un commencement d’amour de Dieu, la conversion est véritable.

Cette première touche porte d’abord l’homme à rentrer en lui-même, parce que Dieu porte toujours l’homme à l’unité, et toutes les touches de Dieu se font de cette sorte, pour montrer à l’homme qu’il doit rentrer en soi, que c’est en se ramassant au-dedans de lui qu’il trouvera auprès de Dieu la force de combattre son péché. Si l’homme était secondé dès les premiers moments par quelque confesseur qui l’éclairât et qui lui dit qu’il faut mettre toute l’attention de son âme à suivre cette touche de Dieu, à rentrer en soi, à s’enfermer et se recueillir au-dedans de soi, ô qu’il serait bientôt parfaitement converti ! Mais au lieu de nourrir ce commencement d’attrait et de vocation à la perfection, on commence par faire diversion et jeter l’homme tout au dehors. Alors cet attrait qui, étant secondé insensiblement, deviendrait très fort, s’affaiblit et s’étouffe par une multiplicité de pratiques extérieures. Et il ne reste plus de cela qu’une volonté de se convertir et une recherche continuelle de l’âme qui ne trouvera jamais ce qui lui manque et qui ne trouvera jamais une solide paix dans la multiplicité de tous ces exercices jusqu’à ce que Dieu lui envoie quelqu’un qui lui apprenne à se réunir tout de nouveau et à se recueillir dans son fond, ou bien que Dieu, par un attrait très fort, ne rappelle au-dedans et ne surmonte par Sa force la multiplicité de la créature. Mais supposée une âme fidèle à suivre la première touche de Dieu, je dis que la [38] conduite de Dieu la porte à mortifier sa chair, et à simplifier son esprit par le recueillement et la conformité de volonté à celle de Dieu.

Cet exercice, dès le commencement, et quoique encore fort imparfait, est pourtant parfait dans son objet et infiniment au-dessus de tous les autres exercices. Il est imparfait dans son commencement, puisqu’il est certain que la conformité est encore très imparfaite, qu’elle n’a rien d’habituel, qu’elle n’est que par acte. Il est encore imparfait parce que l’âme est toute multipliée en elle-même et dans tout ce qu’elle fait, dans ses vues et motifs, et que sa chair est rebelle. Il est cependant parfait dans son objet parce qu’il est certain qu’il commence à n’avoir que Dieu en vue, à se simplifier par le recueillement, à se résigner à Dieu pour Dieu, et à se mortifier non pour la mortification, mais pour faire la volonté de Dieu. Il est à remarquer que l’homme est mis par là dans un chemin droit et uni, qui le conduira sans détour à son Dieu. Car sa mortification, son oraison, sa résignation ne lui servant que de moyens d’avancer à Dieu et lui ne les regardant point ni comme perfection ni comme fin, elles ne l’arrêtent point. De plus, l’homme s’est habitué par le recueillement intérieur à se rendre attentif à Dieu. En s’approchant de Dieu, il rend son esprit plus propre à Lui être assujetti, et il affaiblit sa chair.

L’homme ainsi converti doit donc être convaincu qu’il faut suivre cette touche qui a paru dans son fond comme un astre rempli d’influence favorable, qu’il faut se rendre attentif à Dieu et se divertir de l’attention aux choses de la terre. Pour le faire avec fruit, il faut [39] qu’il réveille cet instinct qui l’a touché car cet instinct est une grâce sortie de Dieu même, qui marque à l’âme le lieu où Dieu habite et où Il veut être cherché.

L’oraison de cette âme doit être simple et multipliée. Simple dans son objet : tâchant de réunir toute la force de l’âme en elle-même par le recueillement, afin de ne s’écarter point de cette touche secrète et profonde qui est proprement un appel de Dieu dans le fond de l’âme. Car la voix de Dieu n’articule aucune parole : c’est une voix d’efficacité et d’opération. C’est pourquoi il est dit : si vous entendez sa voix, n’endurcissez point vos cœurs792. C’est comme si l’Ecriture disait : ne vous divertissez point de cette voix, au contraire suivez-là, car c’est au cœur que Dieu parle. C’est donc là la simplicité qu’il faut dès le commencement, qui est de se recueillir pour se rendre attentif à Dieu en soi et non hors de soi, car c’est ce qui est le plus de conséquence, de ne point prendre le change.

Il faut aussi que cette oraison soit multipliée, parce que le peu d’habitude de l’esprit et du cœur à se tenir attentif à Dieu l’emporterait incessamment dans mille choses extérieures et même dans les inclinations déréglées. Il faut donc réveiller presque continuellement cet instinct, qui est tout languissant parce qu’il est encore faible et peu nourri. Et cela se fait par des actes continuels, par des lectures qui réveillent et nourrissent peu à peu cette touche intime. Alors l’homme, sans changer d’objet et se tenant attentif à Dieu, sent croître peu à peu l’instinct d’être réuni à Lui et par conséquent de détruire les obstacles qui empêchent cette réunion. [40]

C’est ce qui l’anime contre soi-même pour détruire les rébellions de la chair. Plus son attrait augmente par la fidèle attention à Dieu et plus le bras s’arme contre la chair. En sorte que cette âme sans se détourner de son Dieu , en suivant seulement l’instinct que Dieu a mis en elle, trop heureuse si elle est fécondée et non détournée par le Directeur - l’âme, dis-je, suivant l’instinct que Dieu a mis en elle, se trouve remplie de mille inventions pour se persécuter, se refuse toute satisfaction, se donne impitoyablement tout ce qu’elle craint le plus et qui lui fait le plus de douleur793, et cela jusqu’à ce que Dieu se soit peu à peu assujetti l’esprit et qu’Il veuille Lui-même ôter les obstacles plus subtils, plus spirituels et plus dangereux.

Alors Il la tire également et de la multiplicité des actes, la simplifiant peu à peu parce que Son opération devient d’autant plus abondante que cet instinct de réunion est plus vif et plus fort, quoique souvent moins sensible, et de l’activité à se poursuivre. De sorte qu’à mesure qu’Il s’empare de l’âme, qu’Il en devient le maître et qu’Il l’instruit de se résigner incessamment pour tout ce qu’Il ordonne, Il lui imprime l’amour de Sa volonté, Il lui ôte le pouvoir de travailler davantage à sa destruction, parce que l’amour caché de la propre excellence l’empêcherait d’être détruite. C’est Lui alors qui mortifie et qui est jaloux de tout faire en l’âme. O qu’il ne faut pas croire que l’âme qui cesse ainsi de se mortifier activement cesse d’être mortifiée ! Au contraire, comme Dieu a plus de force et d’adresse que nous, Il sait bien mieux faire et nous mortifier par les endroits essentiels que nous conservons avec soin. Cette mortification [41] alors change de nom et s’appelle mort. Et elle est bien nommée de cette sorte, parce qu’elle va peu à peu divisant l’âme d’elle-même. Et en comparaison de la mortification active, elle est bien une véritable mort.

Toute la perfection est donc une continuité de cette attention à Dieu au-dedans et de cette mort et mortification continuelle qui sépare l’âme d’elle-même.

Comme de tous les obstacles, le plus violent et le plus dangereux est la propre volonté, (puisque nous avons vu que tout le péché est dans la rébellion de notre volonté), le travail de Dieu est aussi le plus appliqué à détruire notre volonté et à Se la rendre conforme. Le travail de Dieu est essentiellement attaché à sa qualité de Dieu et de premier Principe794 : car comme il est impossible que le soleil ne communique point sa chaleur à une chose qui lui est exposée et ne l’échauffe d’autant plus que plus elle en approche, il est de même impossible que Dieu ne travaille pas à Se conformer une volonté qui demeure continuellement exposée à la Sienne.

La pratique de cela est de se résigner à la Volonté de Dieu pour tout ce qu’Il fait et qu’Il permet. Et comme les actes continués font l’habitude à force de se conformer, l’âme se trouve conforme et tellement souple aux volontés de son Dieu que perdant par là tout ce qu’elle avait d’opposé à Lui, elle s’unit en se conformant.

Car il est impossible que l’homme qui est créé [42] pour être uni à Dieu n’y soit point réuni sitôt que les obstacles de cette réunion cessent. Dieu S’unit donc cette créature qui a perdu cet obstacle et de conforme, Il la rend uniforme. Et comme il est de la nature de Dieu de rapporter tout à Lui-même comme dernière fin, il est aussi de Lui de changer tout en Lui ; et c’est ce changement qu’on appelle transformation.

Vous voyez que rien n’est plus naturel que cela, rien de plus aisé, que c’est un chemin tout droit que celui d’être conforme, uniforme avec Dieu, et enfin transformé en Lui.

Or cette conformité s’étend également sur l’intérieur comme sur l’extérieur et elle enferme nécessairement un état simple, exempt de toute multiplicité. Car Dieu étant un être très simple, sans nul mélange, qui est à Lui-même Son objet et Sa fin, il est impossible que nous Lui soyons unis si nous ne sommes très simples, sans mélange d’activité et Qu’il ne soit notre seul objet et notre dernière fin.

Cela fait voir que cette disposition de résignation enferme nécessairement le pur Amour car elle exclut toute multiplicité et tout autre objet et motif que Dieu même. Si cet état renferme le pur Amour, il renferme par conséquent les autres vertus quoiqu’il n’ait la propriété ou l’appropriation d’aucune vertu, et cette exclusion de la propriété dans la vertu fait qu’il ignore la possession de cette vertu quoiqu’il l’ait véritablement.

Cette pratique accoutume l’âme à être toujours tournée vers Dieu par la conformité, à ne se point recourber sur elle-même, ce qui serait un défaut de conformité. Et enfin la remplit si fort de Dieu [43] peu à peu et la fait si fort se laisser soi-même qu’enfin elle s’oublie, passe en Dieu et se perd par rapport à soi pour se retrouver en Dieu pour Lui-même : et c’est alors que la volonté de Dieu lui est rendue aussi naturelle que l’air qu’elle respire.

Mais, dira-t-on, si cette voie, comme vous la dépeignez, est si aisée qu’il n’y ait rien, ce semble, de si naturel795, d’où vient donc que si peu de gens y marchent et que l’on dit qu’il y a tant à souffrir ?

Peu y marchent parce qu’il ne se trouve presque point de guide qui apprenne aux âmes à suivre Dieu et qu’au contraire ils font suivre leurs propres voies : c’est eux que l’on suit et Dieu est oublié.

Il y a à souffrir car c’est une chose inconcevable que l’amour que nous avons pour notre propre volonté et la peine que nous avons à la laisser détruire, surtout lorsqu’elle est soutenue de la raison. Il n’y a que notre résistance et notre propriété qui nous fasse souffrir car les opérations de Dieu sont douces et suaves. Le soleil n’incommode que l’œil malade : aussi Dieu ne fait souffrir par Son opération que l’âme propriétaire et qui tient à quelque chose que Dieu lui veut arracher.

Les démarches de la volonté sont donc celles-ci : de rebelle elle devient soumise et c’est le premier pas. Ensuite elle se résigne et la résignation vient de reconnaissance, de sorte qu’une âme résignée est toute pleine de reconnaissance. Sa résignation se change en conformité. Alors son amour n’est plus un amour de reconnaissance, mais bien un amour de confiance, qui est plus que la simple reconnaissance. C’est plus de se confier [44] que de n’être point ingrat. Elle est suivie de l’uniformité, et l’amour qui appartient à cet état devient uniforme. Et c’est alors que l’âme s’abandonne sans retours sur soi et qu’elle commence d’aimer purement, car l’amour reconnaissant et de confiance a rapport à nous : il n’y a que l’abandon qui soit sans retours sur nous. On s’abandonne à Dieu pour Lui-même et l’abandon se perfectionne incessamment, jusqu’à ce que Dieu change enfin cette volonté en la Sienne. Alors l’abandon disparaît et l’âme s’étant quittée elle-même ne trouve plus de quoi s’abandonner. Elle demeure délaissée, ou pour mieux dire oubliée, comme une chose qui ne la touche plus et à laquelle elle ne prend plus de part : cela s’appelle perte de volonté en celle de Dieu, qui fait la perfection du désintéressement et de l’Amour pur.

Pour ce que vous me demandez des visions et des extases passagères, je crois qu’il vous sera aisé de comprendre parce que je viens de dire qu’elles ne sont de nulle nécessité pour la perfection [et] même qu’il faut qu’une âme, pour arriver à la perfection, les perde, et que, lorsqu’elle y est arrivée, ces choses lui seraient non seulement inutiles mais de plus incompatibles.

La raison de cela est que si l’on regarde une âme comme étant dans la voie de mort, de dénuement, de désappropriation et de perte de soutien, il faut nécessairement qu’elle perde ces appuis, ces vies, et ces soutiens, sans quoi elle ne mourrait jamais à tout appui, ayant les plus grands appuis.

Pour l’âme arrivée dans sa fin, comme elle est unie immédiatement, elle n’a plus besoin des moyens. C’est comme une personne qui étant proche de son époux, pouvant lui parler et le posséder, [45] voudrait qu’il lui envoyât des messagers qui lui disent de ses nouvelles : ces messagers l’empêcheraient de s’appliquer à lui. Les visions ne peuvent être des vues de Dieu même : nul ne verra Dieu, et vivra796. Ce ne sont que des Anges qui se revêtent de formes : ainsi ce sont des messagers ; de plus, ils font des espèces, des objets, des distinctions, ce qui est entièrement opposé à la simplicité, pureté et netteté de cet état qui n’admet que Dieu seul tel qu’Il est en Lui-même, sans nulle distinction en Lui ni de Lui.

Les extases viennent d’un attrait de Dieu qui veut perdre l’âme en soi. Et comme cette âme n’est pas défaite de tous les obstacles qui empêchent son passage en Dieu (passage qui est la véritable Pâques et la sortie de soi, qui ne peut être que par l’anéantissement), ces sortes d’extases peuvent bien arracher l’âme à tous les sentiments d’elle-même et la faire plutôt mourir que de la faire passer en Dieu. L’âme passée en Dieu par la perte, ou plutôt par l’uniformité de sa volonté, est dans sa fin, dans l’ordre et la disposition divine. Elle est dans un état qui exclut toute violence. De plus, supposé qu’elle soit passée en Dieu, elle y est en repos, elle n’est plus tirée par tendance vers Lui puisque toute tendance pour le Centre suppose éloignement de ce même Centre.

Voilà tout ce qui m’est venu ce matin au bout de la plume. Je vous donne ce qui m’est donné : ainsi je n’ai ni précaution ni excuse à vous faire, n’ayant rien à moi que ce qui serait mauvais. [46]

*2.05 Voie du cœur, préférable à celle de l’esprit.

Je ne doute point que l’action de la volonté ne vous soit plus propre que toute autre. C’est pourquoi les livres qui réveillent l’inclination de la volonté ou la pente amoureuse vers Dieu sont non seulement les meilleurs pour vous à présent, mais uniquement ceux qui vous sont propres. Vous ne devez avoir aucune hésitation là-dessus puisque l’action de la volonté est la plus noble et la plus pure action de l’âme, et celle qui est le plus selon le goût de Dieu.

L’action de l’esprit est une action morte pour Dieu, si elle n’excite pas la volonté. Il faut convenir que l’étude de la Théologie et de la Philosophie est sa plus forte action, cependant les Théologiens et les Philosophes ne sont pas plus saints. Il faut donc conclure que l’action de l’esprit ne nous est utile qu’en excitant la volonté. Or sans prendre ce circuit, qui souvent amuse l’esprit sans échauffer le cœur, vous avez la fin indépendamment de ce moyen. Servez-vous donc uniquement de tout ce qui peut émouvoir votre volonté et la tenir en acte continuel, qui n’est autre qu’une attention, ou, pour parler plus juste, une [47] tendance amoureuse vers Dieu. L’attention est pour l’esprit et la tendance pour la volonté.

Il n’y a que cette seule action de l’âme qui puisse être continuelle et sans interruption, car il est certain que l’attention de l’esprit varie incessamment parce qu’il est sujet à mille faiblesses et distractions. Mais il n’en est pas de même de la volonté, que rien ne peut distraire de son objet qu’elle-même. L’amour n’est pas pour elle un état violent, comme la pensée l’est pour l’esprit, je veux dire une pensée fixe. L’esprit se lasse de penser et le cœur ne se lasse jamais d’aimer. L’action de la volonté lui est si naturelle qu’elle ne peut ne la point avoir, bien que son objet change malheureusement quelquefois. Il n’y a que ce qui est naturel et sans violence dans l’homme qui puisse durer longtemps, parce que l’âme est créée pour le repos et pour jouir de Dieu. Et c’est ce qui fait que toute l’action de l’esprit ne lui procure point cette paix savoureuse, cette paix don du Saint-Esprit. Elle ne lui peut non plus procurer une présence de Dieu continuelle, parce qu’il est impossible que l’action de l’esprit puisse durer continuellement. C’est de plus une action sèche, qui n’est bonne qu’autant qu’elle en procure une autre, qui est celle de la volonté.

Concluons qu’il est plus utile pour nous, plus glorieux à Dieu, et même uniquement nécessaire d’aller par la voie de la volonté. C’est le siège de l’amour, l’habitude d’aimer augmente l’amour et l’augmentation de l’amour en facilite l’habitude. Il est impossible d’aimer beaucoup sans être beaucoup occupé de ce qu’on aime. Il est impossible d’aimer beaucoup et vouloir déplaire à ce qu’on aime. Il est impossible d’aimer beaucoup et ne pas [48] faire tout ce que l’on peut pour plaire à l’objet aimé.

Le Diable fait tous ses efforts pour empêcher cette voie d’amour parce qu’il sait bien son efficacité. Il amuse même l’esprit en des choses apparemment bonnes afin d’empêcher la touche du cœur, parce que c’est le siège de la parfaite conversion. C’est cette expérience qui a fait dire à saint Augustin : aimez et faites ce que vous voudrez. Car il est impossible d’aimer sans faire la volonté de celui qu’on aime et par conséquent sans remplir même avec perfection tous ses devoirs. Je ne serais nullement surprise que des philosophes païens, qui ont connu seulement l’action de l’esprit envers des fausses divinités, qui étaient hors d’eux-mêmes et qui n’avaient nulle action de vie à leur égard, combattissent la prière du cœur. Mais que des Chrétiens, dans lesquels cette Loi d’amour a été gravée, la condamnent, c’est ce qui m’effraie : car enfin, cette condamnation ne peut venir que de celui qui se confesse malgré lui privé d’amour797. Il ne s’oppose point à toutes les connaissances, puisqu’il n’y en a aucune qu’il n’ait véritablement, mais il s’oppose à l’amour dont il est dépourvu et c’est cet amour qui le tourmente infiniment.

Tendons continuellement à ce divin Objet, et nous L’aimerons continuellement. Il récompense l’amour par l’Amour même. O avantageuse récompense ! Quel profit n’apportes-tu pas à un cœur et même aussi à l’esprit puisqu’il est certain que la lumière qui vient de l’expérience de l’Amour est la lumière véritablement [49] solide. C’est pour cela qu’il est écrit : goûtez et vous verrez798 : goûtez Dieu, et vous serez éclairé par ce goût de la plus véritable lumière. Le bonheur d’une âme qui découvre Dieu en soi est inexplicable puisqu’à la suite les douleurs mêmes lui deviennent des félicités. Souffrir pour ce qu’on aime est plus à l’amour parfait que jouir de ce qu’on aime. On trouve par là le secret de faire bien et avec agrément tout ce qui est de l’état parce que l’on ne regarde pas la valeur d’une action par ce qu’elle est en elle-même, mais par l’ordre de Dieu et Sa volonté qui mettent le prix à toutes nos œuvres. Il est certain que l’on tombe moins par cette voie que par toute autre parce que la présence de Dieu retient l’âme dans ses chutes. Elle donne nécessairement la confiance et l’abandon à Sa Providence : on se fie aisément à ce que l’on aime et l’on y est tellement dévoué que le moindre de ses ordres est un décret inviolable.

Il y a des temps où l’oraison du cœur devient pénible parce que l’inclinaison amoureuse est plus cachée et moins sensible. Il faut alors ou exciter la volonté par quelques actes d’amour, de confiance et d’abandon, par des retours au dedans, ou demeurer abandonné à Dieu, faisant une oraison de patience selon le degré de l’âme, souffrant comme dit l’Ecriture les suspensions et les retardements de consolations, afin que notre vie croisse et se renouvelle799, car il est certain que le temps de la sécheresse et de l’obscurité est le temps de la purification. Il y a un avantage d’aller dans ces temps par la voie du cœur plutôt que par celle de l’esprit, qui est que lorsque l’esprit est sans action, [50] il est inutile. Mais il n’en est pas de même du cœur, qui ne laisse pas d’aimer réellement lorsqu’il aime insensiblement : son action est même d’autant plus pure qu’elle est plus cachée.

N’appréhendez donc point d’aller par cette voie. Souvenez-vous que le royaume de Dieu qui est l’intérieur est comparé à un trésor caché dans un champ800. Ce n’est pas toujours dans les personnes qui brillent que l’on trouve ce trésor, au contraire il y est d’autant moins qu’il serait plus exposé. Mais c’est dans les personnes cachées, qui brillent peu au dehors parce que tout leur feu est enfermé au-dedans.

*2.06. Sur les exercices et pratiques et sur l'oraison.

1. Il est de la dernière conséquence, surtout dans les communautés, qu'il y ait pour le général quantité de pratiques qui soient le soutien des personnes qui ne sont pas assez intérieures pour [51] s’en passer, et qui remplissent leur journée. On ne doit pas pourtant se faire un lien indissoluble de ce qui n'est point la règle, mais une simple tolérance, ou une pratique pieuse, inventée par la dévotion particulière. Ces pratiques qui ne sont point l'essentiel de la règle, se doivent prendre pour le besoin, se conserver sans attache, et se quitter sans peine.

2. On les prend pour le besoin, lorsque n'étant pas encore usité à trouver Dieu en soi, on le cherche dans tous les objets. Tout ce qui réveille alors son souvenir, est utile, pourvu que l'on ne s'arrête pas à la chose même, mais que l'on passe aussitôt à Dieu par le recueillement. Elles se conservent sans attache lorsqu'on les laisse sitôt qu'elles distraient, sitôt qu'elles ne réveillent point, et lorsqu'on ne se fait pas une pratique essentielle et indispensable d’un moyen jusqu'à se faire un scrupule d’y manquer. Elles ne nous attachent point lorsque nous ne nous retirons jamais du recueillement intérieur pour les faire, lorsque l'on cesse de les continuer, quand on sent dans son fond une tendance à quelque chose de plus simple que souvent on étouffe, soit par la crainte de ne pas bien faire, ou par l’envie de continuer ses pratiques, ce qui, à la fin, éteint ce simple Esprit intérieur que saint Paul recommande si fort de ne point éteindre801.

3. Souvent après l'extinction de ce simple esprit, on se trouve plus porté à ces pratiques extérieures ; mais quoique le goût ait pris le change802, et qu'il se nourrisse là-dedans, c'est un coup grossier, qui n'a rien de la délicatesse de celui de l'Esprit, et qui n'est de nulle utilité pour la correction [52] des défauts. Cela est si vrai que l'on voit des âmes de bonne volonté passer toute leur vie sans faire autre chose que tomber et se relever : si vous en pénétrez la cause, vous verrez qu'elles ont eu au commencement un goût simple pour le recueillement intérieur, que la multitude des pratiques extérieures a étouffé, comme un petit feu s'allume par des petits bois ou de la paille et s'éteint par trop de matière.

4. Pour la manière d'oraison, il y en a une où l'on ne doit jamais mettre personne, et où même je soutiens que l'on ne peut introduire : c'est la passive. Mais il y a une oraison active, où l'on doit mettre tout le monde. Il y a deux manières de pratiquer l’oraison active, l'une incomparablement plus utile que l'autre, et bien plus agréable à Dieu, ce qui se connaît et par la bénédiction que Dieu lui donne et par ses effets.

5. Celle qui est la plus utile, et dont je veux parler, est celle du cœur. Dieu ne nous a jamais demandé notre raisonnement dans aucun endroit de l'Ecriture, et il nous demande sans cesse notre cœur. Il semble borner là toutes ses prétentions pour nous faire mille grâces. Une âme ne le cherche pas plutôt dans le fond de son cœur avec fidélité et persévérance, qu'il se manifeste à elle. Sitôt qu'il s'y est manifesté, quel bien sa présence n'apporte-t-elle pas à l'âme ! Il la guérit en un moment de ses blessures, la fortifie contre de nouvelles ; enfin, une personne, par cette oraison, acquiert plus de vertus en un mois que par la seule méditation en toute sa vie.

6. La méditation est un jeu de l'esprit, qui n'est utile qu'autant qu'elle échauffe le cœur et excite la volonté : il faut donc pour la rendre [53] utile qu'elle ne sert que comme d'un soufflet pour allumer le feu, et le laisser brûler dès qu'il est allumé. Pour que cela soit de la sorte, il faut que nous nous imprimions les vérités essentielles de notre religion dans l'esprit, ce qui nous est absolument nécessaire ; mais lorsque notre esprit est une fois convaincu des vérités, ce qui est bientôt fait et en peu de jours, il faut que ces vérités nourrissent le cœur.

Il ne faut donc alors qu'un simple envisagement de la vérité, et toujours comme dans nous ; mais le principal exercice doit être du cœur et de l'affection envers Dieu.

Lorsque notre cœur se trouve ému et tranquillisé, il faut bien se donner de garde de le tirer de là, étant une marque que Dieu opère, et le signe même qu'il a donné à ses Apôtres de sa présence, puisqu'en entrant où ils étaient, il leur donnait sa paix803.

7. Il faut donc par nécessité se servir de l'action pour allumer le feu, mais le laisser brûler lorsqu'il est allumé.

Les maximes du recueillement intérieur, de la tendance de la volonté vers Dieu, sont pour tous ; mais l’union avec Dieu ne peut être une maxime, ni générale ni particulière : ce n'est point une maxime, c'est un don de Dieu, que nul ne se peut donner, mais où tous doivent tendre. Or il est certain que les moyens les plus propres pour nous la procurer sont ceux qui doivent être choisis de tous : donc, tous doivent y tendre.

8. La voix du recueillement intérieur, de la simple affection, du renoncement à soi-même, est pour tous, ou bien l'Évangile n'est pas pour tous. Ceci [54] est très constant : ainsi il ne peut y avoir de dangers à prendre cette voie ; il est même nécessaire d’y marcher, sans quoi l'on n'est que des philosophes chrétiens, et non des amateurs de Jésus-Christ. Il est certain que le cœur de l'homme ne peut point demeurer toujours en un même état : celui qui n'avance pas, recule. Il est donc absurde de vouloir que des exercices médités servent toute la vie aux mêmes personnes, que l'on donne vingt ans durant dans les retraites, les exercices de saint Ignace ou autre ; et il faut pour cela supposer que cette personne est encore au même point qu'elle était il y a vingt ans, ce qui est un malheur effroyable, et qui marque que son esprit a été exercé, mais que son cœur n'est pas changé. Car s'il est de foi que qui cherche, trouve804, il faut donc trouver une fois, et jouir de ce qu'on a trouvé, sans quoi l'on demeure toujours vide, quoique les journées paraissent remplies de beaucoup d'actions.

9. Ô malheur digne de toutes nos larmes, que le cœur des hommes demeure vide près d'une si grande plénitude ! Il est certain ou que nous ne cherchons point Dieu comme il faut, ou que, si nous le cherchons comme il faut, nous le devons trouver un jour. Si nous ne le cherchons pas comme il faut, il faut apprendre à le chercher d'une manière efficace, car ou notre religion serait une mômerie, ou nous devons trouver notre Dieu, puisqu'il est si proche. Hélas ! Nous le cherchons à tâtons en plein midi, c'est pourquoi nous ne le trouvons pas. Si nous l'avons trouvé, il faut le posséder et s'en laisser posséder. Celui qui, après plusieurs années de recherche, ne possède pas Dieu, doit conclure ou qu'il l’a mal [55] cherché, ou que, l'ayant trouvé, il l'a quitté : ainsi il doit reprendre le chemin qui conduit directement à lui. On veut pour médecin un homme expérimenté, et on rejette l'expérience d’une personne qui a trouvé Dieu et qui proteste qu'elle l’a trouvé dans un tel endroit. On emploie toute l’éloquence à lui persuader qu'elle ne l'a pas trouvé où elle dit dans le temps même qu'elle le possède encore en ce même lieu ; et cela, afin de ne le pas chercher là, parce que l'empire de l'esprit de ténèbres serait détruit par cette fidèle recherche. Il ne faut pas s'étonner si cet esprit s’oppose si fort à cette oraison. Il laisse faire toutes les austérités du monde sans tourmenter ni ceux qui les conseillent, ni ceux qui les font ; mais pour l'oraison, bon Dieu, quel déchaînement n'a-t-il pas contre elle !

10. Toutes les créatures gémissent, comme dit saint Paul805, attendant la délivrance : cette délivrance est l'adoption des enfants, qui leur fait crier dans le fond du cœur : Abba, Pater. Ceux qui sont enfants de Dieu sont mus de son Esprit. Ô perte déplorable que celle que font les chrétiens d'aujourd'hui, faute de chercher Dieu en eux-mêmes, et de l'adorer en esprit et vérité dans ce temple saint de l'intérieur ! On dit que ce saint et divin pain, qui est la nourriture de l'âme et le pain des anges, est une nourriture empoisonnée, et on laisse les hommes mourir de faim faute de le leur laisser prendre. Ceux qui en ont mangé, ont beau assurer que c'est une nourriture excellente, qui engraisse et donne la vie, on ne veut point les en croire, et l'on aime mieux laisser mourir les âmes de faim, que de leur en laisser prendre. Ô [56] source d'eau vive, l'on vous craint, vous qui êtes le seul préservatif contre le venin de ces eaux empoisonnées de l'amour de nous-mêmes ! Ô Vérité nue et claire, on vous couvre, et l'on ne manifeste que le mensonge ! On ne veut point de la lumière du soleil, parce qu'elle fait voir les objets tels qu'ils sont ; et l'on veut un faux brillant qui nous éclaire à faux, et qui nous laisse vivre en nous-mêmes dans de fausses maximes qui dérobent la gloire et l'empire à Jésus-Christ sur nos cœurs !

*2.07. De la prière ou de l'oraison en général, et des moyens qui y contribuent.

La prière n'est autre chose que l'amour de Dieu. Les paroles que nous prononçons sont inutiles à l'égard de Dieu ; car il connaît, sans avoir besoin de nos paroles, le fond de nos sentiments. La véritable demande est donc celle du cœur. Et le cœur de demande que par ces désirs. Prier [57] est donc désirer. Celui qui ne désire pas du fond du cœur, fait une prière trompeuse ; quand il passerait les journées entières à réciter des prières ou à méditer, ou à s'exciter à des sentiments pieux, il ne prie point véritablement s’il ne désire pas ce qu'il demande.

Ô qu'il y a peu de gens qui prient ! Car où sont ceux qui désirent véritablement les biens d’en-haut ? Ces biens sont les croix extérieures et intérieures, l'humiliation, le renoncement à sa propre volonté, la mort à soi-même, le règne de Dieu sur les ruines de l'amour-propre. Ne point désirer ces choses, c'est ne prier point. Pour prier il faut les désirer sérieusement, effectivement, constamment, et par rapport à tout le détail de la vie ; autrement, la prière n'est qu'une illusion, semblable à un beau songe, où un malheureux se réjouit, croyant posséder une félicité qui est bien loin de lui. Hélas, combien d'âmes pleines d'elles-mêmes et d’un désir imaginaire de perfection au milieu de toutes leurs imperfections volontaires, qui n'ont jamais prié de cette véritable prière du cœur ! Voilà le principe sur lequel saint Augustin disait : qui aime peut, prie peut ; qui aime beaucoup, prie beaucoup.

On ne cesse point de prier, quand on ne cesse jamais d'avoir le vrai amour et le vrai désir dans le cœur. L'amour caché au fond de l’âme prie sans relâche, lors même que l'esprit ne peut être dans une actuelle attention. Dieu ne cesse de regarder dans cette âme le désir qu'il y forme lui-même, et dont elle ne s'aperçoit pas toujours. Ce désir en disposition touche le cœur de Dieu : c'est une voix secrète qui attire sans cesse ses miséricordes ; c'est cet esprit806 qui, comme dit [58] saint Paul, gémit en nous par des gémissements ineffables ; il aide notre faiblesse. Cet amour sollicite Dieu de nous donner ce qui nous manque, et d'avoir moins d'égard à notre fragilité qu'à la sincérité de nos attentions. Cet amour efface même nos fautes légères, et nous purifie comme un feu consumant : il demande en nous et pour nous ce qui est selon Dieu ; car nous ne savons pas ce qu'il faut demander807 ; nous demanderions ce qui nous seraient nuisibles ; nous demanderions certaines faveurs, certains goûts sensibles, et certaines persécutions apparentes, qui ne servirait qu'à nourrir en nous la vie naturelle et la confiance en nos propres forces ; au lieu que cet amour, en nous aveuglant, en nous livrant à toutes les opérations de la grâce, en nous mettant dans un état d'abandon pour tout ce que Dieu voudra faire en nous, nous dispose à tous les desseins secrets de Dieu.

Alors nous voulons tout, et nous ne voulons rien : ce que Dieu voudra nous donner est précisément ce que nous avons voulu ; car nous voulons tout ce qu'il veut, et nous ne voulons que ce qu'il voudra ; ainsi cet état contient toute prière. C'est une opération du cœur qui embrasse tout désir. L'esprit demande en nous ce que l'Esprit lui-même nous veut donner. Lors même qu'on est occupé au-dehors, et que les engagements de pure Providence nous font sentir une distraction inévitable, nous portons toujours au-dedans de nous un feu qui ne s'éteint point ; au contraire, que tout nourrit, une prière secrète, qui est comme une lampe sans cesse allumée devant le trône de Dieu. Si nous dormons, notre cœur veille808 ; et [59] Bienheureux ceux que le Seigneur trouvera veillant809 !

Pour conserver cet esprit de prière, qui doit nous unir au Seigneur, il faut faire deux choses principales ; l'une est, de le nourrir ; l'autre, d'éviter ce qui pourrait nous le faire perdre.

Premièrement. Ce qui peut le nourrir, c'est la lecture réglée, l'oraison actuelle en certain temps, le recueillement fréquent dans la journée, les retraites mêmes quand on sent qu'on en a besoin, auquel sont conseillés par les gens expérimentés que l'on consulte ; enfin, l'usage des sacrements proportionnés à son état. Deuxièmement. Ce qui peut faire perdre l'esprit de prière, doit nous remplir de crainte, et nous tenir dans une exacte précaution : ainsi il faut fuir les compagnie profane, qui dissipent trop ; les plaisirs, qui émeuvent les passions ; tout ce qui réveille le goût du monde et les anciennes inclinations qui les ont été funestes.

Le détail de ces deux choses et infini, et on ne peut le marque quand générale, parce que chaque personne à ses besoins particuliers.

Il faut choisir des lectures qui nous instruisent de nos devoirs et de nos défauts ; qui en nous montrant la grandeur de Dieu, nous enseignent ce que nous lui devons, et nous découvrent combien nous manquons à l'accomplir. Car il n'est pas question de faire des lectures stériles, où notre cœur s'épande et s'attendrisse comme à un spectacle touchant. Il faut que l'arbre porte des fruits ; et on ne peut croire que la racine soit vie autant qu'elles le montrent par sa fécondité. Le premier effet du sincère amour, c'est de désirer de connaître tout ce qu'on doit faire pour contenter le [60] Bien-aimé de notre cœur. Autrement, c'est s'aimer soi-même sous le prétexte de l'amour de Dieu ; c'est chercher en lui une nouvelle trompeuse consolation ; c'est vouloir faire servir Dieu à son propre plaisir, et non se sacrifier à sa gloire. À Dieu ne plaise que ses enfants l'aiment ainsi ! Quoi qu'il en coûte, il faut connaître et pratiquer sans réserve tout ce qu'il demande de nous. Pour l'oraison, elle dépend du loisir, de la disposition, et de l'attrait de chaque personne. La méditation n'est pas l'oraison, mais elle en est le fondement essentiel. On ne peut approcher de Dieu, vérité suprême, qu'autant qu'on est rempli des vérités qui nous a révélé. Il faut donc connaître à fond non seulement tous les mystères de Jésus-Christ et toutes les vertus de son Évangile, mais encore tout ce que ces vérités doivent appris d'personnellement en nous pour nous régénérer. Il faut que ces vérités nous pénètrent longtemps, comme la teinture s'imbibe peu à peu dans la laine que l'on veut teindre. Il faut que ces vérités nous deviennent familières, en sorte qu'à force de les voir de près et à toute heure, nous soyons accoutumés à ne juger plus de rien que par elles ; qu'elles soient notre unique lumière pour juger dans la pratique, comme les rayons du soleil sont notre unique lumière pour apercevoir la figure et la couleur de tous les corps. Quand ces vérités se sont pour ainsi dire incorporées de la sorte en nous, c'est alors que notre oraison commence à être réelle et fructueuse. Jusque-là cela n'était que l'ombre : nous pensions voir à fond les vérités, et nous n'en touchions que l'écorce grossière. Tous nos sentiments les plus tendres et les plus vifs, tous nos résolutions [61] les plus fermes, toutes nos vues les plus claires et les plus distinctes, n'étaient encore qu'un germe de vie et informe de ce que Dieu développe en nous. Quand cette lumière commence à nous éclairer, alors on voit dans la vraie lumière de Dieu : alors il y a aucune vérité à laquelle on n'acquiesce dans le moment, comme on n'a pas besoin de raisonner pour reconnaître la splendeur du soleil dès le moment qu'il s'élève et frappe nos yeux. Il faut donc que notre union à Dieu dans l'oraison soit toujours fondée sur la méditation exacte des vérités évangéliques ; car c'est uniquement par la fidélité à suivre toutes ses volontés qu'on peut juger de notre amour pour lui. Il faut même que cette méditation devienne chaque jour de plus en plus profonde et intime. Je dis profonde, parce que quand nous méditons les vérités simplement, nous nous enfonçons de plus en plus pour les découvrir de nouveaux trésors. J'ajoute, intime, parce que comme nous creusons de plus en plus pour entrer dans ces vérités, ces vérités aussi creusent de plus en plus pour entrer jusque dans la substance de notre âme. Alors un seul mot tout simple rentre plus avant que des discours entiers. Les mêmes choses qu'on avait cent fois entendues froidement et sans aucun fruit, nourrissent l'âme d'une manne cachée, et qui a des goûts infinis, et pendant plusieurs jours ; car il ne faut cesser de se nourrir de certaines vérités, dont nous avons été touchées, tandis qu'il leur reste encore quelque suc pour nous ; tandis qu'elles ont encore quelque chose à nous donner, c'est un signe certain que nous avons encore besoin de recevoir d'elles ; elles nous nourriront même souvent sans aucune instruction précise et [62] distincte : c'est un je ne sais quoi qui opère plus que tous les raisonnements. On voit une vérité ; on l'aime ; on s'y repose ; elle fortifie le cœur ; elle nous détache de nous-mêmes : il faut demeurer en paix tout aussi longtemps qu'on le peut. Pour la manière de méditer, elle ne doit être ni subtile, ni pleine de grands raisonnements. Il ne faut que des réflexions simples, naturelles, tirées immédiatement du sujet qu'on médite. Il faut méditer peu de vérités, et les méditer à loisir, sans effort, sans chercher des pensées extraordinaires. On ne doit considérer aucune vérité que par rapport à la pratique : se remplir des vérités sans prendre toutes les mesures nécessaires pour la suivre fidèlement, quoiqu'il en coûte, c'est vouloir retenir, comme dit saint Paul810, la vérité dans l’injustice ; c'est résister à cette vérité imprimée en nous, et par conséquent au Saint Esprit même : c'est le plus terrible de tous les péchés.

Pour la méthode de méditer, on doit la faire dépendre de l'expérience qu'on a là-dessus. Ceux qui se trouvent bien d'une méthode exacte, ne doivent point s'en écarter. Ceux qui ne peuvent s'y assujettir, doivent respecter ce qui sert utilement à tant d'autres, et que tant de personnes pieuses et expérimentées ont tant recommandées ; mais enfin, comme les méthodes sont faites pour aider et non pour embarrasser, quand elle n'aident point et qu'elles embarrassent, il faut les quitter. La plus naturelle dans les commencements, est de prendre un livre, qu'on quitte quand on se sent recueilli par l'endroit qu'on vient de lire, et qu'on reprend quand cet endroit ne fournit plus rien pour se nourrir intérieurement. En [63] général, il est certain que les vérités que nous goûtons davantage, et qui nous donnent une certaine lumière pratique pour les choses que nous avons à sacrifier à Dieu, sont celles où Dieu nous marque un attrait de grâce qu'il faut suivre sans hésiter. L'esprit souffle où il veut811 ; Là où il est, là aussi la liberté812.

Dans la suite on diminue peu à peu en réflexions et en raisonnements ; les sentiments affectueux, les vues touchantes, les désirs augmentent. C'est qu'on est assez instruit et convaincu par l'esprit : le cœur goûte, se nourrit, s'échauffe, sans faire ; il ne faut aucun mot pour occuper longtemps ; enfin l'oraison va toujours croissant par des vues plus simples et plus fixes ; en sorte qu'on n'a plus besoin d'une si grande multitude d'objets et de considérations. On est avec Dieu comme avec un ami. D'abord on a mille choses à dire à son ami, et mille à lui demander : mais dans la suite ce détail de conversation s'épuise, sans que le plaisir du commerce puisse s'épuiser : on a tout dit ; mais sans se parler on prend plaisir à être ensemble, à se voir, à sentir qu'on est l'un auprès de l'autre, à se reposer dans le goût d'une douce et suave amitié. On se tait ; mais dans le silence on s'entend ; on sait qu'on est d'accord en tout, et que les deux cœurs n'ont font qu'un ; l'un se verse sans cesse dans l'autre. C'est ainsi que dans l'oraison, de commerce avec Dieu parvient à une union simple et familière, qui est au-delà de tout discours. Mais il faut que Dieu fasse uniquement par lui-même cette sorte d'oraison en nous ; et rien ne serait ni plus téméraire ni plus dangereux que d'oser s'y introduire [64] de soi-même ! Il faut se laisser conduire pas à pas par quelques personnes qui connaissent les voies de Dieu et qui pose longtemps le fondement inébranlable d'une exacte instruction est une entière mort à soi-même dans tout ce qui regarde les mœurs.

Pour les retraites et la fréquentation des sacrements, il faut se régler par les avis de la personne en qui on prend confiance. Il faut avoir égard à ses besoins, à l'effet que la communion produite en nous, et à beaucoup d'autres circonstances propres à chaque personne. Les retraites dépendent et du loisir, et du besoin où l'on se trouve. Je dis du besoin, parce qu'il faut être sur la nourriture de l'âme comme sur celle du corps : quand on ne peut supporter un travail sans une certaine nourriture, il faut la prendre ; autrement, on s'expose à tomber en défaillance. J'ajoute le loisir, parce qu'excepté ce besoin absolu de nourriture, dont nous venons de parler, il faut remplir ses devoirs plutôt que suivre son de ferveur. Un homme qui se doit au public, et qui passerait le temps destiné à ses fonctions, à méditer dans la retraite, manquerait à Dieu en s'imaginant s'unir à lui. La véritable union à Dieu est de faire sa volonté sans relâche et malgré tous les défauts naturels dans tous les devoirs les plus ennuyeux et plus pénibles de son état.

Pour les précautions contre les dissipations, les voici en gros. C'est de fuir tous les commerces de suite et de confiance avec des gens dans des maximes contraires à la piété, surtout quand ces maximes contagieuses nous ont autrefois séduits : elles nourrissent encore facilement nos plaies ; elles ont même une intelligence secrète au fond de notre cœur, où nous [65] avons un conseiller doux et flatteur, toujours prêt à nous aveugler et à nous trahir. Voulez-vous juger d'un homme? Observez, dit le Saint Esprit, quels sont ses amis813. Comment celui qui aime Dieu, et qui ne veut plus rien aimer que pour Dieu, aurait-il pour ami intime ceuux qui n'aiment et ne connaissent point Dieu, et qui regardent son amour comme une faiblesse ? Un cœur plein de Dieu et qui sent sa propre fragilité, ne peut jamais être en repos et à son aise avec des gens qui ne pensent sur rien comme lui, et qui sont à tout moment en état de lui ravir tout son trésor ? Le goût de tels gens, et le goût que de la foi, sont incompatibles. Je sais bien qu'on ne peut et que même on ne doit pas rompre avec certains avis auquel on est lié par l'estime de leur probité, par leur service, par l'engagement d'une sincère amitié, ou enfin par la bienséance d'un commerce honnête. On pique jusqu'au vif d'une manière dangereuse des avis auquel on nous semble sur une certaine familiarité et une confiance en qu'ils sont en possession : mais sans rompre, et sans déclarer son refroidissement, peut trouver des manières douces et insensibles de modérer ce commerce. On les voit en particulier ; on les distingue des demi-amis ; on leur ouvre son cœur sur certaines choses ou la probité et l'amitié mondaine suffisent pour les mettre à portée de donner de sages conseils, et de penser comme nous, quoique nous pensions les mêmes choses que par des motifs plus purs et plus relevés ; enfin on les sert, et on continue tous les soins d'une amitié cordiale sans livrer son cœur. Sans cette précaution, tout est en [66] péril ; et si on ne prend courageusement dès les premiers jours le dessus pour se rendre libre dans la piété et indépendant de ses amis profanes, c'est une piété qui menace une ruine prochaine. Si un homme qui est obsédé par de tels avis est d'un naturel fragile, et si ses passions sont faciles et enflammées, il est manifeste que ses amis mêmes les plus sincères le rentraineront. Ils sont, si vous voulez, bons, honnêtes, pleins de fidélité et de tout ce qui rend la pitié parfaite : n'importe ; plus ils sont empressés, plus ils sont aimables, plus ont-ils à craindre. Pour ceux qui n'ont point ces qualités estimables il faut les sacrifier : trop heureux qu'un tel sacrifice, qui doit coûter si peu, nous vaille une sûreté si précieuse pour notre salut éternel.

Outre qu'il faut choisir avec grand soin les personnes que nous voyons, il faut encore nous réserver les heures nécessaires pour ne voir que Dieu dans la prière. Les gens qui sont dans des emplois considérables ont tant de devoirs indispensables à remplir, qu'ils ne leur restent guère de temps pour être avec Dieu, à moins qu'ils ne soient bien appliqués à ménager leur temps. Si peu qu'on ait de pente à s'amuser, on ne retrouve plus les heures destinées ni pour Dieu, ni pour le prochain. Il faut donc tenir ferme pour se faire une règle. La rigidité à l'observer semble excessive ; mais sans elle tout tombe en confusion ; on se dissipe, on se relâche, on perd ses forces, on s'éloigne insensiblement de Dieu, on se livre à tous ses goûts, et on ne commence à s'apercevoir de l'égarement où l'on tombe, que quand on y est déjà tombé, jusqu'à n'oser plus espérer d'en pouvoir revenir. Prions, prions : la prière est notre unique salut. [67] Béni soit le seigneur, qui n'a retiré de moi ni ma prière, ni sa miséricorde814 ! Pour être fidèle à prier, il faut être fidèle à régler toutes les occupations de sa journée avec une fermeté que rien n'ébranle jamais.

*2.08 De la vraie et libre oraison et de ses avantages.

L’oraison est d’institution divine et l’on ne peut non plus abolir l’oraison que l’on ne peut abolir le sacrifice. L’oraison est une des parties du sacrifice, et si essentielle que, lorsque Dieu se fit bâtir un temple, Il dit : Cette maison qui est à moi, sera nommée maison d’oraison815. David dit : Je vous offrirai un sacrifice de louange816. Tous les saints Patriarches l’ont pratiquée. Jésus-Christ en a fait durant toute sa vie Sa principale occupation. [68] Il nous a dit à tous : Veillez et priez817, et en un autre endroit : Priez en tout temps818. Saint Paul nous dit de prier sans cesse819.

Il y a des prières secrètes et des publiques. Le sacrifice, le chant des Psaumes, est public. Mais l’oraison est secrète : lorsque vous voudrez prier, entrez dans votre cabinet820.

L’oraison est essentielle à la Religion chrétienne. Elle a été, comme le sacrifice, perpétuée et perfectionnée dans la nouvelle Loi puisqu’il est dit : Il viendra un temps, et l’heure est venue, que les vrais adorateurs adoreront le Père en esprit et vérité821.

La nécessité de l’oraison ainsi fondée, il n’est question que de voir la nature de l’oraison. Tous les saints, tant de l’ancienne Loi que de la nouvelle, ont pratiqué une oraison libre qui n’est autre que l’exercice de la volonté et de l’amour. Telle était l’oraison de David, dont les sentiments sont si clairement exprimés dans les Psaumes que l’on n’en verra point de pareils ailleurs.

Comme Dieu est au-dessus de toute connaissance et que l’on ne peut rien se former de Dieu, la méditation n’est pas ce qui peut donner une plus forte connaissance de Lui, puisqu’un raisonnement humain aidé de la grâce ne peut découvrir en Dieu que ce que l’homme en conçoit, qui est toujours affirmativement et qui n’est rien moins que Dieu. Tout l’avancement de l’oraison consiste à faire découvrir à l’âme que Dieu est au-dessus de toute conception. Et alors elle va à Lui en niant et non en affirmant, et cette négation est l’exercice de la foi. [69]

Il n’y a que deux voies par lesquelles on puisse avoir une connaissance certaine de Dieu, qui sont la vision béatifique en l’autre vie, et en celle-ci la vue de la foi qui croit tout en Dieu sans vouloir rien examiner en Lui. Car plus on veut s’élever en Dieu par la connaissance, plus Il S’élève Lui-même au-dessus et devient toujours plus incompréhensible. En sorte que la plus grande science est de connaître que l’on ne peut rien comprendre et de s’abîmer par la foi et par l’humilité en Celui que l’on ne peut concevoir, se laissant comprendre de Celui qui ne peut être compris.

Par cette vue de foi qui est non dans l’oisiveté mais dans l’exercice continuel de la charité, les deux autres vertus théologales sont exercées dans l’oraison d’une manière admirable. Car alors l’âme espère dans Celui qu’elle croit et se confie à Celui dont la puissance, la grandeur, la bonté, et le reste de Ses attributs, est au dessus de tout ce qu’elle en peut penser. L’impuissance en elle de connaître Dieu augmente sa foi et son espérance, et anime admirablement sa charité. Car l’esprit ne se dissipant point en raisonnements et étant tout ramassé dans la foi et dans l’espérance, il met toute sa force dans l’exercice de l’amour et fait sans cesse des actes d’amour, trop heureux de voir qu’il aime et qu’il peut exercer son amour envers Celui qu’il croit, qu’il espère et qu’il connaît si grand qu’il n’en peut raisonner. Or comme la fin de la méditation n’est que pour émouvoir l’affection, si dès le commencement je porte mon affection à l’exercice de l’amour, dès le commencement j’ai la fin de la méditation et employant toute l’oraison en acte d’amour, [70] j’ai fait une oraison beaucoup meilleure. Et comme plusieurs actes réitérés font une habitude, à force d’actes d’amour je contracte l’habitude de l’amour et de la charité, qui maintient l’âme dans la grâce de Dieu et l’y affermit. Ce que ne peut faire le raisonnement, puisque nous voyons que les philosophes ont eu de très hautes connaissances de Dieu et ne L’ont jamais aimé.

C’était la connaissance donnée à David de ces choses qui lui faisait dire dans l’habitude où il était de l’exercice des trois Vertus théologales : credidi, propter quod locutus sum822, etc. J’ai cru, et la lumière de la foi a été en moi si grande qu’elle m’a plus instruit de Dieu que tout le raisonnement, mais d’une manière si admirable qu’en m’instruisant elle m’a anéanti et humilié dans l’excès, ce que ne fait pas le raisonnement, qui élève. Cette lumière de foi m’a appris que tout homme est menteur et que toutes les connaissances qui viennent de la raison sont trompeuses. Il n’y a que la foi qui soit sûre. Toutes les hérésies sont venues par le raisonnement et par le défaut de foi. Cette foi lui redouble son espérance, il l’exprime en je ne sais combien d’endroits : J’ai espéré en Dieu. In te, Domine, speravi823, etc., et en bien d’autres lieux.

De là entrant dans l’exercice de la pure charité, quel amour ne témoigne-t-il pas d’avoir pour son Dieu ! Cet amour est si grand que son cœur et sa chair brûlent d’ardeur pour le Dieu vivant. Il compare l’ardeur de son cœur à la soif du cerf altéré : Comme le cerf désire l’eau des fontaines824, etc. [71] Puis entrant dans l’amour le plus épuré et le plus fort par le continuel exercice de son cœur, il témoigne partout une espérance que rien ne peut ébranler, de sorte que l’oraison de ce Patriarche n’était que l’exercice de ces trois vertus, exercice qui fait l’oraison libre, active ou passive : recevant de Dieu l’écoulement de Ses grâces, et c’est la passive, et les lui renvoyant par l’exercice de l’amour actuel, et c’est l’action de l’homme.

Que l’exercice de l’amour soit plus noble, plus grand, plus utile, et plus glorieux à Dieu que le raisonnement, cela est clair dans l’Évangile où Jésus-Christ825 nous assure que celui qui est dans l’exercice de la charité accomplit la loi. Dieu nous a commandé de L’aimer, mais Il ne nous a pas commandé de Le connaître826.

De sorte que pour défendre l’oraison, il faut défendre les actes des trois vertus théologales que je n’exerce jamais mieux que dans l’oraison.

Sur ce que l’on dit que l’amour suppose la connaissance, cela n’est pas en ce qui regarde Dieu. Il suppose la foi qui est la plus sûre et la plus véritable connaissance que nous puissions avoir de Dieu, et non pas le raisonnement sur Dieu. Si je puis dans un simple envisagement regarder une créature et l’aimer sans raisonner en détail sur ce qu’elle a d’aimable, il en est encore bien autrement de Dieu, Lequel nous pouvons non seulement connaître de cette sorte, mais de plus, Dieu étant en nous et se communiquant à nous par la volonté et l’amour, l’écoulement de Ses grâces par lesquelles on Le peut connaître tombe plus sur [72] l’expérience que sur la connaissance. C’est pourquoi il est écrit : Goûtez et vous verrez827. Or je dis que tout ce qui tombe sous l’expérience ne se peut connaître que par le goût et non par le raisonnement. Dieu étant en nous et S’y faisant sentir, Il S’y fait aimer avant que de S’y faire connaître et c’est l’amour qui En donne la connaissance par l’expérience, comme un enfant se fait sentir dans les entrailles de sa mère avant que de se faire connaître.

La créature doit donc, de son côté, exercer ces trois vertus théologales et c’est là l’emploi des trois puissances de l’âme : c’est son action qui est la plus noble et la plus forte de toutes, et la fin pour laquelle elle a été créée. Mais comme cet exercice est très doux, très facile et très simple, l’âme qui l’exerce croit n’y agir pas, parce qu’elle ne fait pas de différence entre la fonction des puissances et celle des sens intérieurs. Les puissances ne sont créées que pour croire, espérer et aimer dans cette vie , et dans l’autre pour voir ce qui a été cru. Et la vue est si fort le remplacement de la foi que l’Ecriture dit et assure qu’il n’y aura plus de foi en l’autre vie : on y aimera828. Pour ici, comme les trois vertus théologales regardent les trois principales fonctions de l’âme, l’âme n’agit jamais plus que lorsqu’elle les exerce. Que si elle ne connaît pas son action, c’est parce qu’elle ne tombe pas alors sous le sentiment, et c’est ce que l’on appelle oraison passive où l’entendement, à force de croire Dieu, s’unit à lui. Il en est de même de la mémoire et de la volonté. Dieu envoie une grâce si abondante et un amour infus redonde si fort que [73] cela absorbe toute l’action de la créature pour laisser l’âme dans la possession de ce que Dieu lui communique. Mais lorsqu’Il ne communique rien, elle reprend son exercice des trois vertus théologales.

Il est clair qu’il ne peut y avoir d’inconvénient à une telle oraison, qui peut beaucoup perfectionner l’âme. Pour les abus, il n’en vient que des personnes qui se mettent dans une fausse oisiveté, qui n’ont point cet exercice des trois vertus Théologales et qui se règlent selon leurs caprices : ces gens là abusent de tout . Et le Démon, qui voit l’avantage de cette oraison, suscite de faux spirituels pour la détruire, s’il peut, en faisant voir l’abus que l’on en fait et en la décriant. Il en a fait de même dès la naissance de l’Église et dès que l’Évangile a paru au jour pour en détruire la force par ses inventions, mais comme les hérésies qui ont pris naissance de l’Ecriture n’ont point empêché sa pureté, aussi les abus de l’oraison n’empêchent pas sa bonté. Et il ne la faut non plus condamner que l’Évangile, mais en condamner seulement les abus, de même que l’on n’a pas interdit les Sacrements pour l’abus qui s’en fait chaque jour.

*2.09 De l’oraison d’affection et de silence.

Comme l’oraison est un point si important qu’on le peut appeler l’unique moyen pour arriver à la perfection et pour établir le pur Amour dans nos cœurs, et comme tous les Chrétiens sont [74] appelés à cet état du pur amour, elle convient à toutes sortes de personnes, et même aux esprits les plus simples et les plus grossiers, qui sont capables de cette sorte d’oraison. Elle nous conduit plus promptement à l’union et à l’uniformité de volonté avec Dieu.

L’âme qui veut faire cette oraison n’a qu’à faire au commencement deux actes : premièrement celui de la présence de Dieu. Et comme c’est une vérité de foi que la Majesté infinie de Dieu et toute l’adorable Trinité remplit tout, l’âme doit faire un acte intérieur de cette foi, se persuadant fortement cette vérité que Dieu le Père, le Fils et le St Esprit, est dans elle (aussi bien que dans le lieu où elle est, et en tous lieux) aussi réellement présent que dans le Paradis. Après cet acte de foi, elle doit faire un acte d’abandon entre Ses mains paternelles, Lui protestant de tout son cœur qu’elle abandonne et son intérieur et son extérieur à cette très-sainte volonté , qu’Il dispose d’elle selon Son bon plaisir, dans l’oraison et hors de l’oraison, pour le temps et pour l’éternité. Cela fait, elle n’a plus qu’à demeurer tout le temps de l’oraison en paix et en silence, tâchant de s’occuper de ce souvenir amoureux de Dieu, présent en elle aussi réellement qu’Il l’est au ciel. Si l’on a quelque distraction, pourvu que l’on n’y consente pas et que l’on demeure toujours dans la volonté d’être là pour aimer Dieu, on est agréable à Dieu, et on L’aime.

Il ne faut pas croire que cet état de silence intérieur soit une oisiveté ou perte de temps. Cela n’est pas. Au contraire, l’âme est mieux occupée que jamais, puisqu’elle opère les trois vertus théologales , la foi, l’espérance et la charité : la foi, puisqu’elle croit en Dieu Père, Fils et [75] Saint Esprit aussi réellement présent qu’Il est présent au ciel ; l’espérance, puisque pour rien au monde elle ne demeurerait en cet état si elle n’espérait d’y plaire à Dieu ; mais elle exerce encore mieux la vertu de l’amour, de la charité, puisqu’elle demeure tout ce temps résignée et abandonnée à la volonté de Dieu ce qui est un perpétuel acte d’amour et qui nous rend parfaits en la manière que notre Père céleste est parfait. Il faut L’aimer comme Il nous a aimés, c’est-à-dire purement, sans intérêt, sans retour sur soi-même. C’est là l’amour le plus épuré que nous puissions avoir pour Dieu. Il ne faut pas avoir de corps, ni d’âme, ni de vie, que pour les sacrifier à Son bon plaisir et consentir aussi amoureusement à notre propre destruction, pour le faire régner à tout jamais.

La vraie manière de plaire à cette Majesté Souveraine est le silence très respectueux, confessant qu’il ne nous appartient pas de parler à un Seigneur devant lequel les colonnes du ciel tremblent. Que ce soit donc à l’avenir notre oraison, puisque dans ce silence respectueux on pratique si noblement les grandes vertus ! Mais que ce ne soit point tant pour ces vertus qu’on l’exerce comme pour le pur amour !

*2.10. De la mortification.

[76] J'ai beaucoup écrit partout de la nécessité qu'il y avait que la mortification accompagnât l'oraison ; mais j'ai tâché en même temps de faire comprendre que la seule mortification extérieure ne suffit pas ; parce que tout dépendant d'être tourné au-dedans, et de devenir intérieur, il y a un travail plus solide, plus nécessaire, et qui établit véritablement l'âme en Dieu. Le premier travail est utile pour séparer les sens des plaisirs sensuels, et du goût pour les créatures ; mais il serait peu efficace s'il n'était soutenu par l'amour d'un objet, qui étant infiniment parfait, dégoûte insensiblement de tout ce qui n'est point lui, donnant un coup qui, quoique insensible en apparence, est infiniment plus délicat, et convient beaucoup plus alors que tout autre, parce qu'il l'approche davantage de son centre ; goût paisible, savoureux, et entièrement convenable à la félicité spirituelle où l'homme est appelé.

Pour traiter ceci avec ordre, je dirai que l'homme étant pour la liberté et non pour le libertinage, il a besoin de quelque chose qui le resserrant d'un côté et le séparant des plaisirs sensuels, lui donne au-dedans une certaine largeur douce qui incline insensiblement son cœur. Le propre caractère de l'homme étant la liberté, si vous lui donnez au dehors une gêne trop forte, [77] qui ne lui fasse pas trouver au-dedans avec surcroît cette liberté que vous lui ôtez au-dehors, il ne pourra jamais persévérer. Il pourra bien pour un temps se gêner, mais vous le verrez après quelques années de piété sévère et farouche, retourner dans ses premiers goûts du monde et du siècle, devenir chagrin, insupportable à soi-même et aux autres.

Il faut donc commencer véritablement par se séparer de tous les plaisirs qui rendent nos sens volage, sensuels, pleins de l'amour des plaisirs ; mais il faut faire son capital d'un recueillement intérieur, et paisible. La recherche de la vérité éternelle doit se faire par le dedans ; non en spéculation, comme quelques-uns se sont imaginés, (ce qui leur a fait prendre le change), mais par le penchant du cœur vers Dieu, accoutumant insensiblement notre volonté à ne goûter que lui, à se séparer de tout ce qui n'est point lui, à se soumettre sans cesse à tous les événements de sa providence, soit intérieurement, soit extérieurement.

La véritable mortification consiste à éteindre les passions ; ce que ne peuvent faire les simples austérités, qui les rendent souvent plus vives. Il est vrai qu'elles affaiblissent le corps, qu'elles donnent un certain extérieur composé, que tous les hommes peuvent avoir, quoiqu'ils n'aient ni amour de Dieu, ni une véritable connaissance de ce que Dieu veut de nous et de la fin souveraine pour laquelle il nous a créés. C'est ce que Jésus-Christ reprochait aux pharisiens, lorsqu'il leur disais829, Qu'ils essuyaient le dehors du plat pendant que le dedans était plein de saleté. Il les appelait sépulcres blanchis, dont la [78] propreté paraissait extérieurement. Il y avait alors un certain ordre d'architecture aux tombeaux qui les faisaient paraître très beaux par dehors, quoiqu'ils ne renfermassent que des ossements de morts. Ceci est une admirable figure de la manière dont on en use à présent. On met toute la perfection dans un certain arrangement extérieur, dans une certaine composition, durant que nous laissons vivre nos passions. Par les passions je n'entends pas seulement la colère et la sensualité grossière, mais la cupidité de l'esprit et tout ce qui nous fait vivre à nous-mêmes.

Si vous voulez qu'un mauvais arbre cesse de porter de mauvais fruits, ce n'est pas assez de couper ses branches, et de le tailler d'une manière qui plaise : cela ne sert qu'à lui en faire produire davantage. Il faut le déraciner, l'arracher, le mettre au feu ; alors il ne produira plus de fruits. On le déracine en travaillant au recueillement intérieur, à la soumission de notre esprit et de notre volonté à celle de Dieu. On l'arrache en mourant continuellement à soi-même et à tout ce qui fait vivre l'esprit et la volonté propre ; on le met au feu en se laissant consumer, détruire et anéantir par l'amour divin.

Vous voyez donc que la perfection de l'homme ne consiste pas dans l'extérieur, quoique l'extérieur y soit réellement : car il n'y a rien qui rende notre extérieur plus parfait que l'amour sacré et la soumission perpétuelle de notre volonté à celle de Dieu, qui nous faisant accepter de moment en moment tout ce que Dieu fait et permet nous arriver, soit au-dehors, soit au-dedans, fait que l'âme ne voulant que ce qu'elle a, et ne désirant rien pour elle-même, demeure dans un certain équilibre, [79] qui la rendant parfaitement tranquille, fait qu'il ne lui échappe rien au-dehors ; non par contrainte ni gêne, mais par un état tout naturel. Les personnes qui se gênent par le dehors peuvent bien quelquefois s'empêcher de faire paraître la peine et l'agitation qu'elles ressentent au-dedans ; mais c'est comme un feu souterrain, qui à force d'être resserré, sort avec d'autant plus d'impétuosité qu'il avait eu plus de contrainte. Il n'en est pas de même de la voie dont nous parlons ; puis que l'égalité et la tranquillité du dehors ne viennent que de celle du dedans ; de sorte que n'ayant point une certaine gêne et contrainte, l'âme est d'autant plus libre au-dedans qu'elle s'accoutume davantage à se soumettre à Dieu et à ne vouloir que ce qu'il veut ; parce que tout ceci ne s'opère que par l'amour, et que rien ne coûte à celui qui aime.

Le moyen de parvenir là est de ne donner aucune entrée à l'amour-propre, à la propre joie, au retour sur soi-même, à tout ce qu'on appelle le moi, n'en faisant donc plus de compte que de ce qui n'est pas. Alors toute douleur, tout mépris, toutes contradictions sont bien reçues, en se faisant violence, (si ce n'est au commencement), mais parce qu'il est naturel à l'amour de vouloir tout pour soi, et de ne vouloir rien souffrir à celui qui l'aime qu'il ne soit entièrement rapportant à soi. Il ne coûte rien à celui qui aime de tout faire et tout souffrir pour ce qu'il aime. Sa douleur devient son plaisir, parce que son cœur est passé dans celui de son bien-aimé.

Lorsque les hommes du monde parlent d'un homme qui aime éperdument un objet créé, ils disent : cet homme-là est perdu d'amour ; quoique cet amour étant au-dehors, ne puisse [80] être sans violence ; et c'est pourquoi il fait faire des écarts affreux ou s'éteint tout à fait. Il n'en est pas de même de l'amour sacré, qui étant tout au-dedans, ne fait qu'incliner le cœur de l'homme, et subsiste d'autant plus qu’il devient toujours plus tranquille, plus naturel, et si propre à l'homme qu'il le transforme en soi avec paix et suavité ; de sorte que plus il aime, plus il est tranquille. Il possède son objet sans interruption, parce que la tranquillité et le mouvement naturel de la volonté ou du cœur n’étant point affaibli, mais au contraire fortifié par la possession de ces divins objets, l'amour devient d'autant plus fort qu'il est possédé davantage, n'ayant là ni secousse, ni violence, ni changement, ni rien de gêné et d’embarrassant. C'est en cela que consiste la véritable liberté de l'homme, que d'aimer de tout lui-même un objet qui excédant sa capacité, peut toujours le remplir et le contenter, et qui ne laissant en lui aucun vide, ne lui laisse rien à désirer. Car il faut remarquer que toute l'agitation de l’âme vient de ses désirs ; dès qu'elle cesse de désirer, elle est parfaitement tranquille. Les philosophes ont tâché d'arriver là, et ils ne l'ont pu ; parce que quelque violence que l'on fasse aux désirs, on peut bien les réprimer en quelque manière, mais jamais les éteindre que par la possession d'un bien qui en les surpassant tous, les absorbe tous.

Travaillons donc sincèrement à détruire notre propre esprit et notre propre volonté ; l'un par la foi et l'autre par l'amour. Celui qui croit, et qui adhère à Dieu simplement et sans raisonnement, fait un sacrifice de son esprit à Dieu, et éteint par la foi tant de raisonnements faux ou incertains et inutiles qui l'occupent sans cesse, et [81] qui sont la source de toutes les erreurs et le tourment perpétuel de l'esprit et de l'imagination, dont nous ne pouvons jamais être les maîtres qu'à force de laisser tomber tout ce qui s'élève dans notre esprit et toutes les bourrasques de notre imagination : ce qui est longtemps une des plus grandes peines de la vie spirituelle, mais qui enfin s'éteint de telle sorte, que l'esprit demeure vide et net ; et cela pour deux raisons ; la première, qu’en n’admettant point volontairement des raisonnements, il faut nécessairement qu'ils tombent d’eux-mêmes, comme nous voyons un chien qui ayant été longtemps à une boucherie où il avait quelque chose à manger, cette boucherie étant fermée, ou changée de lieu, il y va longtemps par sa première habitude : mais enfin n'y trouvant rien, il n’y retourne plus. L'autre raison est que le Démon, qui se plaît à remuer la fantaisie afin de distraire notre cœur, et de nous faire quitter l'occupation du dedans pour nous amuser à combattre ou à écouter ce qui se passe dans l'imagination, voyant que nous en faisons sans cesse à Dieu un sacrifice, soit de patience en les souffrant malgré nous, soit en nous recueillant plus fortement, voyant, dis-je, qu'il ne gagne rien, nous laisse à la fin en repos.

Pour ce qui regarde la volonté, l'âme se soumettant sans cesse à Dieu pour tout ce qui lui peut arriver de fâcheux, au-dehors sans exception, et au-dedans pour toutes les peines, tentations et misères de l'homme, elle attire sur soi une protection de Dieu particulière, et elle s'accoutume peu à peu à aimer Dieu plus que soi-même, plus que tous ses intérêts, même de perfection, qui font les plus forts intérêts, de sorte que si Dieu joint encore aux tentations qu'il permet au Démon de [82] susciter en nous un éloignement, une absence terrible, un rebut souvent comme s'il ne nous avait jamais connu, cette âme aimant Dieu plus que soi-même et plus que son salut et son éternité, souffre en paix ce qui met les autres au désespoir.

Il est facile de comprendre comment cela se fait. La volonté à force de se soumettre et de se résigner, devient tellement conforme à celle de Dieu, qu'elle devient uniforme : et lorsqu'elle est au point d'union que Dieu prétend, il la transforme et la change en soi. Or il faut remarquer, que nous ne pouvons nous aimer nous-mêmes que par notre volonté dans laquelle le propre amour est renfermé ; et comme à mesure que notre volonté s'approche de Dieu, elle s'éloigne nécessairement de nous-mêmes, et que notre amour suit toujours notre volonté, parce qu'il ne subsiste qu’en elle ; ainsi donc, plus notre volonté se conforme à Dieu, et devient uniforme avec lui, plus nécessairement s'éloignant aussi de nous-mêmes, qui est le terme contraire, il est évident que quand elle est parvenue au point d'être perdue et transformé en Dieu, elle est aussi entièrement éloignée d'elle-même, et par conséquent, désappropriée et quitte de tout amour-propre.

Vous voyez que cela se fait non en combattant, car celui qui combat est souvent vaincu ; mais comme un contraire détruit nécessairement son contraire à mesure qu'il prend le dessus, aussi l'amour de Dieu détruit nécessairement, quoique insensiblement, l'amour-propre et la cupidité. Il y a la même différence de cette manière d'agir à la première, qu'il y en a entre un homme qui ayant un froid excessif, croirait le pouvoir combattre et [83] s'échauffer par lui-même ; et un homme qui sans autre effort ne ferait que s'approcher d'un grand feu, où il perdrait non seulement le froid mortel qu'il avait, mais se trouverait très échauffé.

La voie de Dieu est douce et suave, quoique ne pardonnant rien à la créature. Nous nous aimons trop nous-mêmes pour nous combattre comme il faut ; nous nous flattons, et nous nous faisons pitié à nous-mêmes ; et quoique nous maltraitions ce pauvre corps, qui ne nous ferait plus de mal si nous prenions le biais que je dis, nous ne laissons pas de le rendre plus vif par la liberté que nous donnons à notre esprit : ainsi que nous voyons des gens très austères combattre toute leur vie contre la sensualité.

Je voudrais donc user d'austérités modérées, mais sans attache, ne les faisant que selon l'Esprit de Dieu, quand et comme il lui plaît, n’en faisant point même s'il n'y porte pas : mais je voudrais une mortification générale et sans interruption de tout ce qui nous peut faire plaisir, de tout ce que nous appétons et désirons, prenant également de la Providence, ce qui nous est donné, bon et mauvais, sans chercher son goût, ayant une certaine égalité dans le manger. Il y a des personnes qui après un jeûne excessif mangent excessivement et sensuellement, au lieu qu'une manière modérée de manger est presque toujours la même et ne donne rien ni aux sens ni à l'orgueil ; car l'esprit de l'homme est bâti d'une manière qu'il veut toujours voir quelque chose d’extraordinaire pour s'y prendre, et il vit des mêmes choses qu'il fait (à ce qu'il dit) pour amortir ses sentiments.

Rien ne nous cache plus à nos propres yeux et à ceux des autres que la vie commune [84] extérieure. C'est pourquoi Jésus-Christ nous l'a enseignée et par ses paroles et par ses exemples. Les pharisiens étaient alors l'admiration des juifs par leurs austérités et leurs petites exactitudes ; cependant, quel cas Jésus-Christ en a-t-il fait, rien ne lui étant plus opposé que l'orgueil de l'esprit ?

L'homme naturellement ne fait cas que de son ouvrage. La moindre action qu'il fait, le frappe jusqu'au cœur, et lui donne une secrète complaisance qui dérobant à Dieu la gloire de toutes choses, le rend abominable devant ses yeux. Il se loue lui-même lorsque les hommes ne le font pas ; et s'il est assez humble pour faire ses œuvres en secret, il se croit d'autant plus admirable, qu'il en a dérobé la connaissance au public ; cependant il est ravi qu'on l’estime, et l'humilité apparente qu'il fait paraître, le relève beaucoup. Mais un recueillement simple, un amour caché, qui le fait tendre sans cesse à son divin Objet, et qui pourtant se trouve souvent mélangé de peines et de distractions involontaires, le font paraître très petit à ses yeux. Car il faut savoir que les distractions et les pensées de l'esprit, quelles qu'elles soient, n'empêche point le penchant du cœur vers Dieu, pourvu qu'on ne s'y arrête pas volontairement : elles servent souvent à dérober à la curiosité de l'homme ce que Dieu fait en lui, et ainsi le mettent à couvert des vaines complaisances.

C'est donc la route la plus certaine, la plus glorieuse à Dieu, la moins satisfaisante pour l'homme, quoique pleine de joie pour le cœur est pour l'esprit, supposé la fidélité à ne s’éloigner jamais de cette douce tendance, et à aimer Dieu au travers de toutes les amertumes et les renversements. J'avoue qu'il y a quelques peines à souffrir ; [85] mais les peines ne sont plus peines lorsqu'on aime. C'est pourquoi Jésus-Christ dit830 : Mon joug est doux, et mon fardeau léger. C'est un joug, à la vérité, qui contraint, qui gêne en apparence ; mais qui est plein de douceur à cause de l'amour et de la résignation de la volonté. C'est un fardeau pesant pour ceux qui n'aiment pas, mais très léger pour ceux qui aiment. L'amour le leur rend tel, parce que lui-même en porte tout le poids ; et ce qui leur reste de la charge ne sert qu'à les enfoncer de plus en plus dans cet amour bienfaisant. Quoique les âmes qui marchent par cette voie, ne fassent pas leur capital d'une austérité farouche, il est certain que la privation de tous les plaisirs et de toutes les satisfactions, soit du corps soit l'esprit, se refusant tout usage de leur propre volonté, est une austérité secrète qui mine bien plus son sujet, qui ne laisse aucune ressource à l'esprit pour se satisfaire soi-même, ni aucun usage de la volonté pour se complaire en soi-même. C'est là le sacrifice de l'holocauste, où il ne reste rien pour l'homme, où tout est détruit par hommage à la grandeur de Dieu. Dans tous les autres sacrifices, ceux qui les offraient, retenaient la plus grande partie de la victime, et c'était de quoi ils composaient leurs jours de fêtes et leurs festins : mais pour l'holocauste, il n’était permis d'en rien retenir.

Soyons, chères âmes, de ces holocaustes ; que tout soit pour la gloire de Dieu ; ne réservons rien de la victime ; qu’il n'en paraisse plus rien ; que tout soit détruit et consumé ; alors nous serons des victimes pour le Seigneur, et digne de lui. Ce ne sera point un feu matériel qui nous [86] consumera, comme celui de l'ancienne loi ; mais le feu sacré du divin amour, qui en nous détruisant nous transformera en lui. Amen, Jésus !

*2.11. Des croix ; et comment les porter salutairement.

Il y a de deux sortes de croix ; les unes se portent avec un soutien foncier, l'onction de la grâce les rend extrêmement légère, elle leur donne même une certaine douceur qu'il les fait aimer, et qui contraint d'avouer de bonne foi, que la douceur de la croix a pour l'âme qui est à Dieu un agrément qu'elle ne trouvepoint dans les plus grandes consolations : c'est quelque chose de délicat, qui se discerne facilement par les personnes qui en ont fait l'expérience. Ces sortes de croix l'embarrassent nullement, mais instruits elle-même de la manière de les porter mais il y a des croix troublantes, qui agite le cœur, le laisse dans l'angoisse, et loin [87] de le consoler, lui paraissent une source de défauts. L'on ne voit plus la croix comme un bien qu'il fasse avancer l'âme vers Dieu, comme une nourriture rassasiant, comme un moyen de se perfectionner ; au contraire, on ne sent et n'aperçoit que défaut, qu'agitation d'esprit, qu’éloignement de Dieu, qu’humeur naturelle. Ceci est fort pénible, et l'on peut dire que c'est proprement ces croix qui crucifient ; les autres sont comme un lit de repos où l'âme jouit des caresses de son Dieu. Ce sont donc celles-ci qui ont besoin d'instruction, de soutien et de consolation ; elles sont infiniment utiles, quoiqu'il paraisse le contraire à la personne qui les souffre. Si nous n'éprouvions pas notre faiblesse dans la croix, nous nous attribuerons la force de Dieu, et nous nous imaginerions qu’une certaine résignation que nous trouvons dans ces temps sans qu'elle nous ait rien coûté, est un fruit de nos travaux, et une vertu acquise par nos soins. Cette présomption cachée en nous-mêmes serait aux yeux de Dieu un défaut infiniment plus grand que cette échappée d'humeur qui nous fait tant de peine. L'une attribue à nos œuvres ce qui n'est que l'effet d'une protection singulière de Dieu, et l'autre nous instruit de notre faiblesse, de ce que nous sommes par nous-mêmes, et du besoin que nous avons de Dieu. Il faut être une fois convaincu que la conformité à la volonté de Dieu dans les croix ne dépend point de sentiment, mais de la situation foncière de notre volonté, qui doit être égale en tout événement. On doit se conformer à la volonté de Dieu pour porter le trouble comme pour la croix même. Demeurer abandonné à Dieu, [88] au milieu du trouble et de l'agitation des sens, est un abandon bien plus héroïque que d’être abandonné à Dieu pour souffrir une croix qui ne nous blesse point. Tout ce qu'il y a à faire dans ce temps est, de ne point entretenir ce trouble par aucune réflexion volontaire, et d'agir comme si on ne l'avait pas. Ce qui augmente le trouble dans la croix est la vivacité de l'esprit. On se laisse aller à une humeur remuée, et surtout, lorsque que l'on est obligé d'agir dans ce temps, on trouve que l'on agit que par humeur, et souvent sans grâce et sans raison. Il faut, pour ne se point trop laisser aller dans ces sortes de précipitations, s'accoutumer à laisser rasseoir son esprit, laissant tomber par un retour en soi, ou un instant de repos, cette humeur agitée, semblable à une eau troublée, que le mouvement trouble davantage et que le repos éclaircit. Dans l'humeur, comme dans l'eau troublée, l'on ne voit point les choses comme elles sont. Il faut donc nécessairement se calmer par un petit retour au-dedans, souvent très sec et sans correspondance, et par une cessation d'action que l'on faisait avec activité.

Pour réussir en cet exercice, il faut s'y habituer de bonne heure, sans attendre que l'on soit accablé d'affaires pressées et d'importance, auxquelles il faille donner ordre sans délai, s'accoutumant à tenir son âme calme dans tout ce que l'on fait : c'est ce que notre Seigneur appelle831, posséder son âme en patience. Sitôt que l'on fait une action, même indifférente, avec vitesse et empressement, il faut s'arrêter tout court, afin d'accoutumer insensiblement la nature à être soumis à l'esprit, et non pas à l'entraîner dans sa [89] vivacité continuelle. Cette mortification que l'on ne compte pas pour beaucoup, est si essentiellement nécessaires, que sans elle on ne peut jamais être parfaitement tranquille et détaché des choses de la terre. L'empressement et la vivacité est une marque l'intérêt que l'on prend dans ce que l'on fait ; il est donc de conséquence de laisser tomber cette vie-là.

Mais il ne l'est pas moins de ne se point troubler, lorsque la force de la vie nous a comme entraîné malgré nous : car le trouble de s'être troublé, nuit plus que le premier trouble ; le premier vient d'une nature vivante et précipitée, à la vérité, mais surprise au dépourvu ; le second est causé par un amour-propre foncier. Il ne faut point s'occuper de son trouble, ni des fautes que l'on a faites ; au contraire, sitôt que l'on s'en aperçoit, il faut laisser tomber et se désoccuper de soi-même mais, dites-vous, comment me corrigerai-je, si je ne m'occupe point des défauts que mon humeur agitée m'a fait connaître ? Si l'occupation que vous en avez vous en corrigeait, elle serait tolérable : mais loin de cela, elle entretient l'humeur même par le chagrin et l'occupation de soi. S'oublier soi-même est un remède infiniment plus efficace ; car c'est couper la racine de l'amour-propre, qui peut se trouver en tout, et qui ne se trouble de s’être troublé que par un amour de sa propre excellence.

Il faut donc pratiquer ces deux choses ; tâcher de se tranquilliser, laissant tomber l'empressement en cessant un moment l'action que l'on fait avec vivacité ; et s'oublier autant que l'on peut, pour ne point entretenir le trouble : puis reprenant ce que l'on faisait, le faire d'une manière [90] reposée, qui est le signe d'une âme qui possède Dieu.

Mais je ne sens point Dieu en ce temps, me direz-vous. Il est vrai ; cependant Dieu n'est pas moins en vous pour cela. Il ne faut point s'arrêter aux sentiments ; car ils sont si bornés, que quand ils sentent beaucoup une chose, ils sentent moins l'autre. Il ne faut pas s'étonner si étant tout pénétrés de trouble et de peine, ils ne peuvent plus sentir le soutien de Dieu, qui est très délicat, et qui ne se sent que dans un profond calme. Comme la présence de Dieu ne dépend point des sentiments, il faut que la foi et la patience supplée aux sentiments. Dieu est invariablement dans le cœur qui veut ce qu'il ordonne sans consulter ses sentiments. Ainsi la résignation pour porter le trouble et l'agitation, et même l'absence de Dieu, est une présence de Dieu très excellente et réelle. Si l'on ne s'accoutume pas de bonne heure à ne point marcher par les sentiments, on n’avance point, et l'on s'expose à mille illusions. Les sentiments varient incessamment, et ne peuvent jamais porter un état constant. Il faut donc aller par la foi et la résignation au-dessus de tous sentiments. Rien n'est plus trompeur que ce qui vient par les sens. Les personnes affectives ont plus de goût de Dieu, quoique pleines de vie, qu’une personne qui marche dans la foi et la mort. Tout consiste donc à savoir se résigner en tout temps, et porter avec une égale fermeté la peine et le trouble comme la paix et la douceur.

Les personnes scrupuleuses se persuadent toujours que le trouble qui leur arrive dans les affaires, surtout après avoir goûté beaucoup de paix, vient de leur faute, et que ce sont des péchés [91] : elles s'en affligent, s'en occupent, et par là empêchent l'avancement de l'âme, qui ne marche et ne s'avance vers Dieu que par la résignation. Le péché n'est point dans ces sortes de sentiments, mais bien dans l’irrésignation. C'est une très bonne résignation que celle qui nous fait porter ces sentiments troublés et douloureux.

Il y a encore un autre abus, c’est que l'on se retire alors des sacrements ; et cependant c'est le temps où l'on en a le plus de besoin, et où l'on est même le mieux préparé. On en a le plus de besoin, puisque l'on est attaqué par les ennemis de notre repos, et que dans les occasions pressantes, où l'on est faible, il faut se nourrir : ce n'est pas une bonne raison d'ôter la nourriture à une personne parce qu'elle est faible. On est aussi alors mieux préparé ; on aura peine à le comprendre, et cependant rien n'est plus vrai ; car la meilleure préparation pour la communion est l'humilité, encore plus l'humiliation : je dis même que c'est l’unique que nous puissions apporter de notre part ; toutes les autres vertus sont des dons du Seigneur qui ne dépendent point de nous ; mais l'humiliation causée par nos faiblesses, est ce qui nous est propre et notre partage. Le vide et l'amour de la bassesse, est la préparation que le Verbe regarda en la sainte Vierge pour s'y incarner : elle le dit832, qu'il regarda la bassesse de sa servante.

Cet état humilié est sûrement la meilleure disposition que nous puissions apporter. L'amour de Dieu est toujours dans une âme humiliée, et rapetissée par l'expérience de ses défauts. Le diable a beaucoup gagné lorsqu'après avoir mis le [92] trouble dans une âme, il l'empêche d’approcher du Dieu de paix : il troublerait moins s'il n'espérait pas de l'éloigner des sacrements.

Le chemin le plus court et le plus assuré pour la perfection est l'oubli et le vide de soi-même. Un cœur vide de soi est plein de Dieu : Dieu ne souffre point de vide sans le remplir. Une personne remplie d'elle-même, quoiqu'elles ait des sentiments vifs de Dieu, a peu de Dieu ; mais une personne qui s'oublie, qui est vide de l'amour d'elle-même, quoiqu'elle ne sente point Dieu, en est toute pleine. Il faut donc marcher par la foi et par l'oubli de tout. Laissons-là les sentiments ; ils sont trop grossiers pour nous être un témoignage de la présence de Dieu. Dieu est au-dessus de tout sentiment et de toute compréhension : mais il est immanquablement dans le cœur qui s'oublie ; car l'oubli de soi est la plus grande marque que l'on est dégagé de l'amour de soi-même.



2.12. Diversités et changement dans les voies de Dieu.

Les desseins que Dieu a sur ses serviteurs sont bien autres que ce que l'on imagine. les voies de Dieu ne sont pas nos voies833. Tant que nous vivons en nous-mêmes, les voies par lesquelles il nous conduit, sont conformes à notre raison, et elle les embrasse toute : mais sitôt que Dieu veut faire mourir notre raison, et nous tirer de nous-mêmes, les voies changent entièrement, et la conduite de Dieu sur les âmes [93] qu'il destine pour lui-même est entièrement différente de celle qui conduit qui conduit par Les bonnes et saintes choses834. Il est impossible qu'elles leur soient connues ; et cette sage conduite de Dieu, si contraire à votre oraison, qui est elle-même cachée aux oiseaux du ciel835, et dont on ne peut avoir de nouvelles que par la mort, et la perte totale de toute chose.

2.13. Foi et imitation de Jésus-Christ.

Il y a un endroit dans l'Ecriture836 où Dieu dit à Moïse de prend sa verge est de parler à la pierre, afin qu'elle donne de l'eau ; cependant Moïse loin de parler à la pierre, comme le Seigneur lui avait commandé, la frappa de la verge, quoique Dieu lui eût commandé de lui parler : ce qui déplût beaucoup à Dieu. Les interprètes disent, que c'est qu'en frappant la pierre, [94] il douta qu’elle put donner de l'eau. Ce ne fut point là la faute de Moïse ; car Dieu lui reproche positivement qu'il ne l'avait pas glorifié devant le peuple. Le peuple ne doutait point des miracles de la verge : il en avait trop de preuve ; mais Dieu voulait qu'il comprît que la parole était toute-puissante, voulant leur donner, et à nous, une figure de Jésus-Christ, qui a tout fait et tout opéré par la parole, étant lui-même la Parole éternelle. Or, comme la plus grande gloire de Dieu ne pouvait être qu’en Jésus-Christ, c'était lui dérober la gloire que de ne pas parler à la pierre837. Aussi n'est-il plus parlé depuis ce temps que la verge que Moïse est produit aucun prodige ; et l'Ecriture a dit depuis838, que Jésus-Christ était tout-puissant en œuvre et en paroles : les œuvres étaient paroles, et ses paroles opérantes. C'est la foi de la Loi nouvelle. Tout ce qui n'est point cela, nous éloigne de Jésus-Christ, comme étant Parole et œuvre.

Cependant quoique Dieu fût en colère contre Moïse et Aaron, il ne laissa pas de faire un miracle en leur faveur, tant pour ne le point attrister, que pour maintenir le peuple dans le respect qu’il leur devait, et soulager aussi son peuple ; mais après un si grand miracle, Dieu les assure pourtant qu’ils ne conduiront pas son peuple dans la terre promise.

Il faut quelque chose au-dessus des miracles de la verge pour conduire le peuple de Dieu. C'est la foi en Jésus-Christ parole opérante. Les miracles ne sont pas une certitude que Dieu soit content de ceux qui les opèrent. Il nous en donne [95] une preuve en cet endroit ; ainsi donc, ne nous fondons que sur la foi et l'amour de Jésus-Christ. Heureux sont ceux qui ne s'appuient sur rien d'extraordinaire, mais sur Jésus-Christ !

Il semble que Dieu ait conduit les âmes particulières comme il a conduit son peuple. Dans les commencements tout est merveilleux, tout est prodige. Les âmes le connaissent, et sont pour elle-même pleine de certitude. Les autres les admirent ; mais dans la suite tout se réduit en foi et en amour.

Dieu nous a donné un modèle en Moïse : car rien ne l'élevait : il était certainement ce qu'il y avait alors de plus saint sur la terre. Dieu semble pourtant lui préférer Aaron, que nous avons vu plein de défauts, et même avoir fondu le veau d’or, ce qui était un crime sans comparaison plus grand que celui de Moïse frappant la pierre ; et cependant les enfants de ce Moïse, si plein de charité839 qu’il veut bien être anathème pour un peuple ingrat qui lui fait d'autant plus de mal qu'il en a reçu plus de biens ; ces enfants, dis-je, sont comptés pour rien. D'où vient cela ? C'est que Dieu ne connaît que840 son Fils bien-aimé en qui seul il se complaît. Tout ce qui ne porte point ce caractère ne saurait plaire au Père. Moïse, le plus saint des hommes, cesse de lui plaire sitôt qu'il841 n'entre pas dans le caractère de ce Fils adorable. O si nous cessions un moment de lui ressembler, quand même nous transporterions les montagnes, Dieu le père nous dirait, je ne vous connais plus ! [96] imitons donc Jésus-Christ pauvre, souffrant, anéanti, obéissant jusqu'à la mort de la croix : si nous voulons que Dieu nous connaissent : et pensons, que842 l'amitié de ce monde est une inimitié de Dieu.

*2.14 Trois états de Foi.

Les âmes843 parvenues à leur fin par le moyen de la foi n’ont rien d’extraordinaire, quoiqu’elles semblent en avoir beaucoup : parce que voyant les choses en Dieu, cette vue, sans vue, leur est naturelle et n’a rien qui les distraie de leur unité, voyant tout dans l’unité même. Il n’en est pas de même des âmes non arrivées. Toutes les lumières distinctes les tirent de cet état de pure foi, qui doit toujours plus les aveugler en leur ôtant tout le sensible, le distinct, l’aperçu, tout ce qui est et subsiste, et qui n’est pas Dieu. Plus ces âmes ont de lumières, plus elles s’écartent de la foi. Mais plus elles sont obscures, sèches, dénuées de tout, plus elles sont bien, pourvu qu’elles demeurent fermement et inviolablement abandonnées à Dieu, qu’elles ne s’entortillent point en elles-mêmes [97] par crainte, doute, hésitation. Il faut qu’elles perdent les assurances qu’elles ont possédées dans la foi passive. Et c’est la différence qu’il y a entre la foi passive savoureuse, et lumineuse dans sa saveur, et entre la foi nue. Que la première va toujours son train d’abandon suivant un je ne sais quoi de savoureux qui est un témoignage sensible de la protection de Dieu, et un gage du salut, un témoignage intérieur de la filiation divine et de la prédestination.

Je m’explique, et pour le faire plus nettement, je distingue trois sortes d’états, sans y comprendre celui de l’âme arrivée dans sa fin.

Le premier est celui d’une foi lumineuse. Cette lumière est accompagnée de saveur, mais c’est la lumière qui la produit. Parce que tout ce qui a du brillant pour l’âme lui cause du plaisir qui est plus ou moins sensible et grossier , [parce] que les objets lumineux sont plus sensibles et plus grossiers et ces lumières ont des corps spirituels, si je puis me servir de ce terme, il est de conséquence d’en séparer l’âme et de les lui faire outrepasser : car outre que cet état est fort sujet à l’illusion, c’est qu’il amuse l’âme et l’arrête absolument si elle n’est instruite à l’outrepasser. Ces sortes de personnes exercent leur foi en croyant que Dieu est en tout cela, qu’Il peut ce qu’Il leur promet, et leur amour est un amour reconnaissant qui, quoique pur en apparence à ceux qui ne sont pas plus éclairés, est cependant recourbé vers soi-même et par conséquent impur. Lorsque je parle d’impur, je ne prétends pas le regarder comme un mauvais amour : il peut être pur dans son degré sans l’être par rapport à l’Amour pur, nu et dégagé de tout. Il est impur par comparaison à l’Amour pur, comme il [98] est dit que les cieux ne sont pas purs devant Dieu844.

Il y a un second état de foi qui n’a nulle liaison avec le premier car ceux qui y entrent ne passent jamais pour l’ordinaire par le premier : c’est un état de Foi Savoureuse. Elle est savoureuse et lumineuse. C’est la saveur qui éclaire, mais elle éclaire, non objectivement et par lumière formelle, mais par science du devoir des choses que Dieu veut et exige de nous. Sa lumière, quoique moins distincte, est plus sûre et plus pure que la première. C’est une lumière efficace qui fait toucher au but, mais lumière qui ne vient que de l’expérience de la foi savoureuse. L’amour de cette foi est un amour de confiance qui attend et qui espère, et qui par conséquent a un intérêt et n’est pas entièrement pur.

Ces deux sortes de foi, l’une de lumières objectives accompagnées de délectation, l’autre de saveur accompagnée de science lumineuse, s’appellent passives : elles le sont aussi. Mais pourtant l’âme n’est point dans un degré passif lorsqu’elle reçoit ces lumières. Ce qu’il y a de passif, c’est qu’elles lui viennent sans nul travail immédiat de sa part pour avoir ces lumières et que l’esprit qui les forme les forme sans la participation de l’âme. Cependant ces âmes là sont toujours actives dans leurs correspondances et leurs reconnaissances. Les secondes le sont moins, quoiqu’elles le soient encore beaucoup. Leur activité et leur correspondance sont plus simples, aussi bien que l’amour. Car il faut savoir que plus la foi est pure et simple, plus l’amour est pur, simple et nu. [99]

Il y a un troisième état de foi - qu’on peut considérer comme second, puisque l’on peut passer également des deux degrés précédents dans celui-ci, quoique le premier en soit plus éloigné, et qu’il soit très rare que l’on passe du premier à celui dont je vais parler. En ce troisième état, la foi est une foi pure, qui se sépare peu à peu non seulement du sensible, du distinct et du matériel, mais même de l’aperçu pour entrer peu à peu dans la nudité totale. Comme dans l’état de la foi savoureuse l’assurance de la voie et du salut avait longtemps subsisté, dans celui-ci il y a aussi une assurance secrète et cachée qui subsiste longtemps, et qui est un fort appui, quoiqu’il paraisse imperceptible et que l’âme ne le connaisse pas. Cet état de foi nue a bien des degrés jusqu’à sa consommation, laquelle ne vient que lentement et imperceptiblement. Le degré précédent distingue mieux son avancement, parce qu’il sert à monter à Dieu et que, comme il y a bien de l’aperçu, l’avancement se distingue aussi. Il n’en est pas de même de la foi nue. Comme c’est une pente presque imperceptible, on avance sans le connaître. Plus on avance et s’approche de la fin, moins on s’en aperçoit, et plus on perd les premières assurances et les appuis.

La correspondance de cet état est vraiment passive mais cette passiveté s’augmente selon que la foi devient plus simple et plus nue. L’amour conforme à cette foi est un amour d’abandon aveugle, qui est ici en son commencement. Car quoique l’on croie que tout le long de la foi, en tous ses degrés, l’âme soit abandonnée à Dieu et que le propre caractère de la foi soit de produire l’abandon, il est cependant très certain que tout [100] ce qui précède cette foi nue est plus confiance qu’abandon. Ce n’est qu’un abandon d’espoir, d’attente, et même fort éclairé. Mais c’est dans ce degré-ci que l’on commence à s’abandonner d’une manière plus aveugle, que l’on s’abandonne à l’inconnu sans savoir où il nous conduit, que l’on perd peu à peu toute attente et que l’on en vient à ce que dit Job : J’ai perdu tout espoir et je ne vivrai plus845, nous faisant connaître par là que l’espoir fait encore vivre et que l’on ne meurt véritablement que par la perte de cet espoir-là. L’amour conforme à ce degré est un amour nu, dégagé du propre intérêt, et même du retour de confiance ; c’est un abandon aveugle, un amour qui n’a plus d’yeux pour soi-même, mais qui n’envisage uniquement que celui auquel on s’est livré. Quoique les âmes de cet état ne sentent et ne goûtent plus l’amour, elles aiment infiniment plus que les autres. C’est un amour pâtissant, étant très passif aux opérations de Dieu, et dénué de toutes correspondances actives, quoique l’on y corresponde d’une manière très vivante, en se laissant dilater et exercer comme il plaît au Seigneur. Il est aussi très souffrant puisque c’est ici le temps des grandes croix, des tentations, et des épreuves étranges. Il faut bien que l’amour soit et bien fort et bien pur, quoique si nu, puisque, dépouillé de tout soutien perceptible et accablé de maux, il ne succombe pas et qu’il se fortifie même chaque jour en s’animant contre soi-même. C’est le sacrifice de justice et d’holocauste. Tous les sacrifices qui ont précédé, étaient des sacrifices de miséricorde, des sacrifices partagés, comme l’était aussi l’amour, mais celui-ci est le pur et le juste [101] sacrifice que le pur amour fait et peut faire. Sur cela il faut compter que plus le sacrifice est pur et exercé fortement, plus la perte est extrême et plus l’amour est parfait.

Ce dernier état exclut dans sa perfection toute saveur perceptible, toute lumière, tout espoir, toute confiance, toute attente. Car tout cela est pour l’homme et est un retour sur l’homme, entièrement opposé au pur amour qui ne regarde que Dieu, tout le reste étant la matière de l’espérance et non de l’Amour pur, nu et dégagé. Dans cet état si nu, l’âme perd peu à peu les instincts et les mouvements, qui deviennent si délicats qu’ils sont presque imperceptibles. Et enfin tout devient comme naturel à l’âme, qui ne peut plus distinguer que le pur naturel, tant la nudité est extrême.

Ce sont là des détroits par lesquels il faut passer et sans lesquels il n’y a point de véritable pureté. Mais après un état si nu, sans sortir de la nudité, l’on devient fécond, éclairé et lumineux sans lumière, ardent sans ardeur, distinct sans distinction. Jusqu’alors le distinct et l’aperçu sont dangereux parce qu’ils arrêtent l’âme en elle-même et qu’elle ne peut voir que des lumières fautives en les voyant en soi . Mais ici, c’est voir la lumière dans la lumière846 même multipliée dans la parfaite unité. (C’est) une âme qui embrasse tout sans rien posséder, pleine de richesses sans cesser d’être très pauvre847.

*2.15 Différence de la foi obscure à la Foi nue.

Vous demandez la différence de la foi obscure à la foi nue. On commence par la foi savoureuse, qui est comme voguer sur mer avec le vent en poupe, guidé par un excellent pilote. Vous faites beaucoup de chemin avec joie et en plein jour. Vous vous confiez au pilote, mais tout va si bien que vous n’avez nulle occasion d’exercer votre confiance.

La nuit vient : vous craignez de vous égarer mais vous vous confiez à votre pilote, qui vous dit de ne rien craindre. Ensuite les vents deviennent contraires, les ondes s’élèvent, la mer grossit, votre crainte augmente ; cependant vous êtes soutenus et par l’excellence du pilote et par la bonté du vaisseau. La tempête augmente, la nuit devient plus noire . Il faut jeter les marchandises dans la mer. On espère le jour et que la bonté du vaisseau résistera aux coups de mer ; mais le jour ne vient point, la tempête redouble. On espère un sort favorable, lorsque le vaisseau tout à coup se brise contre les rochers.

Quelle transe, quel effroi ! On se sert du débris du naufrage pour arriver au port. On commence tout de bon à s’abandonner sur une faible planche, on n’attend plus que la mort, tout manque, l’espérance est bien faible de se sauver sur une [103] planche. Il vient un coup de vent qui nous sépare de la planche. On fait de nécessité vertu, on s’abandonne, on tâche de nager, les forces manquent, on est englouti dans les flots. On s’abandonne à une mort qu’on ne peut éviter, on enfonce dans la mer sans ressource, sans espoir de revivre jamais.

Mais qu’on est surpris de trouver dans cette mer une vie infiniment plus heureuse qu’elle n’était dans le vaisseau, et d’autant plus heureuse qu’elle subsiste sans moyens ! O Dieu, éclairez les aveugles, et instruisez le cœur de l’homme !

*2.16 De la conduite de la Foi.

Il y a848 des lumières qui sont souvent sans vérité, soit sur l’avenir, et autrement ; et les personnes conduites par les dons extraordinaires en ont beaucoup. Mais il y a des vérités sans lumières, qui s’impriment sans caractères et qui ne laissent point de traces comme elles n’ont point de formes. Les premières lumières ont des brillants, et sont [104] pour les âmes peu avancées : elles sont toutes incertaines.

Les secondes n’ont aucun brillant et ne paraissent point lumière à l’âme qui les possède. Elles sont souvent comme de simples pensées auxquelles elle ne fait nulle attention et elle n’en ferait jamais si on ne lui faisait dire les choses. Et comme son état nu ne lui laisse point d’espèces ni de pensées sur ce qu’elle a dit, à moins qu’on ne lui en renouvelle les caractères, elle perd tout.

Il faut cependant que la même foi qui s’exerce par la nudité s’exerce aussi par la science qui y est communiquée : car si Dieu ne déclarait rien à l’âme et ne lui faisait part de ses secrets, il est certain que la voie de la foi ne serait point une docte ignorance. Elle est docte puisque Dieu les découvre , et ignorante parce que c’est sans manifestation, par manière de science cachée et dont on ne peut faire nul usage que lorsqu’il le veut. Il n’en reste nulle idée, cependant les secrets qui Le regardent Lui-même ou ceux qui regardent les créatures y sont découverts. Par exemple, une personne ignorante est instruite du mystère de la Trinité, de mille secrets ineffables, découverts en Dieu même, sans penser jamais à cela, et sans qu’elle ait nulle connaissance distincte qui ait pu l’instruire. Lorsqu’elle en écrit et en parle, cela lui vient, et la manifestation en est lumineuse, car en le disant, elle voit qu’elle sait ce qu’elle croyait ignorer et ne sait comment elle a pu apprendre cela, parce que jamais elle n’y avait pensé. La manifestation en est-elle faite, tout lui est ôté, sans qu’il lui en reste la moindre idée, à moins qu’elle ne lui soit rendue dans le moment qu’elle en parle ou écrit. Mais hors de là elle est bête, et [105] ne peut s’énoncer sur les choses. Il en est de même pour ce qui regarde les autres. Car c’est la même manière de concevoir qui nous découvre les choses générales appartenant à la foi, et les particulières qui regardent un chacun de nous.

Comme ceci est très profond, il est difficile, à moins d’expérience, de le pouvoir discerner d’avec les lumières et illustrations : il n’y a que l’expérience qui le puisse faire concevoir. Or je crois et je n’en doute pas que les âmes de foi qui sont encore en voie (comme tout leur est général, et que n’étant pas dans la fin elles ne peuvent avoir la science dont nous parlons,) n’aient souvent du rebut pour ce qu’on leur dit. Mais il me paraît qu’elles doivent avoir un simple acquiescement pour les choses qui ne les tirent point de leur foi, mais qui exercent cette même foi et la petitesse. Et c’est de cette sorte que l’on va de foi en foi : après quoi, toute idée en est ôtée.

Car je fais grande différence entre ce qui est général et entre une chose que l’on nous fait dire et pour laquelle, cependant, la foi est tellement nécessaire que la défiance est capable de tout arrêter. Jésus-Christ, Sagesse éternelle, dans Lequel toute la foi est consommée, nous a appris, étant sur terre, ce qu’Il me fait vous écrire aujourd’hui. Sa lumière et Sa science étaient générales. Il nous enseigne et les plus profonds mystères et les plus pures maximes, qui sont celle du renoncement. Mais Il ne dit les choses qu’en gros, et Il les fait dire en détail, car le conseil du renoncement est d’une étendue infinie et il n’est jamais poussé jusqu’au bout que par l’état de foi ; hors de là, c’est une possession de soi-même, c’est [106] tenir son âme entre Ses mains et ce n’est pas la perdre. Lorsque Jésus-Christ nous enseigne ces maximes générales, Il se contente de les déclarer ; et comme leur pratique est lumineuse, sitôt que l’on entre dans la voie du renoncement, plus on se renonce et plus on connaît les renoncements qu’il y a à faire. Celui qui se renonce peu est peu éclairé là-dessus. Celui qui se renonce beaucoup est beaucoup éclairé : et sur la voie, et sur le renoncement qui dans le commencement est un travail, et sur la nudité qui est une pure souffrance, et sur la perte qui est mêlée d’action et de souffrance ou passivité, mais action dont nous ne sommes nullement le principe et que Dieu nous donne. Cette science est pratique et la pratique est lumineuse pour aller de foi en foi, de dénuement en dénuement, de perte en perte. C’est une conduite générale qui nous enseigne ceci, mais Dieu nous donne outre cela une conduite spécifique, qui est un guide qui sache le chemin et qu’il nous choisit pour cela.

Car outre la science générale, propre à toutes les âmes de foi, il est certain que Dieu nous choisit de plus une conduite particulière, qui a tellement grâce pour nous que tous les autres guides les plus experts ne nous conduiront jamais où Dieu nous veut. Il n’y a que celui que Dieu nous choisit pour cela, à l’exclusion de tout le reste. Or la même fidélité que l’on doit avoir pour la voie en général, on la doit avoir pour le moyen. Car Dieu est maître de choisir tel moyen qu’il lui plaît et de le rendre conforme à Ses desseins pour nous détruire. C’est donc à nous à entrer avec petitesse en ce que Dieu veut et ne nous en point tirer sous prétexte que la conduite générale suffit. [107] Cela est bon pour ceux à qui Dieu ne donne point de moyens spécifiques et particuliers. Mais pour ceux à qui il en donne, je soutiens qu’ils ne doivent pas se soustraire à ces moyens, à moins que Dieu ne les leur ôte, car ils sont moyens spécifiques ; et faire autrement, ce serait sous bon prétexte se dérober aux desseins de Dieu. En effet, telle est la volonté de Dieu et ces moyens choisis de Dieu nous sont tellement nécessaires (quoique nous ne le connaissions pas) que c’est nous fixer849 que de ne les plus recevoir. Nous voyons qu’outre le général de la conduite de Dieu de pure Providence sur Jésus-Christ, Il Lui a donné des parents auxquels Il était soumis et que Lui, qui avait la sagesse essentielle, reçoit la conduite du pauvre Joseph et s’y laisse mener : Il leur était soumis850. Tout ne s’opère durant toute la voie que par la petitesse et la dépendance. Et Dieu nous ôte lui-même le moyen lorsqu’il en est temps, ôtant tout pouvoir et toute inclination d’aider, souvent dans le temps que nous en avons le plus besoin selon nos idées.

Je dis donc que comme nous recevons de ce moyen une grâce et une lumière générale pour la conduite de la foi - lumière sans lumière, propre pour nous, insinuante et onctueuse dans sa généralité, lumière qui est propre pour l’âme, quoique indistincte - aussi doit-on recevoir avec la même simplicité, les lumières distinctes et les choses particulières qui sont dites. Les lumières générales se communiquent par le goût caché de la foi, et de là passent dans la pratique. Mais les lumières distinctes ont besoin d’une foi soumise et n’ont leur effet que par l’aveugle soumission de l’esprit, [108] qui est souvent sans goût. Or pour ces choses distinctes, et annoncées en distinction, Jésus-Christ a toujours exigé la foi : Si vous pouvez croire, tout est possible à celui qui croit851, etc.

La manière d’agir des âmes de foi est différente des autres en ce que ces âmes croient par (principe d’enfance et de) petitesse. Puis elles laissent tout tomber ensuite, persuadées qu’elles sont qu’il n’y a rien à faire pour elles en ces choses, qu’il faut croire simplement et puis c’est tout, que Dieu fera en elles et d’elles tout ce qu’il Lui plaira dans le temps qu’Il a ordonné, sans qu’elles préviennent jamais ce temps. Et quelque éloignées que les choses paraissent, cela ne les fait pas pourtant douter, ne s’en occupant pourtant non plus que si cela ne devait jamais être, n’y faisant nulle attention, n’y fondant nul appui. Mais il faut un simple acquiescement, un qu’il me soit fait selon votre parole852 : sans cela, point de véritable docilité ni de petitesse. Quelquefois Dieu ne veut que cette soumission, et rien plus. Combien Jésus-Christ a-t-il dit de choses qui, selon la lettre, ne sont point arrivées, et qui cependant sont très réelles en la manière qu’il les concevait ?

Il faut donc que les âmes de foi aient une croyance de soumission, mais non pas une croyance d’occupation et d’exécution. Et c’est la différence qu’il y a des âmes de foi aux autres. Que lorsque les âmes de foi apprennent que Dieu les destine à quelque chose, elles y demeurent soumises sans occupation et sans soin pour avancer les choses, persuadées que Dieu ne les leur fait point annoncer, afin qu’elles ne s’en occupent ni [109] qu’elles se mettent en devoir de les exécuter, mais pour, par la petitesse à croire, exercer leur foi, leur patience et leur mort, ne faisant jamais un pas par elles-mêmes pour rien avancer, mais aussi ne reculant jamais d’un moment et se laissant en la main de Dieu comme un chiffon. L’incrédulité est opposée à la petitesse, parce qu’elle vient ou par le raisonnement ou par une fixation pour le seul général.

Les autres âmes qui ne sont pas de foi sont tout le contraire. Elles se repaissent de tout ce qui est extraordinaire, le préfèrent à tout le reste, s’en occupent, sont toutes en acte pour trouver des moyens de le faire réussir : ce qui est entièrement contraire à la foi, qui croit tout et qui n’exécute rien, mais qui laisse tout conduire à Dieu. Ce qui ne paraît qu’un simple accident dans la voie de la foi et le moindre de tout, deviendrait essentiel et empêcherait dans la suite le progrès de cette même foi.

Je parlerai et ne me tairai point853, jusqu’à ce que le Seigneur m’impose le silence. Je ne cèlerai point ce que fait le Tout-puissant854 : car si je dis, je ne parlerai plus de la sorte, vous me tourmentez merveilleusement855, 856.



*2.17 De la Foi et de ses effets.

[110] La foi857 se doit envisager de deux manières. Il y a la Foi, vertu Théologale, commune à tous les Chrétiens, et celle-là a son évidence dans l’Ecriture sainte et dans les Décrets de l’Eglise, quoiqu’Elle soit au-dessus de notre raison et qu’Elle la captive. Mais il y a l’esprit de Foi qui est l’esprit intérieur, que saint Paul858 met au rang des fruits du Saint-Esprit parce qu’elle suppose la charité dans une âme. La foi commune peut être dans la charité mais celle-ci n’y peut être, du moins n’y pourrait subsister longtemps. Car je ne crois pas qu’un péché actuel et de surprise fit perdre à une âme le don de la foi. Il lui ferait bien perdre pour un temps l’usage de ce don, mais comme ce don ne laisserait pas un moment l’âme qu’il ne l’eût pressé par son activité à se réconcilier avec son Dieu, il faudrait nécessairement ou que le don de la foi se perdit ou que l’âme fut bientôt rétablie dans la grâce perdue. Lorsqu’en parlant de l’intérieur on parle de la foi, on n’entend point cette première foi qui tient l’esprit soumis aveuglément aux maximes de l’Evangile et aux décisions de l’Eglise. On ne veut parler que de cet esprit de Foi, qui s’emparant une fois de l’âme, ne la quitte jamais qu’elle ne soit réduite dans l’unité de son principe où l’âme étant entrée dans son être original par une perte fortunée, cette étoile disparaît et il ne paraît plus que Jésus-Christ, Sagesse Eternelle, qui Se forme et Se lève en l’âme comme l’aurore et ne la laisse point qu’Il ne [111] l’ait fait entrer dans le plein jour de la Gloire. L’âme perdue en Dieu et abîmée avec Jésus-Christ ne connaît plus que Jésus-Christ. Elle perd toutes les traces de cette aimable loi qui l’a conduite si heureusement.

Comme cette foi dont je parle est une foi toute amour, c’est une foi de confiance, qui produit un abandon entier. Elle se fait discerner avec tous ses charmes au commencement qu’elle s’empare d’un cœur, afin que ce cœur la suive, attiré par son onction et sa douceur. Mais comme cette foi pleine d’amour et de confiance n’a qu’un seul et unique désir, qui est de se perdre dans l’abandon aveugle qui est la perfection et la consommation de la foi, c’est pour cela qu’elle cache peu à peu sa lumière et son brillant aux yeux de l’âme qu’elle conduit. Elle n’en est pas moins lumineuse pour cela au contraire, mais elle ne travaille qu’à aveugler l’âme, afin de la porter à s’abandonner sans réserve à Dieu qui est tout le but de la foi. Elle découvre d’abord les beautés et les perfections infinies de Celui auquel elle veut que l’âme se confie ; elle les découvre, dis-je, non en distinction, mais en généralité, qui est la manifestation propre à la foi. Mais après cela, comme cette connaissance qui sert de motif à la confiance lui sert aussi d’appui, elle la fait perdre insensiblement, sans quoi la confiance demeurerait toujours confiance et ne passerait point en abandon.

L’abandon étant affermi, l’âme perd tout ce qui appuyait et soutenait cet abandon, qui était des motifs où il y avait encore quelque retour sur le bien et l’avantage spirituel de la créature, quoi qu’ils parussent fort épurés. Mais l’amour jaloux d’achever son ouvrage arrache tous les [112] appuis de l’abandon et, le rendant aveugle, sans motif ni raison de s’abandonner par rapport à soi-même, elle le rend pur parce qu’il ne reste qu’une seule et unique raison qui est la volonté de Dieu et Sa souveraineté.

Cet abandon aveugle est dans la perte et ne peut être sans elle. Car tant que je suis un chemin que je connais et conçois, mon abandon est avec connaissance de cause : il est clairvoyant, il n’est point aveugle. Dieu mène l’âme par des sentiers inconnus et incompréhensibles dont elle n’a jamais pu prendre nulles idées ni se les figurer, et plus les sentiers où Il la conduit paraissent étranges et périlleux, plus Il Se cache. Il Se montre en la faisant entrer dans ces ténèbres impénétrables. Elle ne peut douter que ce ne soit Lui. Mais quoiqu’elle suive toujours le même sentier sans se détourner ni à droite ni à gauche, lorsqu’elle est engagée dans le chemin et qu’elle ne peut plus reculer, Il se cache de telle sorte qu’elle ne L’aperçoit plus. Elle n’a de connaissance que pour regretter l’extrême perte qu’elle croit avoir faite. Et voyant que les précipices augmentent à mesure que Celui qui la conduisait s’éloigne d’elle, elle reste dans une étrange désolation jusqu’à ce que la plus pure charité, dont elle est animée sans le connaître, lui apprend à s’abandonner à la perte même, lui faisant comprendre que son Dieu ne perdra rien pour cela, qu’Il sera toujours content et heureux, qu’il faut qu’elle suive, quoiqu’il en puisse coûter, le chemin où Il l’a conduite Lui-même, quoique l’enfer lui paraisse terminer ce sentier.

Alors elle va sans nulle raison. Elle court dans les précipices, elle y roule même souvent par désespoir, se croyant entièrement égarée [113] mais ne pouvant faire autrement. C’est alors que les vues que c’est Dieu qui a introduit dans cette voie, se perdent. On ne pense plus même à ce qu’Il est et qu’Il sera heureux malgré notre malheur. Mais comme une personne qui roule dans un abîme perd toute autre pensée que celle de son désastre présent, aussi cette âme perd toute autre vue que celle de sa perte. Mais pleine d’une juste indignation contre elle-même, après avoir gémi sur son malheur, elle le voit et elle voudrait le rendre plus irrémédiable s’il était possible. Et entrant dans la complaisance de sa perte, elle entre dans la perfection du plus pur Amour, qui ne tarde guère à reparaître, mais d’une maniere ineffable.

La Foi conduit donc aveuglément, mais où ? - C’est à l’Unité. Car il faut savoir que la Foi et l’Espérance se réunissent dans la pure Charité. Cette réunion semble une perte à l’âme, qui dit avec Job : J’ai perdu tout espoir et je ne vivrai plus859 : non, elle ne doit plus vivre mais arriver à l’Unité, soit par la réunion de la Foi et de l’Espérance dans la seule Charité, soit par la réduction des puissances en Unité. Elle trouve que cette Charité qui est seule subsistante, est Dieu même où l’âme est conduite par la perte de tous moyens. C’est là qu’elle trouve Jésus-Christ qui reparaît comme sa vie. C’est la réelle manifestation de Jésus-Christ devenant la vie de l’âme860. C’est en Jésus-Christ et par Jésus-Christ que la vie est rendue dans cette unité, rendant l’âme et simple et multipliée autant agissante qu’elle est mû et agie861. Toutes ses puissances sont agissantes sans sortir de leur unité et sans être salies [114] d’aucunes espèces. Elles ont tout sans rien avoir. On fait tout sans rien savoir. Cet état est réel, je vous assure, et vous y êtes assurément appelé. Mais quoique les expressions ne soient peut-être pas conformes à la science, l’expérience démêle tout cela, et [on est] contraint d’approuver ce que l’on condamnerait sans elle862.

2.18. De la véritable purification de l'âme.

Dieu seul veut tout opérer chez vous. Et quoiqu'il veuille bien se servir de sa créature pour vous montrer la voie par laquelle il veut que vous marchiez, je puis vous assurer que c'est cependant lui seul. Il a si fort détruit cette créature qu'il vit, agit, et opère seul en elle, et qu'elle aimerait mieux mourir mille fois que de se mêler [115] de l'ouvrage qu’il fait par elle, lui cédant si absolument toutes choses qu'il me semble qu'il peut et qu'il veut seul en moi. Tout mon soin, sans soin, c'est de lui obéir aveuglément dans tout ce qu'il exige de moi. J'espère qu'il ne permettra pas que je gâte son ouvrage, et que je barbouille avec un misérable pinceau l’excellent tableau qu'il veut faire en vous, qui n'est autre que l'image de Jésus-Christ dans toute sa beauté.

Dieu vous a créé à son image, c'est-à-dire que le Verbe, qui est l'image de son Père, était représenté en vous au naturel ; mais le péché avant votre naissance avait tellement effacé cette belle image, et l’avait si fort imprimée de ses caractères qu'elle ne paraissait plus. Quoiqu'elle fût effacée de la sorte, il restait cependant dans le plus intime de l'âme un caractère de la Divinité, qui étant dans l'essence de l’âme, ne peut jamais être détruit à moins que cette créature ne rentrât dans son premier néant, ce qui est absolument impossible, parce qu'il faut que dans tous les lieux où ce caractère de ressemblance a été une fois imprimée, il y subsiste, portant avec lui cette qualité de rendre l'âme immortelle. Mais comme pour réparer une image défigurée, il faut effacer les malheureux caractères qui l’ont couverte, et rendre tous les traits à celle qui était effacée, il a fallu que Jésus-Christ lui-même soit venu sur la terre se faire homme, afin de réimprimer tout de nouveau en l’âme le caractère effacé par le Démon.

Cela a donc été l'ouvrage de Jésus-Christ sur terre. Le Verbe ne pouvait voir en l'homme son image détruite, parce qu'il ne pouvait vouloir cela par rapport à lui-même. C'est ce qui [116] lui a donné cet extrême empressement de se faire homme ; et cette action, quoique toute libre en Dieu, lui est devenue comme nécessaire, parce qu'ayant imprimé son image dans l'homme, il ne pouvait vouloir que cette image fût pour jamais perdue. C'est ce qui a porté le Verbe à nous aimer avec tant d'excès, et c'est ce qui fait son extrême douleur sur la perte des hommes. Un père qui se serait reproduit dans un fils qui serait sa vive image, l'aimerait plus que tout autre : aussi le Verbe a-t-il été si passionné de la nature humaine, parce qu'il s'aime nécessairement soi-même, que son amour a été jusqu'à cet excès de se faire homme pour le rendre Dieu. Il a voulu épouser cette nature humaine, afin qu'elle lui fût unie d'une manière si étroite, étant devenue, en lui, une même personne avec le Verbe, elle ne pût jamais perdre le caractère de ce Verbe confondu avec elle dans une humilité parfaite.

Or comme tous les hommes portent en eux ce caractère du Verbe, caractère ineffable de la Divinité, et qu'il a fallu que le Verbe, image du Père, dont l'homme est fait aussi d'images, soit venu lui-même, comme on vient de le dire, vu que c'était à lui de droit de racheter l'homme, et après le paiement de sa rançon de le rendre vraiment homme, c'est-à-dire caractérisé du Verbe, aussi tout ce que prétend le plus Jésus-Christ est de s'exprimer en nous et de faire en nous une copie vivante de lui-même. Voilà ce qui le passionne le plus ; et c'est l'ouvrage qu'il prétend faire en nous, comme il a seul le droit de le faire.

Mais de quelle manière ? C'est en s'imprimant lui-même dans l'homme. Comme une personne [117] qui s'imprimerait dans la cire serait une figure plus parfaite de soi que tous les peintres de l'univers, et que s'il pouvait animer cette cire, chacun prendrait la copie pour l'original : de même si nous étions bien animés de Jésus-Christ, on nous prendrait pour des Jésus-Christ mêmes. La raison, selon quelques saints, pour laquelle notre Seigneur étant sur la terre n'a point permis que l'on fît son portrait, était pour nous apprendre par là qu'il le fallait chercher dans l'homme chrétien, que c'était là où il voulait qu'on le trouvât peint au naturel ; et qu'il fallait que le Chrétien fut comme une toile d'attente sur laquelle il se pût imprimer.

De là il vous est aisé de conclure que ce n'est point votre ouvrage, mais l'ouvrage de Dieu, qui se doit faire en vous : et que vous ne pouvez contribuer à cet ouvrage qu’en demeurant ferme et immobile entre les mains de Dieu, mais pourtant assez flexible pour vous laisser tourner, baisser et hausser comme il lui plaît. Car si vous vouliez mettre la main à l'œuvre, vous feriez comme un enfant mal instruit, qui voulant travailler à l'ouvrage d'un excellent peintre, ne servirait qu'à le gâter, ou qui même se contentant de pousser seulement la main du peintre, ne lui ferait faire que de faux traits.

Ceci est la source du peu de perfection qu'il y a dans le Christianisme. Tous les hommes, entêtés de l'amour d'eux-mêmes, se sont faussement persuadés que la multitude de leurs œuvres opérait leur salut : c'est pourquoi ils se fatiguent tous dans la multiplicité de leurs voies, sans jamais dire , demeurons en repos863. Dieu leur en fait lui-même [118] le reproche. Il n’en serait pas de la sorte s'il pouvait bien comprendre que tout leur travail doit être de laisser faire864 Dieu, et d'arrêter les saillies présomptueuses d'une nature précipitée, pour, par un amortissement continuel, donner lieu au Dieu-Verbe de se retracer en nous, et de s'y imprimer de nouveau, ce qu’il ne fera point d'une autre manière qu'en s'y imprimant et s’y exprimant lui-même ; et c'est en faisant cela qu'il nous donne la vie.

Il me semble qu’Elizée865, couché sur le corps de l'enfant mort, et raccourci sur cet enfant, est une belle figure de ce que notre Seigneur me fait vous dire. Sitôt que l'image de Jésus-Christ est retracée au naturel, c'est alors que cette image est rendue vivante d'une vie immortelle.

Vous voyez donc que l'ouvrage de notre salut n'est autre que la formation de Jésus-Christ ; et qu'elle se doit faire par lui-même. Or afin de le faire par lui-même, et pour le faire avec plus de promptitude et de facilité, il envoie son esprit qui est un feu. Le pur Esprit est feu : c'est pour fondre cette image, afin que Jésus-Christ la réimprime de nouveau de ses caractères, et qu’il les rende ineffaçables. Vous voyez que l’âme ne contribue à l'un et à l'autre de ces ouvrages qu'en laissant faire ; et qu'ainsi elle ne peut être trop convaincue de la nécessité de laisser opérer Dieu en elle en pure et nue souffrance, sans se mêler de rien.

Mais comme il y a en cette réparation deux choses : l'une, de détruire dans l'homme le caractère du Démon, buriné si avant par le péché [119] qu'il est presque entièrement ineffaçable parce qu'il est comme identifié avec la nature, et l'autre, de graver ou imprimer de nouveau l'image de la Divinité, il est aisé de concevoir qu'il doit y avoir deux sortes d'opérations pour achever cet excellent ouvrage, qui est le plus grand que Dieu puisse jamais faire hors de lui ; l'une, destructive ; et l'autre, réparatrice.

Dieu commence par détruire, puis il s'établit lui-même sur les ruines de la propriété et de la nature corrompue ; mais de quelle manière le fait-il ?

Rien n'est plus admirable que l'économie de sa sagesse : il fait d'abord un échantillon, un modèle de ce qu'il veut faire, afin que l'homme, frappé de la beauté de son dessein par l'avant-goût qu'il lui en donne, le laisse faire, et apprenne qu'il ne peut contribuer à un ouvrage tout divin qu’en se taisant et cessant tout travail. Lorsque l'homme est assez heureux pour comprendre cela, c'est alors que Dieu ravi, le caresse, et le comble de biens : car il trouve si peu d'hommes assez souples et assez petits pour le laisser faire, que fatigué de voir son ouvrage plutôt effacé par la précipitation d'une créature trop active qu'il n'est commencé, il se contente d'écarter le Démon, et d’empêcher par sa grâce que cette créature ne se perde tout à fait, réservant dans l'autre vie un feu propre à faire sur ses créatures, qui ne pourront plus agir, ce qu'elles n'ont pas voulu laisser faire lorsqu’elles étaient sur la terre. O homme présomptueux et insensé ! Que ne te reposes-tu d'un travail si infructueux ? Et que ne cèdes-tu à ton Dieu tous les droits que tu as sur toi-même ? Et tu trouverais en cela ton bonheur et ton salut. [120]

L'économie de la Sagesse dans l'œuvre que Dieu veut faire est telle. Il commence par donner à l'âme un avant-goût de ce qu'il veut faire. Et comment en use-t-il ? Il fait comme un essai : il purifie l'âme de ce qu'elle a d'entièrement opposé à lui, qui est le péché mortel ; ensuite il s'approche d'elle ; et c'est par sa présence qu’il lui donne cet échantillon comme un gage de ce qu'il veut faire. Comme une personne qui voudrait se représenter au naturel et se perdre soi-même, ne ferait autre chose qu'en s'approchant d'un miroir s’y représenter au naturel ; de même Jésus-Christ, Verbe divin, par une bonté infinie, ne fait autre chose que se rendre présent à l'âme, déjà purifié de ce qu'il y a d'opposé à Dieu, je veux dire, du péché mortel.

C'est alors que l'âme commence à goûter au-dedans d'elle-même la présence de son Dieu, qu'elle n'avait point encore comprise ; et ravie qu’elle est d'une si agréable surprise, elle s'écrie avec saint Augustin : « Ô mon Amour, je vous croyais si loin, et vous étiez si proche ! » C'est dans le goût de cette divine présence qu'il lui est enseigné dans le secret, et sans bruit de paroles, qu'il faut modérer son activité.

Dieu se sert de cette douce et suave présence pour modérer son action et pour l'endormir peu à peu à toute activité, comme s'il voulait l'imprimer de lui-même dans ce sommeil, et qu'il fallut pour en venir à bout lui ôter par ce moyen son activité : il endort par ce breuvage délicieux, et l’enivre, mais d'une ivresse délicieuse, qui pourtant n'est point encore le vin mictionné de myrrhe. Et comme une personne ivre demeure interdite à toute action, aussi une âme qui, comme l'épouse866, est entrée dans le divin cellier, [121] demeure interdite et étonnée, impuissante de parler et d'opérer. Ceci est fort délicieux, parce que Dieu veut par là attirer l'âme, la prendre et l'engager si fort par les divins attraits, qu'elle ne puisse plus reculer. Il ne fait donc autre chose que de se rendre présent à cette âme comme devant une glace.

Mais comme lorsque la personne qui se représente dans un miroir se retire, il n’en reste rien, de même lorsque Dieu se cache, il ne reste plus de trace à l’âme de cette divine présence. Cependant comme cette présence est pleine de suavité, il en reste à la volonté, qui est comme la bouche de l’âme, une certaine saveur qu’elle tâche de savourer encore : c'est comme un petit enfant, qui après avoir têté, suce ses petites lèvres et les presse ; mais après un peu de temps voyant que plus il suce, plus il perd ce reste de saveur, il s'attriste et s'afflige ; il cherche partout cette nourriture délicieuse, qui lui convient uniquement ; il est même tout languissant si on ne la lui donne pas bientôt. Cet enfant s’afflige, il est vrai, de la perte de cette nourriture ; cependant il n’en peut prendre d'autre : l’âme aussi éprouve la même chose. Tout les efforts faibles et languissants de sa volonté ne lui rendent pas cette nourriture (autant délicieuse que délicate) que lui donne cette divine présence, qui est pour elle un lait bien savoureux. Elle cherche si quelque autre nourriture lui pourra convenir ; mais sa recherche est inutile : tout lui est rendu insipide ; elle comprend qu'il n'y a plus d'autre nourriture pour elle que ce lait, qu'elle ne peut rien faire pour l'avoir, et qu'elle ne peut que le recevoir lorsqu’on le lui donne. Cela fait qu'elle commence à devenir patiente ou [122] passive, et qu'elle suit ce conseil du Sage, qu'elle souffre les suspensions et les retardements des consolations, et par là sa vie croît et se renouvelle867.

Vous voyez donc bien que tout s’opère dans les commencements par le goût et l'expérience de la présence de Dieu, et que même dès ce temps rien ne s'opère que par cette patience ou cessation d'opération. Jésus-Christ ne dit-il pas868 : Vous posséderez vos âmes par la patience ? Cette patience ne s'entend pas seulement ici de la souffrance, mais cette patience est proprement la passiveté, qui fait posséder son âme dans la paix. Car de même qu'une glace mouvante ne reçoit point au naturel l'image qui lui est présentée, et que l'eau agitée ne prend point l'image du soleil, de même aussi l'âme pleine de sa propre action, loin de céder, ne fait que se nuire dans l'ouvrage de sa perfection.

Nous disons donc que dans le commencement, rien ne s'opère pendant longtemps dans l'âme que par la présence de Dieu en foi savoureuse. Je l'appelle de cette sorte pour la distinguer d'un état qui suit, que l'on appelle celui de foi obscure et nue ; et aussi un autre état qui ne fait rien à mon sujet, puisqu'il n'est point pour vous ni pour toutes les âmes que Dieu veut beaucoup avancer et perdre sans aucune réserve, qui est, un état lumineux en espèces, visions, représentations, extases, etc.

Cette âme est donc conduite par une présence délicatement savoureuse car, quand l'âme dont je parle, c'est moins par une saveur beaucoup sensible qu'elle est conduite, que par une douceur délicate, paisible et tranquille, Dieu attire l'âme [123] par là ; et l'ayant instruite et rendue passive et assez forte pour porter les autres opérations, il se retire peu à peu, il se cache et la laisse toute languissante, sans envie cependant de se remuer, ni même de chercher de la force et de la vigueur. Sa volonté, accoutumée à un mets si délicat, ne peut trouver de nourriture ailleurs, et n’en peut même vouloir : elle ne peut désirer (d’un désir efficace) cette nourriture, qu'elle sent bien lui manquer ; il ne lui reste qu'une tendance langoureuse pour ce qui lui convient ; et ce n'est point une volonté, mais un besoin de ce sans quoi l'âme se trouve sèche et aride, comme l'éprouvait David : C'est comme une terre sans eau qui se dessèche insensiblement869.

Cet état instruit l’âme ; et comment l'instruit-il ? C'est que la vie lui est rendue par le retour de cette présence délicate : alors elle est instruite et du moyen dont Dieu veut se servir pour la communiquer, et de l’état privé de sa seule subsistance. Cela lui fait connaître aussi que tous autres moyens sont consommés pour elle. Dieu revient, et il se retire ; et par ces alternatives il sèvre cette âme, et la fortifie en secret, l'affaiblissant cependant au-dehors, pour porter son opération de destruction.

Il vous est facile, en suivant ce que je vous ai dit, de voir que tout le premier état de la foi que j'appelle savoureuse, s'opère par cette présence délicate et paisible ; et que ce même degré ou état se consomme par les alternatives de goût et de privation. C'est ce dont Dieu se sert pour apprivoiser [124] l'homme, le rendre souple et pliable sous sa main : et comme il lui donne par cette présence savoureuse un avant-goût de sa possession réelle et permanente, il lui donne en même temps par cette privation un échantillon de ce qu'il opère par la destruction.

Dans le second état de la foi, elle s'appelle nue et ténébreuse parce que la demeure du seigneur est tout environnée de ténèbres870, et que son trône est inaccessible. Celui qui portait l'âme avec un amour infini, ne se laisse plus toucher. Pourquoi ? Parce qu'il veut dénuer l'âme de tout soutien et de tout appui, pour la détruire ; et que ce soutien étant le plus fort, quoique le plus délicat, s'il restait, l'homme ne serait jamais détruit.

Mais pourquoi détruire cet homme ? N’est-ce pas assez de le rendre heureux par le goût de cette Divine présence ? Et puisque le dessein de Dieu n'est que de retracer en l'homme son image, s’y représentant comme dans un miroir, n’est-ce point assez de cela ? Pourquoi toutes ces destructions, et ces renversements qui semblent détruire ce que Dieu avait fait dans ces commencements ? En voici tout le secret. Cette âme avait bien été lavée et purifiée de ce qu'il y avait en elle de l'image du Démon ; et Dieu, qui ne désire autre chose que de s'y retracer, n'attendant pas qu'elle soit toute pure pour venir se présenter à elle, et l'engager par ses charmes à le laisser faire en elle ce qu'il lui plaît, était venu, à la vérité, lui communiquer un échantillon de sa gloire ; mais c'est une gloire vacillante, c'est plutôt une image de l'image que l'image même. Jésus-Christ veut être tout vivant en cette âme ; il ne se contente point de se peindre de loin et en [125] superficie : il veut que cette âme devienne un autre lui-même ; et afin que cette copie soit sans défaut, et qu'elle ne puisse plus être défigurée par le Démon, il veut la changer en lui-même. Or comme nous avons dit qu'il restait dans cette image, lavée et purifiée, un caractère de l'image du Démon, un reste, dis-je, de cette image, qui est comme identifié avec elle, et que nul ne peut ôter que Jésus-Christ même, il faut donc que ce soit lui qui l’ôte ; et c'est pour l’ôter qu’il rompt et brise cette image là où il restait encore ces vestiges de l'image du Démon. Ces vestiges sont la propriété. Mais, ô Amour, vous brisez aussi ce qui est de vous, et ce qu'il restait de vos linéaments ! - Oui, dit l'Amour, il faut que je brise, que je détruise dans cette image mes propres caractères, parce qu'ils sont mêlés avec ceux du Démon ; après que j'aurai tout détruit, je ferai une nouvelle créature qui ne portera plus d'autre caractère que les miens. Ce sont ces âmes qui seront marquées du Tau871, durant que tout le reste des hommes porte les caractères de la bête, de cette bête872 qui a le corps de l'Agneau, mais qui parle comme le Dragon : elle a quelque ressemblance de Jésus-Christ ; mais comme elle n'est pas caractérisée de lui, elle parle, comme le Dragon, vanité et mensonge.

Jésus-Christ commence donc, par sa force et sa puissance, de renverser toute la beauté de cette âme, comme dit si bien le prophète873 : Il m'a ôté toute ma beauté : ensuite il la noircit et la décolore ; decoloravit me sol874 : puis il la brise, car il commence à lui ôter toute facilité [126] et toute force pour le bien, toute envie même de le pratiquer ; et il faut qu'elle soit fidèle à se laisser tout ôter ; après il la noircit et la salit. C'est alors qu'elle doit dire : Ne me considérez point pour ma noirceur. Il ne faut pas juger d'elle par l'apparence, mais il en faut laisser le jugement à Dieu. Il ne faut pas alors juger de soi-même, ni se regarder, ni vouloir mettre la main pour se purifier, ce qui est ici d'une extrême conséquence, et sur quoi l'on a peine à se résoudre : voulant toujours se purifier, on ne fait que se salir davantage. Mais je suis noire : pourquoi ne pas contribuer à me blanchir ? Vous êtes noire, mais vous êtes belle, puisque vous êtes comme Dieu veut que vous soyez. Tout autre blancheur serait un fard qui ne plairait point à votre Epoux. Vous voyez qu'il faut alors changer de batterie pour la purification, et ne plus rien faire de ce que l'on a accoutumé de faire jusqu'alors. Laissez-vous noircit, le fer se noircit et rougit au feu lorsqu'on veut le nettoyer ; sans cela il ne serait jamais feu, et ne perdrait jamais sa rouille. C'est un secret connu de Dieu seul, et qu'il faut que vous appreniez, que celui de vous laisser salir, lorsque Dieu pour son plaisir et pour vous faire devenir en lui une nouvelle créature, en use de la sorte.

Après cela il brise, il fond, il détruit tout : il ne reste pas le moindre caractère de modèle de la Divinité. Ce n'est toutefois que le modèle qui est détruit, et non l'ouvrage de la réparation, qui ne se fait que par la destruction du modèle.

Mais si tous ces divins attraits semblent brisés par la main de l'excellent ouvrier, il y a en cela plusieurs avantages, puisqu'il ne le fait que [127] pour son plaisir, que pour vous rendre une nouvelle créature en lui, et que par cette destruction tous les caractères du Démon sont effacés et détruits pour jamais. Pour être fait une nouvelle créature en Jésus-Christ, il faut que tout ce qui est de l'ancienne soit détruit, et que tout soit rendu nouveau875. Mais comme l'on ne peut détruire ce qui est mauvais sans ôter ce qui est bon, à cause du mélange qui se fait de l'un et l'autre, il faut nécessairement que la destruction soit totale, sans quoi, nous serions toujours caractérisés du Démon et toujours soumis à sa puissance : parce que le caractère de la principauté est l’image gravée du prince, partout où le Démon trouve ses caractères, il y a droit. Jésus-Christ n'est absolument souverain que sur l'homme qui ne porte plus aucuns traits du Démon : c'est pourquoi il est écrit876 qu'il porte sur son épaule la marque de la principauté ; cela veut dire qu'ayant mérité par la mort de la croix le salut des hommes, et de retracer en eux son image, il a obtenu d'imprimer sur ces mêmes hommes les caractères de sa principauté se les assujettissant. C'est en ce sens, qu'il est venu pour être Roi877, et qu'il a dit878 que le Prince du monde été détruit ; il ne peut régner que sur la destruction.

C'est là toute l'économie de la grâce ; et quiconque s'imagine cent sortes d'inventions et de pratiques de dévotion pour se sanctifier, quelque savant qu'il soit, il ignore la science des Saints et les principes fondamentaux de la religion. Vous êtes à couvert de cela, vous à qui Dieu a donné les prémices de son Esprit, vous qu’il a rendu [128] docile, en qui il a mis les marques de la filiation divine, et qu'il a appelé à l'adoption des enfants. Mais je vous conjure d'être encore plus persuadé qu'il faut que la destruction soit totale et sans nulle exception : je dis nulle parce qu'elle ne sera pas selon vos idées et qu’elle les trompera toujours, ne pouvant pas pénétrer autrement que par votre expérience la profondeur des secrets de Dieu, et combien ses routes sont inaccessibles à l'esprit humain. O altitudo, etc.879

*2.19 Épreuves et purifications de diverses sortes.

[129] Je ne sais pourquoi Dieu a permis que je vous aie parlé des épreuves des âmes obsédées par le Démon puisque cela ne vous regarde en aucune manière, n’étant pas une épreuve qui soit pour vous. Sainte Thérèse l’a soufferte parce que toutes les âmes conduites par les lumières et les dons, qui sont toutes lumières médiates, ont une épreuve proportionnée à leurs dons. C’est par le ministère des Démons, et cet exercice est le plus dangereux et le plus violent quoiqu’il ne soit pas le plus anéantissant. Le Démon porte toujours au désespoir, et c’est où il y a le plus de danger ; quoique Dieu ne permette guère qu’il en arrive d’accident, à moins que l’on ne se retirât de l’abandon ou que l’âme ne tombât dans des mains ignorantes.

Il y a trois sortes d’épreuves ou de tentations par lesquelles Dieu purifie l’âme. La première est les peines sur la pureté. La seconde sur les tentations de blasphèmes. Et la troisième (qui ne vient que du défaut d’abandon dans ces deux premiers états) est une violence qui fait perdre l’esprit et qui conduirait au désespoir si on n’était pas soutenu, mais cette dernière n’arrive jamais aux personnes fidèles et qui sont secourues. Ces trois sortes d’épreuves ont rapport aux trois vertus théologales, qui doivent être purifiées de la propriété qu’elles ont contractée. L’amour-propre empêche l’étendue de la pure charité dans l’âme. C’est pourquoi Dieu le détruit par une impureté apparente, dont Il se sert parce que ces sortes d’attaques [130] humilient extrêmement une âme superbe. Saint Paul assure qu’elles lui furent envoyées880 afin qu’il ne se glorifiât pas pour les grandes révélations qu’il avait eues. Cette humiliation fait perdre un certain amour secret que l’on a pour soi-même et pour sa propre justice, cette impureté apparente servant comme d’un purgatoire à la Charité. Comme l’or est éprouvé et épuré par le feu, de même le pur Amour est épuré dans la fournaise de l’humiliation. Sans quoi, quelque bonne intention que l’on ait, on est toujours propriétaire parce que l’amour n’est parfaitement pur que par la haine de nous-mêmes, et cette haine n’est entière que par l’horreur qui nous vient de nous-mêmes dans la boue de notre humiliation.

Le second purgatoire est une espèce d’impiété dont l’âme souffre étrangement. Elle n’a plus que du rebut pour les choses les plus saintes. Elle est pleine des pensées de blasphème et d’impiété. Elle a perdu la Foi, à ce qu’elle croit, et c’est ici le purgatoire de la foi, qui en la dénuant terriblement, la rend extrêmement pure. On ne saurait croire combien ceci exerce une âme fidèle.

La troisième épreuve est une espèce d’aliénation d’esprit. L’âme n’a que des pensées noires et de désespoir. Toutes les personnes qui l’approchent et à qui elle se découvre ne servent qu’à augmenter son tourment si elles ne sont pas expérimentées ; et c’est le plus grand des tourments que celui de tomber entre les mains des personnes qui ne sont pas éclairées. C’est le purgatoire de l’espérance, où elle se purifie de toute propriété. Car avant ce temps, quoique l’espérance [131] ne parut fondée que sur le pouvoir divin, il y avait un appui secret et inconnu dans l’assurance de la même espérance qui la rendait propriétaire et imparfaite. Il en était de même des autres vertus. Quoique la pureté de l’amour fut pour Dieu, il y avait une assurance dans la pureté de ce même amour qui, servant de soutien, faisait par conséquent un entre-deux qui empêchait l’entière pénétration du pur Amour. Et quoique la foi ne fût, ce semble, appuyée que sur la puissance de Dieu, l’assurance de cette foi l’empêchait néanmoins de tomber dans la perte en Dieu.

Ces états sont extrêmement purifiants, mais ils sont terribles parce qu’ils ne purifient qu’en salissant en apparence, [parce qu’] ils ne donnent qu’en arrachant toutes choses. On ne saurait croire la pureté et la sainteté de Dieu, qui renverse plutôt toute sainteté apparente que de souffrir une sainteté propriétaire.

Ces trois états doivent être portés dans le sacrifice pur de l’abandon parfait, ou plutôt du délaissement total entre les mains de Dieu, car tout ce que l’âme voudrait faire pour se retirer de l’abîme ne servirait qu’à l’y enfoncer davantage. Le Prophète-Roi se plaignait d’être enfoncé dans un abîme de boue dont il ne pouvait se retirer881. Il faut que Celui qui nous y a mis, nous en retire - comme l’or ne se tire pas lui-même du creuset.

Tous les efforts de la créature sont alors non seulement inutiles mais même très dangereux, parce que par eux elle tire sa volonté de l’union à la volonté de Dieu, qu’elle doit aimer dans la permission de ses peines. Elle se retire de plus [132] du regard fixe et direct qu’elle doit avoir en Dieu seul et en l’amour de son ordre, pour s’amuser à ce qui se passe dans la partie inférieure. Elle ne le peut faire sans se détourner de Dieu quoiqu’elle croie le faire pour Dieu et par là elle s’affaiblit. De plus elle ne sort de son regard fixe vers Dieu que pour regarder ce qui se passe en elle. Ce regard est dangereux, parce que l’âme étant dépouillée de toute force propre et ne trouvant chez elle que de la faiblesse, cette vue l’occupe de son mal et cette occupation augmente ce même mal, de sorte qu’elle est exposée au péril de pécher ou par une délectation volontaire ou par le désespoir. Si elle envisage trop ce qui se passe en elle, la volonté suit peu à peu l’application de l’esprit ; ou bien l’amour-propre dans la douleur de se voir si sale, la jette dans le désespoir, ainsi qu’il est arrivé à des âmes bien pures.

Celles qui ne se regardent point elle-mêmes sont à l’abri des dégâts de l’amour propre. Leur volonté demeurant unie à Dieu et leur regard, sans regard aperçu, appliqué à lui, elles méprisent tout ce qui se passe en elles et par là elles sont à couvert de ces désordres, car pour pécher il faudrait nécessairement qu’elles retirassent leur volonté de celle de Dieu, la volonté de Dieu ne pouvant souffrir une volonté criminelle sans la rejeter. Il faudrait aussi qu’en péchant, elles détournassent leur vue de Dieu, car celui qui n’a de vue que pour Dieu n’en peut avoir pour le péché.

Que les âmes qui seront dans ces épreuves soient donc instruites qu’elles ne doivent faire aucune autre chose que de se délaisser à Dieu pour souffrir ces épreuves dans toute l’étendue [133] de Ses desseins sur elle, dans un sacrifice entier et total, ne se reprenant jamais quoi qu’il arrive, n’en désirant pas la fin, mais étant contentes d’y rester toute l’éternité si tel était le bon plaisir de Dieu, sans vue ni retour sur elle-mêmes pour envisager volontairement leur état ni ce qui se passe en elles, quelque terrible qu’il puisse être ; restant sacrifiées pour tout ce que Dieu voudra et pour autant de temps qu’il voudra, évitant les réflexions et les reprises plus que la mort.

Toutes les peines sont causées ou par les réflexions ou parce que les âmes ne sont pas fidèles à se délaisser après s’y être abandonnées. Par les réflexions elles entrent dans les craintes et les doutes et par les reprises elles se retirent de l’abandon.Et par l’un et par l’autre elles se jettent dans des peines et des embarras très grands, allongeant beaucoup leurs souffrances : toute leur vie se passe à faire et à défaire, sans rien avancer. O vous qui êtes en cet état ne soyez pas si téméraires que de mettre la main à l’ouvrage de Dieu : croyant l’accommoder, vous le gâtez. Laissez à Dieu tout le soin de l’œuvre, ne détournez ni à droite ni à gauche, et Il conduira lui-même vos pas.

Je prie les personnes entre les mains desquelles ces âmes tomberont de ne les point tourmenter mais d’en avoir beaucoup de compassion. La main de Dieu est assez appesantie sur elles sans les surcharger encore. Elles ne sont souvent que trop convaincues qu’elles pèchent. Et comme elles ne peuvent empêcher ces états par tous leurs efforts et que ces efforts les irritent, il faut bien se donner de garde de les tourmenter et de les mettre en scrupule, car il ne faut pas raisonner de ces âmes comme de celles qui sont [134] dans des degrés inférieurs. Vous les jetteriez nécessairement dans l’un des deux extrêmes, lorsque vous leur dites par des scrupules mal fondés qu’elles pèchent. Parce que ne pouvant empêcher ces états par nul moyen humain, on les met ou dans le désespoir voyant qu’elles ne peuvent éviter ce qu’on leur dit être péché, ou vous les portez à pécher. On tourmente quelquefois si fort ces pauvres affligées qu’on leur fait perdre l’esprit. La plus grande marque qu’elles ne pèchent pas est la peine extrême qu’elles souffrent de ces états qui sont d’autant plus violents et plus longs que plus on les contrarie ; et d’autant moins que plus on s’abandonne à Dieu avec foi sans foi aperçue, avec courage sans courage, avec amour sans amour connu.

L’âme doit donc demeurer fort passive dans toutes ces épreuves. Ce n’est pas assez de se délaisser au commencement, mais toujours. Plus les épreuves augmentent de la part de Dieu, plus l’âme se trouve affaiblie. De sorte qu’elle ne trouve plus en elle de résistance parce qu’elle ne trouve plus de force. Et c’est sa plus grande peine et ce qui lui persuade davantage que tout chez elle est volontaire. Car lorsque les attaques sont violentes et que l’on a beaucoup de force pour résister, la violence et l’effort sont une assurance que l’on fait ce que l’on peut. Mais lorsque l’on est si faible que l’on a aucune force ni pour résister ni pour se défendre, l’âme ne distinguant pas sa faiblesse d’avec sa volonté croit que sa faiblesse est une volonté dépravée.

Cette faiblesse est l’épreuve des âmes de foi et des plus pures parce qu’il n’y a aucune violence qui puisse leur servir d’appui. Ce sera très [135] certainement la manière dont vous serez éprouvé ; et quoique la peine de cette épreuve paraisse plus douce que celle qui sont accompagnées de tant de violences, celle-ci détruit infiniment davantage, parce qu’elle ne laisse aucune ressource à l’âme ni aucun soutien. C’est alors qu’elle ne fait pas le bien qu’elle aime et qu’elle fait le mal qu’elle hait882. Mais je me trompe. Si elle trouvait en elle une puissance de haïr le mal, elle serait trop bien car cette puissance de le haïr serait un bien. Elle ne sent point cette haine, parce que tout est mort dans sa volonté qui semble ne pouvoir plus ni haïr ce qu’elle doit haïr, ni aimer ce qu’elle doit aimer.

L’âme étant dans son fond dans une indifférence entière, il ne lui reste que les sentiments d’une volonté maligne qui sont d’autant plus vifs dans la plus extrême faiblesse qu’ils sont plus séparés du fond et de la volonté supérieure, qui ne se trouvant plus ne donne nulle assurance à l’âme de sa résistance. Il ne lui reste que l’assurance qu’elle a qu’elle veut tout le mal qu’elle souffre. Parce que n’ayant plus (perceptiblement) d’autre volonté que l’instinct purement malin qui lui est resté, tout paraît chez elle pure malignité, sans pouvoir ni vouloir être autrement, parce qu’elle n’a plus la faculté de vouloir. Et c’est ici où le discernement de l’expérience et de la lumière divine est très nécessaire : car quelque savante et éclairée que soit une personne, elle ne peut porter aucun jugement de soi si ce n’est un jugement de condamnation. Et ce jugement de condamnation, loin de lui donner de la force pour sortir de son état, ne sert qu’à l’affaiblir toujours plus et à la convaincre davantage [136] que c’est avec une volonté libre qu’elle fait tout le mal qu’elle ne peut empêcher. Et c’est là la différence des états actifs, que la conviction du mal y cause la résistance et l’éloignement du mal donne de la force. Mais ici c’est tout le contraire : cette conviction affaiblit la résistance, et donne plus de force pour le mal. Car c’est une loi883 qui réside dans ce qu’il y a de plus extérieur, durant que l’esprit demeure assujetti à une autre loi qu’il ne connaît pas884 et qu’il ne peut distinguer ; de sorte que n’ayant nulle satisfaction de l’assujettissement de son esprit, elle n’éprouve que la loi de la corruption.

Une des plus forte peine de l’âme est qu’avant que d’entrer dans ces états, Dieu lui demande pour l’ordinaire son consentement sans qu’elle comprenne ce qu’on lui demande. Elle se sacrifie même avec un extrême plaisir : elle aurait plus d’horreur de refuser la moindre chose à son Dieu que de tout l’Enfer. Mais lorsque Dieu frappe, elle ne se souvient plus de son abandon et du consentement qu’elle a donné : tout lui paraît malignité ou faiblesse, et presque toujours péché. Si l’âme pouvait conserver son abandon et son esprit de sacrifice, elle verrait qu’il y aurait encore en elle quelque bonté. Mais cela n’étant point, elle se trouve, comme les personnes qui n’ont jamais connu Dieu, destituée de tout : pour le dedans, privation générale de tout bien ; et pour le dehors, faiblesses à l’égard de tout mal.

[Je885 suis si certaine que cette défaillance sans violence sera votre épreuve que je ne puis [137] m’empêcher d’écrire ceci, sans en pouvoir discerner la raison. Je ne sais ce que Dieu prétend de là : pour moi, je n’ai qu’une chose à faire qui est de lui obéir. Je suis certaine aussi que les misères et les faiblesses qui sont en moi, ne vous seront pas un petit sujet d’exercice ; parce que tout vous mettra en défiance sans nulle assurance. Il n’y a pourtant rien à craindre malgré ce que je suis naturellement. Si vous voulez bien me dire tous les sentiments que vous aurez de moi, quand je les prendrais mal (ce que je ne crois pas qui arrive), cela servirait à vous perdre davantage. Je crois devoir tout dire, sans raisonner, et sans réfléchir pourquoi dire ce qui paraît hors de saison. Il me suffit que j’obéisse.]

Il y a donc deux sortes d’épreuves, dont les unes pénètrent l’âme jusque dans le plus intime, et lui font souffrir une extrême douleur et une peine si terrible qu’elle est comme un feu obscur et infiniment douloureux, duquel la pénétration s’étend dans toute l’âme sans en laisser la moindre partie qui n’en soit pénétrée. Ce purgatoire est douloureux et humiliant ; mais la douleur est plus forte que l’humiliation. Dieu laisse alors l’âme à elle-même. O Dieu, que fera-t-elle ! Vous l’aviez couverte jusqu’alors sous l’ombre de vos ailes. C’est la plus cuisante douleur de l’âme. Elle apercevait avant ce temps que Dieu la soutenait, mais à présent il lui semble que Dieu l’a abandonnée et qu’elle veut tout le mal qui lui arrive. Autrefois elle connaissait bien que sa volonté n’y avait point de part, qu’un je ne sais quoi la soutenait, mais à présent que Dieu l’a abandonnée, tout lui paraît volontaire. Cependant Dieu ne l’assista jamais davantage qu’Il fait [138] alors. Mais comme le sentiment de cette assistance serait un soutien, il faut le perdre. La volonté ne fut jamais plus séparée qu’elle l’est ; mais on ne connaît pas cette séparation, parce que Dieu a perdu en Lui la volonté supérieure et l’âme ne pouvant avoir de volonté pour chose au monde, elle n’a garde d’en trouver pour s’opposer à ce qu’on lui fait souffrir. Cependant elle n’est ni en cela, ni en une autre chose, puisqu’elle ne se trouve plus.

Ce qui fait que l’on paraît vouloir tout ce qui se passe, c’est que la volonté étant unie à celle de Dieu, on ne peut pas ne pas vouloir tout ce que Dieu permet. C’est l’état le plus avancé du sacrifice et aussi le plus étrange, et ou presque toutes les âmes se reprennent ne pouvant se délaisser jusqu’au point qu’il le faut. Elles font par là une perte irréparable. Elles allongent ou finissent souvent leur état : elles l’allongent, parce qu’elles en empêchent la consommation ; elles le finissent lorsqu’elles se reprennent.

Jésus-Christ sur la Croix, modèle de tous les sacrifices, en est bien la vérité et la figure tout ensemble. La vérité, puisque tous les états n’ont de vérité qu’autant qu’ils sont renfermés en Lui. La figure, puisqu’Il les a tous passé comme notre modèle. Jésus-Christ donc reste sur l’autel de Son sacrifice. Comme il était presque fini et qu’Il souffrait cet abandon terrible de son Père, les Juifs Lui disaient : « descendez de la croix et nous croirons en vous886. » Il se trouve encore aujourd’hui des personnes qui font envers ces âmes crucifiées ce que les Juifs faisaient à Jésus-Christ, les voulant porter à se reprendre et à sortir de [139] dessus la croix, les assurant que par là ils connaîtront que leur état est de Dieu, s’ils en sortent par obéissance. Jésus-Christ méprisa cette foi que l’on voulait avoir en Lui, parce qu’Il savait combien le délaissement dans le sacrifice était plus glorieux à Son Père. Ce n’est pas faire un sacrifice que de ne pas le laisser consommer, c’est plutôt faire injure à Dieu. C’est pourquoi l’on a toujours regardé la consommation comme une chose si essentielle aux sacrifices, que l’Eglise ne laisse jamais un sacrifice imparfait. Mais autant que le délaissement dans le sacrifice est essentiel au sacrifice et glorieux à Dieu, autant est-il dur à porter, particulièrement sur la fin : c’est alors que l’abandon de Dieu paraît le plus extrême.

C’est pourquoi Jésus-Christ qui ne S’était plaint ni d’aucun supplice ni d’aucun outrage extérieur, Se plaint de cet état pour nous faire voir son excès. Cette plainte n’était pas un soulagement qu’Il cherchât, mais une instruction de la douleur extrême de ces états. Mon Dieu, mon Dieu, dit Jésus-Christ, pourquoi m’avez-vous délaissé887 ? Il ne l’appelle plus de ce doux nom de Père, parce que toutes les douceurs paternelles sont changées en rigueurs extrêmes. Mon Dieu juste, dit-Il, car Vous faites tout avec justice, mon Dieu vengeur, car Vous vengez sur Moi avec une rigueur extrême toutes les injures faites à votre grandeur par les hommes ! O Dieu juste et vengeur, pourquoi M’avez-vous délaissé à tant de rigueurs extérieures et intérieures ? O qu’il est vrai que ce délaissement rend ce sacrifice rigoureux et étrange ! Mais regardez ce qui suit : baissant la tête, il dit, Tout est consommé888. A peine [140] Se plaint-Il de ce délaissement effroyable que Son sacrifice se consomme et s’achève, et l’âme, de même, expire par les rigueurs de l’amour dans les bras de ce même amour.

Quelques personnes me diront que leur sacrifice ne s’est pas terminé lorsqu’elles se sont abandonnées à Dieu sans réserve. Mais, que ces personnes soient persuadées qu’elles n’en sont pas encore venues là : ou que Dieu, pour quelque dessein particulier, ne les consomme pas, ou bien qu’elles se sont peut-être reprises. Qu’il est rare de trouver des âmes délaissées sans réserve et qui ne cherchent pas ou directement ou indirectement des assurances ! Mais une âme fidèle à se délaisser en cet état si extrême, sans soin d’elle-même, sans la moindre activité, sans chercher de remède, qui se laisse en proie à la divine Justice sans chercher d’assurance en quoi que ce soit, son état se consommerait très vite, car lorsque l’anéantissement est achevé, le sacrifice se consomme. Ceci est exprimé dans le sacrifice de l’autel, qui se consomme aussitôt que les espèces s’anéantissent. De même lorsqu’il n’y a plus aucun appui, quel qu’il soit, pour entretenir le sacrifice, il faut qu’il finisse par l’anéantissement des soutiens subsistants,  ce qui s’opère lorsque Dieu laisse l’âme et qu’Il ôte ce soutien secret qui empêchait l’anéantissement total en conservant l’âme dans quelque subsistance. Si le sacrifice ne finit pas, c’est que l’anéantissement n’est pas parfait. La fin du sacrifice est la perte totale, qui en perdant la créature entièrement par la privation de tout soutien et assurance, par le désespoir entier de toutes choses, la fait retourner heureusement en Dieu, où elle demeure comme l’Agneau immolé pour les péchés [141] du monde dans une immolation éternelle. Ceci est un mystère caché en Dieu même, qui ne sera jamais compris que du plus pur Amour qui veut des victimes éternelles, mais victimes toutes volontaires, toujours immolées et toujours vivantes dans leur immolation. Ceci est le caractère divin et ineffable de l’Agneau occis, pur et sans mélange, où il n’y a plus de pleurs, de douleurs et de gémissements889.

Il y a une autre sorte de Purgatoire spirituel qui s’appelle Famine. C’est un état où Dieu réveille l’appétit de l’âme pour certaines choses et les lui ôte en même temps. Il y a cette différence entre la famine et la stérilité que la stérilité est bien un défaut des choses ou une disette, mais non pas une plus grande faim. Mais dans la famine, non seulement on n’a pas les choses nécessaires à la vie, mais on en a une si extrême faim que tout ce qui servait à nourrir en un autre temps plusieurs jours, ne serait pas suffisant pour un seul. Jésus-Christ en a porté quelque chose au désert.

Il faut remarquer qu’il y a quantité de purgatoires. Celui-ci est très rigoureux, et il fait même ce qu’il y a de plus rude dans le purgatoire de l’autre vie. C’est une faim étrange qui est mise de Dieu dans l’âme, et cette faim la dévore. Tous les jours sa faim augmente et tous les jours on lui fait voir et connaître de plus en plus ce Dieu dont elle a une extrême faim. Cette vue augmente encore sa faim sans qu’on la rassasie en aucune manière. Plus la faim augmente, plus on lui montre ce qui cause cette faim sans qu’il lui soit permis de s’en approcher ni de s’en rassasier. Ceci est un tourment si étrange [142] qu’il serait capable de réduire une âme en poudre, si elle n’était pas immortelle. Cette faim est un attrait qui enlève les âmes et les arrache à elle-mêmes ; et à mesure qu’elles sont tirées d’une main puissante, elles sont repoussées d’une autre qui ne l’est pas moins. C’est quelque chose de si étrangement violent, que tout ce que l’on en peut dire ne la pourrait faire comprendre.

Cette âme a donc une faim étrange de son Dieu : Il l’attire fortement hors d’elle et lorsqu’il semble qu’elle soit proche de Lui, Il la repousse avec d’autant plus de rigueur qu’Il l’a tirée plus fortement. Plus Il la repousse, plus Il augmente cette faim, se faisant connaître infiniment aimable et désirable. Je me trompe : cette faim n’est pas une connaissance, mais un appétit de l’âme si étrange qu’il est inconcevable. Lorsque cette faim est dans une âme extrêmement avancée, elle est sans connaissance de cette faim. C’est une expérience, je m’explique.

Deux personnes ont faim : l’une a plus de désir que de faim et l’autre plus de faim que de désir. Celle qui a plus de désir que de faim a une connaissance claire de l’amabilité de Dieu, de ce qu’Il est : elle se sent enlevée pour Sa possession avec une connaissance claire que c’est cet état qu’elle porte. Ceci est un purgatoire fort modéré en comparaison de l’autre, quoiqu’il paraisse bien rude, et ce purgatoire est pour les âmes conduites par les lumières. L’autre est une faim extrême sans voir ni connaître distinctement la cause de cette faim. Les âmes qui l’ont, appètent890 désordonnément et nécessairement une viande dont elles sont privées. Cette viande leur paraît quelquefois toute proche, mais il ne leur est jamais permis d’en goûter. [143] Ceci n’est point une connaissance mais un appétit extrême et qui s’accroît d’autant plus que plus l’âme approche de sa fin et de son rassasiement. Si cette faim est avec espoir de se voir un jour remplie et rassasiée, c’est le purgatoire spirituel. Mais si cette faim est avec un désespoir perceptible de se voir jamais rassasiée, et que plus la faim augmente, plus aussi ce désespoir croisse, et que plus le désespoir devenant désespéré, si l’on peut se servir de ce terme, plus la faim devienne extrême, c’est alors l’Enfer spirituel891 qui est un état infiniment plus étrange que l’autre et il faut un secours bien extraordinaire (quoique sans secours892 à ce qu’il paraît) pour le porter.

Il y a encore une faim que Dieu réveille pour la Sainte Eucharistie et Dieu empêche en même temps l’âme d’en approcher. Ceci fait encore souffrir quoique d’une manière bien inférieure à ce que je viens de dire. Il y a des personnes qui quittent la Communion lorsqu’elles en ont du dégoût. C’est une chose que l’on ne doit jamais faire, parce que c’est le temps où on en a le plus besoin. Dieu mêle ordinairement ce sel d’absinthe pour les personnes qui s’y sont portées avec une avidité imparfaite. Et comme il y a en cela beaucoup d’imperfection, Dieu les purifie par ce dégoût ou bien par cette faim extrême, sans permettre en même temps d’en approcher, et alors c’est un bien d’en être privé. Mais il ne faut pas quitter la Communion pour le simple dégoût - et c’est là la différence qu’il faut faire de ce dégoût à celui qu’on a des autres exercices qu’il faut quitter parce [144] que ce sont des moyens qu’il faut perdre - mais Jésus-Christ au Saint-Sacrement est moyen et fin. Il se perd quelquefois comme moyen mais Il se retrouve comme fin.

*2.20 De la sécheresse spirituelle et de ses effets.

Le temps de la sécheresse spirituelle opérera les mêmes choses que la sécheresse naturelle. Celle-ci, sans que l’on s’aperçoive comme cela se fait et peu à peu, dessèche si bien la sève des plantes que les fruits tombent, les feuilles se desséchant deviennent languissantes, perdent leur verdure et tombent ensuite. Tout paraît comme un lieu inculte et désert. Cela se fait peu à peu et insensiblement, et d’une manière qui paraît naturelle. La tige des arbres paraît morte, et s’il reste quelque sève, elle est si profonde et si cachée que l’on ne la saurait découvrir. La sécheresse spirituelle produit les mêmes effets : elle ôte insensiblement à l’âme tout ce qui l’humectait, toute l’onction savoureuse. Ensuite tout lui tombe des mains. Elle n’a plus d’inclination de pratiquer ce qu’elle pratiquait autrefois : elle en perd le goût, la pensée et même le pouvoir. Tout paraît mort et éteint et il ne reste pas même un certain extérieur qui, comme des feuilles, servait d’ornement. Si vous touchez l’extrémité de ces arbres, [145] vous les trouvez comme mortes : les branches les plus éloignées sont sans vie et cependant un peu de pluie redonne la vie à ce qui paraissait mort.

Il y a cette différence entre l’hiver et la sécheresse que quoique les arbres paraissent morts l’hiver, ils sont plus humectés et si vous les rompez, vous y trouvez plus de vert et d’humeur. De plus ils poussent dans ce temps leurs racines dans la terre parce qu’elle est humectée. Mais pour la sécheresse, ils ne profitent alors en aucune manière parce qu’ils ne sont pas seulement desséchés sur la surface, mais ils le sont dans la sève. L’hiver est suivi du printemps, qui redonne la vie, la beauté et la fécondité à ces arbres, mais la sécheresse ne doit attendre que la mort si la pluie ne vient avec une extrême abondance. Le printemps a plus de beauté que de fertilité , l’été tient de la beauté du printemps et de la fertilité de l’automne. Vous pouvez vous faire aisément l’application de ceci.

*2.21 Des tentations et mortifications de l’Esprit.

Vous m’ordonnâtes hier de vous écrire ce que je venais de vous dire. Je le veux de tout mon cœur autant que je m’en souviendrai. [146] Nous parlâmes d’abord des tentations contre la foi, des doutes sur l’éternité et sur l’immortalité de l’âme. Et je vous dis qu’étant éclairé comme vous l’êtes sur tous ces articles et même par des raisons naturelles qui peuvent prouver ces vérités, il ne faut plus aller chercher de raisons pour vous en convaincre. Cela ne ferait qu’augmenter le doute de votre esprit car lorsqu’une personne qui est à Dieu au point que vous y êtes, veut guérir ses tentations par le raisonnement de l’esprit, elle se trouve environnée d’une foule d’autres raisons qui semblent combattre et détruire les premières, de sorte que ces différentes pensées semblent s’armer les unes contre les autres. Elles ne font que lasser l’esprit, sans fortifier la foi. Le plus court, le plus assuré et le plus avantageux est de n’admettre dans l’esprit nulles raisons, mais de vouloir déterminément servir Dieu et l’aimer indépendamment de tous les événements. O mon Dieu, quand il n’y aurait point d’éternité à craindre ou à espérer, je voudrais toujours Vous aimer et Vous servir de la même sorte ! Si notre amour est pur, il doit être sans relation sur nous. Ainsi aimer Dieu et Le servir est l’usage que les serviteurs de Dieu doivent faire de leurs tentations. C’est le plus assuré moyen de les faire cesser car le diable voyant que l’âme le terrasse avec les mêmes armes qu’il employait pour la combattre, ne revient plus à la charge. Et Dieu tire la gloire qu’Il prétend tirer de toutes les tentations qu’Il permet nous arriver, qui est d’affermir notre foi par l’abandon à tout ce qui pourrait arriver, de fortifier notre amour et l’épurer, Se faisant aimer d’un amour souverain et gratuit qui n’espère rien pour soi-même et qui veut [147] tout pour Dieu. Cela empêche que nous ne nous remplissions la tête de réflexions et nous met plus en état de demeurer en oraison dans une simple occupation et un simple amour de Dieu.

Pour les pénitences que Dieu veut le plus de vous à présent, ce sont celles de l’esprit et celles des sens que la Providence vous fournit. Car de chercher à fatiguer votre corps par le choix de certaines austérités qu’il ne pourrait porter et qui, en vous faisant malade, fortifieraient toutes les passions de votre esprit qu’il vous est d’une extrême conséquence de travailler à éteindre, c’est ce qu’il me serait impossible de vous conseiller. Si vous voulez bien embrasser dans toute l’étendue des desseins de Dieu la mortification que je vous propose, vous avouerez de bonne foi qu’elle est et plus difficile et plus efficace que toutes les austérités que nous choisissons. Il faut donc travailler avec un extrême abandon à Dieu, attendant tout de Lui et peu de notre fidélité, sans que la défiance de nous-mêmes diminue notre fidélité et sans nous décourager du peu de succès. Car la destruction de nous-mêmes est un ouvrage si long qu’il faut une patience infinie avec soi-même, et c’est par là qu’il faut arrêter l’impétuosité du naturel qui veut venir à bout tout d’un coup de tout ce que l’on entreprend. Nous avons plus besoin de patience avec nous qu’avec le reste des créatures : celles-ci ne nous blessent qu’autant que nous sommes vivants en nous-mêmes et nous nous en défaisons facilement, mais nous nous portons partout. Travaillez donc à mortifier l’esprit, ne donnant nulle issue à toutes les passions qui s’élèvent et ne laissant point prendre de cours à votre humeur par vos paroles. Lorsque votre vivacité vous [148] aura entraînée, obligez ceux qu’elle vous a fait désobliger, mais ne vous en occupez point après pour vous en chagriner. Demeurez humiliée sous le poids de vous-mêmes : il n’est que trop juste que, conservant un si mauvais domestique, nous souffrions ses tyrannies jusqu’à ce qu’il soit chassé.

Il y a une mortification continuelle très pénible : c’est celle que la Providence nous fournit à tous les instants, non seulement par les grandes croix dont elle vous est assez libérale depuis quelque temps, mais par mille petites choses qui arrivent contre notre inclination , des travers des domestiques, des oublis, mille choses faites de travers, à contre-temps, ou omises, des mets apprêtés contre notre goût et mille petites choses désagréables qui arrivent incessamment et dont il faut faire usage à chaque moment, les portant en mort, et sans s’en plaindre. Comme ce sont des choses qui arrivent incessamment, cela nous tient dans une patience et une mortification continuelle. On se fait des idées de mortifications éloignées que l’on ne pourra jamais pratiquer, et l’on perd une infinité de mortifications réelles dont on ne fait point d’usage, les estimant peu : cependant ce sont celles-ci véritablement qui mortifient, et non les autres.

Il faut porter les mortifications de Dieu en patience : Ses rebuts, Ses sécheresses, Son froid, l’impuissance où nous nous trouvons, un certain défaut de facilité et de correspondance dans les choses, surtout patienter avec nous-mêmes ce qui est le plus difficile. L’ardeur d’être délivrés de nous-mêmes vient de l’amour que nous nous portons. Mourons donc par toutes les petites choses, et mourons continuellement et véritablement : [149] c’est assurément ce que Dieu veut de vous. Soyez patiente à l’oraison, laissez tomber les vies de votre esprit et de votre cœur et elle deviendra plus facile et plus familière.



2.22. Tromperie de la nature qui fuit la mort.

Il y a une grande différence entre prendre les choses en mort, et les regarder comme des morts : car regarder les choses comme Dieu les permettant pour nous peiner et nous faire mourir, c'est les regarder comme une épreuve, et non comme une réalité : mais les porter en mort, c'est être convaincu de son tort, et s'abaisser sous la main de Dieu, afin qu'il agisse lui-même. Voyant d’un côté notre égarement, et de l'autre notre faiblesse pour retomber encore si Dieu ne nous soutient, on demeure mort et écrasé sous la main de Dieu ; au lieu que l'autre manière entretient la hauteur, porte le même à chercher de la consolation et de l'appui dans les créatures.

On dit que cela élargit le cœur. Ce n'est pas le cœur que la grâce donne, qui s'élargit par là ; mais la nature, qui se dilate en se satisfaisant. On croit que c'est la grâce qui sert le cœur pour ne pas témoigner aux personnes même la peine qu'on a contre eux ; et on la dit à d'autres en des [150] termes exagérants. Si on la disait à la personne même, on ferait voir sa raison, et on se concilierait le cœur ; au lieu qu'on reste dans une mélancolie sombre et sèche, qu’on prend pour mort, et qui n'est qu'un effet de du tempérament. C'est cette même humeur, (ce qui fait qu'on a le cœur serré partout) qui donne de l’inconstance : tantôt parce qu'on se trouve moins triste en un endroit, on croit que Dieu veut que nous y restions ; si on consent que nous restions dans ce lieu, (où nous disons être appelés de Dieu,) nous en sommes blessés, nous cessons de nous y bien trouver, et nous avons des raisons pour en sortir.

2.23. Attraits, croix et absences de Jésus.

Le petit Jésus est le plus aimable qui ait jamais été ou qui sera jamais. Il se montre d'abord avec toutes amabilités : ces caresses sont charmantes ; il tient pourtant la croix dans sa petite main. L'enfant, qui croit que ce sont des confitures, [151] parce qu'elle est couverte de douceurs, tâche de l'attraper. Jésus la retire toujours un peu, n’en laissant voir que le brillant, afin que l'enfant coure après et la désire davantage.

Quand il a bien établi en l'âme ce désir, et cette recherche de la croix, il la donne. Alors le pauvre enfant la trouble dure et insipide ; et comme il n'y trouve plus ni la douceur, ni le brillant, il croit qu'on l’a trompé. C'est tout le contraire : car on la lui donne alors telle qu'elle est. Auparavant elle était enveloppée comme d’un étui ; et c'est ce qui nous trompait ; de plus, le Seigneur la tenait dans sa main, ce qui augmentaient beaucoup son prix ; mais après qu'il a donné la croix, il se cache, il ne paraît plus ; il n'y a plus de soutien ni de nourriture sensible dans la croix, mais seulement un bois sec et aride.

Mais je vais vous dire une chose fort plaisante ; c'est qu'au lieu que la croix était alors enveloppée de brillants et de douceurs, elle renferme à présent avec son air sec et insipide ce petit Seigneur, qui s’y est caché lui-même. Les douceurs et la beauté servaient comme d'un étui à la croix ; mais la croix sert alors comme étui au petit Jésus.

Je vous dirai encore une de ses ruses. Il nous fait désirer passionnément la retraite dans le temps qu'il nous ménage lui-même mille obstacles qui nous la dérobent. Plus ces obstacles augmentent, plus l'âme devient passionnée de la retraite. Elle la croit absolument nécessaire pour jouir de son Jésus ; et elle n'a pas tout le tort : son désir en augmente chaque jour ; mais lorsque tous les obstacles sont levés, et que l’âme se voit en pleine liberté de jouir de la solitude, elle y court [152] comme à son bien souverain ; elle se persuade que rien ne peut plus l'empêcher d’être seule à seule avec son petit maître, de s'occuper de lui, de répandre son cœur en sa présence : mais qu'elle est surprise de ne plus trouver ce cœur pour le répandre en sa présence ! De trouver chez elle et dans sa propre imagination plus de distractions que toutes les affaires du dehors ne pouvaient lui en causer ! Elle se plaint alors, et lui dit : qu'êtes-vous devenus, mon divin enfant ? Pourquoi m'avez-vous abandonnée ? Il se rit de toutes ses plaintes ; il demeure caché dans un petit coin de la maison comme s'il ne voyait rien de ses afflictions et de ce qu'elle endure. Quand cela a duré tout le temps qu'il a résolu, il vient et lui dit : ne vois-tu pas que tu me désirais pour toi ; que tu cherchais et trouvais ton bonheur en ma possession et en ma présence ? Il faut à présent que tu m'aimes tellement pour moi que quand je ne voudrais jamais te regarder, et que je te ferais tous les maux possibles, tu demeures contente ; que tu ne désires rien de moi, que tu me laisses me satisfaire dans ma rigueur, comme je t'ai satisfait par ma bonté et par ma douceur. Ne désire rien autre chose que ce que je te voudrai donner, et je serai parfaitement content de toi, quoique ta nature et ton amour-propre ne soient pas content de moi. Il faut que tu t'élèves tellement au-dessus de toi-même, que tu demeures muette, morte, anéantie sous la main de ma Justice, que tu me laisses faire toutes mes volontés. Nous ferons alors un bon ménage ensemble. J'irai où il me plaira, et tu demeureras seule à m'attendre dans la maison. Les absences seront longues ou courtes, selon qu'il [153] me plaît. Quand je reviendrai, je ne te le montrerai pas tout mon amour : il s'en faut bien ; je t'apporterai pourtant un bouquet composé des épines et des chardons du désert. expectans expectavi893.

*2.24 Motions et opérations purifiantes de Dieu : fidélité qu’on leur doit.

Dieu veut tout ou rien : sa délicatesse est infinie. C’est un Dieu fort jaloux. Je voudrais pouvoir vous exprimer Son extrême délicatesse. Lorsque l’on est fidèle à suivre aveuglément Ses moindres mouvements, Il meut sans cesse l’âme et Ses mouvements deviennent d’autant plus délicats et fréquents que l’âme y est plus fidèle. Dieu se tait lorsque l’on ne L’écoute pas. Plus une âme est possédée de Lui, plus Ses invitations sont délicates : elles ne se laissent pourtant jamais ignorer de l’âme malgré leur extrême délicatesse. Je sais que Dieu use quelquefois de violence et vous l’avez même assez éprouvé parce que vos résistances vous ont fait souffrir. Mais Il n’en use de la sorte que pour [154] un temps, afin d’introduire dans le chemin de Sa volonté cachée et aussi pour empêcher l’âme de reculer lorsqu’elle se voit accablée des cruautés de l’Amour juste et rigoureux.

L’Amour est premièrement caressant et gratifiant. Puis Il montre quelque échantillon de Sa jalousie : c’est pourquoi Il est un Amour fuyant, se cachant pour des moments. Ce sont des feintes d’amour qui ne tendent qu’à éprouver et à épurer un amour naissant. Mais cet Amour augmentant Sa jalousie, à mesure qu’Il augmente Son Amour, plus Il a de témoignage de l’amour et de la fidélité de Son amante, plus devient-Il un Amour nu et sans nul témoignage de ce qu’Il est. Il se cache si bien qu’Il ne Se laisse presque point voir. Cependant Il attache toujours plus ce cœur par des liens cachés, mais que l’on fortifie chaque jour. Il n’éloigne Sa proie, cet aimable vainqueur, que lorsqu’Il est très assuré de Sa conquête - et plus Il en est assuré, la serre et la tient liée, plus Il fuit. Plus les blessures qu’Il fait sont profondes, plus Il cache Sa main.

D’Amour nu Il devient Amour rigoureux et Sa rigueur fait qu’Il ne Se contente pas de ne plus donner à Sa bien-aimée nulle preuve de l’amour qu’Il lui porte, de ne la plus gratifier ni caresser, Il lui ôte de plus tout ce qu’Il lui a donné. Si cette âme est trop faible et trop infidèle pour porter cette rigueur, alors avec un artifice d’amour dont on ne L’accuserait jamais, Il la vient caresser de nouveau, Il la comble de biens, Il lui fait paraître en Lui de nouveaux charmes, afin de rallumer un feu que Sa rigueur avait ralenti. Mais Il ne la voit pas plutôt déterminée à essuyer ses rigueurs que de rigoureux Il devient cruel et impitoyable [155], et que d’Amour gratifiant et caressant Il devient ensuite un Amour juste et vengeur.

C’est alors que plus Il voit que Son amante est prise d’une flamme plus pure, plus Il exerce sur elle les rigueurs de Sa tyrannie. Il ne se contente pas de lui ôter les biens dont Il l’avait gratifiée, Il l’accable de maux et de douleurs, Il devient tous les jours plus cruel et impitoyable. O Amour pur et nu, que Tu es bien comparé à un feu dévorant ! Car de même qu’un feu s’accroît à mesure que plus il consume les sujets propres à l’entretenir, de même l’Amour augmente en détruisant toutes choses. Il ne dit jamais : « c’est assez. » Mais Il a cette qualité différente du feu, qu’Il S’arrête par la résistance  au lieu que le feu matériel augmente son ardeur par la contrariété. Rien n’est plus aisé que d’arrêter l’incendie de l’Amour. Mais, qui est ce qui te connaît, Ô Amour ? et qui pourrait vouloir empêcher ou arrêter Ton progrès ? Tu noircis, Tu salis, Tu défigures ce que Tu brûles : c’est pourquoi l’on Te craint si fort. Et lorsque rien ne Te résiste et que l’on Te laisse maître, Tu réduis tout en cendre. La docilité, la fidélité, et la pureté de ton amante accroissent Ton ardeur de telle sorte que Tu deviens tous les jours plus actif pour tout détruire : plus on Te donne, plus Tu demandes, et tu n’as pas plutôt consumé ce qui Te faisait obstacle, que Tu cherches les endroits les plus reculés et les plus délicats. Comme Tu es insatiable et que Tu dévores tout sans pitié, Tu es aussi si subtil que rien n’échappe à Ta vue, et ce qui est de plus étrange, c’est que plus Ton embrasement est grand, moins il se connaît. Cet Amour impitoyable et cruel exige d’autant plus que plus on Lui donne, [156] et Il est fait de telle sorte que quelque peine que l’on ait à Lui donner, on en aurait encore plus à ne Lui donner pas. Mais lorsqu’Il a réduit l’amante à tel état que, loin de résister, elle n’a pas même une répugnance contre Ses plus extrêmes rigueurs, peut-être croyez-vous qu’alors Sa cruauté finit ? non : c’est alors qu’elle redouble.

Samuel dit à Saül que c’est comme le péché d’enchantement que de répugner, et comme le péché d’idolâtrie que de ne pas se soumettre894. La répugnance marque la propriété qui est une espèce de magie, car nous n’aurions pas de répugnance à nous laisser enlever une chose, si nous n’y avions pas d’attache. La force de nos répugnances à nous laisser ôter ce que nous avons, marque la force de notre attache. Cette attache fait deux effets : l’un, que nous ne pouvons nous résoudre à nous laisser enlever ce que nous aimons ; l’autre, qu’elle empêche les progrès de l’Amour. Le feu sacré demeure comme enchanté et arrêté par la répugnance. Le défaut de soumission est une espèce d’idolâtrie : on commence par répugner, et puis on croit avoir raison de ne pas se soumettre, de sorte que sous bons prétextes l’on préfère un bien que l’on estime à la volonté de Dieu. C’est comme idolâtrer, et on se retire par là peu à peu de la possession de Dieu pour entrer dans la possession de soi-même.

L’âme fidèle, au contraire, se laissant à toutes les rigueurs de l’Amour, éprouve que Son feu, loin de S’adoucir par la perte de toutes choses, s’accroît. Et Sa rigueur augmente de telle sorte que, n’ayant rien en elle (l’ame) qui Lui résiste ni qui répugne même, étant consommée quant à elle, [157] Il devient sur elle un amour juste et vengeur. Et c’est là le dernier effet de Sa cruauté.

Il la traite alors comme Il a traité Son Fils, lui faisant payer ce qu’elle ne doit pas895 : on lui demande ce qu’elle n’a jamais possédé. C’est alors qu’il faut répondre pour autrui, et ceux pour lesquels on paye de cette sorte ne sont guère capables de comprendre ce qu’il en coûte jusqu’à ce qu’ils l’aient éprouvé et la nature de l’amour qu’on leur porte. Jésus-Christ a payé toutes nos dettes et cependant Il veut qu’on Lui paye ce que l’on contracte d’obligations. Il nous donne Son sang pour notre acquit et cependant Il veut des victimes continuelles qui Lui soient associées à Sa qualité de victime immolée.

Mais il faut laisser ce qui ne vous convient pas encore pour vous dire que la délicatesse de la motion Divine devient tous les jours plus subtile à mesure de la souplesse de l’âme, de sorte qu’elle devient comme imperceptible, et ensuite comme naturelle. Cette motion est conforme à la nature de la possession de Dieu. Plus Dieu nous possède d’une manière à nous distincte et aperçue, plus la motion est difficile et connue. Plus la possession est cachée, plus Sa motion est cachée. Mais à mesure que cette possession devient infinie et délicate, la motion devient de même. Mais quand Jésus-Christ est devenu notre vie, que Dieu est l’âme de notre âme et que nous sommes transformés en Lui, cette vie devient toute naturelle et si propre à l’âme que, de même qu’elle ne fait nulle attention à l’air qu’elle respire, quoiqu’elle ne puisse douter qu’elle ne le respire, de même elle ne fait plus d’attention à la vie de [158] Dieu dont elle jouit, quoiqu’elle ne l’ignore pas. La motion devient comme naturelle. C’est comme un simple penchant qui lui est tout propre. Mais quoiqu’elle soit si naturelle, si l’âme différait ou retardait de la suivre, elle sentirait un état violent. Et c’est alors qu’elle connaît que c’est Dieu qui veut et qui lui donne ces mouvements, car en cet état elle ne peut plus résister, pour peu que ce soit, sans entrer dans une peine intolérable.

Concluons de là qu’il faut s’accoutumer par une extrême souplesse à la délicatesse de la motion. Qu’il ne faut pas attendre un commandement mais que le moindre signe est un ordre positif. Qu’il ne faut pas détourner la vue pour ne rien voir, ni divertir l’oreille pour ne pas entendre. Saint Paul dit que celui qui sonde les cœurs connaît ce que l’Esprit désire896. C’est comme s’il disait : les volontés du Saint Esprit en nous sont si délicates qu’elles sont comme des désirs de cet Esprit, mais désirs qu’Il n’exprime qu’à peine. Mais celui qui sonde les cœurs connaît ce désir et nous apprend à le connaître. Il faut suivre le désir de l’Esprit en nous et comme Dieu exauce le désir de l’Esprit pour nous, cet Esprit que nous suivons aveuglément de la sorte obtient pour nous incessamment ce qui nous est nécessaire ; or ce qui nous l’est extrêmement, c’est de le suivre et de ne le point éteindre.

*2.25 Variété et uniformité des opérations de Dieu dans les âmes.

[J’ai897 eu une douce invitation pour vous écrire quoique je n’aie rien de particulier à vous dire mais il faut obéir. Je me sens depuis hier dans un renouvellement d’union avec vous très intime. Il me fallut hier rester plusieurs heures en silence si remplie que rien plus. Je ne trouvais nul obstacle qui pût empêcher mon cœur de s’écouler dans le vôtre. Les jours de souffrance et d’obscurité à votre égard m’ont été extrêmement lumineux pour me faire comprendre l’impuissance où je suis de me donner cette douce et suave correspondance qui fait que votre âme m’est toujours présente en Dieu d’une manière nue, pure et générale, sans bornes ni aucun objet. Cette âme me paraît toujours droite et je n’y vois rien qui gauchisse. Je vois en Dieu un regard fixe et arrêté sur elle, qui ne se détourne jamais. Ce regard est comme celui du soleil qui échauffe, purifie et détruit et il n’y a rien à faire de votre part qu’à rester exposé à Ses yeux divins. Dieu a mis dans vous, comme dans la terre, une source de fécondité : sans que la terre fasse nulle action, elle devient féconde, exposée aux rayons modérés du soleil. Quelquefois même ce soleil la brûle et la dessèche au-dehors en sorte qu’elle ne produit rien, elle est même toute brûlée ; le soleil alors ne laisse pas de travailler dans son sein et d’y procurer par son excessive chaleur des mines d’or. Lorsque j’ai souffert, je ne voyais plus votre âme et un rideau était tiré ; je me trouvais mise, comme je vous l’ai dit, dans une prière continuelle et très liée avec vous, mais je n’éprouvais plus cette correspondance que j’éprouve toujours. Je vous dis donc que…]

…Dieu898 est incessamment appliqué sur l’âme droite et simple qui Lui est continuellement exposée. Cette âme n’a qu’à demeurer simplement passive : Dieu la purifie de cette sorte et Il lui communique d’autant plus Sa fécondité que plus elle reçoit passivement Ses opérations. Les opérations de Dieu tendent toujours à la dépouiller de toutes opérations propres, quelque nécessaires et saintes qu’elles paraissent, afin qu’elle reçoive plus nuement et continuellement Sa pure opération. Car Dieu ne lui ôte sa manière ordinaire d’agir et d’opérer, en la réduisant à une pure, nue et générale inaction sans nulle exception, que pour opérer sur elle nuement, continuellement, également, et sans interruption. Et cela est si vrai que plus l’âme se laisse vider de toute action propre, quelque nécessaire qu’elle lui ait [160][parue] jusqu’alors, plus elle se trouve libre, pleine et sans nul besoin. Elle éprouve alors qu’une autre opération intime et substantielle prend la place de la sienne, et qu’elle gagne en perdant.

Mais il n’en est pas de même des âmes qui, par indévotion ou par elles-mêmes, se privent des règles ordinaires de prier et d’agir : moins elles prient et agissent, plus elles sont vides, au lieu que celles-ci trouvent que plus elles manquent de tout, plus toute propre opération leur est enlevée, plus elles sont pleines et sans disette. C’est ce qui fait que l’on ne doit jamais regarder les choses par la perte que l’on en fait ni du côté du non-opérer, mais du côté de Dieu qui, étant le Souverain de sa créature, a droit de La posséder pleinement : cette possession lui arrête tout mouvement propre, mais elle lui donne en même temps les mouvements de son possesseur.

La conduite de Dieu sur l’âme est une conduite toujours uniforme. Et ce que nous appelons foi est proprement une certaine connaissance obscure, secrète et indistincte de Dieu, qui nous porte à Le laisser opérer en nous parce qu’Il a droit de le faire. Dès que nous connaissons cela et qu’Il prend possession de ce qui est sien, Il ne laisse jamais un moment la créature qu’Il a prise de cette sorte qu’Il ne l’ait conduite dans Son unité.

Son opération est toujours la même. Dès le commencement elle consiste en un regard d’amour sur l’homme et ce regard le consume et détruit ses impuretés. Dieu est d’abord occupé à combattre notre activité et tous les obstacles qui empêchent Son entière pénétration dans notre âme. C’est ce qui fait que cette opération [161] est au commencement plus sensible : elle n’est sensible qu’à cause de la contrariété. Au commencement c’est une sensibilité de suavité, parce que l’âme étant faible, Dieu assaisonne le combat qu’il fait de la contrariété avec le sentiment de l’amour qui unit toutes choses. Car il faut concevoir que toutes les opérations de Dieu en Lui-même et hors de Lui-même ne sont qu’un regard et un amour éclairant et unissant. Ce regard brûle et détruit, comme je l’ai dit, les obstacles. Et comme Dieu commence toujours par les plus grossiers et superficiels, Il commence aussi par faire écouler sur les sens l’huile de Son onction qui n’est autre que Son amour unissant, qui accompagne toujours le regard détruisant. En sorte qu’à mesure que Dieu détruit les obstacles, Il S’unit et S’approche l’âme.

Plus Il purifie par ce regard, plus Il atteint le dedans et le purifie de ce qui est plus subtil, plus délicat, mais aussi plus enraciné. Mais comme à mesure que le regard détruit ce qui est plus caché, l’amour s’enfonce toujours plus, il devient aussi moins sensible. Dieu, sans changer de conduite, va toujours plus approfondissant Son opération savoureuse parce qu’elle s’enfonce pour unir les puissances, et enfin le centre : c’est toujours la même opération.

D’où vient donc qu’elle est savoureuse dans le commencement, et que dans la suite elle est si douloureuse qu’elle devient à la fin insupportable par l’excès du mal qu’elle cause ? La raison en est que les sens se laissent facilement ôter leur opération et leur impureté grossière parce qu’ils sont soutenus de cet amour unissant. Mais plus les obstacles deviennent délicats et profonds, [162] plus ils sont difficiles à détruire : premièrement parce qu’il faut perdre et détruire ce qui est opposé à la sagesse humaine et raisonnable, deuxièmement parce que tout ce qui est spirituel est ce à quoi l’âme s’attache davantage, troisièmement parce que plus les opérations de Dieu s’enfoncent dans l’âme, plus l’amour unitif devient véhément afin d’attirer l’âme à lui ; et quatrièmement comme tout se passe dans le centre de l’âme, ses sens étant destitués de leur onction, elle [l’âme, étant destituée] de toute correspondance à l’oraison, de son agir ordinaire et de sa manière de concevoir les choses, elle résiste aussi plus pour ce qui est au-dessus d’elle que pour ce qui est au-dessous. Elle se cache même sa résistance, laquelle elle qualifie du nom de Justice, et c’est ce qui cause des agonies mortelles. Cependant, c’est toujours la même opération, toujours une , toujours simple, toujours uniforme, qui ne change jamais du côté de Dieu, quoiqu’elle change si fort par rapport à la créature.

Je dis donc que ce Regard amoureux et détruisant ne tend qu’à consommer toutes choses en Soi comme fin dernière et aussi premier principe. Il ne serait pas Dieu si les choses étaient d’une autre manière. Il faut donc nécessairement qu’Il détruise toutes les opérations de la créature, aussi bien que ses dissemblances et difformités, qu’Il détruise les opérations les plus saintes, les plus réglées, les plus rangées, afin de posséder tout à pur et à plein, et de réduire toute chose en pure unité.

Mais, me direz-vous, d’où viennent donc toutes les tentations, les faiblesses, les misères qui arrivent, si Dieu opère toujours au-dedans ? Elles viennent de plusieurs causes. La première, [163] de ce que les sens étant incapables des choses intimes et purement spirituelles et nues, ils demeurent vagabonds et sans soutien ni secours. La seconde raison est que le Démon, voyant cette créature dénuée de tout bien apparent et ne voyant pas ce qui se passe dans le centre, l’attaque sans pitié. La troisième raison est que Dieu permet que les gens soient ainsi livrés afin de cacher à l’âme ce qui se passe en elle, afin de lui ôter les larcins qu’elle fait en tout, afin de perdre l’économie de sa propre sagesse et de sa raison, sans quoi elle resterait toujours fixée en elle-même, toujours propriétaire et pleine d’obstacles, et ainsi Dieu ne la pourrait unir à Soi.

Ce Regard unissant, détruisant et consumant, exige donc de l’âme une passivité parfaite, une cessation de toute opération quelle qu’elle soit, une souplesse infinie, pour se laisser tout ôter. Elle exige de plus l’attention de l’âme, car le Regard de Dieu est Son Verbe et Sa Parole. Cette Parole est féconde, productrice et efficace. Elle s’insinue et Se fait entendre sans bruit de paroles, et ce langage va à tout ôter malgré la raison de conserver les choses.

Toutes les opérations se font par le Verbe- Parole éternelle, et par l’Esprit- Amour Divin, sans nulle distinction ni différence d’opération. Il faut l’attention à ce Verbe pour connaître Son langage et se laisser dépouiller au moindre signal sans résistance et sans attendre une impuissance absolue. Il faut une souplesse à l’Amour unissant pour se laisser consommer en Lui et lorsque tout est consommé en un, le procédé de Dieu sur l’âme ne change pas, il demeure le même. Car comme en détruisant les obstacles, il détruit tous [164] les milieux, sitôt que l’opération de Dieu a ôté toute contrariété, l’âme se trouve unie sans milieu, par la même perte de tous les appuis. Un bon appui est aussi bien un appui qu’un mauvais et sert d’entre-deux, mais lorsque tout est ôté et que l’âme est réduite en unité, cet Amour clairvoyant ou ce Regard d’amour sur l’âme la consomme toujours plus en Soi, et c’est ce qui s’appelle transformation.

Alors l’âme jouit d’une paix et d’une liberté infinie, étant dans sa fin. C’est là que sans cesser d’être simple et nue, elle voit tout en Dieu, non par aucune action qui lui soit propre ou qui empêche sa très pure, simple et nue opération, mais d’une manière qui lui fait tout voir en Dieu, sans rien distinguer et sans sortir de Dieu. C’est (là) où l’on voit les autres âmes en Dieu, et que ce même Regard amoureux et unissant qui consomme en Soi, S’étend et pénètre les autres âmes de ce même Regard et les unit à celles qu’Il a destinées à cela et qu’Il a déjà consommées en Lui. Et bien que ces choses que l’on dit paraissent contraire à la pure foi, elles en sont pourtant une suite et une consommation.

Comme vous voyez que le soleil, sans changer son cours sur la terre, y produit une infinité de différentes choses selon la disposition de la terre qu’il regarde, il en est de même de Dieu sur nous : c’est toujours en tout la même opération. Mais les obstacles continuels que nous apportons et la mauvaise disposition de notre terre empêchent qu’Il ne nous consomme en Son unité ; mais pour l’âme qui est docile, Il la transforme et la consomme en Soi de plus en plus899. [165]

*2.26. Diverses conduites de Dieu et de sa lumière sur l'âme.

Lorsque l'âme commence la voie passive, et que son état s'édifie, elle a comme un Maître et un Directeur intérieur qui la retient et l'empêche de faire le mal, le lui faisant voir avant qu'il ne se fasse, et lui donnant la grâce de l'éviter. C'est un Correcteur qui prévient ; mais sitôt que la déroute commence, ce maître change de procédé : il ne fait voir les fautes qu'après qu'elles sont faites ou presque faites, que l'on ne les peut éviter, et il ne donne nulle force pour y résister.

Premièrement ce Directeur fait voir les fautes et les prévient ; parce qu'il s'agit d'édifier l'intérieur et de le remplir de toute vertu ; il le soutient, le fortifie, le retient ; et la fidélité de l'âme consiste alors à suivre sans résistance avec promptitude ses inspirations. Mais lorsqu'il est question de détruire, il fait tout le contraire : il ne fait voir le précipice que lorsqu'on y est tombé ; car son dessein n'est pas d'empêcher la chute ; mais de la faire voir après qu'elle est faite ; c'est pourquoi Dieu ôtant toute faculté à l’âme, il lui laisse les yeux, afin qu'elle voit le lieu où elle est, et [166] ce qu'elle a fait ; et c'est cette vue qui opère la mort ; car si l'âme ne voyait pas ses fautes, elle n'aurait nulle peine, et elle ne pourrait jamais mourir.

Mais lorsque la mort est presque faite, l'âme ne voit plus rien, et cette vue se perd peu à peu. Elle devient d'abord moins sensible ; puis insensible ; puis se perd tout à fait, comme à un moribond à qui les yeux s'obscurcissent peu à peu jusqu'à ce qu'il les perde tout à fait. Après la mort elle n'a plus que faire de ses yeux ; c'est pourquoi il ne lui sont plutôt rendus : parce que n'étant donné à l’âme que pour prévenir sa chute, ou opérer sa mort, ne se possédant plus, elle ne peut rien éviter, et étant morte elle ne peut plus mourir ; et alors les yeux lui sont ôtés ; parce que les regards ne pourraient que lui être nuisible.

Il lui reste néanmoins un œil droit et simple, qui est la Vérité, pour ne voir que Dieu, qui est la seule Vérité ; et ne rien voir hors de lui, tout le reste étant mensonge ; et c'est pourquoi cette âme ne peut juger des choses qu'en vérité, ni pour elles, ni pour les autres, à moins que par infidélité elle ne se courbât vers elle-même. Et c'est en ce sens que l'Évangile dit900, que Jésus-Christ est venu apporter la vérité, étant lui-même vérité. Celui qui demeure en la vérité, demeure en Dieu ; c'est pourquoi la vérité est attribuée à Dieu seul, et le mensonge à l’homme ; et saint Augustin prouve que le mensonge est le plus grand péché. Je n'ai pas peine à le croire ; et je soutiens que tout péché est mensonge, et que celui qui demeurerait toujours en vérité, ne pécherait point. Notre Seigneur a dit, qu’il viendrait un [167] temps, que901 les vrais adorateurs adoreraient en vérité ; et je dis qu'il faut qu'une âme soit en Dieu pour être en vérité, et que plus elle est en Dieu, plus elle est dans la vérité. C'était de cette vérité dont Jésus-Christ parlait à Pilate : mais Pilate n'étaient pas capable de le comprendre.

Comme la vérité a la droiture et simplicité pour partage, c'est ce qui fait la grande naïveté et l'impuissance de se servir d'aucun moyen pour faire réussir quoique ce soit ; et c'est à cause de cela que Dieu souffre des péchés apparents, et qu’il ne souffre pas la moindre disposition de foi. Que l'homme fasse d'autres fautes, elles le mettent dans la vérité et la connaissance de ce qu'il est, ou, s'il reste dans sa boue, c'est être dans la vérité à son égard : mais de disposer de soi pour peu que ce puisse être, c'est se tirer de la vérité en se possédant, et dérober à Dieu son domaine ; c'est entrer dans le mensonge parce que pour disposer, il faut être quelque chose, il faut être en pouvoir. Or cette disposition est directement opposée à l'unique vérité du tout de Dieu et du néant de la créature ; aussi Dieu ne la peut souffrir dans une âme, lorsqu'il y souffre des défauts plus palpables, quoique moins réels. C'est pourquoi, plus on approche de Dieu, plus on approche de la simplicité et de la vérité ; aussi est-il dit902 : Si votre oeil est simple, tout votre corps sera lumineux.

*2.27 Ne se reprendre dans l’abandon de Dieu.

Pour peu que les âmes qui se sont consacrées à Dieu d’une manière singulière se retirent de l’abandon à la conduite de Dieu pour voir ce qui se passe chez elles et se mêler d’elles-mêmes, elles entrent dans un trouble étrange, parce qu’elles sortent de l’ordre de Dieu sur elles et de Sa disposition, qui les fait appartenir totalement à Dieu et quitter leur propre intérêt pour ne vouloir uniquement que la volonté divine.

Celui qui se veut retirer de son abandon après y être une fois entré, ressemble à un oiseau pris dans les filets : plus il se remue, plus il s’embarrasse et se captive davantage ; ou c’est comme un animal embourbé qui, en se remuant, s’embourbe toujours plus parce que ne trouvant point de fond et de subsistance, son agitation et la pesanteur de son corps le font plus enfoncer. C’est pourquoi le Roi-Prophète disait qu’il était entré dans un abîme de boue903 dont il ne pouvait sortir. Eh, pourquoi, grand Prophète, n’en pouvez-vous sortir ? « C’est que je n’y trouve point de fond ni de subsistance : ainsi tous mes efforts sont vains, et ils me nuisent même, puisqu’ils ne servent qu’à m’enfoncer toujours plus ; et il ne me [169] reste que la douleur d’avoir éprouvé d’autant plus ma faiblesse et mon impuissance à me tirer de là que mes efforts ont été plus violents et fréquents. »

Que ferai-je donc dans cet abîme où, semblable à un homme à qui on coupe les pieds et les mains, on ne fait toujours que de plus vains efforts ? J’aurai recours à mon Dieu et je lui dirai :  Seigneur, si vous voulez, vous me pouvez guérir. Je reconnais que Vous seul me pouvez tirer de l’état où je suis, et s’il ne Vous plaît pas de m’en tirer, je ne le puis vouloir. Seigneur, si Vous ne me tendez Votre main puissante et secourable, je suis perdu.

L’effet que produit cet état dans une âme est de lui faire voir l’impuissance absolue où elle est d’en sortir par elle-même, et de lui faire toucher au doigt qu’il n’y a aucune créature sur la terre qui l’en puisse délivrer. Il faut attendre le moment du bon Dieu. Dans tous les autres états, nos propres efforts nous servent , car un homme tombé dans l’eau se sauve à la nage. Mais dans cet abîme de boue il ne trouve pas pied, ses efforts sont inutiles : c’est pourquoi le Roi-Prophète ne dit pas qu’il est dans un abîme d’eau, mais de boue.

Saint Paul pria trois fois ; il lui fut dit : Ma grâce te suffit904. Vous me direz : « O si j’étais assuré d’être en grâce ! » Écoutez l’Ecriture : Nul ne sait s’il est digne d’amour ou de haine905. Cependant Saint Paul dit que rien ne le pourra jamais séparer de l’amour de Jésus-Christ906. Aimons donc Jésus-Christ, et aimons-Le véritablement, car il est notre Sauveur.

*2.28 De l’Humilité.

Tous les saints sont convenus que l’humilité sincère et véritable était la base et le fondement de toutes les vertus. C’est parce que l’humilité sincère est fille de la pure charité, l’humilité n’est autre que la vérité. Il n’y a que deux vérités au monde : celles du tout de Dieu et du rien de la créature. Afin que l’humilité soit vérité, il faut rendre un hommage continuel à Dieu par notre bassesse, demeurant dans notre place qui est d’aimer de n’être rien. Jésus-Christ nous dit qu’il faut être doux et humble de cœur907 : la douceur est fille de l’humilité, comme la colère l’est de l’orgueil.

Il n’y a que Jésus-Christ qui nous puisse donner cette véritable humilité de cœur qui vient de Lui. Elle naît de l’onction de Sa grâce. Elle ne consiste point, comme l’on s’imagine, à faire des actes extérieurs d’humilité, quoique cela soit bon, mais à demeurer en sa place. Celui qui s’estime quelque chose n’est point véritablement humble. Celui qui veut quelque chose pour soi ou qui pense [171] à soi-même, ne l’est pas non plus. Mais celui qui s’oublie si fort soi-même qu’il ne pense jamais à soi, qui n’a pas un retour sur lui-même, qui n’est blessé de rien au-dedans sans affecter de patience, qui parle de soi sans penser à soi comme il parlerait d’un autre, qui n’affecte point de ne pas parler de soi lorsqu’il en est tout plein, qui se livre pour la charité sans faire attention si c’est humilité ou orgueil d’en user de la sorte, qui est très content de passer pour être sans humilité, enfin celui qui est plein de charité est véritablement humble. Celui qui ne cherche point son intérêt, mais le seul intérêt de Dieu pour le temps et pour l’éternité, est humble. Plus nous aimons purement, plus l’humilité est parfaite.

Ne mesurons donc point l’humilité sur l’extérieur composé. Ne la laissons point dépendre d’une action ou d’une autre, mais de la pure charité. La pure charité dépouille l’homme de lui-même et le revêt de Jésus-Christ , et c’est en quoi consiste la vraie humilité qui fait que nous ne vivons plus en nous-mêmes, mais que Jésus-Christ vit en nous. Nous tendons toujours à être quelque chose, nous faisons souvent du bruit dans la dévotion après en avoir fait dans ce que l’on quitte pour elle. Et pourquoi ? C’est que l’on veut être distingué en toute sorte de temps. Mais celui qui est humble ne cherche rien, ne refuse rien. Il est également content d’être loué ou méprisé parce qu’il ne prend rien pour soi. Celui qui veut quelque chose pour lui-même et qui préfère le mépris, par son choix, à l’élévation, n’est pas encore véritablement humble - quoiqu’il ait le goût de l’humilité. Enfin, celui qui se laisse placer où l’on veut, haut ou bas, qui ne sent pas cette différence, [172] qui n’aperçoit pas si on le loue ou si on le blâme, si ce qu’il dit est à son avantage ou s’il lui est désavantageux, est véritablement humble - quoiqu’il ne le paraisse pas aux yeux des hommes, qui ne jugent pas de la véritable vertu par ce qu’elle est en elle-même, mais bien par les idées qu’ils s’en sont faites.

Le véritable humble est parfaitement obéissant parce qu’il a renoncé à sa propre volonté. Il se laisse conduire comme l’on veut, mettre d’une façon ou d’une autre. Il plie à tout et ne résiste à rien, parce qu’il ne serait pas humble s’il avait un choix, une volonté, un raisonnement sur ce qu’on lui ordonne. Il n’a de penchant propre pour aucune chose, mais il se laisse pencher de quel côté l’on veut. Il ne veut rien, ne demande rien, non par pratique de ne rien demander, mais il est dans un si profond oubli de soi et si fort séparé de lui-même qu’il ne sait pas ce qui lui convient le mieux. Le véritable humble est un de ces enfants dont Jésus-Christ a dit que le Royaume des cieux leur appartenait908. Un enfant ne sait pas ce qu’il lui faut. Il ne peut rien, ne pense à rien, mais laisse faire de lui tout ce que l’on veut : en quelque lieu qu’on le mette il s’y tient, il ne comprend pas même qu’il lui en faille un autre.

Il y a bien des personnes qui pratiquent l’humilité extérieure et qui cependant sont bien éloignées de cette humilité de cœur dont je viens de parler. Par l’humilité extérieure et qui n’a pas sa source dans la pure charité, plus on croit s’abaisser, plus on se fait quelque chose, croyant agir avec force et être rempli de vertu. Il est cependant [173] certain que pour s’abaisser il faut être élevé. Un homme qui s’abaisse, était élevé ; mais celui qui est couché à terre ne peut plus s’abaisser. Plus on croit s’abaisser, plus on est certain de son élévation. Celui qui s’aperçoit qu’il s’abaisse, n’est point encore à sa place, qui est au-dessous de tout abaissement. Les personnes qui croient s’abaisser beaucoup marquent de même beaucoup d’élévation dans le fond : aussi dans le fond cette manière d’humilité est souvent une recherche subtile de l’élévation. Ces sortes d’humilité n’entrent point dans le ciel qu’elles ne soient réduites à la pure charité, source de la véritable humilité, seule digne de Dieu, et qu’Il prend plaisir de remplir de Lui-même.

Ceux qui En sont remplis ne peuvent ni s’humilier ni s’abaisser, à ce qui leur paraît, se trouvant au-dessous de tout abaissement. S’ils voulaient s’abaisser, il faudrait qu’ils s’élevassent auparavant et sortissent par là de l’état qui leur est propre. Aussi sont-ils si fort persuadés que pour s’humilier il faut premièrement se mettre au-dessus de ce que l’on est et sortir de sa place, qu’ils ne croient pas le pouvoir jamais faire car ils ne se trouvent point humiliés par tout le mépris et la condamnation des hommes. Ils ne font alors que rester en leur place et ne prennent aucune part dans tout l’applaudissement qu’on pourrait leur donner. Ils ne méritent rien, ils ne prétendent rien, ils ne prennent part à rien. Ils comprennent qu’il n’y a que le Verbe-Dieu qui en S’incarnant, Se soit abaissé au-dessous de ce qu’Il était. C’est pourquoi l’Ecriture dit qu’Il s’est anéanti [174] Lui-même909, ce qu’elle ne dit de nulle créature, non pas même de Marie.

Lorsque l’Ecriture parle de Marie par la bouche de Marie même, elle dit que Dieu a regardé la profondeur de son néant, mais elle ne dit pas qu’elle se fut anéantie, puisqu’elle n’était rien d’elle-même ; et Marie n’a été la plus parfaite de toutes les créatures que parce qu’elle a donné plus bas que nulle autre créature dans la profondeur du néant. Plus le néant a d’étendue, plus il est parfait. Sa profondeur fait la mesure de la communication de Dieu. De sorte que Marie ne pouvant comme créature donner plus bas dans la profondeur du néant, il fallut que le Verbe Divin vint S’incarner en elle, n’y ayant que l’incarnation du Verbe qui pût être une plénitude convenable à ce profond anéantissement. Car il faut savoir, qu’à mesure que le vide est plus profond, Dieu S’y répand avec plus d’étendue. Mais comme la bonté de Dieu est infinie, Il donne toujours avec une plénitude surabondante, ainsi qu’il est écrit que la Rédemption a été très abondante, et infiniment abondante910. Or comme il aurait fallu que Marie eût été Dieu pour avoir par son anéantissement un vide proportionné en toute rigueur à la plénitude et au remplacement du Verbe, aussi il est vrai de dire que son remplissement fut très abondant, et infiniment abondant, parce que son vide fut très profond et infiniment étendu. La proportion néanmoins qu’il y avait entre le vide de Marie et l’Incarnation était, que Marie, quoique bornée et limitée comme une créature, avait approfondi toute l’étendue du néant borné et non toute l’étendue du néant infini, que Dieu seul peut approfondir. [175]

Pour comprendre ceci il faut remarquer que, quoique le vide et le néant ne soient à parler proprement ni finis ni infinis, puisqu’ils ne sont rien et que la privation de tout être ne peut pas avoir les propriétés de l’être, toutefois ils se mesurent en quelque manière par rapport aux êtres dont ils font le vide et l’anéantissement. Et c’est dans un bon sens que l’on dit qu’il y a plus ou moins d’anéantissement selon qu’il y avait ou qu’il pouvait y avoir plus d’être et de rehaussement. Cela posé, je dis que Marie ayant approfondi le néant le plus profond en tant que créature, et le Verbe comme Verbe-Dieu ayant épuisé toute la grandeur de son Père par son égalité parfaite sans qu’il reste rien dans le Père qui ne passe dans le Fils, qui épuise jusqu’à l’infini l’infinité du Père, il y avait entre Jésus et Marie cette proportion, sans proportion cependant, que Jésus avait épuisé toute grandeur et tout Dieu, comme Marie avait épuisé tout néant pris dans la créature. C’est ce qui fit que le Verbe voyant cette proportion de vide avec sa plénitude, vint S’enfermer avec toutes les grandeurs en Marie, n’y ayant que Lui qui pût remplir son néant ; mais Il le remplit d’une manière infiniment abondante.

Je dis donc que ce n’est pas proprement une humilité parfaite dans la créature que de s’humilier, mais d’aimer son néant et se tenir dans son rien, laissant faire à son Dieu tout ce qu’Il veut et croyant qu’Il peut tout ce qu’Il veut. Aurait-ce été une humilité en Marie de refuser d’être la Mère de Dieu et mettre par là quelque difficulté à accepter l’Incarnation Divine ? Non assurément , c’eût été au contraire un subtil et secret orgueil qui l’aurait portée à faire quelque chose par elle-même [176] ou à se défendre de ce que Dieu voulait d’elle. L’attache à l’humilité ne peut être une vraie humilité, puisqu’elle est contraire à la pure charité, qui ordonne que la créature ne se réserve chose quelconque et que par une totale dépendance tout soit sacrifié à la souveraineté de Dieu seul. Plusieurs se méprennent en ce point : soutenant leur humilité par leur propre volonté et manquant à la résignation et au parfait renoncement d’eux-mêmes, ils offensent la charité Divine, croyant favoriser l’humilité qui néanmoins n’est pas humilité en ce qu’elle ne s’accorde pas avec la charité. Si on avait la lumière pour le discerner, on verrait clairement que par où l’on croit s’humilier, on s’élève, qu’en pensant s’anéantir on cherche sa propre subsistance et qu’enfin on goûte et on possède la gloire de l’humilité comme une vertu insigne dans les actes d’humiliation que l’on pratique.

Le vrai humble ne fait rien, ne s’oppose à rien, il se laisse conduire et mener où l’on veut ; il croit sans se regarder que Dieu peut tout faire de lui, ainsi qu’Il pourrait tout faire d’une paille ; et il y a plus d’humilité à croire ces choses et à s’y rendre, sans y rien prendre, que de s’en défendre. Abandonnons-nous avec courage. Si Dieu ne fait rien de nous, Il nous rendra justice, puisque nous ne sommes bons à rien, et ce sera Sa gloire : s’Il fait en nous de grandes choses, on dira avec Marie qu’Il a fait de grandes choses en nous, parce qu’Il a regardé notre bassesse911.



2.29. Anéantissement et oubli de nous-mêmes.

Le livre de Gérard le grand est excellent : heureux ceux qui le quand comprendront, plus heureux ceux qui le mettront en pratique !

Il ne faut de raisonnement sur rien ; mais adorer les ordres de la providence, qui fait si bien toutes choses. Ô quand serons-nous si rien, qu'on ne nous aperçoive plus !

Il faut commencer à mourir à tout ce qui nous fait être quelque chose, à tout ce qui est et qui porte en nous ce caractère d’hommes qui est cet Adam pécheur, ce vieil homme, qui reverdit en nous incessamment et en mille manières. Ce ne sera que par sa destruction totale que l'homme nouveau nous servira non seulement de vêtement, mais de vie essentielle, de principe, qu'il sera tout en nous pour y tout opérer.

Ô malheureuse raison, ô préjugé incommode ! Qu’on a de peine à vous détruire ! On veut être et se trouver en tout ; et on se trouve encore lorsqu'on se croit le plus perdu.

Ce ne sera pas nous qui ferons cet ouvrage ; nous ne pouvons qu'aplanir la voie ; comme disait912 saint Jean, en détournant les obstacles qui empêchent Jésus-Christ dit faire et être en toutes choses.

Il faut une patience infinie avec nous-mêmes et avec les autres. Défions-nous de ce qui s'appelle zèle ; il peut y avoir du défaut, aussi bien que dans la nonchalance. Aimons-nous en Dieu, et pour Dieu ! [178]

2.30. Devoirs mutuels et chrétiens.

Je vous souhaite une année chrétienne, chers enfants ; je ne sais si je dois dire913, mes petits-enfants, craignant bien que vous ne vous soyez éloignés de cette sainte petitesse qui nous rend conforme à l'âme du petit Jésus. On devient grand avec les grands, et petit avec des petits, mais, qu'il est facile de s'éloigner de la petitesse ! On ne fait si insensiblement, qu’on est devenu grand avant de s'en apercevoir. Alors le langage des petits paraît étranger et puéril. Ceux qui par la grâce sont demeurés dans cette heureuse enfance, sont étonnés de voir qu'au lieu de leur petit compagnon avec lesquels ils parlaient un même langage, et qui pensaient comme eux, ils ne voient que de grands hommes qui leur font peur, qui les gênent, gens pleins de raison, qui arrangent, qui prévoient, etc. Ô divin et petit Jésus, communiquez à vos enfants cette petitesse si simple si divine, qui est le fruit et la marque de cette charité pure et sincère ! Supportons les défauts les uns des autres, les antipathies, les différences d’humeurs : disons-nous nos défauts sans chagrin ; nous devons souffrir qu'on nous les dise, et que les autres les aperçoivent. [179] d'où viennent ces ménagements que nous avons les uns pour les autres, si ce n'est de notre amour-propre ? Nous craignons, si nous reprenons, de n'être pas bien reçus : souvent aussi, nous sommes mal reçus ; et loin d'éclairer notre frère sur les défauts que nous disons, nous l’aveuglons encore par notre propre indisposition, par l'humeur que nous conservons en les disant. Si nous ne regardons que Dieu dans la correction, soit qu’on prenne mal, soit qu'on entre à pleines voiles dans ce que nous disons, nous demeurerons content. Si notre frère entre de bon cœur dans nos avis, nous avons gagné notre frère : s’il n’y entre pas, il faut croire que la lumière ne lui en est pas donnée, et qu’elle le lui sera. Mais il est aussi de grande conséquence de recevoir comme venant de Dieu ce qui nous est dit là-dessus, quoique nous ne voyons pas ces défauts être en nous. Plus les défauts que l'on nous dit nous font de peine, plus nous croyons être éloigné de les avoir, plus la nature se cantonne pour se justifier, et plus certainement nous les avons. Que faut-il donc faire, lorsque nous ne croyons pas avoir les défauts dont on nous reprend ? Acquiescer simplement, croire contre nos propres lumières, et espérer plus de Dieu que de notre travail.

Il y a plusieurs inconvénients à éviter. Souvent nous croyons dans des personnes plus avancées que nous, des défauts qui ne sont pas tels que nous pensons, et qui ne laissent pas d'y être en effet. Dieu les laissant quelquefois pour des raisons connues de lui seul : mais quelque défaut que l'on dise à une personne avancée, si elle s'en choque, c'est une marque que le défaut [180] est plus réel qu'elle ne pense, et alors elle doit faire comme les autres ; car Dieu permettra quelquefois qu'une personne d'une grâce médiocre rencontrera juste les défauts d'une personne plus avancée, Dieu le permettant de la sorte pour conserver cette charité, qui fait que nous avons besoin les uns des autres, et qui fait une espèce d'égalité entre tous ; car je regarderais comme un Lucifer une personne qui se croirait si supérieure aux autres, qu'on ne pût lui dire ses défauts, et qu'elle crût qu'on n'a pas assez de lumière pour les découvrir. L'âne de Balaam instruisit un prophète.

Un autre inconvénient est, que les personnes avancées se rebutent quelquefois des défauts de ceux qui le sont moins, voulant qu'ils suivent les mêmes allures ; ce qui est impossible. C'est comme vouloir faire marcher un petit enfant à pas de géant : il se fatigue ; et voyant qu'il ne peut avancer, il se rebute. C'est là un très grand défaut, qui dissipe les brebis de Jésus-Christ. Où est sa charité à supporter la grossièreté de ses Apôtres qui ne concevaient point les choses spirituelles ? Où sa douceur et sa patience à conduire chacun selon la mesure de son don ?

Il y a encore un inconvénient, et le plus grand de tous ; c'est de ne s'occuper les uns des autres qu'à dire ou à entendre des défauts. Cela fait que le cœur n'est point au large, on s'occupe trop de soi et des autres au lieu de s'exciter les uns les autres à l'amour de la petitesse, de l'abandon, à suivre nu Jésus nu, à une charité mutuelle, à l'oraison. Les vertus générales ouvrent le cœur, renouvellent la charité, unissent d'un lien doux et suave ; et entrant dans le cœur, elles chassent insensiblement les défauts [181] contraires. C'est là la bonne manière. Jésus-Christ faisait à ses disciples des instructions douces et suaves ; il les reprend à peine, encore c'est dans l'occasion d’une faute actuelle.

Mes petits-enfants, aimez-vous les uns les autres914. Ne vous attrister point mutuellement sous prétexte de corriger vos défauts. Le remède serait pire que le mal ; mais ayez une sainte joie sans dissipation, une cordialité pleine d'amour et de compassion. Priez ; recréez-vous; dites des choses utiles et générales qui frappent le cœur : le Seigneur saura faire trouver à chacun ce qu'il lui faut. Point de hauteur entre vous. Que celui qui est le premier soit le dernier. Faut-il être sur le qui-vive ou sur le rang entre de pauvres petits serviteurs inutiles d'un Maître qui s'est fait plus petit que nous ne saurions jamais être ? Je le prie de glisser dans vos cœurs cet esprit d'union, de charité, et de petitesse ; sans quoi, il vous renoncerait pour ses enfants. C'est donc ce que je vous souhaite à tous pour étrennes.

*2.31 Deux obstacles à l’avancement spirituel de plusieurs.

[182] Deux choses mettent un obstacle si grand aux desseins de Dieu sur les âmes d’un certain état qu’il est absolument impossible qu’Il les accomplisse, si elles ne sont entièrement levées.

La première est une certaine conviction que l’on ne peut pas mieux faire que l’on fait. En sorte que quoique l’on avoue qu’on est plein de misères (ce qui paraît petit et humble à qui n’a pas la lumière de vérité), on n’en est cependant pas convaincu dans le détail, et surtout sur certains articles qui sont ceux dont on est repris. On se soumet en général par courage, et l’on n’est point convaincu en particulier et dans le détail, passant par dessus ce même détail sous prétexte d’oubli de soi-même. Rien n’est si nécessaire que de s’oublier soi-même, lorsque Dieu le veut de nous. Mais aussi, rien n’est si nécessaire que certains détails, qu’un aveu de pensées et de choses qui coûtent à dire. Sans cela, point de petitesse et c’est un abus de croire que ces choses nous occupent de nous-mêmes. Au contraire, en nous appétissant915, elles nous font enfin sortir de nous. La règle générale ne peut jamais faire une conduite particulière. Et plût à Dieu que je ne visse pas si clair ! Ce qui est bon pour une personne ne convient pas à l’autre. Tout ce qui nous convient est de faire ce que Dieu veut de nous dans le temps qu’Il veut et en la manière qu’Il le désire. Un aigle vole fort haut : un oiseau ordinaire qui veut le suivre tombe à terre pour avoir fait un vain effort et ne se peut relever qu’à peine. Outre les remèdes généraux il y a encore les spécifiques, qui conviennent au besoin et au tempérament de chacun de nous. Et qui voudrait pour la même maladie [183] user du même remède à tout le monde, ferait voir par son peu de succès qu’il faut que les remèdes conviennent aussi bien au tempérament qu’à la nature du mal.

Le second obstacle, aussi dangereux que le premier, et qui coupe le cours de toute sorte d’efficacité dans les paroles, c’est un abandon à contre poil. Rien n’est si bon que l’abandon, rien n’est si dangereux que ce même abandon mal pris. Par exemple, on dit à une personne qu’elle a certains défauts : au lieu d’entrer bonnement et petitement dans ce que Dieu fait dire, au lieu d’être prêt d’embrasser toutes sortes de moyens pour se corriger et de se laisser comme une cire molle en la main de Dieu et de ceux qu’il nous a donnés, on se contente de s’abandonner, dit-on, pour avoir ces défauts toute sa vie. Qui ne verra que sous un abandon courageux en apparence l’on conserve une hauteur effroyable et que l’on empêche Dieu de tirer le fruit qu’Il a prétendu en ce qu’Il fait dire ? On s’abandonnera encore de nouveau, mais pour que Dieu ne tire pas encore en nous le fruit qu’Il a prétendu : par là on met toujours de nouveaux obstacles, et en s’abandonnant pour ces mêmes obstacles sans vouloir entrer en rien, on se conserve soi-même dans sa hauteur, et l’on n’entre jamais dans la vérité.

Cependant le prétexte que l’on prend pour cela paraît bon et spécieux, il sera même goûté des personnes qui tiennent une pareille conduite, parce qu’elle est de saison pour eux. Il est bon de nous abandonner à n’être jamais délivré d’aucuns (ou de quelques-uns) de nos défauts, lorsque notre réflexion, notre propre esprit, ou des gens non éclairés nous en reprennent. Et c’est couper court [184] aux réflexions qui dans la suite sont très nuisibles. Mais lorsqu’une personne que nous avons cru avoir grâce pour nous, nous avertit de quelque défaut, c’est Dieu Lui-même qui le fait et qui n’entre dans ce détail que pour nous y faire entrer nous-mêmes avec un plein acquiescement et une petitesse entière, toute enfantine, qui ne songe qu’à faire ce qu’on lui dit. Cette conduite est moins satisfaisante pour une certaine élévation que l’on se fait et une conduite que l’on se trace, mais la souveraine Vérité S’accommode-t-Elle aussi de cette propre conduite et élévation ?

J’aime mieux ne me mêler de personne que de ne pas dire la vérité qui, lorsqu’elle est nue, peut blesser la vue. Je n’ai ni talent, ni esprit, ni caractère : je n’ai que la vérité. Lorsque je cèlerais916 de la dire, je me rendrais coupable de cette même vérité. Si je la dis et qu’elle ne soit pas suivie, je dois me taire, sans quoi je la profanerais. Je n’ai plus rien à perdre que cette même vérité, qui reposera dans mon cœur, lorsque les autres cœurs ne la recevront pas, ou bien elle volera chez les étrangers. La vérité est tenue captive, même dans les cœurs qui se piquent de la recevoir. On ne lui laisse point son étendue. Et en se faisant une voie dans la voie même, on la déguise, et chacun l’habille à sa mode, croyant ne lui mettre qu’un vêtement convenable. Je prie le Seigneur de conserver cette vérité nue dans le cœur de ceux qui l’ont reçue et de la faire connaître à ceux qui la couvrent, afin qu’elle leur paraisse telle qu’elle est ! [185]

*2.32 La Sagesse humaine et la divine sont incompatibles.

O sagesse humaine, que vous êtes opposée à la sacrée folie de la croix ! Cette sagesse est un si grand obstacle à l’entière possession de Dieu que, si nous le connaissions, nous en aurions plus d’horreur que de l’enfer. Elle met entre Dieu et l’âme un voile qui devient tous les jours plus épais. C’est comme une eau qui se congèle : au commencement elle est eau claire et transparente, qui n’empêche presque point la vue des objets, mais peu à peu elle devient corps opaque. Le désir de Dieu sur l’homme est de détruire sa sagesse. Et c’est pour cela qu’il vient sur la terre car Celui qui est venu pour mettre917 partout le feu du plus pur amour, est aussi venu pour détruire la sagesse des sages et la prudence des prudents918. Son plus grand soin a été de nous enseigner à devenir enfants919 : ce sont ces enfants qui sont ses délices920. Il a un extrême soin d’eux : Il veille continuellement sur eux par tous les soins de Sa Providence. [186]

Nous ne saurions nous laisser aller, pour peu que ce soit, à l’inclination naturelle ou à l’habitude de suivre la propre sagesse, que nous ne nous dérobions pour tout ce temps à la Sagesse de Dieu. Le moyen d’être très sage, c’est de s’abandonner à Dieu sans réserve - je dis : sans réserve. De même que l’on ne connaît la possession de soi-même qu’à mesure qu’on la perd, on ne connaît sa propre sagesse qu’à mesure qu’on la perd par une parfaite simplicité. Il y a des cœurs que Dieu s’est choisis, qu’il a rendu immenses et très propres pour lui, et souvent la propre sagesse empêche l’entière pénétration de la lumière et leur parfaite étendue. On se rit de la simplicité du juste ; cependant c’est une lampe préparée pour les derniers temps921 : qu’est-ce que cela veut dire ? C’est que bien qu’il semble que Dieu jette le juste dans une voie toute différente de celle de la raison, cependant on voit dans la suite des temps que c’était une lampe préparée, qui ne brillait pas à la vérité tout le temps de la voie, mais qui sur la fin jette des flammes qui éclairent. Vous êtes le sel de la terre : si le sel est insipide, avec quoi salera-t-on922 ? Jésus-Christ nous apprend par là que la sagesse de l’homme est comme un sel insipide, qui ne peut avoir de pointe et de vertu que par Lui-même, Sagesse éternelle.

Il faut donc que Jésus-Christ soit notre Sagesse, sans quoi la nôtre n’est propre à rien. Plus nous nous servons de notre sagesse pour réussir en ce que nous entreprenons, moins nous réussissons. Si nous avons quelque succès, c’est parce que nous nous sommes abandonnés : car il ne faut pas raisonner de l’homme [187] intérieur comme de l’homme charnel. L’homme animal, privé de la lumière vive et pure, marche à tâtons à la lueur d’une petite lampe, qui est sa propre sagesse. Mais l’homme intérieur, en s’abandonnant à Dieu, marche par la lumière éternelle Jésus-Christ, qui est comme dit l’Ecriture la lumière des saints ; l’Agneau est la lampe du ciel923. Mais il arrive souvent et presque toujours que cet homme intérieur, éclairé de Jésus-Christ même, cherche en plein midi avec une lampe et ne se tient pas assez à cette lumière toute pure, parce qu’elle est insensible.

Heureux donc celui qui sait s’abandonner sans nulle réserve ! Les réserves sont des milieux entre Dieu et l’homme. Pour être uni sans milieu, il faut être sans aucune réserve, il faut ôter à la raison tout pouvoir de juger des choses. Cela est bon pour un autre, mais cela n’est pas pour vous. Dieu détruit le jugement sans détruire l’intelligence. Goûtez et entendez ce que le Seigneur veut que vous goûtiez et entendiez, mais que le jugement n’ait nulle part à tout cela. Il y a des hommes qui vivent par l’esprit et d’autres par la faveur et le goût intérieur. Les premiers doivent mourir par l’esprit, et les derniers par la privation de tout ce qui est perceptible. Plus on a d’esprit, plus on a de peine à laisser détruire le jugement des choses et à devenir enfant. Cependant c’est le dessein de Dieu sur les hommes savants et pleins d’esprit que de les conduire par des choses qui, quoique très raisonnables en elles-mêmes, paraissent détruire la raison.

Qu’ils ne jugent donc jamais, car ils ne pourront être conduits à leur fin que par une conduite [188] qui renverse leur manière de juger et selon la science et selon leur raison très éclairée. O que Dieu aime une âme de cette sorte et que Ses conduites sont cachées ! Qui croit les pénétrer se trompe infiniment. O que la sagesse est ignorante, et que la docilité et la petitesse sont savantes ! Les âmes des justes sont en la main de Dieu. Il n’y a pas une âme qui ne soit de la sorte et que Dieu ne conduise non selon les idées que l’on s’est faites, mais selon la volonté de Dieu. Tant que nous nous possédons nous-mêmes, nous allons par une voie comprise et qui ne passe pas, selon le degré de l’âme, la raison éclairée de la justesse naturelle ou la raison illuminée par la foi. Mais sitôt que nous sommes appelés à sortir de nous-mêmes, il faut que toute voie comprise nous échappe, sans quoi nous resterions toujours dans ce qui est compris, sans passer dans l’immensité divine. Je ne sais pourquoi je vous dis ceci. Dieu le sait et je sais qu’Il vous aime infiniment.

*2.33 Contre la Propriété.

Il n’y a bassesse, opprobre et confusion que Dieu ne permette pour une âme qu’il veut toute [189] à lui, afin de lui arracher toute propriété. Oui, mon Dieu aimerait mieux une créature toute couverte de la boue de ses misères propres qu’une autre, propriétaire de la plus grande vertu qui serait pour elle une robe d’or et de pierreries ! O que cela est peu connu parmi les saints mêmes qui font l’admiration des hommes, mais que je ne puis appeler tels, car je leur donnerais un nom qui ne convient qu’à Dieu : Tu solus Sanctus ! O soyons de pauvres anonymes à qui l’on ne puisse plus rien nommer de propre ! Que l’on ne puisse dire : il est saint, sage, vertueux, mais bien ce qu’il n’est pas ! Saint Jean Baptiste était bien instruit dans cette école lorsqu’il ne dit rien d’autre de lui-même, sinon : Je ne suis point Elie ni prophète. O je ne suis924 ! C’est ce qui le nommait.

Faites en sorte que la misérable nature ne puisse voir où s’appuyer et qu’elle ne puisse point dire : j’ai encore cela, ou : je puis, ou : je fais cela, mais que de quelque côté qu’elle se tourne elle ne trouve rien [hors d’elle], et que toute avenue lui soit ôtée en sorte qu’elle ne trouve rien en elle, comme les choses qui n’ont jamais été ou qui ne sont plus. On s’étonne des chutes, des renversements, des déchets horribles que tous les saints font : ce sont des miséricordes pour arracher toute propriété. O  que ne puis-je faire connaître combien c’est une horrible925 chose que cette propriété !

Heureux sont ceux à qui notre Seigneur prend soin de tout arracher ! O qu’ils sont rares ! O saints, soyez saints et glorifiez Dieu dans votre sainteté. Pour moi, le rien est tout : point de sainteté si ce n’est en Dieu et pour Dieu, point de part pour la créature à rien ni en rien. [190] Je crois que j’écrirais à l’agonie de ces choses si je pouvais les persuader. Je prie notre Seigneur de vous les imprimer de plus en plus et de vous faire connaître que ce que vous éprouvez est pour vous arracher toute propriété. Sitôt que vous n’en aurez plus et que vous ne pourrez plus rien voir de vous ni rien vouloir pour vous, vous ne sentirez plus rien car il n’y aura plus de corruption. O tôt, tôt, détruisez, Seigneur, cet être propre, et d’autant plus propre qu’il avait été plus approprié par la grâce et la sainteté ! O qui me comprendra !

2.34. Horreur de l'appropriation ; amour du vrai anéantissement.

Je porte depuis quelque temps une impression d'horreur si forte de l'attribution que la créature se fait de ce qui est à Dieu, que si je me pouvais mettre au-dessous des Démons, je le ferai pour réparer les usurpations de ma vie et celle des autres créatures. Dans cette pénétration, je m'adresse à la Justice divine, afin qu'elle foudroie tout, et qu'elle restitue à Dieu toutes les voleries des hommes. Ô si l'on comprenait ce que c'est que [191] de926 dérober à Dieu ! Il n'y a pas une âme qui ne choisit l'enfer plutôt que de s'attribuer le moindre bien. Le caractère des véritables enfants de Dieu doit être de préférer toutes choses les plus terribles au moindre rapport à soi. Hélas, que l'on commet encore d'impureté spirituelle sur ce point, et que j'en ai connu moi-même ! Le corps et l’âme voudraient être réduits en poussière, afin que Dieu fut pleinement ce qu'il est, dans toutes les créatures. Ô estime des hommes, ô estime des anges mêmes, à quoi servez-vous ? Ô estime de Dieu en Dieu pour lui seul, c'est tout, c'est tout.

Comme il y a une différence infinie entre l'abandon connu et aimé, et l'abandon pratiqué dans l'occasion, aussi est-il une disproportion presque infinie entre le néant en vue, goût et parole, et le néant réel. Dieu seul est saint927 ; et il me tient dans un anéantissement si profond, que je ne vois pas en moi le moindre bien, sentant même une pente réelle, non par abandon anticipé, d’être au-dessous des Démons pour réparer les outrages que nos usurpations font au Tout de Dieu. Ô si je pouvais faire comprendre à quel point de pure désappropriation Dieu veut les âmes, et ce que sa pure gloire prétend d’un cœur, je crois que les pierres sont réduiraient en poudre ! O si on voyait ce que c'est que de s'attribuer le moindre bien, il n'y a pas un saint qui ne préférât l'enfer à cette attribution ! Mon âme pénétrée de cela, lorsqu'il s'agit de quelque chose, est toujours prête à croire d’elle [192] toute sorte de mal ; et il me semble que loin que cela l'empêche de voir les défauts des autres, qu'elle les discerne encore mieux. Il me paraît, par réelle l'expérience, que j'ai connu et compris qu'il n'y a que deux vérités, la profondeur divine, et la profondeur du néant.

*2.35 Diverses Opérations préparatoires pour réunir l’âme à son principe.

La928 nuit ou mort, opérée par l’activité simple de la créature, se fait de cette sorte : c’est une privation de tout, n’admettant dans l’esprit nulle curiosité, ni dans la volonté nul goût, nulle inclination, nul désir, en sorte que la fidélité de la créature consiste à laisser tomber tout ce qui s’élève. Ceci est très important pour l’âme qui, à force de ne rien admettre, trouve que peu à peu tout désir lui est ôté et toute envie de désirer : elle n’a de tendance [193] ni de goût pour rien et elle regarderait même comme imperfection d’en admettre quelqu’un929. C’est jusqu’où peut aller la fidélité active, quoique simple, de la créature. Ceci est un amortissement, et non une mort. Cet amortissement fait le même effet que le dégoût de manger. Un homme dégoûté n’appète rien mais il répugne à quantité de choses.

Il n’en est pas de même du mort qui n’a plus ni appétit, ni répugnance, et c’est ce que Dieu fait en opérant la mort que Lui seul peut causer. La volonté véritablement morte ou, pour mieux dire, perdue à l’égard de l’homme qui la possédait, est passée en celle de Dieu - ce qui est le véritable trépas de la volonté. Elle se trouve également impuissante à répugner comme à désirer, et lorsqu’elle est réduite à cet état, elle est dans la consommation de l’Unité. Puisque ce que l’on appelle union plus ou moins parfaite, est le passage plus ou moins parfait de notre volonté en celle de Dieu.

Pour comprendre ce que je veux dire, il faut savoir que Dieu attirant l’âme en Lui, le fait d’ordinaire par le moyen de la volonté. Cette volonté, se laissant entraîner à un je ne sais quoi qu’elle goûte sans pouvoir ni l’exprimer ni même le comprendre, attire à elle les autres puissances et réduit comme à un seul acte simple et indivisible les opérations des autres puissances. En sorte que toutes ses opérations réduites en un ne sont plus qu’un seul et même acte, qui est également lumière et chaleur, connaissance et amour. C’est ce qui s’appelle union des puissances, qui n’exige point la mort ou le trépas dont je viens de parler, puisque ce n’est qu’un acheminement à ce trépas. Il exige cependant le renoncement [194] ou négation de toutes choses en la manière que je l’ai dit, sans quoi les puissances resteraient toujours multipliées dans leurs opérations, et ne seraient jamais réunies.

Sitôt que les puissances sont toutes réunies, Dieu fait une autre opération, qui est de perdre ces puissances revenues en Lui dans la même Unité, attirant toute l’âme en Lui, qui en est le Centre, et la réduisant peu à peu dans Son Unité même en la faisant passer en Lui : ce qui s’appelle trépas. Après quoi, Il la transforme en Lui-même. C’est une véritable extase, mais extase permanente, qui ne cause point d’altération à l’âme qui la souffre, ni dans ses sens, parce qu’avant que cette transformation se fasse, il faut que l’âme ait été purifiée de tout ce qu’il y avait en elle de répugnance naturelle ou spirituelle, cause de l’extase d’altération. Et toutes les peines de la vie spirituelle ne sont que pour détruire l’âme dans ses répugnances et contrariétés, pour la détruire, dis-je, foncièrement, et non en superficie. Car tel croit n’avoir nulle répugnance parce qu’il n’est point exercé et que Dieu ne lui demande rien, qui ensuite éprouve le contraire lorsque Dieu commence d’user de son pouvoir souverain : car alors toutes ses répugnances, qui paraissent mortes, se réveillent de telle sorte qu’elles vont jusqu’à la résistance. Il y a un passage dans le Livre des Rois qui dit que c’est comme le péché d’enchantement que de répugner, et comme une espèce d’idolâtrie que de ne pas vouloir se soumettre930.

Toutes les opérations de Dieu sur l’âme, les gratifiantes et les crucifiantes, ne sont que pour S’unir l’âme. Les gratifiantes unissent les [195] puissances entre elles, et c’est où il y a plus de douceur que de peine. Les crucifiantes sont pour perdre l’âme en Lui et celles-là sont931 très pénibles. C’est ici ce932 qui s’appelle union immédiate, union essentielle. Et lorsque cette âme est beaucoup passée en Dieu, que la volonté est disparue en ce qu’elle a de désir ou de répugnance et qu’elle ne se découvre plus, c’est alors que l’union essentielle est véritable, que l’âme est passée de la mort à la nouvelle vie que l’on appelle Résurrection. L’âme alors ne vivant plus en elle-même, étant morte à tout et passée à Dieu, vit de Dieu, et Dieu est sa vie. Plus cette vie nouvelle et divine s’augmente et se perfectionne, plus la volonté se trouve perdue, passée et transformée en celle de Dieu. C’est alors que toute l’âme, réduite en unité divine, est retournée à son principe dans toute la simplicité et pureté où Dieu la demande.

Toutes les peines spirituelles qu’on décrit avec933 des termes si fort exagérant, ne sont que ce passage de l’âme en Dieu, qui est d’autant plus rude et plus long que l’âme résiste davantage. Ce n’est pas le dessein de Dieu de faire souffrir l’âme : au contraire, Il ne prétend que de la rendre heureuse comme il est Lui-même infiniment heureux, et comme elle l’est en effet lorsqu’elle est passée en Dieu. Mais comme sa volonté répugne naturellement même sans Le connaître (et c’est ce qui s’appelle propriété),  comme dis-je, elle répugne à perdre tout ce qui est d’elle-même et tout ce qui la fait subsister en quelque chose que ce soit, bonne, juste ou raisonnable (car elle se retranche en tout) - il arrive de là que plus la résistance est forte, plus les peines deviennent violentes, jusqu’à ce que l’âme étant [196] réduite dans l’impuissance de résister, un plus Fort qu’elle l’enlève. Alors elle se rend, non de son plein gré, à moins qu’elle ne soit extrêmement éclairée, mais comme une personne qui n’ayant plus de force, se laisse entraîner au courant des eaux. Cependant elle fait souvent quelques essais de résistance, se934 persuadant qu’elle a encore des forces ; mais ses efforts ne servent qu’à lui faire sentir sa faiblesse et son impuissance. Et cela lui arrive tant de fois qu’enfin elle fait volontairement ce qu’elle ne peut point ne pas faire935, qui est de céder à Dieu. Et c’est alors que Dieu la reçoit en Lui-même.

Cette purgation est la même que celle du Purgatoire et elle est passive. Si l’âme ne passe en cette vie dans ce purgatoire, elle y passera en l’autre. Jusqu’alors, quelques grâces, dons et faveurs que l’âme ait reçus, elle a été comme fixée en elle-même ; mais par la voie que l’on vient de marquer, elle passe en Dieu, se perd en Lui et Lui est unie sans milieu. Et ce sont ces âmes qui font les délices de Dieu et qui font Sa volonté sur la terre comme les bienheureux dans le ciel936.

2.36 Des états de mort, d’anéantissement, de résurrection… 

§I

[197] Il y a cette différence entre l’état de mort et celui d’anéantissement que celui de mort est un affaiblissement de toutes choses qui vient peu à peu et augmente ; mais à mesure qu’il vient, il cause une douleur inexplicable. Ce sont des agonies mortelles que les moindres fautes causent, des reproches, des sursauts effroyables, des angoisses qui deviennent tous les jours plus pénétrantes, comme j’ai déjà écrit. Mais dans l’état de pourriture ou d’anéantissement, la peine devient moins sensible mais plus profonde. Il semble que la peine de la pourriture937 gagne la moelle des os et soit comme une eau forte qui pénètre ce qu’il y a de plus intime, quoique moins douloureusement. Une plaie extérieure cause plus de douleur sensible et c’est la figure de l’état mourant. Mais la peine de la pourriture est comme un poison qui gagne le dedans et qui est bien profond, quoique moins sensible.

On ne doit point s’étonner ni se faire de peine d’entendre parler de pourriture, comme si l’âme [198] qui est immortelle et incorruptible pouvait pourrir. Ce qu’on veut dire, c’est ce que Jésus-Christ lui-même a dit, comparant l’âme au grain de froment : Si le grain de froment938, etc.

Cet état de pourriture n’est autre que l’expérience de sa propre misère causée par des tentations ou par un affaiblissement dans la force ou vertu active, en sorte qu’on tombe dans des défauts légers, mais qui ne paraissent pas tels à l’âme qui s’en était vue entièrement exempte, comme des premiers mouvements de promptitude et d’autres défauts de cette sorte. Dans les tentations, quoique l’on n’y fasse pas une faute volontaire, comme néanmoins on ne sent plus la force active, on croit consentir à tout ce qui se passe involontairement ; et quoique cela soit très faux, on ne laisse pas d’en souffrir des tourments inexplicables, de se faire horreur à soi-même. Comme on perd en même temps la présence de Dieu perceptible parce que Dieu semble Se retirer, quoiqu’Il ne fût jamais plus proche, l’âme se croit perdue : elle est comme Job sur son fumier avec des douleurs intolérables.

Dans l’état de mort, lorsqu’il s’avance beaucoup, l’âme reste dans un désespoir absolu, mais douloureux, affligeant et désolant : il reste des désirs de vie, des envies de guérir. Mais dans l’état de pourriture, elle y est sans aucune espérance mais en paix, sans envie d’être autrement. Son désespoir est plus absolu, quoique moins sensible. Deux personnes se désespèrent d’une chose. L’une s’en désole, s’en occupe et se remplit de ce qu’elle pouvait et devait faire pour y réussir, il lui vient des éclairs d’espérance, des [199] envies de tenter fortune, quoique inutilement ; enfin voyant qu’elle ne peut rien faire, elle désespère de la chose, mais elle en est inconsolable. L’autre au contraire en désespère mais n’y voyant plus de jour, elle n’y pense pas et la laisse dans un oubli éternel ; il lui vient bien, ainsi qu’à la première, que c’est sa faute, mais comme la première n’y cherche plus de remède parce qu’elle n’en peut trouver, celle-ci n’en cherche point parce qu’elle n’en peut vouloir.

Dans l’état de mort, il y a mélange d’une vie qui devient toujours plus légère et imperceptible. Il y a encore de la chaleur vivifiante quoique le moribond ne le voie pas car, s’il ne vivait pas, il ne sentirait pas sa douleur. C’est une vie et un reste de vue de Dieu auquel on ne voudrait pas déplaire. On voudrait tout l’enfer pour soi, mais on ne voudrait point offenser Dieu. On voudrait qu’Il anéantit la créature, afin qu’Il ne fût pas déshonoré. La douleur que l’on ressent est une marque qu’il n’y a point de volonté. Mais dans l’état de pourriture, particulièrement sur la fin - car un état tient toujours dans le commencement de celui qui le précède et dans la fin de celui qui le suit -, sur la fin, dis-je, de la pourriture, l’âme n’a rien de tout cela. Elle est sans aucun mélange de vie, pour petite qu’elle soit. Elle n’a aucune de ces douleurs, de ces vues ou pensées, enfin elle ne pense ni à ce qu’elle a été, ni à ce qu’elle sera, elle ne pense plus à déshonorer Dieu. Elle ne peut ignorer qu’elle n’ait vécu autrefois mais elle n’y peut penser et elle ne pense pas à ressusciter jamais.

Il est à remarquer que très longtemps dans le degré de mort, lorsque l’âme est en mort elle [200] espère une vie, et lorsqu’elle est en vie elle craint une mort , jusqu’à ce que la mort étant près de sa consommation, elle perde toujours l’espérance de jamais revivre, mais avec douleur, comme j’ai dit. Et très souvent il arrive qu’après qu’elle a perdu cette espérance aperçue et connue de vivre et qu’elle croit n’en avoir plus, si l’on y regarde de près, elle en conserve une secrète, cachée et inconnue, jusqu’à ce qu’elle la perde tout à fait pour mourir sans soutien, sans appui, et qu’il ne lui reste aucun doute de sa mort.

Il est encore à remarquer que tous les hommes portent en eux la cause de leur mort (de même qu’ils portent dans leurs cendres le germe de leur vie) et comme c’est cette cause de la mort, qui est en nous, qui nous fait mourir. Par cela même ce qui opère notre mort est la conviction entière, et non à demi, de notre faute, que c’est nous qui nous sommes procurés cela et que ce sont de vrais péchés : il faut qu’il n’en reste aucun doute. Mais dans le sépulcre, quoique l’on ne puisse ignorer la cause de la mort, on n’y pense plus, on sait qu’on est mort et qu’on est mort pour toujours, cela suffit. On reste là sans soin ni souci, on sent la puanteur de la corruption qui cause tout d’un coup un poison mortel, mais on ne pense pas à ne le pas sentir. Enfin, supposé l’avancement grand en ce degré, plus on devient cendre plus on devient insensible, jusqu’à ce que l’on ne sente plus rien du tout. Alors recommence un autre degré, qui finit les deux dont j’ai parlé.

L’état de sépulture939 a bien du rapport à celui d’anéantissement, puisque c’est lui qui l’opère.

Mais après la résurrection et que l’âme est établie en Dieu d’une manière immobile, elle n’y [201] est établie que parce qu’elle est antérieurement détruite. Car il y a cette différence entre l’état d’union qui se fait lorsque Dieu touche, unit et caresse l’âme, ou lorsqu’il la perd en Lui, que pour le premier il ne faut qu’une disposition pure en la créature et un amour dans le Créateur qui fait qu’Il ne méprise pas de toucher cette créature parce qu’elle a bien essuyé le dehors et qu’elle est belle, quoiqu’elle ne soit pas toute belle, ayant encore bien des difformités et des propriétés ; mais pour la faire passer en lui, il faut qu’il lui ôte la propriété centrale et, quoiqu’elle reste pleine de défauts apparents, ils ne sont qu’en superficie et non dans le fond. C’est comme une épouse qu’un grand Roi a rendue toute belle, mais il la couvre de poussière pour cacher à elle-même et aux autres sa beauté, afin qu’elle ne pense point à elle mais à lui, et que nulle créature ne s’y arrête. O que ces faiblesses sont glorieuses à Dieu et avantageuses à l’âme ! Mais celles du fond, c’est-à-dire les taches foncières, qui causent propriété et dissemblance, ô pour celles-là ! Dieu n’en laisse jamais, ni pour sa gloire, ni pour l’avantage de l’âme, car elles ne peuvent faire cet effet.

Il y a deux sortes de défauts qui paraissent être dans le fond : les uns y sont ancrés, attachés, mêlés, incorporés ; les autres y sont en superficie et ne tiennent à rien. Deux personnes ont des taches au visage : l’une les a de nature, et elles ne peuvent s’en aller qu’en séparant la chair ; l’autre a une saleté qui se nettoie avec de l’eau. La première peut être très propre et conserver la tache naturelle ; la seconde peut être très parfaite et avoir de la crasse ou saleté.

Or je dis que Dieu épouse des âmes qui ont des taches - du [202] moins Il S’unit à elles et les caresse.

Mais pour les faire passer en Lui, Il leur ôte toute tache foncière, et même toute crasse pour cet instant. Mais comme ce qui est terrestre se salit et se gâte par dehors, aussi cette âme contracte bien des petites ordures, mais comme elles ne sont que superficielles, elles ne font pas de peine à l’âme ni à l’Ami, qui les efface dès leur naissance. Au contraire elles servent à faire voir comme Il est seul parfait et sans tache. Et l’âme ne fait nul compte de cette poussière, parce qu’elle ne veut plaire ni aux autres, ni à elle-même. Et elle attend que l’Ami la lui ôte s’Il veut, contente de la porter ou d’autres encore, toute sa vie, et elle demeure dans un repos parfait, parce que l’Ami n’en est plus offensé. Ce qui pourtant n’empêche pas que l’âme, tant qu’elle reste dans le corps, ne puisse toujours déchoir et tomber par son infidélité.

Son Epouse est tellement toute Sienne qu’elle n’a plus ni volonté ni pouvoir. Et un vouloir de se nettoyer serait une faute plus considérable aux yeux de l’Ami que toutes ces saletés apparentes qui se secouent en un moment, parce que ce vouloir serait une possession d’elle-même et un larcin qu’elle Lui ferait.

L’âme établie en Dieu demeure dans un repos parfait, invulnérable à tous les coups les plus extrêmes, tant pour le dehors que pour le dedans, et elle demeure longtemps enfermée en Dieu comme dans un asile. Dieu ne Se contente pas de la posséder, de Se tenir toute en elle, d’être l’âme de son âme et son principe vivifiant : Il la serre et l’entoure comme d’une forte muraille. Elle est alors la fontaine scellée par dehors et par dedans, et toutes les flèches se brisent bien loin d’elle. Elle est [203] alors rendue impeccable, pour ainsi dire, non seulement quant à l’effet du péché, mais même quant à la source du péché. Car au-dehors, très longtemps on n’y peut presque apercevoir de défauts : il semble alors à l’âme qu’elle est toute divine et qu’elle n’est même rien que Dieu par dehors et par dedans. Elle voit qu’elle est un néant, qu’elle n’a rien de Dieu, mais que Dieu la possède, et elle n’y prend point de part. Elle connaît qu’elle ne possède plus Dieu comme autrefois, mais qu’elle est possédée et qu’elle est imbibée, submergée et perdue en lui.

Cela vient à une telle transformation qu’il semble qu’il y ait unité parfaite entre Dieu et l’âme, en sorte qu’elle ne peut distinguer si elle est âme ou si elle est Dieu. Il lui semble que si on la mettait dans le pressoir, il n’en sortirait que Dieu tout pur et que toute créature est évanouie. Telle âme ne sent et ne distingue nulle pente, pour quoi que ce soit, ni à quoi que ce soit. Elle ne peut connaître, sentir, goûter Dieu comme quelque chose hors d’elle, ni même940 distinct d’elle ; mais Dieu est elle, et elle est Dieu. O bonté infinie de Dieu à se faire ainsi941 une même chose avec sa vile et très vile créature ! Cette créature étant établie dans un repos parfait et central, dont elle ne peut sortir sans un extraordinaire désordre, elle ne pense plus à elle, ou d’elle, ou pour elle ; mais ne pouvant douter qu’elle ne soit tombée dans le centre, elle demeure dans son néant, Dieu faisant en elle et par elle de grandes choses. C’est ce que dit la Sainte Vierge dans le [204] Magnificat, que Dieu ayant942 regardé son néant, a fait en elle de grandes choses.

Ce tabernacle paraît fermé pour jamais, tant pour le dehors que pour le dedans, à toutes choses, lorsque tout d’un coup Dieu ôte le sceau et le cachet du dehors. Et restant dans ce fond et centre tel qu’il est, d’une manière invariable et tout ensemble inexplicable, afin que cette créature soit toujours plus anéantie et qu’elle ne sorte point de son rien, Il ôte, dis-je, cette majesté qui environnait le dehors et la met comme un blanc où Il permet à toutes les créatures de tirer. Alors toutes viennent en foule lui tirer des flèches plus aiguës qu’elles n’en aient jamais décochées. Mais comme cette âme est anéantie, rien ne résiste, et tous les coups tombent ou passent outre sans que l’âme sente de douleur : quelques-unes de ces flèches viennent si proches qu’elles semblent la devoir blesser mais elles ne lui font nul mal.

Il arrive à une telle âme deux choses : c’est qu’elle ne doit avoir qu’un œil simple et pur qui n’envisage que le Bien-aimé. Et alors elle se trouve aussi contente d’être le but du dernier mépris, du décri, de la contradiction des hommes qui la couvrent d’ignominies, d’opprobres, etc. que d’être environnée de la majesté qu’elle avait autrefois. La seule volonté de Dieu lui suffit, sans même penser à cette volonté. Mais lorsqu’elle tourne cet œil pour se regarder pour des moments, alors il lui prend une espèce d’horreur de se voir si laide, s’étant vue si belle. Mais cela est léger et, comme pour se regarder ainsi, elle fait violence à cet œil, elle se rétablit incontinent [205] en sa place où elle trouve en son Epoux un contentement indicible. Ses misères l’enfoncent plus dans Son cœur. Tous ces traits que l’on décoche, quoiqu’ils semblent salir le dehors par le mépris qu’on en fait, la serrent, collent, identifient davantage avec l’Ami. Ceci ne se peut comprendre que par l’expérience. Mais plus elle est pressée, plus elle est enfoncée dans l’Ami et dans le repos parfait : c’est une charge qui l’enfonce en lui toujours plus.

Après que Dieu a longtemps fait battre943 cette Epouse, anéantie par toute cette artillerie, elle est comme une laine pliable, elle ne résiste point et les canonnades y perdent leur force. Plus il y a de résistance en une chose, plus le canon fait de dégât ; mais lorsqu’il n’y en a point, il tombe sans rien endommager. Il en est de même de l’âme : ce qui fait sa douleur, c’est sa résistance ; mais lorsqu’il n’y en a plus, rien ne blesse. Cette résistance est la propriété.

Il est à remarquer que comme les épreuves de l’état de mort, de sépulture et celles dont je parle, se font ou de même sorte, en apparence, ou différemment, selon le dessein de Dieu, on pourrait prendre un état pour un autre. Mais la méprise serait bientôt découverte par les différentes manières de les porter, comme je l’ai expliqué, savoir : douleur, angoisse, peines et amertumes cuisantes pour l’état de mort ; douleur plus profonde et moins sensible pour la pourriture ; indifférence pour l’état de cendre ; mais paix, joie, repos central dans celui dont je parle, qui est après la résurrection. Les croix sont incomparablement plus grandes, mais insensibles, l’âme étant toute anéantie et sans résistance, souple, pliable à tout. [206]

Après cette remarque je dirai que Dieu ayant vu que toute l’artillerie n’a rien fait à cette âme, parce qu’elle est si souple et si pliable qu’elle ne résiste à rien, Il l’oblige de se frapper et Il veut qu’elle s’arme contre elle-même. Elle le fait avec toute facilité, sans se faire mal. Il semble qu’elle frappe sur une ombre, et non sur un corps : les austérités les plus terribles sont comme paille brûlée. La véritable marque qu’une âme est anéantie, est qu’elle ne résiste pas. Plus elle est souple, pliable pour tout, quel qu’il soit sans exception, plus elle est anéantie, et lorsqu’elle est anéantie de cette sorte, rien ne souffre en elle, car pour souffrir il faut être quelque chose. Lorsque je parle de souffrance, j’entends peine de l’âme ou de l’esprit, car le corps souffre la douleur et la compte pour peu. Saint Denis disait à saint Jean dans son exil : Je n’ai garde, saint Père, de croire que vous souffriez quelque chose.

Mais si cette âme sortait de sa place pour quelque chose, si sainte et bonne pût-elle être, elle souffrirait une peine inexplicable et une violence pareille à celle d’une chose qui est hors de son centre. Et cette violence est toute autre que celle que l’on peut souffrir dans tous les états précédents, parce que l’âme est préalablement établie en Dieu par état, qu’elle y est habituée et en a une longue expérience.

Ceux qui font beaucoup en eux ne souffrent guère de cet éloignement du Centre. Une âme tirée d’elle, plus elle s’éloigne de soi, plus elle s’approche de son Centre ; et plus elle approche de son Centre, plus elle a d’impatience d’y arriver.

Mais une âme qui serait tirée hors d’elle et qui ne trouverait pas Dieu, serait dans un tourment inexplicable. [207] Tel est le tourment des âmes du Purgatoire, qui ne sont ni en elles, ni dans le repos central : c’est pourquoi l’état de mort totale et de pourriture est appelé purgation, ou purgatoire, et avec raison, parce qu’une âme qui a souffert ce purgatoire est reçue en Dieu, qui est le ciel. Et si elle mourait étant reçue en Dieu, elle n’irait point en Purgatoire, écoulée qu’elle serait en son origine, où il faut la même pureté que pour le Paradis, puisque le lieu n’est pas ce qu’il veut ou requiert la pureté, mais Dieu.

Aussi par un contraire effet, ces âmes établies par l’anéantissement dans une entière séparation d’elles et dans un centre profond, si elles veulent se reprendre ou si elles sont rejetées du Centre, comme elles ne se retrouvent plus elle-mêmes pour se reposer en elles, elles ne sont alors ni elles ni dans le Centre. Elles souffrent une peine qui ne se peut comprendre et capable de mettre une âme en poudre, si elle n’était pas immortelle.

Cela est si vrai que sitôt que cette âme veut faire de soi quelque chose ou subsister en quelque bien que ce soit par elle-même, comme elle devient par cela même propriétaire, Dieu qui rejette toute propriété la rejetant pour cette seule chose, elle souffre alors la peine de l’Enfer. Et c’est ici proprement que s’éprouve la peine de l’Enfer. Tout ce qui précède l’état ressuscité et de vie en Dieu s’appelle Purgatoire, mais cet état-ci s’appelle Enfer. L’Ange fut rejeté de Dieu pour toujours, et ce rejet fit et creusa l’Enfer, qui n’était point avant le péché de l’Ange. L’Ange tomba donc du Ciel en Enfer. Mais l’homme tombe de la terre [208] en Purgatoire. Ceci est bien expliqué944.

L’homme qui est en soi et qui se possède, est comme une terre où il habite. Lorsqu’il est tiré de soi, avant que de tomber en Dieu, il passe par le Purgatoire où il tombe nécessairement. Mais l’Ange qui tombe du Ciel, c’est-à-dire une âme établie en Dieu, qui tombe de cet état, trouve nécessairement un enfer. Toute la différence est que l’Ange ne peut être tiré de son enfer pour retourner au Ciel, mais l’homme en sort, et y est très peu, selon le dessein de Dieu : car cet état est d’une si étrange violence que personne ne le pourrait supporter longtemps.

Il y a des âmes qui éprouvent cet état par grâce. Cela est rare et ce sont des âmes que Dieu choisit pour aider les autres, ou qu’Il veut consommer bien vite dans la perfection de l’anéantissement.

Il faut remarquer que, quoique nulle âme ne doive jamais être reçue en Dieu et recoulée dans son origine qu’elle ne passe le Purgatoire, ou en ce monde, ou en l’autre, cependant celles qui sont et seront en Dieu ne passent pas toutes l’état d’Enfer.

Or de celles qui le passent, il est rare d’en trouver qui le passent par grâce. Il y en a qui y tombent, comme Lucifer, par un orgueil effroyable, et de celles-là, il n’en sort guère, à moins d’un coups miraculeux de la droite de Dieu.

Comme il n’y a point d’état qui ne soit en Jésus-Christ et que tous ces états n’ont de vérité que parce qu’ils sont exprimés en Jésus-Christ, [209] de là vient qu’il a voulu descendre à l’Enfer et puis en remonter.

Or il est à remarquer que Jésus-Christ avant que d’y entrer, s’écria : Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’avez-vous délaissé945 ? C’était pour faire connaître que cet état n’arrive que parce que Dieu semble abandonner ce qu’Il tenait et qu’Il possédait si fortement.

Mais il y a cette différence entre l’abandon que l’on éprouve avant la résurrection946 et celui dont je parle que dans le délaissement qui précède la mort, c’est un défaut de concours de la part de Dieu qui laisse cette âme, qu’Il a tant caressée et unie à lui, sans lui tendre les bras ni la recevoir : Il fuit d’elle et elle a une tendance à aller à son Centre, qui lui paraît loin. Elle est comme un enfant abandonné de sa mère qui le tenait entre ses bras, le caressait et le mignardait : plus ses caresses étaient aperçues et distinctes, plus elles charmaient cet enfant qui, s’en voyant privé, crie de toutes ses forces : « mon Dieu, ou ma mère, m’a délaissé. » Quelquefois cependant ces caresses de la mère dont il souffre l’éloignement avec tant de peine, ne sont qu’un simple serrement contre son sein, et encore ce sont là les plus pures. Mais ici, c’est bien autre chose : ce qu’on y souffre n’est pas moins, pour ainsi dire, qu’un vomissement de Dieu, de qui l’âme était auparavant non caressée, mais absorbée, à qui elle était non simplement unie, mais si passée en Lui qu’elle était devenue une avec lui. Sortir de Dieu, lorsqu’on est dans cet état, c’est sans comparaison quelque chose de bien plus étrange947 [210] que tout autre éloignement de Lui ou de Ses caresses, puisque même Dieu ne lui en faisait déjà plus d’aperçues ; mais Il la possédait d’une manière si différente que, quoique l’on se serve des mêmes termes, il faut pourtant l’avoir éprouvé pour le comprendre, et tout ce que je dirais pour l’éclaircir le rendrait plus obscur. Il suffit de dire que cela est très véritable.

Cela supposé, et pour reprendre ce que je disais, c’est que l’âme rejetée ne se trouvant plus alors pour se recevoir en elle, et aussi n’étant plus en Dieu, elle est sans demeure, suspendue entre le ciel et la terre. Ceci est le plus terrible état de toute la vie. Mais une âme bien anéantie n’y demeure guère et cela ne lui arrive que rarement, parce qu’elle demeure en sa place et laisse bientôt toutes choses. Mais pour les autres, qui portent ces états longtemps et qui les ont décrits comme des état étranges, ils ne les portent qu’à cause de leur propriété, parce qu’ils se reprennent et qu’ils veulent être quelque chose : comme ils ont été tirés hors d’eux, ils n’y peuvent rentrer ; Dieu aussi ne peut les retenir en Lui propriétaires et c’est cela qui leur fait souffrir l’horrible peine dont j’ai parlé948. [211]

Or ceci ne peut arriver qu’aux âmes tirées d’elles-mêmes, et les âmes ne sont tirées d’elles-mêmes que par la résurrection et la perte en Dieu : avant ce temps, tout était reçu dans la capacité de la créature anoblie et enrichie extrêmement.

§ II

Ce que Dieu prétend par la mort est de tirer peu à peu l’âme d’elle. C’est pourquoi il lui ôte tous ses dons qui l’y tenaient attachée, car tous ces dons qu’elle recevait en elle, la retenaient en elle ; mais Dieu les lui ôte, la dépouille, la salit et la gâte tant, qu’enfin elle ne s’aime plus. Il ne faut pas croire pourtant que Dieu puisse salir l’âme, Lui qui est la pureté essentielle. Ce n’est pas ce que je veux dire. Il suffit qu’Il [212] ôte ses dons et faveurs qui couvraient sa nudité et l’empêchaient de se voir telle qu’elle est. Tout étant ôté, elle se trouve si laide, si sale, si indigne de Dieu, qu’elle se fait honte : elle dirait volontiers Fuyez, mon Bien-aimé, allez sur la montagne d’aromate949 et ne venez plus dans un lieu si indigne de vous. Sainte Catherine de Gênes dit950 que son âme lui ayant été montrée nue de tout bien, cette vue la pensa faire mourir tant elle était épouvantable. O que si ceux qui s’admirent si fort, étaient dépouillés de ce qui est à Dieu, qu’ils se feraient horreur ! Ce n’est pas que cette âme soit plus sale qu’autrefois. Au contraire elle est incomparablement plus pure, mais Dieu lui a donné d’autres yeux et Il l’éclaire de Sa vérité.

Dieu donc la dépouille et la gâte ainsi et de telle sorte qu’enfin elle ne s’aime plus, puis elle se hait, enfin se quitte, et après Dieu l’anéantit. Or pour sortir d’elle, elle souffre une peine étrange parce qu’elle ne rencontre pas Dieu pour la recevoir à cause de son impureté. Cette sortie de soi s’appelle mort, qui se fait peu à peu à mesure que l’âme s’éloigne et sort d’elle ; et le dernier moment de sa sortie d’elle fait sa mort, comme la sortie de l’âme hors du corps fait la mort du corps.

Or comme l’âme à son sortir n’est pas reçue en Dieu d’abord, elle fait un purgatoire qui est ce que j’ai appelé pourriture. Alors elle n’est ni en elle ni en Dieu, et c’est ce qui fait sa grande douleur.

Mais à mesure que cet empêchement d’être [213] reçue en Dieu se perd, elle trouve plus de repos, et lorsqu’elle est reçue en Dieu peu à peu, c’est ce qui s’appelle Résurrection.

Mais lorsque cette âme, qui a tant souffert pour sortir de soi, est venue en Dieu et qu’elle a goûté le repos central et la paix-Dieu, qui est tout autre chose que la paix don de Dieu qu’elle trouvait en elle - lors, dis-je, que cette âme est établie dans ce lieu - si ensuite elle en était rejetée, cela lui serait un enfer inexplicable et une peine mille fois plus cruelle que ce qu’elle a souffert pour sortir de soi. Ceci est aisé à comprendre.

Dieu ne reçoit en soi aucune créature qu’elle ne soit anéantie. Cet anéantissement n’est autre que n’être plus en soi ni par état foncier, ni en superficie, ni par penchant, ni pour quoi que ce soit. Alors cette âme sans propriété est propre pour Dieu, quelques défauts qu’elle ait d’ailleurs en apparence. Un Ange qui aurait l’extérieur d’un homme le plus laid dont il aurait pris la figure, ne serait pas rejeté de Dieu et ne laisserait pas d’être Ange, n’ayant nulle propriété ; mais un Démon transfiguré en Ange ne pourrait être reçu en Dieu.

Cette âme donc reçue en Dieu, n’a point de propriété. Si elle avait la moindre propriété, elle ferait résistance, elle ne serait plus souple aux vouloirs divins pour les faire au moindre signal, après quoi il lui viendrait peu à peu des propres volontés, au commencement imperceptibles, ensuite plus fortes, enfin elle serait nécessairement rejetée de Dieu et ne trouvant aucun lieu pour y être reçue, elle éprouverait un Enfer plus dur encore que celui du Démon. Car si le Démon [214] lorsqu’il sortit de Dieu, n’avait pas trouvé l’enfer par une miséricorde mêlée de justice, il aurait été mille fois pis, n’étant reçu en aucun lieu. Ceci est très véritable.

Or lorsque Dieu voit cette âme si souple pour tout, que sans attendre une force mais à la première inclination de l’Ami elle obéit sans se soucier de se détruire elle-même, d’être environnée soit d’ignominie ou de la majesté de Dieu, d’être faite misère comme d’être faite Ange et qu’elle ne s’envisage plus, c’est alors que le néant est parfait, quoi qu’il ne soit pas encore dans toute sa perfection. Car sitôt que l’âme est reçue en Dieu, elle est bien anéantie mais elle n’est pas parfaitement anéantie. Ici, devenue très souple en Dieu où elle a été reçue, elle est non seulement anéantie mais elle est parfaitement anéantie, quoiqu’elle ne soit pas encore dans toute la perfection de l’anéantissement.

L’anéantissement peut augmenter jusqu’à la mort parce que l’anéantissement n’est autre qu’une désappropriation générale. Or sitôt qu’il ne reste nulle propriété, c’est-à-dire lorsque l’âme est hors d’elle-même, elle est anéantie. Mais elle n’est parfaitement anéantie que lorsqu’elle a contracté cette souplesse, ainsi que je l’ai dit, qui est une facilité à s’étendre jusqu’à l’infini, à se dilater sans effort, et sans se rompre ou gâter. Mais la consommation de l’anéantissement, c’est lorsque l’âme est élargie autant que la capacité que Dieu a mise en elle le peut recevoir. Et à mesure que cet élargissement se fait, l’anéantissement se perfectionne, et Dieu se donne plus abondamment. [215]

Pour me bien expliquer ou plutôt me faire mieux entendre, il faut savoir que la propriété n’est autre chose que la possession de soi, plus ou moins, selon que l’âme est plus près de sortir d’elle. Or cette possession qui cause des désirs ou des répugnances de soi, est entièrement et directement opposée à la possession de Dieu, quoiqu’elle ne soit pas opposée aux dons de Dieu que selon qu’elle est plus ou moins forte. Que l’âme puisse posséder les dons de Dieu sans être hors d’elle-même, c’est une vérité incontestable car c’est proprement alors qu’elle les possède. Ces dons créés étant reçus en manière créée et accommodés à la capacité propre de l’âme, s’ajustent bien avec la possession, pourvu qu’elle ne soit en péché grief951.

C’est ce qui fait que comme ils se mélangent avec la créature, lorsque Dieu veut chasser la créature d’elle-même, Il en chasse premièrement ses dons, qui sont comme une surcharge qui enfonçait l’âme en elle-même. Afin donc que l’âme soit reçue en Dieu, il faut, comme j’ai dit, qu’elle soit entièrement quitte de cette possession : ce qui se fait par le désespoir absolu de tout, qui comme nous avons dit, la fait mourir ou expirer.

L’âme tirée ainsi hors d’elle n’est pas pourtant d’abord reçue en Dieu : c’est alors ce que l’on appelle pourriture, comme j’ai dit, ou purgatoire, où elle doit être purgée d’un obstacle plus subtil, parce qu’elle conserve encore une qualité opaque, dure, rétrécie, qui ne peut être élargie. Ceci n’est pas une propriété volontaire, mais une propriété de nature, qui ne la retient plus en elle mais qui l’empêche d’être pénétrée des rayons divins ou de Dieu Lui-même. [216]

Voyez un miroir dont la glace est composée de cailloux ; ces cailloux ont une opposition entière à être glace transparente, quoiqu’ils portent en eux une qualité propre à cela. Mais que fait-on ? On fond et dissout dans le fourneau ces cailloux, puis on en fait une glace. Sitôt que le caillou fondu est devenu glace, vous voyez qu’il perd sa qualité propre. Mais il n’est pas encore en état d’être miroir : il faut le polir et le rendre propre à recevoir les rayons et la lumière sans obstacle. Ainsi cette âme au sortir d’elle-même a bien perdu sa qualité propre, mais elle n’est pas encore en état d’être reçue en Dieu. Il faut que cette dureté, cette opacité, soit ôtée. Par la mort elle est fondue, mais elle (l’âme) est encore brute, et incapable de recevoir Dieu. C’est pourquoi Dieu la polit peu à peu et enfin Il la vient pénétrer, ôtant cette qualité dure et rétrécie, et la rendant pliable et propre à être élargie. C’est alors que l’anéantissement de l’âme est parfait, mais elle n’est pas encore dans toute l’étendue de sa perfection. C’est pourquoi Dieu fait de nouvelles opérations, qui sont des extensions de cette âme pour la rendre toujours plus capable de Le contenir. Et cette étendue se pourrait faire jusqu’à l’infini, si l’âme n’avait pas une qualité bornée et limitée qui fait sa nature de créature différente de Dieu. Or ces créatures sont plus ou moins capables d’être étendues, selon les desseins éternels de mon Dieu.

Dieu ayant donc fait cette opération que j’ai dit, pour rendre encore cette âme plus souple, pour faire épreuve de sa souplesse et pour l’élargir extrêmement - et cette âme ayant été longtemps toute pleine de la poussière du combat [217] d’elle et des autres dont elle était le blanc952 et demeurant en cet état dans la même consistance, comme elle était dans l’état de gloire et de majesté, quoiqu’il ne soit pas tel aux yeux de ceux qui la regardent ni à ses propres yeux, à cause de la poussière et des débris des flèches dont elle est couverte, bien qu’il soit certain que quant au fond elle est toujours la même, à la différence qu’elle a encore contracté une qualité plus étendue - alors Dieu prend plaisir de l’abîmer davantage en Lui et de la sceller et cacheter de nouveau de Sa gloire pour autant de temps qu’il plaît à sa Majesté, qui fait souvent de ces opérations, c’est-à-dire après quelques autres années, selon Son dessein.

Ceci953 paraît être des états différents à la créature et c’est ce qui fait encore ses méprises, ainsi qu’il a plû à Sa bonté divine de me le faire connaître. Parce que lorsqu’elle recourbe les yeux sur elle, elle voit ses ordures et impuretés ; et son infidélité qui l’a portée à se regarder, la porte aussi à juger encore d’elle. Mais comme elle est en cela dans un état violent, retournant en sa place elle en juge véritablement et non sur l’apparence, et c’est ce qui fait l’inégalité ou la différence de ses expressions.

Il est aisé de voir que les fautes que fait cette âme ne sont pas des propriétés puisqu’elle en est exempte. Mais le seul endroit par où le péché pourrait entrer chez elle en cet état, c’est lorsqu’elle se regarde et qu’elle juge d’elle. Et plus ce regard serait long, fort et de durée, plus elle pourrait se rendre coupable. Que si ce regard [218] devient volontaire, Dieu la rejette aussitôt. Tout ce qui paraît faute au dehors, à la réserve de ce regard, n’est point faute pour cette âme et toutes les autres ne le seraient point sans ce regard recourbé. Il y a une figure de cela dans la sortie de Lot et de sa famille de Sodome954. Tout ce que l’Ange leur recommanda fut de ne point regarder d’où ils étaient sortis, et Dieu punit d’une mort soudaine et prodigieuse la femme de Lot, la changeant en statue de sel, pour n’avoir pas observé ce commandement. Le lieu d’où nous sommes sortis, c’est nous-mêmes ; regarder ce lieu est la seule chute que l’âme fait, et ce pourrait bien être à la suite la source de tous désordres qui pourtant commencent par là. Qu’est-ce qui fît le péché de l’Ange ? Ce fut cette vue recourbée sur lui-même qui le porta à s’admirer et à s’aimer. Si l’âme se regarde dans sa gloire, son regard est plus dangereux, quoique moins aisé, parce qu’il la porte à admirer et à aimer comme en elle ce qui est de Dieu et ce qui est à Dieu. Si elle se regarde dans sa bassesse, cela l’obligera aussi à se reprendre, quand ce ne serait que pour des moments.

On voit de là qu’il ne faut pas juger des personnes de ce degré par ce qu’elles ont d’extérieur, mais par l’immobilité, la souplesse, et l’étendue de leur âme. Une âme qui ne varie point dans le fonds, une âme qui ne résiste point, une âme qui n’est point rétrécie, ce sont là les caractères de cet état, lequel augmente et peut augmenter chaque jour.

Il est glorieux à Dieu que cette âme soit ainsi couverte de poussière, attaquée et battue de [219] toutes parts : cela fait mieux voir la majesté de Dieu et le néant de la créature, cela empêche les vues recourbées, et que la créature ne vienne à dérober à Dieu, comme l’Ange, une gloire qui n’est due qu’à Dieu seul. O si ces âmes avaient la fidélité de ne porter jamais leurs yeux sur elles-mêmes, dans quelle pureté ne vivraient elles pas, quoique toutes couvertes de taches apparentes ? Mais une âme, dans l’état même d’innocence, qui se regarderait, pourrait tomber dans tous les péchés. Le péché d’Eve que fut-il ? Elle regarde le fruit, elle fut portée à y mettre la main. Elle regarde son avantage, son appétit. Elle tombe et fait tomber son mari. Elle ne se contente pas de cette faute qui entra par la vue. Après sa chute elle se regarde encore et ce regard l’oblige à fuir Dieu et lui fait faire d’autres fautes aussi énormes que les premières. Elle se voit dans l’innocence, et elle pèche. Elle se regarde après son péché et elle devient plus criminelle. Elle eut honte de sa nudité, dit l’Ecriture, elle était nue auparavant, et elle ne le voyait pas ? Cette âme est nue, si vous voulez, de tout bien, mais si elle ne se regardait pas, elle n’en aurait point de peine. Souvent ce regard nous porte, comme Eve, à chercher de quoi nous couvrir, et nous voulons par notre industrie réparer ce que nous avons gâté par notre faute : cela est impossible. Il faut un Dieu Rédempteur et Réparateur à qui il faut tout laisser faire. Il nous donnera une rédemption très abondante et un état plus parfait que celui que nous avions avant notre chute.

C’est ici où est découvert le secret de la Rédemption et comment il était d’une gloire essentielle à Dieu de ne point laisser réparer la [220] faute de l’homme par d’autres que par Dieu Lui-même. Il fallait qu’Il en eût toute la gloire, et que l’homme ne pût jamais s’attribuer d’y avoir eu part autrement que par la qualité d’homme-Dieu. L’homme a fait la chute mais Dieu l’a réparée, et lorsque nous croyons par nos industries et propres efforts pouvoir réparer nos fautes, nous anticipons sur le droit de la Rédemption. D’où vient que l’acte de la contrition parfaite est de tous les moyens celui qui rétablit le plus tôt l’âme en grâce ? C’est que par cet acte pur l’homme regarde Dieu et se détourne de soi - et ce regard s’appelle conversion. Ceci n’exclut pas la pénitence, pourvu cependant qu’on la fasse avec les qualités que doit avoir la vraie pénitence, c’est-à-dire ne s’y confiant point ni sur quoi que ce soit que l’on fasse, mais qu’on attende tout de la bonté de Dieu. Cet avis est pour les fautes de tout état, mais pour celui-ci, l’âme est si persuadée qu’elle ne peut se rétablir par aucun moyen, qu’elle ne pense pas à en chercher aucun. Elle demeure contente, paisible, indifférente pour être purifiée ou non, et elle voit et fait que tout ce qu’elle pourrait faire par elle-même n’étant plus de saison, la salirait encore plus. Elle fait la faute, et Dieu la répare. Et cette faute, à une âme qui est fidèle à ne point se regarder ni se remuer, est plus vite consumée par Dieu même qu’une paille ne le serait dans un grand feu. C’est ce qui fait que ces âmes ont tant de peine à se confesser : non qu’elles ne fassent de ces fautes de propre regard, (car le reste ne peut être faute pour ces âmes qu’autant qu’il vient de là), mais ce qui fait, comme j’ai dit, que celles qui sont fidèles à ne se point remuer, ont peine [221] à se confesser pour les faiblesses, c’est que leurs fautes sont consumées dès leur naissance dans le feu de l’amour pur, qui est Dieu même. Et la plus assurée marque qu’elles en sont purifiées est qu’elles n’en ont ni peine, ni reproche, ni rebut de Dieu, et que cela n’altère en rien leur constitution intérieure.

On dira que c’est que Dieu les a abandonnées à leur sens réprouvé, mais cela ne peut être puisque si ces âmes résistaient à Dieu en la moindre chose qu’Il voulut d’elles, elles se sentiraient d’abord hors de cette constitution d’ordre et souffriraient une peine inexplicable. Ce qui fait que ces âmes, quoique si méprisables en apparence et si méprisées, paraissent si contentes, c’est qu’elles sont très bien ordonnées dans la Volonté de Dieu ; de sorte que ne sortant point de cette Volonté et l’accomplissant toujours, fait qu’elle les veuille faibles ou fortes955. Ce qui paraît défaut à l’égard des hommes ne l’est point à l’égard de Dieu.

On voit un petit défaut dans ces âmes parce qu’elles sont simples, nues, sans artifice, et qu’il n’y a que Dieu seul qui soit sans défaut, et Jésus-Christ qui pour ce sujet est appelé l’Agneau sans tache. Et l’on ne voit pas de gros défauts en des âmes bien commençantes, parce qu’elles sont couvertes d’habits. De plus une âme qui ne se possède en rien ne pense pas à se garder de rien au lieu que celles qui se possèdent, compassent et règlent toutes choses : et c’est pourquoi lorsque Dieu veut faire perdre à une âme la possession d’elle-même et la tirer de soi, Il commence par la dérégler en apparence. Non que Dieu aime le dérèglement, mais c’est pour [222] lui faire perdre toute possession et tout soin de soi-même. Ce qui fait que cette âme se veut tout le mal possible parce qu’elle est tournée contre elle-même selon la volonté de Dieu dont elle ne peut être séparée. Car il faut que dès qu’une âme est sortie de soi, Dieu, qui l’a reçue en lui, la meuve nécessairement, puisque ayant perdu toute possession de soi par une séparation entière, il est nécessaire que Dieu remplisse ce vide et devienne le moteur et le gouverneur de cette âme qui se mouvait et gouvernait auparavant par sa propre industrie. Il en est dans l’ordre de la grâce comme dans celui de la nature de ne point souffrir de vide sans le remplir nécessairement. Ce vide n’est autre que le néant. Plus il est étendu, plus Dieu Se presse, pour ainsi dire, à le remplir abondamment. Marie fut dans ce vide parfait dès le moment de sa conception. C’est pourquoi Dieu Se précipita en elle : parce que la propriété en étant bannie, Il devint dès lors son possesseur et son moteur.

On m’objectera que si cela est ainsi, ces âmes doivent être nécessairement impeccables. Je réponds que oui, tant qu’elles sont dans l’ordre de leur moteur et qu’elles sont directement en la présence et comme à l’opposite956 de Dieu. Mais lorsqu’elles se recourbent vers elles, elles se soustraient comme par force à cette divine motion et c’est pourquoi il ne faut pas s’étonner, comme j’ai dit, si elles font des fautes. Mais si ne se regardant jamais, elles suivent avec fidélité leurs mouvements qui ne sont pas contraires à l’obéissance et qui en sont approuvés, du moins en général, elles ne failliront point. Et quoique l’homme ne soit jamais impeccable [223] tant qu’il vit, parce que sa nature est le péché, il le peut être par grâce et par privilège.

Mais il est cependant vrai que s’il venait par infidélité à retomber en lui-même (ce qui ne se ferait qu’avec bien de la peine et des souffrances inexplicables et tout autres que celles qu’il avait pour en sortir), ô957 il viendrait alors à une malignité aussi grande que celle des Démons, et dans une impénitence étrange ! parce qu’étant confirmé dans un état de permanence, la même peine qu’il avait à sortir de Dieu et à entrer en soi, il l’aurait - et plus grande encore - à refaire ce chemin. C’est pourquoi l’Ecriture dit958 qu’il est difficile qu’une personne qui a connu, goûté et aimé Dieu, et qui en est tombé, y rentre jamais à cause de l’opposition qu’elle a de se convertir. Car comme plus elle est établie en Dieu, plus elle a d’opposition à se tourner vers elle-même, aussi plus elle est tombée en elle, plus elle a de peine à se tourner vers Dieu, à cause de son état de consistance. Cela vient aussi de ce qu’ayant possédé Dieu sans milieu et étant comme une même chose avec Lui, elle n’avait plus l’habitude de se tourner vers Lui et ne le pouvait pas parce que, pour se tourner vers une chose, il faut qu’elle soit séparée et différente de nous. Et l’âme (une avec Dieu) ne pouvant point voir Dieu distinct d’elle, cela faisait qu’elle ne pouvait se tourner vers Lui puisqu’Il était plus en elle-même qu’elle-même. Et ainsi elle ne pouvait faire ce retour ni cette conversion, mais simplement demeurer dans l’immobilité où elle était établie et où Dieu, comme j’ai dit, sans aucun mouvement, rétablit tout aussitôt les manquements. Or cette âme tombée [224] a perdu toute habitude et quasi tout pouvoir de se tourner vers Dieu : c’est ce qui fait son impénitence.

De cette vérité-ci, plusieurs ont cru que quantité de grands hommes ont été damnés par des chutes en suite de ces états. C’est faute de discernement, car il y en a bien que l’on croit perdus et qui ne le sont pas, mais c’est qu’il y a des sortes de chutes qui portent un vêtement pareil959. Il y a des chutes véritables causées par propriété réelle, par volonté absolue, qui sont ordinairement péchés d’esprit bien volontaires, plus cachés, moins apparents, mais incurables si ce n’est par miracle. Il y a des chutes de faiblesse, les unes où les sens sont entraînés les premiers et qui n’ont aucune de ces méchantes qualités que nous avons dites mais que Dieu permet pour faire voir qu’il est Dieu ,  les autres où les sens, étant abandonnés à eux-mêmes à cause de la séparation totale de l’esprit d’avec les sens, entraînent après eux insensiblement un consentement plus de faiblesse que de malice. Ceci ne réside que dans le sens gagné par surprise. Tel fut le péché de David, qui lui fut très utile.

Il y a d’autres fautes qui n’ont rien que l’apparence et qui n’attirent nulle volonté de l’âme parce que la volonté demeure unie à Dieu. Et si ces âmes ont des faiblesses, ces faiblesses sont des légères fautes de surprise. Elles ne peuvent ne les vouloir point, non par volonté délibérée, ce qui n’est plus, mais par une union à la volonté de Dieu qui fait qu’elles veulent tout ce qui leur arrive, soit force, soit faiblesse : cela leur est égal, la seule volonté de Dieu et Sa motion étant au-dessus de tout le reste. [225]

Et ce sont là les âmes de l’état dont j’écris, qui font la volonté de Dieu sur la terre comme les bienheureux dans le ciel. C’est ce qui fait qu’elles trouvent un repos parfait dans leurs misères, sans se mettre en peine d’être autres que ce qu’on les fait être car, étant dépouillées de tout propre intérêt, il leur est indifférent d’être, si Dieu le voulait, ou Anges ou Démons. C’est ce que dit saint François de Sales960 : s’il y avait un peu plus de bon plaisir de Dieu et un peu plus de Sa gloire dans notre damnation que dans notre salut, il faudrait préférer notre damnation à notre salut par l’amour du bon plaisir de Dieu. Le seul vouloir divin à leur égard fait leur béatitude essentielle, et ces âmes aimeraient mieux éprouver toutes les misères dans cette subordination à la volonté divine que toutes sortes de biens ou de contentements par leurs efforts propres, - et si elles en faisaient de la sorte, elles entreraient dans une espèce d’enfer. La raison en est que tout ce qui est fait par elles-mêmes ravit à Dieu Son domaine et qu’elles rentrent ainsi en possession d’elles-mêmes.

Cette âme ainsi déjà désappropriée n’a point de peine de toutes les faiblesses dans lesquelles elle pourrait tomber parce que, ne se souciant de l’estime de nulle créature ni d’elle, elle ne se met en peine de rien : belle ou laide, tout lui est égal. La seule volonté de Dieu fait tout son bien. Il ne faut pas croire que les faiblesses d’une telle âme soient des péchés, mais de simples fautes purement extérieures, et si délicates qu’elle ne les remarquerait pas elle-même si on ne les lui faisait remarquer.

Il y a dans l’Ecriture des exemples d’actions qui sont bien autres que ces faiblesses [226] apparentes et qui pourraient même passer pour des péchés aux yeux non éclairés. Telle était la disposition d’Abraham lorsqu’il lui fut commandé d’immoler son Fils. Telle celle des Prophètes lorsqu’ils faisaient des choses en apparence contre la Loi. Et cependant ils avaient raison parce que ce qui fait le péché est ce qui est entièrement opposé à l’ordre et à la volonté de Dieu, qui ne peut vouloir le péché comme péché réel et dans sa qualité maligne de rébellion à la volonté divine. Mais il peut vouloir pour Sa gloire une action de péché détachée de sa malice et de sa qualité de péché, et alors c’est un bien et non un mal de le faire, parce que la volonté de Dieu est préférable à tout bien quel qu’il soit. Il y a de cela quantité de figures dans l’Ecriture sainte. Celle qui m’est le plus présente est de Saül et de Samuel : Saül fit une action de charité apparente en conservant la vie à Amalec961 ; cependant il fit contre la volonté de Dieu et en fut châtié. Samuel fit en apparence un homicide, cependant il fit un acte de Justice, faisant la volonté de Dieu, et c’est en ce sens qu’un Ange serait aussi content d’être Démon que d’être Ange.

Il y en a en qui Dieu permet de véritables fautes pour faire, comme dit saint Paul, éclater Sa justice par notre injustice962, et Sa Sagesse par nos folies. Et Dieu permet des chutes étranges dans de grands hommes, comme dans Salomon, parce qu’ils Lui ont dérobé Sa gloire et que les autres hommes attribuent à la force de l’homme ce qui n’est dû qu’à Dieu. C’est ce qui fait que Dieu punit souvent l’orgueil de l’esprit par la faiblesse de la chair. Et Dieu reçut plus de gloire de la [227] chute de Salomon que de toute sa sagesse parce que sa sagesse avait comme ravi à Dieu Sa propre gloire et sa folie la Lui a restituée.

On me demandera, sur ce que j’ai dit ci-dessus de la volonté de Dieu, comment on peut la connaître ? C’est par tout ce qui nous arrive de moment à autre, quel qu’il soit. Cette permission est une volonté de Dieu pour nous, car c’est une vérité infaillible que ce qui nous arrive de moment en moment est volonté de Dieu. C’est pourquoi ces âmes dont j’ai parlé, agissent en tout comme naturellement, car Dieu les meut et agit de manière qu’il semble que cela soit tout naturel si ce n’est en certaines choses plus extraordinaires qu’Il veut avec plus de force. Mais tout ce qui arrive à ces âmes arrive comme naturellement par une Providence infaillible. Cela supposé de la sorte, ces âmes n’ont qu’une chose à faire qui est de demeurer toujours telles qu’elles sont, sans se soucier de la perfection ni de l’avancement, évitant de se regarder, leur vue étant celle du basilic, qui peut seule leur causer la mort.

O âmes trop fortunées dans une infortune la plus extrême ! Votre boue fait vos délices et vous ne pouvez pas ne la pas aimer, car plus vous en êtes chargées, plus vous tombez nécessairement dans le centre et vous enfoncez en Dieu. Ces âmes sont si grandes que toute la terre ne leur paraît qu’un point. Il semble qu’elles la renferment au lieu d’en être renfermées. O cendre ! O néant ! O boue qui rend plus de gloire à mon Dieu que les pierres précieuses ! boue plus agréable que les parfums ! Car tu ne fais point de résistance : tu as servi à former le vieil homme Adam encore innocent et tu sers à produire [228] l’homme nouveau en Jésus-Christ. La boue des autres degrés incommode et fait souffrir, mais celle-ci réjouit, charme, dilate. O que cet état est bon, puisqu’il est dans la volonté de Dieu et que l’âme alors ne s’y complaît pas ! Elle y est dans sa bassesse comme dans un trône. Autrefois sa boue lui causait une certaine humiliation, un enfoncement doux et suave. A présent ce n’est plus cela.

Si j’osais le dire, je dirais que sa cendre, que son néant lui est Dieu, puisque c’est ce qui la porte en Dieu et que c’est dans son rien qu’elle Le trouve sans distinction d’avec soi. Elle ne sait si Dieu est caché dans son rien, ou si ce rien lui est Dieu. Dieu est partout et en tout le même, sans pensée directe ni distincte de Dieu car elle n’y pense pas. Mais c’est que ce fonds, devenu Dieu, ne peut s’altérer de rien, ni changer pour rien. Ici les croix, quoique grandes en apparence, ne sont plus croix à cause de la subordination de cette âme à la volonté de Dieu. Dieu unit quelquefois de ces âmes d’une manière si étroite qu’il semble qu’Il attache toute leur perfection à cette union où Il fait tout pour Sa gloire, et cela suffit. Le Seigneur a tout fait pour Lui963 et c’est assez pour une âme éloignée de tout intérêt propre. Il n’y a plus pour elle de différence des choses, mais une seule subsiste, qui est la Volonté Divine. [229]



*2.37 Des plus pures Opérations de Dieu et de leurs effets.

Les plus pures opérations de Dieu se font dans le plus intime964 de nous-mêmes et, pour ainsi dire, comme vers le siège du cœur : rien ne passe par la tête. Mais comme une source qui bouillonne, elles éclairent l’esprit sans brillant ni distinction, le mettant dans une parfaite sérénité, et ce je ne sais quoi, dont la source est infinie, dilate le cœur, le pacifie. Et bien qu’il n’y ait rien de sensible ni de distinct, le goût sans goût est au-dessus de toute expression, avec une pureté et netteté admirable. Et ce qui paraît de surprenant, c’est que, quoique l’esprit soit clair et serein, le cœur plein et étendu, il est pourtant certain que ce qui rend l’esprit de cette sorte n’est point dans l’esprit, que ce qui remplit le cœur sans sentiment, n’est point dans le cœur. Mais cependant le siège est au-dedans et on le distingue fort bien.

Au lieu que les autres opérations viennent de la tête et qu’elles se répandent sur les parties du corps, celles-là viennent du fond proche du cœur et se distribuent dans l’esprit par un vide fécond, car la mémoire ne représente rien et cependant n’est pas stérile pour cela, mais claire, sans nul terme ni objet. L’esprit de même n’a nulle [230] agitation, mais son calme est serein et lumineux. Ce n’est pas un vide d’abrutissement : au contraire, c’est une pure, simple, et nue intelligence sans espèce ni rien qui borne. La volonté est aussi nue et vide, mais sans disette, et avec une plénitude qui dilate toujours plus le cœur qui trouve tous ses désirs parfaitement contents et remplis, sans rien distinguer de ce qui contente et remplit. C’est un rassasiement qui est sans dégoût, et qui n’empêche pas l’appétit nécessaire pour se trouver toujours en état d’un plaisir nouveau, qui ne peut proprement porter le nom de plaisir965.

*2.38 De deux sortes d’anéantissements.

Il y a deux sortes d’anéantissements, tous deux réels. Le premier se fait avant que l’âme soit perdue en Dieu, et ensuite de sa mort et de sa pourriture. Dans ce premier il y a des horreurs, répugnances, scrupules, rejets de Dieu : on éprouve Sa colère et Son indignation, on a peur de soi et l’on voit le péché d’une manière vive ; et ces mêmes choses opèrent l’anéantissement. Mais il y en a un en Dieu : celui-là se fait sans que l’âme sorte de Dieu, sans en être rebutée : c’est ce qui fait que ce second ne lui donne nul trouble. Au contraire il augmente sa paix, il ne cause ni [231] scrupule, ni rejet de Dieu, mais c’est un anéantissement de tout ce qui reste de propre à la créature, bon ou mauvais sans distinction.

Ce n’est point une perte apparente des vertus comme autrefois, car l’âme les avait déjà perdues et retrouvées en Dieu. Mais ces mêmes vertus retrouvées en Dieu et possédées en Lui, doivent encore être une fois évacuées et péries afin que les vertus de Dieu ne soient plus possédées par la créature, mais que Dieu les possède Lui-même dans sa créature et, comme il est dit souvent, que ce soit jouir de Dieu, en Dieu, pour Dieu.

C’est une désappropriation de tout cela, ou plutôt comme j’ai dit, un anéantissement. Et il m’est mis dans l’esprit que c’est cet anéantissement qui produit l’Incarnation et qui est la seule disposition immédiate pour l’Incarnation mystique. Comme il est dit : en Marie, il a regardé la bassesse de sa servante966 etc., car cette espèce d’anéantissement est une bassesse véritable . Et quoique Marie eût été divine jusqu’alors, elle n’eut cette bassesse que dans le temps de l’Incarnation, qui fut la disposition immédiate de la production du Verbe. Mais cette disposition était en elle dans un degré si éminent que nul n’y atteindra jamais : cela ne lui causa pas les faiblesses extérieures qu’éprouvent les pauvres créatures infiniment éloignées de sa pureté, parce qu’elle était exempte de toute propriété, tant intérieure que sensible, et de tout défaut. Mais il ne laissa pas de causer en elle une expérience réelle d’une nouvelle bassesse, qui la tenait dans le plus profond néant, lorsqu’elle était élevée à la qualité de Mère de Dieu : non par une humilité de vertu ou de pensée, [232] mais par une expérience réelle de la plus profonde abjection.

*2.39. Comment Dieu conduit la liberté qui se rend à lui.

Toutes les disputes qui se font sur la liberté de l'homme viennent pour l'ordinaire de défaut de la lumière. Nous sommes tous nés libres et notre liberté funeste ne nous sert le plus souvent que pour nous égarer. Dieu dont la bonté est infinie, nous tire de cette pente au mal que nous avons puisée en Adam, et nous donne une bonne volonté qui nous fait tourner vers Lui notre liberté, et l'employer à son service : mais hélas ! Qu'il y a encore en nous de faiblesses et d’inconstances, jusqu'à ce que sa bonté nous ait appris qu'il y a un autre moyen de rendre notre liberté toute-puissante pour le bien et toute faible pour le mal ! Ce moyen si sûr est, de remettre cette même liberté entre les mains de son Auteur, par une résignation autant libre que volontaire. C'est ce sacrifice que nous faisons à Dieu de notre liberté et de notre propre volonté, qui nous rend ses enfants adoptifs, et qui Le porte à nous mouvoir Lui-même par sa volonté suressentielle. [233] c'est alors qu'il agit et opére en nous en Souverain. Oh ! Lorsqu'il a entièrement pris cette liberté qui nous entraînait dans le mal, qui n'est autre que, ou la rébellion à sa volonté suprême, ou la résistance à cette même volonté ; alors il nous rend véritablement libre puisque Jésus-Christ devenant notre voie, notre vérité est notre vie, nous met dans une parfaite liberté, nous cachant avec lui en Dieu. C'est à cette espérance qui faisait dire au Roi prophète967 : Ce sera en vous, Seigneur, que nous ferons des actions de force et courage. Et encore968: Tous ceux qui sont en vous, sont comme des personnes ravies de joie.

Cela supposé, je dis qu'il ne faut pas raisonner des personnes qui sont à Dieu par un abandon spécial et un sacrifice de tout eux-mêmes, comme l'on fait du commun des chrétiens ; et c'est en quoi l'on se trompe beaucoup, de vouloir faire des lois générales pour tous. Il y a en Dieu deux volontés : la volonté essentielle et cachée à tous autres qu'à ceux auxquels il plaît à Dieu de la manifester ; et celle-ci est pour l'ordinaire infaillible, elle meut l’âme et la conduit comme il lui plaît : il y a aussi une volonté déclarée et générale pour tous. De même, il y a des lois générales pour tous les hommes conduits par la volonté déclarée ; mais il y a aussi des lois particulières, pour les âmes que Dieu conduit ; et ces lois sont gravées au fond de leur cœur.

Ce sont des lois pleines d'amour et de rigueur ; et d'autant plus amoureuses, qu’elles sont plus rigoureuses. Lorsque Moïse, dans le Deutéronome, parle du commandement d'aimer Dieu de tout son cœur, de toute son âme, et de toutes [234] ses forces ; il ajoute969, que ce commandement est la loi du cœur, qui doit être gravé dans le cœur. Ce commandement n’est point compris dans le Décalogue, il ne fût point gravé sur la pierre, mais il est gravé dans le cœur de l’homme : et pourquoi cela ? C'est que Dieu est, comme dit Moïse970 un Dieu fort et jaloux ; comme Dieu fort il se fait obéir en souverain de ceux qui sont à lui ; comme jaloux, il les conduit par une voix secrète, inconnu à tout autre qu'à lui. Laissons-le donc faire, et il nous conduira par des routes impénétrables à tout autre qu'à son amour pur, fort et jaloux !

Ô Amour inconnu, que tu es cruel, doux, terrible, délicieux, puissant, insatiable ! Que ne fais-tu pas éprouver à tes enfants ? Que tous les hommes les plus savants sont ignorants, si tu ne les instruis par toi-même ! Que tu es différent de ce que l'on s'imagine de toi, et de ce que l'on n'en déclare ! Tu réserves des douceurs pour ceux dont il ne fait que peu de cas, et il y a des cruautés pour tes fidèles amis ; mais des cruautés les plus étranges sont les plus aimables au cœur que tu possèdes, que toutes les douceurs ! La cruauté douce, et la douceur cruelle. Amour immense, infini, tu es autant éloigné de toute sorte de bornes, que tu es élevé au-dessus de tout moyen ! Celui qui croit acquérir par tout ce qu’il se propose, ne te connais pas. On ne t'acquiert qu'en perdant tout et en te perdant toi-même en apparence. Tu ne veux ni exception, ni excuse, ni raison ; mais tu veux que tout cède à ton pouvoir, sans que celui que tu conduis, ose te demander où tu le mènes, ni aucune raison de ta conduite. [235] Tu ne veux que des aveugles et des incensés. Tu ne veux pas qu'ils appréhendent au milieu des périls les plus évidents ; et lorsqu'ils semblent perdus, loin de leur tendre une main secourable, tu te ris de leur perte, tu te fâches de leur crainte ; tu les perds encore plus ; tu t'irrites contre leur raison, et tu n'as point de repos que tu ne les aies sacrifiés sans réserve.

*2.40. De la paix de Dieu, et de ses effets.

Sur ces paroles : Que le Dieu de paix veuille vous sanctifier ; et que tout ce qui est en vous, l’esprit, l’âme et le corps soient conservés sans péché pour l’avènement de notre Seigneur Jésus-Christ. I Thessaloniciens 5,23.

Cet endroit de l'Epître de Saint-Paul, a un sens admirable971 : Le Dieu de paix nous sanctifie véritablement : mais de quelle manière ? En nous communiquant lui-même intérieurement l'onction et la paix. Cette paix est plus utile à l'homme pour la sanctification que tous les efforts qu'il pourrait faire par lui-même ; c'est pourquoi il nous est si fort recommandé dans l'Ecriture972, de posséder nos âmes dans la paix. Jésus-Christ ne [236] donne que cette paix à ses apôtres973, et par elle il leur communique toute vertu. Pourquoi ce divin Sauveur de leur dit-il pas, qu'il leur donne son humilité, sa patience, etc. ? C'est qu'en leur donnant cette paix, dont parle saint Paul974, mais qui passe toute expression, il ordonne la douceur, l'humilité, etc. Car les vertus viennent de cette paix et sont infuse à l’âme d'une manière ineffable. Aussi pour nous faire voir que c'est une paix toute intime, toute féconde, source de tout bien ; et non pas une fausse paix, visant ainsi que c'est la paix qu'il goûte en lui-même, qui étant infiniment en repos, ne laisse pas d'être infiniment agissant et fécond.

C'est cette même paix qu'il communique à l'âme pure ; paix étendue, et durable autant qu'elle est intime ; au lieu que la paix que le goût du monde donne est une paix superficielle, qui se troublae et se perd pour le moindre accident, qui rétrécit le cœur et l'affaiblit, loin de le dilater et fortifier.

Le reste de l'Epître demanderait une longue explication ; mais pour vous contenter, je vous en dirai quelques mots. L'esprit, l'âme et le corps sont très bien séparés ici : car il est certain que les âmes intérieures expérimentent très bien qu'il y a une division de l'âme d'avec elle-même, qui est telle que l'on éprouve très fortement que l'âme a en elle-même un censeur et un approbateur de ses propres opérations ; de manière qu'il semble quelquefois que ce soit deux âmes. Ceci est plus que ce que l'on appelle ordinairement partie [237] supérieure et inférieure. À mesure que l'âme meurt à elle-même, elle découvre en elle cette division de l’âme d'avec l'esprit. Cette division s'opère par la paix intérieure, et elle préserve véritablement du péché, nous disposant véritablement pour l'avènement de Jésus-Christ, qui n'est autre, que la formation du même Jésus-Christ en nous, qui, par notre mort à Adam, est rendu notre vie.

2.41. De la connaissance et de l'Amour solide.

Il me semble de comprendre clairement que l'âme dans le ciel connaîtra et aimera par deux actes distincts, qui se rapportent à la connaissance et à l'amour que Dieu a pour lui-même. Dieu le Père produit son Verbe par voie de connaissance, et le Saint Esprit est l’amour du Père et du Fils. L'âme, par le commerce ineffable de la Sainte Trinité, auquel elle a part, est toute connaissance et amour ; et quoique cela soit très distinct, comme les divines Personnes sont très distinctes, elle est cependant plongée et abîmée dans l'unité divine, qui est son centre et sa vie, sans en sortir jamais que par ce flux et reflux de connaissance et d'amour.

Or je dis, que dès cette vie l'âme [238] commence ce qu'elle doit continuer éternellement ; mais sa connaissance est ténébreuse ; elle ne la démêle point ; elle ne voit pas qu'elle en ait aucune, si ce n'est pour en parler et écrire. L'entendement est plutôt perdu qu'éclairé. L'amour de même n'a rien qui s'aperçoive.

Je crois que ce qui fait que ni l'un ni l'autre ne se distinguent que dans le besoin d'en parler et d'en écrire, c'est parce que cet amour et cette connaissance, quoique dans l’âme, ne sont pas propres à l'âme : elle n'y a plus rien. C'est une capacité pure, où Dieu fait ce qu'il lui plaît. L'action de Dieu est toute libre, et l’âme aussi la reçoit librement par le don irrévocable qu'elle a fait d'elle-même à son Dieu. Dieu ne travaille pas sur une statue morte, mais sur une âme vivante, qui veut tout ce que Dieu veut, et qui fait d’une pure et libre volonté, ce qu'elle ne discerne pas néanmoins toujours : elle ne le discerne presque jamais, non plus que son amour et sa connaissance, n’y ayant aucune part propriétaire.

Les opérations de Dieu qui se discernent et s'aperçoivent de l’âme, et que les ignorants admirent, ne se discernent de la sorte que par le mélange qui est en eux, qui vient d'un défaut de la parfaite pureté ; ce qui est assez ordinaire en cette vie ; et comme le soleil a un brillant et un plus grand éclat lorsque quelque chose termine et borne sa lumière, ce qui cause une réflexion qui fait ce brillant ; si la lumière ne trouvait aucun corps, elle s'étendrait d'une manière insensible, et ne paraîtrait pas telle à nos yeux ; et cela ferait qu'elle serait simple et sans brillant ; mais elle n'en serait que plus pure, plus étendue, plus simple et plus général. Moins il y a [239] en nous d'impureté, et il en reste toujours un peu en cette vie, moins il y a de discernement de ce que Dieu opére en l’âme ; et comme elle est enveloppée d’un corps, que ce corps à ses sensations, que l'imagination reçoit les espèces des choses journalières, l'opération de Dieu dans l’âme, si pure et si simple, non seulement n'est pas connue, mais elle est même comme cachée et couverte de fantômes ; et il ne dépend pas de nous de les empêcher. Il les faut laisser, sans les admettre volontairement. Je crois qu'ils n’empêchent point l'opération de Dieu. Il n'en est pas de même des pensées réfléchies : elles ternissent l’âme comme l'haleine le miroir, et empêchent en quelque sorte cette pure image de se représenter au naturel.

Lorsqu'elle se représente, c'est pour son propre plaisir qu'elle se voit dans cette âme, et non pour le contentement de l’âme. Il est donc de conséquence de s'arrêter à rien, et d'outrepasser toutes choses pour se perdre en Dieu. Cette voie n'est point sujette aux illusions comme les voies lumineuses de dons, de visions, etc., où le Démon se peut mêler, où l'amour-propre se nourrit, où la propre complaisance aveugle. Elle n'est pas dangereuse, puisqu'elle n'admet aucune pensée réfléchie, qui est ce qui ébranle les sentiments, et qui tombe souvent d'une imagination causée par une pensée vive, sur le corps. La voie de la foi est la source de la pureté et la mort à l’impureté, non seulement spirituelle, mais corporelle. C'est arracher la racine à tout amour désordonné, à toute attache, à toute plénitude de soi-même et des autres. C'est là qu’est le renoncement parfait, la vraie pauvreté d'esprit, le support du [240] prochain, l'humilité qui va jusqu'à l'anéantissement.

Le Démon, qui fait tout ce qu'il peut pour détruire cette voie, à cause de sa pureté et netteté, a suscité dans tous les siècles de faux illuminés, pleins de l'amour d'eux-mêmes, cherchant leurs commodités, sensuels en tout, ennemis de la croix de Jésus-Christ, qui se sont servis à l'envers des termes des Mystiques, qui les ont voulu faire servir à couvrir leurs désordres, et qui ont fait décrier la véritable spiritualité. Le Démon a empêché qu'on ne punisse ces hypocrites, qui sont à lui ; et il a fait tomber la peine de leur iniquité sur ceux qui les détestent : et pourquoi cela ? C'est que ceux-là sont indignes de la croix de Jésus-Christ ; ceux-ci au contraire sont ravis que Jésus-Christ soit glorifié par leurs souffrances, et de satisfaire autant qu'il est en eux à la justice de Dieu. Pour ces malheureux qui le déshonorent, leur mal est incurable ; parce qu'ils spiritualisent leurs désordres. C'est le Dragon avec les cornes de l'Agneau.

*2.42 Pureté d’Acte et de Connaissance des âmes pures.

Je comprends975, sans le pouvoir exprimer, comment toutes les opérations qui se font [241] hors de la Trinité, quoique attribuées différemment aux divines Personnes selon leurs différents effets, sont pourtant toutes des trois Personnes invisiblement à cause de l’unité de Leur essence. Et j’éprouve comment, dans l’homme devenu simple et divin, tout se fait par un seul acte et indivisible. Quoique l’on donne le nom d’amour et de connaissance à cet acte, selon ce qu’il opère et produit, cependant l’âme réduite en unité n’éprouve qu’un seul acte continuel et sans interruption. Et ce qui s’opère en elle est un acte si pur et dégagé qu’il [ne] laisse à l’âme nulle distinction, en sorte qu’elle ne sait si son amour est lumineux ou sa lumière amoureuse.

Elle aime sans sentir l’amour, et elle sait et connaît tout sans savoir comment elle le sait et connaît. Et sans nul moyen ni par l’entremise d’aucune chose, elle [se] trouve n’ignorer rien, sans savoir qui lui a appris, ni comme cela lui est venu : car cette connaissance n’a rien qui fasse ni espèce, ni plénitude. Elle est d’autant plus pure qu’elle est nue et d’autant plus nue qu’elle est plus hors de l’âme, et plus séparée d’elle-même, en sorte que l’on comprend parce que l’on éprouve comment les Bienheureux voient tout en Dieu sans rien voir que Dieu976 - et non en manière objective, ainsi que quelques-uns ont voulu dire que l’on voit en Dieu tous les objets comme dans un miroir, se persuadant un détail des choses mêmes. Cela n’est point de la sorte, puisque l’application à ces objets, quoiqu’en Dieu même, serait une application distincte de Dieu dont l’âme abîmée en Dieu est incapable. Mais elle voit en manière divine et indistincte toutes choses sans voir autre chose que Dieu, par un regard fixe et d’autant plus simple et épuré [242] que rien de distinct ne le termine. C’est une vue simple et immense de l’immensité même, qui renferme tous les objets sans s’arrêter à aucun, ce qui serait une imperfection. Cette vue sans vue est amour et jouissance, et tout cela est une même chose dans l’unité même.

Lorsque l’homme est encore en lui-même, il rapporte tout à soi et attire tout en soi-même. Toutes les créatures sont pour lui-même en manière spirituelle, ou en vue de perfection ou de salut. Mais par le transport qui est fait de cette âme en Dieu par une extase d’autant plus éminente qu’elle est plus continuelle - puisqu’elle commence dès cette vie ce qui doit durer éternellement, où l’âme ne sortira plus de Dieu pour retourner à elle-même - alors elle transporte avec elle toutes les créatures en Dieu, de sorte que Dieu est son seul objet et sa seule vie : elle voit tout en Dieu, et tout Dieu, rien hors de Dieu ni distinct de Dieu. Cet Être infini fait disparaître tout le reste, dont l’âme cependant n’est point appauvrie. Mais elle possède tout sans rien avoir ni posséder, elle voit tout au-dessous d’elle et elle ne voit rien que Dieu, dont elle ne peut se distinguer pour se voir elle-même977.

C’est alors que par un noble orgueil, elle ne trouve rien qui soit digne d’elle et qui ne soit au-dessous d’elle. Il n’y a point de Purgatoire pour une telle âme ; et celle qui écrit ceci a eu souvent certitude qu’il n’y en avait point pour elle, quoiqu’elle ne prenne ni part ni intérêt à cela. Une âme qui a été assez purifiée pour être reçue dans son principe original, est assez purifiée pour le ciel, puisque c’est Dieu seul qui exige la pureté et non le ciel. [243]

O si je pouvais exprimer cette vérité, et ce que c’est qu’une âme dans la pure vérité exempte des méprises ordinaires ! cette âme juge de tout sainement, et connaît d’abord la vérité en toutes choses, elle connaît l’abus des sciences978. Et l’homme le plus savant, éclairé de la vérité, découvre dans la science la vérité qui y est cachée et que les autres savants ignorent, car la science a la vérité, mais une vérité cachée aux savants mêmes qui ne sont point éclairés de la lumière divine. Ils voient sans voir mais lorsque la vérité éternelle se manifeste à eux, ô alors ils sont agréablement surpris de voir qu’ils découvrent une profonde science qu’ils avaient ignorée.

C’est ce que vous connaîtrez un jour. Il n’est pas encore temps pour vous d’écrire : il faut être rempli de l’infusion divine auparavant ; ce sera alors que vous écrirez certainement, et comme possédant ce que vous ne voyez à présent que de loin. Croyez-moi en ce point : cessez tout et vous aurez tout. Présentement il faut goûter et se taire. Il faut se laisser vider de tout pour être capable de la plénitude divine et pour voir comme dit David la lumière dans la lumière même979. Tout ce qui n’est point cela est peu de chose, et est plus une lueur qu’une lumière980.

*2.43 Ce que c’est que voir les choses en vérité.

Il y a un endroit qui dit : Nous verrons la lumière dans la lumière981. A voir une grande lumière séparée du soleil, elle paraît très grande et on la compte pour ce qu’elle paraît, on la distingue et on l’admire. Mais si on la mettait dans le soleil, elle paraîtrait ténébreuse et alors on la verrait dans la vérité. Voir les lumières des plus grandes vérités distinctes de Dieu, et non en Dieu, c’est ce qui fait l’admiration des hommes : mais de voir la lumière dans la lumière, c’est voir les choses comme elles sont.

Alors cette lumière suréminente et essentielle (Dieu) ne s’unit pas ces petites lumières, ainsi que fait celle du soleil, lorsqu’elle enflamme et brûle par l’entremise de quelque moyen comme par un miroir ardent. Ce qui est combustible prend alors feu en s’unissant le rayon par ce moyen là, et cela paraît toute lumière et chaleur. Mais les lumières dans la lumière ne sont pas ainsi unies [245] à la lumière essentielle : elles en sont absorbées, et elles disparaissent en sa présence. Tout ce qui était apparemment grand dans l’attouchement du divin rayon qui illumine et qui embrase, est disparu et absorbé dans l’état de perte en Dieu. Et c’est alors que l’on voit les choses dans la vérité, tout étant réduit dans le non-être : et le seul être subsistant, toute créature et le soi-même sont anéantis, disparus et absorbés. Il ne reste plus que Dieu seul.

On ne peut point voir les choses dans la vérité que l’on ne voit la lumière dans sa lumière, car c’est alors que toute chose est en vérité ce qu’elle est, ténèbres et ignorance.

O avantage infini de la perte totale de toute subsistance, tu fais tomber infailliblement l’homme dans la vérité ! C’est pourquoi l’Ecriture dit que tout homme est menteur982 parce que tout homme qui subsiste en lui-même ne peut être ni véritable ni en vérité. Il n’y a que deux vérités, le Tout de Dieu et le néant de la créature.

*2.44 Opérations illuminatives de Dieu : ce qu’elles exigent de l’âme.

Etant983 à la messe il m’a été donné à connaître (je m’explique de cette sorte quoique je [246] ne puisse pas appeler proprement cela connaissance, puisque ce n’est pas une lumière qui s’élève dans l’esprit mais une science intime et cachée dans le plus profond de moi-même, qui paraît très ancienne quoique la manifestation en soit nouvelle), je connus, dis-je, la pureté de Dieu être si infinie et celle qu’Il exige de l’âme pour y opérer avec plaisir être telle, qu’Il ne veut pas la moindre action de l’âme (tant sa passivité doit être absolue) - pas, dis-je, la moindre action pour imperceptible qu’elle puisse être, pas même des plus délicates correspondances qui semblent s’avancer quelquefois par une reconnaissance tacite.

Tout cela empêche que notre âme ne puisse être assez pénétrée de Dieu pour en pénétrer les autres. La plus délicate de ces fautes est une haleine qui ternit la glace de ce beau miroir et il faut que cela soit essuyé. Je comprends comme il faut être à ce degré de pureté pour recevoir sans mélange pour les autres - et que les connaissances qui y sont données n’ont rien d’objectif, et qui forme espèces. Tout y est Dieu et en Dieu.

Il me paraît que c’est là la connaissance des Séraphins. C’est un amour lumineux et éclairant par l’amour même immédiat, qui n’a qu’un acte continuel d’amour comme il n’a qu’un objet. Il me semble que ceux qui ne sont pas de cette sorte, connaissent premièrement et qu’en connaissant, ils aiment : c’est une connaissance qui produit l’amour. Mais les premiers ne font qu’aimer et en ignorant toutes choses (parce qu’il n’y a nulle distinction mais un absorbement d’amour), ils connaissent toutes choses mais en Dieu même, qui les leur manifeste [247] pour les dire selon ses suprêmes volontés.

Saint Grégoire dans l’Homélie XXXIV sur les Evangiles, après avoir décrit les qualités et caractères de chacune des Hiérarchies des Anges en particulier, marque qui sont ceux d’entre les hommes dont la vie et les actions répondent à chacune de ces célestes Hiérarchies, et qui peuvent ainsi avoir rang parmi elles ; et voici quels sont ceux qu’il compare aux Séraphins : Et sunt nonulli qui supernae contemplationis facibus accensi, in solo Conditoris sui desiderio anhelant, nil jam in hoc mundo cupiunt, solo aeternitatis amore pascuntur, terrena quaeque abjiciunt, cuncta temporalia mente transcendunt : amant et ardent, atque in ipso suo ardore requiescunt : amando ardent ; loquendo seipsos aliosque accendunt ; et quos verbo tangunt, ardere protinus in Dei amore faciunt. Quid ergo istos nisi Seraphim dixerim, quorum cor in ignem conversum lucet et urit, quia et mentium oculos ad superna illuminant, et eas compugendo ; in fletibus vitiorum rubiginem purgant. C’est-à-dire : « Il y en a quelques-uns qui, embrasés des feux de la contemplation céleste, ne respirent plus que le seul Créateur, ne désirent plus rien dans ce monde, ne se repaissent que du seul amour de l’éternité, rejettent tout ce qui est de la terre, ont l’esprit élevé au-dessus de toutes les choses temporelles : ils ne font qu’aimer et brûler et leur ardeur est leur même repos. Ils brûlent en aimant. S’ils parlent, c’est en s’enflammant et eux-mêmes et autrui ; et on n’est pas plus tôt touché de leurs paroles, qu’on en est soudainement embrasé dans l’amour de Dieu. Quel autre nom que celui de Séraphins donnerai-je à ces personnes, de qui le cœur changé tout en feu ne fait que luire [248] et brûler, illuminant les yeux des autres âmes pour les choses d’en haut et leur pénétrant et enflammant le cœur d’une componction, qui par les larmes qu’elle en exprime, les purifie de l’impureté de leurs vices ? »

*2.45 Deux Opérations de Dieu dans la volonté : la Souplesse et l’Onction.

Deux choses984 appartiennent à la volonté : la première est la souplesse qui la meut incessamment selon tous les vouloirs divins, la seconde est ce qui l’emplit et lui sert d’aliment.

Il y a des âmes qui ne se laissent jamais assez manier par le divin Vouloir. Celles-là sont pour l’ordinaire rétrécies. C’est l’article sur lequel on a plus de peine à se rendre, c’est ce qui arrête presque tous les hommes et les empêche de poursuivre la route qu’ils ont embrassée, surtout lorsque les volontés de Dieu paraissent répugner à leur raison et combattre des idées qu’ils s’étaient faites de la perfection.

Ce qui les arrête encore est que dans les âmes bien mortes et bien nues, la volonté de Dieu est délicate. Et à moins d’expérience, si ce n’est que la résistance ne mette dans un état violent, elle paraît [être] à l’âme une volonté qui lui est propre en sorte qu’elle se dit souvent que ce n’est point Dieu qui veut en elle ou par elle, que c’est elle-même qui veut et se donne cette volonté ; et c’est pour elle une matière de souffrance, surtout lorsque cette volonté, qui paraît lui appartenir, combat sa raison.

Ceci n’arrive qu’aux âmes très simples, et en qui la volonté de Dieu devient leur volonté propre et naturelle. Car ce n’est plus, à ce qu’il paraît, une volonté supérieure qui meut la leur - ce qui supposerait encore une propre volonté, qui, quoique soumise et très pliable, appartiendrait cependant à l’âme - mais ici il n’en est plus de la sorte. On éprouve que cette volonté, qui se délaissait avec tant de souplesse à tous les vouloirs divins pour vouloir ou ne vouloir pas qu’autant qu’elle était mue, se perd ; et qu’une volonté, autant divine qu’elle est profonde et délicate, est substituée en la place de la nôtre. Mais volonté si propre et si naturelle à l’âme, qu’elle ne voit plus que cette seule et unique volonté, qui lui paraît être la sienne n’en trouvant plus d’autre.

Vous comprendrez aisément qu’il faut que l’âme soit réduite en unité pour être de la sorte, et que par le baiser ineffable de l’union intime l’âme soit faite une même chose avec son Dieu, pour n’avoir plus d’autre volonté que celle de son Dieu, ou, pour me mieux expliquer, pour avoir la volonté de son Dieu en propre et libre usage. Cependant dans le commencement que l’on est honoré d’un si grand bien, comme il paraît quelque chose de bien différent de la souplesse à une volonté [250] supérieure à laquelle l’âme s’était toujours laissé conduire très sûrement, quoique aveuglément en apparence ; et que maintenant il ne paraît plus qu’une volonté seule et unique qui ne se peut distinguer, et qui semble être la volonté propre de l’âme, on a peine à se laisser transformer au point qu’il le faut.

Mais pourquoi, me direz-vous, me parler de cela, puisque ce n’est pas mon état présent ? Je n’en sais rien ; Dieu le sait. Tout ce que j’en comprends est que c’est ce qui arrivera chez vous, et même plus tôt qu’à bien d’autres ; et cette volonté vous étant donnée en libre et pur usage semblera déranger un peu les choses, quoi qu’elle les établisse admirablement et d’une manière inconnue.

Il y a de plus ce qui nourrit et réveille la volonté : car il y a de la différence entre la souplesse et la nourriture. On dilate une chose pour lui donner une étendue proportionnée à ce qu’on lui veut faire contenir ; mais comme une étendue trop forte romprait tout, on nourrit les endroits qui paraissent plus faibles et en les nourrissant on les fortifie.

Dieu fait ces deux sortes d’opérations dans la volonté de l’homme : il la rend souple et pliable pour l’élargir selon la mesure du don qu’Il lui veut faire de Lui-même. Mais il y a la nourriture de cette volonté, qui est une onction savoureuse, délicate et souvent insensible, qui la fixe dans son souverain objet et la rend plus propre à être étendue selon les desseins de Dieu. C’est à cette sorte d’opération qu’il faut être fidèle autant qu’à l’autre et ne pas vouloir s’en dénuer par une mort qui, quoique très parfaite en apparence, serait nuisible à l’âme et la dessécherait à un point qu’elle ne serait pas assez propre pour les desseins de Dieu ; comme on voit qu’une peau desséchée se déchire plutôt que de s’étendre. [251]

C’est l’onction toute sainte et divine qui donne à cette âme la souplesse pour être étendue, de même que l’on huile la peau que l’on veut étendre : aussi est-il écrit, parlant de Jésus-Christ, qu’il a été consacré par l’onction de la Divinité985. Et pourquoi ? C’est qu’il était écrit à la tête du livre de sa naissance temporelle, qu’il ferait votre volonté, O mon Dieu986. Puis il dit Me voici : ce qui marque ce fameux consentement et cette disposition à toute chose. Et pour nous faire comprendre l’unité de cette volonté, Jésus-Christ dit ailleurs mon Père et moi ne sommes qu’un987.

Laissez-vous donc consacrer par l’onction de la grâce. Tout ce qui aura de l’onction vous conviendra toujours. Je n’entends jamais que vous vous donniez de la vivacité extérieure, mais aussi ne vous faites pas une vertu de réserve. Que la simplicité vous conduise en toutes choses. Vous avez besoin d’être réveillé quelquefois ; égayez vos sens et laissez-vous comme un enfant. Enfin ne travaillez point à vous éteindre ; ce n’est pas ce qu’il vous faut. Ne raisonnez jamais des autres comme de vous, ni de vous comme des autres ; cela étant très différent.

Il y a cette différence entre le voir et le goûter : que le premier ne doit jamais être réveillé ; mais le second doit être nourri par tout ce qui peut lui servir d’aliment. Lorsque je parle de goûter, je n’entends pas le sensible ; mais le plus spirituel et délicat. [252]

*2.46 Si on peut être dispensé de faire la volonté de Dieu.

Puisque vous voulez que je vous réponde sur ce que vous me demandez de la volonté de Dieu, je vous dirai qu’il n’y a point de loi pour le juste988, parce que toute sa justice consiste dans l’exécution de la volonté de Dieu, qui est au-dessus de toutes lois, vu que celui qui a fait la loi n’est point soumis à la loi et en peut dispenser qui il lui plaît. Dieu nous a donné la Loi comme des moyens d’arriver à Lui : mais lorsque l’âme est arrivée à Dieu, elle quitte ces moyens, comme tous [les] autres, pour suivre infailliblement la volonté de Dieu.

Lorsqu’on parle ici de loi, on n’entend point la loi morale, nommée le Décalogue ou les dix Commandements de Dieu, mais les lois ou cérémonies qui sont utiles et nécessaires pour [253] nous conduire à Jésus-Christ, mais qui sont inutiles lors qu’on est arrivé à lui, comme le chemin est rendu inutile lors qu’on est arrivé au lieu où l’on voulait aller.

Ceci supposé, je dis qu’il y a deux volontés en Dieu, sa volonté essentielle et non manifestée et sa volonté déclarée. Pour sa volonté déclarée, tous la doivent suivre et nul ne s’en peut dispenser, si ce n’est pour suivre la volonté essentielle, qui n’est pas pour tous et ne peut être connue de tous, mais pour les personnes à qui elle est manifestée infailliblement : elles la suivent préférablement à la déclarée. Je dis infailliblement parce que les personnes dont je parlerai à la suite, la suivent nécessairement et infailliblement. Je dis donc que tant que l’âme peut et veut, elle doit suivre à l’aveugle la Loi écrite. Et si elle y contrevenait en la moindre chose, elle pécherait plus ou moins selon que la contravention serait notable, parce que l’âme pouvant se conduire elle-même, se possédant, elle doit se conduire selon le chemin qui lui est montré. Par exemple un père fait un commandement à son Fils de suivre le chemin qu’il lui trace pour le venir trouver, mais lorsqu’il a atteint le lieu désiré, il n’est plus nécessaire de suivre ce chemin ; que si son père le portait sur ses bras pour le faire marcher par un autre chemin, ne serait-il pas ridicule de dire qu’il veut aller par son premier chemin ? Et même il ne le pourrait, son père le portant. Ainsi ces âmes, tant qu’elles sont en elles-mêmes, qu’elles se possèdent et qu’elles peuvent suivre des règles, elles suivent la règle infaillible pour tous. Mais lorsque ces âmes, à force d’avoir suivi ce sentier dans toute la perfection des conseils évangéliques, [254] sont arrivées à leur Législateur, Il peut les en dispenser. Mais pour être dispensé de ces lois, il faut que l’âme soit si passive et si dépendante de l’Esprit de Dieu qu’elle ne puisse plus se gouverner soi-même.

Dieu en dispense en deux manières : l’une est lorsque Dieu veut perdre et faire mourir l’âme989 et l’autre lorsque l’âme est morte et ressuscitée.

Lorsque Dieu veut faire mourir l’âme, il faut nécessairement qu’Il la prive des lois qui entretiennent sa vie propre, comme Il prive un moribond de l’usage de tout ce qui entretient la vie naturelle. Alors l’âme perd ces moyens ou lois comme malgré elle, sans pouvoir faire autrement parce qu’elle ne peut plus en faire usage ; et c’est alors une dispense et un violemment nécessaire et non volontaire. Pour perdre une personne, il faut l’égarer du chemin battu et usité, car si elle le suivait toujours, elle ne se perdrait jamais. Ainsi Dieu ôte toute voie et tout sentier à cette âme qu’il veut perdre. Mais tout cela se fait avec douleur et peine, comme si une personne - qui voit bien qu’elle a perdu le vrai chemin qu’elle tenait - faisait ses efforts pour le retrouver mais qui, plus elle marcherait, plus elle s’en éloignerait.

Tout cela n’est point en la volonté de l’âme, ni du moribond ni de l’égaré, car cela se fait malgré eux ; et si leur volonté y entre, c’est une volonté de soumission et d’acquiescement ou une volonté de désespoir. Une personne qui voit qu’elle doit mourir nécessairement, ou elle y acquiesce par soumission, ou elle s’y résigne, ou elle se désespère, et voyant qu’elle ne peut l’empêcher, [255] elle ne songe plus à s’en défendre. C’est donc une nécessité de la part de cette créature et non une volonté, et s’il en paraît, c’est une volonté de nécessité et non une volonté de liberté. Si je me livre à la mort comme Jésus-Christ, dont il est dit qu’il a souffert parce qu’il l’a voulu990, alors c’est une mort volontaire. Mais si on m’y livre, c’est une mort nécessaire de ma part et une volonté infaillible de la part de Dieu et je ne puis douter qu’elle ne soit telle. Je voudrais de tout mon cœur pratiquer la Loi commune, tant qu’il me reste la moindre vie. Mais Dieu m’arrache malgré moi, et d’autorité, à cette Loi, m’ôtant tous les moyens de la pratiquer : je ne dois plus hésiter ni douter si c’est la volonté de Dieu, quoiqu’elle soit opposée à la volonté déclarée, parce que je ne suis plus libre de choisir.

Ceci n’est point opposé à la vérité de notre liberté puisque alors l’homme n’agit nécessairement que pour s’être donné librement. Lorsque l’homme est en pleine liberté et possession de soi, il se donne à Dieu sans réserve, il fait souvent son exercice de cette donation. Dieu la reçoit. Après s’être donné et que Dieu l’a reçu, il s’abandonne et se délaisse sans songer à se reprendre ; alors Dieu en use comme d’une chose sienne. Vous êtes maître de vous avant cette donation ; mais après la donation, Dieu s’empare et conduit l’âme selon sa volonté cachée et non déclarée. Il lui fait faire de son autorité ce qu’il lui plaît. Un homme possédé du Démon fait malgré lui tout ce que le Démon veut, quoiqu’il s’y soit donné librement et qu’il ne laisse pas d’être toujours homme quant à sa nature très libre, bien qu’il ne soit [256] plus libre quant à son engagement : il en est de même à l’égard de Dieu et la possession de Dieu est bien plus entière et absolue sans comparaison. Saint Paul éprouvait cet état mourant lorsqu’il dit : Je me plais dans la loi selon l’homme intérieur : je ne fais pas le bien que je veux, mais le mal que je hais991. Il y a un autre passage : nous sommes conduits, dit-il, par la loi comme par un précepteur, pour arriver à Jésus-Christ ; mais lorsque nous y sommes arrivés, nous n’avons plus besoin de ce précepteur992. Je ne vois pas un endroit dans la vie mystique qui ne soit déclaré par saint Paul plus clair que le jour.

L’autre temps où nous ne pouvons plus observer la Loi, c’est après la résurrection. Un mort est privé de tout ce qui entretient la vie ; mais un ressuscité vit sans aucun moyen d’entretenir la vie, et c’est celui-là qui fait nécessairement la volonté de Dieu et infailliblement. L’homme ressuscité n’aura plus de liberté ni pour faire le bien ni pour faire le mal ; mais sa captivité sera mille fois plus libre que notre liberté, qui conduit à la mort. Or comme par la mort mystique l’âme est entièrement tirée hors d’elle-même, aussi par la résurrection elle est perdue en Dieu, qui la reçoit dans son sein et la transforme en lui. Tout le soin de cette âme, lorsqu’elle était libre, était de conformer sa volonté à celle de Dieu ; mais ensuite Dieu a pris lui-même sa volonté et se l’est rendue uniforme, ce qui s’est fait dans la mort, où l’âme faisait infailliblement la volonté de Dieu, parce qu’elle y était unie.

Cela est si vrai, que sitôt que l’âme est morte [257] mystiquement et même lorsqu’elle approche de la mort, elle ne trouve de volonté pour quoi que ce soit. Et lorsqu’on lui parle de volonté, elle ne sait ce que c’est. Et plus elle en cherche, moins elle en trouve, et cette volonté lui est si fort arrachée jusque dans la racine qu’elle ne trouve après la mort de penchants, désirs, inclinations, quelles qu’elles soient, pour quoi que ce soit ; et si l’on mettait cette âme en pièces, on ne lui trouverait ni penchant, ni résistance. Cela est la plus grande marque de son union à la volonté Divine. Mais lorsqu’elle est ressuscitée, sa volonté se change et se transforme en celle de Dieu ; en sorte que cette perte de volonté ne s’est faite que pour mettre la volonté de Dieu en la place. Si bien qu’il est entièrement impossible que cette âme, après cette perte réelle de volonté, puisse avoir autre chose que la volonté essentielle, qui est en elle, ou plutôt qui demeure en Dieu où elle est perdue.

Cette âme ne pouvant vouloir chose aucune, quelle qu’elle soit, par sa volonté qui a été anéantie, absorbée et dévorée par la volonté de Dieu, il faut nécessairement qu’elle fasse la volonté de Dieu aussi infailliblement que tout ce qui est écrit. De plus, son état de résurrection la met au-dessus de toutes lois comme les ressuscités, et cette âme fait la volonté de Dieu comme les bienheureux la font dans le ciel - non selon la lettre de la Loi mais en Dieu même où ils la découvrent très infailliblement. Ces âmes ne sont pas libres de faire ou de ne pas faire : elles sont prêtes à tout faire et à ne rien faire, parce que Celui qui les gouverne et à qui elles se sont abandonnées, leur fait faire sans résistance tout ce qu’Il lui plaît ; de sorte [258] qu’il est aisé de voir comme elles font nécessairement la volonté de Dieu.

C’est ce qui fait le repos parfait de ces âmes dans tout ce qui leur arrive de plus étrange, parce qu’elles sont si bien ordonnées dans cette Divine volonté, comme tout ce qui fait le malheur des damnés est d’être sortis de l’ordre de cette volonté divine. Ainsi le repos parfait de ces âmes abandonnées est la marque la plus infaillible qu’elles sont dans la volonté de Dieu ; aussi ne vivent-elles que de la vie de Dieu : elles ne sont plus993 et Dieu est. Le néant fait très nécessairement et infailliblement la volonté de Dieu. Ces âmes peuvent-elles vouloir ou résister à quelque chose ? Ont-elles peine, doute ou hésitation, scrupule, repentir, désir, tendance ? Non ; tout cela est l’apanage de la volonté propre qui est entièrement bannie de cet état.

Il est donc infaillible que ces âmes font la volonté de Dieu dans ces états puisque c’est la volonté de Dieu qui les anime et qu’elles sont comme une feuille qui se laisse conduire sans résistance. Et comme Dieu remplit nécessairement tout vide (ce qu’Il fit en Marie remplissant son néant si profond d’une manière si éminente), Il remplit ce vide de volonté de sa volonté. Et ces âmes iraient plus volontiers avec les Démons que de faire un acte de volonté propre : ce qu’elles ne peuvent, étant si perdues en Dieu qu’elles ne peuvent Le distinguer d’elles, ni Le voir et se retourner vers Lui, ni se voir elles-mêmes pour peu que ce soit. Et comme une goutte d’eau dans la mer devient mer, ces âmes sont devenues volonté de Dieu. [259]

2.47. Raretés de la connaissance et de l'amour de Dieu.

§ I.

Il ne faut point s'étonner que les hommes fassent si peu pour Dieu, et que le peu qu'ils font pour lui leur coûte tant : ils ne le connaissent point ; À peine croient-ils qu'il est. La croyance qu'ils en ont, est plutôt une déférence aveugle à l'autorité d'un sentiment public, qu'une conviction vive et distincte de la divinité. On la suppose parce qu'on n'oserait l'examiner, et parce qu'on est là-dessus dans une distraction d'indifférence, qui vient de ce qu'on est entrainé par les passions vers d'autres objets. On ne [260] connaît Dieu que comme je ne sais quoi de merveilleux, d'obscur, et éloigné de nous. On le regarde comme un être puissant et sévère, qui demande beaucoup de nous, qui gêne nos inclinations, qui nous menace de grands maux, et contre le jugement terrible duquel il faut se précautionner. Voilà ce que pensent ceux qui font des réflexions sérieuses sur la religion, encore sont-ils en bien petit nombre. On dit d’une telle personne, que c'est une personne qui craint Dieu : en effet, elle ne sait que la crainte, sans l'aimer ; comme des enfants craignent le maître qui donne le fouet, comme un mauvais valet craint les coups de celui qu'il sert par crainte et sans se soucier de ses intérêts. Voudrait-on être traité par un fils, ou même par un domestique, comme on traite Dieu ? C'est qu'on ne le connaît pas ; car si on le connaissait, on l'aimerait. Dieu est amour, comme dit saint Jean994 : Celui qui ne l'aime point, ne le connaît point ; car comment connaître l'amour sans l'aimer ? Il faut donc conclure, que tous ces gens qui ne font encore que craindre Dieu, ne le connaissent pas.

Mais qui est-ce, ô mon Dieu, qui vous connaîtra ? Celui qui ne connaîtra plus que vous, qui ne se connaîtra plus lui-même, et à qui tout ce qui est point vous, sera comme s'il n’était pas. Le monde serait surpris d'entendre parler ainsi ; parce que le monde est plein de lui-même, de la vanité, du mensonge, et vide de Dieu ; mais j'espère qu'il y aura toujours des saints qui ont faim de Dieu, et qui vous trouverez vérité que je vais dire. [261]

Ô mon Dieu, avant que vous fissiez le ciel et la terre il n'y avait que vous. Vous étiez ; car vous n’avez jamais commencé à être ; mais vous étiez seul ; hors de vous il n'y avait rien. Vous jouissiez de vous-même dans cette solitude bienheureuse ; vous vous suffisiez à vous-même, et vous n’aviez besoin de trouver rien hors de vous puisque c'est vous qui, bien loin de recevoir, donnez à tout ce qui n'est pas vous-même ; et cela par votre parole toute puissante, c'est-à-dire par votre simple volonté, à qui rien ne coûte, et qui fait tout ce qu'elle veut par son pur vouloir, sans succession de temps et sans aucun travail. Vous fîtes que ce monde, qui n'était pas, commença à être. C'est sur le néant que vous travaillâtes. Vous dites, que le monde soit, et il fut. Vous n’eûtes995 qu’à dire, et tout fut fait.

Mais pourquoi fites-vous toutes ces choses ? Elles furent toutes faites pour l'homme, et l'homme fut fait pour vous. Voilà l’ordre que vous établites. Malheur à l’âme qui le renverse, qui veut que tout soit pour elle, et qui se renferme en soi ! C'est violer la loi fondamentale de la Création. Non, mon Dieu, vous ne pouvez céder vos droits essentiels de Créateur : ce serait vous dégrader vous-même. Vous pouvez pardonner à l’âme coupable qui vous a outragé, parce que vous pouvez la remplir de votre pur amour ; mais vous ne pouvez cesser d’être contraire à l’âme qui rapporte vos dons à elle-même, et qui refuse de se rapporter elle-même par un sincère et désintéressé amour à son Créateur996. Ne faire que vous craindre, ce n'est pas se rapporter à vous : c'est au contraire ne [262] penser à vous que par rapport à soi. Vous aimer dans la seule vue de jouir des avantages qu’on trouve en vous, c’est vous rapporter à soi, au lieu de se rapporter à vous. Que faut-il donc pour se rapporter entièrement au Créateur ? Il faut se renoncer, s’oublier, se perdre, entrer dans vos intérêts, ô mon Dieu, contre les siens propres ; n’avoir plus ni volonté, ni gloire, ni paix que la vôtre ; en un mot c’est vous aimer sans s’aimer soi-même.

O combien d’âmes qui sortant de cette vie chargées de vertus et de bonnes œuvres, n’auront point cette pureté entière sans laquelle on ne peut voir Dieu, et qui faute d’être trouvées dans ce rapport simple et total de la créature à son Créateur, auront besoin d’être purifiées par ce feu jaloux, qui dans l’autre vie ne laisse à l’âme rien de ce qui l’attache à elle-même ! Elle n’entrerons en Dieu, ces âmes, qu'après être pleinement sorties d'elles-mêmes. Dans cette épreuve d’une inexorable justice, tout ce qui est encore à soi est du domaine du purgatoire. Hélas, combien d'âmes qui se reposent sur leurs vertus, ne veulent point entendre le renoncement sans réserve, cette parole si dure et qui les scandalise ? Mais qu'il leur en coûtera pour l'avoir négligée ! Elles payeront au centuple les retours sur elles-mêmes, et les vaines consolations dont elles n’auront pas eu le courage de se déprendre.

Revenons. Tel est donc la grandeur de Dieu, qu'il ne peut rien faire que pour lui-même et pour sa propre gloire. C'est cette gloire incommunicable dont il est nécessairement jaloux, et qu'il ne peut donner à personne, comme il le dit997 lui-même. Au contraire, telle [263] est la bassesse et la dépendance de la créature, qu'elle ne peut sans s'ériger en fausse divinité, et sans violer la Loi immuable de sa création998 rien faire, rien dire, rien penser, rien vouloir pour elle-même, et pour sa propre gloire. O néant, tu veux te glorifier ! Tu n’es qu'à condition de n'être jamais rien tes propres yeux. Tu n’es que pour celui qui te fait être999. Il se doit tout à lui-même ; tu te dois tout à lui ; il ne peut t’en rien relâcher. Tout ce qu'il te laisserait à toi même, serai hors des règles inviolables de sa sagesse et de sa bonté. Un seul instant, un seul soupir de ta vie donné à ton intérêt propre, blesserait essentiellement la fin du Créateur dans la création. Il n'a besoin de rien ; mais il veut tout, parce que tout lui est dû, et que tout n’est pas trop pour lui. Il n’a besoin de rien, tant il est grand ; mais cette même grandeur fait qu'il ne peut rien produire hors de lui qui ne soit tout pour lui-même. C'est son bon plaisir qu'il veut dans sa créature. Il a fait pour moi le ciel et la terre ; mais il ne peut souffrir que je fasse volontairement et par choix un seul pas pour autre fin que celle d'accomplir sa volonté. Avant qu'il eût produit des créatures, il n’y avait point d'autre volonté que la sienne ; croirons-nous qu'il ait créé des créatures raisonnables pour vouloir autrement que lui ? Non, non. C'est la raison souveraine qui doit les éclairer et être leur raison ; c'est sa volonté, règle de tout bien, qui doit vouloir en nous. Toutes les volontés n’en doivent faire qu'une seule avec la sienne : c'est pourquoi nous lui disons : Que votre règne vienne ; que votre volonté se fasse.

Pour mieux comprendre tout ceci, il faut se [264] représenter que Dieu, qui nous a fait de rien, nous refait encore (pour ainsi dire) à chaque instant. De ce que nous étions hier, il ne s'ensuit pas que nous devions être encore aujourd'hui. Nous pourrions cesser d'être, et nous retomberions effectivement dans le néant d’où nous sommes sortis, si la même main toute puissante qui nous en a tirés, ne nous empêchait d'y être replongés. Nous ne sommes que ce que Dieu nous fait être, et seulement pour le temps qu'il lui plaît1000. Il n'a qu'à retirer sa main qui nous porte, pour nous renfoncer dans l'abîme de notre néant, comme une pierre qu’on tient en l'air tombe de son propre poids dès qu’on ne la tient plus. Nous n'avons donc l’être et la vie que par le don de Dieu. De plus, il y a d'autres biens qui étant d'un ordre encore plus pur et plus élevé, viennent encore plus de lui. La bonne vie vaut encore mieux que la vie ; la vertu est d’un plus grand prix que la santé ; la droiture de cœur et l'amour de Dieu sont plus au-dessus des dons temporels, que le ciel ne l'est au-dessus de la terre. Si donc nous sommes incapables de posséder un seul moment ces dons vils et grossiers sans le secours de Dieu, à combien plus forte raison faut-il qu'il nous donne ces autres dons sublimes de son amour, du détachement de nous-mêmes, et de toutes les vertus ?

C'est donc, ô mon Dieu, ne vous point connaître que de vous regarder hors de nous, comme un être tout-puissant qui donne des lois à toute la nature, et qui a fait tout ce que nous voyons. C'est ne connaître encore qu'une partie de ce que vous êtes ; c'est ignorer ce qu'il y a de plus merveilleux et de plus touchant pour vos créatures raisonnables. Ce qui m'enlève et qui [265] m'attendrit, c'est que vous êtes le Dieu de mon cœur ; vous y fait tout ce qu'il vous plaît. Quand je suis bonne, c'est vous qui me rendez telle. Non seulement vous tournez mon cœur comme il vous plaît, mais encore vous me donnez un cœur selon le vôtre. C'est vous qui vous aimez vous-même en moi ; c'est vous qui animez mon âme comme mon âme anime mon corps. Vous m'êtes plus présent et plus intime que je ne le suis à moi-même. Ce moi, auquel je suis si sensible, que j'ai tant aimé, me doit être étranger en comparaison de vous. C'est vous qui me l'avez donné ; sans vous il ne serait rien ; voilà pourquoi vous voulez que je vous aime plus que lui. O puissance incompréhensible de mon Créateur ! O droit du Créateur sur sa créature, que jamais la créature ne comprendra assez ! O prodige de l'amour, que Dieu seul peut faire ! Dieu se met, pour ainsi dire, entre moi et moi, il me sépare d'avec moi-même, il veut être plus près de moi par le pur amour que je ne le suis de moi-même ; il veut que je regarde ce moi comme je regarderais un être étranger, que je sorte des bandes étroites de ce moi, que je le sacrifie sans retour, et que je le rapporte tout entier et sans condition au Créateur de qui je le tiens. Ce que je suis me doit être moins cher que celui par qui je suis. Il m'a fait pour lui, et non pour moi-même ; c'est-à-dire pour l'aimer, pour vouloir ce qu'il veut, et non pour m'aimer en cherchant ma propre volonté. Si quelqu'un sent son cœur révolté contre ce sacrifice entier de soi à celui qui nous a créé, je déplore son aveuglement, j'ai compassion de le voir esclave de lui-même, et je prie Dieu de l'en délivrer en lui enseignant à aimer sans intérêt [266] propre. Ô mon Dieu, je vois dans ces personnes scandalisées de votre pur amour, les ténèbres et la rébellion causée par le péché originel ! Vous n'aviez point fait le cœur de l'homme avec cette pente de propriété si monstrueuse. Cette rectitude, où l'Ecriture nous apprend que vous l'aviez créé, ne consistait qu'à n’être point à soi, mais à celui qui nous a fait pour lui. O Père, vos enfants sont défigurés. Ils ne vous ressemblent plus ; ils s'irritent, ils se découragent, quand on leur parle d’être à vous comme vous êtes à vous-même. En renversant cet ordre si juste, ils veulent follement s'ériger en divinités. Ils veulent être à eux-mêmes, faire tout pour eux, ou du moins, ne se donner à vous qu'avec des réserves, à certaines conditions et pour leur propre intérêt. O monstrueuse propriété ! O droits de Dieu inconnus ! Ô ingratitude et insolence de la créature ! Misérable néant, qu'as-tu à garder pour toi, qu’as-tu qui t’appartienne, qu'as-tu qui ne vienne d'en haut et qui ne doive y retourner ? Tout, jusqu'à ce moi si injuste qui veut partager avec Dieu ses dons, et un don de Dieu qui n’est fait que pour lui ; tout ce qui est en toi crie contre toi pour le Créateur. Tais-toi donc, créature, qui te dérobe à ton Créateur, et rends-toi à lui !

Mais hélas, ô mon Dieu, quelle consolation de penser que tout est votre ouvrage, autant au-dedans de moi-même qu'au-dehors ! Vous êtes toujours avec moi. Quand je fais mal, c'est au-dedans de moi, me reprochant le mal que je fais, aspirant le regret du bien que j'abandonne, et me montrant une miséricorde qui vous tend les bras. Quand je fais bien, c'est vous qui m’en inspirez le désir, qui le faites en moi : c'est [267] vous qui aimez le bien, qui haïssez le mal dans mon cœur, qui souffrez, qui priez, qui édifiez le prochain, qui faites l'aumône. Je fais toutes ces choses ; mais c'est par vous. Vous me les faites faire, vous les mettez en moi ; ces bonnes œuvres, qui sont vos dons, deviennent mes œuvres ; mais elles sont toujours vos dons, et elles cessent d'être bonnes œuvres dès que je les regarde comme miennes, et que votre don, qui en fait le prix, échappe à ma vue.

Vous êtes donc, et je suis ravi de le pouvoir penser, opérant sans cesse au fond de moi-même : vous travaillez invisiblement, comme un ouvrier qui travaille aux mines dans les entrailles de la terre ; vous faites tout, et le monde ne vous vois pas ; il ne vous attribue rien ; moi-même je m'égarais, en cherchant par des vains efforts bien loin de moi. Je rassemblais dans mon esprit toutes les merveilles de la nature pour me former quelque image de votre grandeur. J'allais vous demander à toutes vos créatures ; et je ne songeais pas à vous trouver au fond de mon cœur, où vous ne cessez d'être. Non, mon Dieu ; il ne faut point creuser jusqu'au centre de la terre ; il ne faut point passer au-delà des mers ; il ne faut point voler jusque dans les cieux, comme disent1001 vos saints Oracles, pour vous trouver. Vous êtes plus près de nous que nous-mêmes. O Dieu si grand, et si familier tout ensemble ; si élevé au-dessus des cieux, et si proportionné à la bassesse de la créature ; si immense, et si intimement renfermé dans le fond de mon cœur ; si jaloux, et si facile pour ceux qui vous traitent avec la familiarité [268] du pur amour ! Quand est-ce que vos propres enfants cesseront de vous ignorer ? Qui me donnera une foi assez forte pour reprocher au monde entier son aveuglement, et pour lui annoncer avec autorité tout ce que vous êtes ? Quand on dit aux hommes de vous chercher dans leur propre cœur, c'est leur proposer de vous aller chercher plus loin que les terres les plus inconnues. Qu'y a-t-il de plus éloigné et de plus inconnu pour la plupart des hommes vains et dissipés que le fond de leur propre cœur ? Savent-ils ce que c'est que de rentrer jamais en eux-mêmes ? En ont-ils jamais tenté le chemin ? Peuvent-ils même s'imaginer ce que c'est que ce sanctuaire intérieur, ce fond impénétrable de l’âme, où vous voulez être adoré en esprit et en vérité ? Ils sont toujours hors d'eux-mêmes, dans les objets de leur ambition de leur amusement. Hélas ! Comment entendraient-ils les vérités célestes, puisque les vérités mêmes terrestres, comme dit1002 Jésus-Christ, ne peuvent se faire sentir à eux ? Ils ne peuvent concevoir ce que c'est que de rentrer en soi par de sérieuses réflexions ; que diraient-ils si on leur proposait d'en sortir pour se perdre en Dieu ? Pour moi, ô mon Créateur, les yeux fermés à tous les objets extérieurs1003, qui ne sont que vanités et qu'affliction d'esprit, je veux trouver dans le plus secret de mon cœur une intime familiarité avec vous par Jésus-Christ votre Fils, qui est votre sagesse et votre raison éternelle, devenue enfant, pour rabaisser par son enfance que par cette folie de la croix notre vain effort de sagesse. C'est là que je veux, quoi qu'il m'en coûte, malgré mes prévoyances et mes réflexions, [269] devenir petite, insensée, encore plus méprisable à mes propres yeux qu'à ceux de tous les faux sages. C'est là que je veux m'enivrer du Saint Esprit1004 comme les apôtres, et consentir comme eux à être le jouet du monde. Mais qui suis-je pour penser à ces choses ? Ce n'est plus moi, vile et fragile créature, âme de boue et de péché ; c'est vous, ô Jésus, vérité de Dieu, qui les pensez en moi, et qui les accomplirez pour faire mieux triompher votre grâce par un plus indigne instrument.

Ô Dieu ! on ne vous connaît point ; on ne sait qui vous êtes1005 : la lumière luit au milieu des ténèbres, et les ténèbres ne peuvent la comprendre. C'est1006 par vous qu'on vit, qu'on respire, qu'on pense, qu'on goûte les plaisirs ; et on oublie celui par qui l'on fait toutes choses ! On ne voit rien que par vous, lumière universelle, soleil des âmes, qui luisez encore plus clairement que celui des corps ; et ne voyant rien que par vous, on ne vous voit point ! C'est vous qui donnez tout, aux astres leur lumière, aux fontaines leurs eaux et leur cours, à la terre ses plantes, aux fruits leur saveur, aux fleurs leur éclat et leur parfum, à toute la nature sa richesse et sa beauté, où nous sommes la santé, la raison, la vertu. Vous donnez tout, vous faites tout, vous réglez tout ; je ne vois que vous, tout le reste disparaît comme une ombre aux yeux de celui qui vous a vu une fois ; et cependant le monde ne vous voit point ! Mais hélas ! celui qui ne vous voit point, n'a jamais rien vu, et a passé sa vie dans l'illusion d'un songe. Il est comme s'il n’était pas ; plus malheureux encore : car il eût mieux valu pour lui (comme je l'apprends [270] de votre parole) qu'il ne fût jamais né.

Pour moi, mon Dieu, je vous trouve partout au-dedans moi-même. C'est vous qui faites tout ce que je fais de bon. J'ai senti mille fois que je ne pouvais par moi-même ni vaincre mon humeur, ni détruire mes habitudes, ni modérer mon orgueil, ni suivre ma raison, ni continuer de vouloir le bien que j'avais une fois voulu. C'est vous qui donnez cette volonté ; c'est vous qui la conservez pure ; sans vous je ne suis qu'un roseau agité par le moindre vent. Vous m'avez donné le courage, la droiture, et tous les bons sentiments que j'avais. Vous m'avez formé un cœur nouveau, qui désire votre justice, et qui est altéré de votre vérité éternelle. En me le donnant, vous avez arraché ce cœur du vieil homme, pétri de boue et de corruption, jaloux, vain, ambitieux, inquiet, injuste, ardent pour les plaisirs. Quelque misère qu'il reste, hélas, aurais-je pu jamais espérer de me tourner ainsi vers vous, et de secouer le joug de mes passions tyranniques ? Mais voici la merveille qui efface tout le reste ; quel autre que vous pouvait m'arracher à moi-même, tourner toute ma haine et tout mon mépris contre moi ? Qui a fait cet ouvrage ? Car ce n'est point par soi-même qu'on sort de soi.

Il a donc fallu un soutien étranger sur lequel je puisse m’appuyer hors de mon propre cœur pour en condamner la misère. Il fallait que ce secours fut étranger ; car je ne pouvais le trouver en moi, moi qu'il fallait combattre ; mais il fallait aussi qu'il fut intime pour arracher le moi des derniers replis de mon cœur. C'est vous, Seigneur, qui portant votre lumière dans ce fond de mon âme, impénétrable à tout autre, m’y avez montré toute ma [271] laideur. Et je sais bien qu'en la voyant je n'ai pas changé, et que je suis encore difforme à vos yeux. Je sais bien que les miens n’ont pu découvrir toute ma difformité ; mais du moins j'en vois une partie, et je voudrais découvrir le tout. Je me vois horrible, et je suis en paix ; car je ne veux ni flatter mes vices, ni que mes vices me découragent. Je les vois donc, et je porte cet opprobre sans me troubler. Je suis pour vous contre moi, ô mon Dieu ! Il n'y a que vous qui ayez pu me diviser ainsi d'avec moi-même.

Voilà ce que vous avez fait au-dedans, et vous continuez chaque jour de le faire pour m'ôter tous les restes de la vie maligne d'Adam, et pour achever la formation de l'homme nouveau. C'est cette seconde création de l'homme intérieur1007 qui se renouvelle de jour en jour. Je le laisse, ô mon Dieu, dans vos mains. Tournez, retournez cette boue, donnez-lui forme, brisez-là ensuite : elle est à vous, elle n'a rien à dire ; il me suffit qu'elle serve à tous vos desseins, et que rien ne résiste à votre bon plaisir pour lequel je suis faite. Demandez, ordonnez, défendez ; que voulez-vous que je fasse ? Que voulez-vous que je ne fasse pas. Élevée, abaissée, consolée, souffrante, appliquée à vos œuvres, inutile à tout, je vous adorerai toujours également en sacrifiant toute volonté propre à la vôtre. Il ne me reste qu'à dire en tout comme Marie1008 : Qu'il me soit fait selon votre parole !

§II.

[272] Mais pendant que vous faites tout ainsi au-dedans, vous n'agissez pas moins au dehors. je découvre partout, jusques dans les moindres atomes cette grande main qui porte le ciel et la terre, et qui semble se jouer en conduisant tout l'univers. L'unique chose qui m'a embarrassée, est de comprendre comment vous laissez tant de maux mêlés avec les biens. Vous ne pouvez faire le mal : tout ce que vous faites est bon: d'où vient donc que la face de la terre est couverte de crimes et de misère ? Il semble que le mal prévale partout sur le bien. Vous n'avez fait le monde que pour votre gloire ; et on est tenté de croire qu'il se tourne à votre déshonneur ! Le nombre des méchants surpasse infiniment celui des bons, au-dedans même de votre Eglise. Toute chair a corrompu sa voie ; les bons mêmes ne sont bons qu’à demi, et me font presque autant gémir que les autres. Tout souffre et tout est dans un état violent. La misère égale la corruption. Que tardez-vous, Seigneur, à séparer les biens d'avec les maux ? Hâtez-vous ; donnez gloire à votre Nom ; apprenez à ceux qui le blasphèment, combien il est grand. Vous devez à vous-même de rappeler toutes choses à l'ordre. J'entends l’impie qui dit sourdement1009, [273] que vous avez les yeux fermés à tout ce qui se passe ici-bas. Élevez-vous, élevez-vous, Seigneur, et foulez aux pieds tous vos ennemis.

Mais mon Dieu, que vos jugements sont profonds ! Vos voies1010 sont plus élevées au-dessus des nôtres que les cieux sont au-dessus de la terre. Nous sommes impatients, parce que notre vie entière n’est que comme un moment : au contraire, votre longue patience est fondée sur votre éternité, devant qui1011 mille ans ne sont que comme le jour d'hier déjà écoulé. Vous tenez1012 les moments en votre puissance, et les hommes ne les connaissent pas. Ils s'impatientent, ils se scandalisent, ils vous regardent comme si vous succombiez sous l'effort de l'iniquité. Mais vous riez de leur aveuglement et de leur faux zèle.

Vous me fait entendre qu'il y a deux genres de maux. Les uns, que les hommes ont fait contre vous et sans vous par le mauvais usage de leur liberté ; les autres, que1013 vous avez fait, et qui sont des biens véritables, si on les considère par rapport à la punition et à la correction des méchants à laquelle vous les destinez. Le péché est un mal qui vient de l'homme. La mort, les maladies, les douleurs, la honte, et toutes les autres misères, sont des maux que vous tournez en biens, les faisant servir à la réparation du péché.

Pour le péché, Seigneur, vous le souffrez, pour laisser l'homme libre1014 en la main de son conseil, selon le terme de vos Ecritures. Mais sans être auteur du péché, quelles merveilles n'en faites- [274] -vous pas pour manifester votre gloire ? Vous servez des méchants pour corriger les bons. Vous vous servez encore des méchants contre eux-mêmes, en les punissant les uns par les autres : mais, (ce qui est touchant et aimable,) vous faites servir l’injustice et la persécution des uns à convertir les autres. Combien y a-t-il de personnes qui vivaient dans l'oubli de vos grâces et dans le mépris de votre loi, que vous avez ramené à vous, en les détachant du monde par les injustices qu’elles y ont souffertes ?

Mais j'aperçois, ô mon Dieu, une autre merveille : c'est que vous souffrez un mélange de bien et de mal jusque dans le cœur de ceux qui sont le plus à vous ; et ces imperfections, qui reste dans ces bonnes âmes, servent à les humilier, à les détacher d'elles-mêmes, à leur faire sentir leur impuissance, à les faire recourir plus ardemment à vous, et à leur faire comprendre que l'oraison est la source de toute véritable vertu.

Ô quelle abondance de bien vous tirez des maux que vous avez permis. Vous ne souffrez donc des maux que pour en tirer de plus grands biens, et pour faire éclater votre bonté toute-puissante, par l'art avec lequel vous usez de ces maux. Vous avez arrangé ces maux suivant vos desseins. Vous ne faites pas l'iniquité de l'homme ; mais étant incapable de la produire, vous la tournez seulement d'un côté plutôt que d'un autre, selon qu'il vous plaît, pour exécuter vos profonds conseils, ou de justice ou de miséricorde.

J'entends la raison humaine qui veut pénétrer votre secret éternel et qui dit : Dieu [275] n'avaient pas besoin de tirer le bien du mal, il n’avait tout d'un coup qu'à ne permettre aucun mal, et qu’à rendre tous les hommes bons. Il le pouvait ; il n'avait qu'à faire pour tous les hommes ce qu'il a fait pour quelques-uns, qu'il a enlevé hors d'eux-mêmes par le charme de sa grâce. Pourquoi ne l'a-t-il pas fait ? Ô mon Dieu, je le sais par votre parole1015, Vous ne haïssez rien de tout ce que vous avez fait ; vous ne voulez la perte d'aucun ; vous êtes le Sauveur de tous ; mais vous l’êtes des uns plus que des autres. Quand vous jugerez la terre, vous serez victorieux dans vos jugements. La créature condamnée ne verra qu’équité dans sa condamnation. Vous lui montrerez clairement, que vous avez fait pour la culture de votre vigne tout ce que vous deviez. Ce n'est point vous qui lui manquez ; c'est elle qui se manque, et qui se perd elle-même. Maintenant l'homme ne voit point ce détail, car il ne connaît point son propre cœur ; il ne discerne ni la grâce qui s'offre à lui, ni ses propres sentiments, ni sa résistance intérieure. Dans votre jugement, vous le développerez tout entier à ses propres yeux : il se verra ; il aura horreur de se voir ; il ne pourra s'empêcher de voir dans un éternel désespoir ce que vous aurez fait pour lui et ce qu'il aura fait contre lui-même.

Voilà ce que l'homme n’entend point en cette vie : mais, ô mon Dieu, dès qu'il vous connaît, il doit croire cette vérité sans la comprendre. Il ne peut douter que vous ne soyez la Bonté Souveraine ; il ne lui reste donc qu’à conclure, malgré tout les ténèbres qui l’environnent, qu’en faisant grâce aux uns, vous faites [276] justice à tous. Bien plus : vous faites grâce même à ceux qui ressentiront éternellement la rigueur de votre justice. Il est vrai que vous ne faites pas toujours d'aussi grandes grâces aux autres ; mais enfin, vous leur faites grâce, et des grâces qui les rendront inexcusables quand vous les jugerez, ou plutôt quand ils se jugeront eux-mêmes, et que la vérité imprimée au-dedans d'eux-mêmes prononcera leur condamnation. Il est vrai que vous auriez pu faire davantage pour eux ; il est vrai que vous ne l'avez pas voulu ; mais vous avez voulu tout ce qu'il fallait pour n'être point chargé de leur perte ; vous l'avez permise, et vous ne l'avez point faite. S'ils ont été méchants, ce n'est pas que vous ne leur eussiez donné de quoi être bons. Ils ne l'ont pas voulu, et vous les avez laissé dans leur liberté. Qui peut se plaindre de ce que vous ne leur avez pas donné une surabondance de grâce ? Le maître qui offre à tous ses serviteurs la juste récompense de leurs travaux, n'est-il pas en droit de faire à quelques-uns un excès de libéralités ? Ce qu'il donne à ceux-là par-dessus la mesure, fournit-il aux autres le moindre fondement de se plaindre de lui ? Par là, Seigneur, vous montrez que toutes vos voies, comme dit votre Ecriture1016, sont vérité et jugement. Vous êtes bon à tous ; mais bon à divers degrés ; et les miséricordes que vous répandez avec une extraordinaire profusion sur les uns, ne sont point une loi rigoureuse que vous vous imposiez pour devoir faire la même largesse à tous les autres. Tais-toi donc, ô créature ingrate et révoltée, toi qui penses dans un moment au don de Dieu, souviens-toi que cette pensée est [277] un don de Dieu même ! Dans le moment où tu veux murmurer de la privation de la grâce, c'est la grâce elle-même qui te rend attentif à la vue des dons de Dieu. Loin de murmurer contre l'Auteur de tous les biens, à toi de profiter de ce qu'il te fait dans ce moment ; ouvre ton cœur, humilie ton faible esprit, sacrifie ta vaine et présomptueuse raison : vase de boue, celui qui t'a fait est en droit de te briser ; et loin de te briser, le voilà qui craint d'être obligé de te rompre. Il te menace par miséricorde.

Je veux donc pour toujours étouffer dans mon cœur tous ces raisonnements, qui me tentent de douter de votre bonté. Je sais que vous ne pouvez jamais être que bon ; je sais que vous avez fait votre ouvrage semblable à vous, droit, juste et bon, comme vous l'êtes ; mais vous n'avez pas voulu lui ôter le choix du bien et du mal. Vous lui offrez le bien : c'est assez ; j'en suis sûr, sans savoir précisément par quels moyens ; mais l'idée immuable et infaillible que j'ai de vous, ne me permet pas d'en douter. Je ne saurais avoir de raison aussi forte pour vous croire en demeure [en défaut] à l'égard d'aucun homme, (dont je ne connais point l'intérieur, et qui est inconnu à lui-même,) que j'en ai d’inébranlables pour m'assurer que vous ne condamnez aucun homme dans votre jugement, sans le rendre inexcusable à ses propres yeux. En voilà assez pour me mettre en paix. Après cela, si je péris, c'est que je me perdrai moi-même, c'est que je résisterai, comme les Juifs, au Saint Esprit, qui est la grâce intérieure. O Père de miséricorde ! Je ne pense plus à philosopher sur la grâce, mais à m'abandonner à elle en silence : elle [278] fait tout dans l'homme, mais elle fait tout avec lui et par lui ; c'est donc avec elle qu'il faut que j'agisse et que je m'abstienne, que je souffre, que j'attende et que je résiste, que je croie, que j'espère, que j'aime : en suivant toutes ces impressions elle sera tout en moi, je serai tout par elle ; c'est elle qui meut le cœur ; mais enfin, le cœur est mû, et vous ne sauvez point l'homme sans faire agir l'homme. C'est donc à moi de travailler, sans perdre un moment1017, pour ne retarder point la grâce qui me pousse sans cesse. Tout le bien vient d'elle, tout le mal vient de moi. Quand je fais bien, c'est elle qui m'anime ; quand je fais mal, c'est que je lui résiste. À Dieu ne plaise que j'en veuille savoir davantage ! Tout le reste ne servirait qu'à nourrir en moi une curiosité présomptueuse. Ô mon Dieu ! Tenez-moi toujours au rang de ces petits à qui vous révélez vos mystères pendant que vous les cachez aux sages et aux prudents du siècle.

Maintenant, ô grand Dieu ! Je ne m'arrête plus à cette difficulté, qui a souvent frappé mon esprit ; d'où vient que Dieu, étant si bon, a fait tant d’hommes qu'il laisse perdre ? D'où vient qu'il a fait naître et mourir son propre Fils, en sorte que sa naissance et sa mort sont utiles à un si petit nombre d'hommes ? Je comprends, ô Etre tout-puissant ! Que tout ce que vous faites ne vous coûte rien. Les choses que nous admirons et qui nous surpassent le plus, vous sont aussi faciles et aussi familière que celle que nous admirons moins à force d'y être accoutumés. Vous n'avez pas besoin de proportionner le fruit de votre travail au travail que l'ouvrage vous coûte ; parce que nul ouvrage ne vous coûte jamais ni effort, ni travail ; et que l'unique fruit que vous pouvez [279] tirer de tous vos ouvrages, est l'accomplissement de votre bon plaisir. Vous n'avez besoin de rien, il n'y a rien que vous puissiez acquérir. Vous portez tout au-dedans de vous-mêmes : ce que vous faites au dehors n’est nécessaire ni pour votre bonheur, ni pour votre gloire. Votre gloire ne serait donc pas moindre, quand même aucun homme ne recevrait le fruit de la mort du Sauveur ; vous auriez pu le faire naître pour un seul prédestiné1018 ; un seul eût suffi, si vous n'en eussiez voulu qu’un seul ; car tout ce que vous faites, vous le faites non pour le besoin que vous avez des choses, ou pour leur mérite à votre égard ; mais pour accomplir votre volonté toute gratuite, qui n'a nulle autre règle qu'elle-même et votre bon plaisir. Au reste, si tant d'hommes périssent, quoique lavés dans le sang de votre Fils, c'est, encore une fois, que vous les laissez dans l'usage de leur liberté. Vous trouvez votre gloire en eux par votre justice, comme vous la trouvez dans les bons par votre miséricorde. Vous ne punissez les méchants qu'à cause qu'ils sont méchants malgré vous, quoi qu'ils aient eu de quoi être bon, et vous ne couronnez les bons, qu'à cause qu'ils sont devenus tels par votre grâce : ainsi je vois qu’en vous tout est justice et bonté1019.

Pour tous les maux extérieurs, j'ai déjà remarqué, ô Sagesse éternelle ! ce qui fait que vous les souffrez. Votre Providence en tire les plus grands biens. Les hommes faibles, et ignorants vos voies, en sont scandalisés ; ils gémissent pour vous, comme si votre cause était abandonnée, et peut s’en faut qu’ils ne croyent que vous succombez, et que l’impiété triomphe de vous ; ils sont tentés de croire que vous ne voyez point [280] ce qui se passe, ou que vous y êtes insensible. Mais qu'ils attendent encore un peu, ces hommes aveugles et impatients. L'impie qui triomphe, ne triomphera guère. Il se flétrit1020 comme l'herbe des champs qui fleurit le matin et qui le soir est foulée aux pieds. La mort ramène tout à l'ordre. Rien ne vous presse pour accabler vos ennemis. Vous êtes sûrs du coup qui les écrasera. Vous tenez longtemps votre bras levé, parce que vous êtes Père, que vous ne frappez qu'à regret à l'extrémité, et que vous n'ignorez point la pesanteur de votre bras. Que les hommes impatients se scandalisent donc ! Pour moi, je regarde les siècles comme une minute ; car je sais que les siècles sont moins qu'une minute devant vous. Cette suite de siècles qu'on appelle la durée du monde, n'est qu'une décoration qui va disparaître. Encore un peu, ô hommes qui ne voyez rien, encore un peu, et vous verrez ce que Dieu prépare ! Vous le verrez Lui-même, tenant sous ses pieds tous ses ennemis. Quoi ? Vous trouvez cette horrible attente trop éloignée ! Hélas ! Elle n'est que trop prochaine pour tant de malheureux. Alors les biens et les maux seront séparés à jamais ; et ce sera comme dit l'Ecriture1021 le temps de chaque chose.

Cependant tout ce qui nous arrive, c'est Dieu qui le fait ainsi, afin qu'il tourne à bien pour nous. Nous verrons à sa lumière dans l'éternité que ce que nous désirions, nous eût été funeste, et que ce que nous voulions éviter, était essentiel à notre bonheur. O biens trompeurs ! Je ne vous nommerai jamais biens, puisque vous ne serviez qu'à nous rendre méchants et malheureux. O croix dont Dieu me charge, et dont la [281] nature lâche se croit accablée ! Vous, que le monde aveugle appelle des maux ! Vous ne serez jamais des maux pour moi. Plutôt ne parler jamais que de parler ce maudit langage des enfants du siècle. Vous êtes mes vrais biens : c'est vous qui m'humiliez, qui me détachez, qui me faites sentir ma misère et la vanité de tout ce que je voulais aimer ici-bas. Béni soyez-vous à jamais, ô Dieu de vérité, qui m'avez attaché à la croix avec votre Fils, pour me rendre semblable à l'objet éternel de vos complaisances !

Qu'on ne me dise pas, que Dieu n'observe point de si près ce qui se passe parmi les hommes. Ô aveugle qui parlez ainsi ! Vous ne savez pas même ce que c'est que Dieu. Comme tout ce qui est, n'est que par la communication de son être infini, aussi tout ce qui a l'intelligence ne l’a que par un écoulement de sa raison souveraine ; et tout ce qui agit, n'agit que par l'impression de sa suprême activité. C'est lui qui fait tout en tous. C'est lui qui dans chaque moment de notre vie est la respiration de notre cœur, le mouvement de nos membres, la lumière de nos yeux, l'intelligence de notre esprit, l'âme de notre âme. Tout ce qui est en nous, vie, action, pensées, volontés, se fait par l'actuelle impression de cette puissance et cette vie, de cette pensée et de cette volonté éternelle. Comment donc, ô mon Dieu, pourriez-vous ignorer en nous ce que vous y faites vous-même ? Comment pourriez vous être indifférent sur les maux qui ne se commettent qu’en vous résistant intérieurement ; et sur les biens que nous ne faisons qu'autant que vous prenez plaisir à les faire vous-même en nous ? Cette attention ne vous coûte rien. Si vous cessiez de l'avoir, [282] tout périrait : il n’y aurait plus de créature qui pût ni vouloir, ni penser, ni subsister. Ô combien s’en faut-il que les hommes connaissent leur impuissance et leur néant, votre puissance de votre action sans bornes, quand ils s'imaginent que vous seriez fatigué d'être attentifs et opérant en tant d'endroits ! Le feu brûle partout où il est : il faudrait l'éteindre et l'anéantir pour le faire cesser de brûler, tant il est actif et dévorant par sa nature ; ainsi, en Dieu tout est action, vie et mouvement ; c'est1022 un feu consumant, comme il le dit lui-même ; partout où il est, il fait tout ; et comme il est partout, il fait toutes choses dans tous les lieux. Il fait, comme nous l'avons vu, une création perpétuelle et sans cesse renouvelée pour tous les corps. Il ne crée pas moins à chaque instant toutes les créatures libres et intelligentes. C'est lui qui leur donne la raison, la volonté, la bonne volonté, et les divers degrés de volonté conforme à la sienne ; car il donne, comme dit saint Paul1023, le vouloir et le faire.

Voilà donc ce que vous êtes, ô mon Dieu, ou du moins, ce que vous faites dans vos ouvrages : car nul ne peut approcher de cette source de gloire qui éblouit nos yeux, pour comprendre tout ce que vous êtes en vous-même. Mais enfin, je conçois clairement que vous faites tout, et que vous vous servez même des maux et des imperfections des créatures pour faire les biens que vous avez résolus. Vous vous cachez sous l’importun pour importuner le fidèle impatient et jaloux de sa liberté dans des occupations, qui par conséquent a besoin d'être importuné pour mourir au plaisir d'être libre, et arrangé dans ses bonnes œuvres. [283] C'est vous, ô mon Dieu, qui vous servez des langues médisantes, pour déchirer la réputation des innocents, qui ont besoin d'ajouter à leur innocence le sacrifice de leur réputation qui leur était trop chère. C'est vous qui, par les mauvais offices et les subtilités malignes des envieux, renversez la fortune et la prospérité de vos serviteurs qui tiennent encore à cette vaine prospérité. C'est vous qui précipitez dans le tombeau les personnes à qui la vie est un danger perpétuel, élabore une grâce qui la met en sûreté. C'est vous qui faites de la mort de ces personnes un remède, très amer à la vérité, mais très salutaire pour ceux qui tenaient à ces personnes par une amitié trop vive et trop tendre ; ainsi le même coup qui enlève l'un pour le sauver, détache l'autre, et le prépare à sa mort par celles de ces personnes qui lui étaient les plus chères. Vous répandez ainsi miséricordieusement, ô mon Dieu, de l'amertume sur tout ce qui n'est point vous ; afin que notre cœur, formés pour vous aimer et pour vivre de votre amour, soit comme contraint de revenir à vous, sentant que tout appui lui manque dans le reste. C'est, mon Dieu, que vous êtes tout amour, et par conséquent toute jalousie.

Ô Dieu jaloux ! (Car c'est ainsi que vous vous nommez vous-même,) un cœur partagé vous irrite, mais un cœur égaré vous fait compassion. Vous êtes infini en tout, infini en amour comme en sagesse et en puissance. Vous aimez en Dieu. Quand vous aimez, vous remuez le ciel et la terre pour sauver ce qui vous est cher. Vous vous faites homme, enfant, le dernier des hommes, rassasié d'opprobres, et mourant dans l’infamie et dans les douleurs de la croix. Ce n'est pas [284] trop pour l'amour qui aime infiniment. Un amour fini et une sagesse bornée ne peuvent le comprendre ; mais comment le fini pourrait-il comprendre l'infini ? Il n'a ni des yeux pour le voir, ni un cœur proportionné pour le sentir. Le cœur bas et resserré de l'homme, et sa vaine sagesse, en sont scandalisés, et méconnaissent Dieu dans cet excès d'amour. Pour moi, je le reconnais à ce caractère infini : c'est cet amour qui fait tout, même les maux que nous souffrons ; et c'est par ces maux qu’il nous préparent les vrais biens.

Mais quand rendrons-nous amour pour amour ? Quand chercherons-nous celui qui nous cherche et qui nous porte entre ses bras ? C'est dans son sein tendre et paternel que nous l'oublions ! C'est par la douceur de ses dons que nous cessons de penser à lui ! Ce qu'il nous donne à tout moment au lieu de nous attendrir, nous abuse. Il est la source de tous les plaisirs ; les créatures n'en sont que les canaux grossiers ; et le canal nous fait compter pour rien la source ! Cet amour immense nous poursuit en tout, et nous ne cessons d'échapper à ses poursuites. Il est partout, et nous ne le voyons en aucun endroit ! Nous croyons être seuls quand nous n'avons que lui. Il fait tout ; et nous ne comptons sur lui en rien. Nous croyons tout désespéré dans les affaires, quand nous n'avons plus d'autre ressource que celle de sa Providence ; comme si l'amour infini et tout-puissant ne pouvait rien ! O égarements monstrueux ! O renversement de tout l'homme ! Non : je ne veux plus parler ; la créature égarée irrite ce qui nous reste de raison ; on ne peut la souffrir ; mais, ô Amour, vous la souffrez pourtant ! Vous l'attendez avec une patience sans fin ; vous paraissez même par [285] une patience sans fin, flatter ses ingratitudes ! S'il y en a qui désirent de vous aimer, ils ne vous aiment que pour eux-mêmes, pour leur consolation ou pour leur sûreté. Où sont-ils ceux qui vous aiment, parce qu'ils ne sont faits que pour vous aimer ? Où sont-ils ? Je ne les vois point. Y en a t-il sur la terre ? S'il n’y en a point, faites-en Seigneur. Eh ! À quoi sert le monde entier, si on ne vous aime, mais si on ne vous aime que pour se perdre en vous ? C'est ce que vous avez voulu en produisant hors de vous ce qui n'est pas vous-même. Vous avez voulu faire des êtres qui tenant tout de vous, se rapportassent uniquement à vous.

Ô mon Dieu, ô Amour, aimez-vous vous-même en moi. Par là vous serez aimé suivant que vous êtes aimable. Je ne veux subsister que pour consumer devant vous, comme une lampe brûle sans cesse devant vos autels. Je ne suis point pour moi : il n'y a que vous qui soyez pour vous-même. Rien pour moi ; tout pour vous ; ce n'est pas trop. Je suis jalouse de moi pour vous contre moi-même. Plutôt périr que de souffrir que l'amour qui doit tendre à vous, se recourbe jamais sur moi !

Aimez, ô Amour ! Aimez dans votre faible créature, aimez souveraine beauté. O bonté infinie, ô Amour infini, brûlez, consumez, transportez, anéantissez mon cœur ; faites-en un holocauste parfait ! [286]

*2.48 Du pur Amour, ou de la parfaite Charité.

Il1024 me paraît à l’égard du pur amour qu’on ne démêle point assez ce que c’est que les trois vertus Théologales en sorte qu’on fait comme un mélange de l’amour d’espérance et de la parfaite charité. On peut avoir et la foi et l’espérance sans avoir la parfaite charité. Mais sans avoir l’une et l’autre de ces vertus, on ne peut avoir la même charité ; ainsi loin de les exclure, elle les renferme en elle-même.

La charité ne peut envisager que Dieu, elle ne peut avoir d’autre intérêt que celui de Dieu : c’est pourquoi saint Paul dit que la charité ne cherche point son profit1025. L’espérance, qui attend les biens, qui les désire, est bien accompagnée de charité ; et c’est ce qu’on appelle amour d’espérance mais la charité parfaite ne peut regarder que Dieu : son œil est pur et simple, toujours direct dans son seul et unique objet. L’espérance se recourbe sur son propre intérêt mais la charité [287] ne peut se détourner pour peu que ce soit de son seul et unique objet. C’est ce qui fait qu’elle est si pure, si nette, si droite, si simple, si dégagée de tout autre motif. Tous les autres motifs d’intérêt, de salut, etc. appartiennent à l’espérance accompagnée de charité, mais ce n’est nullement la pure charité, dont l’essence et la fin est Dieu. C’est pour confondre les choses, qu’on en dit d’inouies1026.

Le parfait amour chasse la crainte1027 mais il renferme l’espérance : non comme lui étant propre quant à son objet qui n’admet que Dieu, mais parce qu’elle est sa compagne inséparable et qu’elle n’en peut jamais être exclue, comme la crainte, mais bien surpassée. D’où vient que le parfait amour chasse la crainte ? C’est que la crainte ordinairement a un rapport à soi. Il n’y a que la crainte filiale, qui rejette tout rapport à soi, laquelle peut subsister avec la charité ; et c’est une crainte chaste de ne pas assez plaire au Bien-aimé, mais elle est sans trouble. Toute chaste pourtant et toute paisible que soit cette crainte, elle est encore surpassée par la charité : elle n’est pas rejetée comme la première, mais outrepassée, parce que la pure charité outrepasse toutes choses pour se perdre dans son divin objet.

Elle n’a plus d’yeux que pour lui, elle ne se regarde de près ni de loin, elle n’admet rien de propre, mais se laissant purifier et enlever de plus en plus par celui qui l’absorbe et la perd en soi, elle laisse tout ce qu’elle a de propre et d’étranger pour se transformer sans cesse de clarté en clarté1028 c’est-à-dire d’amour en amour. Je crois [288] que c’est là le sens de saint Paul, car rien n’est plus clair, plus net et plus pur que la charité. Bien des gens ont expliqué ce passage de la connaissance et des illustrations de l’entendement. Il me paraît que le sens le plus naturel est celui de la charité et je crois que dans le ciel la charité par un seul et même acte sera connaissance et amour, le tout en Dieu, charité-sagesse. Ou plutôt, si ce sont deux actes séparés, ce sera une connaissance toute d’amour et un amour tout lumineux et tout sage, comme Dieu est toute connaissance et tout amour d’une manière très nue et pourtant très distincte puisque sa connaissance est son Verbe et son amour d’Esprit saint.

Je conclus que dès cette vie la charité surpasse toute connaissance et toute espérance, sans les exclure néanmoins qu’en ce qu’elles ont de propre et de rapportant à nous-mêmes. Tout ce qui ne doit pas subsister éternellement peut être surpassé en cette vie : la charité demeure éternellement1029 et c’est elle, comme j’ai dit, qui outrepasse tout et que rien ne peut atteindre qu’elle même, parce que rien ne peut approcher de sa pureté et qu’il n’y a qu’elle qui soit dans une entière désappropriation et dans une séparation générale de tout ce qui est créé. Qu’on me donne une âme parfaitement désappropriée, il faut qu’elle soit dans la pure charité, comme le feu retourne à sa sphère lorsque nul sujet ne l’arrête ici-bas. Je souhaite que ce langage soit entendu.

Le pur amour est un amour surpassant toutes choses et qui monte avec une impétuosité admirable jusqu’à Dieu même. Rien ne [289] peut l’arrêter quelque sublime et élevé qu’il soit. L’amour qui s’arrête à quelque autre bien que Dieu même n’est point le pur amour. Le pur amour est nu, dégagé de tout. Il ne prétend rien, il n’attend rien et ne désire rien, il n’a aucun retour sur soi, ni sur salut, ni sur perfection.

Le pur amour est si droit qu’il ne se recourbe jamais, il est si impétueux que rien ne retarde sa course, il est si subtil qu’il ne peut subsister que dans sa fin, il s’entretient et se nourrit de soi-même. Il n’a aucun repos qu’il n’ait dépouillé et détruit son sujet, lui ôtant tout bien, quel qu’il soit, qui pourrait le terminer ou lui servir d’empêchement. Il est tel qu’il faut : ou qu’il détruise et consume les obstacles avec impétuosité ou qu’il quitte le sujet qui le veut arrêter afin de le perdre dans sa fin.

Ce pur amour ne peut se soucier de son sujet. Qu’il soit beau ou laid, grand ou petit, il ne se soucie que de son divin Objet si bien qu’il détruit avec une impétuosité étrange. Tout amour qui souffre dans son sujet quelque autre bien que Dieu même n’est point le pur amour. C’est pourquoi tout amour qui se nomme tel et qui a quelque chose pour soi, quelque motif, quelque retour sur soi, quelque peine, n’est point le pur amour. Le pur amour est souverain et jaloux ; sa jalousie le rend cruel, sa souveraineté ne souffre point de partage. Il exerce son empire de telle sorte qu’il s’enflamme et s’irrite par une répugnance et ne souffre point de compagnon. Il est impitoyable et cruel - et cependant impassible et indivisible. O Amour, de qui je ne puis rien dire, [290] consomme1030 les cœurs où je voudrais t’envoyer !

*2.49 Du pur Amour ou de la pure Charité.

La charité ne regarde que Dieu : c’est son propre caractère. Elle ne peut envisager un autre objet sans cesser d’être ce qu’elle est. Si la charité envisageait le propre bonheur de l’âme, même le salut éternel, elle deviendrait un amour d’espérance et cesserait d’être charité parfaite. Elle ne peut donc envisager que Dieu seul tel qu’il est en lui-même et sa gloire, qui est renfermée en lui aussi bien que ses attributs qu’elle ne distingue point de lui. Aimer Dieu par rapport au salut, au bonheur qui nous reviendra, ou pour tous les avantages spirituels et éternels, est un amour d’espérance. L’espérance est alors animée de la charité et peut opérer en rigueur notre salut, mais ce n’est point là la pure charité. La pure charité est si pure, si droite, si grande, si élevée, qu’elle [291] ne peut envisager autre chose que Dieu en lui-même et pour lui-même. Elle ne peut se tourner ni à droite ni à gauche, ni se recourber sur nulle choses créées quelque élevées qu’elles soient. Elle tend avec une vivacité infinie à son divin Objet dont elle est sortie et où elle retourne sans cesse, entraînant tout avec elle dans sa fin. L’âme qui a le bonheur d’en être partagée, suit nécessairement ce mouvement pur et rapide de la divine charité, qui ne lui donne aucun repos qu’elle ne l’ait perdue avec elle dans son être original.

Toutes les bonnes et saintes choses, l’espérance et la foi même animée de la charité, sans laquelle ce ne seraient que des vertus mortes, ne sont que des moyens pour nous faire arriver à cette divine charité pure et sublime. Mais ces mêmes moyens qui nous introduisent jusqu’à elle, se perdent et sont absorbés en elle avec toute l’âme. Car il faut remarquer, que quoique la foi et l’espérance ne soient point la charité et qu’elles soient des moyens pour introduire dans la divine charité, elles ne sont pas néanmoins, tant que nous sommes dans cette vie, divisées d’elle. Mais elles sont absorbées dans elle, qui les renferme et les comprend sans les détruire : comme nous voyons la lumière du soleil, lorsqu’il est dans son plein jour, absorber tellement celle des autres astres, qu’on ne les peut plus discerner, quoiqu’ils subsistent réellement. Il en est de même de la charité : elle absorbe en elle tout le reste et ne laisse rien voir à l’âme qu’elle-même. Et comme la divine charité n’a qu’un seul et unique objet, qui est Dieu - sans quoi elle ne serait plus pure charité comme je l’ai dit - ainsi ne laisse-t-elle à l’âme qu’elle possède qu’un seul et unique objet, qui est [292] Dieu. Et de même que les étoiles et les autres astres subsistent, quoiqu’ils ne paraissent pas, lorsque le soleil est en son midi, de même toutes les vertus sont tellement absorbées dans la pure charité, que l’âme qui les possède ne les discerne plus. Non qu’elle n’en fasse un usage réel, mais c’est qu’elle ne peut rien voir hors de son seul et unique Objet. Comme elle n’a de vue que pour cet Objet, elle n’a plus de regard pour elle-même, ce qui ne se pourrait faire sans détourner sa vue de cet objet unique et par conséquent sans déchoir pour autant de temps qu’elle quitterait son objet pour se regarder elle-même. Il en est ainsi de l’amour : cet amour unique et qui ne tend qu’à Dieu seul ne peut se recourber sur la créature sans perdre sa dignité et sa qualité de charité pure. Ceux qui soutiennent qu’il faut aimer Dieu pour son propre intérêt, ne font pas attention qu’ils détruisent par là la pure charité, ou qu’ils lui donnent une qualité qui n’appartient qu’à l’amour d’espérance.

Concluons donc que tout ce qui n’est point le pur amour est un amour d’espérance que l’on n’a point bien démêlé. Ceux qui désirent leur propre bonheur et qui se sentent un désir de la gloire éternelle sont véritablement dans la voie de salut, pourvu qu’ils ne fassent pas leur unique objet de cette béatitude. Mais c’est, comme j’ai dit, un amour d’espérance, qui étant suffisant en rigueur pour le salut, n’est point la parfaite charité. Comme les hommes ont trop d’amour d’eux-mêmes pour penser qu’on puisse aimer Dieu d’une manière plus désintéressée, ils ont combattu de toutes leurs forces le pur amour, s’imaginant qu’on voulût détruire l’espérance. Ils n’ont pas [293] sans doute fait réflexion sur la différence qu’il y a de l’une à l’autre, parce que la charité ne peut jamais détruire l’espérance, comme j’ai dit. Au contraire elle lui donne une qualité plus noble et plus parfaite en l’absorbant en elle - et je n’ai jamais pu comprendre comment on pouvait se figurer qu’on voulait détruire l’espérance en parlant de la charité parfaite, puisque la charité étant la reine des vertus et commandant à toutes les autres, elle les suppose toutes, ou elle les pose si elles n’étaient pas là. Il n’en est pas de même des autres vertus, qui peuvent subsister sans elle, quoiqu’elles ne soient rien, comme dit saint Paul1031, sans la charité. Je puis croire et n’avoir pas la charité, je puis espérer et n’avoir pas la charité etc. mais je ne puis avoir la charité que je n’aie toutes les autres vertus, puisque les sujets dans lesquels la vertu manque, envisagés d’un certain côté cessent d’avoir la charité. On peut être chaste sans avoir l’amour de Dieu, témoin les vierges de l’Evangile1032, mais on ne peut avoir la charité parfaite qu’on ne soit chaste et ainsi de tout le reste.

Cet amour si pur, si chaste et si élevé, est donc la consommation de toutes les vertus, bien loin d’en être la destruction ; et c’est faute de démêler l’amour d’espérance d’avec la pure charité que l’on combat le pur amour avec tant de violence. Et je ne m’étonne pas qu’on le combatte si fortement, car nous sommes si fortement attachés à nous-mêmes, à nos propres intérêts, à tout ce qui nous concerne, soit temporel, soit spirituel, soit éternel, que renversant l’ordre des choses, nous faisons notre fin des moyens. Les moyens [294] sont bons, saints et salutaires, mais ils ont une fin qui les surpasse infiniment, et loin de les faire aboutir à cette fin, on veut que la fin serve aux moyens et ne soit que secondaire !

Dieu ayant créé l’homme l’avait créé entièrement pour Lui car Dieu comme Dieu n’a point pu avoir d’autre fin que Lui-même dans tous ses ouvrages. Pour seconder le dessein de Dieu, il ne faut donc avoir que Lui seul pour fin de toutes nos œuvres et de tout notre amour. Tout ce qui prend un autre détour, quelque saint qu’il paraisse, n’est point la fin de la création. La soumission suit l’amour. Nous devons une soumission parfaite au Souverain Être. Nous ne sommes parfaitement soumis qu’autant que nous aimons parfaitement : celui qui aime moins est moins soumis et celui qui n’a que l’amour d’espérance conserve toujours sa propre volonté, souvent sans le connaître que par les effets, qui sont la répugnance ou la douleur plus ou moins forte dans les événements contraires. Mais l’amour parfait n’admet aucune volonté propre parce qu’à mesure qu’il augmente dans le cœur de l’homme, il fait sa volonté ou soumise ou conforme ou uniforme, jusqu’à ce que l’amour sacré l’ait transformé en soi. Et c’est ici toute l’économie du dessein de la Création, de la Rédemption, de la sanctification et de la consommation dans notre fin dernière.

Si on regardait les choses d’un œil simple et désintéressé, on verrait que le plus grand de tous les biens ne peut apporter aucun mal, que ce qui fait la perfection dans le ciel ne peut pas être un défaut sur la terre ; et qu’enfin, tout ce qui ne sera pas pure charité et entière désappropriation de la volonté doit être purifié dans l’autre [295] vie, afin de rendre l’âme capable de n’avoir qu’un seul et unique Objet, comme elle ne doit avoir qu’une seule et unique fin.

On apprend aux enfants dans leur catéchisme que la contrition est une douleur d’avoir offensé Dieu par l’amour de Lui-même, sans regarder ni peine ni récompense. Cette contrition est admise de tous, et tous conviennent qu’elle peut sanctifier seule parce qu’elle ne peut venir que de la pure charité. Si la contrition est admise de tous et qu’elle ne soit telle que par la pure charité, comment peut-on combattre le pur amour en lui-même qui est la parfaite charité ? Ne voit-on pas qu’on le combat pour s’en être fait une idée chimérique ? Ou parce que l’amour de nous-mêmes nous a tellement aveuglés que nous nous faisons la fin de Dieu même, au lieu qu’Il est et doit être notre fin ? Si j’aime Dieu par rapport à moi, je me fais la fin et l’amour est le moyen ; mais si j’aime Dieu pour Lui-même, je me redresse et je mets ma fin où elle doit véritablement être. J’ajouterai que tout autre amour est indigne de Dieu et serait même indigne d’une créature dont le mérite serait extraordinaire ; et tout bon cœur aurait peine à le souffrir. Si je disais à mon ami que je l’aime seulement parce que je trouve mes intérêts à l’aimer, ne l’offenserais-je pas, loin de lui faire plaisir ? Remontons plus haut et disons que Dieu mérite d’être aimé en Dieu, c’est-à-dire uniquement pour Lui-même. [296]

2.50 Que l’Amour pur est le principe et le but de tout !

Lorsque Dieu créa Adam, Il lui souffla et inspira son Esprit1033. Cet Esprit n’est autre que le pur Amour, qui est le souffle de la bouche de Dieu comme le Verbe en est la Parole, et c’est pourquoi le Saint-Esprit est appelé Esprit, qui veut dire Souffle ou esprit de vie. Ce fut donc ce pur Esprit qui fut inspiré en Adam, ainsi que ce même Esprit comme un vent impétueux1034 ou un souffle puissant fut inspiré sur les Apôtres en forme de vent. Il est pris pour vent impétueux parce que nous ne pouvons mieux exprimer ce souffle fort de la bouche de Dieu. Ce souffle s’étendit sur tout l’homme et cet Esprit-Saint s’empara de la partie supérieure et S’écoula de l’intérieur sur tout Adam. C’est ce qui le maintint dans l’esprit d’innocence, l’innocence n’étant autre que la pure Charité telle qu’elle est sortie de Dieu, sans mélange de propre amour. |297]

Que fit le serpent ? Il vit qu’il ne pouvait pas faire glisser son poison par le même endroit où l’Amour pur avait été inspiré. Il le souffla dans la partie inférieure, étant la seule qui peut être sous l’empire du Démon, mais qui actuellement ne saurait y être lorsque nous ne retirons pas de Dieu notre volonté supérieure. C’est ce qui fit que pour former le péché, il fallut le consentement de l’homme, sans quoi la femme toute seule n’aurait point péché. Ce péché fut d’amour-propre et de propriété, selon ce qui fut dit : Vous serez semblables à Dieu1035.

Lorsque Dieu voulut rétablir ce premier Amour, il fallut la vie et la mort d’un Dieu pour détruire cet amour-propre qui, comme un serpent infernal, fut écrasé sur le Calvaire. Ce misérable, qui tenait les hommes captifs en faisant semblant de les rendre libres, fut détruit par la mort de Jésus-Christ. C’est pourquoi il est dit que montant au ciel il emmena cette captivité captive1036, l’Ecriture voulant nous signifier ainsi que tout le triomphe de Jésus-Christ avait été de captiver l’amour-propre qui avait rendu le pur Amour captif - Jésus-Christ ayant détruit cet amour-propre, si contraire au pur Amour, qui était ce qu’il fallait nécessairement faire avant que d’inspirer de nouveau le pur Amour.

Il souffla ensuite dans Son Eglise sur Ses Apôtres avec une extrême violence ce pur Amour qu’Il avait inspiré en Adam. C’est pourquoi l’Eglise commença par l’innocence, comme le monde, cette innocence n’étant autre que le pur Amour. Et afin de nous confirmer davantage que ce vent était l’Esprit de Dieu, il parut ensuite du feu [298] et des langues de feu1037, pour marquer que c’était [de] ce feu sacré du pur Amour que ce vent impétueux soufflait des langues - pour marquer non seulement que ce pur Amour devait être prêché à toute la terre, mais encore la concomitance qu’il y a entre le Verbe-Parole et l’Esprit saint, qui ne sont point l’un sans l’autre. Ainsi donc l’innocence du monde créé est l’Amour pur ; l’innocence du monde réparé et de l’Eglise est l’Amour pur par la Vérité1038.

Cela est aisé à prouver par Jésus-Christ même. Ne dit-Il pas que cet Esprit qu’Il doit envoyer est l’Esprit de Vérité, mais un Esprit de Vérité que le monde infecté d’amour-propre ne peut recevoir parce qu’il ne Le connaît pas1039 ? C’est pourquoi loin de le soutenir, Il se déclare son ennemi. Il fallait aussi que ce pur Amour rapportât la Vérité dans le monde, parce que le Démon en chassant le pur Amour avait introduit le mensonge : il en est le Père1040.

Celui qui aime Dieu par intérêt ne L’aime pas de toute l’étendue du précepte, parce qu’il Le peut aimer davantage, qui est d’aimer Dieu pour Lui-même. Y a-t-il quelque commandement ou quelque conseil qui m’oblige d’aimer Dieu pour la récompense ? Et en quoi serais-je criminelle si je suis le commandement de mon Dieu qui veut que je L’aime, sinon autant qu’Il est aimable - ce qui ne se peut à cause de son infinité et que le cœur de l’homme est borné-, du moins autant que je Le puis aimer ? O Amour-Dieu, s’il y a de l’erreur, de l’illusion à aimer de tout [299] le cœur, je puis dire que Vous êtes l’auteur de cette illusion !

Vous avez aimé l’homme, qui n’est nullement aimable, de tout Vous-même, puisque Vous Vous êtes donné tout entier pour l’homme et que Vous avez foulé au pied Votre gloire et Votre intérêt pour le seul intérêt de l’homme . Et l’on accusera d’erreur celui qui veut suivre Votre exemple et fouler au pied tout intérêt pour Votre seul intérêt ! Absurdités étranges ! Vous êtes mort, mon Dieu, non seulement pour des hommes qui n’avaient rien d’aimable, mais encore pour des ingrats qui Vous ont ôté la vie.

Saint Paul dit qu’à peine se trouve-t-il quelqu’un qui veuille donner sa vie pour un homme de bien, et : Dieu est mort pour ses ennemis1041, pour les intérêts des hommes, et cependant, on ne veut pas envisager le seul intérêt de Dieu seul ! L’Ecriture a bien dit que ce précepte est la loi du cœur1042 : ce n’est point la loi de la pierre1043. Le cœur tend naturellement vers les choses aimables : il ne réfléchit sur autre chose que sur l’amour même. C’est ce désintéressement de l’amour qui ne se regarde point qui a fait dire que le cœur est plus où il aime que où il anime, parce que la loi du cœur, la loi de l’amour, porte ce cœur à sortir comme hors de lui-même par une extase d’amour pour s’élancer dans l’endroit où il aime et où il découvre ses amabilités1044. Jésus-Christ en a fait de même : il est sorti du sein de son Père parce que l’amour de l’homme l’avait comme ravi, et c’est ce qui a fait nommer, à quelque Père de l’Eglise, l’Incarnation [comme] une extase. [300]

*2.51 Le pur Amour et la simple vérité font tout.

Nous remarquâmes hier toutes les peines que les Japonais souffrent pour jouir d’un bonheur qu’ils croient véritable. Sur cela nous devons remarquer que l’homme tend naturellement à être heureux et qu’il n’y a rien qu’on ne tente pour un bonheur de peu de durée, et même imaginaire. Dans les lieux où l’or est en usage et où l’on en fait cas, que ne fait-on point pour l’acquérir ? On expose tous les jours sa vie pour cela. Un voleur qui sait qu’il doit mourir d’une manière infâme, ne laisse pas de s’exposer tous les jours pour un peu d’argent. Ceux qui aiment l’honneur exposent leur vie avec une joie aussi grande que s’ils allaient à quelque chose de délicieux : et tout cela rien que pour un vain fantôme d’honneur. C’est donc l’amour de la félicité [301] qui remue le cœur de l’homme pour l’objet où il la met. Remontons aux Japonais et nous verrons que c’est l’amour de la félicité, dont ils ont eu l’impression dès leur enfance, qui les rend si indifférents pour la mort et qui, même, la leur fait désirer et les porte jusqu’à se rendre homicides d’eux-mêmes pour une félicité qu’ils croient assurée et dont ils n’ont aucun doute. En tout cela, vous voyez qu’il n’y a qu’un amour propre et naturel.

Ce n’est que dans le Christianisme où Jésus-Christ nous ayant donné les véritables notices de la charité que nous appelons Amour pur, fait aimer le Bien Souverain uniquement pour l’amour de Lui-même et sans rapport à soi1045. Il n’y a que ce seul amour qui soit digne de Dieu et qui mérite une récompense, puisque tout le reste est un amour de soi-même, d’autant plus désordonné que plus on fait de choses pour se procurer de la félicité. Comme il n’y a pas la moindre charité en tout cela et que ces effets si prodigieux viennent de la cupidité, cela ne peut être d’aucune valeur devant Dieu : au contraire, cela Lui est en abomination. Nous voyons de là que ce n’est pas les choses en elles- mêmes qui aient aucune bonté, mais le motif qui fait agir.

Ainsi, la moindre action faite par le Pur Amour de Dieu, par le désir de Lui plaire, par ne vouloir que ce qui L’honore et Le glorifie sans nous regarder nous-mêmes, est infiniment plus agréable à Dieu que les plus grandes actions qui ne sont pas faites par ce motif : et c’est là la seule religion digne de Dieu. Or ces lumières ne sont découvertes qu’aux Chrétiens qui, ayant la connaissance des maximes [302] et de la vie de Jésus-Christ, sont portés à honorer Dieu en Dieu. La moindre action de ces personnes dont l’intention est si pure et qui n’ont que Dieu pour objet et pour fin, est mille fois plus agréable à Dieu et plus glorieuse à sa Souveraineté que toutes les grandes actions de tous les autres ensemble qui n’ont pour motif que l’amour d’eux-mêmes - même le désir du salut éternel : parce que c’est un rapport à nous-mêmes qui n’entre point dans l’ordre de la pure Charité, laquelle ne doit avoir de rapport qu’à Dieu seul, et qui ne peut jamais se recourber sur nous-mêmes, sans perdre sa qualité de pure Charité.

Ainsi vous voyez que tout consiste à aimer Dieu, Le glorifier, Le servir en tant qu’il est Dieu, sans nous regarder nous-mêmes, ni la récompense, supposant un Dieu Créateur et Rédempteur qui renferme en Soi toutes les perfections possibles1046. Il mérite cet amour souverain et ce n’est pas Le traiter en Dieu que d’en user d’une autre manière. Sa Souveraineté exige aussi une soumission parfaite et une telle dépendance de tous les vouloirs qu’Il puisse nous mouvoir comme il Lui plaît, nous mettre d’une façon ou d’une autre dans un lieu ou dans un autre, selon qu’Il jugera plus glorieux pour Lui, sans que nous ayons, je ne dis pas, aucune contrariété, mais même aucune répugnance pour tout ce qu’Il fait et ordonne.

C’est là le fondement de la Religion Chrétienne, c’en est aussi la perfection et la fin et [303] tous les conseils si admirables que Jésus-Christ nous donne, ne sont que pour nous faire parvenir là. Tout homme-Dieu qu’il était, Il nous dit souvent : Je ne cherche point ma propre gloire1047 pour nous faire comprendre que s’Il ne la recherche point Lui-même, le pouvant faire si justement, combien plus des néants comme nous doivent-ils être éloignés de la rechercher. Tendons donc à n’être rien, à ne vouloir rien pour nous, mais à vouloir tout pour Dieu qui mérite tout ; et nous serons alors véritablement Chrétiens, conformes à Jésus-Christ. Toute autre manière nous éloigne du but du véritable Christianisme.

Rien n’est si grand ni si beau que cet état du Chrétien qui le porte à se renoncer incessamment afin que Dieu soit tout Dieu en lui. C’est de là que lui vient le mépris des diverses opinions des hommes et de ce qu’ils pensent à son désavantage parce que ne s’attribuant rien, il se croit digne de tout mépris. La seule chose qui l’afflige est de voir que Dieu n’est point traité en Dieu ; mais pour ce qui le regarde, soit pour le temps, soit pour l’éternité, il ne s’en met pas en peine.

Allons donc par cette voie si simple, si vraie, si glorieuse à Dieu, où il ne peut y avoir de tromperie parce que Dieu sera toujours ce qu’Il est. Nous le devons, et comme créatures qui doivent tout à leur Créateur, et comme esclaves rachetés sur lesquels le maître a droit de vie et de mort, et comme dépendants d’un Être Souverain infiniment parfait, et parce qu’Il est la Beauté souveraine, qui mérite tous les amours. Et comme cette Beauté est unique et parfaite, elle veut un [304] cœur sans partage.

Voilà une démonstration de la Religion Chrétienne, simple et vraie. Tout ce qui est simple et vrai n’a point besoin de preuve. La vérité est vérité, c’est tout. Tout ce que l’on veut dire pour la prouver ne sert qu’à la brouiller dans l’esprit et souvent qu’à la détruire. La vérité comme vérité doit être simple et nue, tous nos raisonnements ne servent qu’à la couvrir, à lui ôter sa beauté et à la faire méconnaître. Remarquez l’Ecriture : Elle ne donne jamais aucune preuve de ce qu’elle avance, Elle dit : Cela est, et c’est tout. Jésus-Christ dit souvent : En vérité, en vérité je vous dis, mais Il ne donne d’autre preuve que Sa parole. Il explique l’Ecriture par l’Ecriture même : qui croit l’un doit croire l’autre, qui doute de l’un doute aussi de l’autre. Il se sert quelquefois de comparaisons simples et naïves pour Se conformer à la multitude, mais Il n’a jamais donné de preuves, si ce n’est celle de Sa mort. Ne cherchons donc jamais d’arguments pour soutenir la vérité, car ils lui sont contraires, et d’autant plus qu’un argument se détruit par un autre argument.

Mais la Vérité comme Vérité ne saurait être détruite parce qu’Elle porte en Elle-même un caractère ineffaçable qui s’insinue dans le cœur de l’homme malgré lui-même. Il cherche souvent des raisons pour La combattre parce qu’il sent bien, s’il est équitable, qu’Elle s’oppose dans le secret à tous ses dérèglements - ce qu’on appelle conscience et qui est la Vérité pure - mais comme il veut suivre ses inclinations, il tâche de La détruire par ses faux raisonnements afin de n’être pas obligé de La suivre, de sorte que lorsqu’on oppose à un libertin des raisonnements pour le convaincre et le convertir, il apporte d’autres [305] raisonnements qui ne servent qu’à le confirmer dans le mal, croyant avoir surmonté la Vérité par la subtilité de ses arguments.

Mais si vous pouvez gagner sur lui qu’il rentre sérieusement en lui-même pour écouter cette voix secrète de la Vérité, non seulement Elle le convaincra sans raisonnements mais Elle le gagnera insensiblement. Quand Jésus-Christ parlait à Pilate, il ne lui parla que de la Vérité, mais Pilate s’éloigna pour ne La pas entendre. S’il L’avait écoutée, Elle aurait produit dans son cœur l’effet qu’Elle produit ordinairement dans le cœur de l’homme qui veut bien L’entendre, mais la plupart des hommes demandent comme Pilate : qu’est ce que la vérité1048 ? Ils veulent qu’on leur apprenne ce qu’Elle est et ils fuient, [par] crainte de l’écouter, après une question superficielle. Aussi ne pourrait-on jamais La leur expliquer, parce que la Vérité n’a point d’autre interprète qu’Elle-même.

Ceux qui enseignent à rentrer au-dedans de soi ont trouvé le plus véritable moyen de La faire entendre, parce que cette Vérité s’y imprime en caractères divins, Se faisant entendre sans bruit de paroles. D’où vient que tous ceux qui se sont employés à la recherche de la Vérité ne L’ont jamais découverte? C’est parce qu’ils L’ont cherchée où Elle n’était pas et jamais où Elle est. Ils ont fait des livres immenses, pleins de faux raisonnements, qui n’ont servi qu’à La rendre inaccessible et à eux-mêmes et aux autres. Celui qui apprend à rechercher Dieu en soi apprend à connaître la Vérité : elle ne peut s’unir qu’à la foi  et comme elle est pure, nue, simple, il faut une foi pure, nue et simple pour la découvrir, foi qui [306] exclut tout raisonnement et tout argument, qui croit les choses parce qu’elles sont et comme elles sont.

Or cette Vérité est aussi Amour : c’est pourquoi il faut un Amour pur, net, simple, qui n’embrasse qu’un seul et même objet pur et simple, comme la foi n’en embrasse qu’un, qui est la Vérité. C’est pourquoi le Saint-Esprit est appelé également Esprit d’Amour et Esprit de Vérité parce que ces deux choses n’en font qu’une : la volonté embrasse l’Amour et se transforme en Lui et la foi fait la même chose de la Vérité en sorte que, quoique cela paraisse deux actes différents, tout se réduit en unité. Dans le Ciel c’est par un seul acte qu’on connaît et qu’on aime, quoique cela paraisse différent et que plusieurs aient disputé pour savoir ce qui faisait la félicité, si c’est la connaissance ou bien l’amour, faute de comprendre que dans l’Unité divine ce n’est qu’un seul et même acte, rapportant à un Dieu simple et unique. L’amour produit également la connaissance, comme la connaissance produit l’amour ; et plus l’amour est parfait, plus la connaissance est parfaite. Il en est de même en cette vie : plus nous aimons, plus la Vérité S’imprime et se manifeste en nous. Aimons donc et croyons : c’est là le tout de l’homme.

*2.52 Sur le sacrifice absolu et l’indifférence du salut.

[307] C’est parler contre une chimère que de parler contre l’indifférence du salut. Cette idée n’est jamais montée à la tête d’aucun homme, même des plus libertins. Ils voudraient bien allier un plaisir temporel avec un bonheur éternel : ce qui n’est pas possible parce que le bonheur éternel n’est que pour ceux qui se renoncent eux-mêmes, qui veulent bien suivre Jésus-Christ par l’éloignement des plaisirs et par l’amour des souffrances, pour imiter leur adorable Législateur qui, non content de faire des lois, s’y est soumis Lui-même le premier et a appris, en méprisant la joie pour [308] porter la croix, que la croix est préférable à tout : Proposito sibi gaudio sustinuit crucem1049. Les âmes qui sont parfaitement à Dieu, sont bien éloignées de cette monstrueuse indifférence dont on parle. Il est vrai qu’elles préfèrent la gloire de Dieu à tout intérêt propre, quelqu’il soit. Nul ne peut impugner1050 cette doctrine que celui qui n’a jamais senti les impressions de l’amour sacré.

Le sacrifice1051 qu’on désapprouve ne se fait point et ne se peut jamais faire dans une ferveur sensible, laquelle n’est que le premier degré de l’amour sacré, et qui n’est fondée que sur le propre intérêt et sur le désir de la jouissance d’un bien dont on commence à sentir les prémices. Le sacrifice de son bonheur éternel en tant que son propre bonheur se fait dans le temps des épreuves, où une âme tentée de la plus terrible tentation, qui est celle de la persuasion qu’elle doit être éternellement malheureuse, ne trouve aucune ressource qu’en se sacrifiant au Vouloir suprême, avec des agonies mortelles, voulant cependant toujours aimer Dieu et le servir de toutes ses forces. Ce sacrifice plein de douleur, et de douleur la plus extrême, finit sa tentation. Et loin de la laisser dans l’indifférence de son salut, elle n’aima jamais Dieu davantage et n’eût jamais une espérance plus parfaite, puisqu’elle espère contre l’espérance même1052, ainsi que le dit saint Paul.

L’homme tend naturellement à être heureux : cela est dans son essence. Ainsi lorsqu’il sacrifie son propre bonheur à la gloire et à la volonté [309] de Dieu, c’est la plus grande preuve qu’il puisse Lui donner de son amour. Il ne perd point pour cela l’espérance, puisque l’espérance se trouve renfermée dans la plus pure charité. On peut avoir l’espérance sans la charité et c’est une sorte d’espérance naturelle, mais il est impossible d’avoir la charité sans l’espérance, de sorte que dans le sacrifice même, quoi qu’il soit entier puisqu’il est un effet du plus pur amour, l’âme ne laisse pas d’espérer. Et qu’espère-t-elle ? Que Dieu Se glorifiera en elle, que Sa volonté s’accomplira sur elle et qu’elle Lui donnera éternellement les preuves du plus parfait amour. L’amour est le principe et la fin du sacrifice, le sacrifice n’est que l’effet et la preuve du plus parfait amour. Où a-t-on jamais vu une personne dans une indifférence brutale pour son bonheur éternel, si ce n’est une personne en délire ou dans une entière stupidité, ou une personne dont la conscience est éteinte par un nombre innombrable d’iniquités et qui a perdu même la foi du bonheur éternel ?

Ceux qui blâment l’amour qu’on a pour la divine justice, ne connaissent point ce que c’est que la divine Justice. Ils La prennent sans doute pour la colère de Dieu et se méprennent beaucoup en cela. La divine Justice est véritablement toute pour Dieu et ne regarde que Lui. Elle nous arrache sans miséricorde toutes les usurpations que l’amour-propre nous fait faire. C’est Elle qui, en précipitant l’Ange dans l’abîme par le ministère de saint Michel, a dit : Qui est comme Dieu ? C’est Elle donc qui nous fait restituer à Dieu toutes nos usurpations. C’est Elle qui détruit en nous par des purifications douloureuses notre amour-propre et notre propriété. Elle nous purifie en [310] cette vie et dans le Purgatoire, mais lorsque tout est purifié, Elle béatifie ce qu’Elle a purifié en sorte qu’une âme purifiée serait une éternité dans le Purgatoire qu’elle ne souffrirait plus. Ce sont nos impuretés qui sont la matière de Son feu, mais lorsque toute l’impureté est détruite, Elle rend heureux son sujet : Elle n’en veut qu’à ce qui est opposé à Dieu. On a donc un grand tort de blâmer ceux qui aiment la divine Justice. On ne peut aimer Dieu sans L’aimer puisqu’Elle ne détruit en nous que ce qui est opposé à Dieu et qu’Elle nous rend dignes de Lui. Il est vrai que les âmes parfaites ne peuvent être entièrement purifiées si elles n’entrent dans les intérêts de la Justice de Dieu et si elles ne consentent de tout leur cœur à tout ce que Dieu fera d’elles, non seulement pour le temps mais encore pour l’éternité. Mais il est absolument faux qu’elles poussent cet abandon jusqu’à retrancher tous les désirs du ciel et à établir une indifférence absolue, soit pour la gloire du Paradis, soit pour les peines de l’Enfer : c’est une chose même dont il n’y a jamais eu d’exemple.

Quand saint Paul et Moïse ont consenti d’être anathèmes pour leurs frères, ce n’était point l’épreuve qui les poussait à cela, mais une charité parfaite pour la multitude de leurs frères dans le salut desquels ils voyaient une plus grande gloire de Dieu. Quoi qu’ils fissent ce sacrifice de tout leur cœur et non d’une manière simulée ou feinte, (ce qui ne peut jamais être à l’égard de Dieu qui voit le fond du cœur,) ils n’avaient en ce temps-là aucune idée réfléchie sur eux-mêmes. Mais convaincus qu’ils ne pouvaient être séparés de Dieu quant à l’amour et à la volonté, ils consentaient à la privation de leur propre bonheur [311] pour la plus grande gloire de Dieu et le salut de leurs frères. Il faut remarquer que saint Paul prend Dieu à témoin de la sincérité de son sacrifice et que Moïse l’a dit à Dieu même. Mais faute de comprendre les choses dans un bon sens, on se fait des monstres affreux de ce qu’il y a de plus pur dans la charité.

Jésus-Christ, étant Dieu et essentiellement heureux sans qu’il pût y avoir aucune variation dans son bonheur, n’a point pu faire un sacrifice absolu de Sa béatitude puisque, comme dit saint Paul, Il n’a rien usurpé en Se faisant égal à Dieu1053. Mais Il l’a fait (Il S’est sacrifié Soi-même) autant qu’Il l’a pu faire pour la gloire de Son Père et pour le salut des hommes en Se faisant homme, qui était le plus bas étage de l’anéantissement pour un Dieu. Il S’est rendu obéissant jusqu’à la mort, et à la mort de la Croix. Qu’a-t-Il fait sur la Croix, ce Dieu-homme rempli de charité ? Son âme bienheureuse a voulu éprouver l’abandon de la Divinité, lorsqu’Il a dit : Mon Dieu ! mon Dieu, pourquoi m’avez-vous abandonné1054 ? Il a remis Son âme ensuite entre les mains de Dieu, pour nous apprendre que le plus grand sacrifice dans le sacrifice même le plus douloureux, était de remettre notre âme entre les mains de Dieu, pour en disposer selon Sa volonté.

Il est certain que Dieu veut réellement notre salut et que l’âme ne risque jamais rien en sacrifiant ce même salut à la gloire de Dieu. Mais dans le temps du sacrifice l’âme ne saurait faire aucun retour : ainsi l’âme se sacrifie purement et nuement à tout ce que Dieu pourra vouloir faire d’elle dans le temps et dans l’éternité. Ce sacrifice est si agréable [312] à Dieu que non seulement l’âme est délivrée par là de toutes ses peines, lorsque ce sacrifice est sincère et entier, mais de plus elle se trouve renouvelée en Dieu avec un amour beaucoup plus pur et beaucoup plus fort. C’est après ce sacrifice qu’elle dit avec saint Paul : Je ne vis plus, mais Jésus-Christ vit en moi1055. Elle n’a plus alors ni peine, ni incertitude, parce qu’elle demeure absorbée dans Celui qui vit en elle et qui la fait vivre en Lui. Elle est donc bien éloignée de cette stupide indifférence.

Elle est alors comme un enfant qui ne songe qu’à servir, aimer, respecter son père, et qui ne s’informe pas un moment de la part qu’il veut lui faire de son héritage. Ce n’est plus le motif de l’héritage qui le fait agir mais un amour sincère pour ce même père à qui il doit toutes choses. On n’a point encore vu d’exemple qu’un père ait déshérité un Fils si plein d’amour et si fidèle, mais ce n’est point cela ce qui occupe le Fils : il est uniquement occupé à plaire à son père et lui laisse la disposition de tout le reste.

Celui qui a éprouvé un peu ce que c’est que l’amour sacré, ne fera jamais de difficulté là-dessus. La seule idée sans expérience la peut faire. Il est dit de saint François de Sales1056 qu’ayant été trois ans dans une tentation très forte qu’il était réprouvé, il dit à Dieu : quoique je doive être éternellement malheureux, je veux toujours Vous aimer et Vous servir. Il y a des exemples de la même chose dans les Vies des Pères du désert. Saint François de Sales ne dit-il pas dans ses entretiens1057 : s’il y avait un peu plus de bon plaisir de Dieu dans ma [313] damnation que dans ma salvation1058, je devrais préférer ma damnation à ma salvation à cause de ce bon plaisir de Dieu ? Il est remarqué dans la Vie de saint Louis, écrite par M. de Joinville, que saint Louis étant allé dans la Terre Sainte, ils trouvèrent dans la ville d’Acre une femme1059 qui tenant un flambeau dans une main, et une cruche d’eau dans l’autre, allait par la ville de cette sorte. Un bon ecclésiastique qui la vit lui demanda ce qu’elle voulait faire de cette eau et de ce feu ? C’est, dit-elle, pour brûler le Paradis et éteindre l’Enfer, afin qu’il n’y ait jamais plus ni Paradis ni Enfer. Et le religieux lui demandant pourquoi elle disait ces paroles, elle répondit : parce que je ne veux plus qu’aucun fasse jamais de bien en ce monde pour en avoir le Paradis pour récompense, ni aussi qu’on ne se garde plus de pécher par la crainte de l’Enfer ; mais bien le doit-on faire pour l’entier et parfait amour que nous devons avoir à notre Dieu Créateur, qui est le bien souverain1060.

Le sacrifice absolu ne sacrifie jamais l’amour même. Il prétend qu’il aimerait Dieu au milieu des supplices éternels, comme il L’aime en cette vie au milieu des plus grandes traverses. Il faut donc comprendre qu’on ne sacrifie jamais à Dieu ni la gloire qu’Il peut tirer de nous, ni l’amour que nous Lui devons comme bien souverain, mais seulement la privation de notre propre bonheur, en tant que [314] notre bonheur, et qu’on ne s’immole à la souffrance que comme souffrance et douleur.

La charité parfaite n’admet point le péché véniel volontaire, et encore moins le mortel. Celui qui par désespoir se détruit soi-même fait véritablement le plus grand des péchés, mais celui qui se sacrifie à Dieu sans rien changer à sa destinée et qui aimerait mieux mourir mille fois que de faire le moindre choix qui Lui déplût, marque en cela qu’il aime Dieu comme Il mérite d’être aimé selon notre capacité. On sacrifie tous les jours sa vie pour son Roi, pour sa patrie, et l’on ne pourra sacrifier son bonheur ou son malheur pour Dieu ? Bien des gens conviennent qu’on peut se sacrifier à être anéanti physiquement pour la gloire de Dieu. Or je prétends que cet anéantissement physique est plus fort que le sacrifice du bonheur éternel, parce que Dieu n’en peut recevoir aucune gloire, et nous perdrions par là tout moyen d’aimer Dieu, ce qui n’est point dans le sacrifice du bonheur éternel, puisque l’on espère qu’on L’aimera et qu’on Le glorifiera toujours.

Remarquons que nous ne sacrifions que ce qui nous regarde et jamais ce que nous devons à Dieu : l’amour, le respect, le désir de Sa gloire et de l’extension de cette même gloire, sans nous regarder nous-mêmes. Si c’est là un péché, bon Dieu, de quelle nature de péché est celui-là ! Si l’Amour renferme les lois et les Prophètes, la parfaite Charité accomplit toute la Loi et ne fait rien qui Lui soit opposé. Comment cet Amour qui effaça en Madeleine la multitude de tous ses péchés1061 pourrait-il être un péché ? Quand je livrerais mon corps aux flammes, [315] dit saint Paul, quand je donnerais tout mon bien aux pauvres etc. si je n’ai la charité, je ne suis rien1062. Donc la Charité est au-dessus de toutes ces grandes œuvres et du martyre même. Mais pour être au-dessus, Elle ne les exclue point : au contraire, elle les renferme, et on ne peut parvenir à Elle que par l’accomplissement de la loi et [par] les vertus les plus héroïques. Elles sont comme l’échelle de Jacob par où l’on monte à Dieu - qui est la pure Charité, car Dieu est Charité1063. Et par les mêmes degrés qui ont servi de montée, on descend de la même Charité pour les besoins du prochain.

C’est en ce sens que Jésus-Christ nous a commandé de perdre notre âme pour l’amour de lui1064 : non point de la perdre par le péché, mais de la Lui remettre par un sacrifice entier afin qu’Il en dispose selon Sa volonté. Et par cette perte que la Charité nous fait faire, nous La retrouvons en Dieu avec des avantages infinis. Le même Seigneur nous a appris qu’il fallait perdre tout ce qui n’est point Lui pour sauver notre âme, mais qu’après avoir tout perdu pour la sauver, il fallait perdre cette même âme pour Lui, c’est-à- dire Lui en faire une donation entière et irrévocable. Et c’est là le plus noble effort de l’amour le plus pur et le plus véritablement libre.

Il faut distinguer entre les sacrifices qu’on fait dans les épreuves, et l’amour qui a fait faire à Moïse et à saint Paul les sacrifices dont nous parlons, qui n’étaient point de simples velléités, qui n’auraient pas été d’un grand mérite devant Dieu, mais des volontés réelles de se sacrifier à Dieu pour Sa plus grande gloire et le salut de Ses peuples. [316] Le sacrifice de Moïse fut si efficace que Dieu en vertu de ce sacrifice réel et volontaire pardonna à ce peuple. Si on pouvait tromper Dieu comme on trompe les hommes, on pourrait croire que ces grands saints ne pensaient pas comme ils disaient ou qu’ils n’avaient qu’une velléité amusante et séductrice ; mais cela, comme j’ai dit, ne peut jamais être à l’égard de Dieu, qui voyait le fond de leur cœur.

Il est vrai que ni Moïse ni saint Paul n’ont jamais consenti à haïr Dieu et n’ont point eu ensuite cette brutale indifférence dont je crois qu’il n’y a aucun exemple dans le monde, puisque le même saint Paul a dit après qu’il désirait d’être délivré de son corps pour être uni à Jésus-Christ1065.

Pour les personnes qui sont dans l’épreuve, leur esprit est si offusqué et l’appréhension d’offenser Dieu est si grande qu’il y en a qui disent : « Damnez-moi, et que je ne pèche pas. Je sais que l’enfer est la punition du péché, mais je le demanderai pour prévenir le péché ». Qui ne voit que c’est l’amour et le respect le plus pur qu’ils ont pour Dieu qui leur fait faire ce sacrifice, sans qu’ils en pénètrent en nulle manière les suites ? Et si par impossible une telle âme était envoyée en enfer, elle y porterait l’amour le plus pur et le feu ne pourrait l’atteindre, puisqu’il ne peut brûler que le péché. Mais il ne faut pas croire qu’une âme qui fait ce sacrifice de tout son cœur pour l’amour qu’elle a pour Dieu et pour la crainte de Lui déplaire, soit en état de faire aucune de ces réflexions. Et ce sacrifice est si agréable à Dieu, comme je l’ai dit, que les [317] peines et les tentations cessent dans l’âme quand elle le fait réellement et de tout le cœur. C’est alors que son amour est développé et qu’il n’est plus entouré de ces nuages que la peine et la tentation avaient mis dans son esprit. C’est alors que, restant abandonnée à Dieu sans réserve, elle ne songe plus qu’à L’aimer et à Lui plaire. C’est alors qu’elle éprouve dans son fond ce témoignage de la filiation divine dont parle saint Paul1066. C’est alors qu’elle s’écrie avec l’Épouse, que la multitude des grandes eaux ne peuvent éteindre sa Charité1067 puisque tant de tentations, tant de peines, tant de persécutions et un sacrifice si réel, n’ont fait que L’augmenter, loin de La diminuer. Il faut se souvenir que l’Amour est fort comme la mort, et sa jalousie est dure comme l’enfer1068. Mais c’est une chose que la spéculation ne peut jamais faire concevoir. Le même saint Paul qui a fait ce sacrifice entier de son propre bonheur ne nous a-t-il pas dit que rien ne peut le séparer de l’amour de Dieu qui est en Jésus-Christ1069 ?

Il est à noter que ce sacrifice ne se peut faire qu’en trois occasions : ou dans une crainte extraordinaire d’offenser Dieu ainsi que je l’ai marqué, ou dans une persuasion intime que l’on doit être éternellement malheureux - on n’est pas alors en état de rien examiner -, ou lorsque la charité est parvenue à l’état le plus sublime, comme en Moïse et en saint Paul. Alors, c’est cette même charité qui enlève et qui ne laisse aucune réflexion. Il faut remarquer de plus que c’est Dieu même qui pousse l’âme à faire ce sacrifice. Elle le fait, et sans aucun retour. L’amour-propre [318] ne s’aviserait jamais de le faire puisqu’il n’aspire qu’à être heureux et qu’il regarde son bonheur comme la fin de toutes ses œuvres ; au lieu que la pure charité n’a que Dieu pour fin en tout ce qu’elle entreprend, qu’elle souffre et qu’elle omet.

On est donc bien éloigné de croire que tout le commun des Chrétiens fasse ce sacrifice, puisqu’ils n’en ont pas même l’idée et que Dieu ordinairement ne donne cette lumière qu’à ceux dont Il doit exiger ce même sacrifice. Ce n’est pas un acte que l’âme doive faire ni qu’elle puisse faire par elle-même : c’est un acte que Dieu lui fait faire quand il Lui plaît. Il me paraît qu’on ne démêle pas assez l’amour d’espérance d’avec la Charité pure. Comme j’en ai déjà écrit, je n’en parle pas davantage.

Je remarque seulement que les âmes commençantes font des actes de soumission à la volonté de Dieu pour les choses extérieures ou intérieures, selon leurs états. Elles en font ensuite de conformité à cette même volonté jusqu’à ce qu’étant devenues uniformes, elles ne puissent plus les faire : non qu’elles ne les trouvent bons et excellents en eux-mêmes, mais parce qu’ils sont outrepassés et réunis dans l’uniformité. Il en est de même des actes de confiance, d’espérance, qui subsistent jusqu’à ce que la Charité les ait réunis en Elle. Alors ces actes se changent en abandon parfait entre les mains de Dieu et cet abandon va jusqu’à se délaisser1070 totalement à Lui, sans pouvoir plus s’abandonner activement à cause de la donation irrévocable qu’on a fait de tout soi-même. On donne d’abord une chose, on l’abandonne à Celui à qui on l’a donnée sans en rien [319] retenir pour soi, et puis on la Lui délaisse, de manière qu’Il en peut faire tout ce qu’il Lui plaît parce qu’elle n’appartient plus à celui qui l’a donnée. Il est aisé de voir qu’il y a des actes différents selon les degrés de l’âme, qui ne demeure pas toujours dans la même situation, qui avance vers Dieu par le secours de la grâce et de la fidélité à cette même grâce. Si tous les degrés étaient pareils, il n’y aurait point d’âmes plus élevées les unes que les autres, il n’y aurait pas non plus plusieurs demeures dans la maison du Père céleste1071. Chaque état a son commencement, son progrès, et sa fin1072.

S’il y a cinq ou six de ces âmes en plusieurs siècles, Dieu est assez puissant pour s’en faire un grand nombre. Et quand il n’y en aurait pas davantage, elles seraient toujours un argument qu’on peut parvenir à cet état.

Il est vrai que les personnes qui ont le bonheur d’être arrivées à l’union divine, n’ont plus ces désirs angoisseux et empressés qu’ils avaient autrefois dans la tendance au bonheur souverain, parce que le propre de l’union à Dieu est de tranquilliser le fond de l’âme et de le mettre dans une très grande paix. Elle le met aussi dans un oubli profond de ce qui la concerne, demeurant reposée de tout intérêt entre les mains de Celui qu’elle possède et dont elle est possédée. C’est l’effet de l’amour le plus pur. Nous pouvons nous servir d’une comparaison : le feu perd sa tendance active et pleine de vivacité lorsqu’il est arrivé à la sphère, il n’en est pas moins fort ni moins pur ; au contraire, c’est l’éloignement de toute impureté causée par la séparation de tout corps étranger qui [320] lui fait perdre son activité. Ainsi l’âme ne perd son activité amoureuse que parce qu’elle est reposée dans un amour plus pur et plus parfait, produit par l’union au Bien-aimé.

L’oubli de soi ne cause pas une stupide indifférence. Mais un amour surpassant tout propre intérêt la tient attachée à son objet, en sorte qu’elle ne veut ni ne peut s’en détourner pour envisager quelque chose moindre que Lui. Peut-on nommer un amour surpassant tout et une charité absorbante une stupide indifférence ? Puisque l’oubli de ce qui nous concerne ne vient que d’excès d’amour et que notre salut est beaucoup plus assuré dans la main de Dieu lorsqu’on ne s’occupe qu’à Le glorifier et à Lui plaire, qu’il ne le serait dans nos inquiétudes empressées qui n’y peuvent rien ajouter ?

Il faut nécessairement que ceux qui accusent cet état d’une stupide indifférence n’aient aucune expérience des voies intérieures et n’aient pas même compris ce que les mystiques disent là-dessus, puisqu’il est même certain qu’une personne occupée d’une forte passion d’une créature - qui n’est rien, comparée à l’Etre souverain -, s’oublie de tout ce qui le concerne pour ne songer qu’à l’objet dont il est rempli : cet objet étant hors de lui ne peut jamais lui donner une parfaite tranquillité par sa jouissance même, qui souvent le dégoûte, l’ennuie, éteint son amour. Il n’en est pas de même de Dieu : Il est en nous, Il nous possède et nous Le possédons dans un parfait repos. L’amour que l’on a pour Lui se fortifie tous les [321] jours par le bonheur de la possession et comme cette possession est dans un parfait repos et sans aucune agitation de la part de la créature, cela fait que l’amour s’accroît et se perfectionne chaque jour dans ce même repos.

Tout acte vif et inquiet est banni de ce sacré séjour mais l’amour n’en est que plus constant, plus continuel et plus pur en foi. Il est certain que tout ce qui se fait avec effort diminue la force active par l’effort même ; et quoique cet effort paraisse quelque chose de plus grand qu’un état reposé, il s’affaiblit, se diminue et souvent se perd par sa continuité. Il n’en est pas de même de l’union divine : comme dans cet état l’âme est arrivée à son Centre, son action n’a plus les secousses et les efforts des autres actions ; son repos fait sa continuité, sa perfection et sa durée.

*2.53 L’âme en pure Charité n’est plus à sa propre disposition, mais à celle de Dieu.

Il1073 me semble qu’il1074 est aisé de considérer qu’une1075 personne qui met son bonheur en Dieu seul [322] ne peut plus désirer son propre bonheur. Nul ne peut mettre tout son bonheur en Dieu seul que celui qui demeure en Dieu par la charité. Lorsqu’il en est là, il ne désire plus d’autre félicité que celle de Dieu en Dieu même et pour Dieu même1076. Ne désirant plus d’autre félicité, toute félicité propre, même la gloire du ciel pour soi, n’est plus ce qui le peut rendre heureux et par conséquent n’est plus l’objet1077 de son désir. Le désir suit nécessairement l’amour. Si mon amour est en Dieu seul et pour Dieu seul sans retour sur moi1078, mon désir est en Dieu seul, sans rapport à moi.

Ce désir en Dieu n’a plus la vivacité d’un désir amoureux, qui ne jouit point de ce qu’il désire, mais il a le repos d’un désir rempli et satisfait. Car Dieu1079 étant infiniment parfait et heureux et le bonheur de cette âme étant dans la perfection et étant le1080 bonheur de son Dieu, son désir ne peut avoir l’activité du désir ordinaire qui attend ce qu’il désire, mais il a le repos de celui qui possède ce qu’il désire. C’est donc là le fond de l’état de l’âme, qui sait qu’elle n’aperçoit plus en soi tous1081 les bons désirs de ceux qui aiment Dieu par rapport à eux-mêmes, ni de ceux qui s’aiment et se recherchent eux-mêmes dans l’amour qu’ils ont pour Dieu.

Cela n’empêche1082 pas que Dieu ne change quelquefois les dispositions, faisant que l’âme sentira pour des moments le poids de son corps qui lui fera dire Cupio dissolvi1083 etc. D’autres fois ne sentant plus qu’une disposition de charité pour ses frères sans retour ni rapport à soi-même, elle désirera d’être anathème et séparée de Jésus-Christ [323] pour ses frères1084. Ces dispositions qui paraissent se contrarier, s’accordent fort bien dans un fond qui ne varie point. De manière que quoique la béatitude essentielle de cette âme soit la béatitude de Dieu en Lui-même et pour Lui-même, dans laquelle les désirs sensibles de l’âme sont comme éteints et reposés, Dieu ne laisse pas de réveiller Lui-même1085 ces désirs lorsqu’il Lui plaît. Ces désirs ne sont plus1086 de ces désirs d’autrefois qui sont dans la volonté propre, mais des désirs remués et excités de Dieu même, sans que l’âme réfléchisse sur soi. Parce que Dieu, qui la tient directement tournée vers Lui, rend ses désirs, comme ses autres actes, sans réflexion : de sorte qu’elle ne les peut voir s’Il ne les lui montre1087, ou si Ses paroles ne lui en donnent quelque connaissance en la donnant aux autres. Il est certain que pour désirer pour soi, il faut vouloir pour soi. Or tout le soin de Dieu étant d’abîmer la volonté de sa créature dans la sienne, il absorbe aussi tout désir connu dans l’amour de sa divine volonté.

Il y a encore une autre raison qui fait que Dieu ôte et met dans l’âme les désirs sensibles comme Il lui plaît. C’est qu’Il exauce les désirs de cette âme et la préparation de son cœur1088 de sorte que l’Esprit désirant pour elle et en elle, ses désirs sont des prières et des demandes1089. Or il est certain que Jésus-Christ dit dans cette âme : Je sais que vous m’exaucez toujours1090. Un désir véhément de la mort dans une telle âme serait presque une certitude de la mort. Désirer les humiliations est bien au dessous de désirer la jouissance de Dieu - et néanmoins lors qu’il a plût à Dieu de me [324] beaucoup humilier par la calomnie, Il m’a donné une faim de l’humiliation. Je l’appelle faim, pour la distinguer du désir. D’autres fois il met dans cette âme de prier pour des choses particulières : elle sent bien dans ce moment que sa prière n’est point formée par sa volonté mais par la volonté de Dieu, car elle n’est pas même libre de prier pour qui il lui plaît ni quand il lui plaît, mais lorsqu’elle prie, elle est toujours exaucée. Elle ne s’attribue rien pour cela mais elle sait que c’est Celui qui la possède qui s’exauce Lui-même en elle. Il me semble que je conçois cela infiniment mieux que je ne l’explique. Il en est de même pour la pente sensible ou même aperçue, qui est bien moins que sensible. Lors qu’une eau est inégale à une autre qui se décharge en elle, cela se fait avec un mouvement rapide et un bruit aperçu, mais lorsque les deux eaux sont de niveau, la pente ne s’aperçoit plus. Il y en a néanmoins une ici mais elle est insensible et imperceptible, en sorte qu’il est vrai de dire, en un sens, qu’il n’y en a plus. Tant que l’âme n’est pas unie intimement à son Dieu d’une union que j’appelle permanente pour la distinguer des unions passagères, elle sent sa pente pour Dieu. L’impétuosité de ce penchant, loin d’être une chose parfaite comme des1091 personnes peu éclairées le pensent, en1092 est le défaut et marque la distance de Dieu et de l’âme.

Mais quand Dieu s’est uni l’âme de telle sorte qu’Il l’a reçue en lui où Il la tient cachée avec Jésus-Christ1093, l’âme trouve un repos qui exclut toute pente sensible, et tel que la seule expérience le peut faire comprendre. Ce n’est point [325] un repos dans la paix goûtée, dans la douceur et dans la suavité d’une présence de Dieu aperçue, mais c’est un repos en Dieu même, qui participe à son immensité tant Il a d’étendue, de simplicité et de netteté. La lumière du Soleil qui serait bornée par des miroirs aurait quelque chose de plus éclatant que la lumière pure de l’air ; cependant ces mêmes miroirs qui rehaussent son brillant, la terminent et lui ôtent de sa pureté. Lorsque le rayon est terminé par quelque chose, il s’emplit d’atomes et il se fait mieux distinguer que dans l’air, mais il s’en faut bien qu’il n’ait sa pureté et sa simplicité. Plus les choses sont simples, plus elles sont pures et plus elles ont d’étendue. Rien de plus simple que l’eau, rien de plus pur, mais cette eau a une étendue admirable à cause de sa fluidité. Elle a aussi cette qualité, que n’ayant nulle qualité propre, elle prend toutes sortes d’impressions, elle n’a nul goût et elle prend tous les goûts, elle n’a nulle couleur et elle prend toutes les couleurs.

L’esprit en cet état et la volonté sont si purs et si simples que Dieu leur donne telles couleurs et tel goût qu’Il lui plaît, comme à cette eau qui est tantôt rouge et tantôt bleue, enfin imprimée de telle couleur et de tel goût que l’on veut lui donner. Il est certain que quoique l’on donne à cette eau les diverses couleurs que l’on veut à cause de sa simplicité et pureté, il n’est pourtant pas vrai de dire que l’eau en elle-même ait du goût et de la couleur ; et c’est ce défaut de goût et de couleur qui la rend susceptible de tous goûts et de toutes couleurs. C’est ce que j’éprouve de mon âme : elle n’a rien qu’elle puisse distinguer ni connaître en elle ou comme à elle et c’est ce qui [326] fait sa pureté ; mais elle a tout ce qu’on lui donne, et comme on le lui donne, sans en rien retenir pour elle. Si vous demandiez à cette eau quelle est sa qualité, elle vous répondrait que c’est de n’en avoir aucune. Vous lui diriez : mais je vous ai vue rouge ! Je le crois, mais je ne suis point rouge, ce n’est pas ma nature. Je ne pense pas même à ce qu’on fait de moi, à tous les goûts et à toutes les couleurs qu’on me donne. Il en est de la forme comme de la couleur. Comme l’eau est fluide et sans consistance, elle prend toutes les formes des lieux où on la met, d’un vase rond ou d’un carré. Si elle avait une consistance propre, elle ne pourrait prendre toutes les formes, toutes les odeurs, tous les goûts et toutes les couleurs.

Les âmes ne sont propres qu’à peu de choses tant qu’elles conservent leur consistance propre. Tout le dessein de Dieu est de le leur faire perdre par la mort d’elles-mêmes tout ce qu’elles ont de propre, afin de les mouvoir, agir, changer et imprimer comme il Lui plaît. Et alors il est vrai qu’elles ont toutes les formes et il est vrai qu’elles n’en ont aucunes, ce qui fait que ne sentant que leur nature simple, pure et sans impression singulière, lorsqu’elles parlent ou écrivent d’elles-mêmes, elles nient toutes formes être en elles parce qu’elles ne parlent pas conformément aux dispositions variables où on les met et auxquelles elles ne font nulle attention, mais au fond de ce qu’elles sont, qui est leur état toujours subsistant.

Je vous conjure au reste d’excuser1094 les expressions et si je dis mal, redressez-moi. Si on pouvait montrer l’âme comme le visage, je ne voudrais, ce me semble, cacher aucune [327] de ses taches. Je soumets le tout. J’ai encore ce défaut, que je dis les choses comme elles me viennent, sans réfléchir si je dis bien ou mal. Lorsque je les dis ou écris, elles me paraissent claires comme le jour : après cela, elles me paraissent comme des choses que je n’ai jamais sues, loin de les avoir écrites. Il ne reste rien dans mon esprit qu’un vide qui n’est point incommode. C’est un vide simple, qui n’est incommode ni par la multitude des pensées ni par leur stérilité. Je prie Dieu, s’Il le veut, de faire entendre ce que je ne puis mieux exprimer.

*2.54 Opération de l’amour de Dieu sur les âmes.

Etant dans un fort recueillement, il me fut montré deux personnes : l’une qui était toujours exposée aux rayons divins et qui recevait incessamment les influences de la grâce, et l’autre qui mettant continuellement de nouveaux obstacles, quoique subtils et légers, à la pénétration du Soleil, était cause que le Soleil ne faisait autre chose par son opération que de dissiper les obstacles.

Le Soleil dardait continuellement ses rayons avec une égale force sur ces deux âmes. Cependant l’opération en était bien différente : car l’une était toujours plus pénétrée, plus purifiée, plus éclairée, [328] plus enrichie par les opérations du Soleil parce qu’elle ne faisait nulle action propre qui pût ni la salir, ni empêcher cette opération - car l’agitation ou l’action propre, même sous bons prétextes, empêche que le Soleil ne darde ses rayons avec autant de force et ne pénètre de toute sa chaleur. Lorsque cette autre âme mettait de nouveaux obstacles, quoique subtils et légers, à la pénétration de la lumière, le Soleil n’était occupé qu’à les dissiper : que si elle continue à en mettre, il ne pourra opérer d’une autre manière qu’en détruisant peu à peu ces empêchements. C’est ce qui fait que des âmes d’ailleurs très bonnes et qui paraissent toujours occupées à faire le bien avancent si peu, parce que  ou elles mettent des obstacles qui sont comme des nuages qu’il faut dissiper, ou par leur activité naturelle elles empêchent la pénétration du Soleil.

Si nous étions sans action, sans retour, sans réflexion et que nous fussions toujours ainsi exposés à Dieu en pure et nue foi, nous deviendrions des Séraphins. Les hommes de cette sorte sont destinés à remplir les places des mauvais Anges et sont de l’ordre de cette première Hiérarchie, destinés non seulement à être brûlés et consumés par la Divinité dont ils sont plus proches que les autres esprits bienheureux ; mais de plus, ils en reçoivent tant de flammes qu’ils en pénètrent tous les Ordres inférieurs. Ils sont comme ces miroirs ardents qui, pénétrés des rayons du Soleil, brûlent ce qui est au-dessous d’eux. O hommes de foi et d’amour, que vous êtes rares ! C’est vous qui êtes les Séraphins de la terre, qui brûlez tout de vos ardeurs ; cependant cette ardeur est si paisible [329] que l’on ne sait si ce sont des feux rafraîchissants ou des rafraîchissements brûlants.

Je ne mets pas de ce rang les ardeurs sensibles, qui sont plutôt des vapeurs chaudes que des feux. Mais je parle de ces feux sacrés et invisibles, insensibles et tout purs, qui n’ont que la charité parfaite, laquelle n’est autre chose que la consommation de la foi pure et nue, où l’on ne travaille point à s’élever par les connaissances mais à se laisser consumer d’amour et par l’amour. O s’il y avait bien des Séraphins, tout le monde serait consumé de l’Amour divin ! Et lorsque dans un paisible repos, semblable au feu quand il est dans sa sphère, ils ne sentiraient point de chaleur, ils ne laisseraient point d’en produire, mais1095 une chaleur pleine de vie et de fécondité.

*2.55 Soumission et immutabilité de l’âme unie.

Combien est-on obligé de faire de personnages dans la vie, du moins par dehors ? Car pour le dedans, c’est toujours le même et l’Unique [qui] veut un cœur unique. Mais plus Il possède le dedans, plus on est libre au dehors d’une manière toute simple, sans retour et sans embarras, et cette volonté toujours souple et pliable à tout événement rend immuable. On aurait peine à croire qu’à mesure que la volonté devient souple, pliable, qu’elle prend toutes les formes qu’on veut lui donner, [330] elle cesse d’avoir une forme particulière : l’eau qui n’a ni goût, ni consistance, ni saveur, ni odeur, parce qu’elle est infiniment pure, prend toutes les figures, les odeurs et les couleurs. Vous m’entendez sans doute et vous comprenez aisément que la volonté ne devient de cette sorte qu’à force de se soumettre, se résigner, se conformer et s’unir au Vouloir divin. Il ne vous en faut pas dire davantage : en perdant toute inclinaison sensible et perceptible, vous n’aurez plus d’inclination particulière et vous vous laisserez mouvoir au Vouloir divin. Ce n’est pas une petitesse active mais passive que Dieu doit former en nous. N’arrangeons rien et ne dérangeons rien par nous-mêmes, mais laissons-nous déranger au Seigneur qui ne fait cas que d’une souplesse infinie. La moindre chose dont nous sommes le principe, quelque bonne qu’elle paraisse, ne Lui peut plaire. Il n’aime que Ses ouvrages et Il ne regarde comme tels que ceux qui sont sans mélange. Que Dieu est pur et qu’il faut que nous soyons purs pour n’ajouter rien à la grâce et pour Le suivre avec fidélité et sans nul retour en quelque endroit qu’Il nous mène !

*2.56 De la Fermeté intérieure.

La même fermeté intérieure que l’âme a pour ne point se remuer dans les tentations et dans la [331] peine de ses défauts, elle l’a pour les dons et les grâces. En cet état, tout est si intime qu’il ne s’aperçoit rien. Mais s’il en tombe quelque chose sur les sens, l’âme est inébranlable pour laisser aller et venir la grâce, ne faisant nul mouvement, quelque simple qu’il soit, ni pour savourer ni pour goûter, mais laisse le tout comme s’il se passait dans un autre, sans y prendre nulle part.

Au commencement et longtemps, l’âme voit que la nature veut y prendre sa part, et alors sa fidélité consiste à la retenir sans lui permettre d’épanchements. Puis l’habitude qu’elle a prise à la retenir fait qu’elle demeure immobile, comme d’une chose qui ne la touche plus : l’âme ne regarde plus rien, elle ne s’approprie rien et elle laisse tout recouler en Dieu avec pureté, comme il en est sorti.

Jusqu’à ce que l’âme soit en cet état, elle salit toujours un peu l’opérer divin, qui ressemble alors à ces ruisseaux qui contractent la corruption des lieux où ils courent ; mais sitôt que le ruisseau coule dans un lieu pur, alors il reste dans la pureté de sa source. Ce procédé fait beaucoup mourir la nature et ne lui donne aucun moyen de se tenir à rien.

Mais à moins de l’expérience et que Dieu ne fasse connaître à l’âme cette conduite, on ne la peut comprendre ni se l’ imaginer, à cause de sa grande nudité. L’esprit y est vide et n’est plus rempli de pensées et d’agitations, rien ne remplit un certain vide qui n’est plus pénible, et l’âme voit qu’elle a une capacité immense que rien ne peut empêcher : les emplois extérieurs ne font plus de peine et l’âme est dans un état de consistance qui ne se peut exprimer et qui même sera peu compris. [332]

*2.57 Enfance et dépouillement nécessaires pour la charité.

On ne connaît point cette véritable enfance que Jésus-Christ a tant louée et qu’Il donne comme la qualité essentielle pour entrer au Royaume des cieux qui, dans cette vie, est ce royaume intérieur. Il n’y a que les petits qui y entrent et qui le pénètrent et, parce que la porte est étroite et basse, il n’y a que les enfants qui puissent y entrer. Cet intérieur est la vie qu’on trouve par la porte étroite. Quelque décharné que soit un homme par son austère pénitence, il est toujours homme : il n’y saurait par conséquent passer s’il ne devient enfant. De plus, ces personnes austères sont riches de leurs propres œuvres, ils n’y peuvent passer puisqu’il est si difficile qu’un riche y entre. Soyons donc pauvres, petits enfants, dénués de tout, et nous y passerons tout naturellement et sans effort, comme un fil simple passe où le câble ne saurait entrer. Heureux celui qui a des oreilles pour entendre cela ! Plus heureux le cœur qui le comprend ! Et parfaitement [333] heureux celui que l’humble et pauvre Jésus y conduit Lui-même et qui se laisse porter par un abandon total, sans soin ni souci de ce qui le concerne, comme n’étant plus à lui-même mais à Celui qui l’a racheté d’un si haut prix.

Mais est-ce assez, O mon divin Maître, d’être dépouillé de tout, si on n’est entièrement dépouillé de soi-même ? Vous avez quitté tout ce que Vous pouviez quitter des accompagnements de la Divinité pour Vous faire homme (sans cesser d’être Dieu en prenant réellement la nature de l’homme), afin d’obliger l’homme à se dépouiller de lui-même et pour le rendre par là participant de la Divinité. C’est en perdant ce nous-même (que nous tenons d’Adam et que nous avons fixé par la propriété) que, devenant conformes à Jésus-Christ et un en Lui, Il nous transforme, comme dit saint Paul, de clarté en clarté en Son image1096 et nous perd en Dieu.

Mais que sont ces clartés dont parle saint Paul ? Ce ne sont point des brillants qui nous fassent discerner quantité d’objets. La clarté dont on passe pour entrer dans une autre est la sombre clarté de la Foi, laquelle en nous éblouissant nous met dans l’obscurité divine, qui nous empêche de rien vouloir, voir ni connaître et qui nous ôte toute vue et certitude prise en quelque objet distinct que ce soit pour ne nous laisser que ces sacrées ténèbres, dont parle saint Denis, qui sont si certaines quant à leur objet puisqu’elles nous laissent dans la certitude que Dieu est tout en Lui-même, pour Lui-même et nous rien, que Dieu demeure ce qu’Il est en Lui et pour Lui et qu’ainsi nous restons dans notre place, qui est le néant [334] - néant qui n’étant rien, ne mérite rien - mais qui cependant a une qualité proportionnée, quoiqu’en petite capacité, pour posséder le tout qui ne remplit que les vides. Car c’est le vide, plus ou moins étendu, qui fait la disposition pour recevoir le tout selon sa capacité bornée et limitée, laquelle n’a qu’une certaine proportion sans proportion avec le tout.

Or de cette clarté sombre de la Foi, nous passons dans la claire Charité, qui est toute lumière et toute ardeur, mais lumière et ardeur encore plus ignorées de celui qui les possède que la Foi. Parce que le rien n’a ni vue, ni goût, ni sentiment, ni connaissance, ni ardeur et cependant la Charité possède toutes ces qualités. Et quoiqu’Elle soit en l’homme de cette sorte, ce n’est pas cependant pour l’homme, c’est-à-dire pour en jouir et La posséder : car l’homme est si corrompu que s’il possédait ces choses en manière connue, il s’en ferait une propriété, qualité si opposée à la pure Charité.

Vous voyez donc combien le dénuement de l’homme est nécessaire, puisque la possession de la Charité en manière connue et satisfaisante l’éloignerait d’Elle à cause de l’opposition infinie qu’il y a entre la propriété et cette Charité pure, nette, généreuse qui ne peut s’arrêter captive en aucun endroit et ne peut par conséquent séjourner en des endroits qui voudraient L’arrêter en se L’appropriant. Elle est légère, Elle monte au-dessus de tout pour S’unir sans cesse à son principe qui est Dieu, car Dieu est Charité1097. Elle se plaît dans le néant, je veux dire dans l’âme anéantie, parce qu’Elle y a toujours son même effort et que [335] rien ne L’arrête. Si les obstacles qui L’empêchent de S’étendre sont légers, Elle les consume en un moment comme un brin de fil, et Elle en use de même de nos défauts journaliers qu’Elle consume en un moment lorsqu’ils ne sont pas volontaires ou causés par la propriété. Loin d’ici le péché ! Ce n’est pas ce dont il s’agit, mais d’une parfaite désappropriation pour laisser faire tout à la Charité. Or comme la Charité est Dieu et que Dieu est Charité, en nous changeant en Elle, Elle nous transforme en Dieu.

C’est donc à Elle qu’il faut se livrer et s’abandonner. O pure Charité, les hommes propriétaires Te sont aussi opposés que le Diable ! C’est pourquoi ils se joignent à cet ennemi pour Te combattre,  mais ni la multitude des eaux, ni tous les fleuves ne Te peuvent éteindre ; et quand l’homme donnerait toutes choses, et lui-même, pour La posséder, ce ne serait rien pour ce qu’Elle vaut et mérite1098. Cependant le Maître se contente que nous ne nous réservions rien de propre pour nous La donner. Quand Il nous La donne, Il donne en Dieu ; et quand nous nous donnons, nous donnons en hommes, comme celui qui donnerait une pomme à un grand monarque, qui le récompense d’une très grande quantité d’or.

Adieu mille fois! Toute à vous en notre Tout qui, si nous sommes fidèles, fera de tant de petits grains de raisins que nous sommes, un verre de vin exquis pour le présenter à l’Epoux, qui l’avalera : alors il ne paraîtra plus rien de nous et Jésus-Christ sera tout en nous. Amen, Jésus ! [336]

*2.58. Simplicité enfantine, et oubli de soi en tout sous la conduite de Dieu.

1. Le même principe qui simplifie, applique à ce qu'il lui plaît ; et les plus petites cérémonies de l'Eglise ont leur beauté et entrent dans le cœur. Il n'est pas question ici d'avoir ou de n'avoir pas, d'être d'une façon ou d'une autre, mais d’être ce que Dieu nous fait être, et en la manière qu'il le veut. Vous verrez un pays nouveau, où vous marcherez avec plaisir jusqu'à ce que vous ne voyiez plus rien. Si un enfant en naissant avait sa pleine raison, qu'il se trouverait étonné au sortir de ce cachot ténébreux de voir la beauté de ce grand univers ! Il en est de même d'une âme qui entre en nouveauté de vie.

2. C'est donc de moment à l'autre ce qui se présente à faire, sans vous regarder ni en bien ni en mal, vous laissant tel que vous êtes entre les mains de Dieu, comme un vile instrument dont il se servira tant qu'il lui plaira, et qu’il jettera aux ordures, lorsqu'il ne voudra plus s'en servir.

*2.59 De l’état de la parfaite simplicité.

L’âme1099 arrivée à la parfaite simplicité et [337] qui a outrepassé tout moyen ne trouve que Dieu seul. Tout ce qui n’est point Lui-même, quelque grand et élevé qu’il paraisse, la gêne et l’embarrasse. Tout ce qui se voit, s’entend, se pratique, n’est point ce qu’il lui faut. Il ne faudrait pour elle que le repos du Seigneur et l’entière cessation de toutes choses. Cette âme vivrait contente, quand [même] tout serait détruit, et quand tout usage de la religion lui serait interdit, elle ne trouverait pas qu’il lui manquât rien. Il paraît à cette âme, réduite en unité et dans l’entière simplicité, que tout ce qui la concerne, même ses défauts, ne mérite plus son application - qui la détournerait de sa dernière fin, dans laquelle elle trouve que toutes actions sont finies et réduites dans leur Principe.

Il lui semble même que la purification commune et générale n’est plus pour elle et que Dieu seul peut consumer en elle tout défaut et toute dissemblance : ce qu’Il fait assurément car Il n’en peut souffrir aucun. Ce qui paraît défaut aux hommes ne l’est pas toujours devant Dieu, au lieu que ce que l’on prend souvent pour justice et perfection est réprouvé de Lui. C’est Lui qui choisit le bien et rejette le mal.

Tout autre moyen de purification ne convient point à cette âme. Toutes les âmes conduites par les dons surnaturels sont ordinairement éprouvées par les Démons. Il n’en est pas de même des âmes conduites en foi : leur épreuve paraît n’avoir rien d’extraordinaire et être toute naturelle, elle fait beaucoup plus mourir que la première épreuve des âmes conduites par les dons, d’autant que l’épreuve des premières leur sert de soutien. Nous ne pouvons jamais par nos soins et même par l’assiduité [338] à retrancher tous les mouvements de notre propre vie nous causer la mort intérieure. Nous pouvons bien amortir l’extérieur, mais l’esprit vivra même de cette application. Il n’y a que la sortie de nous-mêmes qui puisse véritablement porter le nom de mort. Tout ce qui nous retient en nous, quelque délicat et subtil qu’il soit, empêche notre mort. Dieu tolère plutôt de gros défauts extérieurs, qu’Il corrige dans la suite par l’activité de Son Amour, que la moindre résistance ou le plus petit empêchement à l’étendue de Son domaine dans l’âme.

Plus Dieu est libre en nous, plus Il donne Son Esprit sans mesure. C’est la gloire qu’Il prétend en nous que de voir tous les ennemis comme les escabeaux de Ses pieds, c’est-à-dire de voir terrasser en nous tout ce qui s’oppose à Son empire. Aussi est-il écrit : le Seigneur dit à mon Seigneur, Asseyez-vous à ma droite1100, comme pour nous apprendre que cet Esprit demeure en Lui-même et ne Se répand en nous avec plénitude qu’autant que tout Lui est assujetti dans nous. Mais qui est-ce qui assujettit tout au Fils, sinon le Père, puisque c’est Lui qui réduit Ses ennemis à être l’escabeau de Ses pieds ?

Je donnerais ma vie afin que la personne que j’ai l’honneur de connaître ne donna aucune borne à l’Esprit de Jésus-Christ. Pour continuer de lui parler dans ma simplicité, notre Seigneur me paraît lié dans son âme et qu’Il n’est pas libre d’y opérer tout ce qu’il Lui plaît. Cela me fait souffrir d’une peine intérieure très forte. Sitôt qu’il donnera tout pouvoir à Dieu en lui, mon âme sera au large et mon cœur content et certaines répugnances lui seront ôtées.

2.60 Esprit de soumission et d’enfance 

Ô mon cher Maître ! Qui avez préféré l'obéissance à la domination de tout l'univers, vous, qui en étiez le souverain, et qui avez porté cette obéissance jusqu'à la mort de la Croix, que pensez-vous de ceux qui veulent dominer, vous qui avez dit1101 : Les souverains dominent les nations ; il n'en sera pas de même de vous ; car celui qui voudra être le premier, sera le dernier ; vous, qui êtes venu pour servir et non pour commander ? Hélas ! Qu'il fait bon être des enfants souples et pliables, qui disent simplement leur pensée pour obéir à Dieu, sans vouloir ni être suivis ni maîtriser personne Soyons si petits qu'on ne nous aperçoive plus. C'est un exemple que le divin maître nous donne pour nous faire voir combien l'unité doit égaler tous. Qu'il est bien plus sûr de suivre les avis que d'ordonner ! Saint Paul craignait1102 qu'après avoir sauvé les autres, il ne fût lui-même réprouvé. Il faut être en la main de Dieu comme un balai, qu'on jette au feu après s'en être servi !

*2.61 État d’une âme passée en Dieu.

[340] Lors qu’une âme est une fois sortie d’elle-même et passée en Dieu, elle est si fort étrangère à elle-même qu’il faut qu’elle se fasse une grande violence pour penser à elle. Lorsqu’elle y pense c’est comme à une chose étrangère qui ne la touche plus. Elle se sent comme divisée et séparée d’elle-même. Une seule chose est et subsiste en elle, qui est Dieu. Elle ne peut plus se voir distincte de Dieu. Dieu est elle et elle est Dieu, mais pour se regarder elle-même cela lui est étranger. Elle n’a plus nulle correspondance d’elle-même pour elle-même mais Dieu seul subsiste sans distinction. Et plus elle est dans cette unité en Dieu, indistinguible, plus elle est étrangère et séparée d’elle-même. Rien de ce qui peut avoir rapport à elle ne la peut toucher ni intéresser. Paradis, perfection, éternité, rien de tout cela ne la regarde plus. Tout ce qui a rapport à la créature est perdu pour elle et dans une perte si étrange que la perte même est insensible et étrangère. Dieu est Dieu en Lui-même et pour Lui, et c’est tout ce que fait cette âme : non qu’elle y pense en distinction, mais c’est qu’elle fait qu’il n’y a que Dieu pour elle. Tout le reste lui est étranger.

Si son propre salut ne la touche pas d’une manière aperçue, celui des autres ne la touche point aussi. Cependant elle y est employée et y travaille par Providence. Dieu la pousse quelquefois [341] fortement à désirer le salut et la perfection de certaines âmes, en sorte qu’elle donnerait sa vie pour les faire correspondre à Dieu dans toute l’étendue de Ses desseins sur elles - mais sans soin ni souci, sans y mettre rien du sien, servant de pur instrument en la main de Dieu, qui donne telle pente et telle activité qu’il Lui plaît, mais activité dans un parfait repos, sans sortir de Lui-même, sans nulle pente propre, quoique la pente soit quelquefois infinie : car l’âme parvenue à l’entière désappropriation et propre à s’écouler en Dieu, y étant abîmée, est comme une eau fluide qui ne peut être fixée mais qui s’écoule sans cesse suivant la pente qui lui est donnée.

Elle comprend qu’elle participe à la qualité communicable de Dieu et qu’elle ne vit et ne subsiste que pour se répandre. Plus elle s’écoule, plus elle est pleine sans nulle plénitude propre, mais de la plénitude de Dieu en Lui qui se communique à tous les êtres et qui entraîne avec Lui ceux qu’Il a abîmés en Lui. C’est Lui qui leur donne toute pente. Cependant cela se fait sans s’en occuper, sans y penser, sans se soucier du succès : tout périrait et se renverserait que l’âme n’en serait point touchée, ce qui n’empêche pas qu’elle ne souffre les biens ou les maux des âmes qui lui sont unies pour recevoir ses communications. C’est comme une rivière qui s’écoule agréablement lorsqu’on lui fait passage, mais qui remonte avec effort contre elle-même lors qu’elle n’en trouve point. Cette douleur, quoique très forte, n’est point propre à l’âme. Ce n’est point un déplaisir pour la perte des âmes, c’est une pente nécessaire. Tout lui est Dieu et toute la gloire de Dieu se trouve autant dans la destruction de toutes choses [342] que dans leur succès. On ne sait plus ce que c’est que parents, amis, biens, enfants, intérêt, honneur, santé, vie, salut, gloire, éternité : tout cela ne subsiste plus pour une telle âme, quoiqu’à l’extérieur elle paraisse toute commune, agissant et faisant comme les autres.

Dieu est toutes ces choses en elle pour Lui. Ces âmes en qui Il habite sont cachées à elles-mêmes. O si je pouvais faire comprendre l’intimité et identité de cette union ! Mais je n’en puis rien dire. Dieu est, et la créature n’est rien1103 et ne subsiste plus. O Dieu qui l’avez fait ! Vous seul le pouvez comprendre, Vous qui avez fait passer en Vous cette créature. Il m’en vient une raison qui est que l’âme est tellement perdue et submergée en Dieu qu’elle ne peut voir que Dieu sans Le voir néanmoins car elle en est comprise1104. Elle peut encore moins se voir par réflexion parce qu’il faudrait sortir de Dieu pour se regarder. Si elle voyait quelque chose d’elle, elle le verrait en Dieu par un regard direct et non réfléchi sur elle-même. Cet état s’éprouve même des âmes qui ne l’ont encore que par disposition. Comme elles ne sont point en Dieu par état permanent, elles éprouvent dans cette disposition, qui dure plus ou moins selon qu’il plaît à Dieu, elles éprouvent, dis-je, une impuissance de réfléchir sur elles-mêmes, mais après cela, elles fourmillent de réflexions. L’âme qui y est par état, y est bien plus parfaitement et d’une autre sorte, elle ne peut plus en nulle manière se courber vers soi et, quand elle le voudrait faire, elle ne se trouve plus. [343]

Comme elle ne se distingue plus d’avec Dieu, elle ne peut par conséquent avoir d’autre intérêt hors de Dieu de sorte que, si cette âme a encore quelque intérêt particulier quel qu’il soit, fût-il de salut, je dis qu’elle n’est point dans l’état dont je parle, mais dans quelque autre qui lui est inférieur. On prendra peut-être pour ce que je dis un certain état où l’on ne veut le salut que pour glorifier Dieu et l’on croira que ce n’est point avoir d’intérêt propre. Cela est très grand, mais ce n’est point ce que je veux dire. L’âme ne pense point ici à tout cela, elle ne sent plus même en elle les intérêts de la gloire de Dieu, comme une créature qui s’intéresse pour son Créateur. Tout cela n’est point ce que je veux dire. Ici Dieu s’intéresse Lui-même pour Lui-même, et cette créature n’a plus non seulement d’intérêt pour elle-même, mais nul intérêt pour Dieu distinct de Dieu : Dieu seul en unité est toute sa gloire ; ses intérêts, tout, se trouve renfermé en Lui. Dieu est Dieu en Lui et pour Lui.

Ceci a bien de la peine à être expliqué et à moins d’expérience l’on aura peine à le concevoir. Tout est Dieu. La gloire de Dieu est Dieu, non envisagée comme telle par cette créature, mais cela est et subsiste en unité réelle de vérité, comme Dieu subsiste en unité en Lui et pour Lui-même sans différence. Il en est de même dans cette âme : les volontés de Dieu et Ses commandements sont découverts dans leur source non plus distincts de Dieu, mais en Dieu, où les volontés de Dieu paraissent bien d’une autre sorte que tout ce que l’on en pourrait penser et connaître hors de Lui. [344]

Après que l’on a bien écrit de ces choses, il en est mis dans le cœur d’inexplicables qu’il faut laisser recouler dans leur source.

*2.62 Du Mariage spirituel.

Ce qui fait que tant de personnes ont parlé si différemment du Mariage spirituel, c’est qu’ils en ont parlé suivant leur lumière ou expérience, donnant le nom de mariage à leur union, selon le degré et l’état où ils étaient : les uns le mettant dans les lumières sublimes qui sont données à l’âme dans la perfection de l’état passif de lumière, les autres prenant pour mariage spirituel ces touches sublimes, cet amour fort et impétueux. Et les autres1105 l’ont mis où il est, c’est-à-dire dans l’état de transformation. L’Ecriture nous instruit mieux que toutes ces expériences lorsqu’elle dit dans Osée : Je t’épouserai en foi ; je t’épouserai pour jamais1106, ce qui fait assez voir que le mariage parfait est indissoluble et qu’il ne peut être dans les unions passagères ou unions de quelque partie.

J’appelle union passagère celles qui ne sont pas en degré permanent, comme sont celles des puissances ou bien celles qui se font à l’oraison ou autre part et qui ne sont pas par état. Sainte Thérèse dit qu’elle avait quelquefois, même dès le commencement, cette oraison d’union. [345] C’est ce que l’Epouse demande dans le Cantique lorqu’elle dit d’abord qu’Il me baise d’un baiser de Sa bouche1107. Ceci se peut entendre de l’union passagère et de l’union permanente. Comme baiser, c’est l’union passagère, qui ne dure qu’autant que le baiser dure et qui laisse après soi la suavité de l’Ami. Comme baiser unique, il se peut appliquer à l’union permanente parce qu’elle (l’Epouse du Cantique) prétend que ce baiser durera toujours ; autrement elle dirait : « qu’Il me donne des baisers continuels de sa bouche. » Cependant de quelque manière qu’on le prenne, ou pour l’une ou pour l’autre, ce n’est point là le mariage, mais des gages d’amour de l’amant à l’aimée. La suite le fait voir lorsqu’elle dit : tirez-moi et nous courrons1108 ; après quoi elle Le perd, Il S’enfuit et fait toutes les démarches nécessaires pour faire entrer l’âme dans la pure Foi et la rendre digne d’être Son Epouse. Ce baiser qu’Il lui accorde la rend si amoureuse de Lui qu’elle ne sait que courir comme une folle pour Le posséder entièrement : elle ne craint ni les coups, ni les plaies, elle Le demande partout, mais elle ne Le possède pas parfaitement (il est aisé de juger par là en quel temps se font les noces).

Ensuite ce sont les fiançailles où il semble que l’Epouse entre dans de nouvelles privautés avec l’Epoux. Il la mène dans Ses celliers, puis elle Le porte comme un bouquet entre ses mamelles : tout ceci marque union, caresses, privautés, mais non unité. Ils sont différents1109 et elle ne le possède pas à souhait : vous voyez, puis après son [346] repos, ses langueurs. Quoique tout cela soit divin, elle peut Le perdre encore et elle Le perd en effet.

Mais après cela elle dit : Mon Bien-aimé est à moi et moi je suis toute à lui. Je Le tiens et ne Le laisserai point aller1110. Or c’est alors que se fait cet admirable Mariage où l’âme est vraiment toute à son Epoux et Lui toute à elle. Elle dit « toute » pour faire voir que l’union n’est pas en quelque chose mais en tout. Ce qui dit unité car quelque soin que l’on ait d’unir deux choses ensemble, on ne peut si bien les unir qu’il n’y ait quelque endroit de désuni de sorte que l’on ne peut pas dire que l’union soit totale, quoiqu’elle soit intime. Mais pour faire qu’une chose soit toute unie avec une autre il faut fondre et dissoudre la chose que l’on veut unir afin que des deux il ne s’en fasse qu’une, et cela fait l’unité. Alors on peut dire : Mon bien-aimé est tout à moi et moi je suis toute à Lui, sans réserve ni distinction.

Or ceci ne se peut faire que par l’anéantissement non opéré activement mais souffert, qui a seul le pouvoir de faire perdre à l’âme toute forme propre afin qu’elle puisse être un avec son Dieu. C’est ce que signifie ce mot toute à lui et lui tout à moi, car nous sommes tellement un que l’union n’est pas bornée d’aucun côté, Dieu et l’âme étant l’un à l’autre sans réserve, et cela est unité parfaite. Après cela l’Epoux dit : ma Bien-aimée est toute belle, il n’y a nulle tache en elle1111, parce qu’Il l’a rendue telle pour L’épouser, lui faisant perdre sa forme défectueuse pour lui donner la Sienne. D’où il est aisé de voir que les états de déchets, de pauvretés, de misères etc. n’arrivent pas après le mariage mais avant, qui est le temps où l’Epoux [347] met l’âme dans le creuset pour l’épurer et la rendre digne de Lui.

Il est dit : Je Le tiens et ne Le laisserai point aller, ce qui fait voir la fermeté et l’indissolubilité de ce mariage. Je crois que plusieurs ont pris les fiançailles pour le mariage qui ne sera accompli en eux que dans le Ciel. L’Epoux consomme bien ce mariage autant qu’il le peut être en cette vie, mais la véritable consommation ne s’en fera que dans le Ciel. Et cette consommation se fait par transformation où des deux il n’est fait qu’un, non seulement comme par manière d’union, mais c’est que l’Amant a changé en Lui l’Aimée.

Il dit aussi : ma colombe est unique et parfaite1112. Elle est unique parce qu’elle n’est plus mais Moi seul Je suis. Elle est parfaite parce qu’elle possède Ma propre perfection et c’est alors que l’amour est fort comme la mort1113, parce qu’étant devenue Dieu, la force est celle de Dieu. Ainsi elle est bien éloignée après cet heureux mariage de tomber dans les faiblesses et égarements précédents. Elle dit : Il a ordonné en moi la Charité1114, ce qui fait voir que la Charité lui est donnée dans toute l’étendue et l’ordre qui lui est nécessaire.

Post-scriptum. Lorsque j’ai dit : mon Bien-aimé est à moi et je suis toute à Lui1115, je sais que l’Epouse du Cantique ne dit pas ce mot, toute, mais je l’ai mis comme il m’est venu dans l’esprit. Saint François de Sales l’explique ainsi : et je suis toute sienne. J’ai cependant vu qu’il n’y a dans les Cantiques que le simple mot ego illi, mais cette divine Amante ne se serait pas contentée d’être à Lui en partie. [348]

2.63. Martyrs et règne du Saint Esprit.

Le jour de la Pentecôte il me fut mis dans l'esprit, comment il y avait eu dans l'ancienne loi plusieurs martyrs de la divinité : car les prophètes, les macchabées et autres, ont été les martyrs du vrai Dieu, et n'ont soufferts que pour soutenir la divinité. Dans la primitive église, des martyrs ont répandu leur sang pour soutenir la vérité de Jésus-Christ. Tous ces martyrs étant les martyrs d'un Jésus-Christ crucifié Dieu et homme, aussi leur martyre était sanglant : mais à présent il y a des martyrs du Saint Esprit. Ces martyrs ne souffrent qu'en deux manières ; pour maintenir le règne du Saint Esprit dans les âmes, et pour être les victimes de la volonté divine ; car le Saint Esprit est la volonté du père et du Fils, comme il est leur amour. Ces martyrs doivent souffrir un martyre extraordinaire ; non en répandant leur sang, mais en étant captif de la volonté de Dieu, le jouet de sa providence, martyrs de son esprit. Les martyrs de la primitive église ont souffert pour la parole de Dieu, qui leur avait été annoncé par le Verbe : les martyrs d'après en souffre pour la dépendance de l'Esprit de Dieu ; et c'est cet Esprit qui va se répandre sur toute [349] chair, comme il est dit1116 dans le prophète Joël.

Les martyrs de Jésus-Christ ont été des martyrs glorieux, Jésus-Christ ayant bu toute la confusion et tout l'opprobre ; mais les martyrs du Saint Esprit sont des martyrs de confusion et d'opprobres : c'est pourquoi le Démon exerce plus son pouvoir sur les esprits de ces derniers martyrs, il n'attaque plus leur foi, il ne s'agit plus de cela ; mais il attaque directement le domaine du Saint Esprit, s'opposant à sa céleste motion dans les âmes, et il décharge sa haine sur des corps dont il veut attaquer l'esprit. O martyre le plus cruel et le plus terrible de tous ! Aussi sera-t-il la consommation de tout martyre. Comme le Saint Esprit est la consommation de toutes les grâces que Dieu a faites aux hommes, aussi les martyrs du Saint Esprit seront-ils les derniers martyrs ; après quoi, cet Esprit Saint possédera tellement les cœurs et les âmes, qu'il fera faire à ses assujettis tout ce qu'il lui plaira, comme les Démons faisaient faire avec tyrannie à ceux qu'il possédait et tout ce qui leur plaisait

Ô Esprit Saint, Esprit d'amour ! Faites donc de nous tout ce qu'il vous plaira pour le temps et éternité ! Que nous soyons esclaves de votre volonté ! Que comme une feuille se laisse agiter au gré du vent, nous nous laissions mouvoir à votre esprit ! Mais comme le vent impétueux arrache tout, et brise tout ce qui lui résiste ; rompez tout ce qui s'oppose à votre empire, rompez les cèdres, ainsi que votre Roi prophète l'exprime1117 ; oui, les cèdres seront brisés [350] de ce fond, tout sera détruit ; mais1118 emitte spiritum tuum ; et renovabis faciem terrae. C'est le même esprit qui détruit, qui renouvellera la face de la terre. Ceci est très certain. O emitte Spiritum ! Faites-le Seigneur. Vous l'avez promis. Notre Seigneur en mourant envoya son Esprit : il rendit son esprit, marquant par là la consommation des siècles ; aussi est-il dit1119, qu'il rendit l'esprit après avoir dit : consumatum est. Ce qui nous marque, que la consommation des siècles se ferait par l'étendue de ce même esprit dans tous les siècles, esprit qui fut la volonté de Dieu et l'amour communiqué aux hommes.

Le règne du père a été avant l'Incarnation : celui du Fils, par l'Incarnation, selon ce qu'il est dit de Jésus-Christ1120, qu'il est venu pour régner ; et lorsqu'il est mort il a remis son Royaume à Dieu et à son Père ; comme s'il eût dit, j'ai régné, ô mon Père, en vous et par vous ; vous avez régné en moi et par moi ; mais je remets mon royaume, afin que nous régnions par le Saint Esprit. Que votre règne arrive, demande Jésus-Christ pour nous. Ce règne n’est-il pas arrivé, puisque Jésus-Christ est Roi ? Mais écoutons Jésus-Christ même : que votre volonté soit faite ; c'est comme s'il demandait que le règne du Saint Esprit arrive, où cet Esprit Saint doit faire accomplir, en se communiquant aux hommes, votre volonté, ô Dieu, sur la terre comme elle l'est dans le ciel. Et ce sera alors que tous1121 les ennemis de Jésus-Christ seront les escabeaux de ses pieds ; parce que le Saint Esprit en s'assujettissant toutes les volontés, [351] assujettira tous les hommes à Jésus-Christ ; car toute volonté étant assujettie, tous les esprits le sont aussi. C'est ce qui fera que lorsque l'Esprit saint aura renouvelé la face de la terre, il y n'aura plus d'idolâtres ; tous seront assujettis par l'Esprit au Seigneur.

Oh ! Saint Esprit, consommateur de toutes choses, consommez tout et réduisez tout en un ; mais avant que cela soit fait, vous serez un esprit destructeur. Aussi Jésus-Christ dit1122, Je suis venu apporter le feu dans le monde ; que veux-je sinon qu'il brûle ? Je1123 ne suis point venu apporter la paix, mais l'épée. Il faut1124 renaître de l'esprit et de l'eau. Sa parole est comme l'eau qui s'écoule ; mais c'est l'Esprit qui la rend féconde. C'est cet1125 Esprit qui enseigne toutes choses, ainsi que Jésus-Christ le dit : il prendra de ce qui est à moi : car c'est le Saint Esprit qui communique le Verbe, et qui le produit en nous, Esprit qui enseigne par le fond.

*2.64 Voies et Opérations de Dieu et de Sa grâce sur les âmes de choix.

[352] Que l’aveuglement des hommes est grand de ne point connaître les voies de Dieu, Son pouvoir souverain, Son indépendance de tous les moyens ! Il choisit ceux qu’il Lui plaît et prend même plaisir de contrarier les raisons des hommes afin de paraître d’autant plus Dieu que les moyens dont Il se sert sont plus faibles et moins usités.

Une âme qui a perdue tout pouvoir propre est éloignée de se pouvoir donner quelque mouvement par elle-même puisque, sitôt que nous perdons notre propre pouvoir, nous entrons, comme dit l’Ecriture1126 dans la puissance du Seigneur qui ne nous laisse plus ni choix, ni pente, ni tendance d’aucun côté. C’est ce parfait équilibre de l’âme qui fait que Dieu la penche comme et quand il Lui plaît. O qu’il y a peu d’âmes qui soient de cette sorte dans la main de Dieu, à cause de la difficulté qu’il y a à devenir parfaitement souple et pliable !

Dieu commence par nous rendre passifs pour recevoir Ses opérations dans notre âme. Cela se fait peu à peu, Dieu combattant et détruisant peu à peu toutes les contrariétés et les activités [353] humaines. Il les combat par la paix et le repos qui nous rend peu à peu passifs et sans mouvement pour recevoir les opérations profondes et secrètes. Il les combat aussi par les vicissitudes qu’Il fait éprouver. Et enfin Il les détruit par la mort entière de nous-mêmes.

Mais cet ouvrage qui paraît si long n’est rien en comparaison de ce qu’il faut que l’âme passe pour devenir agissante en Dieu et ensuite mue et agie par Dieu même.

La mort totale nous fait perdre toute volonté, tout choix et tout penchant propre. Elle ôte même la répugnance à tout ce que Dieu pourra faire souffrir, mais elle ne nous donne pas cette passiveté agissante ; la nouvelle vie ne le fait pas non plus d’abord. L’âme qui croit que tout doit finir par une entière passiveté, soit pour souffrir, soit pour mourir, soit pour vivre de nouveau, est bien étonnée qu’un autre s’empare d’elle et lui fait faire ce qu’elle n’aurait jamais imaginé devoir faire. Elle a beaucoup plus de peine à perdre toute répugnance pour agir que pour mourir.

Quand l’âme a, ainsi que je l’ai dit, perdu et tout pouvoir propre et toute répugnance à être mûre et agie selon la volonté du Seigneur, alors Il la fait agir comme Il veut sans choix des moyens : Il se communique par elle sans qu’il y ait en cela le moindre penchant de son côté. Il le fait vers qui Il lui plaît, quand et comme Il lui plaît. Si elle voulait se communiquer ou d’un autre côté que Dieu ne le fait ou dans un temps qu’Il ne la meut pas, cela serait entièrement inutile et dessécherait plutôt le cœur que de lui communiquer la vie. Mais quand Dieu la meut vers un cœur, à moins que ce cœur ne refusât lui-même [354] la grâce que Dieu veut lui communiquer ou qu’il ne fût mal disposé par trop d’activité, il reçoit immanquablement une paix profonde et même quelquefois savoureuse, qui est la plus forte marque de la communication.

Au commencement que l’âme se communique à un sujet encore rétréci en lui-même, celui-ci ne reçoit que peu à peu et l’âme dont Dieu se sert, le sent très bien, car il ne sort pas d’elle autant que Dieu lui donne pour ces personnes parce que, comme je l’ai dit, leur cœur est étroit ou qu’il y a trop d’activités. Il faut alors que la longueur du temps supplée au défaut de la largeur du cœur. Il est aisé de comprendre qu’une eau ne se communique pas abondamment dans un endroit trop étroit et qu’elle se pousse avec impétuosité dans les lieux où il y a assez d’étendue pour la contenir.

Mais, dira-t-on, comment est-ce que cette âme peut discerner quand et à qui Dieu veut qu’elle se communique ? Cela se discerne parce que l’âme sent un surcroît de plénitude qu’elle sent bien n’être pas pour elle - Dieu la tenant à l’égard d’elle-même dans un vide presque toujours égal et dans un entier équilibre, et c’est ce qui fait qu’elle est plus propre à ce que Dieu veut -, elle sent, dis-je, une plénitude très forte qui même l’accablerait si elle ne trouvait personne. Mais Dieu dont la bonté est infinie ne lui donne cette plénitude que lorsqu’il y a des sujets plus ou moins disposés pour la recevoir. L’âme ne peut non plus ignorer pour qui Dieu la remplit de la sorte, parce qu’il penche son cœur du côté qu’il veut qu’elle se communique, comme on met un tuyau dans un jardin pour faire arroser l’endroit que l’on veut [355] arroser et cet endroit-là seulement demeure arrosé. Quelquefois plusieurs personnes reçoivent dans le même temps l’écoulement de ces eaux de grâce, et cela à proportion que leur capacité est plus ou moins étendue, leur activité moindre et leur passiveté plus grande.

L’âme que Dieu conduit de la sorte ne peut résister à ce que Dieu veut d’elle. Si elle le voulait faire, elle souffrirait une peine intolérable jusqu’à ce qu’elle eût obéi à Dieu. Dans le commencement, la honte d’un agir extraordinaire et si contraire à ce qu’elle avait pensé, lui fait commettre quelques infidélités. Et afin de ne se pas rendre à ce que Dieu veut d’elle, elle veut se persuader que c’est une imagination et que ce n’est point Dieu qui la pousse à parler ou à se taire avec certaines personnes. Mais elle en est si fort punie qu’elle apprend à ses dépends l’indépendance infinie de Dieu, le pouvoir absolu qu’Il a sur Sa créature, l’indifférence de choix des moyens dont Il veut Se servir. Une fausse humilité arrête quelquefois, mais l’âme apprend peu à peu que Dieu agit en Dieu, qu’Il choisit les choses basses pour confondre les fortes1127, qu’Il a fait faire autrefois à ses Prophètes des choses qui paraissaient puériles et que c’est dans ces mêmes choses qu’Il a le plus fait voir qu’Il est Dieu et sa Souveraineté. Quand Il veut qu’un grand Prince comme Isaïe fasse des choses indignes d’un homme raisonnable1128, Il fait voir combien Il est le Dieu de ce même Isaïe : car s’il avait agi par la raison, il n’aurait rien fait de ce que Dieu lui avait commandé, il n’aurait point fait connaître le pouvoir divin et la souplesse qu’Il veut des âmes, il n’aurait point servi au peuple [356] de Dieu ; et combien aurait-il mérité par là de châtiments ! Il faut remarquer qu’Isaïe n’a eu sa mission pour le peuple de Dieu qu’après qu’un Séraphin eût purifié ses lèvres avec un charbon ardent : Malheur à moi, disait ce Prophète1129, parce que j’ai les lèvres souillées ! De quoi étaient-elles souillées, les lèvres de ce grand Prophète? Ce n’était pas d’avoir prononcé le mensonge, mais c’est parce qu’il n’avait pas dit la vérité, et toute vérité, dès qu’il lui avait été inspiré de la dire, étant encore dans la faiblesse de la nature humaine. Mais sitôt que le feu de la charité l’a purifié, il n’eût plus de honte ni d’hésitation. Il faut remarquer de plus que ce fut un Séraphin qui le purifia, ce qui nous doit faire concevoir que le pur Amour tout seul peut purifier l’âme à ce point que de lui donner cette souplesse divine.

Livrons-nous donc sans bornes ni mesures au pur Amour et il rendra nos volontés merveilleuses1130 comme celles de David. Comment et quand rend-Il nos volontés merveilleuses ? C’est lorsqu’étant perdues dans la Volonté divine, cette même Volonté divine devient notre volonté et nous meut comme il Lui plaît. Alors toutes nos volontés sont merveilleuses car elles sont certainement la Volonté de Dieu.

C’est donc cette Volonté divine qui remue l’âme et la penche du côté qu’il Lui plaît, sans qu’elle se puisse donner ni penchant ni mouvement. Elle doit avoir une fidélité sans bornes pour suivre Dieu sans doute ni hésitation et pour faire aveuglément tout ce qu’Il veut qu’elle fasse. C’est Lui qui dispose les sujets pour les Lui rendre propres [357] et pour qu’elle exerce sur autrui ce pouvoir divin. Mais ce qui fait qu’on ne réussit pas toujours, c’est que l’âme à laquelle on est adressé n’est ni assez souple ni assez obéissante, qu’elle raisonne sur les choses commandées, qu’elle n’a pas une foi assez pure et simple. Mais alors rien ne retombe sur l’âme qui a fait son devoir et la perte de la grâce ne lui sera pas demandée. C’est ce qui est déclaré dans le Prophète1131 : « Si ton frère pèche parce que tu t’es tû, Je te redemanderai l’âme de ton frère ; mais si ayant parlé à ton frère, il n’écoute pas tes paroles et qu’il ne se tourne pas vers Moi, il est seul coupable et Je ne te redemanderai pas son âme ». Il est aisé de juger par là qu’il faut une grande souplesse de la part de l’agent dont Dieu Se sert et une grande obéissance de la part de ceux à qui Dieu veut faire des grâces par le moyen qu’Il a choisi, sans quoi tout demeure sans effet et la grâce est vaine. L’âme supérieure sent alors que cette même grâce qui n’a pas été reçue retourne sur elle. C’est ce que Jésus-Christ dit à ses Apôtres, de donner la paix dans les lieux où ils vont et que si cette paix n’est pas reçue, elle retournera sur eux . Et saint Paul dit admirablement que la grâce n’a pas été vaine en lui1132 : il ne dit pas qu’elle ait exercé son pouvoir sur tous les cœurs dans lesquels il a voulu la verser, mais qu’elle n’a point été vaine en lui parce que son cœur a toujours été préparé à recevoir celle que les autres refusaient.

Et c’est une chose admirable que rien ne se perde dans l’ordre de la grâce, non plus que dans [358] celui de la nature. La grâce frappe à la porte de notre cœur : lorsqu’elle ne trouve point d’entrée, elle se répand en d’autres cœurs mieux disposés et ce que l’un perd, l’autre le trouve. Et c’est véritablement en ce sens que la grâce est toujours efficace par elle-même et non dans le sens qu’on a voulu lui donner, puisque nous pouvons lui résister et que, lorsque nous lui résistons, elle emploie son efficacité sur d’autres sujets disposés à la recevoir. Ainsi elle n’est jamais inutile. O Amour, que le cœur est à plaindre lorsqu’il Vous refuse et lorsqu’il ne se livre pas à Vous dans toute l’étendue de ce qu’il est !

Il y en a qui ne refusent pas entièrement la grâce, mais ils lui donnent si peu d’ouverture qu’elle est comme captive en eux et ne peut y faire ses fonctions. Avec quelle plénitude cette grâce ne se répand-t-elle pas sur ceux qui la veulent recevoir pleinement sans se regarder eux-mêmes ? On reçoit également de la douleur, et pour la compression et pour la dilatation1133. Ainsi cette grâce en se faisant passage fait souffrir : c’est ce qui fait que souvent on la craint et qu’on la refuse. Mais laissons-lui faire son passage à elle-même, recevons-la de tout notre cœur et elle étendra elle-même ce même cœur dans toute l’étendue qu’un sujet créé le peut porter. Que j’ai de douleur quand je vois cette grâce refusée presque partout ! Il me semble de voir ce qui arriva à la naissance de Jésus-Christ, qu’il ne trouva aucun lieu dans toutes les hôtelleries à cause de la pauvreté de ses parents : son réduit fut une pauvre étable. Parce que la grâce est pauvre, nue, dépouillée de brillant, elle est presque refusée partout. Elle est obligée de se réfugier dans quelque pauvre cœur, qui se trouvant vide de tout le reste, la reçoit avec une entière plénitude. [359]

*2.65 État Apostolique. Appel à enseigner.

Ordinairement1134 les personnes peu avancées veulent se mêler de conduire les autres avant que Dieu les appelle à cet emploi, elles croient même le pouvoir mieux faire que celles que Dieu appelle à cela par vocation singulière. C’est un abus dans la vie spirituelle, et qui s’y glisse même dès son commencement, que de vouloir travailler pour les autres à contre temps. Et ce n’est que par une fausse ferveur que l’on entreprend de les aider par soi-même avant d’en avoir reçu la mission. Plusieurs se croient capables de conduire dans la voie des saints qui n’y sont pas encore bien entrés eux-mêmes, et voulant faire part aux autres des grâces qui ne leur sont données que pour eux, ils en perdent eux-mêmes le fruit et ne peuvent en aider les autres. Il ne se faut point porter à aider le prochain tant qu’on le désire et que l’on n’a pas l’expérience des choses divines et la vocation. [360] Il faut être établi auparavant dans la vie intérieure.

Jésus Christ, notre parfait modèle, a passé trente ans dans la vie cachée, s’appliquant à une oraison continuelle et demeurant anéanti devant Son Père pendant un si long temps, avant que de S’employer visiblement au salut des hommes pour nous apprendre par Son exemple à laisser mourir tout empressement d’aider au prochain et à demeurer dans le silence et dans le repos jusqu’à ce que le temps et les moments soient venus, auxquels Dieu nous donnera Sa parole et Son ordre pour travailler au salut des âmes, s’Il a dessein de Se servir de nous pour cela. J’ose assurer que la vie apostolique par état permanent ne peut être donnée que lorsque l’âme est arrivée en Dieu, et en degré éminent, ce qui n’empêche pas que l’obéissance n’y engage plus tôt. Mais lorsque c’est par obéissance, ou par le devoir indispensable, Dieu supplée à ce qui manque à l’état.

Quelques personnes, même fort spirituelles, m’entendant parler de la vie apostolique par état, prendraient cela pour une certaine ardeur que les âmes nouvellement entrées dans la voie passive ont d’aider aux autres. Elles jouissent au-dedans d’elles d’un si grand bien qu’elles voudraient le communiquer à toute la terre. Mais ces personnes sont infiniment loin de l’état dont je parle, qui ne peut jamais arriver que l’âme ne soit morte et ressuscitée en Dieu, et fort avancée en Lui seul, où tout se trouve en unité divine. Alors elle entre dans la vie apostolique par état, par infusion substantielle et par union essentielle, où c’est Dieu qui agit et qui parle en elle sans qu’elle prévienne Dieu ni qu’elle Lui résiste ni qu’elle participe à ce qui se dit ou se fait par elle en rien qui [361] lui soit propre, imitant en cela la façon de parler et d’agir de Jésus-Christ : Je ne puis rien faire de Moi-même, dit-il, et je juge selon que J’entends1135; et celle du Saint-Esprit, duquel il assure qu’Il ne parlera pas de Lui-même, mais qu’Il dira tout ce qu’Il aura entendu1136. Ce qui se doit entendre de cette sorte : les Personnes de la Trinité, comme unies dans l’essence, y ont tout également, et Elles parlent et agissent par Elles-mêmes comme parlant et agissant au-dehors par une même essence en unité parfaite ; mais comme Personnes distinctes, Elles reçoivent les unes des autres : le Fils reçoit du Père, et le Saint Esprit reçoit du Père et du Fils par Son émanation éternelle d’Eux.

Or je dis qu’il faut que l’âme passe par Jésus-Christ et par la Trinité en distinction avant qu’elle arrive en Dieu seul qui est la Trinité essentielle et indivisible, tout se trouvant réuni dans l’Essence unique en Unité parfaite, de sorte qu’après avoir été unie à Jésus-Christ distinctement et à la Trinité personnelle selon les opérations qui sont appropriées aux Personnes divines, il faut que tout se trouve réuni dans le point de l’Unité essentielle, où toute distinction personnelle se perd et où nous demeurons cachés en Dieu avec Jésus-Christ1137 qui est notre Vie1138, ainsi que Saint Paul l’avait éprouvé. La raison de cet ordre qui s’observe dans le retour de l’âme à son principe est que, l’âme étant sortie de l’Unité de l’Essence divine par la Trinité des Personnes et cette Trinité s’étant communiquée à elle par les grâces et par les mérites de Jésus-Christ, il faut aussi que pour rentrer pleinement dans son origine, elle aille par [362] Jésus-Christ, son Médiateur et son chef, à la Trinité des personnes, et par elles à l’Unité de l’Essence où tout se réduit en parfaite Unité dans la plénitude de la Vie divine et dans le repos inaltérable.

Mais l’âme étant réunie dans ce point essentiel de Dieu seul, elle sort au-dehors par les effets, comme les divines Personnes par Leurs opérations, et ainsi elle se multiplie dans ses actions, quoi qu’elle soit une et très simple et indivisible en elle-même, de sorte qu’elle est une et multipliée sans que la multiplicité empêche l’unité ni que l’unité interrompe la multiplicité. Ceci ne se doit entendre ni selon la seule pensée, vue et sentiment, conformité ni ressemblance connue comme telle par la créature, mais par état réel et permanent quoique, pour l’ordinaire, il ne soit pas connu de l’âme qui a le bonheur d’y être arrivée, comme en elle-même et pour elle-même ; mais il lui est donné de le connaître et exprimer comme dans les autres et pour les autres.

Cet état néanmoins n’est point une sortie de la créature au dehors pour parler, agir et produire les effets de la vie apostolique. L’âme n’y a point de part : elle est morte et très anéantie à toute opération. Mais Dieu, qui est en elle essentiellement en Unité très parfaite où toute la Trinité en distinction personnelle Se trouve réunie, sort Lui-même au-dehors par Ses opérations : sans cesser d’être tout au-dedans et sans quitter l’unité du Centre, Il se répand sur les puissances, faisant par elles et avec elles tantôt l’office du Verbe instruisant, agissant et conversant, tantôt l’office du Saint-Esprit sanctifiant, embrasant d’Amour, fondant ce qu’il y a de plus caché dans les cœurs et [363] parlant par la bouche de cette créature qui demeure très passive à tout ce que Dieu-Verbe et Dieu-Saint-Esprit opère en elle et hors d’elle par son organe - durant que cette âme, vide de toute propriété et distinction non seulement des Personnes mais d’elle-même, demeure essentiellement unie à Dieu dans le fond qui est Dieu même, où tout est dans le repos parfait de l’Unité essentielle de Dieu pendant néanmoins que le même Dieu agit par elle en distinction de Personnes. Tout cela s’opère sans le vu ni le su de cette créature, qui est entièrement incapable de faire ce discernement et qui ne connaît ses paroles et ses actions que lorsqu’elles paraissent, ainsi qu’elle ferait à l’égard de celles d’une autre personne. Mais Dieu révèle ce mystère à qui il Lui plaît.

L’âme arrivée à ce degré est immuable quant au fond, Dieu lui faisant part de Son immutabilité. Elle est si pure, si nette et si dégagée de toutes sortes d’espèces qu’il ne lui vient pas quelquefois en tout un jour une seule pensée. Son esprit est comme une glace pure, qui ne reçoit aucune impression que celle qu’il plaît à Dieu de lui donner. Un entendement purifié de cette sorte est toujours illuminé, mais c’est une lumière générale, immense et pure : c’est un commencement de la lumière éternelle. Cette lumière dans sa pureté et netteté ne cause point de faux brillants, comme des révélations particulières. C’est pourquoi elle n’est pas sujette à l’erreur : c’est la Révélation de Jésus-Christ, Lumière et Vérité, qui, ne laissant nulle distinction à l’âme qui La possède, lui manifeste les secrets tels qu’ils sont et lui communique tout sans lui rien donner et sans l’entremise de la raison. Cette Lumière absorbe dans son sein tout ce [364] qui se peut distinguer, connaître et nommer. Et en laissant l’esprit dans sa pureté et clarté que rien ne termine, Elle ne lui laisse pas ignorer ce qui se peut nommer, distinguer et connaître. Elle a d’une manière infuse, pure et séparée de toutes espèces ce que les autres ont par l’entremise des idées, de l’étude et du raisonnement, et cela sans erreur et tromperie parce que c’est la Lumière de Vérité, qui dissipe par Sa clarté tous les brouillards de l’erreur et du mensonge.

La volonté est tellement purifiée qu’elle jouit sans apercevoir sa jouissance. Elle goûte sans saveur, elle a tout sans rien avoir, rien ne lui manque et elle ne possède rien. Il semble que la même pureté et netteté qui est dans l’esprit soit en elle : c’est tout la même chose. De même que le soleil échauffe et éclaire en même temps et que sa lumière est chaleur et sa chaleur lumière, de même Dieu est la Lumière et l’Amour de cette créature transformée en Lui, qui fait tellement une même chose avec Lui qu’elle ne peut Le distinguer ni se distinguer elle-même. Dieu est elle et elle est Dieu1139, puisqu’Il est sa vie et son mouvement ; tout le reste lui est étranger et elle est étrangère à elle-même. Elle ne se trouve ni être, ni subsistance, quoiqu’elle ait une vie toute divine. Il lui semble qu’elle est si séparée d’elle-même que son corps est comme une machine qui se remue, qui vit et qui parle par ressort.

Dans cet état, l’on connaît ce qui est de l’intérieur des personnes pour lesquelles Dieu applique, et cela dans la même Lumière. C’est là que l’on fait tout sans faire rien, c’est là que le [365] Père engendre son Verbe dans l’âme et que le regard mutuel du Père et du Fils, qui est un regard de complaisance, produit le Saint Esprit. C’est là que les merveilles du temps et de l’éternité sont découvertes sans nulle manifestation particulière : le moment qui fait parler ou écrire en fait tout le discernement.

Or quand le Verbe parle par cette âme, Il ne peut parler par elle que [de] ce qu’Il a parlé Lui-même étant sur terre, ce qui fait que cette personne se sert des paroles de Jésus-Christ et de l’Ecriture sans chercher à s’en servir et sans penser qu’elle s’en serve : c’est que Jésus-Christ étant Lui-même sa parole, elle ne peut jamais parler que ce dont Jésus-Christ a parlé. Et cette parole multipliée au-dehors se trouve réunie dans le Verbe et le Verbe en Dieu sans distinction ni multiplicité personnelle mais dans l’unité parfaite de l’Essence, ainsi que saint Jean l’explique : le Verbe était en Dieu, et le Verbe était Dieu. Le Verbe était en Dieu : voilà la distinction personnelle ; et le Verbe était Dieu : voilà l’Unité de l’Essence1140.

C’est donc là ce que j’appelle la vie apostolique, savoir l’état où l’âme étant morte à tout et parfaitement anéantie, ne retenant plus rien de propre, Dieu seul demeure avec elle et en elle ; et elle est abîmée et perdue en Lui, ne vivant dans son fond que de sa vie essentielle, mais sortant sans sortir au-dehors par sa vie personnelle en distinction d’effet et non de connaissance. Ce qui nous est marqué dans les Apôtres qui ne furent confirmés dans l’état permanent de la vie et des emplois apostoliques qu’après la réception du Saint Esprit avec plénitude, qui causa en eux un vide [366] entier d’eux-mêmes et une si grande souplesse à tout ce que Dieu voulait opérer par eux qu’il est dit que ce n’était pas eux qui parlaient mais l’Esprit de leur Père céleste qui parlait par leur bouche1141, et que Saint Paul proteste que c’était Jésus-Christ qui parlait en lui1142. Toute personne qui aura lumière ou qui sera parvenue à ce degré m’entendra.

Je dis de plus que peu de personnes arrivent à cet état et que de très saintes âmes meurent dans la consommation en Dieu seul, sans que Dieu soit sorti personnellement et par les effets en elles. Il faut une vocation particulière pour que cela soit et, quand cela arriverait, il [l’état] ne tire en rien l’âme de son unité parfaite en Dieu seul de même que Jésus-Christ n’en fut jamais tiré, ni le Saint Esprit non plus, quoiqu’ils agissent différemment au-dehors, étant assuré qu’à cause de l’Unité essentielle et indivisible, lorsque le Verbe agit au-dehors, le Père et le Saint-Esprit agissent aussi indivisiblement avec Lui. Et lorsque le Saint-Esprit agit, le Père et le Fils le font aussi parce qu’Ils sont indivisibles dans Leurs opérations à l’égard de la créature, ce qui n’empêche pas pourtant que cette unité parfaite en Dieu seul ne change de nom selon les effets multipliés qui en sortent et qu’il n’y ait une distinction aussi véritable des Personnes comme il est vrai que l’Essence est une en Elle-même. Selon le rapport qu’ont les opérations ou les propriétés des Personnes divines, elles sont attribuées différemment à ces mêmes Personnes : la Fécondité et la Puissance au Père, la Sagesse et la Providence au Fils, la Bonté et l’Amour au Saint-Esprit ; et tout cela se trouve réuni [367] en Dieu seul, où tout est Puissance, tout Sagesse, tout Amour.

Les âmes apostoliques en qui cela s’opère, n’ont ni mouvement ni tendance, pour petite qu’elle soit, à aider et parler au prochain, mais Dieu leur fournit tout par Providence et leur met en bouche des paroles comme il Lui plaît et quand il Lui plaît. Ceci supposé, il est aisé de voir que très souvent il en est qui font de semblables fautes que celle qui a été remarquée lorsque, se trouvant dans la passiveté de lumière et d’amour, ils prennent souvent comme de Dieu ce qui ne vient que de leur ferveur, et il y a souvent de la tromperie. Mais dans l’état dont je parle ici, il n’y en a point et il n’y en peut avoir à moins de sortir de l’état. Ces autres personnes disent souvent comme Coré : nous sommes aussi propres que les autres à aider le prochain puisque tout ce qui est en nous est saint1143. Mais la suite et l’expérience fera bien voir que s’ils sont saints en eux et pour eux, ils ne le sont pas encore pour faire l’office de Prêtre et de Pasteur en faveur des autres, cela étant réservé à ceux que Dieu a choisis pour cet emploi.

On peut aussi connaître par cela même pourquoi tant d’ouvriers qui travaillent beaucoup dans l’Église de Dieu font très peu de fruit : c’est parce qu’ils s’ingèrent d’eux-mêmes sans être appelés, ou parce qu’ils ne sont pas assez établis en Jésus-Christ ni unis à Lui, pour rapporter par Lui-même un grand fruit. [368]

*2.66 Vie et fonctions de Dieu dans une âme.

Vous me demandez comment je sais que c’est Dieu qui me fait agir et comment Il me parle. Je sais qu’Il me fait agir comme je sais que j’ai une âme qui remue mon corps et que si je n’avais pas cette âme, mon corps serait sans aucune fonction vitale. L’un est aussi certain que l’autre. Si un homme pouvait se sentir après sa mort, il saurait fort bien qu’il n’est privé de toutes les fonctions de la vie que parce que l’âme n’animerait plus son corps. Si cette âme revenait animer ce corps de nouveau et que ce corps eût perdu ce qu’il avait de terrestre et de grossier et que l’âme eût acquis des qualités qu’elle n’avait pas auparavant, la possession de cette nouvelle âme et son union à ce corps séparé de la terre, lui ferait voir un pays nouveau. Cette personne sentirait bien que toutes ses fonctions sont différentes des anciennes. Elle serait enchantée d’abord de cette nouvelle vie, elle la distinguerait et la remarquerait fort bien et la comparant à la première vie qu’elle avait avant que la mort eût purifié son âme et son corps, elle en verrait la différence. Elle serait surprise un temps de cette nouveauté, elle ne pourrait douter de sa vie, mais dans la suite elle [369] vivrait tout naturellement, sans se dire toujours : «  je vis, c’est mon âme qui fait agir mon corps ». Cette vérité si certaine ne serait plus son attention : elle vit, elle opère et c’est assez. Elle sait qu’elle a été privée de cette vie qu’elle possède, elle sait qu’elle vit et c’est tout. Et elle sait que cette vie est étendue, vaste, qu’elle n’est pas comme la première : et c’est tout ainsi que cette âme sait fort bien que Dieu est devenu sa vie.

Au commencement cela est plus aperçu, dans la suite cela devient comme naturel. Saint Paul qui l’avait éprouvé dit : Je vis, non plus moi, mais Jésus-Christ vit en moi1144. Je ne saurais douter que je ne vive. Je ne puis douter non plus que Jésus-Christ ne vive en moi : c’est Lui qui est devenu mon âme, c’est Lui qui lui fait faire toutes ses fonctions. Il est l’âme de mon âme et comme mon âme anime mon corps, Jésus-Christ anime mon âme. Et de même que je me contente de vivre et de faire les fonctions d’un homme vivant, sans que je me dise toujours : « c’est mon âme qui fait agir ma main », me suffisant de savoir que cela est sans quoi elle serait paralytique, aussi si mon Dieu qui agit en moi et par moi cessait de le faire, je deviendrais paralytique et je ne pourrais rien faire par moi-même. Et comme on sent fort bien un membre mort et qu’on voit qu’il ne fait plus les mêmes fonctions parce qu’il n’est plus animé, aussi si mon Dieu Se séparait de moi, je ne pourrais rien faire de ce que je fais, je sentirais Sa privation avec des douleurs intolérables quoique je ne sente Sa possession que par une vie immense qu’Il me communique et qui est séparée et dégagée des assujettissements de la première vie. 370]

Il en est de même pour la parole. Mon âme ne parle pas en moi, mais je parle par elle et je ne pourrais parler sans elle : elle remue ma langue, elle met les paroles en ma bouche. Mon Dieu fait tout de même : Il fait parler, agir, écrire, sans quoi cela me serait impossible. On sent la privation des fonctions naturelles mais on ne fait pas attention de même sur le principe de nos actions. Sitôt que le Verbe vit en l’âme, qu’il est l’âme de notre âme, c’est Lui qui devient le principe de ce qu’elle fait et dit, et cela de telle sorte qu’elle ne peut rien faire par elle-même. Et si elle voulait faire effort, cela lui serait impossible : il ne lui viendrait rien, elle se trouverait comme une bête et comme une personne qui n’a rien su1145.

Concluez donc que la Vie et la Parole du Verbe est la possession de ce même Verbe. C’est Lui qui nous possède et non nous qui Le possédons, étant notre Principe vivant et vivifiant, comme Il le dit Lui-même : Je suis le Principe, qui parle même à vous1146. C’est Lui qui parle à tous, mais Il n’est pas le Principe en tous ni leur parler, leur vie et leur fonction. Il dit ailleurs qu’Il est la vigne, que nous sommes les branches1147. Ces branches sont entretenues par une sève secrète qui monte et qui se distingue par les effets et non autrement. Nul ne voit comme cette sève monte et s’insinue dans toutes les parties de la vigne. Il en est de même de la vie du Verbe en nous. C’est cette sève sacrée qui est notre Principe vivant et vivifiant qu’on ne discerne que par les fruits. La branche coupée perd sa sève et sa vie [371] et ne porte plus de fruits. Nous portons en Jésus-Christ des fruits dont Il est le Principe.

*2.67 Des Communications spirituelles et divines.

Lorsque l’âme est mise dans l’état apostolique et que le parler du Verbe lui est donné, elle communique aux autres en deux manières, et par les paroles et par le silence. La première manière est pour tous et elle est la moins parfaite, la seconde est pour les personnes attirées à une plus grande simplicité.

La communication se fait de loin aussi bien que de près, lorsque les âmes sont assez perdues pour cela ; mais cette communication de loin n’est ordinairement ni si intime ni si prompte que celle de près.

Il est aussi difficile de reprendre le distinct en Dieu, et même plus, qu’il a été difficile de le perdre en Lui. Ce distinct est pour les autres, cette âme ne sortant pas par là de son anéantissement. Jésus-Christ Se communiquait de la sorte à [372] Ses plus familiers et comme, pressé qu’Il était de répandre Sa plénitude, Il allait chercher des âmes disposées auxquelles Il le pût faire. Cette femme hémorroïsse1148 ne reçut qu’en s’approchant de Lui l’effet de la vertu qui s’écoulait de Lui parce qu’elle était autant pleine de foi qu’anéantie et honteuse de son ordure et de sa maladie. Les communications ne sont de cette sorte que pour un temps, non par rapport de la personne de qui elles sortent mais par rapport à celui qui les reçoit. Plus son cœur est étroit, plus il faut d’approche pour se communiquer et la communication ne se fait que peu à peu.

Mais quand le cœur est devenu étendu et qu’il participe à l’immensité de celui qui lui communique, alors on se communique aussi bien à cent lieues que proche. Mais ces sortes de communications veulent une correspondance immense car c’est l’Immensité qui Se communique dans l’Immensité même. Et alors il n’y a plus de souffrance pour celui qui communique car il est reçu autant qu’il peut communiquer : et c’est alors que se fait le commerce ineffable de la Ste Trinité où l’Immense est reçu dans l’Immensité même, où ne trouvant rien qui retienne sa communication, il1149 est autant large dans les autres qu’il l’est en lui-même. Ceci est relevé, je crois pourtant que vous m’entendrez.

Dieu Se communique à toutes les créatures, mais il ne Se communique avec autant d’abondance que de délectation sinon dans les âmes bien anéanties, parce qu’elles ne résistent plus et que, Dieu étant Lui-même leur fond, Il Se reçoit Lui-même en Lui-même. De là vient que la communication [373] que nous recevons de Dieu même au-dedans est d’autant plus sensible qu’elle est plus resserrée ; et par la même raison, elle est d’autant plus insensible qu’elle est plus immense car Dieu ne Se communique point autrement par Lui-même que par le néant1150, puisque c’est la même chose. Marie, pour faire entendre qu’elle comprenait que c’était le Verbe, Fils unique du Père, qui devait S’incarner en elle et qu’elle devait communiquer aux autres hommes, dit : Il a regardé la bassesse de sa servante1151, c’est-à-dire son profond anéantissement. Et comme la communication du Verbe en nous se fait par le regard de complaisance de Dieu sur l’âme bien anéantie, aussi la communication du Verbe se fait par nous à d’autres dans notre anéantissement.

La communication se fait par approche pour les âmes qui ne sont pas anéanties et par simple regard ou pensée pour celles qui le sont. Un exemple de ceci est en saint Jean Baptiste : les premières communications se firent par voie d’approche ; et ce fut la raison pourquoi la Sainte Vierge demeura trois mois chez Sainte Élisabeth, après quoi Saint Jean n’eut plus besoin de s’approcher de Jésus-Christ dès qu’il fut fort. Aussi n’eût-il point d’empressement pour Le voir, quoique, lorsqu’ils s’approchèrent, il y eut encore un renouvellement de grâce.

Ces communications sont claires dans l’Ecriture. Jésus-Christ sentait plus fortement ce désir (sans désir) de communication pour les âmes imparfaites parce qu’elles mettaient plus d’obstacles. « J’ai soif », dit-Il, et à la Samaritaine et aussi sur la [374] Croix : la même soif qu’Il déclare à la Samaritaine est la même dont Il Se plaint à la Croix. Il a soif : et de quoi, ô Divin Sauveur ? De communiquer le don de Dieu : O si tu savais le don de Dieu, et qui est Celui qui te demande à boire, tu Lui en eusses demandé, et Il t’eût donné à boire une eau vive1152. O c’est Lui-même ! Pressé qu’Il est de cette même soif, ne crie-t-Il pas : Si quelqu’un a soif, qu’il vienne, et des fleuves de paix couleront dans ses entrailles1153 mais des fleuves qui montent jusque à la vie éternelle, c’est-à-dire qu’ils produisent l’effet de mettre l’âme en vie éternelle et qu’elle puisse recevoir les communications immenses de Dieu même.

Lorsqu’Il a soif sur la croix, c’était de laisser cet Esprit sur la terre qui, Se communiquant tout en tous, consommât tout le monde dans l’Unité de Son Principe. Mais ne trouvant presque personne en état de Le recevoir, Il Le remet entre les mains de Son Père, comme pour Lui dire : « Mon Père, préparez-y les cœurs, et Le communiquez Vous-même ; car Je meurs sans pouvoir Me communiquer en plénitude. » Ce fut là sa douleur extrême dans le jardin1154 où ne pouvant communiquer l’Esprit dont Il était rempli, Il communique Son sang par les mêmes endroits par où se fait la transpiration des esprits, c’est-à-dire par les pores ; enfin, après Sa mort, Il veut que l’on ouvre Son cœur pour communiquer la vie. O mystère ineffable compris de peu ! car il y a peu de petits enfants. Jésus-Christ prenait les petits enfants pour Se soulager, et les mettait sur Sa poitrine1155. [375]

Il y a deux passages admirables de ces communications dans le Cantique où l’Épouse dans sa plénitude compare ses mamelles à la tour1156, et où elle dit qu’elle est devant l’Époux comme celle qui a des peuples. Saint Jean l’Évangéliste en recevait de son Maître à la Cène et il était accoutumé à en user de la sorte. Sur la Croix, Jésus-Christ lui communiqua Sa propre vie : c’est pourquoi Il lui dit que Marie était sa mère et qu’il était son Fils.

Lorsque les personnes auxquelles on se communique sont d’un degré inférieur, cela est plus sensible : c’est comme lorsqu’une rivière se décharge dans une autre beaucoup plus bas, cela fait beaucoup de bruit et est bien plus marqué. Mais quand ces eaux sont à niveau et quand il n’y a plus du tout de pente, cela est fort tranquille : c’est alors comme une mer immense où il se fait un flux et reflux de communications. Les Bienheureux se communiqueront de cette sorte, qui s’appelle pénétration. Et ce sera dans le Ciel une Hiérarchie, lorsque les esprits du même ordre auront ensemble un flux et reflux en participant aux communications de la Trinité, où tout sera consommé.

Dieu peut1157 donner à une âme les mêmes grâces qui opèrent l’extase, quoique pour cela cette âme ne perde pas l’usage des sens extérieurs comme on les perd dans l’extase, perte qui ne vient que de faiblesse. Mais elle perd tellement toute vue de soi-même dans la jouissance de son divin objet qu’elle s’oublie de tout ce qui la concerne ; c’est alors qu’elle ne distingue plus nulle opération de sa part. L’âme semble alors ne faire autre chose que de recevoir ce qui lui est donné avec beaucoup [376] de profusion. Elle aime, sans pouvoir rendre nulle raison de son amour et sans pouvoir dire ce qui se passe en elle dans ce moment. Il n’y a que l’expérience qui puisse faire comprendre ce que Dieu opère dans une âme qui Lui est fidèle. Elle correspond en recevant de tout son cœur, autant qu’elle en est capable, les opérations de son Dieu, Le regardant quelquefois faire avec complaisance et amour. D’autres fois elle est si perdue et si cachée en Dieu avec Jésus-Christ qu’elle ne distingue plus son objet, qui semble l’absorber en Lui-même.

*2.68 Communication de cœurs et d’esprits.

Vous m’avez demandé comment se faisait l’union du cœur ?

Je vous dirai que l’âme étant entièrement affranchie de tout penchant, de toute inclination et de toute amitié naturelle, Dieu remue le cœur comme Il lui plaît et saisissant l’âme par un plus fort recueillement, Il fait pencher le cœur vers une personne. Si cette personne est disposée, elle doit aussi éprouver au-dedans d’elle-même une espèce de recueillement et quelque chose qui incline son cœur. On discerne alors fort bien qu’on éprouve quelque chose au-dedans de soi-même que l’on n’éprouvait pas auparavant, [377] mais pour ce temps-là seulement ; et quoique cela soit très simple, Il ne laisse pas de se faire goûter du cœur, qui éprouve en soi une correspondance pour cet autre cœur.

Mais lorsqu’il y a quelque chose qui resserre ou empêche cette communication, l’âme supérieure le sent bien. C’est comme une eau qui voulant se faire passage et ne trouvant point d’issue, retourne sur elle-même. Cela peut venir aussi de ce que l’autre personne n’étant point accoutumée à cette manière, n’y correspond pas par un certain recueillement et un certain esprit d’attente, comme pour recevoir ce que Dieu voudrait donner par là.

Cela ne dépend point de notre volonté mais Dieu seul l’opère dans l’âme, quand et comme il lui plaît, et souvent lorsqu’on y pense le moins. Tous nos efforts ne pourraient nous donner cette disposition ; au contraire notre activité ne servirait qu’à l’empêcher. Dieu la donne donc et l’ôte comme il lui plaît.

Il ne faut point dire à cela : « Je ne veux rien », car il faut recevoir également tout ce que Dieu donne et par le moyen qu’Il lui a plût de choisir, et [moyen] qui n’y a non plus de part qu’un tuyau qu’on met auprès d’une eau pour la faire couler et qu’on ôte quand on veut. Lorsque la personne ne correspond pas autant qu’il serait nécessaire, ou qu’elle se retire, cela fait une sorte de souffrance qu’on ne saurait exprimer, parce que cela est fort spirituel. [378]

*2.69 Conclusion de toutes les voies de Dieu.

Comme Dieu est le Maître de se servir des voies qu’Il lui plaît, qu’Il les change selon son bon plaisir, qu’Il remue toute la nature comme Il lui plaît, qu’Il fait les révolutions selon que Sa Toute Puissance en ordonne, que c’est un Etre indépendant et jaloux de son indépendance, Il s’est servi des voies qu’Il lui a plu dans le monde en différents temps. Il s’est servi dans les premiers temps de la voie des Prophètes, bien que cependant ces temps aient eu quelque part des autres voies qui ont suivi. Mais néanmoins leur caractère principal était la Prophétie comme nous voyons les saisons, quoique très différentes, tenir pourtant quelque chose les unes des autres. Il y a eu ensuite celle des Martyrs, des Anachorètes, des Pénitents, dont les travaux effroyables nous étonnent. Nous avons vu les Docteurs et les Confesseurs etc. qui tous, quoique d’un caractère [379] particulier, tenaient en quelque chose les uns des autres.

La manière dont Dieu veut être servi présentement est une entière désappropriation et une foi simple, un Amour pur et un entier anéantissement de ce que nous sommes, faisons et pouvons.

Les premières voies ornent, embellissent la créature, sont toutes rapportantes à elle, quoique référées à Dieu et subordonnées. Tout va à perfectionner ce sujet en manière de sujet parfait, orné, travaillé, embelli, anobli ; (tout va à) l’enrichir, l’élever et enfin à en faire une chose d’autant plus admirable, que tout ce qui l’environne est plus sensible, plus palpable, plus à la portée de la créature, qui estime tout ce qui est sensible, visible et plus selon sa portée et ses idées. C’est là la voie de la gloire des saints. C’est celle du serpent dans la pierre1158 dont il reste des traces et des vestiges, quoique secrets.

La voie de l’entière désappropriation, dont Dieu veut se servir à présent, est bien différente. C’est la voie de l’aigle dans l’air1159, dont il ne reste rien. C’est la voie du seul honneur et de la seule gloire de Dieu, sans relation sur l’homme et pour l’homme. La première voie a pris ce qui était à Dieu pour le donner à l’homme, ainsi qu’a dit Jésus-Christ parlant de la descente du Saint Esprit : il prendra de ce qui est à moi et vous le donnera1160. La seconde voie restitue à Dieu toutes les appropriations que l’homme s’était faites. C’est la voie de la seule gloire de Dieu, qui n’envisage [380] que Lui, qui ne travaille point à enrichir son sujet, mais qui est toute employée pour son Objet. Elle est nue, dépouillée de tout, parce qu’elle n’orne point la créature mais qu’elle est toute occupée de ce qui glorifie son Dieu. Elle ôte tout à son sujet pour le restituer à son objet. Elle paraît dénuée de toutes les grandes choses. Elle n’a ni traces, ni vestiges. Tout retourne et est pour Dieu. On aperçoit le trou du serpent et sa peau dans la voie qu’il a tenu sur la terre ; mais il ne reste aucune trace de celle de l’aigle. Dieu est riche, grand, saint, heureux : tout mon bonheur est en lui et non en moi. Je ne puis rien montrer d’un trésor qui est tout à lui et dont je ne me réserve rien. O richesses de la Sagesse et de la science de Dieu que vos voies sont investigables1161 ! Il n’y a point de traces ni de vestiges parce qu’il n’y a rien de l’homme et pour l’homme1162.

L’homme est tellement composé de sentiments, qu’il veut exercer en toutes choses ses sensations. Il faut quelque chose qui convienne à l’homme, qui le fasse être et subsister en soi, qui ait des marques et des vestiges de l’homme : car il faut que partout où est l’homme, il paraisse, soit sensuel, soit vertueux, soit savant, spirituel, enfin soit saint, grand, orné de vertus ; et tout cela est palpable et sensible. Otez l’homme de ses sensations, il semble que vous l’ôtiez de sa sphère ; et il est vrai : mais c’est afin de lui en donner une autre.

Il n’en est pas de même de la foi, de l’Amour pur, et de l’entière désappropriation. Cette voie étant au-dessus des sensations, l’homme la comprend plus difficilement [381] et il la pratique plus rarement, parce qu’il n’y trouve point les traces de l’homme. Non ; ses traces n’y sont point : il n’y en a plus, il n’y a que les vestiges de Dieu. Je ne suis ni saint, ni orné etc. dira cet homme éclairé de la lumière de Dieu ; mais Dieu est tout cela pour moi. Je ne m’amuse point au sujet, qu’il soit beau ou laid, vêtu ou nu ; je ne m’arrête qu’à ce grand Objet, qui surpassant infiniment et renfermant tout ce qui est possible, à cause de son immensité, ne laisse rien pour moi. Or comme Il ne laisse rien pour moi, et que je ne saurais subsister sans rien, Il m’absorbe et me perd en Lui, où il ne me laisse rien de propre, ni propre justice, ni propre vertu. Rien ne peut contenter mes sensations, parce que ceci les surpasse infiniment. Cette voie est la voie de Dieu seul, d’autant plus pure qu’elle n’est point mélangée des rapports à la créature et qu’elle ne dérobe rien à Dieu, qu’elle n’est point idolâtre. C’est l’amour des sentiments qui fait toutes les idolâtries et matérielles et spirituelles. Cette passion est si forte en l’homme, même spirituel, qu’il ne peut la quitter sans une grâce bien spéciale et une lumière bien pure. Nos attaches quelles qu’elles soient sont des idolâtries plus ou moins matérielles. L’entière désappropriation nous fait accomplir le premier Commandement, qui est et l’Amour pur et l’adoration parfaite. Plus nous aimons purement, plus nous adorons éminemment.

L’homme comprend la pauvreté des biens temporels, leur détachement : cela est suivant sa portée ; mais il est bien éloigné de comprendre la pauvreté spirituelle et toute son étendue, parce [382] que cela surpasse ses sensations. Il ne comprend pas même la propriété et il regarde comme vertu éminente ce qui ne sera jamais admis sans être purifié. Dieu est un Dieu jaloux : c’est pourquoi il faut l’aimer sans partage, et sans rapport à nous. C’est pour cela qu’il exige avec tant de rigueur la restitution des usurpations. L’homme saint et propriétaire ne voit rien de meilleur que ce qu’il pratique, rien de plus grand que ce qu’il conçoit. Mais lorsque ces choses font son admiration et celle des autres, l’Esprit de Dieu, infiniment supérieur, y découvre des impuretés étranges. Dieu jugera nos justices1163 qu’il regarde en Isaïe comme des souillures.

Mais Il ne jugera pas l’âme désappropriée. Il n’y a rien en elle pour y appuyer un jugement : on ne juge pas sur rien, il faut quelque chose pour juger. O Amour ! Vous jugerez les justices des hommes mais vous ne jugerez pas les vôtres. Les hommes n’estiment que ce qu’ils font et que leurs idées. Ils ont donné des noms de vertus à ce qui leur a plût - et avec des yeux de fourmis une lentille leur paraît une maison. Il n’en est pas de même des yeux de Dieu. On voit, par exemple, une personne faire quelques pénitences volontaires, qui ne lui font pas grand mal, tant parce que ce qui est du propre choix n’en fait guère que parce que nous y posons telles bornes qu’il nous plaît, et que l’amour-propre et l’amour de notre propre excellence, si abominable devant Dieu, nous soutient. On voit, dis-je, ces pénitences volontaires, qui ne tueraient pas un moucheron, et on crie au saint, à la sainte, pendant qu’une personne qui est le jouet de la Providence, à qui Dieu [383] envoie telles douleurs qu’il lui plaît, et laquelle ne met point de bornes ni à son amour ni à sa patience, n’est presque pas regardée : et pourquoi ? C’est qu’on ne voit point là l’ouvrage de l’homme. Son idée et sa tentation ne trouvent pas là leur compte, quoique cependant Dieu fasse ses délices de cet homme. Il est pauvre, nu, dépouillé de tout, il n’a rien du bien d’autrui, et cet autrui est Dieu. Il n’est digne que de mépris mais Dieu ne juge pas des choses comme les hommes en jugent. O qu’il s’en faut bien ! Une âme éclairée par l’entière désappropriation, et revenue à la parfaite simplicité, voit qu’on admire des choses qui répugnent à son cœur et que Dieu vomit.

O Seigneur ! Ouvrez les yeux de notre âme, pour voir la vérité dans votre vérité, et la lumière dans votre lumière. Les yeux immenses qui sont les yeux du cœur, voient si petites ces choses qu’on estime grandes et voient si grandes celles qu’on appelle petites, que l’âme est étonnée du renversement de jugement des hommes avec leurs yeux de fourmis qui ne peuvent voir plus que leur étendue et par rapport à leurs sensations. Emitte Spiritum tuum ; et creabuntur et renovabis faciem terrae (Envoyez votre Esprit, et tout sera créé de nouveau, et vous renouvellerez la face de la terre1164). Donnez, Seigneur, cet Esprit de désappropriation à vos enfants puisque c’est ce que vous voulez présentement d’eux et que l’ancienne Loi doit être absorbée dans la nouvelle, comme les étoiles dans la lumière du Soleil. Faites-vous honorer en Dieu. Il n’y a que le pur Amour, l’entière désappropriation, qui s’étend bien loin, et la foi nue, qui soient dignes [384] de Vous. O Seigneur! Donnez des oreilles pour entendre et un cœur pour comprendre ! Amen ! Venez Seigneur Jésus !

2.70. Amour pur et jaloux ; état de l'âme qui en est atteinte.

O mon Dieu ! Délivrez-moi de ce monde. Comment pouvoir vivre en ce lieu avec un amour si pur ? Ô que mon âme hélas est ennuyée de toutes les pratiques ici-bas, en comparaison de cet emploi et de cet exercice du pur amour dans le ciel à quoi vous l'attirez continuellement, et vous vous lui enseignez une science qui est au-dessus de tout.

Cette science d'aimer, et cet amour n'a pour objet que lui-même ; et vous dites sans cesse par votre langage muet : « Je veux que tu sois tellement anéanti, que tu ne vives plus [385] ni à toi, ni en toi, ni pour toi1165 ; que tu n'envisages aucune chose au-dessous de moi ; que tu ne regardes aucun de mes ouvrages, ni que tu les admires. Quoique ce sois moi qui ait créé et formé toutes choses, je veux que tu les oublies, comme si elles n'étaient point. Je ne veux plus que tu regardes ce que j'ai fait pour l'homme ni pour l'amour que je lui porte : je veux même que tu oublies les grâces que je t'ai fait, les soins de la divine providence, enfin toutes les choses qui sont au-dessous de moi, quoiqu'elles viennent de moi, quoiqu'elles soient ordonnées de moi : ; je veux qu'elle ne soit plus dans ton souvenir ; et je veux que le seul amour que j'ai pour moi-même te soit toutes choses ; que tu sois tellement anéanti en toi et en moi, qu'il n'y ait plus que la seule vie de ton amour en toi. Je veux ordonner et commander, hausser et abaisser, troubler et apaiser, martyriser et combler de gloire, sans que je veuille qu'il soit permis de regarder ni l'une, ni l'autre de mes opérations, ni leurs effets. Mon amour est tellement jaloux de lui-même, que là où il veut régner, il ne peut souffrir qu'il y ait autre objet que lui-même ». Quoiqu'il me faille servir de ce terme d'objet pour exprimer, il n'est pas convenable à ce que je veux dire. Un objet est quelque chose de composé1166, mais, ô divin maître, vous êtes plus pur et plus simple qu'un [386] objet ; et ainsi vous n'êtes pas de la sorte, un objet à vous-même, quoique vous soyez à vous-même vos travaux, votre complaisance et votre gloire ! Ô divin amour ! Vous êtes l'amant1167 que vous aimez en l'âme que vous blessez de votre amour, étant la même chose avec cet amour. Et cet amant, encore qu'il soit amour, il ne peut pas dire qu'il aime, étant tout transformé en cet amour. O mon divin amant ! Vous êtes trop jaloux de votre propre amour. Vous ne pouvez souffrir que celui qui en est gratifié, se souvienne que vous l'aimez, et que vous le comblez de biens. Son contentement et sa gloire est l'amour que vous avez pour vous. Ô vérité adorable, comble d'amour ! O centre de toute félicité, que vos flèches sont perçantes ! Ô combien vous êtes jaloux ! Mais justement jaloux et de vous-même, étant tout amour, et de l'âme en qui il vous plaît de vous aimer, et que vous blessez de la même jalousie ! Que tout ce qui est moindre que cet amour lui est insupportable ! C'est pourquoi cet amour si pur l'appelle à une retraite1168 et solitude qui ne se peut concevoir, et lui dit continuellement, vient au désert avec moi, où je suis seul ; et quoique tu puisses rencontrer, quand ce serait des anges, fuis-les : je suis jaloux. Ah! Divin amour, votre jalousie s'étend plus loin qu'à des anges ; et il y a des choses qui sont infiniment plus que les anges à quoi vous ne pouvez souffrir qu'il s'arrête, ni même qu'il jette aucune œillade ! Ô divin amant de mon cœur ! Où est cette solitude où vous m'appelez ? Quoique je sois [387] seule, et que j'ai quitté toutes sortes de consolations, et qu'elles me soient même insupportables, tant bonnes et saintes soit-elle, vous êtes toujours jaloux, et votre amour n'est pas content encore ; votre jalousie s'augmente de plus en plus, et elle me presse si fort, que je ne sais à qui m'en prendre. Vous avez congédié tout ce qui n'était pas vous-même, et tous mes os ne respirent que la solitude et la séparation de tout ce dont vous voulez que je sois séparé, qui sont des choses qu'on ne peut exprimer, et qui ne seraient que trop condamnées si elles se pouvaient dire. Car il est impossible de pouvoir concevoir combien vous êtes délicat, ô divin amour, et jusqu'à quel point vous êtes jaloux ! N'importe : votre amour m'a blessée d'une jalousie réciproque, qui me fait languir ; et quelque chose qu'il me faille quitter, quand ce serait1169, ce n'est rien ; il n'y a que votre amour pur pour vous-même qui m'est tout, et néanmoins vous n'êtes pas encore content ! Vous m'appelez toujours à la retraite et à la séparation. Votre amour a blessé mon âme d'une blessure qui ne peut guérir qu'en la séparant de ce corps mortel. C'est pour cette solitude qu'elle gémit ; c'est en cette retraite que votre amour l'attire continuellement. Mais ne peut-elle pas dire que vous, vous êtes contrariant puisque vous l'attirez si fortement, qu'elle ne peut plus demeurer en ce corps, et que d'une main secrète vous la retenez, ne voulant pas lui donner encore congé ? Ô c'est vous, divin amour, qui lui donnez l'instinct si impétueux de vous suivre en cette solitude d’amour éternel, qu'un petit moment de délai lui [388] est un grand purgatoire ! Si vous ne voulez pas me donner congé de mourir, donnez-moi donc ce fond d'une caverne, où je puisse plus avoir commerce avec aucune créature. Je ne puis plus supporter le monde et le monde ne me peut plus supporter.

O Amour impitoyable, sans ordre et sans raison, vous me faites expirer mille fois le jour sans mettre fin à mon martyre ! Vos blessures sont toutes mortelles, qui font que je ne vis plus, je languis d'amour ; ô divin amour ! Je ne le puis vous dire autre chose, sinon que je puis plus vivre avec cet amour. Vous le connaissez ; vos lois ne sont point propres pour le monde, et cependant vous prenez plaisir1170 à contrarier votre amour !

O loi toute divine ! Loi d'amour, ou plutôt, Amour pur, qui est au-dessus de toute loi, et qui consomme toutes choses en sa pureté, il n'y a point de mesure ni de règle à garder ! Ô divin amour ! Que vos voies sont cachées, qu'il est bien vrai que1171 vous révélez vos secrets aux plus petits et aux ignorants, et que vous les cachez aux sages et aux savants ! C'est pourquoi vous tirez l'âme à la solitude, lorsque vous voulez lui révéler vos divins secrets ; et vous ne voulez lui faire part de votre amour qu'en secret. Vous ne voulez pas être connu et aperçu du monde ; et en quelle conversation qu'elle puisse être, vous la contraignez à quitter ; vous la blessez de vos flèches ardentes qui l'avertissent que vous l'attendez à la solitude, et que cela ne vous agrée pas qu'elle s'entretienne avec des étrangers, ni qu'elle prenne aucune part [389] à ce qui se passe ici-bas. Vous êtes justement jaloux, ô divin amant ! De l'âme en qui vous opérez. Vos instincts sont si prompts, et vous voulez être sitôt satisfait, qu'on ne peut trouver de repos qu'en vous contentant. Que ne quitterait-on pas pour vous suivre ?

L'âme court à cette divine solitude, en criant et gémissant ; elle dit à son amour : je languis d'amour ; comment voulez-vous que je demeure plus longtemps dans ce corps ? Je ne puis plus vivre : vos ardeurs me dévorent ; et vos pures flammes consument toutes mes forces.

O être divin et tout pur ! Que ce qui a jamais été dit de vous, et que tout ce que l'on pourra jamais en dire, est éloigné de la vérité ! Ô sainteté de Dieu ! Ô combien êtes-vous sainte ! Ce mot de saint n'exprime rien encore de la sainteté. On me demande ce qui se passe en l'âme ; mais je ne saurais dire autre chose, sinon que ce Dieu qui est, il est tout ce qu'il est en lui-même ; et si l'on demande de quelle manière il est ? Je dis qu'il y est sans autre manière que ce qu'il est par soi-même en sa divine essence. Il s'est fait tout Dieu en toute sa créature : et qu'elle soit toujours créature, et qu'elle subsiste, Dieu l'a tellement submergée en lui, qu'elle ne se distingue plus. Elle est dans son centre, sans savoir ni sentir son repos ; elle est anéantie à elle-même et élevée en Dieu. O centre divin, ce repos est en vous et de vous et pour vous! O grandeur infinie, c'est vous qui êtes élevée, et c'est par votre même grandeur que vous fait disparaître mon rien ! L'âme ne se sent ni possédée de Dieu, ni animée, ni pénétrée ; mais elle est écoulée dans la [390] divine essence, sans néanmoins qu'elle sente cet écoulement. La subsistance n'est plus en elle, ni pour elle ; c'est Dieu seul qui subsiste dans le centre de son être divin. Ô qui pourrait exprimer les grandes merveilles de cet état, auxquels l'âme ne prend plus de part, non plus que si elle n'avait jamais été créée ! Je ne sais quel nom donner à cet état, sinon celui de l'état du triomphe de la gloire de Dieu en l'âme. Ô combien il est glorieux, pompeux et magnifique, puisqu'il semble que tout est changé en une sainte nécessité de Dieu, en Dieu et pour Dieu ! O seul bien, qui est nécessaire, qui est Dieu, et qui devient en l'âme une nécessité de n'être plus que Dieu ! Nécessité qui devient absolu et dans un plein pouvoir de se faire obéir !

Ô âme ! Dit nous les nouvelles de ce pays inconnu à l'esprit humain ; que fais-tu en cette demeure ? quel y est ton emploi et ton office ? Dieu seul est mon amour et mon office, sans y être employée. Je suis et prisonnière et élargis ; et je ne voie ni les maux de ma prison, ni l'étendue de mon élargissement. Je suis esclave et captive, et je suis entièrement libre ; et je ne ressens ni les chînes de mon esclavage, ni les liens de ma captivité, ni le contentement de la liberté. Je suis extrêmement à l'étroit, et je suis tout au large. Je suis à l’étroit ; et quoique je subsiste en ce lieu, je n'y ai point d'habitation ni de demeure. Dieu est la demeure de ma demeure, et l’habitation de mon habitation. Je suis tout au large ; parce que Dieu ayant fait l’âme tout lui-même par grâce et par participation, et n'y ayant que lui, elle est étendue dans toute son immensité.

C'est ici où il me semble que l'on ne partage [391] rien ; tout est commun, ou plutôt tout est donné, et l'âme est comme Maîtresse de Dieu par lui-même. Oui, ô Dieu de bonté infinie, elle est par votre amour Impératrice de tout ce que vous êtes, et peut en disposer, comme1172 chose qui lui appartient, mais ce n'est que dans votre sainte Volonté ! Cet empire est l'empire que vous avez vous-même sur vous-même, étant tout Dieu en toute l'âme, tellement qu'il n'y a plus rien d'obéissant : vous y êtes maître et impérieux ; et tout ce qui arrive sur la terre ne peut étonner l'âme ni la troubler ; parce que tout cela arrive par la permission de Dieu, qui est le vouloir de l'âme ; et qu'elle commande par lui que toutes choses se fassent ; et quand elle verrait tout abîmer dans les enfers, et elle la première, elle ne pourrait faire autrement que de commander aux enfers de tout engloutir au plus vite. Ô divin amour ! Ce n'est pas tout ; les termes n'expriment rien de tout ce qui se passe ; il faut se taire absolument, et il semble qu'il n'y a plus rien en cet état de Dieu en Dieu qui puisse se dire.

Ce n'est pas que cet ouvrage soit caché : il est tout à découvert ; et il semble que je n'aie de respiration que pour le publier ; mais c'est tellement Dieu, il n'y a point d'expression pour en faire comprendre la moindre petite chose. Je ne puis presque dire autre chose sinon : Quel dommage que Dieu ne soit pas Dieu en toutes les âmes ! Ô que ne puis-je arracher de tous les cœurs ce qui est de l'homme pour y introduire tout Dieu ! Ô science ! Ô divin secret ! Ô centre de vérité ! Que de secrets vous enfermez en vous-même, et qui ne sont plus cachés à l'âme que vous avez [392] faites vous-même ! Ces vérités sont tellement incompréhensibles, et tellement pures et sublimes, qu'elle ne peuvent venir à l'expression des paroles. De dire, que l'âme les voit et comprend, ce n'est pas dire ce qu'il faut dire : cela n'est divisible, ni compréhensible ; mais il est infiniment plus ; et cela est plus clair et plus net que si elle le voyait et comprenait. Cela est tellement Dieu, que quoique cela soit très intelligible, néanmoins l'âme ne peut souffrir tout ce qui veut revenir à son intelligence. Comment est-ce que cela se fait, que cela soit très intelligible, et qu'on n'en puis souffrir l'intelligence ? C'est que cette intelligence, qui est très claire et très nette, est Dieu ; et c'est par l'intelligence de Dieu tout pur qu'on le connaît ; et ainsi tout ce qui peut venir à l'intelligence de l'esprit humain ne peut être souffert, ni aucune chose de tout ce qui peut être exprimé ; tellement que toute l'intelligence de l'âme n’a plus ici de lieu, et l'intelligence qui lui est donnée est Dieu même. Elle ne peut exprimer ce qu'elle conçoit qu'en exprimant Dieu ; or si Dieu pouvait tomber sous l'expression de nos paroles, il faudrait qu'il y eut en Dieu quelque chose de grossier. Tout ce qu'on en dit, ce sont des choses qui ne sont rien de lui, et qui sont accommodés à la grossièreté de nos esprits. Quelquefois je ne puis m'empêcher de dire : « Je sens une si haute estime de Dieu, que je n'en puis souffrir ni la pensée, ni le souvenir, ni rien de ce que je puis concevoir. » Cette estime de Dieu vient d’une certitude de Dieu en l'âme, non par la foi, mais par science et pratique, c'est-à-dire que l'âme est toute faite Dieu, et que tout Dieu est l’âme [393]

O sacrée intelligence de Dieu en Dieu, où rien n'est plus connu que Dieu par sa pure intelligence ! On ne ressent plus le poids de la pureté de Dieu, ni cette impossibilité de subsister. Tout est tellement transformé en Dieu, que tout est fait Dieu et au corps et en l’âme : tout se divinise et se rend uniforme en amour. Ô pureté incompréhensible, qui ensevelit le corps aussi bien que l’âme ! On ne peut plus distinguer le corps d'avec l'âme. Tout est1173 un en Dieu, et tout est Dieu. L'âme n'est plus un poids au corps, ni le corps n'est plus un empêchement à l'âme. Dieu est tout en tout1174 dans le centre de son amour. Je ne sens plus rien qui me réduise et qui me charge. Je ne sens de tendance pour aucune chose ; tout se repose dans son centre, et je ne puis rien dire qui puisse exprimer cet état. Ô combien est-il pur et saint, puisque tout devient dans une absolue nécessité d'être tout Dieu ! Nécessité néanmoins qui ne violente ni ne contraint, et qui laisse tout dans une sainte liberté.

Si on me demandait maintenant ; les créatures ne vous sont telles point à charge ? Je réponds que non : je ne sens ni poids, ni charge ; je ne ressens plus l'éloignement des créatures ; je suis tout à fait libre ; je ne m'aperçois point de leur séparation ; et je n'en ai ni faim, ni dégoût.

Tant que nous ressentons du dégoût de la créature, c'est une marque que nous nous repaissons d'elle. L'estomac ne ressent point de dégoût et de reproche d'une viande qu'il n'a pas goûté ; mais quand il s'est rempli des viandes qui lui sont contraires, il sent du reproche et du dégoût : de même [394] notre âme qui est créée pour être rassasiée de Dieu, tant plus elle se repaît des créatures, plus elle s'en sent dégoûtée ; parce que cette viande lui est contraire. Je crois que si nous étions entièrement hors de nous-mêmes, il n'y aurait plus créature qui pût nous être nuisible ; et que les créatures qui nous font peine, sont en nous-mêmes. Nous regardons les créatures avec qui nous sommes obligés de converser comme le sujet de nos peines, et nous ne prenons pas garde que c’est en nous-mêmes que cette créature est logée, et que c'est de nous-mêmes qu'il la faut arracher.

Ô divin amour ! Combien l'expérience de cette vérité rend-t-elle l'âme savante après que vous l’avez tirée hors d'elle-même, et que vous tenez lieu de tout en elle ! Pour lors elle ne trouve plus de créatures, ne tenant plus à rien par elle-même ; et rien ne peut lui nuire. Ô sainte liberté ! Il faut ressentir ce bonheur pour le savoir ; être plus rien en soi-même, être plus pour soi-même, agir plus de soi-même, mais que Dieu tienne lieu de tout. Ô âme ! Si vous saviez ce que c'est de n'avoir rien dans soi-même, que vous arracheriez bientôt cette partie de vous-même que vous conservez, pour laisser toute la place à Dieu seul.

Il y a quelques jours qu'une personne me parlant d'une peine qu'elle souffrait à l'égard de son confesseur, le regardant comme un empêchement d'aller à Dieu, je lui dis : la créature qui vous fait souffrir, vous la portez en vous-même. Ne vous y portez plus vous-même, et vous verrez que vous n'y trouverez plus de créatures. Cette grande peine est une marque que vous tenez à lui : ce n'est pas lui qui vous tient. Je sais [395] par expérience que cela vient d'une secrète recherche. J'ai ressenti cette peine et cet éloignement, qui n'a pas duré longtemps ; mais je connaissais fort bien que cela venait de l’impureté de la nature, qui se recherche si subtilement et si secrètement, que l'on ne s'en aperçoit pas. Dieu, qui veut épurer l’âme, ne permet pas qu'elle y trouve de la satisfaction ; et la nature voyant qu'elle n'y trouve pas son compte, s'irrite, s'anime, elle ne voudrait plus de confesseur. Lorsque l'âme n'est pas fidèle, elle donne quelque chose à la nature ; après quoi, elle se trouve brouillée, et comme liés à la créature ; ce qui l'empêche de voler à son centre : mais cet empêchement est causé par nous-mêmes et par notre impureté. Ce n'est point le confesseur qui tient ; mais c'est nous qui tenons à lui. Ô combien faut-il que l'âme soit fidèle pour demeurer en Dieu ! Il faut aller vers le confesseur, sans y rien apporter de nous-mêmes. Il est certain que si nous n'y portons que Dieu, nous en sortirons rempli de Dieu ; et quand la volonté demeure ferme en Dieu, et qu'elle ne vient point s'amuser chez elle-même, ô que c'est bientôt fait, et que ce nous-mêmes est tôt renversé ! Qui est-ce qui me peut tenir si je ne veux ? Et qui me pourrait empêcher de voler, si je ne me veux arrêter !

O mon âme ! Sortez de vous-même, et venez loger en cette adorable cité du pur amour. Vous ne ressentirez plus toutes les peines, tous les dégoûts, et les éloignements. Vous serez Dieu, sans mélange d'aucune chose que Dieu tout pur. On se peut servir de tout ce que l'on veut sans trouver autre chose que Dieu ; on peut parler continuellement sans interrompre son silence. O repos adorable de l'amour divin, rien ne peut vous troubler ! Qui [396] vous en peut tirer, si ce n'est vous-même ? Cet état est tout Dieu en toutes choses. Il est permanent en son amour, qui le rassasie sans intervalle de son même amour. O créature, tu n'entre plus ici, et par conséquent tu ne me nuit point ! Tout est tellement épuré, simplifié et divinisé, que toutes les actions deviennent Dieu, et tellement unes en amour, qu’il n'y a point de différence d'entrer dans une chambre à entrer dans une église ; dormir ou veiller est une même chose en cet état ; et tout est tellement imbu de Dieu que toutes les actions ne se font que par habitude, sans aucun souvenir, l'âme ne pouvant être détournée de son objet ; et ce qui autrefois était défaut, devient saint par la simplicité de l’âme, ou bien de Dieu en l’âme. Je ne puis plus concevoir ce que c'est que le péché. L'amour ne veut plus rien que l'amour même. Il ne veut plus s'amuser à voir ni à savoir autre chose que lui. Pour la confession, je l'ai oublié aussi bien que la communion, et je ne me fais confesser que parce qu'on me dit d'y aller, sans autre motif. J’y vais par un instinct plus simple qu'un souvenir, sans aucune disposition ni souvenir1175 que j'ai offensé Dieu ; et les péchés dont je me confesse, je ne m'en accuse que par habitude : c'est comme un enfant qui commence à parler, à qui on apprend de nommer son père et sa mère. Cet enfant les nomme sans savoir ce que c'est, ni qui est son père et sa mère ; mais seulement parce qu'on le lui fait dire : de même que je m'accuse de ces fautes, parce qu'on me dit qu'il faut dire, sans me souvenir que ce sont des péchés ; et depuis [397] quelque temps je m'en trouve encore dans un plus grand oubli, et comme quelque chose qui s'élève qui ne voudrait plus y aller. Il semble que l'amour rejette enfin les moyens et n’en veux plus.

§

O mon amour ! Jusques à quand laisserez-vous cette âme gémir dans cette prison corruptible ? Quand couperez-vous le filet qui empêche l'entière perfection de votre amour ? Qu'il est rude à une âme que vous avez pénétrée de la vérité pure, et embrassée de votre pur amour, de souffrir quelque défaut en son amour, quelque empêchement, ou bien quelque limite1176 ! L'enfer ne lui serait pas si rude. Il semble, ô mon Dieu ! Qu'il y ait en cette vie une certaine mesure d'amour qui ne peut pas aller plus avant, et que l'âme ne peut supporter que par la puissance de ce même amour ; il semble que la correspondance que l'âme est obligée de donner à ce corps matériel, retienne en quelque façon sa capacité, et qu'elle en puisse contenir qu'une certaine mesure, c'est-à-dire, autant qu'elle peut être épurée en cette vie. Oui, l'âme embrasée des pures flammes de l'amour divin, sent bien que sa capacité ne peut en contenir davantage. D'un autre côté son amour est si fort et si divin, qu'elle ne voudrait pas céder à tous les séraphins, ni à toutes les créatures qui ont été jamais créées ; et néanmoins elle expérimente d’autre part une certaine limite en son amour, qui ne peut être brisé que par la mort. Le pur amour lui fait connaître qu'elle est créée [398] pour un plus grand et plus parfait amour ; et comme cette âme, animée des intérêts de son amour, ne peut rien souffrir de médiocre ni de moindre que ce que son Amour doit et veut être en elle après cette vie ; pour cette raison, elle crie et gémit continuellement.

Elle ne peut s'arrêter qu'à l'amour même, aussi pur, ô Dieu, que vous le lui avez communiqué. Non, non, dit-elle, votre amour ne me suffit pas, si ce n'est dans la dernière pureté et perfection qu'il doit être pendant toute l’éternité : je ne veux ni le commencement, ni le milieu, mais je veux la fin de votre amour ; et ce n'est pas moi qui dis, je veux, ô mon Amour ! C'est vous, ô mon Tout ! Qui tirez si fort et si puissamment à cette fin et perfection d'amour, qu'il semble qu'à tout moment vous vouliez couper le filet qui tient l'âme arrêtée au corps. Mais permettez-moi de vous dire que vous êtes un peu contrariant ; puisqu'en m’arrachant la vie sensiblement, vous me la conservez insensiblement, vous me fait défaillir continuellement, et vous me soutenez secrètement. Ô viê que tu es rude ! Ô mon amour ! Que ferai-je plus en cette vie, en cet état ou l'Amour me tient perdue et abîmée au-dessus de la vie et de toutes choses créées ? Mon âme ne peut plus souffrir le néant de toutes ces choses. Elle ne trouve rien de réel et de véritable que vous seul ; toutes les créatures et toutes leurs actions et leurs paroles lui paraissent comme des songes, et encore beaucoup moins.

Ô mon Tout, vous avez percé mon âme jusqu'à la moelle, de cette vérité du néant de toutes choses ; vous l'avez aussi blessée de la sainteté et de la pureté de votre amour véritable, autant [399] qu'elle est capable de vous aimer en cette vie ! Oui, vous l’en avez blessé si puissamment, qu'elle ne peut plus subsister, si vous ne la tirez dans cet amour. Quoi ! Amour, serez-vous encore sévère à cette languissante ? Pourquoi toujours blesser et ne rien guérir ? Que faut-il à votre amour pour le fléchir ? Il s'est emparé de tout, et il n'a rien réservé à cette âme ; il l’a dépouillée toute nue pour en faire une pure victime de votre pur amour ; et s'il y avait en elle-même quelque chose d'elle-même, le sacrifice serait abominable. C'est donc votre amour qui la consume, et c'est même cet amour qui est la consommation ; ô ! C'est cette dernière blessure qui est incurable sans la séparation d'avec ce corps mortel, et l'âme blessée de cet amour se consume, ou plutôt continue de se consumer dans cet amour. Ô quel martyre ! L'âme est tellement embrasée de la perfection de cet amour, qu'elle n'est plus capable d'aucune chose de la vie : elle ne peut écouter que son amour ; elle ne veut parler que de son amour, qui est lui-même la parole muette ; et dans ce silence continuel, cet Amour dit ce qui ne se peut dire.

Cette âme blessée, embrasée de cet amour parfait, veut briser la prison qui lui sert de limite et qu'elle ne peut souffrir, ne pouvant se soutenir, ni s'arrêter que dans le dernier amour pour lequel elle est créée. Elle crie continuellement à l'Amour, pendant que ce corps mortel crie à la mort : et quoiqu'il y ait rien en l'âme ni au corps qui tende à la mort par soi-même, il y a néanmoins un besoin si grand de mourir (par l'opération de l'amour si pur et si divin, qui tire puissamment l'âme un amour où elle ne peut arriver qu'après sa séparation de la vie,) que sans aucune autre [400] tendance, elle va par elle-même à la mort, et souffre une nécessité extrême de mourir, l'âme de son côté voulant demeurer en son amour qui la tire en lui, et le corps de voulant plus que la terre qui est son lieu destiné. Ô Amour ! Comment ne guérissez-vous pas vos blessures ? Mais je n'en espère pas la guérison sans mourir.

Aspirations de l’âme amante, à l'Amour pur, qui est Dieu même.

O Amour ! Que vous êtes peu connu et peu aimé, comme vous le méritez ! Chacun cherche des moyens de vous aimer : et comme nul ne veut perdre son propre amour pour aimer, c'est ce qui fait que l'on ne vous aime point. Ô Amour, qui ne voulez être aimé que par la perte ! Il me semble que j'ose dire que je vous aime comme vous voulez être aimé, et comme vous méritez que l'on vous aime. Qu'ai-je conservé, et où sont mes réserves ? N’ai-je pas tout perdu pour vous, et ne vous ai-je pas perdu vous-même en vous-même ? Ô Amour pur, nul n'a quasi écrit de vous, et nul n’ose le faire : car ce qui fait toute votre gloire, serait leur peine. Toute votre gloire, ferait leurs peines. Ô que je comprends bien comme il faut vous glorifier ! Mais je n'en puis ni n'en veux [401] rien dire. O seul Etre indépendant, vous enfermez tout, et vous ne pouvez être enfermé que de vous-même. Ô divin Prêtre, vous ne vous nourrissez que de victimes et de sacrifices ; mais c'est vous-même qui les faites. Ô aveuglement des hommes qui ne connaissent et n’iament point !

Ô Dieu je vous aime, et je ne sens point votre amour : et néanmoins je suis certaine qu'il règne en moi, parce qu'il a chassé tout amour-propre, et qui le chasse chaque jour. Je suis un spectacle, et un objet de scandale. J'ai tout quitté pour vous ; mais vous êtes un amour affamé et impitoyable : lorsque vous voyez des âmes de bonne volonté, vous dites : « encore plus ! Tu quittes tout pour moi ; mais je te ferai quitter bien d'autres choses. Tu croyais les quiter pour me posséder ; et tu ne les quitteras que pour me perdre et pour te perdre aussi toi-même. » Ô Amour ! N'ai-je pas tout perdu, ne t’ai-je pas perdu, et ne me suis-je pas perdue moi-même ? Cependant tu es toujours plus affamé et tu cries : encore plus ! Il ne me reste ni odeur, ni amis, ni aucun bien, soit spirituel, soit morale, soit temporel, et tu cries : encore plus ! Tu sais ce que j'ai encore perdu : encore plus ! Je me suis livrée à toi, et je ne puis plus rien de donner, ô cher amour ! Que je sois donc le jouet des Démons et des hommes ! Il me semble qu'il n'y a point de créature au monde plus propre à être détruite, puisque je ne mets point de bornes à ton divin pouvoir. Tu t'es glorifié dans les autres ou en les sanctifiant, ou en les élevant : glorifie-toi en me détruisant et me perdant sans bornes ni mesures. Tu sais, ô Amour ! Que ceci est aussi infini que toi ; et si on pouvait être détruit [402] infiniment, cette créature devrait déjà l'être. Tôt, tôt arrache ; mais non en soutenant, mais en perdant. Ô Amour ! Vous seul entendez ce langage d'amour, trop barbare pour celui qui n'aime pas. Ô Amour ! Je commence à connaître ce que vous méritez. Toutes les créatures croient vous glorifier en vous possédant ; et moi je veux vous glorifier en1177 ne vous possédant pas. Il faut que Dieu1178 vous possède, et non pas que nous le possédions. Que s'il reste à cette créature quelque chose de propre, qui puisse dire, cela est Dieu ou de Dieu, oh ! qu'il soit détruit et arraché ! FIN.



Lettres, tome quatrième : Quelques discours chrétiens et spirituels 1179

*3.01 Courte idée de la Voie Intérieure.

Qu’est-ce que c’est que l’intérieur ? Commencer par chercher le royaume de Dieu au dedans de nous1180. Or cette recherche se fait par rentrer en soi en se séquestrant1181 de tous les objets du dehors par un fort recueillement. On ne trouvera ce royaume qu’où Dieu l’a placé, qui est où je dis. Il faut donc commencer par une recherche exacte, et Jésus-Christ a dit : Cherchez, et vous trouverez ; frappez et il vous sera ouvert ; demandez et vous recevrez1182. Il faut comprendre que tout cela se fait par une activité intérieure et cette recherche fait également la conversion, le retour à Dieu, et le commencement de l’intérieur.

Lorsque l’âme a recherché activement le règne de Dieu en elle, elle trouve qu’il se développe peu à peu, qu’elle a plus de facilité de se recueillir, et qu’elle commence à goûter une préférence de Dieu qu’elle avait ignorée jusqu’alors, car elle s’était imaginé que la présence de Dieu n’était autre chose qu’une pensée de Dieu, de sorte qu’elle se faisait une violence et un bandement de tête pour tâcher de penser à lui. Cela est bon en une manière, mais comme l’homme ne peut pas subsister longtemps dans cette pensée, et que le royaume de Dieu n’est point dans la tête mais dans l’intime de l’âme, on se donne beaucoup de peine avec peu de succès et rebuté qu’on est d’un travail si infructueux, on ne tarde guère à chercher des amusements au dehors ; et d’ailleurs, le Démon qui ne craint rien tant que le règne de Dieu dans les âmes, fait ce qu’il peut pour tourner l’homme au dehors.

Il s’y prend de deux manières, ou par des austérités excessives, persuadant à l’âme que c’est là le moyen de trouver Dieu et par ce moyen il la jette au dehors, et étouffe la semence du dedans ; ou par ce bandement de tête dont j’ai parlé. Ni les uns ni les autres ne peuvent parvenir à l’intérieur, parce qu’ils prennent un chemin tout opposé.

On me répondra : il ne s’agit donc que de se recueillir et de mener une vie sensuelle. Ce n’est nullement cela, car Dieu voyant la bonne volonté de celui qui le cherche au dedans de soi, s’approche de lui, parce qu’il connaît le désir de son cœur, et il lui enseigne une modération exacte en toutes choses. Il en retranche tout l’excès et c’est alors que l’âme commence à s’apercevoir qu’elle a trouvé ce royaume. Elle éprouve alors au dedans d’elle un Directeur qui retranche tout le superflu, et non le nécessaire, qui ne donne pas la moindre chose de superflu à la nature mais qui prend soin d’un autre côté que1183 l’amour propre et le Démon ne tournent point l’âme du côté de la pure austérité. Quand elle s’évapore dans les créatures, Il la rappelle. Les divertissements les plus innocents lui sont interdits.

Alors elle comprend qu’elle a trouvé ce royaume, et que le Roi commence d’y paraître. Elle lui dit (et c’est ce qui fait le second degré) : « Je vous ai cherché avec toute l’affection de mon cœur dans le lieu où vous m’avez dit que je devais vous chercher. Je vous ai donc trouvé, ô le Bien-aimé de mon âme. J’ai passé les jours et les nuits dans cette recherche. Tout m’était à dégoût ; je ne pouvais m’occuper que de vous. Tous les désirs de mon cœur tendaient à vous seul. Mais à présent que je vous ai trouvé, je vous prie de commander en Souverain, d’établir votre empire dans mon âme. Je ne ferai plus rien autre chose que de vous laisser faire. Je vous donne tous les droits que j’avais sur moi-même et que vous m’aviez donnés par votre bonté. »

L’âme devient alors passive, et ne fait plus rien que de regarder amoureusement l’opération de son Dieu, sans vouloir ni la féconder, ni y mettre d’obstacle. Elle a travaillé dans le premier degré à détruire de toutes ses forces ce qui pouvait l’empêcher de chercher Dieu en elle, car les habitudes qu’elle avait prises de se tourner au dehors lui rendaient le recueillement très difficile, et les forces de son âme éparses en divers objets avaient peine à se réunir en un seul et unique objet. David l’avait éprouvé lorsqu’il disait : Je ramasserai toutes les forces de mon âme dans le Seigneur1184.

L’âme ne songe plus alors à combattre les obstacles qui empêchaient son retour au dedans, mais à laisser faire Dieu, le laisser seul combattre et agir en elle. Il est temps, ô mon Dieu, dit-elle, que vous preniez possession de votre royaume : faites-le donc absolument. Je ne veux plus rien faire de ma part que de regarder votre opération. Ce commencement de règne de Dieu et de voie passive est fort délicieux à l’âme. Elle passerait les jours, les années même, éloignée de tout le créé sans s’ennuyer d’un moment. Elle avance beaucoup plus (en peu de temps) par cette voie, que par tous les efforts en plusieurs années.

Ce n’est pas qu’elle n’ait encore des défauts et des imperfections, mais le divin amour vous les retranche peu à peu, ou ne permet pas qu’elle ait une occupation amoureuse. C’est ce qui s’appelle passivité d’amour. C’est un état où l’âme ne croit plus avoir rien à craindre ; elle s’imagine que tout l’ouvrage est fait, et qu’il n’y a plus rien à faire pour elle que d’aller jouir dans l’éternité de ce Bien Souverain qui se donne déjà à elle avec tant de profusion.

Mais il n’est plus question dans la suite de goûter passivement les dons de Dieu et ses communications. L’âme commence à sentir un attrait à laisser Dieu non seulement être toutes choses en elle, mais y régner sans elle.

C’est alors qu’elle éprouve ce que dit l’Auteur de l’Imitation, cet exil du cœur1185 dans lequel cœur elle avait passé ci-devant des jours et des années si fortunées. Elle entend une voix dans le fond d’elle-même ou plutôt elle a une impression que Dieu veut régner seul. Cet exil lui est d’abord très pénible car il faut remarquer qu’entre la recherche de Dieu dans son fond et la possession du même Dieu dans ce même fond, il y a quantité d’épreuves, de peines, de tentations, car chaque état porte son purgatoire. C’est ce qui fait la méprise, et que l’on prend souvent la première purification pour la dernière. Mais lorsque Dieu veut être seul en nous sans nous, et qu’il veut détruire le moi, c’est bien autre chose ; et c’est où presque toutes les âmes se reprennent.

Elles veulent retrouver leurs premières manières d’agir et, se dérobant par là aux desseins de Dieu, elles passent toute leur vie à défaire sous bons prétextes ce que Dieu veut faire en elles. On croirait avoir un amour bien épuré dans cette première passivité, mais c’était soi-même et les dons de Dieu qu’on aimait ; puisque sitôt qu’il les retire, on perd courage, on veut tenir toujours son âme en ses mains, la voir, et la conduire selon l’idée qu’on s’est faite du bon et du parfait, parce qu’on ignore qu’absolument il n’y a rien de bon et de parfait que ce que Dieu fait en nous sans nous.

Lorsque l’âme est comme chassée hors d’elle-même, les défauts paraissent davantage parce que Dieu lui veut faire comprendre ce qu’elle est par elle-même et ce qu’elle serait sans Lui. Elle se tourmente alors, croit avoir perdu les vertus qu’elle avait acquises avec peine et avoir des défauts qu’elle croyait ne plus avoir. C’est alors qu’elle dit avec l’Épouse des Cantiques : J’ai lavé mes pieds, comment les salirai-je1186 ? Vous ne voyez pas, ô Amante, que vous ne les salirez pas en allant ouvrir à l’Époux et que si vous contractez quelque légère poussière, Il la nettoiera si parfaitement qu’Il vous donnera une blancheur éblouissante. Cependant le désir de l’Époux n’est pas qu’elle devienne belle parce qu’elle s’aimerait dans sa beauté, mais que se négligeant elle-même, elle ne voit plus que la beauté de son Époux.

Lorsqu’elle est fidèle dans ce degré et qu’elle veut bien mourir réellement à soi-même, elle commence à se contenter de la beauté de son Époux. Elle dit : Sa beauté sera ma beauté. Mais il en faut venir plus avant, car après s’être désappropriée de sa propre beauté, ce serait une propriété bien plus forte de s’approprier celle de son Époux. Il faut donc qu’Il demeure beau pour Lui-même et en Lui-même sans y vouloir prendre part, qu’elle Lui laisse son tout, et qu’elle demeure dans son rien, car le néant est son propre lieu. C’est alors l’amour parfait qui ne regarde plus Dieu par rapport à nous, mais par rapport à lui-même sans qu’on se regarde soi-même. Comme vous ne m’avez demandé qu’une simple idée de l’intérieur, et que j’ai tant écrit de ces choses, je me contente de ce petit crayon.

*3.02 Economie de la vie intérieure.

Voilà toute l’économie de la vie intérieure : Dieu envoie d’abord une douce rosée qui pénètre le cœur, qui était auparavant comme une terre sèche et aride, qui n’était point cultivée et qui ne rapportait ni herbe ni fruit. Cette rosée détrempe insensiblement cette terre, ce qui donne d’abord au cœur un désir de conversion. Le cœur s’amollit peu à peu, il se tourne vers Dieu et on s’ouvre pour recevoir cette rosée salutaire. Il croît de l’herbe : ce sont des vertus faibles qui commencent à paraître, mais combien sont-elles mélangées de mauvaises herbes ? Combien d’amour propre, d’appropriations, d’estime d’un petit bien qui ne peut quasi passer pour tel tant il est mélangé de défauts, de péchés même ?

Notre cœur à force de rosée, ou de goûts, ou de consolations, comprend qu’il faut travailler à arracher ces mauvaises herbes, à défricher cette terre inculte ; et c’est un long et pénible travail, où l’on détruit peu à peu l’herbe mauvaise de notre fonds terrestre. On laboure par une pénitence rude et laborieuse. Si la rosée cesse de tomber, on devient sec et aride, l’herbe se fane ; il semble que toutes nos peines soient perdues.

Cependant le Maître envoie une plus abondante rosée : tout reverdit en ce moment, tout devient riant et agréable, l’âme est comblée de consolation. Le Maître plante même des arbres qui décorent cette âme et la rendent très belle : ce sont des vertus plus fortes, elle est affermie dans le bien, il y a de l’espérance qu’elle portera bientôt des fruits dignes de celui qui a planté ces beaux arbres.

Mais qu’arrive-t-il ? C’est qu’on s’approprie les arbres, les fruits et même la terre qui les produit, comme son propre bien et son héritage, ce qui fait que le Maître ne trouve plus sa complaisance dans cette terre. Il n’envoie plus sa rosée, ses pluies gracieuses se retirent, les arbres n’apportent point de fruits, l’hiver vient qui les dépouille de tout et ils paraissent comme morts. Il faut remarquer que l’herbe se sent bien moins de la rigueur de l’hiver que les arbres. Il reste toujours un peu de verdure sur la terre, mais les arbres paraissent comme morts, dépouillés non seulement de leurs fruits, mais même de toutes leurs feuilles. Ils ne paraissent plus vivants aux yeux des hommes. Ils sont d’autant plus hideux qu’ils ont paru plus beaux. Ceux qui ne savent pas ce secret des saisons, les croient morts. Ils sont néanmoins pleins de vie et conservent au dedans un germe qui leur fera prendre une nouvelle vie lorsque le temps sera venu. Il y a néanmoins des arbres qu’un trop long hiver fait mourir. Il y a aussi des âmes qui reprennent les plaisirs du siècle qu’elles ont quittés et qui meurent véritablement et sans retour. Il y en a d’autres qui repoussent après être coupés, ce sont ceux que les afflictions font retourner à Dieu.

Ceux qui sont fidèles reverdissent pour ainsi dire au printemps, lorsque le Soleil de justice les regarde favorablement. L’hiver leur a été fort utile : outre qu’il a fait mourir les insectes, qui sont un grand nombre de défauts, c’est qu’il a approfondi davantage cette sève divine. La pluie détrempe la terre pour empêcher la racine de se dessécher et la gelée concentre et ramasse la sève dans la racine, ce qui fait que la racine croît et s’approfondit : aussi l’âme par là se fonde en humilité. Elle commence à comprendre qu’elle peut bien avec l’assistance de la grâce labourer la terre, ôter de l’arbre le superflu, mais qu’il n’y a que le Maître qui puisse le couvrir de verdure, lui faire porter des fleurs et des fruits dans la saison1187.

On voit souvent des arbres chargés de fleurs qui n’apportent aucun fruit. Combien voit-on d’âmes qui paraissent merveilleusement agréables et qui n’apportent que très peu et même point de fruit ! Un arbre fleuri est plus agréable à la vue que celui qui a du fruit mais l’arbre rempli de fruit est beaucoup plus estimable. D’où vient que ces arbres si fleuris n’apportent point de fruit ? C’est un mauvais vent qui fait tomber les fleurs ou qui les brûle, c’est la vaine complaisance dans les dons de Dieu, dans la pluie consolante, qui fait périr ces fleurs charmantes.

Le fruit donne moins dans la vue, surtout lorsqu’il est encore petit et qu’il est chargé de feuilles. Ces feuilles sont l’humidité, le bas sentiment de soi, un commencement de conviction que tout appartient au Maître, qui (à la façon des feuilles) en dérobant le fruit de la vue, le conservent. O si l’on savait combien la vue propre fait de ravage dans notre intérieur, on en aurait horreur ! Parmi ces douces rosées de consolations l’âme se satisfait beaucoup, elle se croit déjà arrivée au terme, quoique ce ne soit que le commencement. C’est pourquoi elle a besoin d’un terrible hiver pour apprendre à se connaître.

Il y a de deux sortes d’âmes : les unes sont plus pénétrées du Soleil que de la rosée, et ce sont les âmes qui sont conduites par les Lumières de l’Esprit - et si le divin Soleil ne se couvrait de nuages, elles périraient par le trop de lumières. Les autres ont plus d’onction que de clarté, et ce sont celles que la rosée pénètre et que la sécheresse purifie.

La voie de celles-ci serait plus solide et moins dangereuse que la première si elles étaient fidèles à ne se rien attribuer, à être également contentes tant de l’hiver que du printemps et des autres saisons. Mais on veut toujours voir en soi des matières de vaine complaisance, et personne ne sait se contenter de l’horreur de l’hiver, de ses frimas, de ses brouillards, des gelées terribles, d’une neige qui couvre tout ; c’est ce qui fait qu’il y en a si peu qui arrivent au terme. On veut quelque chose qui se nomme, qui se discerne, qui amuse la vue, ou feuilles, ou fleurs, ou fruits ; mais ne rien avoir qui attire l’estime des autres et de nous-mêmes, cela est terrible. N’attirer que le mépris, être compté pour rien, être même blâmé, accusé, persécuté, voir les autres estimés, regardés avec respect, et même avec admiration : nature, nature, il faut que tu crèves et que tu meures sous ce poids !

Mais qui est-ce qui te laisse mourir ? On te donne de l’air de peur que tu ne suffoques et ne meures ; on te donne le temps de respirer, mais on ne sait pas que tu es si maligne que ce temps qu’on te donne pour respirer, redouble ta vie (c’est ce que Sainte Catherine de Gênes appelle partie propre). Elle se vante même d’avoir été suffoquée et morte et d’être ressuscitée - et il n’est rien de tout cela ! Elle est plus vivante et plus maligne que jamais. Ce qu’elle a appris, c’est à se mieux cacher, à prendre la forme et l’habit des vrais amis de Dieu. Mais elle est plus contraire à Dieu que le Diable, car elle lui résiste ; et c’est ce que le Démon ne saurait faire.

Ô si nous savions nous laisser aux ministres de la justice de Dieu pour nous détruire en toute manière, que nous serions heureux ! Dieu se sert des hommes, des Démons et de nous-mêmes pour cela, de nos misères, pauvretés, défauts naturels. Il met tout en usage pour cela mais lorsqu’on nous opprime d’un côté, nous nous relevons de l’autre sous mille prétextes spécieux, car la nature maligne ou partie propre n’en manque pas. Il n’y a que Dieu et son pur amour, qui le puissent faire1188. C’est pourquoi, vu sa malignité et notre impuissance, il faut tout remettre entre les mains de Dieu par un abandon total, comme fit sainte Catherine de Gênes1189, elle qui a si bien connu les ruses de l’amour propre et le pouvoir du pur amour.

Voilà ce que produit en nous la rosée du ciel. Il faut voir à présent comme les nues pleuvent le juste.

Il n’a point encore été parlé de la foi pure et nue, qui est comme un brouillard ou une nue épaisse qui environne Dieu et le dérobe à toute vue, compréhension, et discernement. C’est pourquoi il est écrit que Dieu a choisi les ténèbres pour sa cachette, qu’il est assis sur les nuées, que son trône est environné de nuages épais1190, et bien d’autres passages confirmés par celui qui dit : La nuit est mon illumination dans mes délices1191. C’est donc cet état de foi nue qui peu à peu fait pleuvoir le juste, puisque c’est elle qui, en nous aveuglant en apparence, détruit en nous tout ce qui est contraire au pur amour et à la formation de Jésus-Christ en nous.

La foi nue est absolument opposée à toute lumière distincte, à tout brillant, à toute certitude, à tout raisonnement, car quoique la foi soit très certaine en elle-même - n’ayant qu’un objet qui est Dieu pur, simple et nu, tel qu’il est en soi - elle est très incertaine et très cachée à l’égard de celui qui la possède, ne lui laissant rien où il puisse s’appuyer. C’est pourquoi il faut une grande fidélité et un grand courage pour croire au dessus de toute apparence1192 et toute raison de croire. Cette foi met l’âme dans une grande pauvreté et disette de toutes choses, de sorte que toute nourriture manquant à la partie propre, il faut qu’elle défaille et meurt véritablement.

C’est sur ce débris de la partie propre, que j’appelle ailleurs le vieil homme - c’est sur ce débris, dis-je, de la partie propre - que s’établit le pur amour. C’est par la destruction du vieil homme que l’homme nouveau est produit, et ceci ne s’opérant que par la foi nue, on peut bien dire et nubes pluant justum, puisque c’est par son moyen que Jésus-Christ s’incarne mystiquement dans l’âme. Le juste sort aussi d’elle, parce que c’est par elle qu’on apprend la véritable justice, qui arrache tout à la créature pour restituer tout à Dieu. Par elle on apprend à aimer la justice, cet attribut si redoutable aux hommes qui ne sont pas pénétrés du pur amour. C’est par elle qu’on obtient la pauvreté d’esprit et qu’on parvient à cette sainte haine de nous-mêmes si fort recommandée dans l’Évangile. C’est elle qui en introduisant le pur amour dans l’âme, nous fait pratiquer le parfait renoncement, l’abandon total, la mort entière de nous-mêmes, et la destruction du vieil homme.

C’est par elle encore qu’on obtient la vie nouvelle en Jésus-Christ. Comment cela ? C’est qu’elle nous conduit sûrement, sans lumière et sans flambeau, à Celui qui est tout et qui peut tout faire en nous, pour nous, et par nous selon Sa très sainte volonté ; et cela d’une manière d’autant plus sûre qu’elle est plus cachée à nos ennemis et à nous-mêmes. Elle est si fidèle qu’elle n’abandonne jamais l’âme qui se confie à elle, qu’elle ne l’ait conduite devant le trône de la grâce. Mais qui est-ce qui veut bien se laisser conduire de la sorte ? O qu’ils sont rares ! On veut toujours voir où l’on pose le pied et malgré notre vue nous faisons mille faux pas. Elle nous mène à l’aveugle, mais elle ne nous laisse point faire de fausses démarches.

O sacrées ténèbres, nuée plus lumineuse dans ton obscurité que le jour le plus brillant, quand feras-tu pleuvoir le juste sur la terre ! Hélas, l’injustice y règne, elle y est à son comble. Il n’y a que ce seul Juste et seul Saint qui y puisse apporter la justice. Il le fera lors qu’Il aura détruit l’injustice. Venez, Seigneur Jésus ! Je viens1193. Hélas, qu’il y a longtemps qu’on vous attend et vous ne venez point ! Votre patience est outragée. Vous êtes patient parce que vous êtes éternel ; nous sommes impatients parce que notre vie est de peu de durée. Venez, ô le Désiré des nations1194 ! Venez ! qu’il y a longtemps qu’on vous attend ! Je viens bientôt. Amen, Jésus !

*3.03 De la différence qu’il y a entre la Contemplation et la Foi nue. [La contemplation lumineuse, et l’obscure].

La1195 contemplation a un objet qu’elle envisage d’un simple regard, et comme elle est exempte de tout raisonnement, on peut bien l’appeler aussi une oraison de foi, mais lumineuse, mais appuyée sur l’objet distinct qu’elle contemple.

La contemplation est ou de Jésus-Christ Dieu-homme ou de quelques attributs divins, ou de la très sainte Trinité, ou de Dieu sans distinction des Personnes.

Il y a une contemplation de Jésus-Christ homme-Dieu qui ne fait aucune distinction de la Divinité et de l’humanité, mais qui Le contemple dans tout ce qu’Il est d’un regard simple et amoureux, mêlé d’admiration. Et quoi qu’on ne pense point en particulier à ce qu’Il a dit et fait, ses états et ses mystères ne laissent pas d’être imprimés dans l’âme de telle sorte que sans savoir comme cela se fait, on trouve en soi un grand désir de l’imiter, on aime les souffrances par union aux siennes, et les vertus de Jésus-Christ coulent à merveilles dans cette âme et même d’une manière éclatante et qui se remarque de tous. On ne sait point comme cela est arrivé parce qu’on n’a point pensé en distinction aux états et aux préceptes de Jésus-Christ et cependant ils se trouvent comme naturalisés dans l’âme, comme si elle y avait fait une longue attention ; elle les trouve dans le besoin d’une manière plus profonde et plus efficace que ceux qui y raisonnent chaque jour.

Il y a la contemplation des attributs divins, qu’on appelle autrement simple regard : par exemple une âme sera occupée de la sainteté de Dieu et ce passage Soyez saints comme je suis saint1196 lui sera imprimé fortement dans l’esprit. On travaille de toutes ses forces à devenir saint et effectivement beaucoup le deviennent par là. On a de profonds abaissements devant cette sainteté redoutable qui semble écraser l’âme par son poids, et c’est ce que ces sortes de personnes appellent anéantissement. Les autres contemplent la pureté de Dieu et cette pureté fait une telle impression en eux qu’elle devient comme une lumière qui pénètre toute l’âme et qui lui fait voir jusqu’à la moindre imperfection connue comme telle, ce qui met l’âme dans une grande pureté extérieure et intérieure selon la compréhension de l’âme. D’autres sont appliqués à la divine justice, mais c’est une justice distributive pour soi et pour les autres, qui charme et qui ravit l’âme. On ne la craint point parce qu’on ne voit pas qu’on ait rien à en appréhender, on la regarde même comme la source de toutes les grâces. Cette contemplation donne une grande équité pour le prochain et un désir de rendre justice à tout le monde. D’autres sont appliqués à la miséricorde, et c’est une contemplation fort douce et fort savoureuse qui donne beaucoup d’amour pour le prochain et rend fort libéral envers lui. Toutes ces sortes de contemplations ont leurs épreuves, de violentes tentations. Il y en a beaucoup qui portent toute leur vie le même état de contemplation ; les sécheresses qui leur viennent leur sont très pénibles, et leur paraissent une épreuve très forte.

Il y a la contemplation de la Trinité. Ce sont de grandes lumières accompagnées de beaucoup d’ardeur ; l’âme croit être dans le ciel et qu’elle y découvre des secrets ineffables.

C’est dans la contemplation que sont les extases et les ravissements. Dans le commencement de la contemplation il y a des visions de Jésus-Christ qui paraît comme enfant ou comme crucifié ; il y a aussi plusieurs visions représentatives d’Anges et de saints, ce qui est plus grossier que l’extase. Les paroles formelles, successives et distinctes, appartiennent aussi à l’état de contemplation. Je dis : appartiennent à l’état, car il n’est pas nécessaire d’être dans la contemplation actuelle pour les avoir ; on les entend en marchant, en travaillant, en toute occasion. C’est ce que j’ai appelé souvent foi lumineuse ou état de lumière. Toutes les personnes qui contemplent n’ont pas de ces sortes de dons, mais ils appartiennent à l’état de contemplation. Or comme cet état est fort lumineux, il est aussi fort ardent. Il s’allume comme un feu au dedans, qu’on a peine à contenir : un feu s’est allumé1197 disait David, dans ma méditation. C’était plutôt une contemplation, comme ce qu’il dit de ses dispositions le fait assez connaître. Cet amour paraît d’une grande force, il est très savoureux et fort goûté.

Il y a une autre contemplation encore plus parfaite et qui approche de plus près de l’oraison de foi nue : c’est la contemplation de Dieu en lui-même, sans distinction d’aucun attribut. C’est quelque chose de pur, net et dégagé, absorbant en quelque manière l’âme, mais c’est toujours Dieu contemplé d’une manière objective, dont la grandeur et l’immensité enlève l’âme de manière qu’elle ne se voit elle-même que comme un point presque imperceptible. L’âme passerait le jour et la nuit dans cette contemplation sans s’ennuyer. Dieu lui est tout et tout le reste ne lui est rien. Ces personnes sont fort saintes et fort édifiantes. Elles ne voient rien de plus grand que ce qu’elles ont, ce qui leur donne une certaine sécurité. Elles meurent dans le baiser du Seigneur, ce qui leur donne de grands transports de joie qui charment et édifient tous ceux qui les voient. Elles pratiquent la vertu avec une grande force. Tous ces contemplatifs sont des personnes très sages et très mesurées.

Il y a un état que j’appelle de Foi nue. C’est d’abord une contemplation obscure qui ne discerne rien dans son objet. Elle se fait plus discerner dans la volonté que dans l’esprit : l’esprit est mis en ténèbres. C’est une espèce de négation parce que l’esprit n’affirme et ne distingue rien, il est mis en obscurité afin que la volonté soit toute occupée en amour et que l’esprit n’y cause point d’empêchement ni de partage. L’amour est ici bien plus tranquille et plus simple que dans les états de contemplation dont j’ai parlé. Si l’on demande à cette âme ce qu’elle fait, elle dira qu’elle n’en sait rien mais qu’elle est très contente. Demandez-lui si elle voit et aperçoit quelque chose : elle dira qu’elle ne voit, ne distingue et n’aperçoit rien, et que cependant elle a au dedans d’elle une occupation que les objets du dehors et tout ce qui est de son état n’interrompent point, qu’un seul et unique objet sans objet l’occupe et l’absorbe pour ainsi dire. Elle passerait les jours et les nuits en cet état sans s’ennuyer ni se fatiguer. Elle n’a ni motif connu, ni raison distincte d’aimer, mais elle aime au dessus de toute connaissance de toute expression, et même souvent au dessus de toute perception.

Comme cette oraison ou contemplation infuse (si on peut appeler contemplation une chose qui se passe toute dans la volonté) occupe entièrement la volonté, l’âme éprouve peu à peu qu’elle ne veut que ce que Dieu veut et comme il le veut ; et ensuite elle ne trouve plus en elle de volonté pour vouloir ou ne vouloir pas.

Or à mesure que ceci se passe dans la volonté par le moyen de l’amour, l’esprit est toujours mis dans une plus grande obscurité. Il n’a que la foi toute seule, qui lui sert de tout ; et c’est un flambeau si caché, que quoi qu’on marche sûrement par elle, on n’a pas le plaisir de la voir elle-même, ni le chemin où elle conduit, de sorte qu’on est obligé de s’abandonner sans savoir pourquoi on s’abandonne et à quoi l’on s’abandonne.

Plus Dieu appauvrit l’esprit, plus l’amour s’empare du cœur ou de la volonté (car c’est tout un), mais aussi plus l’âme avance en cet amour, plus ce même amour se dérobe à sa connaissance et à sa perception. Ce n’est pas qu’il fuit cet amour charmant, mais c’est qu’il s’enfonce toujours plus dans l’intime de l’âme, afin de se dérober à la vue de la créature et à son discernement pour qu’elle ne s’appuie sur rien de créé, mais sur l’inconnu ; et c’est où se pratique véritablement l’abandon. Car tant qu’on voit, distingue et aperçoit son chemin, l’abandon n’est pas parfait ni l’amour désintéressé, quand même on ne ferait que le pressentir ou le deviner. Il faut être tellement abandonné qu’on ne s’informe pas où l’on nous mène ni comment on nous mène.

L’abandon croît à mesure que l’amour devient plus caché, plus nu, plus séparé de tout intérêt ; et conséquemment la foi devient aussi plus pure et plus nue. Quoi qu’il ne soit point donné de lumière connue à une telle âme comme à celle dont il a été parlé plus haut, elle est bien plus éclairée (sans nulle lumière distincte) de ce que Dieu mérite, et jusqu’où doit aller la pureté d’amour, d’abandon et d’entière désappropriation.

Toute l’opération de Dieu dans cette âme va bien moins aux défauts extérieurs qu’à ceux qui sont comme identifiés avec sa nature - l’amour propre, la propriété, l’amour de la propre excellence, le désir d’être quelque chose et tout ce qui est du vieil homme - afin que Jésus-Christ règne seul. Il lui est donné un respect infini pour l’ordre de Dieu, pour ses décrets éternels ; un dévouement absolu à la justice, non comme distributive, mais comme destructive de tout ce qu’il y a en nous d’opposé à Dieu, étant celle qui fait restituer à Dieu toutes nos usurpations et qui nous fait voir la fausseté de nos attributions.

Ces âmes ne tendent pas à être saintes, mais que Dieu soit saint en elles et pour elles ; qu’il soit tout, et elles rien. Dieu leur laisse certains défauts naturels où il n’y a nulle malice, pour les mieux cacher dans le secret de la face et les dérober à la vue du monde1198, du Diable et d’elles-mêmes. Or ces vertus, d’entière désappropriation et de désintéressement parfait ne sont pas même connues de (ces autres) premières âmes1199 ; et comme elles croient avoir tout ce qu’il y a de plus grand, elles n’ont que du mépris et de la condamnation pour ces dernières âmes, qui ne sont guère connues que par le goût du cœur, ou par leurs semblables.

Ces âmes sont tellement dévouées à Dieu pour toutes Ses volontés, elles sont si souples et si pliables en Ses mains, qu’elles ne répugnent pas même, loin de résister. Elles n’aspirent point aux dons élevés mais à n’être rien, rien du tout. En quelque situation que Dieu les mette, elles sont contentes, parce que Dieu étant immuable rien ne peut altérer son Souverain bonheur. Sa gloire est la seule chose qui les intéresse et s’il paraît qu’elles prennent intérêt à quelque autre chose, cela est purement extérieur et enfantin. On fait très peu de cas de ces âmes, quoiqu’elles soient les délices de Dieu, et on a une estime infinie des premières. C’est par le mépris que les autres en font, et par leurs propres défauts, qu’elles sont conservées pures au dedans ; et c’est là le sel qui les empêche de se corrompre.

Les épreuves de ces dernières âmes sont bien plus fortes, plus intimes, plus pénétrantes, plus étranges, que celles des premières, où le travail est plus extérieur et moins approfondi, où il s’agit des vertus comprises et non de l’entière destruction.

Ces dernières âmes connaissent beaucoup plus de choses et de plus profondes que les premières. Quoiqu’elles n’aient eu aucune connaissance distincte, ni aucune lumière particulière qu’elles aient pu discerner, tout se trouve imprimé en elles sans qu’elles aient découvert cette impression ni quand elle a été faite. C’est là ce qui est écrit : Je graverai moi-même ma loi dans leurs cœur1200. Ce qui est buriné dans le cœur y demeure bien plus sûrement que ce qui n’est que vu ou connu. Aussi est-il bien plus caché et comme on ne voit point en nous les fonctions du cœur charnel que par ses effets, aussi ces lumières profondes et secrètes ne se connaissent que dans le besoin de parler ou d’écrire ; hors de là on n’en discerne rien et on reste à l’égard de tout dans une extrême pauvreté. C’est ce que Jésus-Christ disait à ses Apôtres à la Cène, Je me découvrirai moi-même à eux, et : Je me sanctifie pour eux1201.

Les premières font un grand cas des dons quoiqu’elles paraissent s’en humilier beaucoup, les dernières outrepassent tous les dons, ne pouvant s’y arrêter. Rien moins que Dieu ne peut les contenter ; elles sont, comme j’ai dit, dans une très grande pauvreté de toutes les richesses spirituelles et elles n’en peuvent désirer aucune ; elles sont très simples, et d’un extérieur fort commun : Dieu est Dieu, et cela leur suffit.

Dieu s’en sert quelquefois pour aider au prochain, mais c’est sans choix de leur part et par pure providence. Elles ne désirent ni d’aider ni de n’aider pas, elles ne se donnent aucun mouvement par elles-mêmes, (tout zèle étant mort en elles,) à moins que Dieu ne les remue, et le mouvement que Dieu leur donne pour certaines âmes est infiniment plus fort et plus intime que tout ce qu’elles se donneraient par elle-mêmes. Cette paternité spirituelle fait beaucoup souffrir : c’est une source de croix, soit au dehors, soit au dedans. Tant que la vie cachée subsiste, on ignore ces sortes de croix extérieures et intérieures. Mais lorsque Dieu emploie pour le prochain, il faut expirer avec Jésus-Christ sur la croix, sans voir un grand fruit de ses travaux.

J’ai déjà tant écrit sur cette matière, que ceci suffit pour donner un léger crayon de la différence de ces deux voies. Amen.

3.04. Rareté des âmes simples et enfantines.

1. J’ai faim et soif d’une âme parfaitement simple, qui n’ait point la moindre prudence humaine, le moindre détour, le moindre retour sur soi, qui pense tout haut, qui n’ait point la moindre réserve, dont le cœur soit entièrement ouvert ; d’une âme si petite et si enfantine qu’elle vive dans une innocence parfaite ; d’une âme ignorante d’elle-même, d’une âme au-dessus de tout, qui ne s’appuie sur rien et qui ne s’applique rien.

Où la trouverai-je, cette petite âme, qui ferait les délices du divin petit Maître ? Âme qui ne se soucie ni de ce qu’on pense ni de ce qu’on dit d’elle, qui n’ait ni justification ni excuse, qui compte pour rien les peines : où trouverai-je cette âme dont le cœur est à nu, dont la pauvreté est parfaite et l’abandon pratique et réel, ayant perdu toute vue et toute connaissance d’abandon, mais qui demeure réellement abandonnée, sans distinguer son abandon ; qui n’a qu’un seul non-vouloir si simple qu’il est inexprimable parce que son soi-même ne la regarde plus, qui est morte sans connaître sa mort, qui vit sans vie, qui n’a nulle vue d’aucun état qui soit en elle, qui sert aux autres sans rien y prendre et sans penser qu’elle leur sert, qui est toujours comme le petit Maître veut qu’elle soit ?

Si j’avais cette petite âme, je me jouerais avec elle : nous ne ferions plus qu’un cœur et qu’une âme, car mes délices sont d’être avec les enfants des hommes [Prov. 8, 31].

2. Mais où trouverai-je ces enfants qui fassent mes délices ? Je n’en sais rien, je n’en sais rien. Je jette les yeux partout : je ne trouve point de vrais enfants. J’en trouve assez qui contrefont les enfants, quoiqu’ils soient de grandes personnes, d’autres demi hommes demi enfants. Mais qui me donnera une âme parfaitement pure ? J’en suis altérée : une âme qui n’ait que Dieu seul en vue, exempte de tout propre intérêt, de toute précaution, de toute prudence, de toute prévoyance, une âme qui ne s’attribue aucun bien et qui n’en voit aucun en elle, une âme parfaitement pauvre, soit au-dehors, soit au-dedans. Ils se disent tous pauvres, tous dépouillés : ils sont riches, ils sont revêtus d’eux-mêmes ; ils sont politiques, pleins de propre intérêt : le propre intérêt aveugle tellement celui qui en est possédé, qu’il ne le voit ni ne le connaît.

3. Donnez-moi un enfant au-dessous du néant, dans lequel Dieu ait repris tous ses droits, et lequel, après que Dieu s’est servi de lui avec une sorte de pureté assez grand pour qu’il n’ait rien pris à l’ouvrage que Dieu a fait en lui, lequel, dis-je, Dieu recrible µ encore et le met au-dessous de toute désappropriation connue et comprise, au-dessous des Démons, où il trouve sa place sans place. Après que Dieu a vendangé sa vigne, qu’il en a rompu les clôtures, il la vient encore grapiller µ , il vient purifier ce qu’il avait déjà purifié ; et alors, toute pureté est faite souillure, jusqu’à ce que Dieu ait repris encore de nouveau tous ses droits, et qu’il ait mis les ennemis de mon Seigneur comme des escabeaux sous ses pieds, après l’avoir fait asseoir à sa droite.

[…] 7. [Le Seigneur dit :] Que celui qui est simple, devienne encore plus simple ; que celui qui est droit, devienne plus droit ; que celui qui est petit, devienne plus petit.

Le premier degré de la simplicité est la parfaite droiture, qui ne biaise jamais ; le second degré est une simplicité qui ne cache point la moindre chose, qui est toute ouverte et candide, qui exclut tout retour sur soi et tout rapport à soi ; le troisième degré, c’est la petitesse qui renferme la parfaite pauvreté, l’entier dépouillement, l’innocence, la nudité totale, la parfaite désappropriation et la consommation de la simplicité. A cela, il y a encore bien des degrés, et Dieu purifie et apetisse toujours jusqu’à la parfaite enfance. […]

3.05. Contre la prudence humaine et la propriété1202.

Jusque Zack enclenchera-t-on des deux côtés ? Suivez ou la simplicité, ou la prudence. Ce qui se conduisent eux-mêmes doivent suivre la prudence. C'est elle qui les mènera heureusement : mais ce que Dieu que Dieu conduit, doit (Marc 10,15) recevoir son royaume comme un enfant, où ils dit entreront point. Il y a rien de caché pour moi, (Jérémie 23, 23,24 et chapitre 17,&0) dit Dieu : je vois les motifs qui font agir à chacun. J'ai en horreur les huit tours. On veut faire un mélange de la prudence et de l'abandon ; cela est impossible. J'ai plus la version d'une personne qui ayant connu la voie de [50] l'abandon prend le de loin des mesures de sagesse, de ceux qui veulent toujours venir à leur fin, qui ont de corde alors arc ; que de tous les pécheurs. Il ne faut pas dire : peut-être la changerons-nous, nous lui inspirerons notre prudence. Vous vous trompez. Je n'aurais. Votre prudence. Devenez plutôt pas à moi ; car si je suivais votre prudence, je perdrai la grâce de mon Dieu. De quoi vous servir ai-je, puisque je ne puis jamais de venir aussi prudents que vous l'êtes ? Vous venez me tenter encore parler d'autre prudence, et vous me dites : que faut-il faire pour n'être pas prudent ; car nous ne saurions (A) rien faire ? Ne fait pas ce que vous faites pour lettres. Vous savez bon gré de votre prudence ; vous en destiné plus que le reste des hommes. Oui, cela (note : cela est vrai : c'est-à-dire ce que vous dites, qu'on ne saurait être rien faire, et qu'il faut considérer avec raison et délibération ce que l'on doit faire, est bon pour d'autres) est vrai pour ce qui doit vivre comme les autres [51] hommes ; mais non pas pour les enfants du seigneur. Vous dites : j'ai fait des sacrifices au seigneur. Il se soucie bien au sacrifice si vous ne les comptez pour quelque chose, si vous faites votre volonté dans les petites occasions, et si vous le renoncez pas, tous temps que vous êtes, à votre propre conduite et à votre prudence. Je planterais, dites-vous, si bien mon cordeau, l'incommoderait si bien mon arc, que je ne serai point surpris. Insensés vous êtes ! Celui qui craint la gelée, la neige ne surprendra. Mais non, non, ne craignez. : Ne tombera pas un cheveu de votre tête ; vous avez qui paye pour vous ; vous n'êtes pas digne de souffrir les opprobres pour le don de Dieu. Vous me dites : qui êtes-vous, vous qui nous parlez, et où sont les preuves de votre mission ? (Jean, 5,44) comment pourriez-vous croire, vous qui cherchez la gloire les uns des autres ? Qui craignaient de n'être pas estimé ? [52] mais (Jean, sept, 17,18) si quelqu'un veut faire la volonté de Dieu, il reconnaîtra si ma doctrine vient de lui, aussi je parle de moi-même. Celui qui parle de soi-même cherche sa propre gloire ; mais celui qui cherche la gloire de celui qui l'a envoyé, et véritable : il n'y a point en lui de la justice. Je suis dans la douleur pour ce qui ayant connu la vérité, ne l'ont pas suivi toute nue, et l'ont voulu couvrir. Malheur à ceux qui sachant que le royaume est ouvert, 10 : faites entraient personne ; car nous craignons la foule. Je leur réponds : j'irai dans les places publiques, j'appellerai les pauvres et les enfants, je les contraindrai d'y entrer. Mais ce n'est pas pour nous que nous craignons, disent-ils : c'est pour vous. Qui vous a donné de craindre pour moi si je ne crains pas moi-même ? Celui qui n'a plus rien, doit-il craindre les voleurs ? Vous dites sans cesse : nous voulons faire la volonté de Dieu ; et vous voulez lui prescrire des lois ! Vous [53] voulez être plus sage que Dieu. Voulez-vous laisser conduire à Dieu, dites-vous ; et vous voulez néanmoins le conduire ! Malheur à celui qui dit, je conserverai mon héritage, et je le mêlerai avec l'héritage du seigneur. Le seigneur lui répond par ma bouche : conserver votre héritage ; mais pour moi, je suis la possession et l'héritage de celui qui qui tout pour moi. L'Évangile du royaume ne sera jamais (Luc 4,18) prêcher qu'aux pauvres ; (Luc 18,25) il est impossible qu'un riche entre dans ce royaume. Comment voulez-vous et pauvre, vous qui êtes riches en prudence, et qui voulait servir de maître ? Comment entrerez-vous par la porte étroite si vous craignez d'être pressés ? Si les enfants du royaume rougissent l'Évangile, mon père me donnera d'autres enfants. Si ce qu'ils a choisi pour établir son règne veulent conserver la prudence charnelle, Dieu sera bien se préparé d'autres cœurs. Il peut en un instant faire des plus grands pécheurs les enfants [54] du royaume. Pourquoi veut-on empêcher les petits enfants de venir à moi, puisque (Marc 10,14) le royaume des cieux et pour ce qui leur ressemblent ? Pourquoi s'affliger vous mon cœur ? Je suis plus affligé de vous que la malice des hommes et des Démons. Vous croyez tout à fait, vous laissez-moi tout à fait : car comme vous êtes partagés en vous-même, mon cœur est déchiré pour vous. Vous arrangez toutes choses pour plaire aux hommes, pour avoir leur estime : vous agirez toujours de moi ; car je ne puis plaire au monde. (Jean, 15,19) si jamais été du monde, le monde aurait aimé ; mais parce que je ne suis pas du monde, le monde me fait. Il est impossible (Galates 1,10) de vouloir plaire aux hommes sans cesser d'être serviteur de Jésus-Christ. Où est le pur amour, où est-il ? Il y en a presque point sur la terre. On dit pointer, je lève dans le cœur. Vous mentez s'il ne paraît. Dans vos œuvres. Si Dieu avait fait pour les plus grands pécheurs ce qu'il a fait [55] pour vous, il serait grand saint. C'est amusé le tapis que de faire comme vous faites. Vous voulez que Dieu vous sage gré, et que je sois content de vous. Comment puis-je être content de vos partages ? Quel gré Dieu plus sera-t-il si vous choisissez d'entre eux ou bien ce que vous voulez lui donner, et si vous gardez les autres ? N'atteignent se mettra partout ; elle rongera ce qui paraît bon. Je sais que l'Ange de l'église du seigneur est bon, qu'il a fait assez de choses pour me plaire, dit Dieu ; mais ils se conservent, ils ne donnent pas tout, il réserve l'esprit et la prudence. Plût à Dieu qui cru, qu'il eût tout sacrifié pour moi ! J'eusse tout fait pour lui et par lui. J'aime le bon Nathanaël. Mon ange, comme je l'ai plus aimé que nul autre, je lui redemanderai jusqu'à la racine d'un feu. Il garde son esprit, et il énerve la force de son cœur. Je l'appelais à être le plus petit des hommes. Hélas seigneur, mais je dis, ayez pitié de votre église et votre peuple. Malheur à ce que l'esprit égard, ou que la prudence entraîne ! [56] valeur à la terre si mon maître trouve point de cœur qui soit à lui sans partage ! Je transporterai, (dit le seigneur,) mon sanctuaire. Ceux qui ne connaissent pas recevront de vérité ; et vous autres, que j'ai choisi, que j'ai aimé comme mes très chers, si vous quittez tout pour me suivre, vous serez véritablement digne de moi : mais (Luc 14,33) celui qui ne renonce pas à tout pour l'amour de moi, n'est pas digne de moi, a dit mon maître

*3.06 L’intérieur rebuté et recherché.

Dans le temps que les Juifs rejetaient Jésus-Christ, les Samaritains le reçoivent de tout leur cœur1203. Il ne se trouve parmi les Juifs personne capable d’écouter ni de comprendre l’adoration en esprit et vérité. Jésus-Christ va chercher une femme pour l’en instruire, et une femme Samaritaine. Les Samaritains croyaient en Dieu comme les Juifs. Ils attendaient le même Messie, cependant ils étaient séparés des Juifs et schismatiques, parce qu’ils ne sacrifiaient pas dans le même temple. Il instruit une femme schismatique des plus grandes vérités et la rend en un moment Apôtre. De quoi sert son Apostolat ? C’est pour attirer ces peuples à Jésus-Christ. Ils y viennent en foule, ils sont instruits, ils croient, ils reçoivent cette semence que les Juifs ont rejetée, ils forcent même ce Seigneur, que les Juifs rebutent, à demeurer avec eux, afin de leur enseigner à eux-mêmes ce qu’il n’avait fait qu’ébaucher à la Samaritaine.

O mes chers Samaritains1204, vous avez fait la même chose aujourd’hui. Il est vrai que vous êtes divisés d’avec nous pour le lieu du sacrifice, mais vous croyez en Dieu, vous attendez tout du même Sauveur. C’est à vous que l’esprit intérieur s’adresse ; cet esprit d’adoration en esprit et vérité, cette prière digne de Dieu, ce culte intérieur, cet Amour pur, si rebuté de notre nation et de notre peuple. C’est à vous qu’il s’adresse pour être reçu, c’est en vous et par vous que Jésus-Christ le fera fructifier, Il sera en vous un fleuve d’eau vive, qui jaillira de vos entrailles jusqu’à la vie éternelle1205.

Cette adoration en esprit et vérité, cette prière parfaite, cet Amour pur, vous demande retraite chez vous. Il vous va chercher à l’exclusion de bien d’autres afin que vous le logiez dans votre cœur. Recevez-le et que par votre moyen il soit transmis à une infinité de cœurs ! C’est ce que Jésus-Christ prétend de vous, c’est ce qu’il en attend malgré la faiblesse du sujet dont il s’est servi pour vous enseigner avec Jésus-Christ.

Quand direz-vous à cette pauvre Samaritaine : Ce n’est plus parce que vous nous avez dit que nous croyons que Jésus-Christ est le Messie, que nous croyons le pur Amour, que nous adorons le Père en esprit et en vérité ; c’est parce que nous connaissons nous-mêmes, que nous goûtons, que nous expérimentons, que nous connaissons réellement que c’est la vérité. O si j’entendais ces paroles, que je dirais de bon cœur : Nunc dimittis ancillam tuam, Domine1206, etc. C’est l’objet de tous mes vœux, le sujet de toutes mes prières. Je vous porte tous dans mon cœur. Que ne puis-je vous offrir au Seigneur mon Dieu comme une hostie pure et sans tache, lavée dans le sang de l’Agneau, vivifiée par son Esprit, comme un holocauste sacré, purifié et consumé dans le feu de l’Amour pur ! Amen Jésus.

3.07. Virginité parfaite de Marie.

Sur ces paroles : une vierge concevra et enfantera un Fils à qui l'on donnera le nom d'Emmanuel : c'est-à-dire Dieu avec nous. Matth. 1,23.1207

Comme il fallut une vierge pour enfanter Jésus-Christ, il faut aussi qu'une maman qui Jésus-Christ est produit, soit redevenu vierge ; mais d'une manière mystique. Pour expliquer ceci, il faut distinguer la virginité naturelle, qui est celle du corps ; et la spirituel, qui est celle de l'âme qui n'a point été flétrie par le péché ; et la mystique, qui est celle d'une âme renouvelée en Dieu par son anéantissement. La sacrée vierge a eu les deux premières [61] aussi bien que la dernière, étant vierge en toutes les manières possibles ; mais la dernière suffit pour la formation mystique de Jésus-Christ en. La Sainte vierge fut toute vierge et d'armes et de corps. La virginité de la consistance qu'elle n'est jamais été souillée d'aucun péché ; et la virginité du corps consistant son intégrité. Cette virginité ayant été perdue se peuvent réparer par les mérites de Jésus-Christ, qui par le baptême rendre la vierge spirituellement, l'affranchissant de tout péché ; par un excellent grâce la rend vierge mystiquement, par la perte de la propriété ; il rend aussi le corps chasse par une paisible continence après sa flétrissure. Et quoique ses virginités se puissent ainsi réparer, toutefois leur intégrité ne se peut. Établir ; car nulle puissance ne peut faire qu'elle n'est pas été violée. Marie a eu non seulement la virginité, mais aussi l'intégrité de la virginité. Si Marie a eu pour un seul moment où le péché d'origine, où la corruption de la concupiscence, quelque purée vierge qu'elle eût été de vie par les grâces [60 de] les plus éminentes qui eussent pu réparer cette perte, elle aurait perdu l'intégrité ; et conséquemment, elle n'aurait pas été parfaitement vierge ; puisque la perfection de la virginité consiste plus en son intégrité. Si Marie avait contracté le péché originel, elle aurait pu avoir ensuite une âme pure et innocent par la réparation qui aurait été fait de sa chute en Adam ; mais elle n'aurait jamais pu avoir l'intégrité de larmes, puisqu'il serait vrai de dire qu'elles auraient été salies, quand même ce but été que pour un moment. Intégrité de la virginité de larmes était plus nécessaire en Marie que celle du corps pour qu'elle fût digne mère de Dieu ; car l'intégrité de l'âme m'est infiniment plus avantageuse que celle de la chair. On peut être sauvé sans la virginité du corps ; mais la pureté de l'âme est nécessaire pour le salut. L'âme souillée du péché originel participe à la fornication d'elle, comme les prophètes assurent que notre mère (osé 2,5) commit une fornication. Et avec [63] qui est de se prostitue a-t-elle ? Avec le diable qu'elle écoutât au préjudice de la fidélité qu'elle devait à Dieu ; et sans commettre adultères envers son mari, elle a commis un horrible à l'égard de Dieu. Or comme la première est par sa fornication enfanta le péché et la mort dans le monde, il fallait aussi que la seconde F par son intégrité enfanta la justice et la vie dans le monde ; et afin que cela fût de la sorte, il était nécessaire que Marie fut toute vierge ; vierge garde, n'ayant jamais non pas même pour un moment participé à la fornication de sa mère ; et vierge de corps, n'ayant pas souffert la moindre atteinte de son intégrité ni par la conception, ni par la naissance de son Fils. Si elles a été tiré du côté d'Adam encore innocent, Marie n'a pas dû avoir moins de privilèges. Dieu lui a réservé une (note : comme le sujet du péché originel n'est pas la substance de la chair et son désordre, saint François de Sales fait comprendre que Dieu a préservé la Sainte vierge du péché originel en empêchant que ce désordre à sa formation conception. On rapportera incontinent ses propres termes, et cela revient en substance à la même chose et à la même conclusion) portion toute pure [64] du sang d'Adam, qu'il destinait pour en former une mer à son Fils ; aussi fut-elle conçue de parents stériles et on tâche de concevoir selon la nature, pour marquer que la concupiscence n'avait point de part à sa conception ; et que quoique la substance de l'homme ne fut réellement, toutefois ce ne fût point une substance affectée vie corrompue par le péché, mais une substance pure que Dieu préserva de l'affection commune à tous les enfants d'Adam. C'est pourquoi l'église applique très bien à Marie en quelques-unes de ces faits, ce qui est dit proprement de la sagesse : (proVerbe huit, 24,30) des abîme été. Lorsque j'étais déjà conçu : j'étais chaque jour dans ses délices, me jouant sans cesse devant lui. Avant que les abîmes du péché fussent, la Sainte vierge était déjà conçue dans les idées de Dieu, qui lui sont toujours présents. Avant que le péché entra dans le monde, et que dès que Dieu résolu de s'incarner, il se choisit une mer vierge dans le corps,. Il est certain que Dieu devait à Jésus [65] son Fils et à Marie sa mère cette double virginité ; et que la virginité du corps du rien tétait sans celles-là ; puisque la grande corps a été flétrie d'une manière légitime, ne verra Dieu ; au lieu que la qui est souillée pour peu que ce soit, ne peut que lui déplaire. Je dis donc, que Dieu devait cette intégrité à la mère de son Fils il lui devait cette rédemption de prévention ; et il ne devait jamais souffrir que celle par qui le pécher devait être chassé est banni du monde, fût assujetti au péché pour peu que ce. Et comment celle qui devait écraser la tête du serpent aurait-elle pu en être étouffé avant sa naissance, quand ce n'aurait été que pour un moment ? Quoi, ce sont de Marie eût duquel Jésus-Christ devaient être formés par l'opération du Saint Esprit, aurait-il été affecté pour un instant du Verbe du péché ? Une personne qui n'est fouillée que pour un moment, perd en ce moment même son intégrité : car quoiqu'elle soit ensuite réparée par la chasteté, il est néanmoins toujours vrai de dire que sa pureté a été flétrie. La virginité était [66] donc absolument nécessaire en Marie produire ce Fils vierge a vierge, Fils en mer dans l'éternité, Fils en perdant le temps ; que s'il fallait qu'elle fût vierge, elle ne devait être aussi bien de larmes que le corps, puisque la virginité de l'âme était même plus nécessaire que celle du corps. La pureté incorruptible de son corps nonobstant sa fécondité, et une preuve certaine de l'intégrité de son âme quoiqu'elle soit fille d'Adam. Marie est donc vierge de cette double intégrité ; et comme elle ne fut jamais assujettie à la corruption d'Adam, elle ne fut non plus jamais sujette à la concupiscence d'Adam. Mais enfantant le péché, enfanta la concupiscence, les douleurs de l'enfantement élaborent ; mais la divine Marie de fut. Sujette à ces, et elle ne mourut jamais ni par le péché actuel, ni par l'original ; parce qu'elle a enfanté l'auteur de la vie, et la vie même puisqu'on croit que ce serait un crime réputé un seul péché véniel à la mère de Dieu, ne serait-ce. Crime de lui attribuer le péché originel, qui dans le fond et un péché [67] mortel, puisqu'il rend la l'esclave du Démon, ennemi de Dieu, (les physiciens 2,3) est victime de sa colère ? Jamais de la mort d'aucun péché ; la mère de Dieu ne fut jamais esclave du Démon ; si elle lui eut été soumise pour un moment, il pourrait se vanter que le corps adorable de Jésus-Christ lui aurait été assujetti dans sa source. Que si Marie n'a point été texan du péché originel, aurait-elle été affranchie de la nécessité de concevoir et enfanter comme les autres femmes ; puisque son sens aurait été corrompu par l'épanchement de l'affection d'Adam. Interrogation ou bien si Marie a été tirée par une singulière prérogative de la manière de concevoir des autres femmes, il ne fallait pas non plus qu'elle fût assujettie pour un seul instant péché. Marie donc entière de corrida, Marie vierge dans la perfection du double virginité, devait être telle pour être la mère de Dieu ; et si Dieu n'avait pas donné une telle [68] mère Intel Fils, elle aurait été indigne de lui, et on pourrait dire que le père aimerait pas infiniment son Fils, puisque qu'il lui aurait donné une mer imparfaite lui en pouvant donner une parfaitement accomplie ; qui lui aurait choisi une mère qui aurait tache indélébile, une mère roturière et qui aurait été sali, pouvant lui en donner une noble et exempt de toute corruption. Ô vierge plus pure que les anges ! Quoi, vous qui êtes la mère d'un Dieu, et que tous les anges révèrent comme tel ; il n'avait que Dieu au-dessus de vous, et qui tout ce qui n'est point Dieu est soumis ; vous qui êtes la reine du ciel et la souveraine de l'univers, auriez-vous pu être abandonné au Démon jusqu'à être son esclave, vous qui est né libre, et qui avez été conçu vrai ? Cette conception immaculée était plus que de convenance ; et supposé le dessein de l'incarnation divine, il était nécessaire d'assurer ce privilège à celles qui étaient choisies pour être la mère de l'homme Dieu : car elle devait être bien plus jalouse de l'intégrité de son [69] a que de celle de son corps ; et il allait beaucoup plus de l'intérêt de Dieu le père et son Fils que la de Paris fut préservée de la chute originale, commune à toutes les femmes, que d'affranchir seulement sa chair de latin naturel à toutes les mères. Après avoir vu qu'elle a été l'intégrité de Paris, il faut voir quelle est la virginité mystique que Dieu demande dans les âmes qui doivent enfanter Jésus-Christ dans les cœurs. Cette virginité mystique et virginité réparée, par laquelle Dieu tire l'âme d'elle-même et de la corruption d'Adam, pour la faire passer en lui par un effet de son pouvoir. C'est là que le serpent est vaincu et écraser ; c'est là que là est rendue toute pure et nette, afin qu'elle soit en état de passer en Dieu, et que Jésus-Christ puisse former en elle, et par elles empilent cœur. Dieu a fait cette grâce a quelques saints dès le ventre de leur mère, les tirant dès lors de même pour les perdre en lui, ainsi que saint Jean-Baptiste fut rempli du Saint Esprit avant que d'être et, parce qu'il devait [70] préparer le chemin où Verbe. Mais Marie, qui devait avoir le Verbe non seulement en matière mystique, mais même qui devait réellement donner son sang pour la formation du corps du Fils de Dieu, aurait-elle. Eu d'autres avantages que saint Jean ne peut gérer dits, à savoir celui d'avoir été sanctifié plutôt que, et d'être tiré [or] d'elles-mêmes et de la corruption d'Adam plutôt que les autres qui ont eu ce privilège dès le ventre de leur mère ? Saint Jean ayant été vierge de corps aussi bien que M, et ayant été sanctifié comme elle avant sa naissance, aurait eu autant davantage qu'elle ; et la Bertin Dieu ne serait en rien distinguer de lui. L'église fait assez voir quelle est son sentiment touchant cette vérité par l'approbation et la préférence qu'elle donne aux pieux sentiments de ceux qui la soutiennent, et par la fait dont elle dort le premier instant de la ville Paris, qui fut proprement celui de sa conception. [71] voici sur ce sujet, le passage de saint François de Sales, dont la note ci-dessus fait mention. Il est dans son traité de l'amour de Dieu. Livre de. Chapitre sept. « Dieu décida pour sa très sainte mère une faveur dit de l'amour d'un Fils qui étant tout sage, tout-puissant et tout bon, ce devait préparer une mer à son gré ; et partant il voulut que sa rédemption lui fut appliquée par manière de remettre préservatif, afin que le péché, qui sait que le qui s'écoulait de génération en génération, ne parvint. À elle ; de sorte qu'elle fut rachetée si excellemment, qu'encore que par après le torrent de l'iniquité originelle va rouler saison infortunée sur la conception de ces sacrées d'un, avec autant d'impétuosité que Buffet sur celle des autres filles d'Adam ; si S étant arrivée là, il dépassa. Outre, mais s'arrêta court, comme si entière de Jourdain du temps de jeu se, et pour le même respect car ce fleuve retint son cours [72] en révérence du passage de l'arche de l'alliance, et le péché originel retira ces eaux révérends et redoutant la présence du vrai tabernacle de l'éternelle alliance. De cette manière dont Dieu détourna de sa glorieuse mère toute captivité, lui donnant le bonheur de des deux états de la nature humaine ; puisqu'élus l'innocence que le premier Adam avait perdue, et qu'elle jouit excellemment de la rédemption que le second lui acquit ; ensuite de quoi, comme un jardin d'élite qui devait porter le fruit de vie, elle fut rendue florissante en toute sorte de perfection ; ce Fils de l'amour éternel ayant ainsi paré sa mère d'Europe dort regarder en belles variétés, afin qu'elle fut la reine de ces textes c'est-à-dire, la première de tous les élus, qui jouiront de la dextre divine. Six si que cette mer sacrée, comme toute relevée réservée à son Fils, fut par lui racheter non seulement de la damnation, mais aussi de tout péril de l'adaptation, lui assurant [73] la grâce et la perfection de la grâce ; en sorte qu'elle marcha comme belle aube qui commençant à poindre va continuellement croissante en clarté jusqu'au plein jour. Rédemption admirable, chef-d'œuvre du Rédempteur, et la première de toutes les rédemptions ! Par laquelle le Fils, vainqueur vraiment filial prétend sa mère des bénédictions de douceur, il la préserve non seulement du péché comme les anges, mais aussi de tout péril de pécher, et de tous les divertissements les retardements de l'exercice du saint amour. Aussi proteste-t-il, entre toutes les créatures raisonnables qu'il a choisies, cette mère et son unique colon, ça toute parfaite, ça toute chair, bien-aimé, hors de tout parangon, et de toute comparaison.

3.08. Sur le chapitre six de l'Évangile de saint Jean, depuis le verset 32 jusqu'à la fin.

En vérité, en vérité, je vous le dis, Moïse de vous à. Donner le pain du ciel ; mais c'est mon père qui vous donne le véritable pain du ciel1208.

Outre le sens littéral de ce passage, qui s'entend de la Sainte eucharistie, peut dire avec vérité, que quoique là-bas à un début du ciel, elle était que la figure de cette manne cachée que Dieu communique à ses enfants en les nourrissant au-dedans, non du pain matériel, qui est la propre opération de la créature ; mais de l'opération profond de Dieu dans le centre de la et par un goût expérimental de sa présence, qui est une nourriture substantielle à la, qui la rassasie en remplissant ses vides et la dégouttante de toutes les nourritures créées. [75] c'est aussi la formation de Jésus-Christ en nous, qui est véritablement ce don de Dieu au-dessus de tous dons. C'est lui qui est le pain vivant et vivifiant, qui est en nous nourrissant de lui-même, et un dissolvant sacrer qui nous dissout (pour ainsi dire) par une séparation entière de tout ce qui est du vieil homme, et nous fait passer en l'homme nouveau, qui est, changer et transformer en lui, nous arrachons à cette vie corrompue d'Adam pour vous en donner une pure en lui. C'est ce que Moïse ne pouvait faire, et qui était réservé à Jésus-Christ. Verset 33. Car le vrai pain de Dieu est celui qui est descendu du ciel, et qui donne la vie au bon. Nous étions tous morts en Adam ; et Jésus-Christ, ce vrai pain du ciel est venu pour nous donner la vie et nous retirer de cette misérable mort du péché et de l'adaptation, sans lequel pas nous n'aurions jamais eu la véritable vie. Ce pain est appelé le vrai pain de Dieu ; parce que Dieu [76] engendrant son Verbe de toute éternité se nourrit de cette volupté divine qui trouve en contemplant son image. Or comme Dieu le père vous avait créé à l'image et ressemblance de ce Fils, ses délices, qui ne représentait lui-même ou naturelle ; le Démon, jaloux de la grâce que Dieu avait faite alors, de l'avoir rendu, comme dit saint Paul, (Romain 8,29) conforme à l'image de ce Fils bien-aimé, le Démon jaloux, dis-je, pris tout le soin possible défiguré cette belle image. Il est réussi par le consentement que leur doit au péché en succombant (après sa femme) à la tentation du serpent, qui de la sorte Lipha autant qu'il était en lui cette image de la divinité, et en ôtant tellement tous les traits, on ne pouvait plus la reconnaître. L'amour infini que le père porta son Verbe lui permettant pas de voir cette image défigurée dans l'homme, il se résolut de la rétablir dans sa première beauté, et de la réimprimer de nouveau les mêmes caractères [77] qu'elle avait eu d'abord. Il fallut que ce verre bien-aimé 20 sur terre ce réimprimait lui-même dans l'homme en se faisant homme, voit une personne imprimée son visage temps de la cire dont on fait un portrait très ressemblant. Je crois que c'est ce qui est dit dans Job : (Job 38,14) l'image empreinte se rétablira-t-elle ? C'est-à-dire, c'est image empreinte d'abord de la divinité, et ensuite caractérisée du Démon, se rétablira-t-elle elle-même dans sa première beauté ? Cela était impossible. Il s'est donc incarné pour la réimprimer de nouveau : et nous ayons créé spirituellement à son image, il a voulu prendre la route corporellement, afin de rétablir l'image de Dieu dans l'homme est uni à l'image de l'homme à Dieu en faisant des deux en sa personne un tout indivisible ; de sorte que Dieu ne peut plus voir son Fils qui te voilà et ne conçoivent pour cet homme un très grand amour. Or le Fils ayant rétabli l'homme d'une manière bien plus avantageuse, ayant uni la ressemblance spirituelle à [78] la corporelle, il lui a choisi une nourriture spirituelle et corporelle : la spirituelle et cette nourriture substantielle dont j'ai parlé plus haut ; et la corporelle la Sainte eucharistie, qui est pourtant réellement spirituelle comme elle est corporelle. Verset 34. Il lui dira-t-on : seigneur, donnez-nous toujours de ce pain. Verset 35. Jésus le répondit : je suis le pain de vie ; celui qui vient à moi n'aura point de fin, et celui qui croit en quoi n'aura jamais soif. Ces hommes grossiers ayant vu le miracle de cinq pains, les croyants que Jésus-Christ parlait d'un pain matériel et non de ce pain divin qui est lui-même, demande ce pain matériel qui nourrit le corps. Presque tous les chrétiens ne s'attachant qu'à l'extérieur et à l'écorce des choses, regarde la Sainte eucharistie d'une manière très charnelle ; aussi en font-ils aucun fruit. S'ils regardaient Saint-Sacrement dans son esprit et son institution, ils verraient que Jésus-Christ n'a jamais prétendu que ce mystère de foi consista seulement à le garder corporellement [79] quelques minutes à votre estomac ; mais il a désiré que notre foi en fit une nourriture perpétuelle à notre âme qui devint substantielle et invariable par la communication de son Esprit intérieur, qui fait que l'âme vit de Jésus-Christ même par la foi, en substance spirituelle, aussi continuellement et facilement que nous respirons l'air. Ô divin Jésus-Christ, la que vous avez caché et perdu avec vous dans le sein de votre père, c'est à transformer en votre image vitalement de vous, qui lui semble qu'elle ne pourrait pas dense. Vivre. Elle vous possède au-dessus de tout sentiment ; vous êtes devenus la vie de sa vie, à ne sont pas ; depuis qu'elle ne se possède plus, elle peut connaître, même et Laetitia que vous, sans discernement particulier, paru notice confuse et générale ; mais que dis-je ? Par une possession réelle. C'est vous qui la possédez, qu'il a mangé, digérée, la changer en votre substance ; et si le pain se change en la nôtre, votre esprit, tout vous-même, vous changez est transformé en vous d'une [80] manière plus réelle, qui n'est réelle que notre âme anime notre corps.

[80] manière plus réelle, qui n'est réelle que notre âme anime notre corps. Mais comment entendre ces paroles : je suis le pain de vie, si ce n'est en manière ineffable ? Car Jésus ayant la vie conçue en lui-même, la communique à ce qu'ils reçoivent indignement par la bouche du corps, mais beaucoup plus à ceux qui communiquent à son esprit et qui lui donnent lieu de vivre en deux non seulement par sa vie sacra mental, mais par sa vie divine : oui, il devient la vie est le principe d'une âme régénérée et qui ne vit plus en Adam ; qui non seulement s'est revêtu de l'homme nouveau, mais qui ne vit plus, parce que Jésus-Christ vit en elle. Comment entendre autrement ces paroles, celui qui vient à moi n'aura plus de fin ? Non seulement celui qui a trouvé Jésus n'a plus de désir de tout ce qui est périssable ; mais même il n'a plus de désir, sa volonté s'étant écoulé dans son principe. La multitude des désirs font un vide dans la volonté, et il la rend faméliques parce qu'elle ne trouve rien qui les puisse remplir hors de Dieu : mais lorsqu'elle est devenue nouvelle [81] créature en Jésus-Christ, et qu'elle s'est perdue avec lui dans son père, alors la volonté, qui s'y est véritablement écoulé, entraîne avec elle cette multitude de désirs, qui se perdre entièrement dans leur dernière fin : et tous les vies de l'âme, par conséquent ceux de la volonté, étant rempli, l'âme des plus faméliques, et conséquemment de désir plus. Ce sont les vides qui causent la fin lorsque Jésus-Christ possède un cœur, il le remplit par son immensité divine avec tant de surabondance, qu'il est impossible à cette âme de rien désirer : elle n'est donc plus de fin, parce que la fin vient du vide ; elle n'a donc plus de désir, puisque les désirs ou appétit de la vie et de sa fin. Il en est de même de la soif. Il faut savoir qu'il y a de deux sortes de vide ; le premier vient de la privation de Dieu et des désirs de l'âme pour être rempli ; et c'est en ce sens qu'il n'y a plus ici de vide ; mais il y a un autre vide, qui est l'anéantissement. L'âme est alors vide de tout ce qui n'est point Dieu même, et ce vide augmente chaque jour. Ce [82] vide et sans désirs ; parce que Dieu remplit lui-même sa vie. Tous les dons du ciel et la terre ne remplirait pas le moindre endroit ; il faut que Dieu lui-même le remplisse ; ce qu'il fait en vidant ou anéantissant l'âme de plus en plus. Ce vide et la capacité de notre âme, qui est d'autant plus étroite, qu'elle est plus remplie de ce qui n'est point Dieu, quand même ce serait des dons de Dieu, qui laisse l'âme dans sa capacité bornée et rétrécie ; car quoique l'âme soit comblée des dons de Dieu, on est surpris de voir qu'elle désirant corps, comme un estomac étroit après les viandes qu'il ne peut digérer. Il n'en est pas ainsi de l'âme anéantie. Plus les vides, moins elles désirent, Dieu la remplissant toujours plus de lui-même à mesure qu'il élargit sa capacité, et qu'il la vide chaque jour de tout ce qui lui reste de propre vie et de ce qu'elle peut contracter de défauts qui sont légers. La morte à toutes ses opérations reçoit nuement les opérations de Dieu, qui sont plus crucifiantes les gratifiantes ; parce que les gratifiantes seraient une espèce de plénitude, qui empêcherait [83] l'étendue du vie. C'est vide est comparé par le bienheureux Jean de la Croix indiquait a dans sa vie flammes d'amour ; mais j'ose dire que ce sont des abîmes ; et plus ces habits sont profonds et étendus, plus Dieu prend plaisir de s'y communiquer. Il résiste aux superbes et se donne aux âmes : comme le soleil ne fait que dorer un peu au lieu de haute montagne, pendant qu'il envoie ces raisons rayons ardents et brûlants dans une profonde vallée. Celui qui est gratifié des dons de Dieu est comme une montagne élevée, couronné d'un peu de lumière ; et comme ces lumières sont exposées aux yeux de tous, tout le monde les admire : on ne songe pas à une profonde vallée en qui tous les rayons sont ramassés ; cela est dérobé aux yeux des hommes à cause de sa profondeur. Au pain vivant et vivifiant, remplissez nous et nous vider tellement, que nous n'ayons plus de fin. Au vent qui fait germer les vierges, (Zachary 9,17) délivrez-nous tellement de votre amant amour, que nous [84] n'ayant jamais soif. Eaux vives et salutaires, loyer nous ; et que nous ne refusions jamais à nous-mêmes ! Jésus ne se contente pas de parler de la possession de lui-même qui nous ôte toute fin ; mais il dit de plus, que celui qui croit en lui n'aura plus de soi ; nous apprenons le moyen de parvenir jusqu'à lui, qui est la foi. Il est certain que la voie de la foi est la seule qui nous puisse conduire à une parfaite mort de vous-même. Les dons, les lumières, illustrations, extases, ravissements, nous font vivre en nous-mêmes, loin de nous y faire mourir. Il n'y a que la foi pure et nue, qui nous faisons perdre tous vos appuie par une mort entière et générale, nous fait tomber en Dieu, source de vie. Celui qui est submergé par la pure foi dans ce vaste océan, n'a garde d'avoir soif : il est plein et environné des eaux vives (Jésus-Christ, fonce Filius,) comme une éponge dans la mer ; il est donc parfaitement désaltéré, et ne peut plus avoir de soi. [85] verset 36. Je voulais dit, vous m'avez vu, et cependant vous ne croyez.. La parole de Jésus-Christ, et sa vue même, ne sert de rien sans la foi : les juifs ont abusé de l'un et de l'autre. Si nous ne croyons pas, et ses paroles et ses exemples seront peu utiles. Tout dépend de la foi, mais d'une foi aveugle, qui croit sans voir, qui se laisse pénétrer des paroles de Jésus-Christ, et surtout de cette parole expressive, parole intime et centrale. Verset 37. Tout ce que mon père me donne, viennent à moi ; et je ne le rejetterai. Dehors celui qui vient à moi. Outre la volonté que Dieu a que tous les hommes soient sauvés, et qu'il profite du sang de Jésus-Christ a répandu pour tous, il y a des âmes qui appartiennent singulièrement à Jésus-Christ par la donation que le père il en a faite, parce que vous voulez apparents [86] c'est ça fait entre les mains de Dieu une remise générale de tout ce qu'elle fasse son ces âmes ont un certain instinct de tendre à Dieu par Jésus-Christ ; elle cherche incessamment Jésus-Christ par cette tendance que le père a mise en elle ; elle ne trouve enfin au-dedans d'elle-même. Alors Jésus-Christ les reçoit est de les rejette. Dehors. Il reçoit d'abord comme voie, les conduisant par ses maximes ; et il est lui-même leur marcher et leur sentier ; ensuite il les éclaire comme vérité ; ce qui augmente leur tendance jusqu'à ce qu'il soit devenu leur vie : il est en elles, et elles sont en lui ; et c'est la dernière fin de la verset 38 parce que je suis descendu du ciel non pour faire ma volonté, mais pour faire la volonté de celui qui m'a envoyé. Jésus-Christ, voient, vérité et vie nous apprend qu'il n'est point venu faire sa volonté à celle de son père. Jésus-Christ, comme Verbe, n'a point d'autre volonté que celle du père [87] étant la même chose. Cette volonté mutuelle fait un amour mutuel, qui étant infinie est Dieu. La volonté du père et du Fils sont donc la même le Verbe s'étant fait homme a reçu tous les caractères de l'homme raisonnable ; et ainsi il avait sa volonté particulière : ce qui faisait de volonté, la divine et humaine ; mais lui-même était tellement soumis à la divine, que quoique ce fût de volonté très distincte, on peut dire que la volonté de l'homme en Jésus-Christ était tellement perdue en celle de Dieu, que ce n'était plus qu'une même volonté, la volonté humaine n'ayant point d'autre mouvement que celui que lui donnait la divinité. C'est pourquoi l'Ecriture parlant de Jésus-Christ, et comme lui, par anticipation, 10, (Ps. 39, 8,9) il est écrit à la tête du livre que je ferai votre volonté, c'est-à-dire, que dès l'instant de son incarnation, sa volonté a été parfaitement soumis ce à celle de Dieu. C'est le chemin qu'il nous fait tenir comme la vraie voie : car dès [88] qu'une âme est reçue par Jésus-Christ, et qu'elle sait parfaitement donner à lui, il la conduit par le sentier de la volonté de Dieu. Au commencement l'âme se soumet avec effort ; ensuite elle se résigne plus facilement à mesure qu'elle suit Jésus-Christ ; puis elle devient conforme de telle sorte, qu'elle n'a plus de peine à plier sa volonté ; de la elle devient tellement uniforme, que sa volonté passant peu à peu dans la volonté de Dieu, elle ne trouve plus rien à résilier ; sa volonté disparaît. Car il faut savoir que Jésus-Christ, vérité, mais la lumière de la dans ce chemin ; il est clair de la volonté de Dieu lorsqu'il lui sert de voir jusqu'à ce qu'il soit devenu la vie de la, l'âme étant alors tellement morte à toute volonté propre, que Jésus-Christ devient et sa volonté et sa vie, la vie de l'âme étant principalement dans la volonté de Dieu. Or ô si l'on savait le bonheur de marcher d'abord par ce renoncement perpétuel de notre volonté, pour arriver à cette perte entière de volonté en celle de Dieu, on abrégerait bien du chemin ! [89] il y a de bonnes âmes qui disent qu'elles sont pas en peine de trouver la volonté de Dieu, qu'il désirerait de la connaître ; mais qu'ils sont aveugles sur cela. Ils se trompent beaucoup s'il s'imagine à chaque pas avoir une manifestation claire de la volonté de Dieu. Il ne s'agit pas ici de connaître, mais d'obéir ; pas de voir, mais de pratiquer. Plus Dieu nous conduit d'une manière obscure lorsque nous lui sommes bien abandonnés, plus il nous fait faire sa volonté. Dieu nous ayant mis dans un état, tout ce que nous faisons de moment à autre dans cet état où Dieu nous a dit, est la volonté de Dieu, vu l'attention virtuelle que nous avons de lui plaire en agissant dans son ordre divin. De plus, tout ce qui nous arrive à chaque instant par la providence, et non pas votre choix, est volonté de Dieu sur nous, comme les croix, peines, contradictions, etc. Et plus nous nous accoutumons à renoncer notre volonté dans ces choses qu'il a contrarie, plus nous arrivons à cette perte intérieure de volonté en celle [90] de Dieu. L'âme se résigne au-dedans pour les peines et des sécheresses comme pour les contrariétés perpétuelles ; et cette résignation continuelle, cette fidélité à remplir nos devoirs dans l'état où Dieu nous a mis, nous fait trouver la volonté de Dieu en libre usage à mesure que la nôtre disparaît nous voyons notre volonté disparaître peu à peu par de ces faits, par l'amortissement des désirs, et par une facilité à tout recevoir de la main de Dieu, à voir ce qui nous arrive non en la créature, mais dans cette même volonté qu'on adore et romaine, dont les coûts sont des coups de grâce. C'est elle qui donne la vie en tuant ; car plus on meurt à toute volonté propre, plus on devient vivant en Dieu. C'est le chemin rapide raccourci le plus une l'Ange de ténèbres se transfigure pas en ange de lumière par cette voie ; au lieu que celui qui peut une impulsion des témoignages pour agir, sera facilement trompée ; mais celui qui marche par le renoncement perpétuel et l'abandon aveugle, ne se déprend [91]., Et fait sûrement la volonté de Dieu. Verset 39. Or la volonté de mon père qui doit envoyer est que je me perde aucun de ce qu'il m'a donné mais que je les ressuscite au dernier jour. Verset 40. Et c'est la volonté de mon père qui m'a envoyé, que quiconque voit le Fils et croit en lui, est la vie éternelle ; et je leur ressusciterais au dernier jour. C'est une assurance très grande pour celui qui marche par l'intérieur, et qui appartient spécialement à Jésus-Christ par l'abandon de tout lui-même, que Jésus-Christ de l'abandonnera pas ; au contraire, qui le conduira dans cette divine volonté, étant mort par amour après un renoncement continuel, Jésus-Christ le ressuscitera ; non seulement à la résurrection générale, mais dès à présent Jésus-Christ, en le retirant de ce tombeau où le renoncement et la mort continuelle, aussi bien que l'amour l'on réduit, Jésus-Christ, dis-je, ne ressuscite lui donnant une vie nouvelle [92] en lui, ou plutôt, devenant lui-même sa vie et sa résurrection. Verset 41. Les juifs dont murmuraient contre lui, parce qu'il avait dit : je suis le pain vivant qui suit descendu du ciel. Rien n'est plus difficile à croire que la présence réelle de Jésus-Christ dans l'eucharistie à quiconque raisonne et veut pénétrer ce mystère par sa raison ; mais pour celui qui à la fois, et une foi simple et nue, non seulement elle ne croit, mais de plus il en a une réelle expérience lorsque sa foi est pure et du, et son amour d'eux-mêmes incertain.. Rien aussi des plus combattues que la vie intérieure, on pourrait bien appeler un sacrement, puisque Jésus-Christ y est cachée à tout autre qu'à celui qui l'éprouve. Jésus-Christ devient la vie et la nourriture de larmes, puisque par lui tous les vides de larmes sont remplis. L'âme éprouve, comme dit saint Paul, qu'elle (Galates 2,20) [93] ne vit plus, mais que Jésus-Christ vit en elle. Le Démon fait tous ses efforts pour s'opposer à cette doctrine, parce qu'elle est la source de la vie. Dans le temps même qu'on laisse le crime en repos, tout le monde murmure contre l'intérieur, et s'animent un faux zèle pour le combattre : tous ces voeux, tous irritent aux doctrines de vérité et de vie, le Démon s'oppose à vous de toutes ses forces parce qu'il se sait que vous seule pouvait le terrassé, et que par cette voie Jésus-Christ lui ôte tout le pouvoir qu'il avait pris sur l'homme par la chute d'Adam. Prudemment qui Jésus-Christ vit et règles craint plus : c'est pourquoi ne pouvant l'attaquer par dedans, il lui suscite au-dehors 1000 persécutions, l'accusant, comme Jésus-Christ, peut-être pas si austères que les pharisiens, quoiqu'en vérité la mortification de cette âme soit générale et entière, non simplement certaines choses, mais en tout, soit au-dedans, soit au-dehors. Il y a des personnes austères dans les passions sont vives. Mais par cette mortification [94] universelle du dehors et du dedans essence s'amortisse si fort, qu'on ne trouve de goût à rien ; et les passions éteignent peu à peu. Il est aisé de comprendre que le refus général de tout ce qui peut plaire aux sens les amortit peu à peu ; et que le renoncement continuel et la mort de notre volonté, qui est la souveraine des puissances, amortit étrangement toutes les passions. Les passions sont remuées par les désirs ; la mort des désirés d'abord des passions ; et désirs s'éteignent par l'écoulement de notre volonté en Dieu, les désirs étant écoulé avec elle, perdent leur appétit, parce qu'ils sont remplis ; et ils ne paraissent plus, parce qu'il ne sent plus de vide. Verset 42. Les juifs disaient : n'est-ce pas là Jésus, Fils de Joseph, dont nous connaissons le père et la mère ? Comment donc dit-il : je suis descendu du ciel ? Les juifs de s'arrêter au jugement de leurs sens que leurs sens leur portaient de Jésus-Christ, et non à la vérité [95] de ce qu'il était. Il se croyait connaître son père et sa mère ; et rien n'était plus faut que cela. Au lieu de s'arrêter à sa doctrine, et sans édifier, il s'en scandalisait, parce qu'il jugeait que par les sens ont fait la même chose à présent aux personnes en qui Jésus-Christ vit et règne. On s'arrête un extérieur simple et petit (qui l'est fin de leur avancement,) au lieu de pénétrer le tabernacle couvert de peau l'homme s'est fait une idée fausse de la vertu, et ne veut que les choses grandes et élevées, quoique Jésus-Christ soit venu dans la bassesse et l'anéantissement pour détruire ces faut préjuger de l'homme, qui ne viennent que de son orgueil. S'il ne voit le grand et l'extraordinaire, il ne croit rien. Cependant Jésus-Christ ne sera pas autre enseignement pour les plus choisis qu'il était en lui-même. (Un Corinthiens 1,27) il a choisi les choses petites pour confondre cette hauteur, il est faible pour confondre les fortes ; (Luc 3,5) toute colline sera abaissée devant lui. [96] au lieu de chercher l'extraordinaire dans une âme en qui Jésus-Christ vit et règne, [ce qu'on y trouvera jamais,] cherchant aussi la simplicité et la petitesse Jésus-Christ, et vous l'y trouve. C'est par là qu'il faut juger du véritable état de la ; mais c'est idée de choses grandes et relevées arrête presque tous les autres dans leur voie, et fait qu'il se scandalise la simplicité et de la petitesse Jésus-Christ, comme faisaient les juifs. Ô divin Sauveur, vous êtes un pain vivant et vivifiant, descendu du ciel non seulement en vous-même, mais dans ceux qui sont à vous sans réserve. Ce qui fait qu'on ne ressent pas les effets, c'est qu'on s'y prépare pas par la petitesse, ce qu'on juge de l'intérieur par l'extérieur, et qu'on veut le grand et le merveilleux ; au lieu que si l'on cherchait dans ses à la pauvreté spirituelle, qui est imparfait désintéressement, la petitesse, la simplicité et l'humilité de Jésus-Christ, pénétrerait au travers de l'écorce grossière de l'extérieur jusqu'à Jésus-Christ, vivant en ces âmes [97] et ont le goût très rebelle. Il est dit dans l'Ecriture, qu'une (Ezequiel 17,3) grandes règles monta sur le cèdre, et en tira la moelle au travers de l'écorce. Si nous en faisions de même, et que sans nous arrêter à ce qui nous paraît méprisable pénétration ce qui est au-dedans, vous éprouverions Jésus-Christ tout vivant en lui tel à. Il faut remarquer que ce qui fait méconnaître Jésus-Christ dans la Sainte eucharistie, est le profond anéantissement où il est réduit. Sa vie ait été sur la terre un anéantissement continuel ; et il perpétue cet anéantissement dans l'eucharistie afin d'être la consolation est le modèle de c'est vrai serviteur qui doive tendre à n'être rien. Il condamne bien par là ce qui cherche le grand et l'éclatant et d'y renoncer est la meilleure. Il y paraît rien de Jésus-Christ ; il est comme mort, privé de toutes les fonctions de la vie, se laissant manier par les méchants Jésus-Christ en ce sacrement nous enseigne ce que [98] nous devons faire, nous laisser entre les mains des méchants afin qu'ils exercent sur nous toute leur tyrannie ; et recevoir tout en mort, sans donner aucun signe de notre vie propre. Comme j'ai écrit de cela ailleurs, il est inutile d'en parler ici davantage. Verset 43. Jésus le répondit : elle murmurait. Entre vous. Verset 44. Nul ne peut venir à moi si mon père qui m'a envoyé, de l'attire ; et je ne ressusciterais au dernier jour. Dieu commence par attirer l'a au-dedans d'elle, et c'est la véritable conversion. Elle sent un je ne sais quoi qui l'attire au-dedans. Si l'on était fidèle à rentrer au-dedans de soi, et à suivre la route que le père Marc, sont autant multipliés au-dehors, on arriverait Jésus-Christ en peu de temps. Mais on fait le contraire, et en murmurant suite contre ce qu'on connaît pas, parce qu'on n'a pas voulu éprouver. Mais Jésus-Christ ressuscitera les âmes qui l'ont suivi, il leur communiquera sa [99] vie, pendant que les autres resteront dans la mort. Verset 45. Il est écrit dans les prophètes : ils seront tous enseignés de Dieu ; ainsi quiconque à écouter le père et a appris de lui, vient à moi. Il est certain que le père demande pas de nous instruire, comme il est écrit : ils seront tous enseignés du seigneur. Comment Dieu nous instruit-t-il ? Est-ce par des paroles articulées, par des choses palpables et sensibles ? Nullement : il nous instruit par cet attrait intérieur, qui est comme un appel au-dedans de nous. Celui qui est instruit de la sorte, et qui se tourne au-dedans, trouve Jésus-Christ, qui devient sa vérité et sa vie, qu'il instruit sans bruit de paroles, sans lumière distincte, mais dans la nuit de la foi. Or celui qui veut bien écouter cette parole muette, et instruit d'une manière admirable, quoique secrète et cachée ; cette âme ne possède aucune science ; sans rien avoir, elle a tout ; et sans rien posséder en propre, elle entre en [100] société avec Jésus-Christ ; car celui qui veut bien écouter ainsi, trouve Jésus-Christ, le voie et le connaît des yeux de la foi. Celui qui écoute, apprend ; et celui qui apprend vient à Jésus-Christ ; car il est (Apocalypse 1,3) l'alpha et l'oméga, le principe et la fin. C'est par lui que l'âme commence, et c'est par lui qu'elle s'écoule dans sa fin, où elle demeure (Colossiens 3,3) cacher avec lui en Dieu. Verset 46. Ce n'est pas que personne est vue le père, excepté celui qui vient de Dieu : c'est lui qui a vu le père. La vue n'est pas pour cette vie, mais pour l'autre. Ainsi ce qui s'attache aux visions, révélations, etc., se trompent beaucoup : car croyant beaucoup voir et beaucoup connaître, il ne connaissait ne voit rien. Comme il y a que Jésus-Christ, qui étant descendu du ciel a connu le père et la vue, il faut qu'il nous apprenne à connaître. Il le fait par le moyen de la foi. Plus la [101] foi est pure, plus elle est nue ; plus elle est nue, plus donne-t-elle une connaissance certaine ; connaissance néanmoins tout nue, dégagé le fond, d'espèces, d'objets, de pensée, raisonnements, ressouvenir. Jésus-Christ est en l'image du père, qui nous le fait connaître par ses maximes, il nous apprend à l'adorer en esprit et vérité : mais il nous fait de plus participé à sa vie divine. Jésus-Christ en nous communiquant sa vie, et devenons notre vie est le principe de nos mouvements, nous communique aussi la vie du père ; parce que le père et lui ne font qu'un. Verset 48. Je suis le pain de vie. Verset 49. Vous verrons manger la manne dans le désert et toutefois son bord. Quoique la Sainte eucharistie soit un pain de vie, néanmoins ceci sentant aussi de la vie du Verbe dans l'âme c'est cette manne céleste qui donne la vie de larmes, mais une vie divine, Dieu devenant le principe vital qui fait vivre en Dieu, et agir [102] en celui qui est le principe de nos mouvements. Il est certain que quoique la Sainte eucharistie soit le pain de vie, beaucoup le reçoivent indignement, et trouvent leur mort même dans le principe de la vie. Mais celui en qui Jésus-Christ et un principe vivant et vivifiant, ne meurt. Dans le désert de la foi nue dans le désert de la vie ; au contraire, mourant sans cesse à soi-même et à sa vie d'Adam dans ce désert stérile, la vie de Jésus-Christ est substituée en la place ; et c'est alors qu'on ne meure plus de la mort du péché, puisque Jésus-Christ comme principe vivant le banni de notre cœur et de toutes ces avenues. Verset 50. C'est ici le pain qui était descendu du ciel, afin que si quelqu'un emmanche, il demeure.. Ne meurt.. Verset 51. Je suis le pain vivant qui suit descendu du ciel. Jésus-Christ est descendu du ciel par son incarnation, lorsqu'il s'est fait homme, et il descend encore dans l'âme du juste par son incarnation [103] mystique dans l'âme. Or celui qui reçoit Jésus-Christ de la sorte demeure plus de la mort du péché ; parce qu'étant véritablement mort en Adam par le renoncement continuel, il vit de la vie de Jésus-Christ. Celui qui a goûté cette première mort, ne souffrira rien de la seconde. Celui qui est mort en Adam et qui vit en Jésus-Christ, ne souffre que très difficilement la mort du péché ; et je doute si cela peut arriver à moins que de devenir comme Lucifer. Il est certain ô si, que l'amant qui Jésus-Christ vit et règne, ne craint plus guère la mort naturelle ; je doute même qu'il ne lui faille pas plus de résignation pour vivre que pour mourir ; et si la suprême indifférence ne connaît pas tout dans l'équilibre, cela serait de la sorte. Verset 50 : si quelqu'un mange que ce pain, il vivra éternellement ; et le pain que je donnerais ma chère, que je donnerais pour la vie du monde. Il serait bien pas souhaité que ceux [104] qui reçoivent le corps adorable de Jésus-Christ, ne vous russe pas ; mais les de dispositions qu'ils apportent le recevoir font un effet contraire. J'ai déjà trouvé la vérité de ce sacrement :, il ne me reste plus qu'à dire comme Jésus-Christ devenant la nourriture spirituelle de l'âme par la communication de tout lui-même, elle vit éternellement, possédant dès cette vie Jésus-Christ, qui est la vie éternelle, ou plutôt en étant possédé ; et c'est vivre de la vie de Dieu, qui est la vie éternelle. Mais comment est vivifiée par Jésus-Christ au-dedans, il faut limiter au-dehors, étant prêt de donner notre vie pour le salut de nos frères, et souffrant avec Jésus-Christ toutes les croix, les peines, les calomnies, etc. Tout ce qui contribue à nous faire mourir au vieil homme pour vivre du nouveau. Verset 53. Sur cela les juifs disputaient entre eux disant : comment celui-ci nous peut-il donner sa chair à manger ? Tous nos maux viennent de nos [105] faux raisonnements. Ces gens grossiers prenaient tout charnellement. Quoique Jésus-Christ donne véritablement sa chair à manger, il de la donne. D'une manière qui puisse faire horreur : il la couvre de faibles espèces pour nous rendre l'usage de ce sacrement laisser, et pour nous faire comprendre qu'il se sert des choses les plus communes pour cacher les plus grands mystères. L'âme en qui Jésus-Christ vit et règne, et qui est véritablement anéantie à elle-même afin que Dieu soit toutes choses en elle, mais pour sa seule gloire, découverte d'un extérieur si commun, quand il découvre rien du tout. On voit ce qu'elle n'est pas, et l'on ne voit pas ce qu'elle est. Plus l'âme est possédée de Dieu, plus il la cache aux yeux des hommes, il la garde dans le secret de sa face. Ce qui paraisse fort extraordinaire, et que les gens ignorants estiment si fort, sont éloignés de celle-ci comme le ciel de la terre. C'est la comparaison sans comparaison de Saint-Jean à Jésus-Christ ; mais jusqu'à ce qu'on sache le mystère de la vie commune et de la conformité [106] avec Jésus-Christ, on ignore toutes ces choses. Verset 54. Mais Jésus leur dit : en vérité, en vérité je vous dis, que si vous ne mangez la chair du Fils de l'homme, ainsi vous ne buvez son sang, vous n'aurez. La vie en vous. Ce verset et si clair pour la vérité du corps et du sang de Jésus-Christ dans l'eucharistie, qu'on ne saurait s'empêcher de s'étonner comment on ne comprend pas. Il y a eu dans le temps de la persécution quantité de saints solitaires, quelques-uns cachés dans des cavernes, qui ne pouvait pas recevoir sacra mentalement le corps et le sang de Jésus-Christ : mais il le recevait mystiquement, ayant une entière communication de son Esprit ; ce qui est une communication communion spirituelle très relevée. Jésus-Christ était leur vie, leur principe et leur centre ; c'était comme un excellent élixir, qui s'insinue d'une manière cachée dans toutes les parties de la comme la nourriture se portant toutes les parties du [107] corps. Les âmes de cet état ont une communion perpétuelle avec Jésus-Christ ; mais ce qui le reçoive sacra mentalement avec les dispositions requises, ensemble de grands effets. Au si l'on concevait la grandeur et l'excellence de cette communion spirituelle où Jésus est l'arme de notre âme et la vie de notre vie, où l'âme demeure comme mortes sous l'action de Dieu pour n'agir que par lui comme elle ne vit que de lui et par lui ! Ô vous, qui après votre résurrection entriez les portes est enfermé, rentrée dans ce cœur fermé à tout ce qui n'est point vous ! Mais valez aussi à ceux qui vous faire entrer leurs âmes : que les portes s'ouvrent par la contrition ! (Ps. 23,7). Ouvrez-vous, portes éternelles, et le roi de gloire y entrera. Ô âme, ouvrez-vous à la grâce et à l'amour de Jésus-Christ, et vous participerez à tous qu'il est. Celui qui communie de la sorte à véritablement la vie en lui-même ; parce qu'il a Jésus-Christ, source de vie, qui vivifie tout ce [108] chose. Il ressuscite les morts par le péché ; mais il ressuscite bien plus abondamment les morts en Adam ; car il devient leur unique et véritable vie. Verset 55. Celui qui mange ma chair et boit mon sang à la vie éternelle, et je leur ressusciterais au dernier jour. Au véritablement celui qui participe à votre corps et à votre sang, ô divin Jésus, lorsqu'il le fait avec une entière pureté et union à votre esprit, à la vie éternelle. Mais celui dont vous êtes la vie, et que vous animez de vous-même, à une vie bien plus abondante. La communion est fort utile à ces personnes ; quoique lorsque la providence vous en prie, elle soit content, et ne désire rien ; parce que rien ne leur manque, ayant réellement Jésus-Christ comme vie, mais lorsqu'on peut communiquer, c'est un avantage, étant l'ordre et la volonté de Dieu, et une communion bien parfaite. [109] verset 56. Karbacher est véritablement viande, et mon sang véritablement breuvage. Celui qui par l'ordre de la providence ne peut recevoir Jésus-Christ corporellement, ne laisse pas, comme j'ai dit, de participer d'une manière autant cacher que les divines au corps et au sang de Jésus-Christ. Verset 57. Celui qui mange ma chair et boit mon sang, demeurant moi, et je demeure en lui. Il est certain que celui qui mange le corps de Jésus-Christ, à cet avantage de disposer comme il faut. Mais hélas, qu'il y en a peu qui reçoive ainsi ! Saint Paul (un Corinthiens 11,30) reproché aux premiers chrétiens que le but du corps et du sang de Jésus-Christ Crouzet leurs maladies corporelles. C'est souvent la cause des maladies mortelles de larmes, et de l'endurcissement dans le péché. Ô ministres de Jésus-Christ, (Matth. 7,6) est donné. Le Saint [110] au chien. Une humble privation vaut mieux qu'une communion audacieuse destituée de l'amour de Jésus-Christ. Ce malheur n'arrive pas dans la communion spirituelle dont j'ai parlé, puisque l'âme qui est assez heureuse de que d'être arrivé là, est devenu une même chose avec Jésus-Christ par un mariage spirituel. C'est alors que l'âme demeurant Jésus-Christ abîmé, perdue en lui, vivant de sa vie ; non, (Galates 2,20) ce n'est plus elle qui visse, c'est Jésus-Christ qui vit en elle. Verset 58. Comme mon père qui est vivant, d'envoyer, et que je fis par mon père ; de même celui qui ne mange vivra aussi par mois. Celui qui mange Jésus-Christ dans la sainte eucharistie devrait vivre par lui ; mais il s'en faut bien que cela ne soit de la sorte. Il est certain que celui en qui Jésus-Christ et tout vivant, vie véritablement en lui et de lui : c'est une union d'unité. Jésus-Christ compare la vie qu'il communique [111] à l'âme à celle qu'il reçoit de son père. Ô bonheur ineffable de recevoir Jésus-Christ, et aussi de le recevoir dans le centre de l'âme ! Car il a réduit dans l'unité ; il la nourrit de lui-même, et l'absorbant lui ; il la nourrit, et s'en nourrit lui-même d'une manière d'autant plus ineffable, qu'elle est plus cachée. Verset 59. C'est ici le pain qui est descendu du ciel. Ce n'est pas comme la Marne que vous perd en manger, et qui les a pas empêchés de mourir. Celui qui mange de ce pain, vivra éternellement. Tout ce qui se passait dans l'Ancien Testament n'était qu'une figure de la réalité que Jésus-Christ devait établir. Il ne faut pas douter que beaucoup de saints patriarches vêtus la communication du Verbe. David le fait assez connaître. Mais il ne pouvait entrer au ciel que par Jésus-Christ. Jésus-Christ nous ouvre le ciel ; et cette communication de sa vie nous ordonne une éternelle ; elle n'est point sujet dès cette vie aux variations [112] et aux changements qu'éprouvent les âmes qui sont encore en elles-mêmes ; elle a quelque chose qui est stable, qui sont les avant-coureurs de l'éternité. Verset 61. Quelques-uns de ce qu'il avait ouï dire : ces paroles sont bien Dieu ; qui peut les écouter ? Rien n'est plus dur à la nature que de faire vivre Jésus-Christ en nous par le renoncement continuel à la vie d'Adam et la mort à nous-mêmes ; c'est pourquoi personne ne veut embrasser cette voie. On refuse une vie divine, si pleine davantage, parce qu'on veut conserver la vie d'Adam : ce qui est impossible. Il faut nécessairement que lui cède la place à l'autre. La nature et les Démons se joignent pour l'empêcher, parce qu'il voit que c'est le bien de la, qui leur échappe par la. Tout l'enfer se remue et évolue tous les hommes contre cette vie divine ; tous se joignent pour éteindre la vie de Jésus-Christ dans la, comme ils se joignirent à sa passion. Ô ton l'homme, disait-il alors, d'entre [113] les vivre ; et à présent, empêchant qu'ils ne vivent en la : car par cette vie l'empire du Démon et de la nature corrompue est détruit. Verset 62. Mais Jésus connaissant qui il s'en murmurait, leur dit : cela vous choque-t-il ? Verset 63. Que sera-ce donc, si vous voyez monter le Fils de l'homme où il était auparavant ? Il est étonnant combien les choses qui passent étendu d'une raison bornée et limitée, choc cette même raison. (Un Corinthiens 2,14) l'homme animal ne comprend point les choses de l'esprit. Quoique cela soit de la sorte, il veut juger de tout ; et cependant il n'y a que (idem, 15) l'homme spirituel qui puisse juger de tout ; parce qu'ils n'en jugent. Par son propre esprit, mais par l'Esprit de Dieu qui agit en lui ; et sitôt qu'il a passé les limites de raisonnements humains, il entre en un nouveau pays, où les vérités lui sont manifestées telles qu'elles sont, et non selon le sens de l'homme animal. [114] le Verbe en s'incarnant avait fait la chute la plus prodigieuse qui fut jamais : un Dieu se faire homme, et s'anéantir au point de prendre la forme du pécheur ! Il me semble que c'est cela qui doit plus étonner que tout le reste. Néanmoins il ne laisse pas de très surprenant, que le Verbe fait chair remontant d'où il était descendu, rende l'homme en lui si forts participants de la divinité, qu'il sera toujours vrai de dire, qu'un Dieu s'est fait homme, et qu'il a fait l'homme Dieu. Après un si grand témoignage de son amour, peut-on douter de tout le reste, et ne pas comprendre que Dieu s'étant fait homme d'une union d'hypostases, il veuille bien vivre en nous, et être notre vie ? Il est descendu pour nous sur la terre, il veut en remonter avec nous au ciel, et vous en ouvrir à toute l'entrée. Mais nul n'y entrera qu'ils soient participants de la vie du Verbe. Il ne peut y avoir au ciel que des images de Jésus-Christ reformaient, et dans lesquelles Jésus-Christ est retracé ses divins caractères en qui il se puisse plaire comme dans ces images, et que le [118] perd et agréable parce qu'il voit l'image de ce Fils qu'il aime uniquement, et dans lequel il prend toutes ses complaisances. Il ne peut aimer que son Fils, que par son Fils, et que ce qu'il lui rend est conforme. Si cette union vivifiant à Jésus-Christ nous donne ses caractères, nous devons être des images animées et non des images portent. Verset 64. C'est l'esprit qui vivifie ; la chair ne profite de rien. Les paroles que je vous ai dit, sont esprits et vies. Quelques-uns se sont imaginés que Jésus-Christ parlait de sa chair adorable dans l'eucharistie, et se sont servis de ce passage pour nier la présence réelle : d'autres ont cru que Jésus-Christ n'avait eu qu'un corps fantastique, ou que sa vie dans la chair avait été inutile. Ce n'est pas là le sens de ce passage ; mais c'est que Jésus-Christ nous enseigne que ses mystères ne se comprennent pas par la chair, et que ce n'est pas celle qui nous en donne l'intelligence ; au contraire, elle nous ferme les yeux à la lumière, [116] ainsi qu'il est écrit : (un Corinthiens 2,14) l'homme charnel ne comprendra. Les choses de l'esprit. C'est donc, dont les choses que nous comprenons d'une manière charnelle, qui profite ; mais lorsqu'on les prend d'une manière spirituelle. Comme Jésus-Christ est la vie de nos âmes en manière purement spirituelle, mais qui plus profond, plus intimes, plus animé et animant tout ce que notre âme bannie de notre corps ; aussi les paroles de Jésus-Christ sont esprit et vies. Car, comme dit saint Jean, (Jean, 5,26) il a la vie en lui-même comme Verbe ; tous les hommes n'ont qu'une vie empruntée (pour ainsi dire) et participer de la sienne. Comme (Jean, 4,24) Dieu est un pur esprit, tout ce qui est immédiatement de lui et spirituel, et ces paroles ont cet Esprit vivifiant qui par nécessairement du Verbe, parole éternelle. L'esprit se glisse et s'insinue sans nul mélange, sans succession de paroles, toutes paroles successives étant médiate. Jésus-Christ, parole éternelle, est esprit et [117] vie : l'efficacité de cette parole, Verbe, est pur esprit et vie. Ô parole vivante, Esprit vivifiant, que vous êtes purs, simple, intelligent sans voir, sans sentiment, sans expression aperçue ! Votre expression n'est autre que vous-même. Au parler de la sorte au centre de mon âme ! Que mes sens ni mes puissances n'en découvrent rien, de peur du mélange de mon propre esprit et de l'appropriation que j'en ferai. Ô parole esprit et vie, vous n'êtes point sujette à l'illusion et à la méprise. Ô parole réelle et vérité ! Par où rentrer-vous dans l'amour reposé, par quel endroit vous insinuez-vous, en quel endroit est-ce qu'on vous entend ? C'est ce que j'ignore. Vous donnez aucune aucun signe sensible ; votre parole ne laisse aucune trace de l'esprit humain puisse dire ou retenir. Ô parole sans forme ! Les paroles distinctes, qu'on a nommé (note : voyez le père Jean de la Croix, monter, livre deux, chapitre 31) substantiel parce qu'elles sont leur effet, ne sont point encore vous. Vous êtes dans l'âme, et cachée (118) alarme, dérober à son intelligence, et par conséquent à l'amour-propre. Vous faites qu'on s'exprime comme on peut ; mais toutes ces expressions quoique venant de vous, leçon. Vous. Ô vie, ont esprit, qui ne vous insinuez qu'en détruisant notre propre esprit et chassant notre propre vie, insinuez-vous en nous. Amen, Jésus ! Verset 65. Mais il y en a quelques-uns d'entre vous qui ne croit. Car Jésus savait dès le commencement qui était ce qui ne croyaient pas, et qui serait celui qui le trahirait. Ce que Jésus a toujours exprimé exiger a été la foi. Tout puissant Dieu qu'il était, il ne faisait aucune guérison que par la foi. La foi est donc absolument nécessaire : sans la foi nous voulions les mains au fort et puissant Dieu. La raison de cela est, qu'il ne fera jamais rien contre l'ordre qu'il a établi lui-même. Dieu a créé l'homme parfaitement libre ; et c'est cette liberté qui les différencie de toutes créatures, soit intelligente, soit terrestre. [119] qu'en Dieu voulant agir sur ce sujet libre, exige de lui cette foi en sa puissance et en sa bonté. C'est la foi qui fait en elle-même les miracles, selon ces paroles de Jésus-Christ : (Marc 9,22) tout est possible à celui qui croit. Lorsque Jésus-Christ agissait sur les choses mortes sont inanimées, il usait de son autorité sans rien exiger de leur part. Comme Dieu, à qui rien n'est caché, voie de toute éternité ce qui se passe, il connaissait ce qui n'avait point de foi. Je puis assurer qu'il en arrive en quelque manière la même chose en ce qui la choisit pour aider aux autres. Ceci sans qu'on ne peut rien sur les âmes qu'à proportion de leur foi, que le défaut de foi haute efficacité aux paroles, en sorte que tout tombe des mains, et qu'on ne trouve point de correspondance : l'eau remonte à sa source, le maître ferme le robinet, et il ne s'écoule plus rien de cette eau vive que le maître avait dessein de répandre : on demeure à sec, on se trouve faible et languissant intérieurement. [120] lorsqu'on neuf, c'est tout le contraire : Dieu accorda la foi des autres ce qu'il accorderait peut-être pas à la personne qu'il donne pour aider. Je vois clair comme le jour que c'est la foi dans les personnes qui fait tout, et non le mérite de la personne à laquelle on croit, qui n'étant rien par elle-même, c'est [proprement] en Jésus-Christ en elle qu'on croit, c'est sur lui concède puis ; et cette foi ne peut jamais nous tromper. Cela même doit être général. Mais c'est bien autre chose lorsque Dieu a donné spécialement une personne. Il est alors de grande conséquence d'avoir une foi simple et invariable en ce moyen, sont examinés par les yeux de la raison ; parce que (deux corinthiens 4,7) Dieu mais ces trésors les plus considérables dans les vastes terres, comme dit saint Paul, afin qu'on attribue qu'à Dieu seul la force de ce qu'il opère par ces instruments. Il est certain qu'on discerne parfaitement au-dedans le défaut de foi des personnes que Dieu a données pour aider de à aller à lui. On aurait beau [121] protester d'une foi entière ; si cela n'est pas, le cœur ne peut être content, il se sent rétréci, et il éprouve son impuissance pour faire passer efficacement la parole dans celui qui écoute ; ils s'en les avenues de son cœur bouché ; il dit quelquefois dans sa douleur : ouvrez-moi, seigneur, la route de leur cœur. Car la charité que Dieu donne son père et mère de grâce pour leurs enfants, passe tout ce qui s'en peut dire, et ce qu'il faut souffrir pour eux, et qu'à l'étendue de la charité que Dieu a 10 dans leur cœur. C'est ce que dit saint Paul : (un corinthiens 4,15) il y a plusieurs pédagogues, mais il n'y a qu'un père en Christ. Il y a encore dans ce verset une chose bien remarquable. C'est que Jésus-Christ sachant que Judas ne devait trahir, il est mis au nombre de ses apôtres, et qu'il a supporté si longtemps. Jésus-Christ s'étant destiné lui-même à la mort pour le salut de tous, non seulement n'a point écarté les moyens qui la lui devait procurer, mais même a admis Judas en sa [122] compagnie. Il voulait le convertir, ou le faire servir aux desseins de sa mort ; et peut-être était-il bien disposé lorsque Jésus-Christ l'a pris au nombre de ses disciples. On peut voir par là la justice de ce qui attribue aux défauts du discernement du père a de grâce si quelqu'un qu'ils avaient reçu au nombre de leurs enfants, vient à déchoir ou à manquer. Il faut adorer en cela l'ordre de la providence et ses desseins éternels sur les âmes à raison de leur infidélité et peu de correspondance. Il faut admirer la patience de Jésus-Christ à supporter Judas qu'il savait le devoir trahir ; il lui fait comme aux autres apôtres, sans lui rien témoignait qu'au moment qu'il eût donné à plat consentement à son cri ; et nous avons tant de peine à supporter nos frères ; le moindre défaut nous rebut ; nous ne saurions pardonner la plus petite infidélité. Ô divin Sauveur, que nous vous ressemblons peut ! Verset 66. Et il leur disait : c'est pour cela que je vous ai dit, que personne [123] ne peut venir à moi s'il ne lui est donné par mon père. Verset 67. Dès lors plusieurs de ses disciples se retirèrent de sa suite, et n'avait plus avec lui. C'est Dieu le père qui attire, qui donne les âmes, qui en charge en Jésus-Christ [les pères et mère de grâce.] La même chose on dit aux saints et aux autres ; mais au profit, les autres n'en profitent pas. C'est le défaut de foi qui retira les disciples de la suite de Jésus-Christ ; c'est le défaut de foi qui nous retire des personnes que Dieu nous a données, et dont il voulait se servir pour nous conduire dans ces voies. Ce qui se retirent de la sorte, sortant de l'ordre de Dieu, ne peuvent plus arriver au lieu pour lequel Dieu les avait destinés. Le défaut de foi est cause qu'on se retire de Savoie. On croit d'abord de se retirer que d'une personne qu'on estime plus ; mais c'est de Dieu qu'on se retire ; on sort de ce sentier, on fait bande à part, on change de route : ce qui est un malheur plus grand que l'on ne le pense. [124] verset 63. C'est pourquoi Jésus demanda aux 12 apôtres : et vous aussi, ne voulez-vous. De quitter. Verset 69. Simon Pierre lui répondit : c'est bien, à qui irions-nous ? Vous avez les paroles de la vie éternelle. Lorsque Dieu nous donne un père ou une mère de grâce, il n'en faut pas juger sur l'apparence mais voir si ses paroles sont vivantes et vivifiant ; si cela est, il faut s'y tenir malgré les tentations d'ennemis et à propre raison. C'est là la pierre de touche que ce discernement, et ce sont ces paroles de vie qui rende témoignage de Jésus-Christ dans une âme. Défauts idée que les juifs s'étaient faites des qualités extérieures que devait avoir le Plessis, les empêchèrent de découvrir qui ils étaient. Mais Pierre, instruit non par l'apparence mais par la foi, répondit : a qui irions-nous ? Vous avez les paroles de la vie éternelle. C'est donc à cela qu'il faut s'arrêter pour porter un jugement juste des personnes que Dieu nous donne. Lorsqu'on ne s'établit pas dans la foi, la moindre chose d'où dégoutte et nous rebut des personnes [125] que Dieu nous a donné ; et le Démon se sert de ce dégoût pour faire abandonner non seulement cette personne, mais même la voie dans laquelle Dieu voulait nous conduire par ce moyen. Se retirer de là, c'est se retiré de Jésus-Christ, c'est de plus marcher à sa suite ; enfin c'est privé Dieu de sa gloire et de notre plus grand bien.

*3.09 Union éternelle avec Dieu.

Sur ces paroles d’Osée : Je t’épouserai pour jamais. Je t’épouserai en justice et en jugement ; et en miséricorde. Je t’épouserai en foi1209.

Je t’épouserai en foi veut dire qu’afin que notre esprit soit uni à Dieu il faut qu’il quitte tout préjugé, toute lumière distincte, toute science, pour se laisser pénétrer de cette lumière simple et générale de la foi, sans laquelle l’esprit étant mélangé et informé de plusieurs choses ne peut être pur esprit, et par conséquent être uni à cet Esprit si simple et si pur, qui est Dieu.

Je t’épouserai en justice et en jugement : lorsque tu seras mis dans la vérité de Dieu et de ton rien, tu rendras cette véritable justice à Dieu de n’aimer que lui pour lui, sans nul retour sur toi-même, sans nul intérêt temporel, spirituel, éternel etc. Alors tu verras l’équité des jugements de Dieu sur toi et sur toute créature, ce qui te fera aimer tout ce qu’elle ordonnera de toi pour le temps et pour l’éternité.

Je t’épouserai en miséricorde, c’est l’Amour pur qui est la plus grande des miséricordes et qui ne vient qu’en aimant la justice. Ce pur amour fait l’union ou l’écoulement de notre volonté en celle de Dieu qui sont les noces sacrées de l’Agneau et de l’âme, purifiée par la justice, le pur amour et la simplicité d’esprit. L’union qui a ces qualités est éternelle, c’est pourquoi il est écrit. Je t’épouserai pour jamais. Amen !

J’ai accepté de souffrir pour vous afin de vous l’obtenir, et cela dans la charité et vérité de Dieu, qui est la foi simple et le pur amour.

Or toutes les âmes devenues simples, toutes les volontés perdues dans leur dernière fin composent entre elles une seule Épouse de l’Agneau, qui est la Nouvelle Jérusalem.

Entendez et croyez, et vous aimerez, non de votre amour très petit mais de l’Amour immense de Dieu-même.

3.10. En forme de demandes et de réponse. Être vrai chrétien et enfant de l'église. Ce que c'est qu'être Chrétien et appartenir à l'église ou l'épouse de l'agneau.

Demande1210. Qu'est-ce qu'être Chrétien ? Réponse. C'est être enfant de Dieu [128] demande. À quoi distingue-t-on les enfants de Dieu ? Réponse. C'est de ce qui sont enfants de Dieu sont mû et poussés par son Esprit. Comment cet Esprit époux style ? C'est qu'il habite en deux. Comment avait-il en eux ? C'est qu'ils sont séparés de tout ce qui n'est pas Dieu ; et lorsqu'ils sont renoncés évitent de tout le créé, Dieu habitant de. Quel est le moyen dont Dieu se sert, et celui qui est le plus proche ? C'est la désappropriation qu'est-ce que la désappropriation ? C'est soumettre son esprit par une foi simple, et perdre sa volonté dans celle de Dieu. Comment me trouverez-vous que le Saint Esprit habitant celui qui n'a plus de volonté propre ? Ce qu'il a plus de volonté, est toujours la volonté de Dieu. Cela ne dit pas que Dieu habitant la qui fait la sa volonté ? Jésus-Christ n'a-t-il pas dit : si quelqu'un fait ma volonté, (Jean XIV,XXIII) mon père l'aimera, et nous viendrons à lui, [160 129] nous habiterons en lui ? Or celui en qui Dieu habite, et brûle par l'Esprit de Dieu. Pour que pourquoi cela ? Parce qu'étant Dieu, il faut qu'il commande en souverain dans un cœur où il habite ne dit-il pas également dans tous les hommes ? Il habite par son essence ; mais il n'y commande pas, [il dirait : par son amour.] Pourquoi ? C'est que les œuvres étant libre, et voulant disposer de leur liberté, il la révolte contre Dieu, loin de la lui soumettre ; et Dieu dit peu habité par son amour. Dieu demeure donc partout où il trouve son amour ? Oui. Car (un Jean, 4,16) celui qui est en charité, demeure en Dieu, et Dieu en lui. L'amour de Dieu est donc absolument nécessaire ? Oui ; et ce sel et cet unique nécessaire. Comment ? C'est que c'est le plus grand commandement, et qui renferme tous les autres. [130] expliquez-vous. N'est-il pas dit d'aimer Dieu de tout son cœur, de toute son âme, etc. Et c'est l'aimé à l'exclusion de tout le reste. Ne faut-il pas de vous aimer ? Non. Il faut nous haïr, selon Jésus-Christ, [aimant Dieu Fernand [à l'exclusion du bois ; et c'est accomplir la loi et les prophètes n'y a-t-il pas une seconde partie dans ce commandement de la charité ? Oui. C'est d'aimer le prochain comme soi-même. Celui qui demeure en charité, et son frère. Comment ? Si nous étions tous en charité, nous serions en Dieu ; Dieu est un être qui rappelle les réunit toutes choses en soi. Qu'est-ce qu'aimer Dieu de tout son cœur ? C'est donné tout notre cœur à Dieu, et le degré si totalement, que nous ne nous réservions rien pour nous-mêmes ni pour aucune créature. Si l'on dit qu'il faut aimer le prochain, c'est en Dieu et pour Dieu, et de cet amour que Dieu opère lui-même dans les cœurs où il habite. [131] aimer Dieu de toute son âme, c'est l'aimé de toute la totalité de nous-mêmes sans retour sur soi, lui abandonne dans notre âme pour en faire ce qu'il lui plaira pour le temps et pour l'éternité. L'aimer de tout notre esprit, c'est soumettre d'autres raisons et toutes les lumières de notre esprit à la fois en Dieu, auteur et modérateur de notre esprit. L'aimer de toutes nos forces, c'est réunir toutes les forces de notre âme en Dieu par un recueillement d'unité. Pourquoi est-il temps de division dans le monde ? C'est que ceux qui sont du monde, ne sont pas en charité. À quoi connaîtront ceux-là ? À la motion intérieure. (Romain 8,14) ceux qui sont mû de Dieu, sont enfants de Dieu. Mais ce qu'ils sont. Poussé de Dieu, lequel esprit sont-ils poussés ? De celui du Démon, qui leur fait faire avec empire tout ce qu'il lui plaît, et les entraîne dans la corruption ; au [132] lieu que ceux qui sont mû de Dieu, sont mû pour toutes sortes de biens ; c'est, selon l'Ecriture, (un tiers de, neuf. Ecclésiastique 3,1) une race choisie, une nation sainte, qui n'est qu'obéissance et qu'amour. Ainsi vous voyez que la perte de la volonté en Dieu, qui opèrent l'amour, est la source de tout bien ; au lieu que la propre volonté est la source de tout bon, puisque le dialogue le moteur. Qu'est-ce que l'église ? C'est l'assemblée de tous les fidèles chrétiens. Je vois cependant dans les églises des personnes impies criminelles, comment Compostelle l'église ? Non ; elles sont dans (note : dans cette église de laquelle il est dit dans l'Évangile, beaucoup sont appelés. Matth. 20,16) l'église, sans appartenir à l'église. Comment ? C'est que pour être enfant de l'église, il faut être poussé comme elles par le Saint Esprit. Celui qui ne se laisse pas mouvoir à l'Esprit Saint, dégénère de la qualité d'enfants de Dieu et de l'église, qui ne doit agir que par le Saint Esprit. [133] l'église n'est donc pas ce tumulte effroyable de Jean qui se détruise et se combatte les uns les autres ? Nullement. (Note : de celle dont il est dit : peut sont élus pointer, à savoir, ce qui correspond fidèlement alors appelle ; et acquis saint Paul donne le don d'église fait premier-né qui sont écrits dans le ciel.) La parenthèse l'église et une sainte, tranquille, composé d'un simple, qui écoute, comme leur mère, en silence la motion du Saint Esprit, afin de suivre sa sainte volonté en toutes choses. [Notre note : à noter que le discours 12 teintes c'est marqué ces 182. Enfin de discours]

*3.11 Vie d’une âme renouvelée en Dieu et sa conduite.

Il faut que je dise, que quoique dans la fin de ma vie et dans les choses extérieures que Dieu m’a fait souffrir, il ne paraisse pas d’amères douleurs, ni des dispositions marquées comme dans le commencement et dans la suite de la vie, ni des dispositions intérieures si marquées d’abandon, de soumission, cela n’empêche pas que les douleurs intérieures n’aient été plus fortes, et les dispositions d’abandon très réelles : mais c’est que rien n’arrête et ne marque dans mon âme, rien n’y fait d’impression ni d’espèces.

Il me semble que tant que l’âme reste en elle-même par quelque consistance, les choses s’impriment et laissent des traces, comme de douleur et d’impressions d’abandon, d’amour, et de toutes les vertus ou des défauts opposés ; mais lorsque l’âme est devenue sans consistance, et qu’elle s’écoule sans cesse dans son Etre original, comme une eau pure et fluide, rien ne s’imprime, tout passe et ne laisse aucun vestige. Ces personnes mêmes ne font presque plus de songes : si elles en font, elles les oublient, rien ne reste. C’est la raison pour laquelle on ne peut écrire de [leurs] dispositions.

Cela n’empêche pas qu’il n’y ait [en cette âme] certaines vicissitudes superficielles. Mais ce qu’elles produisent dans le moment est de l’enfoncer dans sa perte. Après cela tout suit, tout s’écoule. D’autres fois, c’est un je ne sais quoi plus amoureux, une tranquillité plus tranquille car le non-trouble est perpétuel. Mais de tout cela on n’en saurait rien dire.

Lorsque j’ai écrit, il me semblait que cela sortait d’un endroit caché et qu’on ouvrait pour me faire voir ce que je n’avais pas aperçu jusqu’alors. Le Maître a tout emporté, le cabinet et ce qui est dedans : de sorte qu’on écrit sans savoir ce qu’on écrit ni pourquoi on l’écrit, si c’est la vérité ou non. Si on demeure ferme dans un sentiment, c’est que Dieu ne donne pas autre chose. Hors de là, on nous fera plier comme on voudra, et pour peu que la raison s’en mêle et qu’on veuille vous persuader par raison, c’est un poids qu’on met dans la balance et qui la fait sortir de l’équilibre où elle était sans savoir si cela est bien ou mal, prête à tout, prête à rien. Si l’on dit qu’on se trompe, on n’a nulle peine à le croire1211, car on ne trouve en soi ni bien ni mal marqué, si ce n’est en superficie. Si on aide au prochain, on ne sait ni pourquoi ni comment on lui aide, prêt à lui aider toujours et prêt à ne lui aider plus. Si l’on demande des avis, on dit ce qui vient. Si ce qu’on dit sans savoir comment, se trouve vrai dans la suite, on n’y prend rien, quoique au premier abord la nature se trouvât comme appuyée de cette vérité ; mais dans l’instant cela est repoussé si loin, qu’il n’ose plus paraître. Si ce qu’on dit se trouve contraire, on ne s’y arrête pas davantage et l’on ne trouve en soi aucune humilité à produire. Cela est, ou n’est pas, également. Il n’y à rien à chercher pour justifier son dire. Ce qui ne vaut rien est certainement de la créature ; ce qui est bon est certainement de Dieu. Le prophétique même ne peut pas être une assurance puisque Jésus-Christ répondra à ceux qui lui auront dit N’avons-nous pas prophétisé en votre nom ? : Je ne vous connais pas, vous qui êtes des ouvriers d’iniquité1212. Ainsi le principe d’iniquité qui est le Démon, peut prophétiser sur des conjectures.

Les âmes de foi ne doivent s’arrêter à rien de tout cela. La foi seule doit être leur guide. Celui qui parle ne doit faire aucun fonds sur rien et celui à qui il est parlé, en doit faire sur la parole présente et non sur l’avenir, parce que le Verbe est toujours engendré sans interruption, sans commencement et sans fin. Tout ce qui est du Verbe et par le Verbe, est présent ; ainsi les personnes en qui Il vit et opère ne parlent de l’avenir que comme présent. Mais Dieu, qui rejette tout appui hors Sa parole et son Verbe, peut permettre à la créature de dire des choses à venir très douteuses, quoique ce qu’Il dit soit infaillible, parce que le sens des choses, la connaissance de tout, est en Lui-même.

Rien ne peut résister à Sa puissance que l’homme, auquel Il a donné le libre arbitre, qui est la qualité propre de l’homme qui le fait être homme. Dieu l’ayant fait homme, et homme libre, ne peut point contrevenir à cette qualité qu’Il lui a donnée. Il la respecte en Lui comme une petite émanation de Sa liberté divine. Dieu ne rétracte point ce qu’Il a fait. Il laisse donc l’homme libre, Il l’invite amoureusement, Il le presse. L’homme ne veut point écouter sa voix, il fuit, il ne l’entend plus que de loin, ensuite il ne l’entend plus. D’où vient cela ? Dieu ne parle-t-Il pas toujours le même langage ? C’est que le cœur endurci devient sourd, sa surdité augmente à mesure de son éloignement et de son endurcissement, il s’amuse au dehors, il n’a plus d’yeux ni d’oreilles pour Dieu, il s’enfonce et s’abîme dans les sentiments ; les sentiments le plongent dans les voluptés, il oublie son Dieu à tel point, qu’il dit en son cœur : Non est Deus (Il n’y a point de Dieu1213).

Il ne faut pas croire que Dieu endurcisse le cœur de l’homme autrement que le soleil endurcit la glace : c’est par son absence. Plus les pays sont éloignés du soleil, plus tout y est glacé. L’homme s’éloignant de son Dieu et ne s’en rapprochant plus, devient une glace pétrifiée qui ne peut plus se dissoudre à moins qu’il ne retourne à son Dieu. Alors il Le retrouve au même lieu où il l’avait laissé, toujours prêt à lui faire sentir les influences de Sa grâce ; et plus il approche de ce soleil, plus il se fond peu à peu, en sorte que si après tant de misères il s’approchait assez près de Dieu, il se fondrait et se liquéfierait entièrement. Ce qui empêche sa liquéfaction parfaite, c’est la propriété, qui congèle toujours plusieurs endroits de notre âme, laquelle dès que sa glace est entièrement fondue et rendue toute fluide, s’écoule nécessairement dans son être original, où tous les obstacles sont ôtés. C’est le feu de l’Amour pur qui le fait en cette vie, et ce sera le feu du Purgatoire qui le fera en l’autre.

Alors il ne reste plus à cette eau aucune impression, aucune qualité propre, aucun vestige. Alors l’âme dans son rien ne peut rien, n’est propre à rien. Il n’y a que l’Être Créateur qui la rende propre à tout ce qu’il lui plaît, et qui agisse sans résistance sur ce rien, qui lui a remis le caractère propre de l’homme, qui est la liberté. Alors l’homme dans son rien, ayant remis à son Dieu et à son Père cette liberté qu’il lui avait donnée, Dieu le crée de nouveau ; Emitte Spiritum tuum, et creabuntur ; et renovabis faciem terræ1214.

Mais cette recréation n’est plus au pouvoir de l’homme, ni à son usage, mais au pouvoir de Dieu et à sa volonté, et c’est ce que dit saint Jean : ses œuvres ne sont point ni les œuvres de la chair, ni de la volonté de l’homme, mais de la volonté de Dieu1215. Dieu couvre ces âmes de l’extérieur le plus commun pour leur dérober, et aux autres, l’œuvre de la sagesse et de la bonté de Dieu. Tout est ignoré, parce que tout doit être caché dans l’éternelle vérité. Amen !

Il est mis quelquefois dans cette âme des langueurs que Dieu soit connu et aimé et des douleurs de voir le contraire, mais il n’en reste rien. Si l’on dit qu’on se trompe, on n’a nulle peine à le croire1216, car on ne trouve en soi ni bien ni mal marqué, si ce n’est en superficie Il lui est indifférent que Dieu se serve d’elle ou d’un autre, prête à tout et à rien ; il en est de même à l’égard de la mort et de la vie. Dieu la rend libre au dehors et en fait paraître ce qu’Il veut d’une manière proportionnée aux autres personnes ; mais pour elle, rien, et toujours rien.

3.12 Âme Épouse de Jésus-Christ.

Je ne puis voir en moi aucun mal, mais l’innocence d’un enfant qui sort du baptême. Depuis cet Avent, je porte Jésus-Enfant, comme je l’ai déjà porté autrefois, sans qu’il soit séparé de Jésus crucifié, en sorte que je comprends que Jésus souffrit dès le berceau, et qu’entrant dans le monde il fut victime pour tous les hommes, mais victime pure et innocente.

O saint Enfant Jésus, je vous ai plus aimé que la beauté, que l’honneur ! J’ai cru que les richesses ne méritaient pas de vous être comparées. J’ai abandonné ma patrie. Je n’ai jamais désiré que de faire votre volonté. Je me suis laissé dépouiller de tout intérêt propre de salut, d’éternité, de perfection, et durant que vous poursuivez tant d’autres qui ne vous aiment pas, pour les faire être tout à vous, vous me rejetez ! N’ai-je pas consenti à ce que vous avez voulu et quelque chose de plus cruel ? Où ont été les réserves et les bornes que j’ai mises à mon abandon ? Et pour cela, ô Enfant trop aimable et trop impitoyable tout ensemble, vous me réduisez à la dernière extrémité ! Est-ce ainsi que vous traitez ceux qui sont à vous ? Vous ne voulez point de mes prières et lorsque je veux vous en faire, ou vous les rejetez ou bien, loin de les exaucer, vous rendez le mal plus cuisant. Hélas qu’est devenue votre bonté, vos miséricordes immenses ? Eh, ceux qui ne vous aiment pas en sont comblés, durant que ceux qui sont à vous n’éprouvent que les rigueurs de votre justice.

Pardonnez, ô saint Enfant, ces innocentes plaintes d’un cœur qui est sous le pressoir. Je ne prétends pas pour cela d’être exaucée : je ne veux autre chose de vous que de me laisser dévorer et abîmer dans votre divin vouloir, de quelque nature qu’il soit. Mon fond ne souffre ni peine ni altération, mais mes sens sont comme de pauvres bêtes à qui l’on ôte la vie et qui crient sous le couteau ou sous la corde qui les étouffe.

Je suis comme ces mères dont les mamelles sont taries, qui ne leur permettent plus d’allaiter leurs enfants, et si elles les voient, ce n’est qu’avec la douleur que leur cause l’impuissance de les soulager. Mon âme est tranquille et contente et cependant mes yeux ne sèchent point. Je suis en deuil, parce que les jours de ma viduité sont accomplis, et que celui qui est destiné pour en ôter l’opprobre ne veut point de moi. Les enfants de la terre en souffriront parce qu’ils ne trouveront personne qui leur rompe le pain. Le jour de la désolation et de fuite au désert va venir, et il n’y aura personne qui ait compassion de moi, parce que le Maître l’a ainsi ordonné. Ce sera bientôt que les passants hocheront la tête, disant (comme autrefois de Jérusalem) : « Est-ce là cette ville fameuse, qui est devenue l’opprobre des nations ! Elle est devenue la risée des peuples et de ses voisins. » Mais s’il est ainsi de cette ville saccagée et pillée, celui qui est mon Christ a bien dit, Attendite, et videte ! (Considérez et voyez1217). Mais comme la ville infortunée doit être un jour la reine des nations après en avoir été l’opprobre, son chef aussi ne sera couronné d’épines en celle qui lui ressemble que pour l’être dans la suite d’un diadème. Et il donnera avec avantage le baiser de fécondité à celle qu’il aura désolée, et qu’il aura vu détruire ; et l’Époux et l’Épouse étant réunis, ce sera alors qu’il prendra ses délices dans son Épouse1218 et qu’il verra à sa table ses enfants ainsi que des branches d’oliviers qui seront toujours verts et couvriront toute la terre1219. 1682.

3.13. Procédés différents de la vérité et de l'erreur.

Tous ceux qui sont sans prévention, et qui ne sont point entêtées de la partie, ont toujours remarqué que les personnes qui sont véritablement à Dieu combattu le Fils sans témoigner de l'aigreur contre le pécheur1220. Ils ont combattu l'erreur avec force, mais sans amertume, et sans témoigner de l'indignation contre les particuliers : au contraire, ils ont conservé la charité chrétienne de tout leur pouvoir, ayant une tendresse compatissante soit pour [147] ceux qui sont dans l'erreur, soit pour les pécheurs. On remarque au contraire que le temps ceux qui sont entêtés d'un parti, surtout les hérétiques, ont une plume trempée dans le ciel de l'aspic pour déchirer et décrier tous ceux qui n'ont pas leurs pannes entêtement. Ils écrivent sans les connaître avec une animosité qui surprend ; et enfin 100 000 faussetés les unes sur les autres, il croit avoir beaucoup gagné en décriant les gens de bien qui leur font aucun mal. Tous leurs livres, soit l'histoire, soit ce qu'ils appellent de piété, sont tout remplies de cet aigre poison, qui loin d'éclairer l'esprit et d'allumer le feu de la charité dans les cœurs, le fait qu'une division affreuse christianisme, il déchire la robe du Sauveur. Les personnes de solide piété ne travaille qu'à insinuer la vérité et l'amour de Dieu dans les cœurs. Il désire simplement le règne de Dieu. Il ne cherche que sa gloire, sans se regarder eux-mêmes. Il pleure les égarements et leurs frères, ils en [148] gémissent devant Dieu ; mais il ne l'ait des honneurs. Par des écrits publics ; et lors même qu'ils sont obligés de s'élever contre la fausseté de certains doivent, il ménage ce qui les débits il ne triomphe. De leur renversement vers. Il est pleine : il s'en afflige comme s'ils étaient leurs meilleurs amis. Quelques outrages qu'ils en aient reçus, il en n'ont point de ressentiment ; et ils n'en conservent même le souvenir que pour prier pour eux, et les ménagers avec plus de soin au contraire, les autres traitent les personnes les plus vertueuses qui ne sont pas de leur parti comme des objets de scandale, leurs bonnes œuvres sont des hypocrites, et s'ils faisaient des miracles on les regarderait comme des enchantements. Il conserve des aides implacables contre ceux qui n'ont que de la charité pour eux. On remarque encore que les véritables hérétiques et ceux qui ont des sentiments dangereux est contraires à la vérité, qui déchire par le schisme ce que Jésus-Christ avait voulu réunir avec tant de peine, accuse d'erreur les personnes les plus soumises [149] à l'épouse de Jésus-Christ. Les a rien en usait ainsi à l'égard de saint Athanase, qu'il traitait hérétiques achevés. De combien de crimes de lentilles. Accusé ? Et quoi qu'on lui fait voir dans des consignes entier la fausseté de leurs accusations par des preuves incontestables, au lieu de rougir de la conviction de leurs mensonges, ils les ont ensuite débités nouveau, et ont taché de les transmettre à la postérité comme des faits incontestables, quoi qu'ils fussent les plus fous du monde. Ce qui a été de tout temps, et dont je ne donne que cet exemple, se pratique encore présent. Quelque défense qu'on est faite, quelque preuve qu'on est donné de la fausseté des accusations de l'ambition et la passion de N avait produite, on ne laisse pas de les mettre dans tous ses ouvrages remplis de 20, afin que cela se répandant s'immortalise davantage. Quand la vérité combat l'erreur, elle ne fait sans calomnies ; mais quand la fausseté combat la vérité, une multitude de mensonges et de quelle vie est le soutien [150] qui lui reste. Elle sent bien malgré elles sa faiblesse ; c'est pourquoi elle prétend en détournant les yeux des autres par la multitude des faits faut éduquer le nickel avant. Elle tâche empoisonner l'esprit en le divertissant. La vérité est simple et nue ; elle n'a que faire de se couvrir de mensonges ; ce qui ne ferait que les déguiser ; au lieu que la fausseté a besoin de s'habiller de 1000 manières différentes afin de se, déguiser. Elle éblouit les yeux par la variété de ses couleurs : mais qu'arriverait-il dans la suite ? C'est que la vérité, qui est toujours accompagnée de la charité, et comme lui le, qui prend enfin de dessus, et que la multitude des eaux ne peuvent abattre. En souffrant est la calomnie, on supporte avec douceur les calomniateurs, et on laisse à Dieu seul le soin de ce qui regarde la réputation et la personne, se contentant de la vérité. Il suffit que Dieu connaisse le fond du cœur ; c'est ce qui rend une âme parfaitement libre dans les plus fortes relations. Jésus-Christ n'a-t-il [151] vadit, que (Jean, 8,32) la vérité de rentrée libre ? Ceux qui sont dans le mensonge sont esclaves au milieu de la plus grande liberté apparente ; et ceux qui sont dans la vérité, son livre dans les fers mêmes on a cru devoir faire faire au public cette courte réflexion.

3.14. Exhortation à souffrir. Exhortation aux enfants de Dieu à souffrir sous la dispensation de l'amour, qui de la sorte veut ôter tout mal, et rétablir tout bien.

Enfant très cher de mon divin maître, que j'ose appeler les enfants de cœur, souffrez, sous l'époux labouré par l'amour tout ce qu'il lui plaît de vous faire souffrir1221. C'est à présent un amour mourant, un amour rigoureux, un amour juste, qui peut vous purifier par la perte de tout ce qu'il y a en vous opposer à sa vie. [152] mais lorsque la pureté sera si grande qu'elle aura détruit en nous tout reste de la vie d'Adam, il il retracera le nouvel homme ; et Jésus-Christ nous faisant un même esprit avec lui, il vous cachera dans son père, et vous mettra à couvert de toutes les attaques des hommes il sera votre vie, votre amour, votre joie ; non une vie en vous, mais en lui ; un amour crée et limité, mais un amour de Dieu en Dieu ; car (un Jean, quatre, 8,16) Dieu est charité. Vous aurez cette joie pleine et parfaite (Jean, 16,22) que Jésus-Christ promis à ses apôtres.

3.15 Dispositions pour la maladie et la mort. [Pour les malades et les mourants.]

On doit se préparer à la mort et souffrir la maladie selon l’état où est l’âme1222. Si c’est une personne qui soit encore dans l’activité, il faut qu’elle soutienne l’une et se prépare à l’autre par de bonnes activités, qu’elle fasse souvent des actes de soumission et de résignation à la volonté de Dieu. Il faut porter la maladie en conformité des souffrances de Jésus-Christ, unir notre mort à la sienne et nos souffrances aux siennes, lui faire un sacrifice de tout nous-même.

Il faut renouveler ces actes le plus souvent qu’on peut, porter avec une extrême patience les douleurs qui accompagnent cet état. Il faut s’accoutumer à prendre tout ce que l’on donne de désagréable pour satisfaire à la justice de Dieu pour les péchés que l’on a commis, unir ces choses si désagréables au fiel et au vinaigre de Jésus-Christ - et mille autres pratiques que Jésus-Christ suggérera lui-même. C’est là la manière dont les personnes actives doivent porter la maladie et se préparer à la mort.

Celles qui sont dans une voie plus simple doivent faire peu d’actes. Elles en doivent pourtant toujours faire, mais elles les doivent faire plus simples, se soumettant à tout ce qu’il plaira à Dieu d’ordonner d’elles soit pour la vie, soit pour la mort ; et ensuite se recueillir beaucoup et que toute leur patience soit dans la foi et dans l’oraison.

Il faut renouveler de temps en temps cette foi et cette oraison parce que l’esprit étant alors fort accablé et souvent assoupi par la maladie, on doit le réveiller de temps à autre par un acte court et simple de soumission, d’union à Jésus-Christ souffrant et mourant. Et puis demeurer en paix auprès de lui, prenant également tout ce que l’on donne, bon et mauvais ; souffrir en paix toutes les incommodités de la maladie, la maladresse de ceux qui servent, le défaut de secours, le manque de mille choses ; laisser mourir la trop grande délicatesse sur la propreté. Enfin il faut pratiquer toutes les vertus qui se présentent à pratiquer dans ces temps-là, souffrir les violentes douleurs en union de celles que Jésus-Christ a bien voulu souffrir pour l’amour de nous, éviter les plaintes et les exagérations que l’on fait souvent de son mal afin d’attirer la compassion des autres, ce qui n’est pas un petit amour propre. N’affecter point de faire voir une trop grande patience aux autres, mais la conserver réellement au dedans de soi, ce qui n’est pas difficile en ce temps-là où l’âme est soutenue par une paix goûtée qui lui facilite une grande douceur pour les personnes qui l’approchent.

Il y a le temps de sécheresse bien plus difficile à porter, aussi est-il plus méritoire car il semble alors que la douleur est cent fois plus forte. On sent une peine très grande à supporter les douleurs, on ne trouve plus de force en soi-même. Il semble que le ciel soit fermé ; on ne sent plus de goût pour la croix, on est même tenté d’impatience, on n’éprouve plus cette tranquillité et ce je ne sais quoi qui rendait si paisible, on a peine à se résigner pour vivre dans la douleur ou pour mourir. La mort, qui paraissait auparavant si charmante1223 n’a rien que de terrible et on éprouve des frayeurs de la mort qu’on n’avait même jamais éprouvées. Que faire en cet état ? On a tant de peine à se supporter soi-même et à supporter les autres !

Il faut y observer un grand silence, se tenir le plus ferme qu’on peut auprès de Dieu en soi, quoiqu’il paraisse qu’on ne l’aperçoive plus ; il faut aller contre le fil de l’eau en se faisant une extrême violence. Cet état est bien différent de celui qui l’a précédé, où il n’y avait qu’à se laisser au fil de l’eau, mais c’est ici tout le contraire où il faut remonter à force de bras. Il est de grande conséquence alors de s’unir à l’état de délaissement que Jésus-Christ a bien voulu porter sur la croix. On peut dire quelquefois avec lui ces paroles : Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’avez-vous abandonné ? Il semble même qu’en ce temps-là le dégoût redouble pour toutes les choses que l’on est obligé de prendre et qu’elles deviennent alors une espèce de calice d’amertume.

Il y a deux choses de grande conséquence à éviter en cet état : l’une, de se laisser aller à son humeur, qui est comme donner un passage à l’eau. Car quand une fois la bonde est levée, l’état pénible où l’on est au dehors et au dedans fait qu’on ne peut plus en arrêter le cours. Il est bien plus aisé de ne la point laisser évaporer : le silence rigoureux malgré la peine que l’on souffre, empêche que la bonde ne se lève. Dieu permet même en cet état que l’on fasse tout de travers : quand on veut aider, on blesse, et mille choses de cette nature.

Quoiqu’il faille une grande fidélité pour ne permettre à la nature aucune échappée ni aucune vie dans ce temps-là, il ne faut pas néanmoins se décourager lorsqu’il échappe quelque faute. Il faut qu’elle serve à nous faire connaître le fond de misère qui est en nous ; ces sortes de fautes nous humilient beaucoup et à nos propres yeux, et à ceux des autres, qui ne voyant plus cette grande patience que l’on pratiquait autrefois avec tant de facilité, croient que l’âme est déchue et en pensent mal. Dieu permet ces petites échappées, qui même sont rares, pour ôter un certain appui que l’âme conservait tant en sa patience précédente dans ses consolations qui ne lui coûtait guères alors, que dans la vertu vigoureuse qu’elle pratique en un temps si déplorable. Cette conduite de Dieu dans la maladie et dans cet état de sécheresse fait plus avancer l’âme et la rend plus conforme à Jésus-Christ, que plusieurs années des états précédents, quoique elle-même et ceux qui n’ont pas une véritable lumière n’en jugent pas de la sorte.

Il y a un autre inconvénient à éviter, qui est que l’âme en cet état voudrait se mettre en toute sorte de postures pour retrouver son premier état consolant et soutenu. Elle se multiplie en actes, qui cependant ne font que la dessécher davantage. Il faut porter cet état en esprit de mort et de renoncement, porter le poids du jour tant qu’il plaira à Dieu, demeurer muet sous le couteau. Tout ce qu’elle peut faire est de s’unir de temps en temps au délaissement de Jésus-Christ ; encore faut-il qu’à mesure qu’elle avance, elle se contente d’un simple regard sec et aride, qui dit à Dieu tout ce qu’elle voudra lui dire, évitant tout ce qui nous sert de témoignage à nous-mêmes pour nous consoler et nous faire vivre.

Il ne faut pas en user de même dans les sécheresses de l’état actif, parce que l’âme n’ayant qu’autant qu’elle agit et ses sécheresses n’étant pas du même principe que celles-ci, il faut qu’elle tâche par des actes fervents de retrouver ce qu’elle a perdu.

Ceci est de conséquence, pour ne point mélanger les états et agir selon son don et la mesure de sa grâce, parce que si une personne active voulait en user dans la sécheresse comme celles qui sont avancées, elle se dessécherait réellement, n’ayant point le principe vivifiant des autres. Celles qui sont avancées ne sont desséchées que de ce qui leur est propre, afin de donner lieu à la source divine de remplir leur vide ; au lieu que les premières sont desséchées de ce qui est de Dieu, et remplies d’elles-mêmes. Elles doivent donc travailler par leur activité à recouvrer les sentiments de la grâce qu’elles ont perdus. C’est la même différence qu’il y a d’une pompe à une eau de source. La première ne donne de l’eau qu’à force de l’ébranler et quand on cesse le travail, on n’a plus d’eau. Au contraire dans l’autre état, c’est comme un ruisseau qu’on dessèche afin d’en ôter les immondices et les obstacles qui empêchent la source de se répandre abondamment. C’est pourquoi il faut se laisser dessécher pour seconder par là les desseins de Dieu, et notre activité ne servirait qu’à y mettre de nouveaux obstacles.

Pour le temps de la mort dans cet état sec, il ne faut pas changer de conduite, mais demeurer abandonné à Dieu malgré les frayeurs mortelles, le raisonnement, et une certaine estime que l’on a pour ses propres œuvres, qui fait qu’on voudrait chercher de nouveaux moyens pour se mieux préparer à la mort, ce qui cause un très grand dommage. Il faut mourir comme Jésus-Christ, dans le délaissement, et remettre son esprit entre ses mains comme il remit le sien entre les mains de son Père. Il faut recevoir les Sacrements dans cette même disposition d’abandon et de délaissement entre les mains de Dieu.

Il y a un autre état qui est tout passif, où l’âme doit demeurer simplement dans son simple regard ou plutôt dans l’union de sa volonté avec celle de Dieu. La paix de cet état est bien plus profonde, quoique moins goûté que celle du second état dont nous avons parlé. L’âme y doit rester sans aucun acte de sa part qui soit connu et comme d’elle, parce que c’est alors Dieu qui agit en elle et qui y est le seul principe de ce qui s’y opère. Les plaintes que les douleurs font faire quelquefois sont de saison alors, elles ne sont point causées par l’impatience ; au contraire, c’est une certaine simplicité comme d’un enfant qui se plaint, cela sert à couvrir la profonde patience qui est alors donnée à cette âme, que les autres admireraient, et qui pourrait lui servir d’appui à elle-même. Mais comme les réflexions sont déjà beaucoup perdues en cet état, l’âme n’en fait guères et on agit comme tout naturellement. Ces personnes sont fort paisibles dans leurs maladies et leur mort est précieuse devant Dieu. Elles ne changent point de disposition ni pour la vie, ni pour la maladie, ni pour la mort ; leur abandon étant fort affermi il ne leur est pas difficile de se laisser entre les mains de Dieu. On peut dire que ces âmes meurent dans le baiser du Seigneur.

Il y a peu de choses à leur dire, et même les personnes qui les approchent devraient leur parler très peu, parce que ce qu’on leur dit quoique sous bon prétexte, ne sert qu’à les distraire et pourrait même les tirer de leur état si c’était des personnes auxquelles elles eussent confiance. Il ferait donc bien nécessaire qu’on ne leur parlât que conformément à leur état. Mais comme ces états sont peu connus et que pour l’ordinaire les personnes qui assistent à la mort ne les entendent guères, et donnent les mêmes avis qu’au commun des chrétiens, ce que les personnes de cet état doivent faire, c’est de recevoir avec humilité et en silence ce qu’on leur dit sans néanmoins changer leur disposition, demeurant simplement attentives à Dieu, lui laissant faire en elles et d’elles tout ce qu’il lui plaira, sans s’embarrasser de soi ni s’intéresser pour soi-même, étant bien persuadées que ce qu’on a une fois donné à Dieu véritablement et de tout cœur, lui doit demeurer en propre.

Cette âme reste dans une grande paix lorsqu’elle ne sort point de cette disposition, mais elle n’en sort pas plutôt qu’elle entre dans le trouble ; elle est comme un navire qui ayant perdu l’équilibre, penche de côté et d’autre et se remplit d’eau jusqu’à ce qu’il ait retrouvé son équilibre, et cette âme son centre. Sitôt que l’âme de cet état s’aperçoit de quelque trouble, qu’elle soit persuadée qu’elle est sortie de son état d’abandon et de délaissement ; qu’elle y rentre donc aussitôt par un nouvel abandon, que si après avoir renouvelé son abandon le trouble continue quelque temps, qu’elle le supporte en paix comme une punition de sa faute.

Il y a encore un état de dénuement, qui suit celui-là, bien plus fort que celui de la sécheresse dont nous avons parlé. Il faut y procéder de même selon son état, qui doit être d’une grande mort. C’est alors que l’âme s’abandonne à Dieu pour le temps et l’éternité, qu’elle lui fait un sacrifice total de tout ce qu’elle est et de tout ce qu’elle peut devenir, sans jamais se reprendre, même dans le moment de la mort ; et c’est là le sacrifice le plus glorieux à Dieu, et même le plus avantageux à l’âme quoi qu’elle n’y pense pas. Après ce sacrifice l’ennemi ne peut plus nuire à l’âme à moins qu’elle ne se reprenne. Il peut roder autour d’elle, lui causer quelque frayeur pour l’obliger à craindre et à se reprendre. Mais qu’elle demeure ferme dans son délaissement, il ne pourra lui nuire et se retirera même bien promptement. C’est un grand avantage que de mourir dans cette mort entière à toutes choses et à soi-même ; c’est de ces âmes qu’on peut dire qu’ayant goûté la première mort, elles ne souffriront rien de la seconde. Il est de si grande conséquence de ne point se reprendre à la mort et ne point perdre le fruit de tant de travaux, que l’on ne peut assez se le persuader ; parce que dans l’affaiblissement de l’esprit que cause l’extrémité de la maladie, et dans les discours que l’on entend si opposés à l’état que l’on porte, il est facile de prendre le change et de sortir de son délaissement entre les mains de Dieu de sorte qu’on ne saurait dans le temps de la santé s’imprimer cela dans l’esprit trop fortement.

Il y a encore un autre état, qui est celui de pur amour, mais il y a peu de choses à en dire, car si la multitude de grandes eaux n’ont pu éteindre la charité1224 c’est à dire si toutes les traverses, toutes les douleurs, toutes les tentations ne l’ont pu faire, il y a lieu de croire, comme dit saint Paul, que la mort ne séparera point ces âmes de la charité de Dieu qui est en Jésus-Christ1225. Amen, Jésus !

*3.15 [J. Bertot] Dispositions pour la maladie et la mort.

On doit se préparer à la mort et souffrir la maladie selon l’état où est l’âme1226. Si c’est une personne qui soit encore dans l’activité, il faut qu’elle soutienne l’une et se prépare à l’autre par de bonnes activités, qu’elle fasse souvent des actes de soumission et de résignation à la volonté de Dieu. Il faut porter la maladie en conformité des souffrances de Jésus-Christ, unir notre mort à la sienne et nos souffrances aux siennes, lui faire un sacrifice de tout nous-mêmes.

Il faut renouveler ces actes le plus souvent qu’on peut, porter avec une extrême patience les douleurs qui accompagnent cet état. Il faut s’accoutumer à prendre tout ce que l’on donne de désagréable pour satisfaire à la justice de Dieu pour les péchés que l’on a commis, unir ces choses si désagréables au fiel et au vinaigre de Jésus-Christ - et mille autres pratiques que Jésus-Christ suggérera lui-même. C’est là la manière dont les personnes actives doivent porter la maladie et se préparer à la mort.

Celles qui sont dans une voie plus simple doivent faire peu d’actes. Elles en doivent pourtant toujours faire, mais elles les doivent faire plus simples, se soumettant à tout ce qu’il plaira à Dieu d’ordonner d’elles soit pour la vie, soit pour la mort ; et ensuite se recueillir beaucoup et que toute leur patience soit dans la foi et dans l’oraison.

Il faut renouveler de temps en temps cette foi et cette oraison parce que l’esprit étant alors fort accablé et souvent assoupi par la maladie, on doit le réveiller de temps à autre par un acte court et simple de soumission, d’union à Jésus-Christ souffrant et mourant. Et puis demeurer en paix auprès de lui, prenant également tout ce que l’on donne, bon et mauvais ; souffrir en paix toutes les incommodités de la maladie, la maladresse de ceux qui servent, le défaut de secours, le manque de mille choses ; laisser mourir la trop grande délicatesse sur la propreté. Enfin il faut pratiquer toutes les vertus qui se présentent à pratiquer dans ces temps-là, souffrir les violentes douleurs en union de celles que Jésus-Christ a bien voulu souffrir pour l’amour de nous, éviter les plaintes et les exagérations que l’on fait souvent de son mal afin d’attirer la compassion des autres, ce qui n’est pas un petit amour propre. N’affecter point de faire voir une trop grande patience aux autres, mais la conserver réellement au-dedans de soi, ce qui n’est pas difficile en ce temps-là où l’âme est soutenue par une paix goûtée qui lui facilite une grande douceur pour les personnes qui l’approchent.

Il y a le temps de sécheresse bien plus difficile à porter, aussi est-il plus méritoire, car il semble alors que la douleur est cent fois plus forte. On sent une peine très grande à supporter les douleurs, on ne trouve plus de force en soi-même. Il semble que le ciel soit fermé ; on ne sent plus de goût pour la croix, on est même tenté d’impatience, on n’éprouve plus cette tranquillité et ce je ne sais quoi qui rendait si paisible, on a peine à se résigner pour vivre dans la douleur ou pour mourir. La mort, qui paraissait auparavant si charmante1227 n’a rien que de terrible et on éprouve des frayeurs de la mort qu’on n’avait même jamais éprouvées. Que faire en cet état ? On a tant de peine à se supporter soi-même et à supporter les autres !

Il faut y observer un grand silence, se tenir le plus ferme qu’on peut auprès de Dieu en soi, quoiqu’il paraisse qu’on ne l’aperçoive plus ; il faut aller contre le fil de l’eau en se faisant une extrême violence. Cet état est bien différent de celui qui l’a précédé, où il n’y avait qu’à se laisser au fil de l’eau, mais c’est ici tout le contraire où il faut remonter à force de bras. Il est de grande conséquence alors de s’unir à l’état de délaissement que Jésus-Christ a bien voulu porter sur la croix. On peut dire quelquefois avec lui ces paroles1228 : Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’avez-vous abandonné ? Il semble même qu’en ce temps-là le dégoût redouble pour toutes les choses que l’on est obligé de prendre et qu’elles deviennent alors une espèce de calice d’amertume.

Il y a deux choses de grande conséquence à éviter en cet état : l’une, de se laisser aller à son humeur, qui est comme donner un passage à l’eau. Car quand une fois la bonde est levée, l’état pénible où l’on est au-dehors et au-dedans fait qu’on ne peut plus en arrêter le cours. Il est bien plus aisé de ne la point laisser évaporer : le silence rigoureux malgré la peine que l’on souffre, empêche que la bonde ne se lève. Dieu permet même en cet état que l’on fasse tout de travers : quand on veut aider, on blesse, et mille choses de cette nature.

Quoiqu’il faille une grande fidélité pour ne permettre à la nature aucune échappée ni aucune vie dans ce temps-là, il ne faut pas néanmoins se décourager lorsqu’il échappe quelque faute. Il faut qu’elle serve à nous faire connaître le fond de misère qui est en nous ; ces sortes de fautes nous humilient beaucoup et à nos propres yeux, et à ceux des autres, qui ne voyant plus cette grande patience que l’on pratiquait autrefois avec tant de facilité, croient que l’âme est déchue et en pensent mal. Dieu permet ces petites échappées, qui même sont rares, pour ôter un certain appui que l’âme conservait tant en sa patience précédente dans ses consolations qui ne lui coûtait guère alors, que dans la vertu vigoureuse qu’elle pratique en un temps si déplorable. Cette conduite de Dieu dans la maladie et dans cet état de sécheresse fait plus avancer l’âme et la rend plus conforme à Jésus-Christ que plusieurs années des états précédents, quoique elle-même et ceux qui n’ont pas une véritable lumière n’en jugent pas de la sorte.

Il y a un autre inconvénient à éviter, qui est que l’âme en cet état voudrait se mettre en toute sorte de postures pour retrouver son premier état consolant et soutenu. Elle se multiplie en actes, qui cependant ne font que la dessécher davantage. Il faut porter cet état en esprit de mort et de renoncement, porter le poids du jour tant qu’il plaira à Dieu, demeurer muet sous le couteau. Tout ce qu’elle peut faire est de s’unir de temps en temps au délaissement de Jésus-Christ ; encore faut-il qu’à mesure qu’elle avance, elle se contente d’un simple regard sec et aride, qui dit à Dieu tout ce qu’elle voudra lui dire, évitant tout ce qui nous sert de témoignage à nous-mêmes pour nous consoler et nous faire vivre.

Il ne faut pas en user de même dans les sécheresses de l’état actif, parce que l’âme n’ayant qu’autant qu’elle agit et ses sécheresses n’étant pas du même principe que celles-ci, il faut qu’elle tâche par des actes fervents de retrouver ce qu’elle a perdu.

Ceci est de conséquence, pour ne point mélanger les états et agir selon son don et la mesure de sa grâce, parce que si une personne active voulait en user dans la sécheresse comme celles qui sont avancées, elle se dessécherait réellement, n’ayant point le principe vivifiant des autres. Celles qui sont avancées ne sont desséchées que de ce qui leur est propre, afin de donner lieu à la source divine de remplir leur vide ; au lieu que les premières sont desséchées de ce qui est de Dieu, et remplies d’elles-mêmes. Elles doivent donc travailler par leur activité à recouvrer les sentiments de la grâce qu’elles ont perdus. C’est la même différence qu’il y a d’une pompe à une eau de source. La première ne donne de l’eau qu’à force de l’ébranler et, quand on cesse le travail, on n’a plus d’eau. Au contraire, dans l’autre état, c’est comme un ruisseau qu’on dessèche afin d’en ôter les immondices et les obstacles qui empêchent la source de se répandre abondamment. C’est pourquoi il faut se laisser dessécher pour seconder par là les desseins de Dieu, et notre activité ne servirait qu’à y mettre de nouveaux obstacles.

Pour le temps de la mort dans cet état sec, il ne faut pas changer de conduite, mais demeurer abandonné à Dieu malgré les frayeurs mortelles, le raisonnement, et une certaine estime que l’on a pour ses propres œuvres, qui fait qu’on voudrait chercher de nouveaux moyens pour se mieux préparer à la mort, ce qui cause un très grand dommage. Il faut mourir comme Jésus-Christ, dans le délaissement, et remettre son esprit entre ses mains comme il remit le sien entre les mains de son Père. Il faut recevoir les Sacrements dans cette même disposition d’abandon et de délaissement entre les mains de Dieu.

Il y a un autre état, qui est tout passif, où l’âme doit demeurer simplement dans son simple regard ou plutôt dans l’union de sa volonté avec celle de Dieu. La paix de cet état est bien plus profonde, quoique moins goûtée que celle du second état dont nous avons parlé. L’âme y doit rester sans aucun acte de sa part qui soit connu et comme d’elle, parce que c’est alors Dieu qui agit en elle et qui y est le seul principe de ce qui s’y opère. Les plaintes que les douleurs font faire quelquefois sont de saison alors, elles ne sont point causées par l’impatience ; au contraire, c’est une certaine simplicité comme d’un enfant qui se plaint : cela sert à couvrir la profonde patience qui est alors donnée à cette âme, que les autres admireraient, et qui pourrait lui servir d’appui à elle-même. Mais comme les réflexions sont déjà beaucoup perdues en cet état, l’âme n’en fait guère et on agit comme tout naturellement. Ces personnes sont fort paisibles dans leurs maladies et leur mort est précieuse devant Dieu. Elles ne changent point de disposition ni pour la vie, ni pour la maladie, ni pour la mort ; leur abandon étant fort affermi, il ne leur est pas difficile de se laisser entre les mains de Dieu. On peut dire que ces âmes meurent dans le baiser du Seigneur.

Il y a peu de choses à leur dire, et même les personnes qui les approchent devraient leur parler très peu, parce que ce qu’on leur dit quoique sous bon prétexte, ne sert qu’à les distraire et pourrait même les tirer de leur état si c’était des personnes auxquelles elles eussent confiance. Il serait donc bien nécessaire qu’on ne leur parlât que conformément à leur état. Mais comme ces états sont peu connus et que pour l’ordinaire les personnes qui assistent à la mort ne les entendent guère et donnent les mêmes avis qu’au commun des chrétiens, ce que les personnes de cet état doivent faire, c’est de recevoir avec humilité et en silence ce qu’on leur dit sans néanmoins changer leur disposition, demeurant simplement attentives à Dieu, lui laissant faire en elles et d’elles tout ce qu’il lui plaira, sans s’embarrasser de soi ni s’intéresser pour soi-même, étant bien persuadées que ce qu’on a une fois donné à Dieu véritablement et de tout cœur, lui doit demeurer en propre.

Cette âme reste dans une grande paix lorsqu’elle ne sort point de cette disposition, mais elle n’en sort pas plutôt qu’elle entre dans le trouble : elle est comme un navire qui ayant perdu l’équilibre, penche de côté et d’autre et se remplit d’eau jusqu’à ce qu’il ait retrouvé son équilibre, et cette âme son centre. Sitôt que l’âme de cet état s’aperçoit de quelque trouble, qu’elle soit persuadée qu’elle est sortie de son état d’abandon et de délaissement : qu’elle y rentre donc aussitôt par un nouvel abandon, que [et] si après avoir renouvelé son abandon le trouble continue quelque temps, qu’elle le supporte en paix comme une punition de sa faute.

Il y a encore un état de dénuement, qui suit celui-là, bien plus fort que celui de la sécheresse dont nous avons parlé. Il faut y procéder de même selon son état, qui doit être d’une grande mort. C’est alors que l’âme s’abandonne à Dieu pour le temps et l’éternité, qu’elle lui fait un sacrifice total de tout ce qu’elle est et de tout ce qu’elle peut devenir, sans jamais se reprendre, même dans le moment de la mort ; et c’est là le sacrifice le plus glorieux à Dieu, et même le plus avantageux à l’âme quoiqu’elle n’y pense pas. Après ce sacrifice, l’Ennemi ne peut plus nuire à l’âme à moins qu’elle ne se reprenne. Il peut rôder autour d’elle, lui causer quelque frayeur pour l’obliger à craindre et à se reprendre. Mais qu’elle demeure ferme dans son délaissement, il ne pourra lui nuire et se retirera même bien promptement. C’est un grand avantage que de mourir dans cette mort entière à toutes choses et à soi-même : c’est de ces âmes qu’on peut dire qu’ayant goûté la première mort, elles ne souffriront rien de la seconde. Il est de si grande conséquence de ne point se reprendre à la mort et ne point perdre le fruit de tant de travaux, que l’on ne peut assez se le persuader, parce que dans l’affaiblissement de l’esprit que cause l’extrémité de la maladie, et dans les discours que l’on entend si opposés à l’état que l’on porte, il est facile de prendre le change [changer de direction] et de sortir de son délaissement entre les mains de Dieu de sorte qu’on ne saurait dans le temps de la santé s’imprimer cela dans l’esprit trop fortement.

Il y a encore un autre état, qui est celui de pur amour, mais il y a peu de choses à en dire, car si la multitude de grandes eaux n’ont pu éteindre la charité1229, c’est-à-dire si toutes les traverses, toutes les douleurs, toutes les tentations ne l’ont pu faire, il y a lieu de croire, comme dit saint Paul, que la mort ne séparera point ces âmes de la charité de Dieu qui est en Jésus-Christ1230. Amen, Jésus !

3.16 Dieu et son Amour sont la fin de tout.

O Cœur si vaste, qui te comprendra que celui qui t’a créé ! Perds-toi dans l’immense, et tu connaîtras ta vastitude. Si tu demeurais en toi-même sous bon prétexte, tu demeurerais étroit et borné ; et tout ce qui te borne pour saint qu’il paraisse, te fixe et t’empêche de te perdre dans ta dernière fin. Dieu t’a créé tellement pour lui qu’il veut non seulement se donner à toi pour que tu le possèdes, ce qui est une grande grâce - petite néanmoins au prix de celle qu’il te fait en te possédant lui-même et te perdant en lui.

O Amour pur ! O feu sacré ! C’est toi qui fonds et dissous le cœur, et qui le fais écouler dans sa source originale, où ne comprenant plus rien, il sera compris du Tout. Ô nudité ! Ô flexibilité ! Ô fluidité ! Vous seule pouvez vous écoulez totalement, tout le reste demeure fixé quoique avec bonté. O Amour, fais entendre mon langage à ce cœur qui m’est si cher ! C’est à toi de parler au cœur de Jérusalem ! Sans toi on ne frappe que l’oreille comme d’un coup porté dans l’air. C’est à toi, Verbe-Dieu, qui t’imprimes dans le cœur sans bruit de paroles. O silence d’autant plus éloquent que tu es plus indistinct, qui te comprendra !

§

Nous aimons, quand nous sommes à Dieu, notre prochain pour l’amour de lui, et cela est encore mélangé de penchants et d’inclinations ; mais lorsque la divine charité a absorbé en elle tout amour nôtre, quoique vertueux et pur en apparence, nous ne pouvons plus aimer que par l’amour de Dieu, et en la manière que lui-même aime les hommes. Comme il s’aime lui-même dans une âme anéantie, il aime en elle ce qui lui est agréable. L’inclination qu’il donne n’est pas de notre choix, mais de sa volonté qui est son amour ; et c’est ce qui fait le véritable discernement des esprits, qui n’est point sujet aux méprises, comme feraient les lumières de l’esprit. Je prie mon divin Maître qu’il vous donne l’intelligence de ce que je vous dis, mais intelligence d’expérience.



Lettre de Monsieur Bertot

De l’état d’anéantissement parfait en nudité entière / où l’âme est et vit en Dieu, au-dessus de tout le sensible et perceptible1231:

Le dernier état d’anéantissement de la vie intérieure est pour l’ordinaire précédé d’une paix et d’un repos de l’âme dans son fond qui peu à peu se perd et s’anéantit, allant toujours en diminuant jusqu’à ce qu’il ne reste plus rien de sensible et de perceptible de Dieu en elle. Au contraire elle reste et demeure dans une grande nudité et pauvreté intérieure, n’ayant que la seule foi toute nue, ne sentant plus rien de sensible et de perceptible de Dieu, c’est-à-dire des témoignages sensibles de sa présence et de ses divines opérations, et ne jouissant plus de la paix sensible dont elle jouissait auparavant dans son fond ; mais elle porte une disposition qui est très simple et jouit d’une très grande tranquillité et sérénité d’esprit, qui est si grande que l’esprit est devenu comme un ciel serein.

Et dans cet état il ne paraît plus à l’âme ni haut ni bas, ne se trouvant aucune distinction ni différence entre le fond et les puissances, tout étant réduit dans l’unité, simplicité et uniformité, et comme une chose sans distinction ni différence aucune. D’où vient que quelques uns appellent aussi cet état : état d’unité et de simplicité. Mais dans la dernière consommation de cet état, il ne paraît plus dans l’âme ni unité ni simplicité, tout cela étant comme perdu et anéanti, et bien plus, elle n’a plus de chez soi, c’est-à-dire elle n’a plus d’intérieur, n’étant plus retirée, ramassée, recueillie et concentrée au-dedans d’elle-même ; mais elle est et se trouve au dehors dans la grande nudité et pauvreté d’esprit dont je viens de parler, comme si elle était dans la nature et dans le vide. D’où vient qu’elle ne sait si elle est en Dieu ou en sa nature.

Elle n’est pourtant pas dans la nature ni dans le vide réel mais elle est en Dieu qui la remplit tout de Lui-même - mais d’une manière très nue et très simple, et si simple que Sa présence ne lui est ni sensible ni perceptible, ne paraissant rien dans tout son intérieur qu’une capacité très vaste et très étendue.

Dans cet état l’âme se trouve tellement contente et satisfaite qu’elle ne souhaite et ne désire rien plus que ce qu’elle a, parce qu’ayant toujours Dieu et étant toute remplie et possédée de Lui dans son fond, quoique d’une manière très simple et très nue, cela la rend si contente qu’elle ne peut souhaiter rien davantage. L’âme se trouve comme si elle était dissoute et fondue ainsi qu’une goutte de neige qui serait fondue dans la mer, de manière qu’elle se trouve devenue comme une même chose avec Dieu.

Dans cet état il n’y a plus ni sécheresses, ni aridités, ni goût, ni sentiment, ni suavité, ni lumière, ni ténèbres, et enfin ni consolation ni désolation, mais une disposition très simple et très égale.

Il est à remarquer que quand je dis qu’il n’y a plus de lumière en cet état, j’entends des lumières distinctes dans les puissances. Car l’âme étant en Dieu, est dans la lumière essentielle qui est Dieu même, laquelle lumière est très nue, très simple et très pénétrante et très étendue, voyant et pénétrant toutes choses à fond comme elles sont en elles-mêmes ; non d’une manière objective, mais d’une manière où il semble que toute l’âme voit, et par une lumière confuse, générale, universelle et indistincte, comme si elle était devenue un miroir où Dieu se représente et toutes choses en lui. L’âme se trouve comme dans un grand jour et dans une grande sérénité d’esprit, sans avoir rien de distinct et d’objectif dans les puissances, voyant, dis-je, tout d’un coup et dans un clin d’œil toutes choses en Dieu.

Cet état est appelé état d’anéantissement : premièrement parce que toutes les lumières, vues, notions et sentiments distincts des puissances sont anéantis, cessés et comme évanouis, si bien que les puissances restent vides et nues, étant pour l’ordinaire sans aucune vue ni aucun objet distinct. Néanmoins l’imagination ne laisse pas de se trouver souvent dépeinte de quelques espèces qu’elle renvoie à ces autres puissances et qui les traversent de distractions, mais ces distractions sont si déliées qu’elles sont presque imperceptibles, et passent et repassent dans la moyenne région comme des mouches qui passent devant nos yeux sans qu’on les puisse empêcher de voler.

Secondement cet état est aussi appelé état d’anéantissement parce que toutes les opérations sensibles et perceptibles de Dieu sont cessées et comme évanouies, et même cette paix et ce repos sensible qui restait en l’âme après toutes les autres opérations sensibles, tout cela, dis-je, est anéanti. L’âme demeure nue et dépouillée de tout cela, sans avoir plus rien de sensible ni de perceptible de Dieu, se trouvant en cet état toujours dans une grande égalité et dans une disposition égale, soit en l’oraison soit hors de l’oraison, dans une disposition intérieure très nue sans rien sentir de Dieu, si ce n’est dans certains intervalles, mais rarement. D’où vient que la plupart des personnes qui sont dans cet état ne font plus guère d’oraison : parce qu’elles ont toujours Dieu et sont toujours en Dieu, étant comme je viens de dire, toujours en même état dans l’oraison comme hors de l’oraison. Et comme elles sont pour l’ordinaire dans une grande nudité intérieure, cela fait qu’elles pourraient bien s’ennuyer dans l’oraison si le temps était trop long - mais il faut surmonter toutes les difficultés et y donner un temps suffisant lorsqu’on est en état de le faire.

Il est à remarquer encore que bien que ces âmes se trouvent pour l’ordinaire dans une égale disposition intérieure, c’est-à-dire toujours égales dans leurs fonds et toujours dans cette disposition très nue et très simple, il se passe néanmoins de temps en temps de certaines vicissitudes et changements de dispositions en leurs sens ; et même leurs puissances se trouvent quelquefois émues et agitées, par quelque sujet de peine. Pendant ces vicissitudes et agitations elles ne laissent pas de demeurer en paix en leurs fonds ; ce qui se doit entendre d’une paix nue, simple et solide.

Enfin en cet état Dieu est la force, l’appui et le soutien de ces âmes dans ces occasions de souffrances, de peines et de contradictions qui leur arrivent, leur donnant la force et la grâce de les porter en paix et tranquillité, non en les appuyant et soutenant sensiblement, comme dans l’état précédent, mais en leur donnant une force secrète et cachée pour soutenir ainsi en paix et tranquillité ces souffrances, peines et contradictions. Ce qui est une marque infaillible que ces âmes sont à Dieu, car si elles n’étaient que dans la nature elles n’auraient pas cette force de souffrir. Cependant la nature ne laisse pas de ressentir quelquefois des peines et contradictions, et leurs puissances, surtout l’imagination, ne laisse pas comme je viens de dire de demeurer durant quelque temps dépeintes et agitées de ces peines. Mais Dieu les soutient par une vertu et une force secrète en nudité d’esprit et de foi, si bien qu’elles souffrent et supportent tout avec paix et tranquillité d’esprit. Car quoique leurs puissances et leurs sens soient dépeints de leurs sujets de peine et que cela les émeut et agite, néanmoins elles demeurent en paix dans leur fond sans fond et dans une paix sans paix, c’est-à-dire dans une paix qui n’est plus sensible, mais nue, simple et solide ; c’est comme un certain calme repos et tranquillité de toute l’âme.

Enfin l’état et la constitution ordinaire de ces âmes est de ne rien voir de distinct dans leurs puissances et de ne rien sentir dans leur intérieur de sensible de Dieu, ni de ses divines perfections, opérations, écoulements, infusions, influences, goûts, suavités ni onctions, et de se trouver dans cette grande nudité d’esprit sans autre appui ni soutien que la foi nue. Mais quoiqu’elles ne voient rien de distinct, elles voient néanmoins toutes choses en Dieu et quoiqu’elles ne sentent rien, qu’elles ne goûtent rien, qu’elles ne possèdent rien sensiblement de ces divins écoulements, néanmoins elles ont et possèdent réellement Dieu au dedans d’elles-mêmes.

Dans cet état ces âmes vivent toujours à l’abandon et étant abandonnées d’état et de volonté à la conduite de Dieu sur elles, pour faire d’elles et en elles tout ce qu’Il voudra pour le temps et pour l’éternité, et bien qu’elles ne soient plus en état d’en faire des actes sensibles, elles ne laissent pas d’être abandonnées, ne désirant jamais rien que ce que Dieu voudra, ni vie ni mort. Elles ne pensent à rien, ni au passé ni à l’avenir, ni à salut ni à perfection ni à sainteté, ni à paradis ni à enfer, et elles ne prévoient rien de ce qu’elles doivent faire et écrire dans les occasions qui ne sont pas arrivées, mais laissent tout cela à l’abandon. Et quand les occasions se présentent d’écrire, de dire ou de faire quelque chose, alors Dieu leur fournit ce qu’elles doivent dire et faire, et d’une manière plus abondante, féconde et parfaite qu’elles n’auraient jamais pu prévoir d’elles-mêmes par leur prudence naturelle.

Enfin dans cet état ces âmes jouissent d’une grande liberté d’esprit, non seulement pour lire et pour écrire, mais aussi pour parler dans l’ordre de la volonté de Dieu. Et ces âmes parlent souvent sans réflexion et comme par un premier mouvement et impulsion qui les y porte et entraîne.

Ces âmes ne laissent pas en cet état si simple et nu de s’acquitter fidèlement des devoirs de leur état car Dieu qui est le principe de leurs mouvements et actions, ne permet pas qu’elles manquent à rien de leurs obligations1232.

Les 156 Discours publiés au XVIIIe siècle1233

Voici la liste des 156 Discours avec leurs titres tels qu’ils apparaissent1234 dans les tables des matières des trois volumes concernés : Discours Spirituels [1716], tomes premier et deuxième (eux-mêmes divisés en parties), ainsi que Quelques discours Chrétiens et Spirituels publiés dans le tome quatrième des Lettres [1718]. L’ensemble s’avère composite puisqu’on y trouve au moins un texte attribué à Fénelon et des lettres adressées par Madame Guyon à Fénelon et à Bossuet et d’autres (qui demeurent inconnus comme leurs sources).

Nous ajoutons aux titres de notre liste et entre crochets les numéros des pages des volumes de l’édition primitive parce qu’ils donnent une indication sur les longueurs (et donc souvent l’importance) très variables des Discours. Les titres de 80 Discours que nous avions retenus dans une première édition figurent en caractères gras. Chacun d’entre eux est suivi d’un résumé de son contenu pour lequel nous utilisons autant que possible les termes même de Madame Guyon.

[DISCOURS SPIRITUELS : TOME I ]

[Première partie :]

1.01 De deux sortes d’Écrivains des choses mystiques ou intérieures. [1]

Belle comparaison des divers chemins qui conduisent à une montagne. Beaucoup d’écrivains loin du but empêchent d’avancer, ceux qui sont arrivés affirment la bonté de la voie de foi et du pur amour. Il faut donc dépasser les barrières et dans la nuit suivre l’étoile de la foi. Tous les mystiques s’accordent très bien sur son sommet.

1.02 De la simplicité de l’intérieur et sa conformité à l’Ecriture sainte. [8]

L’intérieur n’est autre qu’une participation de l’esprit vivant et vivifiant. C’est l’impureté qui fait souffrir et non la justice, comme pour l’œil malade exposé au soleil. Notre esprit simplifié peut rejoindre son Tout, comme une petite étincelle qui se perd dans un grand feu unificateur. Large exposé de l’enseignement mystique de Jésus-Christ et de saint Paul car la lecture du Nouveau Testament fonde la vie intérieure. Transformation, unité, renaissance, adhérence, destitution de la force propre pour entrer dans celle du Seigneur, vie apostolique dans la paix et la stabilité de la charité.

1.03 Lecture, matière, usage des Livres intérieurs. [43]

Dépasser la voie de la méditation. Une lecture simple et paisible de livres intérieurs, sans vouloir y trouver un sujet d’étude ou sonder son état, peut y contribuer. Faire usage du moment divin. Abandonner, acquiescer amoureusement, renoncement à tout intérêt, Dieu ne manque jamais.

1.04 Que l’intérieur fait peu d’éclat. [54]

1.05 De l’avènement du Royaume de Dieu par l’intérieur. Sur Mt 24, 14 & 35. [58]

1.06 Différences des deux généalogies de Jésus-Christ, et ce qu’elles marquent. [77]

1.07 Que le rétablissement de l’image de Dieu en l’homme, est le but de tout. [81]

1.08 De la pénitence, et qu’il y en a de plusieurs sortes. Sur Mt. 3, 2. [88]

1.09 De la différence des Ministères de saint Jean et de Jésus-Christ. Sur Mt 11, 11. [93]

1.10 Pourquoi Jésus-Christ est venu ; et comment on doit le reconnaître. Sur Lc 2, 21 et Ph 2, 10. [99]

1.11 Des voies secrètes de l’Esprit de Dieu sur les âmes. Sur Rm 11, 33. [106]

1.12 Économie de la parole intérieure et ses effets. Sur Mt 4, 4. [113]

1.13 Trois moyens de purification et de mort. [123]

[Seconde partie :]

1.14 De trois voies imperceptibles de l’intérieur. Sur Pr 30, 19 [131]

Voies du serpent dans la pierre, du vaisseau sur la mer, de l’aigle en l’air.

1.15 Des voies et degrés de la Foi, jusqu’au pur Amour. Sur Jn 20, 29. [138]

1.16 Obscurité de la lumière de la Foi et de la Vérité. Sur Jn 1, 5. [149]

1.17 Effets de la Foi et de l’Humiliation. Sur le Ps 115, 10-11 [156]

En silence l’âme se repose, s’élève au dessus d’elle-même et se perd de vue comme l’aigle quitte la terre. Le repos n’est alors plus sujet à variation. David, Jésus-Christ, Paul. Par une profonde humiliation Dieu fait passer l’âme en Lui et lui fait voir tout le reste comme des ombres et des vapeurs.

1.18 Comment on doit chercher et trouver Jésus-Christ intérieurement. Sur Mt 2, 11-12 [163]

1.19 Comment on doit porter les croix pour être intérieur. [173]

Comment supporter le poids de Dieu, les sécheresses et défauts, les adversités, les maladies. Il faut les recevoir passivement, être simple, petit, sans l’amour-propre qui se cache moins dans les persécutions et maladies que dans les épreuves reconnues des hommes.

1.20 De la manière de bien souffrir ; ou du bon usage des croix. Sur le Ps 115, 12-13. [184]

1.21 Qu’il faut souffrir le retardement des consolations divines. Sur l’Ecclésiastique 2, 3. [190]

1.22 Caractères singuliers des voies de Dieu. [195]

1.23 De l’aveuglement originel, et de sa guérison. Sur Jn 9, 6-7. [198]

1.24 Des renoncements de plusieurs sortes exigés de Jésus-Christ Sur Lc 14, 33. [200]

1.25 Que Dieu se trouve par le délaissement et la désappropriation. [203]

1.26 Le vrai et le faux dénuement. [210]

1.27 Le dénuement d’images, ou d’idées, renferme la réalité d’elles toutes. [217]

1.28 Rareté des Imitateurs de Jésus-Christ nu. [224]

1.29 Touchant l’Obscurité des plus grandes opérations de Dieu. Sur Lc 1, 28 & 32 & 35 & 38. [225]

1.30 Avantages de la bassesse et du rien. Sur Lc 1, 48. [230]

Ce qui nous anéantit devant Dieu, les hommes, nos propres yeux, est la plus sûre voie. Nul ne veut être rien, rien, rien - où la seule gloire de Dieu habite.

1.31 Vicissitude d’élévation et d’abaissement. Sur Jb 30, 22 et  Lt-Jr 3, 28.  [231]

Après les lumières et faveurs, l’obscurité et la chute. Séparé de tout, solitaire, par un désespoir absolu de trouver aucun bien en soi-même on trouve tout en Dieu. Il résiste aux superbes mais se « précipitera » en celui qui est anéanti.

1.32 Dieu glorifié par Jésus-Christ : Paix à la bonne volonté de l’homme. Sur Lc 2, 14. [236]

1.33 Jésus-Christ libérateur de la mort et de l’enfer intérieurement. Sur Os 13, 14. [239]

1.34 Le principe du Dragon est l’élévation : celui de l’Agneau, l’anéantissement. [243]

1.35 L’orgueil est le caractère du Démon et des siens : l’humilité, celui de Jésus-Christ. Sur Jb 41, 25. [247]


1.36 Perte de tout, pour passer en Dieu et y trouver tout. [250]

La perte commence par un détachement, puis on est dépouillé réellement de la beauté, de la santé, des vaines sciences, des lumières, de la mémoire des bonnes choses, de la volonté et goûts : la forteresse attaquée est la propriété. Alors l’âme dépouillée de tout se perd en Dieu - et s’y retrouve, non pour en jouir propriétairement mais pour le voir en Lui. Dieu donne dans le moment présent et non par anticipation. Il ne rend jamais l’usage de la volonté mais la change en la Sienne. Développement sur l’apôtre Paul. Par la mort de l’esprit, il faut sortir de sa propre sphère pour passer en Dieu.

1.37 Fuite, Silence et repos en Dieu. [264] 

Fuyez, taisez-vous et soyez en repos (Arsène, moine). Se porter dans la retraite n’est point fuir mais être séparé de soi-même au milieu même du monde. Par la perte de toute propriété, la volonté de Dieu devient la parfaite liberté et l’aisance. Le silence du cœur lui permet de recevoir vitalement ce qui lui est donné, sans agir, sans rien retenir, recevant les communications continuelles de Dieu sans altération malgré l’intensité de la grâce. L’âme perdue en Dieu et établie en lui, trouve partout et en tout son repos, parce qu’elle est possédée de Dieu sans interruption.

1.38 De la Prière parfaite, ou de la contemplation pure. Sur Lc 21, 36 et 1 Th 5, 17. [272]

Aux prières vocales, méditations, oraisons jaculatoires, il faut préférer la tendance perpétuelle du cœur qui vient de l’amour ou prière de foi. Le distinct lumineux vient de l’éloignement de la source. Les élans deviennent tendance qui se simplifie chaque jour et nous conduit dans le Centre où elle se perd avec nous. Elans et prière consciente sont imparfaits. Il ne faut admettre ni raisonnement, ni pensée, ni espèce, afin que l’esprit nu et dégagé demeure dans l’immense vacuité divine : c’est la purification ou mort de l’esprit. Dieu se contemplant soi-même, produit par sa fécondité divine une Image vivante de tout lui-même et sa complaisance réciproque produit en nous un amour infini. Pour imiter Jésus-Christ, notre retraite sur la montagne se fait de nuit. La foi ténébreuse est absolument nécessaire, contemplation pure et générale qui n’ayant aucun objet formel, ne peut avoir aucune distinction. C’est la source de l’amour appelé nu et pur parce qu’il n’admet que Dieu, sans rapport à soi-même. Dieu incline alors ce même cœur comme Il lui plaît et pour qui Il lui plaît, dans un amour unissant et contemplant.

[Troisième partie :]

1.39 Le vrai don de Dieu. Sur Jn 4, 10. [290]

1.40 La vraie simplicité, et ses avantages. Sur Mt 10, 16. [295]

Si nous n’avons qu’un regard unique, un amour unique, nous sommes simples. Adam et Eve ignoraient tout bien et mal en eux. Plus une chose est simple, plus elle a d’étendue, et cette simplicité se perd dans le Tout immense.

1.41 Avantages de la simplicité. Sur le Ps 17, 26-27. [302]

Le simple ne se recourbe pas sur lui-même, ne s’attribue rien tandis que le moi, la crainte de perdre qui cause tous mes retours, me rend misérable lorsque je ne travaille qu’à rendre heureux ce moi qui me dérobe au pur amour.

1.42 L’amour et la présence de Dieu chassent de l’âme les dominateurs étrangers. Sur Es 26, 13. [306]

1.43 Contemplation de plusieurs sortes ; et quelle est la meilleure. [310]

S’abstraire par effort d’esprit de toutes sortes d’objets sans en avoir aucun est dangereux tandis que l’amour fait tomber insensiblement toute multiplicité ; volonté et désirs s’amortissent ce qui permet le retour au principe originel. L’homme ne doit pas être l’agent : l’abstraction de la volonté est essentielle.

1.44 La pente du cœur, et l’attrait de Dieu par l’union représentée dans les créatures. [314]

L’attraction est universelle dans les créatures inanimées comme animées.

1.45 L’Amour pur, et l’Amour d’espérance. Sur 1 Co 13, 1 etc. [317]



1.46 Qu’aimer et regarder Dieu purement, est le but de tout, et l’Évangile éternel. [323]

Nous sommes appelés à rentrer dans l’ordre de la création, qui est celui de l’Amour pur.

1.47 Force et jalousie de l’Amour contre toute propriété. Sur Ct 8, 6. [329]

1.48 De l’amour intéressé, et du désintéressé. [335]

Chercher non une perfection particulière mais celle de la volonté dans sa souplesse et son amour.

1.49 Divers effets de l’amour. [341]

Lumière et chaleur sensibles puis poids attiré vers le plus profond de la vallée, le rien, le centre - pour être fait une nouvelle créature. L’amour nous met dans la vérité.

1.50 L’abaissement et l’élévation sont des effets éternels de l’Amour parfait. [345]

1.51 L’obéissance parfaite, fruit de l’Amour. Sur l’Ecclésiastique 3, 1. [352]

1.52 De la paix de Dieu. Sur Jn 14, 27. [355]

1.53 Du repos en Dieu. Sur Gn 2, 2. [363]

La meilleure manière de connaître Dieu en cette vie et la seule sûre, est de croire dans sa totalité ce qu’il est et de s’abîmer dans cette foi ténébreuse et générale. Il ne faut pas prendre un petit amas d’eaux (révélations etc. ) pour la mer elle-même, mais aimer Dieu sans regard sur aucun objet : l’amour est la seule raison d’aimer et fait participer au repos divin. Le chemin d’intériorisation, de simplification, dans l’obscurité de foi pure et nue où l’âme est privée de toutes ses plus nobles fonctions laisse la place au fort et puissant Dieu. L’âme entre dans le néant puis elle est régénérée en une nouvelle créature et trouve la permanence dans le repos en Dieu.

1.54 Bassesse et simplicité choisies de Dieu. Sur 1 Co 1, 27 et Lc 3, 5. [373]

1.55 Le néant de l’homme devant le Tout de Dieu. Sur Mt 23, 12. [375]

La vaine gloire vient de l’ignorance. Anéantissement par expérience du tout de Dieu, non point par idée ni par pensée mais expérience imprimée sans forme ni espèce dans le centre de l’âme : le rien n’étant rien, n’est objet ni haïssable, ni méprisable, c’est une chose oubliée devenue une même chose dans sa petite totalité avec le Tout immense par attachement puis adhérence et amour nu. L’amour ne se recourbe plus sur ce qui ne paraît plus, sur ce qui est perdu. Tout homme qui vit encore en soi et pour soi, de quelque prétexte qu’il se couvre, est un abîme profond et impénétrable de vanité.

1.56 Que la gloire et la louange n’appartiennent qu’à Dieu. Sur le Ps 113, 9. [384]

Tant que le monde durera et qu’il y aura des hommes, Dieu fera écrire, selon le temps, pour perfectionner toutes choses. L’homme est si fort accoutumé à penser grossièrement et matériellement qu’il ne s’élève point au Souverain Moteur. Il jette d’abord la vue sur l’instrument pour l’admirer: il regarde Dieu ensuite pour l’en bénir : et ce sont les meilleurs qui en usent de la sorte ! L’habile Ouvrier dit : « La perfection de toutes mes œuvres est d’engendrer et ces œuvres sont moi-même ». Que Dieu se sert d’instruments différents est si vrai que ceux dont Dieu se sert pour les états avancés et pour conduire l’âme à la perfection n’ont point ou presque point de talent pour écrire pour les commençants.

1.57 Gloire, empire, force et puissance à Dieu seul. Sur Jude, 25. [390]

1.58 Que toute sainteté est à Dieu. Sur Ex 28, 36. [397]

1.59 De la désappropriation de la sainteté. Sur Jn 17, 19. [402]

1.60 Différence de la sainteté propriétaire et de la sainteté en Dieu. [407]

Ceux en qui Dieu est saint n’ont aucun appui en eux-mêmes. On creuse la pierre en proportion de ce qu’on y veut graver de grandeur, d’épaisseur et d’étendue. Afin que Dieu s’imprime dans notre âme, il faut qu’elle soit dans un néant proportionné au dessin de l’impression que Dieu y veut faire. Comme ceux en qui Dieu est saint n’ont ni forme ni vertu qui leur soit propre, ils n’ont point un amour intéressé. La vérité fait qu’ils ne peuvent voir aucun bien qui leur appartienne et ne peuvent avoir que l’amour que Dieu leur imprime. Sainteté de Dieu, comme un fleuve immense qui se divise en divers petits rameaux.

1.61 De la mauvaise et de la bonne indifférence. [413]

Description de la mauvaise indolence où l’habitude de n’aimer que nous-même se tourne presque en nature, et de la bonne indifférence qui vient de la perfection de l’amour. Pour que Dieu incline l’âme en un souple équilibre, il faut que le pur amour ait détruit en elle toute inclination particulière, tout amour de soi, enfin tout son soi-même. Image du buisson ardent qui ne se consume point : Moïse est un instrument et non le principe d’un bien qui viendrait de lui-même.

1.62 De la Foi pure et passive, et de ses effets. [421]

La foi passive ne veut rien savoir, elle ne s’appuie que sur l’infaillible, qui est le moment présent que la providence de Dieu lui donne. Il lui ôte tout abandon aperçu, tout espoir de salut connu, en sorte qu’elle est contrainte comme malgré elle de se perdre. Où se perdre ? Encore si c’était en Dieu aperçu : elle serait trop heureuse ! mais c’est dans l’abîme où elle ne voit rien, ni ne connaît rien. Le salut vient d’en haut : ne songeons plus à l’assurer, et il sera très assuré - non en nous, mais en Dieu. … Pour être anéanti, il ne faut aucun soutien ni appui, ni même voir son néant, mais bien l’expérimenter. L’on ne se connaît véritablement que dans la plus extrême nudité : on se croit toujours quelque chose, on usurpe et on s’attribue au travers même de la plus grande humilité le bien que Dieu fait en nous, c’est l’état de la parfaite désappropriation qui fait passer l’âme en Dieu. Plus tard l’âme trouve qu’elle n’ignore rien, et que rien ne lui manque pour sa conduite. Tous les dons remplissent, mais la foi nue ne tient point de place, au contraire, elle vide et donne lieu à Dieu d’être tout en l’âme. Tout ce qui se sent et distingue n’est point Dieu; il est trop pur … Divers degrés de mort et d’inaction : chaque degré qui purifie l’or, se fait par la même voie : il est mis au feu, ensuite fondu et voilà l’anéantissement, puis l’or change de forme. Plus il est remis dans le creuset, plus l’impureté qui reste à détruire est délicate en sorte que l’on ne la connaît plus que par de nouvelles épreuves. (résumé partiel).

[Quatrième partie :]

1.63 Prédicateurs de la paix intérieure. Sur Rm 10, 15 [441]

1.64 Dégât et rétablissement de la bergerie du Seigneur. [445]

1.65 Dégât et rétablissement de l’Église. Sur Os 2, 24. Jr 12, 7 et Es 17, 10. [450]

1.66 Le vrai Pasteur, son entrée, sa voix, ses brebis. Sur Jn 10, 1. [453]

1.67 Le fidèle ami. Sur Si 6, 14. [456]

1.68 Qualités des vrais Envoyés de Dieu. Sur Mt 10, 9-10. [460]

1.69 Instruments de Dieu inconnus et rejetés. Sur le Ps 68, 9 et sur le Ps 101, 7. [464]

1.70 Complainte, sur ce qu’il y a si peu d’âmes qui correspondent à l’appel et aux desseins de Dieu. [470]



[DISCOURS SPIRITUELS : TOME II]

[Première partie :]

2.01 Abrégé des Principes et de la Voie Chrétienne et intérieure. [1]

2.02 Avis généraux pour une personne qui veut se donner à Dieu sincèrement. [5]

2.03 L’intérieur marqué par tout, aussi bien que les oppositions qu’on lui fait, mais en vain. [21]

Les choses naturelles subsistent dans leur destruction apparente. L’ordre donc général est que Dieu établit, qu’il détruit ce qu’il a établi et qu’il perpétue les choses par cette destruction. Et c’est ce qu’il fait dans l’ordre de la grâce. Il laisse le solide.

2.04 La Volonté de Dieu est la voie et l’essence de la Perfection. [28]

Le chemin de la perfection consiste à détruire ou à laisser détruire les obstacles qui empêchent que la volonté de Dieu ne s’accomplisse en nous par l’activité de son amour, fondement de notre béatitude. La première touche qu’il faut suivre porte d’abord l’homme à rentrer en lui-même, parce que Dieu porte toujours l’homme à l’unité. L’oraison de cette âme doit être simple dans son objet, multipliée par des actes continuels. … Chemin tout droit que celui d’être conforme, uniforme avec Dieu, et enfin transformé en lui. Il n’y a que notre résistance et notre propriété qui nous fasse souffrir, car les opérations de Dieu sont douces et suaves. Le soleil n’incommode que l’œil malade. Il faut nécessairement perdre visions et extases passagères, sans quoi on ne mourrait jamais à tout appui, ayant les plus grands appuis. L’âme passée en Dieu est dans un état qui exclut toute violence.

2.05 Voie du cœur, préférable à celle de l’esprit. [46]

L’action de l’esprit est une action morte pour Dieu, si elle n’excite pas la volonté. L’esprit se lasse de penser mais le cœur ne se lasse jamais d’aimer.

2.06 Sur les Exercices de Pratique et sur l’Oraison. [50]

2.07 De la Prière ou de l’Oraison en général, et des moyens qui y contribuent. [56]

2.08 De la vraie et libre Oraison et de ses avantages. [67]

L’oraison libre est exercice de la volonté et de l’amour. Tout consiste à faire découvrir à l’âme que Dieu est au-dessus de toute conception, alors elle va à lui en niant, et non en affirmant : cette négation est l’exercice de la foi. Dieu étant en nous et se communiquant à nous par la volonté et l’amour, l’écoulement de ses grâces par lesquelles on le peut connaître, tombe plus sur l’expérience que sur la connaissance. L’oraison est passive quand Dieu envoie une grâce si abondante qu’elle absorbe toute l’action de la créature.

2.09 De l’oraison d’affection et de silence. [73]

En présence de Dieu il s’agit de s’abandonner et d’aimer silencieusement sans retour sur soi-même.

2.10 De la Mortification. [75]

2.11 Des Croix ; et comment les porter salutairement. [86]

2.12 Diversités et changement dans les voies de Dieu. [92]

[Seconde partie :]

2.13 Foi et Imitation de Jésus-Christ [93]

2.14 Trois états de Foi. [96 ; lettre à Fénelon du 15 novembre 1689.]

Que les âmes demeurent fermement et inviolablement abandonnées à Dieu, qu’elles ne s’entortillent point en elles-mêmes par crainte, doute, hésitation ! Trois sortes d’états : la foi lumineuse ou amour reconnaissant ; la foi savoureuse, un amour de confiance, qui attend et qui espère ; la foi pure, amour d’abandon aveugle qui exclut toute lumière, tout espoir, toute confiance, toute attente.

2.15 Différence de la foi obscure à la Foi nue. [102]

La tempête s’élève, le vaisseau se brise, on est finalement englouti - surpris de trouver dans cette mer une vie infiniment plus heureuse qui subsiste sans moyens !

2.16 De la conduite de la Foi. [103 ; lettre à Fénelon du 23 novembre 1689.]

Celui qui se renonce beaucoup est beaucoup éclairé. Tout ne s’opère durant toute la voie que par la petitesse et la dépendance et Dieu nous ôte lui-même le moyen lorsqu’il en est temps. Que les âmes de foi aient une croyance de soumission, ne faisant jamais un pas par elle-mêmes pour rien avancer, mais aussi ne reculant jamais d’un moment, et se laissant en la main de Dieu comme un chiffon !

2.17 De la Foi et de ses effets. [109 ; autre lettre à Fénelon du 15 novembre 1689.]

Comme la connaissance qui sert de motif à la confiance lui sert aussi d’appui, elle est perdue insensiblement, sans quoi la confiance demeurerait toujours confiance et ne passerait point en abandon. Tant que je suis un chemin que je connais et conçois, mon abandon est avec connaissance de cause, il est clairvoyant, il n’est point aveugle. Dieu mène l’âme par des sentiers inconnus et incompréhensibles dont nous n’avons jamais pu prendre nulles idées. Etrange désolation que de s’abandonner à la perte même. La vue selon laquelle c’est Dieu qui a introduit dans cette voie, se perd pour arriver à l’unité par la réunion de la foi et de l’espérance dans la seule charité.

2.18 De la véritable Purification de l’âme. [114]

2.19 Épreuves et purifications de diverses sortes. [128]

Humiliations qui font perdre un certain amour secret que l’on a pour soi-même, rebut pour les choses les plus saintes, pensées noires et de désespoir. Toutes les peines sont causées ou par les réflexions ou parce que les âmes ne sont pas fidèles à se délaisser. L’âme ne peut porter aucun jugement de soi, si ce n’est un jugement de condamnation. Etats d’abandon puis de faim extrême.

2.20 De la sécheresse spirituelle et de ses effets. [144]

Description de cet hiver spirituel.



2.21 Des tentations et mortifications de l’Esprit. [145]

Travailler avec un extrême abandon à Dieu, attendant tout de lui et peu de notre fidélité. Nous avons plus besoin de patience avec nous qu’avec le reste des créatures. L’ardeur d’être délivrés de nous-mêmes vient de l’amour que nous nous portons.

2.22 Tromperies de la nature qui fuit la mort. [149]

2.23 Attraits, croix et absences de Jésus. [150]

2.24 Motions et opérations purifiantes de Dieu : fidélité qu’on leur doit. [153]

Amour caressant, fuyant, nu, rigoureux, feu dévorant. De même qu’elle ne fait nulle attention à l’air qu’elle respire, l’âme ne fait plus d’attention à la vie de Dieu dont elle jouit, quoiqu’elle ne l’ignore pas. La motion devient comme naturelle. C’est comme un simple penchant qui lui est tout propre

2.25 Variété et uniformité des opérations de Dieu dans les âmes. [159 ; lettre à Fénelon du 1er décembre 1689.]

La foi est proprement une certaine connaissance obscure, secrète et indistincte de Dieu, qui nous porte à le laisser opérer en nous, parce qu’il a droit de le faire. Son opération est toujours la même. Dès le commencement elle consiste en un regard d’amour sur l’homme, puis il faut nécessairement qu’il détruise toutes les opérations de la créature aussi bien que ses dissemblances et difformités. Alors l’âme jouit d’une paix et d’une liberté infinie, étant dans sa fin : c’est là que sans cesser d’être simple et nue, elle voit tout en Dieu.

2.26 Diverses conduites de Dieu et de sa lumière sur l’âme. [165]

2.27 Ne se reprendre dans l’abandon de Dieu. [168]

Comparaison de l’oiseau pris dans un filet : plus il se remue, plus il s’embarrasse.

2.28 De l’Humilité. [170 ; lettre apocryphe ?]

L’humilité n’est autre que la vérité. Descriptions du véritable humble. Marie. Ne pas s’humilier mais demeurer dans son rien. Le vrai humble ne fait rien, ne s’oppose à rien, il se laisse conduire et mener où l’on veut, il croit sans se regarder que Dieu peut tout faire de lui.



2.29 Anéantissement et oubli de nous-mêmes. [177]

2.30 Devoirs mutuels et chrétiens. [178]

2.31 Deux obstacles à l’avancement spirituel de plusieurs. [181]

Ne pas passer par dessus des détails sous prétexte d’oubli de soi-même, ne pas s’abandonner ...à ses défauts ! Je n’ai que la vérité.

2.32 La Sagesse humaine et la divine, sont incompatibles. [185]

La propre sagesse doit être abandonnée pour la simplicité du juste. S’abandonner sans réserve.

[Troisième partie :

2.33 Contre la Propriété. [188]

Il n’y a opprobre et confusion que Dieu ne permette pour arracher toute propriété. Le rien est tout.

2.34 Horreur de l’appropriation : amour du vrai anéantissement. [190]

2.35 Diverses Opérations préparatoires pour réunir l’âme à son principe. [192 ; lettre à Fénelon du 2 décembre 1689.]

Nuit, privation de curiosité et de goût. La volonté véritablement morte est passée en celle de Dieu. L’âme étant morte à tout et passée à Dieu, vit de Dieu et Dieu est sa vie. Plus cette vie nouvelle et divine s’augmente et se perfectionne, plus la volonté se trouve perdue, passée, et transformée en celle de Dieu. C’est alors que toute l’âme, réduite en unité divine, est retournée à son principe.

2.36 Des états de mort, d’anéantissement, de résurrection et autres et de leurs déférences, etc. [196]

§I :

Dans l’état de mort, l’âme est dans un désespoir absolu, mais il reste des désirs de vie, des envies de guérir ; dans l’état de pourriture elle y est sans aucune espérance, mais en paix, sans envie d’être autrement. Après la résurrection, elle voit qu’elle est un néant, qu’elle n’a rien de Dieu, mais que Dieu la possède, et elle n’y prend point de part, il lui semble que si on la mettait dans le pressoir, il n’en sortirait que Dieu tout pur et que toute créature est évanouie. Description de l’état parfaitement anéanti.

§II :

Dieu veut par cette mort tirer l’âme d’elle-même ; ni en elle, ni en Dieu, elle passe par la pourriture, pour être parfaitement anéantie. Comparaison des cailloux qui ont une opposition entière à être glace transparente, quoiqu’ils portent en eux une qualité propre à cela : on les fond dans le fourneau. La seule faute serait de se recourber sur soi-même. Son néant lui est Dieu : c’est dans son rien qu’elle le trouve sans distinction d’avec soi.

2.37 Des plus pures Opérations de Dieu et de leurs effets. [229 ; lettre à Fénelon du 25 octobre 1689.]

Rien ne passe par la tête mais ces opérations divines viennent du fond proche du cœur et se distribuent par un vide fécond, car la mémoire est claire, l’esprit serein et lumineux, la volonté rassasiée.

2.38 De deux sortes d’anéantissements. [230]

Avant d’être perdu en Dieu, on est en dualité ; puis dans la pourriture de tout ce qui reste de propre à la créature, bon ou mauvais sans distinction, anéantissement qui dispose à l’incarnation mystique.

2.39 Comment Dieu conduit la liberté qui se rend à lui. [232]

2.40 De la Paix de Dieu et de ses effets. [235]

2.41 De la connaissance et de l’Amour solides. [237]

2.42 Pureté d’Acte et de Connaissance des âmes pures. [240 ; lettre à Fénelon du 15 novembre 1689.]

Vue simple et immense dans l’unité, sans s’arrêter à aucun détail. Elle transporte toutes les créatures en Dieu dont elle ne peut se distinguer pour se voir elle-même.

2.43 Ce que c’est que voir les choses en vérité. [244]

Ce qui était apparemment grand dans l’attouchement du divin rayon qui illumine et qui embrase, est disparu et absorbé dans l’état de perte en Dieu.

2.44 Opérations illuminatives de Dieu ; ce qu’elles exigent de l’âme. [245 ; lettre à Fénelon du 15 novembre 1689.]

La moindre action de l’âme, haleine qui ternit la glace de ce beau miroir, empêche qu’elle puisse être assez pénétrée de Dieu pour en pénétrer les autres. Un amour lumineux éclaire par cet amour immédiat. Ceux qui ne sont pas de cette sorte ont une connaissance qui produit l’amour, mais les premiers ne font qu’aimer et ignorant toute distinction ils connaissent par Dieu même. Belle citation de saint Grégoire.

2.45 Deux Opérations de Dieu dans la volonté ; la Souplesse et l’Onction. [248 ; lettre à Fénelon de mars 1689]

Les âmes simples n’ont plus de volonté propre qui serait mue par une volonté supérieure mais cette volonté divine demeure seule en place1235. Dieu fait deux sortes d’opérations dans la volonté de l’homme : il la rend souple et pliable pour l’élargir selon la mesure du don qu’il lui veut faire de lui-même, il la nourrit par une onction savoureuse, délicate et souvent insensible, qui la fixe dans son souverain objet.

2.46 Si on peut être dispensé de faire la volonté de Dieu. [252]

Point de loi pour le juste qui suit la volonté divine. Dieu dispense des lois en deux manières : l’une est lorsque Dieu veut perdre et faire mourir l’âme et l’autre lorsque l’âme est morte et ressuscitée. Le repos parfait de ces âmes abandonnées est la marque la plus infaillible qu’elles sont dans la volonté de Dieu : elles ne sont plus et Dieu est. Comme une goutte d’eau dans la mer devient mer, ces âmes sont devenues volonté de Dieu.

2.47 Rareté de la Connaissance et de l’Amour de Dieu. [259 ; texte identique : Fénelon, Œuvres Spirituelles, 1718, premier volume pp. 5 à 35 : « De la nécessité de connaître et d’aimer Dieu. » ]

2.48 Du pur Amour, ou de la parfaite Charité. [286 ; lettre à Fénelon de novembre 1689.]

La charité ne peut envisager que Dieu. Le parfait amour chasse la crainte qui ordinairement a un rapport à soi. La charité par un seul et même acte sera connaissance et amour. Le pur amour monte avec impétuosité jusqu’à Dieu même. Il ne peut avoir quelque chose pour soi, quelque motif, quelque retour sur soi, quelque peine.

2.49 Du pur Amour ou de la pure Charité. [290]

La pure charité est si pure, si droite, si grande, si élevée, qu’elle ne peut envisager autre chose que Dieu en Lui-même et pour Lui-même. Elle ne peut se tourner ni à droite ni à gauche, ni se recourber sur nulle choses créées quelque élevées qu’elles soient. Et je ne m’étonne pas qu’on la combatte si fortement, car nous sommes si fortement attachés à nous-mêmes, à nos propres intérêts, à tout ce qui nous concerne, que renversant l’ordre des choses, nous faisons notre fin des moyens. Si j’aime Dieu par rapport à moi, je me fais la fin et l’amour est le moyen ; mais si j’aime Dieu pour lui-même, je me redresse et je mets ma fin où elle doit véritablement être.

2.50 Que l’Amour pur est le principe et le but de tout. [296]

L’innocence du monde créé est l’Amour pur. Y a-t-il quelque commandement qui m’oblige d’aimer Dieu pour la récompense ? On ne veut pas envisager l’intérêt de Dieu seul !

2.51 Le pur Amour et la simple Vérité, font tout. [300]

On expose sa vie pour des fantômes de félicité. Tout consiste à aimer sans nous regarder ni la récompense, seule vraie religion ! La vérité ne peut s’unir qu’à la foi et comme elle est pure, nue, simple, il faut une foi pure, nue et simple pour la découvrir ; foi qui exclut tout raisonnement et tout argument, qui croit les choses parce qu’elles sont et comme elles sont1236. La volonté embrasse l’amour et se transforme en lui et la foi fait la même chose de la vérité ; en sorte que quoique cela paraisse deux actes différents, tout se réduit en unité.

2.52 Sur le sacrifice absolu, et l’indifférence du salut. [306]

Personne n’est indifférent au salut. La divine justice nous arrache sans miséricorde toutes les usurpations que l’amour-propre nous fait faire. Lorsque toute l’impureté est détruite, elle rend heureux son sujet, elle n’en veut qu’à ce qui est opposé à Dieu. « Brûler le paradis et éteindre l’enfer ! » Nous ne sacrifions que nous-mêmes : « damnez-moi et que je ne pèche pas ! » L’oubli de soi ne cause pas une stupide indifférence mais un amour surpassant tout propre intérêt, dans un parfait repos et sans aucune agitation de la part de la créature.

2.53 L’âme en pure Charité n’est plus à sa propre disposition, mais à celle de Dieu. [321 ; lettre à Bossuet, A.S.S. ms. 2057 ff. 16-21 ; Vie 3.13.6 à 10 & 3.14.1]

Les désirs ne sont plus dans la volonté propre mais ils sont remués et excités de Dieu même. L’âme sent bien que sa prière n’est point formée par sa volonté, elle n’est pas libre de prier pour qui lui plaît ni quand il lui plaît mais elle est toujours exaucée. Si vous demandiez à cette eau quelle est sa qualité, elle vous répondrait que c’est de n’en avoir aucune. Vous lui diriez : mais je vous ai vue rouge ! Je le crois, mais je ne suis point rouge, ce n’est pas ma nature, je ne pense pas même à ce qu’on fait de moi.

2.54 Opération de l’amour de Dieu sur les âmes. [327]

Il me fut montré une personne qui était toujours exposée aux rayons divins et qui recevait incessamment les influences de la grâce et l’autre qui mettant continuellement de nouveaux obstacles, quoique subtils et légers, à la pénétration du Soleil, était cause que le Soleil ne faisait autre chose par son opération, que de dissiper les obstacles.

2.55 Soumission et immutabilité de l’âme unie. [329]

Une volonté toujours souple et pliable à tout événement rend immuable.

2.56 De la Fermeté intérieure. [330]

L’âme ne regarde plus rien, elle ne s’approprie rien. Rien ne remplit un certain vide, qui n’est plus pénible.

2.57 Enfance et dépouillement nécessaires pour la Charité. [332 ; autre lettre à Fénelon de novembre 1689.]

Les ténèbres nous laissent dans la certitude que Dieu est tout en lui-même, pour lui-même, et nous rien. De cette clarté sombre de la foi, nous passons dans la claire charité par un dénuement nécessaire.

2.58 Simplicité enfantine et oubli de soi en tout sous la conduite de Dieu. [336]

2.59 De l’état de la parfaite Simplicité. [336 ; lettre à Fénelon de janvier 1689.]

Il paraît à cette âme, réduite en unité et dans l’entière simplicité, que tout ce qui la concerne, même ses défauts, ne mérite plus son application, qui la détournerait de sa dernière fin, dans laquelle elle trouve que toutes actions sont finies et réduites dans leur principe. Il n’y a que la sortie de nous-mêmes qui puisse véritablement porter le nom de mort.

2.60 Esprit de soumission et d’enfance. [339]

2.61 État d’une âme passée en Dieu. [339]

Dieu est elle et elle est Dieu : mais pour se regarder elle-même, cela lui est étranger. Tout périrait et se renverserait, que l’âme n’en serait point touchée, ce qui n’empêche pas qu’elle ne souffre les biens ou les maux des âmes qui lui sont unies pour recevoir ses communications. Elle ne peut plus se courber sur elle-même : tout est Dieu.

2.62 Du mariage Spirituel. [344]

Il n’est pas dans les unions passagères aussi sublimes soient-elles. Unité par anéantissement de toute forme propre.

2.63 Martyrs et Règne du saint Esprit. [348]

[Quatrième partie :]

2.64 Voies et Opérations de Dieu et de sa grâce sur les âmes de choix. [351]

Quand l’âme a perdu et tout pouvoir propre et toute répugnance à être mue et agie selon la volonté du Seigneur, alors il la fait agir comme il veut. Quand Dieu la meut vers un cœur, à moins que ce cœur ne refusât lui-même la grâce que Dieu veut lui communiquer, ou qu’il ne fût mal disposé par trop d’activité, il reçoit immanquablement une paix profonde et même quelquefois savoureuse, qui est la plus forte marque de la communication. L’âme sent un surcroît de plénitude qu’elle sent bien n’être pas pour elle, Dieu la tenant à l’égard d’elle-même dans un vide presque toujours égal et dans un entier équilibre. Parce que la grâce est pauvre, nue, dépouillée de brillant, elle est presque refusée partout, elle est obligée de se réfugier dans quelque pauvre cœur, qui se trouvant vide de tout le reste, la reçoit avec une entière plénitude.

2.65 État Apostolique. Appel à enseigner. [359 ; autre lettre à Bossuet, A.S.S. ms. 2057 ff. 22-31.]

Il faut laisser mourir tout empressement d’aider au prochain car la vie apostolique suppose l’âme arrivée en Dieu. Cet état n’est point une sortie de la créature mais Dieu opère durant qu’elle est essentiellement unie dans le fond, immuable, l’esprit comme une glace pure, sans révélation particulière. Aucune tendance alors même que l’on connaît l’intérieur des personnes pour lesquelles Dieu applique.

2.66 Vie et fonctions de Dieu dans une âme. [368]

Elle sait qu’elle vit et c’est tout ; et elle sait que cette vie est étendue, vaste, qu’elle n’est pas comme la première, celle que l’on possède : et c’est tout ainsi que cette âme sait fort bien que Dieu est devenu sa vie.

2.67 Des Communications Spirituelles et divines. [371]

La communication se fait de loin aussi bien que de près, lorsque les âmes sont assez perdues pour cela. Dieu se communique à toutes les créatures, mais Il ne se communique avec abondance et délectation que dans les âmes bien anéanties, parce qu’elles ne résistent plus et que Dieu étant lui-même leur fond, Il se reçoit Lui-même en Lui-même. Nombreux exemples dans l’Ecriture. La décharge d’une âme dans une autre beaucoup plus bas fait beaucoup de bruit, mais quand ces eaux sont à niveau, cela est fort tranquille. C’est alors comme une mer immense où il se fait un flux et reflux de communications.

2.68 Communication de cœurs et d’esprits. [376]

L’âme étant entièrement affranchie de tout penchant et de toute amitié naturelle, Dieu fait pencher le cœur vers une personne - qui le ressent fort bien.

2.69 Conclusion de toutes les voies de Dieu. [378]

La voie de l’entière désappropriation est la voie de l’aigle dans l’air, dont il ne reste rien. C’est la voie du seul honneur et de la seule gloire de Dieu. Otez l’homme de ses sensations, il semble que vous l’ôtiez de sa sphère; et il est vrai : mais c’est afin de lui en donner une autre. Rien ne peut contenter les sensations, parce que ceci les surpasse infiniment. Cette voie est la voie de Dieu seul, d’autant plus pure, qu’elle n’est point mélangée des rapports à la créature, et qu’elle ne dérobe rien à Dieu, qu’elle n’est point idolâtre. L’homme comprend la pauvreté des biens temporels, leur détachement, mais il est bien éloigné de comprendre la pauvreté spirituelle et toute son étendue parce que cela surpasse ses sensations.

2.70 Amour pur et jaloux : état de l’âme qui en est atteinte.[384]

[Conclusion :] Aspirations de l’âme amante à l’Amour pur, qui est Dieu même. [400]



[LETTRES Tome Quatrième : QUELQUES DISCOURS CHRETIENS ET SPIRITUELS]

3.01 Courte idée de la voie intérieure. [402]

Ne pas pratiquer d’austérités excessives, rentrer en soi mais sans bandement de tête. Dieu s’approche et l’âme trouve au-dedans d’elle-même un Directeur qui retranche le superflu. Elle devient passive et regarde amoureusement l’opération divine, ensuite elle est purifiée pour mourir à elle-même. L’amour parfait ne regarde plus Dieu par rapport à nous mais par rapport à lui-même.

3.02 Économie de la vie intérieure. [408]

Comparaison avec le cycle de la nature : la rosée divine permet le printemps de l’âme mais elle s’approprie les fruits ; l’hiver vient qui dépouille tout, suivi du printemps. … La foi nue, le pur amour, la vie nouvelle.

3.03 La contemplation lumineuse, et l’obscure. [De la différence qu’il y a entre la Contemplation et la Foi nue1237] [416]

La contemplation des attributs, de la pureté, de la justice, de la miséricorde accompagnée d’extases et ravissements ; états lumineux et ardents, contemplation pure et nette de l’immensité divine … L’état de Foi nue se fait plus discerner dans la volonté, tandis que l’esprit est mis en ténèbres. L’âme éprouve peu à peu qu’elle ne veut que ce que Dieu veut et ensuite elle ne trouve plus en elle de volonté ; ces âmes ne tendent pas à être saintes mais à n’être rien du tout.

3.04 Rareté des âmes simples et enfantines. [425]

3.05 Contre la prudence humaine et la propriété. [433]

3.06 L’intérieur rebuté et recherché. [437]

O mes chers Samaritains1238, c’est à vous que l’esprit intérieur s’adresse.



3.07 Sur Mt 1, 29. Une vierge concevra etc. [440]

3.08 Sur Jn 6, 32-fin. [449]

3.09 Union éternelle avec Dieu. [482]

Quitter toute science pour l’Amour pur, écoulement de notre volonté en celle de Dieu.

3.10 Être chrétien et Enfant de l’Épouse de l’Agneau. [483]

3.11 Vie d’une âme renouvelée en Dieu et sa conduite. [487]

A la fin de ma vie, tout passe et ne laisse aucun vestige : le Maître a tout emporté. L’homme loin de Dieu est une glace pétrifiée par la propriété. Par le feu de l’amour il ne reste plus à l’eau aucune forme : l’homme dans son rien, ayant remis sa liberté, est recréé par Dieu.

3.12 Âme Épouse de Jésus-Christ. [492]

Je ne puis voir en moi aucun mal … Vous me réduisez à la dernière extrémité.

3.13 Procédés différents de la vérité et de l’erreur. [495]

3.14 Exhortation à souffrir. [498]

3.15 Pour les malades et les mourants. [499]

Renouveler les actes de temps en temps, observer un grand silence, demeurer abandonné, demeurer simplement attentif à Dieu recevant ce qu’on leur dit sans néanmoins changer de disposition…

3.16 Dieu et son Amour sont la fin de tout. [507-509]

Perds toi dans l’immense et tu connaîtras ta vastitude ! L’amour divin fait le véritable discernement des esprits.



Sources des Discours

Souvent citées à l’aide d’abréviations :

Poiret : Poiret 1716 & 1718.

Poiret 1716 : Discours chrétiens et spirituels sur divers sujets qui regardent la vie intérieure, tirés la pluspart de la Sainte Ecriture, Vincenti, A Cologne [Amsterdam], Chez Jean de la Pierre, 1716 

[Deux tomes édités sans nom d’auteur :]

Tome I : « Préface » pp. 3-23, « Table des Discours… divisés en quatre parties » pp. 24-28, « Discours » [au nombre de 70 : de 1.01 à 1.70 dans notre édition] pp.1-470, « Table des matières principales » pp. 471-488, 3 pages non numérotées donnant la table des passages de l’Ecriture et l’errata.

Tome II : 6 pages d’Avis et Table, « Lettre sur l’Instruction suivante » pp. (3-(14, « Instruction chrétienne d’une Mère à sa Fille » pp. (15-(63, « Discours » [au même nombre de 70 que précédemment : de 2.01 à 2.70 dans notre édition] pp. 1-402, « Table des matières principales du IIe tome » pp. 402-423, une page d’errata - L’ensemble fut réédité très fidèlement, au point de respecter les paginations ( !), par le pasteur Jean-Philippe Dutoit cette fois avec le nom de l’auteur, voir Dutoit [1790].]

Poiret 1718 : Lettres chrétiennes et spirituelles sur divers sujets qui regardent la vie intérieure ou l’esprit du vrai christianisme, Cologne [Amsterdam], J. de La Pierre, 4 tomes, 1717-1718.

[Le quatrième volume comporte, outre trois parties de lettres de Madame Guyon:]

« Quatrième partie contenant quelques [16] discours chrétiens et spirituels » pp. 402-509, suivi d’une « Lettre d’une païsane, sur l’anéantissement du Moi de l’âme et le pur amour1239 » pp. 510-522, en fin de la « Table des matières principales ».

[Réédition très fidèle:]

Dutoit 1767 : Lettres chrétiennes et spirituelles, nouvelle édition enrichie de la correspondance secrète de M. de Fénelon avec l’auteur, Londres [Lyon], 5 tomes, 1767-1768.

Les Discours figurent au dernier tome, comportant : « Anecdotes et réflexions » [par Dutoit] pp. I-CLX suivies pp. 1-168 d’une « Première partie contenant quelques discours chrétiens et spirituels » eux-mêmes introduits par la note : « Ces discours dans l’édition de Hollande faisaient la clôture du quatrième volume… » puis de la lettre de la simple paysanne précédant les lettres adressées à Fénelon]

Dutoit 1790 : Discours Chrétiens et Spirituels sur divers sujets qui regardent la vie intérieure, tirés la plupart de la Sainte Ecriture. Par Madame J. M. B. de la Mothe-Guion. Nouvelle édition corrigée et augmentée, A Paris [Lyon], Chez les Libraires Associés, 1790.

[Aucune réédition d’ensemble des Discours ou des Lettres après 1790. Puis nos rééditions depuis 2000:]

Ecrits sur la vie intérieure / Arfuyen, 15 Discours. - Oeuvres mystiques, 60 Discours. - De la vie intérieure / Discours Chrétiens et Spirituels sur divers sujets qui regardent la vie intérieure / Phénix–La Procure, 80 Discours. - Discours sur la vie intérieure / « Sources mystiques », Centre Jean-de-la-Croix, Tomes I & II, 95 Discours.

















Sources bibliques.

Pour la compréhension du dialogue permanent entre Madame Guyon et l’Ecriture Sainte, il est très utile de « doubler » fréquemment la traduction ou l’adaptation donnée en texte principal - ceci le plus souvent en la complétant. Nous accompagnons alors la référence du verset indiqué par le pasteur Poiret de sa citation. Le problème des références et des sources est ainsi posé et cette annexe constitue une première approche.

1. Problème des références : Nous reproduisons toutes les références bibliques de Poiret suivant la Vulgate en adoptant les abréviations modernes de la Traduction Œcuménique de la Bible (TOB)1240 proches de celles de la Bible de Jérusalem. Notre choix d’adopter ces abréviations dont l’audience est large et facilitant le recours à une Bible moderne, conduirait à des erreurs si nous ne tenions compte des différences entre les références de la Vulgate (Septante) et celles des versions récentes (Hébreu) ! Nous en avons donc tenu compte. Aussi nous rappelons ci-dessous en note les « passerelles » qui permettent au lecteur le recours éventuel à une traduction ancienne à partir de nos références TOB1241. Il peut aussi exister des variantes dans la numérotation des versets que nous signalons en note en donnant les deux références TOB et Vulgate.

2. Problème des sources : Pour le Nouveau Testament, Madame Guyon et Poiret utilisent l’édition catholique de Louvain sous sa forme revue par Amelote1242. Ils apportent cependant des corrections, le plus souvent légères, mais il y a de notables exceptions affectant en particulier les citations jugées essentielles1243 ! On sait que la version de Louvain eut de nombreuses variations1244. Nous n’avons pas retrouvé la version utilisée par Poiret pour l’Ancien Testament.

3. Les traductions que nous avons utilisées : Nous avons eu recours à la version adaptée par Poiret dans son édition des Explications bibliques de Madame Guyon1245, ainsi qu’à la belle traduction de Lemaître de Sacy qui présente l’avantage de se révéler assez proche de Poiret et d’avoir été connue de Madame Guyon1246. Elle éclaire souvent le sens, aussi nous la citons parfois en parallèle. La forme rééditée récemment1247 de cette belle traduction, est proche de l’édition de Mons1248. Finalement nous avons eu recours aux versets du Commentaire au Cantique1249.

4. Statistiques : Portant sur les 409 citations bibliques de notre choix de Discours, elles indiquent que Madame Guyon conserve un équilibre très remarquable entre les Epitres (31%), principalement de Paul, les Evangiles (28%), principalement de Jean et de Matth., et l’Ancien Testament (38%), principalement des Ps.s, du Cantique, de Job. On a donc approximativement une répartition par tiers. On note que presque rien n’est cité de l’Apocalypse (1% !) . L’éventail est large, toutefois 21 citations distinctes reproduites 3 à 8 fois chacune représentent 19% de l’ensemble.







Table des Matières

Table des matières

Avertissement 5

Introduction. 7

Des Discours ? 7

Une vie courageuse. 13

Quelques thèmes. 17

Le texte 29

§§ 35

Discours chrétiens et spirituels sur divers sujets qui regardent la Vie Intérieure tirés la pluspart de la Ste Ecriture. 37

Préface sur cet ouvrage [Pierre Poiret] 39

Discours Spirituels Tome I 51

*1.01 De deux sortes d’écrivains des choses mystiques ou intérieures. 51

*1.02 De la simplicité de l'intérieur, et sa conformité à l'Ecriture Sainte. 57

§ 1. 57

§ 2. 69

*1.03 Lecture, matière, usage des livres intérieurs. 83

*1.04. Que l’intérieur fait peu d’éclat. 91

1.05. De l’avènement du Royaume de Dieu par l'intérieur. 93

1.06. Différence des deux généalogies de Jésus-Christ, et ce qu'elles marquent. 106

1.07 Que le rétablissement de l'image de Dieu en l'homme, est le but de tout. 108

1.08. De la pénitence, et qu'il y en a de plusieurs sortes. 113

1.09. De la différence des ministères de saint Jean et de Jésus-Christ. 116

1.10. Pourquoi Jésus-Christ est venu ; et comment on doit le reconnaître. 119

*1.11. Des voix secrètes de l'Esprit de Dieu sur les âmes. 124

*1.12. Économie de la parole intérieure, et de ses effets. 128

*1.13. Trois moyens de purification et de mort. 134

*1.14 De trois voies imperceptibles de l’intérieur. 139

*1.15. Des voies et degrés de la FOI, jusqu'au pur Amour. 144

*1.16. Obscurité de la lumière de la foi et de la vérité. 150

1.17 Effets de la Foi et de l’Humiliation. 155

*1.18. Comment on doit chercher et trouver Jésus-Christ intérieurement. 159

1.19 Comment on doit porter les croix pour être intérieur. 165

1.20. De la manière de bien souffrir ; ou du bon usage des croix. 173

*1.21. Qu'il faut souffrir le retardement des consolations divines. 177

1.22. Caractères singuliers des voies de Dieu. 180

1.23. De l'aveuglement originel ; et de sa guérison. 181

*1.24. Des renoncements de plusieurs sortes exigés de Jésus-Christ. 183

*1.25. Que Dieu se trouve par le délaissement et la désappropriation. 185

*1.26. Le vrai et le faux dénuement 189

*1.27. Le dénuement d'images, ou d'idées, renferme la réalité d'elles toutes. 193

1.28. Rareté des Imitateurs de Jésus-Christ nu. 197

*1.29. Touchant l'obscurité des plus grandes opérations de Dieu. 198

*1.30 Avantages de la bassesse et du rien. 201

*1.31 Vicissitude d’élévation et d’abaissement. 202

1.32. Dieu glorifié par Jésus-Christ. Paix à la bonne volonté de l'homme. 205

*1.33. Jésus-Christ libérateur de la mort et de l'enfer intérieurement. 207

1.34 le principe du Dragon est l'élévation ; celui de l'Agneau, l'anéantissement. 209

1.35. L'orgueil est le caractère du Démon et des siens ; l'humilité, celui de Jésus-Christ. 212

*1.36 Perte de tout pour passer en Dieu et y trouver tout. 214

*1.37 Fuite, silence et repos en Dieu. 222

*1.38 De la Prière parfaite, ou de la contemplation pure. 228

*1.39. Le vrai don de Dieu. 239

*1.40 La vraie simplicité et ses avantages. 242

*1.41 Avantages de la simplicité 247

1.42. L'amour et la présence de Dieu chasse de l'âme les dominateurs étrangers. 250

*1.43 Contemplations de plusieurs sortes ; et quelle est la meilleure. 252

*1.44 La pente du cœur, et l’attrait de Dieu par l’union représentée dans les créatures.Opposition de la part de l’homme. 255

*1.45 l'Amour pur, et l'amour d'espérance. 256

1.46 Qu’aimer et regarder Dieu purement, est le but de tout, et l’Évangile éternel. 260

1.47. Force et jalousie de l'Amour contre toute propriété. 264

*1.48 De l’amour intéressé, et du désintéressé. 269

*1.49 Divers effets de l’amour. 272

1.50. L'abaissement et l'élévation sont des effets éternels de l'amour parfait. 275

*1.51. L’obéissance parfaite, fruit de l’amour. 278

*1.52. De la paix de Dieu. 280

*1.53 Du repos en Dieu. 285

*1.54. Bassesse et simplicité choisie de Dieu. 292

1.55 Le néant de l’homme devant le Tout de Dieu. 293

1.56 Que la gloire et la louange n’appartiennent qu’à Dieu. 299

1.57. Gloire, empire, force et puissance à Dieu seul. 304

*1.58. Que toute sainteté est à Dieu. 308

*1.59. De la désappropriation de la sainteté. 311

*1.60 Différence de la sainteté propriétaire et de la sainteté en Dieu. 314

*1.61 De la mauvaise et de la bonne indifférence. 318

*1.62 De la Foi pure et passive, et de ses effets. 324

*1.63. Prédicateurs de la paix intérieure. 336

1.64. Désolation et rétablissement de la bergerie du Seigneur. 338

1.65. Dégât et rétablissement de l'Église. 341

1.66. Le vrai Pasteur, son entrée, sa voix, ses brebis. 343

1.67. Le fidèle ami. 345

*1.68. Qualités des vrais envoyés de Dieu. 347

1.69. Instruments de Dieu, inconnus et rejetés. 350

1.70. Complainte sur ce qu'il se trouve si peu d'âmes qui correspondent à l'appel et aux desseins de Dieu. 353

Discours, Tome second 355

*2.01. Abrégé des principes et de la voie chrétienne et intérieure. 355

2.02. Avis généraux pour une personne qui veut se donner à Dieu sincèrement. 357

2.03 L’intérieur marqué par tout, aussi bien que les oppositions qu’on lui fait, mais en vain. 367

*2.04 La Volonté de Dieu est la voie et l’essence de la perfection. 372

*2.05 Voie du cœur, préférable à celle de l’esprit. 383

*2.06. Sur les exercices et pratiques et sur l'oraison. 386

*2.07. De la prière ou de l'oraison en général, et des moyens qui y contribuent. 390

*2.08 De la vraie et libre oraison et de ses avantages. 397

*2.09 De l’oraison d’affection et de silence. 401

*2.10. De la mortification. 402

*2.11. Des croix ; et comment les porter salutairement. 409

2.12. Diversités et changement dans les voies de Dieu. 413

2.13. Foi et imitation de Jésus-Christ. 413

*2.14 Trois états de Foi. 415

*2.15 Différence de la foi obscure à la Foi nue. 419

*2.16 De la conduite de la Foi. 419

*2.17 De la Foi et de ses effets. 424

2.18. De la véritable purification de l'âme. 427

*2.19 Épreuves et purifications de diverses sortes. 435

*2.20 De la sécheresse spirituelle et de ses effets. 446

*2.21 Des tentations et mortifications de l’Esprit. 446

2.22. Tromperie de la nature qui fuit la mort. 449

2.23. Attraits, croix et absences de Jésus. 449

*2.24 Motions et opérations purifiantes de Dieu : fidélité qu’on leur doit. 451

*2.25 Variété et uniformité des opérations de Dieu dans les âmes. 454

*2.26. Diverses conduites de Dieu et de sa lumière sur l'âme. 459

*2.27 Ne se reprendre dans l’abandon de Dieu. 461

*2.28 De l’Humilité. 462

2.29. Anéantissement et oubli de nous-mêmes. 467

2.30. Devoirs mutuels et chrétiens. 467

*2.31 Deux obstacles à l’avancement spirituel de plusieurs. 470

*2.32 La Sagesse humaine et la divine sont incompatibles. 472

*2.33 Contre la Propriété. 474

2.34. Horreur de l'appropriation ; amour du vrai anéantissement. 475

*2.35 Diverses Opérations préparatoires pour réunir l’âme à son principe. 476

2.36 Des états de mort, d’anéantissement, de résurrection…  479

§I 479

§ II 489

*2.37 Des plus pures Opérations de Dieu et de leurs effets. 501

*2.38 De deux sortes d’anéantissements. 502

*2.39. Comment Dieu conduit la liberté qui se rend à lui. 503

*2.40. De la paix de Dieu, et de ses effets. 504

2.41. De la connaissance et de l'Amour solide. 506

*2.42 Pureté d’Acte et de Connaissance des âmes pures. 508

*2.43 Ce que c’est que voir les choses en vérité. 510

*2.44 Opérations illuminatives de Dieu : ce qu’elles exigent de l’âme. 511

*2.45 Deux Opérations de Dieu dans la volonté : la Souplesse et l’Onction. 512

*2.46 Si on peut être dispensé de faire la volonté de Dieu. 515

2.47. Raretés de la connaissance et de l'amour de Dieu. 519

§ I. 519

*2.48 Du pur Amour, ou de la parfaite Charité. 536

*2.49 Du pur Amour ou de la pure Charité. 539

2.50 Que l’Amour pur est le principe et le but de tout ! 542

*2.51 Le pur Amour et la simple vérité font tout. 545

*2.52 Sur le sacrifice absolu et l’indifférence du salut. 549

*2.53 L’âme en pure Charité n’est plus à sa propre disposition, mais à celle de Dieu. 559

*2.54 Opération de l’amour de Dieu sur les âmes. 564

*2.55 Soumission et immutabilité de l’âme unie. 565

*2.56 De la Fermeté intérieure. 565

*2.57 Enfance et dépouillement nécessaires pour la charité. 566

*2.58. Simplicité enfantine, et oubli de soi en tout sous la conduite de Dieu. 569

*2.59 De l’état de la parfaite simplicité. 569

2.60 Esprit de soumission et d’enfance  571

*2.61 État d’une âme passée en Dieu. 571

*2.62 Du Mariage spirituel. 574

2.63. Martyrs et règne du Saint Esprit. 577

*2.64 Voies et Opérations de Dieu et de Sa grâce sur les âmes de choix. 579

*2.65 État Apostolique. Appel à enseigner. 584

*2.66 Vie et fonctions de Dieu dans une âme. 590

*2.67 Des Communications spirituelles et divines. 592

*2.68 Communication de cœurs et d’esprits. 595

*2.69 Conclusion de toutes les voies de Dieu. 596

2.70. Amour pur et jaloux ; état de l'âme qui en est atteinte. 600

§ 608

Aspirations de l’âme amante, à l'Amour pur, qui est Dieu même. 610

Lettres, tome quatrième : Quelques discours chrétiens et spirituels 613

*3.01 Courte idée de la Voie Intérieure. 613

*3.02 Economie de la vie intérieure. 617

*3.03 De la différence qu’il y a entre la Contemplation et la Foi nue. [La contemplation lumineuse, et l’obscure]. 622

3.04. Rareté des âmes simples et enfantines. 627

3.05. Contre la prudence humaine et la propriété. 629

*3.06 L’intérieur rebuté et recherché. 631

3.07. Virginité parfaite de Marie. 633

3.08. Sur le chapitre six de l'Évangile de saint Jean, depuis le verset 32 jusqu'à la fin. 638

*3.09 Union éternelle avec Dieu. 655

3.10. En forme de demandes et de réponse. Être vrai chrétien et enfant de l'église. Ce que c'est qu'être Chrétien et appartenir à l'église ou l'épouse de l'agneau. 656

*3.11 Vie d’une âme renouvelée en Dieu et sa conduite. 658

3.12 Âme Épouse de Jésus-Christ. 662

3.13. Procédés différents de la vérité et de l'erreur. 663

3.14. Exhortation à souffrir. Exhortation aux enfants de Dieu à souffrir sous la dispensation de l'amour, qui de la sorte veut ôter tout mal, et rétablir tout bien. 665

3.15 Dispositions pour la maladie et la mort. [Pour les malades et les mourants.] 666

*3.15 [J. Bertot] Dispositions pour la maladie et la mort. 671

3.16 Dieu et son Amour sont la fin de tout. 677

Lettre de Monsieur Bertot 678

Les 156 Discours publiés au XVIIIe siècle 683

Sources des Discours 704

Sources bibliques. 707

Table des Matières 711

Fin 719





Table des matières

Avertissement 5

Introduction. 7

Discours chrétiens et spirituels sur divers sujets qui regardent la Vie Intérieure tirés la pluspart de la Ste Ecriture. 37

Préface sur cet ouvrage [Pierre Poiret] 39

Discours Spirituels Tome I 51

Discours, Tome second 355

Lettres, tome quatrième : Quelques discours chrétiens et spirituels 613

Lettre de Monsieur Bertot 678

Les 156 Discours publiés au XVIIIe siècle 683

Sources des Discours 704

Sources bibliques. 707

Table des Matières 711

Fin





1Certaines pièces sont faibles voire intolérantes : elles ne peuvent provenir de la plume de Mme Guyon (auditions déformées?). Pour faciliter la lecture au sein d’une édition intégrale, j’ai fait précéder les numéros de quatre-vingt quinze pièces d’une astérisque (60% en nombre de pièces, plus en volume). .

2  Afin d’alléger les notes nous aurons recours à des abréviations telle que  (Poiret 1716) pour le premier titre cité. On en trouvera la liste en fin de cette introduction.

3 La Hollande était le refuge de la pensée libre, échappant à la censure qui régnait en France où il était impensable que madame Guyon fût éditée après la condamnation du quiétisme par le bref Cum alias de 1699.

4  Consulter : M. Chevallier, Pierre Poiret 1646-1719, Du protestantisme à la mystique, Labor et Fides, 1994.

5 Moyen court et très facile pour l’oraison que tous peuvent pratiquer très aisément… Grenoble, 1685.

6  M. Chevallier, Pierre Poiret, Bibliotheca Dissidentium, tome V, Koerner, Baden-Baden, 1985, donne la liste de volumes disponibles dans les principales bibliothèques européennes – Nous avons récemment réédité certains Discours, v. ci-dessous leurs références, note 11.

7 Ceci pourrait aussi tenir à une volonté de ne pas définir un chemin. De même les Justifications [1694] recourent à 67 notions-clefs, formant un vocabulaire mystique, en contrepoint expérimental à Sandaeus, Theologia mystica clavis.

8  Ce fut par contre le cas pour La Vie par elle-même dont la phase finale de rédaction en 1709 laissa tout le temps nécessaire à des révisions qui demeurèrent d’ailleurs modestes. Le manuscrit de la Vie par elle-même fut renvoyé en Ecosse et ainsi préservé (ms. d’Oxford où l’on retrouve des traces de l’intervention de madame Guyon) tandis que la bibliothèque de Poiret fut dispersée en 1748 et perdue.

9  Représentant 20 des 39 volumes des Œuvres « complètes » édités par Poiret (devenus 40 volumes chez Dutoit qui ajoute la correspondance « secrète » avec Fénelon).

10 Descartes, lettre à Clerselier.

11 « Dans la déité, nulle apparence de personne… » (Hadewijch), p. 155 [Hadewijch d’Anvers, trad. par Fr. J.-B. P[orion], Seuil, 1954].

12 Nous avons présentés récemment deux choix de Discours : chez Arfuyen (15 Discours parus sous le titre « Ecrits sur la vie intérieure », 2005) et chez Champion-Slatkine (49 Discours in Madame Guyon, Œuvres Mystiques, Champion, 2009). Rappelons notre édition à faible tirage, aujourd’hui épuisée, coll. La Procure - Phénix Editions (80 Discours parus sous le titre « De la vie intérieure » 2000). Ces reprises soulignent l’importance que nous attachons à l’œuvre de pleine maturité resté méconnue enfin rassemblée ici dans la totalité des 156 Discours (dont une quinzaine seulement peuvent être qualifiés de « faibles »).

13 Edition des Discours spirituels…, Poiret 1716, tome I, Discours LX, [Dorénavant nous abrégeons en « D.1.60. »] – Baruzi en témoigne dans son ouvrage sur Jean de la Croix.

14 Selon une carmélite qui transcrivit certains des Discours.

15 On note par contre sa remarquable connaissance des principaux auteurs mystiques comme des Ecritures ; elle connaît le latin selon ce qu’elle indique au Discours 1.37 (elle aura pu y être introduite par sa demi-sœur religieuse et l’apprendre par le précepteur de son Fils fourni par Bertot).

16 Pour un défrichement de ces influences guyonniennes, voir les Rencontres autour de la vie et l’œuvre de Madame Guyon (Thonon 1996), Millon, Grenoble, 1997. – Pour les rééditions récentes voir la bibliographie en fin de volume.

17 Moyen court et très facile pour l’oraison que tous peuvent pratiquer très aisément… Grenoble, 1685 ; Lyon, 1686 ; Paris et Rouen, 1690 ; Cologne, 1699. Ce fut un succès de librairie. Indépendamment, tout ce que rapporte la Vie quant au rayonnement apostolique de Mme Guyon est confirmé par les enquêtes faites au moment de son procès (voir J. Orcibal, « Le Cardinal Le Camus, témoin au procès de Madame Guyon », dans Etudes d’histoire et de littérature religieuse, Klincksieck, 1997).

18 Ce que recouvre le terme quiétiste est très divers ; les « articles » condamnés ne se retrouvent en général pas dans les écrits des personnes suspectes ; pour une appréciation précise de cette tendance « moderne » à prédominance mystique, voir les articles « Quiétisme » en Italie et Espagne par E. Pacho, en France par J. Le Brun dans le Dictionnaire de Spiritualité.



19 Lettre au duc de Chevreuse du 11 septembre 1694.

20 Jeanne-Marie Guyon, La vie par elle-même et autres écrits biographiques, édition critique avec introduction et notes par D. Tronc accompagnée d’une étude littéraire par A. Villard, Champion, Coll. “Sources Classiques”, 2001, Première partie, Chapitre 8, § 5 à 10. Dorénavant citée sous forme abrégée : (Guyon Vie 1.8.5-10).

21 (Poiret 1716), tome II, troisième Discours : D.2.03.

22 Voir (Guyon Vie 1.9.)

23 D.1.53, D.1.55, D.1.62, D.2.16, D.2.19 ; voir le début des Torrents. C’est la voie dont le P. La Combe sera retiré (Guyon Vie 2.15 et 2.22).

24 D.1.02.

25 Oeuvres de Ruysbroeck l’admirable, Trad. de Wisques, t. I, Vromant, 1921. Le Livre des sept clôtures, ch. XIV, p. 180. - Sur le sujet du « vide » mystique on se reportera à l’étude de L. Silburn, « Le vide, le rien, l’abîme », Hermès, Le Vide, Expérience spirituelle en Occident et en Orient, 1969. 

26 D.1.43.

27 D.2.05. Elle mêle aussi ces termes en D.1.44 : « Quand je parle de cœur, j’entends la volonté qui est le cœur de l’âme. »

28 D.1.38.

29 Benoît de Canfield, La Règle de Perfection, Jean Orcibal, PUF, 1982, partie III, p. 344. - En plus bref : « Dieu demeure incirconscrit / Dans l’amour nu, / Sans paroles ni raison. » (Hadewijch) p. 164.

30 D.1.40.

31 D.1.31.

32 D.2.25.

33 D.1.31. (v. aussi D.2.36 sur la mort, la pourriture et la comparaison avec le caillou fait glace ou miroir).

34 D.3.11

35 D.2.66.

36 D.1.17.

37 D.2.69.

38 D.2.25.

39 D.3.02.

40 D.1.38.

41 D.1.38, D.2.04, D.2.08, D.3.01.

42 D.1.41, D.1.55, D.2.09.

43 D.1.19, D.1.31, D.1.36, D.2.19.

44 D.1.62, D.3.03.

45 D.2.48-51.

46 D.1.36, D.2.20, D.2.35, D.2.38.

47 D.1.38, D.2.15.

48 D.1.53, D.2.36, D.2.42-44, D.2.53, D.2.61, D.2.64 et suivants, D.3.11.

49 D.1.01.

50 D.2.10.

51 D.2.21.

52 D.2.54.

53 D.1.40. (v. aussi D.2.59., D.1.55., D.2.28.)

54 D.1.60. Mme Guyon utilisait pour sa correspondance plusieurs cachets à cire dont certains gravés de motifs spirituels : Jésus, cœurs accolés irradiants, soleil et héliotrope.

55 D.2.49.

56 D.2.51.

57 D.1.37.

58 D.2.66.

59 En 1682, voir (Guyon Vie 2.11 et chapitres suivants).

60 Voir D.1.19, D.2.14, D.2.64.

61 On trouve de nombreux témoignages de la prise de conscience de cette transmission et de ses modalités dans la seconde partie de la Vie. Il s’agit d’un état distinct de celui de la compassion des saints qui imprègnent de paix et d’amour ceux qui les entourent. Dans le processus de transmission, « la grâce divine » vient en aide aux autres sans impliquer le canal sinon par sa perte totale en Dieu.

62 J. Bruno, « Madame Guyon et la communication intérieure en silence », Le Maître Spirituel, Hermès 4, 1967, p. 204.

63 Barsanuphe et Jean de Gaza, Correspondance, Solesmes, 1972, p. 19, 73, 104.

64 J. Bruno, « La Transmission spirituelle chez un mystique chrétien du XVIIe siècle : Jean-Jacques Olier », Le Maître Spirituel, Hermès 4, 1967, p. 190.

65 D.2.61.

66 Très loin du « vide » décrit par certains auteurs, synonyme de paralysie, voire même d’un « vertige du néant ».

67 D.2.64.

68 D.2.68. (v. aussi D.2.67.)

69 Guyon Vie, 2.11, 2.13, 2.17 à 2.20, 2.22, 3.8, 3.10.

70 Explication sur saint Matth., chap. XVIII, versets 19 & 20.

71 Lettre à Fénelon écrite entre le 1 et le 11 avril 1690.

72 Lettre de Fénelon du 11 avril 1690.

73 « La Dame Directrice est toujours renfermée dans une Communauté où on ne lui laisse avoir aucune communication avec les personnes de dehors. On ne sait point encore ce qu’elle deviendra dans la suite. Quoi qu’il y ait beaucoup d’accusations contre elle on n’en trouve aucune qui soit assez prouvée pour faire voir en justice. » Tronson au R.P. Général des Chartreux, le 9 août 1697, Arch. Saint-Sulpice, ms. Correspondance vol. 34, p. 337.

74 Poiret a par contre disposé de plusieurs sources selon son annotation au D.2.19 : « Il y a des copies où tout ce qui est entre ces deux crochets ne se trouve point. »

75 (Poiret 1716), Préface, §II, pages 6 à 9.

76 De même le découpage qu’il introduisit pour rendre apparents les alternatives et cheminements décrits dans les Torrents de Madame Guyon paraît très justifié (la structure préservée dans l’édition par Orcibal des Opuscules spirituels comme dans notre édition Madame Guyon, Œuvres mystiques, op.cit.).

77 J. Chavannes, J.-Ph. Dutoit, sa vie, son caractère et ses doctrines, Lausanne, 1865.

78 Ces pièces sont alors reproduites en petit corps. Cette solution permet de préserver la qualité propre à madame Guyon aux yeux du lecteur non érudit. - Le recours à un tel « bac à sable » sous forme d’annexe parait justifié par certains développements naïfs sinon ridicules qui ne s’accordent pas au style de l’auteur et brisent le niveau d’ensemble, voire par la surprise éprouvée à rencontrer tel développement malvenu sur les juifs... - L’intervention d’un disciple obtus et / ou l’interpolation de pièces étrangères sont probables. On tiendra compte de la presse provoquée par le travail intense d’édition du groupe Poiret autour de ses dernières années (entre 1712 et 1722, parution des 39 volumes de l’œuvre supposant un énorme travail de collection de manuscrits qui ont donc été plus ou moins bien contrôlés ; Pierre Poiret souffre d’hémoroïdes et meurt dès 1719). - Il était cependant requis de livrer le dossier entier car toute intervention sélective qui reste subjective en l’absence de preuve doit pouvoir être contrôlée.

79 Ceci correspond au choix retenu pour l’édition limitée parue en 2000, Phénix Editions - coll. La Procure « De la vie intérieure » signalée précédemment.

80 Vingt-huit entrées particulièrement abondantes de cet index nous livrent en quelque sorte le « parfum » spirituel des Discours : Abandon, Ame, Amour, Amour pur, Amour propre, Apostolique, Charité, Cœur, Communication, Connaissance, Dieu, Etat, Foi, Lumière, Mort, Mortification, Opération, Oraison, Paix, Perte, Présence, Repos, Simple et simplicité, Transformation, Vérité, Vide, Voie, Volonté…

81 Recherche incomplète de simultanéité d’occurrences : elle a été conduite entre 80 discours et la partie suivante de l’œuvre : Correspondance (sauf sa partie non datée et sans nom connus de destinataires, ce qui en représente environ le tiers), quelques œuvres dont les Torrents, certains manuscrits des Archives Saint-Sulpice, une fraction des Explications.

82 En voici la liste détaillée : D.2.14 = lettre adressé à Fénelon à la mi-novembre 1689 ; 2.16 = 23 novembre 1689; 2.17 = novembre ; 2.25 = 1er décembre ; 2.35 = 2 décembre ; 2.37 = 25 octobre ; 2.42 = novembre ; 2.44 = novembre ; 2.45 = mars ; 2.48 = novembre ; 2.59 = janvier 1689. Les lettres à Bossuet existent en copies aux Archives Saint-Sulpice : 2.53 = ms. 2057 ff.16-21 & Vie 3.13.6-10, 3.14.1 = vers le 10 février 1694 ; 2.65 = ms. 2057 ff.22-31.

83 Madame Guyon a cependant bénéficié dans sa jeunesse d’une demi-sœur religieuse cultivée, puis d’un précepteur attaché à son Fils, ensuite de contacts avec des proches remarquables : Lacombe puis Chevreuse, enfin Fénelon...

84 En témoigne sa réserve lorsqu’on lui demande son avis sur les émigrés cévenols en visite en Ecosse.

85 Hadewijch d’Anvers…, 1954 : voir sur le problème des sources de Catherine de Gênes les pages 184-185 de J.-B. P[orion].

86 Les références complètes aux œuvres ou traductions figurent en fin de volume. Abbréviations (en caractères romains avec ou sans parenthèses) : (Amelote) pour le Nouveau Testament de Louvain repris par le jésuite Amelote – c’est l’édition catholique utilisée à l’époque de madame Guyon, (Comm. au Cantique) pour cette œuvre de madame Guyon, (Dict. Rey) pour le Dictionnaire Historique de la Langue Française, (Grande Dame du pur amour) pour Catherine de Gênes traduite par Debongnies, (Guyon Vie) pour notre édition critique de la Vie par elle-même, » (Hadewijch) pour la traduction de ses poèmes que nous utilisons, (Masson) pour l’édition de la correspondance Guyon-Fénelon, (Moyen court) pour cette œuvre, (Poiret Explic.) pour l’édition des Explications, (P. note) pour les notes de Poiret figurant dans l’édition des Discours, (Poiret 1716) pour son édition des Discours, (Sacy) pour la Bible de Lemaître de Sacy, (Torrents) pour cette œuvre…



87Réédiitons depuis 2000 : Ecrits sur la vie intérieure / Arfuyen, 15 Discours. - Oeuvres mystiques, 60 Discours. - De la vie intérieure / Discours Chrétiens et Spirituels sur divers sujets qui regardent la vie intérieure / Phénix–La Procure, 80 Discours. - Discours sur la vie intérieure / « Sources mystiques », Centre Jean-de-la-Croix, Tomes I & II, 95 Discours.



88 Ces 156 pièces furent numérotés de 1 à 70 au premier tome publié par Poiret (ici 1.01 à 1.70), puis à nouveau de 1 à 70 pour son second tome (ici 2.01 à 2.70) ; enfin 16 discours complémentaires forment un ensemble probablement pour introduire brièvement à la vie mystique, ajouté à la fin du dernier volume de Lettres publié plus tardivement (ici 3.01 à 3.16).

Pour faciliter la lecture à fin spirituelle – mon principal souci - j’ai fait précéder les numéros de pièce d’une astérisque lorsqu’il furent publiées en deux tomes dans la collection « Sources mystiques » selon un choix couvrant quatre-vingt quinze pièces. Consultez la table des matières.

J’utilise un petit corps pour quelques pièces « douteuses ».





89 Sommaire omis (nous omettons de même les sommaires des Discours).

90 I Pierre 3, 4.

91 P. note : « en 12 petits volumes. »

92 P. note : « en huit de même : qui se trouvent tous à Amsterdam chez les Wetsteins. »

93 « Mme Guyon. »

94 Jean 6, 64.

95 Certains ne sont pas de Madame Guyon mais nous n’avons pu les déterminer avec certitude. Il est clair que des Discours à la limite de la niaiserie, souvent courts, peut-être rapportés de mémoire par quelque disciple peu éclairés (mentalement), voisinent avec les plus beaux et profonds développements.

96 Fin des 140 Discours publiés en tant que tels aux quels s’ajoutent 16 discours ajoutés à la fin du dernier volume de la Correspondance.

97 Nous introduisons ici un saut de paragraphe (ce que nous ne signalerons plus dorénavant).

98 Mt 11, 25.

99 Jn 7, 17.

100 I Cor 2, 12.

101 Verset 10.

102 2 Pierre 2, 1 ; 1 Tm 6.

103 Jn 15, 15.

104 P. note : « Cela se trouve spécialement prouvé dans le deuxième et le cinquième des Discours suivants ; et dans les autres à toute occasion. »

105 P. note : « Voyez livre I chap. 15 et 24 ; livre II chap. 1, 8, 9, 12 ; livre III chap. 5, 6, 9, 11, 21, 22, 25, 27, 37, 49, 54 et 58, etc. »

106 P. note : « En sa Vie, chap. 44. » 

107 P. note : « Chap. 9 de sa Vie. » 

108 P. note : « Chap. 33. »

109 P. note : « Cant. Spir. § 39. »

110 P. note : « 2 P 1, 2. »

111 P. note : « Vive Flamme § 1. »

112 Suit ici une « Table des Discours spirituels qui peuvent être divisés en quatre parties » couvrant les pages [24-28].

113 La nouvelle édition des Discours spirituels réalisée par Dutoit-Mambrini et parue en 1790 est identique à la première réalisée par l’éditeur Poiret à tel point que les pages commencent de même ! Elle commence par la préface de Poiret…

114 « DISCOURS I. / De deux sortes… » remplacé par « 1.01 » soit le premier discours du premier volume.

115 Nouvelle numérotation propre aux Discours.

116  Jr 17, 5. Maudit est l’homme qui met sa confiance en l’homme … et dont le cœur se retire du Seigneur. Traduction de Lemaître de Sacy : abrév. (Sacy)



117 Fleuve d’Asie Mineure célèbre pour son cours sinueux.

118  Ex 13, 21 : Le Seigneur marchait devant eux pour leur montrer le chemin, durant le jour en une colonne de nuée, et pendant la nuit en une colonne de feu : afin de leur servir de guide de jour et de nuit. - Traduction donnée par Poiret dans son édition des Explications bibliques de Mme Guyon : abrév. (Poiret Explic.).

119  Hadewijch, 182 : « Salut ! Source première en nous-mêmes, / qui nous donne le noble savoir céleste / et l’aliment d’amour toujours renouvelé… »

120 Ct 1, 5 : [Ne regardez pas que je suis brune, parce que] c’est le soleil qui m’a décolorée.

121 Ps. 44, 14.

122 Référence 5. absente.

123 I Jn 4, 18 : Il n’y a point de crainte dans l’amour : le parfait amour bannit la crainte ; parce que la peine est dans la crainte, et que celui qui craint n’est pas parfait en amour. (Poiret Explic.). La crainte ne se trouve point avec la charité ; mais la charité parfaite chasse la crainte. (Mons & Sacy).

124 Les courtes précisions apportées entre parenthèses seraient de la main de Poiret, l’utilisation de ces dernières étant très exceptionnelle chez Mme Guyon, si l’on en juge par ses autographes. Quand elles sont plus longues, les précisions sont reportées en notes par le même éditeur.

125 En italiques chez Poiret qui réserve les petites capitales aux soulignements ; il s’agit ici d’un tissu fait de réminiscences multiples des Evangiles, tel Jn 20, 27 au sujet de Thomas.

126 Guindé : hissé, porté en haut à l’aide de machines (Littré, 1er sens).

127 Matth. 7,6. µ citer ?

128 Matth. 5,1, etc.

129 Matth. 16, 24.

130 Luc 9,23.

131 Matth. 6, 34.

132 Jean 6, 38, puis Hébreu 10,7.

133 Jean 8, 50 et Ch. 7,18.

134 Matth. 6, 26-34.

135 Luc 22, 35.

136 Matth. 6, 33.

137 Luc 21, 12-15.

138 Matth. 6, 6-8.

139 Luc 18,1.

140 Matth. 6, 10-11.

141 Jean 4, 23.

142 Luc 7,47.

143 Luc 10, 41-42.

144 Jean 11, 25.

145 Luc 14, 26.

146 Matth. 16, 26.

147 Matth. 10, 39.

148 Ps. 5, 13.

149 Jean 17, 21, 24.

150 Luc 1,41.

151 Jean 15, 1, etc.

152 Romain 6,5.

153 Jean 15,4.

154 Matth. 22, 37.

155 I Corinthiens 13,1, etc.

156 Jean 14, 23.

157 I Cor. 5, 7.

158 Luc 22, 15.

159 Jean 1, 24 puis Colossiens 3, 3.

160 Confessions, livre 7, chapitre 10.

161 Ecclésiastique 24, 26.

162 Matth. 6, 22.

163 Actes 2, 2-3.

164 Genèse 3, 19.

165 Ps. 72, 22.

166 Luc 1, 48.

167 I Corinthiens 6, 7.

168 Du latin inauditus, qui n’a jamais été entendu, sans exemple (Dict. Rey).

169 He 12, 29.

170 II Co 12, 7 : Aussi de peur que la grandeur de mes révélations ne m’élevât, il m’a été donné un aiguillon de ma chair, un Ange de Satan qui me donne des soufflets. (Poiret Explic.). Aussi, de peur que la grandeur de mes révélations ne me causât de l’élèvement, Dieu a permis que je ressentisse dans ma chair un aiguillon, qui est l’ange et le ministre de Satan, pour me donner des soufflets. (Mons & Sacy)

171 Jb 9, 4 : Dieu est sage, il est tout-puissant. Qui lui a résisté, et est demeuré en paix ? (Sacy)

172 II Co 5, 17 : Si quelqu’un est donc en Jésus-Christ, il est une nouvelle créature ; tout ce qui était de l’ancienne [loi] est passé, tout a été rendu nouveau. (Poiret Explic.). Si donc quelqu’un est en (à var. Mons) Jésus-Christ, il est devenu une nouvelle créature ; ce qui était devenu (de var. Mons) vieux est passé, et tout est devenu nouveau. (Sacy)

173 Ga 6, 3. µ vérifier

174 Image universelle des mystiques : « De même que d’un feu flambant, jaillissent par milliers des étincelles de même nature, de même, mon cher, de l’Impérissable naissent les êtres divers, et c’est en Lui aussi qu’ils retournent. » Mundaka Up. II.1 (trad. Renou).

175 Jn 3, 6 : Ce qui est né de la chair est chair ; et ce qui est né de l’esprit est esprit ; Jn 3, 8 : L’Esprit souffle où il veut ; et vous entendez bien sa voix, mais vous ne savez d’où il vient, ni où il va : il en est de même de tout homme qui est né de l’esprit. (Sacy)

176 1 Jn 4, 16 : Et nous avons connu, et nous avons cru l’amour que Dieu a pour nous. Dieu est amour. Celui qui demeure dans l’amour, demeure en Dieu, et Dieu demeure en lui. (Poiret Explic.)

177 Mt 6, 22 : Votre œil est la lumière de votre corps : si donc votre œil est simple, tout votre corps sera lumineux. (Poiret Explic.)

178 Jn 3, 3 et 6 : …personne ne peut voir le royaume de Dieu, s’il ne naît de nouveau … Ce qui est né de la chair est chair ; et ce qui est né de l’esprit est esprit. (Sacy)

179 Ga 2, 20 ; Col 3, 4.

180 Jn 1, 13 : Qui ne sont point nés du sang, ni de la volonté de la chair, ni de la volonté de l’homme ; mais qui sont nés de Dieu. (Poiret Explic.)

181 I P 2, 2 : …désirez ardemment le lait spirituel et tout pur… (Sacy)

182 Mt 18, 3 : Je vous dis en vérité, que si vous ne vous convertissez et ne devenez semblable à de petits enfants, vous n’entrerez point dans le Royaume des Cieux. (Poiret, Explic.). Mt 19, 14 : …ne les empêchez pas de venir à moi ; car le royaume du ciel est pour ceux qui leur ressemblent. (Mons & Sacy)

183 Jn 14, 6 : … Je suis la voie, la vérité et la vie : personne (nul Mons) ne vient au Père que par moi.

184 Jn 8, 25 : … Je suis le principe de toutes choses, moi-même qui vous parle. (Sacy) … Je suis dès le commencement, et c’est ce que je vous dis. (Mons)

185 Où Jésus-Christ donne sa grâce par l’intermédiaire du mystique.

186 Jn 14, 23 : Jésus lui dit : Celui qui m’aime, gardera ma parole, et mon Père l’aimera, nous viendrons à lui, et nous ferons notre demeure en lui (Poiret Explic.). Jn 17, 21-23 : Afin qu’ils soient un tous ensemble, comme vous, mon Père, vous (vous omis Mons) êtes en moi, et moi en vous … Je suis en eux, et vous en moi, afin qu’ils soient consommés en l’unité… (Mons & Sacy)

187 2 Co 3, 18 : Pour nous, en qui le visage découvert du Seigneur imprime sa gloire comme dans un miroir, nous sommes transformés en son image, nous avançons de clarté en clarté comme par l’Esprit du Seigneur. (Poiret Explic.)

188 Sg 7, 22 : Car il y a dans elle un Esprit d’intelligence qui est saint, unique, multiplié, subtil, disert, agissant, sans tache, clair, doux, ami du bien, pénétrant, que rien ne peut empêcher d’agir, bienfaisant. (Poiret Explic.)

189 Jn 3, 8 cité précédemment.

190 Jn 17, 21.

191 Jn 14, 2.

192 I Co 5, 3-4 : Pour moi, étant absent de corps, mais présent en esprit … vous et mon esprit étant assemblés au nom de notre Seigneur Jésus-Christ… (Mons & Sacy). Absent des Explications car non commenté par Mme Guyon.

193 Jn 3, 12 : Mais si vous ne me croyez pas lorsque je vous parle des choses de la terre, comment me croirez-vous quand je vous parlerai des choses du ciel ? (Sacy)

194 Jn 16, 12-13.

195 Jn 14, 20.

196 Col 3, 3.

197 II Co 4, 11-12.

198 II Tm 2, 11.

199 II Co 5, 15 : Et que Jésus-Christ est mort pour tous, afin que tous ceux qui vivent ne vivent plus pour eux-mêmes, mais pour celui qui est mort et ressuscité pour eux. (Poiret Explic.)

200 II Co 3, 18 : Pour nous, en qui le visage découvert du Seigneur imprime sa gloire comme dans un miroir, nous sommes transformés en son image, nous avançons de clarté en clarté comme par l’Esprit du Seigneur. (Poiret Explic.)

201 Ga 2, 20.

202 Ga 4, 19 : Mes petits enfants, que j’enfante de nouveau avec douleur, jusqu’à ce que Jésus-Christ soit formé en vous. (Poiret Explic.). Mes petits enfants, pour qui je sens de nouveau les douleurs de l’enfantement, jusqu’à ce que Jésus-Christ soit formé dans vous. (Mons & Sacy)

203 Ga 1, 16.

204 Jn 12, 38 rappelant la parabole du prophète Isaïe ; Rm 10, 16 de même.

205 Col 3, 4.

206 Jn 11, 25 ; Gal 2, 20.

207 Rm 6, 4.

208 Rm 8, 26-27.

209 Mt 6, 8.

210 I Co 6, 17.

211 Rm 8, 14 : Car tous ceux qui sont poussés par l’esprit de Dieu, sont enfants de Dieu. (Poiret Explic. et Sacy)

212 Rm 4, 18 : Aussi ayant espéré contre toute espérance, il a cru qu’il deviendrait le père de plusieurs nations, selon qu’il lui avait été prédit : Votre postérité sera sans nombre. (Sacy)

213 Jn 20, 29.

214 I Co 6, 17 Celui qui s’attache au Seigneur, devient un même esprit avec lui (Poiret Explic.).

215 Rm 11, 33 : O abîme des richesses de la sagesse et de la science de Dieu ! Que ses jugements sont incompréhensibles, et ses voies impénétrables ! (Poiret Explic.)

216 I Co 2, 6-7 et 10 (versets condensés).

217 Mt 11, 25.

218 I S 2, 9 : Il gardera les pieds de ses saints, les impies seront réduits au silence dans leurs ténèbres … l’homme ne sera jamais fort de sa propre force … [il faut donc qu’il perde] sa force propre. (Poiret Explic.). Il gardera les pieds de ses saints, et les impies seront réduits au silence dans leurs ténèbres, parce que l’homme, avec toute sa propre force, ne sera que faiblesse. (Sacy)

219 II Co 12, 10 : C’est pourquoi je me plais dans mes faiblesses, dans mes opprobres, dans ma pauvreté, dans mes persécutions, dans les oppressions que je souffre pour Jésus-Christ : parce que c’est dans la faiblesse que je trouve ma force. (Poiret Explic.)

220 I Co 4, 9 : Car il semble que Dieu nous traite, nous autres apôtres, comme les derniers des hommes… ; II Co 4, 8-9 : Nous sommes persécutés, mais non pas abandonnés… ; II Co 6, 4-10 ; II Co 11, 23-29 : … Je me suis souvent vu tout près de la mort … Qui est faible sans que je m’affaiblisse avec lui ? … (Sacy).

221 Ps 18, 3.

222 He 12, 29 : Car notre Dieu est un feu dévorant. (Poiret Explic.)

223 Ga 6, 14.

224 Ps 74, 25.

225 Ex 32, 31-32 : Seigneur, ou pardonnez-leur cette faute ; Ou, si vous ne le faites pas, effacez-moi de votre livre que vous avez écrit. (Poiret Explic.)

226 Rm 9, 3.

227 I Co 13, 1-3.

228 Jn 10, 9 : Je suis la porte. Si quelqu’un entre par moi, il sera sauvé ; il entrera, il sortira, et il trouvera des pâturages.

229 Rm 1, 1.

230 Jn 15, 16.

231 Ph 4, 7.

232 Jn 14, 27.

233 Jn 14, 16.

234 Lc 1, 47 : Mon esprit est ravi de joie en Dieu mon Sauveur. (note Poiret)

235 Ph 4, 4.

236 Jn 16, 22.

237 Rm 8, 38-39.

238 I Jn 4, 18 : Il n’y a point de crainte dans l’amour : le parfait amour bannit la crainte ; parce que la peine est dans la crainte, et que celui qui craint n’est pas parfait en amour. (Poiret Explic.)

239 Ct 8, 7 : Les plus grandes eaux n’ont pu éteindre la charité ; et les fleuves ne la submergeront point. Quand un homme aurait donné tout ce qu’il a de bien, il ne l’estimerait rien au prix de l’amour. (Poiret Explic.)

240 Ct 8, 7.

241 Jn 4, 16.

242 Ep 3, 16-20 (versets condensés).

243 Jn 14, 23 : …Si quelqu’un m’aime, il gardera ma parole, et mon Père l’aimera, nous viendrons à lui, et nous ferons en lui notre demeure. (Sacy)

244 Notre ajout comme la précédente mise entre crochets.

245 Jude 10 : …ceux-ci condamnent avec exécration tout ce qu’ils ignorent, et ils se corrompent en tout ce qu’ils connaissent naturellement… (Sacy).

246 Ps 72, 27 : Mais pour moi, c’est mon avantage de demeurer attaché à Dieu… (Sacy).

247 Ps 105, 4 : Cherchez le Seigneur, et soyez rempli de force ; cherchez sa face sans cesse. (Sacy)

248 Mt 11, 30.

249 Récit de la rencontre avec « le bon franciscain » (Guyon Vie 1.8.6-7) : « Je ne laissai pas de lui parler et de lui dire en peu de mots mes difficultés sur l’oraison. Il me répliqua aussitôt : C’est, Madame, que vous cherchez au-dehors ce que vous avez au-dedans. Accoutumez-vous à chercher Dieu dans votre cœur et vous l’y trouverez … Je lui dis l’effet que ses paroles avaient fait dans mon âme ; car il est vrai qu’elles furent pour moi un coup de flèche qui percèrent mon cœur de part en part. »

250 « Lorsque je vous ai dit de lire avant l’oraison, cela a été pour vous faciliter le recueillement, et lorsque je vous ai dit d’entremêler les affections, cela a été pour la même chose, et pour ramener votre esprit lorsqu’il est trop distrait ; mais quand vous êtes recueilli, il faut bien vous donner de garde d’interrompre le recueillement pour produire des affections… » Lettre au Marquis de Fénelon, 7 août 1714.

251 Fanatique qualifie (1580) quelqu’un qui est animé d’un zèle aveugle envers une religion, une doctrine, d’où l’emploi étendu (1764) pour « enthousiaste, passionné ». Au XVIIe siècle le mot fanatisme est opposé à philosophie. (Dict. Rey).

252 « préméditée, que le » : que supprimé et ensuite de même pour « jamais, que cet intérieur. »

253 2 Co 3, 6.

254 Depuis le XVIIIe siècle radical s’emploie en chimie, désignant le corps simple combiné avec un autre corps que l’on regarde comme principe. (Dict. Rey)

255 2 P 2, 12 ; Jude 10.

256 Le sens de « direction vers un autre cerf que le cerf lancé » est à l’origine d’emplois figurés dans des locutions courantes : prendre le change (1645), donner le change (1654) (Dict. Rey).

257 Lc 21, 36 : Veillez donc, et priez en tous temps ; afin que vous soyez trouvés dignes d’éviter toutes ces choses qui doivent arriver, et que vous puissiez librement paraître devant le Fils de l’homme. (Poiret Explic.)

258 1 Th 5, 16-18 : Soyez toujours dans la joie. Priez sans cesse. Rendez grâces à Dieu en toutes choses… (Sacy) Non commenté dans les Explications.

259 Mt 21, 22 : Et quoi que ce soit que vous demandiez dans la prière avec foi, vous l’obtiendrez. (Sacy).

260 Plus rarement perçu comme l’agent extérieur traditionnel, le Diable apparaît chez Mme Guyon incarner souvent des pulsions profondes contre lesquelles un travail purement extérieur de répression s’avère impuissant ; elle le surnomme dans sa correspondance, non sans dérision, Baraquin.

261 Lc 9, 62.

262 Gn 19, 17.

263 Par Clément d’Alexandrie.

264 Jean 21, 22.

265 Nous livrons l’intégrale des Discours ne pouvant facilement juger des sources recueillies par l’éditeur Poiret. Ce dernier nous a prévenu : « Le titre de ce livre ne veut pas dire que ce soit des discours prononcés de vive voix : ils ont été seulement écrits, soit à la réquisition de quelques âmes pieuses, soit de la simple inclination où l'auteur s'est pu trouver de fois à autre à se décharger de la plénitude de son cœur sur le papier. Ils nous sont venus en main de divers endroits et par divers moyens. C'était des pièces séparées, sans titre ni sans ordre. » Certaines pièces ne seraient pas de madame Guyon mais seraient issues de « souvenirs » mis en ordre au sein de cercles de disciples. – Dans le cas de ce cinquième Discours nous ne retrouvons pas le style habituel à madame Guyon. Le ton eschatologique n’est pas fréquent chez elle mais sera largement présent dans les cercles du XVIIIe siècle qui y trouveront réconfort dans leur isolement. Madame Guyon ne parle jamais des juifs et ne traite guère ailleurs « de la vérité ». Les développements propres aux § 10 à 13, § 15 sont suspects.

266 Matth. 24, 14, 35.

267 Luc 17, 20-21.

268 Jean 18, 17.

269 note Poiret : là même.

270 I Cor. 15, 14.

271 Ps. 109, 1.

272 Matth. 12, 20.

273 Tout ce développement est-il de madame Guyon ? ou de disciples cherchant consolation dans l’adversité ?

274 Isaïe 42, 8.

275 Matth. 16, 24. Luc 14, 33.

276 Gal. 2, 20.

277 Jean 18, 37.

278 verset 36.

279 Rom. 2, 29.

280 Actes I, 6, 7.

281 Apoc. 20, 2.

282 Rom. 11, 11-13.

283 Rom. 14, 17.

284 Ps. 54, 8, 11.

285 Isaïe 29, 18.

286 Osée 2, 24.

287 Ecclésiastique, 3, 1.

288 Apoc. 22, 20.

289 Ps. 83, 2-3.

290 Isaïe 37,10.

291 Jérémie 2, 13.

292 Matth. 13, 44.

293 I Cor. 13, 28.

294 Apoc. 1, 7.

295 Col. 3, 3.

296 Matth. 24, 34, 35.

297 I Cor. 3, 13,15.

298 Ps 44, 7 ; Heb. 1, 8.

299 Matth. 5, 3.

300 Antéchrist, etc. : Vocabulaire que l’on ne retrouve pas dans les autres écrits guyonniens.

301 Les Sociniens étaient probablement ignorés de madame Guyon. Il s’agit d’un courant de pensée anti-trinitaire, renouvelé par la lecture de l’Ecriture selon Lelio Sozzini et son neveu Fausto (Socin). Il trouvera des fidèles en Pologne puis dans l’Europe protestante.

302 Apoc. 13, 16.

303 Apoc. 17, 3.

304 Ps. 103, 31 : Envoyez votre Esprit et elles seront créées de nouveaux ; et vous renouvellerez la face de la terre.

305 Ps. 103, 31.

306 Rom. 13, 14. II Cor. 5, 3.

307 Ps 103, 31 : … vous renouvellerez toute la face de la terre.

308 Jn 11, 52 : … pour réunir et rassembler les enfants de Dieu qui étaient dispersés.

309 Lc 11, 23.

310 Jn 17, 22.

311 Ga 3, 28.

312 III Rois 3, 9. 

313 Ps. 103, 30.

314 Discours insignifiant.

315 Gen. 1, 26-27.

316 Job 38,14.

317 Jean 8, 36.

318 Juges 3 sq.

319 Matth. 3,17.

320 Note Poiret : cela se trouve exécuté spécialement et à dessein dans le traité intitulé les Torrents, imprimé de nouveau dans le second volume des Opuscules spirituels de Mme Guyon.

321 I Timothée 2, 4.

322 Discours ascétisant peu conforme à l’esprit de madame Guyon : correctif ou défense…

323 Luc 14, 33.

324 Luc 10,7.

325 Luc 13, 3,5.

326 I Corinthiens 9, 27.

327 II Corinthiens 4, 10.

328 Colossiens 1, 24.

329 Luc 9, 23.

330 Cantique 8, 7.

331 I Corinthiens 13, 1,3.

332 Matth. 3, 15.

333 Jean 1, 29.

334 Jean 3, 30.

335 Matth. 19, 14.

336 Jean I, 20,21.

337 Jean 1, 23.

338 Jean 5, 35.

339 Jean 1, 9.

340 Ps. 35, 10.

341 Jean 1, 13.

342 Matth. 5,17.

343 Galates 3, 24 puis II Corinthiens 5,17.

344 Matth. 16, 24.

345 Jean 6, 38.

346 Luc 14, 26.

347 Philippiens 2, 10.

348 Philippiens 2, 13.

349 II Corinthiens 13, 2.

350 Ps. 119, 12,13.

351 Jean 21, 18.

352 Ps. 101 ou 108, 24. 

353 Sagesse 7, 24.

354 Jean 4, 24.

355 Ps. 14, 12.

356 Rom. 5, 5 et Gal. 4, 6.

357 II Corinthiens, 3, 6. 

358 Ps. 103, 30.

359 I Corinthiens 7, 31.

360 Jean 6, 64.

361 Jean 10, 3, 14, 15.

362 Matth. 12, 19.

363 Ps. 75, 3.

364 I Thessaloniciens 5, 19.

365 Matth. 13, 31.

366 Philippiens 3, 8.

367 Imitation, III, chapitre 43, 3.

368 Jean 15, 1-2.

369 Ps. 4, 3.

370 Ps. 62, 1.

371 Pr 30,18-19 : Trois choses me sont difficiles à comprendre et la quatrième m’est entièrement inconnue. La trace de l’aigle dans l’air, la trace du serpent sur la terre, la trace d’un navire au milieu de la mer, et la voie de l’homme dans sa jeunesse. (Poiret Explic. & Sacy).

372 Jb 9, 25 : Les jours de ma vie ont passé plus vite que la poste : ils se sont évanouis sans que j’y aie goûté aucune douceur. (Poiret Explic.) & 26 : Ils sont passés avec la même vitesse que des vaisseaux qui portent du fruit, et qu’un aigle qui fond sur sa proie. (Sacy).



373 Pr 30, 19 (cité).

374 Aigle est surtout féminin jusqu’au XVIIe siècle. (Dict. Rey).

375 Jb 39, 28 : [L’aigle] Elle demeure dans des pierres, dans des montagnes escarpées et dans des rochers inaccessibles. (Sacy) – Il habite un rocher et y passe la nuit, / sur une dent de rocher et une forteresse, (Dhorme).



376 Deutéronome 30, 11.

377 I Corinthiens 11, 14.

378 Hébreux 10, 38.

379 µ nous confondons dorénavant majuscules et les italiques utilisées par l’éditeur Poiret.

380 Job 29, 18.

381 Ps. 62, 3.

382 Poiret ajoute : « [sur cette âme] ». Dorénavant nous omettrons certaines précisions qui ne sont pas indispensables.

383 I Jean 4, 8.

384 Jean 1, 9.

385 Matth. 4,16.

386 Galates 1, 14.

387 Luc 1, 35.

388 Galates 3, 20.

389 Ps. 138, 11.

390 Cantique 1, 4.

391 Ps. 17,12.

392 Lt-Jr 3, 28. Jérémie expose ses souffrances : Il s’assiéra, il se tiendra solitaire, et il se taira parce qu’il a mis ce joug sur lui.



393 He 3, 18-19.

394 I Jn 4, 8 : Celui qui n’aime point ne connaît point Dieu ; parce que Dieu est amour. (Poiret Explic.).

395 He 12, 29 : Car notre Dieu est un feu dévorant. (Poiret Explic.).

396Dn 7, 9.

397Jn 12, 24 : …Si le grain de froment ne meurt après qu’on l’a jeté en terre, il demeure seul ; mais quand il est mort, il porte beaucoup de fruit. (Sacy).

398« O heureuse pauvreté, heureuse perte, heureux néant, qui ne donne pas moins que Dieu même dans son immensité, non plus ajustée en la manière bornée de la créature… » (Guyon Vie 2.4.8) – « … Lisez et relisez ceci ; et sachez que jamais vous ne le mettrez en pratique de manière que votre esprit en soit content. Quand cela sera, votre pourriture sera achevée et elle commencera à germer. » Lettre de Bertot à Madame Guyon (Bertot, Le directeur Mistique…, 1726, vol. 2, lettre 59).

399 Ph 2, 7 : Toutefois il s’est anéanti lui-même prenant la nature d’un esclave, en se rendant semblable aux hommes, et en se faisant tel que les autres hommes. (Poiret Explic.).

400 Es 53, 4,9 : Dans toutes les afflictions qui leur sont arrivées il ne s’est point lassé ni rebuté d’eux … il les a rachetés lui-même ; il les a portés… (Sacy).

401 Ep 4, 9.

402 Ps 138, 6 : Parce que le Seigneur est très élevé; qu’il regarde les choses basses, et qu’il ne voit que de loin les choses élevées. (Ps 137, 7 Sacy) – Iavhé est là-haut, il voit ce qui est en bas, / de loin, il repère l’orgueilleux ! (Dhorme).

403 II Co 3, 18.

404 Mon cœur a poussé une bonne parole : je dis, mes œuvres sont pour mon Roi. Ma langue est comme la plume de l’écrivain qui écrit avec vitesse. (Ps 44, 2 Poiret Explic.).

405 Ps 29, 2.

406 Ps. 126, 2. 

407 Apoc. 4, 4, 10.

408 I Jean 4, 18.

409 Apoc. 5, 8.

410 « Le poids de la colère de Dieu m'était continuel. Je me couchais sur un tapis … et je criais de toutes mes forces lorsque je ne pouvais être entendue, dans le sentiment où j'étais du péché, et dans la pente que je croyais avoir pour le commettre : Damnez-moi, et que je ne pèche pas ». (Guyon Vie 1.23.9).

411 I P 5, 6 : Humiliez-vous donc sous la main puissante de Dieu, afin qu’il vous élève lors qu’il viendra vous visiter. (Poiret Explic.).

412 Qo 2, 3 : …porter mon esprit à la sagesse … jusqu’à ce que j’eusse connu ce qui est utile aux enfants des hommes, et ce qu’ils doivent faire sous le soleil pendant les jours de leur vie. (Sacy).

413 Le sens de cette dernière phrase demeure obscur.

414 Plongé dans l’embarras (Dict. Rey).

415 Ici commence une forme dialoguée.

416 Jb 6, 12.

417 Le sens figuré de « ce qui ressort, tranche sur le banal, le commun » (1655) correspond à celui « d’éclat, considération… (Dict. Rey).

418 Contrairement à l’usage moderne, où il est marqué comme très familier, l’usage ancien du mot en parlant d’un être humain implique seulement une idée de « mort violente ». (Dict. Rey).

419 Hapax créé par Madame Guyon, que l’on retrouve dans la Vie : « Tout vous y est glorieux, et il n'y a rien que de confusible pour moi. » (Guyon Vie 1.22.3). 

420 Discours qui va s’avérer doloriste. Amélioration ensuite.

421 Hébreux 12, 2.

422 Note Poiret : c'est-à-dire dans la vue de la joie qui lui était proposée, il a souffert la croix.

423 Hébreux 10, 7.

424 Luc 22, 42.

425 Rom 5,15.

426 Ecclésiastique 15,17.

427 Luc 1, 38.

428 Ps. 26,14.

429 Ps. 39, 2. 

430 Note Poiret : C’est-à-dire que connaissant les biens de cet état, elle s’y attacherait propriétairement, ce qui empêcherait la mort à soi-même.

431 II Tim. 2, 11.

432 II Cor. 4, 16.

433 II Cor. 5, 17.

434 Discours médiocre.

435 I Corinthiens 1, 27.

436 Genèse 3, 9.

437 Jean 14, 23.

438 Apocalypse 3, 20.

439 Matth. 7, 8.

440 Surérogation :

441 Colossiens 3, 1.

442 II Corinthiens 5, 15.

443 Sagesse 1, 4.

444 Luc 17, 27.

445 II Corinthiens 5, 1.

446 Matth. 23, 27.

447 Galates 2,20.

448 Galates 6, 14.

449 Galates 4, 19.

450 Colossiens 3, 3.

451 Note Poiret : Ste Catherine de Gênes, Dial. II, 10.

452 Jean 2, 21.

453 Très belle fin à ce Discours.

454 Note Poiret : voyez sa Vie abrégée, chapitre 17. (µ retrouver)

455 Galates 6, 17.

456 Cantique 8, 6.

457 Note Poiret : c'est-à-dire dans l'état où l'âme n'aperçoit point d'images ou d'idées et d'espèces.

458 Ps. 33, 9.

459 Ps. 103, 31. Note : Envoyez votre Esprit, et tout sera créé de nouveau, et vous renouvellerez la face de la terre.

460 Ps. 17, 12.

461 Col. 1, 15.

462 II Cor. 11, 14. 

463 Ps 138, 6 (cité) : …il regarde les choses basses… (Ps 137, 7 Sacy).

464 Ga 4, 19 : Mes petits enfants, que j’enfante de nouveau avec douleur, jusqu’à ce que Jésus-Christ soit formé en vous. (Poiret Explic.).

465 Lc 3, 5 : Toute vallée sera remplie ; toute montagne et toute colline seront abaissée ; les chemins tortus [de traverse, Littré] deviendront droits, et les raboteux unis. (Poiret Explic.).

466 Jn 3, 13 : Aussi personne n’est monté au ciel, que celui qui est descendu du ciel, savoir : le Fils de l’homme qui est dans le ciel. (Sacy).

467 Ps 107, 26 : Ils ont monté jusqu’aux cieux, et ils sont descendus jusqu’aux abîmes : leur âme s’est fondue à la vue de tant de maux. (Poiret Explic.).

468 Voir Ps 38, 3-5 : A la vue de votre colère, il n’est resté rien de sain dans ma chair … Mes plaies ont été remplies de corruption et de pourriture, à cause de mon extrême folie. (Sacy).

469 Ps 40, 2.



4702 Co 12, 8-9 : C’est pourquoi j’ai prié trois fois le Seigneur de m’en délivrer : Mais il m’a dit : Ma grâce vous suffit : la vertu se perfectionne dans la faiblesse. Je me glorifierai donc volontiers dans mes faiblesses ; afin que la force de Jésus-Christ habite en moi. (Poiret Explic.).

471 Lt-Jr 3, 28.

472 Ph 2, 7. 

473 I P 5, 5.

474 Jean 13, 35.

475 I Jean 4, 7 &11.

476 Jean 17, 22-23.

477 I Jean 3, 18.

478 Ps. 36, 24.

479 Apocalypse 13, 11.

480 Isaïe 14, 14.

481 Jean 7, 11.

482 Isaïe 14,13.

483 Philippiens 2, 7,8.

484 Luc 4, 6,7.

485 Ps. 28, 7.

486 Galates 6, 9.

487 Apocalypse 15, 4.

488 Ps. 113, 9.

489 Jean 3, 13.

490 Luc 2, 14.

491 Ps. 15, 3.

492 Hébreux 10, 5-8.

493 Luc 22, 15.

494 Ps. 131,14.

495 Matth. 5,3.

496 Matth. 23, 4,25.

497 Matth. 7, 4,5.

498Es 14, 12 : Comment est-tu tombé du ciel, Lucifer, toi qui paraissait si brillant au point du jour ? (Poiret Explic.).

499 Jb 19, 10.

500 Jb 6, 9-10.

501 « Cette âme, il faut qu’elle soit arrachée par l’amour à son être propre

et lancée dans l’abîme d’en haut,

agrandie, libérée de ses limites, élevée

par le sentier ténébreux à l’être de la grâce. »

Hadewijch, p.139.



502 « que moins elle s’aperçoit dans » corrigé en « qu’elle s’aperçoit moins dans »

503 Ac 17, 28.

504 II Co 3, 18 : Pour nous, en qui le visage découvert du Seigneur imprime sa gloire comme dans un miroir, nous sommes transformés en son image, nous avançons de clarté en clarté comme par l’Esprit du Seigneur. (Poiret Explic.).

505 Ga 2, 20.

506 I Co 2, 14-15 : Or l’homme animal ne comprend point les choses qui viennent de l’esprit de Dieu ; car elles ne lui paraissent qu’une folie, et il n’est pas capable de les comprendre ; parce que c’est par l’esprit de Dieu qu’elles se discernent. Mais l’homme spirituel juge de toutes choses, et il ne peut être jugé de personne. (Poiret Explic.).

507 « se trouver en présence de circonstances… » … « heurter sur son chemin » (1690) (Dict. Rey).



508 Vit. Patrum, Lib V. Libello II. Num. 3. (note Poiret).

5091 Co 6, 17 : Celui qui s’attache au Seigneur, devient un même esprit avec lui. (Poiret Explic.).

510Mt 16, 24 : …Si quelqu’un veut venir après moi, qu’il renonce à soi-même, et qu’il porte sa croix, et me suive. (Poiret Explic.).

511serait corrigé en est.

512 Cette manière de parler, du mélange de Dieu et de la créature, est familière à plusieurs saints, particulièrement au grand saint Macaire. Voyez ses Homélies I, X, XII, XVIII, XXIV, XXXII, XLIV, etc. (note Poiret).

513 Violent s’applique dans ses premiers emplois à une personne qui agit ou s’exprime sans retenue, à un sentiment, à un phénomène d’une grande intensité (Dict. Rey).

514 C’est-à-dire : le silence est une oisiveté de la bouche pour une affaire du cœur : l’homme extérieur est alors oisif, pour que l’intérieur négocie plus librement. On ferme la porte de la bouche pour remplir plus pleinement le devoir du cœur ; ou : afin que le cœur remplisse son devoir plus pleinement. (note Poiret).

515 Ps 62, 8 : Espérez en lui … répandez vos cœurs devant lui ; Dieu sera éternellement notre défenseur.

516 Les communications.

517 Lm 3, 28.

518 C’est-à-dire : L’âme de cet état faisant la volonté de Dieu ne pense point précisément à cette volonté de Dieu : mais elle y pense, et il lui semble qu’elle la quitte, lorsqu’elle suit la raison, qui lui paraît autre chose que la volonté de Dieu sur elle. (note Poiret).

519 Quelque manière d’être extérieure, selon un sens conservé à l’époque classique (Dict. Rey).

520 Elle manifeste cette disposition divine sans en sortir sinon peut-être pour un instant très bref.

521 Jésus-Christ, Lc 21, 36 : Veillez donc, et priez en tout temps…& saint Paul, 1 Th 5, 17 : Priez sans cesse.

522Mt 6, 7-8.

523Ps 9 et 10,17.

524Rm 8, 26 : L’Esprit aussi nous aide dans notre faiblesse. Car nous ne savons pas ce que nous devons demander, ni le demander comme il faut ; mais l’Esprit même le demande pour nous avec des gémissements ineffables. (Poiret Explic.).

525 Jn 4, 23-24.

526 Qo 1, 8 : Toutes les choses du monde sont difficiles : l’homme ne peut les expliquer par ses paroles. L’œil ne se rassasie point de voir, et l’oreille ne se lasse point d’écouter. (Sacy).

527 Rm 8, 22 : Car nous savons que jusqu’à cette heure, toutes les créatures soupirent, et sont dans le travail de l’enfantement. (Poiret Explic.).

528 Non est inquit Antonius perfecta oratio in qua se monachus, vel hoc ipsum quod orat, intellegit. Cassian Collat. 9 Cap. 31. (note Poiret).

529 Nombreux  Paul, dont Paul de Thèbes qui aurait été le premier ermite égyptien selon saint Jérôme.

530 L’ermite célèbre par ses tentations est né vers 250 et mort vers 355 ; il est connu par la Vita rédigée vers 357 par saint Athanase.

531 Quid me impedis, Sol, qui ad hoc jam oriris ut me ab hujus veri luminis abstrahas claritate ? Idem, apud Cassian Coll. 9 Cap. 31.(note Poiret).

532 D’une manière active et revêtue de formes ou d’idées. (note Poiret).

533 Es 26, 12 : Seigneur, vous nous donnerez la paix, car c’est vous qui avez fait en nous toutes nos œuvres. (Poiret Explic.).

534 Lc 6, 12 : En ce temps-là, Jésus, s’en étant allé sur une montagne pour prier, y passa toute la nuit à prier Dieu. (Sacy). - Pernoctans in Oratione Dei. (note Poiret) – Non commenté dans les Explications.

535 Theol. Myst. C. I. (note Poiret) - « Dépassant le monde où l’on est vu et où l’on voit, Moïse pénètre dans la Ténèbre véritablement mystique de l’inconnaissance ; c’est là qu’il fait taire tout savoir positif, qu’il échappe entièrement à toute saisie et à toute vision, car il appartient tout entier à Celui qui est au-delà de tout… » Denys : La Théologie Mystique [1001 A], trad. M. de Gandillac.

536 Sens obscur. Le thème sous-jacent serait celui de l’unité par l’amour.

537 Ac 16, 7-9 : …ils se disposaient à passer en Bithynie ; mais l’esprit de Jésus ne le leur permit pas … Paul eut la nuit cette vision : Un homme de Macédoine se présenta devant lui, et lui fit cette prière : Passez en Macédoine, et venez nous secourir… (Sacy).



538 Ap 21, 2, etc.

539 Jean 6, 64.

540 I Corinthiens 15, 45.

541 Jean 4, 10 et 13, 14.

542 Jean 7, 38-39.

543 Jean 4, 23-24)

544 Rom 8, 26.

545 Actes 17, 28.

546 Isaïe 59, 5.

547 (Matth. 6,20)

548 (Matth. 11,25)

549 (Matth. 13,44)

550 Mt 6, 22.

551 Jb 9, 21.

552 Jb 1, 1.

553 Mc 7, 21-23. 

554 Ct 4, 9.

555 Gn 3, 5.

556 Ct 1, 7 : Si vous vous méconnaissez, ô la plus belle des femmes, sortez et marchez… (Comm. au Cantique).

557 Gn 3, 7.



558Mt 16, 24.

559Mt 18, 3.

560I Co 11, 3.

561 Luc 3 4,5.

562 Ps. 23, 7.

563 Ps 18, 26-27 :

…avec l’homme parfait tu te montres parfait

avec le pur tu te montres pur

et avec le pervers tu te montres retors.

(Dhorme).

564 « C’est cette simplicité déserte et sauvage

qu’habitent dans l’unité les pauvres d’esprit :

Ils n’y trouvent rien, sinon le silence libre

qui répond toujours à l’éternité. »

Hadewijch, p.174.

565 Ps 33, 18 : Mais les yeux du Seigneur sont arrêtés sur ceux qui le craignent et sur ceux qui mettent leur espérance en sa miséricorde, (Sacy).

566 Pr 23, 15 : Mon Fils, si votre cœur est sage, mon cœur se réjouira avec vous. (Sacy).

567 Mt 6, 22 : Votre œil est la lumière de votre corps : si donc votre œil est simple, tout votre corps sera lumineux. (Poiret Explic.).

568Ct 4, 9.

569Pr 9, 4.

570Pr 10, 9.

571 Ps 75, 3 : Nous raconterons vos merveilles. Lorsque j’aurais pris mon temps, je jugerai et rendrai justice. (74, 2 Sacy).

572 Jb 9, 30-31.

573 Jb 9, 21.

574 Ps 52, 3 et 5-6 : Vous avez plus aimé la malice que la bonté… C’est pourquoi Dieu vous détruira pour toujours… Les justes le verront et seront dans la crainte… (Sacy).

575 Discours convenu.

576 Genèse 3, 9.

577 (Jean XV,IX)

578 (Jean XVII,XXIII)

579Ps 34, 9 : Goûtez, et voyez combien le Seigneur est doux : heureux l’homme qui espère en lui ! (Poiret Explic.).

580Au sens donné par Benoît de Canfield : « De la volonté extérieure de Dieu… », « De la volonté intérieure de Dieu… », « De la volonté de Dieu essentielle… », titres donnés aux trois parties de la Règle de Perfection.

581 Jean 4, 8.

582 Matth. 22, 30.

583 Ap 14, 6 : Je vis un autre ange … portant l’Evangile éternel pour l’annoncer à ceux qui sont sur la terre, à toute nation… (Sacy).



584 Dt 6, 5-6.

585 Gn 3, 9 : Le Seigneur Dieu appela Adam, et lui dit : Où êtes-vous ? (Poiret Explic.).

586Jn 8, 50.

587He 10, 7 : Alors j’ai dit : Me voici ; je viens, selon ce qui est écrit de moi à la tête du livre, pour faire, mon Dieu, votre volonté. (Poiret Explic.).

588Mt 22, 37-40 : : …Toute la loi et les prophètes sont renfermés dans ces deux commandements [ amour de Dieu et amour du prochain] (Poiret Explic. & Sacy).

589Mt 12, 32.

590 Ménager au sens de « régler, prendre des dispositions » (1621) (Dict. Rey).

591 Ct 8, 7.

592 I Co 13, 1-3.

593 Ps 72, 26 …vous avez résolu de perdre tous ceux qui vous abandonnent pour se prostituer aux créatures. (Sacy).

594 Prose du Dimanche de la Pentecôte (note Poiret).

595 Note Poiret : à savoir propriétairement.

596 Ecclésiastique 24, 26.

597 Cantique 1, 5.

598 Osée 13, 14.

599 Cantique 8, 7.

600 Rom 8, 35.

601 I Co 13, 5.

602 I Jn 4, 16.

603 Rm 8, 33.

604 Confess. Lib. XIII. Cap. 9. (note Poiret) - « Mon poids, c’est mon amour ; c’est lui qui m’emporte où qu’il m’emporte. Le don de toi nous enflamme… » (Confessions, Bibl. August., 1962 ; v. note p. 618 :  « l’amour … est ce dynamisme inhérent à chaque être qui le porte vers son lieu naturel où il trouve repos … ).

605 Ps 105, 30-31. Les créatures étant réduites dans leur cendre, vous envoierez votre esprit, et elles seront créées de nouveau. (note Poiret).

606 Or je dis que l'âme, [étant] par l'effort qu'elle s'est fait pour se recueillir au-dedans, tournée en pente centrale, sans autre effort que le poids de l'amour, elle tombe peu à peu dans le centre. Et plus elle demeure paisible et tranquille, sans se mouvoir elle-même, plus elle avance avec vitesse parce qu'elle donne plus de lieu à cette vertu attractive et centrale de l'attirer fortement. (Moyen court, 11.3).

6071 Jn 4, 16 : Et nous avons connu, et nous avons cru l’amour que Dieu a pour nous. Dieu est amour. Celui qui demeure dans l’amour, demeure en Dieu, et Dieu demeure en lui. (Poiret Explic.).

608 II Co 5, 17 : Si quelqu’un est donc en Jésus-Christ, il est une nouvelle créature ; tout ce qui était de l’ancienne [loi] est passé, tout a été rendu nouveau. (Poiret Explic.).

609 Jean 3, 13.

610 Philippiens 2, 7.

611 Note Poiret : là-même, verset 9.

612 Colossiens 3, 3.

613 Ps. 72,27 et II Corinthiens 11 2,3.

614 Apocalypse 2, 24.

615 I Pier. 2, 13.

616 I Rois, 15, 23.

617 I Rois, 15, 21-22.

618 Phil. 2, 8.

619 Matth., 5, 3.

620 Jean 14, 23. 

621 Job 9, 4.

622 Isaïe 18, 17. 

623 Jean 12, 27.

624 S’il est permis de parler ainsi d’un tout indivisible, dont la hauteur, la largeur, la profondeur est plus étendue et immense que l’immensité même, et qui aurait de quoi béatifier cent millions de mondes sans pouvoir être compris. (note Poiret)



625 Des Noms Divins, chap. 4 (note Poiret) - « [704 A] C’est cette Beauté qui produit toute unité et qui est principe universel, parce qu’elle produit et qu’elle meut tous les êtres … [713 B] Par désir amoureux … nous entendons une puissance d’unification et de connexion, qui pousse les êtres supérieurs à exercer leur providence à l’égard des inférieurs, ceux de rang égal à entretenir de mutuelles relations… » Les Noms divins, trad. M. de Gandillac.

626 Ps 95, 11.

627 Mt 12, 1 à 8, « Epis rompus ».

628 Mt 12, 8 : Car le Fils de l’homme est maître du sabbat même. (Poiret Explic. & Sacy)

629 Lc 12, 15 : Puis il leur dit : Comprenez ce que je vous vais dire : Gardez-vous de toute avarice ; car en quelque abondance qu’un homme soit, sa vie ne dépend point des biens qu’il possède. (Poiret Explic.)

630 Es 57, 10 : Vous vous êtes fatiguée dans la multiplicité de vos voies, et vous n’avez point dit : Demeurons en repos. (Poiret Explic.).

631 Non pour être la propriété de la créature.

632 Mt 25, 21 & 23.

633 Repos et joie du Seigneur fusionnent.

634 « L’Infini engendre son Egal dans la béatitude éternelle,

et la gloire de l’Esprit est le mutuel amour. » Hadewijch d’Anvers, Seuil, 1954, p.160.



635 II corinthiens 4,7.

636 II corinthiens 12, 7 et 10.

637 II corinthiens 4,7.

638 Lc 1, 48.

639 Ph 2, 7 : Toutefois il s’est anéanti lui-même prenant la nature d’un esclave, en se rendant semblable aux hommes, et en se faisant tel que les autres hommes. (Poiret Explic.).

640 Quoique la créature honorée du don de la foi ne connaisse en elle aucun objet. (note Poiret).

641 Sens général de « catégorie, sorte » (Dict. Furetière, 6e entrée), d’où en philosophie espèces sensibles, espèces intelligibles et par extension, représentation ; cf. latin classique, species « vue, regard ».



642 I Co 6, 17 : Celui qui s’attache au Seigneur, devient un même esprit avec lui. (Poiret Explic.). Jn 17, 21-23 : Et je leur ai donné la gloire que vous m’avez donnée, afin qu’ils soient un comme nous sommes un. Je suis en eux, et vous en moi… (Sacy).

643 Ps 73, 28 Mais pour moi, tout mon bien est de me tenir uni à Dieu, et de mettre toute mon espérance au Seigneur mon Dieu. (72, 28 Poiret Explic.) - Mais pour moi, c’est mon avantage de demeurer attaché à Dieu, et de mettre mon espérance dans celui qui est le Seigneur mon Dieu. (72, 27 Sacy) – tandis que, moi, être près d’Elohim est mon bien, / j’ai placé mon refuge en Adonaï, (Dhorme).

644 I Jn 4, 8 : Celui qui n’aime point ne connaît point Dieu ; parce que Dieu est amour. (Poiret Explic.).

645 Ps 119, 71 : Il m’a été bon que vous m’ayez humilié, afin que j’apprenne vos préceptes. (Poiret Explic.).

646 Ps 115, 10-11 (note Poiret) - J’ai cru, c’est pourquoi j’ai parlé ; mais j’ai été dans la dernière humiliation. J’ai dit dans ma fuite : Tout homme est menteur. (115, 1-2 Sacy)  - J’avais foi, même quand je disais: / « je suis vraiment bien malheureux ! » / moi qui disais dans mon trouble : « tout homme est menteur ! » (116, 10-11 Dhorme).

647 Ps 39, 6.

648 Ps 137, 8-9.

649 Ps 113, 9 (note Poiret) - « selon les hébreux » : Ne nous en donnez point, Seigneur, ne nous en donnez point la gloire, donnez-là à votre nom, (115, 1 Sacy) - Non pas à nous, Iahvé, non pas à nous, / mais à ton nom rends gloire, / pour ta grâce, pour ta vérité ! (115, 1 Dhorme).

650 Jn 8, 50 : Pour moi, je ne cherche point ma propre gloire… (Sacy).

651 Jn 7, 18 :…qui cherche la gloire de celui qui l’a envoyé, est véritable… (Sacy).

652 I Co 1, 12.

653 Es 59, 1 : La main du Seigneur n’est point raccourcie pour ne pouvoir plus sauver, et son oreille n’est point devenue plus dure pour ne pouvoir plus écouter. (Poiret Explic. & Sacy).

654 Glissement de sens par amplification : on passe de l’artisan ouvrier utilisé dans la comparaison précédente au divin Ouvrier qui parle. Un dialogue s’ensuit.

655 Peut-être : la pénétration. (note Poiret).

656 Reprise du dialogue. Probablement Poiret indique ici l’importance des « réponses » attribuées à Dieu par l’emploi d’italiques.

657 De louer la créature (note Poiret).

658 I P 5, 5.

659 Discours médiocre.

660 Jean 5, 44.

661 Aggée 2, 23.

662 I roi 2, 9.

663 II corinthiens 12, 9.

664 Apocalypse 14, 4.

665 Ps. 70, 16.

666 Luc 1, 52.

667 Exode 3, 14.

668 Ps. 67, 36.

669 II Corinthiens 4, 7.

670 Jean 17, 21.

671 Jean 17, 19.

672 Lévitique 11, 44.

673 Ps. 39, 7, 8, 9.

674 Jean 4, 23-24.

675 Matth. 23, 25.

676 Apocalypse 4, 10.

677 Isaïe 6, 3.

678 Ps. 29, 3.

679 Ecclésiastique 3, 21.

680 Ps. 8, 3.

681 Parole du Gloria in Excelsis dans la messe.

682 Exode 28, 36.

683 Actes 3, 6 etc. & 4, 10.

684 Actes 14, 14.

685 I Corinthiens, 1, 13-14.

686 Approximation de Ps. 103, 29-30.

687 Voir Isaïe 6, 1.

688 Luc 1, 48 : parce qu’il a regardé la bassesse de sa servante.

689 Isaïe 64, 6.

690 Ps. 44, 15.

691 I Jean 4, 8.

692 Ps. 44, 10.

693 Cantique 7, 13.

694« Dans les anciennes éditions » (note Poiret). - Les dessins de la Montée du Carmel diffèrent. L’unique témoin des autographes perdus est une copie notariale de 1759 du Monte qui indique, à droite et à gauche du sentier de perfection passant par nada six fois répété, deux chemins imparfaits passant par cinq étapes : gloria à gauche ou poseer à droite, gozo, saber, consuelo, descanso ; ces étapes diffèrent dans la gravure réalisée par un disciple du Greco, de la première édition de 1618, où à droite figurent : descanso, ciencia, honra, libertad, gusto, et à gauche : saber, consuelo, gozos, seguridad, gloria. La sûreté citée par Madame Guyon correspond à seguridad (traduit par securitas sur la figure reproduite dans Opera mystica V.P.F. Ioannis a Cruce, 1639 : en français, sécurité est le doublet savant de sûreté, selon le Robert). Voir El Monte de perfeccion, dans Vida y Obras de San Juan de la Cruz, B.A.C., 1974, pp. 435-443. Jean de la Croix est particulièrement cité par Madame Guyon qui serait, au XVIIe siècle, sa meilleure interprète selon Baruzi.

695 Ct 8, 6 : Mettez-moi comme un cachet sur votre cœur, comme un cachet sur votre bras : car l’amour est fort comme la mort, et la jalousie est dure comme l’enfer : ses lampes sont des lampes ardentes de feu et de flammes. (Poiret Explic.).



696Ep 3, 18 : […que] Vous puissiez comprendre avec tous les saints quelle est la largeur, la longueur, la hauteur et la profondeur de ce mystère. (Sacy).

697 Ps 18, 12 : Il s’est caché dans les ténèbres : La tente qui l’environne de tous côtés est l’eau ténébreuse des nuées de l’air. (18,12 Poiret Explic.) - Il a choisi sa retraite dans les ténèbres ; il a sa tente tout autour de lui ; et cette tente est l’eau ténébreuse des nuées de l’air. (17,13 Sacy).

698 Ex 28, 36 : Vous ferez aussi une lame d’un or très pur, sur laquelle vous graverez ces mots : la Sainteté est au Seigneur. (Poiret Explic.).

699 Lc 14, 26 : Si quelqu’un vient à moi, et qu’il ne haïsse pas son père et sa mère… (Poiret Explic.).

700Ruysbroeck fait une description de la fausse quiétude à la fin du second livre des Noces Spirituelles. Madame Guyon s’en inspire peut-être ici.



701Ps 41, 4 Que le Seigneur l’assiste lorsqu’il sera couché sur le lit de sa douleur. Vous avez remué tout son lit dans sa maladie. (40,4 Poiret Explic.) - Que le Seigneur le soulage lorsqu’il sera sur le lit de sa douleur. Vous avez, mon Dieu, changé et remué tout son lit durant son infirmité. (40, 3 Sacy).



702 Appéter : sens large de « désirer, rechercher ».

703 Nb 11, 12 : Est-ce moi qui ai conçu toute cette grande multitude, ou qui l’ai engendrée, pour que vous me disiez : Portez-les dans votre sein, comme une nourrice… (Sacy).

704 He 3, 18 : Et qui sont ceux à qui Dieu jura qu’ils n’entreraient jamais dans son repos, sinon ceux qui n’obéirent pas à sa parole ? (Sacy). - La dernière phrase paraît contredire la phrase précédente, s’il n’existe pas un état intermédiaire entre le rejet du salut et le repos au sein de Dieu.

705 Ex 3, 2 etc.

706 Ex 3, 14.

707 Ps 80, 2 : Vous qui gouvernez Israël, et qui conduisez Joseph comme une brebis [par un jeune berger] , écoutez-nous. (Ps 79,1 Sacy).

708 He 13, 18. 

709 He 10, 38.

710 « Quand Dieu vit dans l’âme, elle n’a plus rien comme d’elle-même, elle n’a que ce que lui donne au moment le principe qui l’anime… » De nombreux passages sont parallèles aux textes des Discours dans L’Abandon à la Providence divine, reprise d’un manuscrit de 1740 « issu d’une main guyonienne ». (Caussade, J.-P. de -, L’Abandon…, ici au chap. II).

711 Rom 4, 18.

712 L’histoire du mot en français est celle d’un affadissement progressif du sens initial de « formule magique » (Dict. Rey).

713 Mc 7, 37. Il a bien fait toutes choses (Poiret)



714 Jb 1, 21.

715 Cette même foi sont ces ténèbres. (note Poiret).

716 Ps 18,12.

717 Le sens s’est affaibli ; « qui inspire l’effroi » (Dict. Rey).

718 Jean 5, 4.

719 Luc 2, 14.

720 Juges 3, 16.

721 Ps. 73, 1.

722 Discours insupportable !

723 Ps. 22,4.

724 Isaïe 26,13.

725 Isaïe 11,6.

726 Isaïe 11,6 ; Ps. 8,3.

727 Jean 5, 35.

728 Luc 10, 16.

729 (Jean X,X)

730 Proverbe 9,4.

731 Jean 10, 16.

732 Matth. 12,19.

733 Matth. 24,35.

734 Hébreux 3,15.

735 Ces derniers discours sont mauvais !

736 Ps. 90,15.

737 Cantique 5,2 ; Apocalypse 3,20.

738 II corinthiens 8,9.

739 Cantique 3,4.

740Ps. 62,3.

741 Matth. 10, 8 et 10.

742 I Rois, 16, 6-7.

743 Jean 1, 1. Au commencement était la Parole, ou le Verbe. (Poiret).

744 Ps. 44,2. Mon cœur a poussé au-dehors une bonne parole. (Poiret).

745 Jean 1, 14. La parole (ou le Verbe) a été faite chair ; et a habité parmi nous, ou, dans nous. (Poiret).

746 Là même v. 11, 12,13.) (Poiret).

747 I Corinthiens 2,14.

748 Jean 3, 3.

749 Ps. 54,7.

750 Ps. 115,16, etc.

751 note Poiret : Jésus, petit enfant, maître du cœur, comme aussi de toutes choses.

752 Discours chrétiens et spirituels sur divers sujets qui regardent la vie intérieure tirés la plupart de la Ste Ecriture. Par Madame J.M.B de la Mothe-Guyon. Nouvelle édition corrigée et augmentée. Tome II. A Paris, Chez les Libraires Associés, M. DCC. XC.

753 Jean, 17, 21,23.

754 Jean, 14,16.

755 (Jean, 6,44

756 (Colossiens 3,3)

757 (Jean, 14,6)

758 (Galates 2,20)

759 Apoc., 3, 20.

760 Prov. 23, 26. 

761 Isaïe 40, 2.

762 Isaïe 46, 8.

763 Ps. 94, 8. 

764 Isaïe 31, 6.

765 II Cor.6, 16.

766 sic : la phrase a changé de sujet !

767 Rom. 8, 26.

768 Ps. 23, 7-9.

769 Luc 7, 47. 

770 Ps. 6, 2.

771 Rom. 6, 19.

772 Ps. 84, 9.

773 Luc 9, 26.

774 Cant. 5, 2. 

775 [Ps. 104, 4] 

776 [Cant. 3, 4] 

777 [Cant. 4, 12]

778 Cantique [8, 6]

779 [Cant. 1, 12]

780 [Confessions 10, 27] 

781 Captiver : µ

782 Conservées … d’où la serre vitrée où l’on met des plantes vivaces à l’abri (1660). (Dict. Rey).

783 Faire durer une chose sans arriver au fait, afin de faire perdre de vue le but de l’entreprise (1664). (Dict. Rey).

784 Jn 14, 26 : Mais le consolateur, qui est le Saint-Esprit … sera celui qui vous enseignera toutes choses…& Jn 16,13 : Quand cet Esprit de vérité sera venu, il vous enseignera toute vérité … il vous annoncera les choses à venir. (Sacy).

785 Fût corrigé en soit.

786 Jn 14, 21et 23.

787 Sg 1, 4.

788Mt 12, 50.

789 He 10, 7 : Alors j’ai dit : Me voici ; je viens, selon ce qui est écrit de moi à la tête du livre, pour faire, mon Dieu, votre volonté. (Poiret Explic.).

790 I S 15, 22.

791 Mt 6, 10 : Que votre règne arrive : que votre volonté soit faite dans la terre comme au ciel. (Poiret Explic.).

792He 3, 15.



793(Guyon Vie 1.10) décrit des austérités excessives où Madame Guyon, imitant Marie de l’Incarnation (du Canada), se déchire de ronces et d’orties à n’en pouvoir dormir.



794 Comme il est vrai que Dieu est Dieu, il est vrai aussi qu’il travaille toujours sur le sujet qui lui est exposé, ainsi que fait le soleil. (note Poiret).



795 Toute une théologie mystique vient d’être esquissée, dont est notable le respect des apports des conceptions modernes de transformation par évolution progressive. En contrepoint, suit maintenant une description du chemin tel qu’il est vécu par le pèlerin spirituel.

796 Ex. 33, 20.

797 A savoir le Démon. Voyez cette confession dans la Vie de sainte Catherine de Gênes, chap. XIV. (note Poiret). - « Dieu a fait l’homme en vue du bonheur, avec tant d’amour qu’on ne peut l’imaginer. Il lui fournit tous les moyens utiles, il le fait avec un amour, une pureté, une rectitude infinis. De tout ce qui est nécessaire, il ne le laisse manquer si peu que ce soit, si grands soient les péchés commis. Il ne cesse jamais de lui envoyer toutes les inspirations, avertissements et châtiments utiles pour le conduire à ce degré de bonheur pour lequel son amour brûlant l’a créé. Aussi, à la mort, quand cet homme verra tout cela, quand il reconnaîtra qu’il n’a jamais voulu se laisser conduire par la divine bonté, que lui seul a manqué à lui-même, je dis qu’alors il donnera plus d’importance à l’opposition par lui faite à la bonté divine qu’à l’enfer qui l’attend. » extr. du chap. XIV de la Vie dans (Grande Dame du pur amour).

798 Ps 34, 9 : Goûtez et voyez combien le Seigneur est doux… (Ps 33, 8 Sacy).

799 Qo 2, 3 déjà cité en D1.19.

800 Mt 13, 44.

801 I Thess. 5, 19.

802 = s’en soit diverti.

803 Jean 20, 19 et 26.

804 Matth. 7, 8.

805 Romain 8, 19 et 14, 15.

806(Romain 8,26)

807 (Romain, 8,26 et 27)

808 (cantique 5,2)

809 (Luc 12,37)

810 Romain 1,18.

811 Jean, 3,8.

812 II corinthiens 3,27.

813 (Ecclésiaste 13, 20,22).

814 Ps. 65,19.

815 Es 56, 7 : Je les ferai venir sur ma montagne sainte, je les remplirai de joie … ma maison sera appelée la maison de prière pour tous les peuples. (Sacy).

816 Ps 116, 17.

817 Mt 26, 41.

818 Lc 21, 36.

819 I Th 5, 17.

820 Mt 26, 41.

821 Jn 4, 23.

822Ps 115, 10-11 (note Poiret) : J’ai cru, c’est pourquoi j’ai parlé ; mais j’ai été dans la dernière humiliation… (115, 1-2 Sacy) cité en D1.55.

823 Ps 7, 2 ; Ps 30, 2.

824 Ps 42, 1 : Comme le cerf soupire après les eaux, de même mon cœur soupire vers vous, ô mon Dieu. (Ps 41, 1 Sacy).

825 Mt 22, 37-40 : …Toute la loi et les prophètes sont renfermés dans ces deux commandements [ amour de Dieu et amour du prochain]. (Poiret Explic. et Sacy) cité en D1.46.

826 A savoir par voie d’idées et de raisonnement. (note Poiret).

827 Ps 34, 9. (Ps 33, 8 Sacy) cité.

8281 Co13, 8 : La charité ne finira jamais. Les prophéties n’auront plus de lieu, les langues cesseront ; et la science sera abolie. (Sacy).

829 Matth. 23,25, etc.

830 Matth. 11,30.

831 Luc 21,19.

832 Luc 1,48.

833 Isa. 55,9.

834 Note Poiret : c'est-à-dire par les choses reconnues de chacun pour bonnes et saintes.

835 Job 28, 21,22.

836 Nombre 20,8, 11,12.

837 Note Poiret : c'est-à-dire de ne pas user de la parole, figure de Jésus-Christ et sa puissance.

838 Luc 24,19.

839 Exode 32,32.

840 Matth. 3,17.

841 Note Poiret : à savoir, par cette abstenue de l'entremise de la parole dans le cas de ci-dessus.

842 Jacques 4,4.

843Ce Discours figure aussi dans les Lettres… éditées par Dutoit. Cette lettre adressée à Fénelon vers la mi-novembre 1689 fut rééditée. (Masson M., Fénelon et Madame Guyon. Documents nouveaux et inédits, Paris, 1907, Lettre CXXIV, pp. 309-310 ; µ).



844Jb 15, 15.



845 Jb 7, 16.

846 Ps 36, 10 : Car la source de la vie est en vous ; et nous verrons la lumière dans votre lumière. (Poiret Explic.).

847 Le texte de la lettre à Fénelon qui constitue ce Discours ajoute le paragraphe suivant  : « Voilà ce qu’il m’a fallu vous écrire ce matin. Agréez que je vous écrive lorsque j’en aurai le mouvement, car sans cela je serai bien gênée. La difficulté est qu’étant où vous êtes [à la Cour], je ne sais par qui vous écrire, ne voulant pas que ce soit par la poste. Je suis assurée qu’il ne s’en perdrait pas une par la poste car le Seigneur en prend soin ; et quelque envie que l’on ait eue contre moi de prendre de mes lettres sur ces matières, l’on n’en a jamais pris. Mais, comme je vous veux obéir, je ferai ce que vous m’ordonnez. Pensez-y. » (Dutoit 1767 ; Masson 1907).

848 Dutoit, t. V, Lettre LXVI [à Fénelon], p. 399, reproduite par Masson, Lettre CXXXII, pp. 322-323. Elle serait du 23 novembre 1689.

849 Nous immobiliser.

850 Lc 2, 51.

851 Mc 9, 22. (v. 16-26, le récit où Jésus chasse l’esprit impur d’un enfant).

852 Lc 1, 38.

853 Es 62, 1.

854 Jb 27, 11.

855 Jb 9, 27.

856 Le texte issu des Lettres… ajoute le dernier paragraphe suivant : « J’écris de plus mal en plus mal, je ne vois presque plus : mais vous relirez sur le livre des lettres ce que j’écris. Si vous ne pouvez lire mon Ecriture, je me contenterai de mettre ce que j’aurai à vous mander, à moins que vous m’en ordonniez autrement, le marquant à un point pour faite voir qu’elles sont nouvelles. » On note la référence au « livre des lettres » indiquant qu’elles étaient recopiées à leur réception, selon une habitude commune à l’époque.



857 Dutoit, Lettres…, t. V, p. 392 ; réédité par Masson, Lettre CXXX, pp. 319-320 ; de la fin novembre 1689.µ

858 Ga 5, 23.

859 Jb 7, 16.

860 Ga 1, 16 : De me révéler son Fils, afin que j’annonçasse son Evangile aux nations ; aussitôt sans consulter la chair et le sang. (Poiret Explic.) …sans prendre conseil de la chair et du sang. (Sacy).

861 Ep 2, 1 et 5 : C’est lui qui vous a rendu la vie…

862 La Correspondance ajoute en dernière phrase : « Je ne sais pourquoi je vous écris cela. » Madame Guyon signalant ainsi qu’elle écrit sans intention propre. Elle fait de même dans la lettre éditée par Masson sous le numéro CIV : « je ne sais pourquoi j’écris ceci. »

863 Isaïe 57, 10.

864 Ps. 36, 5.

865 IV Rois 4, 34-35.

866 Cantique 2, 4.

867 Ecclésiaste 2, 3.

868 Luc 21, 19.

869 Ps. 142, 6.

870 Ps. 17, 13.

871 Ezechiel 9, 4.

872 Apocalypse 13, 11.

873 Job 19, 9.

874 Cantique 1, 5.

875 II Corinthiens 5, 17.

876 Isaïe 9, 6.

877 Jean 18, 37.

878 Jean 12, 31.

879 Romains 11, 32, etc.

880 II Cor. 12, 7.

881 Ps 69, 3 : Je suis enfoncé dans une abîme de boue, où je ne trouve point de fonds. (68, 3 Poiret Explic.) - Je suis enfoncé dans une boue profonde, où il n’y a point de fermeté. (68, 2 Sacy) – J’enfonce dans le bourbier / et rien pour me raccrocher, (Dhorme).

882 Rm 7, 19 : Car je ne fais pas le bien que je veux ; mais je fais le mal que je ne veux pas. (Poiret Explic.).



883 Rm 7, 23 : Mais je vois dans mes membres une autre loi qui résiste à la loi de mon esprit, et qui me tient dans la servitude sous la loi du péché, qui est dans mes membres. (Poiret Explic.).

884 Rm 7, 22 & 25.

885 Il y a des copies où tout ce qui est entre ces deux crochets ne se trouve point. (note Poiret).

886 Mt 27, 42 : Il a sauvé les autres, et il ne peut se sauver lui-même. S’il est le Roi d’Israël, qu’il descende maintenant de la croix, et nous croirons en lui. (Poiret Explic.).

887 Mt 27, 46 : Et vers la neuvième heure Jésus s’écria à haute voix ; disant : Eli, Eli, Lama sabactani, c’est-à-dire, Mon Dieu, Mon Dieu ! Pourquoi m’avez-vous abandonné ? (Poiret Explic.). Et vers la neuvième heure, Jésus s’écria, en disant : Eli, Eli, Lammasabacthani, c’est-à-dire, Mon Dieu, Mon Dieu ! comment m’avez-vous délaissé ? (Amelote).

888 Jn 19, 30.

889 Jean Aumont, L’ouverture intérieure du royaume de l’Agneau occis dans nos cœurs Paris, 1660, p. 128 : l’âme …s’est perdue à elle-même …a quitté et dépouillé toute attache, tant d’elle-même que hors d’elle-même et jusqu’à la participation finie des dons de Dieu dans elle pour n’avoir plus en tout et partout que Dieu. Le « pauvre villageois » Aumont dirigea « le bon franciscain » Enguerrand qui révéla l’intérieur à Madame Guyon.

890 Désirent, recherchent.

891 Ou mystique. (note Poiret).

892 Sans secours perceptible. (note Poiret).

893 (Ps. 39,2. J'ai attendu avec grande patience)

894 I S 15, 23.



895 Ps 69, 5.

896 Rm 8, 27.

897 Ce Discours 2.25 est repris d’une lettre à Fénelon du 1er décembre 1689. Voir Madame Guyon, Lettres…, Dutoit, t. V, Lettre LXX, pp. 403-406 ; Masson, Lettre CXXXVI, pp. 327-329. µ Exceptionnellement nous reproduisons ici dans le texte principal entre crochets le premier paragraphe de la lettre parce qu’il atteste de la communication cœur à cœur entre Mme Guyon et Fénelon. Son absence dans l’édition des Discours est probablement due à son caractère confidentiel.

898L’édition du Discours 2.25 commence ici : « Dieu… »



899 La Lettre qui inclut ce discours (v. note précédente) ajoute : « C’est ce que Dieu veut faire et fait en nous ; c’est pourquoi Il vous a choisi d’une manière singulière. O qu’Il aime votre âme et qu’Il me la fait aimer ! Quand il me faudrait tous les tourments possibles pour la rendre telle que Dieu la veut, avec quel plaisir les souffrirais-je et combien me suis-je immolée à l’Amour, ou plutôt l’Amour m’a-t-Il immolé Lui-même ! Il me fallut dernièrement faire dite des messes pour vous sans en comprendre la raison. Je n’en demande aucune de ce que l’on me fait faire : j’obéis aveuglément. Ce 1er décembre 1689. »

900 Jean 1, 17.

901 Jean 4, 23.

902 Matth. 6, 22.

903 Ps 70, 3.



904 II Co 12, 8-9 : C’est pourquoi j’ai prié trois fois le Seigneur de m’en délivrer : Mais il m’a dit : Ma grâce vous suffit : la vertu se perfectionne dans la faiblesse… (Poiret Explic.).

905 Qo 9, 1 : J’ai agité toutes ces choses dans mon cœur, et je me suis mis en peine d’en trouver l’intelligence. Il y a des justes et des sages, et leurs œuvres sont dans la main de Dieu, et néanmoins l’homme ne sait s’il est digne d’amour ou de haine ; (Sacy).

906 Rm 8, 35 & 39.

907 Mt 11, 29.

908Mt 19, 14 : Jésus leur dit : Laissez là ces enfants, et ne les empêchez pas de venir à moi ; car le royaume du ciel est pour ceux qui leur ressemblent. (Sacy).



909Ph 2, 7.



910Rm 5, 15 & 20 : Mais il n’en est pas de la grâce comme du péché … où il y a eu une abondance du péché, Dieu a répandu une surabondance de grâce ; (Sacy).



911 Lc 1, 48-49.

912 Matth. 3,3.

913 I Jean 2, 8.

914 (Jean IV)

915 Alléchant, engageant.

916 Cacherais.

917 Lc 12, 49.

918 I Co 1, 19

919 Mt 18, 3 ; 19, 14 ; Jn 3, 3 ; 1 P 2, 2.

920 Pr 8, 31 : Me jouant dans le monde ; et mes délices sont d’être avec les enfants des hommes. (Sacy).

921 Jb 12, 4,5.

922 Mt 5, 13.

923 Ap 21, 23 : Et cette ville n’a point besoin d’être éclairée par le Soleil ou par la Lune ; parce que la gloire de Dieu l’éclaire, et que l’agneau en est la lampe. (Poiret Explic.).

924 Jn 1, 21 : Ils lui demandèrent : Quoi donc ? Etes-vous Elie ? Et il leur dit : Je ne le suis point. Etes-vous prophète, ajoutèrent-ils ? Et il leur répondit : Non. (Sacy).

925 excessif. L’emploi hyperbolique s’est restreint depuis le XVIIe siècle. (Dict. Rey).

926 Note Poiret : voyez sur ce sujet sainte Catherine de gênes dans les ce dialogue, livre deux, chapitre 10.

927 Apocalypse 15,4.

928 Madame Guyon, Lettres…, Dutoit, t. V ; Masson, Lettre VIII, pp. 31-35 [du 2 décembre 1688 ]. Le manuscrit ASS 2057 f°259r° à 260v° puis 240 r° à 241v° en donne un texte continu, peu ponctué, probablement de la main d’une « fille » compagne de Madame Guyon. Ce manuscrit est très proche de l’édition Dutoit. Celle-ci se rapproche toutefois encore plus des Discours comme l’indique les variantes - minimes - que nous indiquons pour ce Discours 2.35. On peut juger ainsi de la fidélité des autres textes dont les manuscrits sont perdus.

929 un quelconque.

930 I S 15, 23.

931 « et elles sont » Lettre ; Et celles-là sont ASS ms. 2057 f°240r° repris ici.

932 « C’est ce » ASS ms. 2057 f°240r° omission.

933 « peines spirituelles, qu’on décrit avec » Lettre reprise ici ; « peines que les personnes spirituelles ont décrites avec » var. ASS ms. 2057 f°240r°

934 « souvent quelques essais de résistance, se » Lettre reprise ici sauf parenthèses ; « souvent [f°241r°] des essais se » var. ASS ms. 2057

935 « peut point ne pas faire » Lettre reprise ici ; « peut pas ne pas add. interl. faire » ASS ms. 2057 f°241r°.

936 La lettre ajoute : « Je n’ai pu me défendre d’écrire ce qui m’est donné. C’est pour la personne que vous savez. J’aime mieux la fatiguer que de déplaire à Dieu. Si elle voulait bien garder cette lettre par petitesse, elle trouverait dans quelques années que je lui ai dit la vérité, et que c’est un abrégé de la conduite que Dieu tiendra sur son âme. Si vous voulez cependant la supprimer, vous le pouvez. Pourvu que j’obéisse à Dieu, il ne m’importe ce que les choses deviennent : ni le bon ni le mauvais succès ne me touche plus [touche pas : var. ASS ms. 2057 f°241v°]. »

937 « Car la peine de la pourriture passe jusque dans la moelle de ses os… » (Torrents), Première partie, chap. VIII § 18. Les §8-13 sont consacrés à cet état : il précède celui de cendre.

938 Jn 12, 24 : …Si le grain de froment ne meurt après qu’on l’a jeté en terre, il demeure seul… (Sacy).

939 Etat de cendre, voir (Torrents, Chap. VIII, §14-16).

940 Note Poiret : Voyez la vie de Ste Catherine de Gênes, chap. 14. & Dial. Liv. III Ch. 6 vers la fin.

941 Jean 17, 21-23.

942 Luc 1, 48,49.

943 Battre une position ennemie, d’où batterie.

944 Ou, expressif, marquant que les âmes angéliques, et unies à Dieu, n’en sont éloignées qu’en tombant ensuite dans l’enfer mystique : au lieu que celles d’un état inférieur et humain, passent de leur état dans le purgatoire intérieur. (note Poiret).

945 Mt 27, 46.

946 Ou avant la mort et la résurrection. (note Poiret).

947 Etrange : hors du commun, extraordinaire ; dans la langue classique, l’adjectif équivalait à « épouvantable » (Dict. Rey).

948 « Voici, ce semble, à quoi revient, en abrégé, ce que l’on a dit sur tout ce sujet. L’Enfer mystique est, 1° ou pour l’âme ressuscitée qui se reprend, mais qui se laissant bientôt, lorsque c’est une âme bien anéantie, ne demeure guère dans cet enfer, au lieu qu’on y demeure plus longtemps, lorsqu’on est sujet à se reprendre souvent. 2° Ou pour l’âme qui retombe en soi par orgueil comme le Diable ; et de celles-ci peu en reviennent. 3° Ou pour l’âme qui y est mise par grâce, soit pour se consommer bientôt dans le parfait anéantissement, soit pour aider les autres âmes de cet état, duquel Dieu fait faire l’expérience pour cet effet à ces âmes de choix. » Poiret qui reproduit peut-être ici une annotation de Madame Guyon.

949 Ct 8, 14.

950 Voyez sa Vie, chap. 24 et 40 Edit. de Hollande : 38. (note Poiret) - « Quand j’ai eu cette vue qui m’a fait voir combien importe l’ombre d’un tout petit acte contre Dieu, je ne comprends pas comment je n’en suis pas morte. … Cette vue que j’en ai eue, en effet, toute petite et qui ne dura qu’un instant, si elle avait duré un peu plus, mon corps, eût-il été de diamant, aurait été réduit au néant. » Extr. du chap. 24 de la Vie dans (Grande Dame du pur amour).

951Qui pèse sur la personne comme un poids qui l’accable, Littré.

952Chevalier blanc.

953Cette variation alternative de ces opérations de Dieu sur l’âme, laquelle par là se voit tantôt couverte de poussière dans le combat, et tantôt comme couverte de gloire. (note Poiret incluse en plein texte).



954 Gn 19, 17.



955 Sens incertain : fait que cette Volonté les fait être faibles ou fortes et leur faiblesse n’est alors pas un défaut à Ses yeux.

956 Opposite, « placé devant, opposé », a été employé au sens de « contraire, opposé » et survit dans la locution « à l’opposite », « en face » et au figuré « au contraire ». (Dict. Rey).

957 Cet emploi de ô a décliné au profit de ah.

958 He 6, 4-6 : Car il est impossible que ceux qui ont été une fois éclairés, qui ont goûté le don du ciel, et qui ont été rendus participants du Saint Esprit … Et qui ensuite sont déchus, soient renouvelés par la pénitence… (Poiret Explic.).

959 même vêtement.



960 De l’Amour de Dieu, Liv. IX chap. 4. (note Poiret) - « …[le cœur] aimerait mieux l’enfer avec la volonté de Dieu que le Paradis sans la volonté de Dieu … si, par imagination de chose impossible, il savait que sa damnation fût un peu plus agréable à Dieu que sa salvation, il quitterait sa salvation et courrait à sa damnation. » Saint François de Sales, Œuvres, Bibl. de la Pléiade, 1969, p. 770.

961 I S 15 : « Dieu ordonne à Saül d’exterminer les Amalécites. Saül épargne Agag [leur roi]. Il est rejeté de Dieu. » (titre de Sacy). Saül permit aussi au peuple de prendre du butin tout en offrant un holocauste de ses prémices. Mais : « l’obéissance est meilleure que les victimes, et il vaut mieux lui obéir que de lui offrir les béliers les plus gras. » (verset 22). Aussi Samuel exécute l’ordre : « On lui présenta Agag, qui était fort gras et tout tremblant … Et il le coupa en morceaux devant le Seigneur à Galgala » (v. 32-33).

962 I Rm 3, 5 : Mais si notre injustice relève la justice de Dieu, qu’y a-t-il à dire ? Dieu n’est-il point lui-même paraître davantage la justice de Dieu ; que dirons-nous ? Dieu (pour parler selon l’homme) est-il injuste de nous punir ?  (Sacy).

963 Rm 11, 36 : N’est-ce pas de Lui, et par Lui, et en Lui que sont toutes choses ? que la gloire Lui en soit rendue dans tous les siècles ! amen. (Poiret Explic.). Tout est de Lui, tout est par Lui, et tout est en Lui… (Sacy).

964 « D’où vient que l’esprit est si clair et net, et qu’il semble que les opérations de Dieu se fassent dans le plus intime… [La suite est reproduite identiquement] » Lettres…, Dutoit, t. V p. 400 [lettre du 25 octobre 1689] reproduite par Masson, Lettre CXVI, pp. 300-301.

965 La lettre ajoute : « J’ai eu le mouvement de vous écrire cela. Je le fais simplement. Ce 25 octobre 1689. »

966 Lc 1, 48.

967 Ps. 43,6.

968 Ps. 86,7.

969 Deutéronome 30,14.

970 Exode fin, 8.

971 I Thessalonicien 5,23.

972 Luc 21,19.

973 Jean 14, 27.

974 Philippiens 4,7.

975 Lettres…, T. V, Lettre LXIII, reproduit dans Masson, Lettre CXXVII, pp. 312-315 [de novembre 1689].µ

976 Masson cite ici Fénelon, Instructions, XXIII : « Tandis qu’elle [l’âme] n’hésite point à tout perdre et à s’oublier, elle possède tout ... c’est une image de l’état de bienheureux, qui seront à jamais ravis en Dieu, sans avoir pendant toute l’éternité un instant pour penser à eux-mêmes. »

977 Cf. Fénelon, Instruction citée.

978 Sciences théologiques.

979 Ps 36, 10 : Car la source de la vie est en vous ; et nous verrons la lumière dans votre lumière. (Poiret Explic.).

980 La Lettre ajoute : « Pour ce que vous désirez de savoir de l’Evangile éternel, cet Evangile n’est autre que la volonté de Dieu. Nous en parlerons plus au long un jour s’il plaît à Dieu. »

981 Ps 36, 10.

982 Ps 116, 11.

983 Lettre à Fénelon de novembre 1689. Le premier paragraphe est reproduit par Masson, Lettre CXVIII, pp.315-316.

984 Masson, Lettre XVIII, pp. 57-59 [lettre à Fénelon de mars 1689].µ

985He 1, 9 : Vous avez aimé la justice, et vous avez haï l’injustice : c’est pourquoi, ô Dieu, votre Dieu vous a sacré d’une huile de joie par dessus tous ceux qui participeront à votre gloire. (Poiret Explic.).

986 He 10, 7 : Alors j’ai dit : Me voici ; je viens, selon ce qui est écrit de moi à la tête du livre, pour faire, mon Dieu, votre volonté. (Poiret Explic.).

987 Jn 10, 30 : Mon Père et moi nous sommes une même chose.

988 I Tm 1, 9 : [Notre Seigneur] qui nous a sauvés, et nous a appelés par sa vocation sainte, non selon nos œuvres, mais selon le décret de sa volonté, et selon la grâce qui nous a été donnée en Jésus-Christ avant tous les siècles.(Sacy) Non commenté dans les Explications.

989 « A savoir de la perte et mort mystique. » (note Poiret).

990 Jn 10, 18 : Personne ne me la ravit [la vie], mais c’est de moi-même que je la quitte ; j’ai le pouvoir de la quitter ; et j’ai le pouvoir de la reprendre. C’est le commandement que j’ai reçu de mon Père. (Sacy).

991 Rm 7, 19,22.

992 Ga 3, 24,25.

993 Ga 2, 20 : Et je vis, non plus moi-même ; mais c’est Jésus-Christ qui vit en moi : et en ce que je vis maintenant dans la chair, c’est dans la foi du Fils de Dieu qui m’a aimé, et qui s’est livré lui-même pour moi à la mort, que je vis. (Poiret Explic.).

994 I Jean, 4, 8,16.

995 Ps. 32,1.

996 µ

997 Isaïe 40,8.

998 I Corinthiens 10, 31.

999 µ

1000 Tout ceci est compatible avec la représentation suivant le modèle d’une grande énergie cosmique.

1001 Deutéronome 30, 11. Romain 10,6.

1002 Jean 3, 12.

1003 Ecclésiaste 1,14.

1004 Actes 2,13.

1005 Jean, 1,5.

1006 Actes 17,28.

1007 II corinthiens 4,16.

1008 Luc 1,38.

1009 Ezequiel 8,12.

1010 Isaïe 55, 9.

1011 II Pierre 3, 8.

1012 Actes 1, 7.

1013 Amos 3, 6.

1014 Eccles. 15, 14.

1015 Sagesse 11, 25 – II Pierre 3, 9 – I Tim. 4, 10.

1016 Ps. 24,10. Ps. 88 verset 15.

1017 Tout ce long développement qui est d’inspiration calviniste est suspect. De plus la condamnation des juifs.

1018 La prédestination n’est pas guyonienne !

1019 CQFD ! Discours faible. (hébreu 12,29)

1020 Ps. 36,2.

1021 Ecclésiaste 3,17.

1022 Hébreux 12,29.

1023 Philippiens 2, 13.

1024 Masson, Lettre CXIX, pp. 303-304.µ

1025 I Co 13, 4-5 : La charité est patiente, elle est douce ; la charité n’est point envieuse, ni dissimulée, ni superbe : Elle n’est point ambitieuse, elle ne cherche point son intérêt, elle ne se met point en colère, elle ne soupçonne point le mal. (Poiret Explic.).

1026 « A savoir, par manière d’opposition ou d’objections contre la pure charité. » (note Poiret). - « Inouï » a le sens concret de « qui n’a jamais été entendu. »

1027 I Jn 4, 18 : Il n’y a point de crainte dans l’amour : le parfait amour bannit la crainte ; parce que la peine est dans la crainte, et que celui qui craint n’est pas parfait en amour. (Poiret Explic.). 1 Jn 4, 18-19 : La crainte ne se trouve point avec la charité ; mais la charité parfaite chasse la crainte … Aimons donc Dieu, puisque c’est lui qui nous a aimés le premier. (Sacy).

1028 II Co 3, 18 : Pour nous, en qui le visage découvert du Seigneur imprime sa gloire comme dans un miroir, nous sommes transformés en son image, nous avançons de clarté en clarté comme par l’Esprit du Seigneur.(Poiret Explic.).

1029 I Co 13, 8 : La charité ne finira jamais. Les prophéties s’anéantiront ; les langues cesseront ; et la science sera détruite. (Poiret Explic.).

1030 « Ou : consume. » (note Poiret).

10311Co 13.



1032Mt 25, 1-13 : parabole des dix vierges, cinq folles et cinq sages.



1033 Gn 2, 7.

1034 Ac 2, 2 & 4 : On entendit tout d’un coup un grand bruit, comme d’un vent violent et impétueux… Aussitôt ils furent tous remplis du Saint-Esprit… (Sacy).

1035 Gn 3, 5.

1036 Ep 4, 8 : C’est pourquoi le Prophète dit, qu’étant monté en haut, il a emmené la captivité captive, il a fait des dons aux hommes. (Poiret Explic.).…étant monté en haut, il a mené captive une multitude de captifs, et a répandu ses dons sur les hommes. (Sacy).

1037 Ac 2, 3 : …ils virent paraître comme des langues de feu qui se partagèrent, et s’arrêtèrent sur chacun d’eux. (Sacy).

1038 Ce paragraphe peut être compris ainsi : Jésus-Christ souffle le pur Amour à la Pentecôte sur son Eglise naissante de même que Dieu créa Adam – deuxième naissance. L’innocence retrouvée est montrée à tous par les langues de feu ou paroles de grâce. (Sacy).

1039 Jn 14, 17 : L’Esprit de Vérité, que le monde ne peut recevoir, parce qu’il ne Le voit point, et qu’il ne Le connaît point. Mais pour vous, vous le connaîtrez, parce qu’Il demeurera avec vous, et qu’Il sera dans vous. (Sacy).

1040 Jn 8, 44 : Vous êtes les enfants du diable … menteur, et père du mensonge. (Sacy).

1041 Rm 5, 7 & 9.

1042 Dt 30, 11 & 14 : Ce commandement, que je vous prescris aujourd’hui, n’est ni au-dessus de vous, ni loin de vous … il est dans votre bouche et dans votre cœur, afin que vous l’accomplissiez. (Sacy).

1043 Dt 10, 1 : …Taillez-vous deux tables de pierre…

1044 Des objets à aimer. (note Poiret).

1045 I Co 13, 5 : …[la charité] ne cherche point ses propres intérêts…

1046 « A savoir, comme motif, de qui n’est que pour les faibles et les commençants : les plus forts n’y regardent que comme à un moyen d’aimer et de glorifier Dieu davantage ; ou plutôt la récompense qu’ils regardent est Dieu même, en tant qu’aimé et glorifié toujours plus amplement et plus infiniment. (note Poiret).

1047 Jn 5, 41 : Je ne tire point ma gloire des hommes. ; Jn 8, 50 : Pour moi, je ne cherche point ma propre gloire ; un autre la cherchera, et me fera justice. (Sacy).

1048 Jn 18, 38.

1049 He 12, 2 : Jetant les yeux sur Jésus, comme sur l’auteur et le consommateur de la foi ; qui, au lieu de la vie tranquille et heureuse dont il pouvait jouir, a souffert la Croix… (Sacy).

1050 Attaquer, combattre une proposition, un droit. (Littré qui cite Descartes).

1051 « C’est-à-dire le sacrifice valable du salut, lequel les ennemis de l’intérieur désapprouvent mal à propos. » (note Poiret).

1052 Rm 4, 18.

1053 Ph 2, 6-8 : C’est que Jésus-Christ possédant la nature divine, n’a rien ravi à Dieu de s’estimer égal à lui : / Toutefois il S’est anéanti Lui-même prenant la nature d’un esclave, en Se rendant semblable aux hommes, et en Se faisant tel que les autres hommes. / Il s’est humilié Lui-même, Se rendant obéissant jusqu’à la mort, et à la mort de la croix. (Poiret Explic.).

1054 Mt 27, 46.

1055 Ga 2, 20.

1056 « Dans sa vie par l’Évêque d’Évreux. » (note Poiret).

1057 « Voyez aussi son Traité de l’Amour de Dieu, Liv. 9, Chap. 4. » (note Poiret) ; passage cité, voir Discours 2.36, § II : « …[le cœur] aimerait mieux l’enfer avec la volonté de Dieu que le Paradis sans la volonté de Dieu… »

1058 Du latin salvare, sauver.

1059 « Les mercenaires, qui n’ont que de sèches et vaines idées de l’Amour divin, et qui n’aiment ni Dieu, ni la Religion que pour leur intérêt, font passer cette action symbolique, aussi bien que ce qui vient de précéder, pour des traits de folie. En effet, l’homme animal ne comprend rien dans les choses de l’Esprit de Dieu, et elles lui sont folie, dit saint Paul en termes exprès. I Co 2, 14. » (note Poiret).

1060 « Un jour, une compagnie de mystiques virent Râbi’a ‘Adawiyya [célèbre ascète et mystique morte à Basra en 801] prendre dans une main un brandon allumé, et de l’autre une cruche d’eau, et courir avec rapidité. On l’interrogea : ‘…Je vais mettre le feu au paradis et éteindre l’enfer, afin de faire disparaître ces deux voiles qui nous coupent la route [vers Dieu] ; afin que le but soit désigné, et que les serviteurs de Dieu le servent sans motifs d’espérance ou de crainte’ ». Aflâkî, Les Saints des Derviches tourneurs, trad. C. Huart, §272.

1061 Lc 7, 47 : C’est pourquoi je vous déclare que beaucoup de péchés lui sont remis, parce qu’elle a beaucoup aimé… (Poiret Explic.).

1062 I Co 13, 3.

1063 I Jn 4, 16.

1064 Mt 16, 25.

1065 Ph 1, 23-24 : Je me trouve pressé des deux côtés ; car [d’une part], je désire d’être dégagé des liens du corps, et d’être avec Jésus-Christ : ce qui est sans doute le meilleur. / [Et de l’autre], il est plus utile pour votre intérêt que je vive. (Poiret Explic.).

1066 Rm 8, 16 : Car l’Esprit rend lui-même témoignage à notre esprit que nous sommes enfants de Dieu. (Poiret Explic.).

1067 Ct 8, 7.

1068 Ct 8, 6.

1069 Rm 8, 38-39 : Car je suis sûr que ni la mort, ni la vie, ni les Anges, ni les Principautés, ni les vertus, ni les choses présentes, ni celles qui sont à venir, ni la force, / Ni la hauteur, ni la profondeur, ni aucune autre créature, ne nous pourra jamais séparer de la charité de Dieu qui est en JC notre Seigneur. (Poiret Explic.) …ne nous pourra jamais séparer de l’amour que Dieu nous porte en Jésus-Christ notre Seigneur. (Amelote).

1070 Sens dominant d’abandonner ; renoncer en droit. (Dict. Rey).

1071 Jn 14, 2 : Il y a plusieurs demeures dans la maison de mon Père … je m’en vais vous préparer le lieu. (Sacy).

1072 « Nous avons cru jadis posséder quelque chose,

mais c’est du tout au rien que nous chasse l’amour. » Hadewijch, p.171.

1073 Lettre à Bossuet écrite vers le 10 février 1694. Elle est reproduite par Urbain et Levesque, Correspondance de Bossuet, Lettre 995, accompagnée de l’annotation suivante : « Inédite. Copie dans les Lettres au duc de Chevreuse. Archives de Saint-Sulpice, Copie Dupuy, p. 97, v° . Ce document, dégagé de la forme épistolaire, a été inséré presque textuellement dans la Vie de Mme Guyon IIIe partie, ch. xiii, nos 6-10… ». Ce Discours 2.53 commence en fin de Vie 3.13.6 : « Il est aisé, ce semble, de concevoir qu'une personne qui met son bonheur en Dieu seul… », pour se terminer à la fin de Vie 3.14.1 (qui suit Vie 3.13.10 dans la leçon d’Oxford mais fut déplacé par Poiret) : «…C'est un vide simple, qui n'est incommodé ni par la multitude des pensées, ni par leur stérilité. C’est ce qui faisait une de mes plus grandes peines en parlant à M. de Meaux.» Il en existe une copie manuscrite A.S.S. ms. 2057 ff. 16 à 21. Nous donnons les variantes de ces deux sources : var. lettre et var. ms. 2057.

1074 « semble, Monseigneur, qu’il » var. lettre.

1075 « de concevoir qu’une » var. ms. 2057.

1076 « en lui-même et pour lui-même » var. lettre & ms. 2057.

1077 « conséquent l’objet » (omission) var. lettre & ms. 2057.

1078 « soi » var. lettre.

1079 « satisfait parce que Dieu » var. ms. 2057.

1080 « et le » (omission) var. lettre & ms. 2057.

1081 « plus tous » (omission) var. lettre & ms. 2057.

1082 « Dieu, ce qui n’empêche » var. lettre.

1083 « Cupio etc. » (omission) var. ms. 2057 - Ph 1, 23 :  Je désire d’être dégagé du corps etc. (note Poiret) - Ph 1, 23-24 : Je me trouve pressé des deux côtés ; car d’une part, je désire d’être dégagé des liens du corps, et d’être avec Jésus-Christ, ce qui est sans comparaison le meilleur ; et de l’autre, il est plus utile pour votre bien que je demeure encore en cette vie. (Poiret Explic.).

1084 Rm 9, 3.

1085 « de recueillir lui-même » var. ms. 2057.

1086 « Ce désir n’est plus » var. ms. 2057.

1087 « les montre » (omission) var. ms. 2057.

1088 Ps 9 et 10, 17.

1089 Rm 8, 26 : L’Esprit aussi nous aide dans notre faiblesse. Car nous ne savons pas ce que nous devons demander, ni le demander comme il faut ; mais l’Esprit même le demande pour nous avec des gémissements ineffables. (Poiret Explic.).

1090 Jn 11, 42 : Pour moi, je savais que vous m’exaucez toujours ; mais je dis ceci pour ce peuple qui m’environne, afin qu’ils croient que c’est vous qui m’avez envoyé. (Sacy).

1091 « comme croient des » var. ms. 2057.

1092 « peu éclairées, la pente en » var. ms. 2057.

1093 Col 3, 3 : Car vous êtes morts, et votre vie est cachée avec Jésus-Christ en Dieu. (Poiret Explic.).

1094 « conjure, Monsieur, d’excuser » var. ms. 2057 ; « conjure, Monseigneur, d’excuser » var. lettre.

1095 Non pas la chaleur dégagée par les ardeurs sensibles] mais...

1096 II Co 3, 18.

1097 I Jn 4, 8 & 16.

1098Ct 8, 7 : Les plus grandes eaux n’ont pu éteindre la Charité ; et les fleuves ne La submergeront point. Quand un homme aurait donné tout ce qu’il a de bien, il ne l’estimerait rien au prix de l’Amour. (Poiret Explic.).

1099 Lettre à Fénelon, éditée par Masson, Lettre XI, pp. 41-43 avec le commentaire : « Cette lettre est très importante pour la définition de l’idéal quiétiste... » Elle serait de janvier 1689 selon Masson (note 1, page 43) : « La façon impersonnelle et encore cé rémonieuse dont Mme Guyon parle de Fénelon dans cette lettre [au dernier paragraphe], la rattache, ce me semble, au groupe de lettres de début. »

1100 Ps 109, 1.

1101 Matth. 20,25, 26,28.

1102 I Corinthiens 9,27.

1103 « Ceci s’entend mystiquement et non physiquement. Note de l’auteur. » (note Poiret).

1104 Elle y est incluse.



1105 Et d’autres encore.

1106 Os 2, 19-20 : Je vous épouserai pour jamais : je vous épouserai en justice, en jugement, en compassion et en miséricorde. / Je vous épouserai en foi ; et vous saurez que je suis le Seigneur. (Poiret Explic.).

1107 Ct 1, 1.

1108 Ct 1, 3.

1109 « C’est-à-dire l’époux et l’âme ne sont pas encore un. » (note Poiret).

1110Ct 2, 16 : Mon bien-aimé est à moi et moi à lui. Il se nourrit parmi les lis.

(Poiret Explic.) …il repaît parmi les lis (Comm. au Cantique) & Ct 3, 4 : …j’ai trouvé celui que mon âme aime : je le tiens et je ne le laisserai plus aller jusqu’à ce que je l’aie fait entrer dans la maison de ma mère… (Comm. au Cantique).

1111 Ct 4, 7.

1112 Ct 6, 8.

1113 Ct 8, 6.

1114 Ct 2, 4.

1115 Ct 2, 16 : Mon bien-aimé est à moi et moi à lui. Il se nourrit parmi les lis. (Poiret, Explic.). Mon bien-aimé est à moi, et je suis à lui, et il se nourrit parmi les lys, (Sacy). – Mon bien-aimé est à moi et moi à lui, lui qui mène paître parmi les lys. (Dhorme).

1116 Joël 2, 28.

1117 Ps. 28,5.

1118 Ps. 103,30 : Envoyez votre Esprit, et vous renouvellerez la face de la terre.

1119 Jean 19, 30.

1120 Jean 18, 37.

1121 Ps. 109,1.

1122 Luc 19,49.

1123 Matth. 10,34.

1124 Jean 3, 5.

1125 Jean 16, 13,14

1126 Ps. 70, 16.

1127 I Co 1, 27.

1128 Es 20, 2-3.

1129 Es 6, 5 & 7.

1130 Ps 16, 3.

1131 Ezéchiel. Suit un résumé de Ez 3, 18-19.

1132 I Co 15, 10 : Mais ce que je suis, c’est par la grâce de Dieu que je le suis ; et sa grâce n’a point été vide en moi : car j’ai travaillé plus qu’eux tous ; quoi que ce en soit pas moi qui aie travaillé, mais la grâce de Dieu avec moi. (Poiret Explic.) …sa grâce n’a point été stérile en moi… (Sacy).

1133 « ‘Dieu te met dans la dilatation d’esprit pour ne pas t’abandonner quand tu seras dans l’angoisse, et il te met à l’étroit pour ne pas te laisser lorsque tu seras dans la dilatation d’esprit. Il te retire des deux états pour que tu n’appartiennes à chose quelconque, sinon à Lui’. Le sens de cette sentence [d’Ibn ‘Atâ Allâh], c’est que ces deux états d’âme sont des qualités imparfaites, si on les compare aux états supérieurs. Les deux, en effet, impliquent nécessairement que le serviteur de Dieu est encore avec lui-même (et non avec Lui), qu’il se considère encore à lui-même (et non à Dieu)…» [Ibn Abbad de Ronda], Un précurseur hispano-musulman de Saint Jean de la Croix, M. Asin Palacios, Etudes Carmélitaines, avril 1932, page 140.

1134 Lettre à Bossuet ; A.S.S. ms.2057 ff.22 à 31 (copie faite probablement par Bourbon, secrétaire de Bossuet).

1135 Jn 5, 30 : Je ne puis rien faire de moi-même. Je juge selon ce que j’entends, et mon jugement est juste, parce que je ne cherche pas ma volonté, mais la volonté de Celui qui m’a envoyé. (Sacy).

1136 Jn 16, 13 : Quand cet Esprit de Vérité sera venu, Il vous enseignera toute vérité ; car Il ne parlera pas de Lui-même ; mais Il dira tout ce qu’Il aura entendu, et Il vous annoncera les choses à venir. (Sacy).

1137 Col 3, 3 : Car vous êtes morts, et votre vie est cachée avec Jésus-Christ en Dieu. (Poiret Explic.).

1138 Ga 2, 20.

1139 Ga 2, 20 ; Col 3, 11. - « Voyez Ste Catherine de Gênes en sa vie. Chap. 14. » (note Poiret) - « Mon moi est Dieu, je n’en connais pas d’autre, hors mon Dieu lui-même … Le vrai amour ne peut supporter de ressembler ainsi aux autres créatures mais avec un grand élan d’amour il dit : Mon être est Dieu, non par simple participation, mais par vraie transformation et annihilation de l’être propre. » (Grande Dame du pur amour).

1140 Jn 1, 1.

1141 Mt 10, 20 : Car ce n’est pas vous qui parlez ; mais c’est l’esprit de votre Père qui parle en vous. (Poiret Explic.).

1142 II Co 13, 3 : Voulez-vous faire l’expérience de la vérité de Jésus-Christ qui parle par ma bouche, et qui n’est point faible à votre égard, mais qui est puissant parmi vous ? (Poiret Explic.).

1143 Nb 16, 3 : S’étant donc soulevé contre Moïse et contre Aaron, ils leur dirent : Qu’il vous suffise que tout le peuple est un peuple de saints, et que le Seigneur est avec eux. Pourquoi vous élevez-vous sur le peuple du Seigneur ? (Sacy).

1144 Ga 2, 20.

1145 Ps 73, 22-23 : Et qu’étant enfin devenu comme une bête en votre présence, je ne me suis point cependant éloigné de vous ; vous avez soutenu ma main droite…

1146 Jn 8, 25.

1147 Jn 15, 5.

1148 Mc 5, 30.

1149 Celui qui communique.

1150 « C’est-à-dire : comme Dieu est une immensité de plénitude, le néant est une immensité de vide. » (note Poiret).

1151 Lc 1, 48.

1152 Jn 4, 10.

1153 Jn 7, 37-38.

1154 Lc 22, 44.

1155 Mc 9, 35-36 : Et prenant un enfant, Il le mit au milieu d’eux, et leur dit en l’embrassant : / Quiconque reçoit en Mon nom un petit enfant comme celui-ci, Me reçoit ; et celui qui Me reçoit,ne Me reçoit pas, mais Celui qui M’a envoyé. (Poiret Explic.).

1156 Ct 8, 10 : Je suis un mur : et mes mamelles sont comme une tour, depuis que j’ai été devant lui comme celle qui a trouvé la paix. (Poiret Explic.).

1157 Ceci était écrit ailleurs séparément (note Poiret).

1158 Pr 30, 19.

1159 « Voyez le Discours 1.14. » (note Poiret).

1160 Jn 16, 14.

1161 Pour insondables ?

1162 Rm 11, 33-34 : …car qui a connu le desseins de Dieu, ou qui est entré dans le secret de ses conseils ? (Poiret Explic. et Sacy).

1163 Ps 75, 2 : …Je jugerai les justices, lorsque le temps en sera venu. (74,3 Poiret Explic.) - …Lorsque j’aurai pris mon temps, je jugerai et rendrai justice. (74, 2 Sacy).

1164 Ps 104, 31 : Vous envoierez ensuite votre Esprit, et elles seront créées de nouveau ; et vous renouvellerez toute la face de la terre (Poiret Explic.).

1165 Note Poiret : voyez sur ceci le chapitre 21 du troisième livre de l'imitation de Jésus-Christ. Item, la vie de sainte Catherine de gênes, chapitre 41. Et ce dialogue, livre 3 chapitres 3 et 11.

1166 Note Poiret : de divisible, de séparable d'avec son sujet.

1167 Note Poiret : peut-être qui aimez.

1168 Osée 2,14.

1169 Note Poiret : c'est-à-dire, la possession perceptible comme propre de Dieu.

1170 (note : c'est-à-dire à me laisser dans un monde qui ne fait que contrarier votre amour)

1171 Matth. 11,25)

1172 note : peut-être, comme de chose qui lui appartient.

1173 Jean, 17,21, 22,23.

1174 I Corinthiens 15,28.

1175 note : voyez la vie de sainte Catherine de gênes. Chapitre 44. Mais celle du bienheureux Grégoire Lopes. Chapitre neuf et 33 de la traduction dans 10.

1176 note : voyez les dialogues de sa Catherine de gênes, livre trois, chapitre six.

1177 note : par le moi propriétaire ou distingué.

1178 Exode 34,9.

1179Tome IV des Lettres chrétiennes et spirituelles sur divers sujets qui regardent la vie intérieure ou l’esprit du vrai christianisme, Cologne [Amsterdam], J. de La Pierre, 1718.

1180 Lc 17, 21.

1181se séquestrer pour « vivre volontairement à l’écart du monde » ; cet emploi est archaïque. (Dict. Rey).

1182Mt 7, 7.



1183Sens incertain : …soin [d’elle, elle éprouve] d’un autre côté que (?)

1184Ps 59, 10.



1185Imitation de Jésus-Christ Liv. II, Chap. IX, § I. (note Poiret) - « Il n’est pas difficile de mépriser les consolations humaines, quand on jouit des consolations divines. Mais il est grand et très grand de consentir à être privé tout à la fois des consolations des hommes et de celles de Dieu, de supporter volontairement pour sa gloire cet exil du cœur, de ne se rechercher en rien, et de ne faire aucun retour sur ses propres mérites. » L’Imitation de Jésus-Christ, traduction de Lamennais, Plon, 1950.



1186Ct 5, 3.



1187Une telle comparaison du déroulement de la vie mystique avec le cycle naturel est fréquent. Voir par exemple Ruysbroeck, Les noces spirituelles, Deuxième livre, La vie dans le désir de Dieu, deuxième et troisième partie : ‘l’époux vient, sortez’, comparaison des modes et des saisons.





1188« Qui puisse détruire cette nature maligne. » (note Poiret).

1189« En sa Vie, chap. 41 de l’édition de Hollande p. 39. » (note Poiret) - Extrait du chapitre 41 : « L’Amour ne détruisait pas seulement ce moi mauvais à l’extérieur, mais aussi l’intérieur, le moi spirituel qui goûtait et comprenait et qui semblait vouloir se transformer tout en Dieu et détruire cette partie extérieure. Quand ce moi spirituel avait beaucoup travaillé, qu’il semblait avoir vaincu et mis par terre ce moi extérieur en lui enlevant toutes voies et moyens de se nourrir, quand il avait pacifié pour lui son propre domaine, alors survenait cet Amour insatiable et violent et il lui disait : Que crois-tu faire ? Je veux tout pour moi. Ne pense pas que je te laisse le moindre bien au corps ni à l’âme. Je veux rendre nu, nu, tout ce qui est au-dessous de moi, et au-dessus de moi je ne veux rien. » (Grande Dame du pur amour).

1190Jb 22, 14 ; Ps 18, 10-13.

1191Ps 139, 11.

1192Rm 4, 18 : Aussi contre toute espérance il crut devoir espérer, afin qu’il devint le père de plusieurs nations…( Poiret Explic.) - Aussi ayant espéré contre toute espérance, il a cru qu’il deviendrait le père de plusieurs nations… (Sacy).



1193Ap 22, 20.

1194Ag 2, 8.

1195Nous avons donné entre crochets le titre (qui diffère du titre courant) de la table des matières des Discours édités dans la Correspondance.



11961 P 1,16.



1197Ps 39, 4 : Mon cœur est enflammé au dedans de moi ; et il s’y allumera un feu pendant que je méditerai. (Poiret Explic.).



1198Ps 31, 21.

1199« Desquelles il est fait mention dans les trois ou quatre premiers paragraphes ci-dessus. » (note Poiret).

1200He 8, 10.



1201Jn 14, 21 ; Ch 17, 19.



1202Etrange discours !

1203Jn 4, 39-40 : Or il y eut beaucoup de Samaritains de cette ville-là qui crurent en lui sur le rapport de cette femme… (Sacy).

1204ou Protestants.



1205Jn 4, 14 ; Ch 7, 38

1206Lc 2, 29 ; « C’est-à-dire : C’est maintenant, Seigneur, que vous laissez aller en paix votre servante. » (note Poiret). - C’est maintenant, Seigneur, que vous laisserez mourir votre serviteur en paix selon votre parole. (Poiret Explic.).

1207?

1208?

1209Os 2, 19-20 : Je vous épouserai pour jamais : je vous épouserai en justice, en jugement, en compassion et en miséricorde. / Je vous épouserai en foi ; et vous saurez que je suis le Seigneur. (Poiret Explic.).



1210?

1211« Voyez Ste Catherine de Gênes, en sa vie, Chap. 44. (note Poiret) - « Je ne sais comment faire pour me confesser, parce que je ne trouve rien en moi, ni dans l’extérieur ni dans l’intérieur, qui ait assez de vigueur pour pouvoir dire : C’est moi qui ai fait ou dit quelque chose dont je doive sentir remords de conscience. Je ne veux omettre de me confesser et je ne sais à qui imputer la coulpe de mes péchés ; je veux m’accuser et n’y arrive pas. » (Grande Dame du pur amour)

1212Mt 7, 22-23.



1213Ps 14, 1.

1214Ps 104, 30 ; « C’est-à-dire : Envoyez votre esprit et ces choses seront créées ; et vous renouvellerez la face de la terre. » (note Poiret). - Envoyez ensuite votre esprit et votre souffle divin, et ils seront créés ; et vous renouvellerez toute la face de la terre. (Poiret Explic.).

1215Jn 1, 13.



1216« Voyez Ste Catherine de Gênes, en sa vie, Chap. 44. (note Poiret) – Déjà cité plus haut : Discours 3.11.



1217Lm 1, 22.

1218Es 62, 5.

1219Ps 128, 3.

1220?

1221?

1222On rapprochera ce Discours des « Manières d’agir dans les maladies et à la mort pour chaque degré », pages 189-208 de l’ouvrage paru sans le nom de son auteur Jacques Bertot, sous le titre Conclusion des Retraites, Paris, 1684.



1223« Qui séduit, plaît beaucoup » (1629-1630) sens affaibli en français moderne en « très agréable, séduisant. » (Dict. Rey).



1224Ct 8, 7.

1225Rm 8, 38-39 : Car je suis sûr que ni la mort, ni la vie, ni les Anges, ni les Principautés, ni les vertus, ni les choses présentes, ni celles qui sont à venir, ni la force, / Ni la hauteur, ni la profondeur, ni aucune autre créature, ne nous pourra jamais séparer de la charité de Dieu qui est en Jésus-Christ notre Seigneur. (Poiret Explic.). …ne nous pourra jamais séparer de l’amour que Dieu nous porte en Jésus-Christ notre Seigneur. (Amelote).



1226 On rapprochera ce Discours des « Manières d’agir dans les maladies et à la mort pour chaque degré », p. 189-208 de l'ouvrage paru sans nom d'auteur sous le titre Conclusion des Retraites, Paris, 1684, en réalité de Jacques Bertot, père spirituel de Madame Guyon. (Jacques Bertot Directeur mystique, Textes présentés par Dominique Tronc, coll. « Sources mystiques », Editions du Carmel, Toulouse, 2005).



1227 Qui séduit, plaît beaucoup (sens affaibli en français moderne).

1228 Ps 31, 1 cité par Jésus dans Mt 27, 46.

1229 Ct 8, 7.

1230 Rm 8, 38-39 : Car je suis sûr que ni la mort, ni la vie, ni les Anges, ni les Principautés, ni les vertus, ni les choses présentes, ni celles qui sont à venir, ni la force, / Ni la hauteur, ni la profondeur, ni aucune autre créature, ne nous pourra jamais séparer de la charité de Dieu qui est en Jésus-Christ notre Seigneur. (Poiret Explic.). …ne nous pourra jamais séparer de l’amour que Dieu nous porte en Jésus-Christ notre Seigneur (Amelote).



1231 La lettre que Madame Guyon place en conclusion des ‘textes écrits par Jacques Bertot’ dans l’édition Le directeur Mistique (sic) ou les Œuvres spirituelles de M. Bertot, ami intime de feu Mr de Bernières & directeur de Mad. Guion…, 1726,est reprise comme récapitulant ses propres écrits, filiation oblige. Je l’avais précédemment éditée en 2000 avec le commentaire suivant :

« La lettre ici reproduite est la 81ième du volume 4, pages 258 à 264. La destinataire n’est pas nommément citée mais il nous paraît certain qu’il s’agit de Mme Guyon sur la base d’indices que nous analyserons dans notre future édition de la Correspondance (active et passive) de Mme Guyon. Le titre de « directeur mystique » sonne étrangement à nos oreilles mais rend très bien compte du rôle joué par Bertot, reconnu par les guyonniens du XVIIIe siècle. »





1232Suivent dans Le Directeur mistique 21 Lettres du P. Maur de l’Enfant-Jésus puis 21 lettres nommément attribuées à Madame Guyon et extraites de sa propre direction envers des tiers. Elles sont probablement placées en conclusion par les disciples pour indiquer qu’à leurs yeux la Dame directrice assura la succession de Monsieur Bertot.

1233 Avec des résumé pour les Discours publiés aux éditions du Centre Saint-Jean-de-la-Croix.

1234Reprise de notre première édition de 80 Discours en 2000. Sans modernisation sauf de noms donnés aux références bibliques (pour le texte lui-même nous avons revu ces références pour les adapter aux traductions modernes).

1235Ce que l’on discerne par l’alternance des deux volontés au début de cet état, lorsqu’il n’est pas encore établi et invariable.



1236Appel à l’expérience.



1237Titre précédant l’édition du texte.

1238Protestants.



1239Cette conclusion apportée à l’ensemble des quatre tomes montre l’importance accordée par Madame Guyon et son cercle à l’anéantissement du moi de l’âme, comme condition du pur Amour. Le choix d’une simple paysanne n’est pas indifférent.



1240Quelques abréviations de la TOB peuvent ne pas être immédiatement reconnues : Es pour Isaïe, Qo pour Ecclésiaste (= Qohélet), Si pour Ecclésiastique (= Siracide), Lt-Jr pour Lamentations de Jérémie, 1 P pour Première épître de Pierre…

1241Tableau donnant les correspondances

entre la Vulgate et les traductions modernes (TOB et Jérusalem) :

Vulgate TOB [Jérusalem] :

1 & 2 Roi = 1 & 2 Samuel 

3 & 4 Roi = 1 & 2 Roi

1 & 2 Paralipomènes = 1 & 2 Chroniques

Ecclésiaste Eccl. = Qohélet [Ecclésiaste Qo]

Ecclésiastique Eccli. = Siracide [Ecclésiastique Si]

Ps.s décalés (en général TOB = Vulgate + 1) :

9 = 9 et 10

10 à 112 = 11 à 113

113 = 114 et 115

114 et 115 = 116

116 à 145 = 117 à 146

146 et 147 = 147

1242Nous avons consulté : Le Nouveau Testament de Notre-Seigneur Jésus-Christ traduit sur l’ancienne édition latine, corrigée par le commandement du Pape Sixte V … Avec des notes… par le R.P. D. Amelote, Prêtre de l’Oratoire… A Paris, chez F. Muguet, 1688 - Les Epistres de l’apostre Saint Paul … tome second … A Paris, chez F. Muguet, 1687.

1243Ainsi pour 2 Co 3, 18 - cinq fois reprise dans notre choix de Discours : « Pour nous, en qui le visage découvert du Seigneur imprime sa gloire comme dans un miroir, nous sommes transformés en son image, nous avançons de clarté en clarté comme par l’Esprit du Seigneur. (Poiret Explic.). - Pour nous, en qui le visage découvert du Seigneur imprime sa gloire comme dans un miroir, nous sommes transformés en son image, notre gloire venant de la sienne [nous soulignons les variantes], comme de l’Esprit du Seigneur. (Amelote). Amelote annote : « c’est le sens de ces paroles [il donne le texte grec] : de gloire en gloire. »

De même pour He 10, 7 - trois fois repris  : Alors j’ai dit : Me voici ; je viens, selon ce qui est écrit de moi à la tête du livre, pour faire, mon Dieu, votre volonté. (Poiret Explic.). - Alors je vous ai dit : Je viens : il est écrit de moi dès le commencement du livre, que je dois accomplir votre volonté (Amelote). Amelote annote : « [il donne le vocabulaire hébreu] : à la tête, ou au commencement de l’écrit, ou du livre. Saint Jérôme aussi a traduit… » On note dans les deux cas la reprise des notes d’Amelote dans les textes de versets par (Poiret Explic.), ce qui montre un souci d’exactitude par rapport au grec ou à l’hébreu originels.

1244Nous avons comparé les éditions de Lyon 1603, de Paris 1694 (reprise de Girodon 1661), de Liège 1701 : elles s’écartent beaucoup plus de Guyon/ Poiret que ces derniers ne s’écartent d’Amelote 1687. On note aussi que Madame Guyon compare dans ses Explications des Ps.s de David, Ps. LXVII [68 selon la TOB], sa source à l’une des versions traditionnelles de Louvain.

1245Le Nouveau Testament de Notre-Seigneur Jésus-Christ avec des explications et réflexions qui regardent la vie intérieureA Cologne [Amsterdam], chez Jean de la Pierre, 8 tomes, 1713 - Les livres de l’Ancien Testament avec des explications…,12 tomes, 1715.

1246« Demandez pour moi au T[uteur : le Duc de Chevreuse] une bible de M. de Sassi [Sacy], sans explications [probablement Madame Guyon veut-elle indiquer une édition avec les commentaires de Port-Royal réduits]. » Lettre à la ‘petite duchesse’ [de Mortemart] du début d’août 1695, confirmée par celle écrite ensuite directement au Duc le 24 du même mois, demandant le même service.

1247La Bible, traduction de Louis-Isaac Lemaître de Sacy, établie par P. Sellier, Laffont, 1990. (Sacy).

1248Le Nouveau Testament…à Mons chez Gaspard Migeot [en fait à Amsterdam par Elzevir], 1668, œuvre des deux frères Lemaître (Antoine et Sacy), connue de Madame Guyon : « On ne lit ici que La fréquente communion, les essais de morale, le Testament de Mons [œuvres de jansénistes]. » Lettre à la petite duchesse, janvier 1697. Le texte de (Mons ) fut revu par l’équipe de Port-Royal. Quelques variantes que nous en donnons montrent que les écarts entre (Mons) et (Sacy) sont moindres que ceux entre (Mons) et la source inconnue Guyon /Poiret.

1249Suivant la suggestion de J. Le Brun ; cet écrit de Madame Guyon de 1683-1684 peut servir de « pierre de touche » vis-à-vis de (Poiret Explic.) : un sondage montre la fidélité de ce dernier.



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